be style be heritage be .brussels be style be heritage be .brussels Numéro spécial Journées du Patrimoine Région de Bruxelles-Capitale be style Septembre 2016 | N° 19-20 be heritage be .brussels Dossier RECYCLAGE DES STYLES POPULAIRE OU ÉLITAIRE ? DIX EXEMPLES D’ARCHITECTURE DOSSIER POSTMODERNE À BRUXELLES

CHRISTOPHE VAN GERREWEY EPFL/UGENT

Gulliver II, SWIFT – Ricardo Bofill, Constantin Brodzki (Terhulpen, 1989) (© Ricardo Bofill, taller de arquitectura). AU SORTIR DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, LE MODERNISME A PERDU DE SA PUGNACITÉ ET SE RÉSUME SOUVENT À UN ÉVENTAIL DE FORMULES MANQUANT DE LA FORCE ET DE L’INNOVATION DE JADIS. À partir des années 1960, les architectes se mettent donc en quête de nouvelles formes d’architecture, plus proches du citoyen, plus proches de la réalité de la cité historique. Le terme « postmodernisme » apparaît en 1975. Un concept qui charrie bien des éléments, mais qui est néanmoins associé surtout au langage esthétique souvent superficiellement historisant et au luxe tape-à-l’œil des immeubles de bureaux et des hôtels. Cet article resitue la polyvalence et la complexité du concept sur la base de dix exemples bruxellois.

Qu’entend-on par architecture post- contraste entre le nouveau et l’an- avec d’autres possibilités ou des moderne ? La réponse est simple : cien. Le rêve d’améliorer la ville et le visions d’avenir révolutionnaires, les c’est l’architecture d’après le monde au moyen de l’architecture et architectes cherchent une connexion Mouvement moderne – d’après la de l’urbanisme a été abandonné pour à la « réalité » de la ville et de la vie. génération mythique et héroïque de faire place à une approche pragma- À mesure que le XXe siècle touche à l’entre-deux-guerres, avec comme tique et efficace. sa fin, cette réalité semble de plus en figures de proue Le Corbusier, plus prégnante. Les recettes postmo- Mies van der Rohe et Frank Lloyd Ses manifestations contradictoires dernes se déclinent à la chaîne, et le Wright. Le théoricien littéraire se retrouvent sans exception dans postmodernisme en architecture – à

Fredric Jameson a résumé la le Bruxelles de l’après-guerre. La la fois comme terme et comme stra- Journées du Patrimoine chose dans son classique de 1991, définition de l’architecture postmo- tégie – devient superflu. Postmodernism, or, The Cultural Logic derne en tant que style – un art de of Late Capitalism. Il affirme que construire luxueux du grand capital et « the populist aspect of the rhetorical de l’apparence, avec ses façades his- 1. MAISON DURIEU defense of Postmodernism against torisantes et sa présence imposante – Jacques Dupuis the elite (and Utopian) austerities of s’applique à quantité d’immeubles de (Molenbeek-Saint-Jean, the great architectural modernisms: bureaux et d’hôtels. Ce sont précisé- 1954) (fig. 1a, 1b et 1c) it is generally affirmed, in other words, ment ces réalisations qui entachent that these newer buildings are popu- le postmodernisme. Les architectes À l’issue de la Seconde Guerre mon- lar works, on the one hand, and that se détachent toutefois également de diale, le modernisme se résume they respect the vernacular of the l’architecture moderniste par d’autres souvent à un ensemble de formules city fabric, on the other ; that is to biais, par exemple en redynamisant sans la force et l’innovation d’antan. say, they no longer attempt, as did the le langage esthétique de l’intérieur, Jacques Dupuis (1914-1984) est un masterworks and monuments of high en impliquant les habitants dans le de ces architectes qui tentent d’insuf- N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

modernism, to insert a different, a dis- projet, en proposant des construc- fler une nouvelle vie dans le langage tinct, an elevated, a new Utopian lan- tions plastiques et symboliques ou en architectural, sans ambitions sociales guage into the tawdry and commercial embrassant la métropole de la fin du ou intellectuelles démesurées. Outre sign system of the surrounding city, but XXe siècle d’une manière optimiste. des églises, des écoles et des com- rather they seek to speak that very lan- Dans chacun de ces cas, l’architec- plexes de logement, il construit sur- guage, using its lexicon and syntax » 1. ture navigue entre une approche tout des habitations. Son travail est L’architecture postmoderne ne prend populaire et une approche populiste. ludique, enjoué et caractéristique

plus appui sur l’opposition ou sur le Plutôt que de confronter la société de l’optimisme des années 1950, qui BRUXELLES PATRIMOINES

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s’exprime de manière spectaculaire à l’Expo 58 à Bruxelles. L’architecte- poète Albert Bontridder (1921-2015), qui collabore avec Dupuis, formule la chose comme suit : « C’est qu’il n’y a aucune arrogance dans sa manière de bousculer les alignements, de retracer les gabarits, de prendre ses distances avec les règlements et les usages. Ouvrir un angle, conduire une diagonale, bloquer un parcours, percer une perspective ne sont pour lui que des gestes anodins, des clins d’œil, une façon d’échapper au sérieux des choses et des raisons» 2.

La maison Durieu est à première vue une maison de rangée banale, large de six mètres et profonde de douze. Elle fait partie d’un trio d’ha- bitations que Dupuis construit pour des maîtres d’ouvrages parmi ses connaissances 3. La répartition des volumes est elle aussi très simple : un rez-de-chaussée avec entrée et garage, une salle de séjour et une cuisine au premier étage et trois chambres à coucher et une salle de bains au deuxième étage. L’escalier part du vestibule et mène à un hall vitré. Un deuxième escalier, dans le séjour, conduit à l’étage supérieur.

Le raffinement des finitions est frappant. Chaque déplacement, chaque utilisation est subtile, mais aussi élégante et singulière. On ne trouve nulle part d’angle droit ni de solution standard. Il n’y a pas d’élé- ment – cheminée, escalier, lambris, armoire, plafond, éclairage, balcon, poignée de porte, parterre – que Dupuis n’ait dessiné de sa main.

