Jacques Grinberg, Michel Macréau, Maryan, Marcel Pouget : retour sur quelques artistes de la Nouvelle Figuration

20 novembre 2014 - 17 janvier 2015

Vernissage le jeudi 20 novembre à partir de 18 heures

Après le refus brutal du nouveau maire de Carcassonne cet été d’accueillir la donation qui était en cours de la collection Cérès Franco*, sa fille, Dominique Polad-Hardouin, a choisi de mettre l’accent sur quatre artistes importants de la Nouvelle Figuration, dans sa galerie de la rue Quincampoix à , lors de l’exposition qu’elle leur consacrera du 20 novembre au 24 janvier prochains.

*Pour mémoire, la collection Cérès Franco est constituée de 1 500 œuvres (peintures, sculptures, dessins), d'une valeur de plus de 4 millions d'euros. Pendant près de 50 ans, Cérès Franco a rassemblé des œuvres de l’art populaire, de l’art naïf brésilien, d’artistes autodidactes (outsider artists) ou encore d’artistes se réclamant du courant de la Nouvelle Figuration.

Marcel Pouget, Maryan, Jacques Grinberg et Michel Macréau : la Galerie Polad- Hardouin invite à redécouvrir ces quatre peintres emblématiques de la Nouvelle Figuration. Peintures, dessins, gouaches, sérigraphies, les supports utilisés sont aussi multiples que leurs univers graphiques. Pourtant, une vibration commune émane de ces œuvres : l’omniprésence de l’humain, et cette volonté forcenée de traduire ce qu’il a de plus ardent, de plus rayonnant, mais aussi ses méandres les plus sombres et les plus tragiques. Ces artistes ne reculent ni devant le grotesque ni devant la caricature pour exprimer ce monde qui les hante.

Dépassant volontiers le cadre temporel des années soixante, l’exposition débute avec une pièce maîtresse de Marcel Pouget, La Salle de récréation de l’hôpital psychiatrique (1978), et des pastels. Par le recours aux teintes acides et contrastées, les halos lumineux et multicolores, les personnages cernés de blanc, le «psychopeintre» (il se définissait ainsi), incarne par cette vision hallucinée, le psychisme de ses sujets.

L’exposition se poursuit sous la verrière avec des huiles et des gouaches de Jacques Grinberg. Ces portraits symboliques à la géométrie vigoureuse, où domine une palette rouge et noire, comme Le Mangeur de cochon, ou la plus tardive Tasse de café (1996) témoignent d’une persistance de la Nouvelle Figuration jusqu’à l’aube du XXIe siècle.

Michel Macréau, dont l’univers provocateur se déploie à travers un style direct, exubérant et spontané sera présent avec des œuvres graphiques et quelques toiles comme cet hommage facétieux à Mondrian. Personnages, graphisme et écriture s’entrechoquent et imposent un rythme inédit et en avance sur son temps.

Enfin, Maryan occupe l’espace 2, avec une peinture de la fin des années cinquante, des pastels et un ensemble de sérigraphies en noir et blanc. On y retrouve ces figures d’un carnaval mordant, affublées de masques et d’insignes de pouvoir, exorcisant la souffrance, l’humiliation et la mort. Exécutées pendant la période new-yorkaise de l’artiste, elles sont montrées pour la première fois à la galerie.

Les liens qui unissent ce mouvement à la galerie Polad-Hardouin sont multiples et profonds : des œuvres de la Nouvelle Figuration constituent un pan important de la collection de la galeriste Cérès Franco, qui joua un rôle fédérateur au sein de ce mouvement, et plus particulièrement pour ces artistes. C’est donc naturellement que sa fille, Dominique Polad-Hardouin, s’est imprégnée de cette esthétique, et a exposé ceux qui, quelques générations plus tard, ont inscrit leurs pas dans ce chemin. En 2008, l’exposition collective «Nouvelle Figuration : acte III» organisée à la galerie entendait ajouter un troisième volet à celles de la galerie Mathias Fels (1961 et 1962) et mettre en lumière ce courant qui a perduré, malgré son manque de cohésion et de visibilité, et a infusé la jeune peinture contemporaine.

