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Séquences La revue de cinéma

Les Communiants (analyse) Joseph Genest

Cinéma et vérité Numéro 43, décembre 1965

URI : https://id.erudit.org/iderudit/51781ac

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Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

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Citer cet article Genest, J. (1965). Les Communiants (analyse). Séquences, (43), 36–43.

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NATTVADGASTERNA LES COMMUNIANTS

(WINTER LIGHT)

34 SÉQUENCES 43 JI. 2L\ italic

1. Générique nas s'est enlevé la vie près des rapi­ Film suédois, 1962. — Réal.: Ingmar des. Thomas s'y rend en automobile; Bergman — Seen. : •— Marta à oied. Après l'enlèvement du Phot. : Sven Nykvist —• Int. : Gunnar corps par le commissaire, le pasteur Bjornstrand (le pasteur Thomas Erics­ reconduit Marta à son école et lui de­ son); Ingrid Thulin (l'institutrice Marta mande un comprimé. C'est l'occasion Lundberg); (le pécheur d'une explication dramatique pendant Jonas Persson); Gunnel Lindblom (sa laquelle Thomas n'a pas le dessus. Il femme Karin); Allan Edwall (le sacris­ finit par demander à Marta de l'accom­ tain) — Prod.: Svensk Filmindustri. — pagner à Frostnas oour l'office de trois Duré* : 80 m. — Prix : Grand prix de heures. Marta prend le volant ; elle l'O.C.I.C. en 1963. — Dist. : International demeure dans l'automobile tandis qu'il Film Dist. s'en va avertir la veuve Karin de l'ac­ cident. Sur la route de Frostnas, ils sont 2. Résumé du scénario arrêtés momentanément à un passage "Un dimanche matin, dans la vallée à niveau. de larmes", le pasteur Thomas Ericsson, A Frortnas, Marta va s'asseoir au malgré une indisposition, célèbre l'of­ fond de l'église. A la sacristie, le pas­ fice et donne la communion à une as­ teur écoute le sacristain Algot qui a un semblée de fidèles peu nombreuse et renseignement important à lui deman­ peu fervente. A la sacristie, le pêcheur der au ïujet de la Dassion du Christ. Jonas et sa femme Karin viennent le Blom. l'organiste, entre à l'église et consulter. Jonas est bouleversé par la conseille à Marta d'abandonner le pas­ crainte de la bombe atomique chinoise teur cir il n'en vaut pas la peine. Du­ au Doint de vouloir en finir avec la vie. rant la fonnerie des cloches, Marta ;e Le pasteur essaie de l'encourager en met à gnoux et prie. ThonMs ;icide l'engageant à avoir confiance en Dieu, de célébter l'office. Il monte à l'autel. mais il manque de conviction et ne ré­ ussit pas à persuader Jonas. Celui-ci, 3. Le réalisateur par pitié pour sa femme, promet de re­ venir dans vingt minutes causer seul Suédois de naissance et fils de pas­ avec le pasteur. Durant l'attente an­ teur luthérien, Ingmar Bergman, né en goissée de ce retour, le pasteur reçoit 1918, fut laissé très libre dans son op­ la visite de l'institutrice Marta et en­ tion religieuse. De bonne heure, une suite il lit une longue lettre que cet­ lanterne magique occupa ses loisirs. A- te dernière lui a fait parvenir au cours yant fait ses études à l'Université de de la semaine précédente. Suit une en­ , le théâtre devint sa vie. trevue avec Jonas : le pasteur y expri­ Mais depuis 1945, il n'en tourne pas me ses propres doutes au sujet de l'exis­ moins régulièrement un film par an­ tence de Dieu. Accablé, il s'écroule dans née. Son oeuvre est une longue inter­ l'église entre les bras de Marta qui rogation sur la condition humaine, sur est revenue, inquiète. Une vieille fem­ la solitude, sur la femme et le couple, me vient annoncer au pasteur que Jo­ sur Dieu. Le présent film est le deu-

DÉCEMBRE 1965 37 xième d'une trilogie qui comprend A 4. Le titre travers le Miroir (1961) et Le Silence (1963). Ces trois films se classeraient Le titre français. Les Communiants, dans le genre "film de chambre", com­ se réfère au poids de cette communion me on dit "musique de chambre", en du matin à laquelle ont participé les ce sens que le drame se joue dans un personnages du film. Le titre suédois et espace restreint, en un temps court et sa traduction anglaise, Winter Light, entre un petit nombre de personnages. est symbolique et se réfère à l'ensemble (Cf. Séquences, no 27, p. 30) du film.

