L'« Âge D'or » Revisité/Alentours De Bayard
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Études photographiques 12 | novembre 2002 L'« âge d'or » revisité/Alentours de Bayard Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/518 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2002 ISBN : 2-911961-12-9 ISSN : 1270-9050 Référence électronique Études photographiques, 12 | novembre 2002, « L'« âge d'or » revisité/Alentours de Bayard » [En ligne], mis en ligne le 12 février 2005, consulté le 21 septembre 2021. URL : https://journals.openedition.org/ etudesphotographiques/518 Ce document a été généré automatiquement le 18 décembre 2020. Propriété intellectuelle 1 SOMMAIRE L'alchimie de l'âge d'or André Gunthert L'« âge d'or » revisité Calotypomanie Guide du gourmet en photographie historique Abigail Solomon-Godeau L'institution du photographique Le roman de la Société héliographique André Gunthert Alentours de Bayard Jules Ziegler un élève oublié d’Hippolyte Bayard Jacques Werren Le positif direct d’Hippolyte Bayard reconstitué Tania Passafiume Débats Critiques de la crédulité Yves Michaud Reproduire, diffuser Robert J. Bingham, photographe du monde de l’art sous le Second Empire Laure Boyer Varia La photographie au service du simultanisme L’utilisation de l’image de mode par Sonia Delaunay Cécile Godefroy Dernières nouvelles du Caire Sylvie Aubenas et Mercedes Volait Études photographiques, 12 | novembre 2002 2 L'alchimie de l'âge d'or André Gunthert image On surprendrait peut-être plus d'un spécialiste en affirmant qu'aujourd'hui encore, l'histoire de la photographie est pour une large part une mythologie. Mérite-t- elle un autre nom, la discipline qui persiste à afficher, jusque sur les cimaises d'un grand musée parisien, la bucolique catégorie de l'"âge d'or" ? Introuvable dès le XIXe siècle parmi les travaux d'histoire savante, réfutée au XXe siècle jusque sur le terrain de l'histoire de l'art, cette périodisation mélancolique ne trouve plus guère refuge désormais que dans l'historiographie photographique. Pour le positiviste, cet emploi ne peut être que le témoignage attristant d'une immaturité scientifique. Pour l'historien attentif aux usages de l'histoire, la résistance de cette notion révèle les conditions dont dépend la mise en récit d'une pratique. image Lorsque Walter Benjamin utilise, en toute bonne foi, la catégorie de l'"âge d'or" pour dépeindre la photographie des années 1850-1860, celle-ci a déjà une longue histoire1. Introduite par Nadar dans ses souvenirs pour s'inscrire aux rangs des vétérans qui ont inauguré l'emploi raffiné de cette technologie2, elle a notamment fait florès dans les cercles des collectionneurs allemands des années 1910-1920, où elle a rempli, avec les termes d'"incunables" ou de "primitifs", le rôle de sauf-conduit d'une valorisation esthétique de la photographie ancienne 3 première étape de la constitution d'une histoire culturelle du médium, qui va rapidement remplacer la chronologie technicienne qui en formait jusque-là la chronique. De Hill et Adamson à Victor Hugo, la courte liste des héros qui constitue alors le programme de cette petite révolution de cabinet fournira l'ossature du catalogue de Beaumont Newhall, premier sommaire officiel de la photographie de musée4. La restauration de l'"âge d'or" proposée par André Jammes quelques décennies plus tard en offre une intéressante variante, qui la spécialise dans la caractérisation des [p. 2] procédés négatifs sur papier. On verra dans ce numéro, avec la traduction de l'article d'Abigail Solomon-Godeau, comment cette interprétation nourrit dans les années 1980 le revival américain de la photo- graphie historique. image Mais cette thèse n'est pas qu'un outil de légitimation a posteriori d'une esthétique du médium. Avec l'article consacré à la formation de la Société héliographique, on découvrira qu'une stratégie similaire était déjà à l'oeuvre au sein des groupes militants Études photographiques, 12 | novembre 2002 3 des années 1850. Seul l'historien naïf en sera surpris: la constitution d'une mythologie est bien la clef qui a autorisé l'accès de la photographie à l'empyrée de la culture noble. La précocité de cet investissement est sans nul doute l'un des ressorts qui a permis à l'enregistrement visuel de faire histoire. image S'il paraît souhaitable d'appliquer à l'historiographie spécialisée l'exercice de réflexivité depuis longtemps recommandé dans les sciences, on n'oubliera pas le lien complexe qui, depuis ses origines, noue la dimension symbolique au récit de la photographie, et sans lequel nous aurions cessé depuis longtemps de nous intéresser en historiens à cette technologie. Comme toute bonne fable, la nôtre comporte donc deux leçons, parmi lesquelles on choisira selon son humeur: l'or de la mythologie a sauvé la photographie de l'indignité; l'histoire ne se produit pas à n'importe quelles conditions. [p. 3] NOTES 1. Cf. Walter Benjamin, "Petite histoire de la photographie" [1931], Études photographiques, n°1, novembre 1996, p.7. 