UNIVERSITE DE

Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Mémoire de Recherche

Regards de la Presse française sur les Tueurs en Série (1850-1950) : La construction du mythe

JEANNIN Juliette

Séminaire – Histoire politique des XIXe et XXe siècles

Année universitaire 2019-2020

Sous la direction de : Jean-Philippe Rey

Membre du jury : Gilles Vergnon

Mémoire soutenu le 02 Septembre 2020

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Déclaration anti-plagiat

1. Je déclare que ce travail ne peut être suspecté de plagiat. Il constitue l’aboutissement d’un travail personnel.

2. A ce titre, les citations sont identifiables (utilisation des guillemets lorsque la pensée d’un auteur autre que moi est reprise de manière littérale).

3. L’ensemble des sources (écrits, images) qui ont alimenté ma réflexion sont clairement référencées selon les règles bibliographiques préconisées. 3

NOM : …JEANNIN… PRENOM : …Juliette…

DATE : …31 Juillet 2020…

Remerciements

Je souhaite d’abord remercier mon directeur de mémoire, M. Jean-Philippe Rey, pour tous les conseils et l’aide qu’il a su m’apporter, il y a quelques années lorsque je préparais le concours des IEP et aujourd’hui pour la réalisation de ce travail de recherche. Je tiens également à remercier mes parents, qui me soutiennent dans tout ce que j’entreprends et qui ont dû subir des discussions interminables sur les tueurs en série pour les besoins de ce mémoire. Enfin, je remercie Irun, mon fidèle ami à quatre pattes, de m’avoir tenu compagnie durant ces longues heures de travail.

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Sommaire

DECLARATION ANTI-PLAGIAT ...... 3 REMERCIEMENTS ...... 4 SOMMAIRE ...... 5 INTRODUCTION GENERALE ...... 8 PARTIE I – ETUDE DE L’INTERET DE LA PRESSE POUR LES TUEURS EN SERIE ...... 19

CHAPITRE 1 : LA FASCINATION DE LA PRESSE ET DE L’OPINION POUR LES AFFAIRES DE MEURTRES EN SERIE ...... 20 I. Etat des lieux de l’intérêt des journaux pour les grandes affaires criminelles : .. 20 1) Une « médiatisation » forte à nuancer… ...... 20 II. « Etude de vente » : le tueur en série, un bon vendeur ? ...... 27 1) La presse a conscience de la passion des foules pour les grandes affaires . 27 2) Les tueurs, un outil pour capter l’attention du lectorat ? ...... 30 3) Un lien entre l’augmentation du nombre de tirages et les affaires de tueurs en série ? ...... 35 Conclusion intermédiaire ...... 36 CHAPITRE 2 : LA PLACE DU TUEUR EN SERIE AU SEIN DU JOURNAL ...... 37 I. Les tueurs en série, une actualité de premier ordre ? ...... 37 1) Les tueurs en série face aux autres faits d’actualité : ...... 37 5 2) Où placer le tueur en série ? ...... 43 II. Que raconter sur les tueurs en série ? ...... 46 1) Les étapes inévitablement relatées dans les journaux : ...... 46 2) Le tueur et le journaliste, des liens étroits ...... 48 Conclusion intermédiaire ...... 53 PARTIE II - L’EVOLUTION DU JOURNALISME DANS LES AFFAIRES DE MEURTRIERS EN SERIE ...... 54

CHAPITRE 3 : LES DIFFERENTS ROLES ENDOSSES PAR LA PRESSE ...... 55 I. D’une simple exposition des faits à la naissance d’un journalisme d’investigation : ...... 55 1) Information et récit des faits ...... 55 2) La naissance du journalisme d’investigation ...... 56 3) Presse et rumeur : relai ou démenti ? ...... 61 II. La presse comme défenseur de la société face au tueur : ...... 63 1) Une accroche par les affaires de tueurs ?...... 63 2) Le développement d’un journalisme réflexif… ...... 64 3) …Visant à résoudre le problème sociétal profond posé par les tueurs en série ...... 67 Conclusion intermédiaire ...... 70 CHAPITRE 4 : LES SCIENCES CRIMINELLES, UN ALLIE DE CHOIX ? ...... 72 I. L’intérêt très développé de la presse pour les progrès techniques et scientifiques en matière de crimes ...... 73

1) L’impact de la science dans les publications journalistiques ...... 74 2) Le poids donné à l’expertise médico-légale :...... 76 II. La science, un gage nouveau de légitimité ? ...... 77 1) Eloge de la science : foi en ce qu’elle dit des tueurs ...... 78 2) La scientificité de la presse ...... 78 Conclusion intermédiaire ...... 79 CHAPITRE 5 : LE COMPORTEMENT DE LA PRESSE FACE AUX AUTRES ACTEURS DES AFFAIRES ...... 80 I. Le point de vue des journaux sur la Justice : ...... 80 1) Entre défense… ...... 80 2) …Et doute : ...... 82 II. La guerre entre Presse, Police et Parquet : ...... 84 Conclusion intermédiaire ...... 86 CHAPITRE 6 : DES TENTATIVES DE TRAITER LE TUEUR AVEC NEUTRALITE… ...... 88 I. Un traitement développé et minutieux… ...... 88 1) Une retranscription précise et cohérente des faits :...... 88 2) Un traitement sérieux ...... 92 II. …A l’épreuve des oppositions politiques : ...... 94 1) Le traitement des affaires par les journaux dépend de leur orientation ... 94 2) Les tueurs, un motif de guerre entre journaux ? ...... 97 Conclusion intermédiaire ...... 98 CHAPITRE 7 : …QUI FAIT FACE A L’EVIDENCE D’UNE REALITE SOUVENT DETOURNEE ET ENJOLIVEE ...... 100 I. Retranscrire, n’est-ce pas déjà réécrire ? ...... 100 6 1) Les journaux font des choix : ...... 100 2) Les journalistes n’hésitent pas à prendre position : ...... 102 II. A Affaires exceptionnelles, récit sensationnel ? ...... 104 1) Des procédés pour jouer sur l’inédit et donner de l’attrait aux « affaires » . 104 2) Engager tous les sens du lecteur ...... 108 Conclusion intermédiaire ...... 112 CHAPITRE 8 : REGARDS DE LA PRESSE ET FIGURES DE CRIMINELS ...... 113 I. Image des tueurs dans les yeux de la presse : ...... 113 1) La description physique, un point crucial : ...... 113 2) Un portrait qui varie : ...... 118 II. Les différents visages de l’assassin : le poids de l’origine sociale : ...... 119 1) Les figures du monstre ...... 119 2) Le bellâtre criminel ...... 122 3) Le stratège d’une intelligence fascinante ...... 124 Conclusion intermédiaire ...... 125 CHAPITRE 9 : LE ROLE DE LA PRESSE DANS LA CONSTRUCTION DU MYTHE DU TUEUR EN SERIE ...... 126 I. Meurtres, fiction et divertissement : les tueurs, un filon littéraire ?...... 126 1) Le tueur comme divertissement ? ...... 126 2) Une vision romancée des tueurs : ...... 129 II. La construction du mythe du tueur en série : ...... 131 1) En « créant » les affaires… ...... 132 2) …La presse française a fait de ces tueurs de véritables légendes : ...... 134

Conclusion intermédiaire ...... 139 CONCLUSIONS GENERALES ...... 140 BIBLIOGRAPHIE ...... 145 ANNEXES ...... 148

ANNEXE 1 : FICHES EXPLICATIVES DES AFFAIRES ...... 148 ANNEXE 2 : SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE DES FICHES EXPLICATIVES ...... 166 ANNEXE 3 : LISTE DES JOURNAUX CONSULTES DANS CETTE ETUDE ...... 169 ANNEXE 4 : CLASSEMENT THEMATIQUE DE LA PRESSE ...... 178

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Introduction Générale

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« Et il abattit le poing, et le couteau lui cloua la question dans la gorge. En frappant, il avait retourné l’arme, par un effroyable besoin de la main qui se contenait : le même coup que pour le président Grandmorin, à la même place, avec la même rage. Avait-elle crié ? il ne le sut jamais. À cette seconde, passait l’express de Paris, si violent, si rapide, que le plancher en trembla ; et elle était morte, comme foudroyée dans cette tempête. » - Emile Zola1

On connait tous aujourd’hui la fascination de l’opinion pour les grandes affaires d’assassinats ainsi que le phénomène de surmédiatisation des tueurs en série, dans la presse écrite mais aussi à la télévision, sur les réseaux sociaux… Un constat s'impose : la violence fait vendre. Cependant, cet adage n’est pas récent car la fascination pour de célèbres meurtriers peut être identifiée dès le XIXème siècle ; période marquée d’ailleurs par l’effervescence de la presse écrite en métropolitaine. Plus spécifiquement, c’est dans la deuxième moitié du XIXème siècle que le passage à l’acte, au crime, suscite un intérêt unique. Cet intérêt est d’abord scientifique. Le crime et le criminel deviennent de plus en plus l’objet d’une 9 préoccupation intellectuelle ; à tel point que cette curiosité aboutit à la constitution d'une discipline scientifique indépendante. L’anthropologie judiciaire, aussi appelée criminologie, prend ainsi comme objectif principal l'étude du criminel, du crime et de la réaction sociale qui y est attachée. Parallèlement, cet intérêt pour les meurtriers en série se diffuse dans la sphère journalistique : la soif de frissons, de sensations et de sang de l’opinion fait les choux gras de la presse (notamment de la presse populaire), qui voit ses tirages augmenter, dépassant même de loin les chiffres de notre presse écrite actuelle. En effet, durant le dernier tiers du XIXème siècle, les affaires de meurtres, et plus généralement les faits divers, deviennent des objets médiatiques omniprésents, presque obsédants. Les meurtriers et autres malfaiteurs investissent les Une de bon nombre de journaux, dont les gravures placent sous les yeux de leurs lecteurs des représentations inédites du criminel, contribuant ainsi à en construire et matérialiser les contours par la valorisation d’images dramatiques, effroyables et morbides2. Dans ce sens, au-delà de l’enjeu de l’information, la vive médiatisation du passage à l’acte devient le point d’ancrage d’une véritable culture, un imaginaire du crime,

1 Emile ZOLA, La Bête Humaine, 1893, Paris, Bibliothèque-Charpentier, G. CHARPENTIER et E. PASQUELLE, Editeurs, p.373-374. 2 Nadine DARDENNE, « Meurtres à la Une : Figures du criminel dans la presse française de la fin du XIXème siècle », Criminocorpus, URL complète en biblio.

caractérisé par un langage propre, des codes et un savoir3. A ces deux questions s’ajoutent les enjeux politiques. Si la Troisième République se distingue par des traits saillants tels que la Commune de Paris et sa répression, l’avènement du régime parlementaire, l’école publique et obligatoire, l’instauration de la laïcité, l’essor des transports (et plus particulièrement des voies de chemin de fer) ; le crime est également une question politique importante. On parle même dans ces années de « crise de la répression » 4. Au XIXème siècle le crime devient donc un sujet mondain, présent dans toutes les bouches ; un récit macabre qui s’adapte parfaitement au contexte des journaux. Ce n’est pas vraiment surprenant finalement puisque le besoin d’information est un des éléments fondamentaux de toute vie en communauté et que sans même parler de journalisme ou de presse écrite, on retrouve à des époques antérieures ou dans d’autres civilisations une curiosité du public qui a suscité des moyens de diffusion, « des conteurs d’histoire des aèdes grecs aux trouvères du Moyen Âge et aux griots africains »5 .

10 Justement, dans la deuxième moitié du XIXème siècle de nombreuses évolutions sociales, économiques et techniques ont favorisé la médiatisation du fait-divers. C’est à cette période à cheval entre le XIXème et le XXème siècle que le journal devient un bien de consommation quotidienne6. Plusieurs étapes ont permis cette apogée de la presse écrite. L’augmentation du nombre de tirages D’abord une augmentation toujours plus importante du nombre de tirage. Ainsi ; de 1800 à 1870, la presse quotidienne française multiplia ses tirages par trente7 et plus précisément, sur cette période, les tirages de la presse quotidienne parisienne passèrent de 36 000 à un million d’exemplaires8. Ensuite, comme le rappelle Pierre Albert dans son Histoire de la Presse Française, tout au long du XIXème siècle, le développement de l’instruction, l’élargissement du corps électoral avec l’institution du suffrage universel et l’urbanisation ont attisé les curiosités et renforcer le besoin d’information d’un public qui finit par s’étendre à l’ensemble de la population française9. La révolution des transports amorcée au début du XIXème siècle a joué un rôle important dans la diffusion de la presse

3 Mado MONNEREAU, Le récit de meurtre en France (1870-1899), Thèse, Bordeaux 3, 2017., p.185. 4 Marc RENNEVILLE, « Quelle histoire pour la criminologie en France ? (1885-1939) », Criminocorpus. Revue d’Histoire de la justice, des crimes et des peines, 27 juin 2014, URL complète en biblio. 5 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, Presse Universitaire de France., Que sais-je ?, 2018, URL complète en biblio. 6 Ibid., p.54. 7 Ibid., p.38. 8 Ibid., p.32. 9 Ibid., p.32.

écrite sur tout le territoire, grâce à la mise en place d’un réseau de chemin de fer et postier performants. Les journaux parisiens ont pu multiplier le nombre de leurs abonnements en province par leur position avantageuse sur ce nouveau réseau10. L’augmentation des tirages des journaux français a également été favorisé par la baisse de leur prix, permise par l’industrialisation des méthodes de production et la formation d’un véritable marché de la presse. L’abaissement du prix des journaux se fit par étapes. Au début du siècle, leur prix était toujours fixé à 80 francs l’année, ce qui rendait difficile l’accroissement du nombre d’abonnements. C’est pourquoi, certains journaux commencent à émettre l’idée d’abaisser leur prix ; le 1er Juillet 1836, Le Siècle et La Presse fixent leur abonnement à 40 francs par an (environ 10 centimes le numéro). Pour des raisons de concurrence, les autres quotidiens sont alors obligés de suivre le mouvement et les ventes explosent : le tirage passe de 80 000 à 180 000 exemplaires de 1836 à 1847 pour les quotidiens parisiens11. Devant ce succès, le prix des journaux continue de baisser et la vente au numéro à 5 centimes se généralise, faisant passer le tirage des quotidiens de province de 350 000 à 4 millions d’exemplaire de 1870 à 1914 et de de 1 à 5,5 millions pour ceux de Paris12. Le journal passe alors d’un produit cher 11 et donc rare, que seule une élite cultivée et fortunée plutôt réduite se procurait au début du XIXème siècle, à un bien courant consommé par un public de plus en plus large, qui s’est étendu dans la dernière partie du siècle aux couches sociales de la petite bourgeoisie ainsi qu’aux milieux populaires des villes13.

Des progrès techniques Les améliorations techniques, telles que la presse mécanique puis la presse à réaction – qui fut installée pour la première fois en France en 1847 pour le journal La Presse – ont- elles aussi eut un grand impact sur la multiplication des tirages au XIXème siècle, en imprimant de 7000 à 12000 exemplaires par heure14. Le progrès se poursuit ensuite avec la mise au point des presses rotatives dans les années 1860, dont se dotent en 1866-1867 La Petite Presse et Le Petit Journal sous la direction de Hippolyte-Auguste Marinoni15. Une transformation des journaux Au-delà d’une augmentation des tirages, le XIXème siècle est marqué par une diversification des journaux français facilitée par les effets des révolutions industrielles et

10 Ibid., p.35. 11 Ibid., p.42-43. 12 Ibid., p.64-65. 13 Ibid., p.33. 14 Ibid., p.34. 15 Ibid., p.35.

techniques de la presse. Dans la seconde moitié du siècle, la presse s’est désormais démocratisée, le style et le contenu des journaux se transforment et les quotidiens se distinguent en plusieurs catégories : journaux populaires ou à sensations, journaux plus savants, journaux avec abonnés progressivement délaissés pour la vente au numéro, ou encore presse spécialisée (économie, finances, sports, littérature, cinéma, vie culturelle…). L’actualité, qu’elles concernent les nouvelles importantes ou plus futiles ont-elles aussi gagné une place conséquente dans les journaux (quelle que soit leur type d’ailleurs) 16.

En somme, sur la période que nous allons étudier ici (1850-1950), toutes les conditions semblent réunies pour concorder à l’apogée du fait-divers dans la presse française (et donc de ce qui nous intéresse ici, les affaires de meurtres en série). Le terme « fait- divers », qui apparait pour la 1ère fois en 1863 dans Le Petit Journal, s’avère compliqué à définir, le Larousse nous en donne une définition journalistique à savoir une « rubrique de presse comportant des informations sans portée générale, relatives à des faits quotidiens ». Le fait-divers a donc une forme bien particulière et un contenu spécifique centré sur des évènements de la vie quotidienne. Roland Barthes le considèrera d’ailleurs comme ne 12 rentrant dans aucune catégorie. Evènement sans évènement,

« Le fait divers […] procéderait d'un classement de l'inclassable, il serait le rebut inorganisé des nouvelles informes ; son essence serait privative, il ne commencerait d'exister que là où le monde cesse d'être nommé, soumis à un catalogue connu (politique, économie, guerres, spectacles, sciences, etc.) ; en un mot, ce serait une information monstrueuse, analogue à tous les faits exceptionnels ou insignifiants […] il ne renvoie formellement à rien d'autre qu'à lui-même »17. La catégorie du fait-divers est donc vaste, puisqu’elle regroupe tous les faits du quotidien ayant un caractère remarquable et inattendu, cependant, on peut y dégager 6 grandes thématiques : les accidents, les vols, les dérèglements naturels, les affaires de mœurs, les atteintes à l’ordre public, les suicides et évidemment ceux qui seront au cœur de ce mémoire : les meurtres18. Au début de sa diffusion, le récit du fait-divers trouvait sa place dans ce l’on appelait les « occasionnels » - des pièces d’actualité de large diffusion sous forme de plaquettes ou de placards qui se développent à partir du XVème siècle - puis dans les « canards », des bulletins d’informations distribués dans la rue aux XVIIIe et XIXe siècle.

16 Ibid., p.57. 17 Roland BARTHES, « Structure du fait-divers », in Essais critiques, Editions du Seuil., Paris, 1964. 18 ARTIS, « Le Fait Divers de 1850 à 1914 : l’essor d’une fascination. », Master civilisations, cultures et sociétés, URL complète en biblio.

Les canards ne sont distancés qu’avec l’éclosion de la grande presse dans les années 1860. A ce moment-là le fait-divers devient réellement un objet de journalisme, notamment avec la création de la rubrique éponyme19. Ainsi, si les pulsions criminelles ont toujours fait partie de la nature humaine, le développement de la presse écrite au XIXe siècle donne une nouvelle médiation à ces crimes sulfureux qui passionnent le grand public. Cela est d'autant plus marquant à la fin de ce siècle où la presse illustrée se développe de plus en plus sous la forme de suppléments hebdomadaires ou mensuels, comme par exemple celui du Petit Journal, « Le Petit Journal. Supplément Illustré » créé en 1889 ou, à une échelle régionale, Le Progrès Illustré, lancé un an plus tard20. Néanmoins, tous les journaux ne traitent pas les crimes et tout particulièrement le meurtre de la même manière. Dès le départ, la manière dont un journal expose et formule une actualité comporte une connotation qui s’ajoute à l’information ; c’est pourquoi il est intéressant de comparer ce sens ajouté d’un journal à l’autre afin de voir si leur traitement du fait-divers est semblable ou non21. Ainsi, les journaux plus élitistes, 13 intellectuels ou d’actualités politiques dédaignent parfois les faits divers, tandis que le « journalisme marchand, de grand commerce et de faible scrupule, l’exploite toujours sans vergogne, non sans cynisme » 22. Au contraire, d’autres études menées sur le journalisme et les faits divers, ont montré qu’il existait d’importantes similitudes entre les articles de faits divers au XIXème siècle, et ce malgré les divergences éditoriales. La réflexion de Laetitia Gonon met en avant le processus de circulation de l’information qui s’opère entre les différentes sphères, en considérant ainsi ces articles comme un récit journalistique constitué d’« un assemblage de citations diverses, hétérogènes, en provenance de différents lieux, géographiques ou locutoires »23.

Dans ce mémoire nous allons tenter d’apporter une réponse à ce débat en étudiant les regards, divergents ou non, de la presse française sur les affaires de tueurs en série. D’abord, en observant l’intérêt que porte les journaux aux meurtriers sur notre période d’étude (1850- 1950). Leur intérêt est-il vif ou inexistant ? Quelle place tiennent les tueurs en série par

19 Ibid. 20 Sarah WAECHTER, « Canards sanglants », Numelyo - Bibliothèque Numérique de Lyon, 12 avril 2010, URL complète en biblio. 21 Georges AUCLAIR, « Meurtre, inceste et énigme. Étude comparée de presse », Revue française de sociologie, 1966, vol. 7, no 2, pp. 215‑228., p.215. 22 Annik DUBIED, « Fait divers et journalisme », Les dits et les scènes du fait divers, 2004, n° 202, URL complète en biblio., p.45. 23 Laetitia GONON, Le fait divers criminel dans la presse quotidienne française du XIXe siècle : enjeux stylistiques et littéraires d’un exemple de circulation des discours, Thèse, Sorbonne Nouvelle., p.28.

rapport aux autres actualités ? Il s’agit de savoir ici si finalement les tueurs en séries sont considérés comme de bons vendeurs pour les journaux de l’époque. Nous étudierons également la manière dont la presse traite ces affaires, en analysant plus en profondeur l’image (à l’écrit mais aussi dans les illustrations) que les journaux donnent des différents tueurs. Il s’agira également ici de s’interroger sur l’objectivité de la presse face aux affaires : la presse est-elle objective (stricte retranscription des faits) ou crée-t-elle une forme de fiction à partir des faits divers ? Enfin sur cette question nous chercherons à savoir si les journaux traite de la même manière les tueurs selon leur ligne éditoriale ou leur orientation politique. Il est aussi important d’étudier les divers rôles endossés par les journalistes, ainsi que les méthodes utilisées, dans les grandes affaires de tueur en série, du simple rappel des faits, au journalisme d’investigation, en passant par un journalisme plus réflexif. De même, quelles sont les relations des journalistes avec les autres acteurs importants de ces affaires, à savoir, les experts scientifiques, les forces de l’ordre, les représentants de la justice et évidemment le public ? Enfin, la dernière question abordée par ce mémoire, et qui est pour moi certainement la plus importante, est celle du rôle qu’a pu jouer la presse dans la construction de la figure mythique que sont les tueurs en série aujourd’hui. Ici on 14 décortiquera le « concept » même du tueur en série dans les médias et le rôle qu’ont joué les journaux de l’époque dans la construction (ou non) du symbole presque allégorique que représente le tueur en série dans notre société. Nous verrons donc ici si la presse a accentué ou non l’appétence et la fascination de l’opinion publique pour les « ».

Afin d’éclaircir ces points, il a fallu d’abord sélectionner les affaires de tueurs en série ayant marqué notre période. Nous étudierons donc ici onze affaires, réparties sur la période de 1850 à 1950 : Hélène Jégado, , Louis-Joseph Phillipe, Jean- Baptiste Troppmann, Albert Pel, Henri Pranzini, , Henri Vidal, Jeanne Weber, Henri Désiré Landru et Marcel Petiot24. Ces tueurs et tueuses, dont les origines sociales et géographiques ainsi que les modes opératoires sont assurément variés, ont pourtant le point commun d’avoir tous passionné la presse française et ses lecteurs à un moment où à un autre. Pourquoi les avoir choisis en particulier ? Qu’entend-on par tueur en série ? Le terme de « tueur en série » est une expression provenant directement de l'anglais serial killer créé par

24 Les fiches biographiques de tous ces tueurs en série sont présentes en Annexes, jointes d’un résumé détaillé de chaque affaire.

l'agent du FBI Robert Ressler, à Quantico dans les années 197025. Néanmoins, cette notion est loin de faire l’unanimité dans la sphère académique. Le Federal Bureau of Investigation nous fournit une définition légale du terme, un individu qui a commis deux homicides ou plus, lors d’évènements séparés26 et/ou sur une période de plus de trente jours27. A partir des années 1980, une distinction des homicides multiples est établie en trois catégories : les meurtres à la chaîne, les meurtres en série et les tueries de masse28. Pour la juge Elodie Bournoville, contrairement aux tueurs de masse ou aux tueurs compulsifs, « qui sont pour la plupart des psychotiques, vite mis hors d’état de nuire, le tueur en série est un psychopathe « sain d’esprit » en apparence et très bien organisé » ; pour elle c’est un tueur, avec une soif du meurtre, qui récidive plus de trois fois avec un facteur temps s’étalant parfois sur plusieurs mois ou même plusieurs années29. Alors que le tueur de masse abat un groupe de plusieurs personnes (au moins quatre), au même endroit, dans l’espace de quelques minutes ou 15 quelques heures, et que le tueur compulsif commet lui plusieurs homicides dans des zones géographiques différentes durant une fourchette temporelle relativement courte, le tueur en série quant à lui, a plutôt tendance à individualiser ses meurtres dans des villes ou même des pays différents30. De plus, si le tueur de masse utilise en général plutôt des armes à feu, le tueur en série préfère souvent utiliser une arme blanche ou bien ses mains nues31. Ces définitions mettent donc en avant le nombre de meurtres, environ trois, exécutés sur une durée indéterminée, avec une méthode particulière et un motif précis32 ; cependant, choisir de fonder une définition sur un nombre de victimes pourrait exclure certains meurtriers. Ainsi, il semble plus adapté de caractériser ces criminels en fonction de leur comportement et d’observer si les tueurs ont donné la mort dans le cadre d’un rituel ou d’une signature caractéristique33. C’est pourquoi, pour d’autres auteurs, la définition du tueur en série revêt une dimension différente ; par exemple, pour la magistrate française Fiammetta Esposito, un

25 Robert RESSLER et Thomas SCHACHTMAN, Whoever Fights Monsters : My Twenty Years Tracking Serial Killers for the FBI, St. Martin’s Paperbacks., 1992. 26 FEDERAL BUREAU OF INVESTIGATION, Serial : Multi-disciplinary perspectives for investigators. [Rapport], Behavioral Analysis Unit, National Center for the Analysis of Violent Crime, U.S. Department of Justice, Washington D.C., 2014., p.9. 27 R. M. HOLMES et S. T. HOLMES, Murder in America, Thousand Oaks., CA, 1994., p.92. 28 Justine QUINTIN, Les tueurs en série et les meurtriers de masse : la fascination pour les auteurs d’homicide multiple, Mémoire de Recherche, Faculté de droit et de criminologie - Université Catholique de Louvain, 2016, URL complète en biblio.,p.5. 29 Elodie BOURNOVILLE, Les Tueurs en Série Français - Nouveau genre de criminels face à une police d’un genre nouveau, Mémoire de Recherche, Université de Lille II, 2003, URL complète en biblio., p.7. 30 Ibid. 31 Frédéric VEZARD, La France des Tueurs en Série, Flammarion., Paris, 2002., p.309. 32 Eric HICKEY, Serial murderers and their Victims, Brooks., Pacific Grove, California, Cole Pub. Co, 1991. 33 Elodie BOURNOVILLE, Les Tueurs en Série Français - Nouveau genre de criminels face à une police d’un genre nouveau, op. cit.,p.8.

tueur en série se définit, indépendamment du nombre de victimes, par sa motivation intrinsèque, issue de fantasmes et par un passage à l'acte d'une extrême violence sexualisée. Pour Esposito, un assassin peut donc être considéré comme un tueur en série dès le premier passage à l’acte notamment par la violence inouïe de son œuvre34. C’est pour cela par exemple que l’on retrouve dans les tueurs choisis pour cette étude l’affaire Pranzini, qui, malgré le fait que les trois meurtres aient été commis au même moment, relève d’une brutalité inouïe. Ce crime a d’ailleurs suscité plusieurs études médico-légales cherchant à expliquer la brutalité et la violence avec laquelle les trois femmes avaient été égorgées, comme en témoignent Les Archives d’Anthropologie Criminelle d’Alexandre Lacassagne35. Ainsi, pour résumer, dans ce mémoire, nous allons regrouper tous ces critères et entendre par le terme de meurtre en série, l’existence d’au moins trois crimes liés (avec ou non la possible présence de meurtres additionnels) et ayant été commis de manière isolée, par la même personne sur une durée déterminée et avec un motif de gratification personnelle (fantasme, appât du gain, pulsion…). Néanmoins, certains tueurs que j’ai sélectionnés ne correspondent pas exactement à cette définition et ont été choisi pour la violence (souvent 16 sexualisée) de leur crime ou parce leurs affaires ont fait couler beaucoup d’encre.

Enfin, il nous reste à définir les sources primaires sur lesquelles repose ce travail de recherche : les journaux. Quarante- huit ont été épluché afin d’étudier leur traitement des onze affaires36. Ces journaux quotidiens ou d’information pour la majorité, ont été sélectionné d’abord pour leur nombre de tirage élevé ; les quatre grands journaux parisiens (Le Matin, Le Petit Parisien, Le Petit Journal et Le Journal) furent donc un choix évident compte tenu de l’augmentation croissante de leur audience sur la période. Ainsi, en 1890, Le Petit Parisien tire à 690 000 pour atteindre 1,5 million d’exemplaires en 1914, le tirage « le plus fort des journaux du monde entier »37, tandis que Le Petit Journal atteint le million d’exemplaire la même année38, avant de doubler ce chiffre en 1917. Le Matin porte lui le nombre de ses impressions de 90 000 en 1899 à 900 000 en 1914 puis 1,5 million en 1917,

34 Fiammetta ESPOSITO, Tueurs en série français : regards croisés de la psychopathologie et de la criminologie à propos de six meurtriers multiréitérants français, Poitiers, Université de Poitiers, 2007. 35 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne : le sacre du fait divers. Prologue », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charentes. Touraine, 1 mars 2009, no 116‑1, pp. 13‑28., p.15. 36 Les journaux choisis sont explicités en annexe et classés par thème pour plus de clarté. 37 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.68-69. 38 Ibid., p.68.

tandis que Le Journal a un tirage supérieur à un million39. Au total, ces quatre titres diffusaient au total plus de 4 millions d’exemplaires. Néanmoins, le critère de la réputation des journaux est aussi très important, car certains, même s’ils ne présentent pas un niveau de tirage très élevé, sont quand même des journaux essentiels sur la période. C’est le cas notamment du Populaire, du Figaro ou encore du Temps40, qui, malgré la relative faiblesse de ses tirages (de 35000 à 45000 exemplaires) était considéré à l’époque comme le plus grand journal français, son audience à l’étranger étant considérable41. Ajouté à cela, il fallait respecter un équilibre entre la région parisienne et les provinces en termes de nombre de journaux sélectionnés, car, si les quatre grands parisiens semblent dominer le marché, la presse régionale ne cesse pas pour autant de se développer et de gagner en autonomie grâce aux innovations techniques, à l’extension du réseau secondaire de chemins de fer puis à l’automobile, née de la seconde révolution des transports42. Nous avons donc retenu ici les journaux importants de province, dont le tirage (même s’il est moins important que pour les journaux parisiens) n’a cessé de croitre même après le second conflit mondial, comme Ouest-Éclair à Rennes (350 000 exemplaires en 17 1939), L’Écho du Nord à Lille (330 000), La Petite Gironde de Bordeaux (325 000), Le Petit Dauphinois à Grenoble (280 000), La Dépêche de Toulouse (270 000), Le Réveil du Nord à Lille (250 000), ou encore Le Petit Provençal de Marseille (165 000)43. Le choix des journaux visait également à respecter un équilibre entre journaux anciens et récents sur la période ; ainsi, La Gazette de France, née en 1631 et l’un des journaux les plus anciens de France à sa disparition en 1915, Le Journal des Débats (1789) et Le Constitutionnel (1819) – journaux les plus influents du début du XIXème siècle44 – vont côtoyer dans cette étude des journaux comme Paris-Soir (1923) ou Libération (1944). Enfin, une attention toute particulière a été donné à la ligne éditoriale et l’orientation politique des journaux afin de pouvoir étudier des journaux plutôt conservateurs ou monarchistes comme Le Gaulois ou Le Salut Public, catholiques avec La Croix, des journaux libéraux comme Le Constitutionnel mais aussi des journaux que l’on classerait plutôt à gauche comme La Petite République ou l’Humanité.

39 Ibid., p.69. 40 Janine PONTY, « La presse quotidienne et l’affaire Dreyfus en 1898-1899. Essai de typologie », Revue d’Histoire Moderne & Contemporaine, 1974, vol. 21, no 2, pp. 193‑220., p.13. 41 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.70. 42 Ibid., p.72. 43 Ibid., p.99. 44 Ibid., p.39.

Ainsi, le respect de ces nombreux critères permet de regrouper les sources primaires journalistiques les plus complètes et diverses possible, afin de représenter au mieux la presse de l’ensemble du territoire français.

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Partie I – Etude de l’intérêt de la presse pour les tueurs en série

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Chapitre 1 : La fascination de la presse et de l’opinion pour les affaires de meurtres en série

Comme évoqué précédemment, sur notre période (1850-1950), le succès de la presse écrite française coïncide avec une passion débordante de l’opinion et donc des journaux pour les faits-divers. En effet, si l’on s’intéresse aux chiffres, à la fin du XIXème siècle, deux journaux parisiens, Le Petit Journal et Le Petit Parisien, journaux à sensation par excellence, consacrent plus de 12% de leurs articles aux faits-divers (agressions, cambriolages, crimes…)45. Ces journaux ont conscience de l’intérêt de la foule pour les affaires proches de leur quotidien et pensent que ces dernières pourraient permettre de stimuler leurs ventes. Ont-ils eu raison ? Les affaires de tueurs ont-elles un intérêt économique pour la presse ? Qu’en est-il des autres journaux de l’époque ?

I. Etat des lieux de l’intérêt des journaux pour les grandes affaires criminelles : 20

Nous allons voir ici si nos affaires de tueur ont fait beaucoup parler dans la presse ou si au contraire certains journaux n’étaient pas intéressés.

1) Une « médiatisation » forte à nuancer… Entre vive passion… Le premier constat que nous pouvons faire concerne la forte médiatisation des onze affaires étudiées. Pas une seule de ces affaires n’a été ignorée par les journaux de l’époque. Enormément de contenu est produit non seulement pas la presse mais aussi par l’ensemble des acteurs de ces affaires. Par exemple, au lendemain des crimes de l’affaire Henri Vidal, auteur de plusieurs meurtres de femmes en 1901 dans le sud de la France, les acteurs de la sphère judiciaire (policiers, magistrats, avocats, personnels pénitentiaires), les scientifiques (experts, médecins…), les journaux à grand tirage et même l'intéressé lui-même produisirent sur la vie du tueur un gigantesque ensemble de textes46.

45 Jacques BOURQUIN, « Dominique Kalifa « L’encre et le sang ». », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 15 novembre 2002, Numéro 4., p.237. 46 Jean-Jacques YVOREL, « Philippe Artière et Dominique Kalifa « Vidal, le tueur de femmes. Une biographie sociale » », Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », 15 novembre 2003, Numéro 5, pp. 276‑278.

Le nombre de numéros, de colonnes et d’articles consacrés aux tueurs en série dans les journaux, pendant plusieurs mois, parfois pendant plusieurs années témoigne de cette importante mise en lumière. Cette observation est valable pour des affaires anciennes comme pour les plus récentes. Martin Dumollard, auteur d’une douzaine de meurtres ou tentative de meurtre sur des domestiques de la région lyonnaises dans les années 1850-1860, fait l’objet de 55 articles en 1861 et 1862 dans Le Mémorial de la Loire et apparait dans 153 éditions du Figaro sur toute sa période de publication. Dans le même journal, Albert Pel - accusé en 1885 d’avoir empoisonné plusieurs de ses épouses ainsi que sa propre mère – apparait dans 165 éditions ; tandis que l’affaire Jean-Baptiste Troppmann – tueur ayant assassiné sur plusieurs mois en 1869 les huit membres de la famille Kinck – prend place dans 204 éditions du journal Le Temps. En 1887, Le Matin et Le Petit Journal publient un article par jour de Mars à début Mai, sur l’affaire Pranzini, auteur du triple assassinat de la rue Montaigne, le 17 Mars 1887. Pour la même affaire, le journal La Croix consacre 112 éditions sur toute sa période de publication, dont 73 uniquement pour l’année 1887. L’intérêt que porte la presse pour l’affaire Pranzini peut donc être observé visuellement avec le nombre de colonne qui maintiennent en haleine le public et ce, dès le 18 Mars, lendemain du crime. Cette affaire peut même être considérée comme le plus gros « scandale » médiatique de nos onze 21 affaires47. Les chroniques consacrées à l’affaire Pranzini sur une période de six mois en 1887 représentent déjà un volume de 400 pages dans le seul Figaro et apparaissent dans un total de 235 éditions dans ce dernier. De même, l’instruction de l’affaire de Joseph Vacher, le tueur vagabond de la fin du XIXème siècle, est présente dans presque tous les numéros du Courrier de l’ et du Petit Journal en Octobre 1897. Les affaires du XXème siècle n’échappe pas à cette forte médiatisation, comme en témoigne l’affaire Jeanne Weber – la tueuse d’enfants – qui occupe les colonnes du Matin plusieurs fois par mois pendant plus de deux ans, pour 78 articles. Le même journal consacre 239 articles entre 1919 et 1922 à la célèbre affaire Henri-Désiré Landru, accusé d’avoir tué et fait disparaitre les corps d’une dizaine de femmes. Enfin, notre dernière affaire, celle du Docteur Marcel Petiot - qui utilisait son cabinet à partir de 1942 pour assassiner des personnes poursuivies pas la Gestapo et souhaitant un passage clandestin hors de l’Europe en guerre – est à la Une du Matin pour 44 numéros en 1944 et ce, malgré le contexte de la Seconde Guerre Mondiale. D’ailleurs, le Matin met très souvent en avant nos affaires de tueurs sur sa première page. Les deux procès

47 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.20.

d’Albert Pel y sont présents respectivement les 12,13 et 14 Juin et les 12, 13 et 15 Aout 1885 tandis que l’Affaire Vidal y figure presque tous les jours du mois de Janvier 190248. Le nombre des articles dédiés aux affaires de tueur en série est d’autant plus important que parfois l’on retrouve plusieurs articles sur une affaire dans un même numéro. Par exemple, dans son numéro du 11 Janvier 1908, Le Matin offre à ses lecteurs un premier article en Une sur les preuves médico-légales accablant Jeanne Weber puis développe en page 3 la « dernière idylle de l’Ogresse »49. Idem, dans son édition du 17 Novembre 1921, le journal fait figurer en Une un article sur les derniers rebondissements du procès Landru – « Le quart d’heure de Landru » - ainsi qu’un deuxième article en page 3 sur « la jeunesse de Landru évoquée par sa demi sœur ». Les multiples occurrences des tueurs dans les journaux de l’époque nous permettent d’affirmer leur vif intérêt pour ces affaires, toute ligne éditoriale ou politique confondue, étant donné qu’on les retrouve évidemment dans des journaux à sensation comme Le Matin et le Petit Journal, Le Petit Marseillais… mais pas seulement. On les retrouve aussi dans des journaux d’opinion tels que La Croix ou l’Humanité ; dans des quotidiens d’information comme Le Journal ; ou encore dans des journaux satiriques comme Le Charivari. Enfin, les 22 tueurs trouvent aussi leur place des journaux considérés plus sérieux ou savant, tels que Le Mémorial de la Loire, journal judiciaire, ou Le Courrier de l’Ain, journal à but politique puis littéraire, même s’il faut souligner ici qu’il s’agit de la catégorie leur donnant parfois le moins d’importance. …Et désintérêt assumé Pour certains journaux, la plupart anciens, les affaires de tueurs en série ne présentent pas autant d’intérêt que pour les journaux à sensation et ne nécessitent pas d’innombrables recherches ou articles de plusieurs pages. Certains articles sont très peu détaillés et approfondis. Ainsi, Le Siècle résume dans son édition du 19 Décembre 1851 la dernière audience du procès d’Hélène Jégado – la célèbre empoisonneuse – en deux phrases et quatre lignes : « Audience du 13. Après les réquisitoires, les plaidoiries, et le résumé, le jury rend un verdict affirmatif sans circonstances atténuantes. Hélène Jégado est condamnée à la peine de mort ». Ce qui est d’autant plus surprenant c’est qu’il s’agit normalement du moment le plus attendu du procès et que c’est le dernier article sur le procès de la tueuse que l’on peut trouver dans ce journal. Certains journalistes assument même clairement parfois leur dédain

48 Le Matin, éditions des 04,06,10,11,16,18 et 23/01/1902. 49 Le Matin, édition du 11/05/1908.

de certains crimes, qui restent pour eux du domaine du fait-divers et doivent donc être relayés par des chroniqueurs ayant moins de scrupules journalistiques. C’est l’avis d’un des rédacteurs du Matin, qui ne souhaite pas s’intéresser à l’affaire Vidal, même si selon lui « ceux qui s’intéressent à ce genre de littérature n’ont vraiment pas lieu de se plaindre. A peine remis de l’émotion de la veille, il leur faut partir le lendemain sur de nouveaux faits, d’autres cadavres sollicitant leur attention ». Il ajoute que personnellement il s’« embrouille dans ces histoires dont la plupart finissent en roman-feuilleton avec des suites au prochain numéro innombrables » ; et qu’il lui est égal de savoir si Henri Vidal sera exécuté ou non, et ce, malgré le nombre incalculable de lettres qu’il a reçu de lecteurs pour qui cette question est « extrêmement importante »50. Les journalistes de la presse plus spécialisée refusent aussi parfois d’exploiter ces affaires scandaleuses car ils ont conscience que beaucoup a déjà été dit, jusqu’au gavage de l’opinion. C’est pourquoi Le Temps refuse de mentionner dans son numéro du 02 Janvier 1870, les dernières nouvelles de l’affaire Jean-Baptiste Troppmann, pourtant dans toutes les bouches à ce moment-là : « On nous saura gré de ne point parler de Troppmann, sujet d’étude aussi curieux qu’horrible, mais sur lequel la curiosité publique a été alimentée jusqu’à satiété. Ce n’est déjà plus l’histoire du jour ». 23 De plus, si dans certains journaux l’intérêt n’est pas présent dès le départ, pour d’autres au contraire la passion des débuts s’essouffle peu à peu. Si dans les premiers mois des affaires les articles sont souvent très denses, très rapprochés et d’une taille conséquente, ils s’espacent petit à petit, passent des premières pages aux dernières et se raccourcissent. Pranzini reste ainsi présent dans Le Constitutionnel et Le Matin pendant toute l’année 1887, de son arrestation51 (et même avant pour Le Constitutionnel52) à son exécution53 ; seulement les deux journaux ont perdu un peu de leur intérêt en Mai et Juin 1887 avec la fin de l’instruction, pour ensuite donner plus d’importance à son procès et son exécution. Il faut donc nuancer. L’intérêt de la presse française pour les affaires de meurtres en série est indéniable quand on se saisit du volume d’écrits réalisés sur nos onze affaires ; néanmoins cet intérêt est parfois inconstant ou inexistant, selon le moment de l’affaire (l’arrestation, le ou les procès ainsi que l’exécution étant les points cruciaux) ainsi que la ligne éditoriale du journal.

50 Le Matin, édition du 12/11/1902. 51 Le Constitutionnel et Le Matin, numéros du 22/03/1887. 52 Le Constitutionnel, édition du 20/03/1887. 53 Le Constitutionnel, numéro du 02/09/1887 et Le Matin, numéro du 31/08/1887.

2) …Mais un intérêt de tous les instants Cependant, nous pouvons faire un second constat : quand un journal montre son intérêt et se saisit entièrement d’une affaire : l’attention pour le tueur est de tous les instants. D’abord, comme nous venons de le voir, la presse se saisit souvent des affaires avant même l’arrestation du tueur, pour ensuite le suivre pas à pas dans les avancées de son cas, parfois même pour produire des articles alors que rien de nouveau ne s’est passé. L’attrait de la « chasse aux tueurs » Deux de nos affaires ont débuté dans la presse avant même que les tueurs n’aient été appréhendés. Le 21 Mars 1887, quatre jours après la découverte des corps de Madame de Montille, Annette Grémeret et sa fille Marie-Louise dans un appartement au troisième étage du 17 Rue Montaigne, le meurtrier demeure introuvable et les journaux populaires trépignent d’impatience. Dans cet esprit, Le Petit Parisien participe à la recherche du responsable – qui se révèlera être Henri Pranzini – et publie ce jour-là un flash de la « dernière heure » : « Nos renseignements de la dernière heure constatent que l’assassin de la rue Montaigne n’est pas encore arrêté, mais qu’on a des raisons de croire qu’il n’a pas quitté Paris. »54. Le lendemain, 24 le 22 Mars, Le Constitutionnel s’inquiète et doute même ; « l’auteur du triple assassinat commis rue Montaigne n’est pas encore arrêté. Le sera-t-il ? Il est permis d’en douter… »55. De même, presque tous les jours du 13 au 24 Mars 1944, Le Petit Journal publie les dernières découvertes dans l’affaire Petiot : les recherches infructueuses, ses déceptions face à l’introuvable meurtrier, « le sinistre Docteur Petiot [qui] a pu jusqu’à présent, échapper aux forces policières »56 ainsi que ses désillusions face à une possible arrestation. « Est-ce dans l’Yonne que se terre [alors] le médecin démoniaque ? »57 ; « Est-ce le docteur Petiot qui a été vu dans un bourg de la région nantaise ? »58. De nombreux journaux partagent cette attitude face à l’inédit de l’affaire, où l’on découvre progressivement des dizaines et des dizaines de cadavres dans l’hôtel particulier de Marcel Petiot, rue Le Sueur, tandis que le propriétaire semble s’être volatilisé. Une sorte de psychose s’installe et les journaux y participent. Le 23 Mars 1944, Le Réveil du Nord relaie une rumeur selon laquelle Marcel Petiot aurait été vu à Paris, pour ensuite annoncer trois jours plus tard, « que le trop fameux docteur Petiot serait présentement réfugié en Haute Savoie, dans un camp de réfractaires »59.

54 Le Petit Parisien, édition du 21/03/1887. 55 Le Constitutionnel, édition du 22/03/1887. 56 Le Petit Journal, édition du 16/03/1944. 57 Le Petit Journal, édition du 20/03/1944. 58 Le Petit Journal, édition du 28/03/1944. 59 Le Réveil du Nord, édition du 26/03/1944.

