INTERIEUR Lelouch 32 Pages
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claude lelouch lelouclacude h Débat animé par Yves Alion après la projection du film Les Parisiens, à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 6 janvier 2005 Claude Lelouch est un cas à part dans le cinéma français. C’est l’un des rares cinéastes qui n’a jamais cessé d’être un auteur complet, à la fois scénariste, metteur en scène et producteur de tous ses films. Ses histoires n’appartiennent qu’à lui et portent la marque d’un univers qui n’est pas exempt d’une certaine naïveté, doublée d’un humanisme inquiet mais jamais défait. Sur le papier : tout est en place pour qu’il rejoigne le bataillon des auteurs incompris à la carrière hiératique. Or c’est l’inverse qui s’est produit : la carrière de Claude Lelouch est exceptionnelle, quantitativement et qualitativement. Elle est même unique. Détenteur avant d’avoir trente ans d’une Palme d’or et de deux Oscars, il a su pendant plusieurs décennies être en phase avec le public sans jamais rien renier de sa façon de faire du cinéma. Une façon là aussi des plus originales, notamment sur le plan du travail avec les acteurs. Il n’empêche, et même ses pires ennemis le reconnaissent : Lelouch n’a pas son pareil pour faire vivre ces « moments de vérité » qu’il n’a jamais cessé de traquer. C’est sans doute la vertu la plus évidente de ses films. Mais elle ne saurait faire oublier que son cinéma est aussi très formel. Les Parisiens Chaque film est la résultante d’une réflexion sur le cinéma. Même si en l’occurrence la part d’instinct est largement aussi importante. Le « jeudi » dont il est question ici suit de peu l’échec des Parisiens et certaines remarques amères attestent de son désarroi. C’est la photo d’un instant. Depuis lors le cinéaste, qui n’a jamais cessé de rebondir et ne compte finalement que sur lui pour trouver encore un peu d’énergie (il en possède pour des siècles) est parti sur d’autres projets... I compte aussi quand je réécris le scénario de la journée après avoir testé l’humeur de chacun. Ce qui m’intéresse, en fait, ce ne sont pas des histoires, ce sont des parfums de vérité. La vérité n’existe pas, personne ne pourra jamais la filmer, mais les parfums de vérité, eux, sont palpables. Notre vie quoti - dienne s’en nourrit. À un moment donné, on tombe amoureux de quelqu’un ou on se met à le détester. On se dit : « Tiens, ça c’est un mec bien » ou « Ça c’est un connard ». Dans tous mes films, inconsciemment, j’ai recherché à saisir ces moments- là. Quitte à sacrifier l’histoire. Ce qui me touche le plus, ce sont les person - nages, plus que les histoires. Dans la vie, on vit tous les mêmes histoires, à peu de choses près. Ce qui fait qu’une histoire est plus touchante qu’une autre, ce sont les gens qui la vivent. Tout à coup, ce type-là, ou cette femme- Entretien là, dégage une tristesse authentique ou une bonne humeur qui ne ment pas. Je suis amoureux de la vérité, et c’est pour cela que tous mes films s’inspi - Francis Lai, compositeur de la rent de la vie. Je n’ai jamais filmé autre chose. J’ai copié la vie toute ma vie plupart des musiques Nous venons de voir Les Parisiens. Le film est-il basé sur un scénario écrit ou et si elle voulait me faire un procès pour plagiat, elle pourrait. J’essaye sim - de Claude Lelouch, est-il le résultat de décisions prises au stade du montage ? avec celui-ci. plement avec mes films de me rapprocher de cette énergie vitale qui est pour Claude Lelouch : Tous mes films sont écrits, très écrits même. Peut-être trop moi le plus beau de tous les spectacles. écrits. Mais au moment du tournage, je fais comme si le scénario n’existait pas. Pour moi le scénario n’est pas un objet sacré. C’est un aide-mémoire, pas Qu’en est-il de la trilogie du Genre humain , dont Les Parisiens constitue le plus. Ce n’est pas le film. Quand je tourne, le moment le plus important, c’est premier volet ? le matin, l’arrivée sur le plateau. C’est là que je découvre mon film. Et que je C. L. : C’est une bonne question. Vous le savez : Les Parisiens a été lynché par vois les acteurs, que je jauge leur humeur, la critique. Cela fait quarante ans que cela dure. Nous ne sommes pas d’ac - que j’observe la lumière, le soleil ou la pluie. cord