L'O.U.A. : RÉTROSPECTIVE ET PERSPECTIVES AFRICAINES LA VIE DU DROIT EN AFRIQUE

Collection dirigée par Gérard CONAC

BOUREL Pierre Droit de la famille au Sénégal

CONAC Gérard (sous la direction de) * Dynamiques et finalités des droits africains * Les institutions administratives des Etats francophones d'Afrique noire * Les institutions constitutionnelles des Etats francophones d'Afrique noire (épuisé) * Les grands services publics dans les Etats francophones d'Afrique noire * Les cours suprêmes et les hautes juridictions des Etats d'Afrique - 2 tomes (à paraître)

CONAC Gérard, SAVONNET-GUYOT Claudette, CONAC Françoise (sous la direction de) Les Politiques de l'eau en Afrique

LAMINE Sidime L'établissement de la filiation en droit sénégalais depuis le Code de la famille

MESCHERIAKOFF Alain-Serge Le droit administratif ivoirien

SARASSORO Hyacinthe La corruption des fonctionnaires en Afrique (épuisé)

TJOUEN Alexandre-Dieudonné Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais

COOPÉRATION

CONAC Gérard, DESOUCHES Christine, SABOURIN Louis (sous la direction de) La coopération multilatérale francophone (1987) La Vie du Droit en Afrique Collection dirigée par Gérard Conac

Maurice KAMTO Professeur Agrégé des Facultés de Droit, Université de Yaoundé (IRIC)

Jean-Emmanuel PONDI Laurent ZANG Ph. D. en Science Politique Docteur ès Science Politique Chargé de Cours à l'IRIC Chargé de Cours à l'IRIC

L'O.U.A. : RÉTROSPECTIVE ET PERSPECTIVES AFRICAINES

Avec la collaboration de DODO BOUKARI A. KARIMOU, Camille NKOA ATENGA et David SINOU ik .' i 'o ^- >

Préface de M. Boutros BOUTROS-GHALI Professeur Honoraire à l'Université du Caire Ministre d'Etat aux Affaires Etrangères

ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 \ ^v^J^d^tONOMICA, 1990 Tous droits de repr 1 , de traduction, d'adaptation et d'exécution réservés pour tous les pays. Remerciements

Nous remercions sincèrement le personnel du Centre de Calcul de l'Université de Yaoundé pour sa précieuse assistance tout au long de la phase finale de ce travail et l'Université de Yaoundé pour l'octroi d'une subvention pour la publication de cet ouvrage.

Nous dédions ce travail à nos familles respectives.

Préface

par Boutros BOUTROS-GHALI Professeur Honoraire à l'Université du Caire Ministre d'Etat aux Affaires Etrangères

De jeunes juristes et politologues africains de l'IRIC1 m'ont fait l'honneur de me demander de préfacer cet ouvrage consacré à l'organisation de l'unité africaine qu'il m'est agréable de présenter au public et qui n'a d'ailleurs besoin d'aucune recommandation pour prétendre à l'audience dont il est digne. Ampleur des recherches documentaires, finesse des analyses, fermeté des conclusions, telles sont quelques-unes des qualités que révèle l'ensemble de ces études. L'intérêt et même l'actualité de ce livre ne sont pas niables. L'OUA, fondée à Addis-Abeba le 25 mai 1963, mérite qu'on lui consacre une étude qui délaisse l'accidentel pour rechercher au- delà des modalités variables d'aménagement technique, les lois constantes qui paraissent bien conditionner et déterminer l'action de cette organisation. La charte de l'OUA et les résolutions de cette organisation pourraient-elles constituer la première étape d'une politique commune à l'Afrique, voire d'un droit continental africain ? Dans la mesure où la charte de l'OUA se veut une loi fondamentale pour toute l'Afrique, et dans la mesure où les résolutions adoptées par l'OUA durant plus d'un quart de siècle édictent des règles fédérales destinées à régir les relations entre les Etats africains, il est certain que l'OUA va générer une politique commune à l'Afrique et par delà cette politique, l'élaboration d'un droit international proprement africain. L'Afrique qui n'a connu le droit international traditionnel que dans une projection coloniale : capitulation, protectorat, condomi- nium, comme un droit conçu en partie pour légitimer les acquisi- tions et les privilèges européens, s'est vue d'emblée offrir un champ nouveau pour élaborer un droit qui veut régler ses propres conflits, régir ses coopérations, établir ses propres institutions.

1. Institut des Relations Internationales du Cameroun. Comment l'Afrique a-t-elle réagi à ce défi nouveau ? A-t-elle modifié certaines normes du droit international traditionnel ? A-t-elle créé des institutions originales qui pourraient favoriser son propre développement économique et social ? Autant de questions auxquelles cet ouvrage essaye de répondre lorsqu'il analyse les mutations institutionnelles de l'OUA, ou l'évolution de la fonction de son président en exercice, ou encore la dynamique normative dans le cadre de l'organisation, ou enfin son action économique et sociale. En fait, l'Afrique ne prendra conscience de son destin, ne réalisera son unité et son développement, ne fera entendre sa véritable voix dans le concert des nations que lorsque les Africains penseront eux-mêmes leurs propres problèmes, élaboreront eux-mêmes leurs propres solutions. Ceci est vrai surtout dans le domaine du développement et des relations internationales. Il faut espérer que cet ouvrage, qui est écrit et pensé par des Africains, pourra contribuer à cette mobilisation des nouvelles élites africaines, lesquelles auront à livrer un combat difficile et ardu si elles veulent que la « seconde libération » de notre continent ne se fasse pas dans le désordre, la misère et le sang, mais dans l'ordre, le développement et la paix.

Le Caire, 1989. Introduction

par Maurice KAMTO

Hormis l'Organisation des Nations Unies, peu d'organisations politiques suscitent autant d'intérêt que l'OUA. Que ce soit pour dénoncer ses faiblesses voire son inutilité, ou moins fréquemment pour exalter ses succès pourtant certains, l'Organisation panafricaine ne laisse personne indifférent. L'abondance des travaux qui lui sont consacrés depuis un quart de siècle1, mais aussi la diversité de leurs auteurs en sont un indicateur infaillible. Si l'attention des chercheurs africains pour la seule Organisation dont l'ambition est de regrouper tous les Etats d'Afrique semble aller de soi, celle de nombreux auteurs d'autres continents vivant parfois dans des systèmes idéologiques différents 2 souligne la place à part qu'occupe l'Organisation de l'Unité Africaine au sein des organisations internationales contemportaines. L'importance de la littérature générée par cet intérêt conver- gent rendait et rend toujours délicat toute nouvelle entreprise de recherche sur l'OUA. La conscience du risque n'a cependant pas triomphé de notre conviction dans la singularité de notre approche ; loin de la spéculation rêveuse sur une OUA imaginaire, notre démarche se veut essentiellement empirique, s'appuyant sur des faits et une pratique que vingt-cinq années de fonctionnement de l'Organisation panafricaine ont accumulés et stratifiés. Singu- larité aussi - nous osons le dire - par l'originalité du contenu de

