SEMAINE DE LA PENSÉE MARXISTE

HUMANISME ET CINEMA

Débat du 11 décembre 1961 sous la présidence de Georges SADOUL avec la participation de Louis DAQUIN Serge YOUTKEVITCH Armand GATTI Jean-Paul LE CHANOIS René CLAIR Grégori TCHOUKRAI

Centre d’Etudes et de Recherches Marxistes, 64, boulevard A.-Blànqui, Paris (130- GOBelins 2542. rJl’ ' '

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‘•'ûN ^ ^ 1 La semaine de la pensée marxiste

Organisé par le Centra d'Etudes et de Recherches Marxistes, avec le concours de l’Union des étudiants communistes, de la Fédération de Paris du Parti communiste français et de l’Université Nouvelle, les débats de la Semaine de la Pensée marxiste ont touché près de 20.000 personnes attirés à la Mutualité par le caractère original de cette confrontation entre marxistes et non- marxistes sur le thème général :

HUMANISME ET DIALECTIQUE La soirée du cinéma, sur le thème Huma­ nisme et Cinéma, était placée sous la ' pré­ sidence de Georges Sadoul. Elle fut prolon­ gée dans Clarté, le journal de l’Union des étudiants communistes, par un dialogue Tchotikraï-Chabrol. Dans ce tiré à part de la Nouvelle Critique vous trouverez le compte rendu intégral de la soirée. Pendant la Semaine de la Pensée marxiste (7-14 décembre 1961), se sont tenus six grands débats publics à la Mutualité, à Paris, et 35 séminaires et groupes d’études plus spécialisés. Le Centre d’Etudes et de Recherches Marxistes publie l’ensemble des travaux de la Semaine. Le lecteur trouvera à la fin de ce tiré à part, la liste des diverses publications prévues. Tiré à part de La N O uv elle Critique, N° 133 Demande de participation aux travaux du C.E.R.M.

Je désire adhérer au C.E.R.M. et participer aux travaux de la section de NOM ...... PRENOM ...... ADRESSE ...... PROFESSION ..... Indiquer si possible vos travaux en cours (thèses, essais ou études déjà publiés) ......

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Toute adhésion est soumise à l’agrément de la section intéressée et du secrétariat. LA COTISATION yYNNUELLE ...... 20 NF représente l’adhésion à une seule section de travail du C.E.R.M. et donne droit à la libre entrée aux Soirées Scientifiques.

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A retourner au Secrétariat du C.E.R.M., 64, boulevard Auguste- Blanqui, Paris (13'). - Tél. : GOB. 25A2 - C.C.P. Paris 5.549.74. • ...»>•.

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Humanisme et cinéma

Chacun sait que les adages, surtout latins, sont chaque jour un peu plus dépassés. Ainsi le progrès technique (magnéto­ phones, sténotype) a voulu que les mots faits pour voler soient appelés à demeurer. C’est pourquoi nous sommes heureux de pouvoir publier, après enregistrement, l’intégralité du débat qui a réuni sur ce thème, sous la présidence de Georges Sadoul : Serge Youtkevitch, Gregory Tchoukhraï, Claude Chabrol, René Clair, Louis Daquin, Armand Gatti, Jean-Paul Le Chanois et Jean Rouch. Il n’est pas question de présenter ce débat, ce dont s’est précisément chargé Georges Sadoul, mais de formuler quelques remarques. 1°). — Georges Sadoul s’est montré perspicace en concluant qu’il serait bon de lire et relire ces échanges lorsqu’ils seraient publiés. Cette lecture apparaît même plus féconde que la simple audition. C’est naturel. Il s’agit de propos formulés librement par des praticiens et des créateurs réfléchissant sans souci ora­ toire, sur des problèmes qui sont leur pain quotidien. La place de l’homme dans leurs films, ils en vivent, ils en crèvent un peu chaque jour. Ils s’usent à dire ou à ne pas pouvoir dire ce qu’ils ont envie d’exprimer. Et l’on notera sur ce point la discordance entre le difficile examen de conscience des Français et la séré­ nité des Soviétiques. Mais qu’il soit succinct ou développé, impro­ visé ou élaboré, le propos sonne et touche juste parce qu’il cor­ respond à une réflexion vécue, à une quête de l’essentiel qui, sans didactisme, nous apporte, nous apprend beaucoup. 2°). — Ce débat vient à point. Le cinématographe, beau­ coup disent encore qu’ils ne savent pas ce que c’est, notamment si c’est un langage, ce qui, par ignorance ou coquetterie, débou­ che sur le vieux 7népris pour les sous-produits littéraires et dra­ matiques projetés au peuple dans des baraques plus ou moins foraines. En réalité, le cinéma, c’est-à-dire ceux qui le font et ceux qui le voient, mûrit, devient adulte par suite du rajeunis­ sement des générations de créateurs et de public, c’est-à-dire conscient et responsable, et l’un des problèmes est justement de savoir comment sont assumées ces responsabilités. Il doit s’affirmer en tant gu'art, art spécifique sans référence, sans rapport de forces avec les autres arts. Mais art de masse, donc enseigne lumineuse d'une culture populaire, creuset où se for­ gent le rêve, la réflexion, la communication de millions d’êtres. Ces considérations ne sont pas abstraites. Le meilleur roman g de la saison se situe tout entier dans le sillage du Potemkinei. .2 e Et, ce soir de décembre 1961, cinq mille jeunes environ étaient O venus remplir à craquer les salles de la Mutualité pour entendre sSs St! parler d'Humanisme et Cinéma. Ce public est une réponse viru­ lente à tous ceux qui dénaturent les problèmes de la jeunesse. Il est la conscience du cinéma. 3°). — Ce débat n’est pas un débat. La question est trop générale et trop facile. Imagine-t-on quelqu’un venu déclarer que l’homme n’avait rien à faire dans ses films ? Les micros se seraient bouchés les oreilles. Et c’est très bien ainsi. Il s’agit d’une introduction à d’autres débats, de la prise d’un contact qu’il convient de garder et d’amplifier, d’une série de déclara­ tions des droits de l’homme au cinématographe. Ces échanges illustrent encore à quel point les discussions, ou les virtualités de discussion, naissent bien souvent à partir de faux problèmes ou de malentendus gui pourraient être aisé­ ment dissipés. Exemples : lorsque Gatti proclame « les chefs d’œuvre du passé, je m’en fous »; lorsque Daquin se laisse oppo­ ser par Cinéma 61 à Truffaut sur le plan des rapports entre le créateur et le public; lorsque Tchoukhrat déclare que la diffé­ rence entre la jeune génération des réalisateurs français et russes réside dans leur prise de position à l’égard des anciens. Alors au contraire que l’on peut reprocher à la génération fran­ çaise un culte du langage, de l’expression spécifique issue de la culture des chefs-d’œuvre, au détriment de la vigilance morale et sociale, c’est-à-dire précisément du réalisme : trop pour le cinéma et pas assez pour l’homme. " Voici justement le thème possible d’un autre débat : « Humanisme et nouvelle vague ». Tout le monde étatit d’ac­ cord sur les fins — l’humanisme — et sur les moyens — une expression spécifique — il s’agirait d’élucider les contradictions manifestes entre le jeune cinéma et la réalité. L’analyse dialec­ tique, l’explication par les structures, les contradictions et les servitudes de la société même où naît et grandit cette vague sans mer, y trouveraient leur compte, avec leur conclusion néces­ sairement léniniste et révolutionnaire. A la limite, on poserait que la nouvelle vague est réaliste par son irréalisme. Et chan­ ger de cinéma, ce n’est pas très facile — Le Chanois, Daquin le savent bien, qui ne tournent pas ce qu’ils veulent — si l’on ne change pas d’abord les structures. 1. Allusion à La Place Rouge, de Pierre Courtade, Ed. Julliard. 4°). — A noire tour de n’avoir pas peur des bons sentiments, de promouvoir l'esthétique de V ajfirmation dont parle YoutkevitclP, d’assumer franchement une vigilance de boy-scout. Les cinéastes français présents ont formulé des déclarations gui les engagent. Il nous appartient d'en prendre acte; de veiller sur elles comme un mari jaloux, un espion de cœur; de traquer l’étrange alchimie d'où naît l’œuvre et de temps à autre le chef-d’œuvre : un équilibre personnel entre un humanisme qui n’avale pas sa langue et une langue universelle qui « n’arnaque pas » le public, entre le réalisme — souvent malgré soi (Citizen Kane), plus vrai que nature —, la vision intime et le message implicite. Jean Marc Aucuy.

GEORGES SADOUL. — Je voudrais rappeler quelques idées générales qui vous paraîtront peut-être des vérités premières. Mon maître Léon Moussinac — et je suis très heureux qu’il soit ici ce soir, lui qui fui à la fois le fondateur, avec Delluc, des cri­ tiques indépendants en et dans le monde, et l’un des premiers théoriciens du cinéma — écrivait en 1945 une phrase que je ne me lasse pas de rappeler, et que je paraphrase en disant que nous entrevoyons aujourd’hui le temps où le cinéma pandendra au sommet de sa découverte, lorsque les hommes auront atteint le sommet de la liberté, et que le cinéma dans sa forme accomplie dira l’unité humaine, il est créé pour cela. Oui, je crois que nous allons vers un temps que nous entrevoyons, un temps qui sera celui non seulement d’un cinéma pour tous, mais aussi d’un cinéma fait par tous. Nous en sommes cependant encore bien loin, malgré les pro-. grès fabuleux qui se sont accomplis depuis 1951, car, par exemple en 1960, aucun film de long métrage et de mise en scène n’avait été réalisé par l’un ou plusieurs des 300.000.000 de Noirs africains à qui, 60 ems après son invention, le cinéma était encore interdit comme mode d’expression et comme mode de pensée. Et en 1960 aussi, d’après les statistiques les plus officielles et les plus vérifiées, dans un pays qui est aujourd’hui la République Centre Africaine, on vendait exactement un billet par siècle et par tête d'habitant. Le cinéma est une des choses les plus mal partagées du monde, avec la culture et avec le pain. Quel chemin parcouru, et si vite, chemin profondément lié à l’évolution du monde, aux combats des peuples pour se rendre maître du monde et de la nature, et je cite encore ici rme exprès- , sion de Moussinac. Les gens de ma génération, nés avant 1914,