Galerie Polad-Hardouin - 86 rue Quincampoix 75003 Paris Du mardi au samedi de 11h à 19h

Exposition du 20 novembre 2014 au 17 janvier 2015 Vernissage : le jeudi 20 novembre à partir de 18 heures Fermeture annuelle du 20 décembre 2014 au 6 janvier 2015 www.polad-hardouin.com

Contact presse : Sophie Gaudez Mobile : 06 62 48 80 68 – Email : [email protected]

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La Nouvelle Figuration : chaînon manquant de la peinture contemporaine

Les œuvres de Jacques Grinberg, Michel Macréau, Maryan et Marcel Pouget, exposées à la galerie Polad-Hardouin, offrent un aperçu de la diversité et de la richesse de la Nouvelle Figuration. Elles laissent également deviner les ramifications complexes qu'elle infusa dans le paysage de la peinture contemporaine. C'est en 1950 qu'apparaît dans un texte de Jean-Michel Atlan la première occurrence connue de l'expression "Nouvelle Figuration". Artiste Cobra, il était alors l'un des peintres les plus en vue dans le Paris des années 1950. Son œuvre, ni figurative ni abstraite, eut une influence décisive sur le jeune Maryan, arrivé récemment de Jérusalem. L’amitié solide qu’ils nouèrent métamorphosa le style de sa peinture, évoluant vers une abstraction narrative et géométrisante. Elle bascula ensuite dans les années 1960 vers la représentation obsessionnelle et symbolique de personnages solitaires incarnant un pouvoir aveugle et absurde. Dans une période où le climat artistique parisien était dominé d'un côté par l'abstraction, et de l'autre par les peintres figuratifs de la Nouvelle École de Paris, des artistes issus des mouvements expressionnistes et Cobra qui ne se reconnaissaient pas dans la figuration traditionnelle de leur époque, jugée trop académique, ont exploré une voie alternative. Utilisant la dynamique et la force lyrique de l’abstraction, ils dépassent ce clivage de la représentation pour exprimer un univers intérieur allusif, profus et inquiet. La figure humaine, les désirs et les angoisses, sont au cœur de leurs préoccupations. En 1961 et 1962, deux expositions manifestes, « Une Nouvelle Figuration I&II », vont rassembler chez le marchand Mathias Fels à Paris, ces peintres en quête d'une autre représentation. Les critiques Jean-Louis Ferrier et Michel Ragon, donnent successivement corps, dans les textes d'introduction des catalogues, à une définition en creux de la Nouvelle Figuration. Venant d'horizons fort différents, ces artistes étaient moins réunis par un style ou une facture semblable, que par une insatisfaction commune face à la peinture de leur époque. Ainsi, Maryan et Marcel Pouget exposèrent aux côtés de , Enrico Baj, John Christoforou, , Francis Bacon, Bengt Lindström, Jean Messagier, Paul Rebeyrolle et Peter Saul. Ce mouvement d'ampleur internationale fit de Paris son centre névralgique, où gravitaient artistes, critiques d'art et collectionneurs. Jacques Grinberg, le plus jeune des quatre peintres exposés, fut une force vive de la Nouvelle Figuration, multipliant les expositions, et participant à des salons aux côtés de ses confrères. C’est également à la même époque, en 1962, que la jeune critique d’art et commissaire d’exposition brésilienne, Cérès Franco, fit la connaissance de Michel Macréau. Cette rencontre bouleversa ses inclinations esthétiques. Elle découvrit, grâce à sa peinture, une esthétique inédite qui lui fit découvrir la Nouvelle Figuration. Cérès Franco eut un rôle fédérateur entre les artistes de ce mouvement, qu’elle fit connaître hors de , grâce à des expositions organisées au Brésil et en Espagne, et pour certains d’entre eux (Macréau, Pouget, Grinberg) dans sa galerie L'Œil de Bœuf, inaugurée en 1972. Les œuvres de la Nouvelle Figuration constituent aujourd’hui un pan important de sa collection. Parallèlement, un mouvement fédéré autour de la figure du critique d’art Pierre Restany vit le jour dès 1960 dans l’atelier d’Yves Klein. Plus uni, construit et répondant à des idéaux à la fois esthétiques et politiques communs, puisant son inspiration dans la réalité de son temps, le groupe des Nouveaux Réalistes (Arman, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Villéglé), eurent raison de la Nouvelle Figuration en tant que mouvement, et ouvrirent la voie à la Figuration Narrative (Erro, Rancillac, Klasen, Monory…). La Nouvelle Figuration ne parvint pas à se faire une place en France, ignorée des critiques d'art et des institutions pendant près de cinquante ans. Manquant de cohésion, ce groupe se désagrégea au milieu des années 1960. Maryan, lassé des mondanités parisiennes s’était installé définitivement à New York dès 1962. Pourtant, ces peintres chacun de leur côté, laissèrent leur empreinte dans l'histoire de la peinture contemporaine. Si la manière de Macréau, mêlant énergiquement peinture, écriture et graphisme, fut peu comprise de son temps, elle annonçait avec vingt ans d’avance l’esthétique de Jean-Michel Basquiat, A.R. Penck, et Robert Combas qui trouvèrent un écho autrement plus favorable au début des années 1980. Les affinités entre ces artistes méritent d’être creusées. Quant aux visions rythmiques et hallucinées du «psychopeintre» Marcel Pouget, sa manière de cerner de blanc les silhouettes de ses personnages, de recourir aux teintes électriques et acides, elles ont très certainement inspiré les Nouveaux Fauves allemands, en particulier certaines peintures de Jörg Immendorff. Ce dernier aurait d’ailleurs vu chez Cérès Franco, la toile La Salle de récréation de l’hôpital psychiatrique (1978), alors qu'elle l'exposait dans sa galerie. Jacques Grinberg, qui absorba tout au long de sa carrière des influences diverses (kabbale, tao), mais toujours fidèle à cette figuration énergique, symbolique et géométrique, porta la Nouvelle Figuration jusqu'au seuil du XXIe siècle. De l’autre côté de l’Atlantique, en observant les peintures et les dessins de Maryan, et plus précisément la série de la Ménagerie humaine, on ne peut que songer aux personnages cagoulés peuplant les toiles de Philip Guston. Celui qui décida en 1967 d’abandonner l’expressionnisme abstrait, partage avec le peintre d’origine polonaise ce même goût pour le grotesque, la dérision et un certain humanisme. Goût également partagé avec George Condo, où la composition, la récurrence des insignes de pouvoir tout comme les accoutrements de clowns que l’on retrouve dans ses récents portraits imaginaires, rappellent encore une fois la force colorée et brutale des œuvres de Maryan. Peu exposé au cours de ces dernières années, ce courant de la Nouvelle Figuration ainsi que les artistes qui l’ont nourri ont - jusqu’à aujourd’hui - été peu étudiés. Espérons qu’avec les frémissements d’une redécouverte, dont témoignent l’exposition consacrée cette année à Maryan au Musée d’art et d’histoire du judaïsme à Paris et l’intérêt croissant porté aux œuvres de Michel Macréau, des recherches approfondies seront consacrées à ce sujet et que ces peintres trouveront légitimement leur place dans l’histoire de la peinture.