Des articles sans nouveautés Il n’est pas nécessaire que l’enquête ou l’instruction aient fourni des faits nouveaux pour que les journaux publient sur nos célèbres affaires. Deux cent personnes s’appelant Dumollard souhaitent changer leur nom ? La Presse nous le raconte dans un paragraphe le 27 Mars 1862, conservant ainsi l’attention du public sur l’affaire alors même que cette dernière s’est clôturée vingt jours plus tôt avec l’exécution de Martin Dumollard. Pas de nouvelles révélations sur l’instruction de l’affaire Vidal ? Le Matin produit un court article sur le transfert du prisonnier de Nice à Lyon et son voyage en train60. Enfin, parfois on trouve des articles sur le fait que justement il n’y aucun fait nouveau pour l’instant, comme par exemple dans le numéro du 28 Mars 1944 du Réveil du Nord, qui fait figurer en Une, un article sur l’affaire Petiot, qui précise qu’« aucun élément n’est venu jeter un jour nouveau sur l’affaire de la rue Lesueur ». Ainsi, quand les journaux s’emparent véritablement d’une affaire, ils semblent vouloir produire le maximum de publications sur le sujet. Journal de bord de la vie des tueurs Cette volonté de produire du contenu en permanence sur les tueurs conduit les journaux à rédiger un article dès qu’il se passe le moindre évènement dans la vie (désormais 25 emprisonnée) du meurtrier. Justement, la vie des célèbres meurtriers en prison lorsqu’ils sont en attente de leur procès intéresse beaucoup la presse. Le Salut Public offre à ses lecteurs un article intitulé « Vacher en prison », qui révèle que désormais Joseph Vacher n’a plus de codétenu : « Vacher vit seul maintenant ; sur sa demande, on lui a retiré son gardien et ses deux « moutons ». […] On a fait droit à son désir et depuis il est gai, se promène de long en large dans sa cellule en fredonnant. Il a recommencé à manger de bon appétit, son état de santé est excellent »61. Dans le même esprit, Le Matin nous livre tous les détails de la vie de prisonnier de Landru, dont on sait désormais que « pour occuper ses longs loisirs, il « [lisait] les gazettes »62. Le 02 Janvier 1922, afin de rester dans le thème de la nouvelle année, le journal publie même un article sur « le nouvel an…de Landru », où l’on apprend que pour ce début d’année, le meurtrier récidiviste a mangé de bon appétit et a souhaité la bonne année à son gardien. Enfin, les derniers jours de la vie des détenus ont aussi leur importance. Si les articles intitulés « Le Réveil du Condamné » – ou « Les Dernières Heures du Condamné à Mort » à l’instar du Petit Journal dans l’affaire Troppmann63 – se multiplient à l’approche

60 Le Matin, numéro du 02/02/1902. 61 Le Salut Public, numéro du 05/02/1898. 62 Le Matin, numéro du 29/08/1919. 63 Le Petit Journal, édition du 18/01/1870.

d’une exécution, certains journaux choisissent de retranscrire la semaine passée pour les meurtriers dans l’attente de leur mort prochaine. Pour Martin Dumollard – impassible jusqu’à son dernier souffle – ces « jours s’écoulaient sans que rien vint en rompre le calme… »64.

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« Le Réveil de Vacher », Le Petit Journal Supplément Illustré, Une, 15 Janvier 1899.

Sur l’illustration Vacher est représenté encore au lit, comme réveillé en sursaut par les hommes venus le chercher pour son exécution. Son expression est marquée par la stupeur, la panique. On aurait presque pitié de lui, il apparait fragile face aux autres hommes.

64 Le Mémorial de la Loire, 09/03/1862.

II. « Etude de vente » : le tueur en série, un bon vendeur ?

De manière générale, les journaux de notre période donnent donc de l’importance aux grandes affaires de tueurs en série, souvent même de manière continue. Mais pourquoi ?

1) La presse a conscience de la passion des foules pour les grandes affaires Si les affaires de meurtres en série, les crimes, les drames prennent tant de place dans les journaux à partir du milieu du XIXème siècle, c’est surtout en réponse à une demande. La fascination des français à cette époque pour les faits divers est indéniable ; en particulier chez les lecteurs réguliers de journaux, qui veulent pouvoir suivre les affaires du moment dans chaque édition. Le public a un attrait pour ces histoires de la vie quotidienne qui mêlent violence, émotions, et pauvres victimes face à de monstrueux criminels. Les lecteurs se régalent des réflexions plus ou moins longues des journalistes, des détails les plus croustillants qu’ils fournissent et qui les font frissonner65. Passion de la foule pour les procès et les exécutions Certaines étapes dans les affaires semblent particulièrement attirer et intéresser le 27 public, à savoir les étapes sensationnelles : le procès et l’exécution. Les journaux en ont conscience et c’est même eux qui nous l’apprennent puisqu’ils nous fournissent presque systématique une description du comportement de la foule lors des audiences ou à l’approche de l’exécution lorsqu’ils publient des articles sur ces évènements. Le récit des attitudes de l’opinion est toujours présent dans la presse à un moment où à un autre. On le retrouve dans tous les affaires et donc tout au long de notre période d’étude, peu importe le journal. Ainsi, on apprend dans La Presse qu’avant sa première audience, « le nom d’Hélène Jégado est dans toutes les bouches » et que « l’excitation des femmes du peuple est extrême »66. Quant au Mémorial de la Loire, il décrit avec précision les « abords du Palais- de-Justice de Bourg [qui] sont envahis par une foule patiente, qui attend les pieds sur le pavé mouillé, l’heure où s’ouvriront les portes de la salle des assises »67, le matin de la première audience de Martin Dumollard. L’affluence est aussi très importante pour l’annonce du verdict du procès de Jean-Baptiste Troppmann ; le journaliste du Petit Journal rapporte une « foule immense, foule indescriptible » et que « beaucoup, faute de carte, sont bravement

65 Sarah WAECHTER, « Canards sanglants », op. cit. 66 La Presse, édition du 18/12/1851. 67 Le Mémorial de la Loire, édition du 31/01/1862.

venus se mettre à la queue pour entrer dans la portion de la salle réservée au public »68. D’après l’envoyé spécial du Matin, la salle d’audience fut aussi comble pour l’annonce du verdict du second procès d’Albert Pel, le 15 Aout 1885. Pour l’affaire Pranzini, le président de la Cour d’Assises de la Seine a même dû accorder « nombre de billets très supérieur à celui que la salle comporte », puisque plusieurs jours avant le début du procès, « plus de 700 personnes sollicitaient déjà le président des assises pour un billet pour l’audience »69. De plus, cette passion du public pour les procès de tueurs en série est partagée par toutes les franges de la population. Lors du procès de l’affaire Troppmann, la partie du public qui fait la queue aux abords du Palais de Justice « est composée comme jamais, le paletot du bourgeois le plus riche et la robe de velours de la femme la plus élégante, se frottent à la blouse de l’ouvrier »70. Les exécutions sont peut-être les moments qui exaltent le plus la foule dans les affaires de tueurs en série. Le public se passionne pour ce spectacle macabre et les journaux sont les témoins de ces comportements parfois irrationnels. Les jours précédents l’exécution de Louis-Joseph Philippe, tueur de prostituées à Paris dans les années 1860, un journaliste du Constitutionnel est témoin d’une « immense affluence de curieux » aux abords de la 28 prison où le condamné doit être exécuté. Il décrit l’impatience et l’avidité de « cette foule, qui ne cessait de se rendre tous les matins sur le théâtre futur de cette exécution, [et] avait été plusieurs fois trompée » afin d’assister à ce sinistre divertissement71. Le même phénomène se produit plus de trente plus tard à l’approche de l’exécution de Joseph Vacher. Une fois que les habitants de Bourg-en-Bresse on eut vent du futur supplice, « en ville, une vive effervescence a régné. De bouche en bouche colportée, elle a produit comme une détente. Depuis des jours et des jours, en effet, une partie de la population […] se pressait sur le lieu présumé de l’exécution ». Le chroniqueur du Courrier de l’Ain poursuit cette description de l’excitation ambiante en évoquant une foule qui augmente sans cesse, ajoutant même que « les grands arbres ont leurs hôtes aussi et [qu’] un grand nombre d’hommes et de jeunes gens ont pris place dans les branches »72. Enfin, on peut même se demander si les journaux n’exagèrent pas parfois l’engouement du public pour les audiences, lorsque Le Matin écrit le 08 Novembre 1921 : « On a tant annoncé l’Affaire Landru ! […] Dès la première audience tout Paris s’est dérangé

68 Le Petit Journal, édition du 01/01/1870. 69 Le Petit Journal, édition du 03/07/1887. 70 Le Petit Journal, édition du 01/01/1870. 71 Le Constitutionnel, édition du 25/07/1866. 72 Le Courrier de l’Ain, édition du 01/01/1899.

hier […] l’univers entier brûle de connaitre les premiers détails ». On peut douter que l’univers entier ait attendu le procès d’Henri-Désirée Landru, mais cette hyperbole témoigne tout de même la passion de toute une époque (presse incluse) pour les crimes effroyables. De même lorsque Le Petit Journal surenchérit sur l’existence d’un véritable trafic de places pour assister à la dernière audience de Jean-Baptiste Troppmann : « On parle de sommes insensées offertes dans cette circonstance ; on va jusqu’à dire qu’une bonne place à la queue aurait été payée plusieurs mille francs par une grande dame qu’on se montrait du bout du doigt » ; ou lorsque que le journaliste décrit la salle en ces termes : « On ne peut se faire une idée de l’encombrement de la salle : elle est littéralement comble. – Des sardines dans une boite ne sont pas mieux empilées que nos beaux monsieurs et nos belles dames de Paris »73. De nombreuses occurrences sur les ressentis et émotions du public Certains moments des affaires semblent plus propices à rendre compte des réactions de la population. D’abord, l’arrestation du tueur crée une vive émotion, d’autant plus si le meurtrier a été recherché pendant une longue période ou s’il est responsable de nombreuse disparitions inexpliquée. C’est le cas de Joseph Vacher, dont la longue instruction a permis 29 de découvrir son implication dans les assassinats d’un grand nombre de personnes sur tout le territoire français. Lorsqu’il est enfin arrêté en 1897, Le Petit Journal met en avant que « l’émotion a été vive dans tous les départements où Vacher a commis les crimes abominables »74. Certains moments du procès, notamment l’acte d’accusation et le rappel des crimes dont l’individu est accusé, peuvent aussi être des moments propices à l’émotion. La description du crime commis sur Victor Portalier – la jeune victime pour laquelle Vacher est jugé – produit « dans l’auditoire, une impression douloureuse qui se trahit par des murmures »75. Les journaux nous donnent aussi presque toujours la réaction du public du procès lors de l’annonce du verdict. Par exemple, Le Matin décrit les applaudissements de l’auditoire à l’annonce du verdict de peine de mort dans l’affaire Pranzini76. De même, lorsque Joseph Vacher reçoit sa sentence de mort, « La foule hurle : « A mort ! Vacher, à mort ! »77. Enfin, lors des exécutions, les journalistes rendent aussi souvent compte des émotions et des réactions de la population, une fois le spectacle terminé. Dans son numéro du 1ier Janvier 1899, Le Courrier de l’Ain rapporte que « les applaudissements éclatent, des

73 Le Petit Journal, édition du 01/01/1870. 74 Le Petit Journal, édition du 15/10/1897. 75 Le Courrier de l’Ain, édition du 28/10/1898. 76 Le Matin, édition 14/07/1887. 77 Le Courrier de l’Ain, édition du 30/10/1898.

bravos se font entendre » et que « l’exécution de Vacher est comme un soulagement pour notre population si calme d’ordinaire »78.

2) Les tueurs, un outil pour capter l’attention du lectorat ? Nous avons bien vu ici que les chroniqueurs de la presse de l’époque sont les témoins de l’appétence de leur public pour ces affaires, en ont conscience (et en jouent parfois). En conséquence, la volonté des journaux de satisfaire la demande de leurs lecteurs est très claire ; par exemple, pendant le procès de l’affaire Troppmann, le journal Le Temps explique à ses abonnés des départements qu’il va organiser un service spécial afin de leur donner le compte-rendu des audiences jusqu’à cinq heures, et ce pour toute la durée des débats79. Le Petit Journal a lui aussi modifié sa publication lors du procès de cette affaire et annonce à ses lecteurs le 29 Décembre 1869 qu’à partir du lendemain, et durant tout le procès que « Le Petit Journal sera mis en vente à huit heures du matin et contiendra le compte rendu complet de l’audience de la veille ». D’ailleurs le chroniqueur affirme son souhait de faire tout son possible pour satisfaire les lecteurs du Petit Journal : « Tant que la curiosité, sur ce 30 déplorable évènement, ne sera pas satisfaite, je continuerai à faire mes chroniques sur tout ce qui se rattache à ce crime épouvantable [l’affaire Troppmann] »80. Afin de répondre à cette demande du lectorat pour toujours plus de sensationnel, les journaux emploient donc plusieurs stratégies pour capter leur attention et garder leurs faveurs. Publications en série et « Suite au prochain numéro » En général, les journaux décident de publier les informations relatives à une affaire en utilisant le même titre dans chaque numéro, permettant ainsi à leurs lecteurs d’en suivre les évolutions plus facilement. Certains titres de série sont relativement sobres, comme « Affaire Dumollard » dans Le Constitutionnel81 ; « L’Affaire Pel » dans Le Matin82 ; ou encore « L’Affaire Vidal » dans Le Petit Provençal83. Cependant compte-tenu de la nature du sujet de ces articles, on trouve davantage de titres plus retentissants comme « Le Mystère de Montreuil » pour les articles traitant de l’affaire Pel dans Le Petit Parisien84 ; « Le Crime de Pantin » pour l’affaire Troppmann dans Le Petit Journal85 et « Le Triple Assassinat de la

78 Le Courrier de l’Ain, édition du 01/01/1899. 79 Le Temps, 30 et 31/12/1869. 80 Le Petit Journal, 19/10/1869. 81 Le Constitutionnel, 28,29/01/1862 et 04/02/1862. 82 Le Matin, 11,12,13,14/06/1885 83 Numéros mentionnant Henri Vidal en 1902. 84 Le Petit Parisien, numéros d’Octobre et Novembre 1884. 85 Le Petit Journal, numéros sur l’Affaire Troppmann de 1869.

Rue Montaigne »86 en référence à l’affaire Pranzini. Dans ces séries d’articles on trouve une variante récurrente de titre qui consiste à associer le tueur en série à son type de victimes, ce qui donne ainsi « Le Tueur de Bergers » pour Joseph Vacher dans Le Courrier de l’Ain87 ; « Le Tueur de Femmes »88 pour l’affaire Vidal et « La Tueuse d’enfants »89 pour Jeanne Weber, tous deux dans le journal Le Matin. Enfin d’autres séries sont fondées sur des parallèles entre deux affaires célèbres comme le titre « Le Landru de l’Etoile »90 que l’on trouve dans Le Petit Journal à propos de Marcel Petiot. De plus, au-delà du fil construit par l’emploi de titres semblables d’un numéro à l’autre, le lecteur se voit aussi offrir la promesse d’une suite pour le lendemain, particulièrement lors des procès. Par exemple, Le Siècle fait figurer à la fin de ses résumés des journées d’audience du procès Jégado, « (La suite à demain.) »91 ; tandis que pour le procès Pel, Le Matin fait figurer dans le titre de son article du 13 Juin 1885, « la suite au prochain numéro ». Idem pour l’affaire Pranzini dans son numéro du 13 Juillet 1887. Un autre procédé employé par les journaux pour capter et garder l’attention de leurs lecteurs sur ces affaires est l’utilisation de rappels des faits ou de retours sur l’affaire, à des 31 moments stratégiques (avant la première audience). Le Matin écrit ainsi le 27 Février 1902, quelques jours avant la comparution d’Henri Vidal devant la Cour d’Assises de Nice qu’« à la veille de la comparution du tueur de femmes devant la justice répressive, il nous a paru qu’un entretien avec Henri Vidal ne serait pas dépourvu d’intérêt ». Le journal utilise un procédé similaire dans son numéro du 06 Novembre 1921, avec un article intitulé « A la veille du grand procès / Dans la prison de Versailles Landru reste énigmatique et mystérieux », et propose de multiples questions rhétoriques à ses lecteurs telles que « quelle sera l’attitude de Landru au cours des longues audiences ? » ; « faut-il s’attendre à des révélations inattendues, à des aveux ? » ou encore « Landru tâchera-t-il de fournir une explication plausible et raisonnable […] ? » ; afin d’éveiller la curiosité avant la première audience du meurtrier. Enfin, les images, qu’elles soient des croquis ou des photographies, jouent évidemment un rôle pour attirer le regard du public ; d’autant plus que l’on observe de 1850 à 1950 que ces images tiennent une place de plus en plus importante dans l’imprimé de fait-

86 Le Petit Parisien et Le Petit Journal, Avril, Mai et Juin 1887. 87 Le Courrier de l’Ain, numéros d’Octobre 1897 ; Le Petit Journal, numéros des 17,21,22,23/10/1897 ; Le Constitutionnel, éditions du 14/10/1897 au 11/11/1897. 88 Le Matin, éditions de Janvier, Février, et de Juillet à Décembre 1902. 89 Le Matin, numéros mentionnant Jeanne Weber de 1906. 90 Le Petit Journal, numéros du 13 au 24/03/1944. 91 Le Siècle, éditions des 12,13,14/12/1851.

divers, grâce aux progrès techniques : entre 1880 et 1914, la gravure pleine page, la gravure en couleurs et, enfin, la photographie sont toutes entrées dans la presse grand public92. Une image exposée en Une ou en dernière page (quatrième de couverture) possède deux fonctions principales : attirer l’attention du lecteur et fournir des éléments d’information 93. C’est pourquoi j’ai choisi de faire figurer ci-dessous la Une du Journal Illustré du 10 Avril 1887 ainsi que la Une du Supplément du Dimanche du Petit Journal publié le 12 Mai 1907. Si la première remplit plutôt la fonction informative en faisant connaitre aux lecteurs la physionomie du criminel Henri Pranzini via plusieurs portraits ; la seconde est beaucoup plus choquante et à même de retenir l’attention, la meurtrière figurant au second plan, planant au-dessus des cadavres de ses jeunes victimes supposées.

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92 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 2015, no 51., p.81 93 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », in Langages et communication : écrits, images, sons, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, URL complète en biblio., p.201.

33

« Le Crime de la Rue Montaigne : Trois portraits de Pranzini », Le Journal Illustré, Une du 10 Avril 1887.

34

« « L’Ogresse » Jeanne Weber : Crime ou fatalité ? », Le Petit Journal. Supplément Illustré, Une du 12 Mai 1907.

3) Un lien entre l’augmentation du nombre de tirages et les affaires de tueurs en série ? Vous l’avez donc compris, les rédacteurs des journaux étudiés adaptent progressivement le contenu de leur papier afin de répondre à la demande grandissante pour les faits-divers et les grandes affaires. C’est un fait, depuis très longtemps, « le crime fait fantasmer, le crime fait parler et le crime fait vendre »94 et à partir des années 1850, il devient comme nous l’avons vu un genre de presse répandu. La passion de l’époque presque malsaine pour le sanglant fait vendre, nous l’avons vu déjà avec le grand nombre de billets distribués pour la première audience de l’affaire Pranzini. L’affaire Troppmann témoigne aussi de cette volonté de dépenser pour obtenir tout ce qui a trait aux criminels, puisqu’afin d’assister à la toilette du condamné avant son exécution, « on a distribué des cartes comme pour une première représentation »95. Mais peut-on pour autant dire que les tueurs sont de bons vendeurs pour les journaux ? Peut-on corréler leur importance grandissante dans la presse et l’augmentation du nombre de tirages ? Le tirage des quotidiens, de Paris et de province, augmente drastiquement à partir de la moitié du XIXème siècle et ces progrès 35 peuvent pour moi être associés à la véritable transformation de la presse à partir de ce moment-là, notamment via la diversification de ses formules pour atteindre les masses populaires, à l’instar du Petit Journal96. En effet, avec son prix à cinq centimes et ses quatre pages, Le Petit Journal devient le premier quotidien à atteindre les couches populaires, tout spécialement car « l’article de la « une » signé Timothée Trimm (pseudonyme à l’origine de Léo Lespès) distillait les lieux communs de la sagesse populaire, par l’exploitation des faits divers »97. Le Petit Journal réussit à satisfaire les envies et les curiosités d’un lectorat avec une culture plutôt limitée, et l’exploitation des grandes affaires de tueur, notamment l’affaire Troppmann, lui a permis d’augmenter ses ventes. C’est cette affaire qui donne au fait-divers le statut de stratégie éditoriale pour le journal98. Cette stratégie semble avoir fonctionné lorsqu’on lit dans sa Une du 19 Octobre 1869 que depuis la découverte des corps de la famille Kinck, « l’attention publique est aussi vive que les premiers jours. Le Petit Journal est attendu chaque jour et enlevé dans les kiosques, et chez les libraires, et [son] tirage dépasse encore 400 000 exemplaires ».

94 Laurent MUCCHIELLI, « Préface au livre de Aurélien Dyjak « “Tueurs en série” » », Tueurs en série. L’invention d’une catégorie criminelle, 2016.,p.1. 95 Le Temps, édition du 21/01/1870 96 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.44. 97 Ibid., p.47. 98 Frédéric CHAUVAUD, « La peine capitale en images à la Belle Epoque », Les Cahiers de la Justice, janvier 2019, no 1, pp. 21‑35., p.23.

Conclusion intermédiaire

En conclusion de ce premier chapitre, nous pouvons donc noter que l’intérêt pour les tueurs en série est bien présent sur notre période d’étude, que ce soit pour la presse comme pour le public, et l’on peut même lier cet engouement à l’explosion des nombres de tirage dans la deuxième partie du XIXème siècle.

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Chapitre 2 : La place du tueur en série au sein du journal

Dans le chapitre précédent nous avons mis en avant l’intérêt porté par la population et donc en conséquent par les journaux aux grandes affaires de tueur en série ; mais concrètement, quelle place tient le tueur au sein des quotidiens ? Où se situe-t-il dans le journal ?

I. Les tueurs en série, une actualité de premier ordre ?

Cela peut paraitre surprenant mais en général, lorsque les affaires de tueurs en série coïncident avec des actualités politiques, économiques et internationales importantes, elles ne passent pas nécessairement au second plan, bien au contraire.

1) Les tueurs en série face aux autres faits d’actualité : Six de nos affaires ont eu lieu au même moment que des évènements majeurs, qu’observe-t-on dans les journaux ? Philippe et Troppmann à l’aube de la guerre franco-prussienne : 37 Si ces deux affaires ont le point commun d’avoir en toile de fond l’escalade du conflit franco-prussien, les deux n’ont pas la même visibilité pendant cette période critique. Voyons d’abord l’affaire Louis-Joseph Philippe, dont l’exécution a lieu à la fin du mois de Juillet 1866 ; soit deux semaines après la défaite des autrichiens de François Ier à Sadowa face aux Prussiens du roi Guillaume Ier. La bataille de Sadowa s’inscrit dans le contexte des années 1860. Otto Von Bismarck, alors Ministre des Affaires étrangères du royaume de Prusse depuis 1862, met tout en œuvre pour réaliser son projet d’unité de l’Allemagne autour de la Prusse. Pour cela, il convenait, en premier lieu, d’éliminer l’Autriche qui présidait la Confédération germanique – rassemblement de tous les États allemands – dont le poids politique face aux puissances européennes (Angleterre, France et Russie) n’était pas très important. Bismarck décide donc de provoquer un affrontement militaire avec l’Autriche et le 3 Juillet 1866, l’armée prussienne écrase l’armée autrichienne à Sadowa ; avec pour conséquence l’écartement de l’Autriche des affaires de la future unité germanique. Cette défaite est un évènement essentiel pour le futur de l’Empire français, car elle signifie l’éventualité d’un conflit impliquant la France. Il est donc normal que dans le numéro du 25 Juillet 1866 du Constitutionnel, l’exécution de Philippe soit contée dans une petite colonne en page 3 tandis que l’on trouve en Une dans les actualités des « Nouvelles extérieures –

Italie, Angleterre, Autriche », un retour sur les évènements de début Juillet intitulé « Coup de tonnerre à Sadowa ». Pourtant, on observe une différence avec l’affaire Troppmann. Celle-ci arrive trois ans plus tard, à la veille du conflit franco-prussien, au moment-même où les tensions sont à leur comble ; puisque l’affaire Troppmann a lieu entre la fin de l’année 1869 et le début de l’année 1870, quelques mois avant l’épisode de la Dépêche d’Ems, le 13 Juillet 1870 et la déclaration de guerre de la France contre la Prusse, le 19. Néanmoins, on trouve les avancées de l’enquête et l’instruction de l’affaire en Une des journaux, là où l’on pensait retrouver des informations sur le futur conflit. Par exemple, le procès de Jean-Baptiste Troppmann prend la quasi-totalité du Petit Journal, en s’étendant de la page 1 à 3 pour les numéros du 29 Décembre 1869 au 1ier Janvier 1870. Cette observation est assez surprenante, lorsque l’on sait que le Second Empire vie là la fin de son règne ; tandis que ses difficultés sont mises en retrait de l’actualité pour laisser la place à une affaire de meurtres multiples. On peut y voir une utilisation politique du fait divers par les journaux et par extension par l’Empire. En effet, ici l’on voit que les régimes politiques n’ont pas fait qu’essayer de comprendre l’intérêt du fait divers, ils l’ont aussi en quelque sorte instrumentalisé. La médiatisation de l’affaire 38 Troppmann en est vraiment un exemple caractéristique, pendant laquelle on a mis en avant les détails du procès et la singularité de ce tueur afin de détourner les gens des problèmes politiques tel que les grèves et les émeutes ouvrières99. Pranzini, l’Affaire Schnæbelé et le Boulangisme Faisons un bond dans le temps jusqu’en 1887. Pour nous, dans le cadre de ce mémoire, 1887 fait référence à l’affaire Pranzini, mais pour les contemporains, l’année 1887 est marqué par la première alerte diplomatique de la IIIème République : l’Affaire Schnæbelé. Cette affaire a pour origine une politique d’espionnage mise en place par le Général Boulanger, fondée sur l’utilisation de fonctionnaires français de la région Alsace- Lorraine. En effet, à cette période, Georges Boulanger, ministre de la guerre depuis janvier 1886, prépare une revanche contre l’Allemagne pour reprendre l’Alsace et la Lorraine100. Il demande donc à tous les commissaires de police postés à la frontière de maintenir un contact avec des espions français séjournant en Alsace-Lorraine. Guillaume Schnaebelé était l'un de ces commissaires. Le 20 Avril 1887, Schnaebelé est emmené par la police allemande et incarcéré de l’autre côté de la frontière, alors qu’il devait rencontrer son homologue

99 ARTIS, « Le Fait Divers de 1850 à 1914 », op. cit. 100 Jean MAFART, « Schnaebelé (affaire) », in Dictionnaire du renseignement, Éditions Perrin, 2018., p.704.

germanique. La version allemande de l’affaire est que le commissaire s’est rendu coupable de complicité de haute trahison, espionnage et encouragement à la désertion ; tandis que la version française soutient le contraire : il a été piégé et emmené de force en Allemagne. Cette affaire a pris d’énormes proportions en France et une nouvelle guerre est évitée de peu avec la libération de Schnaebelé. Boulanger a sévèrement attisé les tensions franco-allemandes depuis son arrivée au gouvernement, avec de multiples provocations et la constitution de son propre réseau d’espions en territoire allemand. Même si cet épisode galvanise ses partisans, il fait également prendre conscience aux modérés que la politique du « Général Revanche » expose le pays à une nouvelle guerre. Pour Boulanger, c’est le début de la fin : il ne fait pas parti du nouveau gouvernement de Jules Grévy101. L’Affaire Pranzini fit-elle le poids dans les journaux face à ce scandale politique ? Apparemment oui, et la passion de l’opinion pour les meurtriers fut suffisante pour détourner leur attention des autres actualités. En effet, on voit dans le numéro du 10 Juillet 1887 du Constitutionnel que la salle est toujours comble pour la dernière audience de Pranzini et le contexte politique de l’année 1887 n’y a rien changé : « Aucune préoccupation, ni l’affaire Schnæbelé, ni le changement de Ministère, ni l’incendie de l’Opéra-Comique, aucun évènement, aucune catastrophe n’a détourné 39 l’attention du public de cette affaire ». Le même jour, La Croix et Le Figaro mettent eux en parallèle le procès de l’accusé avec les dernières actualités sur Georges Boulanger, alors rayé des cadres de l’armée et dont le départ de Paris en Gare de Lyon le 8 Juillet donne lieu à une manifestation de plus de 10 000 personnes. L’article que l’on trouve en Une de la Croix intitulé « Pranzini détournera pendant quelques heures l’attention du public. M. Boulanger doit lui en vouloir »102 fait surement référence à cet évènement. Finalement, compte-tenu de ces observations, si l’on se met dans la peau des lecteurs de l’époque, il est possible qu’ils aient retenu d’avantage l’affaire Pranzini que les divers scandales politiques ayant marqué l’année 1887 ; ce qui est assez révélateur des restructurations du journalisme, des attentes du public et de la diversification des rubriques103. Joseph Vacher face à l’Affaire Dreyfus Joseph Vacher est arrêté en Aout 1897 et son affaire se termine par son exécution le 1ier Janvier 1899, ce qui nous situe en plein dans la deuxième phase de l’affaire Dreyfus. Le capitaine Alfred Dreyfus avait été condamné le 19 Décembre 1894 pour espionnage et

101 Ibid., p.705. 102 La Croix, 10/07/1887 103 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.27.

envoyé en déportation en Guyane en 1895. De nouveaux rebondissements se produisent en 1897 quand son frère, Mathieu Dreyfus, accuse Esterhazy d’être l’auteur du bordereau utilisé comme preuve dans la condamnation. Le 11 Janvier 1898, ce dernier est acquitté mais le 30 Aout, Hubert Henry reconnait être le véritable auteur du bordereaux – qui se révèle être un faux – avant d’être retrouvé mort dans sa cellule le lendemain de son arrestation. Finalement le 27 septembre 1898, le garde des Sceaux demande la révision du jugement de 1894 concernant Alfred Dreyfus. Tous ces évènements se sont produits en parallèle de l’affaire du « Tueur de Bergers ». Comment se comporte nos journaux face à cette concurrence ? Globalement, Joseph Vacher arrive toujours après l’Affaire Dreyfus dans les pages. Par exemple, on trouve à la Une du Salut Public du 16 Novembre 1897 la « Lettre du Frère de Dreyfus », que ce dernier a adressé la veille au soir au ministre de la guerre, alors que l’article portant sur notre tueur se situe en page 3. De plus, si Joseph Vacher ne figure pas dans le numéro du 13 Janvier 1898 de l’Aurore consacré au célèbre « J’accuse…! » ; il n’est pas aussi important non plus que le procès de Ferdinand Walsin Esterhazy, dont le récit de la deuxième audience figure en page 2 du Constitutionnel le 13 Janvier 1898. Dans cette édition du journal, l’Affaire Esterhazy et l’Affaire Dreyfus prennent la moitié de la deuxième page 40 tandis que l’article traitant de « La radiographie et Vacher » figure en page 3. Cet article était pourtant assez intéressant puisqu’il explicite l’examen mental de l’accusé ainsi que la radiographie du crâne passée par le tueur sur demande des experts afin de voir où la balle s’est logée dans sa tête lors de sa tentative de suicide quatre ans plus tôt. Même le verdict de l’affaire reste au second plan ; Le Matin publie un article très court sur le sort de notre tueur intitulé « Vacher condamné à mort / Cour d’Assise de l’Ain – Pas de circonstances atténuantes »104. Le journaliste ne livre que très peu de détails par rapport au traitement médiatique habituel observé lors des procès ; alors qu’on trouve en Une du journal l’article « A L’ILE AU DIABLE / Enquête complète de notre envoyé spécial sur le condamné Dreyfus »105.

104 Le Matin, édition du 29/10/1898. 105 Ibid.

Landru et le contexte post-WWI L’Affaire Landru débute en Avril 1919 avec l’arrestation du tueur en série, donc au lendemain du premier conflit mondial. L’affaire se retrouve alors en concurrence dans les journaux avec les évènements internationaux qui se sont produits en 1919, 1920 et 1921, et notamment ceux relatif au processus de paix. D’après nos observations, pour certains journaux, comme Le Matin, les rebondissements de l’affaire Landru méritent de partager la Une avec les actualités du contexte de l’après-guerre106. Par exemple, le 06 Juin 1920, la Une du journal est partagée entre « L’Alliance internationale pour le suffrage des femmes se réunit en Congrès aujourd’hui à Genève » ; les préparations de « La Conférence de Spa107 » et l’article « Et Landru ? Onze affaires d’assassinat, onze affaires d’escroquerie, deux affaires de complicité ont été instruites contre lui – 400 témoins, 24 dossiers ». Plus d’un an plus tard, le 07 Novembre 1921, on constate la même chose : les articles à la Une font référence au voyage de « M. Briand en Amérique » ; au fait que « l’Amérique ne signerait pas un traité d’alliance mais consentirait à une déclaration de politique commune avec la France » et qu’« après plus de deux ans et demi de détention préventive Landru 41 comparait […] devant les jurés de Seine et Oise ». Ces trois articles semblent avoir une importance équivalente si l’on se base sur leur taille sur la première page ; même si celui sur Henri-Désiré Landru attire inévitablement l’œil des spectateur grâce à la caricature qui figure ci- joint. On pourrait citer des dizaines de numéro du Matin entre 1919 et 1922 faisant figurer le meurtrier au même plan que des évènements politiques et internationaux importants ; cependant quelques nuances doivent être apportées. En effet, le numéro du 29 Juin 1919 ne mentionne même pas notre affaire puisqu’il est presque essentiellement consacré à la signature de la paix à Versailles ; ce qui montre qu’il y a tout de même des actualités qui ne peuvent coexister en Une avec les faits divers.

106 Le Matin, numéros des 07, 08, 09, 10, 11/11/1921. 107 La conférence de Spa a eu lieu en 1920 du 5 au 16 juillet ; elle fait suite au traité de Versailles et a pour but de discuter de l’application pratique du chapitre des réparations.

42 « La paix est conclue – Le traité de Versailles a été signé hier 28 juin de 15h09 à 15h50 », Une, Le Matin, 29 Juin 1919.

Marcel Petiot dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale Enfin notre dernière affaire a elle aussi lieu dans un contexte particulier. Lorsque le charnier est découvert le 11 mars 1944, dans l’hôtel particulier de Marcel Petiot, au 21 Rue Le Sueur, la Seconde Guerre Mondiale n’est pas terminée. Pendant cette période, la presse subit des changements, certains journaux publient toujours mais de manière réduite (en général pas plus de deux pages) ; et on retrouve presque essentiellement des journaux résistants. Durant la période de l’occupation il existe donc une presse officielle et une presse clandestine : certains journaux collaborent, comme Le Matin, qui recommence à publier dès le 17 juin 1940 ou Le Petit Parisien qui reparait à Paris, le 8 octobre108 ; et à côté de cette presse officielle – qui était de moins en moins en accord avec le ressenti et les espérances des Français – les journaux clandestins entreprirent de donner la parole à ceux qui refusaient la défaite et le régime imposé par l’occupant. Cette presse de la résistance comptait plus de 1000 titres et certaines de ces feuilles donnèrent naissance aux grands journaux de la

108 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.107.

Libération tels que Libération Nord, La Voix du Nord, Libération Sud, Combat ou encore Le Franc-Tireur…109. Que se passe-t-il dans la publication des informations relatives aux meurtres en série ? Le contexte a-t-il eu une influence ? Il semble que non, puisque l’affaire du Docteur Petiot figure presque toujours en Une des journaux, malgré le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, et ce, toutes lignes éditoriales confondues, comme en témoigne les Une du Matin, de La Croix du Nord, du Réveil du Nord ou de Nord-Eclair en 1944. Les recherches entreprises pour retrouver le criminel figurent très souvent aux côtés des bilans sur la situation militaire. Par sa Une, le 13 Mars 1944, Le Petit Journal informe ses lecteurs à la fois qu’« un nouveau Landru opérait dans le quartier de l’Etoile » – que les restes de plus de vingt cadavres ont été découverts – et que des « bombardements par l’aviation anglo- américaine » à Toulon, ont fait 57 morts et 200 blessés. On trouve également à côté de ces deux articles le point sur la « Situation militaire » avec un bilan front par front : « Front de l’Est […] Front italien […] Front aérien… ». Autre exemple trois jours plus tard, dans Le Matin, l’article intitulé « La femme et le frère du Docteur Petiot ont été ramenés à Paris » prend la moitié de la Une dans ce contexte pourtant compliqué. Cette observation peut se poursuivre même dans le contexte de l’après-guerre et de la reconstruction, puisque l’on 43 trouve la condamnation à mort de Petiot en Une du journal Combat le 5 Avril 1946, à côté d’un article sur « les divergences gouvernementales sur le problème allemand » ainsi que sur l’avancée des travaux de l’Assemblée Constituante et de la Commission de la Constitution.

2) Où placer le tueur en série ? Nous avons commencé à l’aborder précédemment en lien avec la question du contexte mais la position des tueurs dans les journaux en termes de page a son importance, car elle est révélatrice de stratégies éditoriales, la Une donnant plus de visibilité que les dernières pages (la toute dernière étant même consacrée aux publicités). La Une, le choix qui s’impose pour parler des tueurs ? Certains journaux ont tendance, de manière quasi systématique, à utiliser la Une pour parler des affaires de tueurs en série. Observons les Une du quotidien Le Journal sur sa période de publication. Joseph Vacher y figure durant le mois d’Octobre 1897, puis quelques années plus tard c’est au tour du procès d’Henri Vidal110. Le Journal fournit aussi en Une

109 Ibid., p.108. 110 Le Journal, éditions du 04,05/11/1902.

toutes les avancées de l’affaire Jeanne Weber, qui s’étale sur plus de trois ans111. Nous pouvons faire la même observation dans le cas de Landru – qui est présent en Une de façon régulière entre 1919 et 1922 – ainsi que pour l’affaire Petiot en Mars et Avril 1944. La Une est aussi un choix pertinent pour les illustrés car cela leur permet de produire des visuels captivants pour leurs lecteurs. Le Petit Journal Illustré l’a bien compris comme en témoigne ces deux Une sur l’affaire Landru : la première permet d’illustrer le procès du célèbre tueur en série et la seconde sa dernière journée en prison.

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« Une cause sensationnelle / Après avoir fourni un sujet inépuisable de plaisanterie, Landru suscité tant par l’habileté de sa défense que par la monstruosité des crimes dont on l’accuse, une curiosité unanime », Le Petit Journal Illustré, Une, 20 Novembre 1921.

111 Le Journal, éditions du 30/01/1906 ; 02/11/1907 ; 10,11,12,14/05/1908 ; 25/09/1908.

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« Avant l’heure suprême », Le Petit Journal Illustré, Une, 05 Mars 1922

Légende : « Dans sa cellule de la prison de Versailles, la veille même de son exécution, Landru, parfaitement calme et toujours méthodique, a passé des heures à consulter ses dossiers – Espérait-il y trouver un dernier moyen de retarder la minute fatale… Ou bien pensait-il au sort mystérieux de ses fiancées ? »

Ou plutôt la fin du journal et les nouvelles diverses ? Cependant, si la Une semble être le choix idéal, apporter une nuance est nécessaire.

En réalité la place du tueur dans le journal dépend beaucoup de ses choix éditoriaux. Par exemple, si l’affaire Troppmann est toujours en Une dans Le Petit Journal ; au contraire dans Le Temps, elle ne s’y trouve jamais. Mais où placer le tueur si on ne le met pas en Une ? La colonne dédiée aux faits-divers est une possibilité assez évidente. C’est le choix qu’a fait notamment La Presse pour l’affaire Dumollard en plaçant les articles concernant l’enquête et l’instruction dans de petits paragraphes au sein de la chronique des « Faits Divers ».

Lorsque les journaux ne choisissent ni la Une, ni une colonne spécifique, les tueurs sont relégués à la fin des journaux. C’est le choix notamment des journaux anciens comme La Gazette de France, dans laquelle on ne trouve Hélène Jégado qu’en page 3 ou 4 sur 4, après toutes les autres chroniques comme les « Documents Officiels », « Paris », « Bulletin Extérieur », ou encore les « Nouvelles Religieuses », au sein des « Nouvelles diverses », juste avant la dernière page consacrée aux publicités112. Nous pouvons donc faire une distinction entre les journaux anciens de notre période (La Gazette de France, Le Journal des débats, Le Constitutionnel, Le Siècle, La Presse…) – qui ont une ligne éditoriale plutôt orientée vers le judiciaire ou les questions littéraires, politiques, et économiques – dans lesquels les affaires se situent dans la fin du journal ; et les journaux plus récents (Le Petit Journal, Le Petit Parisien, Le Matin, Le Journal) – qui ont une ligne éditoriale à sensation et dans lesquels les tueurs sont placés en Une ou en page 2 au minimum.

II. Que raconter sur les tueurs en série ?

En étudiant un grand nombre de journaux et plusieurs affaires, nous pouvons mettre 46 en lumière des généralités dans le traitement des journaux, notamment parce qu’ils racontent les mêmes évènements.

1) Les étapes inévitablement relatées dans les journaux : Enquête et instruction Si l’arrestation n’est pas nécessairement relatée – à l’exception de celle d’Henri Pranzini113 et de Marcel Petiot – l’enquête et l’instruction sont les moments des affaires les plus développés et alimentés par les journaux (en termes de durée dans le temps). Ainsi Le Constitutionnel fournit tous les détails de l’instruction de l’affaire Pranzini pendant presque trois mois de manière continue, dans les numéros du 20 Mars au 08 Mai 1887 ; tandis que Le Matin, Le Petit Marseillais et Le Petit Provençal publie en continue les actualités de l’enquête sur les meurtres commis par Henri Vidal pendant tout le mois de Janvier 1902.

112 Les articles sur son procès – numéros du 10, 11, 12, 15, 16, 17, 18/12/1851 – débutent tous en fin de page 3 ou en page 4. 113 Détails sur l’arrestation de Pranzini dans Le Constitutionnel, numéro du 23/03/1887 ; Le Matin, édition du 22/03/1887 et Le Petit Journal, numéro du 24/03/1887.

Procès et verdict Les journalistes sont toujours présents lors des procès des grandes affaires : c’est un moment essentiel à retranscrire alors ils s’y bousculent, parfois même au point de se gêner sur les bancs des assises comme en témoigne l’expérience du journaliste du Temps le 1ier Janvier 1870 lors du procès Troppmann : « nous sommes nous-mêmes les victimes de cet encombrement […] Nous sommes assis les uns sur les autres, et force nous est d’écrire sur nos genoux, comme nous pouvons ». En étant ainsi aux premières loges, les journalistes peuvent retranscrire intégralement le déroulement des audiences, parfois même au mot près. Par exemple, on retrouve dans le numéro du 08 Novembre 1921 du Matin, la composition exacte (nom, prénom, âge, profession…) du jury du procès Landru. Les journaux fournissent toujours les mêmes étapes à leurs lecteurs et ce invariablement de leur orientation politique ou ligne éditoriale. Les articles dédiés aux procès sont toujours construits dans cet ordre : description de la salle d’audience, l’interrogatoire de l’accusé, les auditions des témoins (ces deux étapes s’étalent en général sur plusieurs éditions), réquisitoire de l’avocat général, plaidoirie de l’avocat de la défense, délibérations du jury et enfin le verdict. Pourvoi en cassation (si peine de mort) Une fois le procès terminé, les journaux consacrent souvent un article sur le pourvoi 47 en cassation du condamné. Il s’agit d’un recours extraordinaire formé devant la Cour de Cassation contre une décision de justice rendue en dernier ressort (c’est-à-dire contre les décisions déjà rendues en Cours d’appel ou bien les jugements insusceptibles d’appel). Le Petit Provençal met en avant cette procédure dans son article « Le Tueur de Femmes / La signature du pourvoi en cassation d’Henri Vidal jugé d’après son écriture », le 09 Novembre 1902. On retrouve aussi cette étape dans Le Matin le 03 Décembre 1921 : « Landru a signé son pourvoi en cassation ». Dans cette période de l’après procès, les journaux diffusent également, le cas échéant, des informations sur la seconde audience des tueurs en série. C’est le cas du second procès d’Albert Pel, que l’on peut lire dans les numéros du 13 au 17 Aout 1885 du Matin et du Petit Parisien. L’avant, pendant et après l’exécution L’exécution est le second moment le plus important après le procès, ce qui fait qu’elle est, parfois même, plus diffusée que le reste de l’affaire, comme c’est le cas de l’exécution d’Hélène Jégado dans La Gazette de France, Le Constitutionnel ; Le Journal des Débats et Le Siècle. Tout comme le procès, l’exécution est toujours présente : les journalistes retranscrivent le réveil du condamné, sa toilette, la venue du prêtre pour une dernière

confession, ensuite le départ de la prison avec les exécuteurs, l’arrivée sur le lieu de l’exécution, la montée des marches menant à l’échafaud jusqu’à la lame de la guillotine qui s’abat, la réaction de la foule et pour finir la façon dont le corps est emporté et traité après les faits. Tous les détails sont fournis, avec des heures précises ; c’est comme cela que l’on sait que pour l’exécution d’Hélène Jégado, « à six heures quarante minutes, les exécuteurs de Rennes, de Vannes, et de St Brieuc se présentèrent pour faire la fatale toilette… »114. De plus, les représentations de l’exécution sont très nombreuses dans les journaux, qu’elles soient écrites ou dessinées. Les illustrés des grands quotidiens fournissent régulièrement à leur public des images de guillotines en couleurs, des dessins toujours plus réalistes115, afin de donner au lecteur l’impression d’avoir assisté à ce spectacle funeste, comme on peut le voir par exemple avec le croquis ci-contre, publié à la Une du Matin, le 26 Février 1922, pour l’exécution de Landru. 48

2) Le tueur et le journaliste, des liens étroits Nous avons développé dans ces deux premiers chapitre la place importante que les tueurs ont dans les journaux et dans la vie des lecteurs de cette période mais il me semble qu’ils tiennent une grande place dans la vie des journalistes ; leur traitement médiatique est d’une telle précision que cela révèle des liens étroits entre l’observateur et l’observé : un décryptage de tous les instants. Une enquête essentielle sur le passé du tueur Pendant la phase d’instruction, l’enquête sur le passé des accusés semble être un passage obligé pour les journalistes puisqu’on le retrouve dans toutes les affaires. Le correspondant du Constitutionnel se rend donc sur l’ancien lieu de vie de Martin Dumollard pour en apprendre plus : « on remarque une maison très chétive en apparence. C’est là que vivaient il y a quelques mois Martin Dumollard, dit Raymond et Anne-Marie Martinet, sa femme »116. Cet article fournit également des informations sur l’histoire du père de Dumollard, sa naissance, et donne une description de la pauvreté de l’habitation ; « sa

114 La Presse, numéro du 01/03/1852. 115 Frédéric CHAUVAUD, « La peine capitale en images à la Belle Epoque », op. cit., p.25. 116 Le Constitutionnel, numéro du 29/01/1862.

fortune […] ne se compose que de son mobilier ». Les journalistes tentent de reconstituer le parcours des meurtriers jusqu’à leurs sinistres forfaits. C’est pourquoi on peut lire les détails de l’« Odyssée de l’assassin présumé de la rue Montaigne » dans Le Matin, le 23 Mars 1887, avec le récit de sa jeunesse en Egypte, ses premiers méfaits, son retour en France, jusqu’à ses activités la veille des meurtres. Le Matin avait d’ailleurs déjà reconstitué les pérégrinations de Joseph Vacher dans son article « Le Passé de Vacher / Reconstitution complète – L’odyssée sanglante », du 09 Novembre 1897. Peu de temps avant, le journaliste du Courrier de l’Ain faisait des recherches sur sa famille : « quelques nouveaux renseignements ont été recueillis sur la jeunesse de Vacher et sur sa famille. Celle-ci est entièrement honorable et saine ; elle ne compte aucun aliéné dans ses membres »117. L’intérêt des journalistes se porte sur les moindres détails de la vie passée des tueurs en série, surtout s’ils peuvent expliquer leurs actions présentes. Par exemple, en 1944, Le Petit Journal creuse du côté des passe-temps particuliers de Marcel Petiot, et révèle que l’on a retrouvé dans son appartement « des coupures de journaux traitant de maladies mentales […] qui montre bien l’intérêt que portait l’assassin à tout ce qui se rapprochait de son état »118. Si les journaux portent tant d’intérêt au passé des meurtriers c’est parce que ce retour en arrière leur permet 49 de dresser un portrait en utilisant certains éléments compromettants. Tandis que La Presse insiste sur les anciennes pratiques de Joseph Philippe dans son numéro du 15 Janvier 1866 – « Il avait des habitudes d’ivrogneries. Il est tatoué sur le bras gauche » – Le Petit Parisien met en avant un épisode qui insiste sur l’impulsivité et la violence d’Albert Pel119, durant lequel il aurait menacé de mort un créancier avec couteau, quelques années avant ses meurtres. En plus d’enquêter sur la vie passée des tueurs en série, les journalistes enquêtent également sur leur alibi au moment des meurtres. Le Mémorial de la Loire émet des doutes sur la version du tueur, selon le journaliste, « Dumollard ne fait pas illusion »120. De même, dans son numéro du 16 Octobre 1897, Le Courrier de l’Ain émet un questionnement sur l’alibi de Joseph Vacher au moment du meurtre d’Olympe Buisson : « Mais, Vacher habita- t-il réellement Lyon à cette époque, Lyon n’est pas si loin de Roybon et de Varacieux qu’on ne puisse aller dans ces localités une journée de dimanche, et on se rappelle que c’est précisément un soir de vogue, un dimanche, que l’enfant a été assassinée ».