1. L'essentiel de ces travaux est répertorié par Mark W. Delancey in African International Relations. An Annoted Bibliography, Boulder, Colorado, Westview Press, 1981, particulièrement les pages 109 à 134 consacrées à la bibliographie systématique sur l'OUA et l'unité africaine : au moins 230 titres. 2. En dehors des africains donc, avec le classique de M.B. Boutros-Ghali l'Organisation de l'unité africaine, Paris, A. Colin, coll. U, 1969, on peut mentionner parmi les spécialistes étrangers, les américains I. William Zartman et Yassin El Ayouty (ed.) : The OAU after twenty years New York, Praeger Publishers, 1984 ; le suédois d'origine tchèque Zdenek Cervenka : The organisation of african unity and its Charter London, C. Hurst, 1969 ; le français Edmond Jouve : L'Organisation de l'Unité Africaine, Paris, PUF, 1984; la Soviétique Zinaïda Tokareva : L'organisation de l'unité africaine: un quart de siècle de lutte. Moscou, éditions du Progrès, 1988. cet ouvrage ; évitant les thèmes trop classiques épuisés depuis longtemps dans d'excellents ouvrages, chacun des neuf chapitres de ce livre divisé en trois parties aborde un thème nouveau ou, quand il s'agit d'un thème déjà retourné par quelques auteurs, le considère avec un regard différent. Ainsi, la Première Partie de l'ouvrage portant sur L'Evolution institutionnelle s'ouvre sur un chapitre consacré précisément aux mutations institutionnelles de l'OUA depuis vingt-cinq ans. Ce premier chapitre est suivi de deux autres : l'un consacré à l'étude d'une curiosité sécrétée par la pratique, la fonction de « Président en exercice » qui a pris de l'ampleur ces années récentes (chap. II), l'autre s'attache à l'examen d'un fait absolument nouveau dans le cadre de l'Organisation continentale, la « sécession » d'un Etat membre qu'illustre en l'occurrence le retrait du Maroc en novembre 1984 (chap. III). La Deuxième Partie tente de saisir La Dynamique de l'unité Africaine au sein de l'Organisation panafricaine depuis sa créa- tion en 1963. La mystique du panafricanisme a-t-elle survécu à l'avancée des nationalismes charriés par les vagues des indépen- dances dans une Afrique balkanisée ? Dans quel état l'idéal de l'unité africaine est-il sorti des secousses provoquées par les grands dossiers politiques africains et les rivalités idéologiques mondiales qui se sont répercutées en écho au sein de l'Organisa- tion continentale ? Les trois chapitres de cette deuxième partie rassemblent les principaux éléments de réponse à ces questions. De par l'essentiel de son contenu même le chapitre IV qui ouvre cette partie résume fort bien la problématique : Panafricanisme et Nationalisme sont en effet les deux principaux termes du débat. Et les deux chapitres suivants montrent en contraste comment la dynamique de l'OUA se manifeste tout à la fois de manière centrifuge à travers le phénomène des groupes (chap. V), et de manière centripète à travers une étonnante dynamique normative (chap. VI) qui laisse apparaître la volonté des Etats membres de construire aussi le panafricanisme par l'unité juridique du continent. Enfin, la Troisième Partie de l'ouvrage présente un Bilan sectoriel des activités de l'OUA. Ces activités sont nombreuses, et il était tout à fait possible d'envisager aussi bien l'action sociale de l'OUA que son action en faveur de la promotion de la femme africaine. Mais on s'en est tenu délibérément à quelques secteurs saillants présentant une importance évidente pour la survie du continent : survie économique d'abord, d'une Afrique peinant sous le poids de la dette, oubliée des statistiques économiques mon- diales tellement sa participation au commerce international est dérisoire : d'où le chapitre VII, le premier de cette troisième partie, consacré à l'action économique de l'OUA depuis 1963. Survie politique et surtout morale de l'homme africain ensuite, atteint dans sa dignité d'être humain par les miasmes morbides de l 'apartheid : d'où le chapitre VIII qui analyse l'attitude de l'OUA face au défi sud-africain. Survie physique enfin, d'un continent qui nourrit sa pauvreté chez les marchands d'armes, et qui s'abrite sans espoir sous un parapluie non-nucléaire troué par la capacité nucléaire de l'Afrique du Sud : d'où le chapitre IX consacré à l'action de l'OUA pour la paix et la sécurité en Afrique. En approchant ainsi l'Organisation panafricaine par ses prismes les moins usés, nous avons tenté d'en faire un éclairage différent, en espérant n'avoir pas fait un ouvrage de plus, ni de trop, sur une Organisation qui n'a certainement pas fini de livrer de la matière aux chercheurs, tant les perspectives qui s'ouvrent devant elle sont riches de nouveaux défis.

Première partie :

Evolution institutionnelle

CHAPITRE I Les mutations institutionnelles de l'OUA

par Maurice KAMTO

La tendance quand on étudie l'OUA est de l'affubler d'une mission qui ne lui était pas assignée, et qui, en tout état de cause, ne relève nullement de sa Charte. Ce prisme d'observation défor- me les perspectives d'analyse et donne de l'Organisation conti- nentale l'image de ce qu'elle n'est pas. Disons-le d'emblée : l'OUA n'a pas été créée pour réaliser l'unité intégrative du continent (sinon, peut-être se serait-elle appelée l'Organisation pour l'unité africaine). Les conditions de sa création le montrent à suffisance.L'échec de la thèse qui percevait l'unité de l'Afrique à travers la structuration d'un Etat unitaire de dimension continentale emportait avec lui le rêve nkrumahien d'une unification politique du continent. Cette thèse unitariste n'eut pas davantage de succès devant le Conseil des Ministres des Affaires étrangères réuni au Caire en 1964. A la proposition du exposée par son Ministre des Affaires étrangères, M. Kojo Botsio, en faveur de l'établissement d'une union politique du continent, les différentes délégations présentes au Conseil réagi- rent très défavorablement, à l'exception de la Guinée. Madagas- car - peut-être en raison de sa position insulaire et de son identité non spécifiquement africaine - fut la plus violemment opposée à cette idée d'unification politique de l'Afrique à travers la création d'un gouvernement continental. Cela transparaît aussi bien de la déclaration de son Ministre des Affaires étrangères au Conseil des Ministres1 que de celle du Président Tsiranana à la Conférence

1. « The delegation of does not agree in any way to the creation of a union government of Africa, a panafrican government, or a supranational go- vernment. After having lost our liberty for years, after having been under the yoke of colonialism, when we have now, with the granting of independence, just recovered this liberty, must we today lose it again to a supranational government with all the attributes which are comprised there-in ? » Cf. Report of Council of Ministers and the Assembly of head of States and Government, Cairo, 14-21, july 1964, reproduit dans The Organization of African Unity after ten years. Comparative Perspectives. Edited by Yassin El Ayouty, Praeger Publishers, New des Chefs d'Etat et de Gouvernement1. L'OUA fut donc conçue, dès l'origine, comme un cadre politique très souple visant à renforcer la cohésion et la solidarité des Etats africains, à intensifier leur coopération ainsi que leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d'existence aux peuples d'Afrique (art. 2 Charte). Organisation d'Etats souverains, elle est appelée à défendre la souveraineté de ses membres, leur intégrité territoriale et leur indépendance 2. Certes la volonté d'œuvrer en commun existe. On peut en juger par la dynamique institutionnelle générée par l'Organisa- tion, laquelle a débouché sur la multiplication des comités spéciaux ou ad hoc3, des institutions ou agences spécialisées (dont la possibilité de création est prévue par l'article 8 de la Charte) 4, en

