Marius MOUTET1 19 avril 1876 -- 29 octobre 1968 Député : 1914-1928, 1929-1940, 1945-1947 Sénateur : 1947-1968 Ministre des Colonies : 1936-1938 Ministre de la d’Outre-mer : 1946-1947

Marius MOUTET 1876-1968  De l’affaire DREYFUS à la construction européenne Figure emblématique de la SFIO, Marius MOUTET aura connu trois Républiques. Quand il naît sous la IIIème, à Nîmes, ses choix politiques sont déjà fixés ! « Dans la petite ville où nous habitions, ma famille, comme toutes les autres familles, se divisait très simplement entre les ‘’ blancs’’ et les ‘’rouges’’. Mes parents faisaient partie des rouges et j’étais très fier qu’ils aient été partisans de la fondation de la République ». A vingt ans, il adhère au groupe des étudiants socialistes de . Deux ans plus tard, il fonde avec Edouard HERRIOT la première section lyonnaise de la Ligue des Droits de l’Homme. En 1914, il se présente à la députation dans le Rhône et sa campagne est marquée par le soutien de Jean JAURES qui prononcera à cette occasion son dernier discours, à la veille de l’attentat du Croissant. Fervent défenseur des droits de l’homme, il plaide en 1917 en faveur de devant le Sénat réuni en Haute-Cour de Justice. Devenu député de la Drôme en 1929, Marius MOUTET se voit confier à plusieurs reprises le portefeuille des Colonies et met en place une politique sociale et économique marquée par des décisions hautement symboliques, comme la suppression du bagne de Guyane ou la nomination d’un gouverneur noir des Colonies, Félix EBOUE. En 1940, Marius MOUTET fait partie du groupe des ‘’80’’ qui refuse les pleins pouvoirs au Maréchal PETAIN. En 1946, il est chargé de négocier avec le gouvernement de . Ministre des Territoires d’outre-mer, il fait également voter l’article 8 de la Constitution de 1946, qui prévoit l’évolution des populations d’outre mer vers l’indépendance. En 1947, il entre au Conseil de la République comme représentant du Soudan, puis à partir de 1948 de la Drôme. Débute alors une nouvelle période de sa carrière, largement consacrée à la construction européenne. Membre de plusieurs instances européennes et internationales (Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, Groupe français de l’Union interparlementaire), il place au premier rang de ses préoccupations l’organisation de la sécurité et de la paix. Doyen du Sénat, il décède le 29 octobre 1968, à quatre-vingt-douze-ans. Les Nouvelles du Sénat – Histoire de Marius MOUTET

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« Marius Achille MOUTET est très certainement une figure de second plan du socialisme français. Les premiers rôles ont été tenus par Jean JAURES, Léon BLUM, Vincent AURIOL ou . Mais il est devenu, au fil des années, un des spécialistes, voire le spécialiste des questions coloniales ». Jean Pierre GRATIEN « Marius MOUTET un socialiste d’outre-mer » l’Harmattan p. 10. 2006

Ministre des Colonies, 4 juin 1936 et 13 mars 1938 Marius MOUTET, fut le premier socialiste à gérer l’Empire colonial français en tant que ministre des Colonies dans le gouvernement du Front populaire. Spécialisé dans les questions algériennes et coloniales, Marius MOUTET devint le 4 juin 1936, ministre des Colonies dans le premier cabinet de Front populaire présidé par Léon BLUM*, et c’est ce même poste qu’il Léon BLUM retrouva, le 13 mars 1938, dans le second cabinet BLUM.

 Marius MOUTET et la suppression du bagne de Cayenne En 1936 avec l’arrivée du Front populaire, deux hommes engagés présidaient aux destinées du bagne : le ministre des Colonies, Marius MOUTET (1876-1968), adhérent à la Ligue pour les droits de l’homme, et le garde des Sceaux, Marc RUCART (1893-1964), membre du comité d’honneur…de l’Armée du salut. Sous leur houlette, le projet de suppression du bagne Marc RUCART fut déposé à l’Assemblée nationale fin décembre 1936. Le texte, qui portait la signature de deux abolitionnistes de la première heure – Charles PEAN2 et Gaston MONNERVILLE – proposait d’abroger le « doublage » et de supprimer le bagne par « extension ». En d’autres termes, tous les convois vers la Guyane devraient être stoppés et tous les libérés pourraient désormais prétendre au rapatriement. En revanche, les prisonniers purgeant leur peine devraient demeurer dans la colonie jusqu'à la fin de l’exécution de celle-ci. Il a fallu attendre six mois pour que la Chambre ne consente à examiner le projet, en juin 1937. Le ministre des Colonies Marius MOUTET, très en verve, monta au créneau. « La France était avec l’URSS la dernière puissance mondiale à maintenir la peine de travaux forcés » martela t-il. De son côté, le député Gaston MONNERVILLE qualifia le bagne de « retentissante faillite coloniale » *…+, le budget annuel du bagne, cet énorme complexe carcéral entravait, selon lui, le développement de la Guyane et freinait l’apport des capitaux étrangers,

