Annales Academiae Paedagogicae Cracoviensis Folia 49 Studia Romanica III (2008)

Anita Pytlarz L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne

Depuis des siècles la Pologne et la sont liées par diverses relations: politi- ques, économiques et culturelles. Il y a toujours eu des personnes qui ont travaillé sans relâche pour créer cette importante œuvre développant l’amitié entre ces deux pays. L’une de ces personnes était Rosa Dufour-Bailly (1890–1976), journaliste, tra- ductrice, poétesse. Son dévouement et son amitié pour la Pologne ont rempli toute sa vie1. ‘Ses ferventes actions menées dans les années 1919–1939 au sein de l’Asso- ciation ‘Les Amis de la Pologne’2 dont elle était la fondatrice et l’aide apportée aux Polonais3 pendant la seconde guerre mondiale ont fait que pendant presque 60 ans, Rosa Bailly a été dans son pays le symbole de la Pologne.

1 R. Bailly est l’auteur de nombreuses œuvres sur la Pologne: Petite histoire de la Pologne (1916), La Pologne renaît (1918), Comment se renseigner sur la Pologne (1919), Au coeur de la Pologne (1936), Histoire de l’amitié franco-polonaise (1939), Histoire de Varsovie (1968), etc. Elle écrit aussi un cycle d’articles destinés aux touristes qui veulent visiter la Pologne; elle présente dans la presse l’histoire de Cracovie, de Poznań, de et d’autres villes polonaises ainsi que leurs monuments. ‘Różyczka’ traduit aussi des choix de prose et de poésie polonaise; entre autres des poèmes de son amie poétesse M. Pawlikowska-Jasnorzewska et de J. Tuwim. C’est grâce à elle que les Français ont la possibilité de lire sa traduction de Mariette et les gnomes de M. Konopnicka et les extraits du Dernier Poste Avancé d’Elisabeth Dorożyńska. 2 En 1919 pour restituer à la Pologne sa vraie place dans le monde, Rosa Bailly fonde une Association ‘Les Amis de la Pologne’ avec l’appui des plus célèbres et éminentes personnalités françaises comme p. ex. le maréchal F. Foch, J. Joffre, R. Poincaré, le général M. Weygand. Rosa en devient la Secrétaire Générale. Cette organisation devient très vite la plus vivante des associations de ce genre, tant par le nombre de ses adhérents, que par la diversité de ses travaux. Elle ouvre aussi son Bureau de Presse appelé ‘Ampol’ qui envoie deux fois par semaine des informations sur la Pologne à la grande presse régionale et à la presse belge. En 1921 Rosa Bailly devient rédactrice en chef du mensuel portant le même titre que l’Association – ‘Les Amis de la Pologne’. Voir: A. Pytlarz, ‘Rosa Bailly – sa vie et les liens d’amitié tissés avec la Pologne’, Synergies Pologne 2006, nr 3, p. 69–84. 3 Recherchée à Paris par la Gestapo R. Bailly s’installe à Toulouse et elle fait tout son possible pour amé- liorer le sort des réfugiés polonais; elle les aide dans les démarches administratives, dans la recherche de travail, elle envoie des colis aux internés des camps militaires, aux malades, etc. 38 Anita Pytlarz

Les Polonais ont beaucoup apprécié l’œuvre de ‘Różyczka’ (la petite rose – comme l’appelait T. Boy-Żeleński4) en lui décernant, en 1936, la Médaille de l’Ordre National de la Pologne. Rosa devient aussi titulaire de nombreuses autres décora- tions polonaises. Le 30ème anniversaire de la mort de Rosa Bailly est l’occasion rêvée pour rap- peler au public non seulement son dévouement ardent pour la cause polonaise mais aussi son œuvre poétique autrefois très appréciée et aujourd’hui oubliée.

