Les Grandes Compagnies en Velay 1358 - 1392

PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ DES ÉTUDES LOCALES N° 8 Section de la Haute-Loire

JACQUES MONICAT Archiviste aux Archives Nationales

HISTOIRE DU VELAY PENDANT LA GUERRE DE CENT ANS

Les grandes Compagnies "r- 1 I en Velau .7 1358 - 1392

SECONDE ÉDITION

AVEC PIÈCES JUSTIFICATIVES ET UNE CARTE HORS TEXTE

PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION ÉDOUARD CHAMPION, ÉDITEUR 5, QUAI MALAQUAIS VIe,

1 928 Tpu? droits réservés

AVANT - PROPOS

i l'histoire militaire de la guerre de Cent ans est écrite S dans ses grandes lignes, nombre d'opérations secondaires demeurent encore ignorées. Le Velay, qui ne vit aucune bataille célèbre, que les armées anglaises semblaient même avoir évité, posait un problème inté- ressant à résoudre. On savait par les beaux travaux de Dom Vaissete, de Siméon Luce, de Denifle, de Delachenal et de M. Coville que Robert Knolles et les Compagnies avaient traversé le Velay de 1359 à 1365. Toutefois on manquait de détails sur ces passages de routiers. D'autre part les faits militaires postérieurs à 1365 étaient en grande partie inconnus. Les historiens du Velay, Arnaud, Mandet, Truchard du Molin se sont bornés à reproduire Froissart et Dom Vaissete, et les érudits locaux contemporains délaissent en général cette attachante période. Encore moins étudiée que l'histoire militaire est celle des conséquences de la guerre de Cent ans. Cependant à une époque où chaque pays a encore son orga- nisation et sa vie propre, il nous paraît impossible de séparer les faits militaires de l'étude des institutions. Les uns et les autres sont objets de réactions réciproques. Un orage qui s'abat sur le roc ou sur un sol mouvant est loin de produire les mêmes effets. Ce n'est qu'après avoir reconstitué dans chaque province les événements militaires dont elle fui témoin et déterminé leur influence sur ses institutions et sa vie qu'il sera possible de faire un tableau complet de la France pendant la guerre de Cent ans. Pour suivre ce programme dans le cadre du Velay, nous donnons tout d'abord un aperçu général du pays à la veille de l'invasion. Aperçu forcément très sommaire car nous serons amenés, en étudiant les répercussions de la guerre, à revenir avec détails sur ces notions préliminaires. Puis, pour plus de clarté, dans une première partie, nous retraçons uniquement les faits militaires dont le Velay fut le théâtre pendant la seconde moitié du XIVe siècle, Nous montrons • que ce pays subit l'invasion étrangère de 1358 à 1392. Le récit de ces événements qui se réduisent à des exploits de routiers, malgré tous nos efforts, manque parfois de cohésion. C'est en effet, le plus souvent à l'aide de brèves mentions relevées dans un compte, un inventaire, des lettres de rémission, un arrêt du Parlement, et signalant d'une façon indirecte la présence des ennemis sans indication des circonstances qui ont précédé ou suivi, qu'il nous a fallu reconstituer le passage des Compagnies en Velay. Les faits d'origine extérieure étant connus, dans une seconde partie, nous étudions, pour la même période, le pays où ils se sont déroulés en notant leurs répercussions au triple point de vue politique, social et économique. Enfin, dans notre conclusion nous nous efforçons de condenser les résultats de notre étude. 4 Aux Archives Nationales, les registres du Trésor des Chartes et du Parlement criminel, que nous avons dépouillés un à un pour la période qui s'étend de 1358 à 1392, les diverses collec- tions du département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et notamment la collection Doat, les archives départementales de l'Hérault, où nous avons consulté une copie des registres de la sénéchaussée de Nîmes et de Beaucaire exécutée au XVIIIe siècle, les archives départementales de la Haute-Loire et celles de l'Hôtel- Dieu du Puy nous ont fourni la plus grande partie de notre documentation. L'incendie qui a détruit au XVIIe siècle les archives munici-- pales du Puy nous a privé d'une foule de pièces connues seule- ment par d'anciens inventaires. Nous sommes aussi très redevables à des recueils de documents encore inexploités comme les preuves de L'Histoire de Nîmes de Ménard, les preuves de la nouvelle édition de L'Histoire générale de , les Preuves de la Maison de Polignac, le Spicile- gium Brivatense.

INTRODUCTION

ITUÉ entre les monts du Vivarais à l'Est et la Margeride à s l'Ouest, arrosé par deux grands cours d'eau, la Loire et l'Allier, que sépare la chaîne montagneuse qui porte son nom, le Velay affecte la forme d'un hexagone presque régulier Nous connaissons d'une façon précise ses limites qui, jusqu'à la Révolution, furent celles du diocèse du Puy. Il est borné au Nord, du côté du Forez, de Montarclier au confluent de la Loire et de la Semène, par le chaînon de Saint-Bonnet le-Château, et les contreforts du mont Pilat jusqu'à Saint-Sau- veur-en-Rue ; à l'Est et au Sud-Est, du côté du Vivarais, par la chaîne des Boutières, la rivière du Lignon et les plateaux du Mézenc, d'Arlempdes à Goudet, par la Loire, et jusqu'à Rauret et Jonchères par la ligne $e division des eaux entre les bassins de la Loire et de l'Allier ; au Sud-Duest du côté du Gévaudan, par le cours de l'Allier, depuis Jonchères jusqu'à Saint-Bérain ; à l'Ouest, du côté de l', par le chaînon de la Durande, les montagnes de Fix et d'Allègre, le ruisseau de l'Arzon et la chaîne principale du Forez, jusqu'à Mon- tarcher 2.