l. Sans pour autant le suivre — vniir ma nart - dans sa condamnation de l’ambiguité. I.-M. A. se souviennent encore du temps où le cinéma était une pitoyable distraction de baraques foraines, réservée aux militaires et aux bonnes d’enfants, comme disaient les gens qui méprisaient le peuple. Et ceci, c’était seulement dix ans avant que le cinéma fût reconnu comme un art, non seulement par les gens dont c’était la spécialité, et qui menaient un combat pour cela, mais •2c par un homme d’Etat, par le grand théorisien du marxisme a S qu’était Lénine, dont vous savez qu’il avait reconnu le premier le as3 cinéma comme un art et comme le plus important. Je ne sais si l’on discutera ici de la fonction du cinéma comme langage, et je ne sais pas moi-même si le film est ou non un langage, mais en tout cas, le cinéma est un merveilleux moyen de communica­ tion entre les peuples, et c’est à juste titre dans ce sens, qu'il a été appelé par certains une langue universelle. Mais une lan­ gue rmiverselle peut être la meilleure ou la pire des choses. C’est pourquoi je pense que le débat de ce soir est important, et j’attends avec confiance, avec intérêt, passion, les diverses réponses à la question que je pose, comme président, aux cinéas­ tes présents ; « Que roulez-vous faire de l’homme dans vos films ? ». LOUIS DAQUIN. — A la question « Que faisons-nous de l’homme ? », il nous faut, nous, hommes de cinéma, répondre par une autre question : « Que pouvons-nous faire de l’homme ? », nous, qui sommes soumis aux dures contraintes et aux inélucta­ bles contradictions d’un art qui est aussi une industrie, une industrie qui aujourd’hui en France, par nécessité, pour pouvoir subsister, se désagrège progressivement dans des structures internationales. Nous ne nous rencontrons pas ce soir pour trouver la solu­ tion aux problèmes de l’aliénation du créateur cinématographi­ que, mais pour confronter nos points de vues, nos conceptions, nos problèmes; pour examiner si, au-delà de ce qui nous oppose, il ne peut exister un idéal cinématographique commun, des valeurs communes auxquelles nous sommes les uns et les autres attachés et que nous souhaiterions voir vivre, s’imposer. On m’a collé sur le dos l’étiquette d’un homme qui veut à tout prix mettre un message dans ses films. Pourquoi ne nous expliquerions-nous pas ? Sans oser me comparer à ces deux grands noms du cinéma, que sont Antonioni ou Bergman, nous serons tous d’accord pour admettre que chacune de leurs œuvres est aussi un message, un message qu’ils veulent transmettre. Seuls diffèrent nos concep­ tions, la dialectique de nos pensées, le cheminement de nos sen- siblités. Mais encore, ce qui nous est commun à Antonioni ou Fellini, au Claude Autant-Lara de Tu ne tueras point, au Truffaut des Quatre cents coups, au des Amants, au Chabrol des Cousins ou des Bonnes Femmes, au Gatti de L’Enclos, c’est cette aspiration commune de vouloir être des contemporains, aspira­ tion qui reflète à des degrés différents, avec de multiples nuances, l’une des exigences primordiales de l’art cinémato­ graphique. Je m’explique. Dans un livre publié sous les auspices du C.N.R.S., intitulé Le Cinéma et l’homme imaginaire, Edgard Morin se réfère à la magie pour expliquer la naissance du cinéma et l’univers du cinéma. C’est un point de vue aussi discutable que si, ce soir, je voulais vous démontrer que les voix entendues par Jeanne d’Arc sont à l’origine de la Ï.S.F. Le cinématographe s’inscrit en réalité dans Time de ces chaînes ininterrompues de découvertes, dont le rythme s’accé­ lère à mesure que s’accroissent la compréhension du monde et la domination de la nature. C’est l’évolution des forces produc­ tives qui commande l’évolution des découvertes. D’un instru­ ment de recherches pour l’étude du mouvement, imaginé par le savant Marey, est né le cinématographe des frères Lumière, qui fut à l’origine d’une forme nouvelle de spectacle, puis d’un art nouveau qui allait rapidement s’imposer, non pas parce qu’il répondait par essence à un besoin de magie, mais à une nécessité sociale et esthétique de l’homme du xx' siècle. Nécessité sociale. En effet l’universalité de l’art cinémato­ graphique, qui lui est propre, allait répondre à l’une des exigen­ ces de révolution de la conscience des masses qui pressentent dans le nouveau spectacle, dès son apparition, les signes précur­ seurs d’un art susceptible de satisfaire ce besoin de communica­ tion, de connaissance et de compréhension universelle qui carac­ térise l’ère du télégraphe, du téléphone, des chemins de fer, des bateaux à vapeur, de l’automobile, de l’aviation... et du spoutnik. Que des financiers, des industriels, aient eu, dès la naissance du cinéma, l’intelligence de détourner à leur profit, d’aliéner, de diriger, cette aspiration, ce besoin des masses, en créant, en imposant un « art à eux » dont la seule règle soit la rentabilité et le profit, c’est un autre problème que nous n’aborderons pas, nous contentant de préciser, ce qui est d’importance, qu’aujour- d’hui l’évolution du public, sa prise de conscience lente, mai.s constante, et parallèlement la rapide évolution de l’art cinémato­ graphique, rendent de plus en plus difficile, en régime capita­ liste, la solution des contradictions entre l’art et l’industrie. La naissance du cinéma était une nécessité sociale, mais aussi une nécessité esthétique. Ne peut-on soutenir que l’art ciné- matographique, avant tout visuel, soit venu satisfaire un besoin 'S de l'œil, caractéristique de l’horame du xx' siècle, dont le sens O visuel avait atteint un degré de culture tel qu’il ne pouvait plus se contenter d’arts uniquement plastiques ? La vision artistique U en mouvement ne devenait-elle pas une nécessité, à partir du moment où la vie, sur terre comme dans le ciel, n’était plus que •2e mouvement, à partir du moment où l’homme devenait maître e du mouvement, de l’espace ? Le cinéma ce n’est pas uniquement a a: la vision en mouvement, c’est une vision que ni le temps ni l’es­ pace ne peuvent limiter, une vision riche de concepts nouveaux inspirés par le progrès de la science et de l'entendement. A partir de ces deux observations, je pense que, lorsque de Sica déclare : « Le meilleur cinéma se doit de continuer sa route, celle qui lui est dictée par sa réalité sociale et humaine contemporaine », lorsque Zavattini écrit : « Je veux être toujour.-î et avant tout un contemporain ; et ceci parce que le cinéma n’arrive à une expression artistique, à un langage humain et social universel, que s’il explicite les événements et les drames collectifs de son temps », ils définissent la mission de l’art ciné­ matographique, définition qui n’est nullement une vue de l’es­ prit, mais qui s’impose en raison des conditions qui sont à l’ori­ gine de l'art cinématographique et qui ont permis son épanouis­ sement. C’est .Antoine qui, en 1912, disait déjà : « Le cinéma, c’est avant tout la vie. Le cinéma n’est pas un art d’évasion, c’est un art vivant, c’est un art qui doit être le reflet d’un moment, d’une époque, d’un instant ». J’ajouterai que le cinéma peut devenir un art total, parce qu'il est le seul art capable d’exprimer « la totalité des manifes­ tations de la vie ». Sans vouloir prétendre, ce qui serait une erreur, que le cinéma soit par essence réaliste — pas plus qu’ii n’est onirique, magique, lyrique, symbolique — je crois que le réalisme est la voie naturelle de l’art cinématographique. Ce n’est pas un hasard si la liste.des dix meilleurs films de tous les temps, dressée en 1958 par des historiens du cinéma, appartenant à deux pays, ne comporte que des films réalistes, du Cuirassé Potemkine au Citizen Kane d'Orson Welles, qui devait d’ailleurs déclarer contradictoirement : « Pour moi le réalisme n’existe pas, le réalisme ne m’intéresse pas ». Encore faut-il s’entendre sur la notion de réalisme. Jean Domarchi parlant du réalisme dans les , découvre la lune : « C'est toute l’histoire du lapin d’Al­ bert Dürer, écrit-il. Qui songe à s’extasier devant un lapin réel et qui ne s’émerveille devant le lapin d’Albert Dürer, ou le crabe du même peintre ? Qu’une aquarelle puisse dénaturer la nature 10 au point de nous faire admirer, ce qui dans la nature, n’est qu’un objet d’indifférence, voire de dégoût, c’est le paradoxe de l’art réaliste, en fait le mystère de l’art tout court. Je dirai donc à nos esthéticiens staliniens : dépeignez des ouvriers autant que vous voudrez, mais si vous fournissez un simple duplicatum de la réalité, il y a peu de chance que l’art y trouve son compte. » Qui a jamais soutenu le contraire ? Quant à vouloir canton­ ner le réalisme au cinéma, dans la peinture des ouvriers, c’est quelque peu simpliste. Domarchi sait aussi bien que moi que Bal­ zac, l'un des premiers réalistes français, ignorait les ouvriers. Et il n’était pas, que je sache, stalinien. « Je ne crois pas que la substitution de l'appareil photogra­ phique à l’homme soit un progrès artistique, écrit à juste titre Aragon. Le réalisme contient nécessairement sa part d’interpré­ tation de la réalité. Le réalisme n'est pas non plus la délectation de l'ordure et de la noirceur, bien qu'il y ait réellement des cho­ ses noires et sales. Je ne considère pas comme réalistes, ces artistes qui, à la réalité, substituent la convention de la réalité. Le réalisme peut, chez Balzac, se mêler aux idées mystiques, au monarchisme, il peut aussi se mêler, chez Hugo ou Picasso, à d'autres principes. » J'ajouterai pour ma part, que le réalisme n'est pas une for­ mule abstraite, un style, un procédé, un genre ou une mode. C'est une conception de l’art, une conception de la vie, de la morale, de la justice, de la vérité, une conception des rapports entre l'art et la vie, entre l'artiste en tant qu'homme et son art. Cette conception n'a rien de figé, elle ne peut l'être, elle est vivante, en perpétuel mouvement, en évolution constante. Aussi se différencie-t-elle suivant les personnalités, aussi ne peut-on la trouver à l'état pur dans les œuvres, au cinéma moins que partout ailleurs, où les contradictions de l'artiste viennent bru­ talement se heurter aux contradictions provenant de la produc­ tion d’un film. Le réalisme de Balzac n'est pas le même que celui de Tchékov qui diffère de celui de Gorki. Il en est de même pour les cinéastes du monde entier. J’ajouterai enfin, pour bien pré­ ciser ma pensée, que par exemple Senso, film à costumes, film historique, me semble plus réaliste que certains films modernes, où cependant, l’appareil « est descendu dans la rue ». Prenons L’île nue, cet extraordinaire film japonais. Peut-on imaginer œuvre plus poétique, plus audacieusement poétique ? C’est cependant un film réaliste parce que son a une concep­ tion réaliste du monde. Films réalistes... Films de propagande. Les deux termes sont souvent accolés. A juste titre. Tout film n’est-il pas un film de propagande ? Tout film n'exprime-t-il pas une prise de position.1 1 § une attitude de son auteur dev2uit la réalité ? Même le plus 'I anodin apparemment. Il est vrai que l’on taxe aisément de pro- S pagande tout ce qui exalte l’opposition à un ordre établi; il est ^ vrai que certaines œuvres irritent les sensibilités confortable- „ ment installées dans le conformisme, par leur accent de sincé- S rité, par leur ton passionné, insolite. Il est vrai enfin que la ë vision de nombreux films réalistes, ne rappelle que trop le juge- g ment de Stendhal sur l’introduction de la politique dans le ^ roman : « un coup de pistolet dans un concert ». Si les dix meilleurs films de tous les temps sont des films réalistes, elle est longue, hélas 1 la liste des films réalistes qui sont loin d’être des œuvres d’art véritables. Et nous voici amenés à évoquer suc­ cinctement les problèmes de l’esthétique et de la création ciné^ matographique. L’élaboration, la création artistique, sont indiscutablement plus aisées pour le créateur qui se contente de vouloir refléter dans son œuvre la morale, l'idéologie de son propre milieu, que pour celui qui voudra être le messager d’idées, de courants nou­ veaux dont il a pris conscience, dont il comprend l’inéluctable nécessité, sans les avoir pour autant assimilés. Il ne lui suffit plus de faire jouer les réflexes naturels de sa sensibilité, mais au contraire, d’entrer en lutte avec sa propre sensibilité. Il ne peut y avoir d’œuvre d’art sans « une véritable imité organique », écrit Eisenstein qui précise ; l’œuvre ne devient organiquement une (...) que lorsque son thème, son contenu et l’idée qui l’anime se sont soudés organiquement, indissolublement aux pensées, à la vie, à l’être même de l’auteur. « Un Bergman, abordant des problèmes « mythiques » qu’il vit intensément, parviendra plus facilement à réaliser cette soudure qu’un Visconti qui veut faire œuvre réaliste. Il est indéniable que le travail créateur s’éloi­ gnera rapidement de l'art pour tomber dans le schématisme, chaque fois que l’auteur n'aura pas saisi le cheminement de ces pensées étrangères et étranges qu’il veut exprimer, et qui sont en rupture avec sa propre sensibilité, chaque fois.que l’auteur veut s’élever au-delà des conceptions traditionnelles de l’homme et du monde, qui jusque là lui étaient propres. Notons en passant que le schématisme, n’est pas la tare indélébile du réalisme socialiste, et même du réalisme tout court, comme le prétendent certains, mais plutôt une maladie infantile qui menace tous ceux qui ont l’audace de vouloir éle­ ver la pensée cinématographique, et cela fut de tous temps : que ce soit il y a 30 ans, Abel Gance avec J'accuse, plus récemment Chaplin avec Un roi à New York, ou Poudovkine avec Joukovski. Ma petite expérience personnelle m’a d’ailleurs permis de décou- 1 2 vrir à mes dépens, que de tous les moyens d’expression, le cinéma est celui qui se montre le plus allergique à tout langage schéma­ tique ou doctrinal. Et cependant les exigences de l’évolution de l’art cinématographique deviennent de plus en plus complexes. Il est certain que Tchoukhraï pourra atteindre une expression artisti­ que plus complète lorsqu’il transpose un thème humaniste, simple et linéaire, comme celui de La Ballade du soldat que lorsqu’il s’attaque au drame complexe du Ciel pur, pour lequel il n’a pas toujours su trouver l’écriture cinématographique qu’appelait l’audace du sujet. Mais il est aberrant de voir des critiques por­ ter un jugement sur Ciel pur en employant les mêmes critères que lorsqu’ils font la critique de Les lions sont lâchés. Un mot pour terminer, sur nos rapports avec le public. On nous a fait dans Cinéma 61 ime querelle à René Clair et à moi- même, parce que nous pensons qu’il ne peut y avoir de cinéma pour une élite et qu’un film n’existe qu’en fonction des millions de spectateurs auxquels nous devons nécessairement nous adresser. Cela vaut la peine qu’on en discute. Comme je l’ai mon­ tré plus haut, je pense que l’mie des caractéristiques spécifiques de notre art, c’est précisément d’être devenu un art de masse. Ce sont les masses qui, dès l’apparition des spectacles cinématogra­ phiques, s’en sont emparées, alors que les « élites » s'en désinté­ ressaient quand elles ne le méprisaient pas. Cela ne veut pas dire que je me complaise dans une sorte de suivisme. Je sais par expérience que la sensibilité du vaste public cinématographique pour lequel nous devons créer, est altérée par de multiples influences qui ne sont pas toujours des plus pures, qu’il y a aussi un formalisme de cette sensibilité, que nous devons avoir le courage d’aller à contre-courant, de nous colleter avec ce public. Pour mieux nous confondre, l’éditorialiste de Cinéma 61 veut nous opposer Truffaut qui écrit : « Le film de demain m’appa­ raît plus personnel encore qu’im roman, individuel et autobiogra­ phique comme une confession ou un journal intime... Cela plaira parce que ce sera vrai et neuf... Le film de demain ne sera pas réalisé par des fonctionnaires de la caméra, mais par des artistes pour qui le tournage d’un film constitue une aventure formida­ ble et exaltante... Le film de demain sera un acte d’amour »i. I. Il convient de noter que l'opposition tentée par Cinéma 61 n’existe pas en réalité. La perspective de Truffant par rapport au public est e.xacte- ment celle de Daquin et de René Clair. Il conçoit et réalise son film par rapport au public et en pensant à lui. Il déclare à Cinéma 62 ( janvier) : « Le seul moyen de donner un sens à cette acti­ vité, c'est de la voir comme un spectacle, et un spectacle qui doit réussir ». Et c’est pourquoi Truffaut a beaucoup souffert de l'insuccès relatif du Pianiste : « Si les gens sont déroutés, c’est qu'il manque quelque chose, même si le film 13 intéresse les amis et les cinéphiles, il y a quel­ que chose qui ne va pas ». Il ne peut pas y avoir opposition entre la préoccupation du public et Toctc d'amour. I.M.A. Le film, « aventure formidable et exaltante » ! Mais c’est toute l'histoire de l’élaboration de l’art cinématographique depuis 65 ans. Et s’il y eut dans le passé des « fonctionnaires de la caméra », il y en aura toujours hélas ! comme il y aura tou­ jours des fonctionnaires du pinceau ou de la plume, mais je ne pense pas que cela puisse concerner des hommes comme Feyder, Grémillon, Vigo, pour ne parler que des disparus. Je crois aussi que le cinéma s’écartera de plus en plus de ces monstrueuses formules de fabrications industrielles à la chaîne pour s'orienter définitivement vers une création authentique­ ment individuelle, où le créateur ne puisera plus son inspiration dans les canons élaborés autrefois à Flollyvvood. Le film, « acte d’amour ». Bien sûr ! J’aime les Quatre cents coups de Truffant, parce que ce film est un « acte d’amour », tout comme l’était il y a 25 ans Zéro de conduite, tout comme l’aurait été le Printemps de la liberté de Grémillon, s'il avait pu réaliser ce film qui lui tenait tant à cœur. Potemkine, ce film qui fut si déterminant dans mon évolu­ tion, qui a marqué tous ceux de ma génération, et pour lequel les jeunes partagent la même admiration, n’était-ce pas un film « vrai et neuf », n’était-ce pas un « acte d'amour » ?... L’acte d’amour peut être aussi un cri de révolte collectif.

