AIX-MARSEILLE UNIVERSITE

Ecole doctorale Langues, Lettres et Arts 354 Laboratoire d’Etudes en Sciences des Arts EA 3274 Discipline Arts Spécialité Sciences de l’Art

L’autorité de la chaise de sa fonction à sa transformation en œuvre dans l’art chinois et occidental

THESE de DOCTORAT Présentée et publiquement soutenue Le 14 janvier 2017 par Xian Wen NONG Sous la direction de : Madame la professeure Sylvie COËLLIER

Pour obtenir le Diplôme d’Etat de Docteur

Rapporteurs : Monsieur le professeur Thierry DUFRÊNE Madame la chercheure HDR Véronique ALEXANDRE JOURNEAU

Le jury : Monsieur le professeur Thierry DUFRÊNE Madame la chercheure HDR Véronique ALEXANDRE JOURNEAU Monsieur le professeur Jean ARNAUD Madame la professeure Sylvie COËLLIER

Remerciements

J’adresse mes remerciements à Madame Sylvie COËLLIER, professeure à Aix-Marseille Université, historienne de l’art contemporain. En tant que Directrice de thèse, elle m’a guidé dans mon travail. Elle a lu et a corrigé ma thèse plusieurs fois, et m’a aidé à trouver des solutions pour avancer. Les informations et les conseils précis qu’elle m’a donnés, concernant l’art, le design, l’esthétique, la philosophie, la culture, la méthode de recherche, m’ont permis d’approfondir ma recherche.

Table des matières

Introduction

I La chaise.------1 II Les contenus principaux de la thèse.------4 III La construction de la thèse.------13 IV L’écriture chinoise en français.------13

Partie I

La problématique principale

I La nécessité du Tao dans l’art et dans le design.------15 II L’Introduction brève de l’évolution de la philosophie chinoise.------18 III Le problème de la compréhension du Tao.------23 IV Le problème de l’évolution du Tao.------25 V Le problème de l’obtention du bon ‘Xing Qing’.------29 VI Le problème du processus de la création et de production.------31 Conlusion------33

Partie II

L’histoire du siège occidental

3200 av.J.C.—1830

Chapitre I

Le symbole d’animalité dans des sièges égyptiens(env.3200 av.J.C.—300 av.J.C.) I Le fauteuil de la reine Hetep-heres.------36 II Le luxe ou la modernité ?------36 I

III Les problèmes.------38 IV Le trône de Toutankhamon. ------38 V La stratégie politique.------43 VI La question de la croyance et de le superstitution.------44 VII Le symbole de l’animalité.------46 Conclusion------48

Chapitre II

Le symbole des plantes dans des sièges assyriens et perses. (env.3500 av.J.C.—700) I L’ambition agressive marquée dans le siège assyrien.------49 II Une perspective plus large.------50 III La diversité des sièges perses.------51 IV La puissance et le trône de Darius Ie le grand.------53 V Le symbole des plantes.------55 Conclusion------57

Chapitre III

La forme simplifiée et (pré)géométrique des sièges grecs (11e siècle av.J.C.—1e siècle av.J.C. ) I La question de l’origine et des sources des sièges grecs.------59 II Des tabourets et des bancs à s’étendre.------60 III Le Klismos grec et son origine.------61 IV Un trône importé dans la Grèce antique.------65 V La forme simplifiée et (pré)géométrique.------66 Conclusion------67

Chapitre IV

L’ostentation du siège romain antique (9e siècle av.J.C.—5e siècle) I Le problème des sources de recherche des meubles romains.------68 II

II L’ostentation du siège romain.------68 III L’origine du siège romain.------70 Conclusion------72

Chapitre V

Le confort et l’inconfort dans la chaise ecclésiastique du Moyen Age(env. 476—1453 av.J.C.) I Les sièges du Clergé médiéval et le gothique.------74 II La condition.------75 III L’inconfort physique contre le confort spirituel.------77 IV La limite de la chaise ecclésiastique.------78 Conclusion------79

Chapitre VI De la Renaissance au Baroque, de la richesse matérielle à la complexité matérielle (XIV—XVII siècle) I La richesse matérielle.------80 II La manifestation de la richesse matérielle.------82 III L’influence orientale en Europe.------89 IV La richesse matérielle et le travail.------91 Conclusion------95

Chapitre VII

Le problème du mélange des styles (18e siècle) I Les fauteils à sytle Louis XV.------96 II Le mélange des styles.------98 III Le mélange des pensées.------100 IV Rococo sous l’influence féminine.------104 V Le problème derrière le luxe.------104

III

VI Le style Chippendale en Angleterre.------106 Conclusion------109

Chapitre IX

Néo-classicisme (17e —début du 19e sicèle) I Les sièges néo-classiques.------110 II Napoléon Bonaparte et son trône.------111 Conclusion------117

Partie III

L’histoire du siège chinois

(2100 av.J.C.—1900)

Chapitre I

Avant l’apparition de la chaise haute, ( De 2100 av.J.C. à 202 av.J.C., de la dynastie Xia 夏 à la fin de la dynastie Cu 楚) I La natte.------118 II La natte de plus en plus épaisse.------120 III La recherche de l’artisanat et l’aristocratie.------121 Conclusion------122

Chapitre II La première chaise en Chine I Des informations diverses sur la première chaise chinoise.------123 Conclusion------125

Chapitre III

Les religions IV

I L’introduction des religions.------126 II La rencontre du taoïsme et le confucianisme.------127 III La rencontre des trois religions.------128 Conclusion------130

Chapitre IV

Le passage transitionnel (De 220 à 960,de trois pays 三国 aux Cinq Dais et Dix Pays 五代十国) I La popularisation de la chaise.------130 II Le siège haut chinois et le taoïsme.------132 III La chaise bouddhiste et la Chine.------134 IV La chaise et la relation humaine.------139 Conclusion------141

Chapitre V

Un siège plus ‘raisonnable’(De 960 à 1368, de la dynastie Song 宋 à la dynastie Yuan 元) I La généralisation de la chaise.------141 II Un siège plus ‘raisonnable’.------142 III Un fauteuil matériel à la dynastie Yuan. ------146 IV Un risque social.------151 Conclusion------151

Chapitre VI

Le sommet de la chaise chinoise (De 1368 à env.1700, de la dynastie Ming 明 au début de la dynastie Qing 清) I Le style Ming.------152 II Les fauteuils Ming.------153 III Les moteurs qui façonnent le mobilier Ming.------157 V

IV Les caractéristiques des sièges de Ming.------159 V Une nouvelle compréhension du style de Ming. ------161 VI Le siège et le pouvoir.------166 Conclusion------166

Chapitre VII La décadence du style de Ming (dynastie Qing 1644-1911) 1 Les fauteuils Qing.------167 II La ‘décadence’ de la politique intérieure.------169 III Les problèmes procurés par la concurence étrangère.------171 IV L’empereur et son laquais. ------173 Conclusion------174

Partie IV

Le modernisme

(1830 -- 1960)

Chapitre I

La chaise numéro 14 de Michael Thonet I, L’embyon du modernisme.------176 Conclusion------179

Chapitre II

Arts and Crafts - William Morris I Un fauteuil de William Morris.------180 II Un passage transitoire du modernisme.------181 Conclusion------184

VI

Chapitre III Le fonctionnalisme

I Le terme fonctionnalisme.------185 II Du rationalisme au fonctionnalisme.------185 III Les architectes fonctionnalistes.------187 IV la philosophie chinoise et le fonctionnalisme.------189 Conclusion------190

Chapitre IV De la nature vers la modernité

I La philosophie de la nature.------191 II La recherche de nouveauté à partir de la nature.------192 III Le style linéaire du siège de Henry Van de Velde.------193 IV Les hautes chaises de Charles Rennie Mackintosh.------197 V La simplicité du siège d’Otto Wagner. ------201 VI Le siège organique de Frank Lloyd Wright------202 VII La géométrie des sièges de Josef Hoffmann.------204 VIII Le biomorphisme d’Antoni Gaudí.------207 Conclusion------209

Chapitre V

De Stijl - Gerrit Rietveld I Une déclaration du modernisme------210 Conclusion------215

Chapitre VI

L’esprit de révolution du Bauhaus I La résistance du Bauhaus.------216 II Le premier siège de Marcel Breuer.------217

VII

III L’éducation au Bauhaus.------219 IV Les questions posées par le Bauhaus.------221 V L’expérimentation de Marcel Breuer.------222 VI La réussite de Marcel Breuer.------224 VII Le dernier siège au Bauhaus.------226 Conclusion------227

Chapitre VIII

Le siège après deux guerres mondiales I La ligne de courant.------228 II L’espace privé.------230 III L’abstraction.------232 IV La construction.------233 V Un siège comme une œuvre d’art.------234 Conclusion------234

Partie V

La chaise au 20e siècle

Le siège qui témoigne la construction, la destruction

et la reconstruction de la Chine

I Le regard vers l’Occident.------236 II Les catastrophes.------238 Conclusion------240

Partie VI

La transformation du siège en oeuvre dans l’art occidental et chinois

VIII

Chapitre I

De l’autorité de l’homme à l’ « autorité » du siège I De la fonction à la transformation.------241 II De l’autorité humaine à l’ « autorité » du siège.------243 Conclusion------245

Chapitre II Les sièges dans la peinture I La « discussion » entre deux sièges.------246 II L’objet peint représente l’esprit de son propriétaire.------251 Conclusion------252

Chapitre III

Une nouvelle compréhension sur le siège de Marcel Duchamp I Le rôle du tabouret.------254 II Le rapport entre le design et l’art.------255 Conclusion------258

Chapitre IV La chaise dans la danse de Merce Cunningham des années 1950 I La chaise comme une personne.------258 Conclusion ------264

Chapitre V

La limite et l’existence dans les oeuvres d’art en sièges de 1960 à 1990 I Double existences dans la chaise de Joseph Beuys.------265 II Double publicités pour la mémoire dans l’art d’Andy Warhol.------269

III La limite et l’existence dans les chaises de Stefan Wewerka.------274 IV La liberté d’exister du siège dans les oeuvres de Joseph Kosuth.------279

IX

V Le délaissement et l’existence dans la chaise de Bruce Nauman. ------285 VI La transformation et l’existence dans la « Caddie » d’Olivier Mourgue.------291

VII La chaise suspendue de Bruce Nauman.------294 VIII La limite dans la chaise de Frank Schreiner.------297 IX La transformation historique dans la peinture d’Enzo Cucchi.------299 X La limite visible et invisible dans la chaise suspendue de Bruce Nauman.------301 Conclusion------303

Chapitre VI

L’identité nationale dans les oeuvres d’art en sièges des années 1990

I Une culture implantée dans les sièges de CHEN Zhen.------304 II Le passage des chaises de Tadashi Kawamata.------319 III Le siège dans la vidéo de Shirin Neshat.------323 Conclusion------327

Chapitre VII L’ancienneté et la contemporanéité dans les arts plastiques chinois des années 2000

I Les chaises de SHAO Fan.------328 II Les chaises d’AI Wei Wei.------333

Conclusion------339

Conclusion générale------340-346

Bibliographie------347-362

Annexe

I Liste des images.------362 II Liste des schémas.------367 III Liste des tableaux.------368 IV Index.------368 - 372

X

Introduction

I La chaise.

I-I L’attrait de la chaise. La République de Platon (427 - 347 av.J.C.), dans laquelle la chaise est présente en tant qu’outil à s’asseoir, questionne l’origine de la forme de la chaise et sa fabrication. La mimésis est abordée dans ce discours. D’autre part, la chaise est souvent citée en tant qu’exemple de la logique dans l’ouvrage du philosophe allemand Ludwig Wittgenstein (1889-1951) : Tractatus Logico-Philosophicus. De la forme à la logique, la chaise peut être un médium auquel on attribue une double connotation: matérielle et immatérielle. ‘Chaise’ est le mot central de cette thèse. Du point de vue matériel, ce mot a au moins deux attributs. Le premier attribut s’adresse à la chaise au sens général—un tabouret avec un dossier. Ce sens est pratiqué dans la vie quotidienne. Le deuxième attribut s’adresse à l’ensemble des sièges : tabourets, chaises, fauteuils. La chaise peut être artistique, littéraire et symbolique, car quand le mot ‘chaise’ est abordé dans des œuvres diverses, on lui attribue souvent un rôle de représentation de la place de quelqu’un. Parmi des sièges, les écrivains et les artistes privilégient la ‘chaise’ dans leurs œuvres, car cette incarnation matérielle a la capacité d’atteindre la propriété immatérielle qui caractérise les œuvres d’art.

I-II Le mot ‘chaise’ En français, l’origine du mot ‘chaise’ peut être retracée jusqu’à l’époque médiévale, où elle fut désignée en latin comme cathedra qui dériva de deux mots grecs : katha (down) et hedra (seat)1. Le mot français ‘chaise’ se traduit en anglais par ‘chair’. En anglais, il y a deux mots dérivés du mot ‘chair’ : ‘chairman (président), chairwoman (présidente). Le mot anglais ‘chairman’ se traduit en chinois par ‘zhu xi 主席’, ‘zhu 主’est ce qui du

1 The Architectural League of New York, 397 Chairs, essais par Arthur C.Danto, New York: HARRY N. ABRAMS INC. PUBLISHERS, 1998, p. 8. 1

Maître, ‘xi 席’ signifie ‘place’(seat), ‘zhu xi 主席’ signifie donc la ‘place du maître’. Dès son apparition en Chine ancienne, la ‘chaise’ avait plusieurs appellations. Par exemple, elle fut appelée ‘Yi zi倚子’, cela signifie un objet sur lequel la personne s’asseoit et s’appuie. Cette appellation souligne deux fonctions de la ‘chaise’ : s’asseoir et s’appuyer. Ensuite, à partir du IVe siècle de notre ère, l’appellation de la ‘chaise’ devint ‘Yi zi椅子’, avec le trait ‘木’ (bois) ajouté à côté, cette appellation entend ajouter la matérialité (bois) à la fonction fontamentale (asseoir). Bien que les deux prononciations -‘Yi zi倚子’, ‘Yi zi椅子’ - soient pareilles, leurs significations sont différentes.

Le mot français ‘mobilier’ se traduit en chinois par ‘Jia Ju 家具’. ‘Jia 家’ signifie ‘famille’ ou ‘maison’, ‘Ju 具’ signifie ‘outil’. L’ensemble de ‘Jia Ju 家具’ signifient ‘outil domestique’. Mais différent du français, le mot chinois ‘Jia Ju 家具’ lui-même ne signifie pas ‘propriété mobilière’, bien que ‘Jia Ju 家具’ fait partie de la propriété mobilière. Pour mieux comprendre les différentes significations des vocabulaires concernant la ‘chaise’, en français, en anglais et en chinois, je propose une table suivante : (table 1) Table 1. Vocabulaires comparés concernant la chaise

en français en anglais en chinois chaise chair 椅子 yi zi tabouret stool 凳子 deng zi fauteuil armchair 扶手椅 yi (chaise avec accoudoir) banc bench 长凳 chang deng (banc long) canapé sofa 沙发 sha fa (selon ‘sofa’) siège seat 座位 zuo wei asseoir sit (down) 坐(下)zuo (xia) appuyer lean (on) 倚靠 yi kao (suivi par une préposition) mobilier furniture 家具 jia ju meuble furniture 家具 jia ju meubler furnish 配备家具 pei bei jia ju (équiper un meuble) président chairman 主席 zhu xi présidente chairwoman 主席 zhu xi place place 地 方 di fang (endroit) , 地 点 di dian (adresse),位置 wei zhi (position),场所 chang suo (endroit),地位 di wei (position sociale)

2 pouvoir power 能够 neng gou (pouvoir),能力 neng li (capacité),能量 neng liang (énergie),权力 quan li (pouvoir et capacité),威信 wei xin 威望 wei wang (prestige, réputation) position position 位置 wei zhi (position),处境 chu jing (situation),身份 shen fen (identité),立 场 li chang (opinon ou idée) ,姿势 zhi shi (posture),阵地 (front, position) autorité authority 权力 quan li (pouvoir et autorité),当权者 dang quan zhe (ce qui détient le pouvoir),权 力机关 quan li ji guan (les autorités),威信 wei xin 威望 wei wang (prestige,réputation) humanité humanity 人性 ren xing (sentiment humain),人道 ren dao (qualité humaine),人文科学 ren wen ke xue (les humanités)

Cette table des vocabulaires montrent deux remarques : 1) Les sièges - le tabouret, la chaise, etc. - peuvent signifier un grand nombre de choses ; 2) Les mots en français concernant les sièges tels que ‘place’, ‘pouvoir’, ‘position’, ‘autorité’, ‘humanité’, peuvent signifier plusieurs choses en chinois. Cela nous conduit à parler du lien entre l’objet et les mots qui explique cet objet, c’est-à-dire le lien entre le langage et la matérialité. Il nous est nécessaire de citer quelques idées du philosophe allemand Ludwig Wittgenstein2 : 3.203 The name means the object. The object is its meaning. (Le nom signifie (désigne) l’objet. L’objet est ses significations.) 3.144 States of affairs can be described but not named. (Les étates d’affaires peuvent être décrits mais ils ne peuvent pas être nommés.) 3.142 Only facts can express a sense, a class of names cannot. (Seuls les faits peuvent exprimer un sens, une classe de noms ne le peuvent pas.) Si nous suivons ces idées de Ludwig Wittgenstein en regard de la chaise, nous pouvons lancer les hypothèses suivantes qui nous conduiront à d’autres réflexions : 1) Le mot ‘chaise’ désigne la chaise. La chaise est les significations du mot ‘chaise’. Le nom ‘chaise’ est immatériel, tandis que la chaise est matérielle. Nous pouvons dire que la

2 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, (première édition en 1922), traduit en anglais par C.K.OGDEN, avec l’introduction de Bertrand Russell, 1955, Beijing : 中国社会科学出版社 (Zhongguo Shehuikexue Chubanshe), 1999, p. 47. 3

chaise est la forme matérielle du nom ‘chaise’. Autrement dit, c’est la matérialité qui explique l’immatérialité. La matérialité peut aussi susciter la question de l’existence - l’existence de la chaise ou l’existence du nom ‘chaise’. 2) Les aspects concernant la chaise (utilitaire ou artistique) peuvent être décrits, mais ils ne peuvent pas être nommés. Les aspects personnels concernant la chaise tels que l’identité, la position, le pouvoir, le goût esthétique, le comportement personnel, l’histoire personnelle, peuvent être décrits, mais ils ne peuvent pas être nommés en tant que chaise. La chaise est la chaise, aucune de ses significations ne peut être nommée comme ‘chaise’. Par exemple, l’histoire personnelle de Joseph Beuys (1921-1986) qui le détermina à créer en 1964 une œuvre intitulée Chaise de graisse, peut être décrite de la manière du langage et de la présentation de l’œuvre, mais cette histoire même ne peut pas être nommée comme ‘Chaise de graisse’. 3) Seuls les faits peuvent exprimer un sens, les noms tels que tabourets et chaises ne le peuvent pas. Recitons l’exemple de Joseph Beuys, seule l’histoire personnelle peut exprimer le sens de l’œuvre. Le nom même de l’œuvre ‘Chaise de graisse’ ne peut exprimer aucun sens. C’est-à-dire que l’on ne peut pas comprendre des connotations de l’œuvre par le nom ‘Chaise de graisse’, mais par l’intervention de l’histoire personnelle de Joseph Beuys. La philosophie de Ludwig Wittgenstein sur le rapport entre le langage et l’objet et les faits, stimule mes réflexions sur les rapports suivants : le rapport entre le langage et le siège, le rapport entre la pensée humaine et le siège, le rapport entre le siège et ses significations, le rapport entre le siège et les faits qui le concernent (dites les humanités). Parmis ces rapports, le principal est le rapport entre la matérialité et l’immatérialité. Avec ces réflexions, nous entrons dans l’introduction des contenus principaux de la thèse. II Les contenus principaux de la thèse.

La première tâche.

L’architecte français Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc (né en 1814) a écrit de 1858 à 1870 un Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque Carlovingienne à la Renaissance (aujourd’hui Carolingienne). Viollet-le-Duc a remarqué la hiérarchie

4

4 sociale et familiale distinguée à partir du moyen Âge par le luxe du meuble et la haute chaise. Pourtant, Viollet-le-Duc n’a pas mis l’accent sur l’esthètique de la chaise.

L’historienne américaine Leslie Pina a publié son ouvrage intitulé Furniture in history

3000 B.C. - 2000A.D. (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C. – 2000) et l’historien anglais

Edward Lucie-Smith (né en 1933) a publié L’histoire du mobilier, mais ils n’ont parlé que de l’histoire du mobilier occidental. Et ils ne sont pas les seuls. En fait, le mobilier chinois et son influence sont souvent oubliés des ouvrages occidentaux.

Les historiens chinois du mobilier, eux-mêmes, n’ont pas non plus attribué une contribution suffisante à l’analyse des meubles chinois et occidentaux. Car ils reprennent souvent des histoires et des analyses écrites par d’autres historiens. Parfois, ils recueillent des informations historiques dans leurs livres sans les articuler avec les conceptions des meubles, ni expliquer pourquoi ils citent telles informations. Ce n’est qu’une accumulation d’informations. Et puis, la philosophie occidentale et chinoise est presque oubliée de leurs livres. La premième chose est donc de continuer à développer l’histoire du mobilier chinois, en analysant les éléments qui l’influencent et sa propre influence exercée sur le mobilier occidental. Les mobiliers chinois et occidental s’influencent au fur et à mesure que des communications se font entre l’Occident et la Chine, d’abord par des marchandises depuis la Renaissance et aujourd’hui par des livres, des visites et des expositions.

La deuxième tâche. Il y a déjà eu des livres introduisant des sièges historiques, on y voit des photographies quelques fois accompagnées de quelques explications et interprétations simples, mais il n’y a pas encore eu de livres qui ont spécifiquement théorisé l’art du siège utilitaire et artistique. Je trouve par conséquent nécessaire d’approfondir la recherche sur la transformation et l’utilisation de la chaise dans l’art contemporain. La deuxième chose est donc de théoriser l’histoire de la transformation de la chaise en œuvre. Car cette histoire tient une partie considérable dans l’histoire de l’art et du design au

XXe siècle. Les œuvres d’art en chaises sont un carrefour de l’art et du design et de la vie humaine.

5 L’analyse. Toutes ces deux tâches nécessitent une chose commune. C’est d’approfondir l’analyse des sièges. Ludwig Wittgenstein dit que le monde est la totalité des faits, non pas des choses (objets)3. Cela sous-entend que ce sont les faits qui constituent le monde et constituent donc l’histoire, et influencent les objets. Nous pouvons dire qu’un siège utilitaire ou artistique est un reflet des faits sociaux et un objectif de connaissance lié au monde. Par conséquent, pour approfondir les analyses des sièges, il faudrait parler des aspects qui couvrent l’histoire personnelle et sociale, l’économie, la politique, en particulier la culture, l’esthétique, la philosophie, la conception (le design) et l’art, etc. Ces aspects sont nécessaires pour analyser des sièges et des œuvres d’art en chaises, car les meubles sont dessinés et utilisés dans les époques particulières et différentes où les environnements sociaux sont différents, et les œuvres d’art en chaises sont créées selon les motifs différents dans les environements différents. Des différences et des particularités historiques ou contextuelles expliquent que la conception d’un objet et la création d’une œuvre d’art ont certainement un rapport avec une certaine influence historique ou contextuelle. La philosophie. Parmi ces aspects, la philosophie joue un rôle important, car, tout au long de l’histoire, elle influence plus ou moins la conception des objets et l’art. En Occident, la philosophie platonicienne déroule son influence sur la conception des objets et la création artistique. En Chine, c’est la philosohpie de Lao Zi et de Confucius qui dirige et influence l’évolution de la conception des objets et la création artistique. Quant au rapport entre l’histoire et la philosophie, l’historien chinois de la philosophie, FENG You Lan 冯友兰 (1895-1990), dit : « L’histoire peut influencer la philosophie et vice versa (...) Pour connaître un philosophe, il faut savoir sa personnalité et sa vie ; Pour connaître une époque ou une nation, il faut aussi savoir sa philosophie.4 » FENG You Lan est d’acord

3 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, op.cit., P 31. 4 冯友兰 (FENG You Lan),中国哲学史, 上 ( L’Histoire de la philosophie chinoise, Volume I) (zhong guo zhe xue shi, shang), (ce livre fut achevé en 1931, première édition en 1934), Shuanghai : 华东师范大学出版社 (Huadong Shifandaxue Chubanshe), 2013, p. 9.

6 avec l’idée du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626) pour qui une histoire sans philosophie, c’est un dragon peint sans yeux. Pour moi, une conception et une création sans philosophie ne contiennent pas de propriétés. Il est vrai que l’histoire de l’homme et la philosophie s’influencent. Des questions historiques se posent sur la temporalité : L’histoire de l’homme et l’histoire de la philosophie s’avancent-elles parallèlement ? Ces deux histoires s’avancent-elles parallèlement avec l’histoire de la conception des objets et du concept de l’art ? Chaque époque connaît sa philosophie, sa conception et son art. L’évolution de la philosophie et celle du mobilier et de l’art ne s’avancent pas tout à fait parallèlement. Il y a des pôles opposées qui coexistent : la transversalité et la verticalité, la contemporanéité et l’incontemporanéité, la temporalité et la spatialité. On peut s’inspirer de la philosophie et de l’art précédents (verticalité temporelle), ou contemporains (transversalité temporelle), ou encore occidentaux et chinois (la spatialité). Par exemple l’idée de Lao Zi : ‘non-agir’ initialement s’adressa à la politique, mais elle influence la conception chinoise depuis longtemps, conduisant à la ‘simplicité’ qui répond au naturalisme. L’idée de ‘ne rien faire’ peut aussi se voir dans l’art du ready-made, puisque les artistes avantgardistes occidentaux souvent utilisèrent directement les objets utilitaires dans leurs œuvres, n’en changeant rien. Nous nous demandons si les œuvres ready-mades tendent à répondre au naturalisme de Lao Zi ? Cet exemple ne prétend pas justifier le rapport entre la philosophie de Lao Zi et les œuvres avangardistes occidentales, mais ce croisement intemporel dans un même cosmos ne saurrait pas être une contingence. Tous ces phénomènes intemporels et hybrides constituent un réseau culturel mondial. Tout s’y passe. Nous parlerons plus précisément de la philosophie chinoise et occidentale dans le premier chapitre de la première partie : la problématique principale. Maintenant, nous sommes arrivés à la conclusion : une analyse d’un siège ou d’une œuvre d’art sans l’intervention de ces aspects mentionnés au-dessus est un arbre sans racine.

La fonction et le pouvoir.

L’origine du siège royal réside dans les trônes de la royauté égyptienne (env. 3100 - 475

7 av.J.C) 5. Le trône, issu de la chaise et réservée à l’homme d’état et interdit au peuple moyen, signifiait, tout au long de l’histoire de la chaise jusqu’au XIXe siècle, une place hiérarchisant la société en classes supérieure et inférieure. Nous avons une question : s’il n’y avait pas eu de royauté égyptienne qui fut la classe la plus haute dans la hiérarchie sociale et voulut manifester son pouvoir, y aurait-il eu la chaise? La réponse peut être positive, mais il est certain que l’apparition de la chaise aurait été retardée, et l’évolution de la forme de la chaise et les significations que l’on lui confère seraient différentes. La chaise, ayant plus de cinq mille ans d’histoire, évolua au cours de l’histoire humaine « avec le pouvoir politique, économique et religieux, avec l’art, avec le savoir, avec la sensibilité esthétique et, finalement, avec l’industrie6 », révélant en revanche « les tensions sociales, économiques et culturelles depuis l’ère de l’Egypte pharaonique7 » . Cela peut se dévoiler grâce à l’archéologie selon laquelle nous savons que la classe dirigeante égyptienne, par exemple, la reine Hetep-heres, vivait déjà dans le luxe, possédant un fauteuil, une chaise à porteurs, un lit, un appuie-tête et un grand baldaquin pliant8 . Cette richesse du mobilier était due d’abord à la prospérité économique égyptienne, également à la capacité de la création artistique égyptienne à l’époque. Depuis sa naissance, la chaise évolua en tant que croisement social à l’époque où elle existait : Du côté de la forme et du matériel, elle s’adaptait à la situation politique, économique et culturelle ; du côté immatériel, elle représentait l’idéologie, la pensée et l’esthétique sociales. Plus que « n’importe quel autre type de meuble, le siège peut être considéré comme un baromètre des changements sociaux9 ». Différent de l’époque de l’Egypte ancienne, selon Patricia Bueno10, le privilège de s’asseoir sur un support se changea en Occident du IVe dynastie jusqu’à environ 1320 av.J.C.: la chaise raffinée était réservée à la royauté, à la noblesse et aux fonctionnaires, tandis que le tabouret était réservé au reste des classes sociales qui n’abandonnèrent cependant pas leur habitude de s’accroupir. Le peuple avait alors le droit de s’asseoir sur un tabouret qui est

5 Patricia Bueno. Chaise chaise chaise. Barcelone : Atrium Group, 2003. p . 13. 6 Idem. 7 Idem. 8 Idem. 9 Charlotte et Peter Fiell. Moderne chairs. Cologne : Taschen, 2002, p. 8. 10 Patricia Bueno, Chaise chaise chaise, op.cit., p. 14. 8 moins haut que la chaise, représentant un statut inférieur. La forme de la chaise continuait à évoluer sous l’influence du pouvoir à différentes époques où elle existait. Car, pour s’imposer, l’homme politique voulait qu’elle soit capable de présenter parfaitement son pouvoir, son autorité, son statut, ainsi que son goût particulier. Par exemple, du côté de la forme de la chaise, dans la culture de la Mésopotamie, la chaise avec un dossier droit et délibérément rigide représentait parfaitement l’autorité sacrée de son propriétaire sévère – la royauté11. En Occident, l’utilisation de la chaise fut généralisée aux classes populaires par la Révolution Industrielle à partir du début du XIXe siècle12. Egalement, en Chine ancienne, s’asseoir sur la chaise fut le privilège de la personne détenant le pouvoir. Le trône de l’empereur (fig. 1) fut appelé ‘龙椅’ Long yi, trône du dragon qui fut un symbole de l’empereur). Pour cela, nous pouvons regarder un portrait de 雍 正 Yong Zheng (1678-1735), cinquième empereur de la dynastie Qing. Ce portrait fut peint par Giuseppe Castiglione (1688 - 1766), missionnaire italien, qui vint en Chine en 1715 et peignait pour la royauté pendant le règne de 康熙Kang Xi (1661-1722), de 雍正Yong Zheng (1723-1735) et de 乾隆Qian Long (1736-1795). Le trône du dragon avait un extrêmement haut dossier, l’empereur autoritaire se donnait ainsi le nom de Tian zi 天子 (le fils du ciel). En terme chinois, les Chinois sont la descendance du dragon (龙的传人long de chuan ren).

L’arrivée de la chaise en Chine ancienne changea sans doute la vie des Chinois. Avec le changement progressif de l’habitude traditionnelle de s’asseoir à genoux par terre, la classification sociale a changé progressivement. La société hiérarchisée atteignit son sommet au début du XXe siècle et fut bouleversée tout à coup par la révolution de 1911 dirigée par SUN Zhongshan 孙中山 14 (1866 - 1925). Depuis le XXe siècle, la Chine demeure une société hiérarchisée, mais la chaise, ou plutôt l’ancienne chaise puisqu’il n’y avait pas de nouveauté à voir dans le mobilier, ne joue plus ce rôle important dans la hiérarchie sociale. L’attrait du pouvoir que le trône représentait se détrôna, ce fut le résultat de la popularisation de la chaise et de la recherche motivée d’un nouveau chemin pour le pays.

11 Patricia Bueno, Chaise chaise chaise, op.cit., p. 14. 12 Ibid., p. 21. 13 En Chine ancienne, le dragon fut un grand symbole de l’empereur. Sur des meubles et des costumes royaux, on broda des dragons. Aujourd’hui, les Chinois s’appellent la descendance du dragon. 14 SUN Zhongshan 孙中山 est le nom officiel, Sun Yat-Sen 孙逸仙 est le surnom. Des intellectuels chinois ont l’habitude de se donner un surnom. Cette histoire remontre au moins jusqu’à 1100 ans av.J.C. 9

Figure 1. 雍正Yong Zheng (1678-1735), cinquième empereur de la dynastie Qing, 龙椅Long Yi (trône de dragon), portrait peint par Giuseppe Castiglione (1688 - 1766), missionnaire italien, qui vint en Chine en 1715 et peignait pour la royauté pendant le règne de 康熙Kang Xi (1661-1722), de 雍 正Yong Zheng (1723-1735) et de 乾隆Qian Long (173 6-1795)

Le symbole du siège.

Tous les aspects qui influencent la conception des sièges et la création des œuvres en sièges constituent un contexte dans lequel le siège existe, mais ils ne peuvent pas constituer le symbole d’un siège. Une fois qu’un siège royal est achevé ou une œuvre d’art en chaises est accomplie, un tel siège devient un objet autonome qui peut symboliser des faits. Historiquement, tout au long du passage qui déroule de la fonction à la transformation du siège en œuvre, la forme du siège évolue gardant ses connotations symboliques : la place, le pouvoir, l’autorité, la position, l’identité, la liberté, la forme, la paix, la démocratie, etc. Par exemple, un trône a toujours joué un rôle de symbolisation du pouvoir. La liste des connotations n’est pas close, elle attend d’être abondée.

L’artiste et la chaise.

Depuis longtemps, des artistes dans le monde entier cherchent ou se battent pendant des

10 moments critiques pour leur propre place dans la communauté. Aujourd’hui, face au marché de l’art, beaucoup d’artistes changent leurs pratiques. Avec les chaises qu’ils créent, les artistes posent aussi des questions majeures. Quelle est la juste position de l’artiste ? Quelle est sa tâche ? Quel rôle joue-t-il ? Pourquoi faire de l’art? Qu’est-ce que l’art ? Par exemple, un grand artiste américain, Joseph Kosuth (né en 1945), avec son œuvre One and three chairs (Une et trois chaises), lança une réflexion concernant la logique sur la relation entre l’objet, sa photographie et sa définition verbale et commença l’art conceptuel. Un artiste chinois, CHEN Zhen (1955 - 2000), avec son œuvre Face à la vanité, reviens à la réalité, a posé des questions sur la paix internationale, sur les droits de l’homme, etc., avec des sièges. La chaise d’AI Wei Wei (né en 1957) représente une place déformée ou bouleversée qui nous empêche de la prendre. Cette limitation présentée par l’œuvre d’art pose la question sur la réalité où « tout le monde veut chercher sa propre « place » dans le monde. Mais où est-elle et qu’est-ce qu’elle est ?15 » Le mot ‘place’ est souvent utilisé. Il a au moins deux significations essentielles, comme chacun sait, l’une est un endroit, par exemple, une chaise, un banc, ou une grande surface commune, comme La Place de Concorde. L’autre signification serait plus abstraite et nuancée selon différentes cultures et pensées, mais, elle est essentiellement la position professionnelle et sociale : l’identité, le statut, le pouvoir, etc. C’est à partir de l’idée de la « place » que beaucoup d’artistes utilisent des chaises comme matériaux dans leurs œuvres d’art, mais il est certain que le tabouret de la Bicyclette de Marcel Duchamps signifie autrement que la Chaise de Joseph Kosuth placée devant sa photographie et sa définition verbale. Il est aussi certain que la chaise de Bruce Nauman signifie autre chose que les attributs engendrés par la chaise d’AI Wei Wei. Chaque artiste crée de sa propre façon et confère à son œuvre différentes propriétés. Le champ d’investigation de la représentation de la chaise dans l’art est largement ouverte et exploitable. D’abord, la chaise abordée dans une œuvre d’art peut poser des questions non seulement sur le pouvoir et la richesse que représentèrent les trônes utilisés avant le XXe siècle, mais aussi sur la paix, la démocratie, les droits de l’homme, les droits de

15 Tacita Dean ; Jeremy Millar, Place, New York :Thames et Hudson, 2005, p. 1. 11 la femme, la définition de l’art, l’histoire de l’individu, et sur beaucoup d’autres aspects. Et puis, par l’histoire de l’utilisation de la chaise dans l’art, nous voyons l’évolution du concept humain d’une époque à une autre. C’est justement la diversité des significations issues des chaises et l’évolution de la pensée humaine qui constituent l’intérêt de cette thèse.

L’art et le design.

Marcel Duchamp (1887-1968), avec son ready-made, posa la question sur le rapport (ou la frontière) entre l’art et le design. Sa Roue de bicyclette peut être un point à discuter. Des designers en parlent, des artistes en discutent. Parfois, on la considère comme une œuvre d’art, parfois comme un exemple du design. La Chaise rouge et bleue de Gerrit Rietveld (1888 - 1964) connaît la même expérience esthétique. AI Wei Wei (né en 1957) était d’abord un designer et architecte, et il est devenu après un artiste connu dans le monde. Maintenant,il travaille essentiellement dans l’art, sans renoncer à l’architecture. Ses œuvres en chaises sont aussi un lieu de discussion en regard de la frontière entre l’art et le design. Son concept se trouve repéré sur deux travaux opposés : faire et défaire, construire et déconstruire, etc. Deux facteurs - l’ambiguïté de la classification d’un travail artistique et l’ambivalence de l’identité des artistes-designers - déterminent qu’il est nécessaire d’aborder la question du design dans cette thèse. Historiquement, la conception des objets et le concept de l’art s’influencent. Avant le XXe siècle, précisément avant l’art avantgartiste, avant le ready-made où des peintres représentaient directement la chaise dans leurs peintures, aucune influence n’évoquait le problème de distinguer une œuvre d’art d’un objet utilitaire. Mais à partir de l’émergence du ready-made dans le cadre de l’art, la chaise fut utilisée directement dans des œuvres d’art : la sculpture, l’installation, l’art vidéo, la performance, etc. S’agit-il de design ? Dans certaines œuvres d’art, des chaises sont parfois intouchées, parfois transformées, parfois regroupées, parfois équipées d’autres éléments. Nous nous demandons si telles façons diverses ont un rapport avec le design, puisqu’on dessine la forme et la construction d’un tel siège avant de le faire ou refaire ? Nous en parlerons plus précisément dans les parties de la thèse.

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III La construction de la thèse.

Cette thèse est constituée de deux parties. La première partie est consacrée à l’histoire du siège depuis l’Egypte ancienne jusqu’au XXe siècle et contribue essentiellement à appréhender la forme et la fonction matérielle : s’asseoir, et à la fonction immatérielle : les symboles. La deuxième partie est consacrée à la transformation et l’utilisation de la chaise en œuvre durant le XXe siècle et le début du XXIe siècle, et cherche essentiellement à analyser les différentes significations que les artistes extraient de la chaise. A chaque chapitre, je parle d’abord d’un exemple qui conduit ensuite à la discussion de certains contenus dont nous avons discutés plus haut. Par exemple, dans le cadre de la philosophie, il est possible de parler du concept marxiste concernant le travail et la valeur du travail, puisqu’on ne peut pas faire et créer une œuvre d’art sans travailler. Il y a deux sortes de travail. Le premier travail se trouve dans le processus du faire, c’est un travail physique. Le deuxième travail est le résultat du processus, c’est l’œuvre même. La difficulté pour nous est comment estimer la valeur de ces deux sortes de travail. Ceux-ci procurent deux sortes de valeurs. La première valeur est la valeur matérielle qui est souvent estimée en argent. La deuxième valeur est la valeur immatérielle, dite artistique, et elle est généralement estimé avec l’intervention des contenus dont nous avons parlés. La valeur immatérielle se situe par conséquent dans le centre de nos discours. Entre les chapitres, il y a quelques chapitres communs qui ont pour objectif d’expliquer des points communs, par exemple ‘Le fonctionnalisme’, ‘De la fonction à la transformation’, etc. pour que les parties suivantes puissent bien dérouler sans répéter les même choses.

IV L’écriture chinoise en français.

Dans cette thèse, je voudrais montrer les noms chinois en ordre originel. 1) ‘老子’ est l’écriture du nom, tandis que ‘Lao Zi’ est le phonème du nom (le ping yin). 2) L’ordre des noms chinois est ce-ci : nom et prénom. Je vois que les Français ont déjà l’habitude de dire ‘MAO Ze Dong’ (nom + prénom), au lieu que ‘Ze Dong MAO’ (prénom + nom). Je vois aussi

13 que les Français acceptent deux façons d’écrire les noms : 1) nom + prénom ; 2) prénom + nom. J’essaie de montrer quelques exemples importants dans la table 2.

Table 2. L’écriture chinoise en français

Chinois Français Les noms 老子(Lao Zi) Lao-Tseu (Tzeu) 孔子 Kong Zi (孔夫子 Kong Fu Zi) (Fu Zi 夫子 Confucius (selon le nom : Kong Fu Zi) signifie ‘maître’, ‘enseignant’, ‘professeur’, c’est-à-dire Kong professeur.) 墨子(MO Zi) Mo-Tseu 荀子(XUN Zi) Xun-Tseu 庄子(Zhuang Zi) Tchouang-Tseu 毛泽东(MAO Ze Dong)(nom et prénom) MAO Ze Dong (MAO Ze-Tong) Terminologies philosophiques 道(Dao) Tao 德 (De) Vertu 仁 (Ren) Vertu d’humanité 礼 (Li) Rite 气 (Qi) Ki (souffle) Ouvrages 道德经(Dao de jing) Tao-tê-king (‘jing’ signifie en français ‘bible’) 论语(Lun yu) Les entretiens de Confucius Etablissements et villes 出版社 (chu ban she) Edition 北京 (Bei jing) Pékin 上海 (Shang hai) Shanghai 广州 (Guang zhou) Canton

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Partie I La problématique principale

I La nécessité du Tao dans l’art et dans le design.

Comment pourrait-on regarder un joli bébé sans regarder sa propre mère qui l’embrasse? Par le même principe, comment pourrait-on regarder l’histoire du mobilier et de l’art sans regarder la philosophie qui l’embrasse dans ses bras? Les objets et les œuvres d’art et les meubles ont toujours été créés dans le cadre de la philosophie et ne l’ont jamais dépassé. En Chine, la philosophie chinoise fondée par Lao Zi (老子, env. 571 - 471 av.J.C.) et Confucius (孔子, 551 - 479 av.J.C.) a toujours embrassé, dirigé, influencé et jamais abandonné les créations utilitaires et artistiques au moins avant le XXe siècle. En Occident, la philosophie principalement fondée par Socrate (470*469 - 399 av.J.C.) , Platon (428*427 - 377 av.J.C.) et Aristote (384 - 322 av.J.C.) a influencé les modes de vie. Dans la république platonicienne, selon l’esthéticien chinois ZHU Guang Qian 朱光潜 (1897 - 1986) qui a étudié l’esthétique en Angleterre et en France, des philosophes tenant la plus haute classe dans la société dirigent d’autres classes inférieures telles que des guerriers et des paysans, des ouvriers et des commerçants16. Dans le livre X de La République de Platon17, socrate parle de la mimésis de la forme unique inventée par Dieu, disant que, par exemple, le lit possède d’une seule forme selon laquelle les artisans fabriquent autres lits. Selon cette théorie, la chaise possède aussi d’une seule forme et les ébénistes sont par conséquent les imitateurs. Nous parlerons de cette idée intéressante dans certaines parties de la thèse. L’importance de la philosophie dans le développement humain est évidente. Serait-il logique de la laisser en dehors de l’histoire du siège ? Serait-il raisonable de parler du design et de l’analyse du siège sans l’y aborder ? Il y a un parallélisme entre l’histoire de la philosophie chinoise et l’histoire de la

16 朱光潜 (ZHU Guang Qian), 西方美学史 (xi fang mei xue shi), (L’histoire de l’esthétique occidentale), (première édition en 1963), Jiang Su (Chine) : 凤凰出版传媒集团 (Feng huang chu ban chuan mei ji tuan), 江苏文艺出版社 (Jiang su wen yi chu ban she), 2008, p. 41. 17 Platon, La République, du régime politique, folio essais, traduction de Pierre Pachet, Paris : Gallimard, 1993, p. 492-497. 15 philosophie occidentale. Selon FENG You Lan 冯友兰 (1895 - 1990)18, le philosophe chinois, le rôle historique de Confucius correspond à celui de Socrate. MENG Zi (孟子, env.372 - 289 av.J.C), un élève de Confucius, correspond à Platon. XUN Zi (荀子, env. 313 - 238 av.J.C), un élève de MENG Zi, correspond à Aristote. Il est logique donc de mettre deux philosophies en contact direct. (table 3) Table 3. Le parallélisme de l’histoire de la philosophie occidentale et l’histoire de la philosophie chinoise

Philosophie occidentale Philosophie chinoise Socrate Confucius (470 /469 – 399 av.J.C.) Lun yu, édité par ses élèves (551 - 479 av.J.C.) Platon Meng Zi La République, etc. Meng zi, etc. (428&427 -347 av.J.C.) (371 – 289 av.J.C.) Aristote XUN Zi Métaphysique, etc. XUN Zi, etc. (384 – 322 av.J.C.) (313 – 238 av.J.C.)

Que ce soit au temps de paix ou au temps de guerres, la philosophie chinoise joue un rôle important et elle devrait être prise en considération dans le design et l’art contemporain principalement pour cinq raisons importantes : Premièrement, Lao Zi et Confucius, en subissant les problèmes causés par des armes, fondèrent la philosophie chinoise à une époque de guerres. Par les lignes du 30e chapitre de Dao de jing, il est clair que pour Lao Zi une guerre est une sorte de violence dévastatrice et celle-ci cause à la fin une autre catastrophe, et qu’un homme du Tao ne prend les armes que par la nécessité de sa défense sans s’imposer aux autres. A cet égard, Lao Zi dit : « 大军之后 必有凶年 » (après la grande guerre, suivent certainement des années catastrophiques) . Cependant, certains traducteurs ont mal traduit cette phrase. Par exemple, la traduction de François Houang et Pierre LEYRIS est : « Car primer par les armes appelle à la

18 冯友兰 (FENG You Lan),中国哲学史, 上 ( L’Histoire de la philosophie chinoise, Volume I) (zhong guo zhe xue shi, shang), op.cit., p. 67. 16 riposte. 19» Celle de Liou Kia-Hway et Benedykt Grynpas est : « Cette manière d’agir entraîne habituellemnet une riposte.20 » La philosophie chinoise est sans doute une recherche philosophique pour créer, non pas le mal, mais le bien pour l’humanité. Les artistes, avec leurs œuvres d’art, sont les défenseurs fidèles de la paix internationale. De ce point de vue, les artistes possédant une Vertu sont les bons enfants de la phisolophie chinoise. Deuxièmement, la philosophie fondée par Lao Zi et Confucius n’est pas une croyance religieuse. Ce sont les croyants religieux qui empruntent les pensées taoïstes et confucianistes (nous en parlerons dans une autre partie). Lao Zi et Confucius, tous athées, non idéalistes mais plutôt matérialistes, n’ont jamais pris en compte la divinité dans leurs discours. La philosophie chinoise refuse sans conteste la superstition, prônant que l’humanité joue un rôle important dans l’univers, et qu’elle doit suivre le chemin du Tao, par exemple, le rapport entre l’humanité, la terre, le ciel, la natue et le Tao. (Nous en parlerons dans une autre partie.) Le design et l’art sont une sorte de représentation de la pensée de l’humanité et servent l’humanité même. Il est logique d’aborder la philosophie chinoise dans le design et dans l’art. Troisièment, Lao Zi et Confucius participèrent aux affaires politiques d’une façon indirecte. A savoir qu’ils formèrent les politiciens avec leurs pensées éducatives. Pour ces deux maîtres, la politique de Vertu devrait en revanche éduquer l’humanité. C’est la raison pour laquelle Confucius considéra son enseignement comme une sorte de « politique ». Cela peut se voir dans le 21e chapitre de Lun Yu (les entretients de Confucius). En tant que représentation de pensées humaines (comme nous avons dit précédemment), un objet utilitaire ou artistique, par exemple, un siège pourrait aussi être une sorte de « politique » qui éduque ou influence en retour la société humaine. Ici, nous arrivons au fonctionnement social du design et de l’art, c’est-à-dire à la Vertu sociale ou à la construction sociale. Quatrièment, bien que, selon le premier chapitre de Dao de jing, le Tao n’ait pas de nom précis, (nous parlerons du nom du Tao dans une autre partie) pourtant il s’applique à tous les domaines. Il est à la fois la mère de tout, un mystère des mystères et la porte de toute

19 Lao-Tzeu (Lao Zi 老子), La voie et sa Vertu, Tao-tê-king (Dao de jing 道德经), (ce livre fut achevé au 5e siècle av,J.C,), traduit du chinois par François Houang et Pierre LEYRIS, Paris : Seuil, 2009, p. 64. 20 Lao-Tseu (Lao Zi 老子), Tchouang-Tseu (Zhuangzi 庄子), Lie-Tseu(Liezi 列子), Philosophes taoïstes, textes traduits, présentés et annotés par Liou Kia-Hway et Benedykt Grynpas, relus par Paul Demiéville, Etiemble et Mas Kaltenmark, Paris : Gallimard, 1989, p. 33. 17 merveille21. Lao Zi ouvre la porte de ses pensées par une introduction très abstraite, vaste, profonde et significative, indiquant que le Tao attend d’être exploité, développé et adopté dans tous les domaines. Le Tao pourrait aussi être la mère, la porte et le mystère des merveilles de toutes les créations humaines. L’accès au Tao dans la production d’un objet et dans l’art est donc très nécessaire. Cinquièmement, le Tao qui, selon en particulier le 42e chapitre de Dao de jing, exige l’harmonie sociale peut engendrer Dix milles choses pour l’humanité. Suivons ce principe, le Tao peut aussi engendre Dix milles choses (c’est-à-dire les concepts importants, par exemple,la théorie du vide) qui peuvent servir l’art et le design de l’humanité. Lao Zi a bien averti qu’il faudrait des années d’études pour comprendre ce qu’est le Tao, et a indiqué une voie où l’on peut concrétiser les pensées taoïstes par la matérialisation (production, création). Par conséquent, dans cette thèse qui contient deux parties, dont l’une est l’histoire du siège occidental et chinois développant depuis l’ancienne Egypte jusqu’au XXe siècle, et l’autre est la transformation du siège en œuvre dans l’art comtemporain occidental et chinois, je voudrais essayer d’aborder principalement la philosophie chinoise dans les discours avec l’intervention de la philosophie occidentale, dans l’ambition de regarder les sièges historiques depuis une perspective chinoise pour découvrir des points différents et communs, et pour comprendre et capturer des conseils des anciens maîtres par les lignes archaïques qui contiennent les raisons éternelles, et pour mieux nous repérer dans le monde de l’art contemporain situé dans une société de plus en plus compliquée.

II L’introduction brève de l’évolution de la philosophie chinoise.

Si le Tao peut engrendrer Dix milles choses, qui engendre la notion du Tao ? Il faut maintenant retourner dans l’histoire très ancienne.

Première étape : Yi Jing - la divination.

21 Lao-Tzeu (Lao Zi 老子), La voie et sa Vertu, Tao-tê-king (Dao De Jing 道德经), op.cit., p. 9. 18

Il y a 8000 ans, Fu Xi 伏羲, le père de la culture chinoise (Il est dit qu’il avait une tête humaine et le corps du serpent) a créé les 8 trigrammes (八卦) (fig. 2) et les 64 trigrammes de divinations (fig. 3). ZHEN Chang 姬昌 (nommé : 周文王 Zhou Wen Wang, le monarque de la dynastie Xi Zhou,1152 - 1056) dont la politique était considéré humaine, réédita et adapta l’ordre des 64 trigrammees et les 384 trigrammes de chevauchement. L’ouvrage important intitulé Yi Jing (易经) fut ainsi créé. Il est nécessaire de regarder les 64 signes pour savoir que les traits simples peuvent engendrer de nombreuses théories.

Figure 2. 8 trigrammes (八卦) Figure 3. 64 tes (trigrammes六十四卦)

Yang (continuité, masculinité) 阳 Yin (discontinuité, féminité) 阴

Parmi ces traits apparemment complexes, il n’y a que deux sortes de traits, dont l’un est continu et représente la masculinité, l’autre est discontinu et représente la féminité. C’est pourquoi on traduit le Yang en français ‘continuité et masculinité’, et le Yin ‘discontinuité et féminité’. La chose la plus complexe dans ce système se trouve dans la composition des traits. Fu Xi en avait composé des groupes différents qui signifient des choses différentes. Parmi des interprétations de chaque interprétateur à chaque époque, par exemple, Confucius et ZHU Xi, il existe quelques différences nuancées.(dont la distinction est hors de notre discours, puisque nous ne faisons pas ici l’étude du Yi)

Deuxième étape : Dao de jing - le Tao. Il est très probable que Lao Zi (environ 571 - 471 av.J.C.) s’inspira de la ressource 19 historique du Yi Jing, puisque Lao Zi prôna toujours l’étude des Anciens. Confucius (551 - 479 av.J.C) fut amoureux du Yi Jing et du Rite (Li) initié pendant la dynastie Zhou. Lao Zi dit dans le 42e chapitre que le Tao engendre le Un en forme enbryonnaire ou sans forme qui engendre deux éléments (le Deux) (auxquels sont conférés postérieurement les titres Yin Yang, voir illustration ci-après), ces derniers constituent un ensemble équilibré et donc harmonieux (le Trois) qui peut engendrer les Dix milles choses. Ceux-ci portent le Yin sur son dos, embrassent le Yang dans ses bras ; Yin et Yang harmonisés deviennent un ensemble équilibré. (道生一,一生二,二生三,三生万物。万物负阴而抱阳,冲气以为和。). Dans ses phrases, Lao Zi a initié le concept de Yin Yang (阴阳) qui nourrit les théories postérieures.

Troisième étape : Yi Zhuan - de la divination à la philosophie via le Tao. Après Lao Zi et Confucius, pendant la dynastie de Zhan Guo (eviron 475 av.J.C.), le Yi Jing (易经) consacrant à la divination fut interprété et élargi par un ouvrage dérivé, intitulé Yi Zhuan(易传), philosophique et composé de 10 chapitres. L’influence philosophique de Lao Zi et de Confucius y est bien évidente. C’est une transformation historique remarquable, car ce dernier livre est, avec Dao de jing et Lun yu, le fonds de la philosophie chinoise. Il a contribué à la science sociale, naturelle et humaine et a évoqué aussi la notion du Tao :Tao de ciel, Tao de Terre, Tao d’humanité. Selon l’esthéticien chinois YE Lang, Yi Zhuan est important dans l’histoire de l’esthétique antique chinoise, particulièrement par la notion d’ image. YE Lang se propose de montrer deux raisons à la conformité entre le Yi et l’art. L’image (traits ou signes synthétisés), selon le Yi, est le reflet, l’imitation, la représentation des milles choses qui existent. Le Yi interprète les argumentations des choses diverses par des image asbtraites (traits et signes), tandis que l’art interprète l’émotion (affection,amour) par des images abstraites (forme,figure, vide et plein, etc.) 22. C’est ainsi que la notion de l’ « image » initiée par la phisolophie antique chinoise fut abordée dans l’ancienne peinture chinoise dans laquelle la grande image n’a pas de forme. L’art et l’esthétique chinois commençèrent par l’abstraction. Ces deux ouvrages Yi Jing et Yi Zhuan furent assemblés et intitulés Zhou Yi (周易),

22 叶朗 (YE Lang), 中国美学史大纲 (zhong guo mei xue shi da gang) (L’histoire consise de l’esthétique chinoise), Shanghai : 上海人民出版社 (Shanghai Renmin Chubanshe), 1985, p.66 - 67. 20 puisque ce fut à la dynastie Zhou qu’ils furent redités, complétés et développés.

Quatième étape :l’étude de Yi-- l’influence mutuelle.

L’évolution du Yi jing à l’étude du Yi :Yi jing → Tao → Yin yang → Tai ji → Yi zhuan → l’étude du Yi

Sous l’influence du Tao et de l’Ecole de Yin Yang, la science du Yi dérivée du Zhou Yi s’ajouta au concept de Yin et Yang et le Tai Ji 太极 en dérive. Ici, il faut une explication pour le concept Yin yang en français. ‘Yin’ et ‘Yang’ (fig. 4) sont deux facteurs qui existent dans toutes choses y compris l’être humain. ‘Yin’, représenté en noir, est le principe féminin, la lune, l’obscurité, la fraîcheur, le vacant, la réceptivité, etc., tandis que le ‘Yang’ (fond blanc) représente le principe masculin, le soleil, la luminosité, la chaleur, le plein, l’élan, etc.

Figure 4. Représentation picturale de Yin et Yang (阴阳)

Selon les principes du Yin et du Yang et du Tai Ji, on a créé plusieurs schémas. Celui-ci en est un (fig. 5 ). Dans tous les schémas, les symboles de Yin et de Yang se trouvent au milieu et engendrent autour d’eux les milles choses diverses.

------Figure 5. Un des schémas de l’Etude de Yi, évolution du Tao sous l’influence de Lao Zi

La science initiée par l’ouvrage Zhou Yi, apparemment difficile d’accès, est aujourd’hui

21 appelée l’étude du Yi (易学). Le Yi est un système scentifique à la fois complexe et utile. Grâce à l’étude de plus en plus approfondie, le Yi trouve son grand élargissement de l’application dans plusieurs domaines, l’art qui a la conformité avec le Yi est inclus dans son sein. Aujourd’hui où on cherche l’identité chinoise, la tendance à l’étude du Yi semble être plus forte qu’au XXe siècle. Certains artistes chinois n’hésitent pas à faire des œuvres d’art dans lesquelles les trigrammes sont utilisés. Par exemple, GAO Ming Lu (né en 1949), professeur à la State University of New York et critique d’art qui travaille aux Etats Unis et en Chine, a développé la Théorie de l’Ecole du Yi(Yi pai). Cette théorie fondée sur le Yi et le Tao a pour l’objectif de théoriser l’art contemporain chinois et de le mettre dans le système philosophique chinois. La docteure française Anny Lazarus a fait une recherche sur cette théorie dans sa thèse. Elle dit : « Dans Théorie de l’Ecole du yi Gao tente de concilier deux conceptions de l’art très différentes : la première, dont la structure rigoureuse héritée de la Renaissance assigne sa place au spectateur et conçoit le tableau comme une fenêtre ouverte sur l’histoire (historia), soit selon l’auteur, un art soumis à la vulgaire copie du réel, entravé par une visée narrative, enfermé par le concept de représentation ; pour la deuxième, l’œuvre est décrite par un vocabulaire anthropomorphique, métaphorique, irriguées par des veines, des souffles...soit un art qui fonctionne comme un microcosme invitant le spectateur à y pénétrer par la pensée, dont les caractéristiques 23 fécondes sont l’unité totalisante, l’harmonie et la synthèse.22F » Anny Lazarus a bien fait cette analyse sur la théorie de Gao qui montre les concepts d’art contemporain chinois basés sur l’histoire. Cette théorie est une réflexion profonde sur l’art contemporain chinois, suivant attentivement la ligne historique, philosohpique et artistique chinoise, comparant les concepts de l’art occidental et chinois. Bien que la théorie de Yi pai soit discutable, elle démontre au moins qu’il est logique et nécessaire de (re)mettre la notion deYi et de Tao dans l’art contemporain chinois.

Cinquième étape : deux Ecoles philosophiques principales. La science du Yi est une ressource inépuisable dans laquelle des Chinois venus de tous les domaines cherchent et trouvent leur théories diverses. La philosophie de Lao Zi et celle de Confucius en sont les plus grands exemples qui influencent ensuite les pensées postérieures.

23 Anny Lazarus, La critique d’art contemporaine chinoise, sous la direction de Sylvie Coëllier, thèse soutenue en 2015, Aix-en-Pronvence : Aix-Marseille Université, Volume II, p . 655. 22

C’est ainsi que naquirent les deux Ecoles les plus importantes, dont l’une est l’Ecole taoïste (道家 dao jia)initié par Lao Zi, développée par Lie Zi et Zhuang Zi. Ce dernier élargit en grande mesure le champ de la théorie de l’esthétique antique chinoise ; et l’autre est l’Ecole confucianiste (儒家 ru jia)fondée par Confucius et développée par son disciple : Meng Zi, et par le disciple de Meng Zi : XUN Zi. Comme Lao Zi, Confucius prôna le Tao et le concrétisa en l’interprétant en doctrines très précises pour l’humanité dans ses entretiens avec ses disciples (on en compte plus de 3000). L’ouvrage intitulé Lun Yu (Les Entretiens de Confucius) fut le travail de ses élèves qui rassemblèrent tous les entretiens importants, comme le fit Platon qui fut le disciple de Socrate. Les élèves de Confucius appliquèrent largement les pensées du maître dans les domaines divers tout en embrassant les notions principales telles que le Tao, l’honêteté, la Vertu, etc. que nous pouvons aborder dans l’art. Il est intéressant de montrer un schéma des deux Ecoles de pensées chinoises les plus importantes. Elles sont comme les deux mains qui embrassent la Chine. (table 4)

Table 4. L’évolution de deux Ecoles de pensées chinoises les plus importantes

Ecole taoïste (道家 Dao Jia) Ecole confucianiste (儒家 Ru Jia) Lao Zi Confucius Dao De Jing Lun Yu (environ571 - 471av.J.C.) (551 - 479av.J.C.) Lie Zi Meng Zi Lie zi Meng Zi,etc. (environ450 - 375av.J.C.) (environ372 - 289av.J.C.) Zhuang Zi XUN Zi Zhuang zi XUN Zi, etc. (environ369 - 286&275av.J.C.) (environ313 - 238av.J.C.)

III Le problème de la compréhension du Tao.

III-I La définition du Tao. Les philosophes chinois et occidentaux ont beaucoup parlé du Tao, mais ils ont rarement donné une définition compréhensible et accessible. Il semble que le Tao sublime soit difficile

23 d’accès voire inaccessible. Pour faciliter l’accès au Tao dans notre discours, il est utile d’approfondir cette recherche d’une façon brève. Il faut d’abord reconnaître que le terme ‘Tao’ n’est pas univoque. C’est aussi à cause de sa polysémie ainsi que de son abstraction intellectuelle, que la définition du Tao a toujours été difficile à retenir. Regardons d’abord les significations des vocabulaires qui concernent le ‘Tao’. Effectivement, le mot français ‘voie’ signifie à la fois ‘chemin’et ‘méthode’; En Chinois, le mot ‘Dao 道 (Tao)’ signifie aussi ‘chemin’ en pratique. Pourtant en termes de philosophie, le ‘Tao’ dans la pensée de Lao Zi ne signifie guère le ‘chemin’ sur lequel on peut marcher. Il est un système complet couvrant tout le cosmos. C’est-à-dire que Lao Zi, après avoir donné un nom, ‘Tao’, le prenant toujours comme un point de repère fondamental, donne ensuite les principes, les doctrines concernant tous les domaines. Dans le IIe chapitre de Dao de jing, Lao Zi dit : « Voyez pourquoi un homme agit,voyez comment il agit ; examinez ce qui fait son bonheur. Que pourrait-il encore vous cacher ? Que pourrait-il encore vous

24 cacher ? 23F » Dans ces lignes, Lao Zi a annonçé trois aspects philosophiques fondamentaux : la raison - pourquoi faire, la façon - comment faire, le résultat - qu’est-ce qu’on a fait. Par ces lignes, Lao Zi a indiqué une voie complète, une voie théorisée et scientifique, bref, une voie philosophique. Pour souligner l’importance et la nécessité de sa pensée philosophique, Lao Zi a adopté un nom merveilleux ‘Tao’. Bien que le Tao de Lao Zi ne signifie directement pas ‘chemin’, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun rapport qui existe entre le mot ‘chemin’ et la philosophie ‘Tao’. Lao Zi, le grand génie de la philosohpie, a bien intellectuellement emprunté l’idée de ‘chemin’, pour dire que le respect du ‘Tao’, c’est-à-dire le respect de sa philosophie (de ses raisons, façons et résultats) est l’issue ou la voie unique et éternelle qui soit capable de nous conduire vers la gloire ou la réussite. La conclusion est tirée : comme la philosophie, le Tao est tout, le Tao est partout. Dans les pensées de Confucius, le Tao est plus important que la vie humaine. Il dit dans le IVe chapitre : « Si je peux obtenir le Tao le matin, je ne vais rien regretter même si je meurs

24 孔子 Confucius, Les Entretiens de Confucius (论语) (Lun yu), (édité par les disciples de Confucius et achevé avant 400ans av.J.C.), présenté et annoté par Pierre Ryckmans, préface d’Etiemble, connaissance de l’Orient, collection dirigée par Etiemble, Paris : Gallimard, 1987, p. 17. 24

à la fin d’après midi.(朝闻道,夕死可矣。Zhao wen dao, xi si ke yi)» Par cette phrase, nous voyons à la fois l’idée du Tao - l’héritage intellectuel de Lao Zi a été bien conservé par Confucius, et la difficulté de maîtriser l’ensemble de la philosophie. Ce raisonnement nous conduit à une question difficile à laquelle les philosophes n’ont jamais ou rarement pensé, en laissant le Tao comme il est : serait-il possible que le Tao chinois corresponde au nom occidental de ‘philosophie’ ? Il est évident que la définition du ‘Tao’ est aussi difficile que celle de la ‘philosophie’. A l’époque de Lao Zi et de Confucius, il n’y avait pas de nom comme ‘philosophie’ qui pouvait signifier les principes et les doctrines qui sont invisibles mais omniprésentes dans toutes choses. Lao Zi a adopté un nouveau nom ‘Tao’ pour exprimer les « pensées » et « raisons » importantes et fondamentales. Rien d’autres que les raisons et les pensées, c’est-à-dire la philosophie, peuvent, me semble-t-il, engendrer mille choses et y exister éternellement. De ce point de vue, la réponse à notre question concernant la définition du Tao devrait être positive. Puisque la pensée de Lao Zi (le contenu) est philosophie, le nom de sa pensée ‘Tao’ peut, de mon point de vue, correspondre au nom ‘philosophie’.

III-II L’accès du Tao dans le design et dans l’art. Puisque le Tao est la philosophie et que la philosophie est partout, il ne faut pas hésiter à l’aborder dans le design et dans l’art. Si nous ne faisons que rendre à la noblesse du Tao un culte symbolique ou utopique, la vraie faculté du Tao serait cachée et le Tao serait implacable et irréalisable dans l’art et le design contemporain. Lao Zi, donnant une vue cosmique, ne voudrait pas former une philosophie justement pour qu’elle soit regardée ou admirée, mais pour qu’elle soit interprétée, développée et finalement largement appliquée dans tout l’univers. Par conséquent, les pensées que le Tao contient implique et suggère sont certainement incontournables pour le design et l’art contemporain. Ses derniers, grâce à elles, pourraient ajouter une nouvelle voie.

IV Le problème de l’évolution du Tao.

25

IV-I Du Tao à la Vertu. Le notion ‘德’ (De = Vertu), comme la notion ‘道’ (Dao = Tao), a différentes significations et interprétations dans les cas précis : art, vie sociale, économie, politique, éthique, éducation etc. Ce qui agit suivant le Tao a de la Vertu. Regardons un exemple simple, l’idée de respecter le secret d’une autre personne est considérée comme une Vertu. Concrétisons cette idée. La personne qui ne dévoile pas le secret d’une autre personne a de la Vertu. A une personne de ce genre est conféré un titre composé : une personne de Tao et Vertu (有道德的人) . Dans les lignes suivantes, le principe de l’évolution du Tao à la Vertu va être mis en pratique dans la création d’un objet utilitaire ou artistique.

IV-II L’évolution du Tao dans la création d’un objet. Un objet accompli, qu’il soit utilitaire ou artistique, est le résultat du travail du concepteur et du fabricant ou de l’artiste. Il marque à la fois la fin de la fabrication et le commencement de l’utilisation ou de l’appréciation. Le processus de la concepton signifie dessiner et manipuler, tandis que le processus de l’utilisation ou de l’appréciation concerne regarder, toucher, apprécier, aimer, conserver, collectionner, finalement peut-être détester voire jeter. Si un objet pouvait être doué d’une « vie » propre, cette dernière pourrait contenir deux étapes qui pourraient être interprétées ainsi : (schéma 1)

Schéma 1. Le processus de la conception, de la fabrication et de l’utilisation d’un objet

conception et fabrication utilisation ou appréciation

concepteur et fabricant objet☆accompli utilisateur ou spectateur ↑ → vue historique

Cette démonstration graphique montre clairement qu’il s’agit de deux aspects :1) Le

26 processus de la conception et de la fabrication dont les participants sont le concepteur et le fabricant ; 2) Le processus de l’utilisation ou de l’appréciation dont le participant est utilisateur ou spectateur. Un objet accompli n’est significatif que quand il est utilisé ou admiré. L’origine des significations d’un objet se situe exactement dans le processus de la conception et de la fabrication d’un objet. C’est dans ce processus que, en termes de philosophie chinoise, le Tao et la Vertu dirigent toutes les performances humaines et activent par conséquent la « vie » de l’objet. Le Tao comprend trois domaines : Tao de ciel (天道 tian dao), Tao de terre(地道 di dao), Tao d’humanité(人道 ren dao). Trois domaines se lient pour constituer l’Univers dans lequel l’importance est mise sur l’humanité. LIU Ji Gang, philosophe chinois, parle du rapport qui existe entre l’art et le Tao dans son ouvrage intitulé Philosophie de l’Art. Selon lui25, dans le chemin (voie) du Tao, l’expérience acquise de l’éthique est primordiale et aide la personne à former son ‘Xing Qing’ (tempérament) individuel. Ce dernier joue un rôle décisif dans le Tao. Les phrases de LIU Ji Gang ne sont pas très claires, mais nous pouvons prendre l’idée de ‘Xing Qing’ qui joue un rôle décisif dans la réalisation d’un objet. Selon l’ancien grand philosophe chinois DONG Zhong Shu 董仲舒 26 (179 - 104 av.J.C.) qui, en terme de Xing Qing, a articulé et assimilé les idées des trois anciens philosophes : Confucius, Meng Zi et XUN Zi, nous pouvons faire un schéma de démonstration concernant le ‘Xing Qing’. (fig. 7) Deux lignes suivantes sont parallèles. (schéma 2) Schéma 2. L’influence du Xing Qing I

Yang 阳→→ Xing 性 (caractère)→→ Ren 仁 (Vertu d’humanité)→→ Shan 善 (Bon) ex : paille de riz (non déterminé) ex : riz (bon)

Yin 阴 →→ Qing 情(désire) →→ Tan 贪(cupide) →→ Er (mauvais)

25 刘纪纲 (LIU Ji Gang), 艺术哲学 (yi shu zhi xue) (La philosophie de l’art), (première édition en 1986), Wuhan (Chine) : 武汉大学出版社 (Wuhandaxue Chubanshe), 2006, p. 539 – 540. 26 冯友兰 (FENG You Lan), 中国哲学史, 下 (L’Histoire de la philosophie chinoise, Volume II), (zhong guo zhe xue shi, xia), (ce livre fut achevé en 1934, première édition en 1934), Shanghai : 华东师范大学出版 社 (Huadong Shifandaxue Chubanshe), 2010, p. 15 – 17.

27

Premièrement,‘Yang’ engendre ‘Xing’ (caractère) (non déterminé), ce dernier pourrait engendrer ‘Vertu d’humanité’ qui est ‘bon’. Par exemple, la ‘paille de riz’ elle même n’est pas déterminée à être ‘belle’, même si le ‘riz’ qui pousse est ‘bon’. Du côté de l’humanité, pour que notre ‘caractère’ soit ‘bon’, il faut étudier pour l’améliorer pendant notre développement. Deuxièmement, ‘Yin’ engendre ‘Qing’ (désir) (non déterminé), ce dernier pourrait engendrer les choses cupides qui sont mauvaises. Selon DONG Zhong Shu, pour que l’on soit un homme de Vertu, d’humanité (bon), il faut que le ‘caractère’ contrôle le ‘désir’. Il y a un terme chinois qui dit ‘xiu shen yang xing’(améliorer le corps et nourrir le caractère); Le ‘Qing’ est une réaction qui reflète, interpréte, représente le ‘caractère’ - le ‘Xing’. Comment le ‘Xing Qing’ fonctionne-t-il pendant l’évolution de l’art au Tao? LIU Ji Gang dit que le premier facteur est l’honnêteté (诚 cheng) qui concerne le deuxième facteur : l’accumulation du souffle (Qi 气), en un terme complet (Yang Qi 养气) (nourrir le ‘souffle’) . Pendant le processus de nourrir le ‘souffle’, se réalise la Vertu individuelle. Selon l’idée de LIU Ji Gang, nous pouvons faire la démonstration suivante : (schéma 3) Schéma 3. L’influence du Xing Qing II

Tempérament (xing qing 性情) = Honnêteté + Vertu individuelle Art→------Tao

Bien que cette interprétation de l’évolution du Tao dans la création de l’art dise quelque chose de significatif, elle n’est pas vraiment convaincainte à propos de l’évolution et des terminologies. D’abord, comment peut-on commencer par l’art avant d’atteindre le Tao? Au début de la conception, il est plus juste de dire que l’on commence par les idées originelles. Ces dernières ne font pas encore l’objet de l’art. Deuxièmement, le Tao est invisible, mais il peut s’appliquer au design et à l’art (nous l’avons déjà démontré) qui contient des éléments précis tels que pensée, idée, conception, etc. L’objet achevé est visible et il est la concrétisation de la conception et de la pensée humaines. Autrement dit, l’objet accompli est à la fois la concrétisation, la matérialisation et l’achèvement du Tao. Cette représentation matérielle a pour nom ‘De’27 (Vertu) chez Lao Zi. La première démarche de la réalisation d’un objet est partie donc de l’idée originelle vers

27 Dans l’usage courant aujourd’hui, on dit ‘Dao De’道德 qui signifie apparemment la Vertu. Mais cet usage ne distingue ni l’évolution du Dao au De (du Tao à la Vertu), ni la différence entre les deux pôles. 28 la conception finale (Tao) et constitue la première étape. Le deuxième étape serait la concrétisation de la conception (Tao) en un objet visible, c’est-à-dire de la conception (Dao /Tao 道) à la Vertu (De 德). Ces deux étapes constituent le processus complet de faire un objet. Pendant ce processus, trois éléments essentiels tels que l’honêteté, le tempérament (Xing Qing) ainsi que l’esthétique collaborent et fonctionnent sans cesse. Nous pouvons effectuer l’interprétation suivante concernant le processus de la concrétisation du Tao, autrement dit, l’évolution du Tao à la Vertu: (schéma 4)

Schéma 4. L’évolution du Tao à la Vertu

idée originelle→conception finale (dessin ou croquis) →→→→→→→objet accompli (Vertu) Tao (Voie) = philosophie xing qing 性情 =honêteté + Vertu acquise (individuelle) + esthétique

Il y a encore un problème à régler. Si la conception est en forme de dessin ou de croquis visible, le dessin ou le croquis même appartient-il à la Vertu, puisqu’il est visible ? Pour cela, il faut revenir à la réalité. En général, on fait une conception dans le désir de la concrétiser en un objet réel. En principe, le dessin ou le croquis, alors un embryon du projet, sont relativement des langages qui décrivent les premiers concepts et idées. C’est l’objet désiré qui est l’objectif final d’un projet. Autrement dit, tout au long du processus de la conception, on cherche des langages visibles (ligne, point, facette, couleur, etc.) qui soient capables de pré-décrire et pré-exprimer les idées et les concepts invisibles.

V Le problème de l’obtention du bon Xing Qing.

Il est déjà très clair qu’au cours de la création d’un objet, selon la philosophie chinoise, le rôle primordiale est le Xing Qing (tempérament, caractère) dont les facteurs intérieurs formés progressivement sont déterminants. Mais comment peut-on retenir ou obtenir un bon tempérament ou un bon caractère pour la création ? Il faudrait regarder les principes initiés par Lao Zi et Confucius. 29

Chez Lao Zi, Selon l’Histoire de la philosophie chinoise de FENG You Lan, le Dao de jing recouvre essentiellement cinq aspects : observation des choses, art de vivre, philosophie politique et sociale, désir et savoir, personnalité et société idéale. Parmi ces aspects, la Vertu d’humanité constitue la base fondamentale sur laquelle tous les actes humains devraient s’engager pour obtenir la noblesse du Tao et accomplir la Vertu. Chez Confucius, le Rite, surtout celui de la dynastie Zhou, d’où naquit l’ouvrage Zhou Yi dont nous avons parlé précédement est le point de départ de la pensée confucianiste. Avec celui-ci, Confucius prône : l’honnêteté, la Vertu d’humanité, la fidélité, la piété filiale. L’essence de ces doctrines est la Vertu d’humanité sans laquelle le système de la pensée confucianiste serait privée du support structurel. Confucius a fondé le système fondamental de l’éducation chinoise. Pour que ses disciples se développent bien et accomplissent la Vertu, Confucius dit dans le 7e chapitre de Lun yu : « Visez la Voie ; misez sur la Vertu ; fondez sur le bien ; et délassez-vous avec les arts.28 »(志于道(Zhi yu dao),据于德(ju yu de),依于 仁(yi yu ren),游于艺(you yu yi).)Ici, le « bien » correspond à la Vertu d’humanité. Les arts signifient six disciplines obligatoires classiques : le rite, la musique, la technique de décocher la flèche, la technique de conduire, la lecture, les mathématiques (礼 li, 乐 yue, 射 she, 御 yi,书 shu, 数 shu). Pour être un élève ou un personnage talentueux et parfait, il faut, selon cette notion, suivre quatre doctrines : le Tao, la Vertu, la vertu d’humanité et les arts. D’ailleurs, pour se former un bon caractère, Confucius nous conseille d’apprendre la poésie. Chez Aristote, selon ZHU Guang Qian, à la différence de son maître Platon selon qui la « raison » domine d’autres facteurs humains tels que l’instinct, l’émotion et le désir, Aristote prôna l’harmonie dans le développement du caractère et de la personalité de l’individu, c’est-à-dire que instinct, émotion et désir, étant les facteurs inhérents à l’humain, devraient être satisfaits par l’art et le poème29. De ce point de vue, la doctrine d’Aristote correspond bien aux pensées taoïstes et confucianistes. A la fin, comment peut-on savoir si une personne a bien suivi le Tao, accompli la Vertu, exprimé le bien et appris les arts ? Nous reprenons les phrases de Confucius, dont nous avons parlées dans la première partie. Lao Zi dit dans le IIe chapitre de Dao de jing : « Voyez

28 孔子 Confucius, Les Entretiens de Confucius (论语) (Lun yu), op.cit., p. 39. 29 朱光潜 (ZHU Guangqian), 西方美学史 (xi fang mei xue shi), (L’histoire de l’esthétique occidentale), op.cit.,p. 67. 30 pourquoi un homme agit, voyez comment il agit ; examinez ce qui fait son bonheur. Que pourrait-il encore vous cacher ? Que pourrait-il encore vous cacher ? 30 » La raison ou la motivation que l’on a pour le travail, la façon dont on travaille et le résultat final du travail constituent les preuves importantes qui nous permettent d’apprécier le tempérament humain. Confucius nous a donné un très bon critère de travail que nous pouvons appliquer non seulement à la création artistique mais aussi à tous les éléments quotidiens. Car cette norme nous permet de mieux comprendre ce que veulent dire les artistes, les designers et d’autres travailleurs.

VI Le problème du processus de la création et de production.

Le processus de la création et de la production est très important dans l’art contemporain, si nous ne le prenons pas en compte, notre analyse de l’œuvre ne pourrait pas être complète, surtout à partir de 1950 où le peintre actionniste américain Jackson Pollock réalisa Un dripping à la peinture noire avec des gestes passionnants montrant l’importance et la signification du processus de la réalisation d’une œuvre d’art. Le discours sur le problème du processus a pour objectif de faciliter et d’orienter nos analyses des sièges utilitaires et artistiques dans les parties suivantes. Le Xing qing qui influence la création n’est qu’un des facteurs importants dans le processus. Il en faut encore d’autres. Nous arrivons ainsi aux deux catégories de termes différents : action et réaction, extérieur et intérieur. Dans l’extérieur des hommes, il y a des faits divers influents et inspirants, par exemple, les goûts esthétiques des peuples, les activités sociales ou personnelles, les mouvements culturels, politiques, économiques, scientifiques, philosophiques, etc. Tous les éléments extérieurs pourraient être considérés comme des actions sociétales. Dans l’intérieur des hommes, il y a des expériences acquises (Xing qing), par exemple, l’honêteté, la Vertu acquise, l’esthétique. Quand l’homme est confronté à une action de société, celle-ci lui cause probablement une sensation à l’intérieur de lui-même. La sensation profonde de l’homme pourrait conduire à la nécessité de réagir à cette affaire par

30 孔子 Confucius, Les Entretiens de Confucius (论语) (Lun yu), op.cit., p. 17. 31 faire une œuvre d’art (un travail). La nécessité voulue est, selon le philosophe français Michel Guérin, « l’essence de l’œuvre31 ». C’est avec la nécessité que le processus de la création commence. En somme, le processus de la création est aussi le processus de la réaction à l’action exercée par la société. Selon le philosophe chinois LIU Ji Gang qui partage l’idée de Vassily Kandinsky, l’œuvre d’art n’est rien d’autre qu’un reflet de la réalité et la nécessité intérieure de l’artiste vient aussi de la réalité32. L’idée de LIU Ji Gang ne va pas à l’encontre de ce que nous avons dit. Nous entrons maintenant dans l’aspect du processus de la création ou de la production. L’artiste allemand Joseph Beuys dit :

« En fait il ne peut pas s’agir tout simplement de laisser naître quelque chose, de faire sortir tout simplement quelque chose de soi. Que les hommes fassent sortir quelque chose d’eux-mêmes, cela peut être, certes, un événement, mais il faut examiner ce processus, l’examiner de telle sorte que je dise : Bon, quelque chose est sorti de moi, mais est-ce que cela a pour autant de la valeur ? 33 »

Joseph Beuys voulait dire que l’artiste cherche des valeurs artistiques dans le processus de création. Mais, comment juge-t-on ce qui est de valeur et ce qui n’en est pas parmi des éléments qui attendent d’être traités par l’artiste ? Voici le point sur lequel se trouvent les difficultés de l’artiste. Le processus de création est en fait, de mon point de vue, le processus d’examiner des éléments concernés et d’en choisir quelques uns qui sont adéquats à la nature ou à l’essence de ce que l’artiste veut présenter dans une œuvre d’art. C’est-à-dire que ce qui est adéquat au sujet choisi est pourvu de valeur artistique et vice versa. Le fait d’avoir trouvé la valeur qui nécessite la création d’une œuvre d’art, exige de l’artiste un plan qui comprend deux catégories d’éléments : les facteurs immatériels et ceux matériels. Les facteurs immatériels pourraient inclure les idées, la conception, la façon prévue de créer ou de fabriquer, la forme prévue etc. Tandis que les facteurs matériels sont les matériaux choisis, parfois le lieu de présentation ou d’utilisation. Il faut que deux catégories de facteurs soient capables de répondre à l’action sociale concernée. C’est ce que nous disons

31 Michel Guérin, Qu’est-ce qu’une œuvre ?, Arles : Actes sud, 1986, p. 34. 32 刘纪纲 (LIU Jigang), 艺术哲学 (yi shu zhi xue) (La philosophie de l’art),op.cit., p. 30. 33 Joseph Beuys et Volker Harlan, Qu’est-ce que l’art, (première édition en Allemand en 1986, éditeur :Urachhaus, Stuttgart, Allemange), texte français : Laurent Cassagnau, Paris : l’Arche, 1992, p. 21. 32 par la ‘conformité’ entre l’intérieur et l’extérieur. Pour la recevoir, il faut donc chez un artiste une réflexion profonde, au cours de laquelle les expériences acquises individuelles (Xing qing) fonctionnent et il s’agit ici donc du processus de l’individualisation ou de la personalisation. En faisant ce que nous avons dit (action sociale, sensation individuelle, nécessité voulue, conformité entre l’intérieur et l’extérieur, et individualisation), l’idée créatrice de l’artiste a de la valeur et l’œuvre est significative. En somme, la valeur issue des éléments premiers conduit à la nécessité de la création et ensuite à l’essence de l’œuvre d’art. Ces trois points indispensables constituent le lien consécutif de l’emsemble du processus de la création.

Conlusion :

Le terme chinois ‘Tao’ correspond au terme occidental ‘philosophie’. Bien que ce soient deux systèmes philosophiques différents, il y a un parallélisme entre les deux. Si les deux systèmes peuvent s’épouser dans le domaine de l’art et du design, cette association et collaboration pourraient être intéressantes. Les pensées que l’on peut apprendre et apercevoir dans le Tao devraient être abordées dans le design et l’art comtemporain, précisément, dans la conception et la fabrication d’un objet utilitaire ou artistique, par exemple un trône qui est un emblème politique, ou des sièges qui peuvent montrer à la fois l’histoire du mobilier et l’histoire des humanités d’une façon particulière, ou une chaise utilitaire et déjà utilisée ou jetée qui est mise dans une œuvre d’art contemporaine. Dans cette première partie, nous avons tenté de créer une voie vide - le premier processus de la création qui peut nourrir le deuxième concernant l’utilisation ou l’appréciation. C’est dans cette voie que les doctrines taoïstes et confucianistes seront abordées et confrontées avec l’intervention des pensées occidentales dans les parties suivantes. C’est dans cette voie que les Dix milles choses pourraient être engendrées. Ces derniers pourraient être des éléments historiques variés et significatifs. C’est pendant le processus de la production et de la création que les hommes examinent les facteurs extérieurs et intérieurs pour chercher la conformité entre deux pôles. La nécessité

33 voulue de l’artiste ouvre la porte du processus pendant lequel les expériences acquises fonctionnent. Le processus de créer est aussi le processus de la réaction à l’action exercée par la société. Nous allons donc essayer d’analyser les sièges utilitaires et artistiques, avec essentiellement le concept du processus. Nous allons entrer d’abord dans la partie historique du siège occidental et chinois.

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Partie II L’histoire du siège occidental 3200 av.J.C. - 1830

La transformation et l’utilisation de la chaise dans l’œuvre d’art contemporain virent le jour il y a presqu’un siècle, par exemple, dans l’œuvre de Marcel Duchamp intitulée Roue de Bicyclette, créée en 1913, l’artiste a utlisé un tabouret en tant que support de la roue de bicyclette. L’histoire de l’interprétation d’un siège dans le bas-relief peut remonter beaucoup plus loin. Par exemple, sur le dossier du trône de Toutankhamon, une chaise sophistiquée sur laquelle est assis ce jeune pharaon est représentée sous forme de bas-relief coloré. Une chaise utilisée dans la sculpture ou interprétée dans un bas-relief ou représentée dans la peinture ne pourrait être significative que si elle s’appuie sur sa fonction matérielle. Car, à l’origine, une chaise existe pour être utilisée, c’est sa fonction qui nous fait penser à l’identité de la personne qui la prend et à la situation de la société dans laquelle la chaise est utilisée. Pour découvrir le rôle et la signification originaux de la chaise, il faudra, de mon point de vue, revenir sur son histoire, au cours de laquelle la forme évolua sans quitter la fonction. Dans cette partie historique, il est préférable que nous commençions par l’Egypte ancienne, car nous pouvons y trouver l’origine elle-même de la chaise.

Chapitre I

Le symbole d’animalité dans des sièges égyptiens

(env.3200 av.J.C.—300 av.J.C.)

On a beaucoup parlé de l’ancienne culture égyptienne tout en s’appuyant sur des sources artistiques découvertes par des archéoloques : bas-reliefs, fresques, meubles, sculptures, etc. Mais il semble néanmois que l’on ait ignoré un phénomène remarquable : la représentation des animaux dans les objets. Nous découvrions cette inspiration animale en parlant de quelques sièges égyptiens représentatifs. 35

I Le fauteuil de la reine Hetep-heres.

Figure 6. Fauteuil de la reine Hetep-heres, découvert par G.Reisner en 1925 dans la tombe de Hetep-heres (le magasin auprès de la pyramide de Gizéh), IVe dynastie, Reine de Snefrou (2575-2551 av.J.C. exposé au Mussée du Caire, bois et feuille d’or, bronze, hauteur : 79.5cm, largeur : 71cm.

Le premier exemple du siège égyptien que je voudrais montrer est le fauteuil de la reine Hetep-heres (fig. 6), épouse de Snefrou (2575 - 2551 av.J.C.) qui fut le premier pharaon de la quatrième dynastie, mère de Chéops qui construisit la grande pyramide de Gizéh. En 1925, la tombe de la reine Hetep-heres, qui se situe dans le magasin auprès de la pyramide de Gizéh, fut découverte par George A. Reisner, professeur d’égyptologie et directeur de l’expédition. Parmi les objets découverts, il y a un fauteuil (fig. 6, 7). Ce fauteuil dont la hauteur est de 79.5 cm et la largeur est de 71cm fut fabriqué en bois et avec des feuilles d’or. Ses quatre pieds sont en forme de pattes de lions. Le siège et le dossier gardent la couleur naturelle du bois, alors que d’autres parties du fauteuil sont toutes dorées. Ce fauteuil est un révélateur de la vie de luxe de la reine.

II Le luxe ou la modernité ?

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Bien que la structure du fauteuil paraisse simple, les grandes qualités telles que la dureté des accoudoirs et la grandeur du siège ainsi que la solidité que montrent les quatre pattes de lion constituent un élan très fort soulignant la sévérité de la royauté.

Figure 7. Mobilier de la reine Hetep-heres, restauré et installé sous le baldaquin aussi découvert dans sa tombe.

En regard du style des possessions de la reine Hetep-heres, l’historien de l’art et le critique d’art Edward Lucie-Smith (né en 1933), l’auteur d’une histoire du mobilier, dit que « beaucoup paraissent étonnamment modernes 34 » sans expliquer pourquoi. Mais nous pouvons emprunter ce terme de modernité dans notre discussion. Avant d’analyser les objets de la reine, il faut préciser d’abord la définition du terme ‘moderne’ ou ‘modernité’. Il est intéressant de citer la définition de la modernité du philosophe, Michel Guérin, dans l’analyse du fauteuil très ancien, il dit : « Au sens le plus vaste, transhistorique et multiséculaire, est moderne un comportement dont la clef n’est plus à chercher dans la tradition.35 » Suivons cette définition et demandons-nous si le fauteuil de la reine Hetep-heres suivit une tradition s’il y en eut ? Selon le philosophe anglais, Bertrand Russell (1872 - 1970), les anciens

34 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, (première édition anglaise en 1979, sous le titre : A Concise History of Furniture, Londres) , traduit de l'anglais par Florence Lévy-Paoloni, Paris : Thames & Hudson, 1990, p. 18. 35 Michel Guérin, « Le nouveau et l’inédit, (moderne/postmoderne ?) », in L’art des années 2000, Quelles émergences?, Jacques Amblard (dir.) ; Sylvie Coëllier (dir.), Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence, 2012, p.104. 37

Egyptiens furent plutôt conservateurs, Lucie-Smith partage aussi cette idée. il est donc raisonnable que le fauteuil de la reine Hetep-heres fut fondé sur la tradition. Il ne nous convient pas de parler de la ‘modernité’ lorsque nous analysons ce fauteuil. Pourtant, je pense que la parole de Lucie-Smith est fondée sur l’apparence du fauteuil qui paraît nouveau, élégant et familier. De ce point de vue, il y a certainement quelques aspects remarquables : le luxe montré par sa surface dorée, l’élégance montrée par la couleur dorée, l’ensemble de sa structure élégante, la solidité assurée par les accoudoirs et le dossier dur et les pieds droits.