2. Cf. Félix Nadar, Quand j'étais photographe, Paris, Flammarion, 1900, p. 209. 3. Voir notamment: Helmuth Bossert, Heinrich Guttmann, Aus der Frühzeit der Photo- graphie.1840-1870, Francfort/Main, Societäts-Verlag, 1930. 4. Cf. Beaumont Newhall, Photography. 1839-1937, New York, MoMA, 1937. Études photographiques, 12 | novembre 2002 4 L'« âge d'or » revisité Études photographiques, 12 | novembre 2002 5 Calotypomanie Guide du gourmet en photographie historique Abigail Solomon-Godeau Selon la pratique traditionnelle, le butin fait partie du cortège triomphal. C'est ce qu'on appelle les biens culturels. Ceux-ci trouveront en l'historien matérialiste un spectateur distancié.Lui, en songeant à la provenance de cet héritage, ne pourra se défendre d'un frisson. Walter Benjamin, "Sur le concept d'histoire". image La discipline de l'histoire de l'art et son plus récent avatar, l'histoire de la photographie, se différencient de toutes autres approches de la production culturelle (telles que la musicologie, l'histoire de l'architecture, les études littéraires, etc.) par le fait que l'objet étudié a aussi une existence propre en tant que produit dans un système de marché. Ainsi, la recherche érudite si désintéressée soit-elle est inévitablement en relation avec un monde parallèle de collectionneurs et de marchands d'art, d'investisseurs et de spéculateurs. On a pu constater par exemple que la "redécouverte", par les historiens de l'art, des gloires oubliées du luminarisme américain, de l'art de la Restauration des Bourbons ou de l'art anecdotique victorien, a déclenché une foule d'événements. Sont alors parus articles, monographies et ouvrages; des oeuvres, jusque-là cantonnées aux réserves, sont remontées à la lumière; les musées ont accueilli maintes expositions; la presse spécialisée a fidèlement rendu compte de ce phénomène ce qui s'est évidemment répercuté sur les activités des collectionneurs, des marchands et des commissaires-priseurs. image Habituellement, les historiens de l'art sont réputés se tenir à l'écart du monde du marché de l'art. Mais, dans la pratique, il n'est guère aisé, ni même peut-être possible, de maintenir une telle distance. Il est parfaitement admis dans les limites dcertaine déontologie qu'un historien de l'art fasse des expertises pour des marchands, qu'il rédige des essais pour des catalogues à la demande de galeries ou de salles des ventes.Qu'il collectionne, dans son domaine de compétence, et à titre privé, des oeuvres d'art (voire qu'il en fasse négoce), ou qu'il joue le rôle de consultant auprès de collectionneurs [p. 5] ou de sociétés privées ne semble nullement condamnable. Mais, si floue que soit la ligne de démarcation entre l'empyrée de la recherche désintéressée et le vulgaire pré carré du commerce, elle existe bel et bien. En vérité, l'apparition de Études photographiques, 12 | novembre 2002 6 telles distinctions pratiques a historiquement marqué le passage de l'histoire de l'art au rang d'activité professionnelle reconnue, passage qu'illustre le transfert de ce savoir de la sphère des collections et des bibliothèques privées à celle de l'université et du musée. Ainsi, dans la mesure où l'étude de l'art (ou de la photographie) ne saurait, dans l'état actuel des choses, être complètement dissociée des opérations du marché, une pratique éthiquement responsable requiert pour le moins une connaissance de ces contradictions et quelque conscience des contradictions qu'impliquent ces fluctuations1. Les historiens de la photographie semblent afficher une candeur virginale face à de telles questions, ce qui correspond parfaitement à leur incapacité à comprendre que l'activité historique se déroule sur un terrain idéologique. Le corollaire qui voudrait que l'histoire de la photographie qui s'écrit aujourd'hui soit dénuée de toute valeur marchande (nonobstant son affirmation d'une esthétique photographique fondée sur une ontologie du médium) est particulièrement remarquable, en un temps où la plupart des historiens de l'art, hormis les conservateurs les plus récalcitrants, s'accordent à reconsidérer de façon critique les valeurs et les programmes promus par leur discipline. image Au XVIIIe siècle, l'histoire de l'art naît à la confluence de l'esthétique, des goûts de l'antiquaire et du savoir du connaisseur. On peut prêter un visage à la transition entre le cabinet de l'antiquaire et le département moderne d'histoire de l'art: celui de Bernard Berenson. Impresario de la Renaissance italienne (notamment des prétendus primitifs du Quattrocento florentin), collectionneur, connaisseur et marchand, Berenson est, d'une part, concerné par la notion de Kunstwissenschaft alors développée par des érudits tels que Giovanni Morelli et lié, d'autre part, au commerce de l'art international exercé par lord Joseph Duveen. Dans la mesure où ses fonctions d'historien de l'art et d'acquéreur se chevauchaient, le caractère impartial des recherches de Berenson s'en trouvait peut-être inévitablement affecté.