JEAN ROUCH. — Je suis un peu gêné pour vous parler parce que je n’ai absolument rien préparé, ce qui n’est pas bien, mais la question qui est posée ; « Que voulez-vous faire de l’homme dans le cinéma ? », me concerne d’une double façon, puisque j’ai deux métiers : je suis ethnologue et je fais des films. Je voudrais vous dire la trahison qui a existé depuis la nais­ sance du cinéma et depuis la naissance de l’ethnographie dans l’association de ces deux disciplines. Il est singulier de voir que si le cinéma a été inventé, a commencé à exister à partir du moment où Méliès s’est passionné en voyant les expériences des frères Lumière, le cinéma ethnographique, le cinéma de l’homme est né sans paradoxe, avant l’invention du cinéma. Au moment où rdarey essayait son fusil chronophotographique, en 1895, un anthropologue, le D' Regnot, passionné par les nouvelles techni­ ques, s’était dit que cet outil devait permettre d’apporter à une science qui était en train de naître, qui était une science rangée parmi les sciences conjecturales, un outil absolument fantas­ tique, et associé à Marey, on ne le sait pas assez, il a réalisé les premiers essais sur la marche de l’homme. Mais, alors qu’on con­ naît aujourd’hui les films sur la marche de l’homme, sur le galop du cheval, on ne sait pas que Regnot, dès 1895, avait profité 14 de la présence à Paris d’une exposition dite coloniale, qui avait fait venir quelques Sénégalais au Champ de Mars, pour essayer de faire une étude comparative sur la marche des hommes appartenant à des groupes ethniques différents. Et c’est ainsi que le premier film ethnographique réalisé était une série de chronophotographies sur la façon dont une potière ouolof réali­ sait ses poteries, et ceci fut fait, je vous le répète, en 1895. Ensuite, Regnot, en 1900, au cours d’un Congrès international anthropologique, put émettre tm vœu que nous relisons à la fois avec joie et avec énormément de désespoir, et qui était le suivant : C’est très joli de mettre dans des musées d’ethno­ graphie les produits des différentes cultures des hommes, c’est très joli de mettre dans des vitrines un arc, un métier à tisser ou un appareil à musique; mais ces objets seront complètement inutiles s’il n’y a pas, à côté, des chronophotographies pour nous montrer la manière préfabriquée ou la manière de s’en servir, et s’il n’y a pas, à côté, des phonogrammes, c’est-à-dire des enregistrements sonores pour nous faire entendre le bruit des artisans et écouter la musique que l’on fait avec les instru­ ments de musique. Ce vœu émis en 1900, au cours d’une réunion internationale, n’a eu pratiquement aucune suite. Et l’on peut dire avec une certaine tristesse que le Musée de l’Homme, qui est une maison que nous aimons bien, est resté un peu malgré tout une sorte de sarcophage dans lequel on met les hommes en vitrine, comme pour les empêcher de vivre. Et que c’est vraiment très récemment que nous essayons d’illustrer cela, que nous essayons d’aller plus loin en utilisant cet outil merveilleux que les précurseurs avaient déjà détecté, et qui a été un peu abandonné, en créant des phonothèques et des cinémathèques de films ethnographiques. En fait, la leçon, nous l’avons prise chacun dans tous les pays du monde aux mêmes maîtres. Ce qui est assez extraor­ dinaire, c’est qu’au même moment, dans le monde entier, des hommes, des chercheurs essayaient d’utiliser cet outil pour aller im peu plus loin dans la connaissance de l’homme. Nos maîtres, il faut en citer trois. Il faut citer effectivement Robert Flaherty, dont les quatre films, les quatre chefs-d’œuvre ont été juste­ ment, comme le disait tout à l’heure Louis Daquin, des films d’aventures, des films d’amour. Quels étaient ces films ? L’homme se débattant en face de la nature, c’était Nanotik, 1921; l’homme se débattant en face de toutes les voluptés, toutes les facilités de la nature, c’était Moana; à nouveau l’homme se débattant contre la nature, Man of Aran; enfin l’homme décou­ vrant tout à coup le nouvel élément qui allait conditionner sa vie, c’était Louisiana Story, l’arrivée de la machine. Flaherty n’a pas pu faire le dernier film qu’il comptait faire, puisqu’il 15 est mort au moment où il allait partir en Afrique pour réaliser un film africain, un film qui aurait été sans doute extraordinaire, car, si comme le disait tout à l’heure Georges Sadoul, l’Afrique est le continent actuellement le plus en retard sur le plan du cinéma, c’était aussi un des plus stimulants, et l’Afrique aurait eu sur Flaherty une influence considérable. Donc, notre premier maître, c’est Flaherty. Le deuxième, c’est Dziga Vertof, celui qui tenta autour des mêmes années, 1929-1930, cette expérience de l’œil-caméra où la caméra était mise dans la rue, où avec un outil qui est encore fabuleusement difficile à manier, beaucoup trop lourd, il essayait de montrer ce qu’étaient les hommes, les hommes de tous les jours, comment ils voyageaient dans le métro, comment ils s’éveil­ laient, comment ils circulaient dans les tramways, comment ils allaient à leur travail, ce qu’ils faisaient pendant leurs loisirs. L’expérience de Dziga Vertof fut jugée comme ratée parce que les gens regardaient la caméra, et nous nous apercevons aujour­ d’hui que ce clin d’œil à la caméra après tout, est une forme du langage cinématographique, et que si Dziga Vertof avait eu à sa disposition les moyens techniques que nous avons aujour­ d’hui, eh bien, dès ce temps-là, 11 aurait réalisé des films que nous essayons de faire maintenant. Le troisième de nos maîtres, c’est un homme qui essayait également la même chose, c’était Jean Vigo qui, dans A propos de Nice, découvrait soudain que, avec une caméra également dans la rue, avec un assemblage de faits qui semblaient n’avoir pas grand intérêt, les alentours du carnaval de Nice, se déga­ geait tout à coup une poésie, une poésie singulière qui était la poésie de cette réalité. Et dans tous ces films, il y a effectivement une aventure, une aventure de gens qui manient un appareil qu’ils ne connais­ sent pas bien. Il y a aussi, comme le disait Daquin, il y a l’amour. L’amour de quelques-uns qui avaient un message, qui avaient quelque chose à dire, et ce message, ils essayaient de le trans­ mettre, par l’intermédiaire d’une machine qu’ils connaissaient mtd, afin de permettre aux hommes de se comprendre. A la question que nous a posée Georges Sadoul, ma réponse est celle-ci : nous avons actuellement entre les mains un outil absolument extraordinaire. Je ne sais s’il faut parler de langage cinématographique, mais ce que je sais c’est que, quand je pro­ jette un film en Afrique, ce film est compris par des gens qui ne savent pas lire, qui ne savent pas écrire, et qui tout à coup comprennent ce qu'il y a sur cet écran. Lorsque j’ai eu l’occasion de projeter aux Etats-Unis un film que j'avais réalisé en Afrique : Moi, un Noir, eh bien, j’ai vu des gens qui étaient, il faut dire la vérité, d’odieux racistes, et qui tout à coup 16 découvraient quelqu’un qui était pourtant quelqu’un de torturé. quelqu’un d’humble, quelqu’un qui n’avait pas réussi et qui découvraient par le moyen de ce langage, que cet homme était leur frère, qu’il avait les mêmes problèmes qu’eux, qu’il n’avait peut-être pas la même couleur de peau, mais qu’il avait les mêmes inquiétudes. Ce langage est, je crois, la chose essentielle. Nous avons entre les mains actuellement quelque chose qui permet à des hommes qui ne se connaissent pas de se connaître. Actuellement en Afrique, dont je suis forcé de reparler, va se dérouler une expérience qui est une expérience dont on peut tout attendre : les nouvelles républiques africaines, à juste titre, ont découvert ce qu’était le cinéma, et sont en train d’étu­ dier les moyens de diffuser les films dans les moindres villages de la brousse. Or, il y a un paradoxe, considérable, qui veut qu’actuellement, par exemple, la capitale du Niger soit à quatre heures et demie de Paris, et qu’elle soit à quatre jours d’un village de la brousse. Autrement dit, il y a plus facilement contact entre la capitale et le monde extérieur, qu’entre la capi­ tale de ce pays et son propre pays. Vous me direz que ceci existe dans tous les pays, qu’il est plus difficile d’aller à Brest que d’aller à New-York, c’est possible, mais à Brest, il y a des journaux, la télévision, le cinéma, il y a un contact qui fait que quelque chose existe. En Afrique, il n’y a rien. Parce que les hommes ne savent pas lire, parce que les hommes sont à ime époque de tradition orale, tradition qui voulait que les grillots, ces paladins, ces trouvères aillent, comme au Moyen-Age, à cheval, de village en village pour apporter leurs paroles, pour emporter les nouvelles. Or, aujourd’hui, le monde a été boule­ versé, et il n’y a plus de contact. Ce contact va peut-être se faire, il va renaître d’une façon fantastique, qui sera la suivante : que ce soit par l’intermédiaire de films, par des réseaux de cinéma rural, que ce soit par l’intermédiaire de la télévision, par un réseau également de télévision rurale, où le poste appar­ tient à la communauté villageoise, tout à coup, brusquement, des hommes illettrés qui n’ont pas de contact avec le monde extérieur, vont entrer en contact avec lui, sans passer par le stade intermédiaire de la lecture et de l’écriture. Eh bien, cette aventure extraordinaire, qui permettra à un paysan de la Lozère, à im homme d’un kolkhoz, à un ouvrier travaillant au fond d’une mine, de parler directement avec im paysan qui ne sait pas où va le monde, cette aventure extraordinaire nous l’avons entre les mains. Mais, comme le disait Sadoul, c’est une mécanique fantas­ tique, ime mécanique fascinante, mais une mécanique terrible­ ment dangereuse, car elle peut être mise, elle a été mise entre de mauvaises mains, et vous savez le résultat que cela donne. Je ^ ^ crois que, néanmoins, il faut avoir confiance; nous allons voir arriver, nous le disions avec Georges Sadoul à Venise, au cours d’une réunion sur le cinéma africain, nous allons voir arriver en retour, quelque chose que nous n’attendons pas, c’est ce fameux cinéma africain où, pour la première fois, des hommes peut-être illettrés vont pouvoir s’exprimer avec ime écriture, une écriture qu’ils auront apprise en allant au cinéma. Ils vont pouvoir s’ex­ primer et nous livrer un message qui sera ce que nous ne a connaissons pas, un message de fraternité qui franchira lui tC! aussi les continents, qui va mettre deux capitales à quelques mètres l’une de l’autre. Cette espèce de communication qui va exister entre tous les hommes et qui commence à exister, voilà, je crois, l’élément essentiel du cinéma de demain. SERGE YOUTKEVITCH. — Au cours de ma discussion récente avec les rédacteurs des Cahiers du Cinéma, j’ai été très étonné par la déclaration de mes interlocuteurs qui affinnaient qu’à leur avis Brecht et Eisenstein étaient « plus que marxistes ». J’avoue ne pas comprendre cette définition. Elle est plutôt émotionnelle, et nullement scientifique. La seule chose qu'elle m’a fait comprendre est que mes contradicteurs n’aiment pas le marxisme. Quant à moi, je conti­ nue à croire que le marxisme est la seule conception du monde scientifique qui soit indispensable, à l’artiste aspirant non seu­ lement à connaître, mais aussi à modifier la vie. Nous avons entre nos mains une arme d’une puissance extrême. C’est l’art du cinéma qui s’adresse chaque soir à des centaines de milliers d’hommes. Mais c’est précisément là que commence la discussion. Car beaucoup de cinéastes, et de grands talents même, sont sous l’empire de préjugés, selon lesquels cette influence de masse du 7= art est son défaut cardinal. J’ai lu, il y a quelques jours, dans Arts, des reproches adres­ sés à René Clair qui avait eu l’audace d’affirmer que le film est destiné aux millions de spectateurs et non à une élite sophis­ tiquée. Aussi étrange que ce soit, mais c’est justement dans le domaine du cinéma, l’art le plus progressif du xx' siècle, qu’exis­ tent encore des théories décadentes et désuètes qu’on dirait empruntées à des Esseintes, le héros du roman de Huysmans, A rebours. Sous prétexte que le public de masse est incapable d’appré­ cier les recherches d’avant-garde, on présente de plus en plus fréquemment sur les écrans de l'Occident des bagateUes esthé­ tiques, qui prétendent à constituer une nouvelle esthétique du 18 cinéma. Mais ces prétentions sont inconsistantes. Car on ne peut vraiment examiner l’esthétique d’un art, et surtout l’esthétique du cinéma, en dehors des liens indissolubles qui existent entre cet art et ce dont il parle, qui existent entre cet art et celui à qui il s’adresse. L’artiste ne peut et ne doit pas s’écarter de son temps. Il ne peut et ne doit pas se soustraire à sa responsabilité envers son époque, son peuple et l'histoire même. On a le droit de renoncer à une arme destinée à imposer la violence ou l’asservissement. Mais l’artiste mène une lutte juste pour les cœurs et les esprits des hommes. Il combat pour l’homme et doit être fier de cette lutte. Dans la pièce d’Ionesco, les hommes se transforment en rhinocéros, et l’on perçoit le désespoir dans la réplique finale de Béranger qui dit qu’il luttera pour rester homme. C’est avec l’angoisse aveugle d’un animal blessé à mort, que Zampano pleure ses sentiments hmnains perdus à jamais, dans la finale de La Strada. La toute belle star, dans la Dolce Vita du même Fellini, se met tout à coup à hmler comme im chien. Le film d’Antonioni, Il Grido, résonne d’rm cri de solitude perçant. L’interminablement pénible film La Notte, du même réali­ sateur, se termine par un cadre montrant deux corps enlassés dans une étreinte sans amour, deux êtres xmis par tm élan lascif et séparés à jamais par la solitude. Ces œuvres de grand talent sont inspirées par le sentiment de la pem, de la désolation, du scepticisme de l’artiste envers les forces capables de vaincre l’angoisse animale de la solitude. En ce sens, elles reflètent d’une manière véridique un cer­ tain aspect de la vie du monde capitaliste. Elles montrent l’en- sauvagement de l’homme dans ce monde. Mais elles ne répon­ dent pas à la question cardinale : quelles sont les causes de ce processus ? Avant la présentation de L’Année dernière à Marienbad, Robbe-Grillet et ont déclaré que c’est à l’imagina­ tion du spectateur d’accomplir le travail principal. Du point de vue spéculatif, ces arguments sont concluants. Il faut effective­ ment respecter le spectateur. L’on peut et l’on doit s’adresser à son intellect et à ses émotions. Mais ne se cache-t-il pas derrière cette formule salutaire, un sentiment de peur vis-à-vis des conclu­ sions finales, vis-à-vis de la vérité de la vie ? N’y a-t-il pas aussi l’incapacité ou même la mauvaise volonté de l’artiste de nommer à haute voix les vraies causes des phéno­ mènes contre lesquels il se révolte ? L'artiste ne veut être ni procureur ni avocat. Mais en se met­ tant à la place du témoin, ne donne-t-il pas à son témoignage un 19 I caractère d’ambiguïté, qui ne pourrait jamais être propre à l’art honnête et grand ? L’ambiguïté n’aide aucunement à interpréter U les contradictions véritables de la nature humaine. « La complexité et la profondeur du caractère humain, — et ^ c’est ainsi que nous voulons voir l’homme sur l’écran, — ne peu- S vent être véridiques et intégrales qu’à condition que nous pré- i sentions l’homme tel qu’il est : travaillant, luttant, avec tous les g rapports réels et concrets qui le lient à la société, à son temps, et à son époque. L’ambiguïté résulte de ce que certains interprètes de la pièce d’Ionesco (et peut-être l’auteur lui-même) considèrent la transformation de l’homme en animal comme une conséquence inévitable de toute unification, de tout « totalitarisme », et osent même en déduire ime égalité entre fascisme et communisme. Seule une ignorance monstrueuse et un désir de calomnier à tout prix l’idéal socialiste ont pu mener à de telles déductions. L’animosité surgit dans l’homme seulement là où règne la loi principale de la société capitaliste : « Homo homini lupus est ». Tandis que le communisme lutte pour la réorganisation du monde dans le but d’affranchir tout ce qu’il y a d’humain dans l’homme. « Tout pour l’homme », tel est le mot d’ordre principal de la société communiste. C’est aussi pourquoi une place si impor­ tante est attribuée dans le nouveau programme du Parti com­ muniste de rU.R.S.S., au code moral du constructeur du monde nouveau. Le programme l’exprime d’une manière claire et probante : « Les simples règles de moralité et de justice qui étaient faus­ sées ou impudemment foulées aux pieds sous la domination des exploiteurs sont sous le communisme des règles régissant les rapports entre les individus comme les relations entre les peuples ». Aussi sommes-nous convaincus que notre art, et le cinéma en premier lieu, doit protéger ces simples règles de la moralité et de la justice, doit être plein de foi en la dignité humaine. A la peur et au désespoir, à l’incrédulité et au scepticisme, nous opposons l’espoir et la foi dans les meilleures qualités de la nature humaine. 11 est évidemment difficile parfois de discerner ces qualités. Il est peut-être plus difficile encore de les décrire à l’aide du langage de l’art. Les dangers du poncif et du cliché, du confor­ misme de toute sorte et de l’optimisme faux, guettent à chaque pas l’artiste qui a choisi ce chemin difficile, mais le seul juste. En tâchant de donner une image vraie du héros contempo­ rain, nous, les cinéastes soviétiques, faisons souvent des faux 20 pas, nous trébuchons et n’arrivons pas toujours à trouver sur notre palette les couleurs qui puissent reproduire toute la diver­ sité et la complexité de la réalité qui nous entoure. Mais nous en connaissons la cause. Car c’est là que l’esthé­ tique bourgeoise nous assaille, armée de pied en cap. Le grand réalisateur Alexandre Dovjenko l’a très bien exprimé : « Il est extrêmement plus difficile à l’artiste de dire « oui » au présent et à l’avenir, que de dire « non » à ce qui s’en va et au passé ». C’est très juste, car pendant des siècles l’arsenal de l’esthé­ tique accumulait les moyens permettant à l’artiste honnête d’ex­ primer son désaccord avec la vie, sa révolte contre les lois cano­ niques du monde médiéval et bourgeois, sa lutte contre la mons­ truosité et l’injustice de la société. L'esthétique du passé (je ne parle pas ici d’un passé lointain — de l’Antiquité ou de la Renaissance —, mais de temps beau­ coup plus proches) c’est l’esthétique de la négation. L’esthétique de l’affirmation — l’esthétique du réalisme socialiste — qui a commencé à se former à ime époque où les idées du socialisme ont triomphé sur un tiers de notre pla­ nète, cette esthétique ne fait que prendre force. Et même ceux qui ont choisi le métier, fort bien rémunéré, de fossoyeurs de tout ce que l’art des pays socialistes a apporté de nouveau, même ceux-là sont obligés de reconnaître cette force. L’un des témoignages de cette force est le passage triomphal des films de Grégori Tchoukhraï sur les écrans du monde entier. J’en parle non seulement en admirateur du talent inépuisa­ ble de ce jeune réalisateur, mais aussi parce que le « cas Tchoukhraï » me paraît signîficatîf. Le succès d’un film peut avoir une qualité différente : parfois c’est le bruyant succès du scandale, parfois le succès éphémère exagéré par quelques amis, parfois le succès de la mode, et très rarement c’est le succès tardif et juste, comme ce fut le cas des films d’Eisenstein en Occident. Mais le vrai succès est uniquement celui qui vient lorsque le film pénètre de force les coeurs de millions de spectateurs en brisant tous les obstacles, toutes les différences de langues, de mœurs et de traditions. C’est ce qui a été le cas pour La Ballade du soldat. Il n’y a, dans ce film modeste, ni intrigue ingénieuse, ni recherches de montage, ni prises de vue étomrdissantes ; ses vedettes sont des acteurs inconnus — de jeunes étudiants de notre institut du cinéma. Et l’action se déroule pendant la guerre, qui a été il y a déjà longtemps, proclamée par les spé­ cialistes du commerce cinématographique, comme l’ambiance la plus défavorable à im film de « box office ». 21 Et c’est précisément ce film-là qui a triomphé. Son triomphe était tel qu’un distributeur italien proposa im contrat de sept ans pour tous les futurs films de Tchoukhraï, quels qu’en fussent les sujets, tellement cet homme était sûr des profits imminents. Mais le secret de ce triomphe est très simple. Le spectateur ne Se soucie guère des artifices de notre métier, il veut voir le c e héros auquel il pourrait s’identifier, le héros qui incarnerait pour 1 lui toutes ses aspirations et ses espoirs, le héros dont il pourrait tC! suivre l’exemple. Il ne trouve pas ce héros parmi la file triste de ratés et d’impuissants, d’oisifs et de pervers, de « business-men » et de cow-boys, tous déchirés par les mêmes « complexes », parmi les gangsters et les « super-men », les tueurs sans raison, les amants sans amour et les romantiques sans rêves; bref, parmi tous ceux qui défilent chaque soir devant lui sur l’écran. C’est alors que commence une quête fiévreuse du héros capable de rappeler les spectateurs dans les salles qui se vident. Et voici toute rOl5'mpe appelée sous les drapeaux, voici les che­ valiers de grand chemin et les coupe-gorges sans peur ou repro­ che qui se ruent à l’aide, tandis qu’une vague puissante de sujets bibliques se dirige des rives lointaines de l’Amérique vers l’Europe égarée, dont elle inondera bientôt les écrans. Et voici que soudain, apparaît un simple garçon soviétique, tel que David contre Goliath. 11 ne commet aucune action héroï­ que, son destin est tragique — il est consumé par le feu de la guerre. Mais jusqu’à la fin, il tient une arme invincible : l’humanité. Rappelez-vous le film : le plus important est que le héros soit mû non seulement par sa haine contre la guerre et l’en­ nemi, non seulement par son amour envers ses proches, — sa mère qu’il ne revoit que pour un moment si bref, sa petite amie qu’il ne reverra jamais; l’important est qu’il ne peut rester indif­ férent envers les autres gens, souvent inconnus, qu’il ne peut passer outre au malheur d’autrui, qu’il lui est impossible de ne pas intervenir dans leur destin, quand il sent que par une parole ou une action, un blâme ou un geste amical, il pourrait aider un homme à être humain. Et il agit ainsi non pas par ordre ou par intérêt, même pas par bonté innée ou exclusive, mais il le fait le plus souvent d’une manière instinctive, sur ordre de son cœur. La force et l’originalité de ce caractère, montré par Tchoukhraï, consiste en ce que toutes ses qualités — sensibilité et compassion, tact et bonté, modestie et courage — ne sont pas des catégories morales purement abstraites, ou des qualités 22 biologiques naturelles; non, elles sont le résultat de la formation de l’homme dans les conditions concrètes de la société socia­ liste, qui lutte pour l’affirmation d’un nouvel humanisme. Telle est la raison pour laquelle le spectateur éprouve de la sympathie pour ce héros, voit en lui son contemporain, retrouve en lui tout ce qu’il y a de meilleur en lui-même, ressent grâce à lui une confiance grandissante en ce qu’au moment de l’épreuve suprême il pourra être, il devra être, et il sera tel que ce héros. On pourrait me dire, sans doute, qu’il est facile de montrer un tel héros dans les conditions où le cinéma est libre de toute oppression commerciale, et de toutes les pressions qui sont le résultat de certaines conditions de la société. C’est vrai. Mais nous apprécions d’autant plus les films qui ont été créés dans des conditions différentes. Des films dans lesquels les artistes, en luttant contre des conditions difficiles, combat­ tent pour un humanisme. C’est ce qui explique l’énorme popula­ rité des films des maîtres des générations cinématographiques précédentes, tels que les films de René Clair, qui ont prouvé que sa jeunesse est toujours vivante par l’énorme succès de son dernier film. Tout l’or du monde, qui vient d’être présenté à Moscou, lors de la Semaine du cinéma français. C’est pourquoi le film de Gatti, L’Enclos, paraîtra bientôt sur les écrans soviétiques, et je ne doute pas que ce film ému, sincère, sera reçu avec grande sympathie par nos spectateurs. Je viens de voir tout à fait récemment, avant-hier, le film de Jean Rouch, Chronique d’un Eté. Et je suis très heureux que les traditions de Flaherty et de Dziga Vertof dont il vient de parler, traditions pleines de sincérité, soient continuées avec un tel brio. C’est pourquoi j’apprécie tellement des moments comme dans Les Cousins, la séquence où Gérard Blain, jeune homme venu de sa province, exprime son amour en récitant de vive voix ce poème dans lequel, il exprime tous ses sentiments envers la jeime fille. C’est pourquoi j’aime tellement le sourire final de Giuletta Masina dans Les Nuits de Cabiria, parce que ce sourire prouve la foi de Fellini en l'homme, en l’humanité. C’est pour­ quoi j’aime tellement le film L’Ile Nue qui me semble être le plus grand succès du cinéma contemporain. Je pourrais parler encore longtemps des films qui sont pour moi très importants, mais je pense que les orateurs qui me suivront en parleront. Je viens de lire dans Arts, une enquête adressée à la jeu­ nesse. Cette enquête mène à cette conclusion que la jeimesse de France apprécie seulement deux choses, im succès personnel et l’argent. Il me semble que cela n’est pas vrai. Je sais qu’un si vaste public présent ce soir, et présent chaque soirée au cours de cette semaine, prouve que c’est faux, que la conclusion de Arts est fausse, que la jeunesse de France cherche actuellement 23 ia vérité, et en la cherchant, je snis sûr qu’elle la trouvera. Je vous salue au nom de tous les cinéastes soviétiques !