York. 1975, pp. 7 à 23, notamment p. 11 ; V. dans le même sens, avec des différen- ces de style mais avec la même fermeté, les déclarations de la Tunisie (pp. 9-10), du Nigéria (p. 17), et celles plus tempérées ou plus nuancées mais toujours opposées du Sénégal (pp. 11-12), du (p. 14). 1. « We Malagasy have just achieved our independence. Well we are jealous of that independence. If we are replaced tomorrow by a world government or even by a continental government, the Malagasy people will refuse ». Cf. Ibid. 2. Cf. notamment l'art. 4 et l'art. 28 §1 de la Charte. 3. Dont le dernier en date est le comité africain anti-apartheid (CAAA) créé le 14 janvier 1989 à Brazzaville. Ce comité créé sous les auspices de l'OUA est présidé par le congolais Daniel Abili. Peu avant, en 1985, avait été créé un comité ad hoc sur l'Afrique australe comprenant les pays de la ligne de front et le Nigéria, plus un pays par chaque sous-région : Algérie (Afrique du Nord), Ethiopie (Afrique de l'Est), Congo (Afrique Centrale), Cap Vert (Afrique de l'Ouest), plus le Sénégal qui occupait alors la Présidence de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouverne- ment. 4. Les institutions et organes spécialisés de l'OUA couvrent les domaines les plus variés de la coopération technique interafricaine. Les postes et les télécommunica- tions apparaissent comme le domaine de prédilection de ce foisonnement institutionnel. Ainsi, en matière postale, l'OUA a institué l'Union Panafricaine des Postes (UPP) à la XlVème Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement à Arusha (Tanzanie), conformément à la résolution CM/Res. 586 (XXIX). Avant sa création existait déjà l'Union Postale Africaine (UPA) instituée dès 1961 à Tanger. Dans le domaine des télécommunications, elle a lancé le réseau panafricain des télécommunications (PANAFTEL) ; (sur cet organe spécialisé, voir OIT : PANAF- TEL : Le Réseau de télécommunication. Genève, 1979) et le système de communi- cation africain par satellite (RASCOM) placé sous le contrôle de l'Union Africaine des Postes et télécommunications (UAPT) créée par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'UAM (Union Africaine et Malgache) réunie à Tananarive en septembre 1961. L'OUA a créé en outre diverses autres institutions spécialisées, notamment le Tribunal Administratif de l'OUA en 1967 à Kinshassa (V. la résolution du Conseil des Ministres proposant sa création : CM/ Res. (VIII)), la Commission Africaine pour l'Aviation Civile (CAFAC) en 1969, l'Organisation de l'Unité Syndicale Africaine (OUSA) en avril 1973 à Addis-Abeba, la Commission Scientifique, Technique et de la Recherche, le Conseil Supérieur des Sports en Afrique (CSSA), plus des cinq commissions spécialisées créées par la Charte, et qui après un fonctionnement rendu extrêmement difficile en raison de l'absence de quorum ont dû être réduites à trois puis portées à quatre. Mais la volonté de coopération et de solidarité ne signifie point désir d'unification. Encore le mot unité couramment employé dans la Charte peut-il être compris de différentes manières et avoir diverses implications ainsi que le soulignait l'Empereur Haïle Selassie au sommet du Caire en 1964l. Il en va de même d'ailleurs du mot panafricanisme, terme polysémique, équivoque, auquel chacun a tendance à attacher une signification personnelle, sans doute trop souvent passionnelle. En s'en tenant à l'étude des institutions principales prévues à l'article 7 de la Charte (Conférence des Chefs d'Etat et de Gou- vernement, Conseil des Ministres, Secrétariat Général, Commis- sion de médiation, de conciliation et d'arbitrage), il apparaît que l'évolution institutionnelle de l'Organisation continentale s'est déroulée suivant cette logique originaire qui entendait assurer la coordination des actions des Etats africains sans que cela aboutisse à un abandon de souveraineté. Ce n'est pas un hasard si la Charte a fait de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouver- nement l'organe suprême de l'organisation ; les autres organes lui sont soumis, subordonnés ou dépendants. Mais cette prééminence juridique contraste singulièrement avec une certaine inefficience pratique de l'organe. C'est qu'à l'expérience les organes de souveraineté (Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement et Conseil des Ministres) se sont prêtés au jeu des oppositions de groupes, cependant que la Conférence des Chefs d'Etat et de Gou- vernement a subi une certaine désaffection des Etats membres. L'hétérogénéité culturelle et idéologique de ces derniers a sans doute joué, mais aussi le poids du nombre, l'OUA ayant presque doublé ses effectifs depuis sa création en passant de 32 membres en 1963 à 51 en 1988 et bientôt sans doute à 52 avec l'accession prochaine de la Namibie à l'indépendance. Face à cette léthargie des organes de souveraineté et plus particulièrement de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouver- nement, les organes administratif et juridictionnel (Secrétariat

l'Union Africaine des Chemins de Fer (UAC) en 1972, et l'Agence Panafricaine d'Information (PANA). Cette Agence dont la création avait été proposée à la seconde session de la Commission de l'Education et de la Santé de l'OUA (V. Résolution EDC/ Res. 11 (II)) a vu effectivement le jour avec la convention qui l'institue, mais n'a démarré ses activités qu'à partir du 25 mai 1983 à (Sénégal) où se trouve son sièee. 1. « When we speak of African Unity, the word unity implies many things ». V. Y. El Ayouty, (Ed.), op. cit., p. 18. Général et Commission de médiation, de conciliation et d'arbi- trage respectivement) auraient pu affirmer leur autorité. Divers Secrétaires Généraux ont voulu combler ce qui a pu apparaître quelquefois comme un vide du pouvoir. Mais la réaction des organes de représentation des Etats contre ce qu'ils considèrent comme un empiétement sur des domaines de souveraineté s'est faite pressante, alors que parallèlement la Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage est tombée en désuétude. En sorte que si les organes de souveraineté n'ont pas toujours tenu leur place et joué pleinement leur rôle à l'épreuve des faits (Section I), les organes administratif et juridictionnel n'en ont pas moins connu, eux aussi, de nombreuses vicissitudes (Section II).

SECTION 1 LES ORGANES DE SOUVERAINETE A L'EPREUVE DES FAITS

La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement et le Conseil des Ministres sont les organes à travers lesquels s'exprime directement la souveraineté des Etats membres de l'OUA : ce sont les organes de représentation des Etats. Mais il s'agit de deux niveaux de représentation différents, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement assurant la représentation au niveau le plus élevé, alors que le Conseil des Ministres se situe à un stade inférieur. Il existe donc entre ces deux organes une hiérarchie nettement affirmée. Mais en dépit de sa suprématie qui résulte aussi bien de la Charte (art. 8) que de son règlement intérieur (art. 1er), la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement semble subir en pratique une sorte de recul en tant qu'organe décisionnel collectif, alors que dans le même temps s'affirme en son sein une « autorité » individuelle nouvelle que n'avait nullement prévue la Charte. L'évolution de la Conférence affiche en effet un caractère erratique (§ 1) dont ne rend suffisamment compte ni sa seule inefficience sur les principaux dossiers politiques, ni au contraire sa revitalisation récente sur le terrain économique, parce qu'il s'agit d'un mouvement plus fin, plus subtil touchant à la fois à la nature et à la structure fonctionnelles de l'organe. Mais la tourmente dans laquelle s'est souvent retrouvée l'organe suprême ces dernières années n'a profité à aucun autre organe de l'Organisation ; c'est que la Conférence étant au sommet de la structure hiérarchique de l'OUA, tout ce qui l'affecte rejaillit inéluctablement sur les autres organes, et plus directement sur le Conseil des Ministres qui est, comme elle, un organe de représentation des Etats membres. Autrement dit, la léthargie de la Conférence n'a pu et ne peut profiter au Conseil qui reste vis- à-vis de l'organe suprême largement tributaire des contraintes que lui impose sa dépendance (§ 2).

§ 1. La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement : l'évolution erratique de l'organe suprême Au fil des ans, et sans que l'on puisse en fixer avec exactitude le repère chronologique, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gou- vernement a vu se dégrader son identité organique, cependant que les nombreuses secousses qui l'ont traversée ont quelquefois menacé l'Organisation continentale dans son existence même. L'analyse permet en effet de relever une manière d'abâtardisse- ment de la Conférence résultant de son déclassement dû à l'absentéisme caractérisé d'un nombre croissant des Chefs d'Etat africains aux Sommets de l'OUA. Un tel phénomène a tendance à dévaloriser cet organe qu'ont souvent affaibli les affrontements entre les différents groupes (politiques ou idéologiques) qui ont émergé au sein de l'Organisation. La projection au niveau continental de la fonction présidentiel- le sortie tout droit de la pratique peut-elle alors être interprétée comme traduisant la nécessité pour l'Organisation de disposer d'un héraut capable de parler pour elle là où la Conférence ne peut agir efficacement en tant qu'organe collectif de représentation ? L'hypothèse mérite d'être examinée au regard de l'affermissement récent de la fonction de « Président en exercice » de l'OUA.

A. Le déclassement de l'organe suprême du fait de la désaffection des Chefs d'Etat De prime abord, on pourrait croire que seuls les Chefs d'Etat et de Gouvernement en personnes peuvent prendre part aux Sommets de l'OUA. Mais l'article 9 qui fixe la composition de la Conférence précise que celle-ci « est composée des Chefs d'Etat et de Gouvernement, ou de leurs représentants dûment accrédi- tés... ». Cet assouplissement dans la représentation des Etats au sein de l'organe suprême de l'Organisation a produit des effets pervers. En effet le nombre des Chefs d'Etat et de Gouvernement ayant pris part personnellement aux différents Sommets de l'OUA est allé décroissant depuis la création de l'Organisation. Si à la première Conférence, en 1963, presque tous les Chefs d'Etat étaient présents, il n'en a plus été ainsi par la suite1. C'est que,