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JACQUES GRINBERG (BULGARIE, 1941-2011)

Jacques Grinberg est né en 1941 à , en Bulgarie où il vit jusqu’à l’âge de 13 ans avant de s’installer avec sa famille en Israël. Après des études à l’Avni Art Institute de (1957-1960), il choisit de s’installer à Paris. Il emménage dans une petite colonie d’artistes, rue d’Alésia, et fréquente le quartier . L’effervescence artistique bat alors son plein : c’est le début de la Nouvelle Figuration où l’on retrouve Pouget, Maryan, Christoforou, Arroyo, Segui… Sa peinture déjà très affirmée lui permet de s’intégrer sans difficulté à ce groupe d’artistes, en particulier lors des salons de peinture.

Dès 1964, il entre à la galerie André Schoeller (junior). Après la fermeture de la galerie, il reste en retrait pendant quelques années, et élargit son spectre d’inspiration. Il intègre de nouvelles influences comme la kabbale et le taoïsme, et multiplie les recherches picturales. Il expose également ses œuvres en Belgique et aux États-Unis. Dans les années 80, Jacques Grinberg retourne en Israël où son travail fera l’objet de plusieurs expositions, et sera présenté à son retour à Paris par Cérès Franco - une amie de vingt ans - à la galerie l’Œil de Bœuf qui lui organise quatre expositions personnelles de 1988 à 1994. Sa dernière exposition personnelle est organisée par la galerie Idées d’artistes en 2002. Les ultimes années de sa vie, Grinberg les consacre exclusivement à la création, à la peinture comme à l’écriture. Travailleur infatigable, il a façonné une œuvre considérable constituée de plusieurs milliers de pièces dont la représentation de l’humain forme la clé de voûte.

MICHEL MACRÉAU (FRANCE, 1935-1995)

Après une enfance et une adolescence instable, Michel Macréau décide de se consacrer totalement à la peinture dès la fin des années 1950. Il fréquente alors l’Académie de la Grande Chaumière, suit des cours chez un fresquiste, puis étudie la céramique à Vallauris. Il squatte dans un château de la Vallée de Chevreuse, où il connaît de grandes difficultés financières. C’est là qu’en 1960, Cérès Franco fait sa connaissance. Découvrant un langage pictural inédit, cet événement fut pour la jeune critique d’art et commissaire d’exposition un choc esthétique. Elle montrera par la suite les œuvres de Michel Macréau à de nombreuses reprises. En 1962, le galeriste Raymond Cordier lui organise une exposition. ll expose également en Allemagne et au Japon. Aujourd’hui, ses œuvres figurent dans de grandes collections publiques (Fonds national d’art contemporain, Musée de Rio de Janeiro, Collection de l’art brut de Lausanne).