2 notamment en provenance des Etats-Unis. Las ! Le déficit de l’Etat et la chute du Front populaire remisèrent le projet au fond des placards. *…+ Le 17 juin 1938, dans le cadre de la loi sur le redressement financier, la transportation outre-mer fut enfin abolie. Comme la remarque l’historienne Danielle DONET-VINCENT dans La Fin du bagne (Editions Ouest-France, 1992), « Ce fut un subterfuge politico-économique -- et non un argument moral – qui fit tomber le bagne guyanais ». Christelle DEDEBANT « Les dernières années du bagne de Guyane » GEO mag 21/03/2019

 Marius MOUTET, un parlementaire résistant en 1940 et Vichy Le 14 mai 1939, lors du congrès de la SFIO, il déclare que, « chaque concession ‘’aux puissances de l’Axe’’ nous rapproche de la guerre ». En 1940, Marius MOUTET est l’un des quatre-vingt parlementaires qui refusent les pleins pouvoirs à Philippe PETAIN. Il entre dans la clandestinité, puis se réfugie en Suisse pour échapper à l’arrestation, un de ses fils étant interné à sa place à Vals-les-Bains, par le régime de Vichy en guise de représailles. « Je savais qu’en accomplissant simplement notre devoir, non par intelligence ou par calcul parce que mus par un simple réflexe de loyauté et de bon sens, par un instinct naturel nous ne pouvons pas nous déshonorer par un vote infâmant, et j’étais certain qu’ayant raison nous finirons par avoir raison. »

 Marius MOUTET, ministre de la France d’outre-mer et la loi de départementalisation : 19 mars 1946 Mars 1946 ne peut donc que marquer le début d’une bataille pour la départementalisation effective des « confettis de l’Empire » Le 14 mars 1946, se déroule à l’assemblée le débat relatif à la transformation des « quatre vieilles colonies » en département français. A la surprise générale Marius MOUTET déclare : « Pour les vieilles colonies, il ne peut y avoir de législations différentes de celles de l’Algérie ». Il exprime ainsi sa volonté de ne pas traiter les Guyanais, les Guadeloupéens, les Martiniquais et les Réunionnais à égalité avec les citoyens français et de s’opposer au combat de ces derniers pour la décolonisation de leur pays. Eugène ROUSSE 1928-2019 historien réunionnais « ça s’est passé un 30 mars 1947 » Le Président du gouvernement provisoire de la République Félix GOUIN**, le ministre de la France d’Outre-mer Marius MOUTET et celui de l’intérieur André LE TROQUER*** ont signé les trois courts articles qui sortent la , la Guyane, la Martinique, la Réunion du statut colonial qu’ils Félix GOUIN André le Troquer connaissent depuis trois siècles.

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Dès 1870, les sénateurs Pierre-Alexandre ISAAC de la Guadeloupe et Vincent ALLEGRE de la Martinique avaient déposé au Sénat un projet de loi concernant la départementalisation de leurs territoires respectifs, suivis en 1915 par les députés Achille René-BOISNEUF de la Guadeloupe et Joseph LAGROSILLIERE de la Martinique et, en 1919, par le député Henry LEMERY (Martinique). La départementalisation de ces territoires finalement acquise par la loi du 19 mars 1946 signifiait que le droit applicable en métropole dans les départements l’était également de plein droit dans les Dom (sauf mention expresse faite par le législateur), même si la Constitution de 1946 prévoyait la possibilité d’adaptation du régime législatif et administratif métropolitain au contexte local et si la mise en pratique de ce principe devait s’avérer extrêmement complexe. Véronique DIMIER «De la France coloniale à l’outre-mer » Pouvoirs 2005/2 (n°113)

--Le combat parlementaire face à l’attitude de Marius MOUTET Au plan parlementaire, le combat ne sera pas facile. L’extrême lenteur du gouvernement à appliquer la loi du 19 mars 1946 conduit le député réunionnais Raymond VERGES à dénoncer à la tribune de l’Assemblée nationale l’attitude de Marius MOUTET « On est en droit de croire que Monsieur le Ministre de la France d’Outre-mer veut, en dernière analyse ne nous donner que la paille des mots pour maintenir, en fait, le régime méprisable qu’on flétrit du nom de colonialisme ». Cette dénonciation n’empêche pas Marius MOUTET de rassembler le 10 juillet 1947 au ministère de la France d’Outre-mer tous les députés des DOM pour tenter de les persuader que « dans l’opération assimilation, les vieilles colonies sont perdantes… ». TEMOIGNAGES « Quand les gouvernants sont contre… » 24 mars 1946 Journal fondé en 1944 par Raymond VERGES