L’oeuvre poétique de Rosa Bailly

‘Agir pour la Pologne’ devient la devise de Rosa Bailly. Sans défaillance et tou- jours avec une ardeur intacte, elle se dévoue corps et âme à notre pays. Il faut cependant souligner qu’il y a deux grands amours, deux inspirations essentielles qui animent la vie de R. Bailly: la Pologne et la poésie, surtout la poésie liée à la montagne. Chaque année, ayant travaillé jusqu’à l’épuisement à l’œuvre du développement de la fraternité franco-polonaise, elle va en été reprendre des forces dans la solitude pyrénéenne. C’est là qu’elle écrit ses poèmes. En 1933, R. Bailly écrit Montagnes Pyrénées, son premier volume de poèmes. Il est accueilli avec ferveur par qui lui écrit: ‘Je m’arrête, je ne peux continuer cette lecture de Montagnes Pyrénées sans laisser monter, vers vous, un cri d’admiration. Le vieux poète n’hésite point; c’est à vous qu’il décerne le plus beau laurier dans votre génération. Ce livre restera’5. Cependant l’édition de ses poèmes pose de grands problèmes. Finalement, ses premiers recueils de poésie sont imprimés par ses propres soins et envoyés à ses amis et à quelques journaux. Grâce à sa détermination le lecteur et la critique découvrent Rosa-poétesse. L’Académie des Lettres Pyrénéennes lui décerne son prix annuel6. Georges Goyau7 de l’Académie Française déclare: ‘Ces beaux rythmes où la vision pittoresque donne souvent l’élan à d’extatiques contemplations, le visible menant à l’invisible’8. Ses poèmes sont très bien accueillis: ‘Voici un recueil de poèmes digne de l’immense sujet qu’il embrasse, recueil unique, recueil complet, et par dessus tout,

4 Tadeusz Boy-Żeleński (1874–1941), écrivain, poète, critique littéraire et théâtral, traducteur, chevalier de Légion d’Honneur. 5 ‘Quelques appréciations sur Montagnes Pyrénées’, Rękopisy Biblioteki Zakładu Narodowego im. Ossolińskich we Wrocławiu – Manuscrits de la Bibliothèque de l’Institut National des Ossoliński à Wrocław (Rkps Ossol.) nr 14509/II, p. 69. 6 R. Bailly à J. Dufour, le 15 juillet 1953, Rkps Ossol. nr 14519/II, p. 141. 7 Georges Goyau (1869–1939), historien et essayiste français, spécialiste de l’histoire religieuse. En 1922 il est élu membre de l’Académie Française. 8 ‘Quelques appréciations...’, op. cit., p. 70. L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne 39 recueil admirable car jamais je n’ai lu des poèmes capables, comme ceux-ci, de traduire et de faire sentir les émotions, les sensations, les joies innombrables que l’on peut éprouver devant le spectacle de nos montagnes. Nul n’est allé plus loin, plus intensément, plus mélodieusement dans la découverte des beautés pyrénéennes’ – déclare Louis Ducla9. Après Montagnes Pyrénées viennent Fête de la terre, Alpes, Gavarnie ô mer- veille, Pastorale de la Maladette. F. James qui suit de près la création poétique de Rosa Bailly lui conseille: ‘assez de montagnes’. Mais elle suit son chemin, elle a besoin de crier son enthousiasme pour les montagnes. Finalement, F. James, capable d’ailleurs d’apprécier un génie si différent du sien, accueille les volumes suivants, toujours consacrés à la montagne, avec la même admiration. Dans l’avertissement lancé au lecteur dans Pastorale de la Maladette, Rosa Bailly prévient: ‘Cet ouvrage n’est pas un recueil, il y a un thème, une volonté de composition’. Il en est de même pour tous ses livres. Le thème de Montagnes Pyrénées c’est ‘la joie dans ses diverses modulations montagnardes, l’élan, l’allé- gresse allant jusqu’à l’extase’. Dans les Alpes elle décrit ‘l’acheminement d’une âme de la douleur à la paix religieuse’. C’est la joie, la douleur et la mélancolie et tout le drame que son âme porte, qui impose une telle image des chaînes alpestres. Une fois son cœur est ‘un soleil d’amour, un rossignol qui chante dans ce triste bois, qu’il enchante’, une autre fois, c’est la douleur qui l’envahit. Mais heureuse- ment, cette dernière ne peut arrêter son cœur ‘dans sa course à la joie’. Son élan, sa volonté de vivre pleinement dans l’Univers provoquent en elle le désir d’arracher le secret de la Nature:

Je saurai, m’y penchant, s’il faut, jusqu’au vertige, Ce que veut dire le torrent. Je comprendrai le geste de tes plans, Je saurai déchiffrer les courbes de tes lignes10.