Placé sur le rebord oriental du Massif Central, le Velay

1. Congrès scientifiques de France, 22" session tenue au Puy en sep- . tembre 1855. Le Puy, 1855-1856, 2 volumes in-octavo. T. i, notes de MM. les abbés CORNUT et VOISIN sur La géographie historique du Velay, pp. 604-625. 2. Les limites de l'ancien Velay sont données avec exactitude par la carte du diocèse du Puy gravée en 1778 par ordre des Etats de Languedoc. Bibliothèque nationale. Gec 753, feuille 6, s'ouvre à la fois sur et la vallée du Rhône. C'est avant tout une région de passage unissant la France du Nord à celle du Midi. Clef des routes qui, au travers du Vivarais, dévalent des sommets au couloir du Rhône, par le Forez, le val de Loire et le Gier, le Velay converge vers . De cet antagonisme entre la montagne et le fleuve provient l'extrême diversité qui est la caractéristique essentielle du pays. Jamais territoire d'une aussi faible surface (250.000 hec- tares) n'offrit d'aspects plus variés. Des solitudes désertiques du Mézenc on passe sans interruption à la région du Mégal, où d'immenses rochers en forme d'aiguilles semblent naître sous les pas. Ce sont les cratères rougeâtres, les laves aux lignes fantastiques et les lacs bleus des environs du Puy ; se déroulent ensuite les froides et tristes planèzes des monts du Velay que prolongent les forêts et les prairies des plateaux de Craponne et de Montfaucon. A part la vallée de la Loire et les plateaux de Cayres et de Tence, le sol du Velay est trop tourmenté pour être fertile. Le seigle et l'avoine sont les cultures dominantes du pays qui produit de la vigne et peu de froment. Au xive siècle, la seule ville importante était la capitale. Le Puy devait sa fortune à son rôle politique, au pèlerinage célèbre dont il était le siège, à sa situation sur la route du Midi et de l'Empire. Dans les campagnes, certaines agglomérations groupées autour d'un château, comme Yssingeaux, Espaly, Bouzols, ou d'une abbaye, comme Le Monastier, portaient le nom de « villes closes », mais n'étaient que des centres agricoles. Ce pays était habité par une population de race celtique, et méridionale d'esprit et d'allure. La société, le clergé mis à part, comprenait les nobles, grands propriétaires fonciers qui, au début du xive siècle, se comportaient dans leurs domaines en véritables souverains. Au Puy, une riche bourgeoisie gran- dissait et prenait conscience de sa force. La condition des gens de métier était modeste. Plus pauvres encore devaient être les cultivateurs, serfs, pour la plupart, La situation géographique du Velay ne fut pas sans influence sur son organisation politique. Bien qu'au point de vue administratif il fît partie du Languedoc, il tenait par cer- tains côtés plus à la France du Nord qu'à celle du Midi. C'est ainsi que la monarchie capétienne y pénétra beaucoup plus tôt que dans les autres provinces du Sud. Gouverné d'abord par des comtes particuliers, le Velavr, au ixe siècle, fut réuni au comté d'Auvergne, puis attribué vers 950 à Guillaume Tête d'Etoupe, comte de Poitiers. Mais trente ans plus tard le comte d'Aquitaine n'eut plus que des droits de suzeraineté sur le Velay où les comtes de Clermont usurpèrent son pouvoir. En 1162, à la prière de l'évêque du Puy, persécuté par la Maison de Clermont, la royauté qui, depuis le xe siècle, n'avait cessé d'enrichir et de protéger l'église vellave, intervint. Guil- laume, comte du Puy, fut vaincu et fait prisonnier par Louis VII. A sa mort, arrivée en 1169, tout le comté de Velay passa entre les mains de l'évêque '. Ce prélat étendait sa domination non seu- lement en Velay, mais encore sur une partie du Vivarais, de l'Auvergne, du Gévaudan et du Forez. La ville du Puy et les châteaux d'Espaly, de Fix, de Jonchères, d'Arzon, de Mons près Craponne, de Monistrol, d'Yssingeaux, de Lapte, de Beau- jeu, de Charbonnier, de Cayres, de Chapteuil, de Mercœur, de- Mézères, de Retournac, lui appartenaient en propre 2. La victoire de l'évêque du Puy fut aussi celle de la royauté qui, dès lors, exercera une certaine prépondérance dans le Velay incorporé par Philippe-Auguste au domaine royal. Tout sera prétexte au pouvoir central pour étendre son action. Il

1. Histoire générale de Languedoc. (Edition PRIV AT). T. xÍI, note xvm' par Auguste MOLINIER sur la Géographie de la province de Languedoc au moyen-âge, pp. 130-135. pp. 237-238. Auguste LONGNoN. La formation de l'unité française. Leçons professées au collège de France en 1889-1890, publiées par Henri-François DELA- BORDE. Paris, 1922, un volume grand in-octavo, pp. 42, 47, 86. 97, 115, 174. 2. A. LASCOMBE. Répertoire des hommages de l'évêché du Puy. Le Puy r 1882, un volume in-octavo. soutiendra l'évêque dans ses luttes contre les vicomtes de Polignac, les sires de Montlaur et les bourgeois du Puy \ Descendants des vicomtes amovibles du Velay, devenus héréditaires vers 900, les vicomtes de Polignac se prétendaient suzerains de tout le territoire avoisinant le Puy et leurs domaines se prolongeaient au nord, jusqu'à Saint-Paulien. Ils avaient, en outre, des châteaux dans le comté de Brioude et en Auvergne. D'incessantes discordes s'élevèrent entre eux et l'évêque. Grâce à l'appui de la royauté, le prélat triompha de ses adversaires, et en 1213, Pons, vicomte de Polignac,lui rendit hommage pour tous les biens qu'il possédait dans le diocèse du Puy. Néanmoins jusqu'en 1347 de nombreux conflits de juridic- tion mirent aux prises évêques et vicomtes2. En 1219, Pons de Montlaur, qui avait longtemps combattu le pouvoir épiscopal, reconnut à son tour sa suprématie. Les difficultés qui surgirent entre lés habitants du Puy et l'évêque, au sujet du consulat, fournirent à la royauté une nouvelle occasion d'agir en Velay. Notons en passant que les seigneurs vellaves furent tou- jours hostiles aux franchises des villes. En décembre 1265, le sire de Roche-en-Régnier interdit à ses sujets de former une communauté et d'avoir un consulat. Au xvie siècle, il n'y avait en Velay que neuf consulats, presque tous de création récente 3. Vers 1214, au début de l'épiscopat de Robert de Mehun, les