Le résultat n’a rien d’oppres- sant, comme dans certaines réa- lisations totales et fusionnelles de l’Art nouveau, où l’architecte crée même les pantoufles des habitants. L’architecture s’y veut au contraire

Fig. 1a, 1b et 1c un décor soigné, jamais envahis- Maison Durieu, rue de la Fraîcheur 26, Molenbeek-Saint-Jean, arch. Jacques Dupuis, sant et toujours utile – un paysage 1954 (© Marius Grootveld). d’habitation plein d’entrain, toujours

134 présent, mais qui ne domine jamais de Belgique. C’est la seule réalisa- guerre se retrouvent soudain les l’usage. C’est précisément cela qui tion belge dans la première édition mains vides. vaut à l’œuvre de Dupuis l’étiquette de The Language of Post-Modern de postmoderne : elle dépasse le Architecture de Charles Jencks Kroll a certes tenté de combler le fonctionnalisme en faisant de l’archi- (1939). Jencks peut même dater le fossé entre le public et l’architec- tecture l’objet de sa propre création. début du postmodernisme : le 15 ture par le biais de la participation. Geert Bekaert écrit sur un «postmo- juillet 1972 marque la mort de l’ar- La Maison Médicale (la Mémé) a été dernistische mengeling van alle moge- chitecture moderne lorsqu’un com- conçue avec les étudiants. Les futurs lijke stijlen en vormen»: « Dupuis wil plexe d’habitation moderniste des habitants sont répartis en petits de architectuur van haar dwangma- années 1950 est dynamité à Saint- groupes et peuvent se mettre au tigheid, haar zwaartekracht ontdoen, Louis. 5 Il utilise pour la première fois travail avec du polystyrène expansé. en is zo een verre voorloper van het le terme postmodernisme lors d’un Kroll joue le rôle de « chef d’or- deconstructivisme. »4 congrès à la Technische Hogeschool chestre » et regroupe les étudiants en 1975 6, et il a, depuis lorsque les divergences de vues lors, interprété cette mouvance deviennent trop vives. Il en résulte 2. LA MAISON MÉDICALE comme une crise, ou encore comme un bâtiment chaotique, où aucune Lucien Kroll une tentative de résoudre une crise. chambre n’est identique à une autre (Woluwe-Saint-Lambert, Dans les années 1960 et 1970, les et où doit s’exprimer l’individualité 1976) (fig. 2a et 2b) architectes se rendent compte que des habitants. Le pluralisme visé est le public n’a absolument plus cure critiqué, tout comme l’égalité suppo- La Maison Médicale de Lucien de leurs créations. Si la génération sée entre habitant et architecte et le Kroll (1927), logement pour étu- moderniste utilisait encore avec bâtiment fantasque autant qu’étran- diants en médecine, est un des plus assurance un langage architectural ger qui doit en être la transposition. célèbres édifices postmodernistes propre, les architectes de l’après- « Participation and individualism have Journées du Patrimoine N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

Fig. 2b

La Maison Médicale Université catholique de Louvain, Woluwe-Saint-Lambert, arch. Lucien Kroll, 1976. 2a : Vue extérieure (Ch. Bastin et J. Evrard © SPRB) ; 2b : Vue intérieure (© Lucien Kroll).

Fig. 2a BRUXELLES PATRIMOINES

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produced a witty environment, which van improvisatie en in haar procesma- Dodenstad (1935) sont des fantasmes only lacks normality. One longs for a bit tige opbouw een star beeld. »8 au sujet d’une réorganisation socia- of straight Modernism here »7 , écrira liste de la société. Le quartier du Kiel Jencks à son sujet. Geert Bekaert se à Anvers (1951-1958) présente lui montre négatif au sujet de la tentative 3. RECTORAT DE LA VUB aussi pour ainsi dire toutes les carac- de Kroll, qui estime – dans le sillage Renaat Braem téristiques de l’architecture résiden- de mai 68 – être sur un pied d’égalité (Ixelles, 1978) (fi g. 3a à 3d) tielle moderniste : pilotis, espace avec les étudiants, mais les enferme public, construction à ossature béton, néanmoins dans une forme crispée : Reprendre Renaat Braem (1910- galeries ouvertes et unités d’habita- « De inspraak in de vorm van deze 2001) dans un aperçu d’architecture tion standardisées. architectuur is grotendeels verzonnen, postmoderne semble chose impro- en, zoals de architectuur zelf, een bable. Braem effectue un stage chez Pourtant, Braem n’a jamais été un mythe. Of deze architectuur democra- Le Corbusier et devient membre des chantre de l’abstraction, de la sim- tischer, vrijer of spontaner is, blijft een Congrès internationaux d’Architec- plicité et de la répétition. Dès les open vraag. Ze blijft in haar suggestie ture moderne. La Lijnstad (1934) et la années soixante, il se lance dans un

3a 3c

3b 3d Fig. 3a, 3b, 3c et 3d Rectorat de la VUB, boulevard de la Plaine, Ixelles, arch. Renaat Braem, 1978 (J. Pollers © VUB).

136 jeu de formes biomorphes et dans un langage architectural qui ne suit pas la mécanisation abstraite de la pro- duction industrielle, mais s’inspire des formes organiques et naturelles. C’est aussi cela, le postmodernisme : une tentative de ne pas exploiter la technologie, mais de créer une situation en deçà ou au-delà de la logique de l’ère mécanique. En 1971, dans le catalogue de l’exposition La Construction en Belgique, Braem écrit : « Liefde drukt zich slechts uit in een extra-utilitaire inhoud van de ruimte, gevat in een expressieve vorm. Indien zij niet aanwezig is blijft het gebouw een dode hoop materiaal, zelfs indien dit materiaal constructief en functioneel, in teamwork en met com- puters verwerkt is. » 9

Cette architecture plastique totale en brique et en béton, il la trans- Fig. 4 pose dans des habitations, comme Carrefour de l’Europe, Bruxelles, projet Team Hoogpoort, 1983 (© Team Hoogpoort). la maison Alsteens à Overijse (1966- 1969), mais aussi dans le bâtiment du rectorat de la Vrije Universiteit 4. CARREFOUR DE L’EUROPE (1959) et Arjan Karssenberg (1955) – Brussel (1971-1976). La forme se Team Hoogpoort collaborent au sein du Team veut symbolique et curative. Le (Bruxelles, 1983) (fig. 4) Hoogpoort. Le titre de leur projet : plan est une ellipse, pas un cercle « Le triangle en tant qu’objet trouvé ».