III Le problème et la technique.

En Egypte ancienne, il manquait du bois de bonne qualité. La solution fut l’importation de bois d’Asie occidentale, des pays méditerranéens et de certains pays africains. A partir de 2700 Av.J.C., l’importation du bois de l’étranger en Egypte ancienne fut importante. En Egypte ancienne, il n’y avait pas de troncs assez larges pour fabriquer directement un grand meuble. Pour régler ce problème, les artisans égyptiens avaient développé la technique de combiner des petits morceaux de bois. D’autres techniques particulières telles que l’utilisation du goujon, de la cheville, de la rainure, avaient été explorées et largement utilisées.

IV Le trône de Toutankhamon.

Plus d’un millier d’années après l’apparition du fauteuil de la reine Hetep-heres, le trône (fig.8, 9) du jeune pharaon Toutankhamon (1361 - 1352 av.J.C.) de 104 centimèttre de haut, fabriqué en environ 1327 av.J.C., découvert dans sa tombe en 1922 par l’archéologue Howard Carter et George Herbert, paraît plus luxueux et plus sophistiqué que le premier. Selon Lucie-Smith, des ressemblances entre ces deux sièges montrent le conservatisme de la société égyptienne36. Pourtant, au lieu de généraliser, il nous convient de trouver quelques aspects qui les distinguent l’un de l’autre.

36 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p.18. 38

IV-I Les aspects communs. D’abord, les deux sièges furent entièrement recouverts d’or et paraissent luxueux. Le deuxième point commun est que des représentations d’animaux furent empruntées dans les deux sièges royaux. Les quatre pieds de chacun furent figurés en forme de jambes et de pattes de lion. L’imitation de l’image du lion a pour objectif de présenter un symbole de la puissance absolue. Imaginons que le siège royal soit une représentation d’un lion, la personne assise sur son dos, ayant conquis le lion, pourrait être plus puissante que le lion. Cette symbolisation est aussi utilisée dans la peinture traditionnelle chinoise. Les peintres traditionnels chinois peignirent souvent une personne assise sur le dos d’un tigre.

Figure 8. Â gauche :Trône du pharaon Toutankhamon, environ 1327 av.J.C., en bois, or, argent, pierres semi-précieuses et d’autres pierres, porterie colorée, glasse, bronze, hauteur :104cm. Exposé au Mussé du Caire Figure 9. Â droite : Chaise gravée sur le dossier du trône de Toutankhamon.

D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que le fauteuil de la reine Hetep-heres et le trône de Toutankhamon ainsi que la chaise gravée sur le dossier sont soutenus et élevés par quatre sabots en forme de verre. Si l’on élève la hauteur du trône, c’est pour élever la place du

39 propriétaire. Il semble que plus la place est rehaussée, plus l’autorité est manifestée. Et quand la reine ou le pharaon, considéré(e) comme un dieu, reposait ses pieds sur le repose-pieds placé devant le trône, il semble que ils avaient envie de quitter le sol et de s’élever vers le haut ou vers le ciel afin de se distinguer de leur peuple ou de leur serviteurs. La distance entre les pieds posés et le sol distingue la supériorité de l’infériorité. Cette hiérarchie s’applique aussi aux trônes chinois.

IV-II Les éléments symboliques. Au-delà des points communs, il existe aussi des différences ou des nouveautés qui peuvent démontrer que bien que le trône de Toutankhamon fut fabriqué dans une société conservatrice, il est quand même novateur. Ce sont aussi les éléments symboliques. Les premiers éléments remarquables sont deux statuettes de lion, intégrées dans la haute partie de deux avants pieds. Le regard sévère du lion nous fait penser à la sévérité de la politique. Le deuxième élément est plus intéressant que les premiers. C’est la représentation de l’aigle(ou vautour). Cet oiseau, selon Les trésors de l’ancienne Egypte37, est la représentation du protecteur divin des pharaons égyptiens : Horus. Celui-ci était, dans la pensée des anciens Egyptiens, le dieu du ciel et de la royauté dont le pharaon était la manifestation mondaine. L’image de ce gardien, composée d’un faucon avec un corps humain, est un symbole du pouvoir égyptien et apotropaïque. Cet emblème important était largement utilisé dans la vie royale. Selon le fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud (1856 - 1939)38, Léonard de Vinci, qui fut un lecteur d’un grand nombre d’ouvrages couvrant divers domaines, avait certainement lu et cru des fables égyptiennes dans lesquelles au vautour était attribué un rôle de la représentation de la mère, et la queue de la vautour fut, pour Léonard de Vinci, une représentation du pénis. Dan la culture égyptienne, la déesse Mut avec une tête de vautour

37 Alessandro Bongioanni ; Maria Sole Croce, The treasures of ancient Egypt, the collection of the egyptian museum in Cairo.(Les trésors de l’ancienne Egypte, la collection du mussée égyptien au Caire), Vercelli (Italie) : White S.R.L., 2003, p. 318. 38 Signund Freud, Un souvenir de l’enfance de Léonard de Vinci 达芬奇的童年回忆, traduit de l’allemand en chinois par LIU Ping 刘平, édité par CHE Wen Bo 车文博, Jiuzhou Chubanshe 九州出版社,2014, p.125,p.129. 40

était pourvue d’un double sexe : elle avait un corps féminin avec un pénis en érection39. Nous nous demandons si, pour la déesse, faut-il avoir un double sexe : masculin et féminin pour être parfaite ? En fait, d’autres divinités avaient aussi un double sexe40. Dans le bouddhisme chinois, l’identité du Bouddha est aussi ambiguë. Il est attribué une apparence féminine avec un corps masculin. Il est dit qu’il était d’abord considéré masculin, avec l’évolution culturelle, des Chinois lui attribuent une apparence féminine pour qu’il semble plus charitable et attribue en revanche plus de bonheur non seulement aux Bouddhistes mais aussi aux athées. Car en Chine, les athées prient pour leur bonheur devant le bouddha : une statuette41. Aujourd’hui, le phénomène du double sexe se voit dans les Hermaphrodites qui ont un corps féminin avec un pénis. En chinois, on dit ‘ren yao 人妖’ (l’humanité-monstre). Dans l’ancienne pensée égyptienne et dans la pensée bouddhiste, les Hermaphrodites devraient être les « divinités parfaites et charitables ». (Ici, je ne tente à critiquer aucune religion et aucune race, je suis aussi tolérant pour toutes sorte de cultures dans lesquelles les gens peuvent trouver leurs inspirations.)

L’identité et la capacité religieuse de la déesse Mut sont fictives, mais le désir des Egyptiens de lui attribuer deux sexes devait être authentique. Cette attribution au sens religieux peut impliquer la poursuite de la perfection liée à la sexualité.

IV-III L’affection. Il y a une autre chaise gravée sur le dossier en relief coloré du trône de Toutankhamon. Le siège de cette chaise fut rembourré, donnant un confort, et le haut du dossier fut courbé. Toutes les deux personnes, Toutankhamon et une personne féminine, figurées sur le relief, sont en élégants costumes qui paraissent être conçus en une même série : les tissus et les châles sont pareils. Tous ces costumes montrent non seulement le niveau élevé du concepteur, mais aussi le goût esthétique particulier de Toutankhamon. Les costumes montrent bien l’élégance de la ligne féminine de la reine et le charme du corps masculin de Toutankhamon. Il semble que cette conception ait pour objectif de présenter l’amour dans la vie quotidienne

39 Sigmund Freud parle de cela pour démontrer l’homosexualité de Léonard de Vinci. 40 Signund Freud, Un souvenir de l’enfance de Léonard de Vinci 达芬奇的童年回忆, op.cit., p. 129. 41 En Chine, toutes sortes de cultures religieuses peuvent coexister, pourvu qu’elles ne luttent pas contre l’Etat. On y peut admirer et accepter une certaine religion sans nier d’autres. 41 de Toutankhamon. Un autre élément dans la chaise gravée montre aussi l’amour. Dans ce relief, sa femme est en train de mettre de l’huile sur le corps de Toutankhamon assis sur sa chaise. Aujourd’hui, si nous mettons de l’huile sur la peau, c’est pour la protéger et en garder la beauté. Mais selon l’histoire, ce comportement a probablement deux objectifs. D’abord, à l’époque de Toutankhamon, l’huile (d’olive seulement) était une matière pour laver le corps humain. On mettait de l’huile olive sur la peau et puis on la grattait avec une planche de bois. A la fin, on se lavait avec de l’eau, la douche était terminée. Mais nous sommes conduits à nous interroger s’il est nécessaire de montrer une scène de la vie privée sur le trône qui était toujours placé devant le public ? Nous nous tournons plutôt vers la deuxième possibilité, c’est l’onction. Selon le philosophe, Jostein Gaarder, l’auteur de l’ouvrage intitulé Le monde de Sophie, depuis l’an 1000 Av.J.C. en Israël - depuis le pouvoir du premier roi israélien Saül, « quand un roi était choisi, il recevait l’onction par le peuple42 ». Bien que ce soit une coutume politique israélienne, les Hébreux avaient été longtemps esclaves en Egypte avant qu’ils puissent revenir en Israël avec l’aide du dieu en 1200 av.J.C.43 Que ce soit la culture sémitique qui influença celle égyptienne, ou que ce soit au contraire la coutume égyptienne qui influença celle sémitique, il est plus raisonnable de penser que la scène gravée sur le dossier du trône de Toutankhamon représente l’événement d’une onction au cours de l’avènement du nouveau pharaon. Le geste de la femme de Toutankhamon nous conduit à un terme dont nous parlons souvent dans l’art contemporain : la notion de « toucher », un contact corporel. Quand on se touche le corps, cela ne cause peut-être aucun sens sexuel, mais si notre main touche directement la peau d’un autre corps humain, les deux personnes perçoivent mentalement ou physiquement plus ou moins une sensibilité sexuelle, ou du moins affective. Ce n’est pas tout, il y a d’autres éléments, dans le trône du Toutankhamon, qui peuvent nous faire interpréter l’idée de la sexualité. Ce sont quatre petites colonnes verticales installées sur les traverses inférieures, elles sont en forme de sexe masculin en érection. Cette idée n’est pas loin d’être authentique, puisque le trône est en forme de lion, il est tout à fait

42 Jostein Gaarder, Le monde de Sophie, (première édition en 1991 en Norvège), texte intégral, Paris : Seuil, 1995, p.199. 43 Idem. 42 normal que l’on ajoute son sexe dans le bas du corps du lion. L’utilisation du sexe masculin peut représenter la puissance masculine; à partir de cela, elle peut présenter ensuite la puissance politique. Il est clair que le trône de Toutankhamon est plus haut que le fauteuil de la reine Hetep-heres. S’agit-il d’un sens politique qui fut plus fort qu’auparavant ?

V La stratégie politique.

Une certaine stratégie politique de Toutankhamon se voit dans le trône de cérémonie (fig. 10) très raffiné dont les composants sont un siège profondément creux, un dossier droit, quatre pieds en forme de X, un repose-pieds sur lequel sont gravées les images de neuf ennemis.

Figure10. Â gauche : Trône de cérémonie avec incrustations provenant de la tombe de Toutankhamon. Thèbes, env.1350 av.J.C. Figure 11. Â droite : Masque doré de Toutankhamon.

43

Il y a quatre éléments particuliers sur le trône de cérémonie de Toutankhamon qui peuvent manifester le pouvoir politique. D’abord, les matériaux précieux : l’ébène et l’ivoire. Le siège incurvé est en ébène et il fut incrusté de morceaux d’ivoire. Ces matériaux précieux furent importés de l’Asie occidentale, des pays méditerranéens et de certains pays africains44. C’est pourquoi nous disons que la chaise et le trône royaux étaient un symbole de la richesse et de l’autorité politique. Le deuxième élément est la particularité de la forme du trône : les pieds en forme de X, le haut dossier et le siège profondément creux. Le troisième élément du pouvoir est représenté sur le dossier. Il y a l’image dorée du soleil sur le haut du dossier, en bas de l’image du soleil, une forme d’aigle. Cet oiseau, puisqu’il est la représentation du protecteur divin égyptien : Horus, est un emblème de protection. Au-delà de ces éléments déjà mentionnés, il y a le quatrième élément sur le repose-pieds, qui peut présenter directement la stratégie politique de Toutankhamon. Selon Edward Lucie-Smith, les neuf personnages inscrits sur le repose-pieds furent les ennemis traditionnels de l’Egypte45. Ce repose-pieds implique que « neuf personnages », les perdants, sont foulés par les pieds du gagnant : Toutankhamon. La classe dirigeante pensa à toutes les manières de présenter et de renforcer l’autorité royale. Suivant ce principe, il ne serait pas difficile de comprendre pourquoi les représentations d’animaux portant un caractère très fort furent adoptées sur le trône et pourquoi les pharaons égyptiens souvent portaient avec eux un poignard devant le ventre. Tous ces éléments sont des emblèmes politiques et représentent le pouvoir absolu des pharaons. Par exemple, certaines fresques ou certaines décorations des meubles montrent les scènes où les pharaons punissent des esclaves.

VI La question de la croyance et de la superstitution.

Très attachés à la vie future, les anciens Egyptiens purent préserver le patrimoine historique dans leurs tombes, grâce à une condition climatologique particulière. Alors qu’en Chine ancienne à la même époque, les Chinois détenant le pouvoir ou ayant la capacité économique, n’ayant ni la même habitude, ni la condition climatologique, ne purent conserver

44 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p.18. 45 Idem. 44 que des objets de valeur souvent de taille modeste, des bijoux et des objets de métal, à côté de leurs morts. Il apparaît que les anciennes familles royales égyptiennes se préparèrent plus soigneusement que les anciens Chinois. Dans la tombe de Toutankhamon, il y avait tout ce qu’il fallait dans la vie : la nourriture préparée, le mobilier de luxe et d’autres objets de valeur. La classe dirigeante égyptienne s’attacha à la vie future où le pouvoir continu et le confort physique sont indispensables. Parmi les objets découverts, la chaise et le trône sont remarquables, car, au-delà d’un outil à s’asseoir, le siège royal fut aussi un symbole du pouvoir, du confort et de la richesse matérielle et immatérielle (le goût esthétique). Le sens religieux et superstitieux est aussi prouvé par le mystère que représentent des éléments tels que le soleil, l’aigle qui représente le protecteur divin Horus et d’autres décors gravés sur le dossier du trône de Toutankhamon. Sur le trône de cérémonie de Toutankhamon, le mystère religieux paraît plus évident. Cela peut se voir dans le soleil doré et gravé sur la partie supérieure du dossier, surtout dans toute la surface du trône dont certaines parties sont couvertes avec des dessins à carreaux, et d’autre parties avec des inscrutations d’ivoire. La couleur bleu profonde souligne la partie dorée et la partie en couleur légère. Cette application des couleurs se voient dans les mosquées islamiques aujourd’hui. Si nous regardons le masque doré de Toutankhamon présenté à côté du trône de cérémonie (fig. 11), la croyance égyptienne paraît plus sensible. Par exemple, selon Les trésors de l’ancienne Egypte46, sur le front du chapeau doré du masque, il y a deux symboles dont un est la tête d’un aigle et l’autre est un serpent qui représentent respectivment deux gardiens divins du haute Egypte et de la basse Egypte : Nekhbet et Uadjet. Quand ces deux symboles sont mis ensemble, ils représentent la souveraineté de l’Egypte unifiée. Selon le philosophe allemand, Ludwig Andreas Feuerbach (1804 - 1872)47, le dieu est l’aliénation de l’essence de l’homme. Autrement dit, l’homme détache son essence pour l’objectiver. Ainsi, l’essence de l’homme devient l’essence spirituelle indépendante. Cette opposition de l’homme règne en revanche sur l’homme même. Les divinités égyptiennes devaient, elles aussi, être l’aliénation de l’essence de l’homme. Ces divinités, par exemple,

46 Alessandro Bongioanni et Maria Sole Croce, The treasures of ancient Egypt, the collection of the egyptian museum in Cairo.(Les trésors de l’ancienne Egypte, la collection du mussée égyptien au Caire), op.cit., p.310. 47 桑玉成 (SANG Yucheng), 马克思主义基础理论 (ma ke si zhu yi ji chu li lun) (La théorie fondamentale du marxisme), Shanghai : 复旦大学出版社 (Fudan Daxue Chubanshe), 2005, p. 41. 45 des déesses, régnaient en revanche sur l’homme. Les éléments, par exemple, des oiseaux, qui représentent des divinités sont ainsi l’aliénation de l’essence de l’homme. L’autre philosophe allemand, Marx (1818 - 1883)48, pense que la divinité est liée à la puissance infinie et mystérieuse de la nature. Au cours de son travail, la puissance finie de l’homme vient à l’esprit de l’homme et celui-ci la combine avec l’infinie puissance naturelle, la divinité est la combinaison de la puissance finie humaine et la puissance infinie naturelle. Selon l’idée de Marx, des animaux tels que des oiseaux et des lions peuvent dans la religion égyptienne représenter la puissance infinie de la nature, et ils sont à cette fin adoptés et combinés avec la puissance humaine finie au profit du sens religieux. L’idée de Marx et l’idée de Ludwig Andreas Feuerbach ne s’opposent pas, bien que Ludwig Andreas Feuerbach parle de l’aliénation de l’essence de homme et que Marx parle de la combinaison de la puissance finie et infinie. Quand l’homme se détache de son essence, il combine très probablement la puissance finie de l’homme avec la puissance infinie de l’animalité.

VII Le symbole de l’animalité.

Des Egyptiens adoptèrent la puissance infinie des animaux tels que des lions et des vautours ou un pénis en érection, qui peuvent engendrer un sens de vitalité, dans leurs objets et dans leurs divinités. Tels objets ou divinités devaient être supposés régner sur l’homme et le monde au sens spirituel. Puisque la société égyptienne fut esclavagiste, la puissance infinie que portent les divinités devait s’imposer essentiellement aux esclaves pour qu’il obéissent aux pharaons. Après avoir parlé de quelques sièges égyptiens de la royauté, nous observons la préférence des Egyptiens pour la représentation des animaux attribuée aux sièges, sans oublier le masque de Toutankhamon. Précisément, le-redisons, les pieds des sièges sont en forme de pattes d’animaux, la représentation d’un aigle est un symbole du protecteur divin appelé

48 常卫国 (CHANG Weiguo), 劳动论《 马克思恩格斯全集 》探义 (La théorie du travail, la recherché sur « Les œuvres complètes de Marx et Engels » ), Liaoning(Chine) : 辽宁人民出版社 (Liaoning Renming Chubanshe) , 2005, p. 73. 46

Horus, sur le masque de Toutankhamon, la tête de l’aigle et celle du serpent représentent respectivment deux gardiens divins du haute Egypte et du base Egypte : Nekhbet et Uadjet. Ce phénomène doit être incontournablement cité dans le discours du mobilier égyptien, car il implique d’abord chez des anciens Egyptiens qui faisaient partie de la classe haute la poursuite de la puissance politique et économique, et puis leur concept de la beauté ainsi que leur pensée superstitieuse. En tant que roi des esclaves, il est raisonable pour pharaon de maintenir sa supériorité pour s’imposer aux esclaves qui étaient inférieurs. Pour conserver sa supériorité, le roi devait chercher une entité qui puisse jouer le rôle de protection : son gardien à la fois personnel et politique. C’est probalement pour cette raison que l’animalité fut adoptée et cette inspiration devint une convention égyptienne. Chez des anciens Egyptiens comme chez des anciens Chinois, la représentation picturale ou sculpturale des animaux tels que lions, aigles, serpents qui ont un caractère très fort étaient un emblème du protecteur, bien qu’ils ne puissent pas être de véritables gardiens. Pourtant, l’adoption de l’animalité dans les sièges ne s’explique que par la pensée superstitieuse, car en adoptant la représentation des animaux, le roi fit de la vérité (le vrai animal vivant) un simulacre semblable à la forme de l’animal. La représentation des animaux devint un signe symbolique. Avec celui-ci, le roi entendit distinguer des rapports oppositionnels, par exemple, la supériorité et l’infériorité, la richesse et la pauvreté. Mais ce simulacre ressemblant ne pouvait procurer qu’une implication psychologique destinée au roi et aux esclaves. Ainsi, dans la pensée des Egyptiens, ce qui pouvait symboliser le pouvoir, la richesse et le statut, ou ce qui pouvait être censé protéger le roi et ses trésors, devait être jugé bon. Un tel objet, un tel élément ou un tel signe devait par conséquent être admiré et adopté sur les sièges. Ces derniers étaient ainsi étroitement liés au statut des propriétaires des sièges même. La symbolisation devint un facteur nécessaire dans le jugement du bon, autrement dit, le concept du bon est directement ou essentiellement posé sur la symbolisation d’animalité. Nous pouvons ainsi dire que l’ancienne Egypte vécut une histoire symbolisée. Ce mode de conception devint une référence importante dans le domaine du mobilier. Néanmoins, cette succession de la symbolisation d’animalité ne fut pas contitue. Elle vécut 47 des ruptures.

Conclusion :

Dans des sièges égyptiens, nous voyons la capacité des Anciens égyptiens à régler les problèmes confrontés en matière de matériaux et de techniques de fabrication des meubles. Nous y voyons aussi une stratégie politique de la royauté égyptienne en mesure de s’imposer aux autres. Les éléments puissants sont des figures des ennemis figurés sur des repose-pieds ainsi que des représentations des animaux. Ces dernières nous conduissent à un phénomène qui est souvent ignoré dans des ouvrages concernant le mobilier égyptien, il est pourtant incontournable dans notre discours : la poursuite et le maintien du pouvoir et la pensée superstitieuse évoqué par la représentation de l’animalité dans les sièges. Bien que’une telle représentation soit une illusion et un simulacre qui peut donner au roi et aux esclaves rien d’autre qu’une implication psychologique, elle peut, selon l’ambition du roi, discerner la hiérarchie :la supériorité et l’infériorité, la richesse et la pauvreté. Le concept de beauté chez des Egyptiens était déterminée essentiellement par la symbolisation d’animalité.

Chapitre II

Le symbole des plantes dans des sièges assyriens et perses

(env.3500 av.J.C. - 700)

Dans les ouvrages historiques de l’art et du mobilier occidental, les sièges assyriens et perses sont souvent ignorés ou oubliés, ils sont pourtant à l’origine des sièges occidentaux et ils portent une signification particulière et méritent par conséquent notre interprétation. Parmi les caractéristiques des sièges assyriens et perses, la préférence des anciens Assyriens et Perses pour la forme de la nature, en particulier des plantes, est remarquable et elle devrait être au centre de notre discours. Nous parlerons maintenant de quelques sièges assyriens et perses.

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I L’ambition agressive marquée dans le siège assyrien.

Figure 12. Assurbanipal avec sa femme, bas-relief marquant la célébration du triomphe.

Faute d’un climat très sec comme en Egypte, le mobilier en bois des Assyriens n’a pas pu nous parvenir. La seule source mobilière provient des bas-reliefs, parmi lesquels l’un rapporte le banquet de triomphe du roi Assurbanipal (668 - 627 av.J.C.) (fig. 12) , selon Lucie-Smith49, après avoir vaincu le roi d’Elam dont la tête est accrochée à un arbre situé devant un harpiste. Assurbanipal est étendu sur un lit haut. En face de lui, sa femme est assise sur un haut fauteuil, mettant les pieds sur un haut repose-pieds. Autour d’eux, deux serviteurs éventent le roi et deux autres le font pour la reine, tandis que trois autres serviteurs interprètent de la musique. Le fauteuil de la femme d’Assurbanipal, rehaussé par quatre pièces en forme de pommes de pin, paraît plus haut et plus rigide que celui de la reine Hetep-heres et les trônes de Toutankhamon. Edward Lucie-Smith dit que50 « la fonction honorifique du siège ( le tabouret autant que la chaise) y était encore plus marquée qu’en Egypte » . Mais par quoi « la fonction honorifique » est-elle marquée ? De mon point de vue, il y a un aspect qui pourrait répondre à cette question : la hauteur extrême du siège. Regardons l’architecture, par exemple les pyramides égyptiennes ou les cathédrales gothiques françaises. Lorsqu’on élevait la hauteur d’un édifice, une certaine puissance, qu’elle soit politique ou économique ou religieuse, était

49 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 20. 50 Idem. 49

montrée. De ce point de vue, le mobilier n’est pas loin de l’architecture. Nous pouvons ainsi dire que la hauteur extrême du siège chez Assurbanipal pourrait aussi montrer une puissance politique et cette dernière pourrait se traduire par l’ambition expansionniste par laquelle Assurbanipal avait lancé et gagné plusieurs guerres d’invasion. La stratégie politique d’Assurbanipal comprend aussi sa stratégie culturelle : la fondation de la bibliothèque de Ninive dans laquelle sont collectionnées plus de 25000 tablettes d'argile marquant la civilisation babylonienne. Parmi ces tablettes, l’une d’ elles contient un texte décrivant son statut et exprimant son ambition politique : « Je suis Assurbanipal, le grand roi, roi de l'extraordinaire, roi de l'univers, roi d'Assyrie, roi du monde qui l'entoure, roi des rois, le chef assyrien, invincible monarque, qui domine la mer du haut vers le bas.51»

II Une perspective plus large.

Quand les Egyptiens s’attachèrent à la vie future incertaine, les Assyriens s’attachèrent à une vie quotidienne certaine et une vision plus large. Le roi assyrien domina ce qui se présentait dans sa perspective, c’est-à-dire ce qui existait sur la terre à son époque. Pour avoir cette perspective plus large, il fallait que le roi monte plus haut avec le support d’un siège plus haut. D’ailleurs, la hauteur élevée du siège rend possible pour le roi d’exprimer sa prétention politique ambitieuse et « invincible » et d’en imposer à ceux qui s’incluent dans sa perspective pour finalement les dominer. C’est ainsi que le haut siège accompagné ou non d’un repose-pieds ou d’un petit tabouret à reposer les pieds pourrait symboliser la politique « invincible ». Quand Assurbanipal se mettait sur son haut siège solide, que voulait-il imposer au peuple qui se trouve à l’intérieur et l’extérieur de la frontière assyrienne, et qu’est-ce que ce peuple peut recevoir ?

51 «Assurbanipal», disponible sur le site : http://baike.baidu.com/view/94778.htm?from_id=2890342&type=syn&fromtitle=Ashurbanipal&fr=aladdin, juin 2014. 50

Figure 13. Carte des différentes phases d’expansion de l’empire néo-assyrien, jusqu’à son apogée Assurbanipal (668 - 627av.J.C.)

Il est certain que les rois assyriens eurent beaucoup d’ambitions pour élargir leur territoire et multiplier leurs richesses. Pour accomplir leurs plans, ils n’hésitèrent pas à dépasser leurs frontières. Dès 673 av.J.C., il y eut des guerres contre l’Egypte ancienne, lancées par l’Empire assyrien établi au VIIIe sièle av.J.C, et par l’Empire perse établi au VIe siècle av.J.C, dont le monarque était Darius Ier le Grand (550av.J.C. - 486 av.J.C.) . Si les mots sont insuffisants pour montrer l’ambition agressive des Assyriens, cette carte le fera (fig. 13), car elle marque les différentes phases d’expansion des néoassyriens jusqu’à son apogée avec Assurbanipal. Bien que l’empire assyrien fut puissant, pourtant en 612 av.J.C. sa capitale Ninive fut vaincue par une armée indo-européenne : les Mèdes qui furent ensuite battus en environ 550 av.J.C par une autre armée indo-européenne : les Perses. Puisque l’Empire Perse fut le plus grand et le plus puissant empire dans l’histoire52. Nous parlerons de sa chaise et son trône.

III La diversité des sièges perses.

52 Roy T. Matthews et F. De Witt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 55. 51

Figure 14. Sièges sur un vase céramique perse découverte au Apulia en Italie. 330 av.J.C.

Selon l’ouvrage intitulé Art et archéologie du monde grec 53 , les anciens Grecs s’intéressèrent à nouveau à la Perse après l’accession du roi Alexandre le Grand en 336 av.J.C. Parmi des objets importés de Perse on trouve un vase de céramique (330 av.J.C.) (fig. 14) découvert en Apulie en Italie. Puisque des objets importés de l’Attique (Grèce) étaient populaires dans la région du sud de l’Italie depuis environ 430 av.J.C54, ce vase grec qui date de 330 av.J.C. peut être un bon exemple du mobilier perse, car il y est inscrit une histoire de Darius Ie le Grand, alors roi de l’empire perse. Ce vase que deux historiens du

53 Richard T. Neer, Art﹠archaeology of greek world, a new history, c. 2500 - c.150 BCE. (Art﹠Archéologie du Monde Grec, une nouvelle histoire, 2500 av.J.C - 150 av.J.C.), Londres :Thames﹠Hudson, 2012, p. 322. 54 Ibid, p. 320. 52 mobilier :Leslie Pina et Edward Lucie-Smith n’ont pas mentionné dans leurs ouvrages des sièges est pourtant une preuve importante de la prospérité des sièges perses au temps de Darius Ie le grand. Elle peut aussi être une preuve de la réputation personnelle de celui-ci. Dans la partie haute de ce vase se voit une scène de guerre où se battent des soldats perses et grecs. En bas du vase, il y a trois registres différents dont le premier en haut inclut les dieux, peu d’entre eux sont assis. Le deuxième registre est au milieu : Darius Ie le Grand assis sur son trône est en train de recevoir des nouvelles triomphales rapportées de Marathon (Grèce) par un messager. Devant et derrière le roi, ce sont probablement ses courtisans. La plupart d’entre eux sont assis. Le troisième registre qui est plus bas inclut des gens qui sont moins importants et peu d’entre eux sont assis. Ce vase est un témoin de la multiplicité des sièges perses de types variables. Il y a le trône de Darius Ie le Grand accompagné d’un repose-pieds, deux tabourets respectivement en forme de X droit et courbé, un tabouret avec quatre jambes verticales et deux chaises derrière le roi. Les sièges sont tous rembourrés ou couverts d’un coussin. Parmi eux, le trône et les deux chaises derrière ceux-ci sont plus remarquables que d’autres. Le trône est décoré de motifs dorés et composé de quatre jambes larges et verticales. Son dossier est légèrement creux et en partie haute se tiennent deux figures blanches portant des ailes. Les deux accoudoirs sont plus fins que les autres composants. Les deux chaises derrière le trône portent aussi les dossiers légèrement creux et sont accompagnés d’un repose-pieds, mais leurs jambes courbées sont plus fines que celles de droite du trône du roi. Ces deux chaises pouvaient être un modèle important pour les chaises grecques, en particulier, le Klismos.

IV La puissance et le trône de Darius Ie le Grand.

Le vase dont nous venons de parler démontre la multiplicité et la diversité des sièges perses et la puissance de cet empire. Un autre bas-relief (fig. 15) n’est pas moins fort pour la démonstration de sa puissance. Dans ce bas-relief, Darius Ie le Grand (550av.J.C. - 486 av.J.C.) est assis sur son trône surélevé par une estrade. Derrière lui se tient son fils Xerxes (519-465 av. J.C.). Ceux qui se trouvent devant lui sont peut-être ses serviteurs ou ses

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gardiens ou ses courtisans. En comparaison avec le trône et la chaise gravée de Toutankhamon, la structure du trône de Darius Ie le Grand est bien différente dans la forme. Ses pieds, qui sont en partie côtelés, paraissent plus durs, plus droits et plus sévères. Est-ce que cela peut impliquer que le caractère personnel de Darius Ie le Grand fut plus fort que celui de Toutankhamon étant jeune pharaon sans avoir dirigé aucune guerre ?

Figure 15. Darius Ie le Grand, derrière lui son fils Xerxes, bas-relief persépolis

Darius Ie le Grand avait dirigé plusieurs guerres d’agression avec de grands succès. Comme Assurbanipal, Darius Ie le Grand fit inscrire un texte dans une pierre : « Je suis Darius, le Grand Roi, le Roi des rois, le Roi en Perse, le Roi des pays, le fils d’Hystaspes, (...)55 » Cette inscription montre bien la grande ambition d’un général et d’un monarque qui fonda le grand empire Perse. Au-delà de la question de l’ambition agressive, nous voyons aussi dans le trône de Darius Ie le Grand une nouvelle notion de la pensée perse : la méditation. Selon Roy T.Matthews et F. De Witt Platt, l’art perse, ne soulignant pas la nature sauvage que l’art assyrien possédait, souligna la méditation56. Il est vrai qu’à travers ce bas-relief, nous voyons cette méditation par les visages et les regards et les positions physiques des personages gravés. En comparaison avec le fauteuil de la femme d’Assurbanipal, le trône de Darius Ie le Grand paraît moins haut et moins exagéré, mais plus modeste et plus solide.

55 Pierre Briant, Darius, les perses et l’empire, Paris : Gallimard, 1992, p. 11. 56 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.55. 54

Etant rembourrés, le siège et le dossier donnent plus de comfort. L’ensemble du trône semble être plus raffiné, plus civilisé et donc plus humain. Toutes ces qualités pourraient être le résultat de la méditation non seulement du fabricant mais aussi du propriétaire : le roi, celui-ci intervint très probablement dans le plan de fabrication du trône.

Figure 12-1. Â gauche : Les pieds des meubles d’Assurpanipal. Figure 15-1. Â droite : Les pieds du trône de Darius Ie le Grand.

D’ailleurs, en comparant les meubles d’Assurpanipal et le trône de Darius Ie le Grand sculptés dans ces deux bas-reliefs (fig. 12-1, 15-1), il y a un élément intéressant qui se trouve dans les pieds de ces sièges et dont on n’a jamais parlé. Cet élément se présente comme une partie de la forme d'un arbre. Les pieds des sièges dans ces deux bas-reliefs prennent la forme d’une sorte d’arbre situé devant les sièges, mais chaque siège en prend une partie différente. Les pieds du fauteuil de la femme d’Assurpanipal prennent la haute partie conique de l’arbre et on l’a renversée, tandis que les pieds du trône de Darius Ie le Grand prennent la partie au milieu (ce sont peut-être des fruits ou des fleurs de l’arbre) sans la renverser. Les pieds et les arbres gravées dans le bas-relief de Darius Ie le Grand paraissent plus hauts que ceux qui sont gravés dans le bas-relief d’Assurbanipal. Cette comparaison tend à montrer le lien culturel entre l’empire assyrien et l’empire perse.

V Le symbole des plantes.

Dans les bas-reliefs et le vase que nous venons d’interpréter, un fait est incontournable quand nous parlons de la culture assyrienne et perse, c’est la préférence des Assyriens et des

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Perses pour la représentation des plantes. Dans le bas-relief, le roi Assurbanipal étendu sur sa couche et sa femme assise sur son haut fauteuil, célèbrent leur triomphe dans la nature avec la musique interprétée par les musiciens. Dans cette scène de célébration, les plantes sculptées autour des personages sont remarquables. L’élément le plus remarquable se trouve dans les pieds des meubles qui prennent différentes parties de la forme de l’arbre situés devant les rois. Dans le vase dont nous venons de parler, les plantes ne manquent pas. On a utilisé des motifs de plantes telles que des fleurs, des feuilles et des arbres. Sur les bas-reliefs et le vase, de tels motifs qui sont très peu représentés dans des objets égyptiens sont inscrits sur les sièges assyriens et perses et sur l’espace qui les entoure. Les Egyptiens préféraient la forme des animaux quand ils fabriquèrent des meubles et les décorèrent, tandis que les Assyriens et les Perses privilégiaient les formes de plantes. De l’animalité à la plante, il s’agit de la différenciation dans l’aspect de la culture et dans celui de la pensée, bien qu’il y ait depuis longtemps un lien culturel mené par des échanges exercés entre le monde égyptien, assyrien et perse. Cette observation tente à marquer la connaissance rationnelle de l’importance de la nature chez les Assyriens et chez les Perses comme chez leurs contemporains chinois. Le rapport entre l’humanité et la nature est que la nature engendre tout ce qui nourrit l’humanité et l’animalité. Autrement dit, la nature procure les ressoures nécessaires pour tous les êtres qui peuvent se bouger sur la planète. C’est dans la nature qu’il est possible que de tels êtres produisent et se reproduisent et ils sont pour ainsi dire étroitement liés à la nature dans laquelle fonctionne le cercle de la biologie. Cette connaissance rationnelle est appliquée dans la conception des objets par l’homme pour l’homme. En ce sens, le concept comme entité centrale de la nature devint dominant dans des pensées assyriennes et perses. C’est probablement pour ces raisons que ces deux rois Assurpanipal et Darius Ie le Grand firent inscrire leurs paroles sur des pierres qui peuvent durer longtemps sans se décomposer. Ce dernier roi dit, redisons-le : « je suis le roi, le roi des rois, le roi de Perse (...) ». D’après ces paroles, faut-il s’étonner qu’ils firent un grand nombre de guerres agressives avec l’ambition d’élargir leurs territoires et d’accumuler leurs richesses ? Par conséquent, la nature était jugée utile pour la vie humaine par des Assyriens et des 56

Perses. Il en résulte donc un principe qui consiste en l’utilité de la nature et le centralisme de l’humanité. Selon ce principe, ce qui était utile devait être considéré comme Bon. En ce sens, des formes qui se trouvent dans la nature, notamment les formes de plantes, étaient pour ainsi dire liées au concept du Bon. On adoptait des formes naturelles et parfois en les réduisant en motifs ressemblant à la vérité, comme ce que nous voyons dans des bas-reliefs et dans le vase. Comme la représentation des animaux pratiquée par des Egyptiens, la représentation de la nature adoptée chez les Assyriens et chez les Perses consiste incontestablement dans l’imitation et la ressemblance. Telle représentation offre une sorte de satisfaction psychologique. Il est probable que le processus de la représentation de la plante est aussi le processus de l’humanisation de la plante. Cela correspond à ce que l’on fait dans la peinture traditionnelle chinoise. Mais il est moins possible que ce processus concerne l’aliénation de l’essence de l’homme. Pourtant, cette observation consacrée à la question de l’utilité et du bon de la nature ne prétend pas dire que les sièges assyriens et perses sont privés du symbole de la puissance, de la richesse et de l’ambition agressive. En comparant brièvement avec l’Egypte, il y a quatre facteurs qui sont engagés dans l’aspect symbolique. D’abord, les Egyptiens adoptaient la force et le caractère que représentent des animaux, tandis que des Assyriens et Perses adoptaient la beauté de la nature qui était liée originellement à l’utilité. La plante est un symbole de la nature. Deuxièmement, les sièges royaux égyptiens sont de taille modérée, tandis que les sièges royaux assyriens et perses paraissent plus larges et plus grands. La grandeur et la rectilinéarité constituent un symbole lié au caractère des Assyriens et des Perses. A ces deux facteurs, s’ajoutent le luxe et l’élégance issus à la fois de l’adoption des formes des plantes et de la conception générale. L’adoption de la représentation de la nature dans des objets devint une pratique traditionnelle. Ce mode de pratique artisanale connaît plus de successeurs que celui de la représentation de l’animalité.

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Conclusion :

Des sièges assyriens et perses sont souvent ignorés par des historiens du mobilier, car ils manquent d’analyses et de recherches suffisantes pour ces meubles. Après une recherche plus approfondie, il y a quelque points à remarquer. D’abord, les sièges perses ne se trouvent pas uniquement dans des bas-reliefs, mais aussi dans des vases de céramique importés en Grèce et puis en Italie. Ensuite, l’empire perse connut une multiplicité et une diversité de sièges, surtout dans la classe haute. Troisièmement, des sièges perses allaient influencer les sièges grecs et romains puisqu’ils intéressaient les Grecs et étaient importés par eux. Quatrièmement, la dureté et la grandeur du trône perse représentent la puissance politique avec laquelle les Perses firent des guerres agressives, par exemple, avec les invasions dans l’Egypte ancienne. Dans ces affaires militaires, l’ambition agressive est l’impulsion indispensable. D’ailleurs, par rapport aux sièges égyptiens, il y a deux différences dont la première est que les Assyriens et les Perses préféraient les formes végétales aux formes animales quand ils fabriquaient des sièges. La deuxième différence se trouve placée sur le fait que des sièges assyriens et perses paraissent moins sombres et plus durs, et portent un sens d’humanité plus clair, car ils marquent la méditation humaine. Cette préférence se revoit dans des sièges gecs et romains.

Chapitre III

La forme simplifiée et (pré)géométrique des sièges grecs

(XIe siècle av.J.C. - Ie siècle av.J.C. )

Des Assyirens et des Perse, selon Les humanités occidentales57, avaient initié l’idée du centrisme de l’humanité dans la culture asiatique occidentale. Dès le Ve siècle, le philosophe grec Protagoras déclarait cette centrisme. L’humanité fut considérée pour la première fois comme le centre de tout dans la culture occidentale. Le centrisme peut-il être abordé dans

57 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.61. 58 l’analyse des siègs grecs ? Dans les caractéristiques des meubles grecs antiques, la simplicité du point de vue de la forme paraît privilégiée. Selon le fil conducteur historique de l’évolution culturelle, des Anciens grecs recherchaient une simplification ou une nouvelle interprétation de la forme des meubles étrangers notamment égyptiens, assyriens et perses, au temps où les grands Maîtres occidentaux commencèrent à lancer les théories spéculatives et philosophiques avec l’ambition de proposer une République idéale. L’idée de l’idéalisme était-elle prise dans la conception du mobilier ? Portant ces deux questions, nous regardons quelques sièges grecs.

I La question de l’origine et des sources des sièges grecs.

Darius Ie le Grand lança en 490 une guerre contre la Grèce et finit par un échec. Son fils Xerxes continua cet envahissement en 479 mais avec le même résultat.58 Mais après les guerres, la Grèce, gagnante, s’intéressa à nouveau à la culture perse depuis l’accession d’Alexandre le Grand en 336 av.J.C.. Il est donc certain que le mobilier de l’empire perse exerça une influence profonde sur le mobilier grec pendant cette époque. Pourtant, il nous est parvenu très peu de sièges matériels et utilitaires grecs. Les sources les plus importantes dans ce cas sont les sources littéraires, picturales ou sculpturales. Dans le premier livre de La République, Platon décrit : « Il (Céphale) était installé, sur un fauteuil muni d’un coussin, une courronne sur la tête...... Nous (Socrate et d’autres) nous assîmes donc autour de lui : quelques fauteuils étaient disposés là, en cercle.59 » Céphale considérait Socrate comme un ami de proche, bien que celui-ci fut beaucoup plus jeune que lui. Ils s’assirent donc sur les fauteuils confortables puisqu’il y avait des coussins, et la discussion philosophique commença. Selon La République de Platon, il est certain que des Grecs, au moins les riches, utilisaient de hauts sièges : fauteuils ou chaises. Ils ne devraient pas s’asseoir sur le sol ou sur les nattes, comme le firent les anciens Chinois.

58 Ibid.,p.71-72. 59 Platon, La République, du régime politique, op.cit.,p. 45. 59

l’époque. Parmi des sièges grecs, le Klismos, représenté sur la pierre tombale d’Hegeso qui date de 400 av. J.C., est souvent mentionné dans les livres concernant le mobilier ou la culture grecs. Le fait que l’on fit une chaise en bas-relief pour une tombe démontre l’intérêt considérable attribué au style du Klismos. Où est l’origine des sièges grecs ? Dans le livre X de La République de Platon60, par exemple, le dieu a créé la forme de la table par nature. L’artisan fabrique d’autres tables tout en suivant cette forme. Le peintre ne crée pas de choses réelles, il imite ce qu’a créé l’artisan. De ce point de vue, les sièges grecs devaient êtres une mimésis des sièges précédents : égyptiens, assyriens et perses. Nous pouvons trouver les preuves concernées dans des vases qui peuvent raconter des événements réels ou symboliques. Au-delà des céramiques, trois trônes grecs nous sont exceptionnellement parvenus. Ils furent découverts dans la tombe royale numéro 79 à Salamis. Dans ce chapitre, nous parlerons d’abord des tabourets et des bancs, et puis du style du Klismos et enfin d’un trône.

II Des tabourets et des bancs à s’étendre.

Il y existait au moins trois types de tabourets. Un tabouret moyen avec quatre pieds verticaux et un tabouret en forme de X étaient les plus utilisés à la maison et dans l’atelier de travail ou dans une classe d’étude. Un tabouret plus haut comme celui-ci (fig. 16) est rarement représenté dans les objets grecs. Nous voyons dans le plat à gauche la Pythie aissise buvant de l’eau divine et mangeant une feuille apollinienne, elle s’apprête à répondre aux questions de l’homme qui se tient debout devant elle. Le siège est en forme d’hémisphère. Ce tabouret n’a que trois jambes verticales dont les parties en haut sont plus larges que celles d’en bas. Il y a quatre traverses courbées et la seule traverse en bas est droite. Les trois pieds sont en forme de pattes d’animaux.

60 Ibid., p. 492 - 497. 60

Figure 16. Â gauche : tabouret haut avec trois pieds marqué sur un plat qui représente la Pythie assise sur un tabouret, buvant de l’eau divine et mangeant une feuille apollinienne. Devant elle, un prieur tebout. Figure 17. Au milieu : un tabouret en forme de X marqué sur un vase qui représente une femme demi-nue assise tenant une botte de fleurs. Figure 18. Â droite : un banc pour s’étendre rembourré marqué sur une assiete qui représente une femme tenant une fleur dans la nuit.

Dans l’image à droite (fig. 18), il y a un banc pour s’étendre rembourré et donc confortable. Il y a normalement quatre jambes verticales dont les parties en haut sont plus larges que celle d’en bas. Un banc comme celui-ci était souvent utilisé au moment des loisirs. Les hommes, comme nous voyons dans les vases, les plats et un verre en argent, se réjouissaient dans des banquets de nuit avec des femmes, parfois avec de jeunes garçons ou des hommes avec qui ils faisaient aussi l’amour. Dans l’image du milieu (fig. 17), c’est un récipient de céramique dit lécithe qui date d’environ 340 av.J.C et qui devait contenir de l’huile surtout de l’huile d’olive. L’extérieur de ce récipient représente une femme demi-nue et assise sur un tabouret en forme de X. Le siège couvert d’une pièce textile et les pieds du siège sont épais et blancs.

III Le Klismos grec et son origine.

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La chaise et la culture. Un exemple du style du Klismos est représenté sur le vase d’Achille (fig. 19) qui date d’environ 440 - 430 av.J.C. Cette description picturale explique que l’homme nu et debout tenant à la main gauche un bouclier et à la main droite un casque est en train de quitter sa femme pour aller à la guerre. Cela démontre en général la responsabilité des citoyens hommes de défendre le pays, tandis que la plupart des femmes (certaines femmes participaient aussi à la guerre) restaient à la maison et s’occupaient des affaires familiales. Les garçons spartiates étaient entrainés depuis leur enfance pour les affaires militaires avec un strict système disciplinaire. Selon un livre de Furio Durando61, cette représentation picturale implique une métaphore de la mort, puisque ce guerrier va participer à la guerre. Il n’est pas certain que cette métaphore soit vraie, mais le fait que des Grecs firent une telle œuvre sur un vase quotidien peut expliquer l’authenticité et l’importance de ce phénomène social- l a guerre était (toujours) une séparation familiale. Un autre exemple du style du Klismos est représenté par un plat (fig. 20). Sur ce plat sont représentés deux hommes nus dont un est demi-nu, barbu et assis sur le Klismos, devant lui est un jeune homme tout nu et debout, tenant peut-être un rouleau de textile à la main gauche. Il semble que l’homme qui est assis et plus âgé soit en train de tenir à la main gauche l’autre bout du rouleau de textile et de mesurer avec la main droite le corps du jeune homme pour lui faire un vêtement. Ce plat, comme beaucoup d’autres céramiques, représente un phénomène populaire du même sex en ancienne Grèce, souvent homme avec homme, quelque fois femme avec femme, dite aujourd’hui l’homosexualité. Par l’atmosphère amicale et philosophique présentée par La République de Platon et la sexualité présentée par ce plat et par beaucoup d’autres, nous voyons une société plus tolérante et ouverte que les anciennes sociétés égyptienne, assyrienne et perse. Même les esclaves étaient pourvus d’une certaine liberté, ils était autorisés à participer à certaines activités sociales. Par exemple62, pendant la fête Krona consacrée aux esclaves, toutes les affaires de l’état étaient suspendues pour qu’ils

61 Furio Durando, Greece : Splendours of an Ancient Civilization (Grèce: Splendeurs d'une Civilisation ancienne), Londres :Thames et Hudson, 1997, P. 52. 62 Paul Cartledge, The Cambridge illustrated history of ancient Greece(La cambridge histoire illustrée de la Grèce antique), (première édition en 1998, Londres : Cambridge University Press), traduit de l’anglais par GUO Xiaoling, etc., Jinan (Chine) : 山东画报出版社 (Shandong Huabao Chubanshe), 2007, p.103. 62 puissent librement s’amuser et jouir des récoltes avec leurs maîtres.

Figure 19. Â gauche :Klismos grec représenté par un vase : lécithe, environ 440 - 430 av.J.C. Figure 20. Â droite : Klismos grec représenté par un plat.

Ces deux exemples nous expliquent que le Klismos n’était pas une privilège consacrée aux femmes, des hommes l’utilisaient aussi. Sur cela, Edward Luci-Smith a eu tort de dire que le Klismos est «associé aux femmes63 ». Il le dit quand il parle du Klismos représenté par la pierre tombale d’Hegeso qui date d’environ 400 av.J.C. Sur cette pierre sont représentées deux femmes dont une est assise sur le Klismos, choisisant un bijou dans un coffret tenu par une jeune femme qui se tient devant elle .

L’origine du Klismos grec. Après avoir parlé de la culture que représente le vase et le plat. Nous revenons aux caractéristiques du style du Klismos. En général, dans un siège Klismos, le dossier courbe et les arrière pieds incurvés vers l’extérieur constituent une forme en ‘S’. Les pieds de devant sont aussi incurvés vers

63 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 25. 63 l’extérieur. Le dossier courbe peut donner à la personne un confort au dos. La simplicité de la structure du Klismos le rend plus léger pour faciliter le rangement. L’ancienne société grecque connut une certaine liberté de pensée, en particulier dans l’aspect du désir (guerre et richesse et sexualité) et du loisir (voir des vases). Pourtant, cette société n’était pas tout à fait libre. D’abord, à l’âge héllénistique, selon l’ouvrage de Roy T.Matthews et F. De Witt Platt 64, toute la société grecque fut baignée dans une atmosphère où coexistèrent la complexité politique et sociale, et la recherche passionnannée de l’art et de la pensée. Et puis, malgré la liberté de pensée chez des aristocrates, la liberté des esclaves était conditionnée. Pendant les activités et les cérémonies sociales, tous les citoyens étaient pourvus d’un grand privilège par rapport aux esclaves. D’ailleurs, l’économie grecque fut restreinte probablement à cause de la surface limitée du territoire et des guerres qui consommèrent l’économie. Dans ce contexte social particulier : guerres et économie limitée, il est sans doute raisonnable pour des aristocrates de se plonger dans le loisir et le désir sexuel pour se libérer. Comme la société grecque, l’art grec fut aussi restreint et non pas excessif, cherchant la simplicité, l’équilibre, la symétrie, la perfection et la forme idéale. Face à la complexité sociale et la pression qu’elle procure, l’humanité préfère et cherche la simplicité de la vie. Un siège de Klismos dont la forme est simple et élégante fut admiré par la classe supérieure.

Figure 19-1. Â gauche : Le Klismos grec date d’environ 440-430 av.J.C. Figure 14-1. Â droite : Deux chaises perses représentées derrière le trône ressemblent au Klismos.

Pourtant, la référence du Klismos peut remonter à l’empire perse. Nous avons parlé d’un vase en céramique perse qui fut probablement importé du Perse à la Grèce et puis en Italie.

64 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.93-94. 64

Dans les images peintes sur ce vase, il y a deux représentations de chaises situées derrière le trône de Darius 1e le Grand. (fig. 19-1, 14-1) En comparant le Klismos et deux chaises perses représentées derrière le trône, il y a quelques éléments communs. D’abord, les dossiers sont similaires, puisque la traverse horizontale en haut à laquelle le dos humain s’appuie est composée d’une seule planche de bois légèrement courbe, mais la traverse du Klismos ne dépasse pas deux supports verticaux et paraît plus court que celle des chaises perses. Les jambes de tous ces sièges sont toutes incurvées, mais celles du Klismos sont plus simples, tandis que celles des chaises perses paraissent plus luxueuses. Il est normal que les chaises perses représentées dans le vase paraissent plus luxueuse que le Klismos, car, selon des représentations marquées dans des objets, le Klismos était utilisé massivement chez les aristocrates dans la vie quotidienne, alors que ces deux chaises perses étaient utilisées par des courtisans qui se trouvent autour du roi. Nous ne savons pas si ces chaises perses de ce style étaient populaires dans l’empire Perse à l’époque de Darius Ie le Gand au Ve siècle av.J.C.. Mais, il est certain que ce style perse est à l’origine du Klismos grec.

IV Un trône importé dans la Grèce antique.

Figure 21. Trône grec, découvert dans la tombe royale à Salamis. Environ 500 av.J.C. (les partie noires sont les ombres des pièces du trône, non pas la couleur du trône)

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Un des trois trônes découverts dans la tombe numéro 79 à Salamis fut en partie doré et argenté (fig. 21). Le siège a été endommagé sous le sol. Les deux pieds de devant sont rehaussés par les pieces en forme de pattes animaux. Le dossier fut légèrement courbé et penché arrière pour s’adapter au dos humain. Le dossier est composé de branches de bois verticales et horizontales. Sous un accoudoir, il y a une pièce décorative composée de trois figures. Sous l’un des accoudoirs, il y a une pièce en forme de mulet. En ce qui concerne la forme, ce trône paraît être une imitation ou une interprétation simplifiée des trônes égyptiens, car il y a moins d’éléments décoratifs et par conséquent moins de symboles du pouvoir. Par rapport au style du Klismos grec qui est souvent lié à la vie aisée pleine de loisir et de plaisir, ce trône doré et argenté paraît plus droit et strict et implique ainsi un désir de pouvoir. Ce trône au style égyptien est un témoin de l’influence du mobilier égyptien exercée sur conception du mobilier grec. Les éléments principaux empruntés au mobilier égyptien consistent en la droiture des composants des sièges et les pieds ressemblant aux formes des pattes d’animaux.

V La forme simplifiée et (pré-géométrique).

Les sièges dont nous venons de parler montrent clairement que le mobilier grec était influencé par un double style : le style égyptien et le style perse, ce dernier étant le prolongement du style assyrien. Le mobilier grec n’est pas une mimésis total du mobilier étranger. Des Grecs n’adoptaient pas tout simplement, mais ils modifiaient quelque parties. La modification, ou dans certains cas nous pouvons dire la nouveauté, se trouve dans la forme simplifiée. Précisément, il y avait dans les sièges grecs moins de motifs, que ce soit animaux ou végétaux. Cette nouvelle conception était très probablement issue de la simplification ou de la transformation du mobilier asiatique occidentale et nord-africaine. C’est la forme générale, non pas des motifs symbolisables, qui caractérise un siège grec. Le simplicité de la forme du siège était issue peut-être d’une raison : l’instabilité économique. La Grèce antique se situait dans les territoires très limitées, il y avait moins de terres à cultiver, moins de ressources à exploiter, mais beaucoup de guerres à lancer. Dans ce

66 cas, l’économie grecque était certainement largement consommée voire épuissée. La dépense quotidienne devait être limitée. Des choses et des objets simples qui consommaient moins devaient être privilégiées. La rencontre entre la liberté de pensée et la recherche de l’idéalisme et l’économie limitée conduisit non pas à la manifestation du pouvoir dans l’objet comme ailleurs d’où était issue la culture grecque, mais à la simplicité et l’élégance de l’objet même. Cette simplicité devint une référence importante dans la conception du mobilier pour ceux qui admirent la culture grecque.

Conclusion :

L’origine du style du Klismos grec se trouve dans le siège perse et cela est prouvé par un vase perse. Cela dévoile aussi le lien culturel entre la Perse et la Grèce. Par la comparaison entre le Klismos et son origine perse et par le trône de style typiquement égyptien, nous savons que des Grecs n’imitaient pas simplement des meubles perses et égyptiens et qu’ils modifiaient selon cinq facteurs essentiels : 1) leur économie limitée ; 2) leur pensée qui par rapport à leur précédents était relativement ouverte ; 3) leur mode de vie ; 4) leur mode de connaissance issus de leur pensée ouverte ; 5) leur humanisme. La simplicité de la forme, les jambes courbes et les dossiers courbes ainsi que la méditation humaine peuvent ainsi se voir dans les sièges grecs. Ces derniers s’attachent à l’humanité, portent une proportion plus humaine et une beauté féminine présentée par les lignes courbes, et paraissent moins luxueux que ceux des Perses. Le symbole du pouvoir ou de la puissance économique était moins évident, car on adoptait rarement des motifs superflus qui peuvent symboliser la puissance économique et politique.

Chapitre IV

L’ostentation du siège romain antique

(IXe siècle av.J.C. - Ve siècle)

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I Le problème des sources de recherche des meubles romains.

L’histoire de la Rome antique est accompagnée de violences : des guerres d’agression, des conflits intérieurs, des violences politiques et sexuelles, au-delà de la prospérité culturelle et artistique, et de la liberté de sexualité (comme en ancienne Grèce). L’éruption volcanique du Vésuve en 79 avait détruit toutes les richesses des villes qui se trouvaient autour du volcan : Pompéi et Herculanum, Oplontis et Stabies, nous n’avons donc aucun exemple de siège en bois. Mais grâce à l’intérêt et l’habitude que’avaient les anciens Romains de faire des fresques sur des murs de leurs maisons dans lesquelles ils vivaient, nous avons des preuves visuelles avec lesquelles il nous est possible de faire une recherche sur leurs vies privées et sociales dans lesquelles des sièges étaient utilisés. Ces représentations picturales prouvent avec certitude la fabrication et l’utilisation de tabourets, de chaises, de fauteuils, de canapés etc.

II L’ostentation du siège romain.

Selon l’archéologie65, cette fresque (fig. 22) fut découverte à Pompéi en 1771. Nous y voyons une femme peintre est en train de peindre Priape (Príapos) ithyphallique, le dieu de la fertilité, protecteur des jardins et des troupeaux. Des Romains le connaissaient par son énorme pénis constamment en érection. Cette fresque explique deux points qui sont inclues dans notre sujet. Le premier point est que le statut des femmes romaines devint plus important qu’auparavant, car elles avaient la liberté de travailler dans un domaine auquel elles s’intéressaient, bien qu’il y ait encore quelque limite conventionnelle. Elles voulaient remettre en cause de leur manière de gagner la liberté et l’égalité par rapport aux hommes. Avec la ligne courbe et fine, le style du siège correspond bien à la féminité.

65 Joanne Berry, The complet Pompeii ( La Pompéi complète), New York : Thames & Hudson, 2007, p. 118. 68

Figure 22. Une peintre femme assie sur un tabouret en forme de X est en train de peindre le Priapes, le dieu au pénis constamment en érection, fresque découverte en 1771 dans la maison du chirurgien.

Le deuxième point possible est que des tabourets conformtables étaient utilisés dans le travail et dans la vie des Romains, puisque le tabouret représenté dans cette fresque, qui est en forme de X et son siège est rembourré et muni d’un épais coussin jaune (ou doré) paraît confortable. Au-delà des tabourets divers, il y avait des chaises et fauteuils de formes variées. Cette image (fig. 23) est la partie gauche d’une fresque découverte à Herculanum, dont la date n’est pas encore prouvée. Dans cette partie de la fresque, se présentent deux femmes dont une qui est demi-nue est assise sur une chaise. Ces deux femmes se trouvent devant un miroir (non représenté) pour regarder deux autres femmes se coifant. Une autre image (fig. 24) est une fresque de Pompéi dans laquelle se présentent deux femmes, un soldat et un ange. L’homme debout est en train de toucher le buste de la femme assise sur le fauteuil. Cette fresque témoigne de deux choses. D’abord, les femmes de la classe supérieure vivaient très probablement une vie aisée. Et puis, leur comportement manifeste leur intérêt pour la sexualité.

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Figure 23. Â gauche : la partie de gauche d’une fresque de Herculaneum, date non prouvée. Figure 24. Â droite : Mars et Venus, fresque en Troisième Style, 154cm X 117 cm. Maison de l’amour fatal, Pompéi. Naples, Musée d’Archéologie National.

A la différence des meubles grecs, les sièges romains paraissent plus larges, plus grands et plus lourds, et en somme plus luxueux. Si nous faisons appel à l’histoire de Rome qui concerne la violence, les sièges romains peuvent être liés à la manifestation de la puissance politique et économique. Seul le mot ‘ostentation’ peut proprement exprimer cette propriété fonctionnelle attribué à la conception d’un siège.

III L’origine du siège romain.

La culture romaine est une composition d’autres cultures auxquelles les Romains attribuaient leur propre caractère fort. Cela peut être démontré par les sièges dont l’origine peut se retrouver dans les sièges assyriens, perses et grecs. Regardons des éléments cummuns entre les sièges romains et les autres sièges (fig. 19-1,

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23-1, 24-1). Bien que ces quatre exemples ne soient pas le même matériel : deux exemples assyriens et perses sont en forme de bas-relief et deux exemples romains sont représentés dans les fresques, nous pouvons distinguer l’évolution des jambes des sièges de l’empire assyrien à l’empire romain : empire assyrien→ empire perse→ Grèce antique→ empire romain.

Figure 19-1. Les jambes du Klismos grec. Figure 23-1, 24-1. Les jambes de deux sièges romains.

Nous avons dit au plus haut que des jambes des sièges assyriens prennaient la forme de la partie conique de l’arbre et que cette forme était renversée dans le siège. Nous avons dit aussi que les jambes du trône perse pennaient la forme de la partie du milieu qui est peut être des fruits ou des fleurs. Il semble que les Grecs ignoraient cette forme végétale. Quant aux Romains, eux, comme des Perses, ils avaient la même préférence pour cette forme végétale. Si nous mettons des sièges romains en comparaison avec des sièges assyriens et perses, les jambes des sièges romains sont plus fines et et avec une variation formelle, elles paraissent plus raffinées. Il est intéressant de trouver que la ligne courbe et féminine du Klismos grec dont l’origine peut remonter au siège perse n’était pas adoptée par les Romains. Du point de vue du raffinement, les Romains prennaient des formes variées dans la ligne droite. Par exemple, ils faisaient des formes variées dans une jambe droite. Ils prennaient des concepts tels que épais et fin, large et étroit, grand et petit. Par exemple, dans une jambe du siège, de haut à bas, c’est de grand à petit. Autrement dit, les Romains adoptaient des caractères des autres meubles :assyriens, perses, grecs. Les Romains, selon l’ouvrage Les Humanités Occidendales de Roy T.Matthews et F. DeWitt Platt, étaient de grands génies capables d’adopter les cultures étrangères et de gouverner bien leur pays 66. Certains historiens partagent cette idée : politiquement, les Romains avaient conquis les Grecs, mais en termes de culture, c’est la civilisation grecque qui

66 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.146. 71 avait conquis la civilisation romaine, autrement dire, la civilisation romaine fut issue de la culture grecque qui succéda à l’héritage culturel des Perses, des Assyriens, et surtout des Egyptiens. Nous pouvons dire sans risque que les Romains empruntèrent l’art et la culture du monde. Pourtant les Romains n’adoptaient pas tout simplement. Ils adoptaient et interprétaient d’autres cultures auxquelles ils s’intéressaient. C’est certainement une création. Ils avaient créé quelque chose de nouveau dans leurs chaises et leur trônes. L’historienne du mobilier Leslie Pina67 dit que, chez les Romains, l’interprétation de formes purement grecques avait sa propre identité distincte. Leslie Pina s’explique ainsi : les Grecs cherchèrent la pureté et la simplicité, alors que les Romains préférèrent au contraire les ornementations et la complexité, car ils voulaient un art qui soit splendide et magnifique. Mais un grand problème social fut causé justement par le pouvoir romain. Il est dit : où se trouvent des esclaves, il y a des révoltes. Chez les Romains, sans exception, l’ostentation romaine qui consommait beaucoup de richesses créées par des esclaves devint à la fin un des facteurs qui conduisit la Rome antique vers sa fin, car les peuples ordinaires avaient toujours été conditionnés par la politique et donc restaient toujours pauvres. C’est ainsi que se multipliaient les mécontents contre les autorités. Les hommes politiques romains qui vécurent à l’aise ne purent sauver l’empire romain et cet empire le plus grand dans le monde vit ainsi sa chute en 475.

Conclusion :

Dans cette partie concernant des sièges romains, il y a quelque points qui méritent notre attention. D’abord, les sources archéologique de Pompéi et des villes voisines qui avaient subi la catastrophe naturelle causée par l’éruption volcanique en 79 ne doivent pas être oubliées. Car elles nous permettent de connaître la vie des Romains et leur mobilier. Ensuite, les Romains étaient capables d’adopter de différentes cultures : égyptienne,

67 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D.,( Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000) (première édition en 2002, New Jersey (Etats Unis) : Prentice Hall), Beijing : 中国林业出版社 (Zhongguo Linye Chubanshe), 2014, p.10. 72 assyrienne, perse et grecque. Cette capacité leur avait permis de faire progresser leur économie, leur art et leur mobilier. Les sièges romains ne sont pas une simple mimésis. Des éléments étrangers y sont invités. Par exemple, du mobilier perse, on prit la forme végétale dans des jambes des sièges avec quelques transformations et variations. Ces Romains interprétaient d’autres caractères pour créer leur propre style et pour construire une identité proprement romaine. Si nous nous permettons de prendre une comparaison humanisée selon les caractéristiques des sièges grecs et romains, ils peuvent être des frères et soeurs. Le siège grec serait la sœur, élégante et pensante par sa ligne courbe et sa structure à proportion juste et son sens de l’humanisme, alors que le siège romain serait le frère, dynamique et ambitieux par sa grandeur, sa lourdeur et sa droiture. Le dernier point est que la composition culturelle avec l’intervention du caractère romain conduisit à l’ostentation typiquement romaine dont les facteurs sont la grandeur, la splendeur et le luxe, dont on s’inspira peu à peu à partir de la Rennaissance et cette inspiration connut son sommet au temps du baroque.

Chapitre V

Le confort et l’inconfort dans la chaise ecclésiastique du Moyen Âge

(env. 476 - 1453 av.J.C.)

Avec la chute de Rome en 476, la prospérité économique et culturelle fut remplacée par la prospérité religieuse. Les meubles du moyen âge, s’appropriant l’architecture gothique, reçurent des propriétés ecclésiastiques. La religion qui influençait le mobilier tout au long du moyen âge causa un double problème : l’inconfort contre le confort. Bien que le Moyen Âge recouvre plus de mille ans d’histoire : de la chute de l’empire romain occidental en 476 à la Renaissance en 1453 et aux grandes découvertes des Amériques en 1492, il y avait très peu de mobilier dans les familles aisées ou pauvres. Les seuls sièges remarquables étaient les chaises du Clergé, utilisées dans les cathédrales.

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I Les sièges du Clergé médiéval et le gothique.

Figure 25. Â gauche : Une chaire médiévale françasie. Figure 26. Â droite : un portrait imaginaire du roi français, Charlemagne, par le peintre allemand Albrecht Dürer en 1512.

Regardons d’abord un exemple de fauteuil ecclésiastique médiéval français (fig. 25). Le front et le dossier empruntent les éléments typiquement gothiques des cadédrales médiévales : des arcs en ogive, des ornements des feuilles, des pinacles. Du point de vue de la proportion des composants du fauteuil, c’est le dossier qui, avec la distinction de sa hauteur, se présente comme la partie la plus importante, manifestant une divinité, un pouvoir et probablement une protection mentale. Cette chaire montre que les sièges du Clergé médiéval furent aussi gothiques en conformité avec l’architecture gothique. Comme la cathédrale gothique, le siège

74 ecclésiastique médiéval devait s’adresser au symbole de l’identité du Clergé qui voulait souligner sa puissance religieuse sur la société.

II La condition.

Pourquoi il y avait peu de mobilier au Moyen Âge ? Pourquoi le Clergé fut-il le seul à posséder des sièges de haute qualité ? Comment les sièges du Clerger se caractérisent-ils ? Les deux premières questions sont reliées à la chaise et aux clercs. Dans la troisième question, nous découvrons aussi le confort et l’inconfort de la chaise ecclésiastique et une limite qui conditionne à la fois le Clergé et le peuple. Nous aborderons d’abord deux premières questions. Leslie Pina dit qu’au Moyen Âge, « il n’y avait ni opportunités ni raisons d’accumuler du mobilier comme une possession ou comme ameublement intérieur68» . Les chambres et les meubles polyvalents étaient préférés. Par exemple, un banc pouvait être utilisé comme lit, un lit comme siège ou table à écrire, les coffres doubles devenaient siège, un siège pouvait également être modifié en coffre. Selon Leslie Pina, il y a quatre raisons qui causèrent ce phénomène. La première explication possible et acceptable en partie est que le savoir-faire technologique était perdu après le déclin de Rome, même s’il y avait quelques artisans qualifiés qui avaient survécu pendant les guerres, il n’y avait certainement pas suffisamment d’artisans qualifiés pour faire des meubles de bonne qualité. La deuxième raison est que le peuple avait d’autres propriétés que les beaux meubles. Les riches préféraient les meubles qui étaient plus petits et plus portables. A leur avis, le mobilier n’était que l’extension fonctionnelle de la maison, c’étaient les navires et la vaisselle qui leur paraissaient plus intéressants. Pour les pauvres, la nourriture était plus importante que les propriétés, car ils pouvaient s’asseoir sur le sol sans table ni ustensile. La troisième explication est qu’un certain nombre de formes artistiques ne disparurent pas tout à coup après la chute du Rome, elles existaient encore à petite échelle. Les formes artistiques survécurent pendant l’Age des

68 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 16. 75 ténèbres, pendant lequel les matériels précieux étaient utilisés par les grands artistes et artisans, ce fut également le cas au Moyen Âge69. Le travail des métaux, des émaux, des ivoires gravés, des tissages était hautement développé au Moyen Âge, mais ces objets de luxe n’étaient financièrement supportables que pour une petite fraction de la société, c’est-à-dire la classe supérieure. Seul un petit nombre d’artisans qualifiés à l’époque travaillèrent pour les cathédrales et l’état70. Au-delà de ces trois raisons, il faut ajouter aussi que la condition sociale particulière du Moyen Âge fut un facteur important qui décida de l’utilisation et de la fabrication des sièges. Les rois et les seigneurs médiévaux étaient nomades et ils n’avaient pas de vie sédentaire. Pour s’adapter à l’environnement à l’époque, ils se déplaçaient souvent en laissant leurs maisons sans surveillance. C’est la raison pour laquelle ils fabriquèrent moins de meubles. D’ailleurs, selon Leslie Pina71, les Européens médiévaux ne voulaient pas accumuler leurs richesses sous forme de mobilier. Les personnes vivant à l’aise distribuaient leurs patrimoines à la charité et à la religion. Les riches corrompaient aussi les officiers et louaient ou soutenaient les armées. L’ambition politique personnelle était de monter dans l’échelle sociale. Mais quelle que soit l’ambition personnelle, tout le monde avait un point commun : la croyance religieuse. La religion et la politique furent au Moyen Âge toutes deux importantes et inséparables, car tout le monde cherchait une consolation religieuse délivrée probablement par la divinité ou une doctrine qui pouvait orienter la vie. Cet espoir ne put être assuré que par les clercs qui étaient censés transmettre les idées de Dieu. Dans la société européenne médiévale, le Clergé était le plus sédentaire et le plus respecté, le plus riche, possédant les matériels de luxe y compris les sièges. Dans l’assemblée générale de Charlemagne, selon Jean Favier, il y avait des comtes, mais aussi des évêques et d’autres personnes72. Entre la religion et la politique, il est difficile de dire qui conditionnait qui. Il est certain que dans la religion il y avait la politique et dans la

69 Ibid., p. 25. 70 Ibid., p. 25-26. 71 Ibid., p. 16. 72 Jean Favier, Charlemagne, Paris : Fayard, 1999, p. 243. 76 politique la religion. Cela peut se voir dans les éléments représentés dans le portrait imaginaire du roi français Charlemagne (fig. 26) : les vêtements du roi, les signes marqués sur la peinture, etc. Ce portrait fut l’œuvre du peintre allemand Albrecht Dürer (1471 - 1528) en 1512. Cette relation complexe se fut traduit en une sévérité s’ajoutant à la chaire gothique médiévale.

III L’inconfort physique contre le confort spirituel.

Nous parlons maintenant de la troisième question concernant des caractéristiques des sièges du Clergé. Les meubles du Clergé étaient de style « ecclésiastique ». La forme et la décoration des meubles étaient cohérentes avec l’architecture religieuse. Leslie Pina a remarqué que les ecclésiastiques prêchaient la Vertu de l’inconfort, et que la découverte, l’avantage et la demande de confort ne commencèrent que quelques siècles après73. Le Clergé ne cherchait pas de confort physique dans le mobilier, que cherchaient-ils alors ? A travers les chaises médiévales, qui étaient larges, portant un large et haut dossier et parfois des accoudoirs extrêmement hauts ou abrités par un baldaquin délicat, nous voyons un autre confort - le confort spirituel. Si la personne se mettait sur cette sorte de chaise, elle se sentait probablement protégée et en sécurité. Si les ecclésiastiques prêchant l’ascétisme cherchèrent l’inconfort physique dans le mobilier, c’est pour que l’inconfort physique leur rende le confort spirituel. Alors, que était ce confort spirituel dans la chaise gothique en particulier ? La France est à l’origine du style gothique qui se présente essentiellement dans l’architecture religieuse : les cathédrales et les monastères, mais aussi dans le mobilier. Un des caractères des sièges gothiques est la hauteur. Comme l’architecture gothique, les sièges gothiques semblent monter vers le ciel pour communiquer avec Dieu. Le siège de la chaise, les accoudoirs et le haut dossier constituent un espace particulier consacré au Clergé, pour qui il s’agit d’une place divine leur donnant une sorte de sublimation spirituelle.

73 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit., p. 20. 77

IV La limite de la chaise ecclésiastique.

D’un côté, la chaise ecclésiastique romaine et française adressée uniquement au Clergé représente la divinité et de l’autre côté, elle représente aussi une limite. C’est une limite autant pour le peuple ordinaire que pour le Clergé lui-même. D’abord, il était interdit pour le peuple ordinaire de toucher et d’utiliser le siège qui fut la place privée de Dieu, dont le porte-parole était le Clergé. Cette limitation existait pour toute la vie quotidienne du peuple. Le Clergé avait influence très forte sur toute la vie du Moyen Âge74, ils proclamèrent posséder la clé unique de la porte unique vers le ciel 75. Le Clergé fut logiquement le chemin unique vers le ciel, les paroles des clercs furent les ‘remèdes’ uniques qui pouvaient sauver le peuple. Ce dernier fut conditionné dans cet environnement mental. D’ailleurs, en limitant la vie du peuple, le Clergé se limita mentalement à sa place privée - la chaise bien entourée pour le protéger. Cette situation sociale très limitée ne tint pas longtemps. Dès l’an 1200, une nouvelle institution de l’éducation apparut - l’Université, qui remplaça peu à peu les Ecclesiastiques76. Il semble que le siège gothique, marqué par sa hauteur, sa rigidité et sa sévérité, toucha sa fin dés l’apparition de la Renaissance, mais il futà nouveau acceptéà partir du XVIIIe siècle. La chaise (la chaire) délicate fut consacrée aux Ecclésiastiques, elle fut donc rarement utilisée dans la vie quotidienne. Ce furent le tabouret et le banc souvent simples et rudes que l’on utilisait pour les repas77. A la fin du Moyen Âge, avec une vie plus sédentaire, les maisons et les intérieur devinrent plus élaborés qu’auparavant. Le peuple voulut sortir de la limite religieuse. La richesse et le pouvoir sociaux, tenus par les Ecclesiatiques, allaient être répartis. Le concept de la valeur de l’humanité allait changer massivement à la fin du Moyen Âge. C’est ainsi qu’arriva l’âge de la Rennaissance.

74 Roy T. Matthews et F. De Witt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 276. 75 Ibid., p. 277. 76 Ibid., p. 282. 77 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 41. 78

Conclusion :

Les éléments sociaux médiévaux tels que la vie nomade, l’utilisation préférée de la richesse dans la religion et dans la politique, décidèrent de la quantité très modeste du mobilier médiéval. Puisque la religion fut très recherchée, le Clergé fut donc très respecté et soutenu financièrement et par conséquent riche. Ce sont ses clercs et êveques qui possédèrent les chaises de haute qualité : les chaises (chaises) gothiques. Ces dernières ne furent pas censées donner le confort physique au Clergé, mais l’inconfort physique. Elles furent censées leur donner un confort mental : une consolation. La chaire ecclésiastique, en abritant et en protégeant un clerc dans son espace intérieur, causa aussi le problème de l’intériorité et de l’extériorité. Ce qui se met à l’intérieur ne saurait pas en sortir tandis que le public qui se trouve à l’extérieur ne pouvait pas être permis d’entrer à l’intérieur. Regardons dans l’art contemporain, combien d’artistes ont-ils convié ce paradoxe dans leurs travaux artistiques ?

Chapitre VI

Le siège et la richesse

La Renaissance et le baroque

(XIVe - XVIIe siècle)

La civilisation artisanale antique : romaine, grecque, orientale et égyptienne ne put pas s’étendre dans l’ambiance toute religieuse du Moyen Âge, elle fut cachée pendant plus de mille ans avant qu’elle soit reconnue, interprétée et développée au XVe siècle - l’âge de la Renaissance. Ce mouvement humaniste apporta non seulement les fruits artistiques, mais aussi la reconnaissance des styles antiques du mobilier : en particulier les styles romains et grecs, et lançant en même temps un conflit à l’égard des religions. Mais quel est l’élément important qui peut être le moteur de ce mouvement? Le fait que l’évolution de la Renaissance au baroque est ambiguë nous détermine de parler consécutivement des meubles de ces deux périodes. Nous commençons par le discours sur la richesse matérielle en regardant quelques sièges.

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I, La richesse matérielle.

La rareté du mobilier médiéval fut essentiellement le résultat de la richesse sociale détenue uniquement par tel ou tel petit groupe : le Clergé et les Rois, et celui de la vie nomade, pendant une longue période ‘noire’, tandis que l’art de la Renaissance, y compris le mobilier, fut le résultat direct de la fortune individuelle et nationale dans une époque plus lumineuse que le Moyen Âge. Comment cela fut-il possible ? La richesse fut accumulée de trois façons essentielles : les guerres agressives, les exploitations de nouveaux continents et le commerce international du XVe au XVIIe siècle. D’abord, la redistribution de la richesse sociale conduisit à la redistribution du pouvoir au XIVe siècle. Et puis, la possession du pouvoir et de la richesse causa la manifestation de ce pouvoir et de cette richesse. Les gouvernants européens cherchèrent à montrer de toute manière, en particulier par les décorations luxueuses dans le mobilier de la Renaissance et les décorations extravagantes dans le mobilier du baroque. Selon L’histoire du mobilier édité par CHEN Yu Shu78, les banquiers italiens, comme la famille Médicis, contrôlaient l’argent et la politique. Ils utilisaient aussi leurs richesses et leur pouvoirs d’une façon profitable en mécénat pour les arts en grande mesure. Quatre générations de la famille Médicis, dont la première fut Giovanni di Bicci De Médicis (1360-1429) , la deuxième fut représentée par Cosimo (1389 - 1464) , la troisième compta Piero, la quatrième Lorenzo et Giuliano, gouvernèrent jusqu’en 1494, lorsque l’armée française de Charlie VIII envahit l’Italie. Grâce au souttien éononomique des riches, les artistes italiens pouvaient exprimer librement leur art. Ainsi naquit la Renaissance à Florence au XVe siècle. Au début du XVIe siècle, elle se produisit en France, en Espagne. A la fin du XVIe siècle, elle commença à se produire en Angleterre et en Allemagne. Selon l’historien de l’art anglais, Simon Schama79, l’auteur de L’embarras des richeses, qui s’est spécialisé dans l’histoire de la France et l’histoire de la Hollande, au temps de la

78 陈于书 (CHEN Yu Shu), 熊先青 (XIONG Xian Qing),苗艳凤 (MIAO Yan Feng), 家具史 (jia ju shi) (L’histoire du mobilier), Beijing : 中国轻业出版社 (Zhonguo Qinggongye Chubanshe), 2009, p. 21. 79 Simon Schama, The embarras of riches ( L’embarras des richesses), New York : Vintage, 1997, p. 304. 80

Renaissance et surtout du baroque, les Hollandais s’engagèrent avec enthousiasme dans la poursuite des biens et des plaisirs qui s’opposaient au Clergé. Ils possédaient une abondance de richesses essentiellement venues des guerres ou des échanges commerciaux grâce au développement avançé de la navigation. En tout cas, ces richesses venaient des pays étrangers. Trois événements principaux peuvent expliquer l’obtention de la richesse depuis XIVe siècle. Le premier élément, selon Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C. - 2000 80, concerne la redistribution de la richesse et du pouvoir à l’issue d’une catastrophe causée par une maladie s’étendant sur le territoire européen. Au XIVe siècle, la peste bubonique, la mort noire, avait tué un tiers de la population européenne. Pourtant cette catastrophe meurtrière conduisit à un résultat positif pour les survivants : la redistribution de la richesse et du pouvoir. Moins de personnes se redistribuaient non seulement plus de terre, nourriture, possessions et opportunités de réussir, mais aussi plus de pouvoir. Après le chaos et le nettoyage, l’Europe commença une transition vers une nouvelle structure sociale, économique et politique. Le deuxième élément, selon Les humanités occidentales 81 , concerne deux événements :l’exploitation des nouveaux continents ainsi que les guerres agressives qui amenèrent une grande fortune pour certains pays européens. De 1618 à 1648, l’Europe vécut une longue guerre de trente ans. Le pays le plus influencé fut l’Allemagne. Politiquement et financièrement, la guerre affaiblit l’Espagne. La Hollande et la Suède profitèrent de la guerre en grande mesure et cela rendit leurs pays puissants pendant la deuxième moitié du XVIIe siècle. Mais ce fut la France qui gagna le plus pendant la guerre. Ces résultats différents influencèrent certainement le mobilier local dont la fabrication est dépendante du niveau de l’économie tandis que la forme est dépendante du goût du peuple. L’exploitation des nouveaux continents, par exemple, l’Amérique, avaient permis à l’Espagne d’amasser une grande fortune et d’entrer dans une époque prospère au XVIe

80 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit., p. 30. 81 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 429 – 431. 81 siècle.82 Cette richesse ajoutée avait permis le développement du mobilier espagnol. Sa voisine, la France, grâce au pouvoir de Louis XIV, gagna la puissance politique absolue en Europe. Cette réussite plaça à partir de cette époque la France au premier rang dans tous les domaines : l’économie, la politique et les arts y compris l’art du mobilier. Le troisième élément, est lié au commerce international. C’est le cas des Pays-bas et de l’Allemagne qui se libérèrent de la papauté italienne. Ils remplacèrent au XVIe siècle la place de l’Italie et devinrent autonomes dans les affaires bancaires et les marchés. Cette autonomie amena pour ces deux pays du Nord une prospérité économique qui amena ensuite la prospérité artistique et artisanale. 83 Les Pays-bas et l’Angleterre, grâce à la navigation maritime, devinrent le centre du commerce. C’est ainsi que l’importation des objets étrangers devint possible.84 Avec ceux-ci, l’art oriental : indien, japonais et chinois, fut amené en Europe et exerça une influence sur l’art européen.

II La manifestation de la richesse matérielle.

L’obtention et l’accumulation de la richesse conduisirent à la manifestation de la richesse dans des objets. Ce fut le cas chez les gouvernants européens qui financèrent largement l’art et l’artisanat pour montrer leur richesse et leur pouvoir, et pour rendre leur vie aisée. Au-delà des maisons, le mobilier est aussi un bon moyen pour traduire cette ambition des riches. Depuis la Renaissance, la chaise n’était plus le privilège de l’aristocratie en Europe, elle fut massivement polularisé dans les familles économiquement capables de la posséder. Les tableaux hollandais de l’époque qui figurent souvent les femmes assises sur des chaises au cours d’un travail domestique peuvent démontrer cette popularisation. Ainsi, Simon Schama montre dans L’embarras des richesses quelques œuvres picturales de Pieter de Hooch, dans lesquelles les meubles sont luxueux. Selon Simon Schama, au XVIIe siècle, l’économie d’Amsterdam avait déjà fleuri, tandis que d’autres villes hollandaises étaient encore épuisées

82 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit., p. 36. 83 Ibid., p. 45. 84 Ibid., p. 54. 82 dans les guerres civiles et étrangères85. Il y avait partout de hautes maisons, parfois de quatre étages, décorées avec des marbres, et le sol avait des incrustations d’or, des tapis, des tableaux, des meubles, des ornements orientaux, etc.86 Amsterdam était décrit par quelques écrivains hollandais comme un paradis de consommateurs87. Cette description est importante, car le développement du mobilier n’aurait pas eu lieu sans l’impulsion de la consommation de mobilier. On ne fabriquait pas des meubles pour les mêttre en réserve mais pour en vendre et en consommer. Nous parlons maintenant de la manifestation de la richesse dans le siège en regardant les exemples suivants.

II-I Le fauteuil italien. Dans cette partie, nous parlons d’abord d’un exemple de la Renaissance italienne et puis d’un autre exemple du baroque italien.

Figure 27. Fauteuil de Dante, Renaissance italienne

Ce fauteuil (fig. 27) est le ‘Fauteuil de Dante’. Ce nom est issu du poète italien Dante Alighieri (1265 - 1321) qui aimait beaucoup ce type de fauteuil probablement pour trois

85 Simon Schama,The embarras of riches ( L’embarras des richesses), op.cit., p. 300. 86 Ibid., p. 303. 87 Ibid., p. 298. 83 facteurs particuliers : la légèreté, la commodité et l’élégance. La simplicité de la structure en forme X rend le fauteuil plus léger et pliable. Il est donc commode de le transporter pour des usages différents, par exemple, le repas ou la lecture. La forme en X ressemble à un animal prenant toute sa force pour tenir le siège. La partie supérieure du X paraît plus large et donc plus forte pour s’adapter à la taille de la perssone, tandis que la partie inférieure paraît plus petite et plus modeste et tient moins de place. D’ailleurs, les deux formes en X ressemblent à deux animaux tenant le siège et marchant vers l’avant.La forme en X est à d’origine romaine : la curule. Mais le fauteuil de Dante est largement amélioré et donc plus avancé que la curule romaine. Ce type de chaise est marqué aussi par une autre chaise appelée Savonarole souvent équipée avec un coussin. Avec ces nouveautés et les particularités, ce type de fauteuil suivant la voie de l’art de la Renaissance se donne un sens artistique. Selon Leslie Pina88, le mobilier de la Renaissance italienne qui est le dernier article de la liste des priorités artistiques médiévales, fut au départ influencé par le style gothique et le style ecclésiastique. Il suivit l’architecture depuis le milieu du XIVe siècle et devint finalement une forme artistique. La relation entre l’architecture, l’ornementation et le mobilier commença à se développer particulièrement à Florence. Ce fauteuil qui porte un léger sens intellectuel montre l’intention de se libérer du règne de la religion, d’être soi-même et de vivre librement. Dans les Humanités Occidentales, Roy T.Matthews et F. De Witt Platt disent que pendant la première époque de la Renaissance italienne, soit au XVe siècle, les penseurs et les artistes cherchèrent l’inspiration à Rome et dans la Grèce classique et ils commencèrent à réfléchir aux questions concernant l’essence de l’humanité, le rapport entre l’humanité et Dieu, et la meilleure façon d’atteindre le bonheur, etc.89

88 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 31. 89 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 343. 84

Figure 28. Fauteuil italien de baroque, environ1700.

Nous parlons maintenant d’un fauteuil italien de baroque (fig. 28) dont l’origine stylistique est française, dans lequel ce sont les ornements extravagants qui attirent notre attention. Le siège et le dossier tissés d’un dessin sophistiqué qui représente l’architecture romaine et grecque sont tous deux rembourrés, donnant un grand confort. Ce qui est le plus remarquable, ce sont les parties exagérément sculptées. Deux statuettes en forme d’enfants s’étendant confortablement sont ajoutées dans les parties situées entre les accoudoirs et le dossier. Deux autres en forme d’hommes solidement debout sont sculptées en tant que parties supérieures des avant-pieds supportant les accoudoirs. Les parties inférieures des avants pieds ressemblent aux colonnes architecturales. Les traverses en forme de X situées en bas du siège, avec un support vertical au milieu, sont inspirées des traverses de la table du Moyen Âge. Malgré sa forme rude, ce siège porte un sens humain présenté par les statuettes de l’homme. Au-delà de l’humanisme, le mobilier baroque italien devint une étiquette positive de

85 la richesse et du pouvoir, et cela dût à la technique avancée de la fabrication du meuble et à l’esthétique. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, le baroque italien vit son sommet.

II-II Les sièges français.

Figure 29. Fauteuil français de Renaissance, noyer, 1570.

Il est évident que ce fauteuil de la Renaissance française (fig. 29) reflète encore une influence de l’architecture gothique avec un certain sens religieux. Le dossier fut sculpté en forme de fenêtre en haut de laquelle il y a quatre formes ovales ressemblant aussi à des fenêtres. Dans la partie supérieure du dossier qui est en forme de coupole architecturale, nous voyons les motifs inspirés de l’Antiquité romaine. L’ensemble du dossier ressemble parfaitement à un mur en miniature. Les pieds prennent la forme de colonnes architecturales gothiques. Il semble que le fabricant de ce fauteuil chercha à construire une ‘pièce’ particulièrement gothique dans laquelle la personne puisse se reposer. Il chercha aussi la solidité et la sécurité. Mais au-delà de ces caractéristiques, il y a aussi une sorte de sévérité par la régularité des accoudoirs et du dossier.