1. Le drame 2. Les personnages

Dans ce film, on chercherait en vain 1) Le pasteur Thomas des affrontements décisifs. Seule, l'évo­ lution psychologique des personnages Bergman a choisi de nous présen­ relie entre eux une suite de faits divers. ter dans Les Communiants un person­ Le drame réside dans la confrontation nage qui aurait dû avoir une certitude de la foi et de l'amour des protagonis­ abiolue de l'existence de Dieu : un tes avec la souffrance et la solitude, pasteur. Et pourtant, la suite du film avec la vie et la mort. En de telles cir­ nous montrera que cette "certitude mi­ constances tout au plus peut-il y a- se à nue" recouvre un abîme allant voir un léger infléchissement dans le jusqu'à la négation de Dieu, allant jus­ comportement des personnages. qu'à la destruction de toute certitude. Les dialogues ne sont pas de simples Personnage central, le pasteur Tho­ artifices pour renseigner le spectateur mas est continuellement en scène. II sur les actions et sur les pensées des est devenu pasteur très jeun, morale­ personnages. Ceux-ci ne parlent que ment forcé par la volonté de ses pa­ pour eux-mêmes. Ils vivent vraiment rents. Elevé en serre chaude, loin du leur vie devant le spectateur : à ce­ mal, il nourrissait de grandes ambi­ lui-ci de déchiffrer les implications pré­ tions tout en croyant à un Dieu-père sentes et passées des événements et des confortable, qui aimait tous les hom­ pensées. Ce qui n'est pas dit est plus mes et lui-même en particulier plus important et significatif que tout le que tout autre. Un Dieu paternel, pra­ reste. D'autre part, les personnages ne tiquant le favoritisme et protégeant l'é- sont pas les porte-paroles de Bergman : goïsme. Un Dieu-écho qui, à ses priè­ on aurait grand tort d'assimiler les res, donnerait automatiquement des ré­ dire de l'un ou de l'autre avec ce que ponses bienveillantes et des bénédictions pense l'auteur. rassurantes.

