Promenades En Normandie Avec Madame Bovary Et Gustave Flaubert
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Promenades en Normandie DU MÊME AUTEUR Promenades en Normandie avec un guide nommé Jules BARBEY DAUREVILLY. Aux Éditions Ch. Corlet : Alphonse Allais ou « Au service de l'Humour ». Contes et nouvelles. — L'or du Havre, roman (en collaboration avec Marc Bénard) — La Tour- aux-Crabes, roman. Aux Éditions Jeunes Années : Contes normands — Les contes normands du Père Magloire (éditions hors commerce) — Tout est normal, c'est du normand, Contes — Opération Normandie 1977 (diffusion Hachette). Aux Éditions Arthème Fayard : Sentiers et randonnées de Haute-Normandie — Sentiers et randonnées de Bourgogne. Aux Éditions Ouest-France : Nous les Normands, essai (en collaboration avec Yves Lessard). Aux Éditions Christine Bonneton : Humour en Normandie. Au Cherche-Midi Éditeur : Les pensées d'Alphonse Allais. Les pensées d'Alfred Capus. Les pensées de Rivarol. En préparation : Les pensées de Gustave Flaubert. Sainte-Bovary ou le triomphe d'Emma. Aux Éditions Ch. Corlet : Ça ne vaut pas un coup de cidre, contes. Aux Éditions F. Lanore : Le dernier des Chouans. Aux Éditions du P'tit Normand : Histoire du pays de Caux, histoire des Cauchois. © Éditions Charles Corlet, 1991 ISBN 2-85480-340-X Robert Chouard de l'Académie des Provinces françaises PROMENADES EN NORMANDIE avec Madame Bovary et Gustave Flaubert Préface de Jean DUTOURD de l'Académie française EDITIONS C Z.I., route de Vire,CORLET 14110 Condé-sur-Noireau d'après les textes originaux de Gustave Flaubert PRÉFACE Emma ou la femme d'aujourd'hui « Pourquoi n'écrirais-tu pas l'histoire de Delaunay ? » dit Bouilhet à Flaubert. Maxime Du Camp rapporte ce propos dans ses Souvenirs littéraires. Cela se passait en 1849. Delaunay s'appelait en réalité Delamare. C'était un « pauvre diable d'officier de santé qui avait été l'élève du père Flaubert » et qui avait épousé une demoiselle Adolphine (dite Delphine) Couturier. Du Camp fait d'elle un croquis assez joli : « C'était une petite femme sans beauté, dont les cheveux d'un jaune terne encadraient un visage rondelet, piolé de taches de rousseur... elle avait dans la démarche, dans l'attitude générale du corps des flexibilités et des ondulations de couleuvre... Sa voix, déshonorée par un accent bas-normand insupportable, était plus que caressante, et dans ses yeux, de couleur indécise et qui, selon les angles de lumière, semblaient verts, gris ou bleus, il y avait une sorte de supplication perpétuelle. » Il ne faut pas trop se fier aux clés des romans. Elles ouvrent la porte du livre, c'est vrai, mais dès la seconde page, celui-ci bifurque et devient tout autre chose que ce qui l'a inspiré. La vie d'Adolphine (ou Delphine) Delamare a été pour Flaubert comme le libretto d'un opéra- pour un musicien, c'est-à-dire une intrigue et quelques dialogues plats ou répétitifs, sur lesquels il a brodé sa musique. Avec l'histoire d'une petite provinciale insatisfaite, prodigue et nymphomane, il a composé l'Iliade de la misogynie. Nul n'a écrit une chose plus implacable sur les femmes ou sur la femme que Madame Bovary. Il a transformé une personne sans importance en archétype : celui de la rêveuse idiote qui, par ses désirs, ses amours, ses aspirations, ses ambitions sociales, ses comédies sentimentales cause le malheur de tout le monde et le sien propre. Madame Bovary est le grand livre de la dérision de la femme, comme Don Quichotte est le grand livre de la dérision de la chevalerie. Emma est la dernière héroïne romantique, de même que Don Quichotte est le dernier chevalier errant. L'un et l'autre sont des survivants. En littérature, la peinture des survivants tourne toujours à la caricature. Il s'agit d'enterrer un type d'humanité qui fut glorieux et qui est devenu absurde parce que le monde a changé. La caricature peut être bienveillante ; c'est le cas du Quichotte. Elle peut être féroce ; c'est le cas de Bovary. Dans le premier, la moquerie est visible et Cervantès, derrière cette moquerie, exprime une vive tendresse pour son personnage. Tandis qu'il n'y a pas de moquerie dans le second, ou plus exactement la moquerie rase le drame. Il faut regarder avec attention pour l'apercevoir. Cela explique le malentendu qui dure depuis 1856 : pas une lectrice n'a manqué de s'apitoyer sur les infortunes de la pauvre Emma, de la plaindre, de se comparer secrètement à elle. Don Quichotte se prend pour un homme d'autrefois : il n'est ridicule que parce qu'il s'imagine qu'on peut avoir une âme belle et haute dans une époque mesquine. Madame Bovary se prend pour une femme de demain. Elle ne se lance pas à la recherche de vieilles vertus ; au contraire, elle est