Modèle Pour Les Mémoires
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ÉCOLE DU LOUVRE Marie Vacher Joseph Moiseevitch Tchaikov (1888-1986) Sculptures et illustrations, 1910-1937 : l’artiste, la forme, le matériau Mémoire de recherche (2nde année de 2ème cycle) en histoire de l’art appliquée aux collections présenté sous la direction de M. Dominique JARRASSE Septembre 2010 JOSEPH MOISEEVITCH TCHAIKOV (1888-1986). SCULPTURES ET ILLUSTRATIONS, 1910-1937 : L’ARTISTE, LA FORME, LE MATERIAU 1 Avant-propos et remerciements Travailler sur un artiste et une œuvre peu connus est une démarche difficile. Il faut être à l’affût (de détails, de notes qui peuvent ouvrir des pistes), fournir beaucoup d’efforts sans être sûr du résultat. Dans le cas présent, jongler avec les langues, et traduire, en essayant de faire de son mieux pour ne pas trahir. Mais la difficulté d’une telle aventure, est ce qui la rend exaltante, ce qui nous tient en haleine une année durant, et qui nous « déforme » pour beaucoup plus longtemps. L’œil reste aux aguets, attentif, on ne sait jamais, le mémoire est rédigé mais le travail inachevé. Cette année de recherches autour de l’œuvre de Joseph Moiseevitch Tchaikov a été tout cela à la fois. Une forêt à défricher, presque une bataille à mener parfois. Mais surtout, un tel sujet m’a donné une liberté exceptionnelle pour penser, conceptualiser, et ainsi avancer, poser des pierres petit à petit, donner au fur et à mesure un peu plus de solidité à l’ensemble. Pour cette liberté, ces découvertes, cette aventure, j’aimerais remercier tous ceux qui m’ont permis de les vivre. Mes remerciements vont d’abord à M. Paul Salmona, directeur de communication de l’Inrap qui le premier m’a parlé des bas-reliefs de Tchaikov et d’une exposition à découvrir au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme. Mais ce travail n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien de mon directeur de mémoire, M. Dominique Jarrassé, professeur à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3 et à l’École du Louvre. Merci à lui d’avoir accepté dès le début de me suivre, et d’avoir encouragé et stimulé ma réflexion tout au long de l’année grâce à ses séminaires. Je tiens également à remercier Mme Nathalie Hazan-Brunet, conservatrice au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, pour avoir répondu présente dès mon premier mail, et avoir été là, enthousiaste et généreuse, tout au long de l’année. Enfin, merci à tous ceux qui par leurs séminaires, leurs réflexions ou tout simplement leur présence m’ont aidé et permis d’avancer : Mme Nathalie Moine (Chargée de recherche au CNRS), M. François-Xavier Nérard (Maître de conférences à l’Université de Bourgogne) et 2 M. Gabor Rittersporn (Directeur de recherche au CNRS) pour leur séminaire passionnant à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales : « L’Univers des choses soviétiques : essai d’anthropologie historique de la culture matérielle et de ses dimensions symboliques en URSSS » ; M. Gonneau, directeur d’étude à l’École Pratique des Hautes Études, dont le séminaire « Histoire et conscience historique des pays russes » était une réjouissante immersion russe ; merci à tous ceux de la Villa Médicis, et notamment à Marc Bayard et Angela Stahl, qui m’ont soutenue et permis de mener à bien ce travail parallèlement à mon stage, et merci enfin à mes patients relecteurs et à mes chers assistants techniques. 3 Introduction Il y a les oiseaux qui rampent par terre parce qu’ils ont oublié le ciel.1 Des illustrations à l’encre de chine, des bas-reliefs oubliés, quelques lignes de yiddish et un artiste qui était pour moi un illustre inconnu : Joseph Moiseevitch Tchaikov (1888-1986). Tchaika – la mouette en russe – devient Tchaikov, artiste goéland, Jonathan Livingston en quête d’idéal. Jeux de noir et blanc, des volumes, des formes, un dessin « sculptural », une sculpture entre constructivisme et réalisme socialiste, deux pratiques artistiques pour un seul homme, deux cultures aussi. Né russe, en terre ukrainienne, né Juif dans l’empire russe, Tchaikov est un artiste peu connu en France, pays auquel il peut pourtant être relié à plus d’un titre. Les bas-reliefs pour les propylées du pavillon de l’URSS, qu’il réalisa pour l’exposition universelle de Paris en 1937, ont été récemment redécouverts sur le sol français, et avec eux, leur sculpteur. Peu de temps après avoir eu connaissance de cette découverte de l’Inrap, je découvrais les dessins de Tchaikov, exposés au Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris (MAHJ) lors de l’exposition Futur antérieur. L’avant-garde et le livre Yiddish (1914-1939)2. Cette exposition venait marquer l’achat par le musée d’une partie de la collection de Grigori Kazovsky, et parmi elles, plusieurs œuvres de Tchaikov ainsi que des carnets de croquis. Illlustrateur, dessinateur ou sculpteur, Tchaikov fait désormais partie de notre patrimoine. La monumentalité des bas-reliefs et leur histoire rocambolesque, la découverte d’une partie de l’avant-garde russe restée peu connue et mystérieuse car peut-être juive avant d’être russe, des personnalités hors du commun, l’originalité d’une œuvre entre sculptures et dessins, c’était déjà bien assez pour m’inciter à découvrir le sujet. Un précédent travail, consacré au peintre Fédor Fédorovitch Fédorovsky m’avait déjà permis d’aborder la question 1 Tchaikov cité par Marek Szwarc : MARKOWA, SZWARC, 1954, p. 352. 