Dans ses poèmes s’étendent les paysages les plus sereins: le calme d’un lac, le bourdonnement d’une cascade, l’empourprement d’un sommet. La poétesse revient aussi à son thème favori, à l’âme solitaire qui découvre Dieu dans la beauté de la nature. Elle écrit:

J’ai si longtemps aimé les monts aux nobles lignes Et j’ai tant contemplé leur figures insignes, En oubliant leur Créateur. […] La joie que je cueillais comme une fleur des près, Déjà menacée par l’été, Elle est entière en Vous, seigneur …11

9 Louis Ducla (1893–1984), fils de Victor Ducla, fondateur (avec son père) de l’Académie des Lettres Pyréné- ennes, poète, écrivain palois. En 1917 il crée l’Association Régionaliste du Béarn et du Pays Basque. 10 R. Bailly, Fête de la terre, Paris 1934, p. 131. 11 Ibidem, p. 155. 40 Anita Pytlarz

En escaladant les montagnes, Rosa monte toujours plus haut, plus près de Dieu, elle se noie dans le bonheur humain qui la comble. La sérénité du soir devient le thème dominant de la Pastorale de la Maladette. La poétesse sait nous ‘introduire dans l’analyse des paysages les plus pittoresques et les plus sereins à la fois’12. Elle nous aide à découvrir la beauté de l’âme des montagnards:

Que je suis bien avec vous, montagnards aragonais Taciturnes, droits et fiers comme chêne en la forêt. Quand la fumée de vos toits vient se mêler aux nuées, Que je suis bien près de vous, âmes si hautement nées! … Nous ne parlons pas beaucoup, mais à quoi bon se redire Une amitié aussi vraie que cet air que l’on respire, La confiance absolue comme au soleil de demain?13

R. Bailly visualise et musicalise sa poésie ce qui constitue une des particularités de son œuvre poétique: M’ont entraînée dans leur élan Les monts après les monts courant vers la lumière14 L’élan y est si grand que ‘sans jamais lasser notre intérêt’15 la poétesse peut, tout au long de ses quatre œuvres (près de deux cents pages chacune), nous entraîner avec elle dans les plus hautes parties des montagnes. Dans Gavarnie ô merveille qui est une triple variation sur le thème de la beauté pyrénéenne, on découvre, non seulement un ton différent, mais un thème nouveau, une architecture édifiée, et chaque volume représente une étape dans la constante ascension de l’âme. Les poèmes de R. Bailly sur les montagnes offrent une richesse des rythmes, une étonnante musicalité et aussi des dons de vision dignes d’un peintre pour les lignes et les couleurs. Pour peindre les montagnes, elle utilise une riche palette: C’est le bleu intense du ciel pyrénéen Bleu de tous les iris et toutes les gentianes Bleu trop beau, et trop bleu qui va tourner au noir Bleu de vertige, et de nuit, et de désespoir… Où le camaïeux gris et argent de la vallée la plus calme Où se croisent les herbes pâlies16.

12 A. Goupil-Vardon, ‘Un aspect de la poésie de montagne de Rosa Bailly’, Rkps Ossol. nr 14509/II, p. 72. 13 R. Bailly, Pastorale de la Maladette, Paris 1939, p. 153. 14 Ibidem. 15 A. Goupil-Vardon, ‘Un aspect de la poésie…’, op. cit., p. 73. 16 R. Bailly, Gavarnie ô merveille, Paris 1937, p. 48. L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne 41

