Le Crime Du Pecq 1882 L'affaire FENAYROU
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PRÉFACE L’ILLUSTRATION LE PLUS GRAND JOURNAL DE L’ÉPOQUE ........................................................................................................................................................................................................................................... PAR JEAN-SÉBASTIEN BASCHET ........................................................................................................................................................................................................................................... es grandes affaires judiciaires et la journal de prendre position, comme l’illustre presse sont intimement liées: il n’Y a sa formidable couVerture, intitulée « La justice pas de grande affaire sans couVerture poursuivant le crime », qui met en scène les média. regards goguenards de la bande à Bonnot L obserVant, par la lunette arrière d’une auto- Les grandes affaires judiciaires mobilisent l’opinion: elles déchaînent les passions, attisent mobile, le gendarme à cheVal en plein galop la curiosité et Vont jusqu’à diviser la nation. lancé à sa poursuite. La question des moYens La presse n’attise pas seulement la curiosité, de la police ne peut être plus clairement posée! elle informe, c’est-à-dire au sens étYmologique À traVers l’affaire StaViskY, c’est la classe poli- façonne, forme une réalité. Le compte rendu tique qui se retrouVe mise en accusation par du journaliste, son article, permet au lecteur la rue. Au dénouement de l’affaire, c’est au de se forger une représentation mentale d’un nom de l’opinion que L’Illustration prend la éVénement lointain. La presse construit notre parole : « Si par sa conclusion judiciaire se jugement indiViduel mais aussi collectif. trouVe réduite l’ampleur d’une histoire de pil- On parle alors de l’opinion publique. À la jus- lage qui, par son caractère compleXe, troubla tice des tribunauX s’oppose parfois la justice terriblement notre paYs, empoisonna la Vie de la rue. parlementaire, proVoqua une émeute pari- C’est le propre des grands sienne et détermina une chaîne de drames procès que d’échapper au indiViduels, l’opinion peut tout de même être seul champ de la cour de autorisée à eXprimer quelques VœuX: que les justice. parlementaires, et aussi les ministres, choisis- Les actes criminels les plus sent mieuX leurs amitiés… qu’entre la police odieuX ou les plus machia- et la magistrature s’établisse une collaboration Véliques nous interrogent claire, logique, que les parlementaires aVocats indiViduellement sur la usent désormais de leur mandat pour serVir le nature humaine et sur notre paYs au lieu de mettre leur mandat au serVice rapport à l’autre. À la sidé- de leur clientèle… » ration face à l’inimaginable Les grandes affaires judiciaires sont passion- se substitue le besoin de comprendre. Pour nantes sur ce qu’elles nous disent d’une époque, nous rassurer sur l’anormalité du criminel, d’une société, de ses Valeurs, de son rapport au nous cherchons à cerner ce qui le différencie monde et à l’humanité. Connaître ces affaires, de la norme. Nous aVons alors besoin de saVoir. qui désormais appartiennent à l’Histoire, Les grandes affaires judiciaires braquent aussi c’est finalement mieuX comprendre l’éVolution les projecteurs sur les compromissions inac- de nos sociétés. Leur lecture nous apporte un ceptables et les dYsfonctionnements de nos enseignement philosophique et moral. sociétés. L’affaire DreYfus cristallise les passions Pendant plus d’un siècle, chaque semaine, et diVise durablement la société française. Les L’Illustration a raconté l’histoire de l’humanité. familles se déchirent, les camps s’affrontent, C’est à traVers les pages de ce journal mYthique, le dialogue deVient impossible. Seul le temps premier hebdomadaire illustré français à et l’engagement d’hommes comme Zola ou partir de 1843, premier magaZine au monde Clemenceau permettront à la Vérité de Vaincre. à partir de 1906, VoiX de la France à l’étran- Par sa neutralité, L’Illustration se distingue ger, diffusé dans plus de 150 paYs, que nous des autres titres de la presse française dans cet Vous proposons de reViVre ces grandes affaires Page de gauche: assassinat d’un épisode douloureuX. Ce qui n’empêche pas le judiciaires. gardien de la paix par l’anarchiste Le Gagneux, le dimanche 3 mars 1895 (dessin de Lionel Royer). CHAPITRE I MEURTRES DU SECOND EMPIRE EN SÉRIEÀ LA IIIeRÉPUBLIQUE Dès ses premiers numéros, en 1843, L’Illustration met en lumière et dénonce le goût du public pour les faits divers et les affaires criminelles, devenues une distraction pour un public féru de sensations fortes, et s’évertuera tout au long de son existence à traiter les affaires judiciaires avec objectivité. Certains procès mobilisent néanmoins l’attention de la presse durant quelques semaines ou quelques mois, ce qui vaut aux meurtriers les plus emblématiques une renommée comparable à celle de nos stars de cinéma, surtout si le malfaiteur