2 Voir le catalogue de l’exposition: Futur Antérieur…, 2009. 4 e de ces artistes russes du début du XX siècle, naviguant entre avant-garde et réalisme socialiste. Au cœur de cette question, plusieurs points me semblaient intéressants : comment se fait le passage de l’un à l’autre ? S’agit-il toujours d’un renoncement ou est-ce parfois une évolution naturelle ? La vision négative de cette évolution est-elle toujours la plus juste ? Tout chercheur se rêve découvreur. Qui sait ? Peut-être me serait-il donné la possibilité d’innover et de dépasser le découpage traditionnel devenu canonique entre cubo-futurisme initiateur (1909-1915), suprématisme 1915-1919/21 et constructivisme 1921-19323. Étudier cet artiste aux deux œuvres si différentes, des illustrations « cubo-futuristes » aux républiques sœurs socialistes, me permettait de me plonger au cœur du problème. De plus, l’usage de deux matériaux créatifs différents semblait être à la fois plein de promesses et complexifier la donne d’une façon enthousiasmante, entre théâtralité et confidentialité. Mais quelle légitimité pour traiter d’un tel sujet à Paris ? Les trois éléments suivants semblent me l’accorder : la collection de Grigori Kazovsky, récemment achetée par le MAHJ (en 2000) ; les bas-reliefs de 1937, retrouvés sur le sol français et offerts par l’URSS à la CGT métallurgie ; enfin, un passage fondateur à Paris, entre 1910 et 1914. « Tchaikov-express » Avant d’entrer plus précisément dans l’analyse historiographique du sujet ou sa problématisation, il est important de revenir rapidement sur la carrière de Tchaikov. Pour la version très rapide, Seth Wolitz résume en deux phrases : Of all the Jewish artists, no doubt the most fascinating metamorphosis occurred with Tchaikov, who, from a Jewish national art in Paris 1912, in Moscow 1917, and in Kiev 1919, passed into abstraction, then accepted Soviet Socialist Realism and became a professor of sculpture at Moscow University and even a dean. With his death at the age of 98 in 1986, one year after Chagall, the last significant representative of the tragic Jewish Modernist art renaissance brought to a close the Russian chapter in Jewish art history.4 3 Comme le souligne Yves Kobry dans son article « L’archipel de la modernité », dans le catalogue Vers de nouveaux rivages…, 2008. 4 Voir son article “The Jewish National Art Renaissance in Russia”, dans le catalogue Tradition and Revolution. The Jewish Renaissance in Russian Avant-Garde Art 1912-1918 (Tradition and Revolution…, 1987). (De tous les artiste juifs, la métamorphose sans doute la plus fascinante fut celle de Tchaikov, qui, d’un art national juif à Paris en 1912, à Moscou en 1917, et à Kiev en 1919, passa à l’abstraction, puis accepta le Réalisme socialiste et devint professeur de sculpture à l’Université de Moscou et même un des doyens. Avec sa mort à l’âge de 98 ans en 1986, un an après Chagall, le dernier représentant significatif de la tragique renaissance de l’art juif moderniste met un terme au chapitre russe de l’histoire de l’art juive). 5 Après s’être formé dans l’atelier d’un graveur, Tchaikov est repéré par le sculpteur russe Naoum Aaronson. Celui-ci l’aide à obtenir une bourse de la ville de Kiev, qui permet à Tchaikov de venir étudier à Paris, entre 1910 et 1914. Il étudie la sculpture à l’École des Beaux-Arts et à l’École des arts décoratifs, visite les Salon des Indépendants et expose au Salon d’Automne de 1913. Mais surtout, Tchaikov s’installe quelques temps à la Ruche, haut lieu de création du Montparnasse d’avant-guerre. Là, il fonde avec d’autres artistes la première revue exclusivement consacrée à la recherche d’un style juif dans l’art : les Makhmadim. L’aventure ne dure que quelques numéros, tirés manuellement à peu d’exemplaires, mais l’expérience est inédite. En 1914, Tchaikov est mobilisé et rentre en Russie. De retour à Moscou en 1917, il s’investit dans différents cercles artistiques juifs – la « Société juive d’encouragement pour les arts », le « Cercle moscovite d’esthétique juive » –, participe à différentes expositions et crée ses premières illustrations. À la fin de l’année 1918, Tchaikov retourne à Kiev.