1. Francisque MANDET. Histoire du Velay. Le Puy, 1860-1862, 7 volumes in-18. T. iv, pp. 23-40, 46-54, 63-110. Charles ROCHER. La royauté en Velay. (Tablettes historiques du Velay. T. III, année 1872-1873, pp. 153-200 et t. iv, année 1873-1874, pp. 149-176.) Abbé PAYRARD. Documents inédits concernant les différends des évêques du Puy avec tes vicomtes de Polignac (1229-1273-1306). (Tablettes historiques du Velay. T. vi, année 1875-1876, pp. 501-531.) 2. Archives nationales. XI c 7, n' 152. Accord du Parlement fixant la juridiction du vicomte de Polignac et de la cour commune du Puy. 3. Paul DOGNON. Les institutions politiques et administratives du pays de Languedoc dit XIII, siècle aux guerres de religion. Toulouse, 1895, un volume in-octavo, pp. 60 et 123. bourgeois du Puy se donnèrent des consuls et ce prélat chassé par le peuple dut implorer la médiation de Philippe-Auguste. L'évêque signa avec les habitants la charte de Vernon. Il conservait ses droits féodaux, mais ne pouvait percevoir de tailles sans le consentement de la communauté qui élisait ses magistrats et s'administrait elle-même. Une insurrection se produisit en 1239 sous Bernard de Montagu qui, contraint à quitter sa ville épiscopale, n'y revint que grâce à l'intervention de Saint Louis. A la suite d'une violente sédition provoquée, en 1277, par la corporation des bouchers, le consulat fut supprimé par arrêt du Parlement et ne devait être rétabli qu'en janvier 1344. Comme les habitants supportaient avec peine la perte de leurs libertés municipales et inspiraient de continuelles craintes à l'évêque, Jean de Cumenis, celui-ci en 1307, par un traité de pariage associait Philippe le Bel au gouvernement de la ville du Puy. Vers la même époque, le roi passait une convention identique avec Armand de Retourtour pour la ville de Mont- faucon. Par le jeu même des circonstances, habilement exploitées, la royauté avait ainsi, au début du XIV siècle, de solides assises en Velay. L'œuvre d'unification était loin cependant d'être achevée. Les nobles en possession d'antiques privi- lèges en matière de justice, de service militaire et d'impôts montraient encore vis-à-vis du pouvoir royal une indépen- dance presque absolue. Au point de vue administratif, le Velay formait un bailliage créé vers 1285, qui faisait partie de la sénéchaussée de Beau- caire 1. C'est à cette date qu'on a mention pour la première fois d'un juge du Velay. Les limites du bailliage se confondaient,

1. Chroniques d'Etienne Mèdicis, bourgeois du Puy, publiées au nom de la Société académique du Puy par Augustin CHASSAING. Le Puy, 1869- 1874, 2 volumes in-quarto. T. n, p. 341, note 1. Histoire générale de Languedoc. T. xn, pp. 344-345. en 1306, avec celles du diocèse et par conséquent de l'ancien pays des Vellaves. Les comtes de Forez, cependant, qui à partir de 1296 exerçaient un droit de suzeraineté sur la terre de la Faye, possédaient de toute ancienneté en fiefs et arrière-fiefs les seigneuries de Montarcher, d'Usson, de Leignec, de Chalencon, de Saint-Pal, de Tiranges, d'Apinac, de Rochebaron et de Cornillon, situées sur les frontières du Velay, du côté du Forez. D'autre part, en 1320, par arrêt du Parlement, la baronnie d'Allègre et les paroisses qui la composaient, savoir: Céaux, Monlet, Varennes, la Chapelle-Bertin, Saint-Pal-de-Murs, Sem- badel, Saint-Léger, Félines, Chomelix et Saint-Just furent distraites de la sénéchaussée de Beaucaire et attribuées au bailliage d'Auvergne. Enfin, en 1360, le bailliage du Velay subit un nouveau démembrement. Pour indemniser son second fils de la perte du comté de Poitou, devenu anglais par le traité de Calais, le roi érigea en sa faveur le duché de Berry et d'Auvergne. On détacha du Velay pour les unir au nouveau duché les paroisses situées sur la frontière occidentale du Velay, depuis Fix jusqu'à Saint-Paulien et Saint-Geneys d'une part, et de l'autre jusqu'à Saint-Privat-d'Allier. Par contre, le bailli du Velay avait juridiction sur un certain nombre de localités du Vivarais. Ce fait tenàit proba- blement à ce qu'à la fin du XIII siècle et au début du xive siècle Velay et Vivarais ne constituèrent souvent qu'un seul bailliage. Le bailli, le juge du Velay et leurs lieutenants composaient la cour royale. En tant que chef de la justice, le bailli prési- dait les audiences, le juge statuait et prononçait les sentences. Les appels étaient portés devant le sénéchal de Beaucaire et le Parlement de Paris qui englobait le Velay dans son ressort

1. Chroniques de Médicis. (Edition CHASSAING). T. 11, p. 263, note 1 et p. 267, note 1. , Par suite du pariage-de 1307, le Puy et ses faubourgs avaient une organisation administrative spéciale [. Le gouvernement de la ville, et la connaissance des cas de haute, moyenne et basse justice, des contestations en matière d'impôts et des procès civils entre les habitants, relevaient d'une cour dite « commune », composée d'un baile et d'un juge qui administraient et rendaient la justice en commun et par indivis au nom du roi et de l'évêque. Le baile et le juge étaient choisis de concert par l'évêque et le sénéchal de Beaucaire. En cas de désaccord, l'évêque et le sénéchal nommaient chacun un baile et un juge qui exerçaient tour à tour leurs fonctions. Le sénéchal de Beaucaire décidait en second ressort. Le per- sonnel de la cour commune comprenait, en outre, un procureur, un receveur, un vicaire, des geôliers, des sergents et des hommes d'armes. Ces fonctionnaires étaient payés par l'évêque et le roi 2. Ainsi, le bailli du Velay n'avait aucune juridiction sur le Puy et ses faubourgs. Il pouvait tenir ses assises et avoir des prisons dans la ville, mais il lui était interdit de s'occuper des délits, même commis en sa présence, et de procéder à des exécutions dans le territoire de la cité. La cour commune eut à subir de nombreux empiétements de la part de la cour royale, et ses conflits avec les consuls au sujet de la police de la ville furent perpétuels après 1344 '. La ville de Montfaucon était aussi régie par une cour com- mune dont l'organisation était calquée sur celle du Puy 4. Enfin chaque seigneur, pour l'administration de ses terres, avait ordinairement un baile, un juge, un receveur et des chàtelains.

1. Ordonnances des rois de France de la troisième race. Paris, 1741. T. vi, pp. 341-348. f, 422. r°. Archives de la Haute-Loire. Comptes de l'évêché du Puy. G. 101, 3. AYMARD. Inventaire des titres et privilèges de la ville du Puy. (Annales de la Société d'Agriculture du Puy. T. xv, année 1850, pp. 605- 778.) 1366.4. Histoire générale de Languedoc. T. x, preuves, n° 620, colonnes 1564- La juridiction des domaines de l'évêché appartenait à une cour spéciale dite « cour des châteaux » et l'évêque pouvait nommer, tout au moins en 1307, un juge des premiers appels La guerre qui, dans la première moitié du xive siècle, mit aux prises l'Angleterre et la France, en raison de l'éloi- gnement du théâtre des opérations, fut longtemps sans réper- cussion directe en Velay. La crainte de l'invasion apparaît cependant dans les impor- tants préparatifs faits, en 1343, au château d'Arzon 2 et les

« montres » passées, en 1345, à Roche-en-Régnier 3, à Artias 4, à Malivernas 5 et à Mans 6. D'ailleurs les forces que pouvait opposer le Velay à l'ennemi étaient faibles. Elles se réduisaient au contingent fourni à chaque seigneur par le service militaire de ses vassaux. Ces troupes seigneuriales étaient mal équipées. La « montre » des hommes de Pinols, vassaux du sire de Langeac, prouve que la plupart avaient comme arme une fourche ou un bâton ferré 7. Cependant, la milice communale du Puy, compor- tait avec des cavaliers et des fantassins un certain nombre de pièces d'artillerie. Quant aux fortifications des villes et des châteaux, elles étaient en mauvais état, à en juger par la facilité surprenante avec laquelle les Compagnies s'en emparèrent.

