Journée de récollection du Monastère invisible

Conférence du Père Manaranche

Dimanche 10 février 2013 – Hauts de Seine

FRANZ STOCK (1904-1948)

Divisons en quatre épisodes l’évocation d’un personnage que vous désirez mieux connaître, pour le situer dans une époque importante et dramatique, celle des deux guerres mondiales et de leur entre-deux. Car la première moitié du 20ème siècle où il a vécu est riche en événements, en personnages et en conflits idéologiques, toutes choses dont le rappel est nécessaire pour bien comprendre le rude problème auquel il a été affronté.

1. LA JEUNESSE…

Franz naît en 1904 à Neheim en Westphalie, dans une région boisée proche du bassin industriel de la Ruhr et très catholique. Il est l’aîné de neuf enfants, dont trois mourront en bas âge. Le benjamin des six survivants, Heinz, un matelot, meurt en mer en 1942. La maman est dynamique, le père plus effacé, un peu sourd. Il fabrique des corbeilles en osier. On prie beaucoup en famille.

Franz est patriote mais pas nationaliste. Il aime son pays, travaille à son relèvement, mais veut ne pas s’y enfermer. Il commence par découvrir notre Finistère à Pont-Aven, le pays des « nabis » comme Maurice Denis, Renoir et Gauguin. Il a d’ailleurs un talent pour la peinture et s’en servira par la suite. La Bretagne lui semble un pays solide comme son granit, marqué par une attitude résistante. Ce qui se conjuguera chez lui avec une grande sensibilité et un cœur plein de bonté, s’exprimant par le regard attentif de ses yeux bleus. Il s’y trouvera en 1939, à la veille de la guerre. Franz pratique plusieurs mouvements de jeunesse : Neudeuschland (la nouvelle Allemagne), Wandervogel (les oiseaux migrateurs), mais surtout le Quickborn (la source vive), fondé en 1908 par trois prêtres, avec trois axes principaux : l’abstinence d’alcool, le folklore et la piété joyeuse. Sur ce groupe se fait sentir l’influence du théologien Romano Guardini. On y trouve aussi une « spiritualité de la route » comme chez Joseph Folliet, mais Franz pratique également la bicyclette. Il pousse jusqu’à Genève, la ville des bureaux internationaux (la SDN, le BIT) qui peuvent travailler a l’entente des peuples. En classe de 1ère, il lit l’encyclique de Benoit XV La paix du Christ dans le règne du Christ. Ce pape avait essayé - vainement - en 1917, année d’une révolution russe inquiétante, de faire cesser une guerre meurtrière, suivi en cela par le Bienheureux Charles de Habsbourg et son épouse Zita, mais cet appel sera repoussé, notamment en , où l’esprit public est revanchard depuis 1871, autant dans l’Etat que dans l’Eglise. On connait le surprenant discours du Père Sertillanges, un dominicain, dans l’église parisienne de la Madeleine, harangue au cours de laquelle l’orateur refuse catégoriquement du haut de la chaire, devant les autorités publiques venues pour la