Elle recourt à une extraordinaire variété de rythmes. Le bruit que font les sapins Passe à côté du silence, Comme lui doux et sans fin Et dépourvu de cadence…. Là où l’évocation des montagnes lui parait insuffisante, elle se sert des compa- raisons: Un pont semblable au berger du hameau amical et bossu, tient au-dessus de l’eau, trois ou quatre planches noircies Chaque poème de R. Bailly fait naître un des visages de la montagne que l’heure du jour ou l’humour du ciel donne à la nature17. La presse littéraire, aussi bien française qu’étrangère est unanime pour souligner l’originalité, le don des images et du rythme, la grâce aérienne, et la profondeur de la manière de penser dans les œuvres de la poétesse. Tous ses recueils sont très bien accueillis par la critique. Quand les derniers vers des Montagnes Pyrénées résonnent aux oreilles des lecteurs, les Alpes apparaissent avec le commentaire d’André Lucquin, rédacteur en chef de la revue ‘Hernani’: Rosa Bailly est la sœur d’Anna de Noailles. Ses vers sonnent comme les pipeaux des pâtres lorsqu’ils préludent sous les étoiles, et que les vents de la nuit leur apportent des vallées le parfum des lavandes. Ses vers ont la limpidité des sources où viennent boire les aigles et les chamois. Ses vers sont inlassablement beaux et enchanteurs18. De temps en temps, la poétesse reçoit des prix dont le montant lui permet tout juste de financer l’édition de son nouveau recueil19. D’ailleurs, elle ne se soucie guère des succès personnels et encore moins de l’argent, indispensable pourtant à la publicité. Elle dit souvent: ‘…c’est pour soi et pour Dieu que l’on écrit les poèmes’. Sa pauvreté matérielle ainsi que son esprit d’indépendance la retiennent loin de la vie littéraire. En plus, à cette époque, elle est totalement absorbée par son travail pour la cause polonaise. La deuxième guerre mondiale éclate en Europe. La Pologne en devient la pre- mière victime. Le pays auquel Rosa a voué tout son cœur, a donné toutes ses forces lui inspire l’œuvre intitulée La Flamme et la Rose – grand poème mystique et char- nel dédié à la Pologne. En période de paix, ce livre aurait fait sensation en Pologne. C’est une œuvre lyrique qui montre combien la Pologne héroïque a su inspirer un poète étranger. R. Bailly compose La Flamme et la Rose pour aider à découvrir l’âme polonaise ou tout au moins ses traits fondamentaux, dominants et réels20. 17 A. Goupil-Vardon, ‘Un aspect de la poésie…’, op. cit., p. 72. 18 A. Lucquin, ‘Alpes’, Rkps Ossol. nr 14509/II, p. 71. 19 R. Bailly à J. Dufour, Paris, le 28 mai 1933, Rkps Ossol. nr 14519/II. 20 S. Kuszelewska, ‘Płomień i Róża’, Wiadomości, 1948, nr 104/105, p. 7. 42 Anita Pytlarz

Un jour, en visitant l’église de Zbaraż, dans l’ombre d’une des chapelles, la poétesse aperçoit le portrait de sa patronne Sainte Rose au visage rayonnant et qui lui inspire ce poème: Sous l’auréole d’or la tête D’un ange et ses boucles au vent Sont une panerée de roses. Le nimbe les roidit en or Mais sous leurs pétales se glisse La rose vivante. Ô délice, D’une joue touchée d’incarnat Et si belle est la rose pourpre Qui s’épanouit sur la bouche Que mon regard n’oserait pas La profaner de son amour21 C’est une rencontre inoubliable – tout comme les suivantes. A , dans l’église des dominicains, des statues baroques en or émerveillent Rosa. Elle y voit une mar- que de l’âme polonaise. La poétesse s’éprend de ses œuvres d’art si émouvantes et pleines de sentiments ce qui la pousse à découvrir celles d’autres villes telles que Lviv, Hodowice, Dukla, Krzemieniec, Kołomyja et surtout Cracovie et Vilnius. Il lui est difficile de se familiariser avec le monde de pierre et de bois. Sa renommée de l’amie la plus dévouée de la Pologne l’accompagne tout au long de son parcours. Mais les visites, les grands dîners ne l’intéressent pas car le temps lui est trop pré- cieux pour ses recherches. Grâce à ces nombreux voyages elle parvient enfin à dé- couvrir et comprendre l’âme polonaise22. L’art baroque que la poétesse découvre en Pologne, lui permet de percer l’état d’âme des catholiques, âme ébranlée par la lutte des passions. D’après Rosa, c’est cet état qui correspond à l’esprit polonais, matériel et mystique, partagé entre la terre et le ciel, esprit qui aime le luxe, les bijoux, les armures, et en même temps, qui désire la pureté, et qui aspire à adorer Dieu. Si tiraillé entre des désirs contraires: les sens et l’esprit, la vanité et l’humilité, cet esprit qui vit dans le déchirement: Un éternel désir, malgré nos cheveux blancs Fait notre corps ployer aux souffles du printemps. Vers les feux de ton paradis nous élançons Notre être tourmenté de sève et d’espérance, Pardonne-nous si quelquefois nous nous trompons Et brûlons nos regards aux feux des mauvais anges23. Le sujet de cette œuvre est expliqué dès le début dans le titre; la flamme – c’est la course vers Dieu, la rose – c’est la beauté naturelle, don du Créateur.