1. Archives de la Haute-Loire. Comptes de l'évêché du Puy. G. 104, f° 30 r°. 2. Archives de la Haute-Loire. Comptes de l'évêché du Puy. G. 101, f, 12 VO. 3. Archives nationales. P 1397 2, n° 542. Roche-en-Régnier, canton de Vorey, arrondissement du Puy, départe- ment de la Haute-Loire. 4. Artias, commune de Retournac, canton et arrondissement d'Yssin- geaux, département de la Haute-Loire. 5. Malivernas, commune de Saint-Pierre-du-Champ, canton de Vorey, arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire. 6. Mans-Haut (château ruiné), commune de Roche-en-Régnier. HUIL- LARD-BRÉHOLLES et LECOY DE LA MARCHE. Titres de la maison de Bourbon. Paris, 1867-1874, 2 volumes in-quarto. T. i, n° 2.418. 7. CHASSAING. Spicilegium Brivatense. Paris, 1886, 1 volume in-quarto, n° 121, pp. 330-333. Pinols, chef-lieu de canton, arrondissement de Brioude, département de . la Haute-Loire. En 1353, on dut lever un impôt pour réparer les murailles du Puy qui tombaient en ruines et détruire les maisons qui leur étaient contiguës 1. Le pays s'attendait donc à être envahi d'un jour à l'autre. Ce ne fut cependant qu'après la désastreuse bataille de Poitiers (19 septembre 1356), que l'étranger pénétra en Velay.

1. AYMARD. Inventaire des titres et privilèges de la ville du Puy. (Anna- les de la société d'agriculture du Puy. T. xv, année 1Sg0, p. 620).

CHAPITRE PREMIER

La Guerre anglo-navarraise et les Tard-Venus en Velay

RACE à l'intervention d'Innocent VI, le 23 mars 13M, une G trêve de deux ans avait été conclue à Bordeaux entre le , prince de Galles et le roi Jean son captif. Cette trêve, loin d'assurer la paix à la France, fut pour elle la source de nou- veaux malheurs. Alors que le Dauphin était aux prises avec Etienne Marcel et sa faction, un homme néfaste rentrait en scène: dans la nuit du 7 au 8 novembre 1357, Charles de Navarre recouvrait sa liberté. La captivité du roi de France, l'inaction imposée à Edouard III par la trêve de Bordeaux, la révolution parisienne qui l'appelait il son aide, des soldats licenciés avides de combats et de pillages, tout semblait faciliter les projets de celui qui n'avait qu'un but : devenir un jour roi de France. Si les circonstances lui étaient favorables, Charles se plut à les exploiter. Il crut que les malheurs de sa patrie seraient les meilleurs auxiliaires de sa cause. Tous les fauteurs de désordre se rangèrent sous son drapeau. Lieutenant officieux d'Edouard III pendant la trêve, les capitaines anglais le reconnurent comme chef et reprirent la guerre à son compte. Des gens d'armes de tous pays condamnés par la fin des hostilités à une pesante inaction se constituèrent en « Compagnies »1 et — détail significatif — ce fut au cri de « Navarre » que parcourant la France entière ils commirent les pires excès 2. Le Velay, que sans doute son climat et ses montagnes avaient jusqu'alors préservé de l'invasion anglaise, ne fut pas épargné par les capitaines du roi de Navarre. Pays pauvre, ce n'étaient pas ses ressources qui les attiraient ; les ravages qu'eut subir cette province pendant la guerre de Cent ans tinrent surtout à sa position géographique. La vallée du Rhône exerçait sur les Compagnies un merveilleux attrait ; les routiers venant d'Auvergne, qu'ils tendissent vers Lyon ou , trouvaient le Velay sur leur chemin. C'est en marchant sur Lyon, qu'à la fin de décembre 1358, Bertucat d'Albret, à la tête d'une importante armée, s'avance jusqu'au Puy. On doit identifier avec les troupes de ce capi- taine les « male societates » dont il est question dans une lettre adressée, le 25 décembre 1358, par le Chapitre de Lyon aux châtelains de Sàint-Cyr, de Couzon, d'Albigny, de Saint- Germain, de Tassin, de Lantilly, de Charnay et au courrier

d'Anse pour les inviter à se tenir sur leurs gardes 3. Bertucat d'Albret avait auparavant envahi l'Auvergne, où dès 1356 s'étaient établis les Anglais 4. Il ravage les environs de Clermont, puis se tourne vers le Lyonnais, qui, peu éprouvé par la guerre, promet un riche butin.

1... Sub hiis diehus, consurrexit in Francia illa famosa Societas quœ « Gens sine capite » vocabatur ; quœ primo parva, postea magna aggressa, magnam Francise partem occupans sine legibus, expulsis vel subactis locorum dominis, subjucavit. Erantque non tantum de una gente vel natione, sed de pluribus regionibus congregati. (1357). Thomœ Walsingham historia Anglicana. T. 1, p. 284. (Edition RILEY). 1863-1864, 2 volumes in-octavo. (Collection du Maître des RÔles). 2... fesens tots los mais del mon, sens aver merce d'omes ne d'efens ne de femenas, mays tot o auzizon e cridon « Navarra ». JACOTIN. Preuves de la maison de Polignac. Paris, 1898-1906, ;i volumes in-folio. T. n, n° 237, p. 41. 3. Georges GUIGUE. Les Tard-Venus en Lyonnais, Forez et Beaujolais. Lyon, 1886, un volume grand in-octavo, p. 27, note 2. 4. DENIFLE. La guerre de Cent ans et la désolation des églises, monas- tères et hôpitaux en France. Paris, 1899, 2 volumes in-octavo. T. n, p. 255, Le Puy est sur sa route ; peut-être va-t-il en faire le siège. La présence de l'ennemi en Velay cause une grande émotion. La noblesse et les communes de la sénéchaussée de Beaucaire, sous le commandement du vicomte de Narbonne, de Jean d'Armagnac et du sire d'Arpajon se concentrent près du Puy. Les deux armées sont bientôt aux prises ; un soir Bertucat d'Albret se retranche dans une vigne où sa troupe aurait été anéantie, si sur les conseils de Jean d'Armagnac et du seigneur d'Arpajon, le vicomte de Narbonne n'avait remis l'assaut au lendemain '. La nuit venue, le capitaine Navarrais, devant les dangers qui l'entourent, trouve plus sage de regagner les mon- tagnes d'Auvergne qu'il occupera jusqu'en 1363 2.

