Champion[S] De La Même Cause » ? La Pensée Politique Des
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UNIVERSITE PARIS III – SORBONNE NOUVELLE ED 514 - ÉDÉAGE ÉTUDES ANGLOPHONES, GERMANOPHONES ET EUROPÉENNES EA 4223 – CÉREG CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHE SUR L’ESPACE GERMANOPHONE Thèse de doctorat Études germaniques Heidi KNÖRZER « Champion[s] de la même cause » ? La pensée politique des rédacteurs de l’Allgemeine Zeitung des Judenthums et des Archives israélites entre Allemagne et France (1848-1914) Thèse dirigée par Mme le Professeur Céline TRAUTMANN-WALLER Soutenue le 16 juin 2011 Membres du Jury : Dominique BOUREL, Directeur de recherche au CNRS, UMR 8596 Centre Roland Mousnier Michel ESPAGNE, Directeur de recherche au CNRS, UMR 8547 « Pays germaniques » Alain LATTARD, Professeur en études germaniques à l’Université Sorbonne Nouvelle- Paris 3 Catherine NICAULT, Professeur en Histoire à l’Université de Reims-Champagne Ardennes Céline TRAUTMANN-WALLER, Professeur en études germaniques à l’Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Carsten L. WILKE, Professeur associé en Histoire de la pensée et de la culture juive à la Central European University de Budapest Introduction A l’été 1869, une jeune fille juive est enlevée de force à sa famille et placée dans un couvent catholique de Cracovie. Cet incident qui rappelle à maints égards le rapt d’Edgardo Mortara par les autorités papales en 1858, connu sous le nom d’Affaire Mortara1, est l’objet de plusieurs notices publiées dans l’Allgemeine Zeitung des Judenthums, un des plus grands périodiques de langue allemande du judaïsme réformé de l’époque. Son fondateur et rédacteur en chef Ludwig Philippson (1811-1889) y revient à plusieurs reprises en exprimant son indignation2. Mais, pour le rabbin et journaliste allemand, l’affaire de Cracovie semble également l’occasion de se plaindre du silence gardé par la presse juive française dans cet incident. A en croire Philippson, celle-ci ne s’intéressait qu’aux questions purement confessionnelles et avait, de ce fait, laissé la presse politique couvrir l’événement3. La remarque de Philippson publiée le 7 septembre 1869 ne passe pas inaperçue. Dès le premier octobre, Isidore Cahen (1826-1902), le directeur des Archives israélites, l’équivalent français de l’Allgemeine Zeitung des Judenthums, exprime sa colère : il rappelle que son journal avait bien pris position dans cette affaire, et cela dès le 15 septembre4. Et le journaliste français de rajouter: « En toute occasion d’ailleurs, nous sommes sur la brèche pour lutter contre les prétentions ultramontaines, et nous n’avons pas manqué à ce devoir dans la circonstance que signale M. Philippsohn [sic !] : il voudra bien remarquer d’ailleurs que, sous l’empire de la législation française actuelle de la presse, et vu la connexité inévitable des questions politiques et religieuses, les Archives seules en France ont les moyens de remplir dans toute son étendue le devoir dont il s’agit : c’est la conscience de ce devoir qui nous a décidé aux sacrifices pécuniaires sans lesquels la publicité est au-dessous de sa tâche, et obligée d’en négliger les parties les plus essentielles 5. » 1 A l’âge d’un an, Edgardo Mortara, un enfant juif de Bologne, avait été baptisé secrètement par sa nourrice catholique alors qu’il était malade. Lorsque les autorités papales apprirent qu’un enfant baptisé catholique était élévé par une famille juive, ils décidèrent de l’enlever à ses parents afin de le placer à l’hospice des catéchumènes à Rome. Sur l’affaire Mortara, voir Winock, M., La France et les juifs de 1789 à nos jours, Paris, Editions du Seuil, 2004, p. 51 sqq. 2 AZJ, 24.8.1869, p. 680, AZJ, 31.8.1869, p. 700. 3 AZJ, 7.9.1869, p. 722. 4 AI, 15.9.1869, p. 561-562. 5 AI, 1.10.1869, p. 587. 1 Le directeur des Archives Israélites fait ici allusion au cautionnement, une somme d’argent que l’administration française exigeait alors des journaux désireux de traiter de sujets politiques et qu’il avait acceptée de payer en janvier 18696. Loin d’être le seul, cet échange entre les deux revues est intéressant à plus d’un titre pour le sujet qui nous occupe ici. Non seulement il fait apparaître au grand jour les contacts qui ont existé entre les deux journalistes juifs par le biais de leurs revues, mais il est également un indicateur du souci politique qui anime leur travail ainsi que celui de leurs successeurs respectifs à l’Allgemeine Zeitung des Judenthums et aux Archives israélites, Gustav Karpeles (1848-1909) et Hippolyte Prague (1856-1935). Dans le passage cité précédemment, Isidore Cahen n’évoque-t-il pas le « devoir » de militer comme une des vocations essentielles du journalisme juif ? Les textes de Ludwig Philippson, Gustav Karpeles, Isidore Cahen et d’Hippolyte Prague, publiés dans l’Allgemeine Zeitung des Judenthums et dans les Archives Israélites, témoignent en effet à des degrés divers d’une incessante préoccupation politique. De l’égalité politique des juifs7 et de leur discrimination à la réflexion sur le bon fonctionnement de la société et de l’Etat, en passant par des prises de position concernant les nouveaux courants politiques du XIXe siècle, tels le nationalisme, le socialisme, l’anarchisme ou encore le sionisme, nombreux sont les thèmes étroitement liés à la politique qu’ils abordent dans leurs articles. Si leurs textes, en restant fidèles à une vision 6 Voir AI, 1.1. 