La Vie Theatrale En France De 1900 a 1950 433
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LA VIE THEATRALE EN FRANCE DE 1900 A 1950 LE PARIS THÉÂTRAL DE 1900 Quand, en avril 1900, sous une statue monumentale de la Parisienne, s'ouvrent, place de la Concorde, les guichets de l'Expo• sition, la Comédie-Française est administrée par Jules Claretie, et non sans peine, si nous en croyons les piquants souvenirs publiés par La Revue. Le directeur de l'Odéon est M. Paul Ginisty ; celui des Variétés est Fernand Louveau, qui a cru habile de prendre le pseudonyme de Samuel ; celui du Gymnase, M. Alphonse Franck. Au Vaudeville règne Porel, mari de la grande Réjane, tandis " que Sarah Bernhardt et André Antoine dirigent les théâtres qui portent leur nom. Le répertoire dans lequel ces directeurs peuvent puiser est riche et varié. C'est Augier, Dumas fus, Henri Becque, Henri Meilhac et Edouard Pailleron qui viennent de s'éteindre, c'est Victorien Sardou et Ludovic Halévy qui travaillent encore ; leurs œuvres à tous, souvent reprises, vont tenir encore longtemps l'affiche. Il y a ensuite les auteurs déjà notables et en pleine activité. C'est Maurice Donnay, dont le théâtre des Variétés crée Educa• tion de Prince, c'est Capus et c'est Lavedan, dont ce même théâtre reprend le Nouveau jeu, ces deux comédies interprétées par une troupe homogène et incomparable dont tous les artistes sont des favoris du public qu'ils se nomment Baron, Brasseur, Guy, Prince, ' ou qu'elles soient Mmes Jeanne Granier, Eve Lavallière, Diéterle ou Jeanne Saulier, troupe d'un exceptionnel brio qui va s'enrichir de l'étourdissant Max Dearly. Alfred Capus, comme Maurice Donnay, a deux pièces nouvelles jouées en 1900, l'une aux Nou• veautés : les Maris de Léontine, avec Germain, Torin, Marcel Simon et Mme Cassive, l'autre au Gymnase : la Bourse ou la vie, 430 LA REVUE jouée par Galipaux, Gémier, Dubosc, Janvier, Mmes Rolly, Roggers et Dorziat. A la Comédie-Française, l'année a tristement débuté. Le 8 mars, vers onze heures du matin, un incendie a détruit la salle et causé la mort de la charmante Mlle Henriot. Pendant neuf mois, Jules Claretie va transporter ses vingt-six sociétaires et trente et un pensionnaires à l'Odéon, où ils reprennent les Fossiles, de François de Curel, qui soulèvent quelques protestations, puis rue Blanche, au Nouveau-Théâtre, — l'actuel Théâtre de Paris, — puis au théâtre Sarah Bernhardt, où ils créent YAlkestis tirée d'Euripide, par Georges Rivollet, et, enfin, au Châtelet. Malgré l'incendie et les pérégrinations, la « part entière » d'un sociétaire atteint le chiffre inespéré de 16.000 francs. Ces sociétaires sont par ordre d'ancienneté : MM. Mounet-Sully, Worms, Coquelin Cadet, Proud'hon, Silvain, Baillet, Le Bargy, Féraudy, Boucher, TrufFier, Leloir, Albert Lambert, Paul Mounet, Georges Berr, P. Laugier, Leitner et Raphaël Duflos, Mmes Worms-Baretta, Bartet, Dudlay, Pierson, Muller, Kalb, R. du Minil, Brandes et Lara. Parmi les pensionnaires : M. Dehelly, Mmes Rachel Boyer, Marguerite Moreno, Marie Lecomte, Delvair, Géniat, Silvain et, en fin d'année, Mme Segond- Weber. Excellente troupe tragique ou comique que rejoindront Berthe Cerny, Cécile Sorel et Marie-Louise Piérat. Edmond Rostand est le triomphateur de l'année. L'Aiglon, créé le 15 mars par Sarah Bernhardt sur son théâtre avec Lucien Guitry comme partenaire, bat tous les records de durée et de recettes, étant représenté deux cent trente six fois consécutives ; tandis que, à la Porte Saint-Martin, Coquelin ainé rejoue cent soixante-seize fois Cyrano de Bergerac. La pièce la plus longuement représentée après V Aiglon est Madame S ans-Gêne de Sardou et Moreau, qui est reprise deux cent seize fois au Vaudeville par Réjane, Huguenet et Duquesne. Antoine, qui, en treize ans d'un prodigieux effort, vient de renouveler notre art dramatique, est arrivé au sommet -de sa courbe. Sa conception nouvelle du théâtre s'étant imposée à tous, les auteurs découverts par lui sont maintenant accueillis partout, tandis que lui-même, obligé de faire vivre sa troupe, doit se résoudre à quelques concessions qu'il n'aurait pas faites aux beaux jours du Théâtre libre. Il vient pourtant de rendre deux nouveaux services à la scène française en jouant pour la première fois avec Suzanne Després Poil de Carotte de Jules Renard et en créant, LA VIE THÉÂTRALE EN FRANCE DE 1900 A 1950 431 avec Dumény et Mlle Devoyod, trois actes d'un nouveau venu intitulés : le Marché ; cette pièce brutale n'a que vingt repré• sentations, mais elle est d'un certain M. Bernstein qui fera parler de lui. Si Antoine fait débuter Bernstein sans grands remous, en revanche M. Abel Deval, directeur moins audacieux de l'Athénée, a accepté trois actes d'un jeune écrivain belge qui ont éveillé les susceptibilités de la censure. Interdit à la quatrième repré• sentation, VHomme à Voreille coupée reparaît sur l'affiche