SÉQUENCES 43 A la guerre d'Espagne, aumônier d'un goissées. Thomas prétend avoir survécu groupe de marins à Lisbonne, il con­ à la mort de sa femme uniquement à fronta pour la première fois avec la cause du sens de ses responsabilités, réalité cette image de Dieu qu'il s'é­ "pour être utile". tait faite. Lui et son Dieu vivaient dans A la sacristie de l'église de Frostnas, un monde à part, bien ordonné, tandis le sacristain Algot lui raconte une mé­ que tout autour de lui n'était que souf­ ditation qu'il a eue sur la passion du france. Plus tard, chaque fois qu'il con­ Christ et veut savoir s'il ne se trompe frontait Dieu avec la réalité, il vit pas en pensant que la plus grande qu'il devenait laid, hideux : un Dieu- souffrance du Christ sur la croix a été araignée, un monstre. (11 faut se rap­ la solitude et l'abandon de la part de peler les moeurs de l'araignée pour ses meilleurs amis et de la part de comprendre cette métaphore de Berg­ Dieu. Il reprend, sans le savoir, les man. L'araignée femelle tisse sa toile, propres expressions du pasteur : 'le puis se cache dans un coin obscur : silence de Dieu et "mon Dieu, mon dès qu'un insecte s'est accroché dans Dieu, pourquoi m'avez-vous abandon­ la toile, elle se précipite sur lui et né?". Le pasteur reste sidéré et médite l'enrobe de fils englués. Plus tard, elle à son tour longuement en silence. A- vient sucer petit à petit le sang de sa yant le choix entre faire l'off'W pour victime.) Marta seule dans l'église ou ne pas le Le pasteur cacha ce Dieu loin de la faire à cause de l'absence des fidèles, vie et de la lumière, le conservant en son il choisit de le faire. Cependant quand intimité; il continua à vivre son rôle il prononce les paroles : "Saint, Saint, de pasteur comme auparavant et à par­ Saint est le Seigneut Dieu tout-puis­ ler devant les autres suivant l'image sant, toute la terre est remplie de sa d'un Dieu paternel. Seule sa femme sa­ gloire. . .", il est encore très angois­ vait quelle notion de Dieu il avait. sé car en lui la naissance d'_ne nouvel­ Mais elle l'aidait à camoufler, "à calfeu­ le foi en un Dieu transcendant, olus trer les failles", par ambition et par in­ gtand que l'univers, n'est pas fiite pour térêt. Il en arriva à l'aimer à cause de le rassurer : il a grand besoin que cela et à se fier aveuglément à elle puis­ Marta continue à lui apprendre à aimer. qu'elle lui petmettait de vivre conforta­ 2) Marta blement installé dans son hypocrisie. 11 se donnait le change en remplissant tes Marta, élevée dans une famille non sermons de "Dieu est amour et l'a­ chrétienne où tégnaient l'amour et la mour est Dieu". joie, est physiquement laide, souvent La mort de sa femme lui enleva le malade. Elle a de nombreux défauts : support de ses illusions. Une liaison hystérique, loquace, mauvaise conseillè­ avec l'institutrice Marta Lundberg qui re. Mais elle est humble, sincère, ca­ dura deux ans ne lui rendit pas la pable de dévouement, généreuse, ai­ quiétude. Car cette dernière, élevée mante; elle a une âme forte et sensi­ dans un famille non chrétienne, prônait ble. A la merci d'une permutation à des valeurs de sincérité, de vérité et d'a­ son poste d'institutrice, elle aimerait as­ mour. Thomas ne put l'aimer et se surer sa stabilité au plus tôt. A cause de renferma dans la solitude. Ses pensées sa difficulté à communiquer avec Tho­ sur Dieu devenaient de plus en plus an­ mas, elle lui écrit une longue lettte.

DÉCEMBRE 1965 Elle ne croit pas en Dieu. Pourtant pasteur. Après la mort de son mari, l'eczéma, en même temps qu'il l'assu­ elle refuse de prier, préférant parler à rait du néant de leur ancien amour, a ses enfants. Elle ne se réfugie pas c; été pour elle l'occasion de sa première pendant dans la solitude et ce sera i.i prière et d'un nouvel amour plus pro­ son salut. fond, plus désintéressé. Elle ne deman­ dait pas sa guérison mais une vraie rai­ 5 ) Algot Frovik son de vivre : elle fut exaucée par quel­ qu'un. Elle a compris avoir une mis­ Algot Frovik, le sacristain, est le sion à accomplir, et que cette mission, saint homme du film. Pauvre, difforme, c'est envers Thomas. Elle l'aime, elle vit il est humble, bon et profondément pour lui et c'est terriblement difficile. croyant. Vivant probablement dans la solitude, il est d'une gtande politesse, 3 ) Jonas prévenant, d'une parfaite ponctuali.'é, Jonas est un pêcheur sans instruction, il s'offte même à tendre service. Il as­ taciturne et poli, pauvre sans être dans siste à l'office du matin à Mittsunda la misère, préoccupé de problèmes uni­ sans y être obligé, n'étant pas en fonc­ versels : le mal dans le monde et l'exis­ tion. Il y prie à genoux dans la posi­ tence de Dieu. Il a une bonne femme, tion humble du publicain, contraste mais il ne peut communiquer avec el­ frappant avec l'attitude du conseiller de le non plus qu'avec Dieu. Il est donc fabrique Aronsson qui se complaît enfetmé dans une solitude effroyable, debout dans la position orgueilleuse du en proie à une peur insurmontable. Il pharisien de l'Evangile. Il pense à fé­ ne peut en sortir autrement que par la liciter le pasteur de son sermon et s'in­ mort. Cependant, sa mort se révèle une forme de sa santé. Sujet lui aussi aux erreur car elle n'est pas une solution. infirmités, il n'importune pas les autres Elle est une fuite de responsabilités, avec ses ennuis personnels. Il ne re­ elle est cause de nouvelles souffrances : proche rien à Dieu non plus et il est le sa femme et ses enfants sont abandon­ seul avec Marta à parler de Jésus-Christ. nés à la solitude à leur tour et exposés Il a assumé ses souffrances et sa solitu­ encore à tous les maux dont la bombe de. Sa méditation sut la passion du chinoise n'est que le symbole et ie résu­ Christ est ttès profonde : malgré son mé. Mort égoïste aussi paisqu'elle n'em­ désir d'être rassuré lui-même par le pêche aucun des autres hommes de pasteur au sujet de son interprétation continuer à vivre sous la menace du personnelle, au fond, c'est lui qui ex­ danger. plique des choses au pasteur et lui four­ nit un commencement de réponse à ses interrogations sur Dieu et sur le 4) Karin monde. Karin est bonne et humaine, une figure attachante, uniquement dévouée 3. L'interprétation à son mari et à ses enfants. Elle aime Jonas même si elle ne peut communi­ Bergman a dirigé ses acteurs avec quer avec lui. Elle ne semble pas se beaucoup d'autorité et d'expérience. préoccuper beaucoup de Dieu : elle Travaillant habituellement avec la mê­ est venue à l'église pour parler avec le me équipe, il a obtenu une interpréta-