teinte ses crimes d’une aura scandaleuse ou romantique. Ainsi, le souvenir du poète assassin Pierre-François Lacenaire, guillotiné le 9 janvier 1836, reste encore dans les consciences, de même que le parcours sanglant d’Hélène Jégado – l’empoisonneuse du Morbihan, considérée comme la première serial killeuse française et qui fut accusée de 97 crimes. Durant la monarchie de Juillet, suivie du second Empire et de la IIIe République, l’écart se creuse entre une bourgeoisie portée par la révolution industrielle et des classes laborieuses démunies, bientôt perçues comme une menace, notamment dans la capitale où semblent pulluler les voleurs et les criminels. C’est dans ce contexte que se mettent peu à peu en place une police moderne et une justice moins expéditive, notamment grâce à Alphonse Bertillon, l‘inventeur de l’anthropométrie, et du préfet Lépine, qui créera l’Identité judiciaire en généralisant l’usage des empreintes digitales. Deux meurtriers emblématiques. Page de gauche: Pierre-François Lacenaire; ci-dessus: Hélène Jégado. 1862 L’AFFAIRE DUMOLLARD L’assassin de servantes 15 FÉVRIER 1862 nommât des complices: le débat deVenait alors ce qu’on est conVenu d’appeler dramatique, et mon ous l’aVeZ échappé belle, Mesdames: un moment deVoir m’obligeait à en rappeler toutes les péripé- Vj’ai cru que je serais obligé de raconter ici un ties. Dieu merci, j’en ai été quitte pour la peur. épouVantable procès qui aurait agité Votre sommeil Dumollard n’a eu à l’audience ni accès de fureur, de rêVes affreuX et sanglants, ce dont j’aurais été ni cris de repentir: il a répété imperturbablement, Vraiment désolé. Un homme – est-ce un homme pendant deuX jours, une fable absurde d’hommes qu’il faut dire ou une bête brute? Vous choisireZ barbus qui l’obligeaient à leur amener dans les entre les deuX mots –, donc un homme ou une brute bois de jeunes servantes qu’ils assassinaient; tous attendait au passage de pauVres serVantes, dans la les témoins qui gênaient son système de défense rue, sur un pont ou sur une place de LYon, les abor- faisaient partie d’une association ténébreuse qui Le corps de Marie Baday, une des victimes de Martin Dumollard. dait et leur proposait une condition à la campagne, aVait juré sa perte, et quand un d’euX déposait : les emmenait, si elles acceptaient, la nuit, par des « Encore la réunion! » disait-il tranquillement. Le tueur en série chemins détournés, à traVers les bois, puis, dans un Chaque fois que le président l’interrogeait sur un lieu propice, se ruait sur sa proie, la tuait ou l’en- fait sur lequel il ne lui conVenait pas de s’eXpliquer: de l’Ain terrait Vive si le taillis était épais, la forêt aVeugle « Connais pas cette question-là », répondait-il d’une et sourde, et rentrait tranquillement dans sa maison Voix calme. Convaincu de douze agressions aVec les dépouilles de la morte. Je Vous laisse à penser si les chercheurs et les et au moins trois assassinats chercheuses d’émotions ViVes ont été désappointés; commis entre 1855 et 1861, Martin il n’est pas jusqu’à l’eXtérieur du scélérat dont ils Dumollard a été arrêté le 2 juin de cette même aient eu lieu d’être satisfaits. « Dumollard, dit la année, grâce au témoignage de Marie Pichon, Gazette des tribunaux, est de taille et de corpulence une victime qui parvint à s’enfuir. Au terme ordinaire ; ses cheVeuX et sa barbe, qu’il porte en d’une enquête qui établira le nombre et la collier, sont noirs; il baisse constamment les YeuX violence extrême des agressions – dont celle et l’ensemble de sa phYsionomie réVèle un mélange de Marie-Eulalie Bussod, blessée à la tête, de timidité apparente et d’hYpocrisie. » Piètre violée et enterrée vivante – Dumollard phYsique de monstre. J’ai Vu la photographie de fut guillotiné le 8 mars 1862 à Montluel, Dumollard, le portrait est ressemblant. au terme d’un procès suivi par une foule Il Y a des moments terribles dans la Vie d’un aVocat, énorme et qui donna lieu à des complaintes Me Lardières doit le saVoir mieuX que personne. chantées dans les rues. Sa tête fut envoyée Disputer la tête d’un homme à l’échafaud, et com- et étudiée à l’École de médecine de Lyon. prendre que tout Vous abandonne, même la pitié, Un moulage en est tant le crime est odieuX et lâche et le criminel conservé au musée repoussant; se sentir dans une atmosphère de glace, Testut-Latarjet n’aVoir pas un mot, pas un geste, pas une pensée d’anatomie et de celui dont on Voudrait sauVer la Vie, à quoi l’on d’histoire naturelle puisse s’Y prendre; en être réduit à plaider une médicale à Lyon. thèse de droit philosophique, quel supplice! Et cependant remplir son deVoir jusqu’au bout, braVement, Vaillamment, sans défaillir, quel cou- Ci-contre: une édition du texte rage! Dumollard est demeuré impassible en enten- de la Complainte de Dumollard. dant l’arrêt qui l’a condamné à mort. À côté de lui Ci-dessous: le couple était assise sa femme, accusée d’aVoir recélé des Dumollard brûlant les vêtements des victimes dans objets Volés, sachant que l’assassinat aVait accom- le bois de Rouillones.