1. Cette tendance avait été souligné par M. B. Boutros-Ghali dès 1969. V. L'Organisation de l'Unité Africaine, Paris, A. Colin (Coll. U), 1969, p. 107; Les difficultés institutionnelles du panafricanisme, IUHEI de Genève, 1971, Collection tirant parti de l'article 9 précité, les Chefs d'Etat préfèrent le plus souvent se faire représenter plutôt que de faire le déplacement eux-mêmes 1. Cet absentéisme des Chefs d'Etat a pour conséquence de trans- former la Conférence « d'une assemblée diplomatique à l'échelon le plus élevé... en une simple conférence des ministres et des représentants personnels des Chefs d'Etat » 2. Il s'opère ainsi une modification de la nature même de la Conférence, puis un déclas- sement de cette institution qui, d'organe théoriquement suprême s'abaisse en réalité au niveau du Conseil des Ministres avec lequel il vient de la sorte à faire double emploi. Car dans ces conditions, le Conseil des Ministres ne joue plus seulement un rôle de préparation et d'expertise auprès de la Conférence qui, elle, prend souverainement les décisions ; il prépare et tranche en définitive dans la mesure où très souvent, les ministres qui représentent les Chefs d'Etat à la Conférence sont les mêmes qui ont pris part au Conseil des Ministres précédant le Sommet. Celui-ci n'est plus alors qu'une réédition à peine corrigée du Conseil. Défiance ou indifférence vis-à-vis de l'Organisation panafricaine ou crise de confiance dans ses institutions, cette désaffection des Chefs d'Etat pour les Sommets de l'OUA entraîne une mutation institutionnelle tendant à modifier l'équilibre des pouvoirs entre ses organes principaux, et surtout à entamer l'efficience de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. La périodicité annuelle des Sommets de l'OUA serait-elle à l'origine de cette situation ? On a pu le penser, et c'est sans doute

« Conférences » n° 9, p. 28. L'auteur notait que des 29 Chefs d'Etat et de Gouver- nement présents au Caire, on est passé à 19 à Accra en 1965, 16 à Addis-Abeba en 1969, 14 à Addis-Abeba en 1970 ; on en dénombrait moins d'une dizaine à Port- Louis en 1976. Or comme l'a indiqué M. Borella, on sait que le nombre des Chefs d'Etat est un bon indicateur de santé des organisations africaines. (V. F. Borella : « Evolution récente de l'Organisation de l'Unité Africaine », AFDI, 1974, p. 216.) 1. Certes, avec la stabilisation à un niveau acceptable de la participation des Chefs d'Etat aux IXème (22 Chefs d'Etat), Xème (22 Chefs d'Etat, 5 Chefs de Gouverne- ment et 3 Vice-Présidents) et XI ème (22 Chefs d'Etat) Sommets, respectivement en juin 1972, mai 1973 et juin 1974, la Conférence et le Conseil retrouvaient un lustre et une autorité qu'ils avaient perdu progressivement. On a pu parler alors du « redressemement institutionnel » de l'Organisation (V. F. Borella : art. précité pp. 216, etc). L'explication de cette courte assiduité se trouve en réalité, premièrement, dans la capacité de mobilisation déployée en 1972 par le Maroc après le très faible niveau de participation des Chefs d'Etat enregistré au Sommet de 1971 ; deuxièmement dans le fait que le Sommet de 1973 était celui du Xème anniversaire d'une Organisation dont peu de personnes pouvaient parier sur la survie au moment de sa création ; troisièmement enfin, dans l'intérêt particulier que présentait le Sommet de 1974 à la suite de l'initiative malheureuse du Secrétaire Général de l'Organisation, M. , empêtré dans « l'affaire Lonrho ». 2. V. B. Boutros-Ghali, op. cit., p. 28. pourquoi la Tunisie et la Zambie avaient proposé une révision de l'article 9 de la Charte afin d'instituer plutôt une périodicité bi- annuelle des Sommets. On indiquait à titre de comparaison qu'aux termes de l'article 35 de la Charte de Bogota instituant l'Organi- sation des Etats Américains (OEA) la Conférence interaméricaine qui est l'organe suprême de l'OEA ne se réunit que tous les cinq ans. Mais la modification proposée qui, pour être bien inspirée, ne garantissait nullement l'assiduité des Chefs d'Etat et de Gouver- nement aux Sommets de l'OUA n'a jamais été adoptée. Il n'est d'ailleurs pas certain aujourd'hui que la périodicité des réunions de la Conférence soit réellement en cause. Sinon comment expliquer que la plupart des Sommets franco-africains qui se tiennent pourtant chaque année rassemblent désormais plus de Chefs d'Etat africains que les Sommets de l'OUA ? A l'analyse, il est permis de penser que la véritable explication se trouve ailleurs, dans la situation politique interne de la plupart des Etats africains. L'instabilité chronique de nombres de régimes politiques du continent n'encouragent pas les Chefs d'Etat à faire des déplacements officiellement programmés à des dates connues de tous longtemps à l'avance. Il n'est pas douteux en effet que l'expérience des coups d'Etat perpétrés contre des Chefs d'Etat participant à des conférences au sommet a freiné l'enthousiasme de nombreux Chefs d'Etat du continent pour les Sommets de l'Organisation panafricaine. Le renversement de l'ancien Chef d'Etat nigérian, le général Yacoubou Gowon alors qu'il participait au Sommet de Kampala en 1976 avait provoqué le choc. Les coups d'Etat ultérieurs perpétrés dans les mêmes conditions contre d'autres Chefs d'Etat africains, ainsi que le renversement plus récent du Burundais Jean-Baptiste Bagaza alors qu'il prenait part au Sommet franco-africain de 1986 a certainement enraciné les Chefs d'Etat membres de l'OUA dans cette méfiance. Tout se passe désormais comme si un Chef d'Etat ne se rend à un sommet quelconque que lorsqu'il estime avoir une maîtrise suffisante de la situation politique dans son pays. Or il n'est pas certain que la plupart d'entre eux soient dans cette situation. Ainsi diminué par une modification quasi imperceptible de sa nature, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement est nécessairement moins efficace dans son processus décisionnel ; car du moment où la recherche de l'unanimité, ou à tout le moins du consensus le plus large, prévaut en pratique au sein de la Conférence en dépit de la règle de la majorité prévue par la Charte, il faut que chaque délégation présente à un Sommet dispose de la plus grande marge de manœuvre en cas de tractations. Cela n'est nullement le cas pour les représentants de Chefs d'Etat qui s'en tiennent généralement à des positions minimums, en attendant d'en référer à leurs mandataires. L'absentéisme des Chefs d'Etat agit ainsi, à l'instar des querelles politico-idéologiques, comme un facteur d'affaiblissement de l'organe suprême de l'OUA.

B. Les affrontements entre groupes1 Dès le départ, la diversité des colonialismes qui ont sévi sur le continent exposait l'OUA à d'inévitables divisions. En particulier, les clivages linguistiques à base historique ont suscité dès 1960 une solidarité entre Etats francophones sous l'impulsion de Félix Houphouët-Boigny, laquelle donna naissance à l'Union Africaine et Malgache (UAM) 2. Cette solidarité institutionnalisée survécut à la naissance de l'OUA et prit plusieurs formes, passant de l'UAM à l'UAMCE (Union Africaine et Malgache de Coopération Economique) et enfin à l'OCAM (Organisation Commune Afri- caine et Malgache) qui a été dissoute en 1987 seulement. Ce groupe francophone se manifeste à plusieurs reprises, notamment à l'occasion du problème congolais où il supporta Kasavubu contre Lumumba3. Le groupe anglophone 4 sera moins consistant et en tout cas éphémère au sein de l'OUA. Néanmoins sa solidarité s'est mani- festée notamment à l'occasion de la désignation des Secrétaires généraux de l'Organisation. Ces rivalités qui n'étaient que le prolongement des liens tissés par la colonisation ont progressivement cédé le pas à des alliances idéologiques et politiques chevauchant les frontières linguistiques. Sans rentrer dans les subtiles classifications des alliances

idéologiques existant dans l'OUA proposées par les auteurs 5, on constate que la fissuration idéologique du continent née des rivalités entre les superpuissances 6 s'est profondément répercutée