(avec un seul centre, donc moins En 1983, l’Académie royale décide En réaction aux éléments contrastés Journées du Patrimoine « dynamique ») et certainement pas de faire du Carrefour de l’Europe du site, ils suggèrent des « actions un carré (summum de l’ordonnan- l’objet du Concours Bonduelle. 11 minimales avec une efficacité maxi- cement et de la démonstration de Le Carrefour de l’Europe est l’es- male » qui convertissent le Carrefour force). Dans une tentative passion- pace vide devant la gare Centrale, de l’Europe en « foyer urbain ». Les nelle d’exprimer l’amour à travers né dans les années 1950 à la suite côtés du triangle sont activés sous l’architecture, Braem recherche une de l’aménagement de la jonction forme de façade d’accès à des activi- synthèse des arts : il applique des Nord-Midi, et comblé dans les tés existantes ou nouvelles, presque peintures murales, reprend la forme années 1990 avec des hôtels en toutes à caractère récréatif, comme elliptique dans certains détails et style néo-Renaissance. En 1983, un lounge, un parc, un casino, un imagine un auvent recourbé vers tous les participants au concours se hôtel, et un bain à remous ou à vapeur. le haut. L’architecture doit être une concentrent sur la mise en scène du Les espaces infrastructurels sous allégorie de la libération de l’esprit. passage de la gare vers la Grand- la gare sont ouverts jusqu’au niveau Ce bâtiment veut avant tout exprimer Place, avec des immeubles, un parc du sol. La circulation ferroviaire des valeurs, intégrer et embrasser ou – dans un seul projet – un opéra. devient apparente, par exemple dans N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

l’humain. Ou comme le dit Braem en une ouverture devant la cathédrale 1969 : « Onze droom is bemeubeld met Une seule proposition est différente, Sainte-Gudule. Des tours et un bâti- welriekende bloemen, onze nachtmer- et elle est écartée par le jury, qui ment public horizontal sont prévus le ries zijn bevolkt met giftige kristallen. pense qu’il s’agit d’une plaisanterie. long des bords du triangle. La place Helaas worden er meer blokkendozen Un groupe d’architectes – des noms est dotée d’un réseau de billetteries, gebouwd dan liefde uitstralende bloe- qui deviendront illustres par la suite, de magasins de journaux, d’œuvres sems. » 10 Stéphane Beel (1955), Xaveer De d’art, de toilettes et de fontaines.

Geyter (1957), Willem Jan Neutelings BRUXELLES PATRIMOINES

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L’idéalisme des générations précé- mente Verschaffel, Vandenhove croit ornés de lignes rouges et blanches dentes, qui défendaient des valeurs effectivement à la constructional par Daniel Buren, tandis que Giulio traditionnelles, est remplacé par beauty et articule le travail de l’ar- Paolini se charge des sculptures. l’idéal de la métropole bouillonnante chitecture en décorant “ the traditio- Le salon est un lieu semi-public et insouciante. Le projet du Team nal points of a building, the doors and précédant la Loge Royale, un inté- Hoogpoort exprime des idées sur la windows ”, mais contrairement à ce rieur qui ne semble à aucun endroit ville occidentale qui sont devenues que pensait Jencks, il n’est pas “ like relié au monde extérieur. Comme le monnaie courante depuis les années any number of Postmodernists ”, pré- décrit Jef Cornelis, réalisateur d’un 1980. L’urbanisme moderniste repo- occupé par un “ historical recall ” »13 . film sur l’œuvre de Vandenhove en sant sur des interventions de grande 1983 : « Le Salon royal se transforme envergure est remplacé par une Vandenhove a néanmoins réalisé en un lieu clos et souverain, un pro- approche réaliste et un positionne- quelques œuvres postmodernes, duit qui ne manifeste rien d’autre ment modeste. La conviction que les ne fût-ce que par leur caractère que soi-même, tout comme l’objet villes ne sont pas fabriquées, mais temporaire, irréel ou artificiel. Au est l’évidence d’une production » 15. qu’elles se fabriquent elles-mêmes, lieu de bâtiments, il s’agit – pour L’architecture se replie sur elle- ne cesse de se renforcer, et les archi- employer un terme postmoderne même, s’auto-expose, et se soumet tectes contemplent ces villes au lieu à la mode – de simulacres : des à un auto-examen silencieux et indé- de les imaginer. Le grand récit de l’ur- façades, des intérieurs, des installa- cis. Une exposition est également banisme fait place à des analyses, à tions, des pavillons ou des construc- consacrée au travail de Vandenhove des interventions ponctuelles, et à un tions, faisant référence à ce que à la Bourse d’ en 1986. Le urbanisme light – une évolution que pourrait être un bâtiment. Le plus salon y est reproduit à l’identique, y Rem Koolhaas résume en 1995 dans complexe – et « surréaliste » selon compris la réalisation de Buren : l’ar- son essai Whatever happened to urba- Jencks 14 – est le Salon royal, créé à chitecture devient un objet pouvant nism ?, et que Jean-François Lyotard la demande du directeur de l’opéra, être reproduit et déplacé à l’infini. décrète plus généralement en 1979 Gerard Mortier. Comme c’est le cas Jan Hoet achète l’installation, qui fait dans La condition postmoderne. 12 assez souvent chez Vandenhove, la depuis lors partie des archives du collaboration avec des artistes est SMAK. Buren ne considère toutefois déterminante. Sam Francis crée pas cette réplique comme une de ses 5. SALON ROYAL DU THÉÂTRE des piliers pour le hall d’entrée et œuvres et il a stipulé qu’elle ne pour- DE Sol LeWitt décore le sol d’un dessin. rait jamais être exposée. Charles Vandenhove Le sol et les boiseries du salon sont (Bruxelles, 1986) (fig. 5)

Charles Vandenhove (1927) est lui aussi remarqué par Charles Jencks, le pape du postmodernisme. Le Salon royal du Théâtre de la Monnaie est repris dans la sixième édition de The Language of Post-Modern Architecture de 1991. Bart Verschaffel a souligné dans une monographie combien Vandenhove n’était pas un simple postmoderniste stylistique. Le cœur de son travail ne réside pas dans la représentation superficielle de sym- boles, de signes et de références, bien que ces derniers jouent un cer- tain rôle depuis les années quatre- vingt. Ce qui est plus crucial, c’est la tentative de construire une architec-

ture avec des éléments structurants Fig. 5 clairs, séculaires et irréductibles. Salon royal de la Monnaie, place de la Monnaie, Bruxelles, arch. Charles Vandenhove, 1986 (A. de « Comme l’écrivait Jencks, com- Ville de Goyet, 2005 © SPRB).

