La Savane Des Porou : Environnement Et Genre De Vie D'un Clan Dacpa
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LA SAVANE DES POROD Environnement et genre de vie d'un clan dacpa (Centrafrique) Michel BENOIT Département MAA ORSTOM UR Dynamique des Systèmes 1989 de production LASAVANEDESPOROU 3 Un jour de décembre 1987 en Afrique Centrale. Nord de la cuvette du Congo, 6° parallèle. Longitude : 20 degrés Est. La Bamba est une rivière tranquille. Son cours ourlé d'une étroite forêt arrose d'immenses savanes et offre ses eaux claires aux éléphants comme aux premiers matins du monde. La savane des Porou s'étend de part et d'autre de cet affluent de l'Oubangui, à une trentaine de kilomètres au nord d'un ancien poste que les Blancs baptisèrent Grimari après y avoir créé une ville au coeur de l'actuel Centrafrique. Région de collines douces, plantureuse et arrosée (1500 mm de pluies par an répartis sur 120 jours), herbeuse, boisée, giboyeuse et sans hiver, la Haute Bamba abritait le clan des Porou au début de ce siècle lorsqu'ils entrèrent en contact avec l'Adjoint des Affaires Indigènes Lalande qui prenait le contrôle du pays au nom de la France. Les Porou venaient de la Haute Ouaka. Ils avançaient farouches au gré de leurs habitudes et de la guerre. Pour l'étranger -piroguier de l'Oubangui ou marchand du Darfour- les Porou sont des "Bandas". Le mot signifie "filet" et les Porou et leurs voisins chassent effectivement avec ça mais le terme ne vaut guère mieux que son sens littéral. Du massif des Bongo à l'Ombella, en passant par le Bamingui et le Chinko, les hommes se présentent en désignant leur peuple et leur clan. Le clan des Porou fait partie du peuple Dacpa. Tous les Dacpas se connaissent et se comprennent et tous pratiquent le même genre de vie. Mais la nation Dacpa n'existe pas. Les Dacpas sont un ensemble d'une quarantaine de clans aux alliances fragiles et aux rivalités durables. Aussi longtemps que les Anciens se souviennent, les Porou ont lutté par la fuite ou la guerre pour préserver leur indépendance et la liberté de n'obéir qu'au fétiche Gbingui qui leur ordonnait parfois des choses bien étranges. En 1958, un jeune géographe du nom de Michel Georges s'installait p'0ur dix mois en Haute Bamba avec l'intention de faire la connaissance des Porou au VIllage de Pouyamba, au coeur du canton Yanguéré, dans le but d'étudier la vie locale. L'idée de renouveler l'opération en 1988 est apparue avec le désir d'apprécier l'évolution récente de la situation en pays dacpa. Les informations chiffrées de 1957 à 1959 concernant le village de Pouyamba et le canton Yan~éré sont extraites, avec l'accord amical de Michel Georges, de deux publications qUI lui sont dues en tout ou partie: "L'emploi du temps du paysan dans une zone de l'Oubangui Central (1959-1960)" et "Pouyamba. Village banda en savane centrafricaine (1960)". Ce deuxième rapport, oeuvre entière de M. Georges, a été repris et résumé par lui dans un article paru dans le numéro 64 des Cahiers d'Outre-Mer en 1963. Seuls les deux premiers titres seront utilisés ici. La comparaison des informations recueillies en 1987-88 à Pouyamba avec celles de cet auteur permet d'apprécier la dynamique récente d'une situation certes intéressante en elle-même mais elle laisse aUSSI soupçonner une autre vérité : les fondements d'un comportement qui resterait énigmatique sans un recul géographique et diachronique suffisant. Il faudra dépasser la comparaison entre les situations de 1958 et 1988 à Pouyamba pour mieux comprendre la destinée des Porou et de ceux qui vivent désormais avec eux. 4 L'observation et la réflexion se sont déroulées grosso modo en six étapes imposées par les circonstances : 1) Contact avec les gens de Pouyamba, découverte de la situation démographique et de l'organisation sociale. 2) Description de l'environnement, des ressources et des virtualités de la nature dacpa. 3) Lecture des résultats obtenus par Michel Georges quant au genre de vie (1957-1959). 4) Mise en oeuvre des enquêtes sur le même sujet avec des critères et une méthode voisins des siens pour permettre une comparaison. 5) Tentative d'élaboration d'une théorie pour rendre le genre de vie dacpa intelligible. 