ARMAND GATTI.— Mes chers amis, j’emploierai le langage de l’homme fruste. Ce qui me va d'ailleurs très bien. Je répondrai en deux temps à la demande de l’ami Sadoul. Premièrement, le e e cinéma, je ne sais pas ce que c’est. En revanche, je crois savoir S ce qu’est l’homme. Lorsque des dizaines de milliers d ’êtres 3 Sc­ humains meurent de faim, je me sens solidaire de cette mort. Lorsqu’une injustice est commise quelque part dans le monde, je me sens solidaire de cette injustice. Et pour continuer dans le même ton prédicant, lorsque je vois le conformisme en train d ’étouffer le monde, si je ne fais pas quelque chose pour lutter contre ce conformisme, j’ai une piètre idée de moi-même. A partir de là, il faut dire que le cinéma, je sais ce que c’est. Dans le même ordre d ’idée, je dirai que les chefs-d’œuvre, je m’en fous. Ils appartiennent au passé, le passé c’est les cadavres; que les cadavres reposent en paix. Ce n’est pas dans la mémoire des hommes que nous devons nous inscrire, mais dans leur devenir. Entre la mémoire et le devenir, il reste le présent. Je crois que le rôle du cinéaste français dans le présent, c’est avant tout de faire de la culture physique, de s’habituer à dormir à la dure, et de prendre, si besoin est, un fusil. Tous les moyens d ’expres­ sion sont bons, que ce soit la caméra ou le fusil, lorsque la dignité et l’avenir de nos frères humains l’exigent.