138 6. STÉPHANIE I, PLACE STÉPHANIE Atelier d’Architecture de Genval / André Jacqmain (Saint-Gilles, 1989) (fig. 6a et 6b)

Un ouvrage consacré au travail d’André Jacqmain (1921-2014) et de son Atelier d’Architecture de Genval a été publié en 1988. Dans le chapitre « Style », Jacqmain écrit : « L’architecture aussi a ses modes. Engouement collectif pour tel ou tel formalisme. Aujourd’hui, Postmodernisme. Les revues d’ar- chitecture sont pareilles à “Vogue” ou au “Jardin des Modes”. Mais au-delà de son décor de circonstance, l’ar- chitecture porte en elle notre ambi- tion de durer. (…) Comment éviter la manie du moment? Avoir un dessin hors du temps? Qu’il soit impossible de le dater. »16

Reste que l’œuvre de Jacqmain porte sur la période où le postmodernisme devient un style luxueux – et non plus une expression de participation et d’expérience ou de culture populaire, mais de pouvoir et de richesse. Dans

La Construction en Belgique, en 1971, Journées du Patrimoine Jacqmain écrit sans retenue : « Voilà pourquoi je n’aime dessiner que pour quelques individualités telles que je les ai lentement reconnues dans le Fig. 6a et 6b brouillard de tellement de monde sur Stéphanie I et II, avenue Louise, Bruxelles, Atelier d’Architecture de Genval/André Jacqmain (Saint-Gilles, 1989) (C. Berckmans © SPRB). la terre »17 . L’adieu au langage des formes moderniste et fonctionna- liste bascule dans une architecture désincarnée, exotique, mythomane et L’Atelier de Genval a également supplantés par la pierre blanche de renfermée célébrant l’art, la décora- construit en ville. Durant les années Bourgogne, le granit noir d’Afrique tion et la beauté. Au sujet de l’habi- 1980, il réalise les immeubles de et l’aluminium. Le carreau revient tation pour le collectionneur Urvater bureaux Stéphanie sur la place du comme un leitmotiv aléatoire et à Rhode-Saint-Genèse de 1958, sa même nom à Bruxelles, sorte de décoratif, tant à l’intérieur qu’à l’ex- réalisation la plus connue, Jacqmain double joyau monumental sur la cou- térieur. Il en résulte une architecture N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

dit en 1988 : « C’est dire que le jour ronne de l’avenue Louise. Après de faste et solennelle encore plus éli- funeste de la vente de la maison, la nombreux procès et protestations, taire, déphasée et non conforme à perte a été totale et que la maison les deux immeubles d’angle du XIXe la zone que le fonctionnalisme des Urvater, le palais Urvater, a été réduit siècle sont démolis. Ils sont rem- années cinquante, contre laquelle à n’être plus que le logement d’un placés par d’imposants colosses, elle entend pourtant se démarquer. ambassadeur, toute démesure per- dont l’esthétique est dictée par une L’ Atelier d’Architecture de Genval due, à jamais. »18 aversion pour la simplicité et l’abs- a réalisé depuis lors des dizaines

traction, et où l’acier et le verre sont de bâtiments à Bruxelles, souvent BRUXELLES PATRIMOINES

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non pas en tant qu’architecte, mais, evident how insignificant the effects of une imagination extravagante et comme il le proclame lui-même, en architectonic detailing become once dans une grandiloquence coupée de tant que « consultant esthétique ». the form as a whole has got out of pro- toute réalité sociale ou historique. Le portion. Under such conditions, Bofill’s résultat s’apparente, selon l’historien baroque (…) colonnades and cornices de l’architecture Kenneth Frampton, 7. GULLIVER II, SWIFT seem to express despair in the face à « a Populism whose ultimate aim is Ricardo Bofill, of the problems of urban planning. »19 not to provide a liveable and significant Constantin Brodzki Anna, la compagne de Bofill, est pré- environment but rather to achieve a (La Hulpe, 1989) (fig. 7) sente au congrès en 1975, où Jencks highly photogenic form of scenogra- lance le postmodernisme. Elle y tient phy »21 . On peut en dire de même à L’architecte catalan Ricardo Bofill un plaidoyer pour l’architecture qui propos du seul bâtiment que Bofill (1939) adopte une approche simi- tente de satisfaire les « désirs psy- a réalisé en Belgique : le complexe laire avec son Taller de Arquitectura, chologiques » de l’habitant. La chose de bureaux SWIFT de 1989, vaste de quoique dans des proportions plus est possible, d’après elle, en utili- 35.000 m2, au sud de la périphérie grandes et avec une envergure sant « les tissus urbains des formes bruxelloise, dans un parc paysager internationale. Dans The History of d’habitat traditionnelles de la société à La Hulpe, réalisé en collabora- Postmodern Architecture, Heinrich méditerranéenne », et les « objets tion avec Constantin Brodzki (1924), Klotz parle de son œuvre en des architecturaux qui accentuent ce qui avait déjà construit plus tôt pour termes qui pourraient s’appliquer tissu tels des signes ou des sym- SWIFT sur le même site. Ici aussi, aux immeubles de bureaux de la boles, comme les palais, les églises, l’architecture est une mise en scène, place Stéphanie : « He has succee- les châteaux et les monuments »20 . surtout par le plan parfaitement ded in producing a sequestered realm symétrique, la répétition infinie des that offers a certain refuge from urban En dépit de ces bonnes intentions, piliers en béton et le gigantesque chaos. However, the exterior of the cette architecture postmoderne atrium central transparent, où tout complex is fortresslike, deterring, and tombe elle aussi, par crainte d’être brille et se reflète à tel point que l’es- intimidatingly alien. Here, too, it is « ordinaire » et « fonctionnelle », dans pace semble être sous eau.