40 SÉQUENCES 43 tion parfaite jusque dans les moindres plan initial : nous avons pénétré un détails des plus petits rôles. On sent la instant dans la pensée intérieure du finesse et la justesse de son esprit personnage. d'observation surtout dans la séquence La composition de l'image est tou­ de l'office du matin : le moindre ges­ jours très dépouillée, tant pat le petit te est caractéristique et révélateur. Mais nombre d'objets présents que par leur s'il faut indiquer ses préférences, le disposition sans recherche. Les cadrages jeu de Gunnel Lindblom en Karin sont volontiers symboliques et nous don­ frappe particuliètement par sa simpli­ nent surtout des gros plans ou des plans cité, son naturel, sa maîtrise. Ensuite, moyens, puisqu'il s'agit d'une étude psy­ Ingrid Thulin, si humaine dans le chologique. Bergman n'a pas voulu mul­ rôle de l'institutrice, possède une gran­ tiplier les flash-back comme il l'a fait de mobilité d'expression et sait rendre dans Les Praises sauvages; il s'est limité sensible les nuances les plus subtiles, si à un seul, très court, dutant la lecture de bien que le long monologue de la let­ la lettre de Marta. Il a préféré rempla­ tre à Thomas ne nous ennuie pas un cer le flash-back par une lecture moins seul instant. Gunnar Bjornstrand, dans vivante sans doute que la scène jouée, le rôle du pasteur, a su incarner avec mais petmettant de conserver l'attention sobriété et dignité un personnage com­ du spectateur rivée sur le drame présent plexe aux prises avec un problème très sans aucune distraction. intérieur. Max Von Sydow dans un rôle presque muet réussit à nous com­ On retrouve, dans ce film, quantité muniquer toute son angoisse intérieure. d'objets familiers à l'univers de Berg­ man et qui sont un peu comme son Les rôles d'Algot, de l'organiste et de vocabulaire propre: la route, l'autoir.o- tous les autres sont aussi rendus à la mile, le cheval, le train, la salle de clas­ perfection par cette équipe très l.omo- se, les crucifix tourmentés, la tête de gène. mort, les fenêtres grillagées, les cierges, les arbres de la forêt, l'horloge, etc. De 4. La réalisation même aussi on reconnaît ses principaux Bergman a réalisé ce film dans un thèmes: le couple à l'âge car, la soli­ style tout à fait dépouillé et austère. tude, la quête de Dieu. Aucune musique d'accompagnement, si 5. Le symbolisme ce n'est quelques instants de musique d'orgue au cours de chacun des deux Ce film est rarticuliètement riche en offices. Le générique nous présente de symboles. La route ici, comme en beau­ simples noms écrits en blanc sur fend coup d'auttes films de Bergman, symbo­ noir, tandis que le frêle son d'une lise le chemin de la vie des personna­ cloche lointaine se fait entendre. Gran­ ges, la vie qui est un voyage. L'action de sobriété technique : quelques sui- se situe le long de la toute: le pasteur impressions, quelques travellings d'ac­ part d'une ptemière église pour arriver compagnement et deux ou trois effets à une nouvelle église comme sa foi part de zoom patticulictement significatifs. d'une fausse notion de Dieu vers une A deux ou trois reprises la caméra par­ nouvelle notion. La mort de Jonas se tant d'un visage en clan rapproché, le produit à côté de la route du pasteur grossit lentement jusqu'à un gros plan et ce dernier a des pensées de suicide et enfin le replace lentement dans son au passage à niveau. Entre temps, cette