Cette victoire eut en Languedoc un profond retentissement; de passage à Albi en mai 1359, le vicomte de Narbonne fut, de la part du peuple et des consuls, l'objet des plus grands honneurs

Six mois ne s'étaient pas écoulés que les troupes anglo- navarraises reparaissaient en Velay. Elles avaient à leur tête un aventurier encore obscur « quidam tune valettus » qui devait jouir dans la suite d'une surprenante fortune 4. Robert Knolles, capitaine pour le roi d'Angleterre de plusieurs forteresses en Normandie et en Bretagne, séduit par les prouesses d'Arnaud de Cervole, se flattait de mettre, à son tour, le Pape à rançon. Le Languedoc, A vignon et ses prodigieuses richesses tentaient sa cupidité. Deux chefs de bandes non moins célèbres, Jacques Wyn et Alle de Buef s'étaient joints à lui. Parti de Bretagne, en octobre 1358, Robert Knolles s'empare d'Auxerre le 10 mars 1359; le 2 mai il brûle Châtillon-sur- Loing; à la fin du mois il entre en Berry, en juin il est en

1. Le Polit Thalamus de Montpellier. (Edition de la Société archéologique de Montpellier). Montpellier, 18:{6, 1 volume in-quarto, p. 350. 2. DENIFLE. Ln guerre de Cent, ans. T. ii, p. 202. 3. Comptes consulaires d'Albi (1359-1360). (Edition A. VIDAL). Toulouse, 1900, 1 volume in-octavo. (Bibliothèque méridionale, 1re série, t. v, p. 49.) 4. Chronicon Hnwici Knif/hton vel Cnitthon. (Edition Lumby). Londres, 1889-1895, 2 volumes in-octavo. (Collection du Maître des Rôles). T. i, pp. 102-103. Auvergne Certaines bandes pénètrent en Forez, où le 19 juil- let 1359 elles incendient Montbrison 2. C'est à tort que

Froissart place en août la chevauchée de Robert Knolles

Une foule de documents attestent dès juin sa présence en

Velay.

Le 20, le sénéchal de Beaucaire déclare, dans un mande- ment adressé au juge de Nîmes, que les ennemis s'efforcent d'envahir la sénéchaussée et sont à quatre lieues du Puy 4. Le 22, Innocent VI écrit à Pierre d'Aragon, qui avait pris à ses gages Jean-Ferdinand de Hérèdia, châtelain d'Emposte et capitaine général des troupes pontificales, pour prier ce monarque de ne pas retenir davantage son capitaine, dont la présence dans le Comtat Venaissin est nécessaire, car, précise le Pape, « Nous avons appris que des bandes armées courent aux environs du Puy et se dirigent vers Avignon 5 ». Le 25, un consul de Millau mentionne dans son livre de comptes qu'il reçoit une lettre de Rodez portant que le comte de Poitiers a été averti que Robert Knolles, Jacques Wyn et Alle de Buef sont entrés en Auvergne, à la tête de quatre mille glaives, et se disposent à venir en Rouergue et à Beaucaire 6; Le 26, le Pape mande à Raynald de Fayno, précepteur de la maison de Saint-Jean l'Hospitalier du Puy, de se rendre * v aussitôt, pour de graves et pressants motifs, à la jcour ponti- ficale Le diocèse du Puy envahi, Innocent VI ne se sentant pas en

1. DENIFLE. La guerre de Cent ans. T. II, pp. 228, 233, 236, 254, 253. 2. GUIGUE. Les Tard-Venus, pp. 33, 38. 3. Chroniques de Froissart. (Edition Siméon LUCE). T. v, pp. 183 190. 4. MÉNARD. Histoire... de Niâmes. Paris, 1730-1738, 7 volumes in-quarto. T. II, preuves, pp. 234-233. 5. Rea. Vat. Innocent V7, n° 340, f 57b . ... Sed quia nuper ad nostrum pervenit auditum quod nonnulle gentes armigere prope civitatem Aniciensem, comitatui nostro Veneysini et Romane curie satis vicinam, hostiliter discurrentes liiis partibus commi- nantur. DENIFLE. La guerre de Cent ans. T. ii, p. 201, note 1. 6. Livre de comptes du consul boursier de Millau, année 1339 1360. Abbé ROUQUETTE. Le Rouerque sous les Anglais. Millau, 1887, 1 volume in-octavo, p. H), note 1. 7, DENIFLE. La guerre de Cent ans, T. II, p. 262 et note 2. sûreté dans Avignon, alors dépourvu de remparts, fait en- tourer cette ville de murailles et de fossés ; gens d'église, bourgeois, courtisans contribuent à la dépense Le 23 juillet, Robert Knolles et ses bandes étaient encore en Y elay, car à cette date les consuls de Nîmes dépêchent au Puy trois espions dont deux achevai et un à pied, pour s'en- quérir des forces et des intentions de l'ennemi 2. Cependant la résistance s'organisait sous la direction du sénéchal de Beaucaire. Dès le 20 juin, Jean Bernier ordonnait au juge de Nîmes de lever cent vingt-six soldats, qui le 28 devaient se trouver à Alais avec tous les nobles de la circon- scription 3. La noblesse concourut vaillamment à la défense du pays. Les gentilshommes de Languedoc, de Rouergue, de Limousin, de Quercy, d'Auvergne, de Forez unirent leurs forces dont l'ensemble constituait une armée d'environ dix mille combat- tants. Le comte de Forez et le jeune comte Béraud, Dauphin d'Auvergne en étaient les chefs. Le vicomte de Polignac était venu à la tête de soixante hommes d'armes 4. Le récit de Frois- sart 5 ne pérmet pas d'identifier le lieu où les deux armées se trouvèrent en présence, ni la date précise de cette rencontre. Etait-ce en Yelay, était-ce en-Auvergne ? nous ne savons. Il est seulement certain que le sénéchal de Beaucaire tenait en juillet son quartier général au Puy 6, et que Robert Knolles avait quitté la région le 20 novembre 1359 Comme Bertucat d'Albret, Robert Knolles prit la fuite sans oser livrer bataille. Un soir, du sommet d'une montagne les Français aperçoivent les feux ennemis. Le lendemain, impa-