Fig. 7 Gulliver II, SWIFT, avenue Adèle 1, La Hulpe, arch. Ricardo Bofill, Constantin Brodzki (La Hulpe, 1989) (© Ricardo Bofill, taller de arquitectura).

140 ments Le Toison d’Or, l’aéroport, le Parlement européen, la tour Belview, le quartier général de Mercedes, les annexes du Palais de Justice, le quartier général de Proximus, les Belgacom Towers, le ministère des Finances, l’immeuble du Conseil des ministres européen, la tour Dexia, le Boudewijngebouw, le ministère des Affaires étrangères et le minis- tère de la Communauté flamande. Si le centre commercial U-Place de Machelen se concrétise malgré tout, cela se fera sur la base de plans des mains de Jaspers-Eyers.

Il est toutefois impossible de dire ce que ces réalisations ont en com- mun. Anything goes – un des slogans du postmodernisme – est tout à fait d’application à cette « œuvre », où les décisions architecturales sont immunisées contre les considéra- tions urbaines ou qualitatives et sont dictées exclusivement par la faisa- bilité, l’efficacité et les lois du mar- ché. Comme le dit Michel Jaspers Fig. 8a et 8b en 2006 : « Het komt er altijd op neer Hôtel Radisson Blue Royal, rue du Fossé aux Loups 7, Bruxelles, arch. Michel Jaspers, om bouwtoelatingen te krijgen, daar Jaspers-Eyers, 1997 (T. D’haenens © Jas- draait het werk van de architect om. pers- Eyers – AAU).

Niemand wacht op bouwopdrachten. Journées du Patrimoine Onze klanten weten ons wel te vinden. En wij gaan hen ook opzoeken als we vernemen dat er kansen zijn. » 22 Fin des années 1990, Jaspers construit le 8. RADISSON BLUE ROYAL Radisson Blue Royal Hotel, en collabo- HOTEL ration avec l’Atelier d’Architecture et Michel Jaspers d’Urbanisme. Il est interchangeable (Bruxelles, 1997) (fig. 8a et 8b) avec d’autres projets du bureau, parce qu’il réduit l’architecture à un La recherche de pertinence, de lisibi- à la culture ne peut que rejeter le fastueux décor théâtral, d’une part, et lité et de popularité qu’a déclenchée postmodernisme en prenant position à un exercice architectural efficace et l’architecture postmoderne entraîne et en opérant des choix d’une autre rentable, de l’autre. assez paradoxalement aussi son manière. déclin. Le désir de faire une différence N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

par rapport aux recettes modernistes Un des bureaux qui illustrent ceci est 9. JEUGDTHEATER BRONKS et aux théories critiques ne fait plus celui de Michel Jaspers (1935), cogé- Martine De Maeseneer la différence depuis les années 1980. rant avec John Eyers de Jaspers- Architecten Le postmodernisme est évident sur Eyers. Aucun autre bureau n’a (Bruxelles, 2009) (fig. 9a et 9b) le plan stylistique et conceptuel, et déterminé à ce point l’image de la il perd de sa valeur innovante ou cri- Belgique dans le pays et à l’étranger. Le dernier mouvement en date tique. Quiconque attend de l’architec- Rien qu’à Bruxelles, ils ont notam- dans l’architecture postmoderne

ture une contribution intellectuelle ment signé l’immeuble à apparte- est le déconstructivisme. En 1988, BRUXELLES PATRIMOINES

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comme un jeu incessant de codes, de fonctions et d’éléments architec- turaux. Par le refus des typologies théâtrales classiques, les volumes restent indéterminés et étranges, comme le long, étroit et haut foyer (généralement vide) du côté rue, séparé du reste du bâtiment. Rejeter la tradition moderne pour parve- nir à de meilleurs résultats, tel est l’espoir qui sous-tend l’opposition à l’architecture proprement dite. En même temps, la distinction entre le bien et le mal, entre la critique et l’acceptation, est mise en valeur. Le théoricien américain Robert Somol décrit la situation comme suit : « In het zwendelwerk van De Maeseneer, waarin “zien” vaak expliciet tegenover “weten” wordt gesteld, lijkt de vraag of er sprake is van eerlijke of oneerlijke taal, van goede of slechte vorm, niet langer aan de orde : er is een kortslui- ting ontstaan tussen de traditionele kritische handeling van het identifi- ceren van bronnen en het aanwijzen van tegenstellingen. »24 L’architecture n’offre donc plus une meilleure alternative, mais montre inlassa- blement qu’il n’existe vraiment pas de bonnes solutions aux problèmes urbanistiques.

Fig. 9a et 9b Jeugdtheater Bronks, rue du Marché aux Porcs 15-17, Bruxelles, arch. Martine De Maeseneer 10. SIÈGE DE BNP PARIBAS Architecten, 2009 (© Filip Dujardin). FORTIS BANK Baumschlager Eberle Philip Johnson et Mark Wigley orga- groting van de toegepaste elementen (Bruxelles, 2013) nisent l’exposition Deconstructivist die de traditionele woning uitmaken. (fig. 10a, 10b et 10c) Architecture au MoMA à New York. Schouw, muur, raam, dak, cel, wor- Le vocabulaire moderniste n’y est pas den geconcretiseerd op een enkelvou- L’affirmation – il n’y a pas de diffé- tant rejeté, mais critiqué, déformé et dige, karikaturale en idiosyncratische rence entre approprié et inapproprié, « déconstruit ». En Belgique, Martine manier zoals men dit in de kinderteke- honnête et malhonnête, bien et mal – De Maeseneer (1962) est une des ning terugvindt. »23 est la caractéristique la plus fonda- créatrices théoriquement érudites mentale et la plus tenace du postmo- qui se rallie à cette tradition. De Le plus grand bâtiment public de dernisme, en architecture et au-delà. Maeseneer veut faire exister l’ar- MDMA (l’acronyme de son bureau, Plus qu’un style historisant, monu- chitecture en tant que langue, et allusion ludique à l’abréviation du mental et reconnaissable, c’est cela critiquer cette langue, la saboter ou principe actif de l’ecstasy) est le qui subsiste de cette époque et de la la dérégler. Au sujet de la maison Jeugdtheater Bronks, rue Marché seconde moitié du vingtième siècle : Cabrio de 1992 à Meise, elle écrit : aux Porcs, un projet de 2002 réalisé la conviction qu’au moins chacun a « In dit huis wordt de de-objectifica- en 2009. Tout, dans ce bâtiment, un peu raison, que ce qui est popu- tie-methode manifest in de schaalver- est pensé et peut être interprété laire ne peut pas être mauvais, et que