117 Le Courrier de l’Ain, édition du 20/10/1897. 118 Le Journal, édition du 15/03/1944. 119 Le Petit Parisien, édition du 08/11/1884. 120 Le Mémorial de la Loire, édition du 14/11/1861.

La dissection de ses moindres attitudes Cependant les journalistes ne se contentent pas de décortiquer la vie de leur objet, ils passent également beaucoup de temps à l’observer. Ainsi, on trouve dans leurs articles des descriptions presque de l’ordre de la dissection. Le comportement des tueurs en série, surtout lors de leur procès, prend une place importante. Le 30 Décembre 1869, le chroniqueur du Petit Journal est témoin du comportement de Jean-Baptiste Troppmann pendant son audience : « l’accusé reste immobile, la tête légèrement penchée vers le greffier qui lit. – Pas le moindre de mouvement, pas la plus petite contraction, et pendant que l’auditoire frissonne d’épouvante aux récits des horribles massacres de la malheureuse famille Kinck, Troppmann ne bouge pas, Troppmann reste froid, impassible ». De la même manière, le Courrier de l’Ain dissèque les réactions de Vacher à l’écoute de son acte d’accusation ; le « sinistre jeune premier prend des poses. Il s’observe, s’étudie, et tout, en lui, même ses réponses, même ses réparties […] sa façon de se tenir appuyé négligemment à la barre, prouve que l’éventreur est parfaitement conscient »121. Parfois, le comportement du meurtrier semble être même plus important que l’enjeu du procès comme en témoigne l’article que l’on peut lire dans Le Matin du 08 Novembre 1921, où le journaliste assume clairement que « l’attitude de Landru 50 sera l’intérêt unique de la journée ». Quand il n’y a pas grand-chose à observer, les journalistes s’impatientent, ils recherchent une vive réaction, un scandale. Par exemple, le rédacteur du Matin semble avoir du mal à se contenir face à l’indolence de Jeanne Weber lorsqu’il écrit le 26 Avril 1907 : « J’attends en vain d’elle un cri de révolte humaine, une réponse aux soupçons formidables qui pèsent encore une fois sur elle ». Une fois l’indignation obtenue, les journalistes sont satisfaits et produisent en général des articles sur le sujet ; lors du procès Landru, Le Matin fournit à ses lecteurs un article intitulé « Landru hier s’est échauffé » dans lequel le chroniqueur se réjouit car « nous avons vu enfin un Landru en colère » 122. L’avis des tueurs en série, saisir ce qu’ils ont à dire, est également important pour les journaux ; c’est pourquoi on y trouve régulièrement des interviews exclusives de nos criminels, étant donné que ces « conversations avec l’accusé »123 sont du pain béni pour les lecteurs passionnés de faits divers. Ces interviews semblent être très prisées par le journal Le Matin, qui sur sa durée de publication a publié des interviews d’Albert Pel en Aout 1885,

121 Le Courrier de l’Ain, édition du 29/10/1898. 122 Le Matin, 12/11/1921. 123 Titre de l’article dans lequel le journaliste du Matin, se rend dans la prison d’Albert Pel pour l’interviewer, le 12/08/1885 avant son second procès.

Henri Vidal le 27 Octobre 1902, Jeanne Weber en Octobre 1907 et enfin Landru juste avant son procès le 07 Novembre 1921.

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« Le Tueur de Femmes - Entretien avec Vidal », Le Matin, Une, 27 Octobre 1902. Il s’agit ici de la première partie de cet article qui retranscrit telle quelle l’interview d’Henri Vidal.

Dans ce même esprit, la presse insiste vraiment sur les états-d ‘âmes des tueurs en série. Le 09 Mars 1862, Le Constitutionnel tente de saisir le ressenti à chaud de Martin Dumollard juste avant son exécution - « Ses réponses étaient brèves et laconiques […] Dumollard ramenait constamment la conversation sur sa vigne, son champ, son mobilier » - tandis que le journaliste du Matin fait face à un « Pranzini [qui] met sa main sur sa tête, s’essuie le visage, pleure-t-il ? A-t-il chaud ? […] Pranzini pleure à chaude larmes »124. On dirait presque dans cet article que le rédacteur a pitié d’Henri Pranzini, peut-être parce qu’à la lecture des articles on se rend compte que les journalistes essayent de décrypter en profondeur la personnalité et l’état d’esprit des meurtriers, en se mettant finalement dans

124 Le Matin, édition du 14/07/1887.

leur peau. C’est comme cela que le chroniqueur de La Presse analyse les réactions de Joseph Philippe et en vient même à penser que ce dernier souffre d’un dédoublement de la personnalité : « Il y avait chez cet homme en quelque sorte ; deux natures et deux existences. Dans les services auxquels il était employé, il […] montrait un caractère généralement paisible et inoffensif. A d’autres moments […] il se jetait dans une existence mystérieuse où les excès de la débauche se mêlaient aux vols et aux passions les plus sanguinaires »125. Un intérêt digne d’un admirateur ? Nous pouvons penser que tous ces éléments sont révélateurs de la relation qu’entretiennent les journalistes avec nos tueurs en série, une relation qui laisse transparaitre une certaine proximité, presque une sorte d’amitié ou d’affection. En effet, certains articles pourraient sous-entendre une inquiétude pour les meurtriers notamment vis-à-vis de leur état de santé. Les articles sur ce sujet reviennent dans toutes les affaires, mais le traitement de l’affaire Landru dans Le Matin en est l’exemple type. On trouve dans le numéro du 03 Décembre 1921 une allusion à la dépression nerveuse dont souffrirait Landru puis, le 10 Décembre un petit article intitulé « Landru est malade », et enfin le 28 Décembre un autre nommé « Landru est rétabli » ; ce qui a permis au lecteur de s’enquérir des évolutions de la santé du meurtrier, presque à la manière d’un ami. Lorsque ce lien entre le journaliste et le 52 tueur est rompu par la fin de l’affaire, une certaine tristesse peut même apparaitre. C’est ce qui transparait dans le nostalgique constat, présent dans les dernières lignes de l’article du Matin datant du 1ier Décembre 1921 : « Il n’y a plus d’affaire Landru ». Quelques fois, le journaliste endosse même le rôle de l’admirateur, avec un intérêt tout particulier pour tout ce qui a appartenu aux tueurs en série. Par exemple, le chroniqueur de La Presse s’intéresse dans son numéro du 08 Novembre 1862 à la vente du mobilier et de la maison de Martin Dumollard, ainsi que de toutes ses possessions. Le Matin semble aussi avoir un attrait pour tout ce qui est passé par la main des tueurs en série, puisqu’il publie régulièrement des documents signés par ces derniers. On trouve ainsi dans son édition du 08 Janvier 1908, un autographe de Jeanne Weber ; tandis qu’un « Mot signé de Landru » est exposé dans le numéro du 06 Novembre 1921.

125 La Presse, édition du 26/06/1866.

Ci-dessus : « Autographe de Jeanne Weber », Le Matin, 08 Janvier 1908.

Ci-contre : « Mot signé de Landru », Le Matin, 06 Novembre 1921.

Conclusion intermédiaire

En conclusion de ce chapitre et plus largement de cette première partie, nous avons pu noter l’intérêt de la presse pour les grandes affaires de tueurs en série, d’abord en sondant 53 la passion d’une époque toute entière pour le fait-divers sanglant, puis en se fondant sur le grand nombre d’articles dédié à ce sujet. Nous avons pu aussi noter la place importante que les meurtriers en série tiennent dans les journaux de l’époque face aux autres actualités. Lorsqu’un journal se saisit d’une affaire, c’est en général pour une longue période, durant laquelle les journalistes ont tout le loisir d’investiguer pour trouver le plus d’informations possibles. Vie passée, arrestation, instruction, procès, exécution, tout y passe et rien ne semble freiner les recherches de la presse, qui sont, comme nous allons le voir dans la prochaine partie, révélatrices d’une évolution des méthodes journalistes sur la période qui nous intéresse.

Partie II - L’évolution du journalisme dans les affaires de meurtriers en série

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Chapitre 3 : Les différents rôles endossés par la presse

De 1850 à 1950, on peut observer une évolution dans le traitement que la presse fait des grandes affaires. Le journalisme des années 1850 et celui de l’après-guerre ne sont pas les mêmes, et l’analyse que les journalistes fournissent sur la société française prend de plus en plus d’importance comme nous allons le voir dans ce chapitre.

I. D’une simple exposition des faits à la naissance d’un journalisme d’investigation :

L’étude des articles relatifs aux tueurs en série nous permet de mettre en lumière une évolution des méthodes journalistiques qui tend vers le journalisme d’investigation tel qu’on le connait aujourd’hui.

1) Information et récit des faits Lorsque l’on observe la médiatisation de nos affaires dans les journaux anciens de notre sélection, et/ou dans ceux mettant en avant une ligne éditoriale peu tournée vers le 55 sensationnel, on peut noter que les journalistes se contentent d’une simple exposition des faits ; un récit détaillé, certes, mais sans analyse ou élément de réflexion. Dans ces journaux, le récit des méfaits des tueurs n’a pas de grandes différences avec d’autres chroniques d’information. Ainsi, Le Constitutionnel, La Presse et Le Mémorial de la Loire réalisent du 30 Janvier au 04 Février 1862, une chronique retranscrivant intégralement le déroulement du procès Dumollard, heure par heure, en utilisant la méthode de l’exposition des faits. Le lecteur peut lire mot à mot ce qu’il s’est dit lors des audiences, du détail des noms et professions de tous les intervenants du procès, à l’acte d’accusation retranscrit en entier126, en passant par les interrogatoires et auditions présentées sous forme de tirets, rien ne semble avoir été ajouté par le rédacteur. A cette époque, même les exécutions sont retranscrites dans leur ensemble de manière neutre, comme en témoigne le récit de celle de Joseph Philippe, dans le Constitutionnel, le 25 Juillet 1866. Dans ce type de journalisme, une grande place est donnée à la description des lieux, par exemple, on trouve dans l’édition du Matin du 12 Aout 1885, une longue description des abords et du greffe du Palais de Justice de Melun la veille du second procès d’Albert Pel, ainsi qu’une description de la prison où il est enfermé.

126 La Presse, édition du 30/01/1862

2) La naissance du journalisme d’investigation Cependant, cette simple exposition laisse vite place à un journalisme impliquant beaucoup plus de recherches et d’investissements de la part des journalistes. Comment expliquer ce passage progressif au journalisme d’investigation dans les affaires de tueurs en série ? Les évolutions techniques et méthodologiques… C’est justement sur notre période que les méthodes journalistiques évoluent de la manière la plus drastique. Comme l’a mis en lumière l’historien Dominique Kalifa, au tournant entre le XIXème et le XXème siècle, « au lieu de s’en tenir à la description du crime, les journalistes se penchent sur le récit de l’investigation, ce qui mènera, par la suite, à la naissance du journalisme d’enquête » 127. La presse étend son domaine d’action et diversifie les casquettes arborées par ses rédacteurs, ils deviennent progressivement enquêteurs, multiplient les entretiens, les analyses, proposant leurs propres hypothèses et mettant en avant les indices permettant de les confirmer. Ce changement s’accompagne 56 évidemment de tous les progrès techniques de la deuxième moitié du XIXème siècle, qui permettent aux journaux d’insérer dans leurs articles les gravures, croquis, schémas et plus tard les photographies qui illustreront leurs enquêtes et serviront de preuves. Par exemple, en observant un seul journal dans notre sélection – La Croix – on note une nette augmentation de l’emploi de croquis et photographies dans son traitement des affaires après 1900. D’ailleurs, Le Matin est le premier grand quotidien à publier des clichés photographiques en 1902, et les autres titres phares suivent peu après128. …Ayant tourné les journalistes vers l’enquête de terrain Au-delà des évolutions techniques, certaines de nos affaires peuvent expliquer le passage au journalisme d’investigation. Déjà lors de l’affaire Troppmann en 1869, les débuts timides de l’enquête de terrain des quotidiens avaient révélé le commencement de cette transformation, et la libéralisation de la presse après 1881 ne fit qu’accentuer ces nouvelles pratiques129. Il ne fait nul doute que les très grandes affaires – comme l’affaire Pranzini – ont participé à la reconstruction de la profession journalistique autour du fait-divers ainsi qu’à la naissance d’une véritable culture médiatique130. Cette affaire marque une rupture

127 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », op. cit., p.78. 128 Ibid., p.81. 129 Aaron FREUNDSCHUH et Stéphane BOUQUET, « Anatomie d’un fait divers impérial », Sociétés & Représentations, 7 novembre 2014, N° 38, no 2., p.90. 130 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.13.

puisque c’est à cette occasion qu’un nombre croissant de journalistes abandonnent le recours aux traditionnels bulletins de police et entreprennent en parallèle leurs propres enquêtes criminelles. Il n’est donc pas surprenant que l’on puisse observer le nouveau rôle d’enquêteur des journalistes dans nos affaires datant d’après les années 1880. D’ailleurs, l’article de La Croix du 17 Février 1899 intitulé « Mœurs Judiciaires Nouvelles » fait référence à ce changement dans la profession :

« Vraiment, nous vivons des temps étranges ! Un crime effroyable est commis à Lille […] La justice commence son enquête […] Ils font ce que la presse fait dans toutes les affaires retentissantes, ce qui s’est fait pour Troppmann, pour Pranzini, pour Prado […] ils procèdent de leur côté à une enquête, et les policiers sont les premiers à reconnaitre quel concours précieux les enquêteurs officieux apportent le plus souvent à la justice, armés de moyens d’investigations insuffisants » En avançant sur notre période, les journalistes partagent de plus en plus leurs hypothèses avec les lecteurs. En 1919, au début de l’affaire Landru, un des chroniqueurs du Matin – qui s’est rendu sur place, à Gambais, pour recueillir des informations sur les premières fouilles, nous livre ses réflexions sur l’affaire : « Peu à peu, mon enquête me ramène au cimetière, 57 proche de la villa […] Landru n’aurait-il pu profiter de cette proximité du cimetière pour y enterrer ses victimes dans des fosses […] après des inhumations récentes […] ? J’ai voulu tirer cette hypothèse au clair… »131. Ce passage au journalisme d’investigation se ressent en outre dans l’apparition de véritables reportages photographiques dans la presse. Les instantanés pris par des envoyés spéciaux se multiplient ; ils sont semblables à celui de Jeanne Weber inséré ci-dessous, pris en 1907 pour Le Matin. On trouve également beaucoup de montages (voir les exemples ci- dessous) qui rappelleraient presque les tabloïds actuels. Il y a une volonté de la presse de tout illustrer, d’apporter des preuves des faits avancés. Ainsi dans l’affaire Landru, le lecteur peut se familiariser avec la villa de Gambais, se représenter les fouilles qui y ont eu lieu et les macabres découvertes qui y ont été faites, voir Landru étudier son dossier avant l’audience, ou encore participer à la rencontre avec son juge ou l’attente de son verdict. On retrouve la même utilisation de la photographie dans l’affaire Petiot. Voici ci-dessous des exemples de reportages dans ces trois affaires :

131 Le Matin, édition du 26/04/1919.

« Jeanne Weber – D’après un « Les preuves visibles du crime », Montage de instantané de notre envoyé photographies et gravures, Le Matin, 10 Mai 1908. spécial », Le Matin, 29 Avril 1907

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« Landru l’Escamoteur de Femmes a été amené hier au « 10 Kilos d’ossements humains », Le Matin, 30 Palais de Justice », Le Matin, Juillet 1920. Une, 29 Avril 1919. Légende : « En haut : Des terrassiers fouillant le Instantané de Landru et son jardin à Gambais – En bas : Fragments d’ors calcinés juge. provenant des fouilles ».

Ci - contre : « Landru étudie son dossier », Le Matin, Une, 06 Aout 1920. Ci-dessous : « Landru attendant le verdict », Le Matin, 1ier Décembre 1921

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Reportage photographique issu du Monde Illustré, 12 Novembre 1921. En haut : « Les deux villas de Landru : à gauche, la maison de Vernouillet. A droite, le pavillon de Gambais » En bas à gauche : « Désiré Landru et sa dernière fiancée Mme. F Segret En bas à droite : « Le Commissaire d’enquête examine les débris d’ossements, trouvés dans les jardins de l’habitation de Gambais. »

Ci-dessous : « Chut ! Ne les réveillez pas ! », Une, Le Franc- Tireur, 03 Avril 1946. Légende : Pendant la plaidoirie de la partie civile, Petiot et son avocat s’endorme…

60

Ci-dessus : « Landru devant ses juges », Le Monde Illustré, 12 Novembre 1921, p.827. En haut, à gauche : « Un moderne Raphaël désire fixer sur la toile pour la postérité le fameux étang des Bruyères, où l’on cherche en vain les compagnes du célèbre émule de Barbe Bleue ». En haut, à droite : « L’accusé s’entretient avec son défenseur M. De Moro-Giafferi ». Au milieu : « Pendant la lecture de l’acte d’accusation ». En bas : « M. Gilbert, président des assises, entouré de MM. Shuller et Gloria, assesseurs ».

« L’Affaire de la Rue Lesueur […] La femme du praticien arrêtée », Le Réveil du Nord, Une, 15 Mars 1944.

Photographies du Docteur Petiot et de son épouse.

Nous l’avons mentionné rapidement, mais le passage au journalisme d’investigation se ressent également par un usage croissant de correspondants et d’envoyés-spéciaux au sein des journaux, ainsi que la mise en avant de sources personnelles par les journalistes. Des mentions telles que « De notre envoyé spécial »132 ; « De notre correspondant »133 ; « Dépêche de notre envoyé spécial »134 ou encore « De l’envoyé spécial du Matin »135 se multiplient progressivement sur notre période d’étude et certains journalistes n’hésitent pas à mentionner leur « source certaine »136. Ces envoyés spéciaux se livrent à une méthode qui devient progressivement un fondement du travail journalistique : l’interview. Le journaliste du Courrier de l’Ain chargé d’enquêter sur Joseph Vacher interroge par exemple, pour son numéro du 22 Octobre 1897, l’une des sœurs de Vacher sur la présence de ce dernier chez elle au moment d’un des meurtres ; puis un ancien patron du meurtrier pour l’édition du 04 Novembre 1897. Les proches des tueurs en série ont une place particulière dans les journaux : dans l’affaire Vidal, le chroniqueur du Petit Provençal parvient à retrouver la fiancée d’Henri et à s’entretenir avec elle137, tandis que le Matin publie une interview de la mère du tueur en série au lendemain de sa condamnation à mort138. Enfin, on trouve 61 également des interviews de victimes ou de membres de leurs familles ; comme dans le numéro du Petit Journal du 16 Mars 1944, contenant en Une un entretien avec une certaine Mlle Baudet, fille d’une des victimes supposées de Marcel Petiot, ou encore dans le Ouest Eclair du 15 Mars 1944, qui lui, met en lumière l’interview d’une « rescapée » de Petiot.

3) Presse et rumeur : relai ou démenti ? Se lancer dans le journalisme d’enquête signifie investiguer sur les faits mais également savoir écouter les murmures et autres ragots… L’investigation conduit à des écueils : En effet, la recherche incessante de l’information la plus fraiche possible, conduit la presse à s’appuyer sur les rumeurs. Ce procédé est notamment visible dans l’affaire Pranzini : dès le soir du triple meurtre, le 17 Mars 1887, plusieurs journaux – L’Intransigeant, La Liberté et Le Journal des Débats – offraient déjà en « Dernière heure »

132 Affaire Vidal, Le Petit Marseillais, numéros des 08,11/01/1902 et 04,05/11/1902 ; Le Petit Provençal 05,06/11/1902 et Affaire Landru, Le Matin, Numéro du 24/04/1919. 133 Affaire Pranzini, Le Petit Journal, édition du 25/03/1887. 134 Affaire Jeanne Weber, Le Matin, Numéros des 26 et 28/04/1907. 135 Affaire Petiot, Le Matin, 23/04/1944. 136 « Le Triple Assassinat […] », Le Matin, 28/03/1887. 137 Numéro du 11/11/1902. 138 Numéro du 20/11/1902.

des informations détaillées. Puis à la fin du premier jour d’enquête, la rumeur perd peu à peu de son importance pour donner sa place à une version officielle ou du moins « autorisée » qui donnera à son tour lieu à de nouveaux commérages, tout en contrôlant les bruits les plus farfelus qui couraient jusqu’alors139. Il n’est donc pas étonnant que Le Matin fournisse des renseignements non-officiels dans les premiers jours qui ont suivi l’affaire : « Nous avons continué notre enquête personnelle sur Pranzini et nous avons pu ainsi nous procurer un renseignement du plus haut intérêt… »140. Ainsi dans les débuts de nos affaires, la rumeur tient une place importante dans le travail des journalistes ; on en trouve d’ailleurs le champ lexical – « Ce que dit la rumeur publique » ; « Je ne vous transmets ces bruits que sous toute réserve, ne me faisant que l’écho des impressions de la population » – dans un article à propos de l’affaire Henri Vidal141. Même chose pour Le Petit Journal dans l’affaire Petiot, qui affirme le 16 Mars 1944 qu’il « croit savoir » que des recherches ont été effectuées par la police judiciaire dans le département de l’Isère. Cependant, il faut quand même nuancer, car si la presse utilise souvent la rumeur pour traiter des affaires de meurtres en série, elle prend aussi à cœur de les démentir. Par exemple, le journaliste du Petit Marseillais rétablit la vérité quant au lieu d’emprisonnement d’Henri Vidal dans l’édition du 05 Juillet 62 1902 : « Le bruit a couru à Toulon, parait-il, que Henri Vidal avait été transféré […] Vous pouvez démentir, car j’ai vu, ce soir même, dans sa cellule, le sinistre assassin ». La presse, un nouveau relayeur de l’opinion ? Le recours à la rumeur peut s’expliquer par le fait que dans le cadre de ces affaires de tueurs en série, la presse s’investit dans le rôle de relayeur de l’opinion. C’est dans cette idée, que Le Matin diffuse les impressions des habitants du quartier de la Goutte d’Or, où vit Jeanne Weber, qui « ne désarment pas [et] persistent à croire à la culpabilité de celle qu’ils appellent toujours l’Ogresse »142. En 1919, le même journal effectue une enquête à Gambais afin d’y prendre la température de l’opinion sur la récente arrestation de Landru143. Une autre stratégie peut consister à créer au sein des journaux un espace généralement baptisé « Courrier des lecteurs », où l’on peut lire les réactions de chacun sur l’affaire en cours. On trouve encore d’autres possibilités, par exemple, Le Figaro confie au journaliste Emile Bergerat – sous le pseudonyme de Caliban – la charge d’organiser des enquêtes auprès du

139 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.19. 140 Le Matin, édition du 27/03/1887 141 Le Matin, édition du 17/01/1902. 142 « Propos d’un Parisien », Le Matin, 01/02/1906. 143 « Le Barbe-Bleue de Gambais », Le Matin, 26/04/1919.

lectorat sur les actualités du moment144 et il réalise d’ailleurs plusieurs articles sur l’affaire Pranzini au sein de cette nouvelle chronique – dont celui intitulé « Théorie de la Guillotine »145.

II. La presse comme défenseur de la société face au tueur :

Nous assistons donc sur la période étudiée à la naissance du journalisme d’investigation. Néanmoins, dans les grandes affaires de tueurs en série, les journalistes ne se contentent pas d’enquêter ; ils s’investissent d’un rôle encore plus important que la recherche de la vérité : celui de sauveurs d’une société en proie au vice. Nous allons donc étudier ici les façons dont la presse utilise les affaires pour proposer un journalisme centré sur la réflexion.

Encart en faveur de la lutte contre le crime, inséré dans un article sur l’affaire Petiot, Ouest Eclair, 22 Mai 1944. 63 1) Une accroche par les affaires de tueurs ? Tout d’abord, les tueurs semblent être un bon prétexte pour réaliser des articles sur d’autres sujets. L’affaire du Gourguillon, même si elle ne figure pas parmi les affaires sélectionnées pour ce mémoire en est un bon exemple. Il s’agit de l’assassinat d’une femme galante par un assassin inconnu et recherché, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse. Cependant, le chroniqueur du Passe-Temps s’en sert pour amorcer un article sur les usurpations d’identité dans le numéro du 7 Février 1892 : « Il n’y a là en réalité qu’un fait divers banal […] Du crime lui-même je n'ai rien à dire et ne dirai rien, mais il y a un incident qui a passé à peu près inaperçu et qui, je crois, mérite d'être relevé ». Le journaliste qui écrit sous le pseudonyme de « Lucien » semble avoir déduit de la présence d’une carte de visite trouvée chez la victime, que cette dernière était une usurpatrice d’identité ; ce qui lui permet de lancer sa « Causerie » sur ce thème. On peut ainsi constater que le crime mène à tous les sujets. On retrouve également ce procédé dans Le Mémorial de la Loire, qui profite de l’affaire Dumollard pour produire un article proposant l’embrigadement des gardes champêtres dans son « Courrier du Matin » du 19 Février 1862. Selon le journaliste, leur donner des attributions équivalentes aux officiers de police pourrait permettre à l’avenir

144 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.25. 145 « Théorie de la Guillotine », Le Figaro, numéro du 30/08/1887.

d’éviter ce genre de crimes se passant sur leur lieu de travail. Les tueurs en série sont donc en général de bons outils d’observation pour la presse, leur permettant de toucher à des enjeux plus larges.

2) Le développement d’un journalisme réflexif… C’est dans ce sens que l’on trouve de très nombreux articles sur nos affaires, traitant en réalité de sujets de société importants : Des articles académiques… On trouve notamment des articles qui partent de nos affaires pour développer sur de nouvelles avancées scientifiques. Par exemple, l’affaire Pel donne lieu à plusieurs articles sur l’arsenic, poison qu’il a utilisé pour tuer ses épouses. On peut donc lire dans Le Petit Parisien au moment du premier procès, un article intitulé « Le voilà de nouveau sur la sellette de la Cour d’Assises, ce terrible poison : l’arsenic ! »146, proposant de revenir sur le rôle que ce venin a joué dans plusieurs procès passés. Le Supplément Illustré du Petit Journal utilise également ce filon pour sa « Chronique scientifique » du 21 Juin 1885, dans laquelle le journaliste affirme que « l’affaire Pel vient de donner à l’arsenic un regain de célébrité » et en profite pour revenir sur l’histoire de cette substance, ses utilisations… Dans le même 64 esprit La Presse dédie son Feuilleton du 29 Mars 1862, à un article de la « Revue Scientifique » consacré à la « Séance publique annuelle de la Société de secours des amis des sciences » sur « Dumollard et la phrénologie ». Compte-tenu de la nature de nos affaires, il n’est pas étonnant que les journalistes produisent aussi des articles à dominante judiciaire à partir de celles-ci. C’est pourquoi l’affaire Dumollard a aussi donné lieu à une réflexion sur la responsabilité morale et la justice dans Le Monde Illustré. Dans cet article le journaliste s’interroge sur « où commence la responsabilité morale, la liberté de volonté ? A quels signes [distingue]-t-on le fou du criminel, l’homme que la justice doit punir de celui qu’elle doit épargner ? »147. En 1903, Le Matin propose une réflexion assez similaire avec un article nommé « Les Détraqués » invitant à réfléchir au « redoutable problème de l’irresponsabilité pénale des dégénérés ». Dans cet article, le journaliste fait référence à deux de nos affaires pour réfléchir à de meilleures façons de traiter les « aliénés criminels » :

« Fallait-il condamner à mort et guillotiner Vacher, l’éventreur de bergères, et Vidal, le tueur de femmes ? […] La société […] ne punit pas : elle se préserve. Elle tue Vacher comme on abat un chien enragé […]

146 Le Petit Parisien, numéro du 14/06/1885. 147 Le Monde Illustré, édition du 08/02/1862.

Puisqu’il apparait aux savants que beaucoup de délinquants sont des malades […] il appartiendrait à la société de prendre des mesures en conséquence. Elle n’enverrait plus ces malades au bagne ou dans les prisons. Mais elle ne les laisserait pas non plus divaguer en liberté. Elle les retiendrait dans des établissements spéciaux où ils seraient mis en observation et soignés »148. Enfin, les grandes affaires de tueurs en série sont des amorces toutes choisies pour des articles de réflexion politique. Le thème qui revient le plus souvent est celui de la peine de mort. Sur l’affaire Dumollard, La Presse se positionne contre avec l’article « De quel droit constituez-vous Dieu juge avant son heure ? »149, avançant que la guillotine punit également des innocents – la famille du supplicié – pour le restant de leur vie. Dans le cadre de l’affaire Philippe, le même journal met en garde ses lecteurs sur « le prix assez élevé auquel peut revenir une exécution faite de nos jours » en fournissant une note sur le salaire de l’exécuteur du meurtrier150. En lien avec l’affaire Joseph Vacher, on trouve dans Le Matin un article intitulé « Cerveaux malades »151 qui étudie « la question de savoir si l’on a bien fait de le tuer » ainsi que l’enjeu de la peine de mort et « l’irréparable erreur qu’elle peut consacrer ». Le journal relance le débat lors de l’affaire Vidal, le journaliste penchant cette fois-ci en 65 faveur de l’exécution :

« Je suis d’avis que la société a tous les droits, y compris celui-là [le droit de tuer] ; la preuve c’est qu’elle en use. Ce n’est pas pourtant que la peine de mort ait une influence quelconque au point de vue de la répression des crimes. Je crois qu’elle ne fait ni chaud ni froid […] Je dirai, cependant, en faveur de la peine de mort, que, puisqu’il s’agit de mettre un individu dans l’impossibilité de commettre de nouveaux crimes, elle représente le moyen le plus efficace d’atteindre ce but […] ce qui n’est pas toujours le cas quand on l’envoie au bagne »152 Mais aussi une réflexion par la satire : La réflexion offerte aux lecteurs par la presse n’est pas restreinte aux seuls sujets sérieux ou académiques ; certains journaux choisissent d’employer une réflexion sur le ton de l’humour, la moquerie, la satire, ou encore le cynisme. Par exemple, le chroniqueur du Figaro ose même, dans son numéro du 23 Février 1862, associer affaire Dumollard et humour noir en tentant plusieurs drôleries comme « cet homme-là nous enterra tous » – Dumollard étant connu pour avoir enterré ses très nombreuses victimes, dont une vivante –

148 Le Matin, édition du 18/07/1903. 149 La Presse, numéro du 24/11/1862. 150 La Presse, édition du 31/07/1866. 151 Le Matin, numéro du 06/01/1899. 152 Le Matin, édition du 12/11/1902.

ou encore cette devinette : « Savez-vous, disait-on, quelle différence il y a entre Dumollard et Jules Gérard, le tueur de lions ? C’est que Jules Gérard tue les lions de Bône et que Dumollard tuait les bonnes de Lyon ». Autre possibilité, celle du Supplément Illustré du Petit Journal du 23 Aout 1885, qui propose sur le ton de la satire, une critique de la trop grande importance du paraitre dans la société française, à partir du second procès d’Albert Pel. Cet article invite le lecteur à se demander pourquoi Albert Pel n’a finalement pas été condamné à mort. Selon le journal c’est parce qu’il n’était pas assez laid, ou plutôt trop soigné : « C’est uniquement parce que cette fois il a soigné son physique […] la société que je rêve enverrait à tout assassin, quelques jours avant son jugement, un tailleur de premier ordre, un chemisier exquis, un coiffeur […] Une fois préparé de la sorte il serait sûr d’avoir la vie sauve ». Le Monde Illustré met en lumière la même réflexion – ici sous un ton ouvertement moqueur et presque dégouté – dans le cadre de l’affaire Pranzini. L’article figurant dans l’édition du 09 Avril 1887 critique une société où la beauté compte plus que l’horreur du crime. Le journaliste écrit ainsi ses mots pour décrire les réactions du public lors de l’audience :

« On entendait que ces phrases : -C’est égal il n’est pas mal. 66 -Un peu gros. -Il devait être charmant il y a seulement cinq ou six ans. -On s’explique ces succès… Discuter les charmes d’un tel homme ! Tant pis pour vous Mesdames ! Car, outre le mépris et la répulsion qu’auraient dû vous inspirer le personnage et ses antécédents, sa vue n’était pas pour justifier les engouements […] Pranzini subjuguait les fameuses femmes du monde et les pudiques américaines. Il faut tout de même que notre civilisation soit terriblement faisandée pour que les choses puissent s’y passer ainsi […] Comme nous dégringolons, mon Dieu ! Comme nous dégringolons ! » Enfin, ces articles réflexifs et satiriques sont parfois accompagnés de caricatures, comme ci- dessous la caricature de Troppmann guillotiné proposée en Une de l’hebdomadaire L’Eclipse.

67

« Troppmann, par Gill », L’Eclipse, Une, 23 Janvier 1870. Caricature de la tête guillotinée de Jean Baptiste Troppmann.

3) …Visant à résoudre le problème sociétal profond posé par les tueurs en série Nous avons identifié plusieurs rôles endossés par la presse dans les grandes affaires, l’information, l’investigation – nous verrons plus tard la question du divertissement – et la réflexion. Mais pourquoi la presse et les journalistes ressentent-ils la nécessité de s’investir à ce point dans les affaires de tueurs en série, au-delà des objectifs de vente ? La volonté d’alléger la société de ce vice semble être une explication plausible. Comme nous l’avons vu, la presse de masse véhicule des récits parfois moralisateurs, des discours sécuritaires. Ces propos illustrent autant les inquiétudes et les préoccupations de l’époque quant aux phénomènes de violence et à la multiplication des comportements déviants, que l’enjeu croissant de la lutte contre la criminalité. La presse semble en effet confrontée à une société qui semble de plus en plus pervertie par le crime.

Critique de la société On se rend rapidement compte en épluchant les articles qui traitent de nos affaires que pour les journalistes les criminels sont bel et bien le vice de la société française sous la Troisième République… Mais qu’ils en sont aussi le produit. En effet, le sociologue Gabriel Tarde soutenait que le criminel n’était pas né mais fabriqué par la société. Pour Tarde, le criminel n’était pas un fou, un sauvage ou un dégénéré comme on pourrait le croire mais un type professionnel créé par la société, en partie par le fonctionnement de la justice criminelle153. Les tueurs en série – et les criminels en général – deviennent d’ailleurs à cette période un problème politique. Au début de la Troisième République, les initiatives se multiplient pour lutter contre la criminalité : la loi du 23 janvier 1873 entérine la répression de l’ivresse publique, la loi du 5 juin 1875 adopte le principe de l’enfermement individuel cellulaire dans les prisons départementales ou encore la loi du 27 mai 1885 qui condamne les récidivistes à l’exil154. A cette période, le crime se définit à la fois du point de vue de la réprobation sociale, tout en étant un facteur de santé publique, comme une illustration du progrès social155. C’est pourquoi, dans ce contexte la presse n’hésite pas à critiquer et questionner les 68 mœurs de la société dans laquelle elle publie, les rendant responsables d’avoir engendré ces meurtriers. On trouve cette idée notamment dans plusieurs articles du Figaro au sujet de l’affaire Dumollard. Un premier article remet en question les mœurs des « couches sociales inférieures »156 dont est issu le tueur en série ; d’après le journaliste, « ce procès découvre une couche sociale qui, sous le rapport des lumières, est encore en plein moyen âge » et leurs « superstitions grossières, croyance en la magie » pourrait expliquer le comportement de Dumollard. Il ajoute ensuite qu’il serait bénéfique d’enseigner « aux paysans une autre morale que la morale religieuse » étant donné que cela n’a pas vraiment réussi au meurtrier. Si cet article se focalise uniquement sur une frange de la population, un autre conclut que l’origine du vice de Dumollard est en réalité présente au départ chez tous les membres de la société :

« Il y a, dans le cœur des hommes les plus intègres, un principe mauvais, qui, […] dort sans qu’on s’en doute, ne remue qu’à certains moments […] C’est tellement inhérent à la nature humaine que, pour notre compte particulier, nous nous rappelons que lorsque tout petit garçon, nous

153 Gabriel TARDE, Penal Philosophy, Boston, 1912., p.218-265. 154 Marc RENNEVILLE, « Quelle histoire pour la criminologie en France ? », op. cit. 155 Jacques BOURQUIN, « Dominique Kalifa « L’encre et le sang ». », op. cit., p.238. 156 Le Figaro, édition du 12/12/1868.

jouions au chef des brigands, c’était une punition pour nous que d’être gendarme. »157 Dans cette réflexion, tous les individus ont une part de vice, de mal, en eux, qui existe, grandit et sera toujours présente, seulement certains individus parviennent moins bien à la dissimuler ou la restreindre que d’autres. Le journaliste utilise la métaphore du crapaud pour illustrer ce mal, nous naissons avec, puis « plus tard, sous la bienséance de l’éducation, l’embryon de la conscience se développe, les nuances du bien et du mal s’accusent et l’honnête homme se fait. Malgré cela le crapaud vit toujours ». Finalement, pour beaucoup de journalistes, les tueurs en série sont des individus déviants, mais ce comportement s’explique aussi parce qu’ils sont issus d’une société pervertie, ou le bien et le mal n’ont pas de limites distinctes. Par exemple, dans son numéro du 16 Juillet 1887, Le Monde Illustré conte à ses lecteurs « l’histoire des cochers qui se sont disputé respectivement l’honneur d’avoir conduit l’accusé [Pranzini] ». Cette anecdote permet au journaliste de montrer que dans la société française de l’époque, il est plus important de se faire connaitre dans un contexte peu recommandable que de ne pas se faire un nom : « Un joli trait de mœurs. Se donner de l’importance à tout prix, à tout propos, c’est bien là un des traits de notre caractère national. Tous ces braves cochers avaient tellement envie d’être mêlés à une grande affaire 69 […] qu’ils en étaient arrivés à se persuader sincèrement qu’ils avaient conduit Pranzini ». La recherche d’une explication de ce vice pour défendre la société des tueurs Nous l’avons donc bien compris, les articles tentant d’apporter une réflexion sur le cas des tueurs en série sont très nombreux. Pourquoi ce sujet pose-t-il tant question ? Derrière les articles que nous avons cités ci-dessus, se cache une volonté des journalistes de comprendre le passage au crime, de trouver une explication, une intention derrière ces meurtres effroyables, parce que ces derniers mettent à mal un équilibre social tant recherché. Le dangereux meurtrier en série provoque une foule d’interrogations : D’où vient-il ? Quelles est son mobile ? Peut-on justifier son comportement ? D’où l’intérêt des journalistes pour le passé des tueurs en série et leur origine sociale : il s’agit de trouver une origine au vice. Par exemple, le chroniqueur du Matin revient sur le passé de Jeanne Weber en insistant sur sa basse classe sociale, son « existence terne de petite bergère […] presque complètement illettrée », son père « pauvre matelot » et sa mère « naïve paysanne », pensant y trouver l’explication. Cependant le journaliste est vite déçu de ne pas y trouver ce qu’il recherche ; il s’attendait à « démêler dans l’enfance de Jeanne Weber la prédisposition fatale, le fait

157 Le Figaro, édition du 27/02/1862.

saillant et significatif, précurseurs des tragiques coïncidences de l’avenir » mais concède qu’il n’a pu noter que « la vie insignifiante […] et banale d’une simple bergère presque oubliée de tous »158. Cet exemple, illustre en réalité un comportement récurrent de la presse face aux meurtriers issus de milieux modestes. En effet, Le Courrier de l’Ain fait la même chose avec Joseph Vacher ; on peut lire dans l’édition du 20 Octobre 1897 que « quelques nouveaux renseignements ont été recueillis sur la jeunesse de Vacher et sur sa famille » et que finalement « celle-ci est entièrement honorable et saine ; elle ne compte aucun aliéné dans ses membres ». On peut ainsi dire que le traitement que fait la presse française des affaires de tueurs en série ne se résume pas qu’au récit de faits-divers ; il y a une réelle volonté d’expliquer ces faits, de les décortiquer pour pouvoir mieux défendre la société contre ces déviances. C’est d’ailleurs pour cela que bien souvent les journalistes attestent de la nécessité de la presse pour effectuer ce travail159. Cependant, cette volonté entre tout de même en contradiction avec la nature même du fait-divers : par ce travail d’investigation, les journalistes sont en quête d’une explication plausible et rationnelle aux meurtres en série or ils le font au sein de récits qui peuvent être considérés comme immoraux car relatant le vice 70 avec un voyeurisme évident. Comme nous l’avons expliqué en première partie, le récit du fait-divers a pris une grande place dans la presse afin de plaire aux lecteurs ; on a donc ici finalement une contradiction entre une volonté morale et rationnelle des journaux de défendre la société contre le mal des tueurs en série ; et une exploitation de ces derniers160.

Conclusion intermédiaire

En conclusion, ce chapitre nous a permis de mettre en lumière que le traitement que fait la presse des affaires de tueurs en série illustre bien une évolution du journalisme en France. Si au début de notre période, les journaux se contentaient souvent de publier un condensé des faits, au fur-et-à-mesure, les journalistes s’investissent dans leurs articles en produisant de véritables enquêtes. Finalement on peut dire que l’intérêt de la presse pour la recherche de la vérité n’a fait que croitre sur notre période. Par cette recherche de la vérité, la presse entend se positionner comme un pilier de la société visant à la défendre. En effet,

158 Le Matin, édition du 03/05/1907. 159 « Affaire Dumollard », La Presse, édition du 08/02/1862 160 ARTIS, « Le Fait Divers de 1850 à 1914 », op. cit.

avec nos affaires, l’on se rend compte que raconter le meurtre et le meurtrier devient un enjeu pour rétablir un ordre social mis à mal. Le travail des journalistes doit permettre de lever le voile sur la bestialité de l’homme et sur les failles du genre humain161. Ainsi on pourrait même aller plus loin en avançant que les journaux participent sur notre période d’étude à former un « univers mental qui a abandonné le rituel judiciaire comme seule manière de refermer la béance sociale et morale ouverte par l’acte criminel » 162 ; notamment par une recherche constante d’une explication rationnelle. C’est pourquoi nous allons justement voir dans le Chapitre 5 comment la presse se positionne face à la justice et aux forces de l’ordre ; après avoir développé dans le Chapitre 4 la manière dont les journalistes s’appuient sur les sciences de l’époque pour mieux connaitre les meurtriers. En effet, la presse partage en réalité la conviction scientifique de la période, selon laquelle la criminalité ne peut-être efficacement combattue sans une connaissance objective des criminels163.

71

161 Mado MONNEREAU, Le récit de meurtre en France (1870-1899), op. cit., p.23. 162 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », op. cit., p.210. 163 Marc RENNEVILLE, « Quelle histoire pour la criminologie en France ? », op. cit.

Chapitre 4 : Les sciences criminelles, un allié de choix ?

De 1850 à 1950, l’intérêt développé de la presse pour le crime, le criminel et son besoin de le connaitre est marquée par une multiplication des études scientifiques ayant pour sujet les meurtriers, ouvrant ainsi une ère de « grand examen » des justiciables164. En effet, c’est sur notre période que naissent notamment l’anthropologie criminelle ou criminologie, ainsi que la police scientifique. La première nait dans le dernier tiers du XIXème siècle sous l’égide de trois médecins anthropologues italiens Cesare Lombroso, Enrico Ferri et Raffaele Garofalo165. En 1885, le premier Congrès International d’Anthropologie Criminelle se tient à Rome. En parallèle de l’école italienne, la France s’engage aussi dans le mouvement avec le lancement en 1886 de la revue des Archives d’Anthropologie Criminelle sous la direction des médecins et criminologues Alexandre Lacassagne et Henri Coutagne ainsi que celle du juriste René Garraud166. Cette revue – la première revue scientifique francophone dédiée à la criminologie – marque la naissance de la discipline, qui vise à étudier la nature et les causes du comportement criminel d'un point de vue individuel et social en utilisant 72 également d’autres domaines comme la sociologie ou la phrénologie (étude du crâne et du cerveau née au début du XIXème siècle). Une autre discipline se développe en France sur la période : la graphologie (1872) – qui relie des traits de caractères à l’écriture – même si cette dernière est parfois considérée comme une pseudoscience. Enfin, la volonté d’étudier de manière scientifique les criminels s’illustre également par la progression des techniques de police scientifique. En 1879, Alphonse Bertillon adresse un rapport à Louis Andrieux, alors Préfet de Police de Paris, pour lui proposer d’utiliser la méthode anthropométrique qu’il a crée – désormais connue sous le nom de Bertillonnage – permettant d’identifier les criminels à partir de mesures du corps humain et de photographies de face et de profil. Ce rapport ne donne pas suite mais en 1881, le nouveau Préfet – Ernest Camescasse – autorise Bertillon à expérimenter sa méthode sur des prévenus167. L’année suivante un « Bureau d’Identité » dirigé par Bertillon est créé à la Préfecture de police de Paris, et donne naissance dix ans plus tard, en 1893, à un véritable « Service de l’Identité judiciaire ». En 1903, une autre

164 Ibid. 165 Ibid. 166 Marc RENNEVILLE, « Les Archives d’anthropologie criminelle : une revue pour une science », Criminocorpus. Revue d’Histoire de la justice, des crimes et des peines, 1 janvier 2005, URL complète en biblio. 167 Pierre PIAZZA et Amos FRAPPA, « Histoire de la police scientifique (1832-1951) », Criminocorpus, 10 janvier 2017, URL complète en biblio.

science criminelle est mise à l’honneur avec la création au sein de la Préfecture d’un service de dactyloscopie (procédé d’identification des individus par leurs empreintes digitales). Enfin en 1910, le premier Laboratoire de Police Scientifique est créé à Lyon par Edmond Locard168.