--Le scepticisme de Marius MOUTET face aux lois nouvelles de la départementalisation Concernant l’application de ces nouvelles lois, le scepticisme de Marius MOUTET ministre de la France d’outre-mer, qui ne croit pas possible l’application immédiate « dans un délai aussi bref de transformer purement et simplement le régime, politique, administratif, financier et douanier de toutes ces vieilles colonies » non seulement l’entrée en vigueur des lois et décrets est fixée au 1er janvier 1947 (puis par trois lois ultérieures dont l’entrée en vigueur fut reportée au 31 mars 1948).

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 Marius MOUTET, ministre de la France d’Outre-mer et la guerre d’Indochine 1945-1954 --L’entrevue ratée entre HO CHI MINH et Marius MOUTET. L’attachement de Marius MOUTET au vieux système colonial Marius MOUTET en Indochine en 1947 Accueilli par TRAN-VAN-TY, ministre de la justice, vice président du gouvernement cochinchinois Le 16/01/47. Le ministre de la France d’Outre-mer, Marius MOUTET, se rend à Hanoï un mois après le déclenchement de l’insurrection vietminh. A l’automne 1946, les relations entre la France et le Vietminh se détériorent, et chaque camp renforce ses positions militaires. Les opérations prennent de l’ampleur : la marine française bombarde le port de Haïphong le 23 novembre, causant la mort de centaines de civils. HO CHI MINH**** et le général GIAP se préparent à une action contre la France. C’est dans ce contexte qu’à Paris, Léon BLUM devient chef du gouvernement et propose à HO CHI MINH de reprendre les négociations. Ce dernier accepte, mais sa lettre transmise, de façon non urgente par les autorités militaires françaises, arrive à Paris le 20 décembre. Or à Hanoï, la situation de dégrade : le 19 décembre, à 20 heures, l’électricité est coupée par le Vietminh, dont les hommes forcent les maisons et tuent des civils. « Ce coup de force de Hanoï » est un échec, mais il radicalise encore les positions des militaires français et vietnamiens. HO CHI MINH lance, le 21 décembre, un appel à la lutte à outrance. La guerre d’Indochine a commencé. Georges Thierry d’ARGENLIEU 1889-1964, soldat, moine et gaulliste HO CHI MINH 1890-1969 Le ministre Marius MOUTET est alors chargé d’une mission de conciliation par Léon BLUM. A sa descente d’avion, il est pris en charge par l’état-major, qui veut lui faire partager son point de vue : on ne peut pas négocier avec le Vietminh, il n’est pas digne de confiance. Alors que HO CHI MINH envoie un message à Marius MOUTET pour lui proposer une rencontre, la lettre, interceptée par les services de l’Amiral d’ARGENLIEU*****, n’arrive pas à son destinataire, qui visite Hanoï en ruine. Marius MOUTET tire pour conclusion de sa visite que le Vietminh n’est pas un interlocuteur valable, et la thèse de Thierry d’ARGENLIEU l’emporte : « Avant toute négociation, il faut une décision militaire ».

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 Marius MOUTET, ministre de la France d’outre-mer et l’insurrection malgache de 1947-1948 --Marius MOUTET en lutte contre l’autonomisme malgache, combat le Mouvement démocratique de la révolution malgache (MDRM) « Il faut occuper le terrain par la vieille méthode de GALLIENI à Madagascar » Déclaration de Marius MOUTET, le 24 juillet 1947, devant le Conseil de la République ‘’La méthode de GALLIENI’’ (Rappel) « Pacifier et occuper fortement le territoire par la méthode de la tâche d’huile. Progresser constamment vers la périphérie. Continuer l’action politique et militaire pour prendre possession du pays. Entrer sans délai en contact intime avec les populations, connaitre leurs tendances, leur état d’esprit et satisfaire à leurs besoins pour les attacher par la persuasion aux institutions nouvelles ». « Je n’ai pas à savoir qu’elle est votre religion. Catholiques, musulmans, protestants ou adeptes seulement du culte des ancêtres, vous pouvez tous vous asseoir sur les bancs de nos écoles, apprendre notre langue, vous habiller des étoffes françaises renommées dans le monde entier. Vous apprendrez de nous à vous aimer, à aimer la France, votre nouvelle patrie, et à devenir d’habiles ouvriers et de bons cultivateurs » Joseph GALLIENI 2 mai 1898, cité par Raymond CAHISA, Le Monde 20 septembre 1947