1869, p. 3-14. 7 Lorsque l’on s’intéresse aux minorités juives dans un texte français, se pose la question - inexistante en allemand - de l’orthographe: faut-il écire « un Juif », en renvoyant ainsi à la notion de peuple, ou « un juif », en désignant l’appartenance religieuse ? A l’instar de Dominique Schnapper, nous préférerons la minuscule dans le présent travail. Elle a l’avantage de ne pas présenter la composante juive de l’identité comme une dénomination primordiale et essentielle mais plutôt comme étant une qualité parmi d’autres. Comme l’a très bien montré Till van Rahden à l’exemple des juifs de Breslau au XIXe siècle, la conscience d’appartenir à la communauté juive était en effet pertinente uniquement dans certaines situations. C’est ce caractère « situatif » et pluriel de l’identité que la minuscule semble le mieux exprimer selon nous. Nous verrons que cela correspond également à la vision que les quatre journalistes ont de l’identité juive, même s’ils écrivent juif avec une majuscule, orthographe que nous respecterons. Voir Rahden, T. van, « Weder Milieu noch Konfession. Die situative Ethnizität der deutschen Juden im Kaiserreich », in: Blaschke, O., Kuhlemann, F.-M. (éds.), Religion im Kaiserreich: Milieus – Mentalitäten – Krisen, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 1996, p. 409-434; Schnapper, D., Juifs et israélites, Paris, Gallimard, 1980; Rahden, T. Van, « Von der Eintracht zur Vielfalt: Juden in der Geschichte des deutschen Bürgertums », in: Gotzmann, A., Liedtke, R., Rahden, T. van (éds.), Juden, Bürger, Deutsche. Zur Geschichte von Vielfalt und Differenz 1800-1933, Tübingen, Mohr, Siebeck, 2001, p. 25 sqq. 2 bourgeoise et libérale de la société, ne prétendent pas changer radicalement l’ordre social établi, ils prennent cependant délibérément le contre-pied de certains discours politiques de l’époque et se distinguent par une certaine audace et originalité. Mais qui sont ces journalistes engagés auxquels nous nous intéresserons dans le présent travail ? Si le journalisme occupe une place déterminante dans leur existence – tous publient dans plusieurs journaux –, il ne constitue cependant qu’un complément d’activité. Tous les quatre ont également contribué à d’autres réalisations qui ont marqué le monde juif et non-juif du XIXe siècle : ainsi Ludwig Philippson, docteur-ès-lettres classiques, est-il aussi rabbin, député et auteur de plusieurs ouvrages savants. On lui doit également l’Institut pour la promotion de la littérature israélite (Institut zur Förderung der Israelitischen Literatur), le premier club du livre juif, et il joue un rôle important dans l’organisation des conférences rabbiniques dans les Etats allemands des années 1840. Son confrère français Isidore Cahen, ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, philosophe, enseigne le français et l’histoire au Séminaire israélite de Paris parallèlement à son activité de journaliste, est traducteur de l’allemand et auteur d’esquisses philosophiques. Il joue également un rôle important dans la création de l’Alliance israélite universelle. Si Gustav Karpeles, le successeur de Philippson, après ses études au Séminaire de théologie juive (Jüdisch- theologisches Seminar) et probablement à l’université de Breslau, se lance dans une carrière journalistique, il se distingue également par une importante activité de recherche en littérature allemande et juive. Il publie non seulement de nombreux ouvrages et fait des conférences sur tout le territoire allemand, mais il est également à l’origine de l’Union des associations pour l’histoire et la littérature juives (Verband der Vereine für jüdische Geschichte und Literatur) et contribue à la fondation de la Société pour la promotion de la science du judaïsme (Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaft des Judenthums, 1902). Hippolyte Prague, ancien élève du Séminaire Israélite de Paris, collègue et successeur d’Isidore Cahen, participe activement à la fondation de la Communauté israélite de la stricte observance où il dispense un enseignement talmudique. 3 Les quatre publicistes appartiennent à deux générations différentes8 dont chacune révèle autant d’étapes importantes de l’histoire des minorités juives en Allemagne et en France au XIXe siècle. En dépit des quinze ans qui les séparent, Ludwig Philippson et Isidore Cahen appartiennent à la génération des « humanistes juifs9 ». Nés dans le premier tiers du XIXe siècle, ils peuvent d’ores et déjà profiter des acquis des transformations politiques, sociales et culturelles que connaît le monde juif depuis le début du XVIIIe siècle. Mais, malgré d’importants progrès en ce qui concerne l’égalité juridique des minorités juives, ils continuent à se heurter à des restrictions et des discriminations du fait d’être juif.