I. L’intérêt très développé de la presse pour les progrès techniques et scientifiques en matière de crimes

Or, ces multiples découvertes scientifiques tiennent une grande place dans la presse. Nous avons pu d’ailleurs découvrir lors de nos recherches sur l’affaire Landru, un article dédié à « L’orientation scientifique de la Police moderne » dans Le Monde Illustré. Cet article insiste sur l’importance des progrès scientifiques et leur utilisation dans les affaires de tueurs en série, notamment pour les obliger à avouer : « Tout le monde n’a pas l’imperturbable assurance d’un Landru ! » :

73

Extrait de l’article « L’orientation scientifique de la police moderne », Le Monde Illustré, 4 Juin 1921. En haut : photographie du « laboratoire de chimie du Service de l’Identité Judiciaire » En bas dans les sphères : observations de fibres au microscope / au centre : machine à ultra-violets.

168 Ibid.

1) L’impact de la science dans les publications journalistiques En étudiant le traitement médiatique des grandes affaires de tueurs en série, la science est un sujet qui revient très souvent. Donner la parole à de grands experts D’abord parce que les journalistes donnent la parole à de très (trop ?) nombreux experts scientifiques dans leurs articles sur les meurtriers. Les experts interviennent dans les journaux surtout dans les phases d’instruction et de procès. Par exemple, lors des audiences de l’affaire Albert Pel, on trouve dans la presse l’audition du médecin ayant examiné sa première victime169 – sa propre mère ! – ou encore les témoignages d’autres spécialistes, comme le médecin légiste « Dr Brouardel » ou « M. Lhôte », l’expert chimiste chargé de démontrer comme Pel s’est débarrassé des corps170. Les mêmes experts sont aussi présents deux ans plus tard lors de l’affaire Pranzini : les dépositions du « Dr Brouardel », de « M. Lhôte », ainsi que de « M. Gobert, expert en écriture », sont mises en avant lors de la retranscription du procès par Le Constitutionnel171. Le journal avait publié quelques mois plus tôt le bilan des résultats de l’examen anthropométrique d’Henri Pranzini172 – examen 74 réalisé par Bertillon lui-même – en fournissant tous les détails : « Taille […] Envergure des bras […] Longueur de la tête […] Longueur du pied […] Longueur du doigt médius […] Couleur de l’œil, châtain verdâtre ; Cicatrice de coupure oblique interne sur la deuxième phalange de l’index gauche… », le lecteur est informé de toute la procédure. Dans les affaires plus récentes sur notre période, les interviews des spécialistes se multiplient ; notamment dans l’affaire Jeanne Weber, qui a fait intervenir pendant plus de deux ans un nombre incalculable d’experts. Ainsi, le 25 Octobre 1907, Le Matin publie l’interview de « M. Désiré Méreaux, un éminent criminologiste », qui écrit à cette époque pour la revue d’Alexandre Lacassagne. L’année suivante le journal publie l’interview du « Docteur Doyen », médecin- légiste. Cet article réalise également une confrontation de plusieurs avis médico-légaux dont on trouve le condensé dans ce tableau récapitulatif ci- contre, qui accompagne le texte173.

« Dix médecins légistes se sont prononcés sur « L’Ogresse » - Ont conlu : Pour l’innocence : […] Contre l’innocence : […] »

169 Le Matin, édition du 13/06/1885. 170 Le Constitutionnel, édition du 15/06/1885. 171 Le Constitutionnel, numéro du 13/07/1887. 172 Le Constitutionnel, édition du 02/04/1887. 173 Le Matin, numéro du 13 Mai 1908.

Enfin, durant l’instruction de l’affaire Petiot, l’envoyé spécial du Réveil du Nord contacte « le Docteur Paul », qui doit « établir le nombre approximatif des victimes » du tueur, afin de publier ses conclusions174. Certains articles publiés par les journaux sont même rédigés par les experts eux-mêmes. Par exemple, Le Matin publie en 1921 un article qui compare l’affaire Pel et l’affaire Landru sur le sujet de la crémation des corps humains, et qui est écrit par un expert : « Raymond Hesse, diplômé des sciences pénales par l’Université de Paris, avocat à la cour »175. Grande diversité de spécialités, sérieuses ou non Par la place importante laissée aux experts, la presse peut ainsi initier le lecteur à une grande diversité de spécialités scientifiques. Le choix des journalistes de mettre en avant la science dans les grandes affaires de tueurs en série lui permet de créer un nouveau rapport avec son public, en prenant un rôle plus pédagogique. Via nos affaires, la presse donne accès à ses lecteurs à des connaissances qu’ils n’iraient pas nécessairement chercher ailleurs. Nous 75 l’avons déjà mentionné mais la presse se sert par exemple de l’affaire Dumollard pour réaliser plusieurs articles mettant en avant les conclusions issues de la phrénologie176 – « Il a le crâne fortement développé à l’occiput, et un phrénologue qui l’examinerait y découvrirait accusées les saillies du meurtre et de la circonspection »177 – tandis que l’affaire Pranzini permet à l’anthropométrie de s’illustrer. Les lecteurs peuvent également en apprendre un peu plus sur la science de la toxicologie – l’étude des substances toxiques et des poisons – dans le cadre de l’affaire Petiot178. En outre, on trouve au sujet de l’affaire Vidal plusieurs articles sur l’analyse de son écriture par la graphologie. Le journaliste du Matin entreprend lui-même de réaliser cet examen à partir d’un échantillon d’écriture du meurtrier (visible ci-contre) et contacte pour cela « Mme Fraya, jeune chiromancienne dont

174 Le Réveil du Nord, édition du 14/03/1944. 175 Le Matin, édition du 05/11/1921. 176 La Presse, numéro du 29/03/1862. 177 Le Mémorial de la Loire, édition du 31/01/1862. 178 Le Matin, numéro du 09/06/1944.

la renommée, déjà grande est venue jusqu’à [lui] »179. Celle-ci conclue que « cette écriture témoigne évidement d’une médiocre intellectualité. Les courbes hésitantes et désharmonieuses des lettres indiquent de l’imprécision dans le vouloir et une étroitesse grande de l’esprit ». Nous pouvons voir ici que les sciences moins reconnues, voir même considérées plutôt comme des sciences occultes ont aussi leur place dans la presse. Le Mémorial de la Loire publie même un article sur l’analyse des mains de Dumollard, réalisée par des chiromanciens, qui arrivent tout de même à déduire de celles-ci « tous les caractères du vol, de la cupidité, de la révolte ; l’absence complète de toute religiosité »180.

2) Le poids donné à l’expertise médico-légale : Si de nombreuses spécialités sont à l’honneur, celle qui est présente avec le plus de récurrence dans la presse reste l’expertise médico-légale, qui recouvre deux champs d’activité dans les journaux d’époque : l’examen mental ainsi que la pratique des autopsies (et autres examens de médecine légale judiciaire). Examen mental des tueurs Dans toutes les affaires, l’examen mental du tueur en série a de l’intérêt pour la 76 presse, qui d’ailleurs le publie presque systématiquement. L’expertise psychiatrique apparait généralement dans les journaux pendant la période d’instruction des affaires. Si l’on doit citer un exemple, l’article du Matin intitulé « Le Tueur de Femmes / Le rapport des médecins experts – Trois chapitres – Cent cinq pages – A la chambre des mises en accusation » publié le 06 Septembre 1902, est plutôt représentatif de ce que l’on peut lire dans les différentes affaires. Cet article donne un résumé détaillé du rapport des experts Alexandre Lacassagne, Jean Boyer et Fleury Rebatel au sujet de l’état mental d’Henri Vidal. La place centrale des autopsies Autre aspect de l’expertise médico-légale dont peuvent se délecter les lecteurs : les comptes-rendus d’autopsie. D’abord les autopsie de victimes lors des phases d’enquête et d’instruction sont souvent rappelées lors du procès. Ainsi, on peut lire dans Le Constitutionnel du 29 Octobre 1898, le témoignage du Dr. Ravet, qui a réalisé l’autopsie du jeune Victor Portalier, victime de Joseph Vacher. Tous les détails sont fournis au lecteur : « Le corps était couvert de blessures ; il était pour ainsi dire ouvert depuis la gorge jusqu’au ventre, son cadavre avait été souillé et le meurtrier avait sectionné avec ses dents certaines

179 Le Matin, édition du 17/01/1902. 180 Le Mémorial de la Loire, numéro du 12/03/1862.

parties du corps du pauvre enfant ». La seconde autopsie du petit Auguste Bavouzet, tué par Jeanne Weber en 1907, est aussi diffusée par la presse, notamment dans Le Matin, de manière très détaillée et crue, presque insoutenable :

« On ouvre le cercueil. Une odeur épouvantable se répand […] C’est la pourriture complète. On ne pourra rien voir. Le corps du jeune Bavouzet est étendu sur la planche. Le tronc, largement ouvert par la première autopsie est béant. Une affreuse bouillie couleur lie de vin le remplit jusqu’aux bords […] Quel peintre de l’horreur pourrait décrire la flore mortifère et la faune grouillante qui peuple la peau desséchée du cadavre […] Soquet constate que les viscères sont là. Il les tâte un à un, les « pêche » comme on pêche des crabes ou des écrevisses. »181 Ici on peut même observer que le sensationnel se mêle au scientifique puisqu’il s’agit d’une autopsie réalisée après deux exhumations. Après les autopsies des victimes, ce sont celles des tueurs que la presse diffuse, lorsqu’ils sont exécutés. Ici aussi tous les détails sont fournis aux lecteurs mais pas exactement pour les mêmes raisons. Si dans le cas des victimes la science permet aux journalistes de montrer l’étendue de l’horreur des meurtres commis, pour les tueurs, s’intéresser à l’autopsie signifie chercher une réponse scientifique à la déviance 77 des tueurs en série comme nous l’exposions dans le Chapitre 3. Ainsi le crâne et les mains de Dumollard sont savamment étudiées et exposés dans La Presse et Le Mémorial de la Loire182 ; et Le Courrier de l’Ain publie « L’Autopsie de Vacher »183 tandis que Le Constitutionnel rend public des conclusions sur « Le Cerveau de Vacher » qui remettent en doute sa folie184. Enfin, Le Matin nous offre ses observations sur le cadavre fraichement décapité d’Henri Pranzini : « Le corps de Pranzini est encore tiède. Il est d’une blancheur remarquable, d’une beauté de formes presque parfaite. Privée de la tête, l’encolure parait énorme. Les extrémités, pieds et mains sont d’une grande finesse »185. L’article se termine par un savant détail du poids de tous les organes de celui-ci, tous examinés et pesés lors de l’autopsie.

II. La science, un gage nouveau de légitimité ?

181 Le Matin, édition du 27/10/1897. 182 La Presse, numéro du 10/03/1862 ; Le Mémorial de la Loire, numéros des 12/03/1862 et 02/05/1862. 183 Le Courrier de l’Ain, édition du 01/01/1899. 184 Le Constitutionnel, numéros des 04 et 05/01/1899. 185 Le Matin, édition du 01/09/1899.

Nous avons vu que les journaux ont tendance à se tourner vers la science car il y a l’idée que celle-ci peut les aider à comprendre les tueurs en série. Mais la presse a-t-elle d’autres intérêts à se ranger du côté de l’expertise scientifique ?

1) Eloge de la science : foi en ce qu’elle dit des tueurs Les journalistes ne se contentent pas de retranscrire les conclusions des experts, ils en chantent les louanges. Le rédacteur du Matin, écrit ainsi le 31 Janvier 1906, dans son article sur l’affaire Weber, que « ce qui vraiment en [le procès] fait une grande journée, c’est que, grâce à la sereine et puissante intervention de la science, une lamentable erreur judiciaire nous aura été épargnée ». Les journalistes semblent avoir foi en la science quand il s’agit de tueurs en série et sont curieux de ce qu’elle peut expliquer des meurtriers. Le journaliste du Matin chargé de l’affaire Landru est ainsi fier d’annoncer dans le numéro du 30 Juillet 1920 que « Landru [a été] confondu par les experts » et que l’on « a pu, à l’aide de la science, reconstituer trois crânes, cinq pieds, cinq mains, déterminer que l’un des trois cadavres appartenait à une femme d’un mètre soixante ». Dans cet article, le chroniqueur semble convaincu que les scientifiques sont bien supérieurs aux tueurs. C’est pourquoi ils se rangent toujours du côté de leur avis. Par exemple, on apprend à la lecture d’un article sur Jeanne 78 Weber intitulé « L’Ogresse – Encore une fois elle a tué ! », qu’il a justement été titré ainsi par qu’il s’agit de la conclusion des médecins chargés de l’autopsie186.

2) La scientificité de la presse Pour la presse le discours scientifique est donc légitime pour comprendre les tueurs en série. C’est pourquoi, en plus de diffuser les rapports des experts, les journalistes emploient à leur tour un vocabulaire scientifique pour rédiger leurs articles. On y trouve d’ailleurs des champs lexicaux assez explicites – « constatations », « observations », « conclusions formelles », « preuves »187 … – ainsi que des morceaux d’articles rédigés comme des protocoles d’expérimentation scientifiques. Par exemple, pour la déposition de M. Lhôte, chimiste, dans le cadre de l’affaire Pel, Le Matin rappelle le rôle qu’il a joué de cette manière : « Le témoin a eu trois missions à accomplir : 1° Visiter le logement de Pel à Montreuil ; 2° Rechercher si dans le cadavre d’Eugénie Buffereau, il existe des vestiges de poison ; 3° Faire des essais de crémation », c’est-à-dire en utilisant une syntaxe et une typographie semblable à un protocole d’expérience. Pourquoi cette scientificité de la presse à

186 Le Matin, édition du 27/04/1907. 187 Le Matin, édition du 21/10/1907.

l’égard des tueurs en série ? Parce que ce vocabulaire scientifique, qui vient s’ajouter à la grande place donnée aux experts, permet aux journaux de partager la légitimité de la science et de garantir la véracité de leurs propos. C’est dans cette idée que les expériences scientifiques et les preuves sont d’une importance cruciale pour les journalistes. Plusieurs journaux étudiés partagent ainsi les mêmes expériences réalisées par des scientifiques ; la première pour démontrer comment Albert Pel a pu faire disparaitre plusieurs cadavres en les brûlant dans son poêle188 ; la seconde – réalisée sur un lapin – pour déterminer les causes de la mort du petit Bavouzet189.

Conclusion intermédiaire

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons dire que de 1850 à 1950, la presse participe au mouvement scientifique qui cherche à expliquer le phénomène criminel dans la seconde moitié du XIXème siècle. En parallèle du développement, des sciences criminelles qui recherchent un homo criminalis doté de caractéristiques particulières, les quotidiens 79 participent également à produire une vision « scientifique » du crime et du criminel190. Ce mouvement illustre en réalité une évolution globale de la société, à laquelle les journaux participent par de nombreuses occurrences du domaine scientifique dans leurs articles dédiés aux tueurs en série. Ainsi, en plus de donner plus de légitimité à leurs propos grâce à la science, nous avons pu voir dans ce chapitre un traitement et un regard de la presse différent sur les tueurs en série : un regard scientifique. On pressent donc ici un double rapport entre la presse et le public au sujet des tueurs en série : dans certains articles, les journalistes proposent une image simple et descriptive de la physiognomonie criminelle ; or, à d’autres, ils prennent un rôle plutôt pédagogique quant à leur public, avec des images plus scientifiques. Cette alternance se retrouve notamment dans une oscillation entre des illustrations que l’on trouve d’ordinaire dans les journaux (les portraits ou gravures des tueurs par exemple) et des illustrations scientifiques (photographies de preuves, échantillons d’écriture, analyses…) qui aurait été indisponibles au grand public sans l’intermédiaire de la presse191. D’ailleurs nous allons discuter dans le prochain chapitre du rôle d’intermédiaire de la presse entre les autres acteurs des grandes affaires.

188 Le Constitutionnel, numéro du 12/06/1885. 189 Le Matin, édition du 22/10/1907. 190 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », op. cit., p.205. 191 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », op. cit., p.83.

Chapitre 5 : Le comportement de la presse face aux autres acteurs des affaires

Dans les deux chapitres précédents, nous avons étudié le journalisme et ses liens avec la science dans le cadre des grandes affaires de tueurs en série. Il nous reste donc ici à étudier l’attitude de la presse vis-à-vis des autres intervenants essentiels : les policiers (enquêteurs) et les professionnels de la justice (juges, procureurs…).

I. Le point de vue des journaux sur la Justice :

Les forces de l’ordre et les professionnels de la justice apparaissent dans de nombreux articles sur les tueurs en série ; néanmoins, l’opinion de la presse sur les acteurs du judiciaire n’est pas toujours positive…

1) Entre défense…

Rigueur, efficacité et professionnalisme : La justice rend service à la société 80 Certains journalistes ont un avis positif sur la façon dont la justice traite les grandes affaires. Pour le chroniqueur du Courrier de l’Ain, les différents tribunaux chargés de démêler les faits de l’affaire Vacher ont effectué un travail très rigoureux, et « l’instruction si habilement dirigée par le juge de Belley », Emile Fourquet, n’a point chômé192. Le journaliste est également impressionné par la qualité du procureur de la République, M. Ducher, lors du procès de Joseph Vacher car selon lui il « s’exprime en une belle langue, claire, limpide, incisive. Il néglige absolument les théâtrales attitudes […] Dans la cause sensationnelle qu’il avait à soutenir, c’était l’écueil […] et il faut vivement l’en féliciter »193. Enfin, toujours selon le même chroniqueur, la justice a rempli son rôle et à rendu service à la société en la débarrassant de ce tueur en série. Dans l’article qui relate l’exécution de Vacher, il affirme que « Les jurés et les juges ont bien jugé » et que « c’est donc une œuvre de salubrité sociale que la justice de notre pays vient d’accomplir »194.

192 Le Courrier de l’Ain, édition du 15/10/1897. 193 Le Courrier de l’Ain, édition du 30/10/1898. 194 Le Courrier de l’Ain, numéro du 01/01/1899.

Représentations : juge et tueur, allégories du Bien et du Mal Cette défense de la justice transparait également dans les multiples représentations des tueurs face à leur juge. Ces illustrations se retrouvent dans plusieurs de nos affaires ; comme par exemple l’affaire Pranzini pour laquelle Le Monde Illustré et La Chronique Illustrée ont publié les gravures ci-dessous. La première représente Henri Pranzini face au juge d’instruction Guillot et la seconde illustre l’accusé face aux différents protagonistes de son procès.

« L’Affaire de la Rue Montaigne – Le prévenu Pranzini dans le cabinet de M. Guillot, 81 juge d’instruction », Le Monde Illustré 09 Avril 1887.

« Le Crime de la Rue Montaigne : Pranzini devant la Cours d’Assises – (Dessin d’après nature de M. L. Tinayre » Légende : « 1. L’Avocat Général, M. Raynaud ; 2. Le Président, M. Onfroy de Bréville ; 3. Pranzini ; 4. Un juge ; 5. Lecture de l’acte d’accusation […] »

Souvent dans ces articles illustrés, le tueur est représenté en opposition au juge comme une incarnation du Mal contre le Bien ; comme dans l’article du 31 Octobre 1897 du Progrès Illustré, qui met face à face Joseph Vacher et le juge Fourquet dans la gravure pour accompagner un article louant le travail du juge et dépeignant Vacher comme un « monstrueux criminel […] ayant des instincts pervers ». Vacher est représenté en position d’infériorité face au puissant juge.

« Vacher devant le juge d’instruction M. Fourquet », Le Progrès Illustré, 31 Octobre 1897.

Parfois cependant, cette dichotomie est inversée et le juge est à son tour considéré comme un monstre par la presse. C’est ce que l’on découvre dans l’affaire Jeanne Weber dans laquelle le juge d’instruction semble avoir des difficultés à prouver la culpabilité de la tueuse. Le journaliste du Matin donne son avis sur les pratiques du juge dans l’article du 02 Janvier 82 1908 intitulé « L’Affaire Jeanne Weber / Sous la griffe du juge / Envers et contre tous il la veut coupable ». Il y critique sévèrement le Juge Belleau chargé d’instruire l’affaire du meurtre d’Auguste Bavouzet : « Néanmoins, le vieux juge de Châteauroux, seul contre de pareils augures [l’avis des experts], annonce sa volonté inébranlable de renvoyer Jeanne Weber devant les Assises de l’Indre ». Selon lui, il « rêva d’une gloire inaccessible » et pensait pouvoir se faire un nom avec une grande affaire.

2) …Et doute : Cet exemple révèle en réalité un certain doute de la presse à l’égard de la justice, car les appréciations positives sur les juges ou les policiers ne sont pas majoritaires dans les articles traitant de nos affaires. Un manque d’efficacité Plusieurs journalistes n’hésitent pas à critiquer ouvertement leur lenteur ou leur inefficacité. Les journalistes du Matin avouent ainsi dans leur article du 23 Mars 1887 qu’ils préfèrent conduire seuls leur enquête sur Henri Pranzini, ils écrivent : « nous nous sommes bien gardés de faire contrôler cette nouvelle [celle de l’arrestation de Pranzini] au service de

la sûreté, où certainement nous n’aurions trouvé que des renseignements incomplets ou erronés […] bien persuadés que l’appui de la police ne pouvait que nous nuire dans nos recherches ». La presse critique aussi le travail des forces de l’ordre dans l’affaire Petiot, par exemple quand les forces de l’ordre arrêtent le mauvais Marcel Petiot en Avril 1944195, ou encore justement quand elles relâchent le criminel après une première arrestation. En effet, on apprend dans Le Petit Journal qu’à la période où il a commis tous ses meurtres, « le docteur Petiot sortait de prison ! » ; le journaliste ajoute : « On peut seulement regretter que les policiers n’aient pas cru alors devoir enquêter plus avant dans la vie du Landru de l’Etoile »196, compte tenu des crimes qui ont suivi. Les rédacteurs du Petit Journal dénoncent même quelques numéros plus tard « l’extraordinaire apathie des policiers qui, vingt fois auraient pu saisir le sinistre médecin et vingt fois l’ont laissé aller »197. Une justice biaisée ? Ces chroniqueurs – et ils ne sont pas les seuls – en viennent même à se demander si la justice n’est pas complice dans cette affaire. On peut lire deux jours plus tard, dans le numéro du 20 Mars 1944, une hypothèse selon laquelle Marcel Petiot aurait été un indicateur de police, ce qui expliquerait pourquoi il était encore libre après maints démêlés avec la 83 justice. Selon le journaliste « on l’aurait laissé en liberté, bien que son trafic de stupéfiants fût notoire, à condition qu’il livrât de temps en temps une affaire… ». On trouvait déjà cette idée de justice corrompue dans des articles à propos de l’affaire Albert Pel, notamment dans Le Monde Illustré. D’abord, dans l’édition du 18 Octobre 1884, le journaliste trouve que l’on « vient, dans ces affaires à ténèbres, poser tout à coup de biens étranges questions » ; en effet, à cette période de l’affaire, les enquêteurs interrogent les voisins d’Albert Pel au sujet d’une voiture, et leur auraient demandé s’ils avaient vu « il y a trois mois, à 9 heure 33 du soir », un homme monter dans une victoria. Pour le chroniqueur, cette question est absurde étant donné que personne ne serait capable de répondre à cette question de manière exacte et ajoute donc que « comme l’eau va toujours à la rivière, toujours la calomnie va à l’enquête ». Le numéro du 20 Juin 1885 va plus loin en accusant la justice de s’acharner sur Albert Pel sans lui donner les armes pour se défendre, en lui fournissant un avocat inexpérimenté :

« Comment, dans ce procès Pel, on avait désigné, au hasard de la fourchette, un jeune homme qui allait faire là ses preuves pour la première fois ! […] Vous n’avez pas le droit de faire représenter l’accusation par un orateur expert, tandis que la défense est représentée par un conscrit.

195 Ouest Eclair, 08/04/1944. 196 Le Petit Journal, 18/03/1944 197 Le Petit Journal, 18/04/1944.

[…] Ne nous donnez pas le désolant spectacle d’une justice où tout s’acharne contre un prévenu qui pourtant a encore le droit d’être innocent »

II. La guerre entre Presse, Police et Parquet :

Cette méfiance de la presse vis-à-vis de la justice ainsi que le passage au journalisme d’investigation, finissent par entrainer des conflits avec les forces de l’ordre dans la chasse à l’information.

1) Journalistes et enquêteurs : des relations compliquées La recherche constante de nouvelles informations… Comme nous l’avons développé dans le Chapitre 3, avec la naissance du journalisme d’enquête, la quête de la vérité sur les tueurs n’a jamais été aussi importante pour les journalistes. Cette recherche incessante se fait même parfois au péril de la presse et contre la loi. Par exemple, on apprend dans La Croix que « Le Matin [qui] avait publié l’acte d’accusation du procès de Pranzini avant l’ouverture des débats, est condamné à 200 fr. d’amende »198. Car, dans leurs investigations, les journalistes se retrouvent placés en directe 84 concurrence avec le travail des vrais enquêteurs, ceux de la police. Dans cette confrontation, la presse affirme toujours la véracité de ses propos face à ceux des forces de l’ordre. Toujours dans l’affaire Pranzini, le journaliste du Matin met en avant son enquête en ces termes : « Nous avons encore cette fois le regret de dire que nos renseignements ne concordent pas absolument avec ceux de la Préfecture et nous sommes obligés de maintenir l’exactitude des nôtres ». Compte-tenu de cette rivalité pour l’information, il n’est pas étonnant de voir apparaitre des conflits entre ces deux intervenants dans nos affaires de tueurs en série. …Entraine une guerre entre la presse, la police et le parquet pour l’exclusivité de la vérité On pourrait même parler de « guerre » entre la presse et les acteurs de la justice, lorsque l’on lit certains communiqués. Effectivement, dans son numéro du 1ier Avril 1887, Le Matin publie un communiqué de M. Guillot, juge d’instruction dans l’affaire Pranzini, dans lequel il accuse les journaux d’avoir publié des extraits d’interrogatoire de l’accusé qui seraient selon lui des « œuvres de pure fantaisie sous une forme destinée à leur donner une apparence de réalité aux yeux des personnes qui ne sont pas au courant des habitudes judiciaires ». Il affirme qu’« aucune pièce de procédure n’a été communiqué à la presse ». En réponse à ces accusations, Le Matin publie juste en dessous une réponse, dans laquelle il

198 La Croix, édition du 12/07/1887.

assure à ses lecteurs que ses renseignements ne sont pas inventés et bien véridiques, étant même issus de communications avec le service de la sûreté. En ce sens, les années 1885- 1889 sont des années bien singulières durant lesquelles les trois P – police, parquet et presse – se confrontent via des déclarations publiques et des pratiques parfois agressives. C’est aussi pendant ces années que les journaux importants de l’époque – Le Figaro, La Liberté, L’Intransigeant – coordonnent une sorte de « police journalistique » extrêmement coûteuse pour suivre l’affaire Henri Pranzini199. Justement, l’affaire Pranzini est la plus importante pour parler de guerre entre presse, police et parquet, car elle marque une période décisive lors de laquelle enquêteurs et journalistes se livrent à une lutte sans fin pour prélever des indices, trouver le coupable – car au départ de l’affaire on recherche encore le meurtrier – et offrir au public tous les détails de l’histoire ainsi que les noms des personnages. Les tueurs en série deviennent donc un véritable terrain d’affrontement pour le contrôle de l’enquête judiciaire200. L’affaire Pranzini nous permet d’en savoir plus sur les relations entre la presse et la police dans les grandes affaires de meurtres. Dans ses mémoires, le chef de la Sûreté à la Préfecture de Paris en 1887 – Marie-François Goron – fait d’ailleurs part des relations qu’il entretient avec les médias : 85

« Inutile de vous dire que les couloirs du palais sont pleins de reporters plus avides de nouvelles les uns que les autres : juges, substituts, commissaires, inspecteurs, garçons de bureaux, sont pressés de questions. Le rédacteur du Temps, Guyon, est au même hôtel que moi ; je suis aussi discret que possible avec lui, mais il me raconte une partie de ce qui est dit et fait au Palais, où il a des relations »201.

2) Un nouveau rôle endossé par la presse ? Cette rivalité nous permet également de souligner que par ces investigations et ces critiques des acteurs de la justice, les journalistes entendent challenger les forces de l’ordre et même les remplacer pour apporter de la lumière sur les affaires. En effet, la principale stratégie de la presse consiste non pas à concurrencer la police mais à la précéder : il faut devancer l’information ou plutôt en être la source première. Alors, lorsque le sous-chef de la Sûreté de Paris se rend à l’étranger pour retrouver la trace du meurtrier de la Rue Montaigne – Pranzini est alors recherché dans toute l’Europe – Le Siècle et Le Soleil organisent même une filature202. Ainsi, les meilleurs services de police se font distancier par

199 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.26. 200 Ibid., p.13. 201 Marie-François GORON, Les Mémoires, Paris, Ernest Flammarion, 1897., p.145. 202 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.26.

la presse dans cette affaire et, dans cette course à l’information, la police est souvent perdante. Par exemple, vous serez surpris d’apprendre que Goron apprend par un chroniqueur du Journal des Débats qu’Henri Pranzini a été arrêté à Marseille203. Le journaliste lui révèle l’arrestation par une dépêche envoyée par le correspondant marseillais du journal. Goron raconte du reste cette anecdote dans ses mémoires :

« J’étais stupéfait. Ainsi, c’était un journal qui nous apportait la nouvelle de l’arrestation de l’assassin de la rue Montaigne, ou tout au moins d’un complice qui recelait les bijoux volés ! Oh ! chinoiseries de l’organisation policière ! Sainte routine qui fait que la police ignore tous les progrès de la science et que le téléphone et le télégraphe ne profitent qu’aux voleurs, aux assassins… et aux journalistes… ! »204

Conclusion intermédiaire

En conclusion, étudier le regard de la presse sur les tueurs en série nous a également permis de mettre en lumière les rapports des journalistes avec les autres acteurs intervenants 86 dans ces affaires ; les experts scientifiques dans le chapitre précédent et ici la justice et les forces de l’ordre. Ces rapports sont souvent compliqués : la presse ne semble pas avoir confiance en les informations officielles et préfèrent mener une enquête parallèle aux forces de l’ordre, quitte à les doubler. Néanmoins, même si les relations sont souvent compliquées, la police et le parquet font de plus en plus confiance à la presse et ne doute plus de son pouvoir. Comme nous l’avons vu avec l’affaire Pranzini, les découvertes de la presse sont parfois instrumentalisées par les enquêteurs. Cependant, à cette époque, plus personne ne doute de l’impact des journaux. Lorsque le juge d’instruction marseillais ne parvient pas à retrouver un témoin capital dans l’affaire, il demande de l’aide aux journaux et y fait insérer une note demandant à celui-ci de se présenter à son bureau205. Nous pouvons donc conclure à l’issue de ce chapitre que les chroniqueurs, par leur rôle de journalistes d’investigation, sont aussi des acteurs essentiels dans les grandes affaires de tueurs en série, notamment à partir des années 1880. Cependant, cela veut-il dire que leur récit n’est qu’une exposition de faits et de preuves ? Ou y a-t-il une part de jeu entre réalité et fiction ?

203 Ibid., p.19. 204 Marie-François GORON, Les Mémoires, op. cit., p.17. 205 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.20.

Partie III - Raconter le tueur en série : le fragile équilibre entre information et fiction

87

Chapitre 6 : Des tentatives de traiter le tueur avec neutralité…

Par son rôle d’informatrice, de dénicheuse de la vérité, et sa volonté comprendre le problème sociétal que sont les tueurs en série, la presse se doit de défendre et de révéler les faits dans leur réalité tout en restant neutre. C’est ce que l’on observe au premier abord.

I. Un traitement développé et minutieux…

La presse essaye de fournir le traitement le plus précis et détaillé possible des affaires de tueurs en série afin que leurs lecteurs continuent à croire en la véracité des informations. Les journalistes – même ceux des journaux à sensation – ne négligent donc pas les faits et le sérieux. 1) Une retranscription précise et cohérente des faits : L’étendue et la précision des articles Comme nous le disions, les journaux souhaitent donner le plus d’informations possibles à leur public ; et cela se retrouve dans l’étendu des articles. En général, les articles sur les affaires de tueurs en série sont assez longs – surtout ceux traitant les procès et exécutions et contiennent tous les détails que les journalistes ont pu glaner. C’est pourquoi 88 on trouve dans la presse des informations vérifiées, comme la liste détaillée des victimes et des meurtres ainsi que de fréquents rappels chronologiques des faits. Par exemple, Le Petit Journal publie un article sur l’affaire Vacher revenant en détail sur « sa jeunesse », sa « vie errante », et « le nom de ses victimes », avec leur âge, leur dernière adresse, la date de leur assassinat, le lieu où on les a retrouvées ainsi que les constatations réalisées sur leur corps. Le journal présente ces informations précises de cette manière :

Extraits de l’article « Joseph Vacher, l’Eventreur », Le Petit Journal, 13 Octobre 1897

Le Petit Journal n’est pas le seul à avoir fourni autant de détails sur les pérégrinations et les victimes de Joseph Vacher. On peut lire des articles similaires dans Le Matin206, Le Courrier de l’Ain, Le Salut Public207, Le Constitutionnel208, Le Petit Parisien… De plus le même constat peut être fait pour nos autres affaires. Ainsi, dans l’affaire Philippe, Le Constitutionnel proposait déjà un rappel chronologique de tous les faits imputés à Joseph Philippe, le tueur de prostituées. Un article sur deux pages dans le numéro du 26 Juin 1866, résume donc à l’occasion du procès du tueur, les nombreux meurtres qu’il a commis sur des filles de joie d’Avril 1864 à Janvier 1866. Le journaliste fait notamment le récit détaillé des deux derniers meurtres, celui de « la fille Bodeux », le 8 janvier 1866 et la tentative de meurtre sur « la dame Midy » le 11 janvier 1866. En outre, au-delà de ces multiples détails, la presse offre également aux lecteurs une information en temps réelle – pour les procès et les exécutions – gage de vérité. En effet, les journaux se renseignent jour par jour et heure par heure sur une affaire en cours et les chroniqueurs assurent souvent qu’ils apprennent « à 89 l’instant »209 tout ce qu’ils s’apprêtent à révéler. Le journaliste chargé de couvrir l’affaire Troppmann pour le Petit Journal l’affirme, il a « suivi pas à pas ce drame terrible […] chaque jour [il a] rendu compte, heure par heure, pour ainsi dire, de tous les incidents et de toutes les émouvantes péripéties de cette sanglante tragédie »210. Il n’est donc pas étonnant que les journaux fournissent les détails des procès et des exécutions avec des heures précises. Ainsi, l’on sait grâce au Constitutionnel que l’exécution de Philippe a eu lieu à « six heures du matin », place de la Roquette ; que le prisonnier fut réveillé à « cinq heure et demi » avant de faire sa dernière toilette211. L’importance des preuves Nous les avons déjà mentionnés dans le chapitre sur le journalisme mais les preuves ont beaucoup d’importance pour les journaux car elles expriment la réalité des informations énoncées. C’est pourquoi la presse utilise beaucoup de schémas, plans explicatifs et photographies. Par exemple, Le Journal Illustré accompagne son article du 10 Avril 1887

206 Numéro du 09 Novembre 1897 207 Numéro du 27 Octobre 1898. 208 Editions des 22/10/1897 et 06/11/1897. 209 Affaire Jeanne Weber, Le Matin, édition 06/10/1908. 210 Le Petit Journal, numéro du 18/01/1870. 211 Le Constitutionnel, édition 25/07/1866.

sur l’affaire Pranzini d’un plan de l’appartement d’une des victimes, Madame de Montille, où l’on peut voir la position des corps des trois victimes telles qu’elles ont été découvertes :

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« Le Crime de la Rue Montaigne : plan de l’appartement occupé par Marie Regnault », Le Journal Illustré, 10 Avril 1887. La tâche à droite représente le « cadavre de Marie Regnault » dans sa chambre, tandis que celui qui se situe dans la « Chambre de bonne » au milieu à gauche est celui d’« Annette Grémeret » ; le rectangle dans cette même pièce est le lit de la fille de cette dernière, Marie- Louise, dans lequel le cadavre de la petite fille a été retrouvé.

Les photographies, en particulier, ajoute un ingrédient supplémentaire qui participe à forger la véracité journalistique. Elle permet la reconnaissance et l’identification ; et donne également l’impression d’apporter une preuve. Pour les contemporains, l’image ne peut mentir212. C’est pour cela qu’avec les nombreux progrès techniques mis à leur disposition, les journalistes publient de nombreuses photographies, notamment des lieux importants de leur enquête, pour illustrer leurs articles. Ainsi, L’Humanité

212 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.25.

illustre un article sur l’incarcération de Jeanne Weber avec une photographie de la prison où elle est enfermée213. Dans la même idée, le reporter du Matin offre dans son article du 1ier Décembre 1921, la preuve de sa présence lors de la dernière audience du célèbre Landru, avec des photographies de la salle lors du vote des jurés ou encore de la réaction du tueur en série à l’annonce du verdict.

Enfin, dernier exemple, les photographies de l’immeuble particulier de Marcel Petiot lors 91 des fouilles, offertes aux lecteurs de l’époque par Le Matin et Le Réveil du Nord :

« Une vue de la cour de « Un enquêteur examine le « On retire des débris l’hôtel, avec à gauche, calorifère dans lequel le Dr de corps de la chaux », l’entrée du garage », Le Petiot brûlait ses victimes, Le Le Réveil du Nord, 15 Matin, 15 Mars 1944. Réveil du Nord, 14 Mars 1944. Mars 1944.

213 L’Humanité, édition du 12/05/1908.

Le traitement des journaux est identique Enfin, ce qui nous fait dire ici que le traitement de la presse – du moins quand il s’agit des faits en eux-mêmes – est sérieux et relativement neutre, c’est que les différents quotidiens étudiés publient des articles très similaires, quand ils ne publient pas des extraits d’autres journaux. Par exemple, pour l’affaire Vidal nous avons étudié les deux journaux principaux du Sud-Est de la France, Le Petit Provençal et Le Petit Marseillais qui se sont révélés produire un traitement quasiment identique de l’affaire, particulièrement pour les articles sur le procès214. De même, quand il s’agit d’extraits d’articles concernant le procès d’Hélène Jégado, on retrouve des morceaux d’articles mots à mots similaires dans différents journaux215. Le traitement des journaux est également conforme entre eux du point de vue des papiers diffusés, car ils publient les mêmes documents officiels. Toujours dans l’affaire Jégado, tous les journaux qui se saisissent de l’affaire diffusent l’acte d’accusation lu lors du procès, la lettre de l’Abbé Tiercelin contenant la confession de la tueuse avant son exécution216. De même, l’acte d’accusation lu au procès de Martin Dumollard est retranscrit intégralement et de la même façon par Le Constitutionnel et La Presse dans leurs éditions 92 du 30 Janvier 1862 ; tandis que Le Constitutionnel et Le Matin diffusent l’acte de décès officiel de Pranzini après son exécution217. Enfin, plusieurs journaux publient la même « Lettre « A la France » de Joseph Vacher, datée du 7 Octobre 1897 »218.

2) Un traitement sérieux Une volonté de montrer la légitimité de son propos Nous l’avons déjà démontré avec l’usage de la science que font les journaux mais ces derniers ont une réelle volonté de mettre en avant leur légitimité. C’est pourquoi, certains journalistes assurent clairement la véracité de leur propos à leur public avec des formules telles que « voici quelques détails sommaires dont je vous garantis l’exactitude »219. En outre, les journaux assurent aux lecteurs la primauté de leur information. Par exemple, La Croix affirme dans son édition du 31 Mars 1887 qu’elle fut la première à confirmer la culpabilité de l’assassin Pranzini. On retrouve la même attitude chez Le Petit Marseillais

214 Le Petit Marseillais et Le Petit Provençal, éditions des 04,05,06/11/1902. 215 Numéro du 19/12/1851 du Journal des Débats et numéro du 18/12/1851 de La Gazette de France - Numéro du 29/02/1852 du Constitutionnel et numéro du 27/02/1852 du Conciliateur de Rennes – Numéro du 18/12/1851 dans Le Siècle et numéro du 15/12/1851 de La Gazette. 216 Editions des 01,02/03/1851 de La Gazette de France, Le Journal des Débats, Le Conciliateur de Rennes. 217 Le Matin, édition du 01/09/1887 et Le Constitutionnel, numéro du 02/09/1887. 218 Le Courrier de L’Ain, édition du 15/10/1897 ; Le Petit Journal, numéro du 16/10/1897. 219 Affaire Dumollard, Le Mémorial de La Loire, édition du 06/08/1861.

dans l’affaire Vidal, quand il affirme le 04 Janvier 1902 que « Le Petit Marseillais, le premier, avait établi le rapprochement » entre le crime d’Eze et le crime de Malmousque. Un traitement juridique très présent Enfin, certains journaux démontrent le sérieux de leurs articles en insistant sur les éléments juridiques des affaires, même s’ils ne sont pas spécialisés dans ce domaine. Ce traitement transparait notamment lors des procès de nos affaires, auxquels les journaux consacrent en général leur « Chronique des Tribunaux ». Ces chroniques sont présentés de manière officielle, avec une retranscription sous forme de dialogues avec tirets ainsi qu’un titre toujours identique : lieu de la Cour d’Assises, nom du président de la Cour, jour de l’audience, nom de l’affaire et chefs d’accusation. On trouve ces chroniques pour chacune des affaires de tueurs en série et dans presque tous les journaux. Voyez ci-dessous un exemple de la colonne « Tribunaux » du Temps, publiée lors du procès de l’affaire Troppmann, le 30 Décembre 1869. De plus, au-delà des chroniques judiciaires, les journaux

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produisent d’autres articles en employant un vocabulaire très juridique qui leur permet d’affirmer implicitement le sérieux de leurs informations. En effet, les journalistes mentionnent souvent le « dossier de l’affaire » ; le « parquet de la cour » ; le « procureur général [qui] a dressé le réquisitoire » ; « la chambre des mises en accusation » ; « les termes

de l’arrêt »220 ou encore le « système de défense »221 des accusés. D’autres articles sur nos tueurs reviennent même en détails sur la législation française existante à l’époque ; c’est le cas par exemple de l’article sur l’exécution de Troppmann que Le Petit Journal publie le 18 Janvier 1870 et qui rappelle aux lecteurs toutes les lois passées en France sur la peine de mort de la toute première jusqu’en 1869.

II. …A l’épreuve des oppositions politiques :

Si sur le fond le traitement des journaux parait plutôt neutre et finalement assez homogène entre les quotidiens, nous pouvons en réalité observer quelques variations en fonction de l’orientation politique des journaux étudiés.

1) Le traitement des affaires par les journaux dépend de leur orientation Même si cela ne concerne pas la majorité des articles étudiés dans le cadre de ce mémoire, certains laissent transparaitre un traitement spécifique selon si le journal ou le rédacteur sont politiquement affiliés à gauche, à droite, à la sphère conservatrice ou bien catholique. 94 Journaux à tendance de gauche On peut identifier chez les journaux socialistes un discours pour la défense des droits de l’homme et du citoyen dans les grandes affaires de tueurs en série. D’ailleurs, dans le journal socialiste L’Humanité, certaines actualités sur l’affaire Jeanne Weber se situent dans la colonne des « Communications diverses » sur la « Ligue des Droits de l’Homme […] Section de Pantin »222, qui demande fin Octobre 1907 la remise en liberté de cette dernière. Le journal affirmera même un peu plus tard que Jeanne Weber a été emprisonnée pour un crime qu’elle n’a pas commis ; ce qui conduit L’Humanité à critiquer ouvertement dans son article du 1ier Décembre 1907, Georges Clémenceau, alors ministre de l’Intérieur : « Clémenceau, ministre, ne parla-t-il pas quelque jour de la liberté individuelle et des droits sacrés de la personne ». Cette confrontation peut s’expliquer par le contexte de dure répression des grèves qui éloigne Clémenceau des socialistes ; d’autant plus que Jeanne Weber est issue d’un milieu très modeste, ce qui peut expliquer le soutien dont elle bénéficie de la part des journaux républicains et socialistes. En effet, on peut lire un discours semblable dans La Petite République, journal républicain puis socialiste, particulièrement dans

220 On trouve tout ce champ lexical dans le numéro du 19/12/1861 du Mémorial de la Loire. 221 Le Mémorial de la Loire, numéro du 14/11/1861. 222 L’Humanité, édition du 30/10/1907.

l’édition du 20 Novembre 1907. Le chroniqueur affirme dans cet article qu’« il serait temps de mettre un terme aux souffrances de cette femme, victime […] des coïncidences […] de la haine publique » et qu’« il faudrait en finir et arracher cette femme de la prison où la tient quelque obscur magistrat de province, inconsolable à la pensée de voir lui échapper « une belle affaire » ». Dans le discours de ces deux journaux de gauche, Jeanne Weber est une victime de la justice et ses droits doivent être défendus (à cette époque il y a peu de preuves contre elle et les experts prônent son innocence). Journaux conservateurs et à tendance de droite Les journaux conservateurs et/ou orientés plutôt à droite tiennent-t-ils le même discours ? Pas vraiment, ils ont plutôt tendance à juger sévèrement les tueurs en série et à les voir comme une épine dans le pied de la nation. Notre premier exemple est le journal conservateur La Presse, dont le traitement de l’affaire Dumollard insiste sur son appartenance à une basse classe sociale et son instruction inexistante. Dans l’article du 08 Février 1862, le journal part de l’observation que Martin Dumollard ne sait pas lire, pour affirmer que « c’est toujours parmi les malheureux dont l’enfance a été le plus négligée, dont aucune instruction n’a dégrossi l’intelligence, que l’on rencontre ces natures sauvages, ces instincts grossiers et féroces, cette insensibilité stupide, cette absence complète de sens 95 moral ». Pour le journaliste de La Presse, les tueurs en série sont donc des individus peu évolués, non-instruits, sauvages qui justement démontrent selon lui le manque d’instruction des classes populaires. En outre, le journal de droite et antirépublicain Le Gaulois utilise l’affaire Jeanne Weber pour démontrer que les criminels, en particulier ceux atteints d’insanité, sont source d’insécurité et de dangerosité car ils ne sont pas enfermés tant qu’ils n’ont pas été pris sur le fait, à l’instar de la tueuse : « Vous ignorez donc que les fous confirmés ont seul, droit à l’internement […] Tant que Jeanne Weber n’avait pas égorgé un enfant au vu et au su de tout le monde, on ne pouvait l’hospitaliser dans un cabanon »223. Par cet article, Le Gaulois dénonce non seulement l’insécurité créée par ces potentiels tueurs en liberté mais également un disfonctionnement de la Justice et dans la prise en charge des « aliénés ». Enfin, dernier exemple, pour le journal de droite nationaliste et conservateur L’Echo de Paris, les multiples affaires de tueurs en série donnent à la nation française une mauvaise réputation à l’étranger. Dans un article rédigé, le 27 Février 1922, après l’exécution de Landru, le journal mentionne la célébrité du sinistre tueurs à l’étranger ; « l’Espagne, l’ardente et sombre, a fait sur l’égorgeur un drame : Les Crimes de

223 Le Gaulois, édition du 13 Mai 1908.

Landru ; « l’Italie [l’a découpé] (c’est bien son tour) en feuilletons plus plaisants : Les Douze « Fiancées » de Landru ». Seulement, pour le journaliste de L’Echo de Paris, cette réputation à l’étranger n’a rien de drôle et donne une mauvaise presse aux français ; eux qui selon lui passent « déjà pour un peuple léger » vont désormais « faire figure d’un peuple de scélérats ». Journaux catholiques Enfin, nous avons étudié nos affaires au prisme d’un journal catholique et conservateur, La Croix, et il s’avère que ce choix éditorial transparait dans la façon dont le journal traite nos tueurs en série. On pourrait penser qu’un journal comme La Croix refuserait de publier des articles sur des affaires portées par le vice – « où il n’y a guère à fortifier l’âme » – pourtant le journal couvre nos grandes affaires et laisse le choix à ses lecteurs de lire ou non, ajoutant même qu’« il est mieux de [les] lire dans un bon journal que dans les autres »224. Néanmoins, la religion transparait souvent dans les articles – ou plutôt le refus de la religion – par exemple, Albert Pel est décrit comme le « type du citoyen de la société sans Dieu, qui appliquait la science, l’habilité du langage et le vice à faire disparaitre ses victimes »225. De plus, pour le journal, dans cette affaire, « la foule s’est mise à la hauteur, 96 et […] la laïcisation de la société avance à grands pas »226. La question de l’âme revient aussi très souvent en relation avec les tueurs en série. Dans un article sur l’affaire Pranzini, La Croix insiste sur le fait que « les deux tentatives de suicide de Pranzini, […] les troubles, les mensonges et les contradictions de cet homme » sont de biens lourdes charges pesant sur l’âme d’Henri Pranzini227. Ainsi, dans l’article revenant sur l’exécution de ce dernier le journal va même jusqu’à assurer sa « damnation » ; Pranzini faisant partie selon La Croix des « amis du diable »228. Enfin, l’orientation catholique du journal se manifeste dans sa condamnation de toutes les nouvelles expériences de médecine légale réalisée sur le corps des criminels. Dans l’article du 23 Septembre 1887, La Croix réprouve celles qui ont été pratiquées sur le cadavre de Pranzini : « Le corps du décapité […] a été enlevé et déclassé comme cadavre respecté, pour devenir pièce anatomique […] sans aucun privilège humain […] enfin, les expériences les plus libres achevées, on a jeté les débris dans un seau… »229.