Conférence du Père Manaranche- 2013 Page 1/8 circonstance, la paix demandée par le Pape. Pas de paix avec l’ennemi sans une victoire sur l’ennemi, et une victoire qui écrase la tête de ce dragon. En ces temps troublés, la guerre a ravivé le nationalisme des deux côtés de la frontière et dans tous les partis, même si certains courants de gauche se veulent résolument pacifistes à la suite de Jean Jaurès, assassiné à la veille du conflit le 31 juillet 1914. Ce nationalisme a imprégné l’Eglise de France, soucieuse de montrer son patriotisme a une République qui l’a exclue de la vie sociale lors de la Séparation de 1902 et veut prendre une revanche éclatante dans l’héroïsme de ses soldats. C’est la réaction du jésuite Paul Doncoeur, un poilu sorti des tranchées, qui s’affrontera dans sa Lettre célèbre au radicalisme de Edouard Herriot lorsque ce dernier voudra réactiver les lois d’expulsion au sortir du conflit de 14- 18. Tel est le contexte de l’entre-deux guerres dans lequel Franz Stock devra s’insérer, non sans mal, on va le voir. En 1926, Marc Sangnier, fondateur des Auberges de Jeunesse et du Sillon, réunit un grand congrès dans sa propriété de Bierville, dans l’Essonne. Ce grand bourgeois parisien est un catholique qui veut renouer avec la République laïque et qui s’est attiré le désaveu du Pape Pie X, auquel il s’est soumis humblement. Il a pour ennemi l’écrivain Charles Péguy, un homme d’origine très modeste (sa mère était rempailleuse de chaises), converti à la foi catholique et féru de la chrétienté médiévale, celle de Jeanne d’Arc, un soldat valeureux qui mourra en Champagne en 1914. Péguy deviendra un idéal pour le jésuite Paul Doncoeur, lequel entrainera les jeunes sur la route de , lieu de sa conversion, et sur les champs de bataille de l’Est, lieu de son trépas. A ce rassemblement de Bierville ou se rend spontanément Franz Stock, près de 10.000 jeunes se trouvent réunis. Mais le Père Jacques Sevin, lui, n’a pas voulu que ses Scouts de France viennent à ce congrès teinté de politique, pour garder au mouvement son but éducatif et ne pas se faire accuser par ses commissaires, très Action Française, qui finiront quand même par avoir sa peau en 1930. Franz Stock ignorait sans doute ces débats propres à l’Eglise de France. Le thème de ce congrès est La paix par la jeunesse. C’est là que Franz rencontre Joseph Folliet, qui va fonder peu après les Compagnons de François auxquels il appartiendra. Il est bon de remettre en mémoire cette période qui précède la seconde guerre mondiale et explique bien des choses dans l’âme de Franz. Franz, qui vient d’avoir son abitur, est entré au séminaire de , diocèse dont le patron est saint Liboire, Evêque du Mans (les deux Eglises entretiennent de bonnes relations, encore aujourd’hui). Mais il veut faire une partie de ses études en France, chose inhabituelle et audacieuse : un Allemand, un « Boche », à la Catho de , c’est alors impensable ! En 1928, Franz a les autorisations. Il est condisciple de Joseph Folliet, qui pensait alors à la prêtrise, mais auquel Monsieur Verdier, le futur cardinal, conseillera de rester laïc, avec cette boutade « trop intelligent pour faire un curé ». Plus tard, le vent ayant tourné dans la crise de 68, il sera prêtre du Prado à 65 ans, pour requinquer un sacerdoce alors en pleine débandade. A la Catho, Franz subit sans les relever des gestes inamicaux venus des étudiants français. Ce climat hostile sera encore plus fort après la Libération, nous le verrons. Il nous faut connaitre cette triste histoire, vécue par un prêtre voué de toutes ses forces a la réconciliation, jusqu’à devenir aumônier des ennemis de son pays. En 1929, année de la grande crise économique qui sera la source du nazisme allemand et du Front Populaire français, Franz retourne au séminaire de Paderbom, ce qui est la règle. Il entreprend de traduire en allemand le livre Le Christ dans la banlieue du Père Lhande, un jésuite, qui raconte la mission parmi les chiffonniers de la « zone » qui entoure Paris jusqu’à ses fortifications d’alors - « Notre-Dame de la Mouise », titre un film pittoresque - ce qui montre son souci missionnaire pour le monde ouvrier européen. La pastorale des pauvres le tourmente : il ne

Conférence du Père Manaranche- 2013 Page 2/8 perd rien pour attendre, mais, avec les condamnés à mort, ce sera une autre forme de pauvreté bien plus radicale ! A l’été 1930, c’est le pèlerinage international des Compagnons en Savoie : le groupe passe par l’abbaye de Tamié, par Lyon (en mémoire de Frédéric Ozanam, qui sera béatifié par Jean-Paul II aux JMJ de 1997), par Notre Dame Saint Alban, chez l’abbé Rémilleux, qui est l’un des rénovateurs de la liturgie paroissiale... Réactions diverses du clergé français devant ce pèlerinage insolite qui heurte la mentalité de certains. Franz passe au 21 rue Lhomond, l’aumônerie allemande ou il habitera plus tard. En 1931, c’est la tournée du même groupe au Luxembourg et en Allemagne. Le thème est La paix internationale, sujet de plus en plus préoccupant. « La guerre est un horrible péché », dit notre ami. Le 12 mars 1932, Franz est ordonné prêtre à Paderborn et reçoit un premier ministère qui sera très court. Car, en 1934, il est nommé a Paris comme recteur de la Mission allemande. Il habite au 21 rue Lhomond avec sa sœur Franziska. Il y a maintenant une plaque sur cette demeure, toute proche de la Maison Mère des Missionnaires Spiritains, mais le logement est devenu une propriété privée dont les occupants acceptent parfois qu’on le visite si c’est avec discrétion et en le demandant gentiment. La Mission regroupe des Allemandes travaillant en France, des secrétaires et des employées de maison notamment, mais surtout des opposants au nazisme qui veulent fuir ce régime. De passage en France avec son mari, ministre des Affaires Etrangères de Hitler, qui sera condamné à mort par le tribunal de Nuremberg en 1945, Madame von Ribbentrop s’étonnera de tant de personnes, non enregistrées au consulat d’Allemagne, et Franz s’en tirera en lui disant que ce sont des Alsaciens, ce que la dame interprètera sottement comme un rayonnement de l’Allemagne nazie !