DÉCEMBRE 1965 41 route le conduira à l'école de Marta, moment à côté d'une très grosse lam­ puis à la maison de Karin. La classe ici, pe allumée. Et après qu'il a pris la dé­ comme dans Les Fraises sauvages, sym­ cision de faire l'office, Algot, avec un bolise que le personnage a quelque sourire de contentement, allume toutes chose d'important à apprendre, même à les lumières de l'église: c'est la grande un âge avancé. Les fenêtres grillagées, clarté. L'ensemble de ces symboles con­ cadrées à côté de plusieurs personnages, vergeant avec le titre Winter Light nous nous montrent leur état de prisonniers invite à considérer cette image familiè­ d'une solitude intérieure. La toux et la re de l'évangile de Jésus-Christ: "Je suis fièvre, dues au mauvais temps d'hiver, la lumière du monde". Mais c'est une lu­ harcèlent le pasteur, Marta et Aronsson, mière d'hiver, faible, cachée, que les personnages en proie à un plus ou moins hommes ont de la difficulté à voir à grand désarroi intérieur. De même, les cause de leur état maladif. lunettes ont un rôle significatif très im­ portant. Si l'on considère le fait que Des cloches au son grêle se font en­ d'ordinaire les acteurs sont photogra­ tendre très souvent dans le film, jamais phiés sans lunettes, on peut y voir une à pleine volée, mais très discrètement: indication que leur myopie corporelle ré­ durant le générique, à la consécration, a- vèle leur myopie spirituelle. A signaler près l'office, quand Thomas pénètre aussi que l'église de Frostnas semble ex­ dans l'église en disant: "Je suis libre", à empte des Christ torturés et hideux que deux reprises dans l'église de Frostnas. le pasteur voyait si souvent à Mittsun- Ces cloches, en relation avec le silence da; sur l'autel se trouve un modeste de Dieu qui tourmente si fort Thomas, ctucifix tout blanc. Le pasteur voit font penser à la voix de Dieu, voix fai­ maintenant le Christ sous un nouvel ble et que les hommes entendent diffici­ aspect. lement à cause de leur manque d'atten­ tion. Par contre, dans ce film où le si­ La lumière a un rôle remarquable à lence est fréquent, à deux reprises, en jouer à des instants très importants. relation avec la mott, près du cadavre de Lotsque Thomas dit, pour la première Jonas et au passage à niveau, on entend fois, que Dieu n'existe pas et que tout un bruit effroyable, un son prolongé: ne s'explique ainsi, par la fenêtre, on voit s'agirait-il pas alors de la voix puissan­ la lumière du soleil augmenter d'inten­ te de la mott par laquelle Dieu parle à sité, comme si le soleil avait de la diffi­ l'homme et l'amène à réfléchir ? culté à percer les nuages. Quand le pas­ teur s'écroule, peu après dans l'église, 6. Portée du film en s'écriant qu'il est libre, on voit des rayons de soleil paraître et disparaître Ce film est une étude sur l'incom­ par la grande fenêtre de l'église, juste municabilité des êtres, l'incommunicabi­ au-dessus de sa tête. Katin, retournant lité des hommes entre eux, et des hom­ auprès de ses enfants après la visite du mes avec Dieu. Bergman n'a pas le pes­ pasteur, nous apparaît tout près d'une simisme d'Antonioni: aussi conclut-il à grosse lampe allumée au centre de l'i­ la difficulté de la communication plutôt mage. A l'église de Frostnas, Algot allu­ qu'à son impossibilité. me deux chandeliers à sept cierges dont Si quelqu'un réussit à assumer les la lueur brillera faiblement dans l'om­ souffrances et la mort comme l'a fait bre jusqu'à l'office. A la sacristie de le Christ le premier, et ensuite Algot, Frostnas, le pasteur est cadré un bon Karin et même Marta, alors c'est l'a-

