Étude Originale
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Étude originale Droits fonciers et usage productif de la ressource : une analyse intrafamiliale en Basse Côte d’Ivoire Débégnoun Marcelline Soro Résumé Université de Cocody-Abidjan, Cet article traite des relations entre la dimension intrafamiliale des droits fonciers et l’usage Représentation IRD en Côte d’Ivoire, productif de la ressource. L’analyse s’article comme suit : i) voir en quoi la distribution des 9, rue Alexandre Fleming, Marcory Zone 4C, droits au sein des groupes familiaux a une incidence sur l’usage productif de la ressource 04 BP 293, foncière ; ii) montrer en quoi l’évolution des opportunités de production a une incidence Abidjan 04, Côte d’Ivoire sur le jeu foncier intrafamilial. <[email protected]> Mots clés : Côte d’Ivoire ; droit foncier ; exploitation agricole familiale ; système d’exploitation agricole. Thèmes : territoire, foncier, politique agricole et alimentaire ; économie et développement rural. Abstract Land rights and productive use of resources: An intra-family analysis in Lower Côte d’Ivoire The paper deals with the relationships between the intra-familial dimensions of land rights and the productive use of resources. Analysis is carried out along two axes. We first show how the distribution of rights within families influences the productive use of land. We then explain how the evolution in production opportunities is influencing the organisa- tion of intra-family land rights. Key words: Cote d’Ivoire; family farms; farming systems; land rights. Subjects: territory, land use, agricultural and food production policy; economy and rural development. objectif de cet article est quoi l’évolution des opportunités de pro- d’apporter, à partir d’une appro- duction est susceptible de conduire à une L’ che de type « ethnographie des modification du jeu foncier intrafamilial. droits » (Colin, 2004), un éclairage sur les Cette dernière analyse nous amène à relations entre la distribution intrafami- aborder plus spécifiquement la question liale des droits fonciers et l’usage produc- de l’individualisation des droits au sein du tif de la ressource foncière. Dans un pre- groupe familial. Cette question revêt un mier temps, il s’agira de montrer intérêt particulier dans le contexte de comment la distribution des droits fon- notre étude où l’économie de plantation a ciers au sein des groupes familiaux a une connu une profonde mutation. incidence sur l’usage productif de la res- Les données mobilisées dans ce texte ont source foncière. Cette incidence peut être été collectées entre 2002 et 2003 à Kon- envisagée relativement : i) aux contrain- godjan (sous-préfecture d’Adiaké, tes éventuelles, aux choix culturaux et figure 1), village localisé dans une aux superficies mises en culture ; et ii) à ancienne zone pionnière, un ancien « no l’intensité du système de production en man’s land », sur les marges occidentales termes d’investissement en travail et/ou du royaume agni du Sanwi. Cette micro- en intrants, pour une culture donnée. région se caractérise ainsi par l’absence Seul le premier point sera abordé. Dans de la dichotomie classique autochtones- doi: 10.1684/agr.2007.0133 Tirés à part : D.M. Soro un second temps, il s’agira de montrer en migrants (Colin et al., 2004). La méthodo- Cahiers Agricultures vol. 16, n° 5, septembre-octobre 2007 395 MALI NORD BURKINA FASO DENGUELE SAVANES ZANZAN BAFING VALLEE WORODOUGOU DUBANDAMA 18 MONTAGNES HAUT LACS SASSANDRA MARAHOUET MOYEN GHANA BIANOUAN NZI COMOE COMOE MOYEN CAVALLY FROMAGER L'AGNEBY SUD-BANDAMA Aboisso LIBERIA GUINEE LAGUNES BAS-CAVALLY Abidjan SUD COMOE PLAN DE SITUATION Chef-lieu de département Chef-lieu de sous-préfecture AYAMÉ Village Village d'étude Limite de Région Limite d'État Route bitumée ABOISSO Assouba Ayébo Adaou MAFÉRÉ Krindjabo Kadiakro N'zikro Ehouessebo 0 20 km Kongodjan Kakoukro Samo Abi Petit Paris Djimini- ADIAKÉ BONOUA Koffikro Ehoussou GRAND-BASSAM ETUOBOUE ASSINIE-MAFIA OCÉAN ATLANTIQUE TIAPOUM Figure 1. Carte de localisation du village (dessin B. Groupessie). Figure 1. Localisation map of the village. logie de collecte des données a consisté tage, donation, achat), et une « photogra- au sein des familles, le contenu des droits d’abord en un recensement sociodémo- phie » de l’usage des terres (travaillées par ainsi que leurs titulaires, ce qui permet de graphique général afin de cerner « l’uni- le chef de famille ou des aides familiaux, voir que les choix culturaux des membres vers de travail », à partir d’une entrée par ainsi que les parcelles cédées ou prises en de la famille sont fonctions de leurs sta- les unités de résidence. L’objectif du faire-valoir indirect). Des études de cas tuts, lesquels déterminent la nature des recensement est de produire une base de approfondies sur les droits et la gestion droits de chaque individu. Dans la données permettant l’identification des intrafamiliale du foncier ont aussi été seconde