6) Mesure de l'effet du genre de vie sur l'environnement. Il en résulte un texte en six chapitres et une discussion: 1. Les Porou de la tribu Dacpa : organisation du village de Pouyamba et situation démographique. II. Virtualités naturelles et ressources. Diagnostic Dacpa sur la nature et nature de l'espace humanisé. III. Le genre de vie: situation du village de Pouyamba en 1957-58 (d'après M. Georges). IV. Le genre de vie: situation du village de Pouyamba en 1987-88. V. La reproduction du genre de vie dacpa dans son contexte étatique. VI. Quelques effets du genre de vie sur l'environnement. VII. Discussion Au delà des descriptions, la vraie question a été celle de l'émergence parmi les vicissitudes de l'Histoire et les virtualités de la nature de la personnalité dacpa. A-t-elle résisté à la violence? Comment? N'a-t-elle pas été façonnée et confortée par elle? Comment la gestion de l'environnement permet-elle une stratégie face à cette violence ? Les Dacpas luttent-ils pour protéger leur idéal ou celui-ci n'est -il que mythes dérisoires dictés par un destin absurde? Figure 1 : Situation 1 1 1 JPOUyamba -,-'------1 1 200 E 5 1. LES POROU DE LA TRIBU DACPA Organisation sociale du village de Pouyamba et situation démographique 1. Le clan L'unité sociale dacpa est un groupe de quelques centaines de personnes (de 200 à 400 environ) qui se reconnaissent un même ancêtre. Ce dernier est mythique. li porte un nom mais personne ne le situe exactement dans le temps. Réels ou supposés, les liens du sang font le clan mais le regard d'autrui influence le groupe et la perception qu'il a de son altérité : son nom est souvent un sobriquet. L'ancêtre des familles qui composent le clan est, lui, bien identifié. Ces "lignages", s'ils sont de taille suffisante, regroupent des "sous-lignages", eux-mêmes composés de foyers (hommes mariés, leurs épouses, leurs enfants et, éventuellement et suivant les époques, leurs esclaves). Les niveaux inférieurs au clan ne paraissent pas avoir de fonctions sociales très importantes. L'équivalent dacpa des termes "lignage", "sous-lignage" et "foyers" ne semblent d'ailleurs pas exister. Les gens d'un même li~age ou sous-lignage sont cependant perçus comme membres d'un groupe spécIfique puisqu'ils portent un même sobriquet. Si le foyer n'a pas de rôle social déterminant, il a une fonction économique certaine. Avant la concentration forcée des populations à la fin des années 1910 par l'administration coloniale (politique jamais remise en question depuis), les "villages" correspondaient aux lieux de résidence provisoire des clans ou fractions de clans. L'habItat était dispersé, parfois en nébuleuse, et le genre de vie semi-nomade. On admet que le village comprenait tout le clan et rien que lui, mais le témoignage du R.P. Tisserant (1951, a) quant au début du siècle est plus nuancé: "... chaque homme libre plantait sa ou ses cases là où il voulait, et c'était cette ou ces cases que l'on nommait village (...). Autour d'un espace débroussé constituant la cour du village, on pouvait voir la case de l'homme libre au haut bout de la cour, J?uis formant un cercle plus ou moins régulier celles de ses femmes en retrait, par demère, une ou plusieurs cases, celle des esclaves (...). Tel était ce que l'on pourrait appeler le village élémentaire. Souvent en effet, un certain nombre de ces villages étaient groupés à portée d'un point d'eau, sources ou ruisseau. Mais là encore, chacun établissait ses cases là ou il voulait, tantôt à quelques mètres du village élémentaire le plus voisin, tantôt à cinquante mètre et plus. Ces groupes de villages élémentaires pouvaient ne comprendre que quelques cases, une vingtame, parfois aussi on en comptait plusieurs centaines. On leur donnait aussi le nom de village, et le nom qui désignait chacun d'eux était celui de l'homme libre le plus en vue. 6 (...) les hommes d'un village ainsi fonné n'appartenaient pas tous au même clan. Jamais les hommes d'un clan n étaient réunis en un même village. On faisait au contraire attention que les hommes d'un clan fussent répartis entre plusieurs villages, et que dans chaque grand village, il y eut des gens de clans différents. Ces villages avaient chacun leur chef (l'homme en vue qui donnait le nom au village (...). Auprès de lui se réunissaient les hommes les plus influents de chacun des clans représentés dans le village (...). Les affaires traitées dans ce conseil n'étaient pas celles qui n'intéressaient que le clan (il y avait le chef de clan chez qui on allait pour celles-là) mais bien ce que l'on pourrait appeler les affaires de bon voismage..." Les scissions de clan étaient oubliées en tant que telles. Les fractions issues des divisions vivaient comme des entités originelles après quelques temps d'une exogamie commune qui témoignait de la parenté mais contribuait à la rupture des liens. "Avant l'arrivée des Européens, les Banda vivaient dans une demi-anarchie ; rares étaient les chefs incontestés; l'autorité appartenait plus aux anciens qu'à des chefs héréditaires proprement dits ; les clans ou les fractions de clans (...) habitaient des groupes de cases, en habitat semi-dispersé ; les villages pouvaient avoir plusieurs kilomètres de long par exemple celui du chef Kotchou (Dacpa Lama), qui faisait 10 kilomètres.