21 R. Bailly, ‘La Flamme et la Rose’, Paris 1940, p. 119. 22 S. Kuszelewska, ‘Płomień...’, op. cit. 23 J. Soulaird, ‘La Flamme et la Rose’, Paris, Rkps Ossol. nr 14512/II, p. 88. L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne 43

Dans l’avertissement R. Bailly s’explique: ‘L’auteur a voulu faire paraître cette œuvre à l’époque la plus tragique de l’histoire polonaise, comme acte de foi dans les destinées de la Pologne’24. Et comme le texte évoque la société polonaise vue à travers l’art baroque et rococo des églises, puisqu’il a été écrit par une femme qui est devenue le symbole de la Pologne en France, les Allemands installés en 1940 à Paris ont détruit tout le tirage du volume25. La Flamme et la Rose est ‘le drame de l’humanité, c’est un poème cosmique, une divine comédie qui va de la terre au paradis’. Jean Soulaird, après sa lecture a écrit: Rosa Bailly nous livre une fleur de chevalier où tout va se fondre en la splendeur divine comme en une seule rose de feu. Le même mouvement anime la musique de ses vers magiquement libérée par un art magistral où jouent toutes les ressources du rythme, de l’allitération, de l’assonance et de la consonance26. On peut constater que la poétesse – Rosa Bailly – est tout entière dans ces vers comme elle est tout entière dans leur titre: La Flamme et la Rose. Son travail pour la cause polonaise est une flamme attisée sans cesse par son cœur pur et tendre, et tout ce qu’elle écrit sur la Pologne se caractérise par la fraîcheur et la beauté d’une rose épanouie. Ce poème n’est pas le seul ouvrage inspiré par la Pologne. Il y en a d’autres – Soldats polonais et La rose a fleuri quand même écrits en 1941–1942. Ce dernier recueil contient un très beau poème consacré à Elizabeth Dorożyńska fusillée par les Allemands: Ce soir c’est ainsi en Pologne Dans un endroit que je sais bien Sur l’eau tombent les feuilles mortes Les ennemis n’y peuvent rien. ... Elle sait que je pense à elle Les yeux au ciel comme les siens Nos âmes vont se rencontrer Les ennemis n’y peuvent rien27.

A la fin de la guerre, R. Bailly quitte Toulouse pour se rendre près de sa mère très malade. Après la mort de cette dernière, Rosa reste dans son village de Mareuil sur Arnon jusqu’au printemps de 1944, époque où elle écrit La tombe de ma mère. Ce poème religieux où la mort est parée de la sérénité de la nature et illuminée par l’espoir en Dieu, ‘porte la marque d’un talent supérieur’28.