CLAUDE CHABROL. — Je serai bref; j’arrive en retard, nous sommes en toiumage; je n’ai rien pu préparer. Je me suis contenté de prendre quelques notes. Pour tm cinéaste français vivant en France en 1961, les seuls sujets honnêtes sont à l’image de la réalité qui l'entoure. Le problème du cinéaste est donc double. D’abord faire saisir au plus grand nombre sa pensée; c’est donc un problème de forme. Le second aspect consiste à démonter le mécanisme de cette réalité. Pour cela il y a des choses à faire ; il faut fuir le sentiment faux, il faut refuser l’héroïsme, il ne faut montrer que ce qui est, il faut montrer que le propre d ’une société aliénée est dans la putréfaction des valeurs fondamentales, dans les truquages si poussés que la nature disparaît derrière une morale fabriquée, il faut montrer que la valeur des êtres est détruite et comment elle est détruite. Entre le boy-scout et l’aliéné il faut montrer que le boy-scout est aliéné. Enfin il faut fuir la boime conscience. C’est tout.

GEORGES SADOUL. — Gatti et Chabrol ont fait une inter- 2 4 vention que je trouve l’une et l’autre trop brèves; je me permets donc d ’exprimer le souhait que l’un et l’autre ensuite participent à, nouveau au débat, et nous disent quelques autres phrases au moins.