2. LA GUERRE

En octobre 1940, Paris est occupé, à la consternation du peuple français, contraint de supporter, avec la défaite, des défilés triomphalistes qui martèlent le pavé et des croix gammées monumentales qui drapent les édifices. La paroisse allemande est faite de militaires qui fréquentent l’église de la Madeleine, risquant ainsi de devenir l’aumônerie de l’occupant. De Gaulle a parlé depuis Londres. La Résistance s’organise.

Trois hommes, Doornik, Barlier et d’Estienne d’Orves, trahis par leur radio Marty alors qu’ils espionnaient la Kriegsmarine, sont arrêtés et condamnés à mort, ainsi que le dénommé Bonsergent, qui n’avait rien commis, mais il faut faire un exemple pour enrayer d’un coup ce mouvement. Dix prisonniers commencent une horrible boucherie qui abattra environ 4.500 fusillés. D’Estienne d’Orves demande comme ultime faveur que Franz lui apporte l’Eucharistie dans sa cellule et prenne avec lui un dernier petit déjeuner, ce qui lui est accordé. Au Mont Valérien, on lui laisse les mains libres : il s’avance alors pour serrer dans ses bras l’officier qui commandait le feu et qui n’a fait que son devoir, geste émouvant. Son épouse mourra en janvier 2007 à l’âge de 99 ans. Notons pourtant que Franz Stock n’aimait pas les résistants : il voyait en eux des terroristes qui vous tirent dans le dos sans honneur, ce qu’il détestait. Mais il comprenait qu’ils se livrent au sabotage ou à l’espionnage et il ne les questionnait jamais sur les raisons de leur arrestation.

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C’est alors que l’abbé Stock va trouver Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne à Paris, qu’il connait déjà. C’est un non-violent, disciple de Ghandi et très francophile de formation, surtout au point de vue culturel. Abetz lui permet de visiter les prisonniers. Hofer, aumônier général des armées allemandes, régularise sa situation auprès du général Otto von Stülpnagel, commandant du Gross Paris de novembre 1940 à février 1942. C’est cet homme, un protestant de Prusse, que l’abbé Loewenich, le futur adjoint de Franz, osera réveiller en pleine nuit à l’hôtel Meurice pour lui demander qu’un rabbin puisse venir assister d’urgence 80 otages, dont 18 Juifs, avant leur exécution le lendemain matin. Et le général de lui répondre : « Vous êtes prêtres : allez-y vous-mêmes ! ». Stock et Loewenich avaient, grâce à l’intervention du Cardinal Suhard, obtenu la grâce de 20 condamnés. Sans diminuer aucunement le mérite de Franz, celui-ci n’aurait pas pu échapper aux menaces constantes de la Gestapo et des SS sans la présence de cet Allemand chrétien qui le couvrait de son mieux avec prudence. Le général fut arrêté par la France en 1946 et enfermé à la prison du Cherche-Midi, qui avait été celle de tant de résistants ! Condamné à mort pour avoir signé de nombreuses exécutions d’otages, il se pendit dans sa cellule en février 1948. Ne pas le confondre avec son homonyme, son cousin Heinrich, qui le remplaça à Paris au même poste en février 1942. Cet homme fit partie de la conjuration militaire qui tenta de tuer Hitler le 20 juillet 1944. Ce jour même, il fit arrêter les chefs SS de Paris, mais dut les libérer quand on sut l’échec du complot. Convoqué aussitôt en Allemagne, il fit arrêter sa voiture à Verdun, près du Morthomme, où il avait commandé un bataillon en 1916 et tenta de se suicider. Il ne réussit qu’à se rendre aveugle, fut soigné en Allemagne et pendu, comme Dietrich Bonhoefler. En soutane avec un brassard de la Croix Rouge, ou bien en clergyman, mais jamais en tenue militaire (contrairement à Loewenich), Franz assista près de 2000 condamnés à mort, au Cherche- Midi, à la Sante ou à Fresnes (où il se rendait de bon matin à bicyclette, malgré la distance). En février 1941, il rencontra donc d’Estienne d’Orves. La prison du Cherche-Midi jouxte l’église jésuite Saint Ignace d’où venaient des effluves de musique liturgique... Franz est d’abord suspect comme Allemand : on l’accuse même de trahir le secret de la confession pour dénoncer ceux qui lui font des confidences et il souffre horriblement de cette calomnie. Même Edmond Michelet se méfie de lui au début, jusqu’à ce qu’il comprenne : un jour, Franz entre dans sa cellule et lui donne des nouvelles de sa femme et de ses enfants, afin de le rassurer (car on lui dit des mensonges à leur sujet pour le faire craquer) ; il le fait en glissant ces informations bribes par bribes dans un Ave Maria, sur le ton de la récitation, pour les soustraire aux SS qui écoutent sur le pas de la porte.