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Si nous le comparons avec le fauteuil ecclésiastique du Moyen Âge, qui était extrêment haut et droit, ce fauteuil incarne déjà plus ou moins un sens d’humanité que rechercha la Renaissance italienne, puisque la taille de ce fauteuil est plus humaine et les « colonnes » plus actives. En France, la rencontre avec la Renaissance italienne commença par l’expédition militaire française en Italie au XVIe siècle. Cette invasion amena en France la Renaissance italienne par les Nobles. D’un côté, les artistes italiens furent employés par la royauté française, de l’autre côté, les artistes français furent envoyés en Italie pour étudier l’art italien. Les styles de la Renaissance italienne furent introduits sous Charles VII, Charles VIII et François I. Cette rencontre conduisit-elle à une assimilation artistique ? Malgré « de nombreuses innovations de l’Ecole de Fontainebleau, l’attitude des Français à l’égard du mobilier et de son utilisation, en particulier à la Cour, restait fondamentalement conservatrice90», dit Edward Lucie-Smith. L’hésitation du public pour la Renaissance reflète une préférence pour le mobilier gothique, puisque ce style était encore influent à l’époque, bien que le style de la Renaissance italienne fût superficiellement assimilée avec les formes médiévales. Le même mouvement se passa dans d’autres pays européens : les Pays-bas, l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre qui ajoutèrent quelques conceptions dans leur mobilier traditionel. De toute façon, le sens de l’humanité devint de plus en plus clair. Par exemple, certains sièges français, qui n’avaient plus de coffre sous le siège, étaient plus ouverts ; les accoudoirs étaient souvent ornés de figures utilisés en Grèce antique et d’images d’animaux. Les jambes sont souvent en forme de colonnes grecques ou romaines. Il semble que le siège français du XVIe siècle commence à éviter l’obscurité au profit de la clarté. A partir du XVIIe siècle, pour le confort, l’utilisation des coussins commença. C’est à ce moment-là que la France entra dans le baroque. Les sièges du baroque français se rapprochent de ceux des Italiens et s’expliquent par cinq qualités. La première qualité est le confort. Comparé avec le fauteuil baroque italien, ce fauteuil semble pouvoir donner plus de confort : non seulement le dossier et le siège sont rembourrés, les accoudoirs le sont aussi ; le dossier s’incline pour que le dos puisse s’y appuyer plus confortablement. La deuxième est la nouveauté. Bien que l’utilisation des lignes

90 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 62. 87 courbes se retrouve dans le Klimos de la Grèce antique et que la forme des pattes des animales puisse se voir déjà dans la chaise égyptienne antique, les jambes incurvées furent créées par les Français (ou par les Chinois ?). La troisième est l’harmonisation présentée dans les dessins soigneusement et délicatement peints et gravés qui correspondent parfaitement à la taille du fauteuil, mais aussi dans la proportion de l’ensemble de la structure, à savoir que la taille du fauteuil correspond bien à celle de l’être humain. La quatrième est la beauté présentée par la ligne courbe. Tous les éléments sont courbes y compris les dessins, les éléments en bois. Visuellement et psychologiquement, un fauteuil avec les lignes courbes paraît doux et manifeste une affinité pour la personne. La cinquième est la technique avancée. Cette question peut faire appel aux artistes de la Renaissance italienne, qui furent très attachés à la présentation. Un grand nombre d’artistes italiens furent aussi des scientifiques, par exemple, Léonard De Vinci. Le progrès scientifique donna aussi une impulsion à l’art. Dans cette atmosphère scientifique, il est tout à fait normal que les fabricants de mobilier s’attachent à la recherche de la technique de fabrication : la couleur, la proportion et la manipulation. Jusqu’à l’âge du baroque français, la technique de fabrication de mobilier fut très développée et le mobilier même devint plus scientifique. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la France devint le pays européen le plus puissant sous le règne de Louis XIV qui contrôla non seulement la nation, mais aussi le commerce, la science et les arts. Le soutien et la direction de la royauté, qui poussèrent le développement de l’art français du XVIIe siècle, amena directement un nouveau style de mobilier : Louis XIV. En tant que monarque, Louis XIV a choisi le « Soleil » comme symbole. Il faut dire que c’est un très bon choix, car dans les termes de la philosohpie chinoise, le ‘Soleil’ représente le ‘Yang’ qui engendre toutes choses en donnant l’énergie nécessaire à tous les êtres vivants. Ce choix démontre que l’observation scientifique archaïque chinoise sétait engagée dans une bonne voie selon la science avancée d’aujourd’hui. Le «Soleil» de Louis XIV éclaira non seulement son pouvoir : le Palais de Versailles était construit en tant que symbole de son règne, mais il éclaira aussi les arts : Louis XIV soutint les artistes, les artisans et les architectes, en leur donnant des appartements et des ateliers au Louvre. Cette offre généreuse pourrait aussi être considérée comme une sorte d’énergie que le « Soleil » nous donne. C’est un geste à la fois politique et artistique sans lequel l’art français à l’époque n’aurrait pas pu 88 connaître une telle prospérité. Au milieu du XVIIe siècle, les artistes et les artisans français, indépendants de la Renaissance italienne, commencèrent à présenter une originalité sans précédent. Les éléments classiques, selon Leslie Pina, étaient encore utilisés mais souvent « interprétés voire déformés, ou intégrés avec la sculpture91 ». Il est vrai que le baroque français, selon Leslie Pina, paraissait dramatique et dynamique92. Par exemple, l’architecture du baroque français est « théâtrale et complexe93 ». Puisque le mobilier est influencé par l’architecture, il devait être aussi théâtral et complexe, comme nous le voyons déjà dans le fauteuil du baroque français présenté dans cette partie. L’art fut financièrement et politiquement soutenu par la royauté et pour la royauté même, à savoir que l’art baroque français fut un art royal qui eut pour objectif de symboliser la richesse, le pouvoir et le succès de la politique intérieure et extérieure. Le problème qui se trouve derrière la richesse dépensée pour le luxe et le confort est que, si le mobilier de Louis XIV peut représenter l’humanité, cette dernière n’est limitée qu’à la classe royale, ne concernant en rien le peuple ordinaire qui travaille dur pour l’Etat. Si cette « humanité » est authentique pour la royauté, elle ne serait qu’un simulacre pour le peuple ordinaire. Cela constitue une contraste ironique qui devait causer d’autres problèmes sociaux.

III L’influence orientale en Europe.

Le XVIIe siècle est marqué par des échanges dans divers domaines entre les nations, en particulier entre l’Europe et l’Orient. La Hollande et l’Angleterre devinrent les centres du commerce dans lequel il y avait la porcelaine importée de la Chine et les marchandises laquées importées du Japon. Le résultat de ces échanges est inimaginable : l’art asiatique oriental fut incarné dans l’art européen. Nous pouvons trouver la cause de ce phénomène dans la société de l’époque. L’Europe du XVIIe siècle connut des bouleversements, selon Les Humanitées

91 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 43. 92 Idem. 93 Idem. 89

Occidentales94 : la souffrance sociale à l’issue de la guerre religieuse caussée par la Réforme de religion avant la deuxième moitié du XVIIe siècle, une expansion territoriale et une lutte contre les empires étrangers à partir de deuxième moitié du 17e sicèle, de grandes découvertes scientifiques et un grand changement intellectuel. L’instabilité sociale européenne du XVIIe siècle implique que beaucoup de choses devaient changer et elles furent effectivement en train de changer : la réforme de la religion, l’élargissement des frontières nationales, le changement des méthodes du commerce, le développement de la science, le changement intellectuel et les échanges culturels. C’est dans cette atmosphère que commença le commerce international qui amena directement les échanges culturels. C’est ainsi que l’influence orientale s’exerça, par la circulation du commerce international et la diplomatie, sur les arts occidentaux, y compris le mobilier. Edward Lucie-Smith dit que « les Indes et autres pays voisins constituaient une nouvelle source d’importation de meubles95 » . Par exemple, le cannage indien, un matériau léger, avec lequel on peut faire les dossiers du siège, était une ressource importante pour l’Europe.Tous les produits indiens étaient privilégiés grâce à leurs prix qui étaient très bas par rapport aux prix des produits fabriqués en Europe. Mais à la fin, c’est aussi à cause des prix qui étaient très bas que les produits indiens furent rejetés. Il est évident que le goût des Européens avaient changé avec le temps. Quand le statut de la personne est élevé, elle exige que ses possessions correspondent proprement à son statut. Le matériau est un élément décisif et significatif dans la classification sociale. Bref,un matériau qui est moins cher ne saurait représenter un statut élevé. C’est ainsi que l’ébène, un matériau très cher car il possède de grandes qualités:solidité et dureté, devint le premier choix. Il est intéressant de remarquer que la qualité du matériau mort peut dans beaucoup de cas représenter la ‘qualité’ de la personne vivante. Après tout, l’influence orientale à cette époque n’était qu’à ses débuts, nous ne voyons pas de vrai changement de style à l’issue des échanges commerciaux, mais elle annonça une nouvelle époque où nous voyons quelques modifications dans le mobilier européen.

94 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 425. 95 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier,op.cit. p. 72. 90

IV La richesse matérielle et le travail.

Dans les lignes précédentes, nous avons tenté de prouver qu’au cours du développement du mobilier de la Renaissance au baroque, l’impulsion décisive est incontestablement la richesse matérielle et la quantité croissante de la richesse conduisit à la croissance des éléments de luxe dans les meubles. Cette croissance des ornements conduisit ensuite à la complexité de la forme qui caractérise le siège baroque français. Par conséquent, nous ne pouvons pas parler du luxe du baroque sans parler de la complexité de la forme des meubles :ornements et structures. Cette complexité n’est possible qu’avec le travail humain. Précisément, dans l’évolution qui va de l’accumulation de la richesse matérielle à la manifestation de la richesse matérielle et puis à la complexité des motifs des éléments souvent dorés et donc luxueux, il y a un double travail. Ce phénomène qui eut lieu depuis la Renaissance où l’on vécut l’embryon du capitalisme occidental, nous permet de parler du rôle du travail dans la fabrication d’un siège luxueux. 1, La première sorte de travail se trouve dans le processus de l’accumulation de la richesse matérielle qui est la plus-value du capitaliste : (schéma 5)

Schéma 5. Le premier travail

→ une grande quantité de travail Du travail à la richesse (plus-value) (satisfaction matérielle)

D’abord, l’accumulation de la richesse exige obligatoirement une quantité de travail (labeur), simplement parce que c’est le travail qui produit la richesse. Il n’y a pas de richesse matérielle et intellectuelle qui soit fabriquée sans le ‘travail’. Le ‘travail’ se situe dans le centre de la pensée de Karl Heinrich Marx (1818-1883) pour qui le travail crée tout y compris la beauté. Son admirateur et successeur fidèle Friedrich Von Engels (1820 - 1895) dit : « Le travail et la nature sont toutes les sources de la richesse ». Un travailleur (ou un employé) pouvait posséder une certaine partie du fruit de son travail pour vivre, mais dans le sens du Capitalisme, c’est le capitaliste (ou un employeur) qui en possédait d’avantage. Ce dernier ou

91 ce qui possède de la richesse, pour manifester son autorité de posséder de la richesse, fait ou fait créer quelque chose qui puisse en être un emblème. Ce désir va être réalisé par le deuxième travail. 2, La deuxième sorte de travail se trouve dans le processus de la manifestation de la richesse matérielle dans le processus de la fabrication d’un objet : (schéma 6)

Schéma 6. Le deuxième travail

→ une grande quantité de travail De la richesse matérielle à l’objet de luxe (satisfaction spirituelle)

Précisément, quand vient le désir de présenter telle fierté, on s’éfforce normalement de chercher des médias expressifs en tant que moyens de communication avec le public, tels que peintures, maisons, vêtements et meubles, etc. Pour réaliser tout cela, il faut que le capitaliste dépense une partie de la richesse matérielle pour payer une quantité de travail qui assure la fabrication de tel objet. Comme le principe dans le processus de l’accummulation de la richesse matérielle, la quantité et la qualité de travail déterminent la quantité de la richesse matérielle déterminant la position sociale qui est une fierté pour le capitaliste. Une grande quantité de travail peut généralement engendrer trois sortes de choses dont la première peut être la grande quantité des objets, mais cela ne fait pas partie de l’âge baroque. La deuxième peut être le raffinement de l’objet. La troisième est souvent la complexité des éléments des objets. Dans le cas de style baroque, les deux dernières caractéristiques étaient souvent opérées en même temps. C’est-à-dire que l’on adoptait des motifs complexes et raffinés dans des éléments des meubles. Bref, la complexité des meubles n’est pas possible sans le double travail : le travail qui obtient de la richesse matérielle : la plus-value et le travail qui fabrique l’objet destiné à manifester la richesse matérielle obtenue. Toutes ces activités capitalistes eurent lieu dans toute la société européenne au temps de la Renaissance et du baroque. Les richesses matérielles furent obtenues par le système du capitalisme ou par des guerres entre des nations et quelquefois par les échanges égaux dans l’ambiance pacifique. A propos du rapport entre le

92 travail et la société, selon Karl Heinrich Marx (1818 - 1883) et Friedrich Von Engels (1820 - 1895), le travail se situe au centre de toute la société et cette dernière est l’unité du rapport de travail. Il y a toujours quelqu’un qui crée la richesse matérielle et quelqu’un qui en profite. De toutes façons, la richesse matérielle est à la fois une impulsion centrale des comportements humains et le symbole du travail humain ou un signe qui marque le travail humain dans tous les cas historiques. Dans ce sens, c’est le travail qui signifie davantage que la richesse matérielle et détermine toutes les métaphores relatives à l’humanité. La phrase qui dit que l’objet luxueux est un symbole de la richesse matérielle est correcte, mais il serait plus précis et plus juste de dire que l’objet luxueux est le symbole du travail de ce qui travaille effectivement et le symbole de l’autorité de ce qui possède la plus-value issue du travail de ce qui travaille effectivement. Le philosophe Marx96 a théoriquement suggéré des paradoxes qui existent entre le capitaliste et le travailleur ordinaire. Ici, nous en mentionnons quelques uns : Plus le travailleur produit de richesse, plus il est pauvre ; Plus le travailleur crée de marchandises, plus il est dévalorisé en tant que marchandise. Le travail procure des objets précieux pour le riche et procure en même temps la pauvreté pour le travailleur. Marx appelle ce phénomène l’aliénation. Il y a quatre aliénations qui sont issues de ce régime capitaliste, nous en citons deux qui peuvent être liées directement à notre sujet. La première, c’est l’aliénation du travailleur et du produit. Cela dit que le produit n’appartient pas au travailleur. La deuxième est l’aliénation du travail et du travailleur. Cela dit que le travailleur est obligé de travailler. Il s’agit d’une oppression, non pas d’une volonté individuelle. Enfin, c’est le capitaliste qui profite du travail aliéné et du produit aliéné. Bien qu’en 1844 Max parle essentiellement des problèmes sociaux de son temps, sa théorie est fondée sur une perspective historique et de tels problèmes ne manquaient pas avant cette époque en Occident. La théorie maxiste sur les paradoxes sociaux du capitalisme peut s’appliquer dans notre discours sur des sièges extrêmement luxueux du baroque. Quand un siège du baroque est accompli, le double travail réel est terminé, le siège est rendu à ce qui a l’autorité de le posséder. Â l’âge du baroque qui rencontra le régime

96 桑玉成 (SANG Yucheng), 马克思主义基础理论 (ma ke si zhu yi ji chu li lun) (La théorie fondamentale du marxisme), op.cit., p. 43. 93 capitaliste, la liberté et l’égalité ne paraissaient pas encore être connues de chacun, le développement des individus n’était donc pas suffisamment assuré, la société fut ainsi déséquilibrée par la relation sociale déséquilibrée. Résultat, des paradoxes se produisirent dans le luxe, la difficulté du travail, le pouvoir et l’autorité du propriétaire. Plus le luxe est excessif, plus évidente paraît la faiblesse du peuple ordinaire. Cette observation veut dire que la complexité qui se trouve dans des objets peut refléter la complexité du travail et la complexité de la relation du travail qui constitue la relation sociale. Le travail est un point central autour duquel toutes les activités sociales se passent, sans oublier la création artistique. L’idée qu’un siège de luxe puisse symboliser le pouvoir et la richesse, sous-entend le symbole de l’autorité de posséder le travail du travailleur. Plus le siège est luxe, plus forte est cette autorité. D’après cette observation, nous pouvons capturer deux points. Le premier point est que le processus de ce double travail représente la circulation et l’opération des capitaux. Ces deux fonctions conduisent généralement à deux résultats : elles peuvent accroître directement les capitaux du capitaliste et pousser en même temps le développement de la société. Le mobilier doit être inclus dans ce développement. Le deuxième point s’adresse à l’art. Le processus de double travail représente un double problème : le premier problème, le problème de la distribution de la richesse, concerne le deuxième : le problème du rapport entre la richesse et le travail. Ces deux problèmes devinrent deux problématiques suivies par les artistes qui l’abordèrent dans leurs créations artistiques. Les pionniers dans ce cas doivent être les avant-gardistes du XXe siècle. Après tout, le travail de l’homme (non pas l’œuvre d’art) est un point de départ important de la création artistique depuis le XXe siècle, le mot travail signifie davantage qu’il le fit dans les époques passées - de l’Egypte ancienne au XIXe siècle. La notion de travail adoptée dans l’art aujourd’hui peut s’adresser aux actions personnelles ou sociales. Par exemple dans la Chaise de graisse de Joseph Beuys, l’artiste montre (présente) la graisse sur la chaise pour montrer le travail des gens qui l’ont sauvé. AI Wei Wei coupe les chaises pour former les chaises anormales qui nous empêchent de les prendre. Cette action (ce travail) manifeste une certaine révolte. (nous parlerons davantage de ces œuvres dans les parties de l’art contemporain). 94

En ce qui concerne le prix d’une certaine quantité d’œuvres d’art contemporain, souvent de grande taille, dont le coût est très cher, est-ce que la richesse dépensée peut signifier d’autres choses que le pouvoir économique ou la réputation, le prestige, dans le domaine d’art? Cette question a probablement des réponses variées selon des cas différents.

Conclusion :

Depuis le XVe siècle, l’humanisme commença à être recherché et représenté dans les arts, mais il fut limité au cadre de la royauté. Grâce à l’héritage historique et au soutien financier royal, l’Italie débuta la Renaissance qui s’étendit ensuite à l’Europe. Mais d’autres pays européens influencés profondément par l’art gothique créèrent différents types de meubles d’une façon différente. Au fur et à mesure que la richesse matérielle et le pouvoir s’accumulaient, l’Italie créa le style baroque pour le mobilier qui gagna aussi les pays enropéens, mais c’est en France que ce style atteignit son apogée. Le développement de l’humanisme devint l’objectif central des activités humaines, autrement dit, l’homme travaillait pour l’homme même, de moins en moins pour des divinités. Dans la fabrication des objets y compris des sièges, des éléments religieux, par exemple des images symboliques des divinités et des anges ne furent pas rejetés, on en faisaient des éléments qui servaient à souligner l’importance et la centralisation de l’humanité. C’est une mutation à la fois sicentifique, économique, politique et donc idéologique. En fin de compte, le progrès du mobilier ou de l’art n’aurait jamais été possible sans le soutien scientifique, économique et politique. Le mobilier de la Renaissance et de baroque est par conséquent un résultat matériel issu de la mutation idéologique qui couvre essentiellement le développement de l’art, de la science, de l’économie et de la politique, etc. La richesse matérielle est un moteur de toutes les activités créatives humaines. L’obtention et l’accumulation de la richesse matérielle conduisent généralement à la manifestation de la richesses matérielle dans des objets tels que des meubles. Cette manifestation exige normalement que ces objets atteignent un luxe de haut niveau. Ce luxe suscite la complexité des motifs et de la structure des meubles.

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Derrière cette complexité matérielle, dans le cas de la Renaissance et du baroque, et dans d’autres, se cache la complexité de travail qui inclut la quantité et la qualité du travail. Le travail détermine et signifie davantage que la richesse matérielle dans notre réflexion sur l’humanisme. La complexité des motifs et de la structure du siège baroque, qui aide à souligner le luxe excessif signifie à l’apparence le pouvoir et la richesse du propiétaire et signifie l’autorité de posséder le travail du travailleur. Le processus de double travail représente des problèmes sur la distribution de la richesse, le rapport entre la richesse et le travail. Le travail devint une notion importante depuis l’art du XXe siècle.

Chapitre VII

Le mélange des styles

XVIIIe siècle

Après l’âge de baroque, l’Europe entra dans l’âge de Raison : Le siècle des Lumières. La nécessité de réformer sollicité à l’intérieur et l’influence venu de l’extérieur poussèrent l’évolution des pensées sociales du XVIIIe siècle. Cela conduisit au changement du goût social et influença la conception du mobilier. Pour s’adapter à la vie où l’on cherche, sous la Lumière des scientifiques et philosophes, la liberté d’expression, la liberté de suxualité, la liberté de développement indivuel, on avait besoin d’une légèreté autant pour le mode de vie que pour le style des meubles, parpport à l’âge de Baroque. Nous regardons d’abord deux fauteuils de Louis V. Nous parlerons après de ses raisons et à travers lesquels nous parlerons des problèmes concernés.

I Les fauteuils de style Louis XV.

Ce sont deux sièges de style Louis XV ou ‘rococo’ (fig. 30). Ils sont pourvus de trois qualités : le confort, la force ou la puissance et l’élégance. Le confort est assuré par le siège, le dossier et les accoudoirs qui sont tous rembourrés. La puissance existe dans les pieds en

96 forme de pattes d’animaux dont l’origine peut être retrouvée dans le mobilier égyptien. L’élégance est présentée par la ligne coubre appliquée dans l’ensemble de la structure de bois raffinée et variée.

Figure 30. Chaise et fauteuil de style Louis XV.

Dans ces deux sièges, il est certain que l’influence des religions est faible et des propriétés religieuses sont presque introuvables. C’est un véritable nouveau style pourvu de deux aspects remarquables dont le premier est le mélange des styles tels que gothique, baroque, chinois ; le deuxième est l’influence féminine. Premièrement, l’élément gothique se trouve dans la structure de bois dont l’ornementtation complexe procure un sens léger de sublimation religieuse. Deuxièmement, les éléments dorés donc luxueurx sont certainement inspirés du concept de baroque. Le style rococo est une réduction du style baroque, c’est-à-dire que l’on réduisit la forme complexe du baroque en une forme synthétisée mais toute aussi luxueuse. Troisièmement, le style Ming chinois exerça probablement une influence importante sur le style rococo français. Cette

97 influence s’applique dans la ligne courbe et le concept de variation des composants. Mais tous ces éléments divers furent si proprement associés par les artisans du rococo que l’on ne peut distinguer leurs origines exactes. A travers les fauteuils de style Louis XV, nous parlerons des questions concernées et des raisons de ce style.

II Le mélange des styles

Le goût Le goût a toujours été changeant. Mais il ne s’est jamais éloigné de la ligne historique. Pour cela, nous pouvons jeter un coup d’oeil sur l’évolution de l’ornementation des sièges précédents, au sens de la représentation de la puissance, du pouvoir et de l’autorité, etc. Dans les anciens meubles égyptiens, le symbole de l’animanité joue un rôle primordial. Dans les anciens meubles assyriens, le symbole des plantes joue un rôle important. Les Grecs préférèrent une forme ayant moins d’ornements et paraissant donc plus simple. les Romains reprirent les formes composées des plantes et des animaux dans des sièges. Tout à coup, ces ornements symboliques furent remplacés par les éléments religieux au Moyen Âge et repris plus de mille ans grâce à la Renaissance de l’humanisme, et atteignirent leur apogée au XVIIe siècle à l’âge baroque. Les Européens du XVIIIe siècle reprièrent les idées des anciens Grecs et Romains, mais avec une transformation. C’est aussi une création soutenue par la technique avançée, la pensée libérale et la diversité des styles internationaux. Les fauteuils de style Louis XV sont représentatifs des sièges européens du 18e sièlce. L’Europe de cette époque connut des styles remarquables dans le mobilier. En France, le rococo traversa deux périodes : la Régence et le règne de Louis XV, tandis qu’en Angleterre apparut le style de la Reine Anne et le style ‘Thomas Chipendale’. Le mélange des styles étrangers avec les styles européens devint de plus en plus sensible. Les menuisiers et les ébénistes européens manipulaient leurs meubles en mélangeant les éléments différents. Il en résulta que les éléments gothiques, les éléments chinois, les éléments baroque, etc. furent tous appréciés et utilisés avec enthousiasme. Par rapport au

98 mobilier baroque qui est luxueux, mais qui porte un sens d’oppression, celui du XVIIIe siècle dit le siècle des Lumières, paraît plus élégant et plus raisonnable, plus fin et plus confortable, en somme, il paraît plus humain.

La découverte. Le mélange des styles avait au moins deux raisons directes. Premièrement, l’Europe du XVIIIe siècle atteignit largement les quatre côtés du monde de plusieurs manières : les voyages, les échanges commerciaux, les explorations, les exploitations et les invasions. Les cultures et les régimes politiques étrangers attirèrent l’attention des Européens. Ces mouvements amenèrent directement des marchandises chinoises, par lesquels les Européens connurent le style Ming qui émergea au XVIe siècle et est marqué par le raffinement et par beaucoup d’autres caractéristiques (voir la partie du siège Ming). L’influence orientale en Europe débuta au XVIIe siècle, mais c’est au XVIIIe siècle qu’elle devint évidente grâce à la croissance des commerces internationaux. Deuxièment, la découverte du Pompéi et Herculanum, qui fut initiée en 1599, mais fut plus complète grâce à l’ingénieur espagnol Rocque Joaquin de Alcubierre (1702 - 1780) en 1748. Cette découverte fit émerger l’étude des Romains ainsi que leurs arts, philosophies et mode de vie. Peter Gay (né en 1923) cite une phrase de Denis Diderot (1713 - 1784) qui dit : « Les Grecs sont les maîtres des Romains et Les Grecs et les Romains sont tous nos maîtres.97» N’oublions donc pas le fait que les Romains avaient suivi en partie les Grecs qui cherchaient aussi une vie pleine de liberté : la liberté sexuelle (hétérosexuel ou homosexuel), la liberté d’expression, et la recherche philosophique, scientifique, litéraire et théâtrale, mais très peu artistique. Puisqu’au XVIIIe siècle, on suivit les recherches des Anciens grecs et romains, les mouvements intellectuels du XVIIIe siècle ne furent pas, strictement parlant, le premier Siècle des Lumières. Selon Peter Gay, le premier devait avoir eu lieu au temps de la Grèce antique, le deuxième au temps de l’empire de Rome. Cette classification est citée

97 Peter Gay, The enlightenment, the rise of modern paganism, Volume I (Le siècle des Lumières, la montée du paganisme modern, Volume I) (启蒙时代 上), (première édition en 1966), traduit de l’anglais par LIU Beicheng 刘北成, Shanghai : 世纪出版社(Shiji Chubanshe) et 上海人民出版社 (Shanghai Renmin Chubanshe), 2015, p. 95. 99 seulement pour dire que le système scientifique et philosophique des Grecs et des Romains constitue un point d’appui important pour le Siècle des Lumières du XVIIIe siècle. Non seulement le siège rococo est une synthèse de styles différents, le nom ‘rococo’ lui-même est aussi une synthèse des mots différents. ‘rococo’ est issu du mot français ‘Rocaille’ composé de deux mots : rocher et écaille. Le style rococo parut au moment où la société vécut un mélange des goûts extrêmement différents : les uns acceptèrent la tradition, tandis que d’autres cherchèrent la nouveauté. Nous avons dit dans la partie du baroque que l’art du XVIIe siècle fut nommé « baroque » par les critiques du XVIIIe siècle, car ils l’avaient jugé imparfait, le considérant comme une perle irrégulière. Le siège rococo, un mélange des styles différents, est-il alors parfait par rapport à celui du baroque ?

III Le mélange des pensées.

Au XVIIIe siècle, on voit non seulement le mélange des styles du mobilier, mais aussi le mélange des pensées venues d’ailleurs.

III-I La signification et l’influence du Siècle des Lumières. Selon le livre de l’historien américain Peter Gay, intitulé Le siècle des Lumières, la montée du paganisme moderne98, beaucoup de philosophes constituèrent, en Europe et aux Etats Unis, un mouvement unique : le siècle des Lumières. Il dit que ce fut une époque où l’on prôna la laïcité, l’humanisme, le cosmopolitisme, surtout les libertés qui contiennent : l’abri du pouvoir arbtraire, la liberté d’expression, la liberté d’échanges, la liberté d’exercer le talent personnel, la liberté d’esthétique. En somme, c’est la liberté d’agir dans le monde pour un individu de Vertu. Dans ce livre, Peter Gay cite aussi l’idée de Kant qui encouragea le public à découvrir et exercer l’autorité de critiquer. Pour Kant, Le siècle des Lumières fut une époque où l’on demanda de se considérer comme un être humain exerçant ses responsabilités, et « l’on se fut sorti de son propre état immature99 ». Comme à l’âge de la Renaissance, les

98 Ibid., p. 3. 99 Ibid., p.3. 100 philosophes européens du XVIIIe siècle s’inspirèrent des anciens Maîtres grecs et romains. Mais cette fois-ci, le désir de chercher les libertés et le cosmopolitisme mentionnés paraissaient plus sensible. Consider Le siècle des Lumières comme le mouvement du paganisme est souvent associé au désir érotique excessif, dit Peter Gay100. Cela peut se voir dans les œuvres du peintre français François Boucher (1703 - 1770) qui figura souvent les scènes d’amour qui représentent une foi laïque. Les Maîtres des Lumières, par exemple, le penseur et philosophe François Marie Arouet (Voltaire) (1694 - 1778), eurent des histoires d’amour en dehors de la vie familliale. Le mode de vie romantique n’aurait pas existé autour des meubles rudes comme ceux du baroque. Il faut que le mobilier soit plus léger, plus délicat et plus élégant. Les scientifiques et les philosophes du XVIIIe siècle s’appuyèrent sur les théories scientifiques et philosophieques des Maîtres du XVIIe siècle tels que Francis Bacon (1561 - 1626), René Descartes (1596 - 1650) et John Locke (1632 - 1704) et Isaac Newton (1643 - 1727). Pourtant, selon Roy T.Matthews et F. De Witt Platt101, bien que les pensées de l’époque furent puissantes, elles n’exerçèrent d’influence qu’à une minorité des Européens. Les villes les plus influencées furent Paris, Londres et Edimbourg. Les lecteurs fidèles des œuvres des Lumières furent des professeurs, des avocats, des journalistes et le Clergé. Selon Roy T.Matthews et F. De Witt Platt102, la découverte scientifique et philosophique du XVIIe siècle produit des fruits en abondance au XVIIIe siècle où les intellectuels croyaient pouvoir améliorer la société avec leurs propres connaissances. Les auteurs des Lumières ainsi que leurs lecteurs, puisqu’ils veulent réformer, allaient influencer directement ou indirectement la conception des meubles qui les entouraient. Puisque les idées des Lumières se limitèrent au cadre de l’aristocratie, son influence exerçée sur le mobilier fut progressive. Le mobilier français du XVIIIe siècle répondit à sa manière à ce mouvement intellectuel par deux aspects essentiels: la virtuosité et l’humanisme. Le style rococo était déjà une merveilleuse création et une audacieuse révolution artistique, auquel contribua d’abord le Duc d’Orléans Phillipe (1715 - 1723) qui dirigea la Régence à Paris. Phillipe, Duc d’Orléans, un

100 Ibid., p. 6. 101 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.483 - 484. 102 Ibid., p. 483. 101 supporteur noble et intelligent de l’art français, dirigea la mode royale pendant 8 ans. Son mobilier qui paraît plus libre et plus léger et plus harmonieux par rapport à l’art baroque présente encore un sens masculin par sa solidité et sa dureté.

III-II L’étude de l’Orient. l’Europe du XVIIIe siècle atteignit massivement les quatre côtés du monde, nous l’avons dit dans le discours sur le mélange des styles du XVIIIe siècle. Elle prit connaissance des cultures américaines et asiatiques à travers les objets importés. Mais la communication avec l’Orient, en particulier, avec la Chine, s’exerça par l’évangélisation catholique. Du XVe siècle au milieu du XIXe siècle, selon L’histoire de la relation entre la culture occidentale et orientale103, la relation enttre la Chine et l’Occident demeura politiquement dans la situation où il n’y avait pas d’histoire d’invasion et économiquement dans la situation d’échanges libéraux naturels. Dans ces situations, bien que la technique occidentale fut beaucoup plus avançée que la chinoise, la réciprocité et l’égalité demeurèrent les premiers principes. Du XVIe siècle au XVIIIe siècle, l’échange culturel fut plutôt unidirectionnel : de la Chine à l’Occident. A cette époque, les sciences et les religions occidentales que les missionnaires amenèrent en Chine ne furent guère influentes. Les voyageurs de divers types et les missionnaires occidentaux vinrent en Chine et introduisirent aux Européens l’image d’une Chine belle, riche et puissante, ainsi que son histoire, sa géographie, ses religions et son système du confucianisme104. Ces introductions attirent l’attention des Européens. Voltaire fut une figure représentative de l’étude chinoise à l’époque. Selon l’ouvrage d’Etiemble intitulé L’Europe chinoise 105, Voltaire n’avait jamais voyagé en Chine, mais il rencontra une vintaine de voyageurs qui avaient visité la Chine. Dans cet ouvrage, Etiemble conteste que Voltaire ait accepté aléatoirement l’image de la

103 张国刚 (ZHANG Guo Gang), 吴莉苇 (WU Li Wei), 中西文化关系史 (L’histoire de la relation entre la culture occidentale et orientale) (zhong xi wen hua guan xi shi), Beijing : 高等教育出版社 (Gaodeng Jiaoyu Chubanshe), 2006, p.6 - 8. 104 Ibid., p.6 - 8. 105 Etiemble, L’Europe chinoise (中国文化西传欧洲史 zhong guo wen hua xi chuan ou zhou shi), (première édition en 1988 et 1989), Traduit du français de l’édition de Gallimard, 1988 pour le tome 1 et 1989 pour le tome 2, par GENG Sheng 耿昇, Beijing : 商务印书馆 (Shangwu Yinshuguan), 2013, p. 713. 102

Chine que lui introduisirent ses amis - ennemis les Jésuites. Cela suggère que Voltaire avait mal compris la Chine. Mais ce malentendu ne fut pas forcément causé par Voltaire, ce fut plutôt une erreur des Jésuites qui avaient mal compris le chinois classique. (Le chinois classique est aussi difficile à comprendre même pour les Chinois aujourd’hui.) ZHANG Guo Gang (张国刚) et WU Li Wei (吴莉苇) mentionnent aussi ce problème de compréhension des Jésuites européens dans leur ourvrage L’histoire de la relation entre la culture occidentale et orientale. Après tout, Voltaire admira le système du confucianisme et le régime politique chinois. Au XVIIIe siècle, les débats des Européens sur la Chine révèlent une vague d’étude de l’ancienne culture chinoise et l’historicisme français. Bien qu’à la fin du Siècle des Lumières, les Européens rejetènt les pensées chinoises, comme le disent ZHANG Guo Gang et WU Li Wei, il est difficile de dire que les pensées des Européens de l’époque ne furent pas influençées par celles des Chinois. Une fois influencé, est-ce qu’on peut distinguer exactement l’origine de l’influence ? Cela n’est pas certain. L’instinct de l’influence exerçée sur les pensées européennes correspond à l’instinct de l’influence exerçée sur le style rococo qui est une association parfaite des styles différents. Du côté de la pensée, il nous est difficile de discerner l’origine exacte de l’influence venue d’ailleurs. C’est la même chose pour le rococo.

III-III Le problème potentiel. Le siècle des Lumières est important pour le développement de l’Europe. Pourtant, derrière ces Lumières, il y avait deux problèmes potentiels. Le premier concerne la Révolution. Pour gagner la liberté que les penseurs des Lumières cherchèrent à l’époque, la révolution fut en quelque sorte inévitable. Le deuxième concerne encore de la révolution d’une autre sorte. Quand les penseurs des Lumières cherchèrent la renaissance d’une société dans laquelle l’autorité des hommes dût être assurée, selon Roy T.Matthews et F. De Witt Platt106, ils avaient oublié l’autorité des femmes qui furent considérés physiquement et mentalement secondaires. En France, ce fut justement l’importance de la minorité des femmes qui influença le mobilier à partir du milieu du XVIIIe siècle et la révolution à la fin du XVIIIe siècle. Nous en parlerons dans le discours sur l’influence féminine.

106 Roy T. Matthews et F. De Witt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 485. 103

IV Le rococo sous l’influence féminine.

Quand Louis XV monta sur le trône en 1723 à Versailles, sa maitresse Madame de Pompadour dirigea l’art rococo de sa manière particulière. Elle était pourvue d’un bon goût esthétique. Admirant l’art, elle, en tant que maîtresse, organisa le Salon des Intellectuels de Versailles. La Marquise de Pompadour contribua à l’art rococo, en soutenant les architectes, les artistes, les ébénistes, les peintres, avec lesquels elle participa à plusieurs constructions architecturales. Elle s’attacha à une décoration intérieure extrêmement luxueuse. Les sièges légers, fins, élégants et confortables furent donc très recherchés. Dans les sièges rococo, la légèreté de l’art Régence fut conservée. Les pieds incurvés et fins furent influencés par les pieds chinois. D’autres parties telles que le siège, le dossier et les accoudoirs furent très souvent profondément rembourrés et sont en conséquence plus luxueux que le mobilier de la Régence et celui chinois. Les sièges rococo paraissent plus féminins que ceux de la Régence. Les sièges rococo sont pourvus d’une plus grande variété. Il y a des fauteuils, des Bergères, des chaises pour écrire, des chaises pour les jeux de cartes. Les surfaces des sièges sont larges pour que les femmes portant de larges robes puissent s’asseoir confortablement. Il y a même un type de chaise auquel fut conféré le nom de ‘Veilleuse’ consacrée à deux amants. Le siège délicat rococo devint une étiquette pour l’aristocratie. La grande variété de types des sièges révèle la vie à l’aise de l’aristocratie, ce fut une vie luxueuse et soignée. Le style rococo originellement français se répandit en Italie et en Angleterre et il y évolua d’une autre manière selon la culture et les goûts locaux.

V Le problème derrière le luxe.

Mais après tout, le développement du mobilier ne rendit profit qu’à l’aristocratie. Au XVIIIe siècle où les pays européens demeuraient encore à l’Âge de l’agriculture et de la féodalité, les aristocrates qui ne faisaient que trois pour cent de la population totale prenaient en revanche la plupart du pouvoir et de la richesse sociale. Sous cette condition, l’artisanat était entièrement adressé à la classe aristocratique, c’est-à-dire à la royauté, aux églises et

104 aussi à la nouvelle bourgeoisie, qui poursuivaient une vie de luxe. Il est donc raisonnable que, selon WANG Shou Zhi, l’artisanat portât les idées des intellectuels et servît de média de communication dans la société à l’époque107. Nous parlerons maintenant des sièges qui existaient dans certains pays européens pour trouver la circulation des styles de siège en Europe. Un risque politique s’engendrait derrière cette virtuosité et cet humanisme limité au cadre de l’aristocratie. D’un côté, le siège délicat et humain faisait partie de l’étiquette pour l’aristocratie et de l’autre côté, c’était une fantaisie irréaliste et donc inaccessible pour le peuple ordinaire du XVIIIe siècle où la position sociale dépendait de l’argent. Une phrase de Leslie Pina peut parfaitement décrire cette société, elle dit : « La structure française était fondée sur la dépense de l’argent, et la mode fut décidée par ceux qui étaient en train de dépenser de l’argent.108 » Il est normal que le goût esthétique du consommateur décide de la mode et que cette dernière s’adresse à la première - l’aristocratie, par exemple, les maîtresses de Louis XV la Pompadour et la du Barry qui se mirent à la poursuite d’une décoration intérieure extrêmement luxueuse. Elles vécurent une vie extravagante et donc guidèrent la mode à l’époque109. Mais cette vie à l’aise fut payée par le peuple. Sous la règne de Louis XVI, le peuple, s’opposant à l’aristocratie, lança finalement à la fin du XVIIIe siècle la grande Révolution française. Le 5 octobre 1789, selon un documentaire de la chaine de la télévision France 5 intitulé Les trésors du château du Versailles110 , 6000 femmes françaises marchèrent vers Versailles, 5 d’entre elles rencontrèrent Louis XVI justement pour demander du pain. On avait très faim. Malgré la promesse que le Roi assura à ces femmes, il s’enfuit avec sa famille sans régler le problème social. Le Roi Louis XVI fut exécuté par le peuple français, au 21 janvier 1793 à 10 heure 22 à Paris sur la place de la Révolution (ancienne la place Louis XV, devenue en 1795 la place de la Concorde). L’extravagance de la royauté fut donc un des problèmes majeurs qui causèrent les révoltes.

107 王受之 (WANG Shou Zhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), (première édition en 2002), Beijing : 中国青年出版社 (Zhongguo Qingnian Chubanshe), 2013, p. 47. 108 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 63. 109 Ibid., p. 66. 110 « Les trésors du château du Versailles », la vidéo est disponible sur le site suivant : http://www.france5.fr, documentaire, consulté en janvier 2016, 105

VI Le style Chippendale en Angleterre.

Alors que la peinture rococo fut populaire en France, les Anglais la jugèrent décadente surtout les Protestants à cause de son sujet inacceptable, qui était la corruption et la sexualité. Pourtant, dans le cas du mobilier, il y eut peut-être une exception. Le mobilier rococo français ne fut pas imité directement et simplement, mais il fut mélangé par Thomas Chippendale (1718 - 1779) avec d’autres styles dont le premier est le style de Reine Anne qui vit sa popularité au début de XVIIIe siècle et cela dura pendant une vingtaine d’années. Il y eut aussi des styles remarquables tels que le gothique et le chinois. Les meubles Chippendale furent presque omniprésents dans la société de leur époque et on leur donna ainsi un nom particulier : le style de Thomas Chippendale, même si ce ne fut pas toujours lui qui conçut les meubles, car il employa une équipe composée d’environ cinquante travailleurs. Ce fabricant de mobilier n’eut pas de relation avec la royauté. Ce fut la première fois dans l’histoire du mobilier qu’un meuble prit le nom d’un homme ordinaire. Nous voyons ci après trois séries de sièges, illustrés dans le livre Gentleman and Cabinet-Maker’s Director (Direction de Fabricants du Mobilier et Clientèle). Ce livre fut pubilié par Thomas Chipendale en 1754. La première série importante des sièges Chipendale est représentée par des Chaises Françaises (fig. 31) dans lesquelles nous voyons l’influence du style rococo français. Les motifs ‘rocaille’ furent adoptés et utilisés dans les pieds et les dossiers. Les structures des chaises ressemblent à celles françaises. Comme les chaises rococo existant en France, les Chaises Françaises de Chippendale paraissent aussi plus légères que les chaises baroque, par exemple, ou que les sièges nommés Reine Anne. Curieusement, dans les deux fauteuils de style français (fig. 31), dans les textiles sur le dossier et le siège, nous voyons des dessins figurant les scènes de vie typiquement orientale, alors chinoise, par exemple, une scène de travail, un jeu avec les enfants, la lecture, etc. C’est une vie simple mais active et pleine de joie. En désirant répondre au goût des Anglais, Chippendale invita l’art chinois dans le mobilier rococo français pour fabriquer un nouveau style tout en évitant le sens de ‘décadence’ et de ‘corruption’ que représentait la peinture rococo française.

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Figure 31. Chaises françaises de Chippendale

La deuxième série importante des sièges de Chippendale est représentée par les Chaises Chinoises (fig. 32) dans lesquelles nous voyons l’influence de l’architecture chinoise. Les formes des fenêtres chinoises furent massivement adoptées dans les dossiers et les accoudoirs voire dans les pieds. Chippendale devrait être inspiré par le style des Ming chinois dont la popularité s’étendit du XVe siècle au XVIIIe siècle, car la simplicité du mobilier Ming chinois est évidente dans ces sièges. Pourtant, à la différence des pieds incurvés chinois, les pieds des sièges de Chippendale sont rectangulaires. Les pieds de devant sont droits, tandis que ceux de derrière sont incurvés. A l’époque,l’adoption de diverses formes des fenêtres chinoises dans le siège fut exclusivement réalisée par l’équipe Chippendale, d’autres, même les Chinois, ne la connaissaient guère. L’ensemble du siège fut entièrement conçu, il n’y a aucun élément superflu. Chippendale a fait une interprétation particulière de l’art chinois dans le mobilier anglais et ses chaises chinoises paraissent exotiques pour les Anglais mais aussi pour les Chinois eux-mêmes. Nous pouvons ainsi dire que les sièges Chippendale interprètent l’orientalisme.

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Figure 32. Chaises chinoises ‘Chippendale’

Figure 33. Chaises gothique Chippendale

La troisième série est constituée par les Chaises gothiques (fig. 33). Thomas Chipendale adopta la structure de l’architecture gothique anglaise dans des dossiers ajourés et des pieds ajourés ou non. Les Chaises Gothiques de Chippendale montrent aussi une grande variété de formes et l’audace d’utiliser des pieds variés dans un même siège.

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En Angleterre, à partir du style de la Reine Anne et puis dans le style de Thomas Chipendale, l’influence de l’art chinois fut plus évidente qu’auparavent. Le pied incurvé originellement chinois et des éléments architechturaux chinois, par exemple, les formes de fenêtres, ainsi que des motifs chinois furent adoptés et interprétés d’une nouvelle façon dans le mobilier anglais de l’époque. Chippendale adopta l’art chinois sans oublier les styles européens : gothique et rococo. La diversité de l’interprétaion des styles différents révèle sans doute son intention de répondre aux goûts divers non seulement chez des Anglais mais aussi chez des étrangers. Sa volonté de diriger la mode s’accomplit. Selon Leslie Pina, Thomas Chipendale ne fit pas de dessins mais il fut un arbitre du goût esthétique de l’époque. En effet, il dirigea l’une des plus grandes compagnies de fabrication et de décoration de mobilier à Londres. Il fut plutôt un interprète qu’un inventeur original. Son livre intitulé Gentleman and Cabinet-Maker’s Director (Direction de Fabricants de Mobilier et Clientèle) donna la direction du mobilier anglais. Il ne s’arrêta pas à cela, il continua de regarder ce qui était la mode. Quand les frères Adams, après avoir terminé leurs études en Italie, revinrent en Angleterre en 1758, amenant un nouveau style : le néo-clasicisme. Thomas Chipendale et son fils, très fascinés par cette mode, la suivirent tout de suite. A partir de ce moment-là, il commença à fabriquer du mobilier de style néoclassique, et ensuite l’ajouta dans le troisième volume de son livre publié en 1762. Après tout, c’est la capacité d’assimiler les nouvelles choses et de suivre l’évolution sociale qui donna à Chippendale un grand succès dans le domaine du mobilier. (Son style allait influencer le mobilier qui suivit. Vers la fin du XVIIIe siècle, selon WANG Shou Zhi111, la tendance à l’industrialisation devint inévitable en Anglettere en premier lieu. Ainsi, les idées des intellectuels furent questionnées. Les nouvelles idées bourgeoises se développaient très vite. Des penseurs importants, comme Voltaire, Rousseau, Hume, Locke, Bentham, Jefferson, Paine, prônèrent des idées bourgeoises remarquables : égalité, fraternité et liberté. Ces idées poussèrent le mobilier dans une nouvelle ère où l’on voit la production industrialisée massive du mobilier du XIXe siècle.

111 王受之 (WANG Shou Zhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 47. 109

Conclusion :

Au cours du XVIIIe siècle, après le mobilier exagéré et luxueux du style baroque, la classe aristocratique chercha une beauté plus fine sans oublier le luxe qui peut représenter le pouvoir et le statut et la richesse. Sous l’influence féminine, le mobillier français du XVIIIe siècle est très raffiné et délicat. Bien que ce soit un mobilier mélangé de styles différents : gothique, baroque, chinois, il est pourvu d’un certain nombre de nouveautés : la légèreté, le raffinement, la grâce. Le mobilier classique occidental vit son apogée presqu’en même temps où le molibier chinois classique vit son apôgée au début de la dynastie Qing, environ au XVIIIe siècle. Nous avons trouvé le problème qui se cachait derrière la vie de luxe, c’est le mécontentement du peuple qui propulsa la Révolution française. De ce point de vue, le mobilier rococo français témoigna aussi de la fin de l’ancien régime politique français. En Chine, le même phénomène se passa parallèlement et presque simultanément. Le mobilier anglais ne fut pas une exception au mélange des styles différents. Le grand ébéniste anglais Chippendale fabriqua d’une façon différente de celle française plusieurs types de meubles: gothique, français, chinois etc. pour répondre aux goûts différents de ses comtemporains. Par le mélange des styles, nous voyons aussi l’influence chinoise et japonaise croissante.

Chapitre IX

Néo-classicisme (XVIIIe - début du XIXe sicèle)

I Les sièges néo-classiques.

Le goût esthétique change avec le temps. Au milieu du XVIIIe siècle, le mobilier rococo raffiné et délicat et complexe commença à perdre son intérêt en France et il fut à la peine d’être remplacé par un nouveau style qui fut plus classique. Ce fut le moment où commença

110 la découverte de deux anciennes cités italiennes : Pompéi et Herculanum qui avaient été couvertes et détruites par l’éruption du Vésuve en 79. Le désintérêt s’exerca sur le rococo, il y eut un nouvel intérêt pour le classicisme, c’est ainsi qu’aux environs de 1760, le néo-classicisme commença à se présenter dans le mobilier. Le style néo-classique évolua non seulement avec le temps et mais aussi avec le changement du système politique. Par exemple, le fondement de la première République française en 1792 témoigna de la fin du style Louis XVI. Parut ensuite le style Directoire de 1793 à 1804 et celui-ci fut suivi tout de suite par le style empire en 1804 date à laquelle Napoléon, qui avait lancé la révolution politique en 1799, devint l’empereur du premier Empire français. Au cours de l’évolution du style néoclassique, les arts grecs et romains tels que l’architecture, le mobilier et la décoration furent une inspiration artistique majeure. La nouveauté du siège néo-classique est le raffinement sensible en comparaison avec l’ancien siège grec et romain. Parmi les sièges néoclassiques, passant du style Louis XVI au style Directoire et puis au style empire, les sièges ‘Napoléon’, qui font partie du style empire, exercèrent une influence massive en Occident pour une longue période. Il nous convient donc d’en parler pour savoir comment ce style fut formé et pour découvrir le rapport qui existe entre la particularité du siège de style empire et l’ambition personnelle de Napoléon. Celui-ci lança d’abord une révolution politique et puis une autre qui pourrait être artistique depuis le moment où il monta sur le trône. Cette révolution artistique pour Napoléon Bonaparte fut alors en faveur de son autorité politique.

II Napoléon Bonaparte et son trône.

II-I Le trône de Napoléon Bonaparte. Le trône de Napoléon Bonaparte (fig. 34) fut fabriqué en 1804 par l’ébéniste parisien François-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770 - 1841) pour le palais des Tuileries, d’après les dessins des architectes et décorateurs dont Charles Percier (1764 - 1838) et Pierre-François-Léonard Fontaine (1762 - 1853), conservé au Musée du Louvre (dépôt du

111 mobilier national). La peinture d’Ingres, créée en 1806, intitulée Napoléon Ie sur le trône impérial (fig. 35), peut nous aider à comprendre la signification du trône de Napoléon Bonaparte. Le trône de Napoléon est marqué par plusieurs éléments tels que le dossier qui embrasse la lettre ‘N’ et les boules blanches ajourées installées sur les montants des avant-pieds en forme des colonnes rectangulaires. Dans ces éléments, les formes rondes et carrées sont remarquables. Le dossier est formé en rond sur lequel les dessins en forme circulaire couronnent les étoiles dorées. La lettre ‘N’ - ‘signature’ brève marquée au milieu du dossier - semble prouver la position politique centrale dans le monde et la présence du son maître Napoléon Bonaparte. Cette étiquette personnelle a pour objectif de limiter le droit au trône. Pour un homme de pouvoir, au-delà de la place, il faut aussi le bonheur. C’est ainsi qu’il ajouta deux boules blanches et rondes sur les deux avant pieds.

Figure 34. Â gauche : Le trône de Napoléon Bonaparte, 1804, Musée du Louvre (dépôt du mobilier national). Figure 35. Â droite : Ingres, Napoléon Ie sur le trône impérial, peinture sur toile, 263 x 163 cm, 1806.

Dans l’ensemble du trône, il y a deux particularités opposées : les boules rondes sont lissées et d’autes éléments avec des dessins gravés ou tissés ne le sont pas. C’est grâce à ce

112 contraste que les boules sont accentuées. Du point de vue de la couleur, les boules blanches sont soulignées par des éléments dorés et bleus qui sont relativement plus foncés. Ces deux facteurs : la forme et la couleur expliquent que les boules jouent un rôle important dans ce trône. A quoi ressemblent-elles ? Est-ce que ce sont les perles qui peuvent montrer la valeur précieuse du trône ? ou les « yeux » du trône, comme on dit en chinois : en dessinant un dragon, marquer les prunelles des yeux (画龙点睛 hua long dian jing) ? Que signifient les boules ? Leurs signfications varient selon les points de vue différents. Pour ce qui regarde les deux boules du point de vue organique, d’un côté, elles peuvent être considérées comme deux organes féminines : deux seins ou des fesses de femme qui constituent un intérêt important pour des hommes. De l’autre côté, par ces boules,on peut penser aux testicules d’homme. Dans ce cas, le sens du toucher est inclu dans la conception du trône. Dans la pensée chinoise, pourrait-on considérer les deux boules comme celles du ‘Feng Shui’ ? Ici, il est intéressant de montrer quelques explications sur ce terme chinois, puisque ce terme nous concerne aussi. Le terme ‘Feng Shui’ (风水) archaïque chinois peut être traduit en français par ‘Géomancie’. Le terme ‘Feng Shui’ paraît très loin de nous, pourtant les principes sont scientifiques et compréhensibles, car ils prennent en compte les éléments nécessaires que nous connaissons bien les éléments importants : la localisation, l’environnement, la pollution, la circulation de l’air et de l’eau, et d’autres. Pour le plan de la contruction d’un édifice, le schéma de Tai Ji, dont l’origine est les 8 signes créés par Fu Xi (il y a 8000 ans) est obligatoirement utilisé. Un bon ‘Feng Shui’ pourrait, comme on l’a cru, apporter le bonheur, par exemple, la richesse ou la santé. Une boule circulaire fonctionne, selon la théorie de Feng Shui, comme un objet qui fait circuler l’air et amène le bonheur. En Grèce antique, selon ZHU Guang Qian112, le cercle ou l’objet circulaire fut considéré come la forme du beau par l’Ecole de Pythagore (VIe siècle av.J.C.). Le dossier et les boules semblables aux boules de ‘Feng Shui’ sont de forme ronde ou circulaire, tandis que le siège et les pieds sont de forme carrée. Cette conception pourrait-elle

112 朱光潜 (ZHU Guang Qian), 西方美学史,上 (xi fang mei xue shi, shang), (L’histoire de l’esthétique occidentale,Volume I),(première édition en 1963), Beijing : 中国出版集团 (Zhongguo Chubanjituan),人民 出版社 (Renmin Chubanshe), 2004, p. 37-38 113

être renvoyée à l’ancien concept chinois sur le cosmos : le ciel est rond et la terre est carrée ? Bien que la culture chinoise connaisse une réputation au XVIIIe siècle en France, il n’est pas certain que Napoléon Bonaparte ait été influencé par ce concept chinois, mais l’adoption des formes rondes et carrées dans un trône pour obtenir un sens de l’harmonie est vraiment particulière. Cette particularité formelle pourrait-elle nous rappeler la personnalité particulière de Napoléon Bonaparte, puisqu’il agit toujours différemment des autres parfois jusqu’à l’excès ? Après tout, il est certain qu’il voulut se mettre dans un espace sacré, privé, et consacré uniquement à lui. Dans la culture occidentale, selon des informations données sur le site d’internet du Musée de la boule 113, le jeu de boules était pratiqué depuis l’Egypte ancienne, et puis chez les Grecs, les Romains et les Français. Le joueur gagne quand le boule lançée touche un objet servant de but, que ce soit un objet ou une boule à une certaine distance. Ce jeu connut une longue histoire pendant laquelle il était adoré et interdit par les pouvoirs et les religions. Les rois français Philippe V et Charles V avaient une fois interdit les jeux de boules pour que l’on s’occupe de la guerre qui était leur préoccupation principale. Le pape, durant le concile de 1585, interdit au Clergé de jouer à ces jeux, car le pape estima que les jeux de ce genre nuisaient à la pratique religieuse. A partir du XVe siècle, Philippe le Hardi (1342-1404), duc de Bourgone libéralisa la pratique des jeux de boules. Cette mesure politique marqua le début d’un âge d’or des jeux en Flandres et en France et dans des pays voisins. Au XVIIe siècle, le poète, écrivain et critque français Nicolas Boileau (1636 - 1711) déclara : « Moi, je possède deux talents fort importants pour la société et l’Etat. Le premier est de bien jouer aux boules et le deuxième, de bien écrire de la poésie ! 114 » Au XVIIIe siècle, les jeux de boules devinrent très populaire115. Mais la Révolution Française interdit à la noblesse de jouer à ces jeux « pour gagner le peuple en toute sérénité116 ». Au temps de Napoléon Bonaparte, le jeu de boules devait être limité. Pour cette raison, le fait que Napoléon Bonaparte avait fait ajouter deux boules sur son trône pourrait être un

113 « Le jeu des boules à travers les siècles », in « Histoire des boules », disponible sur le site suivant: http://www,museedelaboule,com, consulté en août 2016. 114 Idem. 115 Idem. 116 Idem. 114 manifeste de son pouvoir arbitraire. Nous nous demandons, par curiosité, vers quel but il lançerait ses boules ? Que ce soient les yeux du dragon, les seins ou les fesses de femme, les testicules d’homme, les boules de Fengshui, le jeu de boules, la connotation des boules du trône de Napoléon Banaparte s’adresse à son pouvoir arbitraire.

II-II Le trône et ses raisons. Nous découvrons maintenant la raison de la mise en œuvre de cette simple ‘signature’-‘N’. Il s’agit essentiellement de deux aspects : l’ambition politique qui rapporta une grande réussite et la personnalité particulière de Napoléon. Ces aspects vont se dévoiler dans la récit de Napoléon Bonaparte. Selon l’ouvrage historique du biographe allemand Emil Ludwig (1881 - 1948) intitulé Napoléon Bonaparte, bien que Napoléon Bonaparte fut autorisé à étudier gratuitement dans une école aristocratique française grâce à son identité royale confirmée, il fut stigmatisé à cause de sa pauvreté par ses camarades venus de familles riches. Ce jeune homme apparemment froid, ne sachant pas sourire, mais intelligent, avait l’intention, à l’âge de 16 ans, de libérer la Corse, son pays natal déjà gagné par la France, et de gouverner l’Etat voire le monde entier quand il aurait grandi. Il ne faisait que ce qui était nécessaire pour la concrétisation de sa stratégie politique. Ses caractères et son ambition politique se révèlent en partie dans son portrait présenté plus haut. Dans cette peinture, Napoléon est assis sur son trône, avec un sceptre à la main. Le regard tout droit, le visage froid, il affiche une sévérité, c’est ainsi que se présente son ambition de régner le monde. D’ailleurs, nous pouvons le connaître mieux par le rappel d’une petite histoire. Selon Emil Ludwig117, quand Napoléon Bonaparte était à l’Ecole des Capitaines à Paris, tous les élèves furent autorisés à gouverner et travailler un morçeau de terre. Napoléon Bonaparte entoura le sien par une clôture et ceux de deux autres voisins, interdisant aux autres personnes d’y entrer sauf ses deux voisins. Tout ce qui y entrait pouvait être puni sans exception. Napoléon Bonaparte limita l’entrée des autres personnes dans sa terre pour manifester son droit de gouverner sa place, mais aussi pour

117 Emil Ludwig, Napoléon Bonaparte(拿破仑), (première édition en allemand en 1925 et en anglais en 1926) , Traduit en chinois par Wenhui 文慧, Hunan (Chine) : 湖南人民出版社 (Hunan Renmin Chubanshe), 2014, p. 4 - 11. 115 intimider les autres. Ce comportement de sa jeunesse se traduit dans la lettre ‘N’ marquée sur ses sièges. Cette étiquette (ou ‘signature’) pourrait confirmer son droit à la place, mais aussi sa loi suprême ainsi que son succès militaire et politique. Son succès a influencé profondément les politiciens et les artistes. Par exemple, Beethoven, étant passionné et inspiré par le succès de Napoléon Bonarparte, considéra ce dernier comme un grand héros auquel il rendit un culte par la composition de la IIIe symphonie intitulée Symphonie des Héros118. La passion ou la puissance que représente la Symphonie des Héros renvoie au pouvoir de Napoléon Bonaparte. Brèf, les facteurs tels que le signe ‘N’, la grandeur et la lourdeur du trône, la sévérité que présentent les jambes droites et solides, manifestent le pouvoir dictatorial de Napoléon Bonaparte. Le trône manifeste parfaitement l’image sévère et solennelle de son propriétaire qui, dit Edward Lucie-smith, « désire de créer une image spécifique du régime célébrant ses succès militaires119 ». Pourtant, selon l’histoire du mobilier édité par CHEN Yu Shu120, le mobilier Empire qui est exagéré, lourd et rude ne s’accorde pas du tout avec les Français. Si nous suivons cette idée, nous pouvons dire que le trône de Napoléon Bonaparte, comme d’autres meubles de style empire, ne fut pas non plus à la française. Cette idée est peut-être raisonnable, car elle souligne parfaitement que Napoléon Bonaparte ne voulut présenter rien d’autre que son pouvoir personnel dans son siège. A ses yeux, il n’y avait que le pouvoir qui lui rendait la possibilité de réaliser son rêve personnel de libérer la Corse, de régner sur les Français et le monde. Dans sa jeunesse, il détesta les Français qui se moquaient de lui en raison de sa pauvreté et surtout à cause des armées françaises qui lui arrachèrent son pays natal. S’il voulut s’en venger, ce fut l’occasion. Il est possible que son expérience personnelle exerça une influence sur son goût esthétique et que le mobilier de rococo qui est délicat et léger et donc inadéquat à son caractère froid et fort fut peu invité dans la conception de son mobilier.

118 Roy T. Matthews et F. De Witt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 542. Mais quand Beethoven savait que Napoléon Bonaparte s’était nommé l’Empereur de France en 1804, il changea d’avis, pour lui, son 3e symphonie s’adressa plus tôt à un grand homme du passé. 119 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 122. 120 陈于书 (CHEN Yu Shu), 熊先青 (XIONG Xian Qing), 苗艳凤 (MIAO Yan Feng), 家具史 (jia ju shi) (L’histoire du mobilier), op.cit., p. 82. 116

Il préféra l’art classique. La découverte de l’architecture et du mobilier romain apparurent au bon moment, car ils sont exagérés, rudes, solides, capables de représenter l’image d’un soldat solide et sévère. La référence à l’art classique peut se voir aussi par l’influence des architectes et artistes qui avaient étudié l’art classique à Rome. D’abord, Jacques Louis David (1748 - 1825) revint à Paris de Rome en 1789 et fut nommé ensuite le peintre officiel de Napoléon Bonaparte. Il présenta sa conception du mobilier dans ses peintures, donnant une influence immédiate aux meubles royaux français. Et puis, deux architectes : Charles Percier (1764 - 1838) et Pierre Fontaine (1762 - 1853) furent introduits à Napoléon Bonaparte par Jacques Louis David et publièrent leurs livres à partir de 1802. Si Napoléon avait une certaine nostalgie de son pays natal, son choix de l’art romain dans ses sièges paraît ironique. Dans ce cas, son trône n’est plus seulement un symbole de pouvoir, mais un média de son attitude rélolutionnaire forte. Bien que le style empire ne s’accorde pas avec les Français, son influence gagna beaucoup de pays occidenaux tels que l’Italie, l’Angleterre, l’Allemagne, la Russie, les Etats Unis 121. Cela fait partie non seulement du style empire lui-même, mais aussi de l’admiration pour le succès politique et diplomatique de Napoléon Bonaparte.

Conclusion :

Après le mobilier de style rococo, le goût du public retourna vers l’art romain et grec classique pour fabriquer des meubles qui furent plus simples et pourvus d’un caractère historique. C’est ainsi qu’apparut le style néoclassique qui s’étendit de la France vers d’autres pays européens. En termes d’histoire du mobilier pur, le style Louis XVI fut remarquable, mais le style empire fut plus significatif en termes de l’histoire de l’humanité. Le trône de Napoléon Bonaparte en est un exemple unique qui peut nous rappeler l’ambition et la stratégie politique de Napoléon ainsi que son goût esthétique correspondant bien à sa personnalité froide et solide mais aussi énergétique, et à partir de cela, ce trône nous rappelle aussi la situation sociale dans laquelle Napoléon Bonaparte avait réussi jusqu’au point très excessif où il fut obligé de terminer très tôt son chemin politique. Comme on dit en chinois et en français : l’excès appelle la révolte.

121 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 123. 117

Partie III L’histoire du siège chinois (2100 av.J.C. - 1900)

Voici une question controversée qui ouvre la porte de cette partie : quand la chaise venue de l’étranger rencontra la culture chinoise, ce fut la chaise qui changea la Chine ou au contraire ce fut la Chine qui changea la forme et la signification de la chaise? La situation réelle paraît plus compliquée que cette question. Depuis l’arrivée de la chaise en Chine, la hauteur du siège chinois s’éleva progressivement avec le changement progressif des classes sociales chinoises. Comment la chaise s’adapta-elle à l’environnement chinois ? La forme de la chaise chinoise est-elle une mimésis de la forme occidentale ? Avant l’utilisation de la chaise haute, on utilisait la natte en la mettant par terre. Celle-ci témoigne aussi d’une longue histoire de la Chine. Il nous est donc néccessaire de parler d’elle dans un premier temps.

Chapitre I

Avant l’apparition de la chaise haute

De 2100 av.J.C. à 202 av.J.C.

(De la dynastie Xia 夏 à la fin de la dynastie Chu 楚)

I La natte.

Nous savons bien que, à l’origine de la philosophie, il y eut un phénomène simultané en Chine et en Occident. (déjà dit en première partie). Mais quant à l’origine de la chaise, il n’y eut pas de simultanéité en Chine et en Occident. Quand les fondateurs de la philosophie occidentale s’assayaient sur la chaise haute, les premiers maîtres chinois s’asseyaient sur la natte 席(xi). Cela peut être prouvé par un proverbe chinois qui décrit bien cette façon de

118 s’asseoir —‘席地而坐’(xi di er zuo). Ce proverbe se traduit en français : s’asseoir sur une natte placée par terre. 席 xi

Puisque le mot chinois xi ‘席’, en s’ajoutant à d’autres mots, peut exprimer plusieur idées différentes, il nous est nécessaire de parler d’abord de ce mot et de son application. En ancien chinois, l’ écriture de xi ‘席’ fut ‘蓆’, le trait en haut de mot ‘艹’ signifie l’herbe, c’est-à-dire que la natte fut tissée avec des herbes. Le mot xi ‘席’ signifie d’abord la natte, mais en chinois, le terme complet qui exprime la natte ne fonctionne que par l’association avec un autre mot zi ‘子’ et il devient xi zi‘席子’. Le mot zi ‘子’ ajouté ne signifie rien dans le terme composé xi zi‘席子’, ce n’est qu’une habitude de la langue mandarine. Par exemple le terme zhuo zi ‘桌子’(table), le mot zhuo‘桌’ signifie en Français la table, le mot zi ‘子’est ajouté. Revenons au mot xi‘席’. Dans le dictionnaire chinois, le mot xi ‘席’peut se composer avec plusieurs termes différents. Par exemple, le terme xi wei ‘席位’signifie la place, yan xi ‘筵席’signifie un banquet, ru xi ‘入席’ signifie se mettre à table, chu xi ‘出席’ signifie se présenter dans une activité, zhu xi ‘主席’ signifie le président (en anglais :chairman), zhu xi tai ‘主席台’ signifie les places en tête consacrées aux dirigeants. Par ces explications, nous savons que le mot xi ‘席’concerne d’abord la natte et à partir de la natte, il signifie aussi la place, le siège et le statut. Cela sous entend qu’il a un rapport très proche avec la chaise — le sujet de cette thèse. Le mot xi ‘席’ ainsi que ses significations doivent être adoptés dans toutes les parties concernant de la chaise. La natte marque une longue histoire de la Chine. WANG Shi Xiang (王世襄) a divisé brièvement l’histoire de Chine en deux périodes selon les sièges chinois. Il dit : « La Chine ancienne vivait sur deux niveaux, celui de la natte et celui de la chaise. Dans le premier cas, la vie s’organisait autour de la natte et de la couche basse sur laquelle on se tenait à genoux. Le reste du mobilier correspondait à ce niveau. Cette organisation prévalut du XVe siècle av.J.C. au III siècle de notre ère.122 »

122 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, traduit de l’anglais par Françoise Deschodt, Paris : Edition du Regard, 1986, p. 7. 119

Pourtant, selon LI Zong Shan (李宗山) 123, l’utilisation de la natte peut renvoyer jusqu’aux environs de 6000 av.J.C. Selon lui, entre le milieu et la fin du Nouvel Age de Pierre, la technique du tissage de la natte était déjà très développée, atteignant sa maturité et montrant une grande diversité de formes. On a trouvé de petites tables de 10 - 20 centimètre de haut qui existèrent il y a 4200-4500 ans à Shanxi, une province en Chine. La taille de la table montre que les Chinois anciens s’asseyaient sur une natte devant une table.124 Bien que l’histoire de l’utilisation de la natte puisse remonter loin, ce ne fut que dans la société esclavagiste que la haute classe commença à donner à la natte végétale un rôle symbolisant la position sociale. Selon LI Zong Shan125, jusqu’à la dynastie Shang (1600 - 1100 av.J.C.) et Xi Zhou (1100 - 771 av.J.C.), la classe dirigeante faisait de la natte un moyen important pour manifester sa position sociale et son système de l’étiquette. Mais la classe haute ne se contenta pas de ce qu’elle possédait. Entre le milieu et la fin de Zhan Guo (475 - 221 av.J.C.), au fur et à mesure que l’économie et la culture se développa, le mobilier fabriqué avec des bambous, des herbes et des roseaux ne satisfaisait plus la classe dirigeante et aristocratique qui cherchait de plus en plus le mobilier qui pourrait donner plus de confort. C’est ainsi que les petites tables commencèrent à s’élever et devinrent plus hautes. Le lit à s’asseoir, étant grand et lourd, ne fut pas pratique pour le déplacement ou le rangement pendant un banquet ou une rencontre. Dans ce contexte apparut un objet qui s’appelle Ta (榻 ) qui ressemblait à un petit lit. A partir de moment, la hauteur du siège s’éleva.126 Mais la natte était encore utilisée.

II La natte de plus en plus épaisse.

123 李宗山 (LI Zong Shan), 家具史话 (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), Beijing : 社会 科学文献出版社 (Shehui Kexue Wenxian Chubanshe), 2012, p. 36 – 37. 124 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), (première édition en 2004, éditeur: 广西美术出版社 (Guangxi Meishu Chuban She)), Beijing : 中国美术学院出版社 (Zhongguo Meishuxueyuan Chubanshe), 2008, p. 79. 125 李宗山 (LI Zong Shan), 家具史话 (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), op.cit.,p. 36 – 37. 126 李宗山 (LI Zong Shan), 家具史话 (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), op.cit.,, P37-38 120

Pendant l’époque de la dynatie Qin 秦 et Han 汉 (de 221 av.J.C. à 220 de notre ère), L’histoire du desing chinois édité par GAO Feng127, l’accroissement économique stimula le désir de l’empereur à élever son siège pour manifester son pouvoir. L’Etat fonda de grandes institutions artisanales. Le commerce qui se développait rapidement poussa la production artisanale. Les ateliers familiaux furent aussi remarquables que ceux de l’Etat. A cette époque, on s’assit encore jambes croisées sur la natte Le nombre des nattes distinguait la position sociale. L’empereur utilisait cinq pièces de nattes, alors que ses officiers en possédaient trois, tandis que des intellectuels en prenaient deux 128. Plus les nattes paraissent épaisses et donnent de confort, plus haute est la position sociale. Il semble que la hauteur ait commencé à distinguer la position sociale. Aujourd’hui, la natte n’est plus un siège sur lequel on s’assoit, mais un matelas sur lequel on dort, car la natte en bambou ou en roseau peut donner une fraîcheur.

III La recherche de l’artisanat et l’aristocratie.

Dans toutes les société esclavagistes, toutes les recherches dans tous les domaines ne furent que pour la classe aristocratique. Cela peut être démontré par le premier livre de l’artisanat chinois, intitulé Kao Gong Ji (考工记), écrit pendant la dynastie Chunqiu(春秋) (774-476 av.J.C.), adopté dans le livre Zhou li et nommé Dong Guan129. Dans l’ensemble, selon l’Histoire du design chinois de GAO Feng (高丰), ce livre préconise les trois principes fondamentaux suivants130 : 1, Le premier principe souligne la condition de s’assurer d’un bel objet: Un beau temps et un bon environnement pour planter les arbres afin d’obtenir un bon materiau - le bois. Au delà de trois éléments importants, une technique habile est indispensable dans la fabrication d’un bon objet.

127 高丰(GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 87. 128 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), Beijing : 中国国际广播出版社 (Zhongguo Guoji Guangbo Chubanshe), 2009, p. 94. 129 Le livre Zhou li(周礼)(rite de Zhou) est composé de six volumes dont Tianguan 天官(l’officiel du ciel),Diguan 地官 (l’officiel de la terre), Chunguan 春官(l’officiel du printemps), Xiaguan 夏官(l’officiel de l’été),Qiuguan 秋官(l’officiel de l’automne) et Dongguan 冬官(l’officiel de l’hiver). 130 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p.83 – 84. 121

2, Le deuxième principe manifeste l’importance de l’homme dans l’Univers : L’homme est le centre du monde. (Il est important de noter que l’homme signifie ici ce qui dirigeait la société. La conception à l’époque était encore très loin d’inclure le peuple ordinaire.) On s’attacha de plus en plus à la valeur de l’homme qui fut considéré comme plus important que la divinité. La taille de l’homme fut prise en considération au cours de la fabrication d’un objet pour que ce dernier procure à l’homme un confort. 3, Le troisième principe s’attache à la classification sociale : L’artisanat ne sert qu’à la fonction sociale dans la société hiérarchisée. La taille, le style, la couleur et le matériel d’un objet furent décidés en fonction du statut et de l’idéologie de la classe dirigeante. Au-delà du troisième principe qui manifeste clairement la hiérarchie sociale, les deux premiers principes s’attachent à l’importance de l’homme. Il est vrai que le Kao gong ji (考工 记) , le premier livre chinois concernant la théorie de la conception des objets, fut un livre consacré aux aristocrates, non pas au peuple ordinaire. Les livres de l’art artisanal à l’époque furent donc presque réservés à la bibliothèque royale. Pour cette raison, ce livre n’influença pas massivment la conception des sièges. Les principes de Kao gong ji sont encore utiles aujourd’hui. C’est pourquoi nous en parlons au premier chapitre avant d’accéder au parcours sur les sièges.

Conclusion :

La natte à s’asseoir, qui couvre une longue histoire de la Chine, était aussi un élément emblématique important de la hiérarchie sociale. Le mot chinois ‘ 席 Xi’ signifia originellement la natte, mais au cours de l’évolution du Mandarin et de la culture chinoise, ce mot singulier était associé à plusieurs mots et devint de plus en plus signifiant. L’application et la transformation de ce mot évoluèrent de la matérialité à l’immatérialité—du siège à la position sociale. La chaise, en tant que ‘ 席 Xi’, désigne essentiellement deux connotations :siège et position sociale. Le Kao gong ji, le premier ouvrage chinois de la théorie sur la conception et la fabrication des objets, n’influença guère la conception artisanale à l’époque où il apparut, son influence massive et tardive s’exerça pendant les époques suivantes.

122

Chapitre II

La première chaise en Chine

I Des informations diverses sur la première chaise chinoise.

Des informations différentes renseignent la première chaise chinoise. 1. Selon L’histoire du mobilier chinois édité par CHEN Yu Shu(陈于书), les premières images de chaises chinoises sont les sculptures et les images représentées dans les fresques de la 249ème caverne et la 285ème caverne de Dunhuan (敦煌). Ces cavernes furent fondées pendant la dynastie Xiwei (西魏) (535 - 556). Bien que ses représentations puissent prouver qu’à la dynastie Xiwei (西魏), il y avait déjà la chaise, elles ne peuvent pas prouver que la première chaise apparut en Chine à cette époque. Il est tout à faire possible que la chaise apparut avant Xiwei,soit avant le VIe siècle. 2. Selon l’archéologue anglais Sir Aurel Stein131, la plus ancienne chaise chinoise que l’on a découverte est à l’ouest de la Chine (aujourd’hui dans la province du Xin Jiang 新疆) . A Dong Han (东汉) (25 - 220), le Xin Jiang fut le passage obligatoire de communication culturelle et commerciale entre la Chine ancienne et le monde occidental. Selon la description de Sir Aurel Stein, dans cette chaise, on trouve des gravures bouddhistes de style grec qui étaient souvent utilisées dans le nord-ouest de l’Inde. Les jambes sont en forme de lions ; les accoudoirs sont en forme de monstres de style grec. Les historiens chinois ont beaucoup parlé d’un livre intitulé Hou Han Shu, Wu Xing Zhi, Yi (后汉书,五行志,一)132, dans lequel il est écrit que Han Ling Di (汉武帝) ( 刘宏, l’Empereur de Han,168-189) aime les choses venues de l’étranger, y compris Hu Zuo (胡坐) (un siège venu de l’étranger)133. Tout cela veut dire sans conteste que la chaise existait déjà à Dong Han au moins au temps de l’Empereur LIU Hong. 3. Puisque les images de chaise dans les cavernes de Dunhuan (déjà citées) sont liées au

131 李宗山 (LI Zong Shan), (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), op.cit. p. 41. 132 « Hou han shu » fut écrit par LIU Yue entre 432 - 445. Ce livre raconte l’histoire de la dynastie Han, de 25 à 220. 133 A l’ancienne époque, tout ce qui est venu de l’étranger fut appelé Hu. C’est-à-dire que Hu signifie étranger. 123

Bouddhisme, nous pouvons lancer une hypothèse : les moines bouddhistes furent les premiers à utiliser la chaise en Chine. L’histoire de la chaise pourrait donc renvoyer au temps où le Bouddhisme entra en Chine et commença à se développer officiellement dans le territoire chinois. Selon l’historien du Bouddhisme HUANG Qian Hua(黄忏华 134, l’arrivée du Bouddhisme en Chine est prouvé par l’existence du temple de Bai Ma (temple du cheval blanc). Déjà en 64 de notre ère (calendrier lunaire chinois : 7 ans à Rong Ping 永平七年), l’Empereur Han Ming Di 汉明帝(LIU Zhuang 刘庄, 28 - 75) vit dans son rêve un Dieu (une divinité). Ses officiers prouvèrent le lendemain que ce Dieu existait à l’ouest du Pays. C’est ainsi que l’Empereur envoya dix-huit personnes dont CAI Yin (蔡愔) , QIN Jing (秦景) et WANG Zhun (王遵), etc. à Da Yue Zhi (大月氏) et ils revinrent en Chine en 67, en amenant les livres du bouddhisme sur des chevaux blancs. Satisfait, l’Empereur décida de fonder le temple de Bai Ma en 68 à Luo Yang (洛阳) (jusqu’aujourd’hui, le nom de la ville n’a pas changé). Puisque le Bouddhisme arriva certainement en Chine en 67, l’utilisation de la chaise en Chine fut aussi possible à la même époque, soit environ au Ie siècle, voire avant. 4. Si nous regardons l’histoire de la route de la soie sur laquelle s’exercèrent des échanges culturels et commerciaux entre la Chine et le monde occidental, l’histoire commencée par l’exploitation diplomatique de ZHANG Qian(张骞,164 av.J.C. - 114av.J.C.), la date de l’arrivée de la première chaise en Chine pourrait probablement remonter plus loin que le Ie siècle. Déjà en 138 av.J.C., ZHANG Qian fut envoyé à l’ouest de la Chine par l’Empereur de Xi Han (西汉), LIU Che (刘彻, 156 av.J.C. - 87 av.J.C.) pour établir une relation diplomatique avec le pays nomade mais puissant appellé Da Yue Zhi (大月氏)135. Mais cette fois, il échoua et il fut obligé de se rendre à Xi An 西安 en Chine en 137 av.J.C.. Mais à son retour, ZHANG Qian fut capturé par des ennemis de Xiong Nu (à Xin Jiang) qui apprécièrent beaucoup son intelligence et sa capacité et il fut obligé de vivre chez eux pendant dix ans. En 126 av. J.C. il réussit à retourner en Chine. Pendant ce voyage long et dur, il passa dans les pays étrangers situés à l’ouest de la Chine. En 119 av.J.C., il repartit pour la deuxième fois afin d’assurer sa mission - créer des relations diplomatiques avec ces pays

134 黄忏华 (HUANG Qian Hua),中国佛教史 (zhong guo fo jiao shi), (L’histoire du Bouddhisme Chinois) (zhong guo fo jiao shi), (première édition en 1935, Beijing :商务印书馆 Shangwu Yinshuguan), Beijing : 东 方出版社 (Dongfang Chubanshe), 2008, p.6 - 9. 135 Le mot ‘氏’ se prononce en chinois ‘shi’, mais ici on le prononce ‘zhi’ (支). 124

étrangers. Cette fois, il alla plus loin. Il arriva en Perse, en Inde et en Egypte. Il revint en Chine en 115 av.J.C. Grâce à sa réussite diplomatique, la route de la soie fut formée, et la communication commerciale et culturelle commença officiellement entre la Chine et le monde occidental. Il est tout à fait possible que le mobilier occidental entra au moins dans la province du Xin Jiang à partir de 100 av.J.C. Pourtant, on n’a pas trouvé d’exemple de chaise utilisée à cette époque. Une raison possible est que la chaise était en bois - un matériau qui n’a pas pu se conserver longtemps. La deuxième explication raisonnable est que la chaise, même si elle fut déjà utilisée uniquement par les personnes de pouvoir, ne fut pas encore popularisée à l’ époque, par conséquent, elle fut rarement mentionnée dans les livres et représentée dans les œuvres d’art qui nous sont parvenues. Si nous regardons l’autre face de l’histoire de la fondation de la route de la soie, nous découvrons un facteur important qui amena la prospérité dans tous les domaines, c’est le courage. La complexité et la difficulté de l’exploitation de la route de la soie montre l’esprit serein personnel de ZHANG Qian et l’esprit ouvert de l’Empereur chinois Han Wu Di (刘彻, LIU Che). Il est clair que politiquement et pratiquement, les anciens Chinois avaient l’esprit de réussir dans tout ce qu’ils voulaient faire. C’est avec un esprit ouvert qu’ils adoptaient les nouvelles choses venues d’ailleurs. Nous avons deux questions à poser : cet esprit allait-il influencer l’évolution de la chaise chinoise ? cet esprit peut-il se voir dans la chaise typiquement chinoise, puisque c’est la personne qui crée les objets selon son désir et son esthétique pour exprimer son esprit ? Mais il est trop tôt pour en parler maintenant, car au début, la chaise utilisée en Chine fut toute bouddhiste.

Conclusion :

Dans ce chapitre, nous parlons essentiellement des informations sur la première chaise qui exista en Chine. L’apparition de la chaise haute due aux échanges commerciaux par les anciennes routes de la soie fondées par les héros chinois, par exemple ZHANG Qian, qui peuvent représenter plus ou moins un esprit fort chinois. L’utilisation de la chaise commença chez les moines Bouddhistes. Le Bouddhisme avec les religions originellement chinoises influenceraient l’évolution de la chaise chinoise et nous en parlerons dans le chapitre suivant.

125

Chapitre III

Les religions

Puisque la chaise haute fut introduite en Chine par des moines bouddhistes et qu’elle était utilisée chez des Taoïstes et des Confusianistes, il nous est nécessaire de parler des religions chinoises. Comment la chaise évolua-t-elle dans le cadre religieux ? Ce cadre fut-il une limitation ou une impulsion du développement de la chaise ?

I L’introduction des religions.

Il faut d’abord rappeler que la philosophie fondée par Lao Zi et Confucius n’est pas une religion. Ces deux grands maîtres furent athées. Il faut distinguer le taoïsme de la religion taoïste, et le confucianisme de la religion confucianiste. Ce sont des religions qui furent fondées sur la philosophie taoïste et la philosophie confucianiste et ensuite se sont développées. En ancienne Chine, il y avait la religion taoïste, la religion confucianiste et la religion bouddhiste. Mais, aujourd’hui,en Chine comme en Occident, la plupart des Chinois sont athées, seule une partie très restreinte est croyante. Parmi les croyants, un certain nombre sont déçus de la vie laïque ou se sont confrontés aux problèmes difficiles et cherchent une consolation dans les différentes religions. Les historiens des religions en Chine parlent rarement du rapport existant entre l’évolution des religions et celle du mobilier, les théoriciens du design en Chine ne le font pas davantage que les premiers, ils ne parlent simplement que de la relation existant entre les religions et les arts tels que l’architecture, la peinture et la sculpture. Les idées et les concepts issus des religions sont souvent oubliés quand il arrive qu’un artiste ou un critique d’art analyse un meuble. Il nous est néccessaire donc de parler de la chaise tout en suivant l’évolution des religions chinoises. Dans l’ancienne société chinoise, les religions, comme le Tao, influencèrent irrésistiblement les pensées sociales et ce sont ces dernières qui conduisirent tous les domaines - la politique, la litérature, l’architecture, la musique et la peinture. Il est par 126 conséquent raisonnable que l’évolution de la chaise ait été aussi influencée par les religions différentes. Ces dernières évoluèrent dans les environnements politiques et culturels particuliers des époques différentes. Par exemple, une religion put être prônée à une époque et ensuite dévalorisée voire interdite à une autre époque, tout cela étant dépendant des croyances des personnes détenant le pouvoir. En Chine, il y avaient plusieurs religions, mais parmi elles, ce sont la religion taoïste et la religion confucianiste qui étaient les plus importantes. Les autres écoles de pensées sont issues des premières136. En tant que religion venue de l’étranger, comment le douddhisme évolua-t-il face aux religions chinoises fondées localement ? Et comment exerça-t-il une influence sur la chaise ? Selon ce que l’on a découvert, les images des premières chaises chinoises sont toutes bouddhistes—les chaises furent utilisées le plus par les moins bouddhistes et mises ou représentées dans un environnement typiquement bouddhiste. Il nous est difficile de ne pas croire que la chaise joua dans le monde bouddhiste chinois un rôle important et que le Bouddhisme influença la chaise. Nous parlons maintenant brièvement les rapports entre des religions, en espérant que ce discours puisse refléter l’influence des trois religions sur la chaise.

II La rencontre du taoïsme et du confucianisme.

Il est certain que la chaise est influencée par la pensée humaine, mais il n’est pas certain qu’elle est influencée à la fois par toutes les pensées coexistant à une même époque. Dans l’histoire de la Chine, il n’existe pas d’écoles de pensées complètement contradictoires. Si une religion veut être acceptée massivement par le peuple et trouver son chemin durable dans le pays, il lui faut ne pas se fermer, et emprunter d’autres idées jugées bonnes et acceptées massivement. Le Taoïsme et le Confucianisme, qui peuvent coexister jusqu’à aujourd’hui, ont certainement passé des moments où ils se sont enrichis l’un l’autre. Mais entre eux, selon ce

136 Le taoïsme fut fondé à la dynastie Donghan 东汉(25 - 220) sur le Tao dont le créateur fut Lao Zi 老子(571 - 471 av.J.C.). Le confucianisme fut fondé sur les pensées de Confucius 孔子(551 - 479) et développé par ses élèves et ses admirateurs. 127 qu’écrit XIE Lu Jun (谢路军) dans son ouvrage intitulé Culture du Taoïsme Chinois, il exista aussi des conflits. Ceux qui exaltaient le confucianisme considéraient le taoïsme comme une religion extrême. Egalement, ceux qui firent partie du taoïsme attaquèrent le confucianisme, en disant que le Taoïsme devait être supérieur au Confucisnisme et on donne à cela deux raisons : 1) Le Taoïsme fut issu de l’Empereur Huang (黄帝, 2717 - 2599 av.J.C.). 2) Confucius fut l’élève de Lao Zi. Mais au cours de leurs conflits, il se firent des emprunts l’un vers l’autre. Par conséquent, nous ne devrions pas dire simplement que l’artisanat chinois fut influencé seulement par le taoïsme ou par le Confucianisme. Quand il est néccessaire d’absorber quelques idées de l’une des religions, il n’est pas néccessaire de nier les autres. La chaise chinoise ne devait pas être influencée par une seule religion, mais par toutes les trois.

III La rencontre des trois religions.

Quand les deux religions, le Taoïsme et le Confusianisme, furent confrontées à l’arrivée du Bouddhisme, en tant que religions locales, elles se réunirent pour lutter contre ce nouvel arrivant137. Selon un autre ouvrage des philosophes chinois XIE Lu Jun (谢路军) et son élève PAN Fei (潘飞), intitulé La culture du bouddhisme chinois 中国佛教文化 138, pour exister en Chine, les moines bouddhistes, dès leur arrivée à Dong Han (东汉, 25 - 220), décidèrent de s’approcher de la culture chinoise pour s’y adapter, en disant que Lao Zi était allé en Inde et y devint Bouddha étranger et ensuite il revint en Chine, son pays natal, pour consoler son peuple chinois. Cette idée des Bouddhistes fut utilisée par le Taoïste (王浮) à environ 290 - 300 dans son ouvrage intitulé Lao Zi Hua Hu Shuo (Lao Zi devint étranger) pour dire que puisque Lao Zi fut le père du bouddhisme, et que le Taoïsme devait être supérieur au Bouddhisme. En suite, selon La culture du taoïsme chinois139. WANG Fu écrivit un autre ouvrage fondé sur le précédent, intitulé Lao Zi Hua Hu Jing (老子化胡经), et qui

137 谢路军 (XIE Lu Jun), 中国道教文化 (zhong guo dao jiao wen hua), (La culture du taoïsme chinois), Beijing: 九州出版社 (Jiuzhou Chebanshe), 2008, p. 8. 138 谢路军(XIE Lu Jun), 潘飞(PAN Fei), 中国佛教文化 (zhong guo fo jiao wen hua) (La culture du bouddhisme chinois), Changchun (Chine) : 长春出版社 (Chanchun Chubanshe), 2011. 139 谢路军 (XIE Lu Jun), 中国道教文化 (zhong guo dao jiao wen hua), (La culture du taoïsme chinois), op.cit., p. 264. 128 contient 10 volumes. Face aux querelles lancées par les Taoïstes, les Bouddhistes, pour répondre aux premiers, écrivirent un livre intitulé 起世界经 (Qi She Jie Jing) (l’origine du monde). Ce livre dit que le père du bouddhisme envoya en Chine deux Bouddhas dont le Jia Ye qui devint Lao Zi et un enfant qui devint Confucius. Cette idée dit que le taoïsme et le confucianisme sont tous deux issus du bouddhisme et que le taoïsme fut supérieur au confucianisme. Selon le philosophe chinois LAI Rong Hai (赖永海, né en 1947)140, quand les Taoïstes et les Confucianistes s’unirent, les moines bouddhistes s’approchèrent du confucianisme, car ce dernier était lié profondément à la politique et l’éthique religieuse chinoise. A travers cela, nous recevons deux informations : 1) Le bouddhisme prit toutes ses forces afin de rester en Chine. 2) Le confucianisme avait déjà une influence profonde dans la société chinoise avant que le Bouddhisme arrive en Chine. Nous nous interrogeons si le Confucianisme continuerait à influencer la pensée des Chinois comme auparavant. Les querelles lancées entre les trois religions ne constituaient pas une mauvaise chose pour le développement du bouddhisme en Chine. Au contraire, c’est avec des débats pendant la dynastie Nanbeichao (南北朝, 420 - 581) que le bouddhisme s’installa, s’enracina et se développa en Chine141. L’existence du bouddhisme en Chine, selon La culture du taoïsme chinois142, se prouva difficile, car il fut plusieurs fois admis et interdit par la royauté. Par exemple, pendant la dynastie Tang, le bouddhisme fut prôné par WU Ze Tian (武则天) (la première empereur femme chinoise 624 - 705), car elle fut dans sa jeunesse une moine bouddhiste. L’Empereur Tang Zhong Zong (唐中宗) (nom :李显 LI Xian, 656 - 710) le prona plus fortement que l’ empereur femme WU Ze Tian, il détrusit le livre taoïste Lao Zi Hua Hu Shuo (老子化胡). Pour cela, le taoïste WU Jun (吴筠) défendit le Taoïsme avec son article intitulé Si huan chun fu (思还淳赋), disant que le taoïsme devait anéantir le Bouddhisme. Le rêve de WU Jun fut réalisé à l’époque de l’Empereur Tang Wu Zong (唐武宗) (nom : 李炎,814 - 846) qui, avec le support de ZHAO Gui Zhen (赵归真), LIU Yuan Ying (刘元靖) et DENG Yuan Qi

140 赖永海 (LAI Ronghai), 中国佛教文化论 (zhong guo fo jiao wen hua lun), (Essais sur la Culture du Bouddhisme Chinois), (première édition en 1999), Beijing: 中国人民大学出版社 (Zongguo Renmindaxue Chubanshe), 2007, p. 74. 141 谢路军 (XIE Lu Jun), 中国道教文化 (zhong guo dao jiao wen hua), (La culture du taoïsme chinois), op.cit., p. 41. 142 Ibid., p. 42. 129

(邓元起), attaqua violemment le bouddhisme. A la dynastie Song, à partir de l’Empereur SONG Wei Zong (宋徽宗) (nom : ZHAO Ji 赵佶,1082 - 1135) qui admira seulement le taoïsme, les autres empereurs de la dynastie Song soutinrent et utilisèrent à la fois les deux religions : le taoïsme et le bouddhisme. Ce fut un moteur de l’union de ces deux religions.