JEAN-PAUL LE CHAMOIS. — Vous demandez « Que voulez- vous faire de l’homme ? » C’est un peu comme si vous disiez « A quoi servez-vous ? A quoi voulez-vous servir ? » Cela pose la nécessité d ’un examen de conscience, de se remettre en face de soi-même. A vous qui êtes la jeunesse, je veux tout de suite vous pro­ poser d ’enjamber gaillardement quarante ans. Bref, de jouer à un petit jeu de notre époque : la science-fiction. Imaginons que vous êtes en l’an 2001, que vous étudiez une forme d ’expression très périmée : le cinéma au temps des années 60, 61 et la suite. Bien sûr, cette salle de l’an 2001 est très différente de celle-ci. Vous êtes très bien assis, très confortables, l’air est conditionné, et au dehors, il y a tm grand parc qui va jusqu’à la Seine, et au-delà jusqu’à la piscine qui remplace la Préfecture de police. Vous essayez d ’imaginer ce monde des années 60, 61 et la suite à travers les films de cette époque, dont on vient de vous pro­ jeter les extraits; pas des actualités, mais des films. Ils vivent, ces hommes et ces femmes, une vie plutôt répugnante et on se demande comment ils ont pu s’en sortir. Car il est visible qu’en plus, ils sont très satisfaits d ’eux-mêmes et de cette vie. Com­ ment la gagnent-ils d ’ailleurs ? On ne sait pas. Préoccupation unique, la chasse, la chasse à la femme. Non pas l’ombre d ’un grand amour, de la passion durable, non, ils prennent plutôt leur peau pour leur cœur. Et de quelles femmes s’agit-il ? Le mot existait à l’époque, des « pépées », des oisives, des sottes, artificielles, méprisables, et qu’on donne à mépriser, ce qui est pire. Des petits sexes montés sur talons. On voit également la violence et le meurtre admis, glorifiés, distrayants, une époque où la vie humaine ne valait pas cher. La prostitution paraissait souriante, facile, normale. Les policiers sympathiques, beaucoup d ’espions, beaucoup de contre-espions, encore plus de services secrets, et le « milieu » aussi : des durs, des représentants esti­ més, célébrés, d ’un beau racisme masculin, et d ’un fascisme sexuel. Peut-être y avait-il des gens qui travaillaient, mais on ne les voyait pas souvent. Leurs images ne sont pas venues jusqu’à nous. Et la question qui sc pose et qui est grave, c’est comment ont-ils pu se sortir de cette vie-là ? Eh bien revenons en 1961, parce que le problème c’est : Est-ce que notre cinéma nous aide à sortir de cette vie-là ? Il me semble finalement que c’est ça le problème de ce soir. On connaît l’influence du cinéma, je ne vais pas vous l’apprendre, 25 g vous l’aimez, c'est im envoûtement, c’est le sujet de toutes nos conversations, qui remplace le roman, trop. La censure l'a bien ■g compris d'ailleurs; elle est là à côté et elle veille. Et cet immense « pouvoir, un cinéaste russe, Dovjenko, l'a expliqué et l'a défini de la manière suivante; indiquant que son influence était dou­ g ble; c'est-à-dire que c’était d'abord une influence immédiate, "c B sensorielle, émotive, celle que vous subissez devant une œuvre quelle qu’elle soit, un choc, et puis, une influence bien plus pro­ aS tt: fonde, bien plus importante, bien plus durable, et c'est là où cette influence est grave et dangereuse parce qu'elle est impor­ tante. C’est-à-dire que, comme nous ne vivons qu’un vie, comme nous sommes occupés à la gagner, les ims et les autres, comme la vie n’est pas facile, cela nous laisse un peu de temps pour voir et connaître le monde, et que, malgré tout, inconsciemment, et bien que nous nous croyions toujours doués d'esprit critique, le monde, tel que nous le concevons et tel que nous le voyons, c’est finalement, si vous voulez bien y penser, le monde tel que nous avons appris à le connaître et à le voir au cinéma. Eh bien, cet aspect de la vie, donné par le cinéma, tel que Dovjenko le décrivait et tel qu’il existe toujours de nos jours, c’est bien dangereux, et c’est bien difficile, et cela pose à nous bien des responsabilités, fl j a 2500 ans, un certain Platon avait parlé d’une autre sorte de cinéma qui se donnait dans une caverne. Vous connaissez le mythe de la caverne de Platon. Mais quand même, racontons-le encore une fois entre nous, adaptons-le au cinéma. Un homme est né prisonnier, dans une caverne, il ne connaît rien du monde extérieur, il n’est pas en contact avec d’autres hommes. On suppose (les philosophes supposent facile­ ment) qu’il a de quoi manger et vivre dans cette caverne. L’as­ pect du monde extérieur, celui des autres hommes, des animaux, de la nature, des arbres, d’un nuage qui passe, ne sont que des projections d’ombres sur la paroi de cette caverne. C’est-à-dire un aspect du monde faussé, truqué, d’une vie e.xtérieure qui existe pourtant en dehors de lui. Ce vieux mythe dé la caverne de Platon, ne s’applique-t-il pas terriblement au spectateur d’au­ jourd’hui ? Est-ce que le spectateur n’est pas le prisonnier d’ima­ ges qui peuvent et risquent d'être tinquées ? Cette influence du cinéma, ce pouvoir du cinéma, cette confiance dans le cinéma, que nous avons tous, et que nous subissons tous, même les gens du métier, impliquent notre responsabilité à nous, auteurs de films, vis-à-vis de vous. Il ne faut pas que nous vous donnions une fausse image du inonde, car je vous retourne la question : « Quel est votre héros, et à qui voulez-vous ressembler ? » Cer­ tainement pas au cinéma dont nous parlions tout à l'heure, tout 2 6 au moins je l’espère. Bref, responsabilité chez nous. Je voudrais citer Saint-Exupéry. Il a dit : « Nul ne t’a saisi par les épaules, alors qu’il en était temps encore, et maintenant, la glaise dont tu es formé a séché et durci, et nul ne pourra réveiller en toi le musicien endormi, le poète ou l’astronome qui t’habitait peut- être, ou tout simplement, l’homme ou la femme de cœur que tu pouvais être ». On peut méditer sur cette responsabilité, de ne pas saisir par les épaules au bon moment, celui ou celle quand il en est encore temps, et on peut regretter d’être plus ou moins responsable que la glaise dont chacun de nous est formé, ait pu sécher, durcir, et que ne se soient pas développées les qualités qui existaient. Montherlant écrit dans ses Carnets : « Tous vont répétant que le monde est fou, la question est de savoir si on veut le guérir de sa folie, ou si on veut profiter d’elle, ou si on veut passer au travers ». Moi, j’essaie de la guérir. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Nous n’avons pas le temps d’exposer les difficultés inhérentes au métier de créateur de films, c’est-à-dire les condi­ tions économiques et politiques d’un métier comme le nôtre, Cayatte disait : « On bénéficie pour faire son œuvre de la ren­ contre d’une banque et d’une usine; on arrive à choisir non ce qu’on a envie de faire, mais ce qui est le plus proche de sa conception » Bref, un choix négatif. Nous ne parlerons pas de ceux qui essayent de profiter du monde et de sa folie, c’est-à-dire ce monde d’opportunistes, de profiteurs, de satisfaits (je parle des auteurs de films). Ces gens-là font un autre métier. Mais il y a ceux qui croient passer au travers. Je prends un exemple : Quelqu’un dit : « Je fais un film sur le strip-tease, ou sur la prostitution, mais avec un fin morale et ça porte condamna­ tion. » Eh bien, non ! Je crois que cette méthode, que cette possibilité-là nous est refusée. Parce que réunir la beauté, le désir et la prostitution dans un même personnage, c’est finale­ ment servir la prostitution. Voici un exemple précis : lorsque John Ford, dans Le long voyage, a montré des marins qui, venant de débarquer, entient dans une boîte et retrouvent des prosti­ tuées, beaucoup de spectateurs ont été choqués parce que les prostituées de John Ford étaient si épouvantables, horribles, pénibles, gênantes, qu’on a eu l’impression dans les salles, que c’était John Ford qui s’était trompé, par rapport au conformisme et au poncif de la prostituée en « honneim » actuellement dans les films. Il en est aussi qui rusent avec le sujet, c’est-à-dire qu’ils font un clin d’œil au spectateur pour lui laisser entendre qu’ils ne croient pas à son sujet, et que c’est pour rire ! Malheureu­ sement, il arrive très souvent que le spectateur ne voit pas ce clin d’œil, ne le comprend pas, et prend pour argent comptant ce qu’on lui montre — l’argent d’ailleiurs qu’il vient de dépenser ? 27 Quant à la valeur d'exemple de certains films, là aussi nous pouvons dire que c’est un problème sérieux. Très souvent la valeur d’exemple n’est pas sentie comme une critique, mais au contraire comme une tentation. On a pu écrire à propos des Tricheurs, — je m’excuse de parler du film d’un autre réalisa­ g teur, mais il a fait date — : « On ne sait pas si les Tricheurs '2 e existaient avant tels qu'ils sont, mais maintenant par suite d’un Q I mimétisme absolu de la jeunesse, ils existent ». Et si certains !£: sont heurtés et manifestent un désaccord vis-à-vis de milieux comme ceux qui sont dépeints de cette manière, il faut reconnaî­ tre, et pensons-y bien, que la plus grande partie des autres est tentée. Dans Les Tricheurs, la mort de Pascale Petit ne fait pas réfléchir, on est plutôt intéressé par le milieu dans lequel elle évoluait. Il reste donc à essayer de guérir le monde. C’est ambitieux, mais je pense que c’est nécessaire. Car à partir du moment où on en est conscient, — comme le disait Gatti — ne pas aider à ce que ça aille mieux, ne pas aider à guérir, cela devient de la complicité. Il existe une loi qui prévoit le refus de porter secours à une personne en danger, eh bien, sans grands mots, on peut dire que le monde, l’avenir sont en danger. Cela revient à dire que l’auteur de films doit être à mon sens, un moraliste, et qu’à notre époque, l’anticonformisme, c’est d’être un mora­ liste. On aborde la mauvaise querelle des bons sentiments. Nous vivons sous deux malédictions, le péché originel bien sûr, et une phrase de Gide qui dit qu’on ne peut pas faire de bonne littéra­ ture avec les bons sentiments, on ne peut pas faire d’art avec les bons sentiments. Nous n’avons pas ce soir le temps de dévelci>- per la question. Certes les hypocrites nous ont dégoûtés de la morale, cette morale qu’ils n’appliquent pas — ces valeurs de pères de famille dont les fils ont appris à douter. L’angoisse de notre époque, cette conscience de l’aliénation des hommes, l’alié­ nation de son travail, de sa vie, de sa personnalité, n’incitent pas aux bons sentiments. Divisé et déchiré dans l’ignorance des moyens d’en sortir, se raccrochant à des évasions diverses, à des illusions, à des satisfactions, à des complexes, l'homme « per­ verti », c’est-à-dirc l’homme détourné, est en droit de se méfier des bons sentiments. Et — on m’excusera — on pourrait faire reproche aux marxistes, de leur timidité : ils n’osent pas assez s’affirmer comme les sauveurs du monde, non seulement de la société, mais des hommes, c’est-à-dire des individus. On ne peut remplacer la morale chrétienne, que par quelque chose d’aussi important que la morale chrétienne. En attendant, on se borne à ridiculiser le bon, le généreux, l’espoir, le positif. Et à 28 qui veut exprimer une idée, indiquer une ^me ou une préoccupa- tion, on crie « non » ! l.orsque Chaplin s’est mis à donner, dans plusieurs de ses films, son avis sur le monde, la critique a crié : « Non, M. Chaplin, faites-nous rire, mais pas plus ! » Ce refus de penser conduit à un certain scepticisme. Non pas un scepti­ cisme contre la société actuelle, mais un scepticisme envers l’homme et envers toute possibilité de le sauver. Et cela revient à une complicité. Car il ne suffit pas d’avoir pris conscience pour soi, quand on est un auteur, il faut l’avoir pour les autres. Il faut donc faire quelque chose. On a vu les difficultés. Un dilemme se pose ; ou bien faire des films, très sociaux, sur les grèves, la révolution, la guerre d’Algérie, la Commune... et si on ne peut pas les faire, alors ne rien faire du tout. C’est-à-dire se limiter aux thèmes : « Coucheront-ils ? » ou « Quand le quit­ tera-t-elle ? ». Eh bien, le problème à mon sens n’est pas tout ou rien. Ce n’est pas obligatoirement dans la représentation de la lutte sociale, dans l’image de combats révolutioimaires pour une société nouvelle, que le progrès de l’homme s’exprime, que le côté positif de l’homme est à encourager. Il l’est aussi dans la vie quotidienne, dans le couple, l’enfant, dans l’éducation, dans le métier, dans la lutte contre l’ignorance, dans la solidarité. Nous pouvons être progressistes, ou réactionnaires, selon la façon dont nous considérons et dont nous traitons les rapports des êtres entre eux, la manière dont nous traitons la condition des fem­ mes. Il y a encore beaucoup de préjugés dans tout ça. Dans une enquête récente de Clarté, sur l’amour, j’ai pu constater que chez les étudiants, — un milieu évolué — cela ne va pas encore tellement bien. La condition des femmes — je crois que c’est Marx qui a dit que le degré de civilisation se mesure à la place qu’on leur donne dans la société — peut se mesurer aussi à la place qu’on leru donne dans les films. II y à six millions de travailleuses en France. Dans nos films, où sont-elles ? Progressistes ou réactionnaires, nous pouvons l’être aussi vis-à-vis des superstructures sociales, de la manière dont nous présentons la police, la justice, l’administration, le gouverne­ ment, progressistes ou réactionnaires, selon que nous traitons ou que nous ne traitons pas la solidarité humaine, la confiance de l’homme en lui-même et en son progrès. Comment se fait le progrès ? Eh bien, l’homme n’est pas ce qu’il est, il est aussi tout ce qui lui manque, tout ce qu'il peut devenir et tout ce qu’il peut faire. Depuis toujom’s le progrès se réalise par la lutte contre la sauvagerie, la brutalité, le meurtre, le viol des consciences, l’obscurantisme. On a déjà prononcé tout à l’heure le nom de Maxime Gorki, un homme pur comme le cristal. Je ne sais pas si on lit beaucoup aujourd’hui l’enfance de Gorki, la jeunesse de Gorki, ses débuts d’écrivain, tous ses 2 9 premiers livres, et même ses derniers ; mais Gorki dans un milieu difficile, vivant à une époque de sauvagerie, de violence, d ’abrutissement, d ’obscurantisme, a toujours pensé que l’homme était perfectible, c’est lui qui a écrit cette phrase merveilleuse ; « Tant que nous n’aurons pas appris à admirer l’homme en tant que la plus belle et la plus admirable création de la planète, nous ne pomTons pas rejeter l’ignominie du mensonge de notre vie. Avec cette conviction, je suis entré au monde, avec elle, je 3 le quitterai ». Maxime Gorki avait une opinion des hommes plus haute que celle qu’ils avaient d ’eux-mêmes. Il n’était pas un descripteur, mais un chercheur de vérité, il ne faisait pas du reportage ou de l’étude de mœurs, il voulait transformer la réa­ lité, il ne corrigeait pas son image, mais ses œuvres étaient cons­ truites de manière à en servir la transformation. Avec lui, l’au­ teur devait être un peu un utopiste, mr utopiste, c’est-à-dire opti­ miste, c’est-à-dire en avance. Qu’est-ce que c’est que l’utopie ? L’utopie c’est ce qui paraît impossible, et bien le héros arrive, et voilà que ça devient possible. En 1940, la résistance paraissait une utopie, ce sont les hommes qui l’ont rendue vraie. Gorki a dit : « On doit considérer le présent, du point de vue de l’ave­ nir. » Bref, si vous voulez, ce que je veux, ce que je souhaite faire, dans mes films, c’est de rendre aux hommes l’espérance.