Franz est dans l’illégalité : dans sa serviette, il glisse un tas de choses, du chocolat et des lettres, celles qu’il apporte et celles qu’il remporte, et les SS le savent bien, mais ils ne peuvent rien contre lui, ce qui ne veut pas dire que Franz ne risque rien et sait qu’il ne risque rien. Il respecte la liberté des gens, réveille la foi, se met en contact avec les familles, dit la messe au matin de l’exécution puis, assis avec eux sur les cercueils, accompagne les condamnés dans le camion militaire en priant et en chantant, jusqu’à la sinistre clairière du Mont Valérien, un endroit qu’on ne peut voir et d’où ne sort aucun bruit. Mais en finale du parcours, les malheureux tentaient parfois d’ameuter la population en hurlant « au secours ! », et, après leur exécution, malgré les précautions prises, les cercueils mal étanchéifiés laissaient souvent une trace sanglante derrière les camions qui les transportaient jusqu’à la fosse. Le quartier pouvait-il ignorer totalement ce qui se perpétrait en ce lieu, mais qu’était-il possible de faire ?

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Les exécutions sont horribles, parfois vingt à la suite ou cinq à la fois. Il y a dans la clairière cinq rangées de cinq poteaux d’exécution chacune, et les poteaux doivent être changés souvent, tellement ils sont criblés de balles. Franz assiste à ces massacres derrière les bourreaux et face aux condamnés, comme le montrent certaines photos d’époque. Il pleure en revenant, même en disant sa messe. Franz se sait surveillé mais ne bronche pas. Après, il va voir les familles le plus discrètement possible ou bien les reçoit rue Lhomond. Calvaire de cet homme, que consolent toutefois de beaux gestes et des conversions. Car il y a beaucoup de montées spirituelles. Il est discret en confession et conseille à tel ou tel de ne pas lui dire ce qui touche à son arrestation : qu’il se contente d’y penser et Dieu lui pardonnera ! Gabriel Péri - il a 39 ans en 1941, il est journaliste et député communiste ; ils se connaissaient auparavant - lui confie son alliance pour qu’il la remette à son épouse. C’est La rose et le réséda, poème du communiste Aragon, montrant la communion dans le sacrifice de Honoré d’Estienne d’Orves et de Gabriel Péri, « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas ». Franz tient tout cela dans un Journal sans nom, ponctué d’exclamations indignées. Son cœur en prend un coup, il a des insomnies et il maigrit. Et, le dimanche, il doit célébrer la messe pour la Wehnnacht dans l’église de la Madeleine en subissant des chants triomphants. Contraste éprouvant pour un homme épuisé, dans la tête duquel surgissent des scènes horribles sur fond d’orgue et de cantiques. Franz rencontre l’abbé Le Meur, arrêté et évadé avec 44 autres détenus, en partance pour les camps de concentration (l’abbé avait sauté le premier du wagon en marche). Ce prêtre sera plus tard l’aumônier des prisonniers politiques et des prisonniers de guerre allemands, avec l’abbé Rhodain, fondateur du Secours Catholique. Tous deux pratiquent le ministère de Franz dans la réciprocité, ce qui donne une haute idée du sacerdoce et de l’Eglise. C’est l’abbé Le Meur qui aura l’idée du Séminaire des Barbelés.