L’INSURRECTION MALGACHE DE 1947, est après la guerre d’Indochine, le second évènement grave survenu dans les colonies de l’union française après la seconde guerre mondiale mais dans l’espace colonial africain et malgache, c’est l’insurrection de la Grande île, qui sous la poussée d’un mouvement nationaliste, amorce la déconstruction du système colonial français. Jean-François ZORN 2010/2

--L’insurrection armée, le début des émeutes En novembre 1945, deux médecins malgaches représentent la Grande île dans la première constituante d’après-guerre, Joseph RASETA et Joseph RAVOAHANGUY, ils seront élus à l’Assemblée nationale française en novembre 1946 avec un troisième représentant malgache, le futur écrivain, Jacques RABEMANANJARA, les trois hommes ont participé à la création du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM). Cette rénovation ils l’inscrivent dans un projet de loi indiquant que « Madagascar est un Etat libre ayant son propre Gouvernement, son Parlement, son armée, ses finances, au sein de l’Union française ». Le texte est repoussé. Mais à Madagascar, l’opinion est gagnée à la cause défendue par les députés. En France, le ministre socialiste

6 des Colonies, Marius MOUTET s’en inquiète. En septembre 1946, il proclame « la lutte contre l’autonomisme malgache ». Un vent de révolte se lève. Quelques mois plus tard, une insurrection armée éclate, débordant le MDRM.

--Les députés condamnés, Marius MOUTET viole la Constitution française en ne respectant pas l’immunité des parlementaires malgaches Marius MOUTET nomme au poste de Haut-commissaire à Madagascar, en mai 1946, Marcel de COPPET4. En avril 1947, il lui demande de faire procéder à l’arrestation des cinq parlementaires malgaches présents dans l’île. Là encore, il ne peut ignorer qu’il viole la Constitution française qui prévoit expressément que toute arrestation de parlementaire ne peut avoir lieu avant la levée de leur immunité. Ce qui lui a valu « une plainte en forfaiture retenue par le Parquet ». Mais probablement enfouie dans les tiroirs du ministère de la Justice.

--Le MDRM désigné coupable, la répression est sanglante Le MDRM est désigné comme la cible principale d’une répression qui use de tous les classiques – encore inédits à l’époque – de la guerre psychologique et de la stratégie de la terreur : arrestations et exécutions massives, tortures, villages brûlés, prisonniers jetés vivants depuis un avion. L’insurrection compte dans ses rangs de nombreux « tirailleurs » malgaches, ulcérés par l’absence de reconnaissance de la « mère patrie » à leur égard *…+ Les insurgés se réclament d’un ressourcement identitaire contre l’assujettissement colonial. Mais ils ont davantage de sagaies que de fusils d’assaut. L’armée française a laissé derrière elle des champs de ruines à Madagascar, le ministre Marius MOUTET couvrait ses exactions et les encourageait photo Agence Anta --Officiellement 89 000 morts malgaches Les forces coloniales auraient perdu 1900 hommes supplétifs malgaches dans les batailles. Sur les 30 000 européens cohabitant avec les quatre millions de Malgaches de 1947, 550 auraient été tués dont 350 militaires. Selon les comptes officiels de l’Etat-major français, les vingt mois de répression auraient fait, directement, 89 000 morts malgaches. En janvier 1949, le haut-commissaire de Madagascar, Pierre de CHEVIGNE5 a revu cette évaluation à la hausse en estimant le bilan final à « plus de 100 000 morts ». Monique MAS auteur journaliste à RFI article publié le 22/07/2005

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 Marius MOUTET, l’atlantiste et l’anticommuniste MOUTET a été très vite un partisan de l’Alliance Atlantique. Il s’est montré très inquiet face aux évènements de la Corée. Pour lui, la France devrait être présente partout dans le monde et ne pouvait être neutre, surtout face au danger représenté par l’expansionnisme soviétique. Il a dénoncé, cela a été un leitmotiv dans ses discours et écrits, le rôle joué par le communisme, aussi bien à l’étranger qu’en France. Au moment des grandes grèves de 1947-1948, il attaque la « duperie communiste ».

 Marius MOUTET, le partisan d’Israël Dès 1945, MOUTET a soutenu les rescapés du génocide nazi en participant concrètement à l’accueil des enfants juifs survivants des camps ou à ceux qui avaient été cachés en France. Il accepta de présider l’œuvre de protection des enfants juifs (O