L'identité Musicale Irlandaise
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L’identité Musicale Irlandaise Erick Falc’Her-Poyroux To cite this version: Erick Falc’Her-Poyroux. L’identité Musicale Irlandaise. Linguistique. Université Rennes 2, 1996. Français. tel-00613334 HAL Id: tel-00613334 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00613334 Submitted on 4 Aug 2011 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. L’IDENTITÉ MUSICALE IRLANDAISE Erick Falc’her-Poyroux Thèse de Doctorat Université Rennes 2, 1996 Sous la direction de Jean Brihault Membres du jury : - Bernard Escarbelt (Président) - Paul Brennan - Jean Brihault - Richard Deutsch An Dianav a rog ac’hanoun (L’inconnu me dévore ) Thomas Dobrée (“ Tour des Irlandais ”, Nantes) Do Christa, mo cheoil tú ! 2 Remerciements Tomás, Mary, Sinéad & Fionnuaghala O’Sullivan ; Áine Moriarty, Séamus Griffin & Nathan; Donal Moroney, Susan von der Geest & Laura. Bridie & Tim Moroney. Seán Moriarty (R.I.P.) & Mary. The Hanafins & the Gallaghers, Miltown, the O’Reillys, Killorglin, and all the people of Killorglin & Miltown Co. Kerry. Rozenn Dubois, Jean-Pierre Pichard et tous les acteurs du Festival Interceltique de Lorient. Les enseignants des Centres d’Etudes Irlandaises des universités de Lille III et Rennes II, et plus particulièrement Catherine Maignant, Richard Deutsch & Jean Brihault. Nicholas Carolan and everyone at The Irish Traditional Music Archive. Les permanents et bénévoles de Dastum Rennes. Gerard Manning, the Ceolas Archive ’s main man, University Stanford, Ca. Serge et Jo Poyroux, Yves Pailler, Alain Monnier, Harry Bradshaw, Donal Lunny, Yann Goasdoué, Pierre Josse, Yves Bourdaud, Hervé Yesou. Buíochas le Microsoft, I.B.M. agus U.S. Robotics. To John, Paul, George & Ringo, I stand in awe and debt, The Without Whom . 3 PRELUDE PRELUDE “ There seems to be a curious delight in the feeling that the stranger knows far more than oneself and yet - being a stranger - understands nothing ”. Conor Cruise O’Brien , States of Ireland . En une quinzaine d’années, l’Irlande a su m’offrir bien autre chose que des paysages pluvieux et des pubs surchauffés : les portes toujours ouvertes des maisons colorées me sont devenues familières, les premières phrases hésitantes ont cédé la place à de longues discussions près de la cheminée et, tout naturellement, les mugs et tea-cosy ont fait place aux instruments de musique. Dire combien je dois d’instants d’éternité à quelques Irlandais serait donc incomparablement plus périlleux qu’expliquer par le menu les tenants et aboutissants de la musique traditionnelle irlandaise en Irlande. Evoquer conjointement la musique traditionnelle et l’identité irlandaises en quelques centaines de pages pourrait d’ailleurs paraître une gageure, ces deux éléments étant tour à tour les plus discrets et les plus impalpables de la société irlandaise. Que ce travail soit, en outre, réalisé par un non-irlandais ne manquera pas de frapper ou d’étonner. Ce sont cependant ces obstacles mêmes qui m’ont rendu cette étude passionnante et fascinante, car les avantages et inconvénients d’un tel travail sont évidents : en offrant une vision extérieure, elle sera tout à la fois détachée des a priori inévitables auxquels serait confronté tout Irlandais examinant sa propre société, mais en proie à d’autres préjugés ; profondément ancrée dans la réalité quotidienne d’une activité sociale qu’il m’a été donné de connaître, elle souffrira pourtant de l’impossibilité de la vivre au jour le jour. Une telle volonté de faire connaître l’Irlande et de partager une passion si envahissante ne serait pourtant rien si elle n’était pas accompagnée d’une interrogation personnelle perpétuelle sur l’image de la musique traditionnelle dans le monde, cette musique généralement classée chez les disquaires entre les musiques de films et les musiques dites “ d’ambiance ” et dont la seule évocation fait sourire les plus intolérants. Cette cohabitation entre des musiques 4 PRELUDE pluriséculaires et d’autres que je qualifierai volontiers de “ PPH ”1 est d’ailleurs hautement représentative des intenses conflits qui sous-tendent aujourd’hui les sociétés occidentales. Le plus souvent taxée de monotonie, “ c’est toujours la même chose ”, considérée comme dépassée et inaudible, “ quel crin-crin ! ” ou “ quel ouin-ouin ! ”, la musique traditionnelle aux yeux du grand public semble ne plus avoir de raisons d’être ; mais quiconque chérit au plus profond de lui l’une (ou plusieurs) de ces musiques aura souhaité tordre le cou une fois pour toutes à ces critiques ressenties comme profondément injustes. Il est vrai que les rythmes et caractéristiques de toute musique traditionnelle résultent de pratiques anciennes et se perpétuent vaille que vaille, loin des courants et des modes sans pour autant y échapper