224 La Croix, édition du 12/06/1885. 225 La Croix, numéro du 13/06/1885. 226 La Croix, édition du 02/09/1885. 227 La Croix, édition du 25/03/1887. 228 La Croix, numéro du 02/09/1887. 229 La Croix, édition du 23/09/1887.

Cependant, les journaux avec une orientation religieuse ne sont pas les seuls à considérer les meurtriers comme des âmes damnées. En voici un exemple ci-dessous avec la Une de L’Express de Lyon Illustré du 31 Décembre 1898 :

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Cette illustration représente Joseph Vacher assis dans sa cellule, entouré d’une représentation allégorique de l’enfer qu’il va rejoindre en étant exécuté le jour même, la mort étant représentée par un squelette avec une faucille. A l’arrière-plan, dans une vision effrayante, on distingue des cadavres ou peut-être des âmes condamnées comme la sienne. Cette couverture laisse clairement transparaitre la notion religieuse du jugement dernier ; Joseph Vacher va devoir payer la dette de ses multiples meurtres et autres crimes.

2) Les tueurs, un motif de guerre entre journaux ? Compte-tenu de ces divergences de point de vue sur les affaires de tueurs en série, les meurtriers apparaissent même parfois comme une raison de critiquer le traitement d’autres journaux. Ainsi, Le Temps profite d’un article sur l’affaire Troppmann pour

provoquer Le Figaro, en critiquant son article sur le procès à venir. Le journaliste écrit : « Ce titre : « Affaire Troppmann, - la Cour d’Assises de demain », bien en vue sur la première page du Figaro ce matin, allèche agréablement le regard. Un esprit évoqué de l’autre monde par un médium aurait-il dicté à Figaro les réponses que fera demain l’intéressant Troppmann ? »230. La critique repose essentiellement sur le fait que selon Le Temps, Le Figaro a utilisé un titre accrocheur pour ne proposer aux lecteurs que de simples notices biographiques. Autre exemple, La Croix qui s’attaque à La Lanterne et à L’Intransigeant, lorsqu’ils prennent « hautement sous leur protection »231 Albert Pel et par là-même « emploient tout leur cœur à empoisonner les âmes et font des milliers de victimes »232. A l’inverse, L’Humanité accuse les autres journaux de ne pas avoir respecté la présomption d’innocence en ce qui concerne l’affaire Jeanne Weber (à la période où les experts n’avaient pas pu prouver sa responsabilité). Le rédacteur écrit ainsi le 29 Juillet 1907 que contrairement à L’Humanité, qui a « su dans cette affaire, conserver la réserve qui convenait », ses confrères « ont eu moins de retenue et [qu’]il en est qui, véritablement, on fait campagne contre Jeanne Weber jusqu’au jour où son arrestation leur donna satisfaction ». Dans d’autres articles, L’Humanité affirme ainsi que la presse a absolument voulu voir Jeanne Weber comme une 98 Ogresse, « pour en conter la terrible histoire à ses petits lecteurs »233. Pour le journal il s’agit de « sottise journaliste » et il se félicite d’avoir montré plus de professionnalisme que le reste des journaux234.

Conclusion intermédiaire

Dans ce chapitre nous avons donc essayé de montrer qu’au premier abord le regard de la presse sur les tueurs en série peut paraitre neutre et fondé sur volonté d’information : les faits énoncés – toujours très détaillés - sont presque toujours corrects et conformes d’un journal à un autre. Nous pouvons donc dire que le traitement des journaux repose sur la réalité. Cependant, comme nous avons pu le voir dans un second temps, il existe certaines variations de traitement autour de ces mêmes faits. Une orientation politique affirmée peut entrainer un discours particulier sur les tueurs en série – même si les informations restent les

230 Le Temps, édition du 28/121869. 231 La Croix, édition du 13/06/1885. 232 La Croix, numéro du 16/06/1885. 233 L’Humanité, numéro du 01/12/1907 et 26/12/1907. 234 L’Humanité, édition du 29/07/1907.

mêmes. En effet, par leur nature liée aux faits-divers, les grandes affaires de tueurs en série appellent à un récit qui ne peut se contenter d’une simple retranscription neutre des faits. C’est ce que nous allons analyser dans le prochain chapitre.

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Chapitre 7 : …Qui fait face à l’évidence d’une réalité souvent détournée et enjolivée

Si les journaux de l’époque fournissent des informations très précises sur nos affaires de tueurs en série ces informations sont en réalité plus rarement diffusées telles quelles que réorganisées pour être mieux reçues par les lecteurs. En effet, il faut se souvenir de la priorité de la presse : attirer des lecteurs et leur fournir un contenu plaisant et divertissant. Comment cela se manifeste-il ?

I. Retranscrire, n’est-ce pas déjà réécrire ?

Une fois leur enquête terminée, les journalistes doivent écrire leurs articles pour rendre compte de leurs trouvailles à leur public. Mais cette étape n’éloigne-t-elle déjà pas leurs écrits de la réalité des faits ? 1) Les journaux font des choix : Restructuration du récit : Les journalistes sont forcés de faire des choix, ils ne peuvent pas tout dire. Ils doivent donc réaliser des coupes et restructurer leur récit. Par ces procédés, ils finissent par mettre 100 en avant certains éléments au détriment d’autres. Ainsi par exemple, le chroniqueur du Matin en charge de couvrir le procès d’Henri Vidal fait le choix de ne pas retranscrire tel quel le réquisitoire du procureur général mais seulement les points essentiels235. Ces coupes peuvent s’expliquer par un manque de place dans les journaux étant donné que les quotidiens ne font souvent pas plus de quatre pages. De plus, les coupes sont nécessaires à la bonne compréhension des lecteurs. Autre possibilité de restructuration du récit : l’usage de sous- titres. Ces sous-titres ont vocation de résumer ou d’expliciter au lecteur le paragraphe correspondant et permettent de donner plus de logique et de cohérence au communiqué. Enfin, la restructuration de l’information apparait également dans la modification des propos recueillis par les journalistes. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, l’usage des interviews devient progressivement la norme dans les articles de presse or, parfois pour une bonne compréhension du public les journaux modifient ces propos. Les multiples interviews de la tueuse Jeanne Weber en sont un exemple parfait. Pour l’article du 06 Janvier 1908, le chroniqueur du Matin se rend en prison pour s’entretenir avec Jeanne à la veille de sa libération, faute de preuves. On trouve donc dans l’article cet entretien présenté sous forme

235 Le Matin, édition du 06/11/1902.

de dialogue, avec tirets et guillemets, faisant bien comprendre au public que ce sont les propos de Jeanne Weber, or cette dernière qui est rappelons le, illettrée, semble s’exprimer avec un vocabulaire plutôt riche, dans des tirades semblant tirées d’une véritable tragédie : « Libre ! Serait-ce-donc possible ? Depuis si longtemps que je suis ici, dans cette prison, on m’avait tant de fois laissée voir cette liberté […] je n’ose plus y croire ! […] si demain encore je dois être désillusionnée, épargnez-moi cette suprême déception ! ». Mise en avant de certains faits et éléments : donner davantage de significations Certains procédés permettent aux journalistes de mettre en relief les informations ; c’est notamment le cas du choix des titres. Celui-ci a une grande importance quand on étudie la presse, et les « grands titres » en sont particulièrement l’illustration car selon la combinaison des énoncés qu'ils incarnent, la structure et la signification de l'information associée peuvent varier236. Les choix peuvent d’abord être réalisé au niveau du contenu. C’est particulièrement visible dans des affaires avec un nombre de victimes très élevées et de multiples découvertes lors de la phase d’instruction, comme les affaires Dumollard, Landru ou Petiot. Dans ces affaires les titres donnent déjà un certain nombre de détails comme on peut le voir dans le titre « Landru interrogé, ergote, se contredit, n’explique rien 101 - Et nous en sommes à la douzième disparue »237 tiré du Petit Parisien ou encore « Dans la cuisine de Landru / Le secret de la villa de Gambais / On a découvert dans un poêle un fragment de crâne calciné ! Et dans le sous-sol des traces de sang »238 trouvé dans Le Matin. Ensuite, la mise en relief des faits passe aussi par la typographie. Les journaux jouent avec les choix typographiques – type d’écriture, taille, gras, italique, majuscules – pour mettre en avant les points essentiels. En voici quelques exemples :

« Le Procès Pranzini… », Le Constitutionnel, 15 Juillet 1887

236 Georges AUCLAIR, « Meurtre, inceste et énigme. Étude comparée de presse », op. cit., p.215. 237 Le Petit Parisien, édition du 28/04/1919. 238 Le Matin, numéro du 30/04/1919.

« Les « Affaires Mobilières de Landru », Le Matin, 11 Novembre 1921.

« Dans la prison de Versailles Landru reste énigmatique et mystérieux », Le Matin, 6 Novembre 1921.

Une, La Croix du Nord, 5 Avril 1944.

102 2) Les journalistes n’hésitent pas à prendre position : Au-delà de ces choix structurels, ce qui nous fait dire qu’il est loin d’exister un seul discours sur les affaires de tueurs en série – malgré des informations communes – c’est que chaque journaliste s’investit plus ou moins dans ses articles, et interpelle les lecteurs à sa manière. Ainsi, certains rédacteurs s’engagent en écrivant à la première personne239 et en mêlant récit « officiel » avec des commentaires personnels240. D’ailleurs des chroniques sont créés dans la presse spécialement pour cela : dans les années 1890 naissent par exemples les chroniques « Bloc-notes parisien » (Le Gaulois), « Notes d’un Parisien (Le Figaro) ou encore « Propos d’un Parisien (Le Matin), dans lesquelles des journalistes sont chargés de réagir aux faits, petits ou grands (nos affaires incluses), de l’heure et de les commenter241. Un avis tranché et affirmé Il n’est donc pas rare que les chroniqueurs délivrent leur avis – en plus des actualités à proprement parlé – sur les tueurs en série. Souvent, le ton de ces commentaires est assez moqueur envers les meurtriers. Le journaliste du Charivari n’a aucun problème à souligner

239 Affaire Pel, Le Figaro, édition du 13/07/1885. 240 Affaire Landru, Le Matin, numéro du 08/11/1921 – Article écrit par Colette. Les numéros du 09 au 12/11/1921 sont aussi représentatifs. 241 Denis PERNOT, « Journalisme d’opinion et journalisme d’idées : des « Propos d’un parisien » d’Henri Harduin aux « Propos du dimanche » d’Alain (1903-1904) », Romantisme, 2009, n° 144, no 2, pp. 81‑94., p.82.

le manque d’intellect de Joseph Philippe, qui selon lui « a assez peu de ressources dans les idées pour se livrer à l’assassinat exclusif des filles publiques et invariablement avec un rasoir » et ne surprend personne en n’en ayant pas davantage dans ses moyens de défense242. De la même manière, le journaliste du Monde Illustré chargé de couvrir l’affaire Landru, n’hésite pas à donner son avis sur le célèbre tueur en série, en allant à l’encontre d’autres discours. Pour lui, Landru n’a rien d’extraordinaire ou d’exceptionnel :

Il est un peu un « nouveau criminel », comme il y a des nouveaux riches. Pas de sentiments nobles dans ses aventures, pas l’excuse de la moindre passion vraie dans ses meurtres […] Aucune envergure en ses actes ; l’incinération dans un petit fourneau modeste, pas même un poêle de marque ! […] Troppmann, Vidocq, les grands ténors de l’assassinat et de haut vol ne tenaient pas de carnet ! »243 On trouve presque le même portrait dans un article du Figaro, dans lequel le journaliste insinue cyniquement qu’il a seulement copié son prédécesseur Albert Pel : « Je ne voudrais pas faire à Landru la moindre peine […] mais il n’est pas le premier criminel qu’on ait accusé d’avoir brûlé des femmes dans un poêle […] son procédé, j’ai le regret de lui dire – car 103 Landru est assez prétentieux ! – n’est point nouveau, pas plus que son système de défense »244. Condamner ou défendre l’accusé ? En conséquence, comme les journalistes laissent apparaitre leurs avis tranchés et affirmés dans leurs articles, cela peut donner lieu à un discours très changeant d’un journal à un autre vis-à-vis des tueurs en série (parfois même d’un article à un autre au sein d’un même journal). D’abord, la presse a tendance à condamner très rapidement un suspect, avant même la fin de l’instruction – comme cela a pu être le cas dans l’affaire Pranzini245 - quitte à changer d’avis très rapidement. Prenons l’exemple de l’affaire Jeanne Weber dans le journal Le Matin. En Janvier 1908, Le Matin défendait la pauvre Jeanne Weber prise sous les griffes du juge et victime d’une erreur judiciaire246 ; tandis qu’en Mai 1908, le journal annonce en Une que l’Ogresse vient de tuer sa septième victime et crie au scandale (« Pourquoi ne l’a-t-on pas interné ? »)247. Encore plus représentatif, on trouve dans Le Matin un article intitulé « Jeanne Weber ne serait pas folle » le 28 Octobre 1908, qui laisse place à

242 Le Charivari, édition du 02/06/1866. 243 Le Monde Illustré, numéro du 12/11/1921. 244 Le Figaro, édition du 07/11/1921. 245 Le Matin, numéros des 25,26/03/1887. 246 Le Matin, édition du 02/01/1908. 247 Le Matin, numéro du 10/05/1908.

« Jeanne Weber serait reconnue folle » le 25 Novembre. En un mois et demi le journaliste s’est déjà contredit. Comme nous l’avions analysé au chapitre précédent, ces avis divergents sur la culpabilité peuvent s’expliquer parfois par un engagement politique spécifique : les journalistes affiliés à des journaux républicains ou socialistes ont plus de chance de se ranger du côté du meurtrier (jusqu’à ce qu’il soit véritablement condamné) que les autres. Ainsi en prenant encore l’affaire Jeanne Weber, cette fois-ci en 1907, Le Matin, Le Petit Journal ou Le Petit Parisien se positionnent plutôt contre Jeanne tandis que L’Humanité et La Petite République la défendent (ou du moins ne la condamne pas directement). Nous voyons donc bien ici que même si les journaux partagent les mêmes sources et les mêmes informations, le traitement des tueurs en série est difficilement objectif ou neutre.

II. A Affaires exceptionnelles, récit sensationnel ?

Ce traitement n’est donc pas neutre par la réécriture des évènements pour les adapter au contexte du journal – qui devient de manière croissante une tribune ou partager et échanger des avis – mais également parce que c’est un fait : le crime appelle le sensationnel.

104 1) Des procédés pour jouer sur l’inédit et donner de l’attrait aux « affaires » Evidemment, il faut entretenir l’intérêt, faire en sorte que le souffle trouvé au début de l’affaire se poursuive sans relâchement. Cependant c’est un effort de chaque jour248. C’est pourquoi, tous les journaux que nous avons étudiés ont suivi, à un moment ou un autre de nos affaires, les recettes que nous allons énumérer ici. Tous ces procédés servent à donner au public ce qu’il est venu chercher, de l’extraordinaire, du choc, des sensations. Jouer sur le mystère D’abord, d’après la presse que nous avons épluchée, nos grandes affaires sont toujours les plus mystérieuses. Il est donc très commun de trouver au début des articles des accroches semblables à « rarement affaire plus mystérieuse a été soumise à la justice ; rarement de telles présomptions se sont dressées contre un accusé »249. En outre, les journaux insistent toujours sur le côté extraordinaire de l’affaire. Dumollard est donc d’après Le Mémorial de la Loire « l’un des plus grands criminels de [son] époque »250 ; tandis que selon Le Temps, les « annales criminelles et médico-légales n’ont présenté d’exemples comparable

248 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.25. 249 Affaire Pel, Le Figaro, édition du 11/06/1885. 250 Le Mémorial de la Loire, numéro du 17/08/1861.

au crime de Pantin. Jamais l’émotion publique n’a été plus grande »251. Enfin, lors de son procès du Docteur Petiot est considéré par le quotidien Ce Soir, dans son numéro du 27 Décembre 1945, comme « le plus grand criminel du siècle ». Jouer sur le choc, le suspens, et l’horreur : Une fois le lecteur accroché par cette promesse de mystère et d’inimaginable, la presse doit conserver leur attention en jouant sur des détails choquants, monstrueux, effrayants… D’abord les journaux mettent en avant les détails les plus sensationnels de nos affaires en faisant bien attention à utiliser le langage le plus explicite possible. Ainsi Le Monde Illustré insiste dans son article du 1ier Février 1902 sur l’affaire Dumollard sur « la perversité du meurtrier, l’atrocité de ses crimes » mais surtout sur « la quantité de cadavres qu’il a semé autour de lui, qu’il a enterré de ses mains ». Dans la même idée, La Presse débute son article du 26 Juin 1866 traitant de l’affaire Philippe, par raconter aux lecteurs que « cette affaire nous transporte dans un milieu immonde [où] il n’y a pas seulement du sang, des flots de sang [mais] toute l’abjection du vice et de la débauche ». C’est un fait, dans les affaires de tueurs en série, la presse – et son public – se délectent de toutes les découvertes les plus sordides. Par exemple, bon nombre de journaux se jette sur le sordide incident qui 105 suit l’exécution d’Henri Pranzini : l’affaire des deux portefeuilles en peau de l’assassin252. En effet, lorsque les expertises sont réalisées sur le corps, deux policiers récupèrent des morceaux de peau de Pranzini et s’en font faire des porte-cartes. Voici cet épisode plutôt choquant raconté avec humour par Le Voleur :

« Nous avons un nouvel incident Pranzini […] Vous monsieur, qui daignez lire ma prose, vous avez, j’en suis sûre, dans la poche de côté de votre jaquette un carnet de cuir […] Vous, madame, vous tenez vos cartes de visites dans un élégant étui en peau de requin […] Tout ça c’est bourgeois ! Il est à présent deux messieurs qui ont trouvé mieux : chacun d’eux porte sur son cœur un carnet en peau d’assassin, ce qui n’est pas banal ! »253 Autre procédé : la création de suspens et d’attente. Plusieurs stratégies sont mises en place par la presse pour créer ce suspens ; par exemple, les journalistes peuvent utiliser des questions rhétoriques. Dans son article du 05 Juillet 1887 sur Pranzini, l’envoyé spécial du Petit Journal interpelle ses lecteurs par des questions : « Quelles surprises nous réserve l’affaire Pranzini ? Combien de révélations les audiences des 09, 11,12 et 13 Juillet nous apporteront-elles ? ». Une autre stratégie pour faire participer les lecteurs et tenir en haleine

251 Le Temps, numéro du 29/12/1869. 252 Le Petit Parisien, éditions de Septembre 1887. 253 Le Voleur, numéro du 29/09/1887.

l’opinion publique, tient au ton d’urgence ou de trépidation qui peut être choisi par le journaliste ; il s’agit d’un savant équilibre entre temps réel et récit raconté. En ce sens, on trouve dans la presse de l’époque un fréquent recours à l’isochronie, un mode de rédaction qui mêle le temps du récit, celui de l’histoire et celui de la lecture. Cela permet de donner au public l’impression d’être directement lié à l’évènement254. Enfin, ce que les lecteurs viennent chercher dans des articles sur des tueurs en série (et ce que la presse leur offre), c’est de l’horreur. C’est pourquoi les journalistes emploient des procédés stylistiques dans le but de produire des écrits dignes des thrillers les plus angoissants. L’énumération remplie bien ce rôle, surtout quand elle sert à lister dans les moindres détails les sévices subis par les victimes : Dans le numéro du 27 Octobre 1898, le journaliste du Salut Public énumère donc avec une précision presque malsaine « Les Crimes » de Vacher, ou comme il les nomme : « ce martyrologe de bergers et de bergères, de vieilles femmes, de fillettes et de jeunes garçons ». Une autre méthode récurrente est la description de la scène de crime, qui permet aux journalistes de poser un cadre inquiétant. Ainsi, l’immeuble particulier de Marcel Petiot est décrit au début de l’affaire dans Le Réveil du Nord comme « une demeure à l’aspect sinistre », où « il est évident que les victimes ont 106 été attirées, tuées, et dépecées »255. Ici, on voit qu’il importe de créer une ambiance, une atmosphère et de laisser penser au lecteur qu’il s’apprête à assister au résultat d’un véritable carnage, l’impression d’ensemble l’emportant ainsi parfois sur la crédibilité du détail256. Quelques fois même les journaux ne se contentent pas d’une simple description mais proposent à leurs lecteurs des gravures de la scène de crime, comme on a pu en trouver notamment dans l’affaire Pranzini :

254 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.24. 255 Le Réveil du Nord, édition du 14/03/1944. 256 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.22.

« Le crime de la rue Montaigne – La chambre à coucher de Marie Regnault après le triple assassinat, le lendemain matin », Le Journal Illustré, 3 Avril 1887.

107

« Le Triple Assassinat de la Rue Montaigne », dessins d’après nature, de M. Louis Tynaire pour L’Univers Illustré, 2 Avril 1887.

Comme nous pouvons le constater, ces représentations de la scène de crime sont assez crues, et aucun des détails des cadavres (à gauche Marie Grémeret, au milieu Madame de Montille et à droite Annette Grémeret, la femme de chambre) ne peut échapper au public. Grâce à la première illustration, le lecteur peut vraiment se plonger dans le lieu du crime et se baigner dans le chic bourgeois de cet appartement, avant que le pire ne se produise. Cependant, il faut quand même rappeler qu’il s’agit seulement de descriptions ; cette scène de crime, le journaliste ne l’a pas nécessairement vue de ses propres yeux. Il y a donc aussi une part d’imaginaire dans cette pose du cadre ; elle est parfois simplement reconstituée à partir de quelques mots ou seulement entraperçue257.

2) Engager tous les sens du lecteur Ainsi, comme nous allons le détailler par la suite, le spectacle se doit d’être sanglant : il faut faire frémir d’horreur le lecteur, mais en même temps également engager tous ses sens, l’attirer, presque avec une pointe d’érotisme morbide. Comment les journalistes comble-t-il cette appétence pour l’effroyable ? Une description très visuelle et presque olfactive 108 Ce qui revient le plus souvent dans les journaux étudiés est la profusion de détails macabres, particulièrement dans la description des victimes, comme nous avons pu le voir dans le paragraphe dédié aux autopsies. Cette description a un grand intérêt pour les journalistes, puisqu’elle renforce l’effroi ressenti258. Aucune de nos affaires n’échappe à cela. D’abord, Le Mémorial de la Loire décrit ce qu’a subi l’une des victimes de Martin Dumollard, « cette malheureuse, étourdie seulement par quelques coups qui lui ont été portés à la tête, [et qui] aura été enterrée vivante par le meurtrier »259. Le journaliste poursuit même en ajoutant que « [ses] bras semblaient s’être violemment contractés, [ses] mains étaient crispées et serraient convulsivement des boules de glaise ». Un peu plus tard, Le Constitutionnel décrit avec précision dans son article du 26 Juin 1866, les constatations réalisées sur les victimes de Joseph Philippe. L’une d’elle « portait au cou une entaille profonde […] faite avec un instrument tranchant qui avait divisé le larynx, le pharynx, les artères carotides jusqu’à la colonne vertébrale » ; alors que la dernière présentait en tout « cinq plaies à la face, plusieurs blessures profondes et obliques à la poitrine et au ventre » et portait « à la poitrine une énorme blessure allant d’une aisselle à l’autre et du cou à

257 Ibid., p.21. 258 Ibid., p.21. 259 Le Mémorial de la Loire, numéro du 04/09/1861.

l’estomac […] [ses] deux seins avaient été coupés et détachés ». Ce spectacle presque insoutenable se poursuit dans Le Petit Journal pour l’affaire Vacher. L’article du 13 Octobre 1897 détaille toutes les victimes, qui ont pour point commun d’avoir de vastes plaies au cou, le thorax ou la carotide sectionnée ; d’après le journaliste, sur l’une d’elle « le cou était coupé jusqu’à la colonne vertébrale, le ventre horriblement mutilé ». Poursuivons avec l’affaire Pranzini, dans laquelle Le Petit Journal nous offre le 05 Juillet 1887, une description de Marie Regnault (Madame de Montille), telle qu’elle fut retrouvée sur la scène de crime : « Elle gît sur la descente de son lit, dans une flaque de sang, la gorge coupée […] Les draps étaient inondés de sang sorti de l’horrible blessure qui lui avait comme séparé la tête du tronc ». Enfin, dernier exemple, l’affaire Petiot n’est pas en reste si l’on s’attarde sur la description des découvertes faites dans le sous-sol du docteur. Le Réveil du Nord décrit que l’on voit « ici les os séchés, là, les cheveux auxquels adhèrent quelques lambeaux de peaux » et explique que « les cheveux semblent avoir assez bien résisté à l’action corrosive de la chaux » ; tandis que Le Petit Journal décrit l’ensemble comme « un amas informe de matières organiques non entièrement décomposées [dégageant] une odeur infecte »260. Nous voyons bien ici que ces descriptions sont tellement précises et imagées que l’on se doute que comme nous, les lecteurs de l’époque n’ont eu aucun de mal à se les imaginer. On se croirait presque 109 debout au-dessus de ces cadavres. Iconographie Cette impression se trouve parfois même renforcée par la présence dans la presse de représentations illustrant ces images écrites. On trouve ainsi des représentations de l’action du meurtre, comme en témoigne l’illustration ci-dessous, présente en Une du journal Les Fait-Divers Illustrés, le 15 Mai 1908. Cette couverture met en scène Jeanne Weber entrain d’assassiner un enfant. Elle est représentée comme très imposante et en position de

260 Le Réveil du Nord et Le Petit Journal, éditions du 15/03/1944.

supériorité sur sa pauvre victime, dont le visage exprime la terreur. Le sang qui macule les draps vient ajouter un peu plus de macabre à cette scène effrayante. Ce type de représentation existait déjà à l’époque de l’affaire Vacher, comme en témoigne cette série de gravures publiées dans l’édition du 21 Novembre 1897 du Progrès Illustré, représentant Joseph Vacher entrain d’accomplir chacun de ses meurtres :

Ci-dessus, « Tueuse d’enfants - L’Ogresse Jeanne Weber », 110 Les Fait-Divers Illustrés, 10 Mai 1908. Ci-contre, « Assassinat de Marie Mussier (10 ans), gravure extraite de la composition ci-dessous, « Les Crimes de Vacher, Le Tueur de Bergers », tirée du Progrès Illustré, 21 Novembre 1897. En bas, à gauche, « Assassinat de Pierre Laurent (14 ans) », extrait de la même page.

La presse ne se contente de pas de représentations du crime, elle offre aussi à son public des illustrations des cadavres des victimes de nos tueurs en série. Nous avons déjà vu plus tôt les gravures des victimes de Pranzini dans L’Univers Illustré du 02 Avril 1887 ; voici ici un instantané d’un morceau de l’intestin du jeune Auguste Bavouzet, victime de Jeanne Weber, trouvé dans Le Matin du 22 Octobre 1907. Dans son édition du 11 Mai 1908, le journal va

même encore plus loin, en proposant à ses lecteurs un instantané de la dernière victime de la tueuse d’enfants, Maurice Poirot :

« Le cadavre du Petit Maurice Poirot », Le Matin, 11 Mai 1908. 111

Un peu plus subtil, mais tout aussi glaçant, cette photographie trouvée dans Le Figaro du 22 Mars 1946, illustrant toutes les valises des victimes de Marcel Petiot, retrouvées à son domicile. Cette photographie illustre plus implicitement l’étendue de l’horreur de cette affaire. Nous pouvons donc constater, par ces descriptions extrêmement détaillées et ces illustrations, la volonté des journaux de créer le plus d’émotions possibles à leurs lecteurs. Ces procédés nous offrent également une image des mœurs de l’époque. En effet, face à tous ces détails morbides, on peut se dire que la population devait être moins facilement choquée qu’aujourd’hui et la presse soumise à moins de censure et de politiquement correct. Nous ne verrions jamais des descriptions aussi crues dans nos journaux actuels. Cependant, ce constat

interroge, pourquoi textes et images dans la presse de l’époque imposent-ils au lecteur ces perpétuels détails de crimes sordides ? Finalement, que Pranzini ait tué Marie Regnault est une information, mais savoir qu’il la fait dans sa chambre, avec un couteau, en lui tranchant presque la tête, ce qui a inondé le lit de sang… Tout cela est ajouté pour créer une ambiance. Certes, cela s’est peut-être produit ainsi, mais les lecteurs ont-ils besoin de tout savoir ?261

Conclusion intermédiaire

En conclusion de ce chapitre, il parait évident que la presse ne produit pas un discours vraiment objectif sur les affaires de tueurs en série. Si certains articles sont plus informatifs que d’autres comme nous l’avons vu au Chapitre 6, il parait ici clair que les journalistes font toujours des choix et qu’un seul élément d’information peut donner naissance à une multitude d’articles et de discours sur nos affaires. La réalité finie donc par être entourée d’une foule de détails ajoutés pour offrir au lecteur des récits à sensation, sensés retranscrire le mystère et l’horreur de ces crimes. Dans les affaires de tueurs en série, la presse a donc une volonté très affirmée de donner toujours des détails nouveaux, effroyables, douloureux, 112 étranges. Mais en y pensant, ne serait-ce pas une manière de finalement atténuer la violence de ces meurtres ? Car, donner peu de détails, c’est ouvrir la porte à la suggestion, à une imagination sans bornes ; or c’est justement le mystère qui crée véritablement l’angoisse et l’effroi. Finalement, détailler le moindre élément du crime ne permet-il pas de le rendre plus ordinaire et d’en faire quelque chose de rationnel ? Une succession de gestes techniques ? Enfin, ne pas donner tous les détails serait renvoyer les lecteurs vers leurs propres fantasmes et alors les rendre coupables eux-mêmes d’imaginer les pires cruautés ; par conséquent, donner toutes les informations de la façon la plus crue possible permettrait d’extérioriser cette part d’ombre et de les disculper en éclairant le crime262. C’est peut-être pour cela que se sont formés progressivement par les récits de presse les figures du criminel que nous allons développer dans le chapitre suivant : créer des types (voir des stéréotypes) ne les rendrait-ils pas moins réel justement ? Moins humains et ainsi éloignés, différents des autres hommes ?

261 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », op. cit., p.201. 262 Ibid., p.209.

Chapitre 8 : Regards de la presse et figures de criminels

Ce nouveau chapitre vise à définir comment la presse contribue à créer des figures de criminels, qui sont des modèles permettant de faire rentrer les criminels dans des catégories, presque stéréotypées. Quels sont les figures les plus récurrentes dans la presse vis-à-vis de nos grandes affaires de tueurs en série ?

I. Image des tueurs dans les yeux de la presse :

Avant d’étudier ces figures à proprement parler il nous faut analyser la manière dont les journaux font le portrait des meurtriers en série. Ce portrait tient-il une place importante dans les articles ? Est-il peu flatteur comme on pourrait le supposer ?

1) La description physique, un point crucial : Tous les journaux font à un moment où à un autre – en général au moment du procès – une ou plusieurs descriptions de l’aspect physique et de la tenue de nos tueurs en série. Ces 113 portraits sont très importants car ils sont les seuls, en dehors des gravures et illustrations, qui permettent aux lecteurs de visualiser les meurtriers. En effet, selon un journaliste du Petit Journal en 1890, « on ne se contente plus de la description du fait, on veut pour ainsi dire sa matérialisation parfaite ; il ne suffit pas qu’on lise, il faut qu’on voie » 263. Or dans cet engouement pour les récits de meurtres, ce qui devait être vu, c’était surtout le tueur. Le portrait, première rencontre avec le tueur La description physique fait office de première rencontre entre les tueurs en série et les lecteurs de journaux, c’est pourquoi dans les articles sur les procès, elle arrive systématiquement en premier et ce, toute affaire et tous journaux confondus264. Ces portraits sont extrêmement détaillés, ils font office de photographie écrite pour le public ; d’ailleurs, selon Le Matin, les portraits de l’accusé ont toujours pour objectif de « faire connaître » aux lecteurs sa physionomie265. Evidemment, c’est d’autant plus facile si une gravure ou une photographie accompagne le texte. Voici quelques descriptions de nos tueurs ainsi que des illustrations trouvées dans la presse étudiée. Le journaliste du Petit Journal esquisse le

263 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », op. cit., p.75. 264 Affaire Dumollard, Le Constitutionnel 30,31/01/1862 ; Affaire Pel, Le Matin, 12/06/1885 ; Le Voleur, 18/06/1885 et 20/08/1885 – Affaire Pranzini, Le Matin, 10/07/1887 ; Le Petit Journal, 11/07/1887 – Affaire Vacher, Le Courrier de l’Ain, 27/10/1898 ; Le Petit Journal, 13/10/1897 ; Affaire Vidal, Le Matin, 05/11/1902 ; Le Matin, 06/11/1902. 265 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », op. cit., p.79.

portrait de Jean-Baptiste Troppmann pour son article du 30 Décembre 1869 « comme le peintre qui trace à la craie le rond d’une tête avant de dessiner le visage…». Troppmann a les « cheveux blond foncé, jetés et égalisés en derrière l’oreille, [le] front découvert, [des] sourcils longs et minces, [des] paupières épaisses et tombant sur les yeux qu’elles dissimulent, [un] nez long, effilé et pointu, [des] lèvres minces, [une] moustache naissante, fine et à peine apparente ». Trois ans plus tard, La Presse décrit Joseph Philippe comme « un homme à l’allure vulgaire, de taille moyenne, fort et carré des épaules, […] brun, avec moustaches et impériales très noires » ; ses yeux « sont grands, enfoncés dans l’orbite, très bleus ; ils roulent avec, une singulière vivacité des regards sombres, mais assurément méchants »266. On voit ici que la description

« Pranzini, (Dessin permet directement au journaliste de faire des déductions sur le de G. Traverne) », caractère du tueur. Le célèbre Henri Pranzini a donné lieu à une Le Voleur, 21 Juillet multitude de portraits, voici celui que l’on trouve dans Le Matin 1887. le 10 Juillet 1887 : « Pranzini est de taille moyenne, [ses] traits 114 sont encore ceux d’un jeune homme, mais ses cheveux châtain clair ont beau être relevés derrière la tempe, une calvitie naissante n’en apparait pas moins sur le sommet du crâne. Le teint est pâle et même blafard, les yeux petits clignotants, et le regard fuyant ». Nous avons également pu lire une description extrêmement détaillée de Joseph Vacher dans Le Salut Public :

« Vacher est maigre, les joues sont creuses, son visage est pâle […] La lèvre supérieure est levée, elle se tord à droite et la bouche grimace lorsqu'il parle. Une cicatrice intéresse verticalement la lèvre inférieure et la lèvre supérieure à droite. Tout le blanc de l'œil droit est sanguinolent et le bord de la paupière inférieure de cet œil est dépourvu de cils et légèrement rongé. […] Vacher est de taille moyenne, les cheveux noirs, la barbe noire inculte et rare sur les joues »267

266 La Presse, édition du 26/06/1866. 267 Le Salut Public, numéro du 12/10/1897.

A droite : « Joseph Vacher, l’éventreur », Le Petit Journal, Supplément Illustré, 31 Octobre 1897.

A gauche : Portrait d’Henri Désiré Landru, Le Matin, 25 Février 1922.

Ci-contre : Portrait gravé d’Albert Pel, Le Figaro, 13 Juin 1885.

115

Ci-contre : Portrait dessiné d’Henri Vidal, Le Petit Provençal, 1ier Novembre 1902.

Ci-contre : Photographie de Marcel Petiot lors du procès, Le Franc-Tireur, 19 Mars 1946.

Les signes distinctifs Un autre phénomène lié à l’apparence physique doit être noté : le grand intérêt de la presse pour les signes distinctifs physiques retrouvés chez nos meurtriers. Pour certains tueurs, notamment Landru et Jeanne Weber, les journalistes insistent sur certaines parties du corps dans leur description. Pour Landru, il s’agit de ses yeux, que le chroniqueur du Matin observe avec attention et capture car ce sont dans les yeux que l’on peut voir son âme, ses pulsions meurtrières, comme si l’on pouvait voir les crimes à travers son regard. Dans le cas de Jeanne Weber, le journaliste s’attarde sur ses « mains fameuses », ces « mains de tueuses et d’étrangleuse » qui sont rappelons le, les armes de ses multiples meurtres d’enfants. Cet intérêt « Les yeux de pour des parties spécifique du corps peut Landru », Le Matin, 17 Novembre 1921. s’expliquer par le contexte, qui correspond, comme nous l’avons expliqué, à une période où l’utilisation des données et des méthodes visuelles (phrénologie, physiognomonie, 116 craniométrie) par les criminologues était croissante. De nombreuses « Les mains de la Weber », Le Matin, études de l’époque analysent la manière dont la criminalité était ier 1 Mai 1907. supposée apparaitre sur le corps des suspects par le biais d’anomalies physiques révélatrices268. La presse participe à cette démarche en fournissant sa propre analyse du physique des criminels ; elle exploite l’image des criminels afin de construire sa propre rhétorique visuelle (seulement ici ce n’est pas vraiment dans une objectivité scientifique). De multiples comparaisons animales : La description du physique des tueurs en série permet aussi à la presse d’établir une grande diversité de comparaisons, des bêtes sauvages et féroces aux oiseaux, vifs et intelligents. Ainsi, Dumollard est souvent associé à une bête fauve, et plus spécifiquement dans Le Constitutionnel, à un lion, dont il a d’après le journal la physionomie, « comme un lion, […] son nez est long et large, ses grands yeux […] où parait par moment un air de mélancolie profonde et féroce, sont surmontés de larges et épais sourcils, et [son] front […] enseveli dans une chevelure d’un aspect négligé et sauvage, lui donne la ressemblance d’une

268 Patricia BASS, « Des représentations des criminels dans la presse populaire, 1880-1914 », op. cit., p.75.

bête fauve »269. Joseph Vacher, lui aussi est souvent comparé à « une bête fauve dans sa cage » ; quand il n’est pas comparé à un « singe curieux du public, remuant sans cesse, tournant brusquement le profil de droite et de gauche, se frottant les mains, se grattant les hanches, s’agrippant aux barreaux, y laissant passer ses longs bras, les retirant, s’enfonçant d’un geste familier le pouce dans la bouche, faisant le signe de mordre […] en riant d’un rire guttural » 270 . Henri Vidal aurait quant à lui des « yeux de loup » selon Le Matin ; « deux fente de feu au fond de quoi rêve une détresse particulière, la douleur d’une âme bornée et violente, aigrie, furieuse et pourtant timide, veule, lâche, une âme très animale, à peine une âme »271. Les tueurs en série motivés par l’appât du gain sont eux plutôt associés à des oiseaux. Jean-Baptiste Troppmann, vu de profil, a selon Le Petit Journal, dans « l’ensemble des traits quelque chose de l’oiseau de proie »272, tandis que Landru est lui aussi comparé à des rapaces, tantôt à un « émouchet »273, tantôt à un « milan captif »274. Cette comparaison correspond bien à la nature calculée des crimes de ces deux tueurs.

L’importance de la tenue 117 Enfin, de même que les journaux donnent toujours la physionomie de l’accusé les journalistes décrivent également longuement lors du procès la tenue vestimentaire des tueurs en série, moment où ils peuvent observer le tueur à loisir et faire leurs conclusions. La tenue est importante car c’est souvent par ce biais que les journalistes jugent les tueurs en série. On apprend que Philippe et Pranzini, sont vêtus pour leur procès respectivement « d’une redingote noire » et « d’une jaquette noire », accompagnées pour tous les deux d’une « cravate noire avec un col de chemise rabattu ». Cette tenue est considérée comme « très correcte et propre » 275 par les journalistes. A l’inverse, le jour de son procès, Joseph Vacher est vêtu « d’un complet de velours marron râpé, costume de garde-chasse qui a beaucoup servi »276, et qui permet au journaliste une réflexion moqueuse. On peut voir ici que le regard des journalistes n’est pas vraiment le même selon la tenue et plus généralement l’appartenance sociale du tueur en série. Joseph Philippe est issu « d’une famille honorable et nombreuse »277 tandis qu’Henri Pranzini est un homme instruit et plutôt cultivé ; alors que

269 Le Constitutionnel, édition du 31/01/1862. 270 Le Matin, numéro du 27/10/1898. 271 Le Matin, édition du 04/11/1902. 272 Le Petit Journal, édition du 30/12/1869. 273 Le Matin, édition du 17/11/1921 – comparaison avec un oiseau dans l’édition du 08/11/1921. 274 Le Matin, numéro du 01/12/1921. 275 Affaire Philippe, Le Constitutionnel, numéro du 26/06/1866 – Affaire Pranzini, Le Matin, édition du 10/07/1887. 276 Le Matin, numéro du 27/10/1898. 277 Le Constitutionnel, édition du 26/06/1866.

Joseph Vacher est issu d’une famille très modeste de cultivateurs d’Isère. Cela se ressent dans le traitement de la presse.

2) Un portrait qui varie : Ce lien entre l’image et la catégorie socio-professionnelle se retrouve lorsque les journalistes donnent leur avis sur l’apparence physique des tueurs en série. L’image de ces derniers est ainsi tantôt peu flatteuse lorsqu’ils sont issus de milieux pauvres et/ou n’ont pas eu accès à l’éducation ; ou à l’inverse plus avantageuse si les meurtriers sont issus de milieux plutôt bourgeois et/ou sont assez cultivés. D’une image peu flatteuse… On constate donc que Martin Dumollard, illettré et issu d’une famille très pauvre, est décrit comme étant très laid. D’après La Presse, « sa tête est horrible » et il ressemble « à un paysan abruti et sournois »278. On lit dans Le Mémorial de la Loire une description plus complète mais qui n’en reste pas plus flatteuse, car d’après le journaliste, il a la « tête enfoncée dans les épaules, [la face] garnie d’une barbe noire et touffue, [des] cheveux incultes, [la] lèvre inférieure proéminente et enlaidie encore par une sorte de tumeur, [et] 118 l’œil gauche à demi caché par la paupière »279. Dans le même esprit, Jeanne Weber, née d’un père pécheur et d’une mère ménagère et qui n’a jamais reçu d’éducation scolaire, est décrite comme « une petite femme, d’une trentaine d’années, vulgaire et laide, au visage rond et colorés, aux joues molles, aux yeux quelconques, à la figure fermée, nulle ». Pas très élogieux. …A une appréciation positive A l’inverse, Henri Pranzini, l’aventurier cultivé est décrit par Le Petit Journal du 28 Mars 1887 comme un « assez beau garçon, blond, [avec une] barbe élégamment taillée », et élégant. Landru, quant à lui, a tout « l’air d’un monsieur […] bien convenable » lorsque l’on lit Le Matin, « sa barbe est bien taillée »280. De plus, ce qui plait aux journalistes chez Landru c’est qu’il « écrit et parle » ; toujours selon Le Matin, « son style est clair, précis, élégant » et sa « parole est agréable, charmeuse […] extrêmement prenante par sa plénitude et sa variété »281. Enfin, Marcel Petiot, médecin, ancien combattant, élu municipal, marié et père d’un enfant, est décrit par le quotidien L’Epoque comme « grand, mince, élégant », montrant

278 La Presse, numéros des 30/01/1862 et 10/03/1862. 279 Le Mémorial de la Loire, édition du 31/01/1862. 280 Le Matin, édition du 08 Novembre 1921. 281 Le Matin, numéro du 03 Juillet 1920.

sous « un front assez beau des yeux gris […] et une petite mâchoire plate et musclée de fauve »282.