Conclusion :

Cette introduction des religions chinoises est significative dans nos discours à condition que nous l’associons avec la forme et la fonction des sièges. En parlant des religions chinoises qui au cours de leur développement, se battirent, s’enrichirent et se fusionnèrent, nous voulons que cette discussion puisse conduire aux questions suivantes : la chaise, en tant qu’objet exotique, suivit-elle aussi la même ligne historique : arriver — fusionner — être adoptée — se développer ? Est-ce qu’on fut inspiré par la forme de la chaise occidentale et l’ajouta au siège originellement chinois ? S’il n’y avait pas eu d’influence de la chaise occidentale, à quoi le siège chinois ressemblerait-il ? Nous allons, dès le chapitre suivant, parler de quelques exemples picturaux et matériels, dans un environnement sous l’influence des religions.

Chapitre IV

Le passage transitoire

De 220 à 960 (De trois pays 三国 aux Cinq Dais et Dix Pays 五代十国)

I La popularisation de la chaise.

La chaise ne fut pas adoptée et popularisée tout de suite dés son arrivée. Elle vécut un passage transitoire durant la période de 220 à 960 (des trois Pays 三国 aux Cinq Dynasties et Dix Pays 五代十国) où les religions, pour gagner la première place sociale, se combattirent et fusionnèrent en même temps. La période de 220 à 907, selon la description historique de LI

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Zong Shan143, fut marquée par ces mots clefs : liberté, taoïsme, métaphysique, bouddhisme, mélange occidental et oriental. A partir de 220 de notre ère, les meubles bas furent remplacés progressivement par les meubles hauts dont les représentants furent les hautes tables et les hautes chaises. Par exemple, le fauteuil de style occidental, comme ceux qu’on voit dans des sculptures installées dans les grottes numéro 251, 260 et 437 de Dun Huang, apparut à l’époque de Bei Wei (220 - 256). WANG Shi Xiang dit : « l’habitude de s’asseoir les jambes pendantes sur des tabourets en forme de sablier faits de paille et d’osier commença à l’époque des dynasties Nord et Sud (386 - 586). Sous la dynastie Tang (618 - 907) tabourets et chaises étaient très répandus et l’on se servait aussi de tables hautes. Néanmoins pendant cette période de transition l’on continua de s’agenouiller ou de s’asseoir en tailleur sur des couches.144» Avec l’utilisation progressive des hauts sièges, il existait encore des sièges bas surtout dans l’échelle sociale la plus basse145. Bien que les combats et les échanges philosophiques se firent entre les religions, la chaise ne fut pas encore acceptée chez d’autres que les moines bouddhistes. La période de 220 à 581 fut à nouveau une époque de guerres, pendant laquelle l’artisanat disparut presque totalement. Pourtant, historiquement, ce fut une époque de liberté, surtout dans le domaine de la pensée et de la croyance. Le système du confucianisme se désagrégea en Chine, en revanche, on vit le développement rapide de différentes cultures :l’apparition de la métaphysique et la transmission du taoïsme et du bouddhisme. Grâce à cela, on vit une époque très religieuse pendant laquelle apparut un grand nombre de grottes religieuses qui reflètent l’ancienne civilisation chinoise, dont la Grotte de Ke Zhi Er à Xin Jiang province, la Grotte de DunHuang à Gan Su province, la Grotte de Da Tong Yun Gan à Shan Xi province etc. En 581, Yang Jian unifia à nouveau la Chine, fonda le dynastie Sui. L’artisanat du peuple se développa rapidement.146 Dans ces grottes religieuses, nous ne voyons que les moines bouddhistes qui prennent la chaise. Est-ce que cela veut dire que les moines taoïstes ne furent pas censés l’accepter à ce moment-là ? Et en gardant leur position physique, voulurent-ils garder leur position sociale ? A travers quelques exemples de chaises

143 李宗山 (LI Zong Shan), 家具史话 (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), op.cit. p. 43. 144 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 7. 145 高丰(GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 154. 146 Ibid.,p. 123. 131 picturales, nous parlons maintenant des rapports entre la chaise et les religions, les religions et la Chine, la chaise et l’humanité.

II Le siège haut chinois et le taoïsme.

Le grand peintre de la dynastie Tang SUN Wei(孙位) créa une peinture intitulée Les sept Sages (fig. 36) ,dans laquelle sont représentés sept sages dont JI Kang(嵇康, 223 - 262), écrivain, musicien et penseur ; RUAN Ji (阮籍, 210 - 263), poète ; SHAN Tao(山涛, 205 - 283), fonctionnaire ; XIANG Xiu(向秀, 227 - 272), philosophe et écrivain ; LIU Ling(刘伶, 221 - 300), fonctionnaire et poète ; RUAN Xian(阮咸)147, musicien ; WANG Rong(王戎, 234-305), fonctionnaire. Ces 7 sages, suivant le Tao, étaient des lettrés. Dans cette peinture, ils sont chacun assis sur un tapis. La position traditionnelle est changée : au lieu de s’asseoir en s’agenouillant, ils s’assoient plus librement sur un tapis. En discutant ensemble dans la nature, ils ont l’air très libres et donc joyeux. A travers cette œuvre picturale, nous percevons au moins deux concepts : le naturalisme du taoïsme et son concept de l’univers. Cette peinture lettrée nous renvoie d’abord au naturalisme du taoïsme qui dit que l’être humain obéit au Tao et que le Tao obéit à la nature148. Il est dit que l’homme doit accéder à la nature et s’y perfectionner, afin de se sublimer spirituellement et percevoir le Tao. Ce dernier est inexplicable et invisible, et donc immatériel. La poursuite de l’immatérialité se reflète dans le sens romantique des lettrés chinois. Cette voie fut suivie tout au long de l’histoire de la Chine. Cette peinture nous montre aussi un concept de l’univers (espace) harmonieux. L’univers est composé de deux éléments : le ciel qui est Yang (阳)et la terre qui est Yin (阴). En termes chinois, la terre est considérée comme la mère de l’homme, c’est-à-dire qu’elle peut procurer toutes les choses. L’homme doit bien s’entendre avec les autres choses qui coexistent dans l’univers. Il n’existe pas de supériorité.

147 On n’a pas de source sur la naissance de RUAN Xian. 148 Le taoïsme dit :人法道,道法自然。(ren fa dao, dao fa zi ran.) le mot‘法’ a plusieux significations, il signifie ici ‘obéir à’, L’homme obéit au Tao et le Tao obéit à la nature. 132

Figure 36. SUN Wei (dynastie Tang, environ VIIe siècle), Les sept sages, (une autre partie est perdue). Les sept sages vivaient à la dynastie Xi Wei, du IIIe siècle au début du IVe siècle.

En fin de compte, cette peinture n’apporte aucun élément de preuve qui peut expliquer l’utilisation de la chaise haute chez les Taoïstes à cette époque. D’ailleurs, chez les Bouddhistes, la situation fut la même.

Figure 37. Un petit lit (榻 Ta) représenté dans la fresque découverte dans la tombe de Si ma jin long, A la dynastie Bei Wei (386 - 557)

Pourtant, on a découvert plus tard un exemple pictural du petit Ta (榻) (fig. 37), représenté dans une fresque de la tombe de Si Ma Jin Long (司马金龙) dont la date peut

133 remonter à la dynastie Bei Wei (北魏,386 - 557)149. Le siège supporté par quatre pieds resemble à une petite table et sur laquelle on aurait ajouté trois plaques de bois derrière et sur les deux côtés pour que la personne assise soit entourée ou protégée. Les tenons sont en formes de nuages. Dans le concept du Taoïsme, les Divinités vivent dans le ciel et voyagent en marchant sur les nuages. Les dessins décoratifs de nuages sont originellement taoïstes. A travers ce Ta, nous voyons que la hauteur du siège chinois s’est élevée. Le désir d’élever le corps est évident. Du point de vue de la structure, puisque ce siège a déjà un dossier, pouvons-nous dire que c’est le premier modèle de chaise chinoise (ou fauteuil) ? Le Ta annonce à la fois le changement de la forme du meuble à s’asseoir et le changement du concept du peuple sur la position physique.

III La chaise bouddhiste et la Chine.

De la dynastie Nan Bei (南北朝, 420 - 581) à la dynastie Tang (唐, 618 - 907), grâce à la propagation du bouddhisme, la chaise fut apportée en Chine centrale. Elle entra d’abord chez les moines bouddhistes, ensuite chez le peuple. Son appellation fut d’abord Yi Zi (倚子). Ce mot chinois ‘倚’ (yi) signifie ‘appuyer’. C’est-à-dire que la chaise fut faite pour qu’on s’y appuie. Entre le milieu et la fin de la dynastie Tang, selon son matériau utilisé: le bois (木), la chaise reçut un autre nom : Yizi (椅子).150 La prononciation est la même, mais les significations sont différentes. En chinois, le fauteuil est appellé fu shou yi (扶手椅) (chaise avec accoudoirs) On a découvert des images de chaises dans les cavernes de Dunhuang (fig. 38). Bien que ces images nous montrent que le fauteuil était déjà utilisé à l’époque voire plus tôt, elles ne nous expliquent pas s’il fut popularisé dans la société. Par ces images, nous voyons aussi un phénomène inexpliquable : les moines sont assis sur les fauteuils parfois avec les jambes déployées et parfois perpendiculaires. Cela nous dit que les moines voulurent probablement garder la position traditionnelle : s’asseoir en tailleur, ou que ce fut une époque transitionnelle

149 董伯信 (DONG Bo Xin), 中国古代家具综览 (zhong guo gu dai jia ju zong lan) (Collection des meubles antiques chinois), Anhui (Chine) : 安徽科学技术出版社 (Anhui Kexuejishu Chubanshe), 2004, p. 89. 150 李宗山 (LI Zong Shan), 家具史话 (jia ju shi hua) (Le discours de l’histoire du mobilier), op.cit. p. 42. 134 où la culture chinoise rencontra la culture occidentale. Un deuxième élément inexplicable est que dans la fresque (fig.38) , la tête du moine bouddhiste n’est pas rasée, il garde les cheveux comme les Taoïstes.

Figure 38. Le fauteuil représenté dans les fresques de la 285ème caverne de Dunhuang, Xi Wei (西魏, 535 - 556) A l’époque, elle fut appellée Hu Chuang 胡床 (lit étranger) ou 胡坐 Hu Zuo (siège étranger)

Le fauteuil fut appelé à l’époque ‘Hu Chuang’ (胡床) (lit étranger) ou ‘Hu Zuo’ (胡坐) (siège étranger). En dépit de l’environnement bouddhiste qui l’entoure, ce fauteuil, du point de vue de la structure, est très simple et moins délicat. Il n’est qu’un objet de support, un outil ordinaire, ne portant aucun concept esthétique. Il est certain que la structure de ce fauteuil est occidentale, mais il y a un nouveau facteur - le Da Nao chinois 搭脑 (bastaing transversal allongé en haut du dossier, il supporte le cerveau de la personne assise). Changer les formes des pièces de bois est le premier pas de la formation de la chaise chinoise. Regardons un autre exemple de chaise.

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Figure 39. Les chaises représentées dans la fresque de la 196e caverne de Dun Huang, sur lesquelles s’étaient assis les moines bouddhistes. Dynastie Xi Wei (535 - 556) — deuxième étape de la dynastie Nan Bei Chao(南北 朝)

Dans cette fresque (fig. 39), quatre moines bouddhistes sont représentés. Portant des robes bouddhistes et pieds nus, avec les têtes rasées, ils se parlent en ayant l’air très gai. Parmi eux, deux moines bouddhistes sont assis chacun sur un fauteuil. Les fauteuils ont chacun un bastaing allongé et courbé (da nao). Le bastaing courbé est le deuxième pas de la formation de la chaise chinoise. Il semble que ces fauteuils soient plus solides et raffinés et donc plus délicats que celui présenté précédemment. La troisième nouveauté sont des jambes qui supportent directement les accoudoirs et cela est typiquement chinois. Il est intéressant de remarquer que deux autres moines bouddhistes à gauche sont assis sur un Ji (机). C’est un meuble originellement chinois pour poser du thé ou de la nourriture, mais le Ji présenté ici est fait pour s’asseoir. Les sièges étrangers et celui originellement chinois sont mis ensemble, c’est une rencontre matérielle qui peut nous faire penser à une rencontre de philosophie entre la pensée occidentale et chinoise. La chaise fut utilisée progressivement dans la société. Le peuple, en regardant les moines bouddhistes assis sur une chaise, s’accommodait de l’existence de ce petit nouveau meuble et

136 l’utilisait de plus en plus dans la vie quotidienne151. La prospérité de la dynastie Tang est dûe à l’esprit ouvert de l’empereur et du peuple. On chercha et accepta différentes choses venues de différentes parties du pays et du monde. Quelques routes de communications internationales étaient exploitées, offrant de grandes opportunités historiques. Parmi les routes, selon l’Histoire du design chinois152, il y avait la Route de la Soie se déroulant de Chang An à l’Asie centrale et à l’Europe et une autre route partant par la mer de Guang Zhou en Chine jusqu’au Golfe Persan, ainsi que la Route de la Céramique traversant la mer de Yang Zhou(杨州)et celle de Ming Zhou(明州)et l’Asie occidentale, jusqu’au Golfe Persan.

Figure 40. La joie dans le palais,(gong le tu, 宫乐图), peinture sur soie, dynastie Tang (618 – 907).

C’est sans conteste la capacité à assimiler de nouvelles cultures qui fit de la dynastie Tang l’Empire le plus puissant du monde à l’époque. Tang privilégiait presque tous les domaines, surtout le développement économique qui soutenait ensuite la recherche scientifique et littéraire. Avec la richesse économique et sociale, on chercha une vie plus

151 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p. 71-72. 152 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 125. 137

élevée. C’est ainsi que le mobilier de confort et de luxe devint très recherché. Par exemple, nous voyons une vie très gaie dans la peinture intitulée La joie dans le palais qui date de la dynastie Tang (fig. 40). Les musiciennes, assises confortablement sur des tabourets, sont en train de jouer de la musique autour d’une grande table. Il semble que les formes et les couleurs des tabourets soient plutôt féminines et les tabourets de ce genre ne furent probablement que pour les femmes. Il est néccessaire d’ajouter que les pieds des tabourets représentés dans cette peinture sont typiquement à la chinoise, car ils sont courbés avec des pieds-sabots incurvés. A la fin de la dynastie Tang (fin du VIIIe siècle), la tradition de s’asseoir à genoux se perdit complètement153. Pourtant, cela faisait déjà une longue période d’environ 300 ans depuis l’accès de la chaise en Chine. L’acceptation de la chaise ne fut pas aussi rapide que lorsque nous acceptons une nouvelle chose aujourd’hui.

Figure 41. GU Hong Zhong 顾闳中, Banquet de nuit de HAN Xi Zai 韩熙载夜宴图, œuvre complète 28.7 x 335.5cm, ce sont deux des quatre volumes, peinture sur soie,Cinq Dynastie et Dix Pays 五代十国 (907 - 960).

153 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p. 71 - 72. 138

Après la dynastie Tang, la chaise ne fut pas le seul meuble pour s’asseoir, d’autres sièges coexistaient dans la vie quotidienne. Cette situation se révèle dans la peinture de GU Hong Zhong 顾闳中, intitulée Banquet de nuit de HAN Xi Zai (fig. 41), créée en Cinq Dynasties et Dix Pays 五代十国 (907 - 960). Cette œuvre narative représente un vrai banquet de nuit de HAN Xi Zai (韩熙载, 902 - 970), le ministre de l’empereur LI Yi (李煜, 937 - 978). Voulant se protéger de la politique, HAN Xi Zai se plongea dans les banquets de nuit. En faisant cela, il voulait annoncer au public que son intérêt n’était pas dans la politique. C’est-à-dire qu’il n’avait pas l’intention de prendre le place de l’empereur. Quand l’empeureur LI Yi entendit cette nouvelle, il envoya deux peintres y participer comme espions, dont Gu Hong Zhong (顾闳中, env.910 - 980) et ZHOU Wen Ju (周文矩, 943 - 975). L’empereur fut convaincu par deux œuvres de ces peintres et la place politique de HAN Xi Zai fut ainsi gardée. Dans ces peintures, plusieur types de sièges sont représentés : les chaises, le Ta noir (le lit à s’asseoir) et les Duns pour les femmes. Les chaises noires paraîssent plus raffinées et solides qu’auparavant. Les Da Nao allongés et courbés sont utilisés en haut des chaises. Le milieu du dossier est un peu courbé en forme de ‘S’ afin de donner un confort au dos de la personne assise. Les sièges des chaises sont larges et couverts par des bas coussins. Les repose-pieds, éléments inspirés de la chaise occidentale, sont aussi représentés. La simplicité et la proportion sont remarquables. Du point de vue de la forme et de la structure, les chaises représentées sont typiquement chinoises. Dans l’œuvre présentée en haut, HAN Xi Zai est assis sur la chaise en tailleur. Sa position nous fait penser à celle du moine bouddhiste déjà présenté. Aujourd’hui, nous prenons rarement la même position quand nous sommes assis. Cela veut dire qu’à l’époque de HAN Xi Zai, les façons de s’asseoir furent diverses dans la vie quotidienne. D’ailleurs, nous voyons aussi l’influence du taoïsme. Par exemple, les peintures acrochées sur les murs sont l’art des lettrés.

IV La chaise et la relation humaine.

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La chaise fut acceptée et utilisée, mais, à travers l’histoire de la dynastie Tang, nous voyons dans la culture du passé des choses émergentes et bouleverssantes, il s’agit de la révolution violente de la relation humaine. Â partir de la dynastie Tang (VIIe siècle), selon La chaise change la Chine154, un changement brutal commença. Chez le peuple, la façon de s’asseoir sur la natte disparut. On pouvait s’asseoir sur une chaise ou un tabouret avec les jambes perpendiculaires. Mais quand on rencontrait l’empereur et lui adressait la parole, on était obligé de s’agenouiller sur le sol. De ce phénomène, nous sommes étonnés par le fait que la façon de s’asseoir à genoux sur la natte fut jugée de bonne manière à l’époque précédente où la chaise et le fauteuil étaient absolument absents, alors qu’elle devint ensuite une étiquette humble pour le peuple surtout pour les officiers de l’état qui devaient souvent rencontrer l’empereur. C’est ainsi que la révolution relationnelle entre l’empereur et ses officiers commença, l’empereur devint désormais un maître dont les officiers devinrent les serviteurs, leur identité était dévalorisée sans arrêt jusqu’à ce qu’ils devinssent plus tard les esclaves de l’empereur. Au fur et à mesure que le siège (la place) s’élevait, la distance entre l’empereur et ses officiers s’élargissait : la position de l’empereur montait vers le haut jusqu’au ciel car il fut appelé le fils du ciel, alors la position des officiers fut abaissée vers la bas jusqu’à la terre, ils étaient donc obligés de s’agenouiller par terre devant lui. Quant à l’appellation de la place entre les deux, pendant la dynastie Tang (VIIesiècle), l’empereur appelait ses hauts officiers ‘Qing’ (卿). Cette appellation peut être considérée comme le synonyme de ‘ministre’ que nous adoptons aujourd’hui.155 Cette condition de s’asseoir nous rappelle le siège de la condition du Moyen Âge en Occident où le peuple pouvait s’asseoir sur une chaise à la maison, mais sur un banc pendant la fête ou devant son seigneur. Pourtant en Occident, s’asseoir sur un banc permettait quand même au peuple de garder sa dignité, alors que la dignité du peuple chinois se perdait complètement quand on mettait à genoux à terre devant l’empereur. Pourtant, ce ne fut que le début de la cruelle révolution de la relation humaine.

154 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p. 87. 155 Ibid., p. 128. 140

Conclusion :

La période qui se déroule de 220 à 960 fut une époque transitoire pour les sièges chinois. D’un côté, la natte fut encore utilisée, de l’autre côté, les hauts sièges, par exemple le Ta, apparurent et se multiplièrent. Le développement des sièges chinois de la dynasite Tang fut dû à deux facteurs essentiels : en matière d’économie, c’est la prospérité en tous les domaines; en matière de la conception, c’est la simplicité qui est un point commun des pensées religieuses des trois Ecoles qui en apparence s’évinçèrent mais en fait s’influencèrent : le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme. C’est dans cette circonstance intellectuelle paradoxale que les sièges chinois se développèrent et prirent une nouvelle forme. Cette dernière pourrait être considérée comme une synthèse des pensées des trois religions et témoigner de l’harmonie de leur coexistence. Ce raisonnement pourrait aussi démontrer la capacité des Chinois à assimiler les différentes pensées pour acquérir une pensée plus raisonnable. C’est ainsi que vint une nouvelle époque pendant laquelle se forma l’école de ‘Li’ (理) (raison) : néo-confucianisme qui se basait sur les trois religions. La pensée de Li influença la conception des sièges chinois qui du point de vue de l’humanité devinrent désormais plus raisonnables.

Chapitre V

Un siège plus ‘raisonnable’

De 960 à 1368 (De la dynastie Song 宋 à la dynastie Yuan 元)

I La généralisation de la chaise.

Pendant la dynastie Song (960 - 1279), l’atmosphère économique, politique et sociale paraît plus libre. Cette circontance rend possible le fait que le haut mobilier se développe librement et se généralise dans toute la société. L’échelle sociale la plus basse était autorisée à utiliser la chaise à la maison, mais cette autorité était absolument absente quand on se présentait devant l’empereur. Mais la contribution primordiale au développement du mobilier

141 fut due à la classe la plus haute dont les officiers et les aristocrates construisirent leurs maisons et jardins privés et cette construction nécessitait davantage de hauts meubles de qualité. Le développement de l’économie et de l’artisanat, selon L’hisoire du design chinois de GAO Feng156, a toujours concerné les autorités, surtout le chef de l’état. ZHAO Kuangrun 赵 匡胤 (927 - 976) fonda la dynastie Bei Song 北宋 (960 - 1127)(Song du nord) dont la capitale fut Bian Jing 汴京 (aujourd’hui à Kai Feng 开封, Chine). Après la dynastie Song du nord, ZHAO Gou 赵构 fonda la dynastie Nan Song 南宋 (1127 - 1279) (Song du sud) dont la capitale fur Lin An 临安 (aujourd’hui Hang Zhou 杭州, Chine). Durant les deux dynasties, les autorités soutinrent et poussèrent le développement dans quatre domaines principaux, c’est-à-dire l’artisanat, le commerce, la science et la technique. La division de travail fut très sévère et détaillée dans les ateliers royaux. L’artisanat privé se développait plus vite que pendant la dynastie Tang. C’est ainsi qu’on vit grandir la prospérité technique et mobilière. Parmi quatre grandes inventions techniques chinoises, trois inventions virent le jour à cette époque: la boussole, la typographie, la poudre explosive. Tout le mobilier assimile la culture chinoise et porte le style chinois. Jusqu’à la dynastie Song du nord, selon TAN TAI Zhuo Er157, la chaise devint un meuble ordinaire : tout le monde pouvait la prendre. Il est intéressant de noter que Confucius qui ne connaissait réellement pas la chaise en son temps, fut une fois représenté en statue divine et assis confortablement sur une chaise, en dépit de l’opposition violente de ZHU Xi (朱熙) pour qui cette représentation ne devait pas être authentique selon l’histoire.

II Un siège plus ‘raisonnable’.

J’appelle la chaise Song une chaise plus raisonnable, parce que pendant cette époque (960 - 1279), trois religions fondamentales telles que le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme s’unirent, en regard de la philosophie. La vitalité des religions dut au soutien de

156 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p.163. 157 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p. 92. 142 la royauté de Song, par exemple ZHAO Kuang Run (赵匡胤, 927 - 976), le fondateur de Song. Le bouddhisme, qui avec les temples concernés furent profondément touchés par les guerres, se mit dans le processus de l’assimilation avec d’autres religions et la vie quotidienne du peuple. Un caractère majeur du bouddhisme de la dynastie Song fut la popularité du Zen (禅 chan) qui influença dans une large mesure les écoles de Li (理学) : néo-confucianiste158. Le mot chinois ‘li’ (理) signifie ici ‘règle’ et ‘raison’ ou ‘raisonnable’ , il est issu du Tao qui cherche les règles de l’Univers. Pour une chaise ‘raisonnable’, une caractéristique fondamentale est l’adaptabilité. C’est-à-dire qu’une chaise doit s’adapter au circonstances dont deux facteurs importants sont le statut de la personne et le confort physique. Regardons les trois exemples suivants.

II-I Un tabouret pour les Ordinaires.

Figure 42. WANG Ju Zheng (王居正, 1087 – 1151, Bei Song), Rouet (partie), l’ensemble : haut :26.2 , large : 69.cm. Le tabouret représenté dans cette peinture de WANG Ju Zheng (王居正, 1087 – 1151), intitulée Rouet (en partie) (fig. 42), est le tabouret le plus simple. Il ne fut utilisé que chez les personnes ordinaires ou les pauvres. Rien n’est remarquable du point de vue de la structure et

158 星云大师 (XING YUN Le Grand Maître), 佛教史 (fo jiao shi), (L’histoire du bouddhisme), Shanghai : 上 海辞书出版社 (Shanghai Cishu Chubanshe), 2008, p. 149 – 150. 143 de la beauté. Il est fait d’un morceau de bois et de quatre pieds non travaillés. Pourtant, avec sa simplicité et son économie et sa légereté, il convient bien à une personne qui travaille, comme cette femme représentée dans la peinture. Nous voyons une gaieté présentée par le sourire de la femme qui vit dans la nature. Sa joie est un don dédié à la nature. Le peintre, avec la pratique du vide, a convié le naturalisme et le Zen dans cette œuvre.

II-II Un fauteuil pour les riches.

Figure 43. anonyme, Jiao Yin jouant au ballon (蕉荫击球图), haut : 25cm, large : 24.5 cm, Song, collection du Musée national de Bei Jing.

Le fauteuil représenté dans cette peinture, intitulé Jiao Yin jouant au ballon (fig. 43), s’adapte bien à la famille riche. Le siège est en cordes tissés qui donnent un confort. Les accoudoirs courbés et le dossier en forme de ‘S’ sont liés. Les pieds qui se croisent en deux formes de ‘X’ paraissent pliables. La structure de ce fauteuil est simple mais paraît élégante. Le fauteuil et la table placée devant lui s’adaptent bien à l’environnement représenté dans la peinture et révèlent la simplicité que prônent le taoïsme, le Confuciansme et le Zen. Ce qui est remarquable est l’accoudoir courbé en demi cercle et les appuis incurvés. Cette conception à la chinoise était désormais généralisée.

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II-III Uu fauteuil pour un Lettré.

Figure 44. Les 18 lettrés (partie), dynastie Song, Musée national de Bei Jing

La peinture représentant Les 18 lettrés de la dynastie Song (fig. 44), présente au Musée national de Bei Jing, fut crée pendant la dynastie Song, mais elle représente un événement de la dynastie Tang pendant laquelle l’empereur LI Shi Min (李世民, 598*599 - 649) organisa une institution de littérature dont les membres étaient dix-huit lettrés. Dans cette peinture le fauteuil est pris par un des lettrés qui regarde vers la peinture tenue par une fille à droite. Le siège du fauteuil est de forme carrée. Le repose-pieds et le fauteuil sont liés en un ensemble inséparable. La surface du repose-pieds et celle du siège sont teints en vert et cela fait que le fauteuil se distingue des autres sièges, car un siège est rarement teint en vert, les traverses du siège qui sont en partie dorée montrant un certain raffinement. Toute la structure du fauteuil est composée des planches très fines, laissant des espaces vides et rendant le fauteuil simple. La simplicité et le vide qui pourraient engendrer une sorte d’élégance correspondent bien à la notion du Taoïsme de non-décoration. C’est-à-dire que 145 l’on décore un objet en respect de la nature et de la beauté des matériaux. L’objet effectivement décoré devait paraître non-décoré. Ce fauteuil correspond aussi à l’honêteté du Confucianisme dont la notion est interprétée par le terme classique ‘wen zhi bin bin’ (文质彬 彬). C’est-à-dire qu’on doit prendre en considération deux facteurs importants : le ‘wen’ qui correspond aujourd’hui au terme ‘décoration’ et le ‘zhi’ qui correspond aujourd’hui au terme ‘fonction’. Le terme ‘bin bin’ signifie que la décoration et la fonction doivent être justes. Selon cette notion, un objet utilitaire ne doit pas être très luxueux et il doit correspondre au statut de la personne qui l’utilise. Aujourd’hui, en termes chinois modernes, une personne gentille, honête et polie est souvent dite ‘wen zhi bin bin’. Par conséquent, un siège ‘wen zhi bin bin’ correspond bien à la personne ‘wen zhi bin bin’.

II-IV Un fauteuil de la religion bouddhiste. A la dynastie Song où le Bouddhisme fut dominant, un siège du bouddhisme était-il différent de celui des aristocrates et des gens ordinaires ?

Fogure 45. LIU Song Nian 刘松年, Portrait du Lohan (moine) 罗汉画像, dynastie Song (partie).

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A travers la peinture de LIU Song Nian (刘松年, env. 1155 - 1218), intitulée Portrait du Lohan (portrait du moine bouddhiste 罗汉画像) (fig. 45) , nous voyons que le fauteuil du Bouddhisme est bien différent de ceux qui étaient utilisés dans les familles ordinaires et aristocratiques par quelques aspects. La première différence se voit par le tapis à motifs religieux qui recouvre le siège et le dossier. Cette interprétatioin picturale révèle l’engouement pour le Bouddhisme et sa dignité religieuse. La deuxième différence est la vraie ‘non-décoration’. C’est-à-dire que le fauteuil garde la couleur originelle du bois et que les seules pieces décoratives sont les tenons simples en motifs de nuages et les traverses avant en bas qui sont ajourées en trois motifs de nuages. Il est noté que les motifs de nuages sont typiquement taoïstes, car selon le dogme du taoïsme, les divinités sacrés (les dieux) vivent dans le ciel et autour des nuages qui peuvent aussi servir comme moyen de transport pour les divinités quand elles ont besoin de voyager. L’adoption du motif de nuages dans le fauteuil bouddhiste pourrait être une démonstration de la tendance vers l’unité des trois religions. Par ailleurs, la dignité bouddhiste est représentée aussi par les différentes tailles de deux personnages représentés dans la peinture, dont le grand est le moine, le petit est celui qui se présente devant le premier et lui présente (ou donne) un cadeau. Il apparaît que le petit personnage est un civil. La distinction entre le grand et le petit, entre le haut et le bas, entre la divinité et le civil, a pour objectif de marquer la hiérarchisation de la position sociale. Cette différenciation positionnelle révèle aussi le désir du bouddhisme de s’imposer et de garder sa propre position sociale importante.

II-V Un trône de la religion taoïste. Cette œuvre (fig. 46) est une partie des fresques qui se trouvent dans le Palais de Rong Le (永乐宫) à Shan Xi (山西). Elle est intitulée Culte vers le Yuan (朝元图). Le Palais de Rong Le est un siège important du taoïsme, il subit un incendie au début du Yuan, sa reconstruction dura pendant 15 ans. Son nom originel était Rongle Guan(观). Le mot ‘Guan’ (观)en chinois classique signifie une sorte de temple alors qu’en chinois moderne il signifie ‘observer’, ‘regarder’. Le mot ‘Gong’(宫)signifie en fraçais ‘palais’. L’évolution d’un ‘temple’ à ‘palais’ révèle l’attachement, l’engouement et le soutien royaux pour le taoïsme. 147

Figure 46. Culte vers le Yuan (Chaoyuan tu 朝元图), à Rong le gong de Shan Xi province, Yuan (元) (1271 - 1368).

Dans cette partie de la fresque, le trône du Grand Empereur de Jade( yu huang da di) est décoré des motifs de nuages originellement taoïstes. L’ensemble du dossier resemble à une arche religieuse. Le siège est très large. Le trône est équipé d’un repose-pieds joliment rembourré. Ce trône est remarquable par sa taille grandiose, sa solidité, sa structure complexe et sa décoration typiquement taoïste. Au delà du trône même, il nous convient de noter aussi quelques autres éléments. Le premier est la couleur. Dans la fresque, les couleurs les plus utilisées étaient probablement le bleu et le rouge, mais avec le temps, les couleurs se sont déteintes et le bleu est finalement devenu vert comme nous le voyons aujourd’hui. Quand le bleu et le rouge sont associés, cela atteint un effet fort. Le deuxième élément montre les tailles différentes entre le Grand Empereur de Jade et son entourage. Nous avons parlé précédemment de la signification de la différenciation des tailles des personnages. Dans cette fresque, cette différenciation ne signifie pas autre chose que la hiérarchisation de la position au sein du monde taoïste. Le troisième élément est l’image originelle du Grand Empereur de Jade. Cette représentation iconographique du Grand Empereur de Jade était désormais un modèle important.

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Aujourd’hui, nous pouvons voir très souvent la même représentation dans les peintures de Nouvel An chinois (年画 nian hua). Les peintures de Nouvel An chinois sont aujourd’hui une tradition qui existe essentiellement dans les campagnes où les traditions chinoises demeurent plus que dans les grandes villes dites modernes. C’est-à-dire que traditionnellement les Chinois fêtent leur nouvel an en espérant que le Grand Empereur de Jade puisse leur amener un grand bonheur. Par cette fresque, nous voyons que le Taoïsme était beaucoup plus aimé et popularisé dans la société et ce phénomène ne change pas aujourd’hui. Mais le taoïsme ne ferme pas ses portes. Au contraire, il les laisse ouvertes. Ce qui vient du Bouddhisme est le Halo. C’est-à-dire que les têtes des Taoïstes (divinités) sont auréolés. Agrandir l’image du moine pour accentuer l’importance d’une religion, c’est ce que nous avons expliqué dans le discours lorsque nous parlons du fauteuil du Bouddhisme. Les peintres de cette fresque reprirent la même façon d’agrandir l’image du Grand Empeureur de Jade et son trône pour distinguer sa position supérieure parmi d’autres personnages qui se trouvent autour de lui. Cela dit qu’à l’intérieur du monde du taoïsme il existait une classification et une hiérarchisation. A l’extérieur du monde du taoïsme, avec l’immensité de la scène d’activité représentée dans cette fresque, les Taoïstes voulurent aussi montrer l’importance et la puissance du taoïsme afin d’obtenir l’autorité de prendre de la parole dans la société et de s’imposer aux autres religions.

III Un fauteuil matériel de la dynastie Yuan.

A la dynastie Yuan (元, 1271 - 1368) pendant laquelle l’empereur gouverna toutes les minorités chinoises, on vit dans le mobilier un mélange de caractéristiques venus des quatre côtés du pays. En 1271, HU Bilie (忽必烈, 1215 - 1294, mongol) prit le pouvoir, fonda la dynastie Yuan, et mélangea en même temps les cultures différentes venues de différentes parties de Chine. Le mobilier fut par conséqent un meuble dans lequel est plantée l’unité de trois cultures: la culture mongole, la culture de l’ouest et la culture de Han.159 Il apparut une

159 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p.164. 149 grande diversité de chaises, par exemple, la chaise avec un dossier (kao bei yi 靠背椅), une chaise en forme de X (jiao yi 交椅), une chaise avec un dossier circulaire (quan yi 圈椅)、un fauteuil (fu shou yi 扶手椅) etc.. L’habitude de s’asseoir sur la natte disparut complètement, il vint une nouvelle ère où on s’asseyait sur la chaise jambes pendantes.

Figure 47. Fauteuil en forme de X de la dynastie Yuan (1271 - 1368)

Celui-ci (fig. 47) est le premier fauteuil matériel chinois qu’on a découvert. Le même type de fauteuil est déjà représenté dans la peinture intitulée Jiao Yin Jouant au Ballon de la dynastie Song. Le mobilier Yuan suivit le mobilier Song, le développemennt ne paraît pas rapide, les nouveautés ne furent pas évidentes. Comme le mobilier de Song, la structure du fauteuil est valorisé par sa simplicité. Un seul bois rond courbée qui sert d’accoudoir et de traverse supérieure est lié à la jambe. Par cette liaison, nous voyons une ligne élégante glissant de haut en bas. Les quatre jambes se croisent en deux formes de ‘X’ permettant de se replier. Le siège est composé de cordes permettant aussi de replier le fauteuil. La nouveauté est sans doute le repose-pieds, qui n’est pas placé par terre mais installé sur l’avant pied horizontal. Il est à noter que le tenon du repose-pieds ainsi que les tenons installés sous les

150 deux supports des accoudoirs sont exécutés en motif de nuages. Le motif gravé sur le dossier ne quitte pas non plus l’influence du taoïsme.

IV Un risque social.

A travers cette analyse, nous voyons l’omniprésence de la hiérarchisation qui existait à l’intérieur d’une religion, entre les religions, mais aussi entre le Chef de l’Etat et son peuple. A partir de la dynastie Jin (金 1115 - 1234), l’empereur commença à punir ses officiers à sa volonté. Il les faisait fraper avec un bâton160. La punition physique se tenait parfois en dehors du palais royal, parfois à l’intérieur juste devant l’empereur assis sur son haut trône. Depuis la dynastie Yuan (1271 - 1368), l’empereur appelait directement les noms des officiers et son peuple161. Devant l’empereur qui se donna un nom divin: le seigneur, on était obligé d’être un « esclave ». Il apparaît ainsi qu’on revient à la société esclavagiste.

Conclusion :

Après les époques transitoires, les sièges chinois évoluèrent à partir de la dynastie Song (960) avec l’évolution des religions et de la pensée sociale, et entrèrent progressivement dans les familles ordinaires. Comme les religions, les sièges tendirent à s’adapter aux circonstances diverses telles que le contexte politique ambiant, la classification et la hiérarchisation sociale, et le niveau de l’économie. Parmi les sièges divers, la simplicité de la structure était valorisée et le confort physique était pris en compte. Il existe aussi d’autres nouveautés, par exemple la traverse et l’accoudoir sont liés par un seul bois rond courbé, et l’appui frontal est incurvé vers l’extérieur. A partir de la dynastie Yuan (1271), la beauté de la ligne courbée est mise en œuvre. L’influence des religions continuait à exercer sur la conception du mobilier. A la dynastie Yuan où se prônait le Néo-confucianisme, les sièges paraissent aussi raisonnables que ceux de la dynastie Song et ils annonçaient les nouvelles formes de la dynastie Ming qui connut le sommet du mobilier chinois.

160 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p. 126. 161 Ibid, p. 128. 151

Chapitre VI

L’apogée de la chaise chinoise

De 1368 à env.1700

(De la dynastie Ming (明) au début de la dynastie Qing (清))

I Le style Ming.

Figure 48. Meubles de Ming

A partir de son apparition en Chine, la chaise vécut trois périodes : l’adaptation(Ie siècle av.J.C. - Ve siècle), la transition (Ve siècle - Xe siècle), le développement (Xe siècle - XIVe siècle). A la dynastie Ming (XVe siècle), il est temps d’atteindre le sommet du mobilier traditionnel chinois (fig. 48). Aujourd’hui, le mobilier Ming (1368 - 1644) est déjà très connu dans le monde surtout chez les connaisseurs et les collectionneurs de mobilier. C’est un héritage précieux de l’ancienne Chine. Cette histoire ne se passa pas toute seule, elle suivit

152 comme auparavant l’évolution dans presque tous les domaines, y compris la politique, les religions, la philosophie. Le terme ‘mobilier de Ming’ (明式家具 ming shi jia ju) signifie les meubles qui furent fabriqués à partir du milieu de la dynastie Ming jusqu’au début de la dynastie Qing. C’est au respect de cette chronologie particulière que nous mettons dans le même chapitre le mobilier fabriqué dans les deux dynasties : Ming et Qing. En 1368, ZHU Yuan Zhan (朱元璋, 1328 - 1398, Han) fonda la dynastie Ming. A ses débuts, ce fut une époque de guerres, le développement de l’économie et du mobilier connut par conséquent une rupture. Sous le règne de ZHU Yuanzhang qui s’attacha à pousser l’économie sociale, l’économie féodale se développa très vite. Le gouvernement créa un grand nombre d’ateliers royaux de l’artisanat. Les marchandises étaient plus abondantes qu’auparavant. Le mode de production capitaliste apparut dans certains endroits. C’est ainsi que l’artisanat vit son apogée.162 Parmi les meubles Ming, il y a deux catégories fondamentales de sièges : le tabouret et la chaise. Quant aux types des sièges, il y en a six: 1, tabourets carrés(方凳), rectangulaires et ronds (wu deng 杌凳) ; 2, tabourets tambours (zuo dun 坐墩) ; 3, tabourets pliants(jiao wu 交 杌) ; 4, bancs (chang deng 长凳); 5, chaises (kao bei yi 靠背椅) (chaise à s’appuyer) et les fauteuils (fu shou yi 扶手椅) (chaise avec accoudoirs). Dans la cinquième catégorie, il y a plusieurs types différents : fauteuils à dossier circulaire (quan yi 圈椅) ; chaises pliantes (jiao yi 交椅) ; fauteuils à bonnet du lettré sans ou avec deux (ou quatre) points allongés (guan mao yi 官帽椅) ; 6, Les trônes (bao zuo 宝座).163 Dans les parties suivantes, nous regarderons d’abord trois exemples fondamentaux de fauteuils Ming pour nous repérer et nous faire une idée précise. Nous parlerons après des moteurs qui façonnent le style de Ming. A la fin, nous faisons des analyses plus profondes du style Ming. Nous saurons mieux pourquoi il porte tellement de bonnes caractéristiques et exerce massivement une influence internationale.

II Les fauteuils Ming.

162 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 213. 163 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 15. 153

Le premier fauteuil que nous montrons est un fauteuil à bonnet de lettré avec quatre pointes allongés (四出头官帽椅 si chu tou guan mao yi) (fig. 49). Cette appellation est issue des caractères du fauteuil même dont le dossier est inspiré par le bonnet du lettré chinois. Quatre pointes allongées se trouvent respectivement sur deux côtés de la traverse supérieure et sur les devants des accoudoirs. Dans ce fauteuil, les parties supérieures qui sont installées sur le siège sont courbes, par exemple, les accoudoirs ainsi que ses surpports, le dossier et la traverse supérieure, se portent en une ligne courbe, tandis que les parties inférieures telles que le siège qui est en natte tissée, les quatre jambes, les traverses inférieures sont droits. Deux supports de milieu des accoudoirs sont exécutés en forme de vase de fleurs dont la partie en bas se présente en forme ronde. Du point du vue de l’esthétique, cette forme rend la structure du fauteuil complet dont les composants sont la pointe, la lingne et les facettes : les points se trouvent sur les extrêmités des accoudoirs et de la traverse supérieure, les lignes se trouvent sur toutes les parties et la facette est représentée par le siège. A travers le dossier, nous voyons la mise en œuvre de la notion d’‘ergonomie’ même si cette terminologie n’était pas encore utilisée à l’époque, car le dossier est exécuté en forme ‘S’ pour s’adapter à la figure extérieure du dos humain.

Figure 49. Fauteuil à bonet allongé de lettré de Ming 四出头官帽椅 (si chu tou guan mao yi) (env.XVIe siècle).

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Les lignes représentées dans le fauteuil nous renvoient aux traits divers dans la peinture de l’encre chinoise : les traits droits ou courbes, fins ou durs, légers ou lourds, clairs ou fonçés. Entre les traits différents, se voient des espace vides. Par exemple le dossier nous montre particulièrement deux espaces vides qui autorisent la communication entre l’avant et l’arrière. Il apparaît que les deux notions principales de la peinture traditionnelle chinoise--le vide et le plein sont abordées dans la conception du fauteuil. (On a rarement abordé les principes de la peinture dans l’analyse d’un meuble)

Figure 50. Fauteuils à bonnet du lettré Ming 官帽椅 (env. XVIe siècle).

Il y a aussi un type de fauteuil à bonnet de lettré qui a seulement deux pointes allongées et un autre type qui n’en a aucun (fig. 50). Puisqu’en ancienne Chine, il y avait plusieurs sortes diverses de bonnets de lettré, chaque type de dossier correspond à un type de bonnet du lettré. Ce fauteil a touts les caractéristiques qu’a le fauteuil à bonnet du lettré avec quatre pointes allongées présenté précédemment. Une différence est la forme d’arche des tabliers sous les quatre côtés du siège et cette arche est manipulée en motif de nuages. Une autre différence est la partie creuse au milieu de la traverse supérieure qui est exécutée pour donner un confort à la tête de la personne assise.

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Figure 51. Quan yi de Ming 圈椅 (fauteuil à dossier circulaire), ou Tai shi yi 太师椅 ( fauteuil du maître de l’empereur).

Celui-ci (fig. 51) est un fauteuil à dossier circulaire. Il porte un autre nom : Tai shi yi (太 师椅) (fauteuil du maître de l’empereur). Un bois rond courbé, formant un demi-cercle, sert à la fois d’accoudoir et de traverse supérieure. Le dossier est gravé d’un motif de fleurs. Au milieu du dossier, nouv voyons une représentation d’une peinture gravée. Avec le cadre rectrangulaire qui entoure les éléments gravés, il semble que ce soit une sorte de cachet. Il y a donc trois cachets marqués sur le dossier. L’ordre des trois ‘cachets’ représente une sorte d’harmonie. A savoir que le petit ‘cachet’ en rectrangle est mis en bas et il sert de socle au deuxième ‘cachet’ en rectrangle vertical qui est plus grand et plus important, en haut de ce dernier. C’est une ‘tête’ légère représentée par le petit ‘cachet’ qui est en forme de pétale. Sous les quatre côtés du siège, il y a, comme dans les fauteuils à bonnet du lettré sans pointes allongées, des arches en forme de nuages, et y sont ajoutés des motifs de fleurs. Comme les deux types de fauteuil présentés précédemment, les parties supérieures de ce fauteuil présentent la beauté des lignes courbes, tandis que les parties inférieures représentent la force

156 que pourraient engendrer les lignes droites.

III Les moteurs qui façonnent le mobilier Ming.

Les historiens du mobilier chinois ont beaucoup parlé des caractéristiques du mobilier Ming, pourtant ils n’ont guère parlé ou souligné les motivations qui façonnent ce mobilier. Leur point de vue est peut-être basé sur l’estétique du mobilier et la plupart du temps ils restent sur l’apparence seule. Mais comment pourrait-on apprécier un meuble et trouver l’humanité qu’il contient sans regarder les éléments qui le façonnent ? Toutes les choses sont pourvues d’une raison d’être. Avant de fabriquer un objet utilitaire ou artistique, il faut d’abord une raison (une intention, un désir, un objectif). C’est un phénomène tout à fait compréhensible. En regardant l’histoire du mobilier Ming, j’ai trouvé six moteurs décisifs qui façonnent le mobilier Ming.(Il y en a peut-être davantage) Le premier facteur décisif concerne le matériau : le bois dur et de bonne qualité venu des pays situés dans le sud-est de la Chine. Au début de l’époque de Ming(env.1370), le grand navigateur et diplomate ZHENG He(郑和 1371 - 1433) était allé sept fois dans ces pays, d’où il avait transporté des bois de grande qualité : Huang hua li 黄花梨, zi tan 紫檀, etc. Le deuxième élément important concerne le courant culturel et social : la construction croissante des jardins privés à Jiang Su, une province pourvue de jolis paysages, situé dans le sud de la fleuveYangzijiang. Pour accueillir leurs invités, des aristocrates et de riches commerçants construisirent des jardins privés où jouer de la musique et des échecs, faire de la calligraphie et de la peinture traditionnelle. C’était le mode de vie traditionnel idéal chinois. D’innombrables jardins privés nécessitaient un grand nombre de meubles. On peut ainsi dire que sans la croissance de la construction des jardins privés, le sommet du mobilier classique chinois serait arrivé plus tard. Le troisième élément est la conception des lettrés qui participèrent au design de mobilier. Au moins une grande partie des propriétaires de jardins privés étaient aussi des lettrés. Ils avaient des idées intellectuelles, portant leurs critères particuliers qu’ils intégrèrent à

157 l’architecture et son mobilier. Parmi les lettrés il y avait de grands connaisseurs de la conception du jardin, dont WEN Zhen Heng (文震享), GAO Lian (高濂), JI Cheng (计成), LI Yu (李渔), etc.164 JI Cheng (计成 1582- ?) fut poète, peintre, designer et théoricien de construction des jardins. Son ouvrage Art du Jardin (园治) écrit en 1634, fut le premier livre concernant la construction des jardins dans le monde entier. Dans cet ouvrage, il mit l’accent sur l’importance de la conception et du concepteur. Selon lui, on devrait poursuivre la mode tout en cherchant l’élégance et on devait imiter les œuvres des Anciens tout en gardant la décence. Un autre peintre et poète, WEN Zhen Heng (文震享 1585 - 1645), écrivit un ouvrage concernant la conception et la fabrication des objets, intitulé Chang (长物志) en 1621, dans lequel il chercha la simplicité. LI Yu (李渔 1610 - 1680), théoricien de théâtre traditionnel chinois et grand écrivain, théoricien de design, partagea l’idée de WEN Zhen Heng.165 Le quatrième facteur est le soutien politique et économique. Les meubles Ming ont hérité en grande partie des meubles Song qui atteignaient déjà une grande perfection, mais, selon le collectionneur de mobilier chinois WANG Shi Xiang, ils durent aussi d’une part au commerce développé et à l’économie croissante de Ming, d’autre part à la politique de libre échange permettant l’importation de marchandises, par exemple, celle des bois durs consacrés à la fabrication des meubles de grande qualité.166 Sous la politique de libre échange, surtout à partir du règne de XUAN De (宣德,1426 - 1435), l’économie chinoise a avancé rapidement. Les moyens de transport se multiplièrent, les rues furent élargies, la vie du peuple devint riche. Les divers types de mobilier furent ainsi fabriqués dans ce contexte social. Le cinqième facteur important est l’influence de l’architecture classique chinoise. WANG Shi Xiang dit : « L’architecture du bois est à l’origine du mobilier sans bandeau. En architecture les piliers sont le plus souvent ronds, verticaux, et placés sur des socles de pierre. Pour assurer la stabilité de la structure, les piliers sont d’habitude inclinés vers l’intérieur de telle sorte que le bâtiment est plus large à la base qu’au sommet.167 »

164 高丰(GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 225 – 226. 165 Ibid, p. 231. 166 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 7. 167 Ibid., p. 13. 158

Pour assurer la stabilité de la chaise haute ou du fauteuil haut, il est nécessaire que la construction d’un siège emprunte à celle de l’architecture. Les sièges chinois en bois, comme les maisons classiques chinoises en bois, n’ont jamais utilisé de clous ni de colle. Mais la stabilité,la sûreté ainsi que la dureté sont assurées. Le sixième facteur important est l’influence du bouddhisme. Puisque l’origine de la chaise était bouddhiste, les chaises qui suivirent gardèrent plus ou moins une esthétique bouddhiste. Dans ce point de vue, WANG Shi Xiang a remarqué aussi : « Les tables à bandeau, surtout lorsque le bandeau est haut, sont très semblables aux socles bouddhistes.168» « Les meubles à bandeau qui apparurent chez les Song du Nord dérivent sans aucun doute des socles bouddhistes.169 » Puisque les meubles Ming avaitent succédé à l’héritage du mobilier Song, alors il est normal qu’ils gardent un aspect des socles bouddhistes.

IV Les caractéristiques des sièges Ming.

Non seulement les meubles Ming ont un grand nombre de types différents, mais ils ont aussi une longue liste de caractéristiques. Pourtant, quoique remarquable, il est difficile, autant pour les Chinois que pour les étrangers, d’établir les caractéristiques communs du mobilier Ming jusqu’au point qu’il soit convaincant pour l’un autant que pour l’autre, car chaque meuble porte un critère différent et reçoit différents caractères. Mais en contre partie, cette ambiguïté et ouVerture révèlent que le mobilier Ming, quoique matériel, est un art si abstrait (ou si ouvert) que nous ne pouvons capturer ses caractéristiques en termes justes, et que finalement nous ne pouvons qu’en donner un grand nombre. Face à une longue liste, une solution préférable serait que nous gardions l’esprit ouvert, en admettant que l’idée de l’un ne serait que la référence de l’autre. Avant de faire une liste de caractéristiques, écoutons d’abord trois analyses importantes. Suzhou est à l’origine du style Ming, les gens de Suzhou sont les pionniers dans le domaine de mobilier. Pour cela, WANG Shi Xiang a commenté ainsi : « Les gens de Suzhou très intelligents et grands amateurs d’Antiquité, étaient très habiles aux

168 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 14. 169 Idem. 159

anciennes méthodes de fabrication de meubles.(...) Ils préfèrent les formes simples aux sculptures compliquées ; mais lorsqu’ils décorent leurs meubles ils suivent toujours les anciens modèles des dynasties Shang, Zhou, Qin et Han. Cette méthode s’est répandue dans toute la Chine et connut son sommet pendant les règnes de Jia Jing, Long Qing et Wan Li.170» Dans cette citation, nous remarquons ces termes importants : ‘la forme simple aux sculptures compliquées et les modèles anciens de Shang, Zhou, Qin et Han.’ C’est-à-dire que la forme et la décoration sont simples mais la structure est une sculpture compliquée. Cela veut dire que les sièges de style Ming ne sont plus simplement un outil à utiliser, mais une œuvre artistique en forme de sculpture. La complexité de la ‘sculpture’ révèle l’attachement sérieux au siège. Cela explique que des siège hauts : chaises et fauteuils jouaient un rôle très important et signifiant dans la vie privée et professionnelle à l’époque. Selon L’histoire du design chinois édité par GAO Feng171, le style Ming possède les quatre caractéristiques suivantes: 1) Le mobilier et l’architecture constituent l’unité harmonieuse. 2) La fonction et la taille furent parfaitement prises en compte. 3) La beauté linéaire est soulignée. 4) La solidité de la construction du mobilier est prouvée. Ces analyses ont montré l’influence de l’architeture chinoise de bois. C’est-à-dire que la forme des sièges de Ming ressemble et correspond bien à celle de l’architecture chinoise. Ce sont des sièges architecturés et architecturaux. La taille correspond bien à la fonction et il n’y a aucun élément superflu qui réduise la qualité de la fonction. La beauté est assurée par l’unité harmonieuse de la ligne courbée et de la ligne droite. Les meubles Ming sont solides. Ayant une bonne forme, la fonction assurée, la beauté de la ligne et la solidité, les sièges Ming paraissent impecables. Une autre analyse est plus brève et manque quelque chose d’important. Selon l’Histoire du mobilier chinois édité par CHEN Yu Shu172, le mobilier Ming possède quatre caractères :1) La forme est simple. 2) La structure est stricte. 3) La décoration est juste. 4) Les dessins sont beaux. Avec le terme ‘la structure est stricte’, on peut dire que cette analyse a pris en compte la taille de l’homme à qui le siège donne le confort. Mais l’auteur de ce livre n’a pas pris en compte d’autres éléments importants, par exemple, la solidité, la relation avec l’architecture

170 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 9. 171 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 226. 172 陈于书 (CHEN Yu Shu), 熊先青 (XIONG Xian Qing),苗艳凤 (MIAO Yan Feng), 家具史 (jia ju shi) (L’histoire du mobilier), op.cit., p. 197. 160 etc. La liste des caractéristiques donnée par WANG Shi Xiang est presque complète, si nous ne regardons que l’apparence des meubles173: A. Sept qualités se rapportent au naturel et à l’authenticité, qui sont les éléments les plus importants du style du mobilier Ming : (1) Simplicité (jian lian) ; (2) pureté (chun po) ; (3) maladresse archaïque (hou zhong) ; (4) dignité (ning zhong) ; (5) force (xiong wei) ; (6) intégrité (yuan hun) ; (7) profondeur (chen mu ?) ; (8) richesse de la décoration (nong hua) ;

B. Deux traits qui contrastent avec les qualités du groupe précédent : (9) raffinement de la décoration (wen yi) ; (10) élégance de la décoration (yan xiu) ;

C. Deux qualités en apparence contradictoires que j’ai à dessein regroupées de façon à les éclairer : (11) vitalité (jing ting) ; (12) fluidité (rou wan) ;

D. Deux caractéristiques interdépendantes : (13) ouverture (kong ling) ; (14) articulation de l’espace à la manière du remplage(ling long) ;

E. Deux qualités : (15) raffinement classique (dian ya) ; (16) originalité élégante (qing xin).

V Une nouvelle compréhension du style Ming.

Selon toutes ces analyses, il est évident qu’aucun historien n’a directement articulé et relié la conception des sièges Ming avec le Tao, le Taoïsme, la peinture traditionnelle chinoise et l’architecture classique chinoise qui sont pourvues d’une plus longue histoire que le fauteuil. L’analyse du fauteuil et de la chaise Ming ne pourrait pas être juste sans parler de ces facteurs importants qui ont un rapport intime entre l’un et l’autre. Il est digne, au delà de ces

173 王世襄 (WANG Shi Xiang), Mobilier chinois, op.cit., p. 41.

161 analyses, d’ajouter six points suivants qui pourraient concrétiser les liens directs :

V-I Un confort de toucher. D’abord, il est certain que dans les sièges Ming, la taille et la structure corporelle de l’être humain sont considérablement prises en compte. La notion moderne de l’ergonomie était initiée. Par exemple, le dossier de la chaise fut incurvé en forme ‘S’, cela convient au dos de l’être humain. D’ailleurs, l’angle entre le dossier et le siège fait 100 degrés174, cela correspond à l’amplitude penchée du corps. Ces conceptions commencées à la dynastie Ming sont très recherchées de nos jours, car un siège fabriqué sous cette norme peut être élégant et donner à la personne assise un confort admirable. D’ailleurs, la tête, le dos, les bras, les parties fessières et les pieds, même les mains peuvent percevoir un confort. Les accoudoirs des sièges Ming sont toujours en bois rond, parfois avec les devants incurvés, souvent avec une tête ronde à l’extrêmité. Quand on s’assied en la tenant à la main, certaines personnes peuvent probablement perçevoir un plaisir par le geste de « toucher ». A propos du plaisir de toucher, les mains humaines préfèrent en général toucher un objet rond ou en colonne à celui carré ou rectangulaire. Par exemple, une assiette est normalement ronde ; une béquille et un stylo et une bouteille de vin sont de forme ronde et en colonne, même les parties corporelles que nous aimons toucher le plus sont aussi en quelques sortes rondes ou en colonne. Par rapport aux sièges européens de style baroque ou de style rococo ou de style empire, les accoudoirs, souvent exécutés en forme rectangulaires et décorés de motifs de fleurs sont faits pour supporter les mains, non pas pour le toucher des mains. Mais les accoudoirs classiques chinois sont pourvus des deux qualités.

V-II Le siège et l’esprit humain. En principe, un fauteuil ne pourrait pas être considéré comme un être humain. Pourtant, l’esprit humain peut être abordé dans le fauteuil. Nous avons parlé de l’esprit fort des anciens Chinois dans le chapitre II, lorsque nous parlions de l’histoire de la formation de la route de la soie. Cet esprit fort humain que représentent les fauteuils Ming peut être révélé par la stabilité

174 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 227. 162 aussi structurale que visuelle. Les parties supérieures du fauteuil, exécutées avec des bois ronds et fins et courbés, paraissent plus légers et donc habiles ; tandis que les parties inférieures, exécutées avec des bois durs et droits, paraissent plus lourdes et solides et donc stables et c’est un socle solide qui soutient les parties supérieures. Imaginons que les parties supérieures paraîssent plus lourdes que les inférieures, alors le fauteuil ne pourrait plus garder l’équilibre. Nous pouvons ainsi dire que les artisans des fauteuils Ming cherchaient la stabilité de l’ensemble du fauteuil. Pourtant,ce n’est pas seulement la stabilité banale d’un objet, c’est aussi la stabilité visuelle et la stabilité mentale du regardeur. Parce qu’un fauteuil est fait non seulement pour satisfaire le besoin de l’utiliser, mais aussi pour satisfaire le plaisir de regarder et montrer l’esprit individuel du propriétaire. Quand le regardeur a perçu la stabilité du fauteuil, il perçoit une sensation immanente stable. Par conséquent, un fauteuil Ming, grâce à cette stabilité de double sens, peut représenter l’esprit fort d’un homme solidement debout. Ce discours sur l’esprit humain devrait être aussi important pour toutes les analyses sur des sièges utilitaires et artistiques.

V-III Le siège et le concept de l’univers. ‘Le ciel est rond et la terre est carrée’ (天圆地方 tian yuan di fang). (Pour comprendre le concept ‘le ciel est rond et la terre est carrée’, il nous est nécessaire de reprendre quelques idées dont nous avons déjà parlées.) Les parties supérieures sont toujours en bois courbé. Dans le fauteuil à dossier circulaire (fauteuil du maître de l’empereur), l’ensemble des accoudoirs et du dossier se présente en quelque sorte comme un demi cercle. Il s’agit donc du ciel qui fut considéré rond par les anciens Chinois. Les parties inférieures qui sont toujours en bois droits et durs peuvent constituer un carré. Il s’agit ici de la terre qui fut carrée dans l’opinion des Anciens. La notion ‘Le ciel est rond et la terre est carrée (天圆地方 tian yuan di fang) est mentionnée dans l’ouvrage intitulé L’histoire et la théorie du design chinois édité par LI Li Xin175. Bien que

175 李立新 (LI Li Xin), 中国设计艺术史论 (zhong guo shi ji yi shu shi lun) (L’histoire et la théorie du design chinois), Beijing: 天津人民出版社/ 人民出版社 (Tianjin Renmin Chubanshe et Renmin Chubanshe), 2011, p. 53 – 55. 163 l’auteur ne l’ait pas liée avec le mobilier, ce concept, en tant que première observation et premier raisonnement sur la forme de l’Univers : le ciel et la terre, influençait certainement la fabrication des objets. Les gens de Su zhou - les initiateurs du style Ming, étaient censés suivre les conceptions des Anciens, il est raisonnable de penser que cette notion était conviée dans la conception du siège. De l’autre côté de la planète, en Europe, une interprétation directe et évidente de cette notion se voit dans le trône de Napoléon Bonaparte, même si nous n’avons pas trouvé la trace qui peut témoigner d’un lien direct entre la pensée de Napoléon Bonaparte et le concept chinois de l’Univers. Les anciens Chinois, pendant la dynastie Ming, avaient intégré le concept de l’Univers dans la conception des sièges hauts. Autrement dit quand ils se mettaient sur un fauteuil de ce type, c’est comme s’ils siégeaient dans l’Univers, car l’homme en est une partie.

V-IV Ne rien faire (non-agir ou agir sans action). Nous avons parlé de la formation et la concrétisation de la conception du siège. Pendant ce processus, l’acquisition et la concrétisation du Tao constituent la ligne centrale du projet. Nous arrivons maintenant au sein de la conception même qui contient ou exige des critères, des principes et des méthodes. Nous avons parlé d’un nombre considérable de caractéristiques des sièges Ming, pourtant, il semble qu’en regardant de près nous nous mettions dans un piège invisible tellement vague de détails que nous ne pouvons pas voir l’unité des sièges. Il faudrait donc regarder de loin pour capturer l’ensemble de l’entité. Sans porter aucune pièce superflue, les sièges Ming nous montrent en effet une simplicité et une honnêteté totales. Ces deux qualités répondent bien au principe du Tao, ce sont les pensées communes de Taozi et de Confucius. Lao Zi prôna la notion ‘wu wei er zhi’ (无为而治) (ne rien faire ou gouverner sans faire) qui à propos de la conception peut être interprétée en ‘non-décoration’, c’est-à-dire dans la simplicité qui exige la sobriété de la décoration sans élément superflu. Confucius souligna la notion de l’esthétique ‘wen zhi bin bin’ (文质彬彬) qui exige l’harmonisation obligatoire entre la fonction et la forme décorée, c’est-à-dire que la fonction et la forme pourvue d’une décoration convenable constituent la plus grande beauté. Autrement dit, pour atteindre la simplicité juste, le concepteur et l’artisan devaient sérieusement penser à la fonction et à la 164 forme, mais aussi à la décoration juste qui aide à former une forme fonctionnelle. Ce processus exige une honnêteté qui est dérivée du tempérament individuel. Mais tout cela reste encore à la surface du travail. Il nous faut trouver des critères ou des principes plus précis afin de nous repérer dans le monde du Tao. Nous en parlerons dans le chapitre suivant : la philosophie de la relativité.

V-V La philosophie de la relativité. La théorie du ‘vide’ et du ‘plein’ devrait en effet contenir deux aspects différents dont l’un concerne la fonction, l’autre s’adresse à l’esthétique. Ces deux aspects peuvent être abordés en même temps dans une œuvre d’art ou un objet utilitaire qui porte aussi une valeur esthétique. Dans le 11e châpitre de Dao de jing, qui s’adresse à la fonction, Lao Zi dit : « Bien que trente rayons convergent au moyeu, c’est le vide médian qui fait marcher le char. L’argile est employée à façonner les vases, mais c’est du vide interne que dépend leur usage. Il n’est chambre où ne soient percées porte et fenêtre, car c’est le vide encore qui permet l’habitat. L’être a des aptitudes que le non-être emploie.176» Le principe est simple. Selon ce chapitre, nous utilisons l’espace vide d’un objet. Par exemple nous vivons dans une chambre ‘vide’. Si la chambre est pleine, il n’y a plus de possibilité d’y entrer et vivre et la valeur (la fonction) de la maison est perdue. Dans un fauteuil ou une chaise, le siège doit donner un espace vide pour que l’on s’en serve. La fonction des sièges Ming est certainement assurée. Nous arrivons à l’aspect artistique de la notion du vide et du plein. Toute la contruction d’un siège haut Ming n’est pas le ‘plein’ ; au contraire, exécutée en bois qui sont fins, courbés ou droits, elle est transparente, autorisant la communication entre l’intérieur et l’extérieur. En termes chinois, dans une contruction de ce type, la ‘respiration’ (qi = souffle) libre est tout à fait assurée. Le haut siège est ainsi activé et valorisé. Mais il faudrait aussi que la proportion du vide et du plein soit assurée. Il s’agit de l’esthétique traditionnelle chinoise. Il est dit que la peinture traditionnelle chinoise est un art du vide, autrement dit, on considère le vide comme le plein, car ce dernier indique les choses qui se cachent dans le vide. Une des valeurs les plus importantes que les peintres lettrés

176 Lao-Tzeu (Lao Zi 老子), La voie et sa Vertu, Tao-tê-king (Dao de jing 道德经),op.cit., p. 27. 165 cherchaient, c’est la proportion harmonieuse entre le vide et le plein. Dans les sièges hauts de Ming, la proportion entre le vide et le plein est harmonisée et harmonieuse. Car ils sont abordés par un principe que prôna Lao Zi : la relativité. Dans le 2e châpitre de Dao De Jing, Lao Zi dit : « (...)Etant et n’étant pas s’engendrent. Aisé (et) malaisé se parfont. Long et court renvoient l’un à l’autre. Haut et bas se penchent l’un vers l’autre. Voix et son consonnent ensemble. Devant et derrière se suivent. (c’est éternel.) (...)177» Selon cette notion, les formes visibles devraient être sérieusement élaborées sous les principes d’esthétique : la proportion qui existe entre le haut en le bas, entre le devant et l’arrière, entre l’aisé (simplicité) et la malaisé (complexité). Les formes élaborées (étant) décident des espaces vides (n’étant pas). La notion de la relativité de Lao Zi est convenablement appliquée dans la conception et la fabrication des sièges hauts Ming, assurant la proportion harmonieuse du vide et du plein.

VI Le siège et le pouvoir.

En Chine, comme en Occident, la liberté d’utiliser la chaise était encore limitée. On pouvait s’asseoir sur une chaise chez-soi. Pourtant, devant l’empereur assis sur le trône royal, cette autorisation n’était pas donnée. On était obligé de se mettre à genoux sur le sol. Par rapport à l’Occident, la situation en Chine était plus froide, on était encore des « esclaves » de la royauté. La punition cruelle, la décadence de l’identité du peuple et l’hiérarchie relationnelle entre l’empereur et le peuple continuaient. Par exemple, à la dynastie Ming, l’empereur Jia Jing (嘉靖,1507 - 1565) fit frapper cent vingt-quatre personnes en même temps, dont seize moururent178. Cela créa le plus haut record dans l’histoire de la punition de cette façon en Chine.

Conclusion :

En suivant les conceptions des précurseurs, les concepteurs et artisans du mobilier

177 Lao-Tzeu (Lao Zi 老子), La voie et sa Vertu, Tao-tê-king (Dao de jing 道德经),op.cit., p. 10. 178 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p.125. 166 pendant la dynastie Ming cherchaient à former un style chinois particulier qui soit capable de donner un confort physique spécifique, par exemple, le confort du toucher, et d’exprimer non seulement les caractéristiques apparentes, mais aussi, derrière l’apparence, un esprit fort et une intelligence. En fin de compte, les sièges hauts Ming qui reçoivent une longue liste de caractéristiques, sont valorisés par la réalisation de la matérialisation du Tao. Du point de vue de la conception ou de la structure, le style Ming, en suivant le concept du Tao, manifeste une forme simple avec une sobriété de décoration, mais elle se présente aussi comme une sculpture compliquée. C’est cette conception artistique particulière qui valorise le mobilier de style Ming et le rend remarquable. Pourtant la prospérité du mobiler classique chinois risque de toucher à sa fin après la dynastie Ming. Nous parlerons dans le chapitre suivant de la décadence du style de Ming.

Chapitre VII

L’évolution du style Ming

La dynastie Qing (1644 - 1911)

Pendant la dynastie Qing, la Chine connut les concurrences étrangères: occidentales, asiatiques et américaines, dans le cadre de la politique, de la culture et de l’économie. Ces concurrences influençèrent certainement l’art et l’artisanat chinois. A la fin de la dynastie Ming, avec les échanges internationnaux, le mobilier classique chinois était concurrencé par les meubles venus de l’Occident et l’âge d’or du style Ming toucha à sa fin au début de la dynastie Qing (vers env.1700). Regardons d’abord quelques exemples.

I Les fauteuils Qing.

Ces trois fauteuils pliants sont de la même structure, mais ils marquent respectivement trois étapes différents du développement de la chaise chinoise. Le fauteuil de Yuan (fig. 47)

167 marque le commencement du développement de la chaise. Le fauteuil Ming (fig. 52) marque le sommet du mobilier classique chinois tandis que le fauteuil Qing marque l’adoption de l’art occidental dans la tradition du mobilier chinois. Dans le fauteuil de la dynastie Qing (fig. 53), les accoudoirs semblent se fermer vers l’intérieur. Les devants des accoudoirs sont plus luxeux mais moins élégants et moins confortables. Le bois qui sert à la fois d’accoudoir et de traverse supérieure est courbé irrégulièrement et perd donc la beauté que présentent les fauteuils Yuan et Ming. L’ensemble du dossier ressemble à une miniature de trône. Les éléments de luxe dorés ne conviennent pas vraiment à ce type de fauteuil, car ils sont très outrés, exagérés, excessifs et donc superflus. Ce qu’il reste, c’est le luxe qui manifestes le pouvoir et la richesse. C’est sans doute le résultat de l’influence de l’art baroque occidental qui tendit à présenter le luxe exagéré et le pouvoir du propriétaire.

Figure 47. Â gauche : Fauteuil X de la dynastie Yuan. Figure 52. Au milieu : Fauteuil X de la dynastie Ming. Figure 53. Â droite : Fauteuil X de la dynastie Qing.

GAO Feng a bien caractérisé le mobilier Qing en trois points179 : 1) La structure est grande, luxueuse et lourde. 2) La décoration est manifique et complexe. 3) Le mobilier Qing fut influençé par l’architecture occidentale, le baroque et le rococo. Et il connut la tendance à l’occidentalisation. GAO Feng touve que le mobilier Qing, avec sa décoration luxueuse et superflue, s’adapte bien à l’architecture Qing qui est de même style. Mais il trouve aussi que le mobilier Qing, avec justement cette décoration, n’est pas tout à fait fonctionnel. En d’autres

179 高丰 (GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 263. 168 termes, la fonction immatérielle (soit le symbole du pouvoir et de la richesse) est plus remarquable que la fonction matérielle (soit l’usage pratique quotidien). Selon l’ouvrage de CHEN Yu Shu, au-delà des caractéristiques au-dessus, on peut ajouter un point : les artisans des meubles Qing adoptèrent trop d’éléments décoratifs, sans se soucier de l’unité de l’ensemble du meuble, c’est-à-dire que la proportion de la structure et les couleurs ne sont pas harmonieuses. Les historiens du mobilier chinois sont tous d’accord qu’un meuble Qing exprime la grandeur et la lourdeur. Le problème est que si un meuble est grand sans être harmonieux, il peut être rude, et ne peut être magnifique en même temps. Ces deux caractéristiques sont contradictoires et ne devraient pas être prises en compte ensemble. Parmi d’autres caractéristiques mentionnées au-dessus, ce qui reste est la décoration luxueuse et souvent superflue. C’est-à-dire que les artisans de Qing créèrent et adoptèrent simplement les éléments luxueux du mobilier Ming qui est connu par son naturalisme et sa simplicité. Autrement dit, le mobilier Qing préféra la complexité à la simplicité, en regard de la structure et des éléments décoratifs. La complexité et le luxe ne sont pas une contingence, elles devraient être liées à l’ambiance sociale de Qing. Nous parlerons maintenant des éléments sociaux qui pouvaient probablement influencer la conception du mobilier Qing.

II La ‘décadence’ de la politique intérieure.

En 1644, les armées Qing, fondées déjà en 1616 dans le Nord-est de la Chine, s’installèrent à Beijing et les Qings commençèrent à gouverner officiellement toute la Chine. Ce fut le dernier empire féodal chinois. La décadence de cet empire fut causée par la fermeture totale de la porte du pays de 1700 jusqu’en 1840 où eut lieu la guerre de l’opium lancée par l’Angleterre. Selon l’historien chinois, LÜ Si Mian (吕思勉, 1884 - 1957), sous le règne de HONG Li (弘历,1736 - 1795), une certaine prospérité cacha les problèmes potentiels qui allaient causer

169 les conflits intérieurs du pays180. D’abord, parmi des problèmes, la corruption fut le plus grave et HE Shen (和珅,1750 - 1799) en fut un fonctionnaire représentatif181. La corruption des fonctionnaires et des militaires fut un phénomène oniprésent dans le cadre du pays et fut donc à l’origine de la multiplication des problèmes sociaux, par exemple, les conflits intérieurs, le chaos politique, l’inpuissance militaire etc. Ensuite, deux des relations opposées furent dangereuses, car elles pouvaient à tout moment engendrer l’instabilité politique intérieure. La dynastie Qing était unie par les Qing, une des minorités chinoises, qui portaient un caractère très différent des Hans qui sont la plus grande minorité chinoise. Cette relation entre deux minorités s’aggrava. En conséquence, les Hans furent rarement employés comme fonctionnaires de l’Etat182. Naturellement, cette relation opposée devint conflictuelle, c’est ainsi que les Hans se révoltèrent contre l’Etat gouverné par les Qing. D’ailleurs, la plupart des Hans ne sont pas croyants, et les Huis qui au contraire le sont fortement (la religion Hui 回教 (ou Musulman) existait à Xin Jiang (新疆) et elle y existe aujourd’hui). La relation entre les Hans et les Huis fut ainsi un évènement qui pouvait aussi à tout moment engendrer des actes conflituels 183 . Les pensées et les mesures politiques, jugées dépassées par quelques intellectuels qui connaissaient mieux le monde extérieur, par exemple KANG You Wei (康有 为, 1858 - 1927, penseur, politicien, éducateur) et LIANG Qi Chao (梁启超, 1873 - 1929, penseur, politicien, éducateur), provoquèrent pendant la nouvelle ère les nouveaux problèmes intérieurs qui parraissaient insolubles. Il fallait pour autant des réformes sérieuses pour anéantir le conservatisme et réformer le système politique dépassé. Effectivement, il y en eut quelques unes, par exemple, le mouvement de réforme qui eut lieu du 11 juin au 21 septembre 1898. Ce mouvement fut soutenu directement par trois personnages importants : le onzième empereur de la dynastie Qing , Zai Tian (载湉, au pouvoir de 1875 à 1908) et deux penseurs, KANG You Wei et LIANG Qi Chao. Pourtant, ce mouvement, menaçant l’intérêt du vrai gouvernement, finit par un échec. L’empereur ZAI Tian fut emprisonné à Xi Yuan Ying Tai (西苑瀛台), à Bei Jing, par sa propre mère, Ci Xi (慈禧, 1835 - 1908), qui seule règna

180 吕思勉 (LÜ Si Mian), 中国通史 (L’histoire de la Chine), (première édition en 1940), Beijing: 中华书局 (Zhonghua Shuju), 2015, p. 325. 181 Ibid., p. 327. 182 Ibid., p. 384. 183 Ibid., p. 377. 170 effectivement sur l’Etat et détint tout le pouvoir. Le conservatisme des Qings que représentent les meubles de Qing demeura. Les actes conservateurs tels que le refus de la réforme intérieure et le refus de défendre le pays de la façon militaire, le refus du développement de la diplomatie internationale à cause de l’ignorance du monde extérieur au pays et de la pursuite unique de la vie de luxe, conduisirent à la déchéance de la politique et de la culture. Des intellectuels, comme le dit LÜ Si Mian, ne pensèrent plus à la politique et ne cherchèrent plus un nouveau chemin pour la Chine184. Pendant cent ans de fermeture, l’Occident précéda de beaucoup la Chine. Sur cela, l’auteur de L’histoire du design chinois, GAO Feng185, a fait une comparaison autour de la capicité économique entre l’Occident et la Chine. D’abord, les pays occidentaux avaient fait des progrès dans le domaine de la science et de la technique. Et puis, l’Angleterre avait accompli la révolution capitaliste au XVIIe siècle et au milieu du XVIIIe siècle continuait à faire la révolution industrielle. La situation en Chine fut différente. D’abord, le capitalisme chinois à l’époque fut opprimé par le gouvernement Qing. Dans l’ensemble, l’écophysiologie telle que l’artisanat familial et l’argricole furent privilégiés. Selon GAO Feng, le plus grand problème de la conception des meubles de Qing était qu’on n’avait pas combiné la nouvelle technologie et la nouvelle science avec l’art. Les artisans de mobilier chinois cherchaient encore une structure et une décoration complexes et luxeuses. C’est ainsi que l’ornement se détacha de la vie et de l’utilité.

III Les problèmes procurés par la concurrence étrangère.

Il y eut deux facteurs qui amenèrent en Chine les produits et les conceptions occidentaux. Dans l’ouvrage L’histoire et la théorie du design Chinois186, l’auteur en a mentionné quelques uns, j’en emprunte en ajoutant quelques détails. Le premier facteur est représenté par les Missionnaires occidentaux, par exemple le

184 Ibid.,p. 449 - 450. 185 高丰(GAO Feng), 中国设计史 (zhong guo she ji shi) (L’histoire du design chinois), op.cit., p. 251. 186 李立新 (LI Li Xin), 中国设计艺术史论 (zhong guo shi ji yi shu shi lun) (L’histoire et la théorie du design chinois),op.cit., p. 155-156.

171

Missionnaire italien Matteo Ricci (1552-1610) qui vint en 1583 pour évangéliser la Chine, en amenant des objets occidentaux et en en donnant quelques uns à l’empereur de l’époque ; et des concepteurs ou des artistes occidentaux, par exemple, Giuseppe Castiglione (1688 - 1766), vinrent participer à la conception de l’architecture chinoise et peindre pour la royauté à la dynastie Qing pendant 51 ans, en amenant le concept de l’art rococo, dont l’exemple est la construction du Jardin Yuan Ming Yuan (圆明圆), qui fut le plus grand ‘musée’ du monde à l’époque, conservant la plupart des Antiquités et œuvres d’art chinois. Il fut détruit en 1860 par les armées anglaises et françaises qui volèrent tout ce qui était transportable et brûlèrent tout ce qui ne l’était pas. Le deuxième facteur sont les échanges commerciaux. Depuis la fin de la dynastie Ming (1650), les produits occidentaux commencèrent à entrer en Chine et couvraient en quantité le marché chinois et attiraient de plus en plus l’attention et l’intérêt des Chinois, par exemple les lunettes, microscopes, montres, miroirs etc. A la fin de la dynastie Qing (du XIXe siècle et au début du XXe siècle), des produits comme les téléphones, les lampes électriques, etc. envahirent la Chine et devinrent indispensables dans la vie quotidienne chinoise. C’était une concurrence majeure pour les objets chinois fabriqués d’une façon traditionnelle. Il en résulte que parmi trente-deux métiers d’artisanat, sept furent obligés d’arrêter leur production. L’économie féodale chinoise était confrontée à sa chute. C’est ainsi qu’apparut une période transitoire où avaient lieu des débats sur le développement de l’art chinois et dans tous les domaines.

La conception chinoise rencontre la technique occidentale (中体西用) L’idée d’étudier l’Occident commença par les propositions des officiers chinois comme LIN Ze Xu(林则徐,1785 - 1850), ZENG Guo Fan(曾国藩,1811 - 1872), LI Hong Zhang (李鸿章,1823 - 1901), etc., qui préconisèrent les principes de ‘zhong ti xi qi’ (中体西器) ou ‘zhong ti xi yong’ (中体西用). Ce terme sifgnifie que l’on garde la conception traditionnelle chinoise, en utilisant la technique occidentale. C’est ainsi que commença un courant chaleureux consistant à étudier la technique de production occidentale. L’avantage s’adressait aux domaines divers : militaire, industriel, commercial, et culturel. Grâce à l’efficacité favorable de la production industrialisée croissante, les prix des produits s’abaissaient. Certes, 172 ce courant violent de la technologie inventée par les occidentaux avait effectivement aidé à élever le niveau de vie des Chinois ordinaires. Ce progrès technique n’aurait pas été réalisé sans la publication de livres concernant la technologie occidentale. Jusqu’en 1895, des livres importés d’Occident couvrant 354 domaines furent traduits, dont les livres concernant la technologie tenaient la plus grande proportion. Ces livres, selon l’ouvrage de LI Li Xin187, avaient permis aux Chinois d’avancer dans l’industrie militaire, la construction navale, la construction de chemin de fer, la production chimique, les mines, la métallurgie, le textile et l’impression, etc. Pourtant, les produits occidentaux ne couvraient pas tout le marché chinois. La plus grande place était consacrée aux produits dits nationaux fabriqués de la façon traditionnelle ou à l’aide de machines. Par exemple la soie, la porcelaine, le cuir, les éventails, le couteau, la laque, le papier traditionnel, les outils d’agriculture, les objets en bambou. Certains produits, par exemple, la porcelaine et le cuir, se développèrent plus rapidement qu’auparavant. Cette réussite dut beaucoup aux machines. Mais n’oublions pas que dans ce type de produits, la valeur de l’art typiquement chinois dite valeur de la tradition était parfaitement préservée. Ainsi, la question fut lançée sur la conception des produits, précisément, sur le choix difficile de leur orientation : tradition ? ou occidentalisation ? Certes, l’histoire nous indique que c’est une faute de nier et d’abandonner toute la valeur de la tradition, la propre valeur de soi. Mais finalement, c’est l’occidentalisation qui gagna la plus grande place. La rencontre entre la conception traditionnelle chinoise et la conception occidentale et la technique initiée par l’Occident démontre son échec complet. Le courant moutonnier vers l’Occident continuait. Nous savons bien sans l’imaginer l’avenir d’une personne qui nie sa propre valeur. Nous pouvons peut-être en trouver quelques signes dans le chapitre suivant qui raconte la relation entre l’empereur et le peuple.

IV L’empereur et son laquais.

187 李立新 (LI Li Xin), 中国设计艺术史论 (zhong guo shi ji yi shu shi lun) (L’histoire et la théorie du design chinois),op.cit.,,p. 165. 173

Jusqu’à la dynastie Qing, entre les hauts officiers, on s’appelait dans la vie quotidienne ‘Er’ 尔 (tu), ‘Ru’ 汝 (vous). Lorsqu’ils se présentaient devant l’empereur, ils se nommaient : ‘nu cai’ (奴才) (esclave). En s’agenouillant (c’était autre fois une façon polie issue des siècles précédents où les hauts sièges n’étaient pas utilisés fréquemment dans la classe dirigeante chinoise) et se prosternant, leur parole commençait par cette phrase : ‘nu cai kou jian huang shang’ (奴才叩见皇上) (l’esclave vient voir l’empereur (en s’agenouillant). En s’appelant ainsi, ils acceptaient à la fois d’être un misérable esclave de l’empereur et un haut fonctionnaire du peuple. Il est à noter que, idéologiquement, mentalement, voire physiquement, ce n’était pas facile pour eux de vivre dans ce contexte cruel de confusion relationnelle, tout en craignant à tout moment de perdre la vie humble. Selon l’ouvrage de TAN TAN Zhuo Er188, la hiérarchie relationnelle entre l’empereur et ses officiers et son peuble atteignit son extrême et se termina rapidement grâce à une certaine liberté du peuple et à une certaine volonté cachée de se révolter et de lutter contre l’autorité royale. Les Chinois allaient se réveiller.

Conclusion :

La conception des fauteuils Qing (1644 - 1912) nous conduit à parler des problèmes procurés par deux facteurs dont le premier est l’envahissement des produits occidentaux et la technique initiée par l’Occident, le deuxième concerne la décadence politique intérieure dont une des causes essentielles était la poursuite excessive de la vie luxueuse, une vie démontrée corrompue, de la classe dirigeante. A partir de la fin de Ming (env.1644), missionnaires, peintres, artistes et commerçants occidentaux arrivèrent en Chine, en amenant une concurrence majeure qui changea progressivement le goût des Chinois. Ces derniers n’acceptèrent pas passivement les choses exotiques, mais avec une certaine prudence, en lançant des débats sur la forme traditionnelle chinoise et la technique occidentale. Pourtant, de toute façon, la rencontre entre la conception chinoise et occidentale révéla le mécanisme chinois, car les Chinois avaient nié et abandonné leur propre valeur pour accepter mécaniquement ce qui venaient de l’étranger : l’art, la

188 澹台卓尔 (TAN TAI Zhuo Er), 椅子改变中国 (La Chaise change la Chine ) (yi zi gai bian zhong guo), op.cit., p.128. 174 conception des objets, la technique et la fabrication, etc. Nous nous demandons si à l’époque suivante on pourrait voir une amélioration de l’association de la culture occidentale et chinoise.

175

Partie IV Le modernisme (1830 - 1960)

Depuis la Restauration française en 1815 jusqu’aux années 1850, les Européens ne portèrent guère attention au mobilier, il y eut par conséquent peu de nouveauté dans ce domaine. Cette période fait partie de l’époque de l’ éclectisme pendant laquelle domina le mélange de tous les styles - grec, romain, gothique, baroque, rococo, néo-classicisme ainsi que les styles orientaux. Pourtant c’est à partir de cette époque qu’apparut le germe du modernisme dont le pionnier dans le domaine du mobilier est sans doute Michael Thonet (1796-1871), un Autrichien d’origine allemende, fils d’un ébéniste. Michael Thonet commença à fabriquer le célèbre mobilier allemend Biedermeier en 1830. Avant de créer son usine de mobilier en 1849, Michael Thonet avait obtenu un Brevet pour sa technique de courber le bois de façon chimique et mécanique. En 1851, il participa à l’Exposition Universelle à Londres et obtint un prix de bronze. Après cette réussite, il gagna en 1856 une autre récompense plus grande avec le Brevet de fabrication du mobilier avec du bois courbé. Il nous est néccessaire de parler de cet ébéniste hautement qualifié, car il créa dès les environs de 1855 la célèbre chaise numéro 14 ou chaise bistrot.

Chapitre I

La chaise numéro 14 de Michael Thonet

I L’embryon du modernisme.

La chaise numéro 14 ou chaise bistrot (fig. 54, 55) est composée de 6 pièces de bois de diamètre de 3 et 10cm. Le dossier est composé de deux pièces de bois courbés dont une est plus longue et fonctionne à la fois comme dossier et pieds arrière, l’autre qui est plus courte 176 est installée sur la première pour que le dos de la personne ne s’appuie pas sur le vide. Le siège rond est formé d’une pièce de bois courbé qui entoure parfois une pièce de bois creuse ou non, parfois une partie cannée ou parfois légèrement rembourrée. Les deux avant pieds dont les parties inférieures sont souvent courbées s’accordent bien aux pieds arrière. Au-dessous du siège, est installé une pièce courbée circulaire. Elle fonctionne comme un support pour lier et renforcer les pieds. Ceux-ci s’ouvrant vers l’extérieur rendent la chaise solide.

Figure 54. Â gauche : Chaise de Michael Thonet n°14, 1850. Figure 55. Â droite : une pièce de théâtre dans laquelle la chaise de Michael Thonet N° 14 est mise en œuvre189.