1. BALUZE. Vitæ paparum Avennionensium. (Edition MOLLAT). T. c. Paris, 1916, p. :{38. 2. MÉNARrJ. Histoire... de Niâmes. T. II, preuves, p. 219. 3. Ibidem, pp. 234-235. 4. Augustin CHASSAING. Spirilef/ium Brivatense. Paris, 1886, 1 volume in-quarto, n° 139, p. 388. .j. FIIOISSAHT. (Edition Siméon LUCE). T. v, pp. LV et 185-190. Ii. MÉNARD. Histoire... de Nismes. T. Il, preuves, p. 219. 7- FROISSART. (Edition Siméon LUCE). T. v, p. Ly. tients de combattre, ils se hâtent dans la direction des Anglais, et, pour passer la nuit, plantent leurs tentes non loin du camp de Robert Knolles. Le jour venu, ils reprennent leur marche et « vers heure de none » s'établissent sur une montagne face à celle qu'occupait l'ennemi; une prairie s'étendait entre les deux camps. A la vue des Français, Knolles feint de vouloir engager la bataille et déploie ses archers sur les flancs de la montagne. Les Français, de leur côté, se partagent en deux groupes de combat. Dans l'un, commandé par le comte Béraud, Dauphin d'Auvergne, sont Robert Dauphin, les sires de Montagu, de Chalencon, deRochefort, de Sérignac, et Godefroy de Boulogne. Jean de Boulogne, les sires d'Apchier, d'Apchon, Renaud de Forez, le comte d'Uzès font partie du second qui a pour chef le comte de Forez. Tout le jour on s'observe, mais aucun engagement ne se produit. Seuls quelques jeunes chevaliers, désireux de signaler leur vaillance, descendent dans la prairie et livrent des combats singuliers. Le soir, les Français tiennent conseil ; ils décident de quitter leur montagne vers minuit, et par un chemin détourné, de tomber à l'improviste sur les Compagnies. Ainsi font-ils, mais à leur grande surprise le camp ennemi est désert. Knolles, ayant connu par un prisonnier le dessein des Français, crut qu'il serait dangereux d'en attendre l'exécution et, guidé par des paysans prit la route de Limoges. Les seigneurs jugèrent inutile de poursuivre l'ennemi du moment que leur pays était délivré ; ils donnèrent congé à leurs troupes et chacun regagna sa terre \ S'il faut en croire Jean le Bel 2 et Froissart 3, Knolles péné-

1. M. Marcellin BOUDET dans son ouvrage: Thomas de la Marche bâtard de Francp, et ses aventures (4318-1361). Riom, 1900, 1 volume, grand in-octavo, étudie pp. 104-128 la campagne de Robert Knolles en Auvergne mais cet auteur commet plusieurs inexactitudes en confondant notam- ment les incursions pourtant bien distinctes de Bertucat d'Albret et de Robert Knolles. 2. Chroniques de Jean le Bel. (Edition VIARD etDÉPHEZ). Paris, 1904-1903, 2 volumes in-octavo. (Société de l'histoire de France). T. ii, p. 286. - 3. FROISSART. (Edition Siméon LUCE). T. V, p. 190. tra en Limousin. Nous le trouvons ensuite en Bretagne, où l'aurait rappelé Edouard III ; à la fin de 1359, il surprend Du Guesclin au Pas d'Evran \ Par deux fois, le Velay avait repoussé l'invasion étrangère. Dès lors et jusqu'à la fin de la guerre, il n'aura plus à com- battre d'armées régulières, mais des bandes qui l'assailliront de tous côtés et parcourront, presque sans trêve, son territoire. Pendant trente ans, le Velay devait être la proie des Com- pagnies.

Tandis que Robert Knolles menaçait le Velay, de graves événements avaient lieu. Ses compromissions avec l'étranger perdaient Etienne Marcel. Le 19 août 1359, le roi de Navarre abandonné par l'Angleterre traitait avec le régent. A l'expiration de la trêve de Bordeaux (21 avril 1359) une nouvelle invasion anglaise avait échoué devant l'énergie du Dauphin. Ces revers décidèrent Edouard III à la paix. Un projet fut signé à Brétigny le 8 mai 1360; le 24 octobre, le traité définitif était conclu à Calais entre la France et l'Angleterre. La France qui avait recouvré son roi allait-elle enfin con- naître la paix ? Si le traité de Calais délivrait le pays des troupes anglaises, il contribuait à la formation d'armées irrégulières ou associa- tions de malfaiteurs, plus dangereuses encore, connues sous le nom de « Compagnies ». Dès 1356, on signale les excès de ces bandes 2, qui se multiplient durant la trêve de Bordeaux et la guerre Navarraise. Les garnisons des forteresses, dont le traité de Calais stipulait l'évacuation, les soldats des armées licenciées, les pillards et tous ceux que faisait vivre la guerre vont en accroître le nombre. On a trop écrit sur les Compagnies

1. DENIFLE. La guerre de Cent 0118. T. ii, p. 310. 2. Ibidem, p. 181: , et leurs chefs pour qu'il soit utile de rappeler ici leur compo- sition, leur organisation et leurs mœurs. Bien que toutes les nations fussent représentées par les routiers, notons que l'élément anglais dominait Vers mai 1360, les Compagnies, dans le dessein d'envahir - le Languedoc et de piller Avignon, se concentrent en Cham- pagne. Elles traversent la Bourgogne et le Beaujolais et dans la nuit du 28 au 29 novembre, à l'entrée de la Provence et du Languedoc, plusieurs chefs de routiers, dont , s'emparent de Pont-Saint-Esprit. Huit lieues à peine séparent Pont-Saint-Esprit d'Avignon. C'est en vain que pour éloigner des voisins aussi gênants le Pape les excommunie et prêche contre eux la croisade. Mais, la peste sévissait dans la vallée du Rhône, et les routiers, moyen- nant finance, consentent à évacuer Pont-Saint-Esprit à la fin d'avril 1361. Des Compagnies vont alors combattre en Italie - . sous les ordres du marquis de Montferrat, le plus grand nombre se répandent en Languedoc, où, au commencemènt de l'année, elles avaient fait leur apparition 2. Dès avril 1360, on se tenait sur ses gardes en Velay. A cette date, le bailli, Bernard de Laire, enjoint à Eyraud Limozin, Barthélémy Rodez, Jean Cortil, Hugon Baudasse et autres habi- tants du village de Ramourouscle de faire le guet au château de Montbonnet, bien qu'ils en soient exemptés en temps normal

par une transaction passée avec le seigneur de Montlaur 3. C'est au début de 1361, que les Compagnies de Pont-Saint- Esprit firent irruption en Velay. Ces bandes avaient dû suivre l'antique route gauloise qui, partant de la Méditerranée,