II. Les différents visages de l’assassin : le poids de l’origine sociale :

Les « types » de criminel existent depuis longtemps, aussi longtemps que leur étude scientifique. Cependant, s’il fut longtemps plutôt un ouvrier ou représentant de la classe dangereuse, comme le souligne Dominique Kalifa, ; il devient progressivement au contraire, un rebelle, un vagabond, un étranger ou plus surprenant… une femme ! Et ce, particulièrement après le tournant du XXème siècle283. Ces images diverses des tueurs en série que nous avons pu tirer de la presse, alimentent, elles aussi, ces figures du criminel que nous allons étudier ici. Nous allons voir que les journaux étudiés participent à la création de tueurs types, qui oscillent entre réalité et construction sociale fictionnelle284. Le choix des figures du criminel exposées ici a été inspirée par le travail de thèse de Mado Monnereau285. 1) Les figures du monstre 119 Les figures du criminel associées au monstre sont les plus classiques. On les retrouve de façon récurrente dans les descriptions que font les journalistes de nos tueurs et tueuses. Pour beaucoup d’entre eux, le meurtrier en série est un « monstre à figure humaine »286 et sanguinaire287. Le fou ou le monomane La première variante de ce monstre est le fou ou le monomane du crime. La monomanie étant un terme utilisé au XIXème siècle pour décrire les délires partiels, certains troubles névrotiques entrainant des conduites criminelles. Pour la presse de l’époque, Joseph Vacher, Jeanne Weber et Marcel Petiot (pas unanimement) appartiennent à cette catégorie de criminel. Le Salut Public l’affirme « Joseph Vacher est un fou » et cela se voit selon le journaliste à la façon dont il raconte ses crimes : « ses yeux brillent d'une flamme sauvage

282 L’Epoque, édition du 19 Mars 1946. 283 Jacques BOURQUIN, « Dominique Kalifa « L’encre et le sang ». », op. cit., p.238. 284 Nicole EDELMAN, « Philippe ARTIÈRES et Dominique KALIFA, Vidal. Le tueur de femmes, une biographie sociale. », Revue d’histoire du XIXe siècle, 1 juin 2002, no 24., p.2. 285 Mado MONNEREAU, Le récit de meurtre en France (1870-1899), op. cit., « Les figures criminelles », p.366 à 619. 286 Affaire Troppmann, Le Petit Journal, numéro du 19/10/1869 – On trouve également énormément d’occurrence du monstre dans l’Affaire Vacher : Le Courrier de L’Ain, 19/10/1897 et 14/06/1898 ; Le Petit Journal du 27/10/1897 ; Le Constitutionnel des 14,16/10/1897 ; Le Progrès Illustré numéro du 21/11/1897 ; Le Salut Public édition du 27/10/1898. 287 Affaire Petiot, Le Petit Journal, édition du 16/03/1944.

et sa voix s'anime »288, et dans son regard difficilement soutenable289. Jeanne Weber quant à elle, serait selon Le Matin, une « monomane du crime » qui tue pour le plaisir de tuer290. Le Petit Journal utilise souvent le champ lexical de la folie pour qualifier Marcel Petiot. On trouve dans la seule édition du 15 Avril 1944 les termes « médecin fou », « déséquilibré », « élucubrations de dément », « état mental proche de la folie », ou encore « cet effroyable dément ». Enfin, l’image d’Albert Pel dans les journaux peut être considéré comme une variante de cette figure, mais avec un côté encore plus fantastique, car il est considéré par la presse comme une sorte de savant fou. Les descriptions physiques le concernant font presque toujours référence « à l’idée qu’on se fait d’un alchimiste du moyen âge avec ses yeux enfoncés, son nez pointu, sa figure osseuse et presque parcheminée »291. L’incarnation du Diable Autre incarnation possible de la monstruosité des tueurs en série : la figure diabolique. Dans ce type, les meurtriers sont sombres, effrayants voir sataniques. Par exemple, Marcel Petiot est souvent qualifié de « démoniaque » par Le Petit Journal292 ; tandis que Pranzini est considéré par La Croix comme un ami du diable293. Albert Pel est 120 également décrit par Le Voleur dans son édition du 18 Juin 1885 comme quelqu’un tiré tout droit de l’enfer : « Une face blafarde, un teint de cire, un squelette ! […] Les joues parcheminées se tirent sur une sorte de rictus sinistre […] [un] visage de momie n’a jamais souri ». Ogresses et autres sorcières Enfin, les dernières figures particulières du monstre que l’on retrouve en relation avec nos tueurs en série sont des figures plus mystiques et légendaires : l’ogresse et la sorcière. Toutes deux sont utilisées pour qualifier Jeanne Weber, qui représente d’après la presse, « la femme fatale » au premier sens du terme294. Selon l’article du 30 Janvier 1906 tiré du Matin, comme une sorcière, Jeanne Weber exercerait « sur tous ceux qui l’approchent, sur les hommes et les femmes comme sur les enfants, un ascendant irrésistible et d’ordre surhumain ». Les illustrations lui attribuent plutôt le rôle de l’ogresse, qui rappelons-le, est dans la légende une sorte de géant se nourrissant de chair friche et dévorant les petits enfants. Voici, ci-dessous la Une du 24 Mai 1908 du Supplément Illustré du Petit

288 Le Salut Public, édition du 14/10/1897. 289 Le Salut Public, numéro du 12/10/1897. 290 Le Matin, édition du 28/04/1907. 291 Le Voleur, édition du 18/06/1885 ; Le Figaro du 12/06/1885 ; Le Matin du 12/06/1885. 292 Editions des 17,18,20/03/1944. 293 La Croix, numéro du 02/09/1887. 294 Le Matin, numéro du 26 Avril 1907.

Journal ayant pour titre « Les Derniers Crimes de l’Ogresse ». Cette gravure représente Jeanne Weber en train d’étrangler un enfant, le plaquant de toute sa force sur le lit, un air mauvais sur le visage :

« Le Dernier Crime de L’Ogresse », Une, Le Petit Journal, Supplément Illustré, 24 Mai 1908.

121

Comme on peut le noter ici, les représentations des meurtriers dans la presse illustrée participe à la formation des archétypes de criminel, notamment les plus simplistes. En effet, dès que l’on commence à mettre en scène le tueur comme un monstre ou comme un fou, il devient nécessaire de lui donner la personnalité qui va avec, de camper ce personnage et donc de l’illustrer. Cette personnalisation du crime se fait dans les quotidiens comme dans les suppléments illustrés, le plus souvent en utilisant des images très fortes (en générale l’acte du meurtre lui-même), censées concentrer toute l’horreur du crime dans une seule représentation spectaculaire295.

295 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », op. cit., p.205.

2) Le bellâtre criminel La seconde figure la plus récurrente est celle du bellâtre assassin ou « bellâtre à bonne fortune » dans le cas de Pranzini296, avec deux variantes : Le tueur séducteur Le séducteur est un tueur à qui l’on prête une multitude de conquêtes (Philippe, Pranzini, Vidal…) qui parfois sont même ses victimes (Pel et Landru). C’est également un type de tueur qui intrigue, il est énigmatique, mystérieux et ne laisse pas indifférent297. Le bellâtre criminel est d’une beauté assassine, à l’image de Joseph Philippe, décrit par Le Constitutionnel : « L’accusé […] a une assez belle tête. Il est élancé, maigre, son teint est pâle. Il porte des moustaches noires à la royale. Ses yeux gris et un peu saillants ont une limpidité de mauvais augure »298. Ce mauvais augure illustre une beauté presque mortelle. Selon la presse Pranzini est lui aussi un séducteur, décrit comme charmant et manipulateur299. Le Matin, contribue également à façonner l’image de « séducteur » de Landu ; d’après l’envoyé spécial présent au procès, le tueur en série est assurément 122 « séduisant », et nulle femme ne lui résiste, son deuxième prénom « Désiré » oblige300. La dernière caractéristique de la figure du tueur séducteur que l’on trouve dans les journaux étudiés est son côté féminin, qui revient dans les descriptions d’Henri Vidal, Joseph Philippe, Jean-Baptiste Troppmann et Henri Pranzini. Par exemple, le journaliste du Petit Journal en charge de l’affaire Troppmann décèle dans sa physionomie un « air doux, féminin »301 tandis que celui du Matin explique les conquêtes de Pranzini par la « douceur quasi-féline de son allure »302. Ce qui est surprenant c’est que l’on retrouve quasiment les mêmes termes à propos de Petiot dans Le Réveil du Nord : « Petiot était un séducteur, un « félin », […] un joli garçon apprécié des femmes »303. Une variante nouvelle, la figure du « criminel exotique » Une de nos affaires fait émerger dans la presse une nouvelle variante du bellâtre assassin : le criminel exotique. En effet, les journalistes et écrivains de notre période d’étude réalisent progressivement des anthologies de grands criminels, qu’ils mettent à jour au fur-

296 Le Monde Illustré, édition du 16/07/1887. 297 Affaire Landru, Le Matin, numéros des 06 et 08/11/1921. 298 Le Constitutionnel, édition du 26/06/1866. 299 Le Petit Journal, édition du 10,11/07/1887 ; Le Petit Parisien ; Le Petit Journal, du 28/03/1887, et du 11/07/1887. 300 Le Matin, numéros des 08 et 12/11/1921. 301 Le Petit Journal, édition du 30/12/1869. 302 Le Matin, numéro du 10/07/1887. 303 Le Réveil du Nord, édition du 15/03/1944.

et-à-mesure ; et ces contemporains ont vite compris que Pranzini représentait un nouveau type de criminel304, par son origine italienne, son enfance d’immigré en Egypte, sa carrière d’aventurier… Il représente la nouvelle figure du criminel exotique et voyageur. Les allures coloniales de Pranzini – quelles soient culturelles et anatomiques – ainsi que son pouvoir de séduction sur les femmes concentraient toute l’attention des chroniqueurs et des enquêteurs contribuant à la fabrication d’un nouvel archétype de criminel urbain305. La presse utilise ainsi le passé de Pranzini pour construire cette nouvelle figure, sa vie de nomade, ses aventures, ses conquêtes, le lecteur pouvait se délecter de tout cela306. Mais c’est surtout sur la description physique que tout se joue ; pour forger l’image d’Henri Pranzini les journalistes dressent un portrait mêlant Orient et Occident307. Afin d’apporter plus de clarté sur le procédé, voici un extrait d’article du Figaro, datant du 10 Juillet 1887 et faisant la description de Pranzini :

« Singulier type que ce Levantin ; il faut avoir voyagé pour trouver sa ressemblance […] Avec sa petite moustache relevée, sa barbe frisottante et peignée soigneusement, son allure souple, insinuante, son air fat, sa mise coquette – gilet blanc piqué, linge irréprochable […] Pranzini 123 réalise tout à fait le type de l’interprète […] moitié cicérone, moitié ruffian […] Cet Italien élevé à Alexandrie est tout à fait un international. Il parle le français avec cette hésitation qui donne à la parole je ne sais qu’elle nuance élégante et pittoresque. […] L’œil seul donne une impression de l’homme : un œil bleu-faïence, dur, fuyant, presque toujours caché sous des paupières à la chinoise, parfois s’allumant d’un éclat sauvage ; on sent la bête fauve sous le galantin » On note ici le métissage avec l’expression « moitié cicérone, moitié ruffian » ainsi que la référence aux « paupières à la chinoise ». Quant au terme de « Levantin » (vieux mot qui désigne la région de la Méditerranée Orientale et ses colons européens) il se généralise justement dans la même décennie au même titre que le terme « rastaquouère » (au XIXème siècle, un personnage exotique étalant un luxe suspect et de mauvais goût) aussi employé pour décrire Pranzini dans d’autres journaux. Le journaliste insiste enfin sur son caractère « international » et « pittoresque » : la figure même du criminel exotique qui passionne. En effet, on peut supposer qu’il était avantageux pour la presse à l’époque de forcer sur les traits exotiques pour forger un criminel légendaire308 car à l’époque, dans les années 1880 les

304 Aaron FREUNDSCHUH et Stéphane BOUQUET, « Anatomie d’un fait divers impérial », op. cit., p.98. 305 Ibid., p.89. 306 Ibid., p.101. 307 Ibid., p.112-113. 308 Ibid., p.112.

récits sur des héros coloniaux, explorateurs, conquérants et aventuriers passionnent les foules et sont rendus célèbres par les journaux et les romanciers. D’ailleurs, jusqu’au premier conflit mondial, les romans policiers avaient souvent pour héros des voyageurs de type colonial309.

3) Le stratège d’une intelligence fascinante La troisième et dernière figure du criminel qui émerge des descriptions de nos tueurs en série est celle du calculateur, celui qui tue pour l’appât du gain. Un manipulateur plutôt qu’un fou ? Ce type de criminel est loin de celui du monstre ou du fou, il est intelligent, menteur, et stratège ; il cible ses victimes en ayant des objectifs. C’est pourquoi cette figure est utilisée par la presse dans des articles sur Troppmann, Albert Pel, Landru et Marcel Petiot. Pel est décrit comme menteur et sournois par Le Voleur et Le Petit Parisien310, quand Landru est un concentré « d’habileté » de « sang-froid » et de « cynisme », à en croire le journaliste du Matin311. De plus, si Marcel Petiot est parfois qualifié de fou, une interview de la fille d’une de ses victimes vient contredire ces affirmations ; pour elle, le Docteur Petiot est quelqu’un 124 de tout à fait équilibré au contraire312. C’est pourquoi, certains journaux expliquent ces crimes par une « extrême intelligence »313. Pour le quotidien Ce Soir, Petiot a tout du stratège manipulateur. Le journal revient sur sa stratégie de « faux résistant » dans son article du 27 Décembre 1945 (Petiot se cachait parmi les résistants pour échapper à la police, en se faisant passer pour un capitaine des Forces Françaises de l’Intérieur) : « Petiot n’a cessé de mentir » et raconte des histoires les plus abracadabrantes les uns que les autres, dont une où il aurait abattu des motocyclistes allemands avec une arme secrète. La figure du « toucheur d’argent » Tous les meurtriers que nous venons d’énumérer entrent donc pour les journaux dans la catégorie du « toucheur d’argent », avec en tête Landru, considéré par Le Monde Illustré dans l’édition du 12 Novembre 1921, comme un « coureur de dots » et un « racoleur de bas de laine ». Le journal conclut même que « Landru est le petit bourgeois du crime ». Si l’on se fie à son image dans la presse, Petiot incarne lui cette figure du « toucheur d’argent ».

309 Ibid. 310 Le Voleur, éditions du 23/10/1884 et 18/06/1885 - Le Petit Parisien, numéro du 13/06/1885. 311 Le Matin, édition du 07 Novembre 1921. 312 Le Petit Journal, numéro du 16/03/1944. 313 Le Matin, édition du 15/03/1944.

Celui qui d’après Ce Soir « tuait uniquement pour voler »314 n’est qu’un escroc crapuleux qui n’a fait qu’entacher la mémoire des héros de la résistance selon l’édition du 19 Mars 1944 du Franc-Tireur.

Conclusion intermédiaire

En conclusion de ce huitième chapitre, le regard de la presse sur les tueurs en série contribue à leur forger une image particulière – qui peut varier selon le journal - auprès du public. Ces portraits réalisés par la presse finissent par faire entrer chaque tueur en série dans un ou plusieurs archétypes ou figures de criminel (le fou, l’étranger, le monstre, la tueuse…). Or ces figures contribuent à la formation d’un mythe des tueurs en série car elles font partie de la construction d’un véritable imaginaire collectif au travers du discours de la presse. Les portraits de nos tueurs en série réalisés par la presse, même s’ils contiennent une foule de détails, oscillent entre réalité et fiction et pourrait même, comme nous allons le voir dans notre dernier chapitre, être tout droit tiré d’un roman policier. Les récits de grandes affaires de meurtre ne sont jamais éloignés de la fiction, et la presse opère à certains moments un 125 glissement de la réalité des faits à une théâtralisation du crime : le tueur est représenté comme un fou, un monstre, un être physiquement et visiblement différent et son acte lui-même est théâtralisé, transposé dans la fiction.

314 Ce Soir, édition du 27/12/1945

Chapitre 9 : Le rôle de la presse dans la construction du mythe du tueur en série

Nous avons débuté ce mémoire avec un chapitre dédié à la passion de l’opinion et des médias pour les grandes affaires de tueurs en série entre 1850 et 1950. Néanmoins nous ne nous sommes pas réellement interrogés sur l’origine de cette passion. Si le but premier de la presse est de vendre, ce que le public recherche c’est de l’information certes mais plus probablement du divertissement. Or les tueurs en série, étaient déjà à l’époque un divertissement - macabre - de premier choix. Ainsi, nous avons évoqué les différents rôles endossés par les journalistes vis-à-vis des tueurs en série : investigation et information détaillée (Chapitres 3 et 6), application de méthodes scientifiques (Chapitre 4), explication et résolution du crime (Chapitre 5)… Nous allons analyser ici un dernier rôle, celui d’écrivain, qui forge des personnages de légende, dont on parle toujours aujourd’hui et qui divertie ses lecteurs.

I. Meurtres, fiction et divertissement : les tueurs, un filon littéraire ? 126 Les histoires de meurtres ont toujours été liées aux récits fictionnels. Cela est d’autant plus vrai que sur notre période d’étude le roman policier connait son apogée. C’est dans la deuxième moitié du XIXème siècle qu’émerge une production littéraire policière à grand tirage, avec des auteurs désormais célèbres, comme Maurice Leblanc ou Gaston Leroux. Leurs héros, Arsène Lupin, le cambrioleur, et Rouletabille, le journaliste, viennent remplacer ceux de la période précédente, notamment les romans d’Emile Gaboriau. Ainsi, dans les années 1900, le roman policier occupe une sorte d’espace intermédiaire entre production populaire et littéraire315, et finit par créer un imaginaire du crime (comme il existe un imaginaire du roman, du conte…) concentrant des lieux communs dans lesquelles les journalistes vont pouvoir puiser de l’inspiration316.

1) Le tueur comme divertissement ? Dans le Chapitre 7 nous insistions sur le fait qu’à partir des mêmes informations les journalistes faisaient leurs propres choix stylistiques et de restructuration du récit, afin de rendre ce dernier plus attirant pour le lecteur. Nous avons également mis en lumière les

315 Jacques BOURQUIN, « Dominique Kalifa « L’encre et le sang ». », op. cit., p.237. 316 Ibid., p.238.

procédés utilisés par la presse pour exacerber le côté macabre de nos grandes affaires de tueur en série. Nous allons voir ici que ce n’est qu’une des manières employées par les journalistes de produire des articles distrayants pour le public. Même pour les chroniqueurs, un tueur en série est un bon divertissement et la déception est présente lorsqu’ils ne sont pas aux premières loges pour s’en délecter. Ainsi, dans son article du 29 Décembre 1869 dédié à l’affaire Troppmann, le journaliste du Temps se plaint que « la presse est assez mal placée » et craint de ne pas pouvoir saisir tous les détails de l’affaire comme il le voudrait. Le sulfureux mis en avant Les journaux l’ont bien compris, dans les affaires de tueurs en série, il faut jouer sur les éléments susceptibles d’intéresser les lecteurs. Cela pourrait expliquer pourquoi dans chaque affaire plusieurs articles sont consacrés à la vie amoureuse passée et présente des meurtriers en série, car il est vrai que le sulfureux a quelque chose de divertissant (comme en témoigne les tabloïds ou autres journaux people existant aujourd’hui). Commençons par l’affaire Pranzini, dans le cadre de laquelle les lecteurs ont pu savourer plusieurs articles sur 317 ses anciennes maitresses et sa relation avec Madame de Montille . Le Matin nous fournit 127 même une interview de Mme Sabatier – la maitresse de Pranzini à l’époque des meurtres – juste avant l’exécution du meurtrier. Cet entretien publié le 31 Aout 1887 est digne d’un roman d’amour : « En lisant cette communication, la malheureuse est tombée à la renverse [et eût] beaucoup de mal à la faire revenir à elle […] « Henri ! Henri ! Répétait-elle, tout est fini, ils vont te tuer. Toi un si bon garçon, si prévenant, si doux ! ». Dans l’affaire Henri Vidal, les journalistes profitent de leur enquête sur le passé du tueur pour insister sur « les amours noires de Vidal » et lui prêter une relation avec une femme africaine, « la négresse Abomi », qu’il aurait rencontré lorsqu’il était en mission au Soudan318. Dans le cas de Jeanne Weber, Le Matin produit le 12 Mai 1908, un article insistant sur son passé sulfureux dans lequel elle aurait collectionné les amants (douze en quatre jours !), puis s’intéresse à son dernier amoureux en date, un certain « Jolly », et délivre à ses lecteurs leur rencontre dans le bureau du juge319. Ici aussi, le journaliste met en scène cette rencontre dans son article, avec la retranscription des paroles de Jolly sur le ton du mélodrame : « Jeanne, tu n’es qu’une menteuse ! Je t’ai pardonné une fois, mais je ne te pardonnerai plus. Pleure toutes les larmes

317« La vie privée de Mme de Montille », Le Matin, édition du 10/04/1887 ; « Encore une ancienne maitresse », Le Petit Journal, numéro du 08/04/1887. 318 « Les amours noires de Vidal », Le Matin, édition du 10/01/1887 ; « Vidal et la négresse Abomi », Le Petit Provençal, numéro du 12/01/1902. 319 « Et Jolly son amoureux pleure, pleure, sans trêve », Le Matin, édition du 14/05/1908 ; « Jolly et Jeanne ou le dénouement d’une idylle - Il aimait l’étrangleuse, il la revoit chez le juge », Le Matin, numéro du 17/05/1908.

de ton corps, c’est fini ! ». Enfin, nous étions obligés de mentionner l’affaire Landru, l’homme aux onze fiancées. La vie sentimentale de Landru revient de manière récurrente dans la presse, que ce soit au sujet de son divorce (avec sa première et véritable épouse) dans Le Matin320 ou au sujet de ses fiancées disparues, comme en témoigne ci-contre la Une du Petit Parisien du 05 Novembre 1921.

« Les fiancées de Landru », collage de photographie de 10 des fiancées de Landru, Une, Le Petit Parisien, 05 Novembre 1921.

Tueurs en série, fiction et journaux : 128 Quand on associe les termes fiction et journaux, on pense rapidement au roman- feuilleton, roman populaire publié par épisode dans un journal. Justement, le roman feuilleton nait au début de notre période, sous le Second Empire, comme réaction à une concurrence croissante entre des journaux désormais plus nombreux321. Le roman-feuilleton devient un atout pour les journaux à grand tirage car la présence d’un récit romanesque dans la presse séduit les différents publics et les réunit au sein d’un même journal322. Intégré au journal, le roman-feuilleton puise dans tous les genres afin de répondre aux envies d’un public moderne et de plus en plus vaste, y compris dans nos affaires de tueurs en série323. En effet, parfois les affaires remplacent le roman-feuilleton au rez-de-chaussée des journaux, comme ce fut le cas du procès de Jean-Baptiste Troppmann, qui interrompt le feuilleton d’Emile Gaboriau pour Le Petit Journal – « La Clique Dorée » du 29 Décembre au 1ier Janvier 1870. Encore plus surprenant, dans le « Feuilleton du Temps du 03 Avril 1870 », intitulé « La Comédie Contemporaine - Une scène de la Vie Parisienne », Troppmann apparait même comme personnage de l’intrigue fictionnelle. L’affaire Jeanne Weber est elle aussi traitée comme un feuilleton du 20 au 25 Octobre 1907 dans Le Matin, qui utilise le bas

320 Le Matin, numéros du 02/12/1919 et du 04/05/1920. 321 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.43. 322 Mado MONNEREAU, Le récit de meurtre en France (1870-1899), op. cit., p.27-28. 323 Ibid., p.28.

de ses éditions pour rapporter les nouvelles de l’affaire, souvent sur ton dramatique. Le drame est d’ailleurs la caractéristique fondamentale du roman-feuilleton. Même s’il s’agit d’une forme de littérature mêlant plusieurs genres, le feuilleton est profondément dramatique : il propose au lectorat une suite de péripéties et de coups de théâtres, exactement ce que l’on trouve dans les affaires de tueurs en série324.

2) Une vision romancée des tueurs : Le roman-feuilleton n’est qu’un exemple parmi d’autre de la présence du romanesque dans la presse. En effet, les journalistes emploient plus souvent qu’on pourrait le croire un style très littéraire pour rédiger leurs articles sur nos affaires. Par exemple, on trouve dans quelques articles du Matin sur le procès Landru, des chapeaux résumant les audiences avec un style foisonnant. Voici un extrait de celui du 17 Novembre 1921, on peut noter la description très littéraire et romancée des évènements :

« Il y a la Vengeance divine poursuivant le Crime […] il y a des plafonds resplendissants de gloires […] M. l’avocat général se dressa, avec des gestes élargissant encore sa simarre écarlate. Le défenseur se dressa 129 contre lui, très pâle en sa toge plus étroite. […] Landru suivait la scène de ses yeux ronds d’émouchet captif. L’huissier-audiencier ramenait le calme dans un auditoire troublé par la venue d’une étoile. » Emploi des codes du récit romanesque La presse a tendance à user de procédés stylistiques très proches de ceux du roman. D’abord on y décèle parfois les codes de la description romanesque. Que ce soit dans la peinture détaillée de la salle d’audience du procès Pel ou dans la description romancée de l’Hôtel des Hespérides où travaillait Henri Vidal, les journalistes savent jouer sur le style pour poser le cadre de l’action, comme dans une œuvre littéraire325. Il n’est donc pas rare de trouver dans les articles des phrases introductives qui auraient pu être des ouvertures de roman (policier) : selon Le Matin, avant le dernier meurtre de Jeanne Weber, « au dehors, le chant d’un pinson s’enivre de lumière et de printemps »326 tandis que Le Courrier de l’Ain pose le cadre de la future exécution de Vacher : « Toute la soirée, Bourg, malgré la pluie qui ruisselle, présente une vive animation… »327. Le Voleur Illustré fait une place encore plus visuelle au récit littéraire dans son article du 07 Novembre 1898, qui raconte les pérégrinations de Vacher, ses crimes et son arrestation sous la forme d’un conte - « La

324 Ibid. 325 Affaire Pel, Le Matin, édition du 15/08/1885 – Affaire Vidal, Le Matin, numéro du 03/11/1902. 326 Le Matin, numéro du 26 Avril 1907. 327 Le Courrier de l’Ain, édition du 01/01/1899.

terrible odyssée du misérable Vacher », qui débute par : « Deux gendarmes, un beau Dimanche / Chevauchaient le long d’un sentier… ». Autres clins-d ’œil à la littérature : les références au théâtre trouvées dans des articles sur l’affaire Pranzini. Par exemple, Le Constitutionnel du 10 Juillet 1887 utilise un champ lexical de la représentation théâtrale pour résumer l’affaire, « avant les trois coups, avant le lever de rideau ». Le Monde Illustré fait même une analogie entre l’histoire de Pranzini et un vaudeville ; selon le journaliste le « mélange de dépravation et de courage, d’avilissement et d’audace » présents dans la vie aventureuse d’Henri Pranzini « [défient] les concurrences des vaudevilles les plus fantaisistes »328. Le tueur comme personnage de fiction : anti-héros et surnoms Nous pouvons donc dire qu’il y a une certaine fictionnalisation du fait-divers dans le traitement de la presse quand il s’agit des tueurs en série. Les journaux diffusent certes des informations mais utilisent aussi les codes du récit de fiction. C’est pourquoi, les tueurs sont souvent considérés par la presse comme des personnages de roman, à l’exception qu’ils sont 130 ici bien réels. D’ailleurs, le dévoilement des énigmes de nos affaires rappelle grandement le déroulement narratif du roman (policier) ; tous deux reposent presque exclusivement sur les détails et des personnages qui intriguent le lecteur329. Ainsi, à en croire L’Epoque, Petiot et ses sinistres crimes auraient pu tout droit sortir de la plume d’un « faiseur de roman policier » si seulement « la réalité [ne dépassait pas] ici l’imagination la plus échevelée »330. Dans le traitement des autres affaires on trouve régulièrement les termes « personnage » ou protagoniste » en référence à un tueur en série (Pranzini, Jeanne Weber, Landru…)331. On pourrait même aller plus loin et voir les tueurs en série comme des sortes d’anti-héros au sein des journaux : ils n’ont aucuns sentiments nobles, loin de là, ils sont abjects, détestables, et pourtant les chroniqueurs racontent leurs aventures à chaque édition. Ces anti-héros ont d’ailleurs des surnoms dans la presse pour illustrer leur personnage et leurs méfaits. Nous en avons trouvé pour chacun, à l’exception d’Hélène Jégado, Joseph Philippe et Jean-Baptiste Troppmann. Ainsi, Dumollard est « Le Tueur de Bonnes »332 ; Albert Pel est « L’Horloger de Montreuil »333 ; Joseph Vacher est tantôt « Le Tueur de Bergers »334, « L’Eventreur de

328 Le Monde Illustré, édition du 16/07/1887. 329 Philippe NIETO, « La question de l’image dans le fait divers criminel », op. cit., p.210. 330 L’Epoque, édition du 17/03/1946. 331 Affaire Pranzini, Le Voleur, numéro du 21/07/1887 - Affaire Weber, Le Matin, numéro du 03/11/1907 ; Affaire Landru, Le Matin, édition du 03/07/1920. 332 Le Figaro, édition du 23/02/1862. 333 Le Matin, numéros des 11,12,13/06/1885. 334 Le Matin, éditions du 21/10/1897 et du 28/10/1898 ; Le Petit Journal, numéro du 22/10/1897 ; Le Constitutionnel, numéros du 14/10/1897 au 11/11/1897 ; Le Figaro, édition du 31/10/1897.

Bergers »335 ou « Le Jack l’Eventreur du Sud-Est »336 ; Henri Vidal est lui « Le Tueur de Femmes » ou parfois « L’Egorgeur aux yeux de loup » ; Jeanne Weber « L’Ogresse » 337 ou « L’Ogresse du Pré-Maudit »338 ; Landru est aux yeux de tous, « Le Barbe-Bleue de Gambais »339 et « L’Escamoteur de Femmes »340 ; enfin, Marcel Petiot est nommé dans la presse, « Le Landru de l’Etoile »341, en référence à son quartier d’habitation. Si nous comparons ici les tueurs en série étudiés avec des anti-héros, c’est parce qu’il est apparu au fil des recherches qu’on pouvait établir un parallèle entre ces tueurs et les héros de romans : les tueurs en série semblent être interchangeables avec les personnages de fiction dans la culture populaire de l’époque. Dans un article du Matin, intitulé « Landru Guignol », le journaliste compare moqueusement le Barbe-Bleue de Gambais avec « Dom Juan », « Arlequin », et « Guignol », tous les trois des personnages fictionnels biens connus du public342. On peut également rapprocher le personnage de Pranzini tel qu’il est construit par la presse de celui de Georges Duroy, protagoniste principal du roman Bel-Ami, de Maupassant343. Enfin, un observateur averti pourra se rendre compte des similitudes entre 131 Sabatini, personnage du roman L’Argent – roman sur fond d’escroquerie financière et de colonialisme – écrit par Emile Zola dans les mois qui suivirent l’affaire Pranzini, et ce dernier. Dans L’Argent, Aristide Rougon, dit Saccard, que l’on avait déjà vu amasser une fortune colossale dans La Curée, doit tout recommencer et se bâtir une gloire nouvelle après une succession de mauvaises affaires. Saccard utilise Sabatini – « Italien mâtiné oriental » et criminel récidiviste – comme prête-nom et ce dernier use de ses charmes pour effectuer des transactions frauduleuses. Voyez bien la ressemblance avec notre cher Pranzini, charmeur égyptien d’origine italienne et coupables de crimes en tout genre allant jusqu’au meurtre344. Seulement, à l’inverse de Pranzini, Sabatini, le banquier fraudeur parvient à échapper à la police.

II. La construction du mythe du tueur en série :

335 Le Courrier de l’Ain, édition du 01/01/1899. 336 Le Petit Journal, numéro du 09/10/1897. 337 Le Matin, éditions des mois d’Avril, Mai, Octobre 1907. 338 Le Journal, numéro du 10/05/1908. 339 « L’Escamoteur de Femmes », Le Matin, en 1921. 340 Le Matin, éditions du mois d’Avril 1919. 341 Le Petit Journal, édition du 25/03/1944. 342 Le Matin, numéro du 20/11/1921. 343 Aaron FREUNDSCHUH et Stéphane BOUQUET, « Anatomie d’un fait divers impérial », op. cit., p.105. 344 Ibid., p.122.

Si nous avons tant insisté précédemment sur les liens entre fiction, personnages, héros et tueurs en série ; et auparavant sur les diverses figures de criminels utilisées dans la presse (Chapitre 8) c’est dans le but d’amorcer une réponse à la grande question de ce mémoire ; à savoir, le rôle de la presse dans la construction d’un mythe des tueurs en série. Qu’entendons-nous par mythe ? Ici il s’agit plutôt du mythe au sens d’une histoire partagée dans un imaginaire collectif, un peu à l’image d’une légende urbaine, transmise de génération en génération. Quel est finalement le rôle de la presse dans tout cela ?

1) En « créant » les affaires… D’abord, on peut dire que la presse à sensation « monte » les grandes affaires ; à la fois en donnant aux informations un traitement qui, par des procédés de choc (Chapitre 7) ou de fictionnalisation (Chapitre 9. I), les mets en vedette ; mais également en réagençant les éléments de ces informations de manière à les faire « signifier » (c’est-à-dire prendre du sens)345. Les affaires n’existeraient pas sans la presse… Certains journalistes opèrent justement une déconstruction de ce schéma en révélant à leur public le rôle de la presse dans la construction des affaires. On en trouve un exemple 132 dans Le Figaro du 27 Février 1862. Dans cet article le journaliste émet une réflexion sur la manière dont la presse traite les grands criminels en prenant l’exemple de l’affaire Dumollard ; pour lui la presse crée le personnage du tueur en série et le rend « intéressant, sans réfléchir que l’œil, qui, tout d’abord, se détournait avec dégout de cette brute abjecte, finit par la regarder […] par la considérer ! », c’est-à-dire sans réfléchir aux conséquences que cela peut avoir sur la façon dont le public finit par voir le meurtrier. Pour illustrer cela, le journaliste du Figaro donne le cheminement des discours de la presse pendant l’affaire : « On a dit d’abord : Cet ignoble Dumollard ! On continue : Ce coquin de Dumollard ! Puis : Ce drôle de Dumollard ! Et pour peu que les écrivains soient en veine, le soir de l’exécution, on s’écrira : […] ce pauvre Dumollard ! ». Pour le journaliste, ce discours évolutif finit par faire regretter au public ces affaires de meurtres, qui rendent « les journaux bien amusants ». Finalement, cet article du Figaro résume ce que l’on a pu observer dans plusieurs autres affaires, à savoir un discours très changeant de la presse vis-à-vis des tueurs en série ; un discours presque hypocrite, qui illustre le fait que ces tueurs ne seraient pas grand-chose en réalité sans la presse.

345 Georges AUCLAIR, « Meurtre, inceste et énigme. Étude comparée de presse », op. cit., p.215.

…Car la presse fait des tueurs de véritables vedettes médiatiques Beaucoup des mécanismes utilisés par la presse dans leur traitement des tueurs en série contribuent à en faire de véritables célébrités de leur époque, et même des références de comparaison dans la culture populaire. Ainsi Martin Dumollard devient une référence de comparaison pour les autres assassins de domestiques qui ont sévi après lui, comme en témoignent plusieurs articles rédigés après sa mort avec pour sujet « la présence d’un nouveau Dumollard »346. Après la fin de l’affaire Philippe, La Presse effectue le même procédé avec le tueur de prostituées en le mentionnant dans un article sur un crime similaire le 10 Octobre 1866. Quant à Jeanne Weber, elle devient la référente en matière de meurtres d’enfants : Le Matin la mentionne comme comparaison dans l’affaire « Aimée Mignard », une femme qui a tué ses enfants347, puis dans une affaire où « une servante [a étouffé] l’enfant de ses maîtres »348. Enfin, Landru, devenu « le célèbre cuisinier de Gambais »349 – en lien avec sa manière de brûler les corps de ses victimes dans sa cuisinière – revient dans la presse, deux ans après son exécution, quand un meurtrier en série anglais semble reproduire son mode opératoire. Ce tueur est connu en 1924 comme « le Landru 133 d’Eastbourne »350. Troppmann quant à lui, est devenue une telle célébrité qu’il devient dans les décennies après sa mort, plus connu que des grands hommes de France. Voici un extrait d’article du Temps, qui trait de « La Vie à Paris » et rend compte de ce phénomène :

« La gloire. Malesherbes et Troppmann […] Le meurtre a ses plagiaires. L’art de tuer a ses imitateurs comme l’art de peindre et l’art d’écrire […] si bien que Troppmann est tout simplement un homme plus illustre que Malesherbes, et Malesherbes un homme plus vertueux sans doute, mais beaucoup moins connu que Troppmann. »351 Le Malesherbes évoqué ici fait sûrement référence à Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, magistrat, botaniste, écrivain et homme d’Etat français, qui fut président de l’Académie des Sciences en 1752, 1760, 1765 et 1781. Il ne doit pas être confondu avec François de Malherbe, le célèbre poète, même si ici cela ne changerait pas l’intérêt de cet extrait pour notre démonstration, qui avait pour but de montrer que certains de nos tueurs en série sont devenus aussi célèbres que des hommes admirables. Ce qui témoigne de la grandeur de nos affaires et de la macabre célébrité des tueurs en série sélectionnés pour ce

346 La Presse, édition du 28/08/1862 ; Le Mémorial de la Loire, numéro du 16/04/1862 ; Le Mémorial de la Loire, édition du 12/02/1862. 347 Le Matin, numéro du 31/03/1908. 348 Le Matin, édition du 26/07/1908. 349 Appellation trouvée dans Le Matin du 11/09/1921. 350 Le Matin, numéro du 16/07/1924 et du 16/11/1924. 351 Le Temps, édition du 16/06/1882.

travail de recherche, est la multitude de comparaison que l’on trouve dans la presse entre ces mêmes tueurs. Ainsi, lors de l’affaire Landru, les journalistes des années 1920 n’ont eu aucun mal à faire le rapprochement d’abord avec Dumollard – même s’ils « sont de conditions sociales et d’éducation bien différentes », que « l’un est un épais paysan de la Bresse » et « l’autre un Parisien déluré, maigre et frêle » ; pour les journalistes « leurs crimes sont identiques »352 – puis avec Albert Pel353. Ensuite, c’est au tour de Vidal d’être comparé à ses prédécesseurs. Le Petit Marseillais et Le Matin le surnomment « Le Nouveau Pranzini »354 – tous deux étant des tueurs de femmes – tandis que Le Petit Provençal entreprend de le mettre en parallèle de Joseph Vacher, pour montrer justement à quel point ils sont différents : « Il n’y aucune similitude entre eux. Autant Vacher se glorifiait de ses sanglants exploits, autant Vidal se repent des siens à la prison […] »355. Enfin, Marcel Petiot, qui on le sait était déjà appelé dans la presse « Le Landru de l’Etoile » ou « Le Nouveau Landru »356 ; semble pour les journalistes des années 1940, bien pire que tous les tueurs en série des générations précédentes. Le journaliste du Petit Journal écrit dans son édition du 25 Mars 1944 : « Le sinistre docteur Petiot, décidemment, bat tous les records, Troppmann, Vacher, Landru, 134 Weldmann ne sont que des petits garçons ».

2) …La presse française a fait de ces tueurs de véritables légendes : A quoi reconnait-on une légende ou mythe ? La légende est ancrée dans la réalité, elle part de faits réels mais les évènements qu’elle raconte sont transformés par l’émergence de l’imaginaire, lorsqu’elle est transmise de génération en génération357. Le mythe, met en scène des fantasmes collectifs, des personnages des êtres surnaturels avec des caractéristiques reconnaissables. Peut-on considérer nos tueurs en série comme des légendes ? Nous pouvons dire que oui, notamment grâce à l’intervention de la presse qui a façonné leur portrait et leur personnage type (Chapitre 8) mais surtout qui a su jouer sur les symboles et les faire passer à la postérité.

352 Le Figaro, numéro du 28/11/1921. 353 « Landru, émule de Pel, l’horloger de Montreuil », Le Matin, édition du 04/05/1919. 354 Le Petit Marseillais, édition du 10/01/1902 - Le Matin, numéro du 04,06/01/1902. 355 Le Petit Provençal, édition du 06/02/1902. 356 Le Petit Journal, numéros des 13,14,15,25/03/1944 ; Le Matin, édition du 14/03/1944, ; Le Réveil du Nord, édition du 13,15/03/1944. 357 La légende est définie dans le Larousse comme un « récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique ».

Importance des symboles Certains des tueurs en série que nous avons étudiés possèdent justement ces caractéristiques pouvant les rendre identifiables, et qui ont été mis en avant par la presse, à l’image par exemple d’Albert Pel et de sa fameuse « énorme paire de lunettes à monture d’or », mentionnées dans chacun de ses portraits358. De même, la toque en poils de lapin blanc de Joseph Vacher est désormais aussi célèbre que son propriétaire. Elle ne le quittait jamais ; c’est pourquoi les journaux en parle à chacune de ses apparitions et qu’elle revient dans toutes les représentations qui ont été faites du Tueur de Bergers359. Voici ci-dessous, son portrait avec le célèbre chapeau dans le Supplément du Dimanche du Petit Journal, du 31 Octobre 1897 :

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Enfin, Landru était connu de tous grâce à sa « grande barbe qui lui [donnait] une apparence satanique »360, sa « calvitie popularisée, [et son] sourcil crêpé, comme postiché »361. Sa barbe est tellement symbolique qu’on trouve même dans la presse de l’époque des articles qui lui sont entièrement dédiés, comme celui trouvé dans Le Matin du 28 Février 1922, qui explique que le tueur a fait venir son coiffeur et barbier pour la retailler avant son exécution, mais que ce dernier n’a jamais été payé. Enfin, un dernier symbole de Landru est mis en avant dans la presse : sa cuisinière. On apprend d’ailleurs dans Le Matin, qu’elle a été vendue 4200 francs (plutôt cher pour l’époque) aux enchères en 1923362. Nous avons trouvé dans Le Supplément

358 Le Constitutionnel, édition du 13/06/1885 ; Le Petit Parisien, numéro du 13/06/1885. 359 Le Petit Journal. Supplément du Dimanche, édition du 31/10/1897 ; L’Express de Lyon Illustré, édition du 31/10/1898 ; Le Progrès Illustré, numéro du 31/10/1897. 360 Le Matin, édition du 05/11/1921. 361 Le Matin, édition du 08/11/1921. 362 Le Matin, édition du 18/01/1923.

Illustré du Petit Journal, une représentation – caricaturale – de Landru, regroupant ainsi tous ces symboles maintes fois mentionnés dans d’autres articles de presse : la longue barbe noire, les sourcils fournis, la cuisinière, tout y est.

« Landru rend ses comptes », Le Petit Journal. Supplément Illustré, Une, 13 Novembre 1921.

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La presse les fait passer à la postérité Si les symboles sont importants dans un mythe, pour prendre la mesure de la grandeur légendaire d’une affaire, il faut examiner sa mémoire : elle doit s’inscrire dans la durée. Si les journaux de notre période ont tendance à écrire sur toutes les affaires sordides, étranges pouvant plaire au public, seules certaines – celles étudiées ici – ont joué les premiers rôles d’abord dans leur décennie respective puis sur l’ensemble du siècle (1850 – 1950), et même par extension jusqu’à aujourd’hui363. En effet, la presse a fait passer nos célèbres tueurs à la postérité. Sur la période de 1850 à 1950, c’est observable par des articles sur ces meurtriers qui datent parfois de plus de cinquante ans après les faits. Par exemple, on parle encore de

363 Frédéric CHAUVAUD, « Le triple assassinat de la rue Montaigne », op. cit., p.16.

l’affaire Jean-Baptiste Troppmann dans Le Temps, une soixantaine d’années après son exécution dans les éditions du 20 Mars 1933 et du 29 Mars 1944. Pranzini est lui aussi devenu légendaire, et La Croix le prend toujours comme exemple d’une âme qui aurait dû être confessée de ses pêchés, soixante-deux ans après les faits, à la Une de son numéro du 31 Aout 1949. Souvent, dans ces références très éloignées dans le temps, seuls les noms des tueurs en série sont mentionnés, sans rentrer dans les détails. Pour moi c’est justement ce qui témoigne de cette postérité, puisque cela signifie que les contemporains étaient tout à fait capables de comprendre de qui il s’agissait, sans même expliquer les affaires. Un bon exemple de ces références subtiles se trouve dans un dessin présent dans le n°279 de l’illustré Le Rire. Ce dessin humoristique de l’illustrateur Dépaquit a pour thème une récente réforme de la justice ; et l’auteur y fait figurer son nom, sur les casiers au second plan, aux côtés de ceux de Troppmann et Pranzini. Cet article n’a pas vraiment de lien avec ces anciennes affaires mais les deux noms de nos tueurs y apparaissent comme un clin d’œil de la part de l’auteur.

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« Dessin de Dépaquit », Le Rire, n° 279, 10 Mars 1900.

Dernier exemple, avec une postérité un peu moins longue mais tout de même significative, une illustration se référant à l’affaire Landru, onze ans après son exécution. Il s’agit de la Une du 12 Mars 1933 du Petit Journal Illustré, qui met en scène la découverte d’ossements sous les fondements d’un immeuble à Clichy, voisin de celui où habitait Landru. Le journaliste s’interroge : « Ces restes seraient-ils ceux d’une victime de Landru ? » ; même plus de dix ans après, la presse parvient toujours à créer du suspens.

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« Une victime de Landru ? », Une, Le Petit Journal. Supplément Illustré, 12 Mars 1933.

Légendes et autres histoires effrayantes La presse fait donc passer à la postérité les tueurs en série qu’elle considère comme majeurs, mais elle véhicule aussi toute sorte d’histoires effrayantes les entourant ;

contribuant ainsi à forger le mythe que nous connaissons aujourd’hui. Ces histoires effrayantes impliquent parfois un univers légendaire lié aux monstres, ogresses et autres sorcières, comme nous l’avons montré au Chapitre 8 ; mais pas que. La presse diffuse également des histoires impliquant le souvenir des tueurs, qui ravivent et accentuent la psychose présente dans la population, un peu comme des sortes de malédictions. C’est surement ce qu’a dû produire sur le public l’article de La Presse intitulé « Le Fantôme de Dumollard »364, qui raconte que personne n’ose plus s’approcher du lieu où Dumollard enterrait ses victimes, à cause d’une présence angoissante. Un autre article trouvé dans Le Mémorial de La Loire accentue cet effet de malédiction avec un article révélant les difficultés liées à la vente du champ de Dumollard, que le journaliste nomme « le champ du sang »365. L’affaire Vacher a elle aussi donné lieu à des anecdotes angoissantes dans la presse ; à l’instar du Courrier de l’Ain qui évoque dans son édition du 1ier Janvier 1899 que les jeunes paysannes de la banlieue de Bourg (là où Vacher fut exécuté) craignaient tellement que le tueur soit gracié et relâché qu’elles menaçaient de ne plus retourner aux champs. Selon le journaliste, le souvenir des victimes qui hantaient leurs prés, leur était insupportable : « Les victimes de Vacher, toutes jeunes, étaient toujours devant leurs yeux et, dans les pâturages, 139 elles se tournaient sans cesse vers les bois proches, tremblant d’en voir sortir le chemineau sinistre ». Nous voyons bien ici que de tels récits – plus proches de la fiction que de l’information – contribue à créer un personnage de tueur en série mythique et effrayant.

Conclusion intermédiaire

Ainsi, pour résumer ce dernier chapitre, nous avons démontré que la presse a bien un rôle dans la construction des affaires de tueurs en série. Finalement, nous constatons que ce sont les journaux – et la passion du public- qui ont fait de nos affaires, des « grandes » affaires. Les innombrables occurrence de ces meurtriers en série dans les journaux en font de véritables vedettes médiatiques, des références connues de tous, les personnages typiques des légendes les plus glaçantes, transmises de décennie en décennie.