RENE CLAIR. — La plupart des choses que j’aurais voulu vous dire, vous ont déjà été dites avec la plus grande éloquence. Cependant je voudrais ajouter un mot. Armand Gatti ne s’éton­ nera pas si je lui dis que je ne suis pas entièrement de son avis, notamment au sujet des chefs-d’œuvre du passé. Mais si je ne suis pas entièrement de son avis, c’est peut-être parce que j’appartiens à une vague dont Youtkevitch a dit avec gentillesse qu’elle n’était pas tout à fait récente. Je voudrais aussi ajouter, à ce que Daquin a dit au sujet du public, ce qui est dans notre pensée commune (nous ne sommes pas les seuls bien entendu, il y a de grands, hommes comme Griffith et Chaplin et Eisenstein qui ont pensé comme nous). Quand nous parlons du respect du public, ça ne veut pas du tout dire que nous entendons exclure les recherches artis­ tiques, les œuvres de laboratoire, les courts métrages, etc. Au contraire ! Cela, c’est le levain du cinéma, nous en avons besoin. Mais nous nous élevons contre une confusion qui se produit parfois dans la critique, et qui consisterait à dire que ce cinéma spécial est tout le cinépia. Ce serait très dangereux pour l’avenir du cinéma, et nous sommes encore quelques-uns (je veux dire le plus grand nombre) à croire que le cinéma a été fait par le peu­ 30 ple et pour le peuple. Et que s’il se détachait du peuple, trop ostensiblement, il risquerait de tomber dans ce que je peux me permettre d’appeler, sans trop sourire, l’académisme. Avoir le respect du public, cela ne veut pas dire être esclave du public. Il serait faux de prétendre, comme les commerçants de Hollywood l’ont longtemps prétendu, que le public a toujours raison. Non, le public n’a pas toujours raison, mais il faut bien reconnaître que les auteurs qui ne le respectent pas ont toujours tort. Ça serait trop facile de faire des films s’il n’y avait pas de public ! Tout le problème est là, et tout le problème, quelle que soit révolution de la société, sera toujours le même pour un créa­ teur, de quelque art que ce soit, à quelque discipline qu’il appar­ tienne ; comment conserver la liberté d’expression, la liberté de création indispensables à l’artiste, sans négliger la masse qu'il doit satisfaire ? Je voudrais revenir aussi sur cette notion du contemporain Bien entendu, le cinéma est contemporain, il ne peut pas être autrement. Même si vous faites un film d’époque. Vers 1900, on jouait encore au théâtre les tragédies classiques dans ces costumes de vague convention du Second Empire. Un jour, une sociétaire du Théâtre Français a eu l’idée de jouer une tragédie de Racine, en costumes grecs. On a copié ces costumes sur des vases d’époque. Cela ne pouvait être plus authentique. Ce fut une révolution en ce temps. Eh bien aujourd’hui, si vous voyez en photographie ces costumes copiés d’après des modèles authentiques, ils sont authentiquement de style 1900. C’est dire qu’on ne peut pas se détacher de son époque. Le cinéma ne peut pas être autre chose que contemporain. Je vous avouerai que, quand on a atteint l’âge de la vague à laquelle je faisais allu­ sion tout à l’heure, ce n’est pas extrêmement gai parce que nous devons admettre que tout ce que nous laissons derrière nous, ce sont des choses peut-être intéressantes pour les cinémathè­ ques, mais qui hélas ont perdu cette radio-activité du film pré­ sent, du film du jour, qui est véritablement le cinéma. C’est assez triste pour un créateur, mais si nous voulons nous déta­ cher de ce point de vue égoïste, nous pouvons dire que c’est aussi très bien parce que grâce à cela, le cinéma sera toujours fixé au présent, destiné à exprimer le présent, et que la place sur l’écran est toujours libre pour le film de demain^.

GREGORI TCHOUKHRAI. — En premier lieu, chers amis, je vous prie de m’excuser de ne pas vous parler en français. Comme mes collègues jeunes — relativ'cment jeunes —, je voudrais vous parier tout simplement. Mais je crois que je ne pourrai pas vous parler aussi brièvement qu’eux. Cette ren 3 1 2. René Clair nous demande de préciser qu'il a improvisé le texte de son allocution. I contre avec vous, est pour moi une joie immense dont je veux 'I profiter. ‘d Quand on m’a posé la question « Comment voulez-vous ^ montrer l’homme ? », j'ai pensé qu’il me serait extrêmement « difficile d’y répondre. Comment je montre l’homme dans mes i films ? Mais tel que je Je connais, tel que je l’aime ou je le hais, ë Je ne peux pas poser une vue a priori de l’homme. Il me semble g que l’artiste ne peut pas se dire : je vais montrer l’homme beau ou jç l’homme laid, je vais le montrer comme un être bon ou méchant. Il me semble que l’artiste doit rester lui-même, et le style d’un artiste est aussi une chose qu’on ne peut pas choisir. Le style n’est pas ime cravate que l’on choisit selon son habit, ou un chapeau que l’on change suivant le temps. L’artiste exprime lui- même sa propre vision qu’on ne peut changer ou imposer. Je fais les films tels que je les comprends. Ma formation est une formation marxiste C’est donc ma méthode de pensée. Il est naturel qu’en travaillant dans le domaine de l’art, c’est-à-dire dans le domaine qui concerne les émotions, les sentiments hiunains, je m’y intéresse aussi. Il y a eu déjà dans cette salle des conférences-débats sur le marxisme, sur la science marxiste. Je regrette de n’avoir pu y assister, mais on m’a dit que c'était très intéressant. Pourtant il me semble que le marxisme a un aspect non seulement scientifique, mais émotionnel. Et je crois que le marxisme ne serait jamais apparu tel qu’il est, si Marx n’avait pas éprouvé une indignation colossale contre l’injustice, s’il n’avait pas éprouvé un énorme désir de voir les hommes heureux, libres et développés d’une manière harmonieuse. Je pense que ce sont ces émotions qui ont donné à Marx la force de travailler et d’écrire. Je pense aussi que les générations pré­ cédentes qui ont fait la révolution en U.R.S.S. ont été aussi enflammées par ces émotions, bien que peut-être elles n’aient pas connu toute la profondeur du marxisme. Pour moi, en tant qu’artiste soviétique, voici les deux choses les plus importantes : D’abord, je ne conçois pas un homme marxiste qui ne serait mû par une passion dévorante de voir les gens heureux, libres et développés d’une façon harmonieuse. En second lieu, nous professons im optimisme historique dans l’art. Et c'est justement parce que le marxisme est fondé, non seulement sur de bonnes intentions de bonheur, mais sur la nécessité d'une lutte active de toutes nos forces au service du bonheur humain, que nous professons l’optimisme historique. Et nous sommes des optimistes parce que nous avons foi en cette liberté humaine, en ce domaine humain, en cette possibilité 3 2 de les créer. C’est ce que je voulais dire sur le plan de l’aspect émotionnel de notre art. Et ainsi que mes collègues français, moi aussi je suis prêt à lutter pour ce bonheur de l’homme avec mon arme à moi, ma caméra. Il me semble que c’est justement ce que j’ai fait toute ma vie. Pendant la guerre, quand le fas­ cisme menaçait le monde, j’étais dans l’armée. J’ai protégé Sta­ lingrad. Après la fin de la guerre, je suis venu à l’Institut du Cinéma de Moscou, j’y ai trouvé mon ancien ami Serge Youticevitch qui m’a pris dans son cours. On vient de renier ici les chefs-d’œuvre. Moi je ne pense pas ainsi. Je respecte les chefs-d'œuvre, non pas parce que je les admire ou même les idolâtre comme des icônes, mais parce que je ne comprends pas comment on pour­ rait renoncer à sa propre histoire. 11 me semble que si on écou­ tait le conseil de notre ami, si on rejetait tous les chefs-d’œuvre qui existent, la vie en serait appauvrie. Bien sûr, je ne veux pas dire que les chefs-d’œuvre doivent entraver le développement du progrès. Mais je ne comprends pas comment on peut opposer les traditions et l’innovation. Il me semble que toutes les tradi­ tions ont été créées par des novateurs. Je voudrais évoquer encore quelques questions qui me semblent extrêmement importantes dans le domaine du cinéma et, plus précisément, je voudrais parler de l’amour. Il me semble qu’il est tout à fait faux d’opposer l’amour et les problèmes de la vie sociale, car l’amour reflète les nuances les plus fines, les plus délicates de la vie sociale. Bien entendu, je ne parle pas des poncifs qui existent aussi bien en Occident qu’à l’Est. Notre poncif peut être présenté en quelques mots : Un champ kolkho­ zien; lui et elle. Lui est tractoriste; elle sème du blé. Elle pousse un profond soupir, chargé d’émotion, et lui demande s’il a accompli sa norme... Il répond naturellement qu’il voudrait apprendre à manœuvrer une moissonneuse-batteuse. Et puis ils se regardent; ils ne s’embrassent pas, parce que le mariage n’est pas encore enregistré. Après le mariage officiel, il y a toutes les festivités, et même on peut s’embrasser... Quel serait le poncif occidental ? Dans une ville embra ­ sée par les feux du néon, nous voyons un animal (mâle). Cet animal regarde de tous côtés pour choisir ce qui lui convient pour cette soirée. Il aperçoit un autre animal, une femelle cette fois. Il s’en approche, la prend par la main, et l’attire quelque part. L’histoire est sans paroles, car les paroles sont inutiles. Et quand ils sont dans la chambre, il se rapproche d’elle et elle, sans pro­ noncer un mot, avant qu’il ait fait un geste, elle se renverse. C’est une autre variante. Je voudrais vous parler, non pas de ces poncifs, mais de l’amour véritable. La variante occidentale me déplaît parce qu’elle ne reflète pas d’une façon occidentale l’homme tel qu’il 33 est. Et je n’aime pas la variante de l'Est, parce qu’elle aussi n’est pas vraie. Et Je n’aime pas ces deux poncifs parce que je suis marxiste. Le marxisme ne connaît pas de fausse pudeur. Les œuvres de Marx et Engels luttent contre la perfidie, contre la pudibonderie. Je viens de voir un film que peut-être vous ne connaissez pas encore; mais je pense que vous le verrez bientôt. Il s’agit de La danse sous la pluie. C’est un film d’un réalisa­ teur yougoslave de grand talent; il a fait un film d’après l’exem­ ple de l’Occident. J’ai eu l’occasion de discuter avec lui. J’ai dis­ cuté avec ses admirateurs, car ce film a reçu un prix à rm récent Festival. Quand je lui ai dit que son film m’avait déplu, il a com­ mencé à rire et m’a dit : « Vous ne l’aimez pas sans doute parce que ce film montre d’une façon audacieuse l’acte sexuel ». Je lui répondis que cela ne me choquait pas. Je n’étais pas choqué, parce que tout ce qu’il montre, tout ce qu’il raconte, n’est pas audacieux du tout. Quand je discute de tels films, je vous prie de me comprendre. Je ne suis pas choqué par ce qu’ils montrent. J’apprécie beaucoup, par exemple, La Dolce Vita, La Source de Bergman, parce que ce sont des films qui ont une philosophie. Il y a des centaines de cinéastes qui spéculent en prétendant montrer d’une façon audacieuse ces actes sexuels. Finalement, de tels films vous font penser que rien d’humain n’existe, qu’existe seulement cette attirance sexuelle du mâle vers la femelle. Mais je ne suis pas choqué, car le cinéma peut tout montrer. On me dit que ces cinéastes montrent la vérité, et que moi, je la crains. Je voudrais poser la question : « Quelle est cette vérité ? » Il ne semble pas que ce soit une vérité pro­ fonde, car elle est connue même des chiens. Il me semble qu’on arrive ainsi à détruii'e des monuments créés par toute l’histoire de la culture et même à montrer que ces monuments ont été faits de briques, et que c’est la vérité qui est constituée par ces briques. Ce n’est pas une vérité. Dans ces films, que j'ai beaucoup vus, il y a souvent une grande maîtrise, et la coquetterie d’une ligne à la mode. Et si dans la haute couture, la mode est quelque chose de très intéressant, elle est dangereuse dans le domaine de l’art. Je me souviens des paroles d’un écri­ vain, à qui un interiocuteur posait cette question : « Qu’est-ce que c’est, à votre avis, la maîtrise ? » Il répondit : « Connais­ sez-vous les chiens de chasse ? Quand un chien de chasse flaire la proie, il s’arrête, il s’immobilise, ses oreilles commencent à trembler, sa queue s'étend, et le chien lève la patte gauche. (En russe cela s’appelle « la position du chien de chasse »). Eh bien, si te chien prend cette position sans qu’il y ait de perdrix, voilà la maîtrise. » 34 Je voudrais encore parler d’un problème qu'on a mentionné en passant : les rapports entre deux générations de. cinéastes. Ma génération est souvent appelée « la nouvelle vague russe ». Ça me flatte beaucoup parce que je respecte les garçons de talent, qui ont créé la nouvelle vague française. Mais je pense que s’il y a une différence entre nous, c’est notre prise de position envers les aînés. Nous considérons que nous sommes les héri­ tiers du grand cinéma lusse. Nous pensons que nous possédons toutes les richesses créées par Eisenstein, Poudovkine, Dovjenko. Et nous ne voulons pas rendre ces richesses à quiconque. Nous ne voulons naturellement pas vivre seulement sur ces richesses, nous voulons les augmenter. Mais im art sérieux est impossible sans des racines nationales profondes. S’il y a une vague, il doit y avoir la mer. Je ne puis imaginer une vague sans la mer. Pour terminer, je voudrais vous remercier pour l’attention avec laquelle vous avez entendu mon discours im peu touffu. Mais le manque d ’harmonie dans ce discours est dû à un manque de temps. J’aimerais vous dire encore beaucoup de choses, mais je n’en ai pas le temps.