3. APRES LA GUERRE

Arrive alors à Paris le général von Choltitz qui résiste à Hitler comme il peut, retarde ses plans et ses ordres formels (« Paris brûle-t-il ? »), et, après bien des manœuvres, soulignées par des historiens consciencieux, signe la capitulation à la gare Montparnasse. Franz, qui est maintenant prisonnier, va s’occuper des blessés allemands à la Salpêtrière. Il reste plusieurs jours sans se déshabiller ni se coucher. Alors que les Résistants FFI veulent liquider sans pitié tout ce qui est Allemand, l’un d’eux, un ancien de Fresnes, reconnaît Franz - « Oh ! Monsieur l’abbé ! », s’écrie-t- il en le voyant - et interdit qu’on s’en prenne à lui. Et Franz est épargné de justesse. Franz, qui aurait pu être rapatrié en Allemagne, se constitue prisonnier volontaire à Cherbourg en septembre 1944, dans un camp surpeuplé où l’on s’entasse comme du bétail. Il obtient un laisser passer pour Paris, où il rencontre le Cardinal Suhard, l’abbé Rhodain et l’abbé Le Meur. Il rentre au camp en s’arrêtant à Lisieux pour dire la messe près de sainte Thérèse. Au camp, on monte une tente-chapelle. On ne sait si Franz est aumônier ou prisonnier comme les autres. Il prend contact avec les trappistes de Bricquebec, tout proches. C’est alors qu’il découvre l’existence des camps de la mort et il en est couvert de honte. Il souffre de la haine des Français contre les PG allemands, qui font les frais du nazisme.

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C’est à ce moment-là que l’abbé Le Meur propose à Franz l’idée du Séminaire des Barbelés. Franz se rend à Paris, rencontre le Cardinal Suhard et le nonce en France Angelo Roncalli. Les autorités militaires acceptent le projet. Tout commence à Orléans, dans un étage de caserne où s’entassent 50 jeunes. Le garant est le commandant Laurent Gourut, un catholique. Il faut accorder aux séminaristes une dispense des travaux manuels pour qu’ils puissent étudier, ce qui cause de la jalousie entre PG. Franz commence ses cours le 30 avril 1945. Il assure la liturgie, l’histoire et le français. On manque de professeurs diplômés : il faut faire venir des volontaires. L’armistice est signé le 8 mai. Le commandant est très sympathique : il a lui-même été prisonnier en Allemagne. Puis Laurent Gourut est nommé lieutenant-colonel à Chartres, et l’on y déplace le séminaire, au camp tout proche du Coudray-Morancé. Mgr Harscouet se montre accueillant : il prend un risque, en recevant un séminaire bien plus grand que le sien et en se montrant courtois avec l’ennemi, d’autant que l’épiscopat français est accusé de collaboration avec le nazisme ou de sympathie pour le maréchal Pétain, ce à quoi résiste de son mieux l’astucieux Angelo Roncalli, qui demande avec sa bonhomie coutumière tous les documents nécessaires puis le temps de les éplucher pour se faire une idée. Une manière de gagner du temps et d’enterrer le problème. Finalement, trois évêques seulement seront destitués. A la Pentecôte 1945 naît le « Séminaire des Barbelés », dépôt 501, bloc 1. Il y a de l’espace. On commence avec 40 jeunes et l’on crée d’abord une infirmerie, car il y a des malades, dont Franz lui-même. Du séminaire l’on voit les flèches de la cathédrale. Mgr Harscouet vient le lendemain et nomme l’abbé Johner, un aide précieux.