364 La Presse, édition du 25/04/1862. 365 Le Mémorial de la Loire, numéro du 20/06/1863.

Conclusions Générales

Ce mémoire avait pour sujet, les « regards de la presse sur les tueurs en série », alors finalement, quels sont ces regards ? Qu’avons-nous appris sur le comportement de la presse vis-à-vis des meurtriers ? Quels procédés sont-utilisés et que nous expliquent-ils sur le traitement des grandes affaires aujourd’hui ? Peut-on considérer que la presse a contribué à faire de ces tueurs de véritables légendes ? Etudier onze affaires de tueurs en série à l’aune d’une cinquantaine de journaux entre 1850 et 1950 nous a permis de mettre en lumière les différents traitements possibles. D’abord, nous avons pu déceler un regard qui est plutôt celui de la curiosité ; c’est un fait, les tueurs en série intéressent grandement la presse, intriguent les journalistes voir les passionnent, tout comme ils passionnent leur public. Justement le lien avec le lectorat est intéressant car il nous a permis de montrer que la presse a aussi un regard plus économique sur les affaires de tueurs en série ; parce que les articles sur les meurtriers sont inscrits dans un ensemble de stratégies des journaux pour augmenter le nombre de leurs tirages et faire face à la concurrence. Les lecteurs apprécient les histoires de tueurs, donc les journaux multiplient les articles, quitte parfois à faire passer d’autres actualités importantes au second plan. Nous avons également abordé le regard de la presse 140 qui est celui de l’enquêteur. En effet, étudier différentes affaires sur une période d’un siècle, a aidé à révéler une nette évolution des méthodes journalistiques, qui progressent, d’une simple retranscription des faits connus, à de véritables enquêtes d’investigations policières visant à rechercher la vérité mais aussi une explication au comportement déviant des tueurs en série. Car, vis-à-vis de cette menace pour l’ordre social, les journalistes ont aussi un regard assez moralisateur, et protecteur de la société. Raconter le meurtre n’est pas qu’un enjeu de divertissement, ce travail des journalistes a aussi pour but d’explorer le genre humain de façon plus rationnelle, un peu à la manière des experts scientifiques. D’ailleurs, la science gagne une grande place dans le journalisme sur notre période. De 1850 à 1950, la presse participe au mouvement scientifique qui s’intéresse de près aux meurtriers – les sciences criminelles – en ayant son propre regard « scientifique ». La science permet également à la presse de donner une certaine légitimité à son discours, ce qui peut entrer en contradiction avec la nature même du fait divers qui est plus centré sur le sensationnel. Finalement, les nombreuses références à la science que l’on trouve dans les articles semblent signifier une volonté des journalistes de rationnaliser un récit qui est loin de l’être au départ. Etudier le regard de la presse sur les tueurs en série nous a également permis de mettre en lumière les

rapports des journalistes avec les acteurs de la justice et les forces de l’ordre, qui sont des intervenants principaux dans les affaires. Notre étude a révélé des rapports compliqués : si le regard de la presse sur les tueurs en série n’est pas tendre avec les principaux intéressés, il ne l’est pas non plus avec les policiers ou la justice. Plus on avance sur notre période, moins les journalistes semblent avoir confiance en les informations officielles transmises par le parquet, ce qui les motivent à mener des enquêtes parallèles afin de doubler les vrais enquêteurs. Ce journalisme d’investigation poussé à son paroxysme, permet ainsi parfois à la presse de faire des découvertes représentant de grandes avancées dans les affaires. Ce regard de la presse est un regard qui se veut neutre et objectif car il vise à révéler la vérité et retranscrire la réalité. Cela transparait dans les articles par des faits énoncés avec une multitude de détails, conformes d’un journal à un autre. Néanmoins, l’étude de journaux avec des lignes éditoriales divergentes nous a permis de découvrir que la presse a également un regard politique sur les tueurs en série. En effet, une orientation politique affirmée peut entrainer un discours particulier, même si les informations restent les mêmes au départ : les journaux orientés à gauche ont plutôt tendance à défendre (ou ne pas condamner directement) les meurtriers, surtout s’ils sont issus de milieux sociaux défavorisés ; tandis que le discours des journaux de droite est plutôt orienté vers les notions de sécurité et de 141 danger. Finalement, en analysant les articles trouvés, nous nous sommes vite rendu compte que, par leur nature liée aux faits-divers, les grandes affaires de tueurs en série appellent à un récit qui ne peut se contenter d’une simple retranscription neutre des faits. Le choix des journalistes s’oriente vers un traitement à sensations et la réalité des faits finie par être plongée au milieu d’une foule de détails ayant pour but d’ajouter du mystère, de l’horreur, de l’intérêt. Cette découverte nous a orienté vers un autre regard de la presse sur les tueurs en série : le regard fictionnel. En effet, les journaux, par leurs très nombreux articles, ont contribué à forger une image particulière pour chaque meurtrier en série, finissant par les faire entrer dans des figures de criminel. Ces figures sont des types – connus de tous – qui évoluent au fur-à-mesure des décennies notamment par le travail des écrivains et des journalistes : on passe des figures anciennes comme le monstre, le fou, le monomane à des types nouveaux de criminels comme l’étranger, le toucheur d’argent, la tueuse… Ces figures font désormais partie d’un véritable imaginaire collectif qui voyage au travers du discours de la presse. En ce sens, la presse française a vraiment contribué à faire de nos onze tueurs en série des mythes, des légendes. Déjà ces archétypes ont participé à ce phénomène car elles sont partagées par tous, mais aussi parce que nous nous sommes rendu compte que les journaux avaient vraiment « construit » ces affaires, et contribué à en faire des « grandes »

affaires, de l’ordre de celles dont on se souvient encore aujourd’hui. Les différents regards de la presse que nous avons mis en lumière tout au long de ce mémoire ont élaboré progressivement les différents personnages de nos tueurs, possédants chacun des caractéristiques reconnaissables, et représentant tous une certaine personnalisation du crime. La presse a fait passer ces meurtriers à la postérité en continuant à faire couler de l’encre sur les affaires des décennies plus tard, faisant de nos tueurs en série des célébrités médiatiques et des références légendaires. Ainsi, pour conclure ce mémoire, nous pouvons dire que malgré le déclin de la presse écrite à partir des années 1950 – les journaux font face à la concurrence de nouveaux moyens de communication – les conclusions tirées de cette étude restent très pertinentes. Pour rappel, la Seconde Guerre Mondiale avait favorisé l’utilisation de la radio et l’après-guerre correspond à l’ère de la télévision ; faisant perdre à la presse écrite le monopole de l’information collective366. Le journalisme écrit doit désormais composer avec le journalisme parlé et télévisé, ce qui poursuit l’évolution des méthodes journalistique que nous avions notées, à savoir vers un journalisme plus réflexif, avec des commentaires de l’actualité367. Néanmoins malgré cette perte du monopole, on peut tout de même dire que 142 c’est la presse écrite du XIXème et début du XXème siècles qui a construit les codes du journalisme contemporain vis-à-vis des tueurs en série. Finalement, avec ce projet de recherche, nous avons pu nous rendre compte que les procédés utilisés dans des articles sur des tueurs en série vieux de plus de cents ans sont les mêmes que ceux utilisés par les médias d’aujourd’hui. L’intérêt est toujours extrêmement fort pour ces meurtriers qui défrayent la chronique. Chaque décennie est marquée par ses grandes affaires : Marcel Barbeault et Emile Louis dans les années 1970, Guy Georges et Francis Heaulme dans les années 1980, Michel Fourniret dans les années 1990… En somme, on trouve toujours énormément de contenu sur les tueurs en série : les centaines d’articles sont devenus des milliers, et sont désormais accompagnés de reportages télévisés ou radiophoniques ; les nouvelles écrites du jour ont été remplacées par des flashs info au journal de 20 heures. Cependant, même si les supports se sont diversifiés, les tueurs en série concurrencent toujours autant les autres actualités. D’autant plus que désormais, une multitude d’émissions existent, telles que « Crimes » (2013 – 2016), « Faites entrer l’accusé » (2000) ou encore « Enquêtes Criminelles » (2008). Cela rejoint la volonté identifiée chez les journalistes étudiés dans ce mémoire, à savoir celle de toujours satisfaire la soif de macabre de leur public. C’est

366 Pierre ALBERT, Histoire de la presse, op. cit., p.110. 367 Ibid., p.111.

pourquoi la photographie a poursuivi son ascension dans le journalisme des affaires de tueurs en série et qu’elle est désormais accompagnée du film. Cependant, une différence doit être notée avec notre étude, puisqu’aujourd’hui les détails donnés par la presse sont beaucoup moins crus, du fait de la censure par le biais du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et d’une plus grande attention portée au politiquement correcte. Aucune photographie de cadavre ne pourrait être à ce jour diffusée librement dans la presse. Autre similitude, il existe toujours une guerre entre la police, le parquet et la presse pour l’information exclusive dans les grandes affaires et les journalistes continuent à divulguer des informations en temps réels sans véritablement attendre de confirmation officielle (ce phénomène est notamment lié à l’émergence de chaines télévisées d’information en continu comme BFMTV, CNEWS, LCI…). Nous en avons eu un exemple, en Octobre 2019 avec le scandale et fiasco médiatique de la fausse arrestation de Xavier Dupont de Ligonnès, recherché depuis presque dix après que l’on ait découvert les corps des membres de sa famille dans leur maison en 2011. Le Procureur de la République de Nantes avait ouvert une enquête pour « violation du secret de l’instruction », quand la presse avait affirmé que Xavier Dupont de Ligonnès avait été interpellé en Ecosse le 11 Octobre 2019368. L’information de cette arrestation, que tous 143 les médias avaient diffusé en boucle, était erronée ; ce qui a donné une très mauvaise image de la presse. Afin de se donner de la légitimité dans ce genre d’affaire, les journalistes ont toujours recourt aux preuves scientifiques ; ce qui a même été renforcé par les progrès en la matière depuis notre période d’étude. Cependant, ce recours à la science, se fait toujours en parallèle de l’utilisation d’un langage du choc, du sensationnel, pour continuer à attirer l’attention du public, tout comme à l’époque du monopole de la presse écrite. Ce procédé est d’ailleurs renforcé aujourd’hui avec l’usage des réseaux sociaux, souvent d’ailleurs à l’origine de « fake news ». Enfin, les figures du criminel que nous avons mis en avant dans ce mémoire sont toujours utilisées, et la presse construit toujours un personnage autour des tueurs en série, souvent à l’aide de surnoms : si Vacher le vagabond était « Le Tueur de Bergers » dans la presse, Francis Heaulme est « Le Routard du Crime »369 ; si Landru était « Le Barbe-Bleue de Gambais », Michel Fourniret est lui « L’Ogre des Ardennes »370. Nos observations sur le rôle de la presse écrite française dans la construction du mythe des tueurs en série sont donc plutôt pertinentes, et nous pouvons assurément penser

368 « Affaire Dupont de Ligonnès : après la fausse arrestation, la recherche du coupable », Le Monde, 18/10/2019. 369 Surnom trouvé dans des articles de BFM, L’Express, Le Figaro, Sud-Ouest… 370 Surnom trouvé dans des articles du Figaro, Le Dauphiné, Le Monde, L’Alsace…

que les regards de la presse sur les tueurs en série de 1850 à 1950, permettent d’expliquer en grande partie le comportement de la presse à leur égard aujourd’hui.

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Bibliographie

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Annexes

Annexe 1 : Fiches explicatives des affaires

Hélène Jégado

Naissance, origine sociale et enfance : Hélène Jégado est née le 17 juin 1803 à Plouhinec (Morbihan), elle est la cadette d'une famille de cultivateurs aux revenus modestes371. Son enfance est nourrie des légendes de la Basse-Bretagne et elle est notamment traumatisée par le personnage de l'Ankou (personnification de la mort dans les légendes de Basse- Bretagne), dont on peut penser qu’elle va devenir l'incarnation pour surmonter ses angoisses372. Orpheline de mère à l'âge de 7 ans, elle est alors confiée en 1810 à ses tantes et placée comme domestique chez le curé de Bubry373.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Hélène Jégado accumule les emplois dans différentes villes – Séglien, Guern, Auray, Hennebont, Locminé, Lorient, Pontivy et, enfin, Rennes ; et se sert de sa position de 148 cuisinière pour empoisonner à l’arsenic le plat de ses victimes (des clients d'un bordel militaire de Port-Louis, où elle se prostitue, des maîtresses de maison, des prêtres, des religieuses, jusqu'à des enfants…)374. Son premier meurtre aura lieu en 1833 : Hélène Jégado a alors 30 ans et est employée chez le curé de Guern, Le Drogo. Très rapidement les décès se succèdent dans le foyer ; même Anna Jégado, la sœur d’Hélène, qui est revenue assister aux obsèques de son ancien patron, fait aussi partie des victimes. Hélène Jégado reste la seule survivante375. Ses meurtres se poursuivent jusqu’en 1851, à Rennes et prennent fin après les meurtres successifs de deux gouvernantes et d'une servante de son dernier employeur, l'avocat et professeur de droit et expert en affaires criminelles, Théophile Bidard de la Noë. Ce dernier, trouvant ces décès suspects, se décide finalement à enquêter et fait procéder à une autopsie qui révèle un empoisonnement à l'arsenic376 Elle a été accusée d'avoir attenté à la vie de près de 30 personnes, (mais il a été plus tard prouvé que soixante ont succombé)6.

Arrestation :

371 Archives Départementales du Morbihan, 3 E 169/19 : acte de naissance d’Hélène Jégado (28 prairial an XI) 372 « L’empoisonneuse et le Bâtonnier », Baro Magazine (le bulletin des avocats de Rennes), n° 39, Mai 2008, p. 22-23. 373 « Hélène Jégado. Une cuisinière presque au-dessus de tout soupçon. », Archives Départementales du Morbihan en ligne, URL dans la bibliographie 374 Ibid. 375 Pierre BOUCHARDON, "La Brinvilliers du XIXe siècle", in Crimes d’autrefois, S.I. : Perrin et Cie, libraires éditeurs, 1926, pp. 205-231. 376 Jacques PRADEL, « Hélène Jégado l'empoisonneuse », émission L'Heure du crime sur RTL, 7 mars 2013, URL dans la bibliographie.

Arrêtée le 2 juillet 1851, Hélène Jégado nie tout en bloc mais très vite l’enquête permet d’établir des liens avec des décès suspects qui dépassent la région rennaise pour s’étendre à tout le Morbihan377.

Procès : Il s’ouvre le 6 Décembre 1851. Ce procès est mis en concurrence avec un évènement marquant de l’époque : le coup d’Etat réalisé par Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851 et qui retient les journalistes parisiens de se rendre au prétoire378. Elle est accusée d'empoisonnements, de tentatives d’empoisonnement et de vols domestiques mais la justice n'a pu retenir que cinq meurtres pour cause de prescription379.

Issue : L’empoisonneuse est condamnée à mort le 14 Décembre 1851.380 Femme pieuse, Hélène se confesse et avoue ses meurtres en prison, la veille de son exécution à l’Abbé Tiercelin. La foule se presse pour assister son exécution le 26 février 1852 sur le Champ de Mars à Rennes381. Cette issue marque la fin d’une carrière de 18 ans (à cette époque la région est touchée par des épidémies de choléra dont les symptômes se rapprochent de ceux de l'empoisonnement 149 à l'arsenic).

Surnom dans la presse : Aucun surnom trouvé lors de cette étude.

Martin Dumollard

Naissance, origine sociale et enfance : Martin Dumollard est né le 21 avril 1810 à dans l'Ain382. Il perd son père à l’âge de quatre ans. Celui-ci avait fui sa Hongrie natale pour fuir un passé criminel mais il fût retrouvé en France par l’armée hongroise, qui le fit exécuter383384. Martin Dumollard se retrouva seul avec sa mère et dans la pauvreté. Il commence donc à travailler comme berger dès l'âge de huit ans ; il est ensuite employé comme domestique au Château de Sure à Saint- André-de-Corcy385. C’est là qu’il fait la connaissance de Marie-Anne Martinet, qu’il épouse des années plus tard en 1840386387.

Années actives et caractéristiques des meurtres :

377 Archives Départementales du Morbihan, U 823 : notes d’audiences, procès d’Hélène Jégado [1851- 1852]. 378 Myriam TSIKOUNAS, « Hélène Jégado, la Brinvilliers bretonne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 04 février 2020, URL dans la bibliographie. 379 Reconstitution du procès d'Hélène Jégado, vidéo INA « En votre âme et conscience - E50 - Le Cas d'Hélène Jegado », URL dans la bibliographie. 380 Archives Départementales du Morbihan en ligne, op.cit. 381 La Gazette de France, édition du 01/03/1852. 382 Archives Départementales de l’Ain, Ressources en ligne, Naissances : 1809-1810 vue 9/11, Acte de Naissance de Martin Dumollard. 383 Rémi CUISINIER, Dumollard : L'assassin des bonnes, La Taillanderie, 2008, p.68-69. 384 Le Constitutionnel, édition du 29/01/1862 385 L'affaire Dumollard : le tueur de bonnes, Lyon, coll. « Bibliothèque du Moniteur judiciaire de Lyon », 1903, p.8 386 Rémi CUISINIER, op.cit., p.70. 387 Le Constitutionnel, op.cit

Au total, Martin Dumollard commet douze agressions ou tentatives d’agressions de la fin des années 1850 au début des années 1860 ; la dernière commise est celle de Marie Pichon le 28 mai 1861, à la suite de laquelle il est arrêté. Pendant ses années actives, Martin Dumollard est journalier à Lyon où il aborde ses futures victimes, des jeunes femmes, en leur proposant un emploi intéressant en Côtière de l'Ain. Une fois convaincues, elles le suivent et durant le trajet Martin Dumollard les agresse, puis vole tous leurs effets personnels. Les agressions commises par Martin Dumollard sont d’une violence extrême. Par exemple, le 26 février 1861, il attaque Marie-Eulalie Bussod, qu’il frappe à la tête, dépouille de ses vêtements, puis viole et enterre vivante388.

Arrestation : Le 28 mai 1861, Dumollard croise Marie Pichon sur le Pont de la Guillotière (Lyon) et lui propose une place de bonne à Dagneux389. Elle accepte la proposition de Dumollard, rassemble ses effets personnels et prend le train en compagnie du criminel en direction de ; une fois arrivés et alors qu’ils finissent le trajet vers à pieds, Martin Dumollard agresse Marie Pichon et tente de l’étrangler390. Cette dernière parvient à s’échapper et se réfugie dans une ferme. Le propriétaire des lieux alerte le garde champêtre de Dagneux, qui reconnait Martin Dumollard dans la description faite par la victime391. Martin Dumollard est donc arrêté le 2 juin 1861 et reconnu formellement par Marie 392 Pichon . 150

Procès : Martin Dumollard est jugé en même temps que son épouse, qui est considérée comme complice, ayant revendu ou gardé les possessions des victimes de son maris pour sa propre utilité. L'enquête réalisée par le juge Genod de Trévoux retient douze agressions, parmi lesquelles on compte trois meurtres. Pourtant, au total on retrouve au domicile des époux Dumollard 1 250 pièces d’habillement féminin que l’on pense appartenir à presque 650 victime différentes393. Le procès des deux complices s’ouvre le 29 janvier 1862 à Bourg-en-Bresse et le verdict tombe le 1ier Février394395.

Issue : Martin Dumollard est condamné à mort et son épouse à vingt ans de travaux forcés396. Il est exécuté le 8 Mars 1862, à Montluel (Ain)397.

Surnom dans la presse : « Le Tueur de Bonnes »398

388 Frédéric CHAUVAUD, Justice et déviance à l'époque contemporaine : l'imaginaire, l'enquête et le scandale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p.42. 389 Nicolas LE BRETON, Grands criminels lyonnais, Ouest-France, 2013, p.201-202. 390 Ibid., p.203. 391 Ibid., p.205. 392 Rémi CUISINIER, op.cit., p.43-44. 393 Ibid. 394 Ibid., p.120. 395 Le Constitutionnel, édition du 04/02/1862 396 Ibid., p.201. 397 Ibid., p.210-211. 398 Le Figaro, numéro du 23/02/1862

Louis-Joseph Philippe

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale) : Louis-Joseph Philippe est né à Velleminfroy (Haute-Saône) en 1831 dans une « famille honorable et nombreuse »399. Enfant, lors d’un accident, il reçoit un coup de pied de cheval en pleine figure, lui laissant une cicatrice reconnaissable400. Il effectue son service militaire à partir de 1852 et est incorporé aux bataillons d’Afrique. En 1861 il revient à Paris, où il exerce plusieurs emplois : chef de cuisine, palefrenier, domestique… le dernier en date étant un travail de garçon de magasin401.

Années actives et caractéristiques des meurtres402 : De 1861 à 1864, à Paris, 8 meurtres de jeunes femmes (pour la plupart des prostituées) se succèdent, mais la police n’arrive pas à trouver l’auteur de ces crimes. Pourtant, il existe de nombreuses similitudes entre ces meurtres, laissant entendre qu’ils ont été commis par une seul et même personne, dont on sait désormais qu’il s’agit de Louis-Joseph Philippe. Les huit filles ont été sauvagement égorgées sans pour autant que le meurtrier ne commette un vol ou une agression sexuelle sur ses victimes. La police ne parvient pas pendant longtemps à avancer dans l’enquête puisqu’il faut attendre le 7ème meurtre commis par Louis-Joseph Philippe pour que des témoins commencent à donner une description du tueur (description qui reste très vague). A ces 8 premiers meurtres s’ajoutent ceux commis de fin 1864 à 1866 : le 6 Novembre 1864, la police fait la découverte du corps de Flore Mage, accompagné de celui de son fils Henri, 151 dans leur appartement. Suite à ce crime, une autre prostituée, Sophie Fouché, témoigne et affirme qu’elle a été approchée par le tueur. Elle l’aurait rencontré dans un café mais est parvenue à s’enfuit in extremis. Cependant, sa description est très précise et elle mentionne même l’existence d’un tatouage sur l’avant-bras de l’homme avec l’inscription « né sous une mauvaise étoile ». Suite à ce témoignage plus précis que les précédents, Louis-Joseph Philippe disparait et ne commet pas d’autre meurtre pendant un an. Néanmoins en Janvier 1866, le corps d’une nouvelle jeune femme est retrouvé près de l’Eglise du Quartier de la Madeleine. Il s’agit de Marie-Victoire Bodeux, que Philippe a assassiné le 8 Janvier 1866. Il s’agit de sa 10ème victime403.

Arrestation : Louis-Joseph Philippe est finalement arrêté en Janvier 1866 alors qu’il tente de commettre son 11ème assassinat sur la personne Louise-Aline Labouche, dite la veuve Midy404.

Procès : Le procès de Joseph Philippe s’ouvre le 25 Juin 1866 devant le tribunal de la Cour d’Assises de la Seine où il est jugé seulement pour quatre assassinats, une tentative d’assassinat et pour vols, les débats durent trois jours405.

Issue :

399 Le Constitutionnel, édition du 26/06/1866 400 Ibid. 401 La Gazette de France, édition du 26/06/1866. 402 Ibid. 403 Le Constitutionnel, édition du 26/06/1866. 404 La Gazette de France, édition du 26/06/1866. 405 Le Constitutionnel et La Gazette.

Louis-Joseph Philippe est exécuté le 24 juillet 1866 au matin, devant la prison de la Grande Roquette à Paris406.

Surnom dans la presse : Aucun surnom trouvé lors de nos recherches

Jean-Baptiste Troppmann

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale…) : Il est né à Brunstatt (Haut-Rhin) le 5 octobre 1849. Son père est le propriétaire d’une petite entreprise, Troppmann et Kambly, société de production de matériel utilisé dans l’industrie textile407. Le jeune Jean-Baptiste travaille dans l’usine de son père en tant qu’ouvrier mécanicien, à Cernay, dans le Haut-Rhin, là où il vit408. En 1868, Troppmann part vivre à Paris, dans le but d’installer les nouvelles machines vendues par son père à un industriel parisien. Il loge alors à Pantin, près des Quatre Chemins. Il se rend ensuite à Roubaix pour d’autres installations, c’est là qu’il rencontre Kinck et sa famille.

Années actives, caractéristiques des meurtres : Troppmann et Kinck semblaient partager la même volonté de s’enrichir. 152 Le 24 Août 1869, Jean Kinck se rend en gare de Bollwiller (proche de Mulhouse) où Troppmann lui a donné rendez-vous, sous prétexte de la visite d’une fabrique clandestine de fausse monnaie. Ils prennent tous deux la route mais au cours de ce voyage Troppmann empoisonne Jean Kinck afin de lui dérober les 5 500 francs qu’il était censé avoir emporté409410. Cependant ce dernier n’a pas la somme sur lui, Troppmann enterre donc le corps et revoie son plan. Jean-Baptiste Troppmann décide donc de se faire passer pour Jean Kinck afin de soutirer l’argent à sa famille411. Il écrit d’abord à son épouse, en lui demandant de retirer de l’argent et de l’envoyer par la poste à Paris, là où Kinck est censé se trouver Le mensonge est assez grossier, mais Mme Kinck, que son mari a tenu dans l’ignorance, s’exécute. Nouveau problème pour Troppmann, il est trop jeune pour pouvoir récupérer lui-même l’argent (le mandat étant au nom de Jean Kinck, un homme d’âge mûr). Le tueur change donc à nouveau de stratégie et adresse une nouvelle lettre, toujours en tant que Jean Kinck, à son fils ainé, Gustave Kinck afin qu’il aille récupérer l’argent à Guebwiller (là où Troppmann l’a fait envoyer). Il fait passer cette somme pour un gain d’affaires, réalisé avec son nouvel associé, Jean-Baptiste Troppmann, et écrit dans la lettre qu’il lui donne les pleins pouvoirs. Début Septembre, Gustave Kinck va récupérer l’argent, mais il a oublié de rédiger une procuration, il écrit donc à son père qu’il se rend à Paris. Troppmann se rend à la gare pour le réceptionner à la descente du train, il constate avec rage que le fils n’a toujours

406 Le Constitutionnel, édition du 25/07/1866. 407 Jacques PRADEL, « La tuerie de Pantin », émission L'Heure du crime sur RTL, 30 Décembre 2014, URL dans la bibliographie. 408 Le Petit Journal, édition du 29/12/1869. 409 Jean CLAIR, Crime & châtiment, Gallimard, 2010, p. 318. 410 Le Petit Journal, op. cit. 411 Ibid.

pas l’argent. Il urge donc Gustave d’écrire une dernière lettre à sa mère, pour lui demander de le rejoindre avec tous les documents nécessaires412. Désormais Troppmann n’a plus besoin du jeune homme, il l’assassine sauvagement et l’enterre près du « Champ Langlois » près de La Villette, à Pantin, au Nord-Est de Paris. Toute la famille se rend donc à Paris. Troppmann les rejoint à la gare pour les conduire à Pantin, là où Jean Kinck habiterait désormais. Ils louent un fiacre et entreprennent le trajet. Une fois arrivée en pleine nuit et dans un endroit désert, Jean-Baptiste Troppmann les assassine, égorgeant la mère et ses deux plus jeunes enfants, avant d’étrangler les trois derniers. Ils sont tous achevés à coup de pelle, avant d’être enterrés dans le champ, certains encore vivants413.

Arrestation : Le 20 Septembre 1869, Jean-Louis Auguste Langlois, cultivateur, se rend bêcher son champ, aux Quatre-Chemins, dans les plaines de Pantin. Il découvre alors des traces étranges dans l’herbe du champ d’à côté et fait la découverte macabre des corps des membres de la famille Kinck, excepté le père414. Les corps sont rapidement identifiés et dès le 21 Septembre, les policiers retrouvent le cocher qui a conduit Troppmann et la famille Kinck sur le lieu du crime415. Les enquêteurs remontent donc jusqu’à Troppmann qui s’apprête à embarquer au Havre pour fuir en Amérique. Il est reconnu lors d’un contrôle de routine à cause de son attitude suspecte. Troppmann prend la fuite dans le port avant d’être rattrapé416.

153 Procès : Le procès de Jean-Baptiste Troppmann, s’ouvre le 28 décembre 1869, devant la Cour d'Assises de la Seine, jusqu’au 30 Décembre417.

Issue : Lors de cette dernière audience, Troppmann est considéré coupable, et la Cour le condamne à la peine de mort. Il est exécuté le mercredi 19 Janvier 1870, à sept heures du matin, sur la place de la Roquette418.

Surnom dans la presse : Aucun surnom trouvé lors de nos recherches.

Albert Pel

Naissance, origine sociale et enfance : Albert Pel est né le 12 juin 1849 à Grand-Cœur (aujourd’hui Aigueblanche) en Savoie419. Il est le fils d'un horloger et d'une commerçante. Quelques temps après sa naissance, les parents d’Albert Pel se séparent. Le jeune Albert est donc élevé par son père, resté vivre à Bourg-Saint-Maurice, avant d’être pris sous l’aile d’un de ses oncles, qui est avocat, et qui

412 Le Petit Journal, op.cit. 413 Ibid. 414 Ibid. 415 Michel MALHERBE, Grandes affaires de police. Paris, 1800-1900, Éditions Crépin-Leblond, 1993, p. 43. 416 Eddy SIMON, Les grandes affaires criminelles de Seine-Maritime, Éditions de Borée, 2006, p. 308. 417 Le Temps, édition du 01/01/1870. 418 Le Petit Journal, édition du 20/01/1870. 419 Le Constitutionnel, édition du 12/06/1885

se propose de l'envoyer à Paris terminer son instruction et faire son apprentissage420. A partir de 1859, Albert Pel retourne donc vivre auprès de sa mère. Lorsqu’Albert a quinze ans, il débute une formation pour devenir ouvrier horloger puis travaille successivement en tant qu’apprenti dans plusieurs maisons d’horlogerie de 1865 à 1868421. En 1869, il ouvre son propre commerce d'horlogerie, rue Marguerite-de-Rochechouart, dans le 9ème arrondissement. A cette époque, Mme Pel, la mère d’Albert vit toujours avec son fils.

Années actives et caractéristiques des meurtres422 : Les morts suspectent entourant Albert Pel débute en 1872 lorsqu’à la fin du mois d’août, Mme Pel est prise de violentes coliques, dont elle décède rapidement, dans l’indifférence de son fils423. En Mai 1879, Albert Pel s’installe dans le quartier des Ternes, rue Doisy où il occupe un appartement en compagnie de deux femmes : Marie Mahoin, sa domestique, et Eugénie Meyer, sa maîtresse. A cette époque, il se donne alors le titre de docteur en médecine, ce qui témoigne déjà de la possible présence de troubles psychiques, pour lesquels il est notamment interné à Sainte-Anne en 1877. En Juillet, Eugénie Meyer et Marie Mahoin sont toutes deux prises subitement de vomissements et de diarrhée, tout comme Mme Pel l’avait été avant elles. Autre fait inquiétant, Eugénie Meyer, qui était tombée malade la première, disparait dans le court laps de temps pendant lequel Marie Mahoin, elle-même souffrante, s’absente du domicile pour être soignée à l’hôpital. Une fois rétablie et alors qu’elle souhaite reprendre son service, Mlle Mahoin est confrontée à un Albert Pel, d'allure étrange, qui refuse de la laisser pénétrer chez 154 lui. Il se contente seulement de lui rendre les effets personnels qu’elle avait laissé chez lui, sans lui donner l’accès à l’appartement. Une première enquête est donc ouverte sur la disparition inquiétante d'Eugénie Meyer. Albert Pel est le principal suspect mais cependant, faute de preuves sérieuses, celle-ci est ci est close non-lieu. Albert Pel revient alors s'installer rue Kléber et recommence à exercer la profession d'horloger (qu’il avait délaissé ces dernières années pour d’autres activités : il avait ouvert successivement une pâtisserie, une agence de publicité et était même devenu le régisseur d’un théâtre...). Le 26 août 1880, Albert Pel se marie avec Eugénie Buffereau424, qui lui apporte une dote de 4000 francs. Leur mariage ne dure pas très longtemps puisque dès octobre de la même année la jeune femme est prise de violents vomissements, dont elle finit par mourir le 24 Octobre 1880 (le corps est exhumé en 1884 et on découvre qu’Eugénie a été empoisonnée par une forte dose d’arsenic). En 1881, Albert Pel reproduit le même schéma en épousant Angèle Dufaure Murat-Bellisle (la dote est ici de 5000 francs). Les jeunes mariés partent s’installer à Nanterre en compagnie de la mère d’Angèle, qui ne tarde pas à être prise de coliques. Cette dernière quitte donc les époux pour retourner à Paris. Quant à Angèle, qui accouchera de l’enfant de Pel quelques semaines avant le procès de ce dernier, elle abandonne son mari pour la liaison qu'il commence à entretenir avec Élise Boehmer, une domestique.

420 BROUARDEL Paul ; L’HOTE Louis, Affaire Pel, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886, p. 6. 421 Le Constitutionnel, op.cit. 422 Christophe HONDELATTE, « Albert Pel, le grand frère de Landru », émission Hondelatte raconte, Europe 1, 29 juin 2017, URL dans la bibliographie. 423 Le Constitutionnel, op.cit. 424 La Croix, numéro du 17/10/1884.

En Juin 1884 les deux amants emménagent à Montreuil mais le 2 Juillet, Élise Boehmer tombe malade (toujours de coliques et de vomissements)425. Des voisines prennent soin d’elle jusqu'au 12 juillet. Ce jour-là Albert Pel prend le relais au chevet de la malade et c’est la dernière fois qu’Elise Boehmer est vue en vie. A ce stade, Albert Pel est suspecté d’avoir incinéré sa compagne (des voisins attestent l’avoir vu allumer de grands feux dans un four et se sont plaints d’une odeur épouvantable)426.

Arrestation427 : Avec ces témoignages et la disparition d’Elise Boehmer, le parquet ouvre une enquête et Albert Pel est arrêté le 14 Juillet 1884 L’enquête se poursuit et il est accusé de sept empoisonnements.

Procès : Le procès d’Albert Pel se déroule du 11 au 13 Juin 1885 devant la Cour d'assises de la Seine. Seulement deux des sept empoisonnements sont poursuivis (le meurtre d'Eugénie Buffereau et celui d’Élise Boehmer).

Issue428 : Albert Pel n'est pas considéré comme responsable de l'empoisonnement d'Eugénie Buffereau, mais coupable du meurtre d'Élise Boehmer. Il est donc condamné à mort le 13 Juin 1885. Cependant, à cause d’un vice de forme dans le procès la décision n’est pas prise en compte et Albert Pel est renvoyé devant la Cour d'Assises de Melun. Il est de nouveau 155 acquitté du meurtre de Mlle Buffereau mais reconnu coupable du meurtre d'Élise Boehmer. Toutefois la Cour lui accorde le bénéfice des circonstances atténuantes et Albert Pel est condamné aux travaux forcés à perpétuité ; peine qu’il purge dans un bagne en Nouvelle- Calédonie. Il y meurt le 9 juin 1924, à l’âge de 75 ans.

Surnom dans la presse : « L’Horloger de Montreuil »429

Henri Pranzini

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale…) : Henri Pranzini est né le 7 Juillet 1856 à Alexandrie (Egypte)430. Son père, qui est employé aux archives de la Poste et sa mère, fleuriste, sont des immigrants italiens venus s’installer en Egypte Après ses études, Henri Pranzini travaille à son tour pour la Poste égyptienne, mais il est renvoyé lorsque son employeur découvre qu’il ouvre les courriers et y vole de l'argent. Henri Pranzini décide alors de débuter une carrière d’aventurier : il entre dans l'Armée des Indes et participe même à la guerre en Afghanistan (Seconde Guerre Anglo-Afghane), avant d'offrir un temps ses services à l’armée russe. Puis, en 1884, il s'engage dans l'armée anglaise

425 Le Constitutionnel, op.cit. 426 BROUARDEL Paul ; L’HOTE Louis, Affaire Pel, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886, p. 48. 427 Christophe HONDELATTE, « Albert Pel, le grand frère de Landru », émission Hondelatte raconte, Europe 1, 29 juin 2017, URL en bibliographie. 428 Le Constitutionnel, éditions du 12 au 14/08/1885. 429 Le Matin, édition du 12/06/1885 430 Le Constitutionnel, édition du 02/09/1887.

et participe à l’expédition au Soudan en tant que chef-interprète (Henri Pranzini parlait 8 langues). En 1886, Henri Pranzini rentre à Paris où il exerce notamment le métier de traducteur d'employé pour une maison s'occupant de la retouche de tableaux431.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Henri Pranzini est connu pour avoir commis le « triple assassinat de la rue Montaigne ». Ce triple assassinat s’est déroulé le 17 Mars 1887 à Paris, dans un appartement du troisième étage, au 17 de la rue Montaigne. Les victimes de Pranzini sont Claudine-Marie Regnault, une « courtisane » aussi connue sous le nom de « Régine de Montille », sa femme de chambre Annette Grémeret ainsi que sa fille Marie-Louise. Les trois femmes ont été égorgées et presque décapitées, tous les bijoux et affaires précieuses ont disparues. Au début de l’enquête Henri Pranzini n’est pas du tout suspecté ; la police étant au départ sur la piste d'un certain Gaston Gessler dont une lettre, les boutons de manchette ensanglantés et la ceinture en cuir avait été trouvés dans l’appartement de Mlle Regnault432.

Arrestation : Pendant que le suspect est recherché à travers toute l’Europe (on pense qu’il s’est enfuit en Belgique433), le 21 mars, Henri Pranzini fréquente une maison close à Marseille où il paye avec des pierres précieuses et une montre luxueuse434. Il est dénoncé par la gérante de l’établissement qui craint d’être accusée de recel d’objets volés et le commissariat fait le lien 156 entre ces objets et ceux ayant été volés à Paris lors de l’affreux crime. Henri Pranzini est retrouvé le jour même par les forces de l’ordre néanmoins, sa maîtresse, Antoinette Sabatier, lui fournit au début un alibi pour la nuit du 17 au 18 Mars435. L’enquête se poursuit pour progressivement incriminer Pranzini (témoins, mais aussi tests scientifiques comme un examen de graphologique436, anthropométrique437438 ainsi qu’une étude de ses empreintes digitales439), dont la maîtresse reconnait finalement qu’il n’a pas passé la totalité de la nuit en sa compagnie. A ce stade, il reste seulement le doute planant quant aux effets personnels de Gaston Gessler retrouvés sur la scène de crime. Ce fait étrange sera finalement expliqué par une altercation ayant eu lieu six ans auparavant, en 1881, à Naples. Henri Pranzini travaillait alors à la réception d’un hôtel et fut surpris par son supérieur Gaston Gessler, qui le fit renvoyer. Afin de se venger Pranzini lui vole boutons de manchette et ceinture ; qu’il a pris soin de placer bien en évidence sur la scène de crime, démontrant par-là la préméditation de son geste440.

Procès : Henri Pranzini est jugé par la Cour d’Assise de la Seine à partir du 9 Juillet 1887. Les audiences s’étendent sur cinq jours, au terme desquels il est reconnu coupable de ses actes.

Issue :

431 Le Petit Parisien, édition du 29/03/1887. 432 Le Petit Parisien, édition du 20/03/1887. 433 Le Petit Parisien, édition du 21/03/1887. 434 Le Petit Parisien, édition du 23/03/1887. 435 Le Petit Parisien, édition du 24/03/1887. 436 Le Petit Parisien, édition du 10/04/1887. 437 Le Petit Parisien, édition du 02/04/1887. 438 Le Constitutionnel, édition du 02/04/1887. 439 Ibid. 440 Jean-Émile NEAUMET, Un flic à la Belle époque. Anarchistes, Assassins mondains et scandales politiques, Albin Michel, 1998, p. 259.

Pranzini est donc condamné à mort. Tous ses recours en grâce se révèlent infructueux et il est exécuté au matin du 1ier Septembre 1887 à la prison de la Grande Roquette à Paris441.

Surnom dans la Presse : « L’Assassin de la Rue Montaigne »442

Joseph Vacher

Naissance, enfance et élément biographiques (origine sociale) : Né à Beaufort (Isère) le 16 novembre 1869443. Il grandit une famille nombreuse, entouré de pas moins de quinze frères et sœurs444 et respectée de cultivateurs de l'Isère. Joseph Vacher est élevé dans une atmosphère empreinte légendes et mythes, notamment alimentés par sa mère445446. Le jeune Joseph Vacher est un enfant assez violent, parfois pris de crises de démence, et doté d’une force surprenante pour son âge447. Les travaux d’Alexandre Lacassagne nous apprennent d’ailleurs que Joseph Vacher se serait montré enfant d’un caractère sournois et 157 cruel, car il aimait notamment torturer les animaux5. Il est aussi parfois pris de crises de démence, durant lesquelles il brise tout ce qui est à sa portée448. Également violent et doué, il n'hésite pas à frapper ses frères et sœurs, même les plus âgés, se montrant tout aussi brutal avec ses camarades d’école. Une fois adulte, Joseph Vacher effectue son service militaire et est envoyé le 15 novembre 1890 au 60e régiment d'infanterie de Besançon, malgré quelques débuts difficiles et mésententes avec ses camarades, il est rapidement nommé sergent449. C’est à moment-là qu’il rencontre à Besançon, une cantinière, Louise Barrand, qu’il demandera bientôt en mariage6. Cependant, celle-ci refuse et Joseph Vacher lui tire dessus à trois reprises avant de retourner l’arme contre lui. Ils ne seront que blessés mais Vacher gardera de graves séquelles. Deux balles sont restées logées dans son crâne et son cou, lui provoquant une surdité totale à l’oreille droite ainsi qu'une paralysie du nerf facial droit qui laisse son œil droit injecté de sang et plus grand que l'autre450. C’est à la suite de cette blessure à l’oreille, que Joseph Vacher gardera presque toujours la tête couverte (en témoigne les nombreuses représentations de lui dans la presse de l’époque, portant sa fameuse toque en poils de lapin).

441 Le Petit Journal, édition du 02/09/1887. 442 Le Constitutionnel, édition du 20/03/1887. 443 Archives Départementales d’Isère, Beaufort, Naissances, 1860-1894, 9NUM/AC032/4 ; Vue 62, no 18 et 19 : « Actes de naissance de Joseph et Eugène Vacher (mort le 15/7/1870) ». 444 Rémi CUISINIER, L'Assassin des bergères, Lyonnais et Forez, 2002, p. 75-76 445 Jacques PRADEL, « Joseph Vacher, le « Jack l’éventreur du Sud Est » », L'Heure du crime, RTL, 25 Septembre 2015, URL en bibliographie. 446 Jean-Pierre DELOUX, Vacher assassin : un serial-killer français au XIXe siècle, Paris, Claire Vigne, coll. « L'Autre Histoire », 1995, p. 80. 447 Alexandre LACASSAGNE, Vacher l'éventreur et les crimes sadiques, Lyon, A. Storck - Paris, Masson, coll. « Bibliothèque de criminologie, XIX », 1899. En ligne sur Gallica, p. 9. 448 Le Courrier de l’Ain, édition du 15/10/1897 449 Alexandre LACASSAGNE, op.cit., p. 4 450 G. PAPILLAULT, « Observations craniologiques de la tête de Vacher », in LABORDE et al., « Étude psycho-physiologique, médico-légale et anatomique sur Vacher », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série. Tome 10, 1899, p. 488 à 494.

Cet épisode l’a également laissé avec des atteintes psychiques sévères, le conduisant à être définitivement réformé de l'armée, notamment car il était en proie à de nombreuses crises de paranoïa et de délires de persécution451. Joseph Vacher passera plusieurs séjours en asile, avant de débuter sa vie de vagabond.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Ses crimes ont été commis entre les années 1894 et 1896 : le 19 mai 1894, à Beaurepaire, il commet le premier meurtre avoué, celui d'Eugénie Delomme, une ouvrière, qu’il a violé et étranglée à 200 mètres de son usine452. À partir de ce moment, et durant trois ans, Vacher aurait commis des crimes au hasard de sa route, laissant d'autres être suspectés à sa place. Le 31 août 1895, on découvre à Bénonces (Ain) le cadavre mutilé et violé d’un jeune berger, Victor Portalier, un jeune berger d'une quinzaine d'années éventré, égorgé, les parties génitales mutilées ; à ce moment-là des témoins donnent une description correspondant à Joseph Vacher : « un vagabond qui, comme signes particuliers, « a une cicatrice ou rougeur sur l'œil droit, porte un petit sac en toile et un bâton453 ». Le mode opératoire de Joseph Vacher consiste à guetter des jeunes filles ou garçons isolés, puis « il se jette à sa gorge, qu'il serre d'abord par strangulation, et qu'il sectionne ensuite rapidement avec le couteau ou plutôt le rasoir qu'il porte toujours sur lui ; une fois et instantanément abattue, il lui fait subir des mutilations diverses : éventration, section des seins (si c'est une femme), section des testicules (si c'est un homme), puis, au comble de l'excitation et du paroxysme, il frappe de nouveau et au hasard le cadavre déjà mutilé... et 158 consomme le forfait par le viol, d'habitude inversif… »454

Arrestation : En Août 1897, Joseph Vacher est arrêté « outrages publics à la pudeur » dans un bois à Champis, en Ardèche, alors qu’il tente a tenté d'agresser une fermière. Vacher est alors condamné le 7 Septembre 1897 à trois mois de prison par le tribunal de Tournon455. Le nouveau juge d’instruction de Belley (Ain), Emile Fourquet est interpellé par le physique de Joseph Vacher qui semble correspondre au signalement du principal suspect dans l'affaire du meurtre de Victor Portalier12. Vacher est transféré à la prison de Belley et soumis aux interrogatoires de Fourquet ; le juge constate ainsi que les errances de Vacher sont passées essentiellement par des endroits où des crimes violents présentant certaines similitudes ont été perpétrés.456 Le 10 octobre 1897, Vacher passe aux aveux d'abord pour huit meurtres457 (au total il avouera onze meurtres458 et une tentative de viol).

Procès : Joseph Vacher est suspecté d’être l’auteur d'une cinquantaine de crimes, dont l'égorgement d'au moins vingt femmes et adolescents, par la suite mutilés et violés. Avant son procès, le 14 juin 1898, en accord avec la procédure judiciaire, le juge Emile Fourquet charge trois médecins (Alexandre Lacassagne, Antoine-Auguste Pierret et Fleury

451 Alexandre LACASSAGNE, op.cit., p. 13 452 Ibid., p. 74 453 Archives départementales de l'Ain, Affaire Vacher ; 1 à 146 Renseignements pièces de forme, n° 35. 454 J.-V. LABORDE, L. MANOUVRIER, G. PAPILLAULT, « Etude psycho-physiologique, médico-légale et anatomique sur Vacher », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série. Tome 10, 1899, p. 465. 455 A. LACASSAGNE, op.cit., p.2. 456 Émile FOURQUET, « Les vagabonds criminels », Revue des deux Mondes, mars/avril 1899, p. 399-437. 457 Le Petit Journal, édition du 13/10/1897. 458 Le Courrier de l’Ain, édition du 24/10/1897.

Rebatel) d’établir un rapport de l'état mental de l’accusé, afin d’établir s’il avait conscience de ses actes au moment des meurtres ; leur analyse sera complétée par celle de deux autres médecins459 sont par ailleurs chargés de l'examen radiographique de la tête et d'inspecter l'oreille de Vacher. Le procès s’ouvre le 26 Octobre 1898 et Joseph Vacher est jugé pour un unique meurtre, celui de Victor Portalier.460

Issue : Le 28 octobre 1898, Vacher est condamné à mort par les assises de l'Ain et il sera exécuté le 31 Décembre 1898, sur le Champ-de-Mars de Bourg-en-Bresse461.