1.... Circa hoc tempus illa magna et famosa communitiva est orta ex variis nationibus coadunata cujus duces pro majori parte erant Angli- genoe. Thomæ Otterbourne, chronica régum An-aliæ. (Edition Th. HEARNE), Oxford, 1732, un volume in-octavo, p. 143. 2. A. COVILLE. Les premiers Valois et la guerre de Cent ans, 1 328-1422. (LAVISSE. Histoire de France, t. iv, Paris 1902, pp. 161-166). 3. Archives des Hospices du Puy. II B 145, n° 4. Ramourouscle, commune de Bains, canton de Solignac-sur-Loire, arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire, évitait le Rhône, franchissait les Cévennes, arrivait par la Loire au pays des Arvernes et allait jusqu'en Bretagne. Cette voie qui fut selon M. Jullian celle de l'invasion romaine, de Pont-Saint-Esprit allait au Puy en passant par Viviers, Aubenas, le Col du Pal ; elle se dirigeait ensuite vers Brioude et Gergovie'. Il semble que la plus grande partie du Velay fut alors envahie. C'est à cette époque qu'il est permis de placer la première occupation du Monastier-Saint-ChafTre par Walter Scott et un aventurier surnommé le « maître des navires » 2. Monistrol ville fortifiée appartenant a l'évoque du Puy, et le petit village de la Méanne 4, situé près de Saint-Didier-la-Séauve i, tombent aux mains des routiers. Ils inspiraient une crainte telle que les paysans emportant avec eux leurs meubles se retiraient au fond des bois. Aux environs du Puy, l'abbaye prémontrée de Doue b est mise à sac ; à l'est, sur la route du Forez, les Compagnies incendient Montfaucon 7, ville forte que le roi de France tenait en pariage avec le sire de Hetourtour. André Cleyssac, notaire royal à NIontfaucon, se voit accorder le 18 mai 1362 une réduction de la ferme de son office en raison des dommages que lui a causés la guerre8.

1. Camille JULLIAN. Histoire de la Gaule. T. II. Paris, 1921, p. 542, note 4. 2. MÉNARD. Histoire... de Nismes. T. II, preuves, pp. 183-184. Monastier-sur-Gazeille. chef-lieu de canton, arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire. 3. Histoire générale de Languedoc. T. x, preuves, n° 710, colonne 1767. Monistrol-sur-Loire, chef-lieu de canton, arrondissement d'Yssingeaux, département de la Haute-Loire, 4. Histoire de Languedoc. T. x, preuves, n° 710, colonne 1767. La Méanne, commune du Pont-Salomon, canton de Saint-Didier-la- Séauve. 5. Saint-Didier-la-Séauve, chef-lieu de canton, arrondissement d'Yssin- geaux, département de la Haute-Loire. 6. Bibliothèque nationale. Fonds latin, n° 10.002, f, 38. Cf. pièce justificative n° v. Doue, abbaye prémontrée, commune de Saint Germain-la-Prade, canton et arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire. 7. Histoire générale de Languedoc. T. x, preuves, n° 620, colonne 1564. Montfaucon, chef-lieu de canton, arrondissement d'Yssingeaux, dépar- tement de la Haute-Loire. 8. Bibliothèque nationale. Collection de Languedoc, n° t;j9, f8 124 v\ En 1376, les habitants obtiennent l'autorisation de recon- stituer leur chartrier anéanti par les flammes1. Vers la même époque, les Compagnies s'emparent du château de Peyroux, près de Cussac2, que devait reprendre en 1362 le maréchal d'Audrehem. Seguin de Badefol occupe également plusieurs forteresses dont celle de Châteauneuf 3, jjrès de l'abbaye du Monastier. 41 Ces Compagnies qui s'abattaient en trombe, et se succé- daient sans interruption portant avec elles le meurtre et l'incendie provoquèrent tout d'abord une certaine panique. S'il faut en croire des lettres de rémission, accordées vingt-huit ans plus tard, à des paysans du Velay, les nobles . s'enfermaient dans leurs châteaux, d'où ils contemplaient, impuissants, les ravages des ennemis4. Les habitants des campagnes, pour éviter les fureurs de la guerre, étaient réduits à gagner les forêts et les montagnes avoisinant leurs demeures >. Mais devant les dangers toujours croissants on songe à la résistance. Vers la fin de janvier 1361, le connétable Robert de Fiennes, avec le titre de lieutenant du roi, est chargé de la ,défense du Languedoc. On lui adjoint le maréchal d'Audrehem 6. En mai, le connétable nomme Garin, seigneur d'Apchier, capitaine général, en Velay et en Gévaudan. Son premier soin est de lever un subside pour entretenir un corps de gens d'armes et racheter la forteresse de Château neuf qu'occupait Seguin de Badefol 7.

1. Histoire générale de Languedoc. T. x, preuves. n° 620, colonnes 1364. 1566. 2. Emile MOLINIER, Etude sur la vie d'Arnoul d'Audrehem, p. 98. Cussac, canton de Solignac-sur-Loire, ^arrondissement du Puy, dépar- tement de la Haute-Loire. 3. Histoire générale de Languedoc. T. ix, p. 725. Châteauneuf, (château détruit), commune et canton du Monastier, arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire. 4.... Presertim cum nobiles dictarum patriarum in suis fortaliciis se retraxisscnt nec essent ausi propter dictos Anglicos ita apparenter equitare et se demonstrare sicut faciebant tres homines antedicti. Histoire générale de Languedoc. T. x, preuves, n° 710, colonne 1768. 5. Ibidem, colonne 1767. \ 6. Ibidem. T. ix, p. 720. 7. Ibidem, p. 725. Ni les mesures adoptées par le sire d'Apchier, ni un traité conclu, le 23 novembre 1361, à Montpellier, avec Seguin de Badefol et les autres chefs de routiers qui s'engageaient à quitter le Languedoc, ne réussirent à préserver le Velay des Compagnies Au commencement de mars 1362, Perrin Boias, que les textes appellent encore Penimbourre 2, Pacimbourg 3, Perrin Bouvetaut4, s'emparait de Saugues \ Saugues était de nature à tenter un chef de bande. Situé aux confins de l'Auvergne, du Velay et du Gévaudan, com- mandant la route de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui fut pendant tout le moyen-âge la grande voie d'accès des pèlerins venant au Puy, d'Espagne, de Gascogne et de Languedoc, son importance stratégique était grande. De plus, la ville était riche et peuplée, son église Saint-Médard possédait une com- munauté de quarante clercs séculiers présidée par un prieur bénédictin 1. A en juger par les forces qu'il fallut mettre en œuvre pour l'assiéger, ses remparts étaient solides et ses fossés profonds. C'est par surprise, que venant du Cantal et se dirigeant vers le Lyonnais, une Compagnie sous les ordres de Perrin Boias réussit à y pénétrer Saugues pris, c'était à la fois Lyon et la sénéchaussée de Beaucaire menacés. Aussi, les barons du Velay, de l'Auvergne et du Gévaudan s'empressent-ils d'en faire le siège. Le vicomte de Polignac accourt avec cent vingt hommes d'armes et mille de ses