La comtesse de Malherbe offre son château du Thieulin pour la détente des séminaristes, mais cela heurte les gens du pays, agacés de voir des PG allemands aussi bien traités, et il faut stopper l’expérience. Franz ira quand même s’y reposer un mois car il n’en peut plus. Visites de l’abbé Le Meur et du nonce Roncalli, accueilli comme un envoyé du Pape. On rafistole, pour l’asseoir, un fauteuil auquel il manque un pied ! Visite aussi de l’abbé Stourm, futur archevêque de Sens, du Père Congar, dominicain qui sera expert à Vatican II puis cardinal (il mourra aux Invalides d’une sclérose en plaques), de Jean de Pange et d’autres personnalités moins connues. L’institution reçoit des livres et des revues, du ravitaillement aussi. Franz peint la chapelle, il introduit la musique, le théâtre et l’humour. Mais il instaure un règlement de séminaire qui rompt avec l’esprit caserne. Il demande le silence autant qu’il est nécessaire. On organise des visites de la cathédrale, discrètes et en petits groupes, avec la promesse rigoureuse de ne pas s’évader, et il n’y aura pas une seule évasion. Passage de Edmond Michelet, ministre des Armées et ancien d’Auschwitz, un 14 juillet, avant le défilé traditionnel sur les Champs Elysées, qui a enfin repris pour effacer les spectaculaires et humiliantes manifestations allemandes, mais la date est significative d’une grandeur d’âme qui entend associer les deux peuples plutôt que les opposer.

On commence quelques ordinations : en tout 600 prêtres auront passé par le Séminaire des Barbelés. Puis c’est le départ de Laurent Gourut, nommé colonel, et le dépôt est dissous le 1er mai 1947. Stock fait longuement ses adieux aux partants, eux ravis de partir et lui restant seul une fois la tâche accomplie. Les photos immortalisent ce moment poignant. Franz aura bien porté son nom, car, en allemand, Stock signifie le « bâton » sur lequel s’appuie le marcheur.

4. LA FIN

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Franz se retrouve alors seul à Paris et il attend sa libération, car il est toujours PG. Il loge rue Lhomond dans une semi-liberté, car on lui refuse sa carte d’identité. Son cadavre lui-même ne sera rendu à la liberté qu’en 1951. Franz est nommé docteur honoris causa en théologie par l’université de Fribourg le 16 décembre 1947, et cela lui réchauffe le cœur. Il meurt en étouffant, à l’âge de 43 ans, à l’hôpital Cochin, sans aucune considération de la part d’un directeur communiste. Il est interdit de faire savoir la date de ce décès ni celle des obsèques. Elles ont lieu à l’église parisienne Saint Jacques du Haut Pas le 28 février 1948. Une centaine de personnes ont été prévenues par téléphone et sont venues, parmi lesquelles Mgr Roncalli, l’abbé Rhodain, Edmond Michelet, Francisque Gay et Mgr Beaussard (qui représentera le cardinal Suhard). Mais Joseph Folliet fera un grand article sur l’abbé Stock dans le journal Témoignage chrétien, issu de la Résistance et portant bien son nom. Franz est enterré au cimetière de Thiais parmi les soldats allemands, dans une pauvre tombe, avec un tertre de sable et une croix de bois.

Le premier geste officiel sera une messe aux Invalides l’année suivante, le 3 juillet 1949, avec une homélie de Jean Pihan, ancien de Fresnes, un Fils de la Charité très lié aux Cœurs Vaillants. Mais, la même année, on projette de transporter tous les corps allemands dans une fosse commune en province, et l’abbé Le Meur obtient de justesse une exception pour Franz, dont la tombe demeure sur place envahie par les herbes, à l’abandon. Une honte pour les anciens du séminaire revenus en France pour faire un pèlerinage et trouvant cette abomination infligée à un homme qu’ils admirent ! Alors, après qu’une souscription ait été faite en faveur d’une tombe définitive, c’est une nouvelle inhumation en privé le 15 août 1951. Le cardinal Feltin bénit cette tombe le 27 octobre suivant, et le Père Riquet, un ancien déporté jésuite du camp de Mauthausen, fait l’homélie. Madame Stock et Franziska sont là, en pleurs. C’est de cette façon que le corps de Franz est enfin rendu à la liberté et à l’honneur qu’il mérite. La même année, le 1er avril, Mgr Harscouet a érigé une nouvelle paroisse à Rechèvres, dans la banlieue ouvrière de Chartres, et il l’a confiée aux Pères Maristes. Faute d’argent, on démonte une baraque de l’ancien camp pour en faire l’église paroissiale provisoire, en attendant mieux. Après une souscription auprès des anciens du séminaire, Jean XXIII étant devenu Pape, c’est l’offrande d’un calice, d’un ciboire, d’une croix et de deux autels. Dans l’un d’eux se trouve un coffret avec le nom des 949 séminaristes formés à Morancé. Puis c’est la construction d’une église de la paix, consacrée le 24 septembre 1961. Eglise hexagonale avec de beaux vitraux dessinés par le maître-verrier Max Ingrand, qui a vécu longtemps sur la paroisse. On va y ramener le corps de Franz, toujours à Thiais. Il est exhumé le jeudi 13 juin 1963 et mis dans un nouveau cercueil, l’ancien demeurant sur place. Le monument offert par la Résistance est transféré dans l’église de Rechèvres. A Thiais on le remplace par une pierre tombale qui mentionne le nom de l’abbé. Le surlendemain, samedi 15 juin 1963, le corps de Franz arrive à l’église de Rechèvres, porté par des anciens du séminaire des Barbelés et des anciens déportés. Il y a foule. En soirée, la nuit et le lendemain, plus de 2000 personnes sont venues prier, de France et d’Allemagne, en chantant dans les deux langues. C’est la réconciliation de deux peuples. Sont présents le maire de Chartres, l’ambassadeur d’Allemagne, Edmond Michelet, Mgr Michon le nouvel Evêque, un Versaillais que j’ai bien connu. Est lu publiquement un télégramme du pape Jean XXIII, qui est venu souvent en ces lieux. Sur la place, qui porte maintenant le nom de Franz Stock, sont exécutés les deux hymnes nationaux. Plus tard le maire de Suresnes donnera lui