sensi• blement modifié et avec un nouveau titre. Qui pourrait imaginer aujourd'hui que cet auteur trop hardi signait Francis de Ooisset ? C'est encore en 1900 qu'est jouée une des premières œuvres d'Henry Bataille. Les quatre actes de VEnchantement ont été reçus à l'Odèon qui, chassé par la Comédie-Française, les représente dans la salle du Gymnase. Jane Hading, Marthe Régnier et Abel Tarride les jouent quarante fois dans un calme relatif. Au Palais-Royal, on reprend du Labiche et on crée des vaude• villes de Paul Gavault, du comédien Georges Berr, d'Hennequin, de Gandillot ou de Georges Feydeau. De ce dernier, les Nouveautés, — situés à l'emplacement actuel de la rue des Italiens, — reprennent alors pendant cinq mois la triomphale Dame de chez Maxim. Enfin, sur la scène du théâtre des Mathurins, sont créés deux petits actes d'un jeune auteur, Gaston de Caillavet, dont le futur co-équipier, Robert de Fiers, gendre de Sardou, rédige, avec grâce et indulgence, la chronique dramatique de la Liberté. Tel est le bref inventaire des principales ressources de Paris en auteurs, directeurs, acteurs et Salles de spectacles en l'année 1900. Leur ensemble va permettre à notre théâtre de conserver, pendant quinze années, un rayonnement incomparable. LE THÉÂTRE D'AVANT-GUERRE En ces années où la menace allemande — se précisant un jour, pour s'atténuer le lendemain — ira sans cesse croissant, on béné• ficie encore des avantages d'une longue période de paix. La guerre des Boërs, la guerre russo-japonaise, les guerres balkaniques intéressent l'opinion mais n'ont guère d'influence sur la production dramatique. Les quelque cent noms que je viens de citer jouissent en France, en Europe et même Outre-Atlantique d'une renommée avantageuse. Le cinéma n'a pas encore mis à la disposition de la plus minoe bourgade des spectacles variés, joués par d'excellents 432 LA REVUE acteurs. La. radio ne transmet pas au campagnard rentré à la nuit sa journée faite, qu'il soit propriétaire ou journalier, la plus récente comédie, telle qu'elle se joue à l'instant même sur le bou• levard. Il en résulte que bon nombre de provinciaux ou d'étrangers viennent à Paris, attirés par ces noms prestigieux. La caméra n'ayant pas encore imposé aux cinq continents ses vedettes inter• nationales, l'auteur et l'acteur français font prime. Non seule• ment ils attirent à nous des élites russes, espagnoles ou nordiques, comme au temps du baron de Gondremark, mais encore Saint- Pétersbourg entretient à grands frais un théâtre français, le Théâtre Michel, qui représente les plus récents succès de Paris, joués par des acteurs prélevés sur les meilleurs éléments de nos troupes. Londres, Bruxelles, Genève, Vienne, Rome, Le Caire, New-York, Rio, Buenos-Ayres, Montevideo, accueillent triomphalement Sarah ou Coquelin, Guitry ou Bartet, Réjane ou Mounet-Sully, Jeanne Granier ou Huguenet, Le Bargy, Féraudy, Gémier ou Signoret et, avec eux, les auteurs qu'ils interprètent. Paris est alors la capitale du théâtre, comme Hollywood est, aujourd'hui, celle du cinéma. Elle absorbe et fait siens de remar• quables acteurs ou actrices belges ou suisses, tandis que des artistes de la valeur de la Duse, de Novelli ou de Zacconi. tiennent à recevoir la consécration de Paris. Ce théâtre qui provoque des migrations de foule est un merveil• leux instrument de propagande pour nos couturiers, nos modistes, nos joailliers. Son rôle économique est indéniable. On pourrait même soutenir sans trop de paradoxe qu'il a une influence politique : son attraction s'exerce en effet sur les rois aussi bien que sur les foules. En voici d'authentiques exemples. Un soir Armand Berthez, direc• teur des Capucines, ivre d'orgueil, peut téléphoner aux journaux qu'il a trois rois, venus incognito dans sa « bonbonnière » pour applaudir une opérette d'Hugues Delorme ou une revue de Rip : trois rois dans une salle de 200 places, c'est un pourcentage record ! Que Bartet soit chargée par le gouvernement de complimenter Nicolas II et la Tsarine en leur récitant un poème de Rostand où se trouve le fameux « Oh ! Oh ! c'est une impératrice ! » c'est l'épi• sode normal d'une réception de souverains. Mais que le royal visi• teur adresse le compliment à la comédienne est plus original. C'est pourtant ce que l'on put voir un soir de grandissime gala à la Comédie-Française en l'honneur du roi d'Angleterre. En sortant de sa loge aux côtés du Président Loubet, Edouard VII reconnaît LA VIE THEATRALE EN FRANCE DE 1900 A 1950 433 Jeanne Granier parmi les dames qui, massées dans le couloir, lui tirent leur révérence. Fort aimablement il s'avance vers elle, lui baise la main et lui tourne un compliment. Il est vrai que depuis sa rencontre en Suisse, aux beaux jours du maréchal de Mac Mahon, avec le Prince impérial, Jeanne Granier est en relations de souriante camaraderie avec la plupart des souverains ou princes de l'Europe.