fascinée par les niaiseries et les vices en vogue. Elle veut ce que sa mère et sa grand-mère, bonnes paysannes, n'ont pas eu : de jolies toilettes, du linge fin, des amants ; elle veut lire des romans, connaître « des gens intéressants », vivre dans un tourbillon de luxe et de fêtes. Bref, elle veut le Bonheur, cette chimère que les politiciens et les philosophes promettent aux gogos qui les écoutent. Le résultat, bien sûr, est affreux. Emma épouse un imbécile qu'elle méprise ; elle a deux amants dont l'un est un mufle et l'autre un lâche ; elle s'endette à mort pour acheter des franfreluches. A la fin, elle est si bien acculée par la fatalité qu'elle ne trouve d'autre issue que de se suicider. A noter qu'elle choisit un moyen horrible : l'empoisonnement à l'arsenic, qui lui fournit une agonie aussi longue que théâtrale. Emma est la dernière héroïne romantique, dis-je. Mais c'est aussi la première héroïne moderne. Madame Bovary est un roman prophétique, quasiment un roman de science-fiction confirmé cent ans plus tard. Flaubert savait-il qu'il faisait le portrait de la femme du XX siècle ? S'il revenait aujourd'hui, il serait ébloui : Madame Bovary est partout, elle prône l'émancipation sexuelle, tonne contre la « phallocratie », revendique le droit à l'avortement, elle a ses hebdomadaires et sa littérature ; on lui a même consacré un ministère, à la tête duquel on a nommé une de ses sœurs. Cervantès, vers l'an 1600, connut-il un original qui se prenait pour Lancelot du Lac et parcourait sa province avec un plat à barbe sur la tête ? Cela me paraît tout à fait possible : les écrivains ont rarement de l'invention ; il faut, la plupart du temps, un coup de pouce de la réalité pour mettre leur imagination en branle. Il est dommage qu'aucun érudit, aucun amoureux de la littérature, comme Robert Chouard, ne se soit trouvé en Espagne à la fin du XVIIe siècle, pour rechercher ce qu'était le vrai Quichotte, reconstituer ses excentricités, découvrir que Sancho s'appelait en fait Pablo Garcia, etc. Quel document ne serait-ce pas pour l'histoire littéraire et l'histoire des moeurs ! Madame Bovary est un personnage encore plus colossal, encore plus représentatif que Don Quichotte. Robert Chouard nous montre dans toute sa vérité, le modèle du plus célèbre portrait de femme des lettres françaises. Jean DUTOURD de l'Académie française. PROLOGUE « J'ai toujours pensé qu'il faut prendre dans l'écritoire de chaque auteur l'encre dont on veut le peindre. » Sainte-Beuve Madame Bovary et Gustave Flaubert Le plus grand des trois hommes se leva pour régler la mèche fumeuse de la lampe suspendue au plafond, puis, frappant sur la table l'épais manuscrit posé devant lui, demanda d'une voix forte : — A nous trois, maintenant, dites franchement ce que vous pensez. Dans la lueur de la flamme ravivée, la haute stature de Gustave Flaubert se profila sur la boiserie de la bibliothèque. Face à lui, ses complices inséparables, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet, se jetèrent un regard entendu. A la demande de leur ami, ils étaient venus le 12 septembre 1849, pour y écouter la lecture de ce que Flaubert considérait comme son premier ouvrage valable : « La tentation de saint Antoine », œuvre d'imagination pure, dans laquelle il avait voulu donner toute sa mesure et mis sa capacité totale. Par une sorte de pacte, comme on en fait quand on a vingt-huit ans, il avait été convenu que les deux compères réserveraient leur opinion et qu'ils ne l'exprimeraient qu'après avoir entendu l'œuvre entière. On mangerait, on boirait, on irait se promener sur les bords de Seine, mais il avait bien été stipulé que pendant la lecture on n'interviendrait pas. Le pavillon de Croisset Lorsque Flaubert, ayant déposé son manuscrit sur le pupitre posé sur la table, fut sur le point de commencer, il agita les feuillets au-dessus de sa tête et s'écria : — Si vous ne poussez pas de hurlements d'enthousiasme, c'est que rien n'est capable de vous émouvoir. Et il lut sans désemparer pendant quatre jours et huit heures par jour, de midi à quatre heures et de huit heures à minuit. Un désastre ! Les heures pendant lesquelles ils restaient silencieux, Bouilhet et Du Camp se contentaient parfois d'échanger un regard, tandis que Flaubert modulait, chantait, psalmodiait ses phrases. Il s'échauffait en lisant, essayant de les échauffer avec lui alors qu'ils étaient de glace. Ils tendaient l'oreille, espérant toujours que l'action allait s'engager, et toujours ils étaient déçus, car l'unité de situation était immuable, depuis le commencement jusqu'à la fin du texte. Trois années de labeur s'écroulaient sans résultat. L'œuvre s'en allait en fumée. Bouilhet et Du Camp étaient désespérés.