1. Roland DELACHENAL. Histoire de Charles V. Paris, 1909-1916, 3 volumes in-octavo. T. n, pp. 318-319. 2. JACOTIN. Preuves de la maison de Polignac, T. II, n° 230, p. 31. 3. Histoire générale de Languedoc. T. ix, p. 733. 4. Bibliothèque nationale. Collection de Languedoc, n° 159, fl 107 rO, o. Petit Thalamus, p. 360. 8allqups. chef-lieu de canton, arrondissement du Puy, département de la Haute-Loire, 6. Abbé François FABRE. Notes historiques sur Saugues (Haute-Loire). Saint-Flour, 1899. 1 volume in-octavo. 7. Ferdinand ANDRÉ. L'invasion anglaise en Gévaudan. Notice histo- rique. (Bulletin de la Société d Agriculture du département de la Lozère. T. XXXIII, année 1882, p. 19). vassaux 1 ; Guillaume de Chalencon, Eustache de Langeac et plusieurs seigneurs se joignent à lui 2. Comme Perrin Boias opposait une résistance énergique, les barons font appel au maréchal d'Audrehem, qui, depuis novembre 1361, avait été nommé capitaine général en Languedoc en remplacement du connétable de Fiennes, rappelé par le roi en septembre 3. Le 9 mars, Arnoul d'Audrehem est au Puy ; le 12, il dirigeait

à Saugues les opérations du siège 4. Il était accompagné d'Henri de Trastamare qui, battu it Najéra, à la fin d'avril 1360, par son frère le roi de Castille, don Pèdre, avait dû se réfugier en France, où ses partisans ravagèrent la sénéchaussée de Carcassonne. Pour dix mille florins par mois, Henri et ses Espagnols avaient accepté d'être au service des Etats de Languedoc par une convention passée en février 1362 avec Arnoul d'Audrehem 5. Le siège de Saugues fournit au maréchal l'occasion d'utiliser ses nouveaux auxi- liaires. Malgré un tel déploiement de troupes, l'ennemi ne parlait pas de se rendre. Ne pouvant enlever Saugues par la force, le maréchal d'Audrehem se décida à traiter avec les routiers qui évacuèrent la ville, le 25 mars, en emportant un riche butin 6. En 1367, Guillaume Ytier, procureur de la com- munauté de Saint-Médard, rachetait un livre, à l'usage des clercs, que les soldats de Perrin Boias avaient dérobé Perrin Boias n'avait quitté Saugues que pour se joindre aux Compagnies, (lui, chassées de Languedoc par le traité de Montpellier et les soldats du maréchal d'Audrehem, remontaient vers le Nord en Bourgogne, en Forez et dans la direction de Lyon. Elles devaient se heurter aux troupes du comte de Tan- carville, qui, le 25 janvier 1362, avait reçu du roi la mission

1. CHASSAtNG. Spicilegium Brivatense, n° 139, p. 389. 2. JACOTIN. Preuves de la maison de Polignac. T. Il, n° 228, p. 27. 3. Histoire générale de Languedoc. T. ix, p. 731. 4. Emile MOLINIER. Etude sur la vie d'Arnoul d'Audrehem, pp. 97-99. 5. Histoire générale de Languedoc. T. ix, pp. 736-737. H. Petit Thalamus, p. 360. 7. Abbé François FABRE. Noies historiques sur Saugues, p. 77. de défendre un immense territoire comprenant la Champagne, le Berry, la Bourgogne, le Forez, le Nivernais, l'Auvergne, le Lyonnais et le Beaujolais. Si Arnoul d'Audrehem, chassant devant lui les Compagnies du Midi et le comte de Tancarville, refoulant au nord leurs avant-gardes, avaient su coordonner leurs efforts, ils auraient anéanti les routiers'. L'unité de'vue et d'action fit défaut, et le 6 avril 1362, les Compagnies rem- portaient à treize kilomètres de Lyon, près du château de Brignais, un éclatant succès. Selon le Petit Thalamus, l'arrivée de la garnison de Saugues sur le champ de bataille aurait décidé la victoire 2.

Après Brignais, les routiers voulant rentrer en Languedoc

se concentrèrent en Auvergne. Arnoul d'Audrehem et le comte

de Trastamare, dont les Espagnols, depuis l'affaire de Saugues,

campaient aux environs du Puy, se portèrent à leur rencontre

pour leur interdire l'entrée de la sénéchaussée de Beaucaire.

Le 3 juin, l'armée espagnole infligeait aux Compagnies près

de Montpensier, en Auvergne, une sanglante défaite. Cet

échec les décida à signer, le 23 juillet 1362, le traité de Cler-

mont, par lequel Garciot du Castel, Bérard et Bertucat

d'Albret, le Petit Meschin et autres chefs de bandes s'enga-

geaient, moyennant cent mille florins d'or, à détrôner Pierre

le Cruel. Compagnies et routiers prirent donc le chemin de la Castille 3. Nous retrouvons Perrin Boias, le 23 août, aux envi- rons de Montpellier 4 ; le 19 septembre, les soldats d'Henri de Trastamare avaient quitté le Velay 5. Les intrigues de Gaston Phœbus, alors en guerre avec le comte d'Armagnac et prenant à sa solde une partie des routiers, rendirent sans effet le traité de Clermont.

1. DELACHENAL. Histoire de Charles V. T. II, pp. 318-319. 2. A VI jorns del mes d'abril, a hora nona, los enemics que eron defra Brinhay els autres que eron yssitz de Salgue acordadamens feriron sur 10 cety en tal guiza que 10 decofiron. Petit Thalamus, p. 360. 3. Emile MOLINIER. Etude sur la vie d'Arnoul d'Audrehem, pp. 107-113. Histoire générale de Languedoc. T. ix, p. 738, note 1. 4. Petit Thalamus, p. 361. 5. Archives de l Hérault. A. 5, f° 174 r". Cf. pièce justificative n° VII.