24 R. Bailly, La Flamme... op. cit., p. 1. 25 R. Bailly à F. Skarbek, Paris, le 28 avril 1948, In: A. Łongiewska, Korespondencja R. Bailly z F. Skarb- kową 1946–1959, Wrocław 1970, p. 113. 26 ‘L’œuvre de R. Bailly jugée par les poètes’, Rkps Ossol. nr 14509/II, p. 87. 27 R. Bailly, La rose a fleuri quand même, Paris 1961, p. 28. 28 R. Cuzacq, ‘La tombe de ma mère’, Rkps Ossol. nr 14509/II, p. 82. 44 Anita Pytlarz

Après la guerre, R. Bailly très malade, totalement ruinée a beaucoup de mal à reconstituer ‘Les Amis de la Pologne’, son association d’avant-guerre. A cette épo- que ‘Różyczka’ se remet à l’écriture. L’apparition d’une vingtaine d’œuvres poé- tiques est le résultat de ces années laborieuses. Toutefois son talent lui permet de rattraper le temps consacré à œuvrer pour la cause polonaise et les années 1946–1959 sont les plus fécondes dans sa création littéraire29. Après Pastorale de la Maladette R. Bailly chante les lieux les plus divers: la baie du Mont Saint Michel dans L’archange et le mirage, la Vallée Heureuse dans Le silence doré. Elle revient au Berry de son enfance en écrivant Eaux dormantes et L’enclos abandonné. Quand son nouveau recueil de poèmes (Plaisirs des Nymphes), inspiré par les banlieues de Paris est publié, les critiques littéraires l’accueille favorablement. En 1959 le prix Francis Jammes est décerné à Rosa Bailly pour l’ensemble de son œuvre. Les critiques littéraires trouvent que l’originalité de la poétesse est de travailler sur d’importants sujets à la façon de suites symphoniques, de poèmes brefs mais saisissants, exprimant au long de ses volumes les diverses modulations d’un même thème (p.ex. celui de l’ascension de l’âme vers Dieu figurée dans les Alpes par la montée de l’abîme vers les sommets). Comme dans les œuvres précédentes, quant à la versification – traditionnelle dans la structure du vers et du rythme – la poétesse prend beaucoup de liberté avec la rime. La versification traduit bien les émotions de l’âme devant l’infinie, les variétés des spectacles de la nature et la complexité des sentiments humains. C’est pour cette raison, qu’on reproche à Rosa les libertés qu’elle prend avec les règles de la poésie. Mais cette ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure sait ce qu’elle fait. Marcel Brun remarque bien: ‘Hors de toutes règles et de toute anarchie, elle a créé sa forme, celle qui lui convient et ne convient qu’à elle’30. Et Paul Baillères31 ajoute: ‘... avec rime ou non, Rosa Bailly est un maître’32. D’autres thèmes apparaissent et ils prennent de plus en plus de place dans la philosophie de la poétesse; il suffit d’être accueillant et le monde vient à nous et nous livre ses secrets. Le nouveau recueil de poésie de R. Bailly intitulé Mareuil-aux-Peupliers est d’une inspiration nettement plus différente que celle des œuvres précédentes. Comme le titre l’indique, l’auteur y évoque un village de la plus vieille France, du Berry, avec son âme accordée à toutes les harmonies de la nature, aux reflets de toutes les couleurs et à la puissance de sympathie pour tous les êtres. Rosa Bailly est particu- lièrement prédestinée à aborder ce sujet. Cette œuvre devient la clé et la recette de sa joie de vivre:

29 R. Bailly à F. Skarbek, Paris, le 20 février 1946, In: A. Łongiewska, Korespondencja… op. cit. 30 ‘Quelques appréciations...’, op. cit., p. 74. 31 Paul Ballières (1897–1972) poète orthézien; l’œuvre de sa vie Le chant du Béarn publié en 1938. En 1966 l’Académie des Lettres Pyrénéennes lui décerne le Grand Prix de Littérature Pyrénéenne. 32 ‘L’œuvre de Rosa Bailly...’, op. cit., p. 89. L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne 45

Des portes pour l’âme s’entr’ouvrent Et les peupliers près du pont M’en auront indiqué la route ... Toutes les voix qu’on n’y surprend, Celles des feuilles dans le vent Sont inlassables et profondes Et vont nous expliquer le monde33 Une sorte de la sérénité regagne le cœur de la poétesse; chaque jour elle décou- vre que la vie est belle, mais la mort aussi:

Ineffable joie d’être sur la terre Et d’y être en Dieu! Partout respirer son souffle de feu Se fondre d’amour avec la lumière Et sentir la mort comme un point sublime, La suprême extase, un comble de vie34 D’après la poétesse, il faut encore partager cette joie avec tous ceux qui nous approchent. Aussi bien dans ses activités que dans ses écrits Rosa Bailly veut aider tous ceux que la peine enchaîne à une réalité sans élan:

Permettez que je vous offre, Mes frères encore vivants, Ce que je dérobe au vent, Le parfum frais d’une rose Dans un cimetière éclose...35 Dans ses poèmes R. Bailly décrit toutes ses joies, toutes ses émotions, tout ce qui lui va droit au cœur. Elle ne se contente jamais d’une seule vision. Deux mois passés en Italie en 1952 lui inspire Sous l’envol des colombes – une œuvre pleine d’une allégresse née du soleil et de l’eau. Les poèmes riches d’images, de couleurs, de lumière expriment les valeurs du paysage. Le recueil Voyage en Grèce est le ré- sultat de son séjour à Délos et à Athènes. En 1954 la poétesse passe quelques semaines au Maroc ‘sur un fond d’or, les plus fraîches couleurs, les murs neigeux, sous les minarets d’émeraude’36. Les sou- venirs de ses voyages trouvent le reflet dans des poèmes où domine une intense et vivante coloration: –Maure qu’apportes-tu, qui t’en viens les mains vides? –J’apporte la lumière en aveuglant éclat sur mon manteau plus blanc qu’un lys –Et toi les bras tombant, qui ne presse le pas? –J’apporte en mes draperies jaunes le soleil

33 R. Lizop, ‘Mareuil-aux-Peupliers’, Rkps Ossol. nr 14512/II, p. 86. 34 Ibidem. 35 Ibidem. 36 R. Bailly à F. Skarbek, Neufchâteau, le 27 octobre 1954, Rkps Ossol. nr 14517/II, p. 496. 46 Anita Pytlarz

–Et toi, vêtu de bleu? –Je t’apport le ciel –Et toi? –Ma djellaba est couleur des cactus pointants leurs piquants vert sur le sol rose et nu –Et toi? –Le rayon pourpre au sommet des montagnes quand le soleil s’en va et que la nuit les gagnes37… La magie de la lumière dans ses poèmes est surprenante. Pourpres enflammées de la tour Hassan, couleurs splendides des jardins, couleurs des déserts et ce blanc pur qui exprime la candeur de l’âme et l’idéal immanent dominent dans ce recueil. Chaque coloris prend une intensité qui le transforme en symbole: un burnous blanc c’est la pureté, un manteau rouge – le triomphe, une djellaba bleue – la suavité de la nuit. Rabat c’est l’or des murailles, Salé – ‘la blancheur crue des maisons contre l’indigo du ciel’, Meknès – ‘les hautes portes comme un tableau de Monet où l’été prodigue ses corolles’. Le recueil A Fez une fontaine est une symphonie de couleurs. Non sans raison Vincent Dethare écrit dans le ‘Berry Républicain’: ‘... Il est aussi difficile d’isoler une strophe des poèmes de Rosa Bailly que de découper dans un tableau une fleur dont le coloris est indispensable pour l’harmonie de l’ensemble’38. On peut constater sans aucune hésitation que Rosa Bailly, se servant d’un trait subtil, savait lire un paysage, lui donner toute sa signification et nous emporter dans la rêverie – apanage des vrais et grands poètes. ‘Różyczka’ a chanté l‘Italie, le Maroc, la Grèce et aussi la beauté du Mont Saint Michel, le charme du Berry et du Quercy. Mais les poèmes les plus éblouissants et les plus saisissants lui ont été inspirés par, comme elle le disait elle-même, la Pologne, sa deuxième patrie et les plus belles montagnes du monde – les Pyrénées où elle avait autrefois coutume d’aller en villégiature et où elle a fini par s’installer. Rosa Bailly a créé une œuvre poétique39 unique en son genre, ce qui lui a valu d’ailleurs le titre de ‘poète des cimes’40. Ses poèmes si originaux et plus touchants