142 faire la différence avec l’architecture n’a pas de sens, pas plus que d’ap- porter des différences critiques dans la production architecturale pro- prement dite. Cette caractéristique finalement essentielle et durable, Fredric Jameson l’avait déjà rele- vée, lorsqu’il s’exprimait au sujet de : « the position of the cultural critic and moralist ; the latter, along with all the rest of us, is now so deeply immersed in postmodernist space, so deeply suf- fused and infected by its new cultural categories, that the luxury of the old- fashioned ideological critique, the indi- gnant moral denunciation of the other, becomes unavailable. » 25

Il semble bien en effet, y compris à Bruxelles aujourd’hui, que tout y est plus que jamais possible, mais que tant les arguments, les idées et les discussions manquent pour rendre des jugements au sujet de l’urbanisme et de l’architecture. La chose apparaît par exemple lorsque, voici quelques années, BNP Paribas Fortis décide de remplacer son siège social du parc de Bruxelles, juste à côté du Palais des Beaux-Arts de

Victor Horta. Le bâtiment existant a Journées du Patrimoine été conçu dans les années 1960 par Hugo Van Kuyck. Un concours d’ar- chitecture est organisé en 2013 en collaboration avec l’architecte du Gouvernement bruxellois, auquel participent notamment Samyn & Partners, Sauerbruch Hutton et Dominique Perrault. C’est finale- ment la proposition du bureau autri- chien Baumschlager Eberle qui est retenue. Le critique architectural Martin van Schaik écrit au sujet du projet gagnant : « Het vervangt het topologisch gelaagde ontwerp van Van N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

Kuyck door een groot, hoogverdicht stadsblok: een rooilijnextrusie met nogal smalle, diepe patio’s en buiten- gevels met verticale ribben in wit geprefabriceerd beton. Het gebouw is een enorme gestreepte kolos, die zich Fig. 10a, 10b et 10c aan de zijde van Horta’s Bozar enkele BNP Paribas Fortis Bank HQ

frivoliteiten permitteert maar verder (projet Baumschlager Eberle, 2013 © baumschlager eberle). BRUXELLES PATRIMOINES