Proche du graffiti urbain par sa spontanéité, Michel Macréau est volontiers provocateur et déploie un univers tentaculaire où il met en scène des saynètes très personnelles. Son style direct et foisonnant suscite à la fois la fascination et le rejet. Il associe sur un même niveau personnages, graphisme et écriture, et impose dans ses œuvres un rythme et une spontanéité inédits. Pressant directement le tube sur la toile ou le papier, il explore en précurseur une multitude de supports (carton, tissu, bois, drap…). Macréau annonce avec vingt ans d’avance des artistes comme Penck, Combas ou Basquiat.

MARYAN (PINCHAS BURSTEIN. POLOGNE, 1927-1977)

La courte vie de Maryan a été émaillée de tragédies. Né en Pologne, à Nowy Sacz, en 1927, Maryan passe son adolescence dans des ghettos, des camps de travail, survit à une exécution et connaît l’enfer des camps de concentration. Seul survivant de sa famille, et infirme, il part en 1947 pour Jérusalem, où il entre à l’école d’art Bezalel. Trois ans plus tard, il s’installe à Paris, et suit des cours de lithographie dans l’atelier de Fernand Léger à l’École des beaux-arts. Il sera exposé par la galerie Breteau en 1952, puis par la galerie de France en 1956, et participera également à des salons et expositions collectives, notamment le Salon des surindépendants. Durant cette période parisienne, il rencontre Annette Minna Sonnenbluek, qu’il épousera, et se lie d’amitié avec le photographe Izis, et les peintres Jean-Michel Atlan et Roger-Edgar Gillet. En 1961 et 1962, il participe aux expositions «Une Nouvelle Figuration I & II» à la galerie Mathias Fels & Cie. Cette même année, en dépit de son rôle dans l’émergence de ce courant, lassé du monde de l’art parisien, il s’installe à New York et devient citoyen américain. Cette période correspond à une phase intense et libre de création tant en peinture qu’en dessin, mais aussi à une grande fragilité physique et mentale. Il décède subitement, au Chelsea Hotel, en 1977. Maryan est considéré comme un des pères de la Nouvelle Figuration. Puisant son inspiration d’abord chez Picasso, Léger et Jean-Michel Atlan, sa peinture dans les années 1950 se situe sur le fil, entre abstraction et figuration. Elle bascule dans les années 1960 vers une figuration expressionniste et symbolique, où des personnages solitaires incarnant un pouvoir aveugle et absurde, sont représentés avec une dérision ravageuse. Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme de Paris lui a consacré une exposition monographique cette année.

MARCEL POUGET (ALGERIE, 1923-1985)

Né à Oran en 1923, c’est dans cette ville que Marcel Pouget suivra les cours de l’École des beaux-arts. Il s’installe définitivement à Paris en 1947, où son œuvre sera défendue entre autres par les galeries Breteau, Ariel, Spiebel Barrero et Claude Bernard. Une de ses très importantes expositions «Lumière et ténèbres» eut lieu à la galerie l’Œil de Bœuf de Cérès Franco en 1984. Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections internationales : Fondation Veranneman (Belgique), musées de Tel Aviv (Israël), de Vienne (Autriche), Centre Georges Pompidou et FNAC à Paris. L’espace Paul Rebeyrolle à Eymoutiers a accueilli en 2004 une rétrospective du peintre. Expressionniste abstrait à ses débuts, il est, dès la fin des années 1950, un des fondateurs de la Nouvelle Figuration. En 1962, il participe à l’exposition collective fondatrice de la galerie Mathias Fels : «Nouvelle figuration II» aux côtés entre autres d’Enrico Baj, John Christoforou, Maryan et Paul Rebeyrolle. Oscillant entre symbolisme et expressionnisme, il précise au fil des années 60 sa démarche de «psychopeintre». Sa peinture est issue d’hallucinations qu’il «s’autosuggère». Magicien de la couleur, qu’il manie en véritable poète et avec un traitement spontané, Marcel Pouget a été toute sa vie un explorateur, cherchant à susciter, dans le miroir déformant de sa peinture, la perception d’un autre monde, se révoltant contre le mauvais «ordre des choses» terrestres. Peintre mystique, il disait de la peinture : « Par son effort de restituer l’être dans son double aspect visible et invisible, [...] elle nous permet d’accéder à la connaissance d’une nouvelle magie spirituelle. » 6