1. Sur le phénomène de groupe au sein de l'OUA, voir chapitre 5 infra. 2. Rappelons que cette institution était née de la rencontre à Abidjan de 12 Etats francophones réunis pour discuter de la question algérienne, à savoir : le Cameroun, le Congo, la Côte-d'Ivoire, le Dahomey (Bénin), le , la Haute- Volta (Burkina Faso), Madagascar, la Mauritanie, le Niger, la République Centrafricaine, le Sénégal et le Tchad. (V ; Zdenek Cervenka, The Organisation of African Unity and its Charter, London, C. Hurst & Company, 1968, p. 54. 3. Zdenek Cervenka, Ibid, p. 53. 4. Il était composé essentiellement du Nigéria, du Libéria, du Kenya, de la Sierra Leone et du Malawi. 5. Elles sont présentées par M. David Sinou dans sa thèse de doctorat de 3ème cycle en Relations internationales : Le phénomène des groupes à l'OUA : Fondement, dynamique et incidence (1963-1983), Yaoundé, IRIC, 1987. 6. V. Zaki Laïdi : Les contraintes d'une rivalité, les superpuissances et l'Afrique (1960-1985), Paris, Ed. La Découverte, 1986. au sein de l'Organisation panafricaine. Au point que même les questions de décolonisation sur lesquelles on croyait l'unanimité définitivement acquise entre Etats africains ont donné lieu à des oppositions entre tendances « progressiste » et « modérée ». Ainsi le Sommet extraordinaire sur l'Angola qui s'est réuni à Addis- Abeba, du 10 au 13 janvier 1976, vit s'affronter deux blocs rigoureusement égaux, partisans et adversaires de la République populaire d'Angola proclamée le Il novembre 1975 par le MPLA de Agostino Neto. L'Organisation a débattu de deux projets de résolution rivaux. Le premier dont le Président de la République du Sénégal (Senghor) se fit l'âpre défenseur appuyé par l'ensemble des Etats africains modérés, préconisait l'instauration d'un cessez-le-feu et la formation d'un gouvernement d'union nationale où siégeraient les représentants des trois mouvements de libération (MPLA, UNIT A, FNLA). Cette résolution condamnait par ailleurs toutes les interventions extérieures, celle de l'Afrique du Sud comme celle de l'URSS et de Cuba. La seconde résolution, présentée par le Nigéria, apportait un appui sans réserve au MPLA, et demandait à l'OUA d'admettre la République populaire d'Angola comme 47ème Etat membre. Le Sommet s'acheva sur un échec : aucune des deux résolutions n'obtint la majorité requise1. La ligne de clivage n'est d'ailleurs pas toujours rigoureusement idéologique ; elle suit plus souvent la ligne d'orientation de la politique étrangère des Etats, ce qui explique que certains pays pratiquant une politique économique de type libéral et ayant des alliances avec les pays capitalistes se retrouvent souvent au sein du groupe des pays dits « progressistes ». C'est le cas du Nigéria. Quoi qu'il en soit, le conflit du Shaba et les conséquences de l'intervention franco-marocaine, les oppositions parfois radicales à l'occasion de la désignation des Secrétaires généraux de l'Organisation 2, les violents affrontements entre groupes à propos du Sahara occidental et notamment sur l'admission de la

1. V. Albert Bourgi : « Les Organisations régionales africaines », Annuaire du Tiers-Monde, 1977, p. 418. 2. Notamment lors de la désignation du successeur de M. Nzo Ekangaki au Sommet de Mogadiscio en juin 1974 où M. Eteki Mboumoua fut élu après le retrait des deux candidats rivaux, Somalien et Zambien ; du successeur de M. Eteki Mboumoua au Sommet de en juillet 1978 où M. ne fut élu qu'au 16ème tour du scrutin après plusieurs suspensions de séances et des négociations en coulisses ; du successeur de M. Edem Kodjo au XIXème Sommet (Addis-Abeba) en juin 1983 où s'affrontèrent le Malien Alioune Blondin Beye et le Gabonais Paul Okumba d'Okwatsegue sans qu'aucun des deux put être élu, en dépit même du désistement de M. Beye au 6ème tour ; et même lors de l'élection du Nigérien Idé Oumarou au XXIème Sommet en juillet 1985 à Addis- Abeba. (V. Akibou Naïm : Le Secrétaire Général de l'OUA. Mémoire de Maîtrise en Relations internationales, Yaoundé, IRIC, 1986, pp. 13-21). RASD à l'OUA 1 ont consolidé les clivages entre l'Afrique « mili- tante », radicale-progressiste, et l'Afrique « modérée » dite libé- rale. Les conséquences institutionnelles de cette situation sont de deux ordres : - premièrement, elle a tendance à transformer l'Organisation panafricaine en une caisse de résonance des rivalités Est-Ouest (cette première conséquence semble cependant atténuée aujourd'hui, d'une part en raison de l'amélioration sensible des relations entre les Etats-Unis et l'URSS et de la baisse consé- quente des tensions dans le monde, d'autre part du fait de la convergence entre les Etats africains dans la recherche de solutions à la situation économique dramatique du continent et en particulier à l'épineux problème de la dette) ; - deuxièmement, elle entame l'efficience de la Conférence sur les principaux dossiers politiques du continent alors même qu'elle apparaît comme l'ultime recours, l'instance suprême devant arbitrer les conflits qui secouent l'Afrique. Ces divisions au reste minimisées par l'ex-Secrétaire Général de l'OUA, M. Idé Oumarou, qui les considérait comme « un fac- teur de vitalité » 2 se reproduisent inévitablement, avec les mêmes conséquences, au sein du Conseil des Ministres. Elles semblent avoir concouru, certes de façon très indirecte, à l'affirmation de la fonction présidentielle au sein de l'OUA, en rendant possible la réorientation de l'Organisation continentale sur un terrain où les Chefs d'Etat Africains pouvaient accepter plus facilement qu'un de leurs pairs parle en leurs noms sans que cela entame leurs souverainetés personnelles.

C. La projection à l'échelle continentale de la fonction présidentielle Le fait que l'organe suprême de l'OUA soit composé de Chefs d'Etat et de Gouvernement revêt une importance particulière au regard de l'analyse institutionnelle de l'Organisation. Il symbolise la juxtaposition des souverainetés présidentielles résultant de la

1. A la XXème session ordinaire de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement (12-15 novembre 1984 à Addis-Abeba) qui a consacré cette admission, le Secrétaire général de l'OUA par intérim, M. Peter Onu, adressait ses félicitations au « Président en exercice » qui a, déclarait-il, par sa détermination, « sauvé l'Organisation des affres de la désintégration, même si le problème du Sahara occidental n'est pas encore résolu. » Cf. Doc. A. HG/117 (XX) Part 1 : Note introductive sur les rapports d'activité du Secrétaire général par intérim couvrant la période allant de mai à octobre 1984, Addis-Abeba, novembre 1984, p. 1. 2. Voir son interview dans Cameroun Tribune, n° 4325 du vendredi, 10 février 1989, p. 2. parfaite égalité entre Etats membres. Cette approche du panafri- canisme s'accomode mal des transcendances, de toute forme de transcendance. Elle condamne l'OUA à un strict interétatisme. Il n'est donc pas étonnant que la Charte fasse très explicitement de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement l'Organe suprême de l'Organisation. Pourtant à l'expérience, la Conférence a sécrété un nouvel « organe » que ne prévoit aucun texte de l'OUA : le « Président en exercice » est désormais une composante organique de la Conférence et plus largement de l'Organisation panafricaine. Il s'agit d'un « organe » né des nécessités fonctionnelles. Il fallait à l'Organisation continentale un représentant auréolé du prestige de Chef d'Etat pour lui servir de porte-parole dans les enceintes internationales : dans la conception interétatique du régionalisme africain, le Secrétaire Général de l'Organisation ne pouvait jouer ce rôle quelle que fût sa personnalité ; c'est pourquoi la fonction de « Président en exercice » s'est imposée de facto à la tête de l'Organisation, et cela depuis plus d'une décennie. Il fallait à la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement un « organe individuel » émanant de son sein, chargé de faire écho aux décisions de la Conférence entre deux Sommets. Ainsi, à la faveur d'une dynamique de la fonction particulièrement marquante depuis la réorientation économique de l'OUA à la XXème Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, le « Président en exercice » tend à accroître son importance au sein de l'Organi- sation. 1 En annihilant la capacité d'action de la Conférence, les divisions politiques consécutives à l'affaire du Sahara occidental dont l'OUA porte encore les séquelles ont préparé d'une certaine façon cet affermissement de la fonction présidentielle à la tête de l'Organisation panafricaine. En effet, au sortir de cette crise profonde, l'Organisation continentale avait besoin d'une impul- sion nouvelle dans l'action qu'ont su lui donner les « Présidents en exercice » qui se sont succédés depuis 1985. Mais le « Président en exercice » de l'OUA n'est nullement devenu le Président des Présidents, le chef des Chefs d'Etat et de Gouvernement ; il n'est pas devenu « le Président de l'Afrique » 2. Il a seulement accru son rôle au service de l'Organisation et du continent. Au demeurant, il y a lieu de penser que le développe- ment de son envergure est simplement toléré par ses pairs. Et il ne l'est probablement que parce que la fonction est tournante et le mandat de très courte durée : quelles que soient la personnalité et l'efficacité d'un « Président en exercice », il est évident qu'il ne

V. chapitre II, infra. 2. V. Edem Kodjo, Préface à l'ouvrage d'Edmond Jouve : op. cit p. 11. peut s'enraciner au bout d'une seule année de fonction au reste non renouvelable immédiatement en pratique. Par suite il ne pourrait réellement porter ombrage aux autres Chefs d'Etat. Il le pourrait d'autant moins qu'il reste pendant cette période confronté à ses propres problèmes internes, et qu'il est livré à lui- même sur le plan financier1. En raison de ses origines empiriques, de l'imprécision de son rôle, de l'absence d'un domaine de compétences explicites qui lui soit propre, il est contraint de recourir aux moyens dont il dispose sur le plan national pour mener à bien son action continentale. Et s'il peut s'appuyer sur le Secrétaire Général de l'OUA, il ne peut nullement solliciter le Conseil des Ministres qui, comme lui, est comptable devant la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouverne- ment dont il dépend étroitement.