La chaise numéro 14 est formellement pourvue de deux qualités essentielles. Il s’agit d’abord de la simplicité structurale puisqu’elle n’a aucune pièce superflue, et de l’élégance linéaire présentée par les lignes courbes. Ces deux qualités, avec la valeur esthétique, ont eu pour résultat de bonnes ventes. D’abord, la simplicité structurale rend la chaise moins chère que d’autres chaises fabriquées à l’ époque. Les meubles de Thonet tels que la chaise et le

189 « Icons of an era : classic chair designs » (Icônes d’une époque : chaise classique design) , la photographie se trouve sur le site: http://fr.phaidon.com/agenda/design/picture-galleries/2010/september/23/ icon s-of- an -era-classic-chair-designs/, consulté en septembre 2013. 177 tabouret et le fauteuil n’étaient pas pour les riches. Ils se présentaient plutôt dans des endroits publics tels que les cafés ou les restaurants. Deuxièmement, la valeur esthétique reçut et reçoit toujours une admiration considérable de la part du public. D’ailleurs, deux autres avantages sont aussi des facteurs essentiels qui rendent la chaise numéro 14 le produit industriel le plus consommé à l’époque. D’abord pour le fabricant, il s’agit de la commodité de transporter les chaises, à savoir qu’une contenance d’un mètre cube peut contenir 36 chaises déassemblées190 ; et puis pour les clients, il s’agit de la facilité d’assembler les six pièces de bois préparées en une chaise complète. De ces deux facteurs résulte une haute efficacité. Nous pouvons ainsi dire que la recherche mobilière de Michael Thonet s’appuie sur trois points : simplicité, beauté, éfficacité, et marque le début du ‘fonctionnalisme’. Ces trois caractéristiques de la chaise peuvent remonter à l’expérience de Michael Thonet en 1830 où il participa à la fabrication du meuble Biedermeier connu par sa « simplicité et l’aspect pratique191 » . Pourtant, les meubles Biedermeier étant très chers s’adressaient encore à une minorité de la population. Michael Thonet tenta de fabriquer un meuble qui appartenait au grand public. Cette tendance correspond bien aux idées de John Ruskin (1819 - 1900) , écrivain et critique anglais. Comme l’architecte anglais Augustus Wellby Northmore Pugin (1812 - 1852), Ruskin fut un admirateur de l’art du Moyen Âge et un opposant à la conception du Crystal Palace fondé en 1851 pour la première exposition universelle à Londres. Pour lui la production massive industrielle était inacceptable. Pourtant il souligna que le rôle du dessin de conception devait être important et indispensable dans la société et que la fonction sociale de la conception devait être prise en compte. Selon lui, pour établir une société complète, il faut avoir en même temps les arts et la conception du beau qui doivent s’adresser à la majorité du public, non pas à la minorité des aristocrates192. Mais, en tant qu’écrivain et critique, Ruskin parla dans le vide, car il ne chercha guère à changer la situation de l’époque. Ce fut Michael Thonet qui allait concrétiser ces idées avec sa recherche

190 « La célèbre chaise de bistrot est une icône », disponible sur le site : http://fr,shop,thonet,de/habitat/ programme- 214?orderId=&a=528, consulté en septembre 2015. 191 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p. 136. 192 陈于书 (CHEN Yu Shu), 熊先青 (XIONG Xian Qing), 苗艳凤 (MIAO Yan Feng), 家具史 (jia ju shi) (L’histoire du mobilier), op.cit., p. 217. 178 mobilière. Cette dernière commença par la perfection de la technique de courbage du bois. Cette technique, selon Leslie Pina, avait déjà été découverte en Egypte ancienne en 2800 av.J.C. ; elle est démontrée aussi dans la chaise grècque le Klismos ; elle fut aussi utilisée dans le mobilier de Winsor au XVIIIe siècle en Engleterre. Mais le courbage du bois ne fut qu’une opération manuelle avant Michael Thonet, c’est celui-ci qui fut le premier à l’adopter dans la production industrielle massive193. Avec le bois courbé, il chercha à fabriquer une chaise qui soit à la fois financièrement et esthétiquement acceptable pour le grand public. La pratique de Michael Thonet d’introduire un bon meuble dans la vie quotidienne des citoyens fut unique, car, avant lui, les meubles beaux et de qualité étaient toujours consacrés aux gens riches, mais chez les gens ordinaires les meubles étaient en général des objets simples et rudes sans beauté ni qualité. Comme nous le voyons dans la photographie (fig. 55) qui représente une scène de théâtre dans laquelle les acteurs jouent avec la chaise numéro 14, cette chaise est entrée massivement dans la société. De ce point de vue, Michael Thonet est aussi le premier grand ébéniste et le vrai pionnier à prendre en compte le pouvoir d’achat du peuple. Sa chaise numéro 14 devrait être un point de départ du modernisme dans le domaine du mobilier.

Conclusion :

Michael Thonet avec sa chaise numéro 14 produite encore aujourd’hui, lança la notion de modernité dans la conception du siège. Pour lui, la modernité signifie les qualités telles que la simplicité, l’économie, l’éfficacité, la nouvelle forme et la valeur esthétique. En résumé, un siège doit servir au grand public. Pourtant, la conception de Michael Thonet n’attira guère l’attention des hommes du mouvement des Arts et Crafts dont le fondateur William Morris privilégia toujours l’art du passé.

193 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 66. 179

Chapitre II

Les Arts and Crafts - William Morris

A l’issue de l’Exposition Universelle de Londres en 1851, apparurent les problèmes de la production industrielle massive qui semble ingnorer l’aspect de l’art et détruire peu à peu l’environnement humain. Cette découverte théorique provoqua une importante révolution esthétique dont les révolutionnaires sont les théoriciens, architectes et artisans. Parmi eux, la figure la plus importante est, comme nous avons vu, John Ruskin (1819 - 1900) qui, critique et écrivain, influença l’art par sa pensée qui couvre trois aspects - société,politique et religion. Le vrai réalisateur des idées de John Ruskin est William Morris qui les mit en pratique concernant l’architecture, le papier peint, la tapisserie et le meuble. Regardons d’abord un exemple des fauteuils de William Morris.

I Un fauteuil de William Morris.

Au premier regard sur ce fauteuil de Morris (fig. 56), la première impression qui attire notre attention est probablement le confort assuré non seulement par le profond rembourage, mais aussi par le siège dont la partie avant est légèrement élevée et par le dossier incliné vers l’arrière. La deuxième impresssion reçue est peut-être que c’est un fauteuil classique portant un nouveau visage. Du point de vue de la forme, William Morris interpréta à sa propre façon la forme du siège du Moyen Âge. Les pieds animaux du Moyen Âge sont remplacés par quatre roulettes, les deux pieds arrière ne sont plus verticalement formés mais déclinés et liés directement aux pieds avant. Les points hauts du dossier typiquement gothiques sont gardés. Morris ajouta des petites formes sphériques. La nouveauté essentielle est sans doute la présentation des motifs du tissu dessinés par Morris même. Bien qu’il soit vrai que Morris chercha à réduire le mobilier du Moyen Âge ou le mobilier classique au principe de simplicité, dans l’ensemble, Morris a décoré ce fauteuil de façon formellement classique avec ses propres motifs.

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Figure 56. Fauteuil Morris, par Morris, Marshall, Faulkner & Co., 1870.

II Un passage transitoire vers le modernisme.

L’influence de John Ruskin John Ruskin (1819 - 1900) avait profondément analysé l’architecture gothique médiévale pour laquelle il avait écrit deux ouvrages : Les pierres de Venise et Les sept lampes de l’architecutre. Dans Les pierres de Venise, il expliqua l’évolution de l’architecture byzantine à l’architecture gothique, les Vertus de l’architecture, l’ornement, l’époque gothique, etc. Il y a trois point qui concernent notre sujet. D’abord, selon ce livre, l’architecture devait être pourvue de deux Vertus : la force et la beauté. Pour aboutir à ces deux qualités principales, il fallait des principes concrets et stricts. Cela conduit au deuxième point qui concerne la

181 division de l’ornement ou la source de l’ornement. Ruskin avait préféré les douze sources suivantes194 : 1, Lignes abstraites. 2, Formes de la planète. (cristaux). 3, Formes de l’eau ( vagues). 4, Formes du feu (flammes et rayons). 5, Formes of l’air (nuages). 6, Formes organiques (coquilles). 7, Poissons. 8, Reptiles et insectes 9, Végétations (A). Tiges et troncs. 10, Végétation (B). Feuillages. 11, Oiseaux. 12, Mammifères et homme. Le troisième point est le traitement de l’ornement. Ruskin l’avait divisé en deux points 195 : 1) Comment exprimer l’ornement. 2) Comment arranger l’ornement. Selon Ruskin196 , un ornement doit avoir deux fonctions : 1) Il doit être beau dans sa place où il est appliqué ; 2) Il doit aider d’autres parties de l’édifice à obtenir un bon effet. Ruskin voulut que tous les éléments collaborent et forment une entité harmonieuse. Les sept lampes de l’architecture contribuent uniquement à l’architecture gothique médiévale :1) La lampe du sacrifice. 2) La lampe de l’authentique. 3) La lampe du pouvoir. 4) La lampe de la beauté. 5) La lampe de la vie. 6) La lampe de la mémoire. 7) La lampe de l’obéissance. Ces sept lampes devaient être une référence importante pour la pratique de William Morris concernant l’architecture et les meubles. Parmi Les sept lampes, la première - la lampe du sacrifice - révèle quelque chose d’intéressant. Pour Ruskin197, l’architecture n’est pas une simple construction d’un édifice qui répond uniquement aux besoins fondamentaux. L’architecture signifie que l’on s’attache à autre chose

194 John Ruskin, The works of John Ruskin(Les œuvres complètes de John Ruskin), volume 9 : The stones of Venice I (Les pierres de Venise I),(première édition en 1853 à Londres), édité par Edward Tyas Cook and Allexander Wedderburn, Londres : Cambridge University Press, 2010, p. 265-266. 195 Ibid., p. 283. 196 Ibid., p. 284. 197 John Ruskin, The works of John Ruskin (Les œuvres complètes de John Ruskin), volume 8 : The seven lamps of architecture(Les sept lampes de l’architecture),(première édition en 1849 à Londres), édité par Edward Tyas Cook and Allexander Wedderburn, Londres : Cambridge University Press, 2010, p. 27-30. 182 que la fonction quotidienne et au caractère plus haut et plus transcendant. La lampe du sacrifice, dit-il, concerne l’aspect spirituel : l’esprit de sacrifier. En pratique, que sacrifie-t-on ? Dans Les sept lampes de l’architecture198, John Ruskin explique quelques points. D’abord, du côté du fabricant, on doit faire de grands sacrifices pour la construction d’un édifice : pour le travail, le coût et la méditation, etc. Et puis, du côté du consommateur, on préfère un objet pour lequel le fabricant a mis un grand prix. En disant, Ruskin s’opposa au peuple ordinaire qui n’avait pas le même pouvoir d’achat qu’avaient les élites.

La contradiction On se pose des questions sur l’utilisation de la machine. Après l’Exposition Universelle de Londres en 1851, durant des années 1850, apparemment, les critiques de l’industrialisation se multiplient, mais en pratique les contradictions s’accumulent aussi. Chez William Morris, ce qui est contradictoire est que, lui, s’opposant à l’utilisation de la machine, l’utilisa aussi. Par exemple, il utilisa aussi un tour moteur pour modeler les petites formes sphériques. Nous nous demandons si les bois courbés et les roulettes furent travaillées sans la machine ? Question sur le travail de l’homme et le prix du produit. Comme John Ruskin, William Morris prôna que l’on travaille plus dans la production pour recevoir moins de produit raffiné. L’idée de Ruskin ne correspond qu’à la construction des édifices publics tels que cathédrales, musées, etc. et aux besoins de la classe aristocrate. En suivant le chemin de Ruskin, d’un côté, William Morris voulut théoriquement fabriquer un produit qui puisse servir le grand public, de l’autre côté, il prit pratiquement un sens inverse. A savoir que, lui, grand admirateur de l’art du Moyen Âge, il fabriqua des meubles qui furent financièrement trop lourds pour le grand public, car ses meubles fabriqués en partie de façon manuelle sont luxueux et donc coûtaient très chers199. Les historiens du mobilier, par exemple Leslie Pina, sont tous d’accord en disant qu’au lieu de travailler pour la majorité du public, William Morris travailla pour la minorité - les élites200.

198 Ibid., p. 30-31. 199 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p.181. 200 Idem. 183

Un des admirateurs de William Morris, Gustav Stickley (1857 - 1942), fabricant de meuble américain, s’introduisit aussi dans le mobilier du passé, interpréta aussi le classicisme ou le néo-classicisme. Un autre admirateur, Elbert Hubbard (1856 - 1915) , ne sortit pas de l’art classique non plus même si ses meubles prirent un style différent. Puisque William Morris et ses admirateurs ainsi que ses contemporains, suivant les doctrines principales initiées par John Ruskin dans ses ouvrages et ses paroles201, préférèrent sans exception un classicisme, leurs pratiques et leurs théories ne constituèrent pas encore le modernisme, mais, en définitive, elles provoquèrent la tendance vers le modernisme.

Conclusion :

John Ruskin, le défenseur de l’art gothique du Moyen Âge, avait théorisé et systématisé les concepts de l’architecture gothique. William Morris, le successeur de John Ruskin, suscita le mouvement des Arts et Crafts dont le slogan énonce que l’art doit servir le grand public. En voulant lancer la révolte contre l’industrialisation, il se tourna vers l’art du Moyen Âge en interprétant d’anciens sièges avec quelques nouveautés : l’utilisation de la roulette, la structure plus libre. L’art de William Morris devint probablement une des références importantes pour les architectes et menuisiers pendant la période de l’Art Nouveau, par exemple, Henry Van de Velde. Nous parlerons d’un des successeurs du mouvement des Arts et Crafts, Charles Rennie Mackintosh, qui s’engagea dans la poursuite du modernisme.

Chapitre III

Le fonctionnalisme

Ce chapitre particulier tente d’expliquer la signification du terme ‘fonctionnalisme’ et sa naissance ainsi que son évolution pendant le XIXe siècle et au début du XXe siècle.

201 Ibid., p. 180. 184

I Le terme fonctionnalisme.

Dans l’artisanat et aujourd’hui dans le design, le mot ‘fonction’ peut être apppliqué à deux aspects : matériel et immatériel. L’aspect matériel signifie essentiellement la fonction pratique : par exemple, s’asseoir sur une chaise, manger à une table, etc. L’aspect immatériel peut inclure la fonction psychologique, mentale ou spirituelle, etc. Dans les sièges royaux précédents, surtout dans les trônes, les deux aspects sont aussi importants. L’immatérialité dans un trône peut, comme nous avons dit précédemment, se traduire en un symbole du pouvoir, de la richesse et de la position sociale. En somme, c’est la hiérarchie sociale. Nous parlerons maintenant de la naissance du fonctionnalisme, c’es-à-dire de l’utilisation matérielle et des réflexions à ce sujet.

II Du rationalisme au fonctionnalisme.

Selon Les sources de l’architecture moderne et du design de Nilolaus Pevsner202, au XVIIe et XVIIIe siècle, les termes tels que sûreté, convenance, commodité, bienséance étaient déjà familiers dans l’architecture. Ils faisaient partie du rationnalisme. William Hogarth (1697-1764) souligna l’importance de la conformité des parties pour la beauté de l’ensemble. En 1841, Augustus Welby Northmore Pugin souligna la nécessité de la commodité, de la construction ou de la convenance. Pour Pugin203, le fonctionnalisme devrait être ainsi : le principe de la décoration devrait montrer une conformité parfaite entre l’ornement et l’usage voulu, chaque objet devrait être adapté à sa fonction et authentique dans sa structure. La chaise numéro14 de Michael Thonet, créée en 1850 dont nous avons parlé au début de cette partie, constitue aussi un bon exemple du fonctionnalisme. Sa simplicité répond à la beauté, tandis que sa commodité d’assemblage répond à l’économie. Dans la fabrication de

202 Nikolaus Pevsner, Les sources de l’architecture moderne et du design, (première édition en 1968 à Londres), traduit de l’anglais par Eleonore Bille-De Mot, Paris : Thames et Hudson, 1993, p. 9. 203 Ibid., p. 10. 185 cette chaise, la fonction pratique est l’objectif principal, tandis que l’économie est la condition nécessaire, la beauté est la valeur esthétique qui attire l’attention du public. Selon cette théorie, l’accent doit être mis dans les facteurs décisifs suivants : le temps, le coût matériel et la force humaine. Si Michael Thonet avait ajouté une ornementation, cela aurait réduit l’efficacité, le temps de fabrication aurait été augmenté et le prix de l’objet aussi. Marx a expliqué la détermination du prix d’une marchandise. Il dit : « La détermination du prix par les frais de production est identique à la détermination du prix par le temps de travail qui est nécessaire à la production d’une marchandise, car les frais de production se composent i) de matière premières et de l’usure d’instruments, c’est-à-dire de produits industriels dont la production a coûté un certain nombre de journées de travail, et qui représentent par conséquent une certaine somme de temps de travail, et ii) de travail immédiat dont la mesure est précisément le temps.204» En regard du mobilier, le peuple ornidaire (le prolétariat) exigeait la popularisation des chaises et des fauteuils et des canapés, à condition que leurs prix soient acceptables. Autrement dit, on ne voulait pas acheter la valeur de l’ornement. C’est la fonction pratique que l’on demandait. Cette exigence sociale influença la conception des fabricants comme Michael Thonet. Le désir pour une diversité de la marchandise s’est accompagnée de diverses Expositions Universelles à partir de la première en 1851. Celles-ci se succédèrent l’une après l’autre en intervalle de cinq ans. Une Exposition eut lieu en 1855 à Paris, une autre en 1862 à Londres à nouveau, et en 1867 encore à Paris. Ces Expositions Universelles permettent à tous les pays de montrer les produits qui peuvent représenter leur identité nationale. Ainsi voit-on la diversité des produits venus du monde entier et la diversité des cultures internationales. Ces deux diversités influencent la conscience du public et celle des fabricants ou des inventeurs. En conséquence, le public demande une plus grande diversité des produits y compris ceux qui étaient autrefois le privilège de l’aristocratie. Les fabricants et les inventeurs cherchent à répondre aux divers besoins du grand public dont le pouvoir d’achat n’est pas aussi fort que l’était celui des aristocrates. Conditionné par la situation économique, on ne demande que la fonction fondamentale des produits.

204 Karl Marx, Travail salarié et capital, (cet ouvrage parut sous la forme d’une série d’articles de fond dans la Neuve Rheinische Zeitung, à partir du 4 avril 1849) Paris : L’Altiplano, 2007, p. 39. 186

III Les architectes fonctionnalistes.

Pendant le XIXe siècle, il y avait les architectes fonctionnalistes, nous évoquerons quelques uns dont les façons d’interpréter le fonctionnalisme étaient différentes. En 1895, Otto Wagner (1841 - 1918), architecte viennois, publia son manifeste théorique :« rien qui ne soit fonctionnel ne pourra jamais être beau.205 » « L’ornement devint un obstacle à la beauté de l’objet qui est dans sa fonction. Quand la beauté de la simplicité apparut, l’ornement semblait inutilement ajouté. » dit Sylvie Coëllier. C’est ainsi que les sièges d’Otto Wagner sont en forme simple. Tout l’accent est mis dans la fonction pratique. Il n’y a pas d’ornement ajouté.(nous en parlerons davantage.) Adolf Loos (1870 - 1933), l’architecte autrichien, peut être considéré comme le premier qui prôna radicalement l’élimination de l’ornement. Adolf Loos visita l’Exposition universelle de Chicago en 1893 et retourna à Vienne en 1896 où il publia une série d’articles dans lesquels il dénonça l’élimination de l’ornement206. Dans un article intitulé Céramique, écrit en 1904, Adolf Loos dit : « Si je prends un verre à boire, c’est pour boire. Qu’il s’agisse d’eau ou de vin, de bière ou de schnaps, le verre doit être ainsi fait que la boisson m’y semble la meilleure. C’est là l’essentiel.207 » Suivant cette phrase, si on prend une chaise, l’essentiel est que l’on peut s’asseoir confortablement. Une chaise doit fournir la meilleure place. Lisons quelques phrases d’Adolf Loos, par lesquelles se distingue son désir fort de créer un art sans ornement superflu. « Vous voulez un miroir ? Le voici : tenu par une femme nue. Vous voulez un encrier ? Le voici : des naïades se baignent au pied de deux rocher ; l’un contient de l’encre, l’autre, du sable. Vous voulez un cendrier ? Le voici : une danseuse serpentine est étalée devant vous et vous pouvez secouer votre cendre de cigare contre la pointe de son nez...Je trouvais cela mauvais. Alors, les artistes dirent : voyez, c’est un ennemi de l’art. Mais ce n’est pas parce que je suis un ennemi de l’art que je trouvais cela mauvais, au contraire, c’est parce que je voulais protéger l’art contre ses oppresseurs.208 » Dans l’architecture d’Adolf Loos, tous les éléments de la structure architecturale

205 Anne Bony, Le design, Paris : La Rousse, 2004, p. 34. 206 Stéphane Laurent, Chronologie du design, Paris : Flammarion, 2008, p. 91. 207 Adolf Loos, « Céramique », écrit en 1904, in Ornement et crime, traduit de l’allemand et présenté par Sabine Cornille et Philippe Ivernel, Paris : Editions Payot & Rivages, 2003, p. 33. 208 Ibid., p. 61 - 62. 187 contribuent à la fonction, rien n’est superflu. Il n’y a donc pas de mur décoré de papier peint, ni de mur sculpté. Mais il ne refusait pas un tapis ou un canapé qui fut décoré de dessins colorés. Il est clair que son idée de la fonction s’adresse à la structure principale de l’architecture. En 1908, Adolf Loos publia un article intitulé Ornement et crime 209 dans lequel il critiqua radicalement l’ornement. Nous essayons de résumer cet article en quelques points qui concernent notre sujet. 1) L’ornement est une perte du temps et de l’argent, parce que les artisans en prennent beaucoup pour la décoration des objets. En somme, l’ornement est une perte du capital. Cela est un crime qui contre l’économie de l’Etat. 2) L’ornement est une perte de main-d’œuvre, il est par conséquent une perte de la santé humaine. 3) L’ornement ne peut plus représenter la culture aujourd’hui. L’ornement n’est pas capable d’améliorer la qualité de la vie d’un homme cultivé. 4) La simplicité n’est pas une mortification. La simplicité est contre la conception de ceux qui travaillent encore dans les Arts and Crafts. 5) Les gens aujourd’hui dont la vie change rapidement demandent des objets sans ornement en faveur de l’économie. Cela est égal pour les consommateurs qui ne voient pas la valeur dans l’ornement et ne veulent pas le payer pour autant, mais aussi pour les travailleurs qui en voulant être payés davantage grâce à une grande efficacité ne veulent pas perdre le temps pour l’ornement. 6) L’industrie aujourd’hui demande la rapidité du changement des marchandises. Les fabricants veulent que les consommateurs changent rapidement leurs meubles, par exemple une fois tous les dix ans voire tous les trois ans. Parce que grâce au changement rapide des meubles, on doit rapidement en fabriquer de nouveaux et cela permet aux usines d’offrir plus de nouveaux emplois. C’est un secret de l’économie de l’Etat.

209 Adolf Loos, « Ornement et Crime », in Adolf Loos, 1870-1933, Architect, Cultural critic, Dandy, par August Sarnitz, Cologne :Taschen, 2003, p. 84 - 89. 188

Selon ses idées, Adolf Loos prôna la simplicté et s’pposa à l’ornement en faveur de l’économie. Mais, est-il nécessaire de nier radicalement l’importance de l’ornement ? Peut-on l’interpréter d’une nouvelle façon, à condition qu’il donne à l’édifice une beauté, qu’il rende à l’homme cultivé une vie de qualité, et qu’il ne coûte pas très cher ?

IV La philosophie chinoise et le fonctionnalisme.

VI-I 文质彬彬 wen zhi bin bin. Les contemporains d’Adolf Loos tels qu’Otto Wagner, Joseph Maria Olbrich, Josef Hoffmann adoptèrent une certaine quantité d’ornementation dans leurs architectures dont la fonction est le facteur le plus important. Ce principe de l’architecture occidentale peut renvoyer à l’idée confucianiste dont nous avons parlé dans le discours sur le fauteuil du lettré de Song : 文质彬彬 wen zhi bin bin. Cette idée chinoise attend que l’ornement et la fonction constituent une unité harmonieuse. La décoration devrait aider à souligner la fonction sans la dominer. Cette idée peut conduire à la simplicité de la conception des objets. La Vertu et la Vertu d’humanité se situent dans le centre de la pensée taoïste et confucianiste. L’idée de l’excès était jugée irrationnelle par Lao Zi et Confucius et elle ne fait certes pas partie de la Vertu et de la Vertu d’humanité. Cette doctrine peut être appliquée dans tous les domaines et l’ornement ne devrait pas en être une exception. L’ornement excessif devrait être éliminé de la conception des objets, car il sous-entend l’excès du travail et l’excès du coût de l’objet. Par conséquent, le luxe ne devrait pas être possible dans la philosophie chinoise. Mais le luxe a existé, comme nous voyons dans le chapitre suivant. Il faut faire des économies à condition que la fonction et l’ornement s’accordent.

IV-II 节用 Faire des économies.

Le philosophe chinois MO Zi (env.480 - 490 av.J-C.) soutenait l’idée du fonctionnalisme. MO Zi prôna l’économie et il fut contre le gaspillage. Cette idée est défendue dans le

189 chapitre intitulé Contre l’excès de l’ouvrage philosophique MO Zi. Selon MO Zi 210, la fonction et le confort pratique sont deux éléments fondamentaux à accomplir, la décoration (l’ornement) n’est pas nécessaire. Ce principe pratique fut proposé dans un contexte social paradoxal : d’un côté, la production matérielle était très limitée, de l’autre côté, les aristocrates de son époque, différents des Anciens, cherchaient des objets excessivement luxueux. Par exemple, ils fabriquèrent un bateau avec des incrustations superflues inutiles pour la fonction et le confort. Ces excès conduisirent à un effet négatif. Car pour manipuler des objets de ce genre, les femmes s’engageaient dans la décoration des objets, en abandonnant leurs tissages, il en résulta que les peuples avaient froid. Les hommes s’engageaient dans l’incrustation des objets en abandonnant les plantations, et en conséquence, les peuples avaient faim. MO Zi s’opposa à l’excès de l’ornement, mais il ne nit pas son importance. Cela correspond bien à l’idée de Confucius. A partir des années 1900, la tendance du fonctionnalisme devint de plus en plus évidente dans l’architecture et dans le mobilier. Les architectes designers tels que Henry Van de Velde, Otto Wagner, Charles Rennie Mackintosh, Frank Lloyd Wright, Josef Hoffmann, Le Corbusier jouèrent un rôle important. En 1919, on vut l’ouverture du Bauhaus où l’on commença par les Arts and Crafts et arriva au fonctionnalisme. Marcel Breuer, élève et puis professeur du Bauhaus, contribuèrent beaucoup au mobilier fonctionnaliste à partir des années 1920.

Conclusion :

La préférence de la fonction implique deux choses: l’ornement doit être enlevé, l’économie doit être prise en considération durant la fabrication d’un objet quotidien. Dans telle fabrication, selon le fonctionnalisme, l’objectif principal n’est rien d’autre que la fonction pratique. Le symbole immatériel qui était souvent représenté par l’ornement doit s’effacer. Une chaise n’est plus symbolique, elle doit être fonctionnelle. Le fonctionnalisme, soutenu par les théories de Confucius, de MO Zi et de Karl Marx, fut initié avec la chaise numéro 14 de Michael Thonet à partir des années 1850, pratiqué dans

210 MO Zi 墨子, MO Zi 墨子, ( édité par les disciples de MO Zi entre 4e siècle et 3e siècle av.J.C.), Traduit du Chinois classique et noté par 李小龙 (LI Xiao Long), Beijing : 中华书局 (Zhonghua Shuju), 2008, p. 41.

190 l’architecture d’Adolf Loos à partir la fin des années 1890 et annoncé officiellement en 1908 dans son article intitulé Ornement et crime. Le fonctionnalisme traversa l’histoire du mobilier et de l’architecture, il fut accompagné de mouvements divers : les Arts and Crafts, l’Art Nouveau, la Sécession viennoise. Le Bauhaus diffusa massivement le fonctionnalisme dans le monde entier et cela répondit à l’exigence économique sociale. Le fonctionnalisme sera appliqué dans la partie suivante. Chapitre IV De la nature vers la modernité

I La philosohpie de la nature.

Au XIXe siècle, les architectes, les ébénistes et les concepteurs de meubles et cherchèrent leur inspiration dans la nature, conduisant le chemin vers la modernité, via Arts and Crafts, l’Art Nouveau et la Sécession viennoise. Le mot français ‘nature’ peut être traduit en chinois ‘zi ran’(自然). Pourtant ce terme chinois ne signifie ni l’essence, ni la qualité, ni le tempérament. Il signifie la nature générale et être naturel (naturelle). Dans la philosophie de Lao Zi, le terme ‘zi ran’(自然) a deux significations. La première signification, comme en français, est la nature générale où il y a des plantes et des animaux. Dans le 25e chapitre de Dao de jing, Lao Zi dit : “ L’humanité obéit à la terre, la terre obéit au ciel, le ciel obéit au Tao, le Tao obéit à la nature.” Dans cette phrase, le mot “ nature ” signifie à la fois la nature générale et la philosophie de la nature. L’humanité vit avec la nature et celle-ci offre non seulement la nourriture, mais aussi le souffle. Celui-ci est abordé en tant que concept important dans l’architecture et la peinture traditionnelles chinoises. Bref, la nature est importante pour l’humanité. Pour Socrate, selon le livre X de la République de Platon211, des tables ont une seule forme créée dans la nature par le Dieu, les artisans qui fabriquent les tables en regardant cette forme unique sont les imitateurs. Si nous suivons l’idée de Socrate, la forme de la nature ou les formes naturelles telles que les fleurs et d’autres plantes sont la création du Dieu. Les artisans ou les gens qui fabriquent des objets de telles formes sont les imitateurs, car ils ne

211 Platon, La République, du régime politique, folio essais, op.cit., p. 492 - 495. 191 créent pas de formes par nature. Les motifs imités de la nature ne sont donc pas réels. À partir des années 1890 jusqu’au début des années 1900, il y avait, dans le domaine de l’architecture et du mobilier, une tendance d’éloigner les formes naturelles pour approcher les formes géométriques. Quand les architectes - designers cherchaient une nouvelle forme, un problème se posait. Les architectes - designers pouvaient éviter de prendre les formes naturelles créées par le Dieu dans leur architecture et leur mobilier, mais ils ne pouvaient pas éviter de faire les formes architecturales. Les architectes imitaient-ils les formes architecturales créées par Dieu? Quelle sont alors la forme de l’architecture selon la nature et la forme du siege selon la nature ? C’est une question ouverte. Nous allons voir les façons diverses d’interpréter les idées architecturales chez les architectes et les concepteurs de meubles du XIXe siècle et de la première décennie du XXe siècle.

II La recherche de nouveauté à partir de la nature.

L’architecte français, Eugène Viollet-le-Duc (1814 - 1879), voyagea en France entre 1831 et 1833, en Italie en 1836, en Europe en 1850. Dans une lettre, datée du 12 juin 1833, adressée à son père pendant son voyage, Viollet-le-Duc dit : « Ainsi, moi, je sens très bien que quand je copie consciencieusement un paysage, je fais un pas de plus dans mon art spécial, dans l’architectue.212 » Viollet-le-Duc introduisit l’architecture française du XIe siècle au XIIIe siècle dans ses ouvrages, dans lesquels, comme le dit Sylvie Coëllier, il fit un rapprochement entre l’architecture gothique et la nature en parlant des cathédrales et de leurs colonnes comme des arbres. En Angleterre, John Ruskin (1819 - 1900) et William Morris (1834 - 1896) prônèrent l’art du Moyen Âge. Les motifs inspirés des formes naturelles, dessinés ou conçus par William Morris, étaient appliqués dans ses meubles. Par exemple, les textiles utilisés dans son fauteuil dont nous avons parlé précédemment. Pourtant , William Morris ne fit ses dessins naturels qu’avec une transformation très modeste. En France du XIXe siècle, après Eugène Viollet-le-Duc, il y eut d’autres architectes et

212 Françoise Bercé, Viollet le Duc, Paris : Editions du Patrimoine, 2013, p. 12. 192

ébénistes. Â Nancy, Emile Gallé (1846 - 1904), issu d’une famille de fabricant fortuné du mobilier, est représentatif en tant que concepteur de l’Art Nouveau. Il s’engagea dans le mobilier dès 1880. Il s’attacha à la diversité de qualité du bois destiné à être incrusté dans le mobilier. Il utilisa aussi des dessins en forme de plantes et d’animaux et des lignes courbes. Â Paris, il y eut un groupe nommé “Les Six” dont les membres sont Alexandre Charpentier (1856 - 1909), Charles Plumet (1861-1928), Tony Selmersheim (1871-1971), Hector Guimard (1867 - 1942), George Hoentschel (1855 - 1915) et François-Rupert Carabin (1862 - 1932). C’était un atelier dont l’organisation n’était guère solide. Il s’inspirait aussi de la nature. Par conséquent, des dessins empruntés à la nature et des lignes courbes se trouvèrent dans leur mobilier et leur architecture. L’œuvre représentatif du groupe des “Six” est l’entrée du Métro à Paris, conçue et fabriquée de 1900 à 1904 par Hector Guimard.

III Le style linéaire du siège de Henry Van de Velde.

Figure 57. Henry Van de Velde, Fauteuil, 1898.

Dans la conception de Henry Van de Velde (1863 - 1957) , « une ligne est une force213 »

213 Klaus-Jürgen Sembach, Henry Van de Velde, traduit de l’allemand par Lydie echasseriaud, Paris : Hazan, 193 dit-il. Les sièges de Henry Van de Velde conçus pendant la dernière décennie du XIXe siècle sont marqués par des lignes courbes et ceux conçus au début du XXe siècle sont marqués par des lignes droites et courbes. Dans ce fauteuil conçu en 1898 (fig. 57), des lignes courbes caractérisent le fauteuil. Le dossier composé de petites planches courbées coopèrent avec les accoudoirs pour former un ensemble circulaire. Celui-ci et les parties rembourées rendent à la personne un confort. La traverse supérieure du dossier qui est courbé et montée constitue une particularité. Celle-ci peut faire penser aux sièges Ming. Il y avait quatre facteurs principaux qui pouvaient influencer la conception des meubles de Henry van de Velde. Ces facteurs sont l’art de William Morris, le mouvement de l’Art Nouveau, le japonisme et la peinture, surtout la peinture de Van Gogh. Van de Velde fut d’abord un peintre. En 1892 il l’abandonna pour les arts appliqués214. Bien qu’il ne connaisse pas William Morris personnllement, il était intéressé, selon Klaus-Jürgen Sembach215, par le travail et le style de vie de William Morris. Celui-ci fit des dessins naturalistes. En tant que peintre, Van de Velde prit en compte l’éthique de la peinture de Millet, marqua le caractère méthodique de la techinique et la juste harmonie des couleurs. En 1894, Van de Velde eut l’occasion de contempler les œuvres de Van Gogh chez la belle-soeur de celui-ci, Madame Théo Van Gogh, et était intéressé par ses lignes picturales. A la fin du XIXe , le japonisme s’en racina à Paris et à Bruxelles, lorsque Van de Velde y passait ses séjours, il vit certainement l’art japonais à travers des objets courants216. L’inspiration du japonisme était interprétée dans des motifs de plantes. « A l’époque où je me sentais attiré (...) à une synthèse ou à quelque système de doctrine, il semble bien que je cherchais à confondre philosophie et esthétique et de me raccrocher à une règle de vie en laquelle l’Art et la Beauté occuperaient la place prépondérante 217» dit Van de Velde en 1894. Etant influencé par les facteurs mentionnés plus haut, Van de Velde fit une

1989, p. 47. 214 Klaus-Jürgen Sembach, Henry Van de Velde, op.cit., p. 13. 215 Ibid., p. 35. 216 Ibid., p. 47. 217 Léon Ploegaerts ; Pierre Puttemans, L’œuvre architecturale de Henry Van de Velde, Bruxelles : Atelier Vokaer, 1987, p. 43. 194 synthèse des arts des maîtres ainés, par exemple, William Morris, Emile Gallé, Hector Guimard et Victor Horta (1861 - 1947). Ce dernier manifesta le départ de l’architecture de l’Art Nouveau en Belgique avec l’hôtel Tassel construit en 1892. Chez Van de Velde, des lignes courbes étaient inspirées de la forme naturelle : les plantes que William Morris aimaient emprunter. De ce point de vue, Van de Velde était un véritable sucesseur de William Morris. Mais il n’imitait pas son précurseur. Il simplifiait et parfois abstractisait les formes naturelles méthodiquement. Le matériau peut être dynamisé à travers la façon de l’utiliser. Des motifs de Van de Velde étaient synthétisés en lignes plus simples et plus abstraites que celles dessinées par ses précurseurs. Cette synthèse est une unité alliant l’art et la beauté. Des œuvres mobilières de Van de Velde portent ainsi un caractère éthique, dynamique et harmonieux. Cette synthétisation montrait déjà la tandance vers la modernité à partir de la forme naturelle. Klaus-Jürgen Sembach dit que Van de Velde avait une sensibilité de sculpteur visant la troisième dimension218. Etant étudié la peinture et visant toujours la troisième dimension, il est naturel que les sièges de Van de Velde sont une sorte de sculptures utilitaires, un art appliqué aimé du public. Toutes ces qualités lui rendirent une grande richesse financière.

Figure 56. Â gauche : Fauteuil Morris, par Morris, Marshall, Faulkner & Co., 1870. Figure 58. Â droite : Henry Van De Velde, fauteuil , 1907-1912.

218 Klaus-Jürgen Sembach, Henry Van de Velde, op.cit., p. 47. 195

A partir des années 1900, la structure de son architecture et de son mobilier était devenu plus simple. Des motifs et des formes étaient plus abstractisés. Aux lignes courbes, s’ajoutaient des lignes droites. Entre 1907 - 1912, Henry Van de Velde (1863 - 1957) créa, pour sa propre maison à Weimar - Ebringsdorf, un fauteuil à s’étendre (fig. 58) dans lequel l’influence de William Morris et la modernité sont sensibles. Il est certain que le fauteuil de Henry Van de Velde, portant un rembourrage profond, un siège et un dossier inclinés, peut assurer un confort. Pour atteindre cette inclinaison de juste degré, les jambes avant sont plus hautes que les arrière. Les quatres jambes se rejoignent vers l’intérieur. Deux avant-pieds sont une nouvelle interprétation des anciens pieds d’animaux. Les deux accoudoirs de côté prennent la forme de la grille. Toutes les pièces en bois sont blanches, la couleur du dossier est claire. L’ensemble du fauteuil resemble à une fleur de lis blanche. La clarté du fauteuil s’adapte bien à l’intérieur de l’appartement. Si nous regardons seulement le fauteuil de Henry Van de Velde, il semble qu’il soit tout à fait nouveau, n’ayant aucun lien direct avec du passé. Pourtant, si nous le mettons en comparaison avec le fauteuil de William Morris créé en 1870, on distingue facilement le lien entre les deux, c’est la similarité de la structure. Dans les deux fauteuils, les jambes avant sont plus hautes que les arrières ; tous les sièges et dossiers sont penchés vers l’arrière ; tous les accoudoirs sont en forme de grille avec une différence : les supports des accoudoirs du fauteuil de Morris sont en bois modelé en sphères consécutives, alors que ceux de Van de Velde sont des planches de bois droites et rectangulaires. Si le fauteuil géométrique de William Morris est une nouvelle interprétation du style classique, alors, le fauteuil de Velde est une nouvelle interprétation du fauteuil de William Morris qui est emblématique du mouvement Arts et Crafts. Malgré la similarité de la structure, le fauteuil de Morris est inclassable, car ce style basé sur le classicisme n’est ni classique ni moderne. Alors que celui de Velde est certainement un meuble moderne, car, en prenant une nouvelle forme, il tend à s’éloigner de la tradition et se présente sous une nouvelle forme. Le design de Henry Van de Velde est bien un point d’appui du modernisme pour l’éducation du Bauhaus. Nous voyons ainsi une ligne historique : classicisme ←→Arts et Crafts → modernisme. En somme, l’art de Henry Van de Velde commencé par la forme naturelle s’éloignait 196 d’elle progressivement à partir des années 1900.

IV Les hautes chaises de Charles Rennie Mackintosh.

Figure 59. Charles Rennie Mackintosh, Chaises à Hill House, 140.97cm de haut, 1902 - 1904

Charles Rennie Mackintosh (1868 - 1928), écossais, est avant tout architecte, puis ébéniste et concepteur de meubles. Dans ses chaises, il y a un élément remarquable, c’est la hauteur extrême du dossier. C’est à celle-ci que notre question doit se poser.

Dès les années 1870, selon Charlotte & Peter Fiell219, il y avait en Ecosse un mouvement anti-alcoolique. Les prédicateurs luttaient contre l’eau-de-vie,. et les clubs de football et les salons de thé étaient ainsi fondés pour combattre l’alcoolisme220. Catherine Cranston, avec l’aide de son père, ouvrit, en 1884, son premier salon de thé. A partir de 1896, elle confia à Charles Rennie Mackintosh de travailler en tant qu’architecte, designer et décorateur dans ses quatre salons de thé, tout en lui donnant une liberté de créer221. C’est grâce à cette liberté que

219 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, Cologne : Taschen, 1995, p. 25-27. 220 Jean-Claude Garcias, Mackintosh, Paris : Fernand Hazan, 1989, p. 13. 221 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, op.cit., p. 25-27. 197

Charles Rennie Mackintosh put créer ses célèbres chaises à haut dossier. En 1897 Charles Rennie Mackintosh avait créé les chaises hautes pour le salon de thé à Argyle Street. Ces chaises ont une hauteur de 135.89 cm et elles sont marquées par le dossier avec la découpe ovale. En 1900, il créa les chaises dont la hauteur est de 151.76 centimètre, pour un appartement à 120 Mains Street où le couple Mackintosh vécurent de 1900 à 1906. Les chaises pour Hill House (fig. 59), conçues par Charles Rennie Mackintosh entre 1902 et 1904 ont une hauteur de 140.97 centimètre. Les dossiers ajourés sont en forme d’échelle et de carreaux. Les sièges rectrangulaires sont légèrement rembourrés. La solidité est assurée par la structure simple et raffinée ne portant aucune pièce superflue. Non seulement les dossiers des chaises étaient rehaussés, les lignes longues, qu’elles soient courbes ou droites, étaient une prédilection chez Mackintosh quand il faisait des dessins ou la décoration intérieure et extérieure. Par exemple, il fit de longs motifs (horizontaux) pour les armoires de Hill House, il fit aussi de longues fenêtres (horizontales) pour le bâtiement de l’Ecole d’Art de Glasgow. Pourquoi Mackintosh créa-t-il les chaises à haut dossier ? Il y avait quelques facteurs qui pouvaient influencer la conception de ses meubles : la nature, la femme, le japonisme et l’architecture gothique. Nous parlons d’abord de l’influence de la nature. Il y avait deux éléments qui pouvaient développer l’intérêt de la nature chez Charles Rennie Mackintosh. Premièrement, son père William Mcintosh, inspecteur de police, prit un grand nombre de temps au jardinage et encourageait ses enfants à l’aider222. Deuxièment, Mackintosh était un enfant maladif, le médecin de famille lui recomanda de faire des exercises en plein air et de prendre de longues vacances223. L’intérêt à la nature était représenté dans ses dessins et ses peintures, mais aussi dans sa conception de meubles. Dans la nature, il est possible que les arbres attirent plus l’attention, puisque des arbres sont plus hauts que d’autres plantes. La hauteur des arbres peuvent intéresser Mackintosh. Pourtant, nous n’avons pas de sources qui peuvent démontrer l’inspiration originelle de la conception du haut dossier. Mais il est certain que Mackintosh adoptait les formes des

222 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, op.cit., p.7. 223 Ibid., p.9. 198 plantes telles que des arbres, des herbes et des fleurs comme motifs essentiels dans ses meubles. Maintenant, nous parlons de l’influence de la femme. En 1990, Mackintosh épousa Margaret Macdonald avec qui il travailla en collaboration jusqu’à sa mort en 1928. Il devait dire à sa femme en 1927 : « Tu es pour moitié, voire pour les trois-quarts, à l’origine de mon œuvre architecturale.224 » Il dit aussi que « Margaret a du génie, je n’ai que du talent.225 » Ces phrases présentent l’amour et l’apréciation pour sa femme. L’influence de la femme peut être démontrée par la hauteur croissante. En 1897 l’année où Mackintosh était célibataire, il créa déjà les chaises dont la hauteur est de 135.89 centimètres pour un des quatre salons de thé de Cranston. En 1900 l’année où il épousa Margaret Macdonald, il créa les chaises dont la hauteur est de 151.76 centimètre pour l’appartement où ces nouveaux mariés allaient vivre. Dans la plupart de dessins de Mackintosh, les femmes étaient représentées particulièrement hautes. Cette préférence était peut-être issue du féminisme et du japonisme. Le féminisme de la bourgeoisie libérale de Glasgow, selon Jean-Claude Garcias, critique d’architecture français et ancien professeur à l’Université de Paris VIII226, émergea à la fin du XIXe sicècle. Les filles des familles gourgeoises trouvaient leurs expressions à l’école d’art et elles se permirent d’épouser les artistes-artisans qui étaient désargentés mais prometteurs. Â la même époque, le japonisme était connu à Glasgow grâce aux relations économiques entre cette ville et le Japon227. Déjà en 1876, des meubles, des estampes et des objets d’usages courant furent déjà ramenés par le Glaswégien Christopher Dresser qui convoya une collection de produits industriels britanniques destinés au musée impérial de Tokyo et y resta un an228. Il est naturel que Mackintosh, né en 1868, soit influencé par l’art japonais avant qu’il n’ait conçu ses hautes chaises à partir de 1896, par exemple, par les motifs de fleurs, les femmes représentées hautes et souvent associées à la nature, et les lignes courbes et longues. Le troisième facteur qui pouvait exercer une influence sur la conception de Mackintosh est l’architecture gothique. Selon Charlotte & Peter Fiell, Mackintosh connaissait les écrits

224 Ibid., p.23. 225 Idem. 226 Jean-Claude Garcias, Mackintosh, op.cit., p. 22-23. 227 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, op.cit., p. 15. 228 Jean-Claude Garcias, Mackintosh, op.cit., p.17. 199 théoriques des architectes de son temps. En suivant la théorie de l’architecte, Augustus Wellby Northmore Pugin (1812 - 1852), et celle de John Ruskin (1819 - 1900), peintre et critique d’art, Mackintosh dit : « La grande architecture vivante est l’expression directe des besoins et des croyances de l’homme au moment où elle a été créée... Nous devons donner aux idées modernes des vêtements neufs, enrichir nos projets d’imagination créatrice. Il nous faut des hommes vivants qui créent pour des hommes vivants, des œuvres qui soient la matérialisation du sacré, des efforts et du savoir personnels et de la joie que nous procure la nature dans tous ses charmes, ses formes et ses couleurs 229 ». Selon ces phrases de Mackintosh, ses œuvres architecturales devaient représenter sa propre croyance (au sens de l’art) ou celles de ses comtemporains. A savoir qu’il portait un certain amour pour l’architecture gothique, à laquelle il voulait donner des vêtement neufs, c’est-à-dire une nouvelle forme. Cette forme inspirée de la nature était une matérialisation du sacré. L’influence de l’art gothique est aussi confirmé par Jean-Claude Garcias qui dit :« L’exemple de Mackintosh et des ‘quatre de Glasgow’ prouve assez que l’Art nouveau remonte au gothique, par le truchement du romantisme, des Arts and Crafts et du symbolisme.230 » Dans la conception des meubles de Mackintosh, on voit le principe qu’il utilisait dans son architecture. Selon l’analyse d’Edward Lucie-Smith231, les chaises avec de hauts dossiers de Mackintosh reflètent une certaine dignité, une noblesse et une sorte de pouvoir. Cette analyse correspond bien à l’idée de Mackintosh : la matérialisation du sacré et renvoie à l’architecture gothique. Les hautes chaises de Mackintosh peuvent donc être un symbole de la dignité, du sacré et de la créativité artistique. Le haut dossier sert non seulement de protection à la fois physique et psychologique, mais il crée aussi un espace imaginaire et relativement privé. L’espace est important car il peut rendre aux clients une certaine tranquillité et un certain secret. Mackintosh conçut ses hautes chaises en forme géométrique. Les formes naturelles, par exemple, les formes des fleurs, étaient transformées, simplifiées ou géométrisées. La simplification et la géométrisation semblent avoir une tendance de se distancer de la forme

229 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, op.cit., p. 11. 230 Jean-Claude Garcias, Mackintosh, op.cit., p. 29. 231 Edward Lucie-Smith, Visual arts in the twentieth century, (Arts visuels au 20e siècle) (permière édition en 1996, Londres : Laurence King), Traduit de l’anglais par PENG Ping (彭萍), Beijing : Zhongguo Renmindaxue Chubanshe 中国人民大学出版社, 2007, p.11. 200 naturelle.

V La simplicité du siège d’Otto Wagner.

Ce fauteuil fut dessiné par Otto Wagner (1841 - 1918) pour la Banque Postale à Vienne (fig. 60 - 61). Ce fauteuil industriel est composé de planches de bois de la même taille, et d’aluminium qui décore et fixe le fauteuil. Une planche de bois courbée constitue à la fois les jambes avant, les accoudoirs et la traverse supérieure du dossier. Le siège en forme de ‘D’ est creusé au milieu. Les jambes arrière sont allongées pour constituer les supports de la traverse supérieure du dossier. Deux autres traverses inférieures sont ajoutées entre les jambes arrière pour fixer le dossier, mais aussi pour remplir le vide du dossier où s’appuie le dos de la personne. Les quatre jambes sont liées et fixées par une planche de bois courbée en forme rectrangulaire, installée au dessous du siège. Avec les pieds en forme abstraite d’animaux, les quatre jambes ressemblent à un animal qui s’apprête à supporter la personne. C’est un véritable siège fonctionnaliste qui refuse la tradition par les aspects suivants : la forme et les matériaux et la façon de fabriquer. Le matériau en aluminium est une innovation.

Figure 60. Â gauche : Otto Wagner, Fauteuil, bois et aluminum, 1902 Figure 61. Â droite : Fauteuils d’Otto Wagner sont utilisés dans un bureau de la Banque Postale de Vienne.

Wagner, avec d’autres designers avant-gardistes autrichiens, établit l’Association des 201

Beaux-arts Autrichiens qui devint la Sécession en 1892. Ce groupe avait un slogan disant : « Der Zeit Ihre Kunst-der Kunst Ihre Freiheit.232 » (Le temps de votre art – L’art de votre liberté.) La liberté de l’art est manifestée par la Sécession viennoise dont la devise fut inscrite sur la façade de la maison de la Sécession (1897-1898), à Vienne, construite par Olbrich:« Der Zeit ihre Kunst, Der Kunst ihre Freiheit233. » (Â chaque époque son art, à l’art sa liberté). Cette liberté individuelle avait pour objectif de chercher une nouvelle forme architecturale. Le mot ‘nouvelle’ « résume le refus de la tradition et la confiance en la liberté individuelle 234 » et il était utilisé massivement à l’époque. Les œuvres architecturales d’Otto Wagner sont donc une nouvelle interprétation de l’architecture classique, c’est un style néo-classique simplifié. Un disciple d’Otto Wagner, Josef Hoffmann235, dit que l’architecture néo-classique d’Otto Wagner (jusqu’à fin du XIXe siècle) était une architecture officielle qui prit en considération la fonction du bâtiment et la justesse d’utiliser les matériaux. Les sièges de d’Otto Wagner devait être conçus selon les mêmes principes architecturaux. Les élémenst historiques utilisés dans ce siège sont les pieds en métal qui sont une nouvelle interprétation des pieds d’animaux précédents. La structure simple peut faire penser à la chaise numéro 14 de Thonet. Les petites parties de métal qui couvrent partiellement les accoudoirs manifestent l’effet de l’industrie et elle s’accordent bien aux pieds métalliques.

VI Le siège organique de Frank Lloyd Wright.

Aux Etats-Unis, Frank Lloyd Wright (1867 - 1959) écrivit dans son dernier livre intitulé Testament, il dit : « Je réaffirme que le ressort essentiel de toute véritable architecture est une philosophie saine de la Nature.236 » Les bâtiments pour Frank Lloyd Wright devaient servir à

232 王受之 (WANG Shouzhi), 世界现代设计史(L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 81. 233 Anne Bony, Le design, op.cit., p. 34. 234 Leonardo Benevolo, Histoire de l’architecture moderne 2, Avant-garde et mouvement moderne, traduit de l’italien par Vera et Jacques VICARI, (première édition en 1960, Rome, 1987 pour la nouvelle édition), Paris : Bordas, première édition en 1979, 1988, p. 36. 235 Eduard F. Sekler, L’œuvre architecturale de Josef Hoffmann, monographie et catalogue des œuvres, traduit par Marianne Brausch, Bruxelle : Pierre Mardaga, 1986, p. 487. 236 Frank Lloyd Wright, Testament, (première edition en 1957), traduit de l’anglais et présenté par Claude Massu, Marseille : Parenthèses, 2005, p. 75. 202 libérer l’humanité et rendent aux peuples américains une vie libre et naturelle237. Les meubles organiques de Frank Lloyd Wright correspondent bien à ses bâtiments. Selon ses phrases, son architecture et son mobilier sont aussi un humanisme. La conception architecturale de Frank Lloyd Wright correspond bien à la philosophie de Lao Zi. Wright dit dans son livre intitulé L’avenir de l’architecture, publié en 1953 : « Maintenant, revenons un moment à la pensée déterminante de l’architecture organique ; ce fut Lao-tseu, cinq cents ans avant le Christ, qui, autant que je sache, déclara le premier que la réalité d’un bâtiment ne consistait pas en quatre murs et un toit, mais était inhérente à son espace intérieur, l’espace où vivre. Cette idée est le renversement complet de tous les idéaux païens – « classique » - de la construction, quels qu’ils soient.238 »

Figure 62. Frank Lloyd Wright, chaise de salon Barrel, 1937.

Mettre l’accent dans l’espace intérieur du bâtiment où l’humanité vit est un concept fonctionnaliste. Dans la pensée de Lao Zi, l’espace intérieur est essentiel dans l’architecture, car il doit servir à l’humanité. Pourtant, en accentuant l’importance de l’espace intérieur, celle de l’espace extérieur n’a pas été ignorée. L’espace extérieur du bâtiment, pour Lao Zi, est la nature. Quand Wright mettait l’accent dans l’espace intérieur, il devait penser aussi à l’espace

237 Ibid. p. 27. 238 Frank Lloyd Wright, L’avenir de l’archtecture, (première édition : Horizon Press, New York, 1953) traduit e l’américain par Georges Loudière et Mathilde Bellaigue, Introduction de Patrice Goulet, Paris : Editions de Lintteau, 2003, p. 250. 203 extérieur, c’est-à-dire à l’importance de la nature. Quand la communication entre l’intérieur et l’extérieur est construite, le souffle (le “Qi”) est acquis. Si Wright ne pensait pas comme cela, il n’aurait pas créé le temple de l’Unité à Oak Park en 1904 et ses résidences organiques, par exemple, la Fallingwater house (la maison sur la Chute d’eau ) construite entre 1936 - 1939. Wright prit le même principe architectural dans la conception de ses sièges. Ceux-ci sont donc organiques. Dans la chaise de salon Barrel (fig. 62), l’accent est mis sur le siège et le dossier qui constituent l’espace intérieur. Le siège est centralisé et entouré par l’ensemble des éléments tels que le dossier, les accoudoirs et les pieds horizontaux inférieurs. Cet ensemble constitue une forme circulaire ajourée et rendent à la personne un confort physique. En outre, la forme ajourée, précisément, les espaces vides situés sous les accoudoirs et entre les grilles, constituent une communication entre l’intérieur et l’extérieur.

VII La géométrie des sièges de Josef Hoffmann.

Figure 63. Josef Hoffmann, Siègemachine, avec le dossier adjustable, 1905.

Josef Hoffmann (1870 - 1956), architecte et designer, établit en 1903 les Ateliers Viennois (Wiener Werkstätte). Il créa des chaises de forme nouvelle. En 1905, il créa un fauteuil intitulé Sitzmaschine (Siègemachine) (fig. 63). Celui-ci peut être son siège

204 représentatif. Dans le Siègemachine de Josef Hoffmann, l’inspiration de l’architecture et de l’art plastique est sensible. Le dossier ajouré et les supports ajourés des accoudoirs ressemblent à des fenêtres. Les jambes sont respectivement formées par une seule pièce de bois courbé, formant une lettre ‘D’. Par la structure du fauteuil, nous voyons aussi une sorte de constructivisme dont les éléments sont : point, ligne, plan. Les petites formes rondes qui décorent et supportent les jambes et les accoudoirs peuvent être considérées comme des points ; les planches de bois courbées ou droites constituent les lignes ; alors le siège plat et les surfaces non ajourées et les formes vides représentent les plans. Cette structure constructiviste et géométrique semble être une sculpture utilitaire. D’ailleurs, le titre Siègemachine en appelle au mécanisme. Il est vrai que la forme de ce fauteuil est très mécanique ou déjà mécanisée jusqu’au point où elle peut rappeler la forme d’une machine. Il y avait troix facteurs principaux qui pouvaient influencer la conception architectuarle et mobilière de Josef Hoffmann : l’art de Charles Rennie Mackintosh, la nature et l’architecture ancienne italienne. Charles Rennie Mackintosh et Josef Hofmann se rencontrèrent en 1903 par l’intermédiaire de Peter Behrens lorsque celui-ci se rendit en Angleterre et en Ecosse. Mackintosh fut invité à une exposition de la Sécession en 1904. La conception de Mackintosh était apréciée à Vienne. « Josef Hoffmann et Koloman Moser (1868-1918), dit Charlotte & Peter Fiell, furent très impressionnés par l’originalité du style de Glasgow.239 » Les motifs géométriques, quadrillages de bois, surfaces peintes en blanc que préférait Mackintosh en Ecosse étaient rapporté en Autriche240. Pourtant, bien que Josef Hoffmann aime le style de Mackintosh, il ne fit pas le même style de mobilier que celui de Mackintosh. Charles Rennie Mackintosh prit les formes géométriques, mais aussi une certaine quantité de formes naturelles. Alors que les formes naturelles, selon l’historien américain de l’architecture

Eduard F. Sekler241, étaient souvent soumises à la volonté de Hoffmann et celui-ci avait une

239 Charlotte & Peter Fiell, Charles Rennie Mackintosh, op.cit., p. 21. 240 Idem. 241 Eduard F. Sekler, L’œuvre architecturale de Josef Hoffmann, monographie et catalogue des œuvres, op.cit., p. 25. 205 prédilection pour les formes géométriques. Josef Hoffmann refusa l’imitation historique. Il s’attacha, selon Eduard F. Sekler242, à la fonction et au matérieu et à sa propre pensée. Pourtant, dans le Palais Stoclet bâti en 1911, Josef Hofmann conçut de longues fenêtres horizontales qui ressemblent à celles de la partie ouest de l’Ecole d’Art de Glasgow, conçues par Mackintosh et achevées en 1909. Une autre influence importante venait de la nature et de l’art italien. Josef Hoffmann admirait son professeur, Otto Wagner, qui savait bien encourager les intentions de ses élèves. Mais Hoffmann n’aimait pas ce qu’il avait appris à l’école et prit son voyage officiel du Prix de Rome en Italie avant qu’ il fut diplômé en 1895. Il est nécessaire de citer quelques phrases qu’il dit pendant une conférence en 1911, pour comprendre sa conception. « Je n’arrivais pas à m’intéresser à l’architecture officielle qu’on m’avait enseignée. Je cherchais à tout prix de nouvelles inspirations... Finalement, je me réfugiais dans la campagne et me délectais des simples constructions paysannes qui, sans luxe et sans architecture de style, savent conférer un caractère particulier au paysage... Enfin, j’arrivais à Pompéi et à Paestum. Je regardais le temple dorique... Je compris pourquoi je n’aimais pas ce que j’avais appris à l’école. Nous avions appris le diamètre de cinquante temples, de leurs colonnes et de leurs poutres. Ici, je voyais des colonnes dont les chapiteaux étaient presque aussi larges que hauts et j’étais tout simplement béat d’admiration. Je savais désormais que ce qui importe, ce sont les circonstances et que l’utilisation exacte des différentes formes architecturales ne veut absolument rien dire.243 » Ses phrases indiquent que Josef Hoffmann aimait une forme simple (ou une construction simple) sans luxe et les colonnes droites et larges. Il pensait à la question de circontance, c’est-à-dire l’environnement de l’édifice, précisément, l’espace intérieur et extérieur. Selon lui, l’ensemble du bâtiment devait correspondre à son environnement, ces deux élémenst devaient composer une unité harmonieuse. Ses idées architecturales étaient appliquées dans sa conception de meubles. C’est ainsi qu’il créa des sièges simples. La façon de simplifier de Hoffmann est de gréométriser des formes. Des lignes droites et longues étaient utilisées fréquemment. Certains pieds transversaux étant liés constituaient un ensemble, par exemple, les fauteuils conçus en 1903 pour un salon de musique. Certains accoudoirs furent géométrisés en triangle, par exemple, les fauteuils conçus en 1904 - 1905 pour la salle à manger d’Editha Mautner-Markhof. Les formes simples et les lignes droites peuvent faire penser au caractère de Hoffmann.

242 Ibid., p. 55. 243 Ibid., p.87. 206

Au début de sa carrière, l’artiste dit que : « La plupart des artistes créateurs ne manquent pas tant de talent que de caractère (...)244 » Quel était son caractère ? L’historien de l’architecture Eduard F. Sekler dit que Hoffmann était généreux et sociable, mais en même temps un homme difficilement accessible et presque taciturne245. Berta Zuckerkandl (1864 - 1945), critique, écrivain et journaliste autrichien, qui s’entretenait souvent avec Hoffmann, écrivit en 1904 dans un long article de la revue « Dekorative Kunst » (Art décoratif) : « Chez lui (Hoffmann), création et personnalité vont de pair.246 » De mon point de vue, l’architecture et le mobilier de Josef Hoffmann peut donner un certain sens généreux.

VIII Le biomorphisme d’Antoni Gaudí.

En Espagne, l’architecte-concepteur Antoni Gaudí (1852 - 1926) prit les ouvrages de Viollet-Le-Duc comme une bible et rendit visite à son modèle247. Dans l’architecture et les sièges d’Antoni Gaudí, des formes organiques furent inspirées de la nature et de la Méditerranée. « Tout est issu du grand live de la Nature, les œuvres des hommes sont un livre déjà imprimé248 » , dit Antoni Gaudí. Selon lui, l’équilibre de la lumière de la Méditerranée a fait fleurir les grandes cultures artistiques, et l’art authentique repose sur la vision concrète imposée par la Méditerranée249. Il dit aussi : « Seule la mer me permet de synthétiser les trois dimensions dans l’espace (...)250 » De mon point de vue, ce fauteuil biomorphique (fig. 64) est composé d’éléments inspirés du corps humain. Le dossier en forme de coeur représente la tête d’un enfant ; le siège est rond ; les deux jambes avant ressemblent à celles d’un enfant ; les deux accoudoirs ressemblent aux mains ouvertes d’un enfant qui tend à embrasser ce qui se présente devant lui.

244 Eduard F. Sekler, L’œuvre architecturale de Josef Hoffmann, monographie et catalogue des œuvres, op.cit., p. 240. 245 Ibid., p. 231. 246 Ibid., p. 243. 247 Leonardo Benevolo, Histoire de l’architecture moderne 2, Avant-garde et mouvement moderne, op.cit., p. 69. 248 Antoni Gaudí, Paroles et écrits, réunis par Isidre Puig Boada, traduit du catalan par Annie Andreu-Laroche et Carles Andreu, Paris : L’Harmattan, 2002, p.74. 249 Ibid., p. 71 - 72. 250 Ibid., p. 72. 207

Ces éléments humanisés peuvent procurer des qualités émotionnelles, quand on se tient devant ce fauteuil. Cele correspond bien à ce que l’artiste a dit : « Notre force plastique réside dans l’équilibre entre le sentiment et la logique251 ». Son sentiment dans ce fauteuil peut s’adresser à son enfance. Sa logique peut se voir dans l’humanisation du fauteuil. C’est-à-dire que Gaudí conçut ce fauteuil selon les proportions du corps humain ( le corps d’un enfant).

Figure 64. Antoni Gaudí, fauteuil, 1900.

L’architecture d’Antoni Gaudí à partir des années1880 correspond bien à l’idée de John Ruskin, proposée en 1853, nous le redisons ici: l’architecture s’adresse à d’autre chose que la fonction quotidienne. L’architecture de Gaudí n’est pas fonctionnelle, mais sentimentale. Gaudí a dit : « Les peuples du Nord sont tourmentés, ils étouffent les sentiments et, en raison du manque de lumière, ils produisent des fantasmes ; les peuples du Sud, sous l’effet de l’excès de lumière, négligent le rationnel et créent des monstres.252 » Il n’est pas étonnant que pour certaines personnes les œuvres de Gaudí paraissent un peu monstrueuses. Pour cette caractéristique, Nikolaus Pevsner dit : « On est aussi frappé par ce dédain manifeste pour les avantages fonctionnels qui ont tant

251 Ibid., p. 71 – 72. 252 Idem. 208

desservi l’Art nouveau dans l’architecture et le mobilier : balustrades des balcons agressives et murs et cloisons si incurvés qu’on ne peut y adosser un meuble d’une manière satisfaisante.253 » Apparemment, chez Gaudí, l’expression individuelle paraît plus importante que la fonction. Nous nous demandons si cette expression est originale ? Selon les paroles de Gaudí, son expression devait être liée au passé, car on devait se fonder sur le passé pour créer des œuvres de valeur254. Pourtant, il y a une contradiction. Selon Nikolaus Pevsner, les œuvres de Gaudí révèlent « sa volonté de rompre avec l’historicisme255 » en faveur de l’individualisme. Après avoir analysé, j’ai trouvé que cette contradiction n’existe pas. Gaudí en admettant l’art du passé, essentiellement l’architecture gothique, l’architecture mauresque et celle de J. De Churriguera256, transformait ou modifiait ces styles du passé. Il dit : « Le gothique abuse du cercle et un abus est toujours hors normes, pour cela il ne peut être harmonieux.257 ». Il est donc naturel que l’utilisation du cercle dans ses œuvres soit rare. En faisant, il transformait ces anciens styles en un nouveau style, comme ce qu’il dit : « style vient de style258 ». En conclusion, les sièges conçus par Antoni Gaudí montrent un sentiment personnel, l’art du passé, l’expression individuelle fondée sur les formes naturelles.

Conclusion :

Les architectes et les concepteurs du mobilier du XIXe siècle cherchèrent une nouveauté à partir de la nature. Eugène Viollet-le-Duc rapprocha l’architecture gothique avec la nature. William Morris, en suivant la théorie d’Augustus Welby Northmore Pugin et en rapprochant l’art du Moyen Âge avec la nature, fit les motifs naturels dans ses meubles. Ces derniers marquent le mouvement des Arts and Crafts. L’ébéniste français Emile Gallé et les ‘Six’ dont Alexandre Charpentier, Charles Plumet, Tony Selmersheim, Hector Guimard, George Hoentschel et François-Rupert Carabin, utilisaient les formes naturelles dans ses œuvres mobilières. Antoni Gaudi prit les formes biomorphiques pour ses sièges. Â partir des années 1890, certains architectes avaient l’intention de s’éloigner des formes

253 Nikolaus Pevsner, Les sources de l’architecture moderne et du design, op.cit., p. 106. 254 Antoni Gaudí, Paroles et écrits, op.cit.,, p. 81. 255 Ibid., p. 113. 256 Leonardo Benevolo, Histoire de l’architecture moderne 2, Avant-garde et mouvement moderne, op.cit., p. 69. 257 Antoni Gaudí, Paroles et écrits, op.cit., p.88. 258 Ibid., p. 81. 209 naturelles. Ce changement de la forme architecturale et mobilière implique une tendance vers la modernité. « L’évolution du fait moderne, dans l’acceptation la plus large, pluriséculaire, est une dénaturation 259 » , dit le philosophe français Michel Guérin. Pourtant, cette dénaturation n’a pas nié l’importance de la nature, au contraire, elle était accentuée. C’est ainsi que, par exemple, le rapport entre la géométrie et la nature était mis en considération. Ces architectes prirent leurs principes architecturaux dans leurs conceptions de meubles. Henri Van de Velde prit les formes géométriques pour ses sièges. Charles Rennie Mackintosh prit les formes géométriques et les formes naturelles. Otto Wagner ne prit plus les formes naturelles pour ses sièges fonctionnalistes. Ceux-ci sont marqués par la simplicité. Frank Lloyd Wright prit les formes organiques. Josef Hoffmann prit les formes géométriques, et des ligne droites et longues. Antoni Gaudí portant un grand intérêt pour l’architecture gothique et mauresque, et celle de J. de Churriguera créa ses œuvres biomorphiques.

Chapitre V

De Stijl - Gerrit Rietveld

I Une déclaration du modernisme.

Nous avons dit que les idées de Henry Van de Velde, de Peter Behrens, et de Josef Hoffmann contribuèrent au développement du design, mais aussi à l’art des années 1910. Gerrit Rietveld (1888 - 1964), né à Utrecht, fut aussi un des designers représentatifs. Il commença à travailler à l’âge de 12 ans dans le magasin d’ébénisterie de son père . A l’âge de 18 ans, il étudia l’art à l’école dans un cours du soir, tout en travaillant le jour dans une boutique de bijoux locale. En 1917, il créa son propre magasin d’ébénisterie. Bien que Rietveld soit influencé par les dessins d’architecture de Frank Lloyd Wright, il fut guidé par les plus radicaux principes qui le poussèrent à joindre le mouvement De Stijl en 1919.

259 Michel Guérin, « Le nouveau et l’inédit ( moderne / postmoderne ?) », in L’art des années 2000, Quelles émergences ?, Sylvie Coëllier (dir.) ; Jacques Amblard (dir.), Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence, 2012, p. 118. 210

Rietveld commença à créer son unité radicale de mobilier qui était inclue dans les designs d’intérieur de Doesburg. Nous abordons donc son travail remarquable qui s’appuie sur les idées du passé et s’engage vers l’avenir.

Figure 65. Â gauche : Gerrit Rietveld, Prototype de la Chaise rouge et bleue, 1917. Figure 63. Â droite : Josef Hoffmann, Sitzmaschine, avec le dossier adjustable, 1905.

En 1917, Gerrit Rietveld créa un fauteuil coloré noir (fig. 65). Le dossier est assuré par une seule planche de bois rectrangulaire allongée et penchée, alors que le siège est assuré par une planche de bois retranculaire et légèrement creusée pour s’adapter aux fesses de la personne. Le support structurel est assuré par 15 planches de bois rectrangulaires simplement liées par les clous. Les supports des accoudoirs sont fixés par deux planches latérales. Il est évident que la structure de ce fauteuil ressemble aux traverses d’une maison de bois chinoise. L’inspiration de l’architecture est certaine. Pourtant ce n’est qu’une apparence. Si nous le mettons en comparaison avec le fauteuil à s’étendre de Josef Hoffmann, le lien entre les deux se dévoile directement. Celui de Gerrit Rieveld est plutôt une traduction ou une interprétation abstraite de celui de Josef Hoffmann. Nous regardons maintenant l’évolution passant du fauteuil de Josef Hoffmann à celui de Gerrit Rieveld. Le dossier ajouré et penché resemblant à une fenêtre devient une planche plate

211 non ajourée. Les supports des accoudoirs ajourés verticaux deviennent une simple planche de bois horizontale. Le signe ‘D’ formé des jambes et accoudoir devient un ‘C’ simplement composé des planches de bois de la même largeur. La structure organique et mécanique devient architecturale. La traverse qui supporte le dossier est gardé. Le fauteuil de Josef Hoffmann paraît plus solide et est plus raffiné que celui de Gerrit Rieveld, mais ce dernier paraît plus simple et plus ouvert par l’aspect de la structure. Alors que veut dire cette simplicité ?

Figure 66. Â gauche : Gerrit Rietveld, Prototype de la Chaise rouge et bleue, 1917. Figure 67. Â droite : Gerrit Rietveld, Chaise rouge et bleue, 1923.

En 1923, Gerrit Rietveld, d’après le prototype de 1917, créa une nouvelle version : la Chaise rouge et bleue (fig. 66, 67). Celle-ci fut peinte en trois couleurs primaires : rouge, jaune et bleu. Les deux parties latérales qui servent à fixer les supports des accoudoirs sont annulées tandis que les autres éléments sont tous gardés. La chaise est activée par les couleurs qui sont inspirées de la peinture de Piet Mondrian (1872 - 1944) intitulée Composition. C’est une peinture exemplaire du groupe De Stijl dont nous allons parler brièvement. Par son histoire, nous pouvons trouver le processus de la naissance de la Chaise bleu et rouge de Gerrit Rievelde. Le groupe De Stijl fut fondé aux Pays Bas à cause d’une condition politique, à savoir que beaucoup d’artistes se déplaçaient vers les Pays Bas, un pays qui ne fut pas touché par la

212 première guerre mondiale260. Dans ce monde fermé de l’extérieur, les artistes voulurent créer un nouvel art à partir de la propre culture hollandaise. Le fondateur de De Stijl est Theo Van Doesburg (1883 - 1931).

En 1917, dégagé du service militaire, Theo Van Doesburg commença à réaliser son rêve : diriger une revue : De Stijl. Il encouragea d’autres personnes qui avaient la même philosophie et les idées concernant l’abstraction, la simplification, et les mathématiques, à le joindre. Piet Mondrian en est un membre. Ce nouveau groupe condamna l’impressionnisme et l’art baroque, refusa les lignes courbes et la figuration ainsi que le sentiment humain, adopta la géométrie, l’asymétrie et les couleurs fondamentales et les non-couleurs, rechercha la clarté, la certitude et l’ordre. Pour eux, rejeter l’historicisme dans l’architecture et le sujet, était la seule prémisse pour inventer un nouvel art.261 La revue De Stijl avait pour objectif d’établir un pont entre l’art, l’architecture et le design. Parmi les mouvements du modernisme à l’époque, dont le constructivisme russe (1917 - 1924), et le mouvement allemand de la nouvelle architecture et de design modern (1904 - 1933), De Stijl fut le plus important 262. Â la fin des années 1920, Theo Van Doesburg chercha une construction géométrique simple et un nouvel internationalisme. Cette conception fut partagée par les membres du Bauhaus. Les idées de Theo Van Doesburg exerçèrent fortement une influence sur l’art et l’architecture et le design du XXe siècle.

Le style De Stijl devint plus international par ses communications avec l’Europe et la nouvelle République Soviétique. En 1921, quand les idées de Doesburg arrivèrent au Bauhaus, Marcel Breuer fut intéressé et les accepta dans son design pendant quelques années.263 (nous parlerons de Marcel Breuer dans une autre partie.) Le mobilier et l’architecture de Gerrit Rietveld suivent bien les principes de De Stijl. La Chaise bleue et rouge est aussi, me semble-t-il, une représentation sculpturale de la peinture de Mondrian: la série des Compositions composées avec trois couleurs fondamentales - rouge,

260 Anne Bony, Le design, op.cit., p. 49. 261 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 222. 262 王受之 (WANG Shouzhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 131. 263 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 222. 213 bleue, jaune et les non-couleurs : noir, blanc et gris. Du point de vue de sa fonction et de sa valeur esthétique, on peut dire qu’elle est à la fois une chaise à utiliser et une peinture en trois dimension à regarder. Le premier élément similaire que nous voyons dans la Chaise bleue et rouge et la Composition est l’utilisation des couleurs. Les lignes noires dans la Composition de Mondrian se présentent comme des cadres de dimensions variées qui contiennent des carrés avec les trois couleurs fondamentales. De la même façon, dans la Chaise rouge et bleue, les planches noires supportant toute la construction de la chaise pourraient être considérées comme les lignes noires. L’étincelant Rouge est manifesté dans la chaise de Rietveld comme dans la Composition de Mondrian. Quand l’esprit de la peinture est incarné dans une chaise utilitaire, on peut dire que l’art est lié au design. Cette idée est aussi démontrée par la structure architecturale. La Chaise bleue et rouge concrétise le principe de De Stijl : la vie est l’unité de l’art et du design. Prenons une phrase pour conclure le rapport triple entre l’art et le design et l’architecture: l’art est intégré dans le design qui perfectionne l’architecture. Ce concept et les idées de Rietveld furent parfaitement appliqués dans la maison Schröder (fig. 68) que Rietveld réalisa en 1924.

Figure 68. Gerrit Rietveld, Maison Schröder, construite en 1924.

La Chaise rouge et bleue, selon l’historienne française Anny Bony, est sans doute «ingénieuse264 », car elle jouit de l’« esprit nettement cubiste265 » . La Chaise rouge et bleue est sensiblement ingénieuse et cubiste, car elle est basée en même temps sur deux courants d’art : le cubisme français qui s’est développé principalement de 1907 à 1914 et repris de 1917 à 1920, et le constructivisme russe qui s’est développé depuis le début du XXe siècle et

264 Anne Bony, Le design, op.cit., p. 49. 265 Idem. 214 devint l’art officiel de la Révolution russe de 1917 à 1921. Mais Gerrit Rietveld fut influencé directement par l’architecture et le mobilier de Frank Lloyd Wright dont la popularité s’étendait en Europe depuis 1910266. Wright fut aussi influencé par le cubisme, la maison Martin de Wright, réalisée en 1906 à Buffalo, en est un grand exemple. L’influence de Wright en Europe est massive et profonde. Par exemple, selon Les sources de l’architecture moderne et du design de Nikolaus Pevsner267, en 1914, les bureaux de l’usine de Gropius à l’Exposition de Cologne furent inspirés de Wright. En 1915, la maison de Robert Van’t Hoff en Hollande fut aussi inspirée de Wright. L’architecture des Pays-Bas, notamment pendant le mouvement De Stijl fondé en 1917, fut aussi inspirée par l’architecture cubiste de Wright. Dans l’architecture de Wright, la communication entre l’intérieur et l’extérieur est ouverte. D’ailleurs, entre les espaces intérieurs, il existe aussi les communications ouvertes. C’est-à-dire que les espaces intérieurs ne sont pas tous fermés ou privés, il y un lien qui peut guider la vision humaine à passer d’un espace à l’autre. Ce lien est souvent assuré par un couloir ou une fenêtre ou un demi mur (ou un mur transparent ou ajouré), ou encore un meuble. L’intérieur est donc une unité organique. Par conséquent, le fauteuil de Gerrit Rietveld, y compris le fauteuil de 1917 et la Chaise rouge et bleue de 1923, est aussi une unité organique. L’action de s’ouvrir vers l’extérieur, en terme chinois, c’est Tong Qi (通气) ( aérer ou ventiler le souffle), tandis qu’inviter le souffle de l’espace extérieur à l’espace intérieur, c’est Na Qi (纳气). Pour un organisme humain vivant, ces deux actions sont indispensables, car la vie ne peut pas continuer sans le souffle.

Conclusion : Le fauteuil rouge et bleu de Gerrit Rietveld porte les caractéristiques tels que le cubisme,le constructivisme, l’aspect artistique notamment influencé par la peinture de Piet Mondrian intitulée Composition, l’ouVerture du siège comme celle de son architecture. Cette dernière caractéristique évoque une nouvelle notion dans la conception du siège : la communication entre l’intérieur et l’extérieur du siège, en terme chinois, c’est le 气 Qi.

Chapitre VI

L’esprit de révolution du Bauhaus

266 Nikolaus Pevsner, Les sources de l’architecture moderne et du design, op.cit., p.183 267 Ibid, p.187 215

I La résistance du Bauhaus.

En raison des limites causées par la révolution politique, la révolution du Bauhaus dans le domaine de l’art, du design et de l’architecture, paraît difficile, mais avec son esprit de révolution artistique et politique, elle a fait de considérables contributions au modernisme. Face aux difficultés exerçées par la politique, l’Ecole se tint solidement. Cet esprit sera démontré après le rappel de son histoire. L’origine du Bauhaus peut renvoyer à l’Ecole des Arts décoratifs à Weimar fondée et dirigée par Henry Van de Velde. Selon Bauhaus, archiv de Magdalena Droste,268 en 1914, Van de Velde abandonna la direction de l’école, car il fut confronté à la tendance hostile aux étrangers. Il demanda à Walter Gropius, Hermann Obrist et August Endell de lui succéder. Bien qu’en 1915 Gropius correspondit à ce poste, l’Ecole de Van de Velde fut fermée cette année-là. En 1919, Walter Gropius (1883 - 1969) fonda le Bauhaus à Weimar. Puisque, financièrement et politiquement, le Bauhaus en tant qu’école publique était dépendant de l’Etat, elle allait se confronter très probablement à des problèmes politiques, car la communauté sociale n’était pas encore stable après la première guerre mondiale. Dans certains cas, cette instabilité politique et sociale allait inévitablement causer des limites graves. En réalité, à cause des limites politiques qu’exerça sur lui le nouveau gouvernement de droit de Weimar, le Bauhaus n’y resta que jusqu’en mars 1925, avant que le gouvernement ait précisé la date de la fermeture. Apparemment, la fermeture du Bauhaus à Weimar fut le résultat de la pression du gouvernement. Mais, selon l’Histoire du design moderne de WANG Shou Zhi269, elle fut aussi une stratégie personnelle de Gropius qui ne voulut plus perdre de temps pour rien, puisqu’il travaillait sous la pression violente du gouvernement pour qui des membres du Bauhaus étaient inquiétants. Pourtant, grâce à la grande réputation sociale que le Bauhaus acquit en tant qu’école

268 Magdalena Droste, Bauhaus, Archive, Cologne : Taschen, 2012, p. 16. 269 王受之 (WANG Shou Zhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 158. 216 d’art, Gropius fut invité la même année par plusieurs villes à se réinstaller. Grâce à l’offre considérable et durable de la ville de Dessau, Gropius et les maîtres du Bauhaus décidèrent d’aller s’y installer, car le gouvernement local était social-démocrate et l’Ecole défendue par le maire, Fritz Hesse. A Dessau, la condition sociale tels que le contexte politique, les conditions de transport, le désir de développement industriel étaient favorables pour la communauté des maîtres et ils étaient tous d’accord que Dessau était un environnement libre et « durable » qui aiderait le développement du Bauhaus. A Dessau, tout changea. Les maîtres devinrent des professeurs. Le système de la pédagogie devint plus strict et plus scientifique. L’ouVerture de l’atelier de l’architecture en 1927, dont le responsable était Hannes Meyer, conduisit l’Ecole vers nouvelle ère. Pourtant, en 1932, sous la pression du gouvernement Nazi qui jugea le Bauhaus comme le centre du communisme intellectualiste, le Bauhaus fut obligé de se déplacer vers Berlin et il n’y demeura que pendant un an et ferma ses portes en 1933 en Europe. Il allait s’installer aux Etats Unis, un autre monde, qui l’accepta. En 1937, le New Bauhaus fut fondé par l’Association des arts et de l’industrie de Chicago, qui en confia la direction à Moholy-Nagy. Le Bauhaus n’a pas pu échapper à la force politique. Son évolution (1919 - 1933) et celle de la République de Weimar (1918 - 1933) sont parallèles270. Pourtant, au cours de cette évolution de siège, l’Ecole se développa sans cesse. La continuité de la recherche artistique pourrait prouver son forte résistance. Nous voyons ses fruits artistiques dans les parties suivantes.

II Le premier siège de Marcel Breuer.

Marcel Breuer (1902 - 1981) fut apprenti au Bauhaus de 1920 à 1924 et puis maître de l’atelier de menuiserie de 1925 - 1928. L’évolution de sa production des meubles peut refléter celle de l’enseignement de l’école. Parmi ses créations des meubles pendant les deux premières années au Bauhaus, sa Chaise africaine (fig. 70) classique créée en 1921 sous la direction de Gropius est un bon exemple.

270 Ibid., p. 135. 217

Figure 69. Â gauche : William Morris, Chaises peintes à l’inspiration de l’art du Moyen Âge. 1857 - 1958. Figure 70. Â droite : Marcel Breuer, Chaise Africaine, 1921.

Sans doute, le titre Chaise Africaine indique que cette chaise exotique est certainement inspirée par l’art africain. Cette chaise fut créée en collaboration avec Gunta Stölzl (1897-1983), une étudiante de l’atelier de tissage au Bauhaus. Le dossier est en tissu tricoté. Le support central du dossier est assuré par une seule planche de bois liant l’arrière traverse et le siège rembourré, il se tient comme un cinquième jambe. Les deux jambes arrière sont largement allongées pour former à la fois les jambes et les supports du dossier et les hautes parties sont courbées pour se croiser en forme de X. L’ensemble de la chaise nous fait penser à une sculpture masculine africaine qui se tient souvent légèrement accroupie, mains croisées en haut de la tête et sexe allongé (nous avons dit la cinquième jambe). Revenons en arrière pour regarder les deux chaises peintes (fig. 69) de William Morris, créées entre 1857 - 1858. Les dossiers peints selon l’histoire de la religion sont aussi allongés et surmontés par trois petites planches de bois légèrement incurvées qui ressemblent aux extrémités d’une cadédrale gothique. La structure inférieure dont les composants sont les jambes, les traverses et le siège, ressemble aussi à celle d’une architecture gothique. William Morris et Marcel Breuer, en faisant ces chaises classiques portant des dossiers allongés et 218 décorés avec des images, voulurent présenter une particularité inédite. Bien que William Morris exalte l’art du Moyen Âge, tandis que Marcel Breuer cherchait une inspiration dans l’art africain, ils s’engagèrent tous deux dans une même voie : les Arts et Crafts. Cela dit aussi qu’au début de son ouVerture, le Bauhaus s’engageait dans la voie qui suivit le mouvement des Arts et Crafts. Parlons maintenant de l’histoire de Marcel Breuer. Dès son arrivée au Bauhaus en 1920, il fut un étudiant de Joannes Itten, le maître qui était chargé des cours de la forme. Depuis 1921, l’épanouissement de sa créativité commença à s’accélérer sous l’influence forte de Walter Gropius qui reprit la même année la direction de l’atelier de menuiserie comme maître de la forme. Gropius appréciait beaucoup ce jeune artiste. Dans le cadre de la théorie et méthodologie développées par Gropius, Breuer a créé des meubles. Mais, durant les deux premières années au Bauhaus, sa production était « classique 271 », voire « conservatrice 272 », car « le Bauhaus prônait, à l’instar du mouvement Arts and Crafts, un apprentissage artisanal qui était forcément classique273 ». Notre propos nous conduit à examiner quelques aspect de l’éducation du Bauhaus.

III L’éducation au Bauhaus.

Le Bauhaus a établi un système scientifique d’éducation du design, dans lequel les formations de base étaient séparées en 3 parties : les études de la construction plate et cubiste, les études des matériaux et les études des couleurs. Ce système est encore souvent utilisé dans les écoles d’art de nos jours. L’ambition du Bauhaus est manifestée dans cette phrase : « Le but final de toute activité créatrice est la construction !274 » Le design a pour objectif de construire l’avenir, construire une nouvelle économie et une nouvelle société. Mais comment les construire ? Par quoi ? Par l’éducation d’abord. Les professeurs au Bauhaus cherchaient à bien former les élèves pour qu’il puissent pousser le développement de l’art, du design et de l’architecture dans le XXe siècle. Parmi

271 « Marcel Breuer », http://art-zoo.com/design/breuer-marcel/presentation/, consulté en mai 2014. 272 Idem. 273 C’est une citation de Sylvie Coëllier, 2014. Voir aussi la source d’internet: http://art-zoo.com/design/breuer-marcel/presentation/ , consulté en mai 2014. 274 Magdalena droste, Bauhaus, archiv, op.cit., p. 22. 219

les élèves du Bauhaus, Marcel Breuer fut un élève très doué. C’est lui qui contribua le plus à la modernité de design. Par son travail, nous voyons la réussite de l’éducation de l’école. Dans le chapitre suivant, nous parlons de ses sièges et, à travers ceux-ci, de l’éducation du Bauhaus. Par une petite histoire de sa collaboratrice de la Chaise africaine Gunta Stölzl, nous connaissons mieux l’éducation du Bauhaus d’un autre point de vue. Gunta Stölzl fut nommée professeur au Bauhaus d’octobre 1925 à septembre 1931. Avant d’arriver au Bauhaus, Gunta Stözl avait étudié à l’Ecole des Arts décoratifs de Munich de 1914 à 1916, et avait travaillé dans un hôpital d’évacuation de 1916 à 1918. Elle avait repris ses études de 1918 à 1919 à l’Ecole des Arts décoratifs. Sa réussite est dûe en grande partie au Bauhaus dont la conception de l’égalité sociale fut manifestée par l’acceptation des femmes désireuses d’étudier. Et la situation en vérité fut meilleure que prévue, car il y eut autant de femmes que d’hommes, alors que Gropius avait escompté sur 50 dames et 100 messieurs. 275 D’ailleurs, le développement personnel des apprentis était sérieusement pris en compte. Le Bauhaus chercha des mesures pédagogiques pour eux et acheta aussi leurs bons projets pour les exploiter par la suite.276 Parmi les professeurs, Itten exerça une influence primordiale sur l’enseignement et le développement de l’école, car il développa le cours préliminaire indispensable. Le rythme, selon Bauhaus, archiv de Magdalena Droste277, fut le sujet central pendant les cours dont les trois grand points principaux sont les suivants: les études de la nature et des matériaux, l’analyse des vieux maîtres, l’enseignement du nu. Pourtant, l’enseignement du Bauhaus fut frappé par le problème financier qui ralentit la construction des ateliers. Au début du développement de l’école, ce fut difficile pour le déploiement de la pédagogie. Il y eut deux réformes importantes lancées par le conseil de maîtrise en 1920. La première réforme concerne la pénétration réciproque de l’enseignement formel et de l’enseignement en ateliers techniques. La deuxième réforme est sur la néccessité d’avoir deux professeurs pour diriger un apprenti. Ces mesures étaient favorables, car « il n’y avait ni artisans ayant suffisamment de fantaisie pour

275 Ibid., p. 40. 276 Ibid., p.37 277 Ibid., p.25 220

maîtriser des problèmes artistiques, ni artistes possédant suffisamment de connaissances techniques pour travailler comme chefs d’atelier. Il fallut tout d’abord former une nouvelle génération capable d’allier ces deux qualités278 », dit Gropius. C’est ainsi qu’au début, presque tous les ateliers étaient sous l’influence d’Itten, puisqu’il s’occupait des cours de la forme déployés dans tous les ateliers. Puisque le Bauhaus fonda les ateliers différents, tout en s’engageant dans les réformes pédagogiques audacieuses, nous sommes curieux des questions posées pendant le déploiement des cours, des questions qui permirent aux apprentis et professeurs de s’approcher du modernisme.

IV Les questions posées par le Bauhaus.