SÉQUENCES 43 mour possible, c'est la foi possible, c'est pourtant est si présent dans ce mal mê­ la vie possible. L'institutrice Marta, à me. cause de sa prière et de son amour, Dans A travers le Miroir, c'est la vi­ enseignera au pasteur et sera cause de sion sensible de Dieu-créateur; dans son salut; elle sera sa rédemptrice en Les Communiants, c'est la vision intel­ quelque sorte. lectuelle de Dieu-vérité par la lumière Puisque le Christ durant sa vie a subi de l'intelligence; dans Le Silence, c'est la même souffrance, le même silence l'humble perception de Dieu-bien infini de Dieu et le même abandon que le à travers sa négation même. pasteur, ne peut-on pas voir dans la vie Les trois films montrent qu'aucune du pasteur, malgré ses fautes et son vision de Dieu n'est possible sans a- indignité, une reproduction de la pas­ mour. sion du Christ, une identification à la vie du Christ ? En plus de cette unité complémentai­ re du sujet dans la trilogie, on y trouve Dans la trilogie, ce film occupe la une continuité des symboles. Dans les place centrale. A travers le Miroir, nous trois films, on remarquera l'importan­ montre des personnages sans amour vé­ ce de la lumière, l'importance des lu­ ritable les uns pour les autres et incapa­ nettes, l'importance des bruits insolites, bles de communiquer entre eux. Par la forts et prolongés en plein contexte si­ maladie de Karin, ils retrouveront la lencieux, et aussi la présence continuel­ possibilité de s'aimer. Dieu apparaît aux le de la maladie. uns à travers le miroir de la création comme un Dieu-araignée tandis qu'aux Beaucoup de critiques se demandent autres il se manifeste comme un Dieu- si Bergman a la foi ou non et ils inter­ amour, à travers toutes les formes d'a­ prètent ensuite chacun de ses films en mour même imparfaites et impures. fonction de la réponse qu'ils ont d'abord donnée. Une chose est certaine, c'est Dans Les Communiants, Dieu se ma­ que si Bergman n'a pas la foi, on peut nifeste faiblement comme une lumière au moins répéter à son sujet la parole d'hiver et seuls ceux qui aiment et qui du Christ: "En vérité, je vous le dis, je savent assumer la souffrance et la mort n'ai pas trouvé une aussi grande foi en peuvent comprendre le silence de Dieu. Israël". Ni un aussi grand amour de la Dans Le Silence, la vie de l'homme vérité... est un instant d'un voyage dans une ter­ re étrangère et étouffante où les hom­ Joseph Genest. mes ont de la difficulté à communiquer avec qui que ce soit à cause du langage Thèmes de réflexion obscur, étrange, dont on y fait usage. Et pourtant, si l'on devenait comme ce 1. L'austérité de la mise en scène cor­ petit enfant qui aime sa mère et sa tan­ respond-elle à l'austérité du sujet? te, on apprendrait à épeler les mots 2. Comment se pose le problème de la mystérieux de ce monde qui nous en­ foi pour le pasteur ? toure. A travers le mal physique et mo­ 3. Un quoi cette oeuvre est-elle un ral, le mal de la guerre et le mal de film d'amour ? la mort, on arriverait à pouvoir com­ 4. Justifiez le titre anglais : Winter muniquer et avec les hommes et avec Light, et le titre français : Les Com­ ce Dieu qui semble si absent, et qui muniants.

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