§ 2. Le Conseil des Ministres : les contraintes de la dépendance Le Conseil des Ministres est, par rapport à la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, l'organe le plus dynamique. En effet,« la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement étant un organe lourd, solennel, surchargé de travail qui donne sa préférence aux grands problèmes de l'heure »2, il revient au Conseil des Ministres d'examiner à fond toutes les questions politiques ou techniques dont est saisie l'OUA. Pourtant son autonomie décisionnelle est très faible parce que ses pouvoirs restent limités. Il ne dispose que de compétences subsidiaires sur les matières internes à l'Organisation. Pour le reste c'est un organe subalterne fondamentalement dépendant de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. Son évolution n'a modifié réellement ni son rôle au sein de l'Organisation, ni sa position dans la hiérarchie des organes.

A. Une faible autonomie décisionnelle

Le Conseil des Ministres est le deuxième organe dans la structure hiérarchique de l'OUA. Son champ d'intervention est très large. Et il arrive qu'en dehors des « voeux » ou « recomman- dations » que le Conseil soumet à la Conférence, il prenne aussi des résolutions exécutoires, soit en application des directives données par la Conférence, soit de sa propre initiative notamment lorsqu'il se réunit en session extraordinaire pour régler un

1. Cette situation est si préocupante que l'ex Secrétaire Général de l'OUA y avait attiré l'attention des Ministres au Conseil de juillet 1987. Cf. CM/1427 (XLVI) part 1 : Note introductive du Secrétaire Général, Addis-Abeba, juillet 1987, p. 27. 2. V. François Borella : « Le système juridique de l'OUA », art. précité p. 219. problème dont l'urgence est signalée1. En outre le Conseil exerce la tutelle sur le Secrétaire Général et sur les Commissions spécialisées créées par la Conférence et dont il approuve le règlement intérieur 2. Mais s'il dispose de nombreuses attributions, le Conseil « n'a pas de pouvoir propre de décision »3, même s'il peut influencer les décisions de la Conférence sur les dossiers techniques. C'est seulement dans le domaine financier que la Charte lui reconnaît une réelle autonomie décisionnelle. En effet, l'article 23 de la

Charte en fait l'instance d'approbation du budget préparé par le Secrétaire Général de l'Organisation 4. Il dispose par ailleurs du pouvoir d'instituer tous comités ad hoc et groupes temporaires de travail qu'il juge nécessaire5

B. Une étroite dépendance vis-à-vis de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement Les attributions dévolues par la Charte au Conseil des Ministres sont importantes : il est chargé de la préparation de la Conférence6, connaît de toutes les questions que la Conférence lui renvoie, exécute les décisions de la Conférence, met en œuvre la coopération interafricaine selon les directives des Chefs d'Etat et de Gouvernement 7. Mais comme on peut le constater, chacune de ces compétences ne peut s'exercer que sous la directive ou le contrôle de la Conférence.L'article 31 § 1 est extrêmement clair à ce sujet, qui affirme d'entrée de jeu : « Le Conseil des Ministres est responsable envers la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement. » Sauf les rares cas précédemment évoqués, il ne lui appartient pas de décider proprio motu. Sa qualité d'organe de préparation de la Conférence et d'animation de l'Organisation (en raison de ses deux sessions annuelles) n'a qu'une faible traduction en termes de pouvoirs notamment sur les questions politiques. Car la hiérarchie établie par la Charte ne saurait

1. V. B. Boutros-Ghali : L'Organisation de l'Unité Africaine, op. cit. p. 114 2. Cf. art. 22 de la Charte. 3. V. B. Boutros-Ghali, op. cit., p. 114 4. M. Kwam Kouassi affirme d'ailleurs que c'est en cette matière seulement qu'il est reconnu aux décisions du Conseil un caractère exécutoire. (Cf. Organisations internationales africaines, op. cit. p. 135) La remarque est fondée au regard de la lettre de la Charte. Mais il est incontestable que la pratique s'est développée de voir le Conseil des Ministres prendre des mesures exécutoires dans des situations d'urgence, et ce pouvoir autonome de fait n'a jamais été contesté ; 5. Cf. art. 36 du règlement intérieur du Conseil. 6. Cf. art. 13 § 1 de la Charte. 7. Cf. art. 13 § 2 de la Charte. s'interpréter en un partage de pouvoir entre la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement et le Conseil des Ministres : « elle voudrait simplement signifier que la Conférence est le seul organe suprême, le seul habilité en dernier ressort à prendre des décisions et que le Conseil des Ministres ne peut agir que sur invitation ou délégation de la Conférence, qu'à la limite une décision prise par lui peut être révoquée par la Conférence » 1 De fait, les initiatives prises par le Conseil ne deviennent des décisions contraignantes que pour autant qu'elles ne contrarient pas la ligne politique de la Conférence. L'exemple classique est le désaveu du Conseil à la suite de l'affaire rhodésienne : après la proclamation unilatérale de l'indépendance de la Rhodésie du Sud, le 11 novembre 1965, par Ian Smith, le Conseil des Ministres de l'OUA réuni en session extraordinaire à Addis-Abeba décida de la rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, l'accusant d'avoir « laissé faire » en dépit des mises en garde des Etats africains. La recommandation du Conseil ne fut guère suivie par la plupart des pays membres de l'Organisation continentale. Sauf quelques neuf Etats, l'Afrique des Chefs d'Etat désavoua ses ministres 2. L'évolution des organes permanents n'a pas moins souffert de cette pesanteur de la souveraineté des Chefs d'Etat et par suite de la Conférence.

SECTION Il LES VICISSITUDES DES ORGANES ADMINISTRATIF ET JURIDICTIONNEL

A côté des organes intermittents que sont la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement et le Conseil des Ministres, l'article 7 de la Charte d'Addis-Abeba prévoit deux organes permanents dont l'un, le Secrétaire Général apparaît comme l'exécutif de l'Organisation, et l'autre, la Commission de média- tion, de conciliation et d'arbitrage constitue l'organe juridic- tionnel. La fonction de Secrétaire Général, réduite par les fondateurs de l'Organisation aux simples tâches d'exécution des décisions des organes de souveraineté a connu des évolutions étroitement liées

1. V. François Borella : « Le régionalisme africain et l'OUA », Annuaire Français de Droit International (AFDI), 1963, p. 855. 2. V. sur la question, Adolphus Kingsley Arthur : The severance of diplomatic relations as sanction in international relations : a case study of the OUA (1963- 1983), Yaounde, IRIC, Memoire D.E.S. en Relations internationales, 1984. à la personnalité des différents Secrétaires Généraux qui se sont succédés depuis 1964. Mais les tentatives de renforcement de cette fonction se sont heurtées à la ferme opposition des organes de souveraineté (§1). Quant à la Commission de médiation, de conciliation et d'arbitrage, elle est tout simplement tombée en désuétude (§ 2) au point que l'on en oublie même l'existence formelle.