143 POPULAIRE OU ÉLITAIRE ?

weinig doet om zijn enorme schaal te NOTES Bruxelles, Confédération nationale de la Construction, 1971, p. 280. « L’amour ne 26 cacheren. » Baumschlager Eberle s’exprime que dans un espace extra-uti- réalise de grands édifices publics 1. J JAMESON, F., Postmodernism, or, litaire saisi sous une forme expressive. S’il n’apparaît pas dans l’édifice, ce de par le monde, comme l’Algemeen The Cultural Logic of Late Capitalism, Durham NC, Duke University Press, dernier se trouvera réduit à un tas de Ziekenhuis Groeninge de Courtrai en 1991, p. 39. « [L]’aspect populiste de la matériau inerte même si ce matériau Belgique et la tour IMEC de Louvain. rhétorique de défense du postmoder- est travaillé d’une manière constructive nisme contre l’austérité élitiste (et uto- et fonctionnelle, en équipe et à l’aide La majeure partie, pour ne pas dire pique) des grands modernismes archi- d’ordinateurs. » la totalité de l’énergie et de l’atten- tecturaux: autrement dit, on affirme en 10. BRAEM, R., « De Art Nouveau en général que ces nouveaux immeubles tion est consacrée à la conception wij »,Mededelingen van de Koninklijke sont, d’une part, des œuvres populaires Vlaamse Academie voor Wetenschappen, de la façade – généralement une et, d’autre part, qu’ils respectent le Letteren en Schone Kunsten van België. construction de haute technologie style local du tissu urbain américain; c’est-à-dire qu’ils ne cherchent plus Klasse der Schone Kunsten, 1, 1969, qui doit rendre le bâtiment accep- à introduire, comme le faisaient les p. 6. « Notre rêve est peuplé de fleurs table pour les riverains directs, mais chefs-d’œuvre et les monuments du odorantes, nos cauchemars de cristaux empoisonnés. Hélas, on construit plus dont l’effet ou la perception est dif- haut modernisme, un langage différent, distinct et soutenu, un nouveau langage de boîtes de blocs que de bouquets ficile à évaluer sur les images infor- utopique, dans le système des signes exhalant l’amour. » matiques. Les architectes parlent clinquant et commercial de l’environ- 11. VAN GERREWEY, C., « Amnesty for de la « durabilité » inévitable, des nement urbain, mais qu’ils visent, au the City: the Hoogpoort design for contraire, à parler précisément ce lan- the Carrefour de l’Europe in Brussels « lignes fluides et de la façade inté- gage, en se servant de son vocabulaire (1983) », Journal of Architecture, 3, 2014, grée » et de la « délicate et élégante et de sa syntaxe. » p. 435-453. 27 structure portante » . Architecture 2. BONTRIDDER, A., « Jacques Dupuis et 12. LYOTARD, J.-F., « La condition postmo- postmoderne ? Populaire ou élitaire ? la notion de modernité », in COHEN, derne : rapport sur le savoir », , M., THOMAES, J., Jacques Dupuis Éditions de Minuit, 1979 ; KOOLHAAS, S’agissant d’un bâtiment de ces l’architecte, Bruxelles, La Lettre volée, R., « Whatever happened to urba- dimensions, et avec un tel impact, 2000, p. 2. nism ? », in OMA/Rem Koolhaas, Bruce Mau, S, M, L, XL, Rotterdam, les enjeux devraient être d’une autre 3. COHEN, M., THOMAES, J., op. cit., 010 Publishers, p. 959-971. ampleur, et cela vaut aussi pour l’ar- p. 174-175. 13. VERSCHAFFEL, B., chitecture contemporaine en général. 4. BEKAERT, G., Hedendaagse architectuur Charles Vandenhove. Architecture / « We may eventually realize that if the in België, Lannoo, Tielt, 1995, p. 61-62. Architectuur 1954 – 2014, Tielt, Lannoo, « …un mélange “postmoderniste” de 2014, p. 24-25. ‘post’ in postmodernism means any- tous les styles et de toutes les formes thing », conclut le théoricien de l’ar- possibles : Dupuis veut, en lointain pré- 14. JENCKS, C., The Language of Post- chitecture Reinhold Martin dans son curseur du déconstructivisme, libérer Modern Architecture. Sixth Edition, l’architecture de son aspect inéluctable Academy Editions, Londres, 1991, ouvrage Utopia’s Ghost. Architecture et de sa pesanteur. » p. 159. Vandenhove croit en effet, « Verschaffel écrit, comme l’explique and Postmodernism, Again de 2010. 5. HADDAD, E., « Charles Jencks and the Jencks, en la beauté constructive », et « It means learning to live with ghosts, historiography of Post-Modernism », articule son architecture en décorant including the ghosts of futures past Journal of Architecture, 4, 2009, « les points de transition du bâtiment, p. 493-510. and present, the ghosts of others alive les portes et les fenêtres ». Mais il ne semble pas, contrairement à ce and dead, and with them, the ghosts of 6. VAN GERREWEY, C., « De architecturale verbeelding tussen 1975 en 1980 », que pensait Jencks, « concerné par le our former selves. It means, in other De Witte Raaf, 155, 2012, p. 10-11. rappel historique ». words, learning to think the thought 7. JENCKS, C., The Language of Post- 15. CORNELIS, J., « Le Salon Royal », in called Utopia again. »28 Modern Architecture, Academy Editions, CULOT, M. (red.), Charles Vandenhove : Londres, 1977, p. 106. « La participation projets choisis, Bruxelles, Archives et l’individualisme ont généré un envi- d’Architecture Moderne, 1986, p. 62. Traduit du Néerlandais ronnement plein d’esprit, auquel il ne 16. JACQMAIN, A., « Stijl », in JACQMAIN, manque qu’une touche de normalité : A., DE LOZE, P., Over architectuur, Gent, un rien de pur modernisme. » Snoek-Ducaju & Zoon, 1988, p. 57. 8. BEKAERT, G., op. cit., p. 96. « La partici- 17. JACQMAIN, A., « Omtrent het forma- pation à la forme de cette architecture lisme der architectuur in België, van bij ne fut en grande partie qu’une illusion, de Pepiniden tot op onze dagen, enkele un mythe à l’image de l’architecture. Il dagboeknotities », in BEKAERT, G., reste à savoir si cette architecture est STRAUVEN, F., op. cit., p. 325. plus démocratique et plus libre. Dans sa suggestion d’improvisation et de 18. JACQMAIN, A., « Welke afmeting? », construction progressive, elle demeure in JACQMAIN, A., DE LOZE, P., op. cit., une image fixe. » p. 101. 9. BRAEM, R., « Poging tot ontleding van 19. KLOTZ, H., The History of Postmodern een wordingsgang. Braem 1930-1970 », Architecture, Cambridge, MIT Press, in BEKAERT, G., STRAUVEN, F., 1988, p. 429. « Il est parvenu à produire La Construction en Belgique 1945-1970, un royaume séquestré offrant une