Conférence du Père Manaranche- 2013 Page 7/8 aussi le nom de Franz Stock à la grande place du Mont Valérien qui se trouve devant le Mémorial et que surmonte une grande Croix de Lorraine. Donc réparation est faite d’une longue injustice. Le grand hall de béton de Coudray-Morancé qui abrita le séminaire (avec des baraquements en bois aujourd’hui disparus) a été acquis par l’association Franz Stock pour devenir un lieu de pèlerinage encore trop modestement fréquenté. Il comportait la chapelle du séminaire (toujours en fonction, avec le Saint Sacrement au tabernacle), le dortoir (qui était fait de châlits superposés aujourd’hui démontés et détruits) et le réfectoire. Dans la chapelle, isolée du reste par une cloison, se trouvent les peintures dessinées par Franz, notamment les patrons de la France et de l’Allemagne, saint Michel et , une descente de croix où la Vierge Marie a les traits de sa maman et divers souvenirs, parmi lesquels un confessionnal de la rue Lhomond qui entendit bien des confidences avec ou sans le sacrement du pardon. Ces lieux étaient en hiver de véritables glacières mal chauffées. La nourriture était sommaire, pas meilleure que dans le reste du camp, à un âge où les jeunes ont faim. Les séminaristes assuraient le quotidien de leur lessive, du reprisage de leurs vêtements, du ressemelage de leurs chaussures et de leur infirmerie. Mais la joie n’était pas absente, avec du sport, du théâtre et des concerts, et surtout de la bonne humeur.

Il est émouvant de visiter ce hall-séminaire, qui se trouve en bordure du camp parmi d’autres constructions identiques, louées depuis à des entreprises commerciales cherchant des entrepôts pour garer leurs produits ou leurs camions. C’est un lieu où la grâce a passé et qu’ignorent encore trop de gens, venus seulement pour visiter la superbe cathédrale. Ne manquez pas d’y aller un jour pour équilibrer l’image tragique du Mont Valérien et comprendre en sa totalité l’œuvre de l’abbé Stock. Un excellent accueil vous y attend, qu’il est possible de préparer par téléphone. Le bus n° 7 mène de la gare de Chartres SNCF au Séminaire des Barbelés, où vous trouverez les documents dont je vous donne la liste en finale.

BIBLIOGRAPPHE

Erich Kock, l’abbé FS, Casterman 1966 (traduction de Pallemand) René Closset, mariste, FS aumônier de l’enfer, Sarment 1992 Raymond Loonebeck, FS, la fraternité universelle, Desclée De Brouwer 1992. Un ouvrage où la jeunesse de FS est soigneusement étudiée. Jacques Perrier, évêque de Chartres Ludovic Lécuru, moine de Saint Wandrille, pour les jeunes. Ajouter le DVD intitulé Le Séminaire des Barbelés (éditions Jade, images d’époque en noir et blanc, prises avec un matériel de fortune) et un autre Franz Stock, le saint homme, une vie pour la réconciliation (un montage KT O) d’excellente qualité, avec des interviews significatifs et des photos suggestives.

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