§ 1. Les tentatives contrariées de renforcement du rôle du Secrétaire Général En tant qu'institution administrative permanente, le Secrétaire Général assure la continuité de l'Organisation. Mais ses fonctions ne sont clairement définies ni par la Charte1, ni par le règlement intérieur de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement 2. S'il intervient à diverses occasions et de différentes manières dans le jeu complexe des relations entre Etats membres, il n'est pas aisé de dire avec l'appui d'un texte quelle est sa place et quel rôle lui est imparti dans la solution des conflits. Devant l'imprécision des instruments juridiques, la fonction s'est développée de façon empirique au gré de la personnalité des différents Secrétaires généraux. Chacun a dû définir lui-même le contenu de sa mission3. La tendance générale a été à l'élargissement du rôle du Secrétaire Général et à l'accroissement de ses pouvoirs. Il semble pourtant que la controverse qui avait opposé au moment de la création de l'Organisation même les tenants d'un Secrétaire Général confiné à une pure fonction d'exécutant et ceux qui étaient disposés à lui reconnaître la qualité d'un organe exécutif disposant de larges pouvoirs d'initiative se soit soldée à l'avantage des premiers. La nature même de l'OUA ne permettait pas qu'il en fût autrement. Et ni la révision de la Charte de juillet 1979, ni la tendance qui s'est dessinée en pratique n'ont pu faire du Secrétaire Général de l'OUA, autre chose qu'un organe d'exécu- tion des décisions prises par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement et le Conseil des Ministres.

A. La vacuité de la réforme de juillet 1979 au regard du rôle du Secrétaire Général de 1'0 UA La nécessité de « rendre les institutions et les mécanismes de l'Organisation plus efficaces pour renforcer l'Organisation dans

1. Cf. article 16 à 17 de la Charte. 2. Cf. article 32 à 33 du règlement intérieur. 3. V. Akibou Naïm, op. cit., p. 6. tous les domaines » a amené la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de l'OUA réunie en sa XVIème session ordinaire à Monrovia, du 17 au 20 juillet 1979, à prendre une décision sur la révision de la Charte : il fallait « réexaminer les dispositions de la Charte à la lumière des changements et des nouvelles réalités en Afrique » 1. Un Comité de révision fut créé à cet effet et procéda à une manière de « toilettage » de la Charte. La réforme de 1979 modifie la procédure de désignation du Secrétaire Général et de ses adjoints 2. L'article 16 de la Charte de 1963 disposait que le « Secrétaire Général administratif est désigné par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement, sur proposition du Conseil des Ministres », et l'article 17 confiait à ce dernier le pouvoir de désigner « un ou plusieurs Secrétaires généraux adjoints qui seront nommés par l'assemblée des Chefs d'Etat et de Gouvernement. » Or les articles 16 et 17 nouveaux attribuent exclusivement à la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement le pouvoir de désignation du Secrétaire Général et de ses adjoints. Il ne fait pas de doute que par l'attribution exclusive de ce pouvoir à l'organe suprême de l'Organisation on a voulu rehausser le prestige de la fonction de Secrétaire Général et de ses adjoints et par suite, souligner l'importance du Secrétariat. N'a-t-on pas voulu aussi faire évoluer la fonction de Secré- taire Général dans le sens d'un renforcement de son pouvoir ? Il y a lieu de le penser. Surtout que le texte de 1979 parle désormais de « Secrétaire Général » et non plus de « Secrétaire Général admi- nistratif ». La suppression de l'épithète administratif a créé de toute façon l'illusion. Mais si la révision de 1979 visait effectivement à sortir le Secrétaire Général de la fonction purement exécutrice dans laquelle la Charte de 1963 l'avait strictement enfermée, il n'est pas sûr qu'elle y soit parvenue. En effet, en s'abstenant de donner à cet objectif une traduction normative explicite dans la Charte, cette révision s'est réduite à une réformette de caractère plutôt symbolique. Car n'ayant ni accru formellement les pouvoirs du

1. Résolution AHG/DED (XVI) Rev 1 in Ba Abdoul, Bruno Koffi, Sahli Fethi, L'Organisation de l'Unité Africaine. De la Charte d'Addis-Abeba à la Convention des Droits de l'Homme et des Peuples, Paris, Silex Editions, 1984, p. 78. 2. Avant la réforme de la Charte de juillet 1979, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement réunie en sa XVème session ordinaire à Khartoum, du 18 au 22 juillet 1978, avait décidé de créer le cinquième poste de Secrétaire Général adjoint de l'OUA pour la région australe « avec effet immédiat ». Le cinquième Secrétaire Général adjoint avait été nommé au cours de la même session (V. Résolution AHG/res. 92 (XV), in Résolutions et Déclarations adoptées par la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement 1963-1983, Addis-Abeba, février 1987, p. 106. Secrétaire Général, ni même défini plus précisément son rôle, elle l'a maintenu dans la situation antérieure où le contenu exact de ses compétences dépendait des organes de souveraineté, notam- ment du Conseil des Ministres auquel il reste subordonné, et le poids de sa fonction de la capacité d'initiative personnelle du titulaire. De fait, si la situation de complète subordination du Secrétaire Général était plus clairement indiquée dans la Charte de 1963, les choses sont moins claires désormais, le Secrétariat étant, déplore M. Kodjo, « tantôt administratif », « tantôt géné- ral ». En sorte que « même les plus hautes autorités africaines ne s'y retrouvent pas toujours, et ce flottement est révélateur de la méfiance qui entoure le poste » 1. Concrètement donc, on n'est pas plus avancé après 1979 : un Secrétaire Général impétueux soulève les mêmes conflits de compétences et les mêmes réactions négatives du Conseil ou de la Conférence aujourd'hui comme hier ( et Edem Kodjo se situent bien de part et d'autre de la date repère). Au contraire, un Secrétaire Général souple, conscient de sa position de subordina- tion vis-à-vis des organes de souveraineté s'intégrera sans heurts, aujourd'hui comme hier, dans le jeu institutionnel de l'OUA ; il lui suffit de s'en tenir à jouer le rôle qui est celui de tout organe administratif au sein d'une organisation interétatique fondamen- talement politique. En somme, si le statut de Secrétaire Général est assez bien défini, l'étendue de ses pouvoirs restent nébuleux. Il est, comme l'indique encore M. Edem Kodjo, « à la fois tout et rien » ; il « n'est en définitive que ce qu'on veut qu'il soit, au gré des circonstances, et ce qu 'il est décidé à être. A lui de se battre en toute occasion pour s'imposer »2. Peut-être quelques-uns y sont-ils parvenus. Mais à l'expérien- ce, il apparaît que chaque fois qu'un Secrétaire Général a cherché à étendre son rôle et surtout à accroître ses pouvoirs, les organes de souveraineté de l'OUA l'ont aussitôt condamné en procédant à une manière de rappel à l'ordre.

B. La vigilance des organes de souveraineté contre toute pratique du Secrétaire Général tendant à accroitre ses pouvoirs

On a fait remarquer qu'en dépit de la conception originale de la Charte, il est difficile en pratique de faire du Secrétaire Général d'une organisation internationale à compétence générale un organe purement administratif. En l'occurrence, l'ampleur et la

1. Edem Kodjo, Préface à l'ouvrage précité, p. 11. 2. Ibid p. 12. Les italiques sont celles du préfacier. nature des tâches confiées au Secrétaire Général de l'OUA, le caractère multiforme de ses fonctions et responsabilités lui assurent, sinon un rôle politique, du moins une influence diplo- matique indéniable 1. De fait, le Secrétaire Général joue un rôle significatif, notam- ment en matière de règlement des différends où il dispose d'une certaine capacité d'initiative 2 et peut mettre en œuvre une « di- plomatie personnelle ». Sur un plan général, M. E. Kodjo estime d'ailleurs que son rôle « dépendra de sa force de caractère, de sa personnalité propre, de sa détermination, de son entêtement à faire passer certaines idées, de son mépris pour les succès faciles et la routine administrative, le tout lié à ses talents de diplomate » 1. Pourtant rien n'est moins aisé en pratique. En effet, toute « doctrine personnelle » des Secrétaires généraux de l'OUA s'est toujours heurtée à la critique des Chefs d'Etat et de Gouverne- ment. Ils ne sauraient profiter des interstices de la Charte pour développer des pouvoirs propres. On peut en juger par l'attitude des représentants des Etats à propos du « Treaty making power » de l'OUA. Devant le silence des textes quant à l'organe ayant la capacité d'engager l'Organisation dans les relations internatio- nales, le premier Secrétaire Général administratif de l'OUA, Diallo Telli, crut comme il était logique de le penser, que c'était le Secrétaire Général de l'Organisation en raison de son caractère permanent. Les débats sur la question se déroulèrent dans le cadre du Comité B de la Vllème session du Conseil des Ministres tenue à Addis-Abeba du 1er au 5 novembre 1966. C'est à l'occasion du rapport qu'il présenta sur les relations entre l'OUA d'une part, les Nations Unies et leurs institutions spécialisées d'autre part, que Diallo Telli fut interpellé par le représentant de la République Arabe Unie sur son rôle dans l'élaboration des accords signés entre l'OUA et les institutions du système des Nations Unies. Avait-il simplement paraphé ces accords ou les avait-il effectivement signés ? La réponse du Secrétaire Général administratif arguant qu'il avait signé ces accords sur la base de la résolution 33/ AHG de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement lui deman- dant de mettre tout en œuvre pour promouvoir les relations entre l'OUA et le système des Nations Unies provoqua la désapproba- tion générale du Conseil 4. En tant qu'elle touche directement à des domaines essentiels de la vie de l'Organisation, la capacité de