37 R. Bailly, A Fez une fontaine, Paris 1960, p. 36. 38 R. Bailly, ‘Couleurs et lumières de Maroc’ (ou bien merveilles du Maroc), Rkps Ossol. nr 14515/II. 39 Bibliographie des œuvres poétiques de Rosa Bailly: A Fez une fontaine, Paris 1960; Alpes, Paris 1935; L’Archange et mirages, Paris 1951; Eaux dormantes, Paris 1953; L’Enclos abandonné, Paris 1953; Fête de la terre, Paris 1934; De fête en fête, Paris 1960; La Flamme et la Rose, Paris 1940; Gavarnie ô merveille, Paris 1937; Giroflées des vieux murs, Paris 1966; Hautes solitudes, Paris 1963; Mareuil-aux-Peupliers, Paris 1958; Montagnes Pyrénées, Paris 1934; Pastorale de la Maladette, Paris 1939; Plaisirs des Nymphes, Paris 1948; Portes de Paradis, Ottignies/ Belgique 1957; Le Plus tendre sourire, Paris 1960; Pyrénées d’azur et de neige, Paris 1957; Quelques flocons de neige, Paris 1954; Qu’on est heureux sur les quais de Paris, Paris 1961; La Rose a fleuri quand même, Paris 1961; Le silence doré, Paris 1953; Soldats polonais, Paris 1953; Soleil du Maroc, Sèvres 1956; Sous l’envol des colombes, Paris 1954; La Tombe de ma mère, Paris 1962; Toute la joie du monde, Paris 1962; Voyage en Grèce, Paris 1964. 40 L’œuvre poétique dont le premier volume était déjà salué par F. Jammes comme ‘une œuvre immortelle’ (R. Bailly à J. Dufour, le 28 septembre 1953, Rkps. Ossol. nr 14519/II, p. 162). L’oeuvre poétique de Rosa Bailly – la Pologne et la montagne 47 les uns que les autres l’ont fait connaître dans le monde et apprécier par les poètes de son époque. Toute son œuvre l’a fait apparaître comme la poétesse de la montagne française et il nous faut ajouter encore, comme une fervente amie de la Pologne.

Twórczość poetycka Rosy Bailly

Rosa Dufour-Bailly (1890–1976), francuska poetka, dziennikarka i tłumaczka, należy do grona tych osób, które całe życie poświęciły rozwijaniu przyjaźni polsko-francuskiej oraz krzewieniu kultury polskiej wśród Francuzów. Znana przede wszystkim jako autorka wielu publikacji o Polsce oraz jako założycielka prężnie działającego we Francji towarzystwa ‘Les Amis de la Pologne’ (1919–1939), prawie przez 60 lat postrzegana była jako symbol Polski we Francji. Jej życie inspirowały dwie równorzędne pasje: miłość do Polski i Polaków oraz twór- czość poetycka. W 1933 r. pojawia się pierwszy tomik wierszy R. Bailly Montagnes Pyrénées. F. Jammes uznaje go za ‘dzieło nieśmiertelne’. Kolejne tomiki znajdują uznanie zarówno wśród czytelników, jak i krytyków literackich. W swoich wierszach poetka wraca do miejsc dzieciństwa, opisuje także uroki miejsc, które odwiedza. Dominującym jednak tematem w poezji R. Bailly są góry, zwłaszcza Pireneje, ich czar, potęga, piękno natury. Ogromne zaangażowanie w sprawy polskie także znajduje odzwierciedlenie w jej twórczości. Poetka dedykuje Polsce i jej mieszkańcom wiele wzruszających poematów. Imponujący i jedyny w swoim rodzaju dorobek poetycki R. Bailly pozwala nam poznać ją nie tylko jako żarliwą propagatorkę kultury polskiej, ale również jako znakomitą poetkę, którą nazywano „poetką francuskich gór”.