GEORGES SADOUL. — Mes chers amis, il est 11 h. 10, c’est- à-dire que je pense, malgré la chaleur tropicale qui règne dans cette salle, que nous pouvons encore prolonger notre discussion pen­ dant un quart d ’heure, vingt minutes, jusqu’à l’heure du dernier métro. Vous êtes d ’accord ? Bon. Je pense que nous pouvons maintenant donner la parole à ceux des orateurs qui ont déjà pris la parole et qui ont encore quelque chose à dire, soit pour compléter leurs pensées, soit, et c’est très souhaitable, pour contredire les opinions qu’ils ont pu entendre. Je pense mainte­ nant que nous pourrions essayer d ’engager une courte discus­ sion. Je vous rappelle pêle-mêle quelques points de vue qui ont été exprimés ici. Bien entendu, je dis cela un petit peu au hasard. René Clair a par exemple dit que le cinéma était contemporain, et qu’il était amené souvent, malgré lui, à poser les rapports du cinéma et de son public. Tchoukhra’i m’a paru parler avant tout du cinéma et du cœur. Gatti a mis en cause les chefs-d’œuvre, tout en disant que l’on devait se servir de la caméra ou du fusil, mais il n’a pas précisé la façon dont on devait se seivir de la caméra. Chabrol a dit, entre autres, que pour lui, ce qui impor­ tait, « c’était de découvrir le mécanisme de la réalité ». Jean Rouch a parlé du cinéma-vérité. Le Chanois du cinéma-témoin de notre temps pour le futur. Daquin du cinéma-messager d’idées. Youtkevitch du cinéma en face de la vérité et de l’ambiguïté. Et il a cité entre autres choses une parole de Dovjenko, qui peut se résumer ainsi ; Il est plus difficile de dire oui au présent, que non au passé. Sur ces quelques thèmes très généreux, peut-être 35 t pourrions-nous engager une courte discussion. Il me semble I évidemment que nous devrions donner la parole à ceux qui ont S parlé le moins; c’est-à-dire à Chabrol et à Gatti. Lequel demande ? ie premier la parole ? : CLAUDE CHABROL. — M. Sadoul, qui est un homme avisé, ; .a noté que la seule phrase importante était celle par laquelle i je déclarais essayer de découvrir le mécanisme de la réalité. Je I veux dire par là que découvrir le mécanisme de la réalité, c’est ' actuellement considérer l’homme en France comme parfaitement aliéné. S’il est parfaitement aliéné, j’essaie de découvrir pour­ quoi et comment, voilà ce que j’entends par cette phrase. Je veuxdire que je ne m'intéresse pas tellement à la psychologie d’un point de vue extérieur que dans les rapports qu’elle représente avec les forces qui la dirigent. J’affirme, et je suis persuadé de ce que j’affirme, que ce qui me paraît être notre individualité est une individualité conditionnée; j’essaie de montrer comment et pourquoi. C’est extrêmement difficile et c’est pourquoi je me trompe souvent. Et je continuerai. J’espère me faire comprendre à la longue. Il y a un autre point : le problème de se faire comprendre de la plus grande masse est suffisam­ ment indispensable mais en définitive ce n’est qu’un problème de forme. Il faut trouver une forme qui soit abordable par tous. C’est un problème qui est, à mon avis, moins important que de faire comprendre ça, ce que nous sommes : nous sommes tous, hélas ! en ce moment terriblement déterminés. Voilà. ARMAND GATTI. — J’en viens tout de suite à ces malheu­ reux chefs-d’œuvre qui ont fait l’objet de discussions. Pour moi, un homme est fort parce qu’il est, avec son ventre, avec son bras, avec sa tête, avec ses couilles, avec tout, et non parce qu’il avait son père, son grand-père. Premier point. Deuxième point. La culture, nous en crevons parce qu’elle n’est pas adap­ tée aux besoins actuels. Et lorsqu’on dit que cela nous appau­ vrit, je dis non. Absolument, en aucune façon. Au contraire. C’est une libération à quérir. Si vous n’êtes pas capable de faire, vous, en tant qu’homme, ce que chaque homme a fait dans son histoire, vous, dans une histoire et dans un contexte différents, c’est que vraiment il n’y a plus grand-chose à dire. CLAUDE CHABROL. — Je crois fermement que Gatti a raison d’un côté, mais tort de l’autre. Il y a patrimoine et patrimoine. Il ne faut pas s’éloigner de lui a priori comme on veut nous le faire croire. Il s’agit justement de trouver quel est le bon, pourquoi on veut nous faire croire qu’il s’agit d’un 3 6 autre, et ainsi de suite. C’est ça qui est intéressant, je crois. ARMAND GATTI. — J'admettrai peut-être l’additif suivant : c’est qu’il y a un patrimoine qui est valable en chacun de nous et qui est différent pour chacun de nous. Nous avons tous dans cette salle, enfin une grande partie d’entre nous, un gaulois dif­ férent, je vous assure. Il y a une vérité objective du gaulois et la façon dont chacun le réinvente ou l’accommode à ses besoins du jour.

RENE CLAIR. — Je voudrais simplement faire remarquer à Armand Gatti que l’on peut parfaitement réétudier l’œuvre de ses pères, parce qu’on a une tête, un cœm, des bras, et les autres attributs qu’il a mentionnés, mais je remarquerai que les choses que je viens de citer, y compris les dits attributs, ont été pré­ cisément fabriqués par nos pères.

ARMAND GATTI. — Et nous en revenons à la Bible, par un détour assez inattendu.

JEAN ROUCH. — Je n’entrerai pas dans cette querelle des anciens et des modernes. Simplement, je crois en tout cas que, personnellement, j’ai appris beaucoup de choses des anciens, et je leur en suis vraiment reconnaissant. Actuellement nous assis­ tons à une évolution du cinéma qui me paraît capitale et capti­ vante. C'est celle-ci : (je ne l’ai pas mentionné tout à l’heure parce que je n’avais pas pris de notes d’abord.) la technique est en train de libérer le cinéma d’un certain nombre d’écueils qui ont empêché les anciens de faire les films qu’ils voulaient faire. Par exemple, Dziga Vertof ne pouvait pas mettre sa caméra dans la rue parce qu’elle était trop grande, trop grosse, trop dif­ ficile à manipuler; et voilà que tout récemment, arrive sur le marché du cinéma un outil merveilleux qui est fait de progrès techniques considérables et qui permet à des gens du monde entier de se servir d’appareils d’enregistrement du son ou d'ap­ pareils d’enregistrement d’images en se libérant d’un certain nombre de servitudes que présentaient les appareils maniés par les anciens. Eh bien, cela n’a été possible que par suite de ces expériences anciennes, mais là où évidemment Gatti a raison, ce ne sont pas les expériences anciennes qui doivent nous arrêter, il faut passer par dessus et aller au-delà. Et où nous allons, je ne le sais pas très bien. Simplement, ce que je sais, c'est que, effec­ tivement, comme il a été dit plusieurs fois à cette tribime, grâce à ce progrès de la technique, et c’est quelque chose qu'il faut souligner, l’art cinématographique se libère des conditions indus­ trielles, des conditions commerciales qui le déshonoraient, et actuellement, on peut piesque le mettre entre toutes les mains. 37 C’est dire qu’il devient un cinéma qui sera bientôt véritablement un art. Que cet art, comme le disait Truffaut, soit un art d’au­ teur, c’est très possible, mais cet art d’auteur ne pourra exister que lorsqu’il sera en relation avec le public. Je veux terminer simplement en disant pourquoi le cinéma africain n’existe pas. •5 II n’existe pas pour une raison, c’est qu’il n’y a pas de public. e B C’est effectivement parce qu’il y a im spectateur de la Répu­ S blique Centre Africaine qui va au cinéma tous les siècles, qu’il B tt! n’y a pas de cinéma centre africain. Mais c’est grâce à ce pro­ grès technique qui se fait sous nos yeux, grâce à cette nouvelle ère qui s’ouvre, où la technique nous libère de la technique, qu’il va exister tm cinéma dans les pays qui justement en ont été particulièrement affamés.

GEORGES SADOUL. — L’heure est sans doute venue d'ar­ rêter là ce débat. Chacun se félicitera, à mon avis, de ces très libres échanges qu’il serait bon de lire et de relire quand ils seront publiés, en attendant d’autres occasions de nous ren­ contrer. PUBLICATIONS DE LA SEMAINE DE LA PENSEE MARXIST E Les grands débats à la mutualité

— LA DIALECTIQUE EST-ELLE UNE LOI DE LA PEN­ SEE OU UNE LOI DE LA NATURE ? Président : J. Orcel, Professeur au Muséum. Roger Garaucly, membre du Bureau politi­ que du Parti communiste français. Direc­ teur du Centre l'Etudes et de Recherches marxistes. Jean Hyppolite, Professeur à la Sorbonne, Directeur de l’Ecole Normale- Supérieure. Jean-Paul Sartre, Jean-Pierre Vigier, Maître de Recherches au C.N.R.S. Un recueil des textes est paru chez Plon, dans la collection Tribune Libre, sous le titre : Marxisme et Existentialisme.

— L'HISTORIEN FACE A SON TEMPS Président: Georges Cogniot, membre du Comité central du Parti communiste français. André Barjonet, membre du Conseil écono­ mique et social. Jean Bruhat, Maître assistant à la Sorbonne, Professeur à l’Institut d’Etudes politiques. Ernest Labrousse, Professeur à la Sorbonne, Directeur de l'Institut d'Histoire écono­ mique et sociale. Jean Fourastié, Directeur d’Etudes à l’Ecole des Hautes Etudes. Paru dans le n" 101 de La Pensée, le recueil de ces textes est disponible au C.E.R.M., soùs forme de brochure.

— HUMANISME ET PERSONNE HUMAINE Président : H. Jourdain, Directeur de la Revue Economie et Politique. Gilbert Mury, Agrégé de l’Université. Auguste Comu, Professeur à l’Université Hiimboldt. P. H. Chombart de Lauwe, Directeur d’Etu­ des à l’Ecole des Hautes Etudes. Le pasteur André Dumas, Professeur à la Faculté de Théologie protestante de Paris. Le recueil des textes paraîtra dans la collec­ tion Les Cahiers du C.E.R.M. 39 CONDUITES DE REVOLTE ET ACTION MILITANTE Président : Le docteur H. P. Klotz, médecin des hôpitaux de Paris, Professeur au Collège de médecine. MM. les docteurs Bonnafé, Duchêne, Nodet, médecins des hôpitaux psychiatriques. Georges Frischmann, membre du Bureau politique du Parti communiste français. Le recueil des textes paraîtra dans la collec­ tion Les Cahiers du C.E.R.M. K CLOTURE Bilan des débats : Humanisme et Dialectique par Roger Garaudy, membre du Bureau poli­ tique du Parti commimiste français, Direc­ teur du C.E.R.M. Conclusions: Le Parti communiste et la Culture par Waldeck Rochet, Secrétaire général adjoint du Parti communiste français. Parus dans Les Cahiers du Communisme de janvier, ces textes sont disponibles au C.E.R.M., sous forme de brochure.

Quelques-imes des contributions qrd ont servi de base de dis­ cussions aux groupes d'études, séminaires, etc... seront publiées dans la collection Les Cahiers du C.E.R.M., notamment : Guy Besse : La morale selon Kant_ et selon Marx. Henri Delorme : Le rôle économique du budget de l'Etat. Eugène Aubel : Evolution des conceptions sur les origines de la vie. Claude Frioux : Ma'iakovski, poésie et critique marxiste. Jean Desanti : Phénoménologie et praxis. Gilbert Mury : Un marxiste peut-il comprendre Pascal ? Dr Hersilie : Philosophie pavlovienne appliquée à l'obsté­ trique. etc... -

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