1. V. E. Kwam Kouassi, Les rapports entre l'Organisation des Nations unies et l'Organisation de l'Unité Africaine, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 158. 2. V. Antoine Zanga, l'OUA et le règlement des différends, thèse Paris V, 1978, Paris, ABC, 1987. 3. V. Préface à l'ouvrage de M. Jouve précité, p. 12. 4. V. E. Kwam Kouassi, op. cit., p. 163. conclure les traités ressortit à la seule compétence des représen- tants des Etats. Et s'il est admis que le Secrétaire Général peut signer des accords avec des institutions internationales, il ne peut le faire qu'après approbation du Conseil des Ministres1. Certes Diallo Telli avait, par sa forte personnalité, souvent orienté l'action de l'OUA selon ses vues personnelles, et par son dynamisme, contribué au rayonnement de l'Organisation panafri- caine2. Mais ce fut à son corps défendant, car les Chefs d'Etat avaient estimé qu'il outrepassait son rôle en « exprimant des opinions personnelles au lieu de se borner à rapporter les décisions de l'Organisation »3 . En sorte que lorsqu'en 1972 expira son second mandat, de nombreuses délégations ne souhaitaient pas reconduire « un homme qui avait toujours été à l'étroit dans le cadre purement administratif de ses fonctions » 4. C'est ainsi que le Sommet de Rabat élut à sa place M. Nzo Ekangaki, le 14 juin 1972. N'ayant pas tiré les leçons de l'expé- rience fâcheuse de son prédécesseur, celui-ci fut confronté à son tour au problème de la capacité du Secrétaire Général à engager l'OUA par voie d'accord. En effet, pour résoudre le problème du. pétrole auquel étaient confrontés la plupart des Etats africains après la guerre d'octobre 1973, M. Nzo Ekangaki alors nouvelle- ment désigné prit l'initiative, en février 1974, de signer au nom de l'OUA, avec la LONRHO (London and Rhodesian Mining and Land Company) un accord aux termes duquel l'Organisation panafricaine confiait à ce holding des fonctions de « consultant, mais aussi d'entrepreneur, d'acheteur, d'intermédiaire, de ban- quier, dans des domaines aussi variés que les services, les biens d'équipement, les denrées alimentaires. » Le désaveu du Secré- taire Général administratif fut d'autant plus total qu'il avait non seulement débordé le cadre de ses compétences reconnues par les Chefs d'Etat mais, plus grave encore, engagé l'OUA vis-à-vis

1. V. par exemple le Secrétaire Général de l'OUA, après approbation du Conseil des Ministres, a signé les accords suivants : Accord de subvention dans le cadre du Fond Spécial d'Urgence pour la lutte contre la sécheresse en Afrique avec lé Mozambique (20 janvier 1987), la Mauritanie (30 janvier 1987), l'Ouganda (20 janvier 1987) et le Niger (7 mai 1987), cf. Doc. CM/1427 (XLVI) Part II ; Rapport du Secrétaire, Addis-Abeba, juillet 1987, pp. 83-84. Pareillement, il a signé dans les mêmes conditions et sur le même objet, des accords avec le Botswana (25 février 1988), la République Arabe Sahraouie Démocratique (18 mars 1988), cf. Doc. CM/1487 (XLVIII) Part II, Rapport du Secrétaire Général, Addis-Abeba, mai 1988, pp. 46-47. 2. V. Akibou Naïm, op. cit., p. 82. 3. Mirlande Manigat, « l'OUA : les conflits internationaux », Revue Française de Science Politique, vol. XXI, n° 2, p. 217. 4. F. Borella, « Evolution récente de l'Organisation de l'Unité Africaine » AFDI, 1974, p. 217. Section III - 1973-1979 : la Prise de conscience des problèmes économiques 220 § 1. La déclaration d'Addis-Abéba 221 § 2. Le colloque de Monrovia (1979) 223 Section IV - le Plan d'Action de Lagos et ses suites (1980-1988) .... 224 § 1. Le contenu du Plan d'Action de Lagos (1980) 225 § 2. La mise en œuvre du PAL (1980-1989) 231 Section V - L'enlisement des économies africaines et les limites de l'action de l'OUA 242 § 1. La mise sous tutelle internationale de l'Afrique .. 243 § 2. Les économies africaines depuis 1980 : un déclin inquiétant 246

Chapitre VIII. L'OUA et le défi sud-africain par Jean-Emmanuel PONDI 255 Section 1 - La nature du défi sud-africain 258 § 1. Le défi moral et religieux 258 § 2. Le défi politique et militaire 261 § 3. Le défi économique 265 Section II - La riposte de l'Organisation panafricaine à l'Afrique du Sud 267 § 1. Les initiatives politico-diplomatiques 267 § 2. Le soutien aux mouvements de libération 271 § 3. Réflexion sur l'impact des activités de l'OUA contre Prétoria 273 Limites et perspectives de l'Action anti-apartheid de l'OUA 280

Chapitre IX. L'organisation de l'unité africaine et la paix et la sécurité en Afrique par le Colonel Camille NKOA ATENGA 285 Section 1 - Les vulnérabilités de l'Afrique à l'ère des Indépendances 286 Section II - Réalités et perspectives de la défense en Afrique en 1963 290 Section III - La stratégie de défense de l'OUA et les contraintes du réalisme 295

Conclusion. Quelles perspectives pour l'OUA ? ...... 305 Orientation bibliographique ... < .-v''■*;?. Ç AtelV 310 Annexes Annexes...... 311 Maurice KAMTO a fait des études de Droit public et de Science politique. Diplômé des Hautes Etudes Internationales et Docteur d'Etat en Droit public de l'Université de Nice (), il est, depuis 1988 Agrégé des Facultés françaises de Droit. Maurice Kamto est l'auteur d'un ouvrage intitulé Pouvoir et Droit en Afrique Noire (Paris, LGDJ, 1987), de nombreux articles et contri- butions aux colloques et ouvrages collectifs. Il enseigne depuis 1984 le Droit International public à l'Institut des Relations Inter- nationales du Cameroun (IRIC), et le Droit public interne à la Faculté de Droit de l'Université de Yaoundé ainsi que dans divers établissements d'enseignement supérieur du Cameroun.

Jean-Emmanuel PONDI est titulaire d'un PH.D. en Science politique (option relations internationales) de l'Université d'Etat de Pennsylvanie aux USA, et diplômé de l'Université de Cam- bridge (GB), de la London School of Economics (GB) et de l'Université d'Etat de New York à Buffalo (USA). Chargé de cours à l'IRIC depuis 1986, le Dr Pondi est auteur de nombreux articles portant sur les relations internationales africaines publiés dans des revues spécialisées. En outre, il a dispensé des cours de rela- tions internationales comme Visiting Research Fellow à la School Advanced International Studies (SAIS) de l'Université Johns Hopkins, à l'Université de Naïrobi comme Visiting Lecturer et au Centre d'Etudes Internationales de l'Université de Cambridge comme Visiting Fellow.

Laurent ZANG est titulaire d'un Doctorat ès Sciences Politi- ques de l'Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (Université de Genève), du Diplôme de Troisième cycle de l'IRIC, d'un DES ès Lettres Modernes Françaises de l'Université de Yaoundé et d'une Licence ès Sciences économiques de l'Université de Genève. Chargé de cours à l'IRIC depuis 1985, Laurent Zang a écrit plusieurs articles sur les problèmes des produits de base dans Les Cahiers d'Histoire et de Politique Internationales de l'IUHEI (Genève) ; Geneva International, et sur l'intégration économique, dans Le Mois en Afrique.