Les questions que posa le Bauhaus au cours de ses recherches expérimentales nous sont utiles. Le conflit qu’il lança contre la tradition du dessin et de l’art contribue beaucoup à l’art, au design et à l’architecture du XXe siècle. Par exemple, selon l’ouvrage de WANG Shou Zhi279, comment engager l’éducation de l’art et du design ? peut-on enseigner l’art et le design ? Quelle est la meilleure essence que répète souvent le Werkbund (alliance de l’industrie allemande) ? quel effet l’architecture procure-t-elle à l’homme qui habite dedans ? quel est le système de l’éducation du design moderne ? quel est l’objectif du design ? quelle fonction et quel effet le design peut-il offrir à la société ? quelle sont les capacités fondamentales d’un designer ? Ce sont des réflexions profondes sur le mouvement des Arts and Crafts anglais et les mouvements européens, et sur le problème le plus important du design modern. Certaines de ces questions sont encore souvent posées de nos jours. Nous pouvons ainsi dire qu’aucune école d’art autre que le Bauhaus ne put être un point de départ à la fois pour le design, pour les arts plastiques et pour la musique sans oublier la danse, au 20e siècle et même au XXIe siècle. Il n’y a aucun doute que le Bauhaus est une source fertile qui pourrait nourrir tous les arts contemporains, sur laquelle, nous pourrions

278 Ibid., p.36 279 王受之 (WANG Shouzhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 134. 221 revenir pour nous recharger des méthodes de recherches, des conceptions de créations, des recherches de théories. C’est dans ce berceau pédagogique que Marcel Breuer a pu connaître son chemin de réussite en particulier avec ses meubles qui sont complètement différents de sa Chaise africaine de 1921. Nous parlerons maintenant de ses sièges novateurs sous l’excellent enseignement du Bauhaus.

V L’expérimentation de Marcel Breuer.

Figure 66. Â gauche : Gerrit Rietveld, Prototype de la Chaise rouge et bleue, 1917. Figure 71. Â droite : Marcel Breuer, Fauteuil en lattes, deuxième modèle, 1923 (le premier en 1922).

Le fauteuil en lattes (fig. 71) de Marcel Breuer est marqué par trois pièces de tissu qui, en touchant directement les diverses parties du corps humain, présente plus ou moins le concept du confort : le siège qui tient les fesses, la traverse du milieu qui tient les reins et la traverse supérieure qui tient le dos. La façon de lier les planches de bois rend la structure principale très différente de la chaise traditionnelle. Cela indique que Marcel Breuer désirait refuser la tradition et s’engagea vers une nouvelle forme qui soit plus moderne. Mais ce

222 progrès ne saurait être abouti sans les modèles du passé, notamment sans le fauteuil (fig. 66) de Gerrit Rietveld de 1917 qui conduisit à la fameuse Chaise rouge et bleue de 1923. Le fauteuil en lattes de Breuer ne porte pas de caractéristique clairement assimilée avec celui de Rietveld du point de vue de la structure. Mais les principes de création sont les mêmes. D’abord, l’inspiration est l’architecture cubiste. Et puis la simplification ou nouvelle interprétation du modèle du passé. Enfin l’ouVerture du fauteuil qui engendre l’accessibilité du souffle ou de la vision humaine. Nous pouvons ainsi dire que l’influence de Rietveld sur Breuer est claire. Mais cette influence ne saurait exister sans l’aide de Theo Van Doesburg. Theo Van Doesburg visita le Bauhaus en décembre 1920. En avril 1921, Doesburg élut domicile à Weimar, car il espérait y obtenir un poste de professeur, en annonçant en février un cours sur De Stijl pour de jeunes artistes.280 Il y eut 25 participants, ce qui était une grande proportion des étudiants de Bauhaus. Les étudiants furent stimulés par les idées du Stijl. Marcel Breuer qui fut l’élève le plus doué de l’atelier de menuiserie fut profondément impressionné281, comme nous l’avons dit. C’est ainsi que tous les meubles de Breuer créés depuis l’arrivée de Theo Van Doesburg au Bauhaus jusqu’en 1924 furent inspirés par l’esprit de De Stijl, surtout par les idées de Gerrit Rietveld. C’est ainsi qu’il commença à intégrer dans sa production de meubles les couleurs primaires et les rapports spatiaux. Bien que Gropius, Itten, De Stijl exercent une influence forte sur Breuer, nous ne devons pas oublier l’autre maître, Laszlo Moholy-Nagy (1895 - 1964), intéressé par l’autorité soviétique organisée par Béla Kun (1886 - 1938) qui dirigea l’éphémère République des conseils de Hongrie en 1919. Après la démission d’Itten à la fin de 1922, Nagy succéda officiellement à son poste en 1923 et commença à réformer massivement. Il dit que depuis cent ans l’art et la vie n’étaient plus liés et donc dans le contexte social désordonné le design devait porter le bonheur à la société en les reliant à nouveau 282. C’est ainsi qu’il rejeta l’esprit religieux dominé par Itten. Il s’opposa aussi qu’on mit le sentiment personnel dans la création. Il travaillait en tant que maître de la forme et directeur de l’atelier du métal. Il intégra le

280 Magdalena droste, Bauhaus, archiv, op.cit., p. 54. 281 Ibid., p.56 282 王受之 (WANG Shouzhi), 世界现代设计史 (shi jie xian dai shi) (L’histoire du design moderne mondial), op.cit. p. 153 – 154. 223 constructivisme russe dans l’enseignement et le poussa vers le rationalisme, et vers la nouvelle technologie et les nouveaux matériaux.

VI La réussite de Marcel Breuer.

Figure 71. Â gauche : Marcel Breuer, Fauteuil en lattes, deuxième modèle, 1923 (le premier en 1922). Figure 72. Â droite : Marcel Breuer, Fauteuil Vassily, en tubes d’acier et cuirs, 1925.

A la fin de ses études, le niveau du design de Breuer s’est beaucoup élevé et il atteignit sa maturité professionnelle en 1925 où il créa le célèbre Fauteuil Vassily.Dans le fauteuil Vassily (fig. 72) créé en 1925, comme dans le fauteuil en lattes de 1922, trois pièces de tissu noires sont gardées et fonctionnent comme siège et dossier, donnant respectivement le confort aux fesses, aux reins et au dos. Les accoudoirs sont assurés respectivement par deux pièces de tissu latérales noires et cela est différent du fauteuil en lattes. La structure est assurée par les tubes d’acier courbées. Breuer tenta de faire une forme à la fois simple pour qu’elle soit fluide et aisée. Breuer ne fut pas le premier à utiliser des tubes d’accier pour fabriquer un siège, pendant l’Exposition Universelle en 1851 à Londres il y eut déjà un fauteuil en tubes d’accier. Mais Breuer fut le premier à faire une structure si fluide et aisée avec des tubes d’accier. Le fauteuil Vassily est basé directement sur le fauteuil en lattes de Breuer qui fut créé en 1923 sous l’influence directe du fauteuil de Gerrit Rietveld de 1917. De ce point de vue, le 224 fauteuil Vassily est relativement novateur. « Le fauteuil Vassily », dit Sylvie Coëllier, l’historienne de l’art contemporain, « est un hommage à Vassily Kandinsky, professeur au Bauhaus aussi. Il est fait à partir de tubes de métal utilisés pour fabriquer les bicyclettes ». Par ce fauteuil, nous voyons bien que Breuer avait examiné la position assise confortable. Ce qui sous-entend que Breuer prit en compte l’ergonomie dans son design. Ses principes de design contiennent la fonction, la beauté et la simplicité. Ayant ces qualités, son fauteuil fut mis en production de masse pour rendre les sièges moins chers. Cela fut nécessaire, d’une part, à cause de la condition économique alors difficile après la première guerre mondiale et d’autre part, en faveur du grand public. Déjà, en 1924, à la fin de ses études, Breuer était allé à Paris où il avait travaillé dans un bureau d’architecture. En 1925, lorsque l’école fut nouvellement installée à Dessau, il fut invité par Gropius à intégrer et diriger l’atelier de menuiserie jusqu’en 1928. C’est cette année-là que sa pensée se précisa et qu’il la développa dans son essai « forme fonction ». Marcel Breuer dit : « Un siège, par exemple, ne doit être ni horizontal, ni vertical, ni expressionniste, ni constructiviste, ni être fabriqué pour des questions de convenance, ni s’assortir de la table à laquelle il est associé, il doit être un bon siège et alors il va avec la bonne table.283 » Il est évident qu’il voulait s’affranchir des théories de De Stijl. Breuer n’était pas le seul élève au Bauhaus qui fut nommé maître. Parmi les six ateliers :menuiserie, métal, peinture murale, textile, typographie et impression artistique, atelier plastique, quatre furent dirigés par d’anciens élèves. Nous avons déjà mentionné l’atelier de menuiserie de Breuer précédement; Hinnerk Scheper dirigeait la peinture murale, Joost Schmidt l’atelier plastique, Herbert Bayer l’atelier d’imprimerie et de publicité.284 En 1927, Gunta Stölzl (déjà citée) succéda à Muche qui quitta le Bauhaus. Elle reprit l’atelier de tissage comme maîtresse. L’embauche d’anciens apprentis pour enseigner et diriger les différents ateliers en tant que maîtres prouve aussi la réussite de l’enseignement du Bauhaus. A partir de 1925, le Bauhaus avait une nouvelle vocation : la création pour le public. En tant qu’école d’avant-garde, les élèves du Bauhaus exécutaient des créations expérimentales et des modèles pour l’industrie et l’artisanat. Pendant cette période, le fauteuil Vassily fut un

283 « Marcel Breuer », loc.cit., consulté en mai 2014. 284 Magdalena droste, Bauhaus, archiv, op.cit., p. 134. 225 modèle exemplaire qui fut mis en production industrielle. Grâce à ce fauteuil, le tube d’acier devint un matériau important dans la fabrication du siège :chaise, fauteuil, canapé. Le fauteuil de Ludwig Mies van der Rohe en est un exemple. Nous en parlons dans la partie suivante.

VII Le dernier siège au Bauhaus.

Figure 73. Ludwig Mies van der Rohe, Fauteuil Barcelona et tabouret à pieds, 1929.

L’atelier de l’architecture fut fondé en 1927, et son directeur fut Hannes Meyer. Pendant le directorat de Hannes Meyer (1886 - 1969), de 1927 à 1928, « le point de départ du travail en atelier n’était plus les couleurs primaires et les formes fondamentales, mais la valeur utilitaire, le prix avantageux et le groupe social visé 285 ». Trois aspects importants tels que l’utilité, l’avantage économique et le besoin du public constituent le but du travail d’un designer. Ce principe de design semble être plus pratique que celui du mouvement des Arts et Crafts qui prôna que l’art était pour le public, mais en réalité, ne prenait pas en compte le besoin du grand public, car l’art durant ce mouvement ne s’adressa qu’aux gens riches. Le principe du Bauhaus fut réellement mis en pratique et porta depuis les fruits.

285 Ibid., p. 196. 226

En 1928, Ludwig Mies van der Rohe dit que ‘le moins est le plus’ 286. Cette idée est transmise dans le Fauteuil Barcelona (fig. 73) et le tabouret à pieds, conçus en 1929. Ils furent exposés dans le pavillon allemand pendant l’Exposition Universelle de 1929 à Barcelone. Les constructions sont simples. Le siège et le dossier sont profondément rembourrés et enveloppés de cuir noir. Les jambes d’acier supportant à la fois l’accoudoir et le dossier sont courbés en forme de X. Ludwig Mies van der Rohe a découvert une beauté flexible dans le tube dur et solide. Pour cette beauté, nous pourrions trouver son origine dans l’ancien tabouret grèc en bois :le Klismos. Avec l’utilité, le confort, la beauté, le fauteuil Barcelona et son tabouret à pieds sont à la fois artistiques et fonctionnels. Ils sont aussi le sommet du design du mobilier au Bauhaus. Mies van de Rohe succéda à Hannes Meyer et devint alors le troisième directeur du Bauhaus. Gropius et le gouvernement crurent qu’il avait la capacité de mener à bien le Bauhaus, mais les professeurs et les étudiants à l’école ne partagèrent pas cette idée. Sous la direction de Mies van de Rohe, le Bauhaus devint une école d’architecture dont les cours et les conceptions de l’enseignement furent tellement différents que la plupart de professeurs quittèrent l’école. En septembre 1932, le Bauhaus quitta Dessau pour s’installer à Berlin. Son existence n’y dura que quelques mois et en avril 1933, la Bauhaus en Allemagne ferma définitivement ses portes. Le Bauhaus, en tant que centre de communication et d’éducation de l’art, accueillit les maîtres et les étudiants. Malgré les problèmes politiques et le changement d’orientation, le Bauhaus chercha à pousser le design vers l’avenir. Il est devenu une source artistique qui peut nourrir tous les arts. Son esprit de révolution et ses conceptions de création influencent le futur design du monde, surtout aux Etats Unis vers lesquels un grand nombre d’artistes, designers et architectes se déplacèrent pendant et après la deuxième guerre mondiale, en amenant le style européen et en l’associant avec la société locale.

286 陈于书 (CHEN Yu Shu), 熊先青 (XIONG Xian Qing), 苗艳凤 (MIAO Yan Feng), 家具史 (jia ju shi) (L’histoire du mobilier), op.cit., p. 265. 227

Conclusion :

La chaise africaine de Marcel Breuer démontre que le Bauhaus commença avec les idées évoquées par le mouvement des Arts et Crafts. Mais avec l’esprit de révolution dans le domaine de l’art et du design, il a fait des efforts considérables, par exemple, les réformes pédagogiques, pour former les apprentis qui difusèrent ensuite les concepts initiés par le Bauhaus vers le monde entier. Leurs réformes furent à l’origine de deux sièges exemplaires, l’un est le Fauteuil Vassily de Marcel Breuer, l’autre le Fauteuil Barcelona de Ludwig Mies van der Rohe. Ces deux sièges démontrent les qualités communes aux sièges de l’époque : le cubisme, la simplicité extrême, l’économie, la nouvelle façon d’utiliser le métal. Mais à cause de ces qualités, ils démontrent aussi une sorte de froideur probalement influencée par l’atmosphère politique plus ou moins asyphixiante et froide entre les deux guerres. De toute façon, le Bauhaus débuta le chemin de la recherche de la modernité dans la conception du siège.

Chapitre VIII

Le siège après les deux guerres mondiales

I La ligne courante.

Nous avons dit qu’un grand nombre d’artistes, designers et architectes européens se déplacèrent pendant et après la deuxième guerre mondiale et l’industrie du mobilier européen en fut bouleversée. Mais le design en Europe ne s’arrêta pas là. Le point focal dans le domaine du design se trouva dans le Nord de l’Europe. Quatre petits pays scandinaves tels que la Norvège, la Suède,le Danemark et la Finlande tinrent la première place dans le domaine du design moderne européen et ensuite mondial, déployant le chemin du design industriel débuté par le Bauhaus. Regardons d’abord un siège scandinave par lequel nous pouvons trouver les caractéristiques qui devinrent internationaux.

228

Figure 54. Â gauche : Chaise de Michael Thonet n°14, 1850. Figure 74. Au milieu et à droite : tabouret Aalto, avec trois ou quatre pieds, 1930 - 1933.

Alvar Aalto (1898 - 1976), finlandais, impresstionné par Marcel Breuer, conçut aussi des sièges avec des tubes de métal pendant les années 1920. Mais il est crédité par son tabouret dit Tabouret Aalto (fig. 74) fabriqué avec du bois contre-plaqué courbé. Le bois pour lui paraît plus chaleureux que le métal. Le siège d’un tabouret comme celui d’une chaise est toujours rond, coloré ou non. Ce type de siège porte trois ou quatre jambes dont les parties supérieures sont courbées et croisées pour bien se lier avec le siège. L’ajout d’un petit dossier au tabouret le transforme en chaise. La forme et la simplicité du tabouret nous rappellent la chaise n°14 (fig. 55) de Michael Thonet élaborée dans les années 1850. Portant moins de composants, le tabouret d’Aalto paraît bien plus simple que la chaise de Michael Thonet. D’ailleurs, la couleur originelle rend le tabouret plus chaleureux. Le point commun pour les deux est la simplicité de la forme et la commodité pour le transport, par rapport aux autres sièges de son temps. Il semble qu’Aalto ait décomposé la chaise de Michael Thonet en un tabouret et un dossier. En outre, les deux sièges sont pourvus d’une même qualité : la ligne de circulation présentée par la forme ronde et les planches courbées. Cette qualité existe aussi dans un autre siège finlandais : le Fauteuil Balle d’Eero Aarnio, créé en 1963. Le Fauteuil Balle d’Eero Aarnio (né en 1932) (fig. 75) est de forme hémisphérique 229 supporté par un piédestal bas et rond ressemblant à celui d’un ordinateur d’aujourd’hui. La paroi interne de la balle est couverte par une couche de mousse profonde dont la surface est rouge. Le fauteuil est équipé aussi d’un coussin qui sert de siège. La balle hémisphérique seule ressemble à un grand oeil, tandis que l’ensemble du fauteuil ressemble à une caméra d’ordinateur que nous utilisons aujourd’hui. Puisqu’en 1963 l’ordinateur personnel et la caméra d’ordinateur n’existaient pas, cette ressemblance pourrait être un témoignage de la conception très avançée d’Eero Aarnio. Ce fauteuil est pourvu aussi d’une beauté engendrée par la ligne circulaire. Cette dernière pourrait évoquer une sorte de simplicité,de vitesse, d’éfficacité qui symbolisent la vie moderne.

Figure 75. Â gauche : Eero Aarnio, Fauteuil Balle, Finlande,1963. Figure 76. Â droite : Christian Daninos, Fauteuil Bulle, 1968.

II L’espace privé.

Le Fauteuil Balle d’Eero Aarnion évoque une notion souvent abordée dans la conception contemporaine, c’est l’espace privé qui peut procurer une sorte de protection psychologique et de tranquilité.

230

Quand une personne se met dans cette balle comfortable, elle est satisfaite spontanément par la protection du fauteuil car ce dernier l’entoure, l’embrasse et la protège. Jean Louis Gaillemin, quand il parle de ce fauteuil, dit que « les êtres les plus désirables peuvent s’y lover, le trou de son ouVerture suscite les analogies les plus suggestives287 ». Pour Jean Louis Gaillemin, ce Fauteuil Balle ressemble aux coquille, coque, nid, oeuf. Ces derniers sont pour lui, les métaphores qui « évoquent les bonheurs de la vie ‘intra utérine’ que Dali (...) aspirait à retrouver288 ». Revenons à la vie réelle, la perle vient de la coquille, un oiseau vit dans son nid, un poussin est né d’un oeuf. En se mettant dans un fauteuil de ce genre, il semble que l’on retourne à son origine pour retrouver une sorte de satisfaction éphémère ou une protection fictive. Quelle que soit la diversité de la perception personnelle de ce fauteuil, nous pouvons tous y retrouver une sorte de sécurité instantanée. Le concept de l’autosatisfaction est partagée par un grand nombre d’artistes contemporains. Avec la même conception du design, Christian Daninos créa son Fauteuil Bulle (fig. 76) en 1968. Il est clair que l’œuvre de Christian Daninos est une nouvelle interprétation du Fauteuil Balle d’Eero Aarnio. Un cadre de métal supporte une balle hémisphérique transparente en Plexiglass. Dépourvu de la couche de mousse sur la paroi interne, ce fauteuil paraît moins confortable que celui d’Eero Aarnio. D’ailleurs, visuellement et psychologiquement, la boule transparente, qui pourrait satisfaire le voyeurisme, n’offre pourtant pas un sens de sécurité fictive, la personne qui s’est mise à l’intérieur du fauteuil pourrait se sentir voler dans l’air et regardé par le public. D’un autre point de vue, nous pouvons aussi rendre l’attitude passive en active. Il s’agit peut-être de l’extériorisation personnelle ou de la manifestation de l’existence personnelle. Dans ce cas, la conception de Christian Daninos et celle d’Aero Aarnio s’opposent, c’est-à-dire l’extériorisation contre l’intériorisation. De toute façon, les deux designers : Eero Aarnio et Christian Daninos cherchent dans leurs travaux une nouvelle forme, une sorte de protection, de confort, un repli sur soi, selon le besoin individuel. Depuis l’invention de l’avion, on cherchait la vitesse et la ligne de

287 Jean Louis Gaillemin ; Réunion des musées nationaux ; Galeries nationales du Grand Palais, Design Contre Design :deux siècles de création, Paris : Réunion des musées nationaux, 2007, p. 337. 288 Ibid., p. 337. 231 circulation qui représentent la simplicité et l’éfficacité ; la plus importante qualité très recherchée est la nouveauté : la nouveauté de la forme, la nouveauté des matériaux par exemple, le Plexiglass, le métal, la matière plastique, etc. et de nouvelles façons de travailler, pour créer une forme novatrice qui satisfasse le goût, le désir et la capacité économique du public de son temps. Il s’agit de la contribution de l’industrialisation. Revenons à la forme du fauteuil. Si nous prenons l’idée de Socrate qui dirait que des fauteuils ont une seule forme par nature, cette Balle et cette Bulle sont-elles les fauteuils ? Bien qu’elles soient pourvues du siège et du dossier, leurs formes sont très différentes de la forme des sièges précédents. Si les deux designers ne leur ont pas attribué le nom ‘fauteuil’, ou s’ils leur ont attribué un autre nom, Balle à s’asseoir par exemple, pourrons-nous accepter que cette Balle et cette Bulle sont les fauteuils ?

III L’abstraction.

A travers ces deux fauteuils bulles, nous pourrions résumer deux problèmatiques communes dans la conception contemporaine : l’abstraction du mobilier contemporain et la construction de la vie moderne. Ces deux fauteuils sont tous deux des produits industriels. Il s’agit donc de design industriel. Selon Leslie Pina, depuis la deuxième moitié des années 1920, « le design industriel ne fut pas la décoration de la machine, mais l’art de la machine 289 ». C’est-à-dire que les designers travaillaient sur la façon d’utiliser la machine plutôt que sur le design lui-même. La machine devint un outil qui remplaça l’opération manuelle. Leslie Pina en déduit ainsi la formule que nous pourrions appeler une définition particulière du design industriel comme ceci : production de masse + art abstrait = design industriel. Depuis le Bauhaus, le design fut influencé par l’art abstrait qui est crédité par sa valeur artistique. Cela est prouvé déjà par le fauteuil rouge et bleu de Gerrit Rietveld en 1923. Après la fermeture du Bauhaus, cette tendance continua à s’étendre en Europe et en Amérique. C’est ainsi que nous

289 Leslie Pina, Furniture in history 3000 B.C,—2000A.D., (Le mobilier dans l’histoire 3000 av.J.C.—2000), op.cit. p. 271. 232 voyons des sièges de forme abstraite, par exemple le Fauteuil Vassily de Marcel Breuer en 1925, le Fauteuil Balle d’Eero Aarnio en 1963 et le Fauteuil Bulle de Chritian Daninos en 1968.

IV La construction.

A travers ces deux fauteuils bulles, nous avons parlé de simplicité, d’éfficacité, de nouveauté etc. Ces qualités dites modernes ont pour objectif de construire la vie moderne éfficacement. C’est avec la ligne de circulation, le concept de l’abstraction avec l’aide de nouveaux matériaux que les designers modernes s’engagent dans la construction de la vie moderne. Nous pouvons connaître et comprendre ce qu’ils font en regardant la situation aux Etats Unis. Depuis 1938, les Etats Unis devinrent un pays offrant d’abondantes opportunités pour le design, grâce au besoin croissant de la grande construction. La construction massive se trouva dans tous les domaines, par exemple, la ‘construction du monde de demain’ ( Building the world of tomorrow ) fut le thème de l’exposition internationale de New York en 1939 290. La notion de « construction » était déjà prônée par Gropius au cours de son aménagement du Bauhaus. Pour lui, le design joue le rôle du réalisateur de toutes les constructions. Le rôle du design est donc primordial et indispensable pour la réalisation des contructions. Pendant les années 1940 et le début des années 1950, le musée d’Art moderne de New York soutint le design en organisant des expositions de design. Par exemple, pour promouvoir les jeunes designers, il organisa l’exposition Low Cost Furniture Design Competition 291 (compétition de mobilier à coût modéré ) en 1940 - 1941. Le fonctionnalisme et l’esthétique étaient recherchés, mais ce n’était pas leur occupation unique. Le coût de la fabrication et le prix du produit furent pris en considération en faveur de l’entreprise et du consommateur. Le coût, le prix, la commodité de transport et de rassemblement d’un meuble avaient déjà été mis en œuvre par Michael Thonet depuis des anées 1850 quand il fabriqua la chaise n°14. Curieusement, il semble que William Morris n’en soucia guère alors à la même époque. La

290 Anne Bony, Le design, op.cit., p. 86. 291 Idem. 233 nécessité de prendre en compte le coût du produit fut effectivement réfléchie par le Bauhaus. Ce principe fut instauré dans toutes les contructions américaines. La déclaration : « l’art pour le grand public » exige que le prix du produit s’adapte proprement à la capacité économique du public, sinon cette déclaration n’aurait eu aucun sens.

V Un siège comme une œuvre d’art.

Puisqu’il s’agit de la ligne de circulation, d’art abstrait, d’autosatisfaction, d’extériorisation, d’intériorisation, de la construction de la vie moderne, un siège fabriqué après la deuxième guerre mondiale risque d’être une œuvre d’art abstraite, plus précisément, une sculpture à la fois artistique et utilitaire. Un siège est ainsi pourvu d’une double identité. La raison en est simple, un grand nombre de designers sont aussi pourvus de double identité et cela engendre une longue liste des statuts professionnels contemporains : architecte - designer, architecte - ébéniste, artiste – designer, etc. Depuis des années 1950, avec la rapidité du développement scientifique et technique, se multiplient dans une société plus développée des productions culturelles telles que le cinéma, la télévision, la publicité, etc. Les artistes, les designers et les architectes semblent s’intéresser à plusieurs spécialités dite interdisciplinaires et pluridisciplinaires ; ils paraîssent par conséquent plus talentueux que leur précurseurs. Ils suivent différentes études dans les différentes diciplines ou se mettent en collaboration avec d’autres professionnels. Les Ecoles d’art fondées après le Bauhaus fonctionnent comme un berçeau qui fait pousser l’interdisciplinarité initiée par le Bauhaus.

Conclusion : La conception des sièges fabriqués notamment sur les territoires européens et américains après la deuxième guerre mondiale, inspirés par la haute vitesse par exemple la vitesse de l’avion et par l’éfficacité de travail, suit les principes tels que la ligne de circulation, la simplicité, l’abstraction formelle, sans oublier la nouveauté recherchée dans les aspects suivant : forme, matériaux et façon de travailler. Les sièges utilitaires selon ces principes paraissent plus chaleureux et plus libres que les sièges fabriqués entres les deux guerres, comme le Fauteuil Vassily et le Fauteuil Barcelona, qui semblent être une œuvre d’art contemporaine abstraite. Certains sièges démontrent de nouvelles notions particulières telles que l’autosatisfaction, l’extériorisation, l’intériorisation. 234

L’idée qu’un tel siège contemporain soit pourvu d’une double identité -- fonction utilitaire et artistique, pose deux questions sur le rapport qui existe entre ces deux pôles, à savoir la possibilité de la transformation de l’un en l’autre: un siège utilitaire pourrait-il être une œuvre d’art contemporaine? Ou au contraire, une œuvre d’art contemporaine pourrait-elle prendre la forme d’un siège ? Il s’agit ainsi de la transformation du siège en œuvre dans l’art contemporain occidental et chinois, dont nous parlerons dans la partie suivante.

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Partie V La chaise au XXe siècle Le siège qui témoigne de la construction, la destruction et la reconstruction de la Chine

Durant la première moitié du XXe siècle, le mobilier chinois garda l’héritage Qing. Il ne chercha pas à créer de nouveauté. La cause essentielle est que ce fut une époque transitoire, qui marqua la fin de la monarchie et le début de la république, et pendant laquelle les Chinois cherchèrent un nouveau chemin de la démocratie. La démocratisation chinoise fut influencée par les conflits intérieurs et extérieurs : guerres civiles et internationnales. Les premières cinquante années du XXe siècle peuvent ainsi être considérées comme la période de formation de la nouvelle Chine. Pendant cette période, le concept de la modernité que connurent les Occidentaux au XIXe siècle entra en Chine et une vague vers l’Occident apparu à sa suite. Pendant le XXe siècle, la Chine se développa sous l’influence de l’Occident. Il nous est nécessaire d’en parler dans les lignes suivantes.

I Le regard vers l’Occident.

Durant la première moitié du XXe siècle, la Chine fut obligée d’ouvrir ses portes aux étrangers selon des pactes inégaux qui arrachèrent une grande partie des territoires et richesses de la Chine. La perte des richesses matérielles amenèrent la perte des richesses immatérielles telles que la culture et l’art. L’envahissement par l’étranger sollicita l’importation de l’industrie occidentale qui poussa de beaucoup la productivité chinoise et celle-ci eut la néccessité de se transformer dans tous les domaines. L’économie, l’ éducation et l’art furent les secteurs les plus touchés. En même temps, dans les écoles d’art privées que ZHAO Er Xun (赵尔巽) et ZHANG Zhi Dong (张之洞) avaient proposé d’établir, coexistaient les spécialités traditionnelles chinoises et celles occidentales telles que le croquis, l’aquarelle et la peinture à l’huile, assurés par les

236 enseignants étrangers invités.

Figure 77. Une publicité de la Yuanhe Compagnie Occidentale.

Dans ces conditions sociales, le style du mobilier n’a pas pu éviter d’être occidentalisé. Les styles Ming et Qing durent abandonner l’esprit de droiture qui représentait l’esprit humain fort chinois et accepter en revanche les nouveaux concepts occidentaux tels que la fonction, le confort et la mode. Les sièges chinois devinrent éclectiques en mélangeant les styles occidentaux suivants : baroque, rococo, néo-classicisme, certains gardant encore le style Ming et Qing. C’est le snobisme et l’internationalisation qui étaient dominants et caractéristiques à cette époque. Le peuple chinois regarda pour la première fois avec enthousiasme vers les cultures et les arts étrangers dans une atmosphère où pesaient les armées étrangères. Déjà depuis le XIXe sicèle, la tendance à l’occidentalisation avait commencé, mais c’est pendant la première moitié du XXe siècle qu’elle parut évidente, car au cours de ce courant, les étudiants chinois qui avaient étudié à l’étranger étaient revenus en Chine pour ensuite

237 créer les associations de design commercial tels que Shangmei Association de Dessin (尚美图 案馆) créée en 1923 par Chen Zhi Fo (陈之佛) qui avait étudié au Japon, Daxiong Association de l’Industrie et du Commerce de Beaux-arts (大熊工商美术社) créée en 1932 par Xun Tao (熏陶) qui avait étudié à Paris, Association de Beaux-arts de Shanghai (上海美 术供应社) créée par Li Yi Shi (李毅士) qui avait étudié en Angleterre. Tous les arts chinois y compris le mobilier n’avaient pu échapper au courant violent de l’occidentalisation qui s’étendit massivement en Chine. Dans une publicité de la Yuanhe Compagnie Occidentale à Shanghai (fig. 77) , nous voyons que le fauteuil est typiquement occidental. Les verres et la bouteille d’alcool sont occidentaux. La vie de Shanghai et de Hongkong des années 1920s et 1930s était toute occidentalisée. Il apparaît qu’une vie occidentale montrait une étiquette élevée dans les grandes villes chinoises, à Shanghai en particulier. Mais cette vie « confortable » a vécu la guerre civile entre le parti communiste et le parti du Guomindang à partir de 1927. Selon un principe du Tao et du Taiji qui engendre un principe important de la médecine chinoise, l’harmonie entre le Yin et le Yang intérieurs était perdue et le corps humain pouvait être malade. Puisque les organes internes du pays étaient déséquilibrés, la maladie extérieure allait y entrer.

II Les catastrophes.

Le rêve d’occidentalisation fut arrêté par l’envahissement militaire japonais. Cette guerre commença en 1937 et se termina en 1945, date à laquelle les armées japonaises capitulèrent. Ensuite, les Chinois furent complètement réveillés, mais la Chine avait été complètement vidée et asséchée. Après la deuxième guerre mondiale qui se termina en 1945, les pauvres Chinois recommençèrent à zéro. Le pire, c’est qu’après la fin des deux guerres mondiales, la guerre civile chinoise prit sa place en 1946 et se termina en 1949 quand la nouvelle Chine fut officiellement fondée par Mao Zedong. Dans le cadre du gouvernement de Mao Zedong, le fauteuil occidentalisé confortable fut popularisé, les utilisateurs étaient les hauts fonctionnaires. Pendant les années 1960 et 1970, la Chine fut plongée dans la révolution culturelle

238 dévastatrice. La Révolution culturelle fut lancée essentiellement par le fondateur lui-même à partir des années 1960. Ce fut une sorte de guerre qui tua non seulement les intellectuels, mais aussi la richesse intellectuelle. Presque tous les domaines furent profondément touchés et connurent très peu de progrès. On travailla pour une bouchée de pain. Les meubles des Anciens furent encore utilisés et les meubles fabriqués à l’époque étaient obligés d’être simplifiés et simples à cause de l’impuissance économique. L’utilitarisme domina la conception du mobilier. La vague vers l’Occident, politiquement jugée dangereuse, fut limitée et arrêtée. Nous sommes obligés de reprendre la doctrine de Lao Zi dont nous avons parlé dans la première partie : « Après la grande guerre, ce sont toujours des années catastrophiques qui suivent. » Nous sommes obligés de poser une question : de qui était la faute? C’est certainement de la perte du Tao et de la Vertu que résulta cette erreur, du côté de la Chine, mais aussi du côté des envahisseurs étrangers. Du point de vue de l’histoire, le siège occidental, surtout le canapé confortable qui révèle une vie occidentalisée, devenait très ironique. Les Chinois acceptaient ce « confort » avec douleur. Revenons sur l’identité du siège même. Le siège occidental eut un rôle social important, car il fut un des témoins de l’histoire de la Chine du XXe siècle. Après 1976 où la révolution culturelle se termina et à partir de l’arrivée au pouvoir de DENG Xiaoping en 1977, la nouvelle Chine débuta son progrès par l’ouVerture du pays et l’ouVerture de la pensée. On commença à fabriquer des meubles à la fois simples, commodes, économiques, esthétisés, dits modernes, mais tout en oubliant l’art antique des époques précédentes. C’est à ce moment-là que la modernité effectivement s’ enracina et se concrétisa en Chine. Mais cette modernité chinoise ne saurait ressembler à celle de l’Occident, car elle est basée plus ou moins sur les pensées chinoises, même si on n’imita pas ou on n’avait pas de moyen d’imiter les techniques antiques qui furent très complexes et coûteraient une grande quantité de travail. Car on accepta le concept basé sur la maximun de produits au coût minimun, le concept industriel.

239

Conclusion :

Pendant des années 1920 et des années 1930, du côté de la culture, les étudiants chinois qui avaient étudié à l’étranger revinrent en Chine, suscitant le courant de la réforme culturelle. Il s’agit des discussions effectuées entre la tradition chinoise et l’occidentalisation. Ce courant fut arrêté par les deux guerres mondiales, après lesquelles ce genre de discussions continuèrent jusqu’à la fin du XXe siècle. (Depuis le début du XXIe siècle, bien que ce genre de discussions existent encore en Chine, la recherche de l’identité chinoise est de plus en plus forte.) Du côté de la politique, la Chine, comme beaucoup d’autres pays dans le monde, a vécu des guerres dévastatrices résultant, Lao Zi avait bien averti des problèmes majeurs qu’il a fallu des années à résoudre. Du point de vue de l’histoire, le siège occidental confortable qui révéla la vie chinoise occidentalisée dans les grandes villes avant la première guerre mondiale témoignait de grands problèmes intérieurs et extérieurx issus de la perte du Tao et de la Vertu. Il faut donc reprendre la leçon de Lao Zi et de Confucius pour le design et l’art, car les pensées de ces deux maîtres contribuent à la contruction immatérielle du pays. En somme, dans le domaine du mobilier et de l’art, il y avait très peu de nouveauté à voir avant les années 1980.

240

Partie VI La transformation du siège en œuvre dans l’art occidental et chinois

Chapitre I

De l’autorité de l’homme à l’ « autorité » du siège

«Toutes les choses peuvent être utilisées par l’artiste, retenons bien, la forme et l’expression ne sont qu’un outil qui transmet la conception292 »

--Alexander Brandt I De la fonction à la transformation.

Dans les parties précédentes, nous avons chronologiquement parlé des sièges utilitaires

importants pourvus d’un double fonction : matérielle (asseoir) et immatérielle (symboliser).

Ces sièges qui constituent une ligne historique synthétisée de l’évolution du siège occidental et

chinois pourraient aussi représenter un certain nombre de caractéristiques sociales de chaque

époque, car le siège n’a jamais existé tout seul, il a toujours été influencé par les cultures

matérielles et immatérielles : les matériaux, la politique, le pouvoir, l’économie, la science, la

technique, le concept de hiérarchisation, le goût du peuple, l’esthétique, etc. Autrement dit, ces

éléments constituent une impulsion importante qui pousse le développement du siège. Ce

dernier est pourvu donc d’un rôle important dans la vie humaine.

L’art est issu de la vie et s’attache à l’humanité. Ce raisonnement nous permet d’aller vers la transformation de la chaise en oeuvre d’art contemporain. C’est grâce à la multiplicité des significations procurées par des sièges utilisés dans tel ou tel contexte que les artistes empruntent ces meubles dans leurs œuvres d’art : la peinture, la sculpture, l’installation, l’art

292 Alexander Brandt, 新艺术经典:世界当代艺术的创意与体现 (Nouvel art classique:la créativité et la présentation de l’art contemporain mondial)(xin yi shu jing dian : shi jie dang dai yi shu de chuang yi yu ti xian), Traduit de l’allemand par 吴宝康(WU BaoKkang), Shanghai:上海文艺出版社 (Shanghai WenYi Chubanshe), 2011, p. 234. 241 vidéo, etc. Par exemple, en 1888, Van Gogh peignit deux sièges symbolisant les portraits des artistes : La Chaise de Van Gogh représente le portrait de Van Gogh et le Fauteuil de Gauguin représente le portrait de Gauguin. En 1913, Marcel Duchamp a fait d’un tabouret une sculpture qui soutient une roue de bicyclette. Van Gogh et Marcel Duchamp nous ont montré qu’après une longue histoire du développement, les meubles tels que la chaise, le tabouret, le fauteuil, le banc ne vivent plus exclusivement dans l’architecture. Ces meubles ont tendance à défier la sculpture et à accéder à tous les arts. Ils feront partie de l’art contemporain. « Il faut regarder une chaise contemporaine d’un oeil nouveau293 » , dit Edward Lucie-Smith. Transformer est une condition dans l’adaptation d’un objet utilitaire en œuvre d’art significative, comme le dit l’historienne française de l’art contemporain Sylvie Coëllier : « Dans la vie courante (installer un évier, un chauffage) comme dans l’exposition, l’installation implique une adaptation à un lieu donné. Mais l’installation artistique n’est qualifiée d’in situ que lorsque ses parties soulignent, critiquent ou modifient un lieu spécifique, lequel ne peut s’échanger sans que l’œuvre soit profondément transformée, voire détruite.294 » L’utilisation d’un siège dans l’œuvre d’art n’est pas une exception à cette règle. Du côté de la façon de transformer des sièges, il y en a plusieurs : peindre, utiliser directement l’objet mais avec une adaptation au lieu donné, découper et regrouper, couper, recycler, installer sur un autre objet, insérer dans le mur, etc. Mais, les problèmes sont là : Que signifient ces gestes de l’humanité effectués sur un objet ? Qu’engendre le processus de l’utilisation et de la transformation des sièges ? En réalité, ces gestes humains sont des performances extérieures des réflexions intérieures des artistes, et des réactions sur des actions sociales diverses. Toutes ces actions et réactions répondent bien à la célèbre idée du philosophe français René Descartes (1596 - 1650) qui dit en 1637 dans son opuscule intitulé Discours de la méthode : je pense donc je suis295. Puisque « je suis », donc j’existe. L’existence personnelle

293 Edward Lucie-Smith, Histoire du mobilier, op.cit., p.14. 294 Sylvie Coëllier (dir.), Le montage dans les arts aux XXe et XXIe siècles, Aix-en-Provence:Publication de l’Université de Provence, 2008, p. 215. 295 René Descartes, Discours de la méthode, notes et commentaires de Denis Huisman,(première édition en 1981), Paris : Nathan,2005, p. 59 - 60. 242 serait présentée par la présence du siège déjà utilisé ou transformé par l’humanité pensante. Le siège devrait-il donc être pourvu d’une autorité qu’a l’humanité? Il est temps de parler du résultat du processus en question qui concerne le transfert (la transformation) de l’autorité.

II De l’autorité humaine à l’ « autorité » du siège.

Du point de vue de la production et de la fonction matérielle, le siège ne devrait pas jouir d’une autorité qu’a l’humanité, car c’est l’humanité vivante qui fabrique le siège qui est alors un objet utilitaire sans vie. Mais n’oublions pas l’aspect de l’immatérialité acquise au cours de la production. C’est justement l’humanité qui lui a donnée. Un trône, une chaise religieuse, une chaise Ming, une chaise mise en œuvre d’art, etc. ont tous une valeur immatérielle. Dans certain cas, cette valeur est encore plus importante que la fonctiton matérielle même. Il suffit de regarder la vie humaine du passé ou d’aujourd’hui pour comprendre à quel point l’homme, s’engageant dans son domaine choisi, veut et poursuit, d’une façon ou d’une autre avec enthousiasme, une propre place à soi dans la société nationale et internationale. Nous ne devrions pas être étonnés que cette poursuite aille jusqu’au niveau cosmique. Que signifie la recherche coûteuse spatiale lancée par les pays puissants ? Il y a certainement quelque chose qui concerne la ‘place’ du pays dans le monde, en termes de technique avancée. La poursuite de sa ‘place’ est raisonable et légitime, à laquelle chaque personne devrait s’attacher, car rechercher une ‘place’ préférée dans un domaine préféré est un espoir intéressant et attirant, sans lequel la vie de l’humanité ne pourrait pas être significative. En principe, une place peut, du côté de l’homme non pas du côté de l’objet, inclure trois aspects apparemment différents mais pratiquement homogènes :1), un siège matériel offre une place réelle et visible. 2), un siège immatériel, par exemple, un poste, offre une “place” réelle mais invisible. 3), un espace vide et réel que l’être humain peut s’y tenir. Malgré l’invisibilité et l’immatérialité, la conformité des trois aspects est qu’ils concernent tous la réalité et sont tous réels, rien n’est virtuel ni fictif. Revenons donc dans la réalité. Dans la vie professionnelle, il n’y a pas de fonction sans siège. Que l’on soit un intellectuel ou un ouvrier, on a tous besoin d’un siège matériel pour se

243 reposer et on en a au moins un. De la plus haute classe à la plus basse, un roi a un trône luxueux sur lequel il donne des ordres et prend des décisions pour l’Etat ; un président de l’Etat a un siège confortable pour étudier une stratégie gouvernementale ; un professeur a un siège normal (moyen) pour faire une recherche ; un commerçant a son siège auquel il confère souvent l’emblème de la richesse acquise ; un ouvrier a aussi un siège ordinaire pour s’asseoir quand il a envie de se reposer pour reprendre ses forces au cours du travail ; un élève a aussi son siège sur lequel il apprend des choses pour devenir ce qu’il veut être et pour avoir une place favorable dans l’avenir. Par conséquent, le siège de chacun correspond et devrait correspondre au statut de son propriétaire. D’un côté, un ouvrier ne va pas s’asseoir sur un trône luxueux royal pendant son repos quand il est au travail, de l’autre côté, un roi ne va pas prendre non plus un siège ordinaire quand il est en mission officielle. Chaque personne, y compris un bébé ou un centenaire, est donc relativement conditionnée par son propre siège qui représente sa position sociale. Si cette règle est ignorée et renversée, il y a un risque que l’on inscrive le chaos social qui causerait probablement des catastrophes sociales d’une sorte ou d’une autre. Il faut donc que chacun se mette à sa place acquise. Pourtant, cette règle normale nous pose aujourd’hui deux questions importantes : la première question se lance du côté de l’homme : où se trouve l’autorité de l’homme face à son siège acquis (sa place acquise) ? La deuxième question se pose du côté du siège : est-ce qu’un siège donné dans une ambiance donnée a une certaine « autorité » qui, en revanche, « conditionne » l’acte humain, par exemple, un siège du président dans son bureau, puisqu’un siège pourrait être une étiquette du statut de son propiétaire ? Imaginons qu’un président ne prenne pas son propre siège présidentiel en le laissant à une autre personne, à un instant particulier et exceptionnel ; son statut ne devrait pas être adéquat à la position présidentielle, mais cela ne constitue qu’un jeu théâtral. Par conséquent, en termes de l’humanisation d’un objet ou d’un objet humanisé, en particulier dans la création artistique, un siège donné dans un environnement donné a donc le « droit d’autoriser » son propriétaire à s’asseoir. Certes, dans ce cas, un siège a une sorte d’« autorité ». Ce raisonnement nous conduit ensuite à une autre question concernant le rapport entre l’autorité de l’homme et l’ « autorité » du siège. La réponse est déjà clairement dévoilée 244 quand nous réfléchissons aux questions sur l’« autorité » du siège. Les deux autorités sont certainement adéquates. C’est-à-dire que l’autorité de l’homme à s’asseoir sur le siège et l’ « autorité » du siège à représenter le statut de l’homme doivent être en accord. C’est ainsi qu’un trône ne saurait pas représenter le statut d’un ouvrier, un siège ordinaire ne saurait pas non plus représenter le statut du roi. Cette concordance permet aux artistes contemporains d’utiliser des sièges dans leurs œuvres d’art pour exprimer, impliquer, critiquer ou ironiser sur les problèmes provoqués par les personnes concernées. Si les deux autorités ne sont ni adéquates ni accordées, la situation provoquée risque de devenir probablement critiquable ou controversable. Dans ce cas, une situation de ce genre peut être également abordée dans le discours des artistes contemporains pour critiquer, par exemple, le chaos des positions.

Conclusion :

L’ « autorité » d’une chaise est une « autorité » symbolisée et aliénée qui ne fonctionne et ne donne un sens que quand nous contemplons la chaise. Le processus de la création d’une œuvre en chaises est à la fois le processus d’attribuer à une chaise des propriétés représentatives ou expressives et le processus d’aliéner la pensée humaine et les droits de l’homme à une chaise. Par exemple, l’artiste a le droit de parler au public, la chaise qu’il a créée devrait être supposée avoir le même droit. Mais ce droit de parler ne saurait pas se réaliser tout seul, il faut que le spectateur se tienne devant la chaise pour qu’elle lui « parle ». C’est l’ « autorité » du siège acquise qui, grâce au travail humain, attire l’attention des artistes et leur permet d’utiliser ce matériau particulier dans une œuvre d’art : la peinture, l’installation, la vidéo, etc. Ce matériau est souvent un siège utilitaire ou déjà utilisé, ou mal utilisé, ou transformé, voire déformé ou recomposé ou rassemblé. Il pourrait signifier des choses diverses selon les contextes particuliers dans lesquels l’artiste désire mener un projet artistique. En prenant en main la question de la transformation de l’autorité de l’homme à l’autorité du siège, nous passons maintenant à la question suivante qui concerne la transformation du siège en œuvre d’art.

245

Chapitre II

Les sièges dans la peinture

I La « discussion » entre deux sièges.

Vincent Van Gogh, avec deux peintures à l’huile (fig. 78, 79) dans lesquelles il peignit la représentation du siège comme s’il peignait un portrait humain, nous ouvre la porte du discours concernant l’« autorité » du siège.

Figure 78. Â gauche : Van Gogh, La chaise de Van Gogh, l’huile sur toile, 1888. Figure 79. Â droite : Van Gogh, Le fauteuil de Gauguin, l’huile sur toile, 1888.

Dans la logique de Ludwig Wittgenstein qui dit que le nom signifie l’objet et l’objet est ses significations,296 Van Gogh, en donnant les titres (les noms) à ses deux peintures : La chaise de Van Gogh et Le fauteuil de Gauguin, nous laisse penser qu’il voulut représenter les deux hommes. Ces deux peintures ont objectif d’expliquer ce que sont ces deux hommes. Cette logique nous permet de traverser le matériel, les deux portraits en objets donc

296 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, op.cit., p. 47. 246 symbolisés, pour accéder à la dimension immatérielle : leurs vies, leurs pensées, leurs concepts artistiques, etc. Quand La chaise de Van Gogh et Le fauteuil de Gauguin sont mis face à face, ces deux hommes interprétés en objets commencent une « discussion violente ». Van Gogh et son ami Gauguin ont travaillé ensemble en 1888 à Arles pendant une période de quelques mois 297. Malheureusement, leurs idées et conceptions différentes conduisirent à une « discussion violente » et « leur relation ne cessa pas de se détériorer 298 » après la visite des œuvres de Delacroix et de Courbet de la collection Alfred Bruyas au musée Fabre, à Montpellier, le 17 décembre 1888299. C’est ainsi que Van Gogh admit le 23 décembre de la même année : « Je crois moi que Gauguin s’était un peu découragé de la bonne ville d’Arles, de la petite maison jaune où nous travaillons, et surtout de moi.300 » Pourtant, en contemplant les deux peintures, nous sommes peut-être émus par l’humour interprété par les deux grandes chaises en train de discuter « violemment ». Le remarquable procédé de peindre, c’est que Van Gogh « a mis en scène une conversation symbolique entre sa propre chaise, simple et ordinaire301 » présentée dans le jour sous « la lumière naturelle et le fauteuil élégant de son ami Gauguin302 », le fauteuil, au contraire, est figuré dans la nuit sous « la lumière artificielle.303 » Ces deux chaises sont « une paire de portraits humoristiques dépourvus de figures humaines 304 ». Il est évident que dans cette conversation il ne s’agit pas d’idées partagées, mais tout le contraire. Pour nous assurer l’existence de la violence de la conversation entre Van Gogh et Gauguin, nous pouvons regarder une autre peinture de Van Gogh. En 1889, Van Gogh a peint une œuvre intitulée Chambre de Van Gogh à Arles (fig. 80), dans laquelle tous les meubles sont peints en couleur jaune. Parmi eux, le lit paraît être l’élément le plus important dans l’ensemble de la composition picturale. Pourtant, ce qui active l’œuvre n’est pas le lit, ce sont deux chaises placées devant lui et deux portraits

297 George S.Keyes, Van Gogh, Les portraits, Lausanne (France) : La Bibliothèque Des Arts, 2000, p. 131. 298 Idem. 299 Idem. 300 Idem. 301 Ibid., p. 158. 302 Idem. 303 Idem. 304 Idem. 247 accrochés sur le mur. Tantôt, il semble que les deux chaises regardent les deux portraits, tantôt, il apparaît que ce sont les deux portraits qui regardent les deux chaises. Ces quatre éléments peints, comme nous voyons dans l’illustration en croquis, constituent une ligne oblique (fig. 81) qui risque de séparer l’œuvre en deux parties. Cette ligne pourrait aussi être un témoin qui prouve que Van Gogh voulut accentuer ces quatre éléments. La conversation entre eux est ainsi évidente et leur rapport est assurément mis en œuvre. La volonté de Van Gogh de construire un dialogue entre les objets peints est ainsi prouvée.

Figure 80. Â gauche : Van Gogh, Chambre de Van Gogh à Arles, 57x74cm,1889. Figure 81. Â droite : deux chaises et deux portraits constituent une ligne oblique.

Revenons à la Chaise de Van Gogh et au Fauteuil de Gauguin. Que « disent » les deux sièges ? La chaise de Van Gogh, « en paille toute jaune sur des carreaux rouges contre un mur (de jour) », montre le besoin fondamental du peintre, à savoir que, pour produire un bon travail, il faut que le peintre mange bien, soit bien logé et bien joyeux tout le temps, qu’il fume sa cigarette et prenne son café en paix. Le fauteuil de Gauguin, « rouge et vert, effet de nuit, mur et plancher rouge et vert aussi, sur le siège deux romans et une chandelle. 305 » présente au contraire (pour le cas de Van Gogh) d’insaisissables puissances telles que les idées, les livres illuminés et la puissance peut-être sexuelle d’un homme, suggérée par la position du bougeoir306 (c’est la position du sexe de la personne qui s’y assied). Gauguin a fait beaucoup de tableaux figurant des femmes nues. Est-ce que cela veut dire que Gauguin s’intéressait à la

305 George S.Keyes, Van Gogh, Les portraits, op.cit., p. 131. 306 Judy Sund, Van Gogh, Londres : Phaidon Press, 2002, p. 232. 248 sexualité dans l’art ? Tandis que Van Gogh s’intéresse à la nature et aux objets. Les deux sièges peints expriment les contrastes extrêmes de chacun. C’est probablement cette comparaison à la fois sérieuse dans leur quotidien et humoristique dans l’œuvre qui nous touche. Malgré les contrastes extrêmes, nous voyons tout de même le sentiment amical qu’ils portent l’un pour l’autre. Car, selon ses principes de travail, quand Van Gogh peignit un portrait de son ami, il voulut mettre dans le tableau son appréciation, son amour qu’il a pour lui307. En peignant « fidèlement » les portraits, son intention était « d’exprimer visuellement ses sentiments, son amitié et son admiration308 ». La Chaise de Van Gogh se tourne vers l droite, tandis que le Fauteuil de Gauguin se tourne vers l gauche, leur positions impliquent qu’ils n’ont pas volonté d’adresser la parole au spectateur qui se tient devant eux, mais à la personne absente dans l’œuvre mais présente dans l’extrémité de la perspective du regard. En termes plus précis, la Chaise de Van Gogh implique la présence de Gauguin à droite, alors que le Fauteuil de Gauguin implique la présence de Van Gogh à gauche. Cette analyse a prouvé qu’il était raisonnable que nous mettions deux peintures en « contact » direct. Cette conception artistique : le présent implique l’absent, peut renvoyer à la notion du Vide et du Plein dans la peinture traditionnelle chinoise. C’est-à-dire que ce que l’artiste peint (le plein) suscite ce qui n’est pas peint dans le vide, et parfois, c’est le Vide qui est le plus important. Mais la façon dont Van Gogh a composé les deux peintures est différente de la notion du Vide et du Plein, car il a voulu impliquer des choses non pas dans l’espace vide à l’intérieur de l’œuvre mais complètement en dehors d’elle. Ce qui est remarquable, c’est que Van Gogh, en faisant deux fonds différents pour deux sièges différents, a posé une question sur le réalisme et l’idéalisme à propos de l’attitude de la vie. Dans la Chaise de Van Gogh, au sol, ce sont des carreaux rouges, ordinaires et réalistes. Au-delà d’une pipe dont Van Gogh a besoin dans la vie réelle, on voit aussi une boîte de la même couleur que la chaise, sur laquelle le nom de l’artiste Vincent est marqué. Et dans la boîte, ce sont des oignons nécessaires pour la vie. Le mur et la porte sont très clairs et simples

307 George S.Keyes, Van Gogh, Les portraits, op.cit., p.146. 308 Idem.

249 et rien n’est remarquable. Tous ces éléments composent la réalité de l’artiste, ne donnant aucune imagination possible. Pourtant, dans le Fauteuil de Gauguin, on voit un monde idéal par rapport à celui de Van Gogh. Le tapis peint en traces variables et abstraites ressemblant à des fleurs, tient toute la mesure de la terre. La lumière jaune de la bougie sur le mur vert et vague (puisque c’est dans la nuit) et les deux romans illuminés placés sur le fauteuil ainsi que la couleur bleue reflétée de l’autre côté, semblent tous nous convaincre que le lecteur vit à l’aise dans un environnement romantique et idéaliste. Cependant, en réalité, Gauguin, au moins à Arles, n’eut financièrement pas une vie idéale. Au contraire il fut tellement pauvre que Théo, le grand frère de Van Gogh qui possédait une galerie d’art à Paris, fut obligé de payer pour Gauguin y compris son voyage et sa nourriture et son logement, alors qu’il fut le seul artiste qui vint à « l’Association des Artistes » — la maison jaune louée par Théo309. Au-delà du fond et de la couleur ainsi que des objets, les méthodes merveilleuses empruntées à la littérature moderne furent adoptées dans ses peintures. Selon l’ouvrage de George S.Keyes intitulé Van Gogh, Les portraits310, « l’idée poétique » fut formulée « pour exprimer ce qu’il voulait dire, » avec le support de la littérature, en particulier, celle d’Honoré de Balzac et d’Emile Zola dans La Comédie Humaine et les Rougon-Macquart. A savoir qu’ « il imagina une série cohérente d’images pour dépeindre les pensées, les mouvements et les passions de la société moderne311 ». A la fin de l’année 1888, la discussion sur le symbolisme des couleurs fut commencée. C’est ainsi qu’on voit dans ses portraits « une couleur suggestive d’une émotion quelconque d’ardeur de tempérament 312 ». Par exemple, dans les fleurs de tournesol de Van Gogh, nous voyons les traits très forts et les couleurs très ‘chaleureuses’ qui dévoilent la volonté et la passion de Van Gogh de s’exprimer. Etonnant et surprenant, c’est que dans la Chaise de Van Gogh, la construction est très « disciplinée » et rationnelle, car, du point de vue de l’espace et de la construction picturale, la chaise tient une place bien adaptée à elle-même et donc rationnelle dans l’ensemble de l’espace. Ceci dit probablement que Van Gogh s’attacha en général à la réalité naïve et simple

309 Alfred Nemeczek, Van Gogh in Arles (Van Gogh en Arles), Munich : Prestel Verlag, 1999, p. 30. 310 George S.Keyes, Van Gogh, Les portraits, op.cit., p. 146, p. 149. 311 Idem. 312 Ibid., p. 146. 250 et revint à la nature. Comme nous le savons bien,Van Gogh, en peignant des touches variées de couleurs, chercha à exprimer sa passion et son émotion pour la vie forte des choses et des personnages. Pourtant, la construction du Fauteuil de Gauguin paraît moins rationnelle que celle de la Chaise de Van Gogh. Du point de vue de l’espace ou de la construction picturale, il a l’air de se gonfler, me semble-t-il. Il tient par conséquent un espace très large. Le dossier semble dépasser la toile de la peinture, surtout, le pied gauche l’a déjà dépassé. Il est évident que le « fauteuil », en dépassant la mesure, est moins « discipliné », plus « libre » que la « chaise » de Van Gogh. Est-ce que cette liberté de construction rappelle à la liberté de pensée du peintre, ici Gauguin ? Dans la nuit de rêves, imaginons que l’artiste en appelle la liberté de rêver la vie idéale, la liberté de la sexualité, la liberté de la création artistique. Tout est très romantique et idéal. Quand la « chaise » simple et naïve rencontre le « fauteuil » relativement luxueux et confortable, que disent-ils et qu’entend-on?

II L’objet peint représente l’esprit de son propriétaire.

Selon le principe de l’Ut Pictura poesis313, si la poésis ressemble à la peinture, la peinture ressemble aussi à la poésis. Depuis la Renaissance, des propriétés représentatives de la peinture marquent un tournant important du développement de l’art314. Van Gogh avec la représentation du matériel prétend impliquer l’immatériel. Les deux sièges implicites de Van Gogh révèlent une réalité mentale de ceux qu’ils enttendent représenter. Ces deux peintures poétiques de Van Gogh sont un tournant important et un paradigme de la représentation du siège dans l’œuvre d’art. Les artistes qui suivirent s’en sont inspirés. D’où vint l’esprit de Vincent Van Gogh ? Van Gogh considérait Jean-François Millet comme un grand maître, apprit de lui la conscience de ne jamais perdre la responsabilité sociale de l’art et l’élément humain dans la peinture315. Le deuxième maître de Van Gogh fut

313 Jean-Pierre Cometti, Art, représentation, expression, Paris : Presses Universitaires de France, 2002, p. 26. 314 Ibid., p. 25. 315 Alfred Nemeczek, Van Gogh in Arles (Van Gogh en Arles), op.cit., 1999, p. 20. 251

Eugène Delacroix dont la couleur domina la sienne316. Le troisième facteur de sa théorie esthétique fut le Japonisme, pour lequel il vint à Arles qui était déjà appelée le nom de Japon de Provence et il alla chercher des paysages ressemblant à l’art japonais317. Par ces deux peintures figurant deux sièges, nous pouvons voir qu’aux yeux de Van Gogh, un siège est un meuble que l’on utilise tous les jours et il pourrait par conséquent représenter la position et le statut social et les pensées ainsi que les conceptions de son propriétaire. Si Van Gogh, pour exprimer les différences entre lui-même et son ami Gauguin, peignait deux vrais portraits comme d’autres peintres l’ont fait et continuent à le faire, ce serait très ordinaire et ce pourrait être moins marqué dans l’histoire de l’art. Par les chaises et des objets, l’artiste peut montrer tout ce que les propriétaires de ces objets possèdent matériellement et surtout mentalement, sans peindre directement deux têtes humaines pour comparer les deux personnes, sans peindre non plus les vêtements qui pourraient probablement représenter la position et le statut sociaux de l’individu. Pour Van Gogh, l’objet peut représenter l’esprit de son propriétaire. Dans ce cas, à propos seulement de cette conception, Van Gogh fut un des pionniers de l’art contemporain. Des artistes la partagent très souvent dans le domaine de l’installation et de la sculpture, par exemple Joseph Kosuth, Joseph Beuys, Chen Zen, Ai Wei wei. (Nous parlerons de ces artistes dans d’autres parties.)

Conclusion :

Vincent Van Gogh, avec deux peintures qui figurent deux sièges représentant deux portraits : Van Gogh et Gauguin, ouvre notre discours sur la transformation du siège en œuvre d’art. Il y a trois points à marquer. Le premier point est que dans les deux peintures, nous pouvons comprendre, avec l’intervention de l’histoire de l’art, la discussion muette effectuée entre deux grands maîtres, car deux sièges peints, par lesquel les éléments concernés se dévoilent, sont significatifs et allégoriques. Du premier point résulte le deuxième. Du point de vue de la fonction pratique, le siège

316 Idem. 317 Ibid., p. 19. 252 devient un contenu qui contient les éléments de son propriétaire et ceux de la société dans laquelle le siège existait. C’est la raison pour laquelle le siège est, du point du vue de l’expression artistique, un médium important par lequel l’artiste peut exprimer beaucoup d’éléments. Au-delà de l’accessibilité du siège dans l’œuvre d’art, le troisième point est que la « chaise » de Van Gogh devient une étiquette personnelle dans l’histoire de l’art. C’est-à-dire que Van Gogh en peignant sa « chaise » garda une « place » importante qui lui était propre dans l’histoire de l’art. En somme, le siège mis en œuvre détient un double sens : il est utile à la fois dans l’aspect de l’art et dans l’aspect du statut de l’artiste même.

Chapitre III

Une nouvelle compréhension du siège chez Marcel Duchamp

Figure 82. Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913.

253

« Après Duchamp, tous les arts sont essentiellement conceptuels318 ».

I Le rôle du tabouret.

L’objet, qui est utilitaire ou utilisé dans le quotidien et maintenant mis en œuvre d’art, implique certainement quelque chose. Dans cet aspect, les réflexions et les questions commençèrent à monter sur la table ronde à partir du début du 20e sicècle chez les avant-gardes européennes. Celles-ci, vers 1910, posent des questions de fond sur le design:« existe-t-il une opposition entre la production d’objets esthétiques et celle d’objets industriels ? Quelles sont les relations entre l’espace plastique et l’espace vécu ? 319 » C’est dans ce contexte artistique que Marcel Duchamp créa son œuvre ready-made intitulée Roue de bicyclette, en 1913 (fig. 82). Selon l’ouvrage de l’historienne française de l’art contemporain Sylvie Coëllier, Le montage dans les arts aux XXe et XXIe siècles320, celle-ci partage l’idée de Bertrand Rougé qui dit que le ready-made est un assemblage, et que par exemple la Roue de bicyclette en est un. C’est-à-dire que Marcel Duchamp utilisa la technique du montage. Duchamp rassembla les objets en une œuvre dans laquelle nous voyons la question posée sur le rapport entre l’art et l’objet. Dans cette œuvre, s’agit-il de design, ou de l’art contemporain ? Car les designers et les théoriciens du design en parlent aussi souvent que les artistes contemporains et les théoriciens de l’art. Plus précisément, quel est le rapport entre l’art plastique et le design ? Cette œuvre nous pose les questions auxquelles il est difficile de répondre avec clarté. Pourtant, nous n’allons pas en discuter et y répondre tout de suite. D’abord, nous parlerons d’une autre question peut-être inédite que la Roue de bicyclette indique. Il s’agit du rôle du siège. Nous en faisons un passage qui nous conduira à la question même.

Apparemment, le titre Roue de bicyclette nous empêche de mieux comprendre l’œuvre-même. Car si on commence à comprendre cette œuvre par le titre, on ne verrait probablement que la roue de bicyclette qui est présentée comme le protagoniste, sans guère se soucier du siège qui pourtant joue un rôle aussi important que celui de la roue. Il est évident que c’est le siège qui supporte la roue, si on considère une sculpture comme une « personne »,

318 Alexander Brandt, 新艺术经典:世界当代艺术的创意与体现 (Nouvel art classique:la créativité et la présentation de l’art contemporain mondial)(xin yi shu jing dian :shi jie dang dai yi shu de chuang yi yu ti xian), op.cit., p.234. 319 Anne Bony, Le design, op.cit., p.46. 320 Sylvie Coëllier (dir.), Le montage dans les arts aux XXe et XXIe siècles, op.cit., p. 214. 254 le siège pourrait être considéré comme le « corps » et la roue comme la « tête ». « Plus que n’importe quel autre type de meuble, le siège peut être considéré comme un baromètre sur l’âme humaine.321 » Le choix du siège est une réussite, car si Marcel Duchamp avait utilisé une chaise avec un dossier ou un fauteuil avec des accoudoirs, la roue ainsi que la vue du spectateur auraient été sans doute empêchées par le dossier ou les accoudoirs. Visuellement, l’ensemble de l’œuvre ne serait pas signifiant. Du point de vue de la construction et de la composition, quatre pieds stables du siège donnent à la roue une stabilité totale. La roue et le siège sont ronds, les quatre pieds du siège constituent des carrés. Composé harmonieusement par les cercles et des carrés, l’ensemble de l’œuvre atteint une harmonie. Pourtant, en élevant la roue, le siège devient une limite qui a définitivement « empêché » la roue à rouler librement sur la terre. Ayant déjà perdu sa fonction d’origine, la roue ne peut rien faire que de rester dépendante du siège pour être regardée. Dans ce cas, la puissance du siège est manifeste. Pour une sculpture, le supporteur en bas est le socle, mais ici le socle (siège) est aussi la sculpture. Du point de vue de sa fonction, le siège généralement doit être pris par une personne, maintenant, c’est une roue qui y est installée. La roue qui doit rouler sur la route est maintenant « limitée » sur le siège. Que l’on comprenne ceci ou cela, toutes les compréhensions sont procurées par les changements. D’abord, c’est le changement du lieu de l’objet : du quotidien à l’exposition d’art. Le deuxième est le changement de la façon de présenter ou d’intaller. Les deux premiers changements conduisent au troisième, c’est le changement du rôle de l’objet : de l’objet utilitaire à l’objet esthétique. Puisque le rôle de l’objet est changé, sa fonction est changée : de la fonction pratique à la fonctioin esthétique. En somme, C’est la mutation effectuée par l’artiste qui change notre regard sur l’objet et sur l’art.

II Le rapport entre le design et l’art.

321 Charlotte et Peter Fiell, Moderne chairs (Chaises modernes), Cologne :Taschen, 2002, p. 8. 255

Changer, transformer, évoluer sont les mots clés pour comprendre Marcel Duchamp. Avec des ready-mades, il a exploité un nouveau champ à la fois pour l’art et le design contemporains, en posant la question sur la relation entre ces deux pôles. Il y a donc une transformation possible à questionner : de l’art au design ou du design à l’art ? Du côté de l’art, depuis la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp, le changement de la façon de créer conduit à une mutation du concept de l’art. L’idée de changer la place, le rôle, la forme ou la fonction d’un objet afin de changer la compréhension et la signification de l’œuvre, exploitée par Duchamp, est une sorte de transformation dan l’art. L’acte de Duchamp manifesta une véritable évolution de l’art au XXe siècle. Du côté du design,il est certain que l’art influence le design comtemporain d’une manière profonde jusqu’au point où les deux pôles s’épousent. En somme, l’influence mutuelle est incontournable surtout dans les académies d’art où deux disciplines coexistent. Certes, à propos de deux pôles, l’interdisciplinarité et la transversalité disciplinaire sont évoquées par la Roue de bicyclette. Voici les transformations bidirectionnelles : (schéma 7) Schéma 7. Le lien entre le design et l’art

objet→ ←œuvre d’art (ré)action de l’artiste design→ ←art

place→ ←place

forme→ ←forme

rôle→ ←rôle

......

Les théoriciens de l’art contemporain posent aussi la même question. Ecoutons ce que dit l’historienne française de l’art contemporain Sylvie Coëllier : « les arts plastiques ont investi tous les domaines (scène, cinéma, son, nourriture, etc.) La transversalité touche même les tenants d’une discipline spécifique (par exemple, Barcelo croise sa haute compétence de peintre avec la danse, la sculpture, la mise en scène)322 ». Sylvie Coëllier a parlé de la transversalité des arts, et elle a propagé et appliqué cette théorie lorsqu’elle a organisé les

322 Sylvie Coëllier (dir.) et Louis Dieuzayde (dir.), Arts Transversalités et Questions Politiques, Aix-en-Provence : Publication de l’Université de Provence, 2011, p.52. 256 cours interdisciplinaires à l’Université Aix-Marseille. Puisqu’il existe la transversalité des arts, il est tout à faire possible que l’on parle de la transversalité de l’art plastique avec le design et l’architecture. Parce qu’il existe beaucoup d’artistes et de designers qui travaillent simultanément dans deux ou trois domaines. Par exemple, AI Wei Wei est architecte, designer et artiste. Zhao Fan est designer et artiste. D’ailleurs, Sylvie Coëllier a parlé aussi du design. Elle dit : « la rhétorique du design a pris toutes les formes possibles, y compris auprès des objets inquiétant l’esthétique valeur ajoutée, tel l’urinoir de Duchamp, désormais valeur-signe323 ». En parlant de la forme du design, elle a accepté que les ready-mades de Duchamp fassent aussi partie du design, par exemple l’urinoir. Mais si, lorsque l’urinoir est exposé dans une galerie, il prend un autre titre : Fontaine, l’accent est mis sur l’art. Dans ce cas, l’urinoir est à la fois un objet de design et une œuvre d’art. Et la Roue de bicyclette l’est aussi. Le fait que l’artiste adopte un objet de design pour créer une œuvre d’art pose déjà la question sur la relation entre l’art et le design. Les designers et les artistes prennent « toutes les formes possibles». Selon le même principe, nous nous interrogeons : est-ce que dans l’œuvre d’AI Wei Wei il y a un concept du design ? Alors est-il à la fois artiste (expérimental) et architecte et designer? Est-ce que dans l’œuvre de Zhao Fan il y a une notion particulière du point de vue de l’art plastique, alors qu’il est d’abord designer et puis devenu artiste après? Si le futur design va questionner pourquoi il existe, est-ce que l’art plastique va poser la même question ? L’art peut-il exister dans la vie en tant qu’objet de design utilitaire ? Le design peut-il exister comme une œuvre d’art à contempler ? La discussion n’est pas close. Avant les designers-artistes mentionnés au-dessous, la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp va influencer d’abord les artistes d’avant-garde qui, par leur travail et leurs idées, nous démontrent avantage le rapport entre l’art et le design qui conduit au rapport entre le design et l’architecture et au rapport entre l’architecture et l’homme. Bref, C’est le rapport entre l’art et la vie. Pourtant, l’idée de Marcel Duchamp d’installer un objet sur un siège ne fut pas vu directement par ses successeurs, probablement à cause de l’instabilité économique, psychologique et sociale qui constitua un obstacle pour la création des artistes : la première

323 Idem. 257 guerre mondiale explosa entre 1914 et 1918, puis vint la grande dépression des années 1930, et la deuxième guerre mondiale explosa entre 1939 et 1945. N’oublions pas l’effet catastrophique après les guerres dont Lao Zi nous a averti. L’instabilité, l’incertitude, l’inquiétude sociales remplirent toute la communauté internationale pendant la guerre froide mondiale. Il faut donc attendre jusqu’aux années 1960 où apparut la croissance de l’utilisation et l’interprétation du concept duchampien en Europe. Parce que, selon l’ouvrage Les humanités occidentales, c’est à partir des années 1960 que la société internationale commença à changer brutalement : il y avait les protestations contre la guerre américaine au Vietnam, contre le Racisme, contre l’ancienne façon de penser, contre la tradition, etc.324 Tout allait être brisé, y compris l’art et la façon de créer l’art.

Conclusion :

Par la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp, dans laquelle la technique du montage fut utilisée, nous voyons quelques points importants dont certains sont rarement évoqués. D’abord, nous voyons le rôle important du siège qui supporte la roue de bicyclette. En tant qu’œuvre assemblée, il faut mettre en ordre les éléments choisis pour qu’ils deviennent une unité harmonieuse et significative. Le siège est indispensabe en tant que partie du corps de l’œuvre complète. Et puis, depuis la Roue de bicyclette, la question de la relation entre le design et l’art s’est posée. Cette question importante conduit aux autres questions concernant l’infuence mutuelle, l’évolution et la transversalité entre les deux pôles. D’ailleurs, Marcel Duchamp, avec son acte révolutionnaire, fit évoluer l’art. Cette contribution a justifié le rôle éducateur des artistes qui influencent la société à leurs façons. Avec les sièges de Van Gogh et de Marcel Duchamp, la question de la transformation du siège en œuvre d’art va être suivie et élargie par un grand nombre d’artistes à partir des années 1960 où tout allait être brisé et changé.

324 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 663. 258

Chapitre IV

La chaise dans la danse de Merce Cunningham

I La chaise comme une personne.

Merce Cunningham (1919 - 2009) fut à la fois danseur et chorégraphe. Il naquit à la fin de la première guerre mondiale en 1919 à Washington et s’engagea dans sa carrière de la danse moderne à l’âge de vingt ans au moment où commença la deuxième guerre mondiale en 1939. Il lui était donc difficile de ne pas penser à la guerre et à son influence et à son résultat. Une réflexion sur la paix et la poursuite d’une nouvelle vie en paix devaient être présente dans sa pensée. Ces éléments évoqués pendant et après la guerre allaient se traduits dans sa chorégraphie d’avant-garde. Il est normal qu’il ait envie de s’éloigner du passé et révolutionner la danse traditionnelle pour créer une danse qui marque la nouvelle vie dans la nouvelle société après guerre. Au début de son métier, soit au début des années 1940, il commença à travailler en partenariat avec le musicien d’avant-garde américain John Cage (1912 - 1992) qui devint ensuite son compagnon. La danse de Merce Cunningham, de mon point de vue, n’est pas dépendante de la musique. Ces deux éléments, dont l’un est visible et l’autre auditif, coexistent, s'intéprètent et collaborent parallèlement dans un même temps et espace.

Figure 83. Â gauche : Merce Cunningham, Nocturnes, 1955. Figure 84. Â droite : Merce Cunningham, Suite for five (Suite pour cinq), musique par John Cage,1956.

259

En 1955, Merce Cunningham chercha aussi une place imaginaire dans sa danse intitulée Nocturnes (fig. 83). Il forma de son corps un “banc” qui a été décrit comme « une succession de rendez-vous amoureux 325 ». En 1956, dans sa danse intitulée Suite for five (Suite pour cinq) (fig. 84) dont la musique fut préparée par John Cage, Merce Cunningham se transforme en un siège imaginaire qui attend un nouvel arrivant: probablement un autre homme. Ce geste représente, de mon point de vue, un amour homosexuel. Finalement en 1958, Merce Cunningham utilisa une vraie chaise dans sa danse intitulée Antic meet (Ancienne rencontre) (fig. 85) dont la musique fut préparée par John Cage. Merce Cunningham danse avec une chaise ordinaire fixée sur son dos. L’idée de créer Antic meet fut issue d’une soirée d’anniversaire préparée par Jasper Johns et Robert Rauschenberg en 1952 et pour le 40e anniversaire de John Cage. Celui-ci, pendant la soirée, en combinant tout ce qu’il avait développé pendant ses expérimentations sur le son, créa une partition musicale auto-rétrospective.326

Figure 85. Merce Cunningham, Antic meet, 1958, musique par John Cage, décor par Robert Rauschenberg.

325 David Vaughan ; Melissa Harris, Merce Cunningham : fifty years (Merce Cunningham : cinquante ans), New York : Aperture Foundation, 1999, p.92 326 Andrew M. Goldstein, « The Stories Behind the Merce Cunningham Collection Artworks » (L’histoire derrière les collections des oeuves d’arts de Merce Cunningham), le 22 Octobre 2012, disponible sur le site : http://www.artspace.com/magazine/interviews_features/close_look/merce_cunningham_collection-5194, consulté en novembre 2013. 260

Le titre de la danse Antic meet (Ancienne rencontre) implique déjà que la chaise représente la place de la personne qu’il a rencontrée. Cette danse fait partie d’une bouffonnerie. Rencontrer une chaise est ‘drôle’, danser avec une chaise liée au dos est encore plus ‘drôle’. L’idée de Merce Cunningham de danser tout en portant un siège au dos fut sans doute intéressante et novatrice à l’époque.

Figure 86. Papier peint d’Andy Warhol, 1974.

Antic Meet a reçu un très grand succès qui est marqué par une célèbre image de Merce Cunningham dansant avec une chaise liée au dos. Cette image représentative sortie d’ « Antic meet » fut reprise par un grand nombre de photographes. L’un d’entre eux est Andy Warhol qui en 1974 a fait de l’image de Merce Cunningham une sérigraphie sur papier peint floral (fig. 86). Ceci a produit une plaisanterie dans la famille de Merce Cunningham lorsque sa mère est venue et a vu le papier peint de Warhol sur le mur. Mais ne sachant pas qui était Andy Warhol et ce que faisait son fils Merce Cunningham en tant que chorégraphe, trouva que ce papier peint était fonctionnel dans la vie, elle dit : « Finalement, tu as fait quelque chose d’utile.327» Merce Cunningham lui-même aimait beaucoup raconter cette histoire pleine

327 Andrew M. Goldstein, « The Stories Behind the Merce Cunningham Collection Artworks » (L’histoire 261 d’humour. Dans cette danse, nous ne voyons aucun élément négatif et pessimiste. Nous ne pouvons pas bien comprendre le langage particulier de la danse de Merce Cunningham sans regarder l’influence exercée par ses amis plasticiens qui entrèrent dans sa vie privée et professionnelle. Par exemple, Andy Warhol (1928 - 1987) qui fut pop artiste. L’influence de Jasper Johns (né en 1930) qui fut peintre faisant de l’abstraction, et de Bobert Rauschenberg (1925 - 2008) le peintre qui fit les combines-paintings, paraît plus évidente. Tous ces artistes, sans oublier Bruce Nauman, initièrent déjà la transversalité des arts différents à partir des années 1950 où ils connaissaient sans doute les œuvres d’art de l’un et de l’autre. Une chaise fixée au dos du danseur et les costumes peuvent être considérés comme les “combines” initiées par Bobert Rauschenberg. En 1977, Merce Cunningham créa une danse intitulée Travelogue, dans laquelle, il utilisa des chaises dont chacune fut mise sur un socle. Ces objets ressemblent à une installation. Au-delà de l’adoption des concept des arts plastiques, Merce Cunningham dansa directement autour des œuvres d’art des plasticiens, par exemple, en 1958, il dansa autour des décors combinés de Robert Rauschenberg dans le numéro intitulé Minutiae. En 1968, à l’occasion de l’exposition intitulée Danser autour des la nouvelle mariée organisée par Marcel Duchamp, John Cage, Bobert Rauschenberg, Jasper Johns, Merce Cunningham chorégraphia une danse et l’interpréta autour des œuvres de Duchamp qui fut un ami de son amour John Cage. Il s’agit du contact direct du danseur avec les arts plastiques. La danse de Merce Cunningham est narative et théâtrale. Bien que les mouvements dans sa danse soient, dit-on, purs et sans sentiment, ils sont une abstraction mentale qui représentent la vie de l’homme pensant doué de la conscience. Hegel, quand il parle du besoin de créer des œuvres d’art de l’humanité, dit que « l’homme est un être pensant et doué de conscience328 » , et que l’homme a pour autant le besoin de représenter lui-même et de « transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel329 ». En somme, chez Hegel, une œuvre d’art est issue d’une nécessité intérieure et extérieure. Cela correspond bien à ce que nous avons dit dans la

derrière les collections des oeuves d’arts de Merce Cunningham), loc.cit., consulté en novembre 2013. 328 G.W.G.Hegel, Esthétique des arts plastiques, texts presentés et annotés par Bernard Teyssèdre, Paris : Editions Hermann, 1993, p. 42. 329 Idem. 262 première partie de cette thèse. Les œuvres de tous ces artistes mentionnés plus haut ne devraient pas être une exception à ce principe général. Nous pouvons ainsi dire que la danse de Merce Cunningham qui est ‘drôle’ représente en quelque sorte une société ‘drôle’ américaine durant de la fin des années 1950 aux années1960, alors l’époque qui marqua l’apogée de la modernité dans l’art. Du point de vue de la forme, la danse de Merce Cunningham fut ‘drôle’, mais du point de vue de la société, le phénomène de Cunningham fut normal, car à l’époque de contruction on voulut nier les arts du passé et on chercha un nouvel art et une nouvelle vie moderne. La danse de Merce Cunningham nous conduit à poser quelques d’autres questions. D’abord, peut-on considérer la chaise au dos du danseur comme une personne ? Si oui, l’ Antic meet peut être un contact entre ces deux « personnes », dont l’une est mobile et libre, l’autre immobile et dépendante du corps humain. Et puis, à cause de la lourdeur de la chaise, une pression inconfortable exercée au dos du corps humain est évidente. Cette pression (limite ou condition) est-elle une expression de la lourdeur dont l’individu était obligé de se charger ? D’ailleurs, si la chaise au dos est une place vide qui attend un arrivant potentiel actuellement absent, cela sous-entend que le danseur attend quelqu’un d’autre avec qui il parle, mais dos à dos. C’est un espoir individuel du danseur. Dernièrement, du point de vue de l’art plastique, danser avec une sculpture peut constituer une nouvelle forme de « sculpture » qui est vivante et donc capable d’agir dans l’espace. Au cours de l’interprétation de la danse se forment d’innombrables « sculptures » éphémères et surréelles. Pour mieux comprendre la pensée et la philosophie de Merce Cunningham, incarnées dans ses danses abstraites et théâtralisées, je voudrais montrer son portrait intitulé Océan (fig. 87), créé en 1996 par Jasper Johns, qui a fait, en 1964, une œuvre intitulée Numbers (Numéros) sur laquelle Merce Cunningham avait été convié à laisser une trace de son pied droit pour que « Merce Cunningham ait un pied’ dans le nouveau théâtre330 ». Des mouvements de vagues passionnantes déferlant dans l’ Océan de Jasper Johns peuvent être une représentation de la pensée et de la philosophie de Merce Cunningham. C’est-à-dire qu’un Océan de vagues représente un Océan de la pensée cunninghamienne.

330 David Vaughan ; Melissa Harris. Merce Cunningham : fifty years (Merce Cunningham : cinquante ans), op.cit..p. 291. 263

Figure 87. Jasper Johns, Océan, 70cm X 92cm, en 1996.

Après soixante-dix ans de contributions à la danse, son influence remarquable sur la danse et l’art contemporains affirme qu’il a trouvé décidément sa propre « chaise » : sa place, sa position.

Conclusion :

Dans la danse de Merce Cunningham, la chaise est à la fois un support, un représentant d’une personne, une limite. D’un côté, c’est une danse instrumentalisée. De l’autre côté, c’est aussi un instrument qui danse. Merce Cunningham avait créé un langage pour la chaise avec qui il parlait en performance.

Chapitre V

La limite et l’existence dans les œuvres d’art en sièges de 1960 à 1990

Le philosophe allemand Martin Heidegger (1889 - 1976) publia son ouvrage intitulé Être et temps en 1927. Dans cet ouvrage, il introduit que l’authenticité est le but de la vie humaine pendant laquelle on doit saisir son courage pour se confronter avec la mort et réaliser son génie personnel. L’élève de Martin Heidegger, le philosohpe français Jean-Paul Sartre

264

(1905 - 1980) suivit la voie de son maître et développa l’existentialisme. Par son ouvrage intitulé L’être et le néant, publié en 1943, Jean-Paul Sartre prôna que la caractéristique la plus importante de l’existentialisme est la liberté, la responsabilité et le choix de l’individu.331 En 1946, Jean-Paul Sartre publia un autre ouvrage intitulé L’existentialisme est un humanisme. Les années 1950 furent une époque prosaïque, tandis que les années 1960 furent troublantes, inquiètes et agitées. Tous les pays furent confrontés au même problème. En art, le modernisme tardif des années 1960 vit quelques œuvres qui témoignent de la contrainte sociale et de la liberté d’expression artistique. L’existentialisme allait influencer plus ou moins d’abord les artistes occidentaux surtout à partir des années 1960 et ensuite les artistes chinois à partir des années 1980 où l’art contemporain occidental entra en Chine. La question sur l’existence de l’homme domina les intellectuels. Des artistes choisirent d’être existentialistes et lançèrent des questions concernant l’existentialisme dans leurs œuvres d’art conceptuel. Dans ce chapitre, nous parlerons des artistes suivants : Joseph Beuys, Andy Warhol, Stefan Wewerka, Joseph Kosuth, Bruce Nauman.

I Double existence dans la chaise de Joseph Beuys.

I-I Double existence : la graisse animale et l’être humain. Joseph Heinrich Beuys (1921 - 1986), artiste allemand, prôna la doctrine qui dit que chaque personne est un artiste. En suivant ce concept, nous pouvons dire que chaque objet peut faire partie d’une œuvre d’art. L’artiste adoptait les objets quotidiens, ou d’autres objets venus de la nature mais relatifs à l’humanité ou à la vie de l’artiste même dans ses créations artistiques. Par exemple un lièvre mort, un coyote vivant, du feutre, de la graisse animale qui pourraient être considérés comme un « symbole d’énergie332». Ce dernier permit à Joseph Beuys d’accomplir son thème mutuel qui posait toujours des questions sur l’humanisme, l’écologie, la sociologie et l’anthropologie.

331 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 638 - 639. 332 Isabelle de Maison Rouge, L’art comtemporain, au-delà des idées reçues, Paris : La Cavalier Bleu, 2013, p.30. 265

Figure 88. Joseph Beuys, Chaise de graisse, 1963.

L’œuvre de Joseph Beuys, intitulée Chaise de graissse (fig. 88), créée en 1963 et composée d’une chaise et de la graisse animale, est sa biographie qui raconte son aventure. En 1943, à l’âge de 22 ans, comme le raconte Isabelle de Maison Rouge, « l’avion de la Luftwaffe qu’il pilotait a été abattu. Rescapé, Beuys survit auprès de villageois en Crimée qui l’enduisent de graisse et l’enveloppent dans du feutre selon les méthodes traditionnnelles du chamanisme (...)333 ». C’est un véritable miracle. Cette légende nous rappelle un processus émouvant. A ce moment-là, l’artiste devait être entouré par les Tatares qui le sauvèrent avec une méthode traditionnelle. Ce qui peut capturer notre attention pendant ce processus, c’est que dans le moment extrêment dangereux, l’existence de l’artiste fut dépendante de celle de la graisse. Autrement dit, si la graisse n’existait pas, la vie de l’artiste ne pourrait pas exister. C’est très probablement pour cette raison que Joseph Beuys prit la graisse sur une chaise. Maintenant que la graisse existe, l’homme existe donc. Joseph Beuys en donnant la place à la graisse

333 Ibid., p.30. 266 rendit un grand hommage aux Tatares qui le sauvèrent et souligna le sacré et le sublime à travers la banalité des objets ordinaires. Le fil de fer fixé sur la traverse de la chaise pourrait impliquer que cette dernière avait été suspendue. Cela pourrait signifier que l’artiste avait été confronté à la mort dans l’avion et que sa vie y aurait été suspendue. Joseph Beuys a bien modelé la graisse en forme triangulaire qui donne une surface inclinée impliquant la chute. D’ailleurs, cette pente empêche l’homme d’utiliser la chaise qui n’appartient qu’à la graisse.