144 sorte de refuge par rapport au chaos 26. VAN SCHAIK, M., « Les tours de Popular or elitist? de la ville. Reste que l’extérieur du Bastin – Bouwmeester in oor- complexe a quelque chose d’une logstijd », http://www.archined. Ten examples of postmodern forteresse, de dissuasif, d’étranger et nl/2014/10/les-tours-de-bastin- architecture in Brussels d’intimidant. Il est évident, ici aussi, à bouwmeester-in-oorlogstijd. « Il quel point les effets des détails archi- remplace le projet topologique de What is postmodern architecture? tecturaux deviennent insignifiants dès Van Kuyck par un grand bloc urbain que la forme perd, dans sa globalité, hermétique : une extrusion de l’ali- The answer is simple: it is tout sens des proportions. Dans ces gnement avec des patios étroits et architecture postdating the conditions, les colonnades et corniches profonds et des façades extérieures (…) baroques de Bofill semblent expri- faites d’arêtes en béton préfabriqué Modernist Movement - following mer le désespoir face aux problèmes blanc. Le bâtiment est un énorme the mythic and heroic generation de l’urbanisme. » colosse rainuré qui se permet of the interwar period, in which Le quelques frivolités à côté du Bozar 20. VAN GERREWEY, C., « De architectu- de Horta, mais qui par ailleurs ne Corbusier, Mies van der Rohe and rale verbeelding ..., op. cit., p. 10. fait pas grand-chose pour cacher Frank Lloyd Wright were the key son énorme masse. » 21. FRAMPTON, K., « Prospects for a players. Postmodern architecture Critical Regionalism », Perspecta, 20, 27. http://www.baumschlager-eberle. is no longer concerned with 1983, p. 150. « …un populisme dont le com/en/competitions/current-com- but ultime n’est pas de pourvoir à un petitions/details-of-competition/ resistance or contrast between new environnement vivable et porteur de challenge/montagne-du-parc.html and old. The dream of improving sens, mais de parvenir davantage à une forme hautement photogénique de 28. MARTIN, R., Utopia’s Ghost. the city and the world through scénographie. » Architecture and Postmodernism, architecture and urban planning Again, Minneapolis, University of 22. BINST, J.-M., « Brussel en architec- Minnesota Press, 2010, p. 179. has been abandoned and replaced tuur: Michel Jaspers », Brussel Deze « Nous pouvons finalement réaliser by a pragmatic, efficient approach, Week, 21 avril 2006. « Tout consiste sys- que si le préfixe“post” de “postmo- tématiquement à obtenir des permis dernisme” a un quelconque sens, il the conflicting manifestations of de bâtir, c’est cela le travail de l’archi- signifie apprendre à vivre avec des which can indubitably be found in tecte. Personne n’attend vraiment les fantômes, y compris les fantômes post-war Brussels. marchés de construction. Nos clients de visions d’avenir passées et savent comment nous trouver et pour présentes, les fantômes d’autres, notre part, nous allons les chercher vivants ou morts, et avec eux, les The definition of postmodern lorsque nous apprenons qu’il y a des fantômes de ce que nous avons opportunités. » nous-mêmes été. En d’autres architecture as a style – the termes, cela signifie apprendre luxurious architecture of big 23. DE MAESENEER, M., « Cabrio huis: à revisiter cette pensée appelée business and keeping up de-objectificatie », in DE MAESENEER, Utopie. » M., VAN DEN BRANDE, D., SOMOL, appearances, with historicised R. E., Martine De Maeseneer. The façades and a stately presentation Indivisible Space, Antwerpen, deSingel, 1993, p. 28 ; « Dans cette maison, – is adopted by countless la méthode de la “désobjétisation” office buildings and hotels. It Journées du Patrimoine se manifeste dans l’accroissement d’échelle des éléments appliqués qui is these buildings that have constituent traditionnellement l’habi- given postmodernism a bad tation. Cheminée, mur, fenêtre, toit, name. Architects also distanced unité sont concrétisés d’une manière singulière, caricaturale et personnelle, themselves from modernist semblable au dessin d’un enfant. » architecture in other ways, 24. SOMOL, R. E., « Real abstract, however, for example by enlivening escroquerie, “parole”, et le “Chicago the visual style from the inside frame” », Idem, p. 9. « Dans le bricolage de De Maeseneer, où “voir” est souvent out, by involving residents in opposé explicitement à “savoir”, la the design process, by building question de savoir s’il s’agit d’un langage honnête ou malhonnête, expressively and symbolically, or by d’une bonne ou d’une mauvaise forme, optimistically embracing the late n’est plus de mise : il s’est produit twentieth century metropolis. un court-circuit entre l’identification critique traditionnelle des sources et la In all of these circumstances N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016 mise en valeur de contradictions. » architecture hovers somewhere

25. JAMESON, F., op. cit., p. 46. « la position between popular and populist du critique culturel et du moraliste ; approaches. Instead of confronting ce dernier, comme nous tous, est à présent à ce point immergé dans society with new possibilities or l’espace postmoderniste, à ce point revolutionary visions of the future, baigné et contaminé par ses nouvelles catégories culturelles, que le luxe de architects seek to connect with the la critique idéologique vieille école, ‘reality’ of the city and of life. la dénonciation morale indignée de

l’autre, devient inacceptable. » BRUXELLES PATRIMOINES

145 COLOPHON

COMITÉ DE RÉDACTION ÉDITEUR RESPONSABLE Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, Arlette Verkruyssen, directeur général Paula Dumont, Murielle Lesecque, Cecilia de Bruxelles Développement urbain de la Paredes et Brigitte Vander Brugghen. Région de Bruxelles-Capitale, CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. RÉDACTION FINALE EN FRANÇAIS Stéphane Demeter Les articles sont publiés sous la responsabilité de leur auteur. Tout droit RÉDACTION FINALE EN NÉERLANDAIS de reproduction, traduction et adaptation Paula Dumont réservé.

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION CONTACT Murielle Lesecque Direction des Monuments et Sites – Cellule Sensibilisation COORDINATION DE L’ICONOGRAPHIE CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. Paula Dumont et Julie Coppens http ://www.monument.irisnet.be [email protected] COORDINATION DU DOSSIER Paula Dumont CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Malgré tout le soin apporté à la AUTEURS / COLLABORATION recherche des ayants droit, les éventuels RÉDACTIONNELLE bénéficiaires n’ayant pas été contactés Werner Adriaenssens, Jean-Marc Basyn, sont priés de se manifester auprès de Guy Bovyn, Guy Conde-Reis, la Direction des Monuments et Sites Thomas Coomans, Georges De Kinder, de la Région de Bruxelles-Capitale. Jan De Maeyer, Paula Dumont, Claudine Houbart, Christophe Loir, Cristina Marchi, LISTE DES ABRÉVIATIONS Leen Meganck, Benoît Mihail, AAM – Archives d’Architecture Moderne Barbara Pecheur, Daniela N. Prina, ARB – Académie royale de Belgique Christophe Van Gerrewey, AVB – Archives de la Ville de Bruxelles Brigitte Vander Brugghen, CDBDU – Centre de Documentation de Eugène Warmenbol, Eva Weyns. Bruxelles Développement urbain DMS – Direction des Monuments et Sites TRADUCTION KBR – Bibliothèque royale de Belgique Gitracom, Data Translations Int. KIK-IRPA – Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium / Institut royal du RELECTURE Patrimoine artistique Martine Maillard et le comité de rédaction. KVS – Koninklijke Vlaamse Schouwburg MRAH – Musées Royaux d’Art et d’Histoire GRAPHISME MVB – Musées de la Ville de Bruxelles The Crew Communication SPRB – Service public régional de Bruxelles IMPRESSION VUB – Vrije Universiteit Brussel IPM Printing sa ISSN DIFFUSION ET GESTION 2034-578X DES ABONNEMENTS Cindy De Brandt, DÉPÔT LÉGAL Brigitte Vander Brugghen. D/2016/6860/013 [email protected] Dit tijdschrift verschijnt ook REMERCIEMENTS in het Nederlands onder de titel Baumschlager Eberle, Ricardo Bofill, « Erfgoed Brussel ». Grégory Creten, Martine De Maeseneer, Kevin De Vlieger, Jaspers-Eyers Architects, Marius Grootveld, Lucien Kroll, Francis Metzger, Jan Pollers, Claudia Schwind, Anne Somers.