totalement. Mais pour ce qui est de la monotonie, l’argument ne saurait être plus valide que l’opinion d’un adepte du rap sur l’opéra. Et vice-versa. Aimer la musique classique et/ou le rap n’empêche d’ailleurs nullement d’apprécier les musiques traditionnelles, tout comme parler gaélique n’a jamais empêché quiconque de parler français, et anglais, et tchèque, etc. A l’image du multilingue partageant ses plaisirs entre plusieurs cultures, on peut aimer Schubert ET John Lee Hooker, Peter Gabriel ET Atahualpa Yupanqui. Il est en outre indéniable que la musique telle qu’elle est jouée aujourd’hui en Irlande plonge ses racines dans des couches relativement profondes de l’Histoire, ce qui ne signifie pas qu’elle ne puisse pas être moderne. Une musique traditionnelle est une musique enracinée et, bien qu’ils n’en soient pas responsables, ses principaux détracteurs se confondent souvent avec les foules anonymes, urbaines, déracinées ou récusant leurs racines pour diverses raisons, essentiellement liées au rejet d’une image de pauvreté ou d’inculture. N’est-il pas frappant de constater avec quelle véhémence les populations occidentales du XXe siècle ont choisi de se couper de leurs racines. En une génération un homme peut devenir fermier, commerçant, voire fonctionnaire. Parlez-lui alors du ‘bon peuple’ et il vous répondra “ Ah! je me souviens de mon enfance ”, ou bien “ Je me rappelle que ma mère faisait telle et telle chose ”, ce qui ne signifie plus rien pour lui car sa vie ne rentre plus dans cet antique cadre. 2 1 Les années soixante, tournant dans l’histoire de la consommation occidentale, nous ont offert ce terme qui signifie ‘Passera Pas l’Hiver’. 2 Seán O’FAOLAIN, Les Irlandais , Spezet, Coop Breizh, 1994 (1ère éd. 1947, Pelican, trad. de E. Falc’her-Poyroux), p. 83-84. 5 PRELUDE Ces propos étant bien entendu valables pour l’Irlande, ils constituent l’un des principaux tiraillements de l’identité moderne et nous offriront notre point de départ, considérant que l’étude de la musique irlandaise, parmi d’autres éléments de la culture irlandaise, peut largement contribuer à une meilleure compréhension de cette société encore mal connue. 6 OUVERTURE “ Je ne crois pas qu’il y ait de population sans musique ; probablement il n’en a jamais existé ” Claude Lévi-Strauss, La Quinzaine Littéraire , 1er Août 1978. Si l’image de la musique traditionnelle dans le monde se résume souvent à quelques onomatopées condescendantes, celle de la musique traditionnelle irlandaise se trouve généralement réduite à un seul mot : le pub , parfois accompagné par une marque de bière aux teintes brunes et blanches. Le fait apparaît donc banal aujourd’hui : l’Irlande est l’un de ces pays dont la renommée aux yeux du grand public est en partie fondée sur la musique. Les touristes y affluent chaque année par milliers, cherchant dans tel ou tel guide le pub qui saura leur offrir cette soirée inoubliable dont ils pourront parler à leurs amis à leur retour et qu’ils chériront peut- être pendant des années ; les musiciens irlandais sillonnent le monde des festivals, de New York à Lorient, de Glastonbury à Ludwigshafen, et l’on ne compte plus les artistes que l’Irlande a offerts à la culture rock internationale, de U2 aux Cranberries, en passant par Van Morrisson, Rory Gallagher, Thin Lizzy, The Undertones, Bob Geldof, Sinéad O’Connor, Clannad, Enya, Hot House Flowers, The Corrs, Hot House Flowers et bien d’autres. S’il est donc indiscutable que la littérature et le théâtre originaires d’Irlande purent, dès la fin du XIXe siècle, esquisser une distinction culturelle entre l’Irlande et la Grande- Bretagne aux yeux du monde, nul ne peut contester que ce rôle est également celui de la musique en cette fin de XXe siècle. La liste des groupes de musique rock venus d’Irlande s’allonge aussi vite que son équivalente anglaise, pour dix fois moins d’habitants. Un tel phénomène ne saurait être le fait du hasard et ne peut que plonger ses racines dans une Histoire musicale aussi passionnante et mouvementée que l’Histoire de l’Irlande elle-même. Car la musique, qu’on la nomme traditionnelle, populaire, folklorique ou ethnique, englobe avec elle un ensemble symbolique de faits sociaux complexes, de communications, OUVERTURE d’échanges, d’identifications auquel l’individu répond plus ou moins directement et plus ou moins consciemment : Une musique ne se définit en effet pas seulement par ses structures acoustiques et par les moyens techniques nécessaires à leur réalisation, mais tout autant par sa substance et ce qu’elle implique, à savoir notamment un réseau cohérent de significations, une fonction spirituelle précise, une efficacité psychologique, et éventuellement rituelle attestée, un rôle traditionnellement assigné à ses producteurs et ses récepteurs, et enfin des modes de propagation adéquats.