Surnom dans la presse : Surnommé le « Tueur de Bergers462 » ou le « Jack l'Éventreur du Sud-Est463 »

Henri Vidal

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale…) : Henri Vidal nait le 16 Juillet 1867 à Vals-Les-Bains très peu de temps avant la mort de son 159 père464. Enfant, il était très faible de constitution et présentait des signes de dégénérescence. Il fréquente l’école primaire supérieure de Bandol avant de poursuivre ses études au lycée Saint-Charles465. En 1899, il participe à une expédition au Soudan, organisée par une société industrielle pour la recherche et l’expédition de mines d’or466. Lors de celle-ci, Henri Vidal fut chargé de la direction d’une colonie467. Henri Vidal est, lorsqu’il commet ses meurtres, hôtelier à l’Hôtel des Hespérides, à Hyères468. Il est âgé de 34 ans en 1901.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Les crimes se sont déroulés au mois de Décembre 1901, dans le Sud de la France. Les premières victimes sont deux prostituées, que Vidal agresse de plusieurs coups de couteau et blesse grièvement, sans motif apparent dans le centre-ville de Hyères. Quelques jours plus tard, une autre prostituée est victime d’une agression similaire et cette fois elle décède. Enfin, à la fin du mois de Décembre, Henri Vidal reproduit ce schéma sur une jeune femme, employée de magasin voyageant en train pour se rendre à de Beaulieu à Eze469. Il

459 Archives départementales de l’Ain, Affaire Vacher ; 54 à 146 Première information pièce de forme, Commission rogatoire (n° 160) et Ordonnance (n° 161-163). 460 Archives départementales de l'Ain ; Affaire Vacher ; 691-699 Procédure devant la chambre des mises en accusation. Acte d'accusation, no 21-42. 461 Le Petit Parisien, numéro du 31/12/1898. 462 Le Matin, édition du 28/10/1898. 463 Le Petit Journal, édition du 09/10/1897. 464 Le Petit Journal, édition du 03/11/1902, p.2. 465 Le Matin, édition du 27/10/1902. 466 Le Matin, édition du 10/01/1902. 467 Le Matin, édition du 09/01/1902. 468 Le Matin, édition du 06/01/1902 ; Le Petit Journal, édition du 04/11/1902. 469 Nicole EDELMAN, « Philippe ARTIÈRES et Dominique KALIFA, Vidal. Le tueur de femmes, une biographie sociale », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 24 | 2002, p.176-177, URL dans la biblio.

égorge sauvagement la jeune femme à l’intérieur même de son compartiment, avant de jeter le corps sur les voies. A ce stade, les enquêteurs font le lien entre ces quatre affaires et supposent qu’il s’agit du même assassin, sans pour autant avoir de piste.

Arrestation : Il est arrêté le Dimanche 29 Décembre 1901470 alors qu’il voyageait justement sans billet dans un train.

Procès : Son procès s’ouvre le 03 Novembre 1902 devant la Cour d’Assises de Nice471.

Issue : Il est condamné à mort pour être finalement gracié par le Président Emile Loubet en Janvier 1903472. Henri Vidal voit sa peine capitale commuée en celle de travaux forcés à perpétuité ; et est envoyé au bagne de Cayenne (Guyane Française), où il meurt en 1906 à l’âge de 39 des suites d’une maladie473.

Surnom dans la Presse : 474 « L’égorgeur aux yeux de loup » 160 « Le Tueur de Femmes »475 « Le nouveau Pranzini »476

Jeanne Weber

Naissance, enfance et élément biographiques (origine sociale) : Elle est née Jeanne Moulinet le 7 octobre 1874 à Kérity (aujourd’hui Paimpol en Bretagne) d’un père pêcheur et d’une mère ménagère477. Elle a quatre frères et sœurs478. Jeanne Weber n’a jamais reçu d’éducation scolaire (elle est qualifiée d’illettrée) et quitte la maison familiale pour Paris à l'âge de 14 ans, où elle exerce divers emplois jusqu'à son mariage en 1893 avec Jean Weber, un camionneur dont on connait le penchant pour l’alcoolisme.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Ses meurtres s’étalent de 1905 à 1908 ; années durant lesquelles elle étrangle dix enfants (huit sont morts et deux ont survécu), dont les siens479. Jeanne Weber s’en est notamment pris aux enfants des membres de sa famille :

470 Le Petit Marseillais, édition du 01/01/1902 471 Le Siècle, édition du 04/11/1902. 472 Le Matin, édition du 10/01/1903. 473 Nicole Edelman, op.cit. 474 Le Matin. 475 Le Matin, édition du 04/01/1902. 476 Le Matin, 04 et 06/01/1902. 477 Archives Départementales des Côtes d’Armor, Registres d'état civil de 1793 à 1906, Lot n°8, Image 164/361 : « Acte de Naissance de Jeanne Weber », Consulté sur le site des Archives en ligne le 17/03/2020. 478 Le Matin, édition du 03/05/1907. 479 La femme Weber : l'ogresse de la Goutte d'or, Paris, Librairie du Livre national, coll. « Crimes et châtiments », N°27, 1932, 32p., p.4.

Le 2 Mars 1905, tandis que Jeanne Weber a la charge de garder les enfants de sa belle-sœur, l’une des deux petites, tombe soudainement malade et meurt480. Son cou présente d'étranges contusions, qui ne sont pourtant pas remarquées par le médecin à l’époque. Jeanne continue donc de garder d'autres enfants qui meurent eux-aussi de morts subites inexpliquées. Ainsi, par exemple, le 25 Mars de la même année, elle garde Germaine (7 ans), la fille d’un de ses frères, Léon. Celle-ci est alors victime d'une crise subite de « suffocation », accompagnée ici aussi de la présence de marques rouges sur la gorge. Autre exemple, le 5 avril 1905, Jeanne Weber est invitée par l’une de ses belles-sœurs à dîner ; alors que les autres femmes partent faire quelques courses, Jeanne reste à la maison avec son neveu Maurice (2 ans). À leur retour, elles trouvent Maurice à demi-mort sur son lit, avec la gorge tachée d'ecchymoses, et Jeanne debout sur lui avec une expression folle sur son visage481.

Multiples arrestations et Procès : Jeanne Weber est jugée une première fois en 1906. Son procès s'ouvre le 30 janvier et elle est accusée de cinq meurtres, dont ses trois enfants482. Le Docteur Socquet, médecin légiste du parquet de la Seine ainsi que le professeur de médecine légale de la faculté de Paris Léon Thoinot, concluent à des morts naturelles. Compte-tenu de cet avis et de la défense efficace de son avocat maître Henri Robert, Jeanne Weber est acquittée le 6 février 1906483. Après avoir été relâchée en 1906, Jeanne Weber quitte Paris pour l’Indre, puis pour l’Eure où elle travaille dans un hôpital puis une maison pour enfants ; deux lieux qui seront marqués 161 par des nouveaux meurtres étouffés. Même si elle avoue ses crimes lors d’une nouvelle arrestation, l’enquête n’est pas réouverte et Jeanne Weber est internée484. De nouveau libérée, Jeanne Weber retourne à Paris, où elle s'engage dans la prostitution. Jeanne Weber s'installe dans une auberge. Un peu plus tard, elle est surprise en train d'étrangler le fils de l'aubergiste485.

Issue : Jeanne Weber est donc de nouveau arrêtée ; elle est déclarée folle le 19 décembre 1908 et expédiée à l'asile de Maréville, puis à celui de Fains-Véel. Elle meurt d'une crise de néphrite le 5 juillet 1918486.

Surnom dans la presse : « L’Ogresse487 » « L’Ogresse du Pré-Maudit »488

Henri Désiré Landru

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale) :

480 Ibid. 481 Ibid., p.5 482 Ibid., p.6 483 Ibid., p.8 484 Gautier LAMY, Les Grands Criminels de l’Histoire, Storiaebooks, 2014, p. 157. 485 Ibid., p. 159. 486 Ibid., p. 160. 487 Le Petit Journal Supplément Illustré, Une du numéro du 24/05/1908. 488 Le Journal, numéro du 10/05/1908.

Landru est né le 12 avril 1869 à Paris489. Il a grandi dans une famille modeste, rue du Cloître- Notre-Dame ; son père était chauffeur et sa mère couturière et blanchisseuse à domicile490. Landru est scolarisé enfant à l'Ecole des Frères de la rue de Bretonvillers, où il se fait notamment remarquer pour son talent pour le dessin et les mathématiques491. Henri Désiré Landru a également été enfant de chœur à l'église Saint-Louis-en-l'Île et ses parents songeaient même à le faire entrer au séminaire492. Même s’il ne réalise pas d’études supérieures il devient néanmoins commis d’architecte en 1889 et travail pour les sieurs Bisson-Alleaume-Lecoeur493. Landru effectue ensuite trois ans de service militaire au sein du 87e régiment d'infanterie de Saint-Quentin. A son retour en 1893, il épouse Marie-Catherine Rémy. Le couple a quatre enfants494.

De 1893 à 1900, Landru ne parvient pas à trouver de situation stable et enchaine plusieurs emplois. Il est tantôt comptable, tantôt employé de commerce puis cartographe ou entrepreneur de travaux, couvreur, plombier…C’est pourquoi, il décide de monter sa première escroquerie en 1900, en fondant une prétendue entreprise de commerce automobile (il loue même une boutique, un bureau et un bâtiment vide qu’il fait passer pour l’usine). Pour lancer son escroquerie, Landru publie des annonces d’embauche dans des journaux, en spécifiant que le versement d’une caution est nécessaire. Beaucoup de gens sont intéressés et versent à Landru la somme exigée ; puis ayant récolté une belle somme, ce dernier disparait. Même si la police ne le retrouve pas, Landru est condamné en 1902 à trois ans de 162 prison. N’ayant pas été arrêté, il continue son escroquerie sous un faux nom, Natier. Il finit cependant par être pris en flagrant délit et est arrêté, puis condamné en Juillet 1904 à deux ans de prison. Il parvient néanmoins à sortir de prison à la suite d’une tentative de suicide ; les médecins l’ayant jugé dans « un état mental maladif qui, sans être de la folie, n'est plus du moins l'état normal »495. A peine sorti de prison, Landru enchaine les activités illicites sous de nombreux noms ce qui lui conduit à passer deux séjours supplémentaires en prison496. Dès sa sortie en 1909, il commet de nouveau plusieurs escroqueries ; d’abord il achète un garage qu’il revend immédiatement sans avoir payé le précédent propriétaire puis Landru monte une escroquerie au mariage (il s’engage à se fiancer avec une jeune femme avant d’empocher ses économies et de disparaitre). Ces nouvelles activités illicites lui valent trois condamnations de deux à trois ans de prison presqu’au même moment ; ces peines sont confondues et seule celle concernant l’escroquerie au mariage est retenue (trois ans de prison et cent francs d’amende)497. Cette dernière condamnation est lourde de conséquences : toute nouvelle condamnation le rendrait passible de la relégation et donc d’un exil définitif dans un bagne en Guyane.

Années actives et caractéristiques des meurtres : Henri Désiré Landru a donc été un escroc pendant près de quatorze ans, laissant derrière lui de nombreuses personnes victimes de ses larcins. Il est ainsi possible que sa dernière condamnation et la peur de l’exil aient eut un poids dans son évolution vers le statut

489 Gérard A. JEAGER, « Itinéraire d'un tueur en série », Historia, n° 705, septembre 2005, p. 50. 490 Ibid. 491 Francesca BIAGI-CHAI, Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse, Imago, 2007, p. 42. 492 Ibid. 493 Marc RENNEVILLE, « Note sur Landru », Site de la Bibliothèque Zoummeroff, URL en biblio. 494 Ibid. 495 Francesca BIAGI-CHAI, op.cit., p. 220. 496 Marc RENNEVILLE, op.cit. 497 Gérard A. JEAGER, op.cit., p.50

d’assassin : en 1914, Landru faisait alors l’objet de nombreuses plaintes et ne pouvait plus risquer d’être identifié par l’une de victimes498. A partir de cette date, Landru se fait passer pour un homme veuf possédant une certaine fortune et se met à séduire des femmes seules ou veuves vivant isolées de leurs proches, le contexte de la première guerre mondiale, laissant beaucoup de femmes veuves ou en difficultés pour subvenir seules à leurs besoins499. Landru leur promet le mariage ainsi qu’une stabilité financière et les invite pour un séjour bref dans des villas isolées (à Chantilly, puis Vernouillet et enfin à Gambais)500. Landru utilise notamment pour trouver ses victimes, des annonces matrimoniales, qu’il fait publier dans des quotidiens. Il réussit ensuite à force de persuasion à les faire signer des procurations sur leurs économies et comptes bancaires, avant de les assassiner et de faire disparaitre leur corps. On apprend lors de l’enquête qu’il brulait les corps dans les fours des maisons isolées qu’il louait501. Toutefois, comme Henri Désiré Landru se montre très discret dans l'accomplissement de ses crimes, l’affaire ne sera pas découverte pendant toute la durée de la Première Guerre Mondiale.

Arrestation : Fin 1918, le maire de Gambais reçoit la lettre d’une femme, Mme Pellat qui lui demande des nouvelles d’une amie, qui nouvellement fiancée à un M. Dupont, vient de s’établir avec lui à Gambais. Le maire répond d’abord qu’il ne connait pas de personnes portant ces noms mais peu après, il reçoit la lettre d’une autre femme, Mlle Lacoste, qui elle cherche à obtenir 163 des nouvelles de sa sœur, elle aussi fraichement fiancée à un certain M. Frémyet et soi-disant installée à Gambais. Là encore, le maire ne connait pas ces personnes et frappé par la similitude de ces deux lettres décide de mettre en contact les deux familles502. Rapidement, on comprend que les deux hommes sont en réalité la même personne et que les deux jeunes femmes semblent avoir disparu après avoir répondu à des annonces matrimoniales similaires503. Une enquête est ouverte mais elle n’avance pas car Landru a utilisé de nombreux surnoms comme à son habitude notamment pour louer ses villas. Néanmoins, l’enquête rebondit le 8 Avril 1919, lorsqu’un témoin reconnait le mystérieux homme ayant loué la maison de Gambais, sortant d’un magasin au bras d’une femme, rue de Rivoli à Paris. L’individu, qui se fait appeler Lucien Guillet, est retrouvé et arrêté à son domicile, au 76 Rue de Rochechouart, le 12 avril 1919. Les inspecteurs chargés de l’enquête, retrouvent dans son appartement un permis de conduire au nom d'Henri Désiré Landru ainsi qu’un étrange carnet sur lequel sont inscrits onze noms, dont ceux des deux femmes disparues504. Ce carnet est utilisé comme pièce à conviction majeure par le juge Bonin, qui décide d’inculper Landru de meurtre en Mai 1919. Les perquisitions réalisées au domicile de Landru puis à Vernouillet et Gambais pèsent aussi dans la balance puisqu’elles mettent au jour de nombreux restes humains et effets personnels féminins (agrafes, épingles, morceaux de corsets…) retrouvés dans la cheminée et la cuisinière505.

Procès :

498 Jean-Pierre VERGES, Les tueurs en série, Hachette Pratique, 2007, p.46. 499 Le Journal, « Procès Landru », éditions du 04/11/1921 au 01/12/1921. 500 Gérard A. JEAGER, op.cit., p.50. 501 Marc RENNEVILLE, op.cit. 502 Charles DIAZ, La fabuleuse histoire des grands flics de légende, Jacob Duvernet, 2010, p. 507. 503 L’Echo de Paris, édition du 16/03/1915 ; Le Journal, édition du 01/05/1915. 504 Charles DIAZ, op.cit. 505 Jean-Pierre VERGES, op.cit., p.49.

Le 18 août 1920, le juge Bonin récapitule toutes les charges dans un dossier extrêmement dense, contenant en tout plus de 5000 pièces ; mais malgré cet acte d’accusation accablant, Henri Désiré Landru n’avoue rien lors des interrogatoires506. Son procès s’ouvre le 7 Novembre 1921 devant la Cour d’Assises de Seine-et-Oise à Versailles et s’étale sur plusieurs semaines507.

Issue : Landru est finalement condamné à mort le 30 Novembre 1921. Il est guillotiné au matin du 25 Février 1922, devant l’entrée de la prison de Versailles.

Surnom dans la Presse : « Barbe-Bleue »508 « Le Barbe-Bleue de Gambais »509

Marcel Petiot

Naissance, enfance et éléments biographiques (origine sociale…) : Né le 17 janvier 1897 à Auxerre.510 Dès son enfance, Marcel Petiot manifeste une grande intelligence, par exemple, à cinq ans, il lit comme un enfant de dix ans, ainsi qu’une forte 164 précocité511. Cependant, il montre déjà des signes de violence : il serait même allé jusqu'à tirer au revolver sur des chats ou à en étrangler un après lui avoir plongé les pattes dans l'eau bouillante. A l’adolescence, Petiot a déjà un comportement qui s’écarte du droit chemin : il est renvoyé de plusieurs écoles ; à dix-sept ans, il est arrêté pour avoir fracturé des boîtes aux lettres, mais il n'est pas condamné car un psychiatre le déclare comme inapte à être jugé512. En effet, selon le médecin, Marcel Petiot aurait eu déjà à l’époque une personnalité que l'on qualifierait aujourd'hui de « bipolaire ». Il participe à la Première Guerre Mondiale, où il est blessé plusieurs fois ; pour finir par être réformé pour troubles psychiatriques513. Etant donné que les anciens combattants pouvaient bénéficier à l’époque d'une procédure accélérée dans les études supérieures et que Petiot avait abandonné ses études de médecine pour la guerre ; il obtient en trois ans son diplôme de médecine de la Faculté de Paris le 15 décembre 1921514. En 1922, il ouvre son premier cabinet à Villeneuve-sur-Yonne. Ce dernier connait rapidement le succès mais le Docteur Petiot se fait également remarquer par des tendances à la cleptomanie. Marcel Petiot est élu conseiller municipal de sa ville en 1925 puis maire en juillet 1926. Le 4 Juin 1927, il épouse Georgette Valentine Lablais et leur fils unique Gerhardt naît le 19 avril 1928515.

506 « Le procès de Landru », Série « les grands procès de l’histoire », Publication n°6, URL en biblio. 507 Marc RENNEVILLE, op.cit. 508 Le Matin, édition du 07/11/1921. 509 Le Matin, édition du 24/04/1919. 510 Archives départementales de l’Yonne, Registre des naissances, vue n° 15/1897 : « Acte de naissance de Marcel Petiot ». 511 Alain BAUER, Dictionnaire amoureux du Crime, Plon, 2013, p. 421. 512 Le Petit Parisien, « Le passé du Docteur », édition du 14/03/1944. 513 Ibid. 514 Guy PENAUD, L'inspecteur Pierre Bonny. Le policier déchu de la "Gestapo française" du 93, rue Lauriston, Éditions L'Harmattan, 2011, p.187. 515 Ibid. p.187-188.

A cette époque Marcel Petiot comparait souvent devant les tribunaux pour plusieurs délits (fausses déclarations à l'assurance maladie, détournements de fonds). Son avocat lui permet de toujours éviter la prison ferme mais il est cependant révoqué de son mandat de maire en 1931 puis est définitivement privé de tout mandat électif en 1934. Poursuivi par la justice pour divers délits, Marcel Petiot part s'installer à Paris en 1933 et ouvre un cabinet médical (66 Rue de Caumartin) à son arrivé à la capitale516.

Années actives et caractéristiques des meurtres : En Août 1941, il commence à louer un hôtel particulier, à Paris, au 21, rue Le Sueur517. À partir de 1942, il propose un passage clandestin en Argentine à des personnes craignant d'être poursuivies par la Gestapo. Ces personnes sont invitées à se présenter chez lui, rue Le Sueur, de nuit et avec leurs effets personnels (bijoux, espèces, argenterie…) ; sauf qu’elles n’obtiendront jamais l’échappatoire désiré, puisque le Docteur Petiot les tuera en leur administrant une dose mortelle de gaz ou de poison, sous prétexte d'un vaccin518. Le 11 mars 1944, les pompiers sont alertés par des voisins incommodés, depuis plusieurs jours, par des odeurs pestilentielles provenant d'une cheminée de la maison à l'abandon située 21, rue Le Sueur519. Ils décident d’inspecter les lieux et découvrent dans la cave des corps humains dépecés, dont certains brûlent dans une des deux chaudières à bois que Marcel Petiot y avait fait installer lors de son emménagement520. Petiot lui est absent et semble s’être envolé. Pendant les perquisitions qui ont suivies au domicile de Marcel Petiot, la police découvre 165 des dizaines de cadavres rongés par la chaux vive dans l'ancienne fosse septique ainsi qu’une énorme quantité d’objets dans le cagibi présent au fond de la cour : 72 valises et 655 kilos de possessions diverses dont 1 760 pièces d'habillement (dont celles d’un enfant)521.

Arrestation : En fuite Petiot s’engage dans la Résistance pour échapper aux enquêteurs à sa poursuite522. A la Libération il demeure introuvable mais, l'inspecteur Henri Soutif finit par l’arrêter le 31 octobre 1944 à la station de métro Saint-Mandé - Tourelle523.

Procès : Il est jugé du 18 mars au 4 avril 1946, par la Cour d'Assises de la Seine, pour homicides volontaires avec vol, guet-apens et préméditation, il est reproché au Docteur Petiot d'avoir commis vingt-sept assassinats entre 1942 et 1944524.

Issue : Même si son avocat, René Floriot, lui fournit une défense impressionnante (sa plaidoirie durera près de six heures), il est condamné à mort525.

516 Le Petit Parisien, op.cit. 517 Le Petit Journal, édition du 14/03/1944. 518 « Procès Petiot », L’Epoque, numéros du 17/03/1946 au 06/04/1946. 519 Le Petit Journal, édition du 13/04/1944. 520 Le Petit Journal, éditions des 13,15/03/1944 ; Le Matin, édition du 14/03/1944. 521 Le Figaro, « Procès Petiot », édition du 22/03/1946. 522 Le Franc-Tireur, édition du 19/03/1946. 523 La Croix du Nord, numéro du 03/11/1946. 524 L’Epoque, op.cit. 525 La Croix du Nord, édition du 05/04/1944.

Marcel Petiot est guillotiné le 25 mai 1946 à Paris, à 5 heures 05, dans la cour de la prison de la Santé, dans le 14e arrondissement de Paris526.

Surnom dans la presse : « Le Landru de l’Etoile »527 « Le Docteur Petiot »528

Annexe 2 : Sources et bibliographie des fiches explicatives

Ci-dessous les sources utilisées pour réaliser les fiches biographiques

Sources :

Archives départementales de l’Ain, « Affaire Vacher » ; 54 à 146 Première information pièce de forme, Commission rogatoire (n° 160) et Ordonnance (n° 161-163).

Archives départementales de l'Ain ; « Affaire Vacher » ; 691-699 Procédure devant la chambre des mises en accusation. Acte d'accusation, no 21-42

Archives départementales de l'Ain, Affaire Vacher ; 1 à 146 Renseignements pièces de forme, n° 35. 166

Archives Départementales d’Isère, Beaufort, Naissances, 1860-1894, 9NUM/AC032/4 ; Vue 62, no 18 et 19 : « Actes de naissance de Joseph et Eugène Vacher (mort le 15/7/1870) ».

Archives Départementales des Côtes d’Armor, Registres d'état civil de 1793 à 1906, Lot n°8, Image 164/361 : « Acte de Naissance de Jeanne Weber », consulté sur le site des Archives en ligne le 17/03/2020.

Archives Départementales du Morbihan, 3 E 169/19 : Acte de naissance d’Hélène Jégado (28 prairial an XI)

Archives Départementales du Morbihan, U 823 : notes d’audiences, procès d’Hélène Jégado [1851-1852].

Archives départementales de l’Yonne, Registre des naissances, vue n° 15/1897 : « Acte de naissance de Marcel Petiot ».

Sources en ligne :

Archives Départementales de l’Ain, Ressources en ligne, Naissances : 1809-1810 vue 9/11, Acte de Naissance de Martin Dumollard.

526 La Croix du Nord, édition du 26/05/1946 ; « Les grands crimes du XXe siècle : Docteur Petiot », France- Soir, édition du 06/08/2009. 527 Le Petit Journal, numéro du 25/03/1944. 528 Le Petit Journal, édition du 14/03/1944.

Archives Départementales du Morbihan en ligne, « Hélène Jégado. Une cuisinière presque au-dessus de tout soupçon. », consulté le 27 Décembre 2019, URL : https://archives.morbihan.fr/voyagez-dans-le-temps/helene-jegado-une-cuisiniere-presque- au-dessus-de-tout-soupcon/

Bibliothèque du Moniteur judiciaire de Lyon, « L'affaire Dumollard : le tueur de bonnes », Lyon, Imprimeries Waltener et Cie Editeurs, Rue Stella, 1903, consulté le 20 Novembre 2019, sur Gallica, URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5823549c.texteImage

« En votre âme et conscience - E50 - Le Cas d'Hélène Jegado », en ligne sur www.ina.fr/video/CPF86633234, consulté le 19 Novembre 2019.

LACASSAGNE Alexandre, Vacher l'éventreur et les crimes sadiques, Lyon, A. Storck - Paris, Masson, coll. « Bibliothèque de criminologie, XIX », 1899, p. 9. Consulté en ligne sur Gallica, le 09 Novembre 2019, URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k77016g.pdf

La femme Weber : l'ogresse de la Goutte d'or, Paris, Librairie du Livre national, coll. « Crimes et châtiments », N°27, 1932, 32p., consulté en ligne sur Gallica le 17/03/2020, URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6112457h/f2.image

« Le procès de Landru », Série « les grands procès de l’histoire », Publication n°6, 13 Aout 2012, consulté le 03/04/2020, URL : http://www.justice.gouv.fr/histoire-et- patrimoine-10050/proces-historiques-10411/le-proces-de-landru-24504.html#enquete

Ouvrages et Revues : 167

BARO MAGAZINE (le bulletin des avocats de Rennes), « L’empoisonneuse et le Bâtonnier », n° 39, Mai 2008, p. 22-23.

BAUER Alain, Dictionnaire amoureux du Crime, Plon, 2013, 960 p.

BIAGI-CHAI Francesca, Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse, Imago, 2007, 248 p.

BOUCHARDON Pierre, "La Brinvilliers du XIXe siècle", Crimes d’autrefois, S.I. : Perrin et Cie, libraires éditeurs, 1926, pp. 205-231.

BROUARDEL Paul ; L’HOTE Louis, Affaire Pel, accusation d'empoisonnement, relation médico-légale, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1886, 60 p.

CHAUVAUD Frédéric, Justice et déviance à l'époque contemporaine : l'imaginaire, l'enquête et le scandale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, 400 p.

CLAIR Jean, Crime & châtiment, Gallimard, 2010, 416p.

CUISINIER Rémi, L'Assassin des bergères, Lyonnais et Forez, 2002, 226 p.

CUISINIER Rémi, Dumollard : L'assassin des bonnes, La Taillanderie, 2008, 224 p.

DELOUX Jean-Pierre, Vacher assassin : un serial-killer français au XIXe siècle, Paris, Claire Vigne, coll. « L'Autre Histoire », 1995, 218 p.

DIAZ Charles, La fabuleuse histoire des grands flics de légende, Jacob Duvernet, 2010, 508 p.

EDELMAN Nicole, « Philippe ARTIÈRES et Dominique KALIFA, Vidal. Le tueur de femmes, une biographie sociale », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 24 | 2002, p.176-177, mis en ligne le 04 juin 2003, consulté le 21 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rh19/383

FOURQUET Émile, « Les vagabonds criminels », Revue des deux Mondes, mars/avril 1899, p. 399-437.

JEAGER Gérard A., « Itinéraire d'un tueur en série », Historia, n° 705, septembre 2005.

LABORDE J.-V., MANOUVRIER L., PAPILLAULT G., « Etude psycho-physiologique, médico-légale et anatomique sur Vacher », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série. Tome 10, 1899. pp. 453-495.

LAMY Gautier, Les Grands Criminels de l’Histoire, Storiaebooks, 2014, 130 p.

LE BRETON Nicolas, Grands criminels lyonnais, Editions Ouest-France, 2013, 285 p.

MALHERBE Michel, Grandes affaires de police. Paris, 1800-1900, Éditions Crépin- Leblond, 1993, 191 p. 168

NEAUMET Jean-Émile, Un flic à la Belle époque. Anarchistes, Assassins mondains et scandales politiques, Albin Michel, 1998, 320 p.

PAPILLAULT G., « Observations craniologiques de la tête de Vacher », in LABORDE et al., « Étude psycho-physiologique, médico-légale et anatomique sur Vacher », Bulletins de la Société d'anthropologie de Paris, IV° Série. Tome 10, 1899, p. 488 à 494.

PENAUD Guy, L'inspecteur Pierre Bonny. Le policier déchu de la "Gestapo française" du 93, rue Lauriston, Éditions L'Harmattan, 2011, 262 p.

RENNEVILLE Marc, « Note sur Landru », Site de la Bibliothèque Zoummeroff, Février 2009, consulté le 01/04/2020, URL : https://www.collection-privee.org/public/galerie-virtuelle-plus.php?theme=1

SIMON Eddy, Les grandes affaires criminelles de Seine-Maritime, Éditions de Borée, 2006, 336 p.

VERGES Jean-Pierre, Les tueurs en série, Hachette Pratique, 2007, 256 p.

Sites internet et émissions :

HONDELATTE Christophe, « Albert Pel, le grand frère de Landru », émission Hondelatte raconte, Europe 1, 29 juin 2017, consultée le 20/03/2020, URL :

https://www.europe1.fr/emissions/hondelatte-raconte/hondelatte-raconte-albert-pel-le- grand-frere-de-landru-3375299

PRADEL Jacques, « Hélène Jégado l'empoisonneuse », L'Heure du crime sur RTL, 7 mars 2013, consultée le 19 Novembre 2019, URL : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/helene- jegado-empoisonneuse-en-serie-7786620732

PRADEL Jacques, « La tuerie de Pantin », L'Heure du crime sur RTL, 30 Décembre 2014, consultée le 31 Juillet 2020, URL : https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/la-tuerie-de- pantin-7775954006

PRADEL Jacques, « Joseph Vacher, le « Jack l’éventreur du Sud Est » », L'Heure du crime, RTL, 25 Septembre 2015, consultée le 10 Novembre 2019, URL : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/joseph-vacher-le-jack-l-eventreur-du-sud-est- 7779846067

TSIKOUNAS Myriam, « Hélène Jégado, la Brinvilliers bretonne », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 04 février 2020, URL : http://www.histoire- image.org/fr/etudes/helene-jegado-brinvilliers-bretonne

Annexe 3 : Liste des journaux consultés dans cette étude

Les journaux en gris sont ceux où aucune information n’a été trouvée sur les affaires. 169

Les orientations politiques, ainsi que les caractéristiques des journaux ont été trouvées à l’aide des sites d’archives de presse en ligne, Retronews et Gallica.

Journaux Parisiens (22) :

Nom Dates Orientation/ Spécificité La Gazette de France 1631 – 1915 Son orientation évolue en fonction des régimes en La Gazette est le premier et plus ancien place : journal français à avoir été publié. Bonapartiste sous le Elle est créée en 1631 et est à l’époque, la Premier Empire seule publication autorisée par Richelieu, Royaliste sous la pouvant annoncer publiquement les Restauration puis sous la nouvelles venant de l’étranger. IIIème République D’abord hebdomadaire, elle devient un (légitimiste puis orléaniste) quotidien à compter de 1792.

Le Journal des Débats 1789 - 1944 Conservateur sous la Seconde Restauration ; Il est fondé en 1789 sous le titre Journal des Puis évolution vers débats et décrets, car il retranscrit dans un l’opposition libérale. premier temps les séances dispensées à

l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon Ier, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Il imprime jusqu’à l’Occupation, mais est supprimé en 1944. Le Constitutionnel 1815 – 1914 Quotidien Politique D’abord Bonapartiste mais Le Constitutionnel était un quotidien il rassemblait bonapartistes, politique. Il est notamment connu pour avoir libéraux et anticléricaux. publié les informations diplomatiques européennes de sa période, ainsi que l’actualité politique française. Autre fait marquant : c’est dans ce journal que sont parus les romans-feuilletons de Georges Sand, Balzac, Musset, Dumas, Mérimée, et d’autres. En 1852, il rejoint le groupe de presse fondé par Jules Mirès – propriétaire du Pays et fondateur du Petit Journal. Il reste un journal d’informations politiques et littéraires, mais décline peu à peu jusqu’à l’arrêt de toute publication en 1914. Le Figaro 1826 – Nos A sa naissance, c’est un Jours quotidien satirique Lorsqu’il est relancé en 1854, il parait (Coupure s’opposant à la censure d’abord sous la forme d’une petite feuille de entre 1833 et monarchique. chou littéraire, puis en 1866 il absorbe 1854) En 1832 il est racheté par les 170 L’Événement et devient, sans transition, le Monarchistes mais grand quotidien conservateur que l’on s’effondre. connaît. Lorsqu’il renait en 1854 il Dès les années 1880, il abandonne la cause est plutôt Conservateur du monarchisme pour adhérer aux principes mais assez Républicain républicains. Il est notamment dreyfusard ce (Dreyfusard) qui fait qu’à la fin XIXe siècle, les trois- Tend vers la droite dans la quarts de son lectorat l’abandonnent pour son 1ière moitié du XXème concurrent plus à droite : L’Écho de Paris. siècle. Le Siècle 1836 – 1932 Monarchiste et libéral 1848 : Républicain modéré Il est l’un des journaux principaux de la Troisième République : traditionnellement anticlérical il devient l’organe de la gauche républicaine. Le Siècle est surtout connu pour avoir été le premier journal avec La Presse, à abaisser son abonnement à 40 francs – moitié moins que les autres journaux – et à compenser cette baisse de prix par des revenus issus de la publicité. La Presse 1836 - 1952 Apolitique au départ A partir de 1852 : Conservateur

La Presse est lancée par Émile de Girardin en 1836. C’est avec Le Siècle, le premier des grands quotidiens populaires français.

Le Temps 1861 - 1942 Indépendant mais sera classé par la suite comme Son nom lui vient du célèbre journal anglais plutôt au Centre Gauche nommé « The Times ». Il est créé en 1861 par puis Républicain le journaliste Auguste Neffzer. Conservateur. Il est différent des autres journaux par son prix - trois fois plus élevé que les autres quotidiens populaires et – son plus grand format. Il a une audience bien plus forte que son tirage, surtout auprès des élites politiques et financières. Le Petit Journal 1863 - 1944 Républicain (Gauche) puis Conservateur (Droite) Moïse Polydore Millaud le fonde en 1863. Il compte parmi les quotidiens les plus populaires sous la troisième République : Jusqu'à la Première Guerre mondiale, c'est l'un des quatre plus grands quotidiens français, avec Le Petit Parisien, Le Matin, et Le Journal. La Liberté 1865 - 1940 Républicain Centre 171

La Liberté est un journal français fondé en 1865 par Charles Muller. Il est repris par Émile de Girardin qui quitte La Presse en 1866. Le Gaulois 1868 – 1929 Droite et Antirépublicain

Le journal est fondé par Edmond Tarbé des Sablons et Henri de Pène en 1868. C’est un quotidien de droite qui se définit un « journal des informations du matin et moniteur de l’ancien esprit français ». Son lectorat appartient essentiellement à la grande bourgeoisie. En 1929, Le Gaulois est absorbé par Le Figaro La Petite République 1876 – 1938 Socialiste

La Petite République française – socialiste de 1898 à 1905 – est un quotidien républicain. Ses directeurs successifs, Arthur Ranc, Dyonis Ordinaire ou encore Hector Pressard l’oriente vers une idéologie davantage socialiste. En 1905, le journal devient l’organe de Briand.

La première guerre mondiale l’affaiblit et il s’éteint définitivement en 1938. Le Petit Parisien 1876 - 1944 Anticléricale et Radicale (Gauche) puis plus Le Petit Parisien est un célèbre quotidien Populaire et Modéré français, l’un des principaux journaux de la Troisième République. Il connaît son réel succès avec l'arrivée de Jean Dupuy à sa direction en 1888. L’Intransigeant 1880 – 1948 Successivement Socialiste (Gauche), Boulangiste et Il est fondé en 1880 par Eugène Mayer, aussi Nationaliste directeur de La Lanterne. Il est au départ un journal à tendance socialiste, néanmoins, il s’oriente rapidement vers le nationalisme et le boulangisme pour tomber dans un antisémitisme farouche lors de l’affaire Dreyfus. Le Matin 1883 - 1944 Nationaliste et Laïc : il est Conservateur. Il est lancé en 1883 par Alfred Edwards, sur Années trente : « extrême- le modèle du quotidien britannique « the droite » Morning News ». Son directeur entendait en faire un journal novateur, « à l’américaine », en donnant la priorité à la nouvelle sur 172 l’éditorial, à l’écho sur la chronique, au reportage sur le commentaire. Il est ensuite racheté par l'homme d'affaires sulfureux Maurice Bunau-Varilla et devient l’un des quatre grands quotidiens français dans les années 1900. Le Matin est renommé pour ses romans- feuilletons signés par les plus grands romanciers populaires de l’époque. Sa diffusion baisse progressivement à partir des années 1920, coïncidant avec son orientation vers l’extrême-droite. Le journal est collaborationniste sous Vichy. Il est interdit de parution à la Libération. La Croix 1883 – Nos Catholique jours La Croix est un journal catholique et conservateur, créé par Emmanuel d’Alzon, alors prêtre de la Congrégation des assomptionnistes, en 1880. A l’époque, sa ligne éditoriale est farouchement anti-laïque et antirépublicain. Le prix au numéro est d’ailleurs affiché en « sou », valeur monétaire de l’Ancien Régime, jusqu’à ce que les pouvoirs publics interviennent.

Le journal devient quotidien en 1880 et est toujours publié de nos jours, cependant dans une version bien moins partisane et religieuse. L’Echo de Paris 1884 – 1944 Droite Nationaliste et Conservatrice Ce grand quotidien catholique et conservateur est fondé en 1884 par Aurélien Scholl et Valentin Simond. Cette publication politique et littéraire, est aussi avant tout un journal de signatures : Georges Clemenceau y fait plusieurs apparitions, au même titre que Guy de Maupassant, Paul Bourget, Maurice Barrès ou encore Catulle Mendès. Dans les années 1890, L’Echo de Paris bénéficie de la désaffection des lecteurs du Figaro alors déçus de sa nouvelle ligne dreyfusarde. L’Echo est un quotidien patriotique, antiparlementaire, antidreyfusard, qui s’engage aussi contre le communisme, le syndicalisme et l’internationalisme. Le Journal 1892 - 1944 Républicain puis Conservateur/ Nationaliste Fernand Xau fonde Le Journal en 1892. Ce (1911) voir même quotidien est l’un des titres de presse les plus Catholique et Antisémite 173 importants de la première moitié du XXème siècle. Assez modéré, Le Journal séduit une large audience populaire par son contenu littéraire de qualité et la collaboration de grandes signatures. Au départ, le quotidien a une orientation républicaine, puis dirige peu à peu sa ligne éditoriale vers la droite nationaliste et anticommuniste, sans jamais approcher des extrêmes. Le Journal ne survit pas à la guerre et à une sombre affaire d’espionnage qui vient ternir sa réputation. L’Aurore 1897 - 1914 Républicain et Socialiste (gauche) Ernest Vaughan fonde le journal en 1897. Ce quotidien est un organe républicain de tendance socialiste, qui est d’abord animé par Georges Clemenceau. L’audience du journal est beaucoup réduite par son départ en 1906. Fait connu sur le journal : c’est en Une de L’Aurore qu’Émile Zola publie son célèbre « J’accuse...! » le 13 janvier 1898.

L’Humanité 1904 – Nos Socialiste puis Communiste Jours L’Humanité est fondée par Jean Jaurès en 1904. Avec comme sous-titre « Journal socialiste quotidien », le quotidien devait être au début un outil pour l’unification du mouvement socialiste, avant de devenir un journal d’information sérieux. L’Humanité incarne la volonté de son créateur d’avoir un souci constant et méticuleux de la vérité. Ce journal subit régulièrement les attaques de la presse de droite (L’Action française, L’Écho de Paris ou La Presse). Ce Soir 1937 – 1953 Communiste

Ce Soir est créé par le Parti Communiste en 1937 afin de concurrencer Paris-Soir. Il s’agit d’un journal quotidien du soir, dirigé par Louis Aragon et Jean-Richard Bloch. L’Epoque 1937 – 1950 Quotidien

Ce quotidien est fondé par Henri Simon. La devise sur sa Une, est « L’ère du chantage à la guerre est terminée. Tout le monde a compris que le moment est venu où il faut choisir entre la vie dans l’esclavage et la 174 honte et la vie dans la liberté et la dignité civiques. Général Sikorski ». Le journal choisit de se saborder en 1940, avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Vichy. Il reparait en Mai 1945. Combat 1941 – 1974 Presse de la Résistance

Sous-titré « Le Journal de Paris », il s’agit d’un journal quotidien français clandestin né pendant la Seconde Guerre mondiale en tant qu’organe de presse du mouvement de résistance Combat.

Presse Régionale (11) :

Nom Dates Orientation / Spécificité Le Courrier de l’Ain 1821 – 1944 Modéré

Journal originaire de Bourg-en-Bresse. Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire 1845 – 1938 Républicain

Fondé en 1845, sous le nom de Mémorial judiciaire de la Loire. Il est, comme son nom l’indique, un journal judiciaire. D’abord

hebdomadaire puis quotidien, il collabore lors de la Seconde Guerre Mondiale. Le journal est donc interdit en 1944. Le Salut Public 1848 - 1944 Au départ Républicain puis Conservateur (droite non Est un journal lyonnais. cléricale) En 1870, Le Salut Public s'oppose à la fondation de la Troisième République française. En 1940, Le Salut Public était en faveur de Pétain ; il continue donc à paraitre sous l’Occupation. Il est interdit en 1944. Le Petit Marseillais 1868 – 1944 Républicain Progressiste, puis Modéré. Il est fondé en 1868 par Toussaint Samat, Lazare Peirron et Gustave Bourrageas. Il est à l’époque le quotidien le plus important de Marseille. Si au départ le journal est très local, il est ensuite l’un des premiers journaux de province à publier dans la presse des récits de procès judiciaires sensationnels dès 1869, avant de s’ouvrir aux actualités internationales. Le Passe-Temps 1875 – 1914 Journal littéraire, artistique 175 et également consacré aux Journal lyonnais. nouvelles. Le Petit Provençal 1880 – 1944 Gauche

Journal Marseillais. Le Petit Provençal est fondé en 1876 par Geoffroy Velten et Jean- Baptiste Chanot. Sa particularité est de consacrer plusieurs pages à des rubriques sportives (cyclisme, football, tauromachie, tennis, athlétisme…). Le journal était déjà collaborationniste avant l’appel du 18 juin 1940. Il est donc interdit à la Libération. Le Réveil du Nord 1889 - 1944 Radical et Antiboulangiste, puis Socialiste Le quotidien est fondé à Lille en 1889. Malgré sa ligne éditoriale de gauche, contre toute attente, le journal s’engage dans la collaboration. Il est interdit à la Libération. La Croix du Nord 1889 - 1968 Catholique

Supplément régional de La Croix. L’Ouest Eclair 1899 – 1944 Catholique

Le journal est fondé à Rennes en 1899 ; et avait une forte résonnance régionale, sur toute la Bretagne jusqu’en Vendée. Il est remplacé par Ouest-France à la Libération, en 1944. Nord Eclair 1944 – Nos Presse de la Résistance Jours (affilié au MRP) Nord Éclair est un quotidien régional du Tendance Centre-droit département du Nord en France. Le Franc-Tireur 1946 – 1948 Presse de la Résistance

Journal clandestin du mouvement du même nom, il est l'un des principaux journaux de la Résistance. Sa devise : « Franc-Tireur n’est pas le journal d’un Parti, c’est un journal qui prend parti »

Illustrés (15) :

Nom Dates Orientation / Spécificité Le Voleur Illustré 1828 – 1909 Revue

Feuille hebdomadaire sensationnaliste, créée en 1856. Le Charivari 1832 – 1937 Satirique 176 (Caricatures) Il est fondé par Charles Philipon en 1832 et fut le premier quotidien satirique illustré au monde. Le Charivari est régulièrement poursuivi pour ses critiques sur toute sa période de publication, néanmoins il disparait bien plus tard, en 1937. Le Monde Illustré 1857 – 1938 Magazine

Il est fondé en 1857 par Achille Bourdilliat, Le Monde illustré se présentait comme le concurrent bon marché de L'Illustration, étant deux fois moins cher que ce dernier. Le Journal Illustré 1864 - 1899

Journal hebdomadaire dominical, conçu sur le modèle du Penny Illustrated Paper créé en 1861 en Angleterre. Il fait partie du groupe de presse du Petit Journal.

L’Eclipse 1868-1919 Hebdomadaire satirique

Hebdomadaire satirique fondé en 1868, il est notamment connu pour avoir publié les

meilleurs dessins d’André Gill, célèbre pour ses portraits en Une. Le Petit Journal. Supplément Illustré 1884 – 1920 Républicain, conservateur 1920 - 1937 (gauche) Ensuite nommé L’Illustré du Petit Journal. La Chronique Illustré. 1887 ?

Supplément hebdomadaire de L'Express de Lyon. Le Petit Parisien Supplément littéraire 1889 - 1912 Même orientation que Le illustré Petit Parisien Le Progrès Illustré 1890 – 1905 Républicain Concentration à gauche Supplément littéraire du Progrès de Lyon, journal lyonnais. Le Journal pour tous 1891 – 1906 Républicain Le Rire 1894 - 1971 Humoristique.

Il est fondé en 1894 par Félix Juven. C’est l’hebdomadaire le plus lu de la Belle Époque. Il publie sans interruption jusqu’en 1971. L’Express de Lyon Illustré 1897 – 1901 Républicain

Supplément hebdomadaire du journal 177 lyonnais L’Express. Le Petit Provençal Illustré 1898 – 1908 Gauche L’Avenir Illustré 1899 - 1905 Républicain

Journal régional de Dordogne. Les Faits-Divers Illustrés 1905 – 1910 Divertissement, presse de fait-divers. Magazine hebdomadaire. Il est sous-titré : « Les événements les plus récents ; les romans les plus célèbres », ce périodique s'inscrit dans la ligne éditoriale du « roman vrai de la criminalité » tel que The Terrific Register créé à Londres, en 1825, puis The Illustrated Police News fondé à Londres, en 1864.

Annexe 4 : Classement thématique de la presse

Voici le classement de la presse qui a été utilisé pour effectuer les analyses présentes dans ce mémoire. Réunir les journaux dans des grandes catégories permet plus de clarté et de compréhension.

Thème Journaux Judiciaires et juridiques Le Mémorial de la Loire et de la Haute Loire Sérieux (littéraires, politiques, Le Siècle économiques, financiers, internationaux…) Le Courrier de L’Ain (politique puis littéraire) Le Constitutionnel (politique et littéraire) La Gazette de France Le Journal des Débats (politiques et littéraires) La Presse (Journal quotidien, politique, littéraire, agricole, industriel et commercial) L’Ouest-Eclair (politique, littéraire, commercial) Le Salut Public (Journal politique, commercial et littéraire) Le Passe-Temps (littérature, beaux-arts, musique, biographies, nouvelles) 178 La Presse (Journal politique, littéraire, agricole, industriel et commercial) Journaux d’opinion (politique) Le Figaro (droite) L’Humanité (gauche) La Croix (catholique) La Petite République (républicain) Le Gaulois (littéraire et politique) Le Petit Provençal (gauche) Le Réveil du Nord (gauche, socialiste) La Croix du Nord Le Gaulois (droite conservatrice) L’Intransigeant (successivement socialiste, boulangiste et nationaliste) L’Echo de Paris L’Aurore Ce Soir (communiste) Presse satirique, critique et humoristique Le Charivari Le Voleur Illustré Le Rire L’Eclipse Illustrés Le Monde Illustré Le Petit Journal Illustré L’Univers Illustré Le Petit Parisien Illustré

La Chronique Illustrée Le Progrès Illustré L’Express de Lyon Illustré Journaux de divertissement – Presse « A Les Faits Divers Illustrés sensation » Le Petit Journal Le Petit Parisien Le Matin Le Petit Marseillais Quotidiens d’information - (Pas Le Journal nécessairement d’affiliation politique) Le Temps La Liberté L’Epoque Presse de la Résistance Nord Eclair Combat Le Franc-Tireur

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