sur l’histoire du cinéma, et à chaque fois que je fais un film, la critique « Au moment du tournage, je C’est à ce moment-là, selon la façon dont je me le fait payer. Cette fois sans doute plus cher que d’habitude puisque je m’aperçois donc que mon scénario perçois tout cela que je détermine le scéna - me suis investi plus que d’ordinaire. Du fait de ce lynchage critique, le public est démodé. Les choses, dans la rio définitif de la journée. Car je suis très n’est pas venu. Or je suis mon propre producteur, j’ai toujours produit mes films vie, ne se passent jamais, jamais, attaché aux comédiens : ils sont l’essentiel avec ce que rapportaient les précédents… comme on les avait imaginées. » de mon cinéma. Ils représentent ce que j’ai Le deuxième volet existe, mais pas dans la forme que j’aurais souhaitée. Et je été chercher au cinéma quand j’étais spec - ne pourrai pas tourner la troisième partie, parce que c’était la plus chère, la plus tateur. Quand j’ai commencé à voir des films, riche. Pour l’instant, elle est sur une étagère. Le tout petit, je ne savais pas qu’il y avait des scénaristes, des dialoguistes, des met - deuxième volet, je ne peux pas le montrer tel qu’il teurs en scène. Quand j’avais quatre ou cinq ans, sous l’Occupation, naïve - a été tourné parce qu’il appelle une troisième ment je croyais que les acteurs inventaient leurs textes et que ce que je voyais partie. Alors j’ai fait, pour mon plaisir, un film qui sur l’écran, c’était la vérité. va s’appeler Le Courage d’aimer , pour reprendre Au moment du tournage, je m’aperçois donc que mon scénario est démodé. le titre d’une des chansons du film, qui est une Les choses, dans la vie, ne se passent jamais, jamais, comme on les avait ima - synthèse du premier et du second volets. Pour tout Jean-Paul Belmondo ginées. En général, c’est sur le plateau que vous vous rendez compte que vous dire je suis très satisfait du résultat. Je pense que je n’aurais jamais eu le Au centre, Massimo dans Itinéraire d’un Ranieri dans Les enfant gâté (1988). votre scénario est rarement à la hauteur de ce que vous amènent les comé - culot de faire ce film si je n’y avais pas été poussé par les événements. Je vais Parisiens (2004). diens et les techniciens qui sont là, ce jour-là, avec sans doute montrer Le Courage d’aimer à l’étranger avant de le sortir en France. vous. Les comédiens sont aussi des êtres humains. Qui À l’heure actuelle, je suis tenté d’aller faire du cinéma ailleurs. J’en ai marre de rentrent chez eux tous les soirs et qui reviennent tous me battre. Mes films sont systématiquement critiqués avant même d’être vus, les matins. Parfois ils sont de bonne humeur, parfois avant même de sortir. Je suis épuisé. Je vais continuer à faire des films, mais dans pas. Parce qu’ils ont d’autres histoires à vivre, comme des pays où la critique a une autre vision du cinéma. tout monde. Et moi je me sers de cette bonne ou mau - vaise humeur, parce qu’elle est très photogénique. Les émotions du film sont universelles. Dans ce film, c’est assez étrange de Après cela, tout dépend des uns et des autres. Belmondo, par exemple, c’est voir le spectacle de la vie, et constater que les adultes transmettent les mêmes rare qu’il soit de mauvais poil, il y a des tempéraments comme ça. J’en tiens émotions que lorsqu’ils avaient 18 ou 20 ans. Est-il difficile de créer ces 2 3 sentiments, de les porter à l’écran ? Est-on toujours sûr du résultat ? En attend- Au cinéma, on distingue les figures imposées, qui émanent du scénario, et on toujours davantage ? les figures libres. C’est comme le patinage artistique. Et ce que j’aime le plus, C. L. : Il faut une vie pour réussir un film. J’ai fait quarante films. Chaque film ce sont les figures libres, quand l’acteur cesse de jouer la comédie. C’est m’a appris tellement de choses que j’ai eu envie d’en faire un autre. C’est-à- d’ailleurs un paradoxe : ce que j’aime chez un comédien, c’est qu’il cesse dire que je suis retourné quarante fois à l’école. Je suis un de jouer la comédie. On lui donne un scé - autodidacte. J’ai appris le cinéma tout seul : je suis passé nario, il apprend son texte et le récite, plus « Les séquences que je préfère dans par le cinéma d’amateur et j’ai inventé ma propre écriture, ou moins bien.