I-II Joseph Beuys est un homme et un artiste courageux. Joseph Beuys, par cette œuvre, nous raconte un événement au cours duquel il fut confronté au risque qui évolua entre la mort et le vivant. Il convient de parler du concept entre deux polarités pour souligner le courage et l’idée géniale de l’artiste. Nous avons dit que l’existence de la graisse sur la chaise peut impliquer l’existence de l’homme. Mais la première pourrait renvoyer à la mort d’un animal qui avait existé. C’est-à-dire que l’animal devient la graisse. En général, quand un animal est mort, on dit que cet animal n’existe plus. Mais il y a quelque chose qui peut prouver son ancienne existence authentique. Dans ce cas, cette preuve est la graisse. Pourtant, de mon point de vue, Joseph Beuys ne voulut pas démontrer l’existence d’un animal par cette œuvre. Voulut-il alors démontrer la graisse comme sa future existence après sa mort ? Cette question pourrait provoquer la peur de certaines personnes. Mais chez Joseph Beuys qui avait participé à la guerre et vécu donc des dangers, avait-il peur de parler de la question de la mort, à l’âge de 42 ans? Confucius pourrait-il être d’accord avec cette peur ? Quant à la question sur la mort et le vivant, nous pouvons regarder la philosophie chinoise. Selon FENG You Lan334, l’objectif essentiel du chapitre Qi wu lun (Théories des choses diverses) dans l’ouvrage intitulé Zhuang Zi est : parmi toutes les choses, aucune n’est mauvaise et parmi toutes les opinions, aucune n’est incorrecte. C’est-à-dire que toutes les choses existant ont une raison d’être. Mais, pous nous, le correct ou l’incorrect est relatif, cela dépend de la condition dans laquelle on s’engage. En suivant le concept de Zhuang Zi, FENG

334 冯友兰 (FENG You Lan),中国哲学史, 上 ( L’Histoire de la philosophie chinoise, Volume I) (zhong guo zhe xue shi, shang), op.cit., p.138. 267

You Lan dit que parmi toutes les formes existant, aucune n’est mauvaise et que la mort signifie qu’une forme existant se tranforme en une autre. Ce concept soutient que la graisse animale est une nouvelle forme existante de l’animal même. En tant qu’être humain, l’homme est pourvu de la même substance : la grâce qui peut aussi se solidifier comme la graisse animale. La graisse pourrait donc impliquer l’incarnation de l’existence de l’humanité. Quand Joseph Beuys vécut cette expérience légendaire en 1943, il avait 22 ans. A ce moment-là, étant très jeune, il n’aurait pas pu comprendre cette philosophie concernant la mort et le vivant. Mais en 1963, à l’âge de 42 ans, selon Confucius, il devait pouvoir surmonter ses incertitudes335. C’est-à-dire qu’apès des années d’expérience, il devait acquérir la raison (philosophique) pour résoudre le problème émotionnel face à la joie et la tristesse. Il devait reconnaître l’inévitabilité des choses et demeurer calme face à un événement qui se passe. Il devait comprendre que, selon Zhuang Zi, l’évolution du vivant à la mort ne signifie pas un commencement et une fin, mais plutôt une transformation infinie de la substance336. Après vingt ans de réflexion (1943 - 1963), Joseph Beuys trouva la « nécessité 337 » qui était une question centrale de sa vie et montra la graisse sur la chaise avec une certitude, une tranquillité, un sublime. Si Joseph Beuys dit que tout le monde est un artiste, cela voudrait dire que l’art n’est plus limité à la forme traditionnelle et que tous les objets et toutes les actions humaines existant dans le monde pourraient accéder à l’œuvre d’art. Mais, l’art ne devrait pas être si simple que cela, il faudrait que cette personne ait vécu (observé) une « expérience338 » et sache se distancer de cette dernière. Car quand l’artiste montre quelque chose au nom de l’art, il est un observateur de cet événement, non plus le protagoniste ou la victime même. Selon l’esthète ZHU Guang Qian, l’objectivation d’un événement est nécessaire dans la création artistique. Il faudrait se situer sur la place du spectateur

335 孔子 Confucius, Les Entretiens de Confucius (论语) (Lun yu), op.cit., p. 16. Confucius dit : « A quinze ans, je m’appliquais à l’étude. A trente ans, mon opinion était faite. A quarante ans, j’ai surmonté mes incertitudes. A cinquante ans, j’ai découvert la volonté du Ciel. A soixante ans, nul propos ne pouvait plus me troubler. Maintenant, à soixante-dix ans, je peux suivre tous les élans de mon coeur sans jamais sortir du droit chemin. » 336 冯友兰 (FENG You Lan),中国哲学史, 上 ( L’Histoire de la philosophie chinoise, Volume I) (zhong guo zhe xue shi, shang),op.cit., p. 138. 337 Joseph Beuys et Volker Harlan, Qu’est-ce que l’art, op.cit., p. 17. 338 Ibid., p. 21. Joseph Beuys dit qu’il ne peut pas faire l’art qu’en partant de ses propres expériences. 268

(observateur)339. Joseph Beuys lui même s’était aussi distancé de ses débuts 340, c’est-à-dire de ses expériencces personnelles dans lesquelles il fut le protagoniste. Par conséquent, Joseph Beuys ne montra ni la scène de l’acccident, ni l’être humain, mais les objets ordinaires qui sont les témoins directs de l’événement et donc relatifs à l’être humain. C’est pourquoi nous disons que l’idée de Joseph Beuys dans cette œuvre est géniale. C’est une politique dans l’art ou une politique artistique. Andy Warhol, un ami qui avait fait plusieurs portraits de Joseph Beuys, admirait beaucoup l’idée politique de Joseph Beuys. Warhol dit : « J’aime les idées politques de Beuys. Il devrait venir faire de la politique aux Etats Unis. Ce serait génial. Il pourrait devenir président.341 » Joseph Beuys ne fut pas un homme politique, mais par son art, il joua un rôle politique dans le domaine de l’art et influença les artistes et plus ou moins les hommes politiques. En fin de compte, sans le courage, il n’aurait pas pu faire autant de contributions à l’art. D’après ce que nous avons dit dans les lignes plus haut, Joseph Beuys était un homme courageux et pensant qui vécut des expériences parfois douloureuses pendant la guerre dans sa jeunesse et contribua largement à l’art justement avec ses expériences personnelles. Son histoire allégorique et signifiante reflète une humanité souffrante. La vieille chaise très tachée sur laquelle la graisse est placée démontre parfaitement ses expériences souffrantes.

II Double publicités pour la mémoire dans l’art d’Andy Warhol.

II-I La chaise électrique. En 1889, Harold Pitney Brown (1857-1944), ingénieur électrique américain, inventa la chaise électrique (fig. 89) qui utilisait le courant alternatif. Ce dernier est plus dangereux que le courant continu, car il provoque la mort. Cette invention répondit à la recherche d’une exécution dite plus « humaine » sans douleur. Regardons le processus de l’exécution de l’être

339 朱光潜 (ZHU Guang Qian), 谈美 (tan mei) (Le discours sur l’esthétique), (première édition en1988) , Beijing: 新星出版社 (Xinxing Chubanshe), 2015, p.18. 340 Joseph Beuys et Volker Harlan, Qu’est-ce que l’art, op.cit., p. 17. 341 Michel Bulteau, Andy Warhol, le désir d’être peintre, Paris: La différence, 2009, p. 72. 269 humain. Selon l’ouvrage de Gérard Piouffre, intitulé Les grandes inventions342, quand le condamné est assis sur la chaise électrique, des électrodes sont ensuite installées sur sa tête et sur une de ses jambes. La première étape est de lui envoyer une décharge de 2000 volts. Après une pause, une nouvelle décharge de 500 volts est envoyée plus longuement. Ces deux chocs électriques sont suffisants pour provoquer la mort. Le premier condamné exécuté par la chaise électrique fut William Kemmler en 1890 à New York. Cette exécution devint un symbole de la violence et de la mort en Amérique pendant le XXe siècle. Le 2 mai 1960, l’exécution de Caryl Chessman343 eut lieu sur une chaise électrique dans une chambre de gaz de la prison de San Quentin à Californie. Le dernier condamné à la chaise électrique à Sing Sing Correctional Facility fut l’assassin Eddi Lee Ways le 15 août 1963 et cet évènement est l’inspiration originelle des chaises électriques d’Andy Warhol.

Figure 89. Horold Pitney Brown (le premier à gauche) est en train d’améliorer la chaise électrique dans le prison Sing Sing à New York en 1889344.

II-II Double publicité. En 1963, Andy Warhol (1928 - 1987) prit une photographie de la chaise électrique placée dans la prison de Sing Sing Correctional Facility dans lequel 614 personnes furent exécutées sur la chaise électrique dite ‘old sparky’. A partir de cette photographie, Andy Warhol créa à

342 Gérard Piouffre, Les grandes inventions, Paris : Editions First-Gründ, 2013, p.158-159. 343 « Caryl Wittier CHESSMAN », l’information sur l’exécution de sur une chaise électrique en 1960, disponible sur le site : http://murderpedia,org/male,C/c/chessman-caryl-photos,htm, consulté en janvier 2016. 344 « Public Torture of a Dog Spurred Electrical Progress But Edison Shorted Out » ( Torture publique d'un chien stimulé par le progrès électrique, mais (Thomas) Edison est court-circuité), l’information sur la chaise électrique de Harold Pitney Brown, disponible sur le site : https://symonsez,wordpress,com/tag/harold -p-brown-electric-chair/,consulté en janvier 2016. 270 partir de 1963 une série d’œuvres. La première œuvre effectuée est une sérigraphie sur toile et elle est intitulée Double désastre argenté (fig. 90). En 1967, Andy Warhol fit de la même photographie plusieurs toiles avec des couleurs rougeâtres ou bleuâtres ou verdâtres. Il travailla de façon très simple. Selon ses paroles pendant un entretien avec Gretchen Berg en 1967, il ne toucha que la surface des choses qui étaient une sorte de « Braille mental345 » par lequel on pouvait comprendre quelque chose. C’est-à-dire que Warhol retoucha légèrement les images qu’il prit. Dans ses toiles, il n’y a aucune touche ou aucune trace qui soit superflue.

Figure 90. Â gauche : Andy Warhol, Double désastre argenté, acrylique et liquitex, report sérigraphique sur toile, 106.5 x 132cm. La chambre de l’exécution dans le prison de Sing Sing Correctional Facility à New York, 1963. Figure 91. Â droite : Andy Warhol, Grande chaise électrique (une de la série des chaises électriques, Acrylique et sérigraphique sur toile, 137.2 x 185.3cm,1963.

 travers la série des Chaises électriques (fig. 91) de Warhol, on a beaucoup parlé de la société pessimiste et négative, de l’inquiétude du spectateur. Mais selon l’artiste même, ce n’est pas vraiement pas une inquiétude. Ce n’est qu’un rappel d’une mémoire nécessaire du public pour les morts qui étaient autour d’eux. Warhol travailla dans un grand nombre de ses œuvres avec la notion de la mort. En 1962, après un accident d’avion qui tua 129 personnes, il prit la photographie de cet accident affichée dans un journal pour en faire une toile intitulée 129 morts dans un accident de jet (accident d’avion). Le journal avait fait la première transmission de l’information. Warhol fit

345 Hector Obalk, Andy Warhol n’est pas un grand artiste, Paris : Flammarion, 2001, p. 185. 271 la re-transmission. C’est une réaction de l’artiste à la vie sociale. En le faisant, l’artiste mit l’accent sur cet événement important auquel on devait penser. On devait, selon Warhol, penser aux morts qui étaient célèbres ou inconnus346. L’œuvre de Warhol devient une mémoire pure pour les morts. Au-delà de la mémoire, selon l’artiste, il n’y a aucune autre signification ajoutée. En 1962, Warhol créa une œuvre intitulée Suicide avec une seule image montrant une femme qui se jette par la fenêtre. En 1963, Warhol créa un autre Suicide avec la répétition de l’image figurant une fille qui se jette par la fenêtre d’un haut immeuble. Ce sont les morts inconnus auxquels l’artiste voulut que l’on pense. Le souvenir des morts révèle que l’artiste chérit la vie de chacun, car, pour lui, la vie est signifiante. C’est la vie qui l’influençait et l’émouvait. Dans la vie autour de lui, il y avait des gens ordinaires et connus, et des événements ou des problèmes sociaux et politiques. Mais, selon lui, il n’avait rien contre la société, la politique et le pays. Au contraire, il aimait bien les Etats Unis et la vie américaine, les peintres de son temps, car c’est dans cette société que l’on pouvait faire tout ce que l’on voulait. Tout le monde, pas seulement les gens particuliers, pouvait l’influencer347. C’est peut-être à cause de l’amour pour la vie quotidienne que Warhol montrait les produits quotidiens. La répétition des images des produits, des images des morts et des vivants, des images des connus et des inconnus, a une capacité d’attirer l’attention du public et de souligner l’importance de ces existants et finalement d’accentuer l’existence de l’œuvre de l’artiste lui-même. Warhol faisait deux sortes de répétitions. Premièrement, la répétition des images dans une œuvre d’art. Par exemple le Coca, peut constituer une composition d’un grand dessin décoratif et cela est banal et hors de notre discours. Mais au-delà, elle pourrait probablement impliquer la multiplicité ou l’omniprésence de la consommation d’un même type de produits aux quatre coins de la société. Deuxièmement, la répétition d’une même image dans plusieurs œuvres retouchées différemment, par exemple avec les couleurs rougeâtres ou verdâtres ou

346 Klaus Honnef, Andy Warhol 1928—1987, de l’art comme commerce, traduit de l’allemand par Marie-Hélène Meier, Cologne : Taschen, 1988, p. 62 - 63. 347 Hector Obalk, Andy Warhol n’est pas un grand artiste, op.cit., p. 185. 272 bleuâtres ajoutées aux Chaises électriques, pourrait impliquer la diversité des opinions, des attitudes, des sensations et des (ré)actions publiques face à l’événement donné. Si ces deux possibilités sont authentiques, Warhol, d’après la vraie publicité (photographie, journal, etc.), fit une nouvelle publicité au nom de l’œuvre d’art. Cette dernière, dans certain cas, pourrait aussi être considérée comme une représentation de la société consommatrice : consommation des produits, consommation des informations. Cela pose le problème suivant : est-ce que la chaise électrique est un produit de consommation ? Bien évidemment, la multiplicité des œuvres d’après le même motif permit aussi à Warhol de gagner beaucoup d’argent. Même s’il disait qu’il ne s’inquiétait ni de l’argent ni de la vie348. S’il n’avait pas pu réaliser son rêve d’être connu et de gagner sa vie, il n’aurait pas dit cela. De ce point de vue, s’il fit une double publicité, c’est non seulement pour souligner l’importance de l’événement concerné, mais aussi pour gagner davantage d’une manière répétée. Andy Warhol avait choisi d’être une star et une machine qui fabrique les « publicités » d’une manière répétée. Cela pourrait être prouvé aussi par l’analyse du théoricien Therry de Duve349 qui distingue bien les différences entre les arts de deux amis : Joseph Beuys et Andy Warhol. Nous la réduisons en une liste d’opposition : (table 5) Table 5. La comparaison entre Joseph Beuys et Andy Warhol

Joseph Beuys Andy Warhol héros star vitalisme et populisme morbidezza et les mondanités (médiatique) esthétique théâtrale datée par la Comédie humaine esthétique des simulacres datée par Hollywood mythe d’origine et telos à l’histoire fiction du retour éternel et le steady state de la post-histoire le capitalisme est à dépasser le capitalisme est la nature un bourgeois incarne le prolétaire un imigrant d’origine ouvrière est une machine instancier l’art sur la volonté et donc sur un principe de instancier sur le désir et donc sur un principe de production consommation croyait à la créativité ne croyait pas à la créativité l’art est un travail l’art est un commerce

348 Ibid., p. 188-189. 349 Thierry de Duve, Cousus de fil d’or, Beuys, Warhol, Klein, Duchamp, Villeurbanne (France) : Art édition, 1990, p. 28. 273

Joseph Beuys voulut sortir de la classe de la bourgeoisie pour entrer dans la classe du prolétariat pour ensuite travailler davantage, tandis qu’Andy Warhol voulut dépasser sa classe ouvrière pour entrer dans la classe du capitalisme et pour ensuite travailler moins avec la répétition assurée par la machine. Ce dernier avait naturellement décidé d’être une machine qui, selon Marx, est le point de départ de l’industrie, c’est-à-dire du commerce et de la consommation. En somme, puisque Warhol restait très attaché à ce qui se passait et existait autour de lui et représentait une société consommatrice, il était attaché donc à l’humanité, son art, comme celui de Joseph Beuys, est ainsi un humanisme.

III La limite et l’existence dans les chaises de Stefan Wewerka.

III-I La limite effectuée par l’artiste.

Figure 92. Stefan Wewerka, Eckstuhl (chaise d’angle), Buchenholz (hêtre), 1964.

Depuis 1961, Stefan Wewerka (1928 - 2013), designer-artiste-architecte allemand, a commencé à travailler avec l’idée de la limite dans la création artistique concernant le siège.

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Nous parlerons ici d’une de ses œuvres, intitulée Eckstuhl (Chaise d’angle) (fig. 92), créée en 1964, par laquelle l’artiste montre le désir humain de limiter une chaise dans telle ou telle condition. L’artiste créa un grand nombre de chaises avec enthousiasme. S’agit-il de fétichisme ou de l’humanisme ? Peut-être les deux “isme” sont-ils concernés. Mais, l’essentiel est que l’artiste voulut vraiment dire quelque chose par son geste. Nous parlerons donc seulement de l’aspect de l’humanisme que provoque l’œuvre. Par cette chaise, nous percevons probablement trois impressions. La première impression possible est que l’angle du mur est tellement tranchant que la chaise semble être tranchée en deux pièces dont une à gauche, l’autre à droite. Il est certain que cet acte humain fait ‘mal’ à la chaise, si , comme un être vivant, elle avait aussi une sensation. Les murs sont les supports de l’édifice dans lequel nous vivons. Une chaise qui (s’)est jetée ou qui est incarnée dans le mur provoque une sorte de révolte de l’homme contre le support de l’édifice qui implique, du point de vue de l’art, le support d’un organisme ou de l’Etat. Par exemple, que diraient les victimes de la Révolution cultuelle chinoise ? Si la chaise est tranchée en deux pièces séparées, elle ne peut plus avoir de fonction utilitaire et elle pourrait être (re)jetée ou brûlée en tant que matière combustible. La deuxième impression est que la chaise risque de disparaître dans le mur. Cela implique que l’artiste voulut faire disparaître l’identité de la chaise. Ce geste révèle l’innocence de la chaise, puiqu’elle n’est qu’un objet utilitaire ne détenant aucun pouvoir et n’ayant aucune ambition agressive. La disparition de l’identité de la chaise dans le support de l’ édifice peut susciter la disparition de l’identité d’un employé dans le support de son organisme, c’est-à-dire dans le pouvoir d’un organisme dans lequel il travaille. La troisième est que l’artiste voulut cacher le siège de la chaise. Cette façon peut provoquer deux hypothèses dont la première serait d’ignorer la fonction de la chaise ou d’ignorer sa raison d’être, la deuxième serait de limiter son usage public, si elle est utilitaire. De toute façon, le geste de cacher le siège a pour l’objestif de limiter son usage. Ce geste humain entraine la perte de la fonction et la perte de la raison d’être. C’est avec l’idée de la limite que Stefan Wewerka350 créa depuis 1961 d’autres œuvres

350 CF. Volker Fischer ; Andrea Gleiniger, Stefan Wewerka, Architect, Designer, Object artist, (Stefan Wewerka, Architecte, Designer, Objet artiste), Stuttgart (Allemagne) : Axel Menges, 1998, 275 en chaises, par exemple la Chaise de la salle de classe créée en 1970 (fig. 93). Dans une salle de classe, toutes les chaises d’ élèves sont mal formées et donc incapables d’assurer une fonction générale. C’est totalement un rejet des élèves. Quelle sensation avons-nous reçu face à cette situation exceptionnelle?

Figure 93. Stefan Wewerka avec une des chaises installées dans Chaises de la salle de classe, 1970.

Avec l’idée de la limite de l’usage du siège, l’artiste utilisa plusieurs différentes façons de créer. Par exemple, il coupa une chaise en trois parties et jeta la partie du milieu et regroupa les deux parties qui restèrent. Cette façon a pour objectif de réduire la surface du siège jusqu’au point où elle n’est plus capable de supporter le corps de la personne. Parfois, il coupa une chaise et la regroupa pour que le siège soit en forme de V. C’est-à-dire que la surface du siège est devenue tellement creuse que l’on ne peut plus le prendre. Au-delà de couper, regrouper, il installa ou inséra aussi les chaises déjà transformées et donc anormales sur les murs. Cette inscription des chaises sur les murs évoque non seulement la limite de leur usage, mais aussi un conflit avec la peinture qui est généralement installée sur le mur. Ce passage introduit un processus de changement de la puissance qui concerne dans ce cas la (in)capacité du siège et la (im)possibilité de son usage. Il ne s’agit pas d’autre chose

276 que la perte du pouvoir et de l’autorité du côté de l’humanité dans ce processus.C’est-à-dire, une personne, n’étant pas puissante, n’est plus capable de se tenir, comment pourrait-elle avoir un pouvoir? N’ayant pas de pouvoir, comment pourrait-elle assurer une autorité ? (schéma 8) Schéma 8. Un processus de changement de la puissance

puissant → (ré)action de l’artiste impuissant capable → incapable possible → impossible

C’est exactement pour montrer et questionner le processus du changement que Stefan Wewerka travailla. Avec le même principe de travailler, l’artiste créa une autre œuvre par laquelle nous voyons la «fragilité » de la chaise.

III-II La fragilité de la chaise de Stefan Wewerka. En 1966, Stefan Wewerka créa une œuvre en volume intitulée Gummistuhl (chaise de caouchouc) (fig. 94). Sept chaises de caouchouc mal formées ou déformées et donc tombées par terre reflètent la fragilité des chaises et reflètent ainsi la fragilité et l’incertitude de l’humanité à l’époque.

Figure 94. Stefan Wewerka, Gummistuhl(Chaises de caouchouc), 1966 – 1984.

En principe, une chaise doit être solide en terme de fonction générale. Dans l’art, si une chaise devient fragile, c’est la fragilité exceptionnelle qui devient exactement un conflit avec

277 la solidité générale. Il s’agit donc d’« une certaine forme de révolte351 ». Il en résulte un passage important qui existe entre deux pôles extrêmement différents : la « solidité » normale et la « fragilité » anormale. Ce passage se réduit ensuite en un autre schéma : de la normalité à l’anormalité. (schéma 9) Schéma 9. De la solidité à la fragilité

solidité→ (ré) action de l’artiste fragilité normalité→ anormalité

C’est par ce processus de la performance de l’artiste que des arguments se font. L’artiste réagit(crée) avec ses gestes particuliers et personnalisés pour montrer que la personne concernée existe de telle ou telle façon dans telle ou telle condition sociale. En gros, c’est sur la piste de l’existentialisme que l’artiste lança sa recherche.

III-III La conscience de soi dans les œuvres de Stefan Wewerka. Marcel Duchamp, avec la Roue de bicyclette créée en 1913, prit déjà la conscience de l’être d’un objet. Nous pouvons même dire que tous les readymades prirent le concept duchampien. Le concept de Stefan Wewerka n’échappe pas à cette voie, même s’il n’utilisa pas directement les objets, il fabriqua, transforma ou rassembla les sièges. Les chaises fortement limitées de Stefan Wewerka reflètent très probablement les réflexions sur la liberté et la responsabilité de l’homme, la possibilité de se battre avec le conflit, ainsi que la menace, le mépris ou la mort, etc.Le concept de Stefan Wewerka est tout un humanisme. Il est digne de rappeler son précurseur Pablo Picasso qui réagit sur le conflit de la guerre. Pablo Picasso (1881 - 1973) créa une peinture cubiste intitulée Guernica qui interprète la scène inhumaine des bombardements lancés par l’armée de l’air Nazi en 1937. Par des personnages terrorisés, Picasso s’interrogea ce qui se passa pendant la guerre et se demanda où se trouve l’humanisme. Mais cette catastrophe fut suivie par une autre : la deuxième guerre

351 Alin Avila (dir.), Design No Design, Paris : Area revue)s(, N 15 automne/hiver, 2007, p. 128. 278 mondiale qui explosa deux ans après en 1939. L’œuvre de Stefan Wewerka, créée en 1964, vingt ans après deux guerres, lança un point d’interrogation sur l’effet grave des guerres:l’instabilité sociale, l’inquiétude des peuples, l’incertitude de l’homme et la Vertu d’humanité. Avec ses chaises, Stefan Wewerka fit rappel à la conscience de l’être de l’homme.

III-IV L’influence de Stefan Wewerka dans l’art. Au-delà de la notion de limite et d’existence, Stefan Wewerka avec les chaises transformées ou déformées, insérées ou accrochées sur les murs, lança aussi une révolution des arts traditionnels tels que la fresque, le bas-relief, la tapisserie et la peinture qui avaient été sur les murs. Si ses œuvres d’art pouvaient représenter le rôle du design, puisque Stefan Wewerka est après tout le designer du mobilier, son geste pourrait aussi impliquer un défi lancé aux arts traditionnels par le design. A partir de l’invention de Stefan Wewerka, une nouvelle forme d’ œuvre d’art s’ajoutait aux murs, c’est le siège. Stefan Wewerka effectua une déclaration d’un nouveau concept artistique qui allait nourrir les artistes occidentaux qui le suivirent. Je n’ai pas trouvé de sources verbales qui peuvent expliquer que le concept de Stefan Wewerka a exercé une influence sur les concepts des artistes chinois, par exemple, CHEN Zhen et AI Wei wei. Mais leurs œuvres montrent une similarité conceptuelle avec les chaises de Stefan Wewerka. Les chaises de Stefan Wewerka, créées depuis le début des années 1960, constituent un embryon de l’art conceptuel qui s’étendit officiellement au milieu des années 1960. Nous allons parler de l’artiste américain Joseph Kosuth qui est l’un des fondateurs de l’art conceptuel. Dans ses œuvres, l’existentialime est interprété d’une façon différente.

IV La liberté d’exister du siège dans les œuvres de Joseph Kosuth.

En tant qu’individu libre, on est pourvu de toute liberté d’exister de la façon que l’on préfére. Joseph Kosuth (né en 1945), artiste américain, interpréta cette liberté par son art conceptuel. Il étudia au Cleveland Art Institute, à Paris, et voyagea en Europe y compris Berlin, entre 1963 et 1964. Ensuite, il étudia à la School of Visual Arts de New York de 1965 à

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1967. C’est à New York qu’il créa son œuvre intitulée One and three chairs (Une et trois chaises) (fig. 95) en 1965 à l’âge de 20 ans. La façon de présenter et le concept de l’art de Joseph Kosuth sont très différents par rapport à Marcel Duchamp et Stefan Wewerka. Mais qu’est-ce que son concept ? Et que son concept veut-il dire ? L’artiste reste-il seulement dans la démonstration des façons d’exister des objets ? Autrement dit, fait-il l’art uniquement pour l’art ?

Figure 95. Joseph Kosuth, Une et trois chaises, (chaise,photographie,texte), 1965.

Cette œuvre est composée de trois éléments : une chaise matérielle, une photographie de cette chaise de même taille que la réelle, un texte qui décrit la signification de la chaise ainsi que sa fonction sociale : fonction ordinaire et fonction de l’autorité. Voici le texte originel (il est intégré en langue locale selon le lieu de l’exposition) :

Chair (châr), n. (OF. Chaire), L. Cathedra : see cathedra.) A seat with a back, and often arms, usually for one person ; a seat of office or authority, or the office itself ; the person occupying the seat or office, esp. The chairman of a meeting ; a sedan-chair ; a chaise, a metal block or clutch to support and secure a rail in a railroad. Par ce texte, nous percevons que ce n’est plus une chaise ordinaire qui attend d’être utilisée mais d’être comprise. Il y a deux interprétations possibles. Le premier point concerne un portrait conceptuel de la chaise. Le deuxième point concerne la conscience d’exister de la

280 chaise et de l’homme.

IV-I Un espace logique. Comme Bruce Nauman, Joseph Kosuth partage l’idée de Ludwig Wittgenstein (1889 - 1951), philosophe autrichien-britannique et élève du philosophe Bertrand Russell, qui défendit que le langage est l’essence de la philosophie et que la philolophie traditionnelle devrait être subvertie352. Avec cette idée, que Joseph Kosuth allait-il subvertir ? Ludwig Wittgenstein dit : « 3.203 Le nom signifie les objets. L’objet est ses significations.353 » Dans l’œuvre de Joseph Kosuth, le nom « chaise » signifie la chaise matérielle placée devant le mur. En revanche, cette chaise matérielle est les significations du nom « chaise ». Cela sous-entend que ce qui peut expliquer le nom verbal est matériel. Pourtant, si la chaise matérielle explique (représente) le nom, qui peut expliquer et repésenter cette chaise même ? Pour cela, Joseph Kosuth a attaché sur le mur un texte expliquant la forme et la fonction matérielle et immatérielle de la chaise matérielle. Ludwig Wittgenstein dit : « 2.17 Ce que l’image (ou la photographie) doit avoir en commun avec la réalité afin de la représenter après sa manière juste et faute, est sa forme de représentation.354 » La photographie de Joseph Kosuth est capable de représenter la réalité :la chaise matérielle. Revenons au nom (titre) de l’œuvre Une et trois chaises. Ce nom est expliqué par l’œuvre, celle-ci est composée d’une chaise matérielle qui est interprée par deux autres formes de « chaises » : le texte et la photographie. Ces éléments, composants de l’œuvre, sont les significations du nom (titre) Une et trois chaises. Joseph Kosuth, en montrant cettte œuvre, a établi une double logique, c’est la logique entre le nom « chaise » et ses significations assurées par les éléments liés à la chaise, et la logique entre le titre de l’œuvre et ses significations assurées par l’ensemble de l’œuvre. La deuxième logique a pour objectif de démontrer la première, puisque le titre Une et trois chaises montre déjà une chaise dont peuvent dériver trois. Cette double logique est

352 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 638. 353 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, op.cit., p. 47. 354 Ibid., p. 41. 281 conceptuelle, non traditionnellement artistique, car l’artiste se détache du rapport des couleurs, de la perspective et de la construction, et d’autres facteurs dont des peintres s’occupent. Les objets quotidiens, pour Joseph Kosuth, sont tout à fait conceptualisables, ainsi l’œuvre d’art composée des objets conceptualisés est-elle conceptuelle. En présentant ces éléments dans un mêm lieu, Joseph Kosuth a tenté, me semble-t-il, de construire un espace logique avec les éléments conceptualisés (ou avec le désir de conceptualiser les objets). « 3.1431 La nature essentielle de la proposition devient très claire quand on imagine qu’elle constitue les objets spatiaux (tels que tables, chaises, livres) au lieu des signes écrits. 355 » dit Ludwig Wittgenstein. Selon lui, l’ensemble de ces éléments constitue un « signe propositionel » qui est un « fait ». C’est un des faits qui constituent le monde.

IV-II Un portrait conceptuel. Le texte imprimé et installé sur le mur devrait être considéré comme un portrait de la chaise matérielle. C’est un portrait verbal donc conceptuel. Et la photographie est un portrait qui nous est familier.Trois éléments: la sculpture, la photographie et le texte, portent chacun des langages différents pour présenter la même chaise : langage matériel, langage visuel et langage verbal. Cette présentation photographique et verbale tend à prouver l’authenticité de l’existence de la chaise. Ce qui est nouveau, c’est le concept de l’artiste : il utilisa une nouvelle façon de présenter l’essence de l’œuvre. C’est-à-dire que le concept d’art a changé. Joseph Kosuth dit que « l’essentiel de l’expression artistique est le concept, non pas la forme qui n’est qu’un outil à exprimer le concept.356 » et que le « formalisme limite les possibilités pour l’art 357 » et que « l’essence de l’art n’est pas la valeur esthétique de l’œuvre, mais est comment le concept de l’œuvre pose des questions sur la nature de l’œuvre. 358» Par les phrases de Joseph Kosuth et par son œuvre Une et trois chaises, nous voyons une plus

355 Ibid., p. 47. 356 Alexander Brandt, 新艺术经典:世界当代艺术的创意与体现 (Nouvel art classique:la créativité et la présentation de l’art contemporain mondial)(xin yi shu jing dian :shi jie dang dai yi shu de chuang yi yu ti xian), op.cit., p.235. 357 Ibid., p.234 358 Idem. 282 grande liberté de l’art par rapport à l’œuvre de Stefan Wewerka. La question que le concept de l’œuvre de Joseph Kosuth pose est justement sur la liberté de l’expression de l’art dont la forme n’est plus essentielle comme auparavant. Visuellement et psychologiquement ou peut-être habituellement, il est possible que notre regard passe d’abord à la première « chaise » en sculpture, en suite à la deuxième « chaise » en photographie, enfin à la troisième « chaise » verbale. Du réel au virtuel, l’œuvre implique probablement l’évolution historique du concept de l’art: la sculpture—la photographie—l’art conceptuel. Pour Kosuth, l’essence d’une œuvre d’art n’est pas la stimulation des organes ou le mode de la forme relationnelle, mais c’est le design que l’artiste veut établir pour spectateur359. Après ce travail, Joseph Kosuth a créé une autre installation de la même façon One and Three Lamps en 1965( Une et trois lampes). Mais il ne s’était pas contenté de s’arrêter là, le même concept et la même construction furent utilisés dans sa nouvelle œuvre intitulée One and Three Chovels ( Une et trois pelles), créée en 1965. C’est un hommage à Duchamp dont l’un des readymades est une pelle à neige.

IV-III La conscience de l’existence individuelle. Ces trois œuvres, dont la façon de créer et la construction sont identiques, prouvent que Joseph Kosuth avait certainement l’intention très forte de défendre son concept et que l’on devait le prendre au sérieux. Quel concept ? C’est le concept sur l’existentialisme: c’est ce que nous allons argumenter. Sur la question de l’être en soi, Jean-Paul Sartre dit : « La conscience est révélation-révélée des existants et les existants comparaissent devant la conscience sur le fondement de leur être.360 » Cette idée correspond parfaitement au concept de Joseph Kosuth dans ces trois œuvres. D’abord, quelle est la conscience de l’homme sur la chaise ou qui révèle cette conscience ? A cet égard, Joseph Kosuth montre deux éléments

359 Edward Lucie-Smith, Visual arts in the twentieth century, (Arts visuels au 20e siècle) (permière édition en 1996, Londres : Laurence King), traduit de l’anglais par PENG Ping (彭萍), Beijing : Zhongguo Renmindaxue Chubanshe 中国人民大学出版社, 2007, p. 319.

360 Jean-Paul Sartre, L’être et le néant, Essai d’ontologie phénoménologique, Paris : Gallimard, 1943, p. 29. 283 différents:photographie et texte. C’est la photographie qui dévoile visuellement ce qu’est la chaise à propos de sa forme, et puis c’est le texte qui explique linguistiquement et intellectuellement ce qu’est la chaise à propos de sa définition. Et puis, la chaise matérielle en tant qu’existant se présente devant la conscience (la photographie et le texte). Sur la question du sens de l’être, Jean-Paul Sartre dit : « Toutefois, la conscience peut toujours dépasser l’existant, non point vers son être, mais vers le sens de cet être. 361 » Nous suivons l’idée de Jean-Paul Sartre en regardant le concept de Joseph Kosuth. C’est en prenant conscience de l’être de la chaise que Joseph Kosuth dépasse l’existant (chaise) vers le sens de son être (chaise). En conclusion, prenons la phrase de Jean-Paul Sartre, « le sens de l’être de l’existant, en tant qu’il se dévoile à la conscience, c’est le phénomène d’être.362 » Trois œuvres de Joseph Kosuth, composées toujours de trois éléments:objet, photographie et texte, présentent un phénomène de l’être du siège. Jean-Paul Sartre défendit le fait que l’existentialisme est un humanisme. Si l’artiste s’arrêtait dans son propre univers et à la défense de l’existence des objets, son concept d’art serait moins intéressant et moins significatif. Il nous faut poursuivre l’humanisme dans l’art. Cette œuvre implique sans doute d’autres choses dans une plus large mesure. Il faut prendre la conscience de l’être de l’homme même, comme l’artiste le fit pour le siège. Il s’agit ici de la façon de l’être de l’homme et de la liberté de l’être de l’homme. Dans l’œuvre de Joseph Kosuth, une chaise a toute liberté d’exister d’une telle ou telle manière. L’existence de la chaise est authentique. Cette authenticité d’un meuble mis en œuvre d’art pourrait nous faire penser à l’authenticité de l’être de l’artiste et de toute l’humanité. Nous pouvons ainsi dire que ses œuvres accomplirent une mission importante dens la diffusion de ce nouveau concept. Pendant les années 1960, Joseph Kosuth ne fut pas le seul artiste conceptuel américain qui, par l’utilisation ou la transformation d’une chaise, tendit à sortir de la limite traditionnelle de l’expression artistique et chercha l’authenticité existentielle de l’humanité. Avec les mêmes questions, nous allons parler de Bruce Nauman dans le chapitre suivant.

361 Idem. 362 Idem. 284

V Le délaissement et l’existentialisme dans la chaise de Bruce

Nauman.

Pendant les années 1960, la question posée sur l’existence et la liberté personnelle fut une problématique importante dans l’art et dans toute la communauté internationale. Bruce Nauman, né en 1941, artiste conceptuel américain, s’engagea aussi sur cette piste artistique et évoqua le minimalisme dans l’art.

V-I Le processus de la manipulation.

Figure 96. Bruce Nauman, A cast of space under my chair, (un moulage de l’espace sous ma chaise),1965.

En 1965, Bruce Nauman créa une œuvre conceptuelle dans laquelle l’artiste utilisa la chaise d’une nouvelle façon. Cette œuvre est intitulée A Cast of Space under My Chair (Un moulage de l’espace sous ma chaise) (fig. 96). L’artiste emplit l’intérieur d’une chaise ordinaire qui nous est familière avec du béton de ciment. Lorsque ce dernier fut sec, l’artiste enleva la chaise et l’œuvre fut achevée. Il put être difficile pour l’artiste d’enlever la chaise sans la déconstruire, car les trois traverses bloquèrent le béton et l’artiste ne pouvait la tirer

285 vers aucune direction :ni le haut ni le bas ni à gauche à le droite. Malgré la déconstruction et la disparition de la chaise, il reste un espace solide de l’intérieur de la chaise. La sculpture achevée est donc le témoin solide qui peut prouver l’authenticité de l’existence de la chaise déjà disparue. Le processus de production de l’œuvre de Nauman provoque deux paires de questions : contruction et déconstruction, existence et inexistence. La construction de l’œuvre reflète aussi la contruction de la tradition. La déconstruciton de la chaise pourrait aussi provoquer la déconstruction de la tradition. La décontruction est aussi une sorte d’abandon de l’ancienne forme. Selon la (ré)action de l’artiste, ce qui reste est la chaise imaginaire : une nouvelle forme, et voilà, un nouvel art est créé. Bruce Nauman lui même dit qu’il faut d’abord conquérir décisivement la convention dans l’aspect de la sculpture et puis la détruire agressivement363. (shéma 10) Schéma 10. La construction et la déconstruction dans l’œuvre de Bruce Nauman

construction déconstruction œuvre achevée (ré)action de l'artiste→→→ existence de la chaise inexistence de la chaise chaise réelle chaise imaginaire tradition nouvel art

Dans la production traditionnelle de la sculpture en plâtre, on fait d’abord un moule pour ensuite modeler une sculpture. Dans le construction architecturale, on utilise des matériaux, par exemple des planches de bois, pour former une colonne ou une forme désirée. C’est une façon très ancienne. Pour former une chaise en sculpture, en principe, on devrait aussi faire un moulage et le remplir ensuite avec des matériaux choisis. A la fin, on prend l’objet bien formé en laissant le moulage. Mais Bruce Nauman s’engagea en sens inverse. Il utilisa la chaise (objet) pour modeler son « moulage ». A la fin, l’objet fut détruit, et le « moulage » fut gardé. C’est une sorte de réaction artistique du phénomène américain : Counter Culture (contre

363 Constance Lewallen ; Robert Storr ; Anne Middleton ; Berkeley art museum and Pacific film archive, coauteur ; Castello di Rivoli, coauteur ; Menil collection, coauteur, A rose has no teeth : Bruce Nauman in the 1960s, (Une rose n’a pas de dents : Bruce Nauman dans les années 1960), Berkeley (Etats Unis) : University of California Press, 2007, p.120.

286 culture) qui s’étendit aux Etats Unis pendant les années 1960 et 1970. Selon Constance M. Lewallen364, c’est une œuvre qui contre la tradition et contre la forme. Il s’agit de l’art du processus. Elle est anti-forme et anti-convention. Au cours de la construction, la chaise et le moulage existèrent tous deux, à la fin de la création, la chaise disparut, mais son « moulage » resta. L’œuvre de Nauman évoque donc une évolution de la chaise : de la présence à l’absence, soit, de l’existence à l’inexistence. Si nous pouvons prendre le titre de l’ouvrage de Jean-Paul Sartre, il s’agit d’une évolution qui passe de l’Etre au Néant. A la fin, nous sommes conduits à l’existentialisme. Selon l’ouvrage de Constance M. Lewallen intitulé A rose has no teeth, Bruce Nauman in the 1960’s (Une rose n’a pas de dents : Bruce Nauman dans les années 1960), la chaise laisse un espace palpable365, et l’œuvre est une mutation triomphale du Minimalisme et atteint son apogée366. Cela mérite une comparaison. Joseph Kosuth utilisa, dans l’œuvre intitulée Une et trois chaises, trois éléments pour prouver l’existence de la chaise, tandis que Nauman ne prit que le moule de la chaise qui peut nous faire penser à l’existence de la chaise et nous mettre aussi dans l’imagination de la forme de la chaise. Cela correspond parfaitement au principe du minimalisme : « less is more » (moins est plus). Le passage provoqué par l’artiste évolue de la présence à l’absence et ensuite à l’imagination de la présence. Le ‘destin’ tragique de la chaise est ainsi : (schéma 11)

Schéma 11. Le ‘destin’ de la chaise utilisée déconstruite rappelée

Ce passage nous conduit à poser une question : pourquoi l’artiste veut-il faire appel à l’existence de la chaise qui a été utilisée et déconstruite? Sur cette question, il y a probablement trois points à aborder. Premièrement, il s’agit du temps et aussi de l’histoire, car le processus de travail qui contient deux étapes : construction et déstruction, prit un jour ou deux. A la fin du travail, on

364 Ibid., p.15. 365 Ibid., p.136-139 366 Ibid., p.15 287 voit qu’il ne reste plus qu’une trace historique. Cette dernière est le témoin historique du travail humain. Deuxièmement, ce processus montre aussi le rôle important de l’art traditionnel(la tradition). C’est sur la tradition que la nouvelle culture est fondée. Autement dit, l’art traditionnel, malgré l’existence de l’anti-tradition, est incontournable pour l’art aujourd’hui. Il existe probablement toujours une trace historique dans l’œuvre d’art contemporaine. Troisièmement, le moule qui reste garde un espace(une place) pour la chaise. Il s’agit donc d’une « place » personnelle, si nous pouvons penser à l’humanité. « Le point dans l’espace est un lieu pour la discussion367 » déclarèrent Wittgenstein et Joseph Beuys. Dans l’œuvre de Nauman, le point à discuter est la place laissée qui est gardée par le moule de la chaise. Cela mérite de citer une phrase de l’ouvrage intitulé Bruce Nauman : Topological Gardens : « La forme artistique n’existe que quand elle est perçue dans l’espace reflétant l’activité kinesthésique de notre imagination.368 » La place et la trace qui sont laissées nous invitent dans l’imagination de la forme déjà présentée et maintenant absentée. Voilà une nouvelle façon de présenter la forme.

V-II Les questions posées à l’existentialisme. Nous avons parlé du processus de réalisation de la sculpture. C’est justement par ce processus que les questions philosophiques se posent. Dans la pensée de Lao Zi, ‘avoir’ signifie ‘plein’ dont l’opposition est ‘vide’, puisque ce qu’il y a dans le monde existe réellement. Le ‘avoir’ signifie aussi ‘existence’ dont l’opposition est ‘inexistence’. La phrase de Lao Zi « ‘avoir’ est la mère de toutes les choses» pourrait être interprétée comme « l’existence est la mère de toutes les choses » . A travers l’existence, selon Lao Zi, on peut observer la forme de l’être de l’existant. Dans ce point de vue, Lao Zi aurait pris Bruce Nauman dans ses bras grâce à son concept d’art. Prenons quelques idées de Ludwig Wittgenstein qui dit : « 4.01 Le proposition est une image de la réalité. La proposition est un modèle de la réalité telle que l’on pense qu’elle

367 Ibid.,p.139. 368 Carlos Basualdo (édi.), Bruce Nauman :topological garden : installation views (Bruce Nauman : jardin topological: vues d’instatllation), catalogue organisé par Carlos Basualdo ; essaies par Carlos Basualdo, Erica F. Battle, Marco De Michelis. etc., Philadelphia (Etats Unis) : Philadelphia Museum of Art, 2010. p.73 288 soit 369 » Dans cette œuvre de Bruce Nauman, la proposition devrait être la « chaise imaginaire » qui reste dans l’espace. Si « 3.4 La proposition détermine une place dans l’espace logique : l’existence de la place logique est garantie par l’existence des éléments constitutifs seuls et par l’existence de la proposition significative.370 » C’est cette « chaise imaginaire » qui détermine une place logique garantie par l’existence du moulage et la trace marquée sur celui-ci. Dans Les investigations philosophiques371, Ludwig Wittgenstein fait une réflexion sur l’illusion de l’existence et l’illusion de la disparition. Supposons qu’il y ait une chaise et je vais la prendre, mais elle est absente de ma vue. Par conséquent, ce n’est pas une chaise, mais une sorte d’illusion. Un moment après, je la vois encore et je suis capable de la toucher. Par conséquent, la chaise était là-bas et sa disparition n’était qu’une sorte d’illusion. Au début de la création de l’œuvre de Bruce Nauman, la vraie chaise était présente là-bas, au moment où elle est enlevée, l’œuvre est achevée. Il me semble que l’œuvre achevée prétende montrer une double illusion : l’illusion de l’existence et l’illusion de la disparition. L’œuvre de Bruce Nauman pose aussi des questions sur le rapport entre l’existence et l’essence. Il est clair que dans le cas de Bruce Nauman, l’existence précède l’essence, car c’est la chaise matérielle qui existe d’abord, sa sculpture modelée défnit et renvoie à la forme imaginaire de la chaise matérielle. Ce qui reste est un mode d’existence imaginaire donc ‘vide’, c’est dans ce ‘vide’ que nous sommes conduits à poser la question sur l’essence de la chaise matérielle, c’est-à-dire, sur l’essence de l’existence en général. Nous pouvons prendre directement une phrase de Jeau-Paul Sartre dans notre discours, même s’il ne parle pas de la chaise. A propos de l’idée que nous avons dite, il dit : « Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après. 372 » Donc, en terme de l’ontologie de l’objet, la sculpture de Bruce Nauman est une définition de la chaise qui existe d’abord.

369 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, op.cit., p. 63. 370 Ibid., p. 61. 371 Ludwig Wittgenstein, Philosohpical investigations (Les investigations philosophiques), (première édition en 1953 en Allemand, Allemagne), traduit en anglais par G.E.M.ANSCMBE, 1964, Beijing: 中国社会科学出 版社 (Zhongguo Shehuikexue Chubanshe), 1999, P. 38. 372 Jean-Paul Sartre, L’existencialisme est un humanisme, Paris : Gallimard, 1996, p. 29. 289

Au-delà de la question sur le rapport entre l’existence et l’essence, l’idée de Bruce Nauman montre aussi que « l’homme est ce qu’il se fait. 373 » et que « l’homme est responsable de ce qu’il est374 » . La question de l’existence peut appliquée dans la performance de Bruce Nauman, filmée en vidéo dans son atelier en 1966, intitulée Failing to levitate in the studio (Défaillant de flotter dans mon atelier) (fig. 97). « 4.112 L’objet de la philosophie est la clarification logique de la pensée. La philosophie n’est pas une théorie mais une activité.375 » dit Ludwig Wittgenstein, nous pouvons ainsi dire que les activités artistiques sont liées à la pensée et à la philosphie. Peindre des dessins, créer une sculpture, faire une performance, filmer une vidéo sont des manières de penser et de réfléchir. Même un geste simple pose quelques questions philosophiques. L’artiste dont la tête est soutenue par une chaise, les pieds par une autre, veut(ou imagine) flotter dans le ciel, pourtant c’est raté. En réalité, personne y compris l’artiste ne pourrait léviter dans l’air. Le processus de cette performance montre celui de l’évolution psychologique de l’artiste qui part de l’espoir motivé et arrive au « néant »: (schéma 12)

Schéma 12. De l’espoir au néant espoir→ performance de l’artiste néant

Cette évolution psychologique reflète probablement une réflexion de l’incertitude mentale de la personne : l’incertitude de la raison d’être, l’incertitude de la façon d’être, l’incertitude de l’authenticité de l’existence personnelle. Cette incertitude peut se traduire en une certaine angoisse et renvoie à l’instabilité politique, économique et sociale dans le monde entier pendant des années 1960 (nous avons parlé de cette situation sociale)376.

373 Idem. 374 Ibid., p. 31. 375 Ludwig Wittgenstein, Tractatus Logico-Philosophicus, op.cit., p. 77. 376 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p. 663. 290

Figure 97. Bruce Nauman, Failing to levitate in my studio (défaillant de léviter dans mon atelier), performance filmée en vidéo,1966

L’angoisse conduit à l’action, non pas à l’inaction. Dans cet aspect, Jean-Paul Sartre dit : « Il ne peut pas ne pas avoir, dans la décision qu’il prend, une certaine angoisse.Tous les chefs connaissent cette angoisse. Cela ne les empêche pas d’agir, au contraire, c’est la condition même de leur action ; car cela suppose qu’ils envisagent une pluralité de possibilités et lorsqu’ils en choisissent une, ils se rendent compte qu’elle n’a de valeur que parce qu’elle est choisie.377 » Autrement dit, l’angoisse précède l’action, autrement dit, l’angoisse de la personne est une condition de son action (performance). La performance de la personne exprime en revanche ses reflexions personnelles. Celles-ci peuvent être abordées dans l’œuvre d’art en tant que valeur artistique, car elles peuvent aussi susciter les réflexions du spectateur. De la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp à Une et trois chaises de Joseph Kosuth, à la Chaise d’angle de Stefan Wewerka et à Un moulage de l’espace sous ma chaise de Bruce Nauman, enfin aux Chaises de caouchouc de Stefan Wewerka, tous les trois artistes utilisèrent les chaises dont la forme nous est familière. Maintenant, nous allons parler des chaises dont la forme nous est nouvelle.

VI La transformation et l’existence dans le Caddie d’Olivier Mourgue

377 Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, op.cit., p. 36 - 37. 291

Olivier Mourgue ( né en 1939 à Paris), designer français, fut élève de l’Ecole Boulle et puis de l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Paris. Il a été professeur à l’Ecole supérieure d’arts de Brest jusqu’en 2012 où il prit sa retraite. Dès 1966, il commença à créer des meubles pour Renault et Prisunic et le Mobilier national. Les sièges Djinn qu’il conçut entre 1965 et 1968 furent utilisés dans le film intitulé 2001: A Space Odyssey réalisé par Stanley Kubrick et sorti en 1968.378 Pourtant, ces sièges demeurent dans le cadre du design, car, bien qu’ils soient pourvus d’un caractère à la fois nouveau et artistique, ils sont utilitaires et leur fonction conventionnelle (s’asseoir) est leur aspect essentiel.

VI-I La transformation d’un objet en un autre.

Figure 98. Olivier Mourgue, Caddie, chaise à roulettes,acier, haut :79cm, large : 45cm, long : 46cm, 1968.

En 1968, il créa une œuvre d’art intitulée Caddie (fig. 98), une chaise à roulettes. L’artiste la créa en transformant un chariot utilisé dans un magasin. Après la transformation, le panier du chariot devint le siège du Caddie d’Olivier Mourgue. Cette « chaise » suscite deux problèmes. D’un côté, c’est un chariot qui n’ayant pas de panier est dépourvu de la fonction conventionnelle. C’est-à-dire que l’on ne peut plus l’utiliser pour faire les courses dans un

378 « Olivier Mourgue », disponible sur le site : https://fr.wikipedia.org/wiki/Olivier_Mourgue, consulté en Octobre 2015. 292 magasin. De l’autre côté, c’est une chaise qui, étant à la fois inconfortable puisqu’elle est métallique et instable car elle n’est pas équipée de freins sur les roulettes, est privée de la fonction conventionnelle. C’est-à-dire que l’on ne peut plus l’utiliser comme un siège normal. Sa fonction étant limitée et conditionnée puisqu’elle est déjà transformée, le « caddie » d’Olivier Mourgue n’est donc ni chariot ni chaise. Elle n’est qu’un « simulacre ». La technique importante de la création d’Olivier Mourgue est la transformation de le fonction après la transformation (le changement) de la forme. C’est-à-dire que l’on transforme un objet en un autre pour transformer (changer) sa fonction originelle en une autre. C’est cette façon de travailler qui nous conduit à poser des questions sur deux pôles du processus du changement. Le Caddie pourrait être considéré comme un conflit à la fois du design et de l’art. Il y a une liste des questions à poser. D’abord, dans l’aspect du design, qu’est-ce que le design aujourd’hui ? Au-delà de la conception originale, pourrait-il s’agir de la transformation d’un objet utilisé ? Pourrait-il s’agir du recyclage qui nous offre un double avantage : faire les économies et protéger l’environnement de la planète? Et puis, dans l’aspect de l’art, nous prenons la question posée par Nelson Goodman379 : quand y a-t-il art ? Le processus de la création d’Olivier Mourgue commença par l’objet normal et arriva à l’objet anormal par rapport à l’ancien objet. L’artiste transforma la forme d’un objet pour qu’il devienne autre. Quand l’œuvre fut achevée, l’ancienne fonction n’existait plus, une nouvelle fonction arriva :fonction utilitaire ou fonction artistique. (schéma 13)

Schéma 13. Le processus de la création d’Olivier Mourgue

objet normal→ (ré)action de l’artiste objet anormal (autre objet) normalité→ anormalité fonction originelle→ nouvelle fonction

VI-II L’évolution d’un existant à un autre. Nous avons dit que l’œuvre d’Olivier Mourgue démontre l’évolution d’un objet à un autre, puisque le premier objet est déjà un existant et que l’objet déjà transformé est un nouvel existant. Le concept que défend Oliver Mourgue implique aussi l’évolution d’un existant vers un autre. Le deuxième existant n’oublie pas le premier, car dans la forme du deuxième objet,

379 Jean-Pierre Cometti, Art, représentation, expression, op.cit., p. 22. 293 nous pouvons trouver son origine (le premier objet). Les deux existants sont à la fois indépendants et liés. Leur relation est bidirectionnelle. L’artiste mit en contact deux existants ou les relativisa. C’est une technique importante dans la création artistique et dans le design, car elle peut manifester un contraste et une relativité qui intéressent l’homme. Le Caddie d’Olivier Mourgue fut la première transformation d’un chariot du magasin et elle allait fasciner ses héritiers dont nous parlons prochainement.

VII La chaise suspendue de Bruce Nauman.

La suspension d’un objet particulier dans une œuvre d’art contemporaine est une sorte de limite en terme d’expression artistique. Mais cette limite allégorique n’est pas suscitée par l’artiste même, mais par la société dans laquelle certains droits de l’homme sont suspendus ou limités. En tant qu’observateur du quotidien, l’artiste traduit la suspension quotidienne dans l’œuvre d’art, ce talent est remarquable.

VII-I L’interprétation de la limite sociale.

Figure 99. Bruce Nauman, South American Triangle (Triangle sud américain), 99.1X429.3X429.3 cm, 1981.

Dans l’œuvre de Bruce Nauman intitulée « South american triangle » (Triangle sud américain) (fig. 99), créée en 1981, la chaise est renversée et puis suspendue au plafond et

294 limitée dans le cadre du trangle. Le son (musique mécanique) qui est donné par l’entrechoquement entre la chaise et la circonférence du métal nous exprime une douleur. Plus la chaise veut sortir du cadre, plus elle est frappée et « blessée » par le triangle en métal. Donc, pour ne pas être frappée et blessée, il faut que la chaise reste tranquillement dans le cadre sans bouger. Pourtant, elle ne peut pas s’arrêter toute seul. L’œuvre de Bruce Nauman exprime une condition humaine sérieuse et misérable qui cause la colère et l’inquiétude, et, selon l’ouvrage intitulé Bruce Nauman : Topological Gardens, la torture et la violence cachées 380 . Cette œuvre questionne « la liberté de l’homme381 », car en réalité, il s’agit de l’histoire d’un journaliste argentin, Jacobo Timerman. Ce dernier publia en 1981 un livre intitulé Prisonero sin nombre, celda sin número (prisonnier sans nom, cellule sans numéro) dans lequel il décrit son expérience douloureuse et inhumaine chez le ravisseur qui l’avait fait asseoir sur une chaise et lui donna des ordres tellement embarassants que le journaliste perdit sa dignité382. La torture et la violence en Amérique latine étaient si violentes que Nauman n’osait plus regarder les objets qu’il avait installés. Bruce Nauman avait une inquiétude à propos de la condition humaine383. La chaise, le représentant (ou la représentation) de l’homme, empêchée de jouer, se trouve tout seul dans un coin384. Etant renversée et conditionnée et heurtée, à la fin traumatisée et épuisée, la « personne » (chaise) dans le Triangle sud américain n’a ni liberté, ni pouvoir, ni autorité. Elle ne peut plus se débattre avec le conflit violent que l’on lui fait. Elle attend avec impatience d’être libérée et sauvée. La chaise suspendue de Bruce Nauman pourrait représenter la situation personnelle pénible d’une des victimes. Quant à la façon de créer, Nauman renversa, suspendit, limita la chaise. Cette façon est

380 Carlos Basualdo (édi.), Bruce Nauman :topological garden : installation views (Bruce Nauman : jardin topological: vues d’instatllation), op. cit., p.78-79. 381 Christine Van Assche ; Jean-Charles Masséra, Nauman Bruce : image-texte, 1966-1996, traduit de l'anglais par Jean-Charles Masséra. Paris : Centre Pompidou, 1997. p.112. 382 « Shit in your hat, head on a chair » (Merde sur ton chapeau, tête sur une chaise) , disponible sur le site : https://coleccion,caixaforum,com/en/obra//obra/ACF0496/ShitinyourHatHeadonaChair%3Bjsessionid=C15F A59A37DD851B4D0B5A074AB3B7BB, consulté en décembre 2015. 383 Carlos Basualdo (édi.), Bruce Nauman :topological garden : installation views (Bruce Nauman : jardin topological: vues d’instatllation). op.cit.. p. 78. 384 Christine Van Assche ; Jean-Charles Masséra, Nauman Bruce : image-texte, 1966-1996.op.cit.. p. 112. 295 nouvelle et différente de celle qu’il utilisa avant 1980. Une nouvelle façon de créer peut susciter une nouvelle compréhension de l’œuvre. Cette mutation de la conception artistique lance une révolution qui concerne notre regard sur le monde, notre concept de valeur, mais au-delà, cette révolution manifeste aussi le statut de l’artiste ou l’importance du rôle de l’artiste en tant qu’un des observateurs du quotidien.

VII-II Le rapport entre l’existant social et l’existant artistique. Bruce Nauman, en faisant cette installation, interpréta, d’une manière artistique, un événement réel. Ce dernier pourrait être considéré comme un existant social, puisque l’événement existe déjà, sinon nous ne pouvons pas savoir qu’il est un événement. Quand l’œuvre est achevée, elle est elle-même un existant (artistique), du point de vue de l’ontologie de l’œuvre. Si nous prenons la notion du processus complexe de Joseph Beuys, la notion du contact que prône Sylvie Coëllier, la notion de Michel Guérin qui dit que la nécessité est l’essence de l’œuvre, nous pouvons observer un processus qui montre le concept du Bruce Nauman par rapport à cette installation : Etant ému par l’événement concerné, l’artiste se met en contact avec cet existant social. Ensuite, il trouve la nécessité de réagir faisant une œuvre d’art. Pendant le processus de la création, l’artiste réagit effectivement tout en exprimant son émotion ou sa passion. L’œuvre d’art est donc le résultat de sa réaction qui est issue de son contact avec l’existant social. Le concept de Bruce Nauman est donc de présenter un contraste entre l’existant artistique et l’existant social.

VII-III La contribution de Bruce Nauman. Depuis les œuvres de Bruce Nauman créées à partir des années 1980, des artistes chinois commencèrent à chercher de plus en plus à exprimer un sentiment, une émotion, une passion, une rage, une inquiétude, dans la sculpture ou dans des installations et toutes ces senstions sont issues de la société. Par exemple, AI Wei Wei qui étudia aux Etats Unis exprima sa rage envers la politique chinoise, surtout contre la révolution culturelle pendant laquelle son père fut une des victimes intellectuelles. En ce sens, Nauman avec beaucoup d’autres artistes occidentaux, après Marcel Duchamp qui est le pionnier de l’art contemporain, ont élargi le 296 chantier de l’art dans lequel la forme n’est plus une contrainte. De même, la signification de l’œuvre n’est plus le seul facteur important, l’expérience sur scène du spectateur fut prise en considération dans la création artistique par l’artiste, par exemple, l’expérience mentale, physique, psychologique, physiologique que le spectateur a perçu par l’intervention dans l’œuvre. En somme, selon Isabelle de Maison Rouge, l’art contemporain n’est pas (ne veut pas être) réservé à une « élite » , il cherche à se mettre à la portée de tous 385. Il y a donc deux points à remarquer. D’abord, la porte de l’art s’ouvre largement vers le design. D’un côté, nous pouvons dire que le design entre dans l’art, de l’autre côté, l’art entre dans le design. En somme, l’art et le design veulent tous entrer dans la vue du public. Les lignes suivantes concernent cette association de deux domaines. Deuxième point, malgré la volonté de certains artistes de nier la tradition, elle ne fut pas complètement niée, l’historicisme existait toujours. Bruce Nauman qui créa déjà ses œuvres avec les chaises depuis 1965 continua sa « tradition » : l’intérêt pour la chaise dans l’art. Les deux parties suivantes montrent plus fortement l’intérêt de Frank Schreiner et d’Enzo Cucchi pour la chaise. Ce sont deux chaises historiques, mais transformées et donc nouvelles.

VIII La limite dans la chaise de Frank Schreiner.

Frank Schreiner (dit Stiletto) (né en 1959), artiste-designer allemand, successeur d’Olivier Mourgue, créa une œuvre intitulée Le repos du cossomateur en 1983 (fig. 100). Il utilisa aussi un chariot de magasin, mais il garda le panier tout en le transformant. Il plia le côté frontal du panier vers le bas pour qu’il devienne une sorte de support des jambes de la personne assise. Il plia aussi les parties hautes des deux côtés du panier pour qu’ils deviennent deux accoudoirs. Avec les freins installés sur les roulettes, la « chaise » peut être assez stable pour que l’on s’assoie. La « chaise » de Frank Schreiner est certainement utilisable (pour le consomateur) et elle est plus confortable que celle d’Olivier Mourgue créée en1968 (fig. 98). Par la comparaison entre les deux « chaises » , nous voyons non seulement l’influence historique, mais aussi le progrès de la technique et de la conception utilisées dans la fabrication des chariots des magasins entre les années 1960 et 1980.

385 Isabelle de Maison Rouge, L’art comtemporain, au-delà des idées reçues, op.cit., p. 15 – 22. 297

Figure 98. Â gauche : Olivier Mourgue, Caddie, chaise à roulettes, acier, H.79 x L45 x P 46cm, 1968. Figure 100. Â droite : Frank Schreiner, Le repos du cossomateur, acier, H 97 x L 66 x P 50cm, 1983.

Le problème majeur, pourtant, se trouve justement sur la possibilité d’utiliser la chaise par le consommateur et l’avancée de la nouvelle technologie. La question est là, pourquoi le consommateur doit-il s’asseoir sur une chaise de métal qui ne donne pas de confort? Sachant qu’elle n’est pas confortable, on la prend. Il y a probablement quelque chose qui attire ou limite le consommateur. Le chariot est un symbole de la consommation du peuple, il s’agit donc du pouvoir d’achat. Pour vivre, il faut faire des courses, tout le monde est un consommateur, personne ne peut échapper à cette régle. Il n’est pas certain que Frank Schreiner ait pensé à ce que nous avons dit. Il est aussi possible qu’il la créa par hasard, ou par intérêt pour la chaise du précurseur Olivier Mourgue. Mais, du point de vue de l’ambiance sociale de l’époque, ce phénomène ne devrait pas être un hasard. Pendant les 30 dernières années du XXe siècle, la communauté internationale allait se regroupper dans les villes, l’incertitude sociale s’aggrava ainsi à cause de la croissance du peuplement, la pénurie de la nourriture, la crise du chômage et de l’économie causée par l’avancée des nouvelles technologies. A partir des années 1980, grâce à la prospérité économique et au développement de la biotechnique, la situation sociale fut légèrement améliorée. Les Etats Unis qui voulurent être le plus puissant au monde, adoptèrent une politique économique plus libérale, les Américains devinrent ensuite les plus grands 298 consommateurs au monde. Mais le problème de la bipolarisation entre les riches et les pauvres s’aggrava. D’autres pays suivirent progressivement la même voie.386 Le problème économique fut mis sur la table, tout le monde fut confronté à ce phénomène commun. Du point de vue du contexte social, il est naturel qu’il apparut une chaise comme Le repos du consommateur de Frank Schreiner. La crise sociale peut se voir aussi dans la peinture. Nous allons parler du peintre italien Enzo Cucchi qui fut inspiré aussi par l’histoire de l’art et touché par le problème social.

IX La transformation historique dans la peinture d’Enzo Cucchi.

Figure 101. Enzo Cucchi, La chaise de Van Gogh, l’huile sur toile, 271cm X 350cm, 1984.

En hommage au grand expressionniste Van Gogh, le peintre transavantgardiste italien Enzo Cucchi (né en 1949) créa une peinture néo-expressionniste intitulée Chaise de Van Gogh en 1984. Le nom du courant d’art transavantgardia qui s’étendit en Italie à la fin des années 1970 et pendant les années 1980 fut initié par le critique d’art italien Achille Bonito Oliva. Selon l’historien Edward Lucie-Smith, Enzo Cucchi n’agit pas comme expressionniste, il ne

386 Roy T. Matthews et F. DeWitt Platt, The western humanities (Les humanités occidentales), op.cit., p.595. 299 se soucia que de sa propre peur, il fut plutôt un copieur de toute passion387. Les phrases d’Edward Lucie-Smith sont peut-être raisonnables et elles pourraient être interprétées dans les lignes suivantes. Enzo Cucchi exprima fortement sa passion dans sa peinture dont l’origine peut être retrouvée dans l’histoire de l’art. En termes plus directs, c’est une passion fantastique pour l’histoire de l’art. Précisément, il transforma les œuvres historiques ou les éléments représentés dans les œuvres du passé. C’est une transformation d’une œuvre vers une autre. Par exemple La Chaise de Van Gogh (fig. 101) dont nous avons parlé précédemment fut un des ses modèles préférés. C’est ainsi que les champs passionnants que Van Gogh peignit devinrent dans la peinture d’Enzo Cucchi les champs qui semblent être brûlés ou désertés et cela dévoile en quelque sorte l’ambiance sociale donnée à l’époque où on vit les problèmes sociaux : la croissance du peuplement et la crise du chômage etc. (Nous en avons parlé dans le chapitre sur Frank Schreiner.) La passion originelle de Van Gogh fut remplaçée par celle d’Enzo Cucchi. C’est-à-dire que par les jets et les touches passionnés de couleur blanche autour de la « chaise » de Van Gogh, Enzo Cucchi accentua sa passion jusqu’à la folie. Si la « chaise » pouvait représenter le statut de Van Gogh, ces touches coulant pourraient représenter aussi un grand culte d’Enzo Cucchi pour Van Gogh. Par la peinture transavantgardiste d’Enzo Cucchi, nous voyons trois transformations: la transformation d’une œuvre en une autre, la transformation d’un élément dans un autre, la transformation de la passion d’une personne en une autre. Mais il y en a deux autres. Enzo Cucchi, en représentant la « chaise » qui pourrait nous faire penser à la place et à la réputation personnelle de Van Gogh dans l’histoire de l’art, chercha à créer sa propre place et sa propre marque dans l’histoire de l’art. Voilà les transformations qui se présentent : (schéma 14) Schéma 14. La transformation de l’œuvre de Van Gogh à celle d’Enzo Cucchi

Van Gogh→ transformation(transavantgardiste) Enzo Cucchi

œuvre→ œuvre

élément(chaise, champs) → éléments

387 Edward Lucie-Smith, Visual arts in the twentieth century, (Arts visuels au 20e siècle),op.cit., p. 395. 300

passion→ passion

marque→ marque

place→ place

Pourtant, aucun élément,ni la chaise, ni les touches, ni les champs, ni les couleurs, ni la passion ne peuvent prouver l’origine de ces transformations, si Enzo Cucchi ne donne pas le titre La Chaise de Van Gogh. C’est-à-dire qu’Enzo Cucchi créa et inventa son propre art tout en regardant l’histoire de l’art. Malgré l’authenticité des transformations, il ne faut pas nier son invention artistique, car la transformation est aussi une façon de créer. Enzo Cucchi fut un véritable néo-expressionniste. Quant à son invention, il nous faut revenir sur les grandes touches blanches passionnément peintes qui entourent la chaise de Van Gogh. Ne sont-elles pas aussi une sorte de limite, puisqu’elles délimitent la place de la chaise ? Regardons aussi les petites touches grises verticales décidément peintes autour de la chaise. Elles devraient être considérées par le peintre comme les clous qui délimitent la place de la chaise. Délimiter une place, c’est pour limiter le droit d’en sortir ou d’y entrer ou pour garder la place. Bien qu’il ne soit pas clair où le peintre voulut aller, il est certain qu’il voulut montrer une sorte de limite.

X La limite visible et invisible dans la chaise suspendue de Bruce

Nauman.

En 1990, Bruce Nauman créa une œuvre intitulée Shit in your hat, head on a chair (Merde sur ton chapeau, tête sur une chaise) (fig. 102). Un buste vert est installé sur le siège de la chaise suspendue depuis le plafond. C’est une limite visible. Derrière la chaise est installé un écran sur lequel on voit la projection d’une performance muette dont l’actrice agit en fonction des ordres venus de l’extérieur de l’écran. Ce sont les ordres alors presque invisibles auxquels le journaliste argentin Jocobo Timerman avait été obligé d’obéir pendant la dictature militaire dans son pays : « Put your hat on the table. Put your head in the hat. Put your hand on your head with your head in your hat.

301

Put your hand on your head, your hat on your skirt. Drop your hat (…)388 » (Met ton chapeau sur la table. Met ta tête dans le chapeau. Met ta main sur ta tête avec ta tête dans ton chapeau. Met ta main sur ta tête, ton chapeau dans ta jupe. Jette ton chapeau (...) )

Figure 102. Bruce Nauman, Shit in your hat, head on a chair (Merde sur ton chapeau, tête sur une chaise), 1990.

La chaise seule est déjà capable de représenter la victime. Mais, ce n’est pas assez pour l’artiste de solliciter la rage du spectateur. C’est ainsi qu’il ajoute un buste pollué de « merde » verte. En le faisant, l’artiste chercha à nous montrer trois points : Premièrement, la chaise qui est suspendue implique que le problème majeur est accroché (posé). Dans cette œuvre, la suspension de la chaise est plutôt un avertissement. Deuxièmement, l’artiste montre une scène en direct, comme ci c’était un journal télévisé dont les participants sont les suivants: victime (chaise ou buste), kidnappeur (son : ordres), interprétateur de l’événement (actrice) et spectateurs (nous). En comparaison avec son ancienne œuvre créée en 1981, Merde sur ton chapeau, tête sur la chaise est sans doute plus concrète et plus expressive.

388 « Shit in your hat head on a chair » (Merde sur ton chapeau, tête sur une chaise) , disponible sur le site : https://coleccion,caixaforum,com/en/obra//obra/ACF0496/ShitinyourHatHeadonaChair %3Bjsessionid=C1 5FA59A37DD851B4D0B5A074AB3B7BB, consulté en décembre 2015.

302

Troisièmement, à l’origine, l’autorité appartient à la personne non pas à la chaise. Mais, dans l’œuvre de Nauman, une chaise est une place de quelqu’un, autrement dit, la chaise est le symbole de l’autorité de quelqu’un. La chaise suspendue avec un buste souillé de « merde » pourrait représenter une autorité qui est détruite par une autre ou un pouvoir qui est anéanti par un autre. Le spectateur peut être conduit à poser la question : Qui est responsable de ce fléau social? S’agit-il de Vertu ou de politique ?

Conclusion :

Après deux guerres mondiales, l’existentialisme devint un sujet important et très suivi autant dans le quotidien que dans la création artistique. Ces deux lignes sont parallèles et inséparables. Après la morosité des années 1950, les artistes des années 1960, étant très conditionnés dans l’ambiance sociale limitée et restreinte, commençèrent à questionner l’authenticité de l’existence de l’humanité à travers leurs travaux et leurs actions passionnantes. Pendant cette période du modernisme tardif, des artistes tels que Joseph Beuys avec la chaise de graisse racontant une aventure, Andy Warhol avec la grande chaise électrique rappelant le souvenir des morts, Stefan Wewerka avec les chaises coupées et rassemblées dont la fonction pratique est niée, Joseph Kosuth avec la diversité de la façon d’exister du siège, Bruce Nauman avec l’espace intérieur solide et visible du siège, etc. cherchèrent la liberté d’exprimer l’histoire pour souligner la liberté d’exister de chacun. Joseph Beuys se permettait de dire que l’art est une sorte de science de la liberté389. Ils défendirent le fait que l’expression artistique et la façon d’exister ne devaient pas être limitées par la tradition. C’est pendant les années 1960 que la façon d’utiliser et transformer un siège en œuvre d’art commença à être développée et que la signification du siège commença à être élargie. Dix ans de révolution construisit une fondation principale artistique pour les créations suivantes concernant des sièges. Les artistes postérieurs suivirent et suivent le chemin des précurseurs mentionnés plus haut. Pendant les années 1970, c’est-à-dire le commencement du post-modernisme, la communauté internationale se regroupa. Les classes sociales et la répartition du pouvoir

389 Joseph Beuys et Volker Harlan, Qu’est-ce que l’art, op.cit., p. 18. 303 international attendaient d’être régulées, en particulier, la Chine, la Russie et les Etasts-Unis. Cet événement politique aggrava la situation politique, économique et sociale incertaine, émergée dans les années 1960 et améliorée à la fin des années 1980. Pendant les années 1980, la vague de l’internationalisation devint plus forte qu’auparavant à cause de la ‘dérégulation’ économique. Les droits et la création de l’homme étaient respectés. Une des preuves pourrait être la chute du mur de Berlin qui eut lieu en 1989. Mais les problèmes économiques sociaux demeurèrent difficiles. Le problème de la consommation s’aggrava. Dans le domaine de l’art, les artistes et les peintres tels que Frank Schreiner, Enzo Cucchi et d’autres, étant déroutés, firent appel à l’histoire de l’art pour en trouver un nouveau chemin. Ils interprétèrent d’une manière ou d’une autre la vérité de la société.

Chapitre VI

L’identité nationale dans les œuvres d’art en sièges des années 1990

A partir des années 1990, il apparut une vague forte d’immigration de l’Orient vers l’Occident. Cette vague ramena un courant de contact culturel entre l’Orient et l’Occident. Les artistes orientaux n’hésitèrent pas à adopter les concepts de l’art occidental sans oublier leurs propres cultures nationales. Est-ce un courant d’occidentalisation ou d’internationalisation ? Dans ce chapitre, nous parlons de trois artistes orientaux dont CHEN Zhen, Tadashi Kawamata et Shirin Neshat.

I Une culture implantée dans les sièges de CHEN Zhen.

A partir des années 1990, les nations agressives et les évènements terroristes resurgirent et menaçèrent la sécurité des hommes et la paix internationale. Les droits de parole de chaque pays devinrent importants. Le problème de l’existence devint rigoureux. On évoqua la question de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité. C’est ainsi que nous voyons l’apparition des œuvres en sièges de CHEN Zhen qui appliqua l’humanisme que prône 304 l’existentialisme, tout en suivant le chemin découvert par ses précurseurs:Marcel Duchamp, Joseph Beuys, Andy Warhol, Stepan Wewerka, Joseph Kosuth, Bruce Nauman, etc.. Il s’agit donc de la question de l’évolution culturelle entre la Chine et l’Occident. Dans ce chapitre, nous commençons par les analyses des œuvres en sièges de CHEN Zhen qui montra bien la pensée chinoise et le concept occidental. A la fin de ce chapitre, nous parlerons de la question de culture implantée.

I-I L’égalité sur la table ronde. Dès 1993, CHEN Zhen (1955-2000) créa une œuvre intitulée Digestion perpétuelle avec une table rectangulaire chinoise autour de laquelle sont incrustées des chaises à la chinoise. Cette œuvre fut inspirée par une réunion de l’association des jeunes chinois dont la plupart ne savaient pas parler chinois en France, étant la seconde génération des immigrants chinois. L’objectif de l’œuvre est de retrouver l’identité chinoise 390 . Cette œuvre, aujourd’hui collectionnée pour le Musée Léon Dierx (28 rue de Paris, Saint-Denis), préfigura une autre œuvre dont nous parlons dans les lignes suivantes.

Figure 103. CHEN Zhen, Table Ronde, 550 cm de diamètre, 180cm de hauteur,1995, Centre Pompidou.

390 « Archivée : La Digestion Perpétuelle : une œuvre exceptionnelle de Chen-Zhen », disponible sur le site : http://www.cg974.fr/culture/index.php/Expositions/Expositions-L%C3%A9on-Dierx/la-l-digestion-perpe tuelle-r-une-uvre-exceptionnelle-de-chen-zhen-au-musee-leon-dierx.html, consulté en octobre 2015. 305

En 1995, CHEN Zhen créa une grande sculpture intitulée Table ronde (fig. 103) dont le diamètre est de 550cm et la hauteur est de 180cm et le poids net est de 1111 kg. Il l’exposa au siège de l’Oganisation des Nations Unies à Genève à l’occasion du cinquantième anniversaire des Nations Unies. Elle appartient aujourd’hui au Centre Pompidou. Il fabriqua une table ronde au milieu de laquelle est installée une table rotative centrale sur laquelle sont inscrits les extraits des droits de l’homme. Autour de la table sont incrustés les sièges provenant des différents pays du monde. Les sièges dont les hauteurs et les tailles sont différentes retrouvent leur égalité grâce à la table. Les sièges existaient avant d’être adoptés par les œuvres, tandis que la table ronde fut fabriquée selon l’existence des sièges. Cela indique que l’Organisation des Nations Unies que la table ronde représente fut construite en 1945, après l’existence des pays. C’est une nouvelle organisation internationale qui invite tous les pays à négocier. En Chine, la table rotative centrale est destinée aux plats au moment du repas. On peut tourner cette table pour atteindre le plat que l’on veut goûter. Autour de la table rotative, on met les ustensiles de chacun. Quand on s’unit autour de la table ronde, on détient la liberté et l’égalité. Cette œuvre révèle, par la limite d’usage évoquée par l’insertion des sièges sur la table ronde, la tâche difficile de l’Organisation des Nations Unies à accomplir. C’est-à-dire, selon CHEN Zhen 391, face aux problèmes tels que les communications, les négociations, les transactions du pouvoir. L’ONU n’a qu’un pouvoir limité. La proposition de CHEN Zhen consiste en la démocratisation internationale. Le terme Table ronde que nous utilisons au quotidien peut signifier la mise en œuvre d’un dialogue, d’une discussion, d’une communication pendant lesquelles les personnes concernées se trouvent autour de la table. Par l’inscription des extraits des droits de l’homme, nous savons que cette négociation concerne certainement les droits de l’homme. Cette façon d’exprimer ressemble à la propagande artistique que l’on voyait sur les murs chinois pendant la Révolution Culturelle. Le travail de propagande de CHEN Zhen prône que chaque personne autour de la table devrait poursuivre et gagner la liberté, l’égalité, la justice et les droits de l’homme. XUN Min dit que l’artiste interrogea le monde, la nature de l’homme, ainsi que la

391 徐敏 (XU Min), 陈箴 (CHEN Zhen), Chang Chun (Chine) : 吉林美术出版社 (Jilin Meishu Chubanshe), 2006, p. 78. 306 relation entre l’homme et l’environnement. 392 Face à la Table ronde, on pourrait avoir l’impression que les sièges montent sur la table ou mangent la table. Cela explique que l’on poursuit sa démocratie de sa propre façon. C’est une démocratie de la condition de l’égalité. C’est-à-dire que la table offre un même niveau sur lequel on touche sa démocratie. Il est vrai que pendant les années 1990 les pays se révoltèrent pour gagner leur place internationale. Les sièges intégrés indiquent que les pays sont déjà intégrés dans la discussion, mais les sièges sont suspendus, ils ne sont plus utilisables. La Table ronde devrait représenter l’inauthenticité de l’égalité des hommes pendant les années 1990 où de nombreux pays se révoltèrent pour gagner leur place internationale en termes de politque.( La question du politique est hors de notre discours.) Quant à la question de l’objet, CHEN Zhen dit:« L’objet est un ‘enfant de l’homme’. Il est produit, consommé, jeté, récupéré, exposé, conservé, modifié, mis à distance...Il est pris dans des cycles naturels, culturels et économiques, symboliques et artistiques 393 ». D’ailleurs, « la simplicité du langage visuel de l’objet est associée à une certaine complexité des significations et des métaphores, dépassant la première lecture que l’on fait de ces objets ordinaires. Tout en restant identifiables, ces objets véhiculent des connotations sociales, culturelles et même politiques très fortes.394 » En disant cela, CHEN Zhen reconnaît la fonction matérielle et immatérielle de la chaise. C’est ainsi qu’il « essaya de créer pour l’objet un nouveau destin afin que son histoire ne soit pas terminée395 » et que celle de l’homme ne le soit pas non plus. La notion d’humanisation est aussi abordée dans la création de CHEN Zhen qui, selon les articles mis sur son site internet396, prend un objet comme un corps humain. Bien qu’il n’ait jamais présenté un corps humain dans ses œuvres, pourtant, l’esprit de l’homme est présent à travers ses objets utilisés, car des objets, comme le lit, le vêtement, le tissu et la

392 Ibid., p.12. 393 Anne Villard, CHEN Zhen, Inocation of Washing Fire (CHEN Zhen, Innovation de laver feu), Prato (Italie) : Gli Ori, 2003, p.108. 394 Chen Zhen, Les entretiens, « Entre thérapie et méditation » entretien entre Jérôme Sans et Chen Zhen, Dijon, in Les presses du réel/Palais de Tokyo, 2003, p,159, disponible sur le site: www.chenzhen.org, consulté en octobre 2012. 395 Anne Villard, CHEN Zhen, Inocation of Washing Fire, op.cit., p.108 396 Chen Zhen, Les entretiens, « Entre thérapie et méditation » entretien entre Jérôme Sans et Chen Zhen, op.cit., p.159. 307 chaise symbolisent, en effet, le corps humain. Pourtant la façon de présenter est très confucianiste, car cette œuvre voulant représenter une révolte violente prend une forme modeste ou modérée. On n’y voit ni la violence, ni le mal. Puisque les sièges sont insérés, il n’y a que la limite de l’homme qui s’attache aux droits de l’homme. Dans l’ensemble, la Table ronde n’est qu’un concept sans l’aspect émouvant. Cela veut dire que CHEN Zhen se mit sur le chemin duchampien, car après Marcel Duchamp, l’art est conceptuel.

I-II Le problème global.

Figure 104. CHEN Zhen, Retour à la plénitude, Face à la vacuité, aluminum, acier, néon, 450x450x400cm (sans compter les chaises),1997.

CHEN Zhen, selon ses expériences et les écrits sur lui, est un véritable défenseur de la paix internationale. Il ne fut pas content d’avoir créé la « Table ronde ». En 1997, il conçut une autre œuvre intitulée Retour à la plénitude, Face à la vacuité (fig. 104), mais il décéda en 2000 avant la réalisation de son œuvre. Cette dernière fut réalisée en 2009 par l’association des amis de CHEN Zhen397 pour la 53e Biennale de Venise de 2009. L’aide amicale reçue

397 « Chen Zhen, Back to Fullness, Face to Emptiness » , disponible sur le site : http://www.artforworldexpo.com/ InitialProject/works_25_ChenZhen.html, consulté en décembre 2015. 308 explique fortement la personalité sublime de CHEN Zhen. Les chaises originelles provenant des cinq continents furent collées sur le globe terrestre. Sur le carré situé au centre du globe terrestre, sont transcrits les extraits des droits de l’homme de la charte de l’Organisation des Nations Unies. CHEN Zen avec son honnêteté et son amour émut ses amis et le public. L’œuvre fut conçue en 1997 et réalisée en 2009 par l’association des amis de CHEN Zhen En termes de vide et de plein, on pourrait traduire le titre en français comme:revenir au plein, face au vide. C’est à travers le vide central que nous voyons la transcription des principaux articles des droits de l’homme de la charte des Nations Unies grâce à la fonction du néon (fig.104-1). CHEN Zhen devait s’inspirer de la lanterne traditionnelle chinoise. Pendant les fêtes, les Chinois allument des lanternes et les accrochent sous l’avant-toit de leur maison ou dans les couloirs. Dans le passé, les lanternes étaient uniquement rouges, mais aujourd’hui elles sont de couleurs diverses. Dans le globe de CHEN Zhen, quand le néon est allumé, la forme de la lanterne apparaît et les voeux sont exprimés. Cette démonstration relativement permanente pourrait impliquer que les droits de l’homme devraient être mis au sein de notre vie, car c’est une vocation centrale, sacrée et permanente de l’humanité.

Figure 104-1. CHEN Zhen, Retour à la plénitude, Face à la vacuité, aluminum, acier, néon, 450 x 450 x 400 cm, (sans compter les chaises)

La notion de vide et de plein démontre bien que l’artiste est l’enfant de la philosophie chinoise. Dans le travail de CHEN Zhen, selon les articles publiés sur son site internet, « l’absence du corps est souvent un ‘oubli naturel’ qui permet plus librement de questionner et

309 de parler de l’esprit humain, tout en montrant une façon spécifique d’aborder la notion du vide, de dévoiler une stratégie de l’indirect, et de créer une métaphore magique.398 » Par ses phrases, nous voyons que la pensée de CHEN Zhen est typiquement chinoise, car dans la pensée chinoise on parle très souvent de l’esprit humain, et de la notion du vide et du plein, et de la métaphore. Cette tradition intellectuelle peut se voir dans la peinture et la littérature chinoises. Pourtant, cette œuvre n’est qu’une répétition ou une amélioration ou re-construction de la Table ronde, puisque le même concept est répété et la forme de cette œuvre est différenciée de celle de la première. Comme Andy Warhol qui fut une « machine » à fabriquer les « publicités » d’une façon répétée, la répétition conceptuelle de CHEN Zhen allait continuer.

I-III La fraternité chinoise en France.

Figure 105. CHEN Zhen, Constellation humaine, métal, chaises en aluminium, 1280 x 950 x 600 cm, La Paillade, (Station Mosson), Montpellier, 1998-2000

Après la conception de Retour à la plénitude, Face à la vacuité mais avant sa réalisation, CHEN Zhen continua de réaliser son rêve pour la paix par sa nouvelle œuvre intitulée

398 Chen Zhen ; Jérôme Sans, « Entre thérapie et méditation », entretien entre Jérôme Sans et Chen Zhen, Dijon, in Les presses du réel/Palais de Tokyo, op.cit., p.159. 310

Constellation Humaine (fig. 105). L’œuvre fut effectuée de 1998 à 2000 et installée à Montpellier en France. Au lieu de prendre une table comme il fit dans les œuvres antérieures, CHEN Zhen prit la forme du tambour chinois. Ces deux facettes du tambour ressemblent aussi à deux grandes assiettes métalliques sphériques de neuf mètres de diamètre, autour desquelles sont incrustées 70 chaises au total. Elles sont les reproductions de chaises récupérées dans la région. (C’est probablement pour exposer en extérieur que l’artiste ne prit pas les chaises originales.) Cette sculpture géante, qui ressemble à un « globe terrestre du banquet universel 399 », « symbolise les champs modernes du dialogue et de l’échange fraternel entre les peuples400 ». Pourtant, en regardant les sièges renversés et installés si haut, on pourrait avoir un certain vertige. On pourrait avoir l’impression que les sièges tombent, ou que l’on tombe à un moment ou un autre si on y est assis. Cette instabilité conditionne le sentiment du public. Cette sculpture immense fait appel à quelque chose qui ne fait pas partie de l’art, par exemple à un observateur astronomique installé sur terre. Ou comme le titre de l’œuvre l’indique, c’est une « constellation ». Le problème est : Comment pourrait-on percevoir une fraternité émouvante à travers cette machine exotique ? S’il y a une fraternité, elle doit être l’amour personnel de l’artiste pour la France dans laquelle l’artiste puisa sa réputation internationale. Déjà, en termes de concept, le Retour à la plénitude, Face à la vacuité est un successeur de la Table ronde, maintenant la Constellation humaine en est un deuxième. Bien que les formes des trois œuvres soient très différentes, CHEN Zhen fit appel à la machine qui assure la fabrication industrielle. Chez CHEN Zhen, l’influence de l’industrie paraît quasi évidente. Si la Table ronde est une réussite en termes d’originalité, le Retour à la plénitude, Face à la vacuité doit en être une répétition, et la Constellation humaine pourrait être à la fois une répétition de son concept déjà utilisé dans les deux premières œuvres et une manifestation (une publicité) de la réputation de l’artiste lui-même.

I-IV Le contact physique avec les sièges à frapper.

399 Chen Zhen ; Jérôme Sans, « Entre thérapie et méditation », entretien entre Jérôme Sans et Chen Zhen, Dijon, in Les presses du réel/Palais de Tokyo, 2003, p.159, disponible sur le site: www.chenzhen.org, consulté en octobre 2012. 400 Idem. 311

Figure 106. CHEN Zhen, (绝唱,各打五十大板) (Chef d’œuvre, cinquante coups à chacun), 1998, 224 X 980 X 1000 cm, chaises, tabourets, lits, peau de vache, ficelle, cordes, objets.

Figure 106-1 Â gauche : un moine est en train de prier pour la paix, c’est une partie de la performance. Figure 106-2 Â droite : les spectateurs sont en train de frapper les sièges (tambours).

Figure 106-3. 12 danseurs dansent devant l’installation de CHEN Zhen, le 24 février 2006, Shanghai. En 1997, selon la biographie éditée par XU Min401, la femme de CHEN Zhen, celui-ci, invité par la conservatrice du Musée de Tel Aviv en Israël à créer une œuvre d’art pour le 50e

401 徐敏 (XU Min), 陈箴 (CHEN Zhen), op.cit., p. 135. 312 anniversaire de la fondation d’Israël, voyagea là-bas et étudia les problèmes locaux (des problèmes de l’asie occidentale) : historiques, géo-politiques, religieux, culturels, politiques et économiques etc. Il créa à la fin une œuvre d’art intitulée 绝唱 - 各打五十大板 (Chef d’œuvre - cinquante coups à chacun) exposée au Musée de Tel Aviv en 1998 (fig. 106, 106-1, 106-2). Le terme chinois ‘绝唱’ ( Jue Chang) signifie d’une part ‘œuvre qui touche le sommet de la perfection’, soit œuvre parfaite ou ‘chef d’œuvre’, et d’autre part ‘dernier chant’ ou ‘dernière œuvre’. De mon point de vue, l’artiste ne pensait pas que c’était sa dernière œuvre quand il la créa. Car, il avait laissé d’autres projets artistiques non réalisés, quand il décéda. Il est préférable donc de prendre l’interprétation ‘chef d’œuvre’ pour le titre en français. L’artiste utilisa comme matériaux des meubles qui nous sont familiers et intimes: les lits, les chaises traditionnels chinois. Ces meubles ont des surfaces déjà couvertes de cuir permettant aux spectateurs de frapper comme si on frappait un tambour. C’est sur ces “tambours” que les spectateurs peuvent effectuer un contact physique direct en frappant ou en tapant. Ce geste peut provoquer directement des sensations diverses chez les spectateurs. Nous pouvons dire que cette installation mobilière est une sorte de composition artistique. L’artiste n’utilisa pas directement de véritables tambours, mais prit leurs formes dans les lits et dans les sièges qui peuvent symboliser les places de quelqu’un. Cela signifie que l’artiste voulait incarner dans son œuvre un double attribut : le symbole de la place et la signification du frappement du tambour. L'installation de CHEN Zhen rappelle aux cloches chinoises (Bian Zhong编钟) de la dynatie des Royaumes combattants (environ 433 J.C) (fig. 107) : l’installation des cloches à jouer comme instrument musical. CHEN Zhen, qui installa ses meubles-tambours à la manière de l’ancienne installation des cloches musicales, voulait probablement, avec de nouveaux matériaux, établir une installation musicale se référant à l’Antiquité. Son œuvre devient aussi un instrument de musique dont le visiteur peut jouer.

L’idée de ‘frapper le tambour’, selon XU Min402, est issue du bouddhisme. Elle dit que dans la tradition bouddhiste, ‘frapper’ signifie ‘punir’. Mais elle n’a pas expliqué : qui est-ce

402 徐敏 (XU Min), 陈箴 (CHEN Zhen), op.cit., p. 145. 313 que le visiteur de l’installation de CHEN zhen punit quand il joue les ‘meubles-tambours’ ?