partie, nous traitons de l’inci- groupes familiaux ; des patrimoines fon- réalisées. dence de l’évolution des opportunités de ciers (sans entrer dans la description des L’analyse qui suit s’articule autour de production, notamment de la culture de droits) ; la ou les activité(s) professionnel- deux points. Dans la première partie nous l’ananas sur l’organisation des relations le(s) de chaque individu ; des conditions traitons des relations entre la distribution intrafamiliales. Nous nous proposons de d’accès à la terre. Ensuite, deux enquêtes des droits intrafamiliaux et des usages montrer que la culture de l’ananas en exhaustives ont été réalisées auprès des productifs de la ressource foncière. Nous favorisant l’émergence d’un marché du groupes familiaux possédant de la terre. Il présentons d’abord le système agricole faire-valoir indirect dans la région a s’agissait d’établir une biographie des villageois, puis un bref historique de la entraîné une individualisation progres- patrimoines (conditions d’accès à l’appro- constitution des patrimoines fonciers, et sive des groupes de production et de priation foncière droit de culture, héri- enfin, les principes d’allocation des droits consommation. Dans un contexte de 396 Cahiers Agricultures vol. 16, n° 5, septembre-octobre 2007 forte pression sur les terres familiales, ce Tableau 1. Récapitulation des cultures pratiquées à Kongodjan marché, au lieu de provoquer des conflits (terroir villageois). intrafamiliaux, contribue à les réduire considérablement. Table 1. Summary of agricultural systems of Kongodjan (village grounds). Type de cultures Superficie (hectares) % Cultures arborées Palmier 46 30,2 Les usages productifs Hévéa 1564,5 9,9 de la ressource Cocotier 3,5 2,3 foncière : Ananas 54 35,4 Cultures vivrières Manioc 21,75 14,3 Patate-manioc 1 0,6 des choix culturaux 30 Patate 3,75 2,5 contraints Patate-tomate 3,5 2,3 par un système Jachères 4 2,6 de droits Total 152,5 100 et d’obligations concerne 78 producteurs. Cette culture a 60 000 F CFA1 avant toute mise en culture l’avantage de pouvoir être pratiquée en et surtout l’utilisation d’engrais chimique Le système agricole association avec le palmier ou l’hévéa, les (urée). premières années de la plantation de ces Le paysage agricole microrégional a cultures, et sur des terres prises en faire- Historique connu de profondes modifications avec valoir indirect, du fait qu’il ne s’agit pas des patrimoines fonciers le temps. En effet, à l’époque pionnière, d’une culture pérenne. la principale culture était le caféier, le La production vivrière repose essentielle- La constitution des patrimoines fonciers faible développement de la production ment sur le manioc (64 % des superficies s’est opérée à Kongodjan selon trois gran- cacaoyère s’expliquant par les contraintes en cultures vivrières), mais aussi sur la des phases : pédologiques locales. De manière pro- patate douce et les cultures maraîchères 1. La phase pionnière (1933-début des gressive, les vieilles plantations de (la tomate, en particulier). La finalité de la années 1940), d’appropriation initiale de caféiers ont été reconverties en planta- production varie selon le statut de l’indi- la terre. Durant cette phase, c’est le défri- tions de palmiers, cocotiers ou hévéa. En vidu au sein du groupe familial et l’ori- chement de la forêt qui crée le droit sur la 1983, le caféier représentait encore gine de la parcelle. Lorsque le manioc est terre ; dans un contexte d’absence de 32,6 % de l’ensemble des superficies en cultivé sur une parcelle prise en location droits d’autochtonie, le droit du pionnier cultures arborées à Kongodjan, le ou en métayage, la production est essen- peut être qualifié d’indéniable droit priva- cacaoyer 4,9 %, le cocotier 24,3 % et le tiellement destinée à la commercialisation tif individuel, intégrant la possibilité palmier 38,2 % (Colin, 1990). Actuelle- et ce, quel que soit le statut des individus d’aliéner (Soro et Colin, 2004) ; ment, le caféier et le cacaoyer ont totale- au sein des groupes familiaux. Lorsqu’il 2. La deuxième période (début des ment disparu et les principales cultures est cultivé sur des terres familiales par le années 1940 – fin des années 1950) est la arborées sont le palmier (71,3 % des chef de famille, la production est destinée phase de morcellement des patrimoines superficies en culture arborées, à l’échelle à l’autoconsommation ; en revanche, les constitués initialement. Au bout de quel- du terroir), l’hévéa (23,3 %) ; le cocotier – autres membres le produisent à une fin ques années, le pionnier qui avait fait tentative de diversification jugée non exclusive de vente. La patate douce et la venir un aide familial lui cédait sous concluante – est en voie de disparition tomate sont produites à une fin de vente, forme de donation une plantation ou une (5,4 %), selon des données du recense- l’autoconsommation restant marginale. Le portion de la forêt qu’il avait pu s’appro- ment effectué en 2002.