Figure 107. Cloches à jouer comme instruments musicaux furent apparues à la dynastie Xi Zhou. Ces cloches furent partie des Royaumes combattants (env.433 ans av.J.C). La deuxième signification du tambour et de la cloche peut être retrouvée dans le premier recueil de poème chinois, Le livre des Odes, probablement édité par Confucius au VIe siècle. Certaines œuvres poétiques furent accomplies à la dynastie Xi Zhou 西周(aux environs de 1100ans av.J.C.) Dans le premier poème intégré dans Le livre des Odes, intitulée Guan Ju 关睢(un oiseau,faucon de poisson), l’auteur a l’intention de tambouriner et de faire tinter les cloches à fin de plaire à la jolie fille Vertueuse de laquelle il est amoureux. Voici un extrait de ce poème403 : (...) La belle Vertueuse, l’épouse idéale d’un homme Vertueux. (窈窕淑女,君子好逑.) (...) (...) La belle Vertueuse, (je) joue l’instrument de musique pour t’approcher.(窈窕淑女,琴瑟友之.) (...) La belle Vertueuse, (je) tambourine et fais tinter les cloches pour te poursuivre.(窈窕淑女,钟鼓乐之.)

N.B. : La belle vertueuse signifie la fille que l’homme veut approcher et poursuivre. Dans ce poème, l’homme cherche des façons d’exprimer son amour pour la fille : jouer l’instrument de musique, tambouriner et faire tinter les cloches.

Dans ce poème, la cloche et le tambour devient un moyen de communication qui plait à la belle Vertueuse. Dans Le livre des Odes, plusieurs œuvres poétiques mentionnent le tambour et la cloche, car c’étaient les principaux instruments de musique à Xi Zhou

403 诗经 (shi jing) (Le livre des Odes), (édité au VIe siècle av,J,C,) Ce livre est inclu dans Les Quatre Livres et les Cinq Classiques, Beijing : 中华书局 (Zhonghua Shuju), 2015, p. 133. 314

(env.1100 ans av.J.C.) Dans l’œuvre de CHEN Zhen,“tambours”sont aussi un moyen de communication. A savoir qu’ils servent comme un moyen qui attirent les visiteurs à les frapper pour exprimer tel ou tel sentiment. De cette façon, les“tambours”de CHEN Zhen plaisent aux visiteurs. La troisième signification est désignée par la philosohpie de XUN Zi( env.313-238 ans av.J.C.). Dans la pensée de XUN Zi404, différente du concept bouddhiste, le son du tambour représente le ciel, tandis que celui de la cloche représente la terre. Dans son concept du Rite de Lao Zi, le ciel et la terre sont à l’origine de la vie humaine et du Rite même. A propos du frappement du tambour, le concept de XUN Zi prend une perspective universelle, tandis que le concept bouddhiste demeure relatif à sur l’expression sentimentale humaine. Autrement dit, l’œuvre de CHEN Zhen, offre aux participants et à l’aritste même une occasion d’exprimer leurs sentiments privés, puisque les moines bouddhistes avaient été invités à participer à la performance. En faisant cela, l’artiste s’arrête sur ce niveau etn’atteint pas la perspective philosophique plus large proposée par XUN Zi. La quatrième signification est l’encouragement. Dans la vie civile chinoise aujourd’hui, le tambour peut signifier autre chose. C’est en frappant le tambour ou en écoutant le son du tambour que l’on se satisfait et s’encourage. C’est la raison pour laquelle les Chinois l’utilisent pendent les fêtes traditionnelles, par exemple la fête des bateaux dragons (龙舟节) qui tombe le 5 mai selon le calendrier lunaire. Pendant la compétition des bateaux dragons, l’un des membres de l’équipe frappe passionnément le tambour pour encourager l’ensemble de ses collaborateurs qui sont en train de canoter. En écoutant le tambour, les spectateurs qui se trouvent sur les côtés de la rivière sont fascinés. La fête est ainsi célébrée. Pendant un évènement funéraire, si on frappe le tambour, c’est pour encourager la personne qui quitte la terre pour aller vers l’au-delà. En somme, le son du tambour peut nous faire réveiller et réfléchir et encourager aussi. Bien évidemment, cette joie quotidienne engendrée par le tambour ne se voit pas dans la performance de l’œuvre de CHEN Zhen. Car quand on frappe les tambours de CHEN Zhen, on se demande et se questionne. 12 danseurs chinois (fig. 106-3) furent invités à danser

404 荀子 (XUN Zi), 荀子 (XUN Zi),(ce livre fut achevé au IIIe siècle), traduit du Chinois classique et noté par 王威威 (WANG Weiwei), Shanghai : 上海三联书店 (Shanghai Sanlian Shudian), 2014, p. 237. 315 devant l’installation de CHEN Zhen, en accompagnement de la musique de TAN Dun405. Cette danse montrait que la notion du contact était mise en œuvre.Ce genre du frappement du tambour est plutôt une communication sans parole entre le frappeur et l’œuvre, ou quelque fois entre le frappeur et l’artiste. Cette installation s’attache au conflit qui existe entre des pays de l’Asie occidentale. Pendant l’exposition, les spectateurs furent invités à frapper les tambours pour exprimer leurs désir, leur passion, leur pression, leur rage, voire leur désir sexuel. A la fin, selon le but de l’artiste, les spectateurs se sont exprimés, épanchés, calmés, consolés. D’ailleurs, cette performance collective est, autant pour CHEN Zhen que pour le public, une déclaration politique. L’œuvre démontre que, selon CHEN Zhen406, on est complètement déçu par les problèmes politiques, durs et donc difficiles à régler, entre Israël et la Palestine. Et non seulement ces problèmes-là, l’œuvre rappelle aussi des problèmes nationaux et religieux pour lesquels il faudrait une négociation de paix. Par conséquent, nous pouvons dire que le geste de frapper le tambour dans cette performance effectuée devant l’œuvre de CHEN Zhen signifie à la fois une punition, une réflexion et une négociation interne. C’est pourquoi l’artiste donna le titre Chef d’œuvre, cinquante coups chacun. Le conflit évoque la question de la relation humaine et sociale par laquelle, selon CHEN Zhen407, il peut, pendant la visite de l’œuvre, percevoir ce qui est invisible, inaudible et immatériel. Face aux problèmes qui existent, CHEN Zhen proposa408 les sièges et les lits avec lesquels le visiteur peut jouer. Les gestes tels que tapper, jouer, danser peuvent exprimer de la rage, des mécontentements, des angoisses individuels et donner à l’homme du bon souffle avec lequel il peut mentalement rassénérer et s’équilibrer. Le contact physique du spectateur avec l’œuvre de CHEN Zhen devient un processus de traitement médical. Cet effet médical

405 Avant l’exposition, un ami musicien, TAN Dun 谭盾 (né en 1957), dont la musique fascina CHEN Zhen bien avant leur rencontre, fut convié à célébrer son exposition qui devait avoir lieu en 2003. Mais CHEN Zhen décéda en 2000. En 2001,TAN Dun, avec sa musique composée pour le film chinois intitulé Tigre et dragon réalisé par LI An, obtint l’Oscar américain pour la musique originale. Mais CHEN Zhen ne put partager la gloire de son ami. En 2003, l’exposition de CHEN Zhen eut lieu à Paris. Selon l’espoir infini de CHEN Zhen, les amis de l’artiste furent invités à célébrer l’exposition en réalisant une performance. 406 徐敏 (XU Min), 陈箴 (CHEN Zhen), op.cit., p.19. 407 Ibid.,p.136 - 137. 408 Ibid., p.148. 316 provoqué par l’œuvre d’art implique l’importance de la négociation universelle dans le secteur politique et culturel. En 2006, l’œuvre connut une expérience traditionnelle et particulière à Shanghai, son pays natal. La performance fantastique fut renommée 绝唱,舞身擂魂 (Chef d’œuvre, faire danser le corps, frapper l’âme)409. Cette œuvre devint à la fois un chef d’œuvre et le ‘dernier chant’ de CHEN Zhen. Il est clair que cette performance à Shanghai eut pour objectif de réveiller l’âme de l’artiste et de l’encourager à aller vers l’au-delà, selon la tradition chinoise. CHEN Zhen, étant influencé par sa famille de médecins, fut profondément intéressé par la médecine traditionnelle chinoise. Pour lui, son « corps est un laboratoire410 », son « art devient une ordonnance.411 » C’est avec cette ordonnance en forme d’art que ce grand artiste allait traiter des maladies(des problèmes politiques, culturels, religieux) pour le peuple dans le monde entier. CHEN Zhen nous émut avec ses sièges provenant des quatres coins du monde. Pendant une dizaine d’années avant sa mort en 2000, il avait consacré toute son énergie à l’art contemporain, tout en combattant une grave maladie. En somme, le Chef d’œuvre, cinquante coups à chacun consiste en l’installation, la performance de danse, la participation du spectateur, l’ordonnance médicale, c’est une œuvre d’art ritualisée, à laquelle l’artiste voulut attribuer la connotation de Rite. Sa vie est terminée, son art et son rêve ainsi que son concept et sa pensée restent dans ce monde. C’est un très cher héritage que les artistes chinois ne peuvent oublier d’étudier voire d’imiter. Sa femme avec ses amis réalisent les projets d’art infinis de CHEN Zhen et les exposent dans le monde entier.

I-V L’identité chinoise. En pratique, incruster, insérer, implanter ou installer un objet dans un autre expliquent parfaitement l’implantation d’une culture dans une autre. L’implantation culturelle chez CHEN Zhen n’est pas une contingence, mais une nécessité, une inévitabilité. Parce que le siège est important dans la culture chinoise. Quand les sièges provenant des différents pays

409 Ibid., p.148. 410 Ibid., p.19 411 Idem. 317 sont insérés dans la table ronde, cela signifie que les différentes cultures sont implantées dans une autre. C’est ainsi que CHEN Zhen a utilisé les sièges du pays dans lequel il était. CHEN Zhen, avec ses sièges souvent insérés ou collés dans un autre objet, construit un pont de communication entre la culture chinois et la culture occidentale. C’est sur ce pont que les artistes chinois qui le suivent peuvent se repérer en étudiant l’art occidental, et de l’autre côté, son art que l’artiste même considéra comme une médecine émut le grand public. Les meubles du quotidien sont considérés par CHEN Zhen comme un ‘remède culturel’ ou un médium qui fonctionne comme un éducateur. Son art est complètement différent de celui de Joseph Beuys et de Bruce Nauman. Les œuvres de CHEN Zhen sont à la fois conceptuelles et réalistes. Au lieu d’être un art muséal, c’est plutôt un art public. Même si l’artiste lui même voulut exprimer quelque chose de politique, ses œuvres ne constituent qu’un espoir d’artiste personnel. En tant que sculpture publique, la grandeur suffisante est exigée pour que le public puisse la voir de loin. Les sièges incrustés autour de la table ronde peuvent représenter, selon l’artiste, non seulement l’égalité des pays, mais aussi l’égalité des arts différents, car CHEN Zhen montre en même temps le phénomène international consistant à accepter et adopter des arts différents, et à adopter le design dans l’art pour que ce dernier puisse rendre un service au public en tant que sculpture publique. Suivant l’histoire de CHEN Zhen, nous voyons la notion d’implantation culturelle, à laquelle l’artiste même n’aurait guère pensé. Car chez l’artiste, l’idée d’implanter, d’incruster pourrait être une contingence au cours de ses études et de ses recherches, mais du point de vue de l’histoire de l’humanisme, c’est une nécessité, une inévitabilité et une fatalité. Mais en prenant les concepts occidentaux—les façon de créer et de présenter, CHEN Zhen revint sur sa propre culture chinoise dans laquelle il avait grandi. C’est-à-dire qu’il prit les objets qui peuvent symboliser la culture chinoise et provoquer les problèmes chinois ou internationaux, les objet tels que la table ronde, la chaise classique Ming ou Qing, le lit typiquement chinois, le tambour, la lanterne etc..En somme, son art est une combinaison des concepts de l’art occident et de la culture chinoise. Même si CHEN Zhen voulait, quand il vivait en France, renoncer à sa propre culture chinoise, il y revint sans exception et s’efforça, avec des matériaux typiquement chinois, de la 318 manifester dans ses œuvres d’art selon la pensée chinoise qui prône l’harmonie sociale. L’art de CHEN Zhen est un phénomène représentatif en matière du contact culturel entre l’Orient et l’Occident. Nous allons parler de deux autres artistes orientaux dont Tadashi Kawamata qui est un artiste Japonais et Shirin Neshat qui est une artiste américaine d’origine iranienne.

II Le passage des chaises de Tadashi Kawamata.

II-I La signification du passage des chaises.

Figure 108. Tadashi Kawamata, Le passage des chaises, dans la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, Paris, 1997.

Tadashi Kawamata (né en 1953) a été professeur à l’Université des arts de Tokyo d’avril 1999 à mars 2005 et a commencé à enseigner à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris depuis 2007. Comme CHEN Zhen, Tadashi Kawamata est aussi internationalisé et international depuis les années 1990, il interprète aussi sa propre culture japonaise. CHEN Zhen travailla la plupart du temps à l’intérieur et exposa ses œuvres grandioses à l’intérieur et à l’extérieur. Tadashi Kawamata ne cherche rien que de vouloir travailler à l’extérieur avec

319 des gens qui ont chacun un motif et une façon différents de travail412, pour accomplir les œuvres souvent inachevées ou infinies et souvent plus complexes et plus grandes que celles de CHEN Zhen. Ce dernier rappella les droits de l’homme, tandis que Tadashi Kawamata rappelle l’esprit individuel du public.

Figure 108 -1, extraits de la vidéo, le processus de la construction du Passage des chaises de Tadashi

Kawamata

Dans le Passsage des chaises (fig. 108, 108-1) de Tadashi Kawamata, créé en 1997 dans la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière à Paris, nous voyons, pour la première fois, une sculpture grandiose en forme de chaises, installée dans une église sacrée, un endroit pour prier. Au cours de la construction de ce passage, Tadashi Kawamata a reçu des réactions différentes de chacun. En travaillant, les gens de l’équipe posaient des questions

412 Caroline Cros, « Tadashi Kawamata : architecte du précaire » , in Qu’est-ce que la sculpture aujourd’hui, Caroline Cros (dir.), Hauts-de-Seine (France) : Beaux Arts Editions, 2008. p. 114. 320 sur leur production. Les réactions et les questions et le processus de construction, selon l’artiste, font partie du travail 413. Certains visiteurs peuvent percevoir différentes sensations au cours de la visite. Je voudrais ici, pour mieux comprendre la diversité des sensations et des réactions de chacun, citer quelques paroles des travailleurs et des visiteurs414 : Suzanne Mailley, Une voisine de l’hôpital : «Au début, j’ai essayé de trouver une explication, mais j’ai (eu) beaucoup de mal. Et puis maintenant... j’essaie de trouver quelque chose d’un peu sacré, et d’après moi, tout ça c’est comme une grande prière qui s’élèverait vers le ciel. Et ça touche le haut de la Chapelle (...) Je crois finir par comprendre, mais, c’est pas évident, ce serait l’idée de tout le monde. » Un travailleur pour la construction de cette œuvre : « C’est un travail inachevé (...) C’est jamais fini.» Un deuxième travailleur pour la construction de cette œuvre : « Au début, ça m’a pas plu du tout, je trouvais ça nul. Mais enfin, ce qu’on a fait, c’est beau.» Un autre travailleur pour la construction de cette œuvre : « Il y a maintenant «deux maisons, la Chapelle, plus le temple. » C’est-à-dire que dès que la première chaise fut transportée vers la chapelle, commença la formation de l’œuvre dont les éléments essentiels comprennent le planning originel préparé par l’artiste, des discussions et des collaborations dans le groupe de travail, des questions et des réflexions ainsi que des contemplations, sans oublier des doutes et parfois des critiques des collaborateurs et des visiteurs au cours de la construction du Passage, et à la fin l’admiration et les félicitations reçues. Après la cessation des travaux, l’œuvre se prolonge encore dans l’espace et dans un temps infini. Quant à la signification de ce passage en chaises, Michel Ellenberger, journaliste et écrivain français, en visitant cette sculpture immense et infinie, posa une question majeure et exprima aussi ses sensations si profondes que nous pouvons en partager : « Qu’est-ce qu’une chaise, surtout une chaise d’église ? C’est l’instrument sur lequel on est invité à s’asseoir et à écouter en silence la parole officielle. Des milliers de chaises (...) rappellent la diversité et la richesse de chaque personne.415 » La parole de Michel Ellenberger nous conduit à l’église même.Autour de la coupole centrale de la Chapelle Saint - Louis de l’hôpital de la Salpêtrière, sont situées quatre ailes, et entre les quatre ailes sont situés quatre auditoires. L’auditoire pour les

413 Caroline Cros, « Tadashi Kawamata : architecte du précaire » , loc.cit., p. 114. 414 Gilles Courdet (réal.), Le Passage des Chaises, Cette vidéo est mise dans l’œuvre :Works & process : Tadashi Kawamata, Edité par Gilles Coudert, réalisée par Gilles Coudert et Tadashi Kawamata, parue en 2005, version originale sous-titrée français, anglais, 2 DVD sous étui 300' (11 films), Paris. 415 Ibid.,cit. 321 hommes est sur le nord, celui pour les femmes est au sud, celui des garçons est à droite, celui des filles est à gauche. Des gens venant des quatre côtés traversent les quatre ailes et se joignent au cours central et s’installent ensuite dans l’auditoire consacré à eux pour écouter « une parole unique416 ». Tadashi Kawamata, selon la particularité de la construction de la Chappelle nous propose un passage particulier qui traverse non seulement l’espace de l’entrée de l’église à la coupole centrale, mais il traverse aussi le temps. Un visiteur arrive à l’ entrée de la Chappelle et ensuite il traverse le passage en Chaises jusqu’au point central de la Chappelle où il rejoint d’autres visiteurs venant d’autres ailes et puis il s’installe et prie ou médite dans l’auditoire, et à la fin il sort de l’église. L’un des processus individuels est ainsi accompli dans l’espace et temps. Ce processus constitue un élément de l’ensemble de l’œuvre de Tadashi Kawamata. Mais tous les processus s’engagent autour des chaises sans lesquelles le passage de Tadashi Kawamata n’existe pas. Apparemment, les chaises sont le point de repère de l’œuvre. Nous sommes conduits à parler du rôle des chaises utilisées. Une chaise avec un siège en paille jaune est une chaise simple et ordinaire. Mais cette simplicité se rapporte à l’intimité, à la bienveillance, à l’affabilité. Normalement, une chaise donne à quelqu’un qui prie une place qui l’isole d’autres personnes autour d’elle. Tadashi Kawamata, en rassemblant des milliers de chaises pour en construire une sculpture, rassembla aussi des milliers d’individus et leurs forces collectives que représentent les chaises. Il y a un proverbe chinois qui dit 众志成城 (zhong zhi cheng cheng), et qui sifignifie en Français que les forces (ou les volontés, ou les ambitions) du public forment une muraille. Ce proverbe peut expliquer l’essence de ce passage composé de chaises. Quand les visiteurs traversent ce passage, à chaque pas, ils sont probablement conduits à s’intérroger, réfléchir et réagir. Les sujets auxquels ils pensent sont variables selon leurs expériences et sensations différentes. Cette cohésion solennelle des chaises conduit les visiteurs ou les personnes qui prient vers la tour, par laquelle une prière solennelle s’élève vers ‘le ciel’. Nous sommes arrivés au point croisé. C’est-à-dire que l’ensemble des passages (visites) des individus égale à l’ensemble des éléments immatériels qui sont matérialisés en chaises utilisés dans cette œuvre sculpturale.

416 C’est la parole de Michel Ellenberger. Gilles Courdet (réal.), Le Passage des Chaises, op.cit. 322

A travers l’œuvre de Tadashi Kawamata, nous voyons donc une forme variable, indéfinie ou indéterminée, puisqu’il y existe non seulement des éléments matériels définis--les chaises et la Chapelle, mais aussi des éléments immatériels indéfinis qui se multiplient sans cesse — les actions physiques (visites) et les réactions mentales du public. L’artiste, selon lui-même, n’a jamais pensé à une forme définitive, car elle change constamment, à cause parfois du mauvais temps, parfois des matériaux incontrôlés. La forme n’est pas essentielle pour lui. Des actions imprévues pendant la construction de l’œuvre et des réactions imprévues des visiteurs sont importantes dans cette œuvre. Selon Caroline Cros, Tadashi Kawamata est un « architecte de précaire 417 » . Car cette œuvre « architecturale » est faite non pas pour vivre, ni pour durer, mais pour visiter temporairement.

II-II L’ identité japonaise. Au-delà du Passage des chaises, Tadashi Kawamata a fait une autre œuvre architecturale en chaises. Il la créa de la même façon que celle du Passage des chaises et cette structure ayant aussi une couronne ouverte vers le ciel est aussi liée à l’église. Du côté du matériau, les œuvres architecturales de Tadashi Kawamata sont principalement en bois. Par conséquent, nous voyons bien à travers les œuvres architecturales de Tadashi Kawamata l’esprit religieux et l’inspiration issue des maisons traditionnelles japonaises qui sont toujours en bois. Comme nous l’avons dit au début de cette partie, Tadashi Kawamata veut travailler en extérieur, c’est justement pour pouvoir travailler en équipe avec des gens invités. Cela est incontestablemoent vrai. Mais au-delà, il est difficile de ne pas croire que l’artiste en le faisant ne veut pas diffuser son concept fondé sur sa propre culture japonaise et manifester son identité japonaise de laquelle il est fier. Apparemment, aux yeux des spectateurs internationaux, son identité japonaise que représente son art est devenue une étiquette et c’est grâce à celle-ci que Tadashi Kawamata a pu se distinguer dans le monde avec les œuvres architecturales en bois surtout celles en chaises.

III Le siège dans la vidéo de Shirin Neshat.

417 Caroline Cros, « Tadashi Kawamata : architecte du précaire » , loc.cit., p. 114. 323

III-I Les sièges vides et l’esprit humain.

Figure 109. Shirin Neshat, Turbulent, vidéo,1998. Sur l’écran à gauche,les hommes sont présents dans l’auditorium. Sur l’écran à droite, les femmes sont absentes dans l’auditorium

Figure 110. Shirin Neshat, l’image de la Vidéo Fevor, 1999. Les hommes et les femmes s’étaient installés séparément pendant une activité sociale.

En 1998, l’artiste de l’origine iranienne Shirin Neshat (née en 1957) qui avait immigré aux Etats-Unis à l’âge de 17 ans, créa une vidéo intitulée Turbulent (fig. 109, 109-1) prenant en œuvre la culture iranienne actuelle. Elle utilisa un double écran dont l’un représente les hommes tandis que l’autre représente les femmes absentes. Sur l’écran à gauche, les spectateurs hommes sont présents dans l’auditorium pour la performance de chant assurée par un chanteur. Celui-ci tourne son dos aux auditeurs quand il chante. Sur l’écran à droite, une

324 chanteuse est en train de chanter face aux chaises vides, car les spectateurs femmes qui devraient s’y présenter sont absentes. Bien que tous les deux chanteurs chantent aussi passionnément, ils se sont confrontés chacun à une scène différente qui implique une condition ou une position sociale différente. Après des années des études aux Etats-Unis, Shirin Neshat retourna dans son pays natal, l’Iran. La situation sociale iranienne étant largement changée la frappa lourdement, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme et la liberté des femmes. Les femmes devaient désormais se voiler et ne pouvaient participer aux activités sociales qu’en s’éloignant des hommes, c’est à dire que les hommes et les femmes étaient séparés et délimités par une toile noire déployée entre eux 418 comme nous voyons dans une autre vidéo de Shirin Neshat, intitulée Fever (chaleur intense) (fig. 110) filmée en 1999.

Figure 109-1. Extraits de la vidéo, le processus de la performance de deux chanteurs dans le Turbulent de Shirin Neshat, vidéo,1998.

418 Sylvia Martin et Uta Grosenick, Art Vidéo, Cologne : Taschen, 2006, p. 72. 325

Les vidéos de Shirin Neshat révèlent les limites sociales et politiques et font appel aux droits de l’homme ainsi que la justice sociale. Il faut qu’il y ait une place pour chaque individu, que ce soit femme ou homme,et qu’il y ait une autorité pour chacun de vivre librement. Mais la réalité, comme le présente la vidéo de Shirin Neshat, est injuste. Quand le chanteur a fini sa présentation, il a reçu des applaudissements si chaleureux qu’il lui fallait s’incliner en signe de remerciement plusieurs fois. Mais la chanteuse solitaire n’allait décidément pas recevoir d’applaudissement à la fin, car l’auditorium était déjà vidé et aucune figure en vue. Est-ce équitable ? En somme, les questions sont posées à travers les chaises vides. Ces dernières sont ainsi le point de repère de la vidéo de Shirin Neshat. C’est le vide qui évoque les problèmes.

III-II Le geste du désir. Pourquoi le chanteur chante-t-il en tournant le dos au spectateur ? Quel désir a-t-il ? De toute façon, c’est gênant pour les spectateurs hommes de regarder le dos du chanteur, car ils ne peuvent pas voir ses expressions sur le visage et ses gestes physiques et ne peuvent donc pas comprendre les sentiments que le chanteur veut exprimer. Cela constitue aussi une limite. La chanteuse voilée est « cachée » dans le noir de l’auditorium. La seule chose visible est son buste avec les mains agissant et le visage maigre et pâle sur lequel on voit des expressions douloureuses. Elle chante comme si elle se débattait désespérément. C’est plutôt crier que chanter. Quand elle chante, la caméra tourne autour d’elle, comme si la chanteuse se tournait tout en chantant et exprimant ses sentiments sans cesse vers les quatre côtés du monde. Nous avons l’impression qu’elle se tourne parfois vers les chaises vides, parfois vers le spectateur devant l’écran, parfois vers le chanteur qui a déjà fini sa présentation avec des félicitations et maintenant est en train de l’écouter et surpris par cette présentation sans mots mais en onomatopées douloureuses. Puisque c’est une vidéo, l’œuvre s’adresse certainement aux spectateurs qui se trouvent devant l’écran, non pas aux ceux qui se présentent sur la scène à filmer. Le spectateur qui se trouve devant l’écran peut probablement percevoir un vertige et sentir sa tête tourner et il se sentira probablement tomber à la fin. Si cette possibilité se réalise, 326 cela peut impliquer la chute ou la déchéance voire la perte de l’identité des femmes. Les gestes de la chanteuse sont plus variables et plus touchants que ceux du chanteur. Cela dit que maintenant les femmes doivent se battre plus fort que les hommes. Comme nous le voyons dans les photographies, ses mains prient pour se débattre, s’ouvrent pour se replier, mais à la fin, elles ne peuvent que finir par s’arrêter désespérément devant des chaises vides restées dans le silence des sièges vides.

III-III L’identité iranienne. Shirin Neshat a articulé des chaises avec le son (le chant, la musique), la performance pour montrer la situation sociale iranienne des années 1990. Cette façon de créer n’est pas tout nouvelle. Retournons vers l’histoire de l’art américain, depuis 1948 où la riche communauté interdisciplinaire d’artistes du Black Mountain College avait donné à Robert Rauschenberg l’occasion d’expérimenter dans le domaine du théâtre, de la danse, des costumes et du spectacle 419. En tant qu’immigrante et élève aux Etats Unis, Shirin Neshat ne pouvait éviter d’être influencée par les courants d’art américains, surtout en matière de présentation. Mais en matière du contenu de l’œuvre, Shirin Neshat revient sur sa propre culture iranienne qui marque sa propre identité originelle, bien qu’elle soit déjà immigrée. La vidéo Turbulent n’est qu’une des œuvres qui racontent le développement et l’évolution et surtout la particularité de la culture iranienne. Shirin Neshat travaille toujours sur la représentation des personnes, en particulier les femmes voilées, pour dévoiler les problèmes sociaux cachés.

Conclusion :

Pendant les années 1990, c’était la vague de l’immigration vers l’Europe et vers les Etats Unis. Pourtant les artistes et les étudiants venus de l’Orient travaillèrent tout en se reposant sur les pensées de leurs pays originaux. CHEN Zhen commença à se distinguer au niveau international avec sa Table ronde à la chinoise. Il posa des questions sur la paix internationale et les droits de l’homme. C’est une globalisation artistique issue de la mondialisation

419 Schimmel Paul, etc., Robert Rauschenberg : combines (Robert Rauschenberg : combines), Les Angeles :The Museum of Contemporary Art, 2006, p.201. 327 culturelle pendant le courant d’immigration globale. Tadashi Kawamata débuta sa réputation à la même époque avec la « prière » de ses œuvres qui prétendent partager avec le public l’esprit collectif. Elles portent un bon espoir pour le monde. C’est un geste artistique au nom de la religion japonaise : le bouddhisme. Shirin Neshat, avec sa vidéo Turbulent, dans laquelle les sièges vides impliquent l’absence des femmes, fit appel aux droits des femmes iraniennes. Dans sa vidéo, c’est le chant de la chanteuse iranienne qui donne un sens turbulent et qui caractérise ainsi l’œuvre. Ces artistes travaillent en mélangeant les concepts occidentaux et orientaux, mais leurs œuvres distinguent leurs identités originales : chinoise, japonaise et iranienne.

Chapitre VII

L’ancienneté et la contemporanéité dans les arts plastiques chinois des années 2000

Sylvie Coëllier, historienne de l’art contemporain, dit que la première décennie des années 2000 « n’aura suscité aucun mouvement artistique, n’aura fait naître aucune nouvelle orientation théorique420 », pourtant, selon elle, il y a des modifications. En ce qui concerne l’art contemporain chinois, quelles modifications ont émergé ? Nous parlerons de deux artistes chinois dont SHAO Fan qui a étudié en Chine et AI Wei Wei qui a étudié en Chine et aux Etats-Unis, afin de connaître quelques changements dans le cadre de l’art chinois.

I Les chaises de SHAO Fan.

I-I La question de l’identité chinoise. Selon l’ouvrage de LI Beilei et HAO Yun, intitulé La recherche sur l’art contemporain chinois, l’art contemporain chinois commença par imiter la modernité et la post-modernité

420 Sylvie Coëllier, « Modifications apparues dans les arts plastiques depuis 2000 », in L’art des années 2000, Quelles émergences ?, Sylvie Coëllier (dir.) ; Jacques Amblard (dir.), Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence, 2012, p. 15. 328 occidentales. Mais à partir des années 1990, l’art chinois, évitant l’influence du concept et du mode occidentaux, se dintingue progressivement du courant occidental et revient à ses propres cultures, politiques et sociétés économiques. Il est formé dans l’ambiance de la culture mondiale. Dans cette ambiance, l’art contemporain chinois ne peut être international qu’avec sa propre identité nationale.421 De la limitation à la création, l’art contemporain chinois vécut une expérience d’une dizaine d’années (de1979 à environ1993). CHEN Zhen, artiste chinois qui vivait en France avant 2000, devrait être le pionnier en question, car il posa déjà la question de l’identité chinoise, lorsqu’il créa sa première œuvre en sièges intitulée Digestion perpétuelle en 1993. Grâce à la popularisation de l’internet, la Chine, comme d’autres pays, conaît une époque d’information rapide, à partir de la fin des années 1990. En Chine, toutes les choses changent rapidement et brutalement. Cette rapidité se manifeste dans les domaines suivants :le goût esthétique, le concept de consommation, la façon de travailler et de communiquer, le régime de l’état, les mesures politiques, etc. L’effet direct de ce changement rapide est la prospérité économique croissante. Cette dernière soutient en revanche le développement de l’art et du design. L’imitation fut remplacée par la création. Ce changement fut issu du besoin intérieur. Comme le dit LI Bei Lei et HAO Yun422, la poursuite de la logique culturelle nationale chinoise n’est pas issue de la recherche de la forme et de la matière de la création aritstique, mais du besoin intérieur de la signification de l’art. Par rapport aux 30 premières années du XXe , cette réflexion sur l’identité chinoise est en partie différente. Au début du XIXe siècle, on parlait du choix entre l’Occident et la tradition chinoise. Depuis 2000, à cette discussion s’ajoute une notion : la modernité chinoise. La question importante est celle-ci : Face à l’art occidental, quelle est l’identité chinoise dans l’art ? s’agit-il de la tradition ou de la modernité chinoise ? L’existence de la tradition chinoise est certaine, mais y-a-t il une modernité chinoise ? S’il y en a une, comment la définit-on ? A propos de la modernité chinoise du XXe siècle, GAO Minglu l’a nommée ‘zheng yi xian dai xing 整一现代性’ (la modernité de totalité ou la modernité d’un tout423 ). Selon

421 LI Bei Lei (李倍雷), HAO Yun (赫云), 中国当代艺术研究 (zhong guo dang dai yi shu yan jiu) (La recherche sur l’art contemporain chinois), Beijing : 光明日报出版社 (Guangming Ribao Chubanshe), 2010, p. 147. 422 Ibid.,p. 154. 423 Anny Lazarus, La critique d’art contemporaine chinoise, Volume I, op.cit., p.257. Anny Lazarus intéprète le terme de GAO Ming Lu en ‘Modernité d’un tout’, 329

GAO424, afin de rattraper l’art moderne occidental qui commença cent ans plus tôt que l’art chinois, les artistes chinois dépassaient l’espace et le temps, mélangeant la modernité et la post-modernité en renversant leur chronologie. Pendant les années 1980, on parlait de la post-modernité, mais pendant les anées 1990, on établissait un recul pour parler de la modernité. La modernité et l’avant-garde chinois sont l’unité du temps, de l’espace et de la valeur. Au début du XXIe siècle, quand on parle de la contemporanéité, on parle encore de la modernité et de la tradition, car elles constituent deux composants importants de la contemporanéité artistique chinoise.

I-II Une culture ancienne et nouvelle. SHAO Fan (邵帆, né en 1964) est le peintre, sculpteur, designer, professeur à l’Académie centrale des beaux-arts de Chine à Beijing. Il a participé aux plusieurs expositions internationales du design et de l’art plastique en Europe et en Amérique depuis 1988. Ses chaises répondent bien à la notion de ‘modernité totale’ initiée par GAO Ming Lu.

Figure 111. SHAO Fan, Roi, 2005

424 LE Zheng Wei (乐正维), ZHANG Yi Wu (张颐武), 反思二十世纪中国:文化与艺术 (Fan si er shi shi ji zhong guo : wen hua yu yi shu) (La réflexion sur la Chine du XXe siècle: la culture et l’arti), Guangzhou (Chine) : 岭南美术出版社 (Lingnan Meishu Chubanshe), 2009, p. 77 - 80. 330

I-II Double image. Pour réaliser la chaise, intitulé Roi (fig. 111), créée en 2005, SHAO Fan coupa une ancienne chaise de style Qing en deux parties et les colla de chaque côté d’une nouvelle chaise de style moderne. Comme si la nouvelle chaise s’intégrait dans l’ancienne ou la séparait en deux parties. Cette chaise composée donne deux couples de double image. Le premier couple est l’image de l’ancienne Chine et celle de la nouvelle Chine aujourd’hui, tandis que le deuxième est l’image de la vie traditionnelle et celle de la vie moderne et développée. L’ensemble de la chaise ressemble à une image familiale qui décrit une mère embrassant son nouvel enfant. Il semble que ces doubles images soient inséparables, cela veut dire que la nouveauté est basée sur l’ancienneté, la modernité est fondée sur la tradition. En principe, dans le design, on emprunte la forme ancienne avec une réforme ou une modification. Mais SHAO Fan utilise directement l’objet ancien et fait coexister les doubles images. Cette rencontre en vis-à-vis a l’objectif de souligner l’importance de l’ancienneté et de la tradition qui ne devraient pas être oubliées. C’est une défense forte contre la perte de la tradition. Le concept de SHAO Fan a tendance à dépasser le cadre du design et de toucher celui de l’art plastique. Détruire et couper et puis reconstruire, c’est une façon dont SHAO Fan crée ses œuvres afin de trouver une solution pour l’art contemporain chinois, en se demandant s’il est possible de transplanter, intégrer, unir l’art ancien dans l’art contemporain et la culture ancienne dans celle moderne? La communication entre l’art contemporain et l’art ancien se tient dans les chaises de SHAO Fan, cela est un point intéressant.

I-III L’ancienneté + la nouveauté = la contemporanéité. La nécessité intérieure en Chine Au XXIe siècle, l’art contemporain chinois s’attache de plus en plus à l’art traditionnel qui couvre plus de 5000 ans d’histoire : la calligraphie, la peinture, le costume et l’architecture ainsi que les arts folkloriques des différentes régions où habitent les différentes minorités chinoises, mais aussi le mobilier classique : le mobilier Ming et Qing. Les Chinois ont construit des ressources fertiles auxqelles un nombre croissant d’artistes et de designers s’épuisent. Cet engouement pour la tradition chez les artistes et chez les designers est décidé par la tendance de la société chinoise qui cherche de plus en plus son propre art. Les Chinois et les autorités chinoises perçurent après les années 1980 l’importance de la tradition qui est une grande partie de la civilisation mondiale. A partir de l’année 2000, cette conscience culturelle devient plus forte. Les trésors historiques matériels et immatériels 331 exigent des protections et une préservation sérieuses. Les héritages immatériels incluent les arts traditionnels et les fêtes traditionnelles, tandis que les héritages matériels comprennent les monuments historiques et des Antiquités par exemple les chaises anciennes. Les autorités chinoises ont mené des mesures politiques pour protéger, promouvoir et développer la culture traditionnelle. Les patrimoines culturels deviennent des matériaux matériels et immatériels pour les artistes et les designers chinois.

I-IV Solution. La Chine entre dans une époque de cultures diverses. Par conséquent, la capacité de se repérer devant la diversité et la multitude des cultures différentes, et le point de répère culturel constituent deux problèmatiques importantes chez les artistes et les designers chinois. Selon le critique chinois MA Qinzhong425, la question centrale (le noyau)dans l’ambiance actuelle est la nationalisation, cette dernière est confrontée à la question de l’internationalisation. Je pense que c’est une question commune aux pays différentes, puisque, comme nous l’avons dit, les échanges culturels internationaux ne cessent pas. Pour les Chinois, selon MA Qin Zhong426, l’internationalisation égale l’occidentalisation depuis plusieurs siècles. Bien qu’il y ait aussi des échanges entre les pays asiatiques, MA Qin Zhong a bien raison d’avoir tiré le point essentiel. Face à la modernité et la contemporanéité occidentales, les artistes et les designers chinois cherchent aussi les leurs, même si elles sont difficiles à définir avec justice et certitude. Ils sont confrontés aux choix entre la Chine et l’Occident, entre la tradition et la modernité, entre l’ancienneté et la nouveauté. C’es ainsi qu’apparurent certaines œuvres d’art ou de design qui portent à la fois une image ancienne et une nouvelle. SHAO Fan ne pouvait guère éviter de penser à ces problèmatiques et être influencé par les concepts occidentaux avant de réaliser ses chaises portant une double image. C’est ainsi qu’il implanta une nouvelle chaise dans une ancienne. En prenant les concepts occidentaux, SHAO Fan travaillant sur l’historicisme et le modernisme fit un contact historique dans le cadre de la culture chinoise. Le travail de SHAO Fan reflète quelque part la culture actuelle en Chine où l’attention est mise sur la recherche évoluant entre l’historicisme et le modernisme, mais aussi entre la

425 马钦忠 (MA Qin Zhong), 中国当代美术的六个问题 (zhong guo dang dai mei shu de liu ge wen ti) (Six problèmes de l’art contemporain chinois), Beijing : 人民美术出版社 Renmin Meishu Chubanshe, 2013, p. 133. 426 Ibid., p. 134. 332

Chine et l’Occident, et concernant les concepts, les sciences, les lettres et les sports etc. D’autres artistes et designers chinois, comme SHAO Fan, suivent cette tendance et montrent avec leurs œuvres d’art le résultat de cette recherche mutuelle puisque historique et internationale.

II Les sièges d’AI Wei Wei.

AI Wei Wei, architecte, designer et artiste, qui avait étudié aux Etats-Unis, créa plusieurs œuvres en sièges. Dans les lignes suivantes, nous parlerons de deux exemples.

Figure 112. AI Wei Wei, Table de trois pieds, 2006.

L’œuvre intitulée Table de trois pieds (fig. 112), créée en 2006, est une transformation d’une ancienne table qui avait normalement quatre pieds. L’artiste coupa une table Qing en quatre morceaux et regroupa seulement trois morceaux. Cette table déformée devient en effet trois sièges dont l’un se tient verticalement sur le sol, les autres sont appuyés sur les murs, et procure probablement une illusion ou une confusion chez le spectateur. S’il penche la tête, il verra l’autre siège qui se tient verticalement sur le mur, et les autres appuyés sur l’autre mur et

333 sur le sol. Visuellement, cette œuvre peut faire tourner notre tête et nous procure ensuite une fatigue. Etant pourvu d’un seul pied, aucun siège singulier n’est complet, ni capable de se tenir. Cette œuvre montre bien le talent d’un designer. Du côté de l’art, le geste de couper un siège implique sans doute un mécontentement ou une révolte ou un conflit envers un existant que ce siège peut représenter, par exemple un régime ou une mesure politique, ou la position sociale de quelqu’un ou son pouvoir, tandis que le geste de regrouper ce qui est déjà coupé implique une revendication de réformer un existant. L’artiste veut briser ce qui ne fonctionne pas bien et libérer les Chinois de l’obscurité en leur donnant une liberté de s’exprimer427. A propos de la reconstruction d’un objet, AI Wei Wei dit : « (Mais) une fois détruit, il n’est plus rien. Il devient un simple matériau à la disposition d’un artiste, qui créera un objet en contradiction totale avec ce qu’il était avant. C’est donc un acte empreint d’ignorance, mais également une forme de redéfition ou de remise en cause.428 » L’objet regroupé n’est donc ni une table ni une chaise. Il faut le redéfinir. L’artiste prend l’art très au sérieux, mais sa production ne l’est jamais, elle constitue essentiellement un acte ironique429. AI Wei Wei élargit sa perspective artistique pour créer une installation immense, ouverte et participative et évolutive intitulée Fairytale (Tonghua) (Conte de fées) (fig.113). L’artiste organisa un groupe de 1001 citoyens chinois et l’amena en Allemagne pour la Documenta XII 2007 à Kassel. Il amena en même temps 1001 sièges (chaises, fauteuils) Ming et Qing sur lesquels les visiteurs sont invités à s’assoir430 . Le projet d’AI Wei Wei qui inclut deux installations dont Conte de fées et Template, fut financée de 3100000 euros par le gouvernement allemand431. Selon l’observation de l’historienne, Sylvie Coëllier , à propos des modifications apparues dans les arts plastiques depuis 2000, cette installation concerne certainement la « puissance liée à la financiarisation généralisée de nos sociétées432 » et « la

427 Hans Ulrich Obrist, AI Wei Wei, (Titre de l’édition originale : AI Wei Wei speaks with Fans Ulrich Obrist, première édition en 2011) traduit de l’anglais par Olivier Colette, Paris : Manuella, 2012, p. 45. 428 Ibid.,p. 139. 429 Hans Ulrich Obrist, AI Wei Wei,op.cit., p. 137. 430 AI Wei Wei, Er Xi, air de jeux, Maria Felix Frazan ( édi.), Pairs : Le Cherche Midi, 2016, p. 12. 431 FU Xiao Dong 傅晓东, « Conte de fées en tant qu’œuvre », in AI Wei Wei, 寻找快乐的能力 (La capacité de chercher la joie), entretients d’AI Wei Wei, Hongkong : Dashan Wenhua Chubanshe, 2013, p. 50. 432 Sylvie Coëllier, « Modifications apparues dans les arts plastiques depuis 2000 », op.cit., p15. 334 mondialisation culturelle et économique 433 ». Telle mondialisation été réalisée par l’intermédiaire des 1001 sièges et des 1001 Chinois. Dans les lignes suivantes, nous verrons le processus de la production de l’œuvre.

Figure 113. AI Wei Wei, 1001 sièges de dynastie Ming, vue de l’exposition à Kassel, Documenta XII, 2007.

L’idée de faire le Conte de fées, selon l’entretien d’AI Wei Wei avec FU Xiao Dong effectué le 20 juillet 2007434, est issue de son voyage en Suisse. Quand il y voyait un groupe de voyageurs italiens dont les petits et les grands, il a décidé tout de suite d’inviter les citoyens chinois à voyager à l’étranger. Il faut atteindre un certain nombre pour que cette œuvre soit significative. Il a décidé de grouper 1001 Chinois venant de quatre coins de la Chine et de différents domaines. Ces 1001 Chinois peuvent être considérés comme un morceau d’un gâteau, c’est-à-dire une partie de la Chine. En mars 2007, seulement deux jours après que l’artiste avait diffusé son annonce, il reçut déjà 200 sièges Ming et Qing, au bout de la semaine suivante, il reçut plus de 1000 sièges435.

433 Ibid., p15. 434 FU Xiaodong 傅晓东, « Conte de fées en tant qu’œuvre », in AI Wei Wei, 寻找快乐的能力 (La capacité de chercher la joie), op.cit., p. 48. 435 Urs Stahel (Dir.) ; Daniela Janser, AI Wei Wei, Entrelacs, Göttingen (Allemagne) : Steildl Verlag, 2011, p. 330. 335

Ces sièges recrutés n’étaient plus stables ou utilisables. Il a fallu qu’ils soient réparés par nombreux ébénistes chinois. En avril 2007, l’effort le plus grand est de demander un visa pour chaque participant, car avoir un visa était difficile en Chine à cette époque-là. Mais cette fois-ci, la demande de visa fut favorisée rapidement sans difficulté436. Il est intéressant de citer le fait que l’artiste fit couper ses cheveux en une lettre ‘F’ en arrière de sa tête, pour soutenir son œuvre Conte de fées437. Il a préparé aussi pour les participants des objets courants tels que les valises, les lits, les linges, les oreillers, les bracelets USB. Avec ces objets les 1001 Chinois pouvaient être identifiés438 .

Les symboles de la culture chinoise AI Wei Wei travaille sur le symbolisme. Dans ses œuvres, il montre des objets symbilisant la culture chinoise concernant la vie, l’art, l’histoire et la politique, etc. Après l’exposition du Conte de fées, l’artiste a créé une installation immense intitulée Sunflowers seeds ( Graines tournsol) en 2010, organisée par la Tate Modern à Londres. Une centaine de millions de graines de tournesol en porcelaine furent fabriquées et peintes à la main. Les matériaux : les graines de tournesol, renvoie à la révolution culturelle où Mao Ze Dong était considéré comme le soleil vers lequel le peuple se tournait. Le symbole des graines est donc clair. Mais « AI Wei Wei se rappelle aussi que le partage des graines de tournesol était un geste symbolisant la bonté et l’amitié durant une période de pauvreté et d’oppression.439 » Sylvie Coëllier440 dit aussi que « c’est précisément le matériau, et son iconographie, qui renvoient à la culture chinoise ». Dans le Conte de fées, les matériaux sont les sièges Ming et Qing peuvent être considérées comme une étiquette importante de la culture chinoise. A savoir que le style Ming représente le sommet du mobilier classique chinois et il est mondialement connu. A Kassel, les 1001 sièges étaient à la disposition des visiteurs dans les différents espaces de l’exposition. Parfois ils furent arrangés en petit circle et parfois en grand

436 Ibid., p. 334. 437 Ibid., p. 328. 438 FU Xiaodong 傅晓东, « Conte de fées en tant qu’œuvre », op.cit., p. 49 – 50. 439 AI Wei Wei, Er Xi, air de jeux, op.cit., p. 12. 440 Sylvie Coëllier, « Modifications apparues dans les arts plastiques depuis 2000 », loc.cit., p. 24. 336 groupe. Quand les visiteurs de l’exposition s’asseyaient sur eux ou les regardaient, une certaine reconnaissance de la culture chinoise était réalisée. Et puis, les 1001 citoyens chinois pouvaient agir librement à Kassel. Leur visite, leur comportement et leur réaction face à une nouvelle ville, une nouvelle langue, une nouvelle culture, etc. ont fait partie intégrante de l’installation et ont laissé aux peuples locaux une certaine image de la culture chinoise. De ce point de vue, selon AI Wei Wei441, les 1001 Chinois étaient à la fois les intermédiaires culturels, les porteurs culturels, les bénéficiaires ou les victimes culturels. Mais en même temps, la visite des Chinois posaient aussi un conflit culturel. Car la plupart d’entre eux ne connaissaient ni l’anglais ni l’allemand ni la culture allemande ni l’art contemporain. Par exemple, les agriculteurs ne connaissaient aucune langue étrangère et connaissaient très peu la culture allemande. Leur visite a rencontré des difficultés à la fois culturelles, politiques et économiques. Cela ajouta à l’œuvre une complexité, selon l’artiste442, posant les questions fondamentales concernant la culture, la valeur et le jugment.

Occidentalisation ? A propos du rôle de l’artiste-même dans cette œuvre, AI Wei Wei s’est considéré comme un observateur tout en étudiant, car, chaque jour, il devait régler de nouveaux problèmes qui arrivèrent et qu’il n’avait jamais rencontrés dans sa vie443. Le Conte de fées n’est plus une œuvre personnelle mais collective. D’ailleurs, il n’a pas de forme. Et puis, il n’est achevé que quand l’exposition est terminée, les matériaux débarrassés et les Chinois arrivés en Chine. Cette façon de créer et de présenter est liée à l’art occidental. Quand AI Wei Wei a étudié aux Etats-Unis de 1981 à 1993, il était influencé par la philosophie d’Andy Warhol, la pensée de Duchamp, l’art de Jasper Johns, le dadaïsme et le surréalisme444. Pourtant, les œuvres telles que Conte de fées et Graines de tournesol ont franchi le cadre dans lequel ces maîtres avaient travaillé. Elles sont une production de masse qui combine l’artisanat traditionel, l’art contemporain et la vie contemporaine, et elle suscite donc un

441 FU Xiao Dong 傅晓东, « Conte de fées en tant qu’œuvre », op.cit., p. 51 - 52. 442 Ibid., p. 51 443 Ibid.,p. 52. 444 Hans Ulrich Obrist, AI Wei Wei,op.cit., p.115. 337 contraste entre l’ancienneté et la contemporanéité. En comparaison avec les œuvres de CHEN Zhen, l’art d’AI Wei Wei est plus provocateur. Selon ses entretiens, AI Wei Wei veut nier de façon artistique les anciens mesures politiques pour construire un nouveau système qui rend les peuples chinois une liberté totale 445. AI Wei Wei a effectivement diffusé partiellement la culture chinoise et largement attiré l’attention du monde à la Chine. Nous revenons au rapport entre l’ancienneté et la contemporanéité. Notre spéculation peut être accomplie grâce à la notion de contact446 et à la notion de modification de l’historienne de l’art contemporain, Sylvie Coëllier, et à la notion de modernité du philosophe, Michel Guérin. Celui-ci dit : « Au sens le plus vaste, transhistorique et multiséculaire, est moderne un comportement dont la clef n’est plus à chercher dans la tradition. Un tel comportement, affranchi de toute autorisation préalable demandée à une instance, marque au contraire sa confiance à l’instant ; il vaut implicitement éloge du présent. Il se distingue de surcroît par une capacité d’autonomie, au servie non seulement d’un jugement mais en vue d’une opération ; dans la spéculation du moderne, entre du calcul.447 » AI Wei Wei et SHAO Fan modifient (plus ou moins) les anciennes sièges pour montrer l’ancienneté (ou la tradition) et la mettre en contact avec la nouveauté (ou la contemporanéité). Pour SHAO Fan, la nouveauté (ou la contemporanéité) se trouve dans les chaises créées (ou produites) aujourd’hui. AI Wei Wei a élargi la perspective artistique, au sens de la façon de créer et de présenter. La nouveauté ( ou la contemporanéité) de ses œuvres se trouve dans trois aspects : 1) la nouvelle façon de créer et de présenter (collectionner, modifier (ou transformer), transporter, exposer, utiliser) ; 2) la nouvelle génération qui utilisent les anciens sièges ; 3) le nouvel environnement (exposer à l’étranger). Ces deux artistes ne cherchent pas des propriétés artistiques dans la tradition. Mais ils se repèrent sur elle pour montrer un contraste historique. En faisant, ils soulignent l’instant, c’est-à-dire la contemporanéité. C’est aux évènements du présent que notre attention doit s’adresser. Chez AI Wei Wei et chez CHEN Zhen, la façon de créer et de présenter constituent

445 Ibid., p. 45. 446 Cf. Sylvie Coëllier a largement parlé de la notion de contact et son importance dans son ouvrage intitulé Histoire et esthétique du contact dans l’art contemporain, par Sylvie Coëllier (dir.), Aix-en-Provence : Publication de l’Université de Provence, 2005. 447 Michel Guérin, « Le nouveau et l’inédit ( moderne / postmoderne ?) »,loc.cit., p. 104. 338 une modification dans l’histoire de l’art contemporain chinois. Le schéma suivant (schéma 15) peut expliquer et conclure ce chapitre.

Shcéma 15. L’ancienneté et la contemporanéité

ancienneté (modification) ? contemporanéité (production, action) point de contact (questions posées)

Conclusion :

Au début des années 2000, les artistes tels que SHAO Fan et AI Wei Wei reposent des questions sur l’historicisme, s’attachent au contraste entre l’ancienneté et la comtemporanéité et celui entre l’art occidental et chinois. SHAO Fan combine l’ancienneté et la nouveauté afin de créer une nouvelle chaise. Tandis qu’AI Wei Wei met en contact direct l’ancienneté et la contemporanéité, l’Occident et l’Orient. AI Wei Wei en travaillant avec les anciens sièges Ming et Qing, prétend, selon l’artiste, les redéfinir et poser des questions sur la politique et la culture chinoises. A savoir que la liberté de l’homme et de la femme, la vie des peuples chinois, etc. Dans son art depuis 2000 dont la question de la production sociale est centrale, la culture chinoise est réifiée et l’humanisme est attaché.

339

Conclusion générale

I

Du point de vue de l’évolution de la chaise, nous pouvons faire un premier schéma suivant : (schéma 16) Schéma 16. De la forme à la fonction I

la forme la fonction

Depuis l’Egypte ancienne, la forme originale de la chaise avait pour objectif de satisfaire le besoin physique du corps humain. Quand on veut tisser, lire, manger, discuter, etc. les fesses humaines, par rapport aux genoux, peuvent être de meilleurx supports du corps. Le siège de la chaise est fait pour supporter les fesses qui supportent le corps humain. Le dossier de la chaise est fait pour que le dos humain puisse s’y appuyer. La forme de la chaise rendait au corps humain une position confortable lui permettant d’y faire une activité volontaire. La forme de la chaise devrait être unique, car une autre forme appartient à un autre objet qui ne pourrait plus procurer la même fonction que peut procurer la chaise. Par exemple, nous ne pouvons pas appeler un piano ‘une chaise’. Si on appelle un piano ‘une chaise’, on s’engage probablement dans la métamorphose et cela est hors de cette thèse. D’ailleurs, un piano ne pourrait guère donner un confort aux fesses et au dos. De ce point de vue, en termes modernes, la forme de la chaise devrait être de conception ergonomique. (schéma 17) Schéma 17. De la forme à la fonction II

la forme la fonction

ergonomique

Après avoir trouvé cette position confortable, l’humanité développa la forme de la chaise pour que celle-ci puisse offrir un confort plus agréable, tout en gardant le siège et le dossier. Ce confort peut être à la fois physique, psychologique, mental et visuel. Dans le contact avec une chaise, les qualités suivantes sont inclues : la vision, le toucher, la sensation, 340 la perception, etc. La réalisation de ce confort demande un certain travail et une certaine richesse, puisque la possession de la richesse correspondait adéquatement à la forme de la chaise. Un peuple ordinaire ne saurait pas posséder une chaise luxueuse. Parrallèlement, un roi de l’Etat ne saurait pas utiliser la chaise ordinaire d’un peuple ordinaire. Cette adéquation conduisit à la question de l’identification. C’est-à-dire qu’une chaise peut révéler ou symboliser l’identité propre de son propriétaire. C’est ainsi qu’une chaise peut avoir une fonction matérielle et une fonction immatérielle. (Schéma 18) Schéma 18. De la forme à la fonction III

la forme la fonction ergonomique matérielle et immatérielle

Puisque la forme unique de la chaise peut offrir deux fonctions, celles-ci allaient être leurs conditions nécessaires. Une telle forme unique procure nécessairement telles fonctions. Et telles fonctions nécessitent une telle forme. Il y a donc une nécessité existant dans la correspondance entre la forme et les fonctions. Notre schéma devient ainsi : (schéma 19) Schéma 19. De la forme à la fonction IV

la forme (nécessité) la fonction ergonomique matérielle et immatérielle

Puisque la chaise, grâce à ses deux fonctions particulières offertes par sa forme unique, est symbolisable du point de vue de l’identité concernant le pouvoir, la richesse, la position sociale,etc. il est possible qu’elle soit abordée dans les œuvres d’art par des artistes à partir du XIXe siècle. Ces deux fonctions, en conduisant à la mise en œuvre d’art : peindre, utiliser, transformer, etc. constituent le point de départ de l’œuvre d’art en chaises. Chaque mot a une certaine fonction. On prend un mot dans une phrase pour exprimer ce que l’on veut dire. On ne prend pas le mot ‘manger’ en tant que prédicat quand on veut dire ‘fabriquer’. La ‘chaise’ est un matériau important dans l’art contemporain, sa fonction est telle que nous avons dite. On l’utilise (ou on la transforme) dans un argument artistique , c’est-à-dire dans l’œuvre d’art. 341

Notre shcéma devient ainsi : (schéma 20)

Schéma 20. De la forme à la fonction V

la forme (nécessité) la fonction (nécessité) la transformation et l’utilisation

ergonomique matérielle et immatérielle artistique

II

Pourtant ces schémas précédents, en expliquant clairement l’évolution historique et logique de la forme à la mise en œuvre de l’art, cachent deux faits importants. Le premier est le développement permanent de la forme et le deuxième est le rapport entre la forme utilitaire et la forme artistique.

La forme de la chaise, dès son apparition dans l’antiquité, se développe sans cesse. Au cours de ce développment, il y a des actions humaines diverses telles que fabriquer, changer, imiter, créer, couper, déformer, utiliser, etc. Ces performances changent la forme de la chaise et constituent l’histoire du mobilier et l’histoire de la transformation de la chaise en œuvre d’art.

De l’antiquité à nos jours, de la forme utilitaire à la forme artistique, bien que la forme de la chaise évolue , la question de l’ergonomie ne change pas, car une œuvre d’art en chaises ne saurait pas créer une nouvelle forme qui ne ressemble pas à la forme unique de la chaise qui a toujours un siège et un dossier, sinon l’œuvre d’art ne pourrait exprimer le symbolisme de la chaise. Par conséquent, la forme utilitaire de la chaise devrait couvrir toute la ligne historique d’où dérive la forme artistique. La forme artistique dérivée ne peut pas nier la forme utilitaire. Si un jour, l’humanité ne s’asseoit plus sur la chaise que nous connaisons aujourd’hui, des connotations et des dénotations de l’œuvre d’art en chaises pourraient être très différentes. Pour indiquer le rapport entre la forme utilitaire et la forme artistique dérivée, notre schéma peut être ainsi : (schéma 21)

342

Schéma 21. De la forme à la fonction VI

la fonction matérielle transformation (forme artistique)

fabriquer la forme utilitaire ergonomique nécessaire

la fonction immatérielle utilisation (forme artistique)

III

La forme utilitaire et artistique de la chaise constituent le fil directeur de l’histoire de la chaise et également celui de cette thèse. Notre question devrait venir à ce qui influencent la forme utilitaire et artistique de la chaise. Pour cela, nous avons parlé de la philosophie, de l’esthétique, de la culture, de l’histoire, de la logique linguistique, de la psychanalyse, de la litérature et de l’art, de l’histoire personnelle, de la richesse personnelle, du goût personnel, du pouvoir personnel, couvrant les époques depuis l’Egypte ancienne jusqu’au début du XXIe siècle. Ce sont ces éléments qui influencent et façonnent la forme utilitaire et artistique de la chaise. Nous pouvons faire un schéma suivant : (schéma 22) Schéma 22. De la forme à la fonction VII la philosophie, l’esthétique, la culture, l’économie, la logique linguistique, la psychanalyse, la litérature, l’art influence dénotation symbole la forme représentation interprétation influence l’ histoire personnelle, la richesse personelle, le goût personnel, le pouvoir personnel

La relation entre ces éléments et la chaise devrait être interactive. Notre proposition devrait être ainsi : la forme de la chaise reflète, (re)présente, exprime, explique, interprète, symbolise, dénote ces éléments. Pourtant, la ressemblance entre la forme et ces éléments influents est privée de ce fait, alors que dans d’autres cas, la ressemblance est « le trait qui

343 distingue la représentation d’autres espèces de dénotation 448 ». Nelson Goodman dit : « Se pourrait-il que, si A dénote B, alors A représente B dans l’exacte mesure où A ressemble à B ? 449 » Dans le cas de la chaise, la situation est différente et particulière. La chaise, ayant une forme influencée par ces éléments, pourrait les dénoter, les représenter, sans leur ressembler. Par exemple, c’est par le trône de Toutankhamon que nous connaissons la culture, la philosophie, la religion égyptiennes et le goût personnel du pharaon, mais comment ou en quoi ce trône pourrait-il ressembler à ces premiers éléments influents ? Pourtant la forme de la chaise n’est pas capable de signifier quelque chose que nous voulons exprimer. Signifier est une fonction de notre langage appliqué. Ludwig Wittgenstein dit : « quand nous disons : ‘ chaque mot dans le langage signifie quelque chose’ nous avons dit rien quoique ce soit ; sauf si nous avons expliqué exactement quelle distinction nous voulons faire. 450 » La forme d’une nouvelle chaise qui n’est ni vendue ni utilisée, pourrait représenter l’influence culturelle ou autre chose, mais elle ne pourrait pas les signifier hors des éléments influents que nous avons mentionnés. Par exemple, on peut produire une série de chaises de même forme, comme la série de numéro 14 de Michael Thonet. Si ces chaises ne sont pas encore vendues et utilisées par quelqu’un de précis, cette forme et son existence ne font que de refléter ou symbolier ces éléments influants. Nous regardons un autre exemple, la Chaise de graisse de Josephe Beuys peut dénoter (représeneter, raconter) son histoire personnelle, mais elle ne pourrait guère signifier cette histoire même. Elle devrait signifier d’autres choses que l’artiste avait voulu dire par l’œuvre ou des choses inconscientes. Certes, un artiste crée une œuvre d’art en sièges veut certaienement qu’elle puisse signifier quelque chose. C’est dans cela que se situe l’intérêt artistique, en ce qui concerne l’utilisation et la transformation de la chaise en œuvre d’art. Par quoi, la chaise peut-elle signifier ? Précisément, une réponse pourrait être l’existence de la chaise. Par exemple, si les chaises numéro 14 de Michael Thonet sont respectivement utilisées par plusieurs personnes, il y aurait probablement plusieurs

448 Nelson Goodman, Langages de l’art, (première publication en 1968), Nîmes : Jacqueline Chambon ,1990. p.35 449 Ibid, p.35 450 Ludwig Wittgenstein, Philosohpical investigations, op.cit., p.7. 344 significations et connotations selon les cas différents. Il faut revenir sur la question de ‘la chaise de quelqu’un’. Quand on dit la ‘chaise de quelqu’un’, cela sous-entend qu’on combine l’existence d’une chaise et l’existence de son propriétaire temporaire ou permanent. Par expemple la proposition la ‘Chaise de Van Gogh’ combine l’existence de la chaise et son propriétaire, Van Gogh, et le ‘Fauteuil de Gauguin’ combine l’existence du fauteuil avec l’existence de Gauguin. La chaise et la personne étant liées étroitement, l’existence de la chaise de la personne correspond à l’identité de cette personne. Si cette personne a une autorité, sa chaise en a une même. Bien que l’autorité de la chaise soit imaginaire, elle est identifiable, grâce à l’identité identifiable de son propriétaire. Il faut noter que la Chaise de Van Gogh ne va pas représenter la pensée de Gauguin et que le trône de Napoléon Bonaparte ne va pas signifier des propriétés politiques issues de la pensée maoïste. Par conséquent, un lien direct entre la chaise et une personne est une condition nécessaire pour des significations et des connotations en question. Grâce à ce contact direct, des artistes du XXe et XXIe siècle, en liant la chaise avec des personnes précises, ont créé des œuvres d’art en sièges qui signifient des choses intéressantes concernant par exemple l’essentialisme et l’existentialisme, et parfois lancent des critiques culturelles, politiques ou artistiques. 1) Van Gogh, en faisant deux portraits en sièges, montrent les personnalités différentes de Van Gogh et de son ami Gauguin et lance quelques idées critiques sur la différence entre deux peintres. 2) Joseph Beuys, avec la Chaise de graisse, raconte son histoire personnelle et questionne la philosophie de la vie humaine. 3) Andy Warhol, avec la répétition de la Chaise électrique, transmet une information importante. 4) Enzo Cucchi, avec une chaise représentative de Van Gogh, questionne l’expressionisme et le transavangardia. Si la chaise n’est pas liée à une personne précise, elle peut être liée à toute humanité, questionnant la pensée humaine, les conditions humaines, la logique linguistique, l’existence de l’homme et de l’objet, le concept d’art, etc. Ces artistes concernés sont les suivants :Marcel Duchamp, Merce Cunningham, Joseph Kosuth, CHEN Zhen, Tadashi Kawamata, Shirin Neshat, SHAO Fan, AI Wei Wei, etc. Ces artistes ont créé une diversité de l’art avec des sièges 1) Un siège conceptuel de 345

Marcel Duchamp évoque la question de l’art et du design. 2) Une chaise discutable et donc humanisée de Merce Cunningham donne à la chaise une vitalité. 3) Un espace conceptuel en chaise de Joseph Kosuth pose la question de la logique linguistique. 4) Une chaise instrumentalisée de CHEN Zhen sert en tant que propagande internationale en faveur de la paix et des droits de l’homme et de la démocratie. 5) Un espace religieux en chaises de Tadashi Kawamata donne au public un espoir bouddhiste charitable. 6) Un espace controversé en sièges de Shirin Neshat montre les conditions humaines des femmes iraniennes. 7) Une chaise historique de SHAO Fan questionne l’ancienneté, la modernité et la contemporanéité. 8)Un espace en chaises souvent instable d’AI Wei Wei interprète la dimention politique. Particulièrement, Bruce Nauman, avec les chaises narratives et les chaises conceptualisées, questionne les conditions humaines et prétend établir aussi un espace conceptuel clarifiant sa réflexion philosophique. Des designers-artistes tels que Stefan Wewerka, Olivier Mourgue, Frank Schreiner prennent plus le côté du design que le côté de l’art. Ils questionnent le design, l’art, le pouvoir d’achat, l’industrie, la consommation. En somme, la chaise est un matériau pourvu de deux fonctions matérielle et immatérielle et elle est largement abordée par des artistes et des designer-artistes dans leurs propres arguments artistiques.

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Annexe

I Liste des images

1. Yong Zheng (雍正), L’empereur chinois de la Qing dynastie, trône de dragon------10 2. 8 signes (八卦).------19 3. 64 signes (六十四卦).------19 4. Représentation picturale de Yin et Yang.------21 5. Un des schémas de l’Etude de Yi, évolution du Tao sous l’influence de Lao Zi.------21 6. Fauteuil de la reine Hetep-heres.------36 7. Mobilier de la reine Hetep-heres.------37 8. Trône du pharaon Toutankhamon.------39 9. Chaise gravée sur le dossier du trône de Toutankhamon.------39 10. Trône de cérémonie avec incrustations provenant de la tombe de Toutankhamon.------43 11. Masque doré de Toutankhamon.------43 12. Assurbanipal avec sa femme, bas-relief marquant la célébration du triomphe.------49 13. Carte des différentes phases d’expansion de l’empire néo-assyrien, (668-627av.J.C.)----51 14. Sièges sur un vase céramique perse découverte au Apulia en Italie.------52 15. Darius Ie le Grand, derrière lui son fils Xerxes, bas-relief persépolis------54 16. Tabouret haut avec trois pieds marqué sur un plat qui représente la Pythie assise sur un tabouret, buvant de l’eau divine et mangeant une feuille apollinienne. ------61 17. Un tabouret en forme de X marqué sur un vase qui représente une femme demi-nue assise

362

tenant une botte de fleurs. ------61 18. Un banc pour s’étendre rembourré marqué sur une assiete qui représente une femme tenant une fleur dans la nuit.------61 19. Klismos grec représenté par un vase : lécithe, environ 440-430 av.J.C. ------63 20. Klismos grec représenté par un plat.------63 21. Trône grec, découvert dans la tombe royale à Salamis.------65 22. Une peintre femme assie sur un tabouret en forme de X est en train de peindre le Priapes, le dieu au pénis constamment en érection, fresque découverte en 1771 dans la maison du chirurgien.------68 23. La partie de gauche d’une fresque de Herculaneum, date non prouvée. ------70 24. Mars et Venus, fresque en Troisième Style, 154cm X 117 cm. Maison de l’amour fatal, Pompéi. Naples, Musée d’Archéologie National.------70 25. Une chaire médiévale françasie. ------74 26. Portrait imaginaire du roi français Charlemagne, par le peintre allemand Albrecht Dürer, en 1512.------74 27. Fauteuil de Dante, Renaissance italienne.------83 28. Fauteuil italien de baroque, environ1700.------85 29. Fauteuil français de Renaissance, noyer, 1570.------86 30. Chaise et fauteuil de style Louis XV.------97 31. Chaises françaises de Chippendale.------107 32. Chaises chinoises Chippendale.------108 33. Chaises gothique Chippendale.------108 34. Le trône de Napoléon Bonaparte, 1804, Musée du Louvre------112 35. Ingres, Napoléon Bonaparte assi sur son trône, peinture sur toile, 1806.------112 36. SUN Wei (dynastie Tang), Les sept Sages, (Xi Wei, 220-265),------133 37. Un petit lit (榻 Ta) représenté dans la fresque découverte dans la tombe de Si ma jin long, A la dynastie Bei Wei (386 - 557).------133 38. Le fauteuil représenté dans les fresques de la 285ème caverne de Dunhuang, Xi Wei 西魏 (535 - 556).------135 39. Les chaises représentées dans la fresque de la 196e caverne de Dun Huang. Dynastie Xi 363

Wei (535 - 556) — deuxième étape de la dynastie Nan Bei Chao(南北朝)------136 40. La joie dans le palais,(gong le tu, 宫乐图), peinture sur soie, la dynastie Tang.-----137 41. GU Hong Zhong 顾闳中, Banquet de nuit de HAN Xi Zai 韩熙载夜宴图, œuvre complète 28.7 cm X 335.5cm, ce sont deux des quatre volumes, peinture sur soie, Cinq Dynastie et Dix Pays 五代十国 (907 - 960).------138 42. WANG Ju Zheng ( 王居正, 1087 – 1151, Bei Song), Rouet (partie), l’ensemble :haut :26.2 , large : 69.cm. ------143 43. Anonyme, Jiao Yin jouant au ballon (蕉荫击球图), haut : 25cm, large : 24.5 cm, Song, collection du Musée national de Bei Jing. ------144 44. Les 18 lettrés (partie), dynastie Song, Musée national de Bei Jing.------145 45. LIU Songnian 刘松年, Portrait du Lohan (moine) 罗汉画像, dynastie Song (partie)------146 46. Culte vers le Yuan (Chaoyuan tu 朝元图), à Rong le gong de Shan Xi province. Dynastie Yuan (元) (1271 - 1368)------148 47. Fauteuil en forme de X de la dynastie Yuan (1271 - 1368)------150 48. Meubles de Ming------152 49. Fauteuil à bonet allongé de lettré de Ming 四出头官帽椅 (si chu tou guan mao yi) (env.XVIe siècle)------154 50. Fauteuils à bonnet du lettré Ming 官帽椅 (env. XVIe siècle)------155 51. Quan yi de Ming 圈椅 (fauteuil à dossier circulaire), ou Tai shi yi 太师椅, ( fauteuil du maître de l’empereur)------156 52. Fauteuil X de la dynastie Ming.------168 53. Fauteuil X de la dynastie Qing.------168 54. Chaise de Michael Thonet n°14, 1850. ------177 55. Une pièce de théâtre dans laquelle la chaise de Michael Thonet N° 14 est mise en œuvre.------177 56. Fauteuil Morris, par Morris, Marshall, Faulkner & Co., 1870.------181 57. Henry Van de Velde, Fauteuil, 1898.------193 58. Henry Van De Velde, fauteuil , 1907-1912.------195 59. Charles Rennie Mackintosh, Chaises à Hill House, 1902 – 1904.------197 364

60. Otto Wagner, Fauteuil, bois et aluminum, 1902.------201 61. Fauteuils d’Otto Wagner sont utilisés dans un bureau de la Banque Postale de Vienne.-201 62. Frank Lloyd Wright, chaise de salon Barrel, 1937.------203 63. Josef Hoffmann, Siègemachine,avec le dossier adjustable, 1905. ------204 64. Antoni Gaudí, fauteuil, 1900.------208 65. Gerrit Rietveld, Prototype de la Chaise rouge et bleue, 1917.------211 66. Gerrit Rietveld, Prototype de la chaise rouge et bleue, 1917.------212 67. Gerrit Rietveld, Chaise rouge et bleue, 1923.------212 68. Gerrit Rietveld, Maison Schröder, construite en 1924.------214 69. William Morris, Chaises peintes à l’inspiration de l’art du Moyen Âge. 1857 - 1958.---218 70. Marcel Breuer, Chaise Africaine, 1921.------218 71. Marcel Breuer, Fauteuil en lattes, deuxième modèle, 1923.------222 72. Marcel Breuer, Fauteuil Vassily, en tubes d’acier et cuirs, 1925.------224 73. Ludwig Mies van der Rohe, Fauteuil Barcelona et tabouret à pieds, 1929.------226 74. Tabouret Aalto, avec trois ou quatre pieds, 1930 - 1933.------229 75. Eero Aarnio, Fauteuil Balle, Finlande,1963.------230 76. Christian Daninos, Fauteuil Bulle, 1968.------230 77. Une publicité de la Yuanhe Compagnie Occidentale.------237 78. Van Gogh, La chaise de Van Gogh, l’huile sur toile, 1888. ------246 79. Van Gogh, Le fauteuil de Gauguin, l’huile sur toile, 1888.------246 80. Van Gogh, Chambre de Van Gogh à Arles, 57x74cm,1889. ------248 81. Van Gogh, Chambre de Van Gogh à Arles, Deux chaises et deux portraits constituent une ligne oblique.------248 82. Marcel Duchamp, Roue de bicyclette, 1913.------253 83. Merce Cunningham Nocturnes, 1955. ------259 84. Merce Cunningham, Suite for five (Suite pour cinq), musique par John Cage,1956.-----259 85. Merce Cunningham, Antic meet, 1958, musique par John Cage, décor par Robert Rauschenberg.------260 86. Papier peint d’Andy Warhol.------261 87. Jasper Johns, Océan, 70cm X 92cm, en 1996.------264 365

88. Joseph Beuys, Chaise de graisse, 1963.------266 89. Horold Pitney Brown (le premier à gauche) est en train d’améliorer la chaise électrique dans le prison Sing Sing à New York en 1889.------270 90. Andy Warhol, Double désastre argenté, acrylique et liquitex, report sérigraphique sur toile, 106.5 X 132 cm. La chambre de l’exécution dans le prison de Sing Sing Correctional Facility à New York, 1963.------271 91. Andy Warhol, Grande chaise électrique (une de la série des chaises électriques, Acrylique et sérigraphique sur toile, 137.2 x 185.3cm,1963.------271 92. Stefan Wewerka, Eckstuhl (chaise d’angle), Buchenholz (hêtre), 1964.------274 93. Stefan Wewerka, une des chaises installées dans la Chaise de la salle de classe, 1970.-276 94. Stefan Wewerka, Gummistuhl (Chaises de caouchouc), 1966 – 1984.------277 95. Joseph Kosuth, Une et trois chaises, (chaise,photographie,texte), 1965.------280 96. Bruce Nauman, A cast of space under my chair, (un moulage de l’espace sous ma chaise),1965.------285 97. Bruce Nauman, Failing to levitate in my studio (défaillant de léviter dans mon atelier), performance filmée en vidéo,1966.------291 98. Olivier Mourgue, Caddie, chaise à roulettes, acier, haut :79cm, large : 45cm, long : 46cm, 1968.------292 99. Bruce Nauman, South American Triangle (Triangle sud américain), 99.1x429.3x429.3 cm, 1981.------294 100. Frank Schreiner, Le repos du cossomateur, acier, H 97 x L 66 x P 50cm,1983. ------298 101. Enzo Cucchi, La chaise de Van Gogh, l’huile sur toile, 271cm X 350cm,1984.------299 102. Bruce Nauman, Shit in your hat, head on a chair (Merde sur ton chapeau, tête sur une chaise), 1990.------302 103. CHEN Zhen, Table Ronde, 550 cm de diamètre, 180cm de hauteur, Centre Pompidou,1995.------305 104. CHEN Zhen, Retour à la plénitude, Face à la vacuité, aluminum, acier, néon, 450x450x400cm (sans compter les chaises), 1997.------308 105. CHEN Zhen, Constellation humaine, métal, chaises en aluminium, 1280x950x600cm, 1998-2000. La Paillade ,(Station Mosson), Montpellier.------310 366

106. CHEN Zhen, (绝唱,各打五十大板) (Chef d’œuvre, cinquante coups à chacun), 1998, 224 X 980 X 1000 cm, chaises, tabourets,lits, peau de vache, ficelle, cordes, objets.--312 107. L’installation des cloches à jouer comme instrument musicale, apparue à la dynastie Xi zhou (1100 ans av.J.C).------314 108. Tadashi Kawamata, Le passage des chaises, dans la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière, Paris, 1997.------319 109. Shirin Neshat, Turbulent, vidéo,1998.------324 110. Shirin Neshat, l’image de la Vidéo Fevor, 1999.------324 111. SHAO Fan, Roi, 2005.------330 112. AI Wei Wei, Table de trois pieds, 2006.------333 113. AI Wei Wei, 1001 chaises de dynastie Ming, vue de l’exposition à Kassel, Documenta XII, 2007.------335

II Liste des schémas

Schéma 1.Le processus de la conception, de la fabrication et de l’utilisation d’un objet------26 Schéma 2. L’influence du Xing Qing I------27 Schéma 3. L’influence du Xing Qing II------28 Schéma 4. L’évolution du Tao à la Vertu------29 Schéma 5. Le premier travail------91 Schéma 6. Le deuxième travail------92 Schéma 7. Le lien entre le design et l’art------256 Schéma 8. Un processus de changement de la puissance------233 Schéma 9. De la solidité à la fragilité------278 Schéma 10. La construction et la déconstruction dans l’œuvre de Bruce Nauman------286 Schéma 11. Le ‘vie’ de la chaise------287 Schéma 12. De l’espoir au néant------290 Schéma 13. Le processus de la création d’Olivier Mourgue------293 Schéma 14. La transformation de l’œuvre de Van Gogh à celle d’Enzo Cucchi------300 367

Shcéma 15. L’ancienneté et la contemporanéité.------339 Schéma 16. De la forme à la fonction------340 Schéma 17. De la forme à la fonction II------340 Schéma 18. De la forme à la fonction III------341 Schéma 19. De la forme à la fonction IV------341 Schéma 20. De la forme à la fonction V------342 Schéma 21. De la forme à la fonction VI------343 Schéma 22. De la forme à la fonction VII------343

III Liste des tableaux

Table 1. Vocabulaires comparés concernant la chaise ------2 Table 2. L’écritiure chinoise en français------14 Table 3. Le parallélisme de l’histoire de la philosophie occidentale et l’histoire de la philosophie chinoise------16 Table 4. L’évolution de deux Ecoles de pensées chinoises les plus importantes------23 Table 5. La comparaison entre Joseph Beuys et Andy Warhol------273

IV Index

Les noms importants dans cette thèse

théoriciens, historiens, esthéticiens, philosophes, architectes, designers,

artistes et politiciens.

I Théoriciens et historiens

Arts

COËLLIER, Sylvie, 187, 192, 225, 242, 254, 256 - 257, 296, 328, 334, 336, 338,

368

CROS, Caroline, 323, DE MAISON ROUGE, Isabelle, 266, 297, DE DUVE, Thierry, 273, KEYES, George S., 250, LAZARUS, Anny, 22, LI, Bei Lei (李倍雷), HAO Yun (赫云), 329 LUCIE-SMITH, Edward, 5, 37, 44, 49, 53, 87, 90, 116, 200, 242, 299 - 300, MA, Qin Zhong (马钦忠), 332 XU, Min (徐敏), 312,

Mobilier et design

CHEN, Yu Shu (陈于书), 80, 116, 123, 160, 169, BRANDT, Alexander, 241, BUENO, Patricia, 8, DROSTE, Magdalena, 216, 220, FIELL, Charlotte & Peter , 197, 199, 205, GAO, Feng (高丰), 121, 142, 160, 168, 171, GARCIAS, Jean-Claude, 199, 200, LI, Li Xin (李立新), 163, 173, LI, Zong Shan (李宗山) , 120, PEVSNER, Nikolaus, 208 - 209, 215, PINA, Leslie, 4, 53, 72, 75 - 77, 84, 89, 105, 109, 179, 183, 232, RUSKIN, John, 178, 180- 181, 183 - 184, 192, 200, 208, WANG, Shi Xiang (王世襄), 119, 131, 158 - 159, 161, WANG, Shou Zhi (王受之), 105, 109, 216, 221,

Histoire ETIEMBLE, 102, GAY, Peter, 99 - 101, LÜ, Si Mian (吕思勉), 169, 171,

369

SCHAMA, Simon, 81 - 83, MATTHEWS, Roy T. ; PLATT, F. DeWitt, 84, 258, TAN TAI, Zhuo Er (澹台卓尔), 142, 174,

Religions XIE, Lu Jun (谢路军), 128,

II Philosophes

Confucius (孔子), 6, 14 - 20, 22 - 23, 30 - 31, 126, 128, 142, 164, 189, 240, 267, 314, DESCARTES, René, 101, 242, FENG, You Lan (冯友兰), 6, 268, FREUD, Signund, 40, GAARDER, Jostein, 42, GUERIN, Michel, 32, 37, 210, 296, 338, Lao Zi (老子 LAO-Tzeu), 6 - 7, 13 - 25, 28 - 30, 126, 128 - 129, 164 - 166, 189, 191, 203, 239 - 240, 258, 288, 315, LIU, Ji Gang (刘纪纲), 27, 28, 32, MARX, Karl, 91, 93, 190, MO, Zi (墨子), 14, 189 - 190, PLATON, 1, 15, 16, 23, 30, 59, 60, 62, 191, SARTRE, Jean-Paul, 265, 283 - 284, 287, 291, SOCRATE, 15, 59, 232, WITTGENSTEIN, Ludwig, 1, 3- 4, 6, 246, 281 - 282, 288 - 290, 344, Xun Zi (荀子), 14, 16, 23, 27, 315,

III Esthéticiens

GOODMAN, Nelson, 293, 343, HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, 262, YE, Lang (叶朗), 20, ZHU, Guang Qian (朱光潜), 15, 30, 113, 268, 370

IV Architectes, designers et artistes

AALTO, Alvar, 229, AARNIO, Eero, 229 - 231, 233, AI Wei Wei (艾未未), 11 - 12, 94, 257, 296, 328, 333 - 339, 346, BEUYS, Joseph, 32, 94, 252, 265 - 269, 273 - 274, 288, 296, 303, 305, 318, 344, 345, BREUER, Marcel, 190, 213 - 214, 217 - 220, 222 - 225, 228 - 229, 233, CHEN Zhen (陈箴), 11, 279, 304 – 319 CHIPPENDALE, Thomas, 106 – 110, CUCCHI, Enzo, 297, 299 - 301, 304, 345, CUNNINGHAM, Merce , 259 - 264, 345, DANINOS, Christian, 230 - 231, DUCHAMP, Marcel, 11, 12, 35, 242, 253 - 258, 262, 278, 280, 291, 296, 305, 308, 345, GALLE, Emile, 193, 195, 209, GAUDI, Antoni, 207 - 210 GAUGUIN, Paul, 242, 247- 248, 250 - 252, 345, GOGH, Van, 246 – 253, 258, 299 - 301, 345, GROPIUS, Walter, 215 - 221, 223, 225, 227, 233, GUIMARD, Hector, 193, 195, 210, HOFFMANN, Josef, 189 - 207, 210 - 212, HORTA, Victor, 195, JOHNS, Jasper, 260, 262 - 264, 337, KANDINSKY, Vassily, 32, 224 - 225, KOSUTH, Joseph, 11, 252, 265, 279 – 284, 287, 291, 303, 305, 345, LOOS, Adolf, 187 - 189, 191, MACKINTOSH, Charles Rennie, 184, 190, 197- 200 , 205 - 206, 210, MEYER, Hannes, 217, 226 - 227, MORRIS, William, 179 - 180, 182 - 184, 192, 194 - 196, 209, 218 - 219, 233, MOURGUE, Olivier, 291- 294, 297 - 298, 246,

371

NAUMAN, Bruce, 11, 262, 265, 281, 284- 291, 294 - 297, 301- 303, 305, 318, 346, NESHAT, Shirin, 304, 319, 323 – 328, 345 - 346, PUGIN, Augustus Welby Northmore , 178, 185, 200, 209, RAUSCHENBERG, Robert , 260, 262, 327, RIETVELD, Gerrit, 12, 210 – 215, 222 - 223, 225, 232, ROHE, Ludwig Mies van, 226 – 228, SHAO, Fan (邵帆), 328- 333, 338 - 339, 345 - 346, THONET, Michael, 176 – 179, 185 - 186, 191, 229, 233, 344, TADASHI, Kawamata, 304, 319 – 323, 328, 345 - 346, VIOLLET-LE-DUC, Eugène, 4, 5, 192, 193, 207, 209, VELDE, Henry Van de, 194 - 197, 210, 216, WAGNER, Otto, 187, 189 - 190, 201 – 202, 206, 210, WARHOL, Andy, 261 - 262, 265, 269 – 274, 303, 305, 310, 337, 345, WEWERKA, Stefan, 265, 274 - 279, 280, 283, 291, 303, 346, WRIGHT, Frank Lloyd, 202 – 204, 210, 215,

V Politiciens

ASSURBANIPAL, 49 – 51, 54, 55, 56, BONAPARTE, Napoléon, 111 – 117, 164, 345, CHARLEMAGNE, 74, 76, 77, DARIUS Ie le grand , 51 – 56 , 59, 65, La reine HETEP-HERES, 8, 36 – 38, 39, 43, LOUIS IV, 82, 88 - 89, MAO Ze Dong (毛泽东), 13 – 14, 336, TOUTANKHAMON, 38 – 51, 54, 344,

372

Résumé

Socrate dirait que le Dieu a créé la forme de la chaise, que les artisans fabriquent d’autres chaises d’après cette forme, et que les artistes créent des chaises artistiques d’après des chaises fabriquées par les artisans. Il y a une vérité dans ces idées. La chaise est la chaise, elle a une forme propre à elle. Elle ne prend pas la forme d’un piano, ni celle d’un lit. Ces idées conduisent à la définition, la forme, la fabrication, l’utilisation, la transformation et la signification de la chaise.

On attribue, dès l’ancienne Egypte, deux fonctions à la chaise : une matérielle (s’asseoir) et une immatérielle (symboliser). Quand la chaise est utilisée dans l’activité sociale, politique ou artistique (transformée, détruite, reconstruite, etc.), elle est symbolique (elle symbolise), et c’est la seule condition dans laquelle la chaise peut dénoter et signifier. Entrons en contact avec la chaise pour qu’elle puisse signifier!

Un changement apparut à partir de la fin du XIXe siècle. Les designers ont conçu et fabriqué une grande diversité de chaises novatrices à la fois utilitaires et artistiques (Charles Rennie Mackintosh, Josef Hoffmann, Gerrit Rietveld par exemple), tandis que les artistes utilisaient des chaises simples et ordinaires (Joseph Kosuth, Joseph Beuys, Tadashi Kawamata par exemple) ou classiques (AI Wei Wei par exemple) dans leurs oeuvres d’art. Bien que les designers aient cherché de nouvelles formes, leurs chaises étaient encore pourvues de la forme de base (pieds, siège et dossier) donnant la fonction fondamentale :s’asseoir. Il apparaît que la forme de la chaise soit déjà définie.

Par qui la forme de la chaise fut-elle définie ? Par quoi la chaise signifie-t-elle ?

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Socrates would say that the God created the form of the chair, that the craftsmen make other chairs according to this form, and that the artists create artistic chairs according to chairs made by the craftsmen. There is a truth in these ideas. The chair is the chair, it has its own form. It does not take the form of a piano, nor that of a bed. These ideas lead to the definition, the form, the manufacture, the use, the transformation and the significance of the chair.

The human beings, from ancient Egypt, attributed two functions to the chair: one is material (sit) and the other is immaterial (symbolize). If the chair is used in a social, political or artistic activity (transformed, destroyed, rebuilt, etc.), it is symbolic (or symbolizing), this is the only condition where the chair can denote and signify. Get into contact with the chair so that it can mean!

A change appeared from the end of the 19th century, designers designed and built a wide variety of innovative chairs, both utilitarian and artistic (Charles Rennie Mackintosh, Josef Hoffmann and Gerrit Rietveld, for example) when the artists used simple and ordinary chairs (Van Gogh, Joseph Kosuth, Joseph Beuys, Tadashi Kawamata for example) or classical chairs (AI Wei Wei for example) in their art works. Although designers have sought new forms, but their chairs were still provided with the basic form (legs, seat and backrest) providing the fundamental function : sit. It appears that the form of the chair has already been defined.

Who defined the form of the chair ? What does the chair mean?

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苏格拉底会说,上帝创造了椅子的形,手工艺人根据这种形制造其他椅子,艺术家根据手工艺人制造的椅子 进行艺术创作。这些思想里有一个真理:椅子是椅子,它有自己的形,它既不用一台钢琴的形, 也不用一张床的 形。这些思想把我们引向以下这些问题:椅子的定义,椅子的形,椅子的生产,椅子的使用,椅子的转形,椅子 的意义。

从古埃及开始,人类就赋予椅子两种功能:一种是物质的(坐),另一种是非物质的(象征)。如果一张椅 子被使用在社会、政治或者艺术活动中(例如:转形,破坏,重造,等等),它就具有象征意义(或者说它可以 象征某物),这是椅子能体现和意指的唯一条件。为了使椅子有意义,我们要与它进行联系。

从十九世纪末开始,出现了一个改变。设计师们设计和制造了许多具有革新意义的椅子(例如:查尔斯•雷 尼 麦金托什,约瑟夫·霍夫曼,格里特·里特维尔德),而艺术家却在他们的艺术作品中使用简单而普通的椅子 (例如:约瑟夫·科苏斯,约瑟夫·博伊斯,川俣正) 或者是古典的椅子(例如:艾未未)。虽然,设计师们不断 地寻找新的形,但是他们的椅子还是具有最基本的形(腿,坐位和靠背),这种形能提供最基本的功能(坐)。 似乎椅子的形已经被定义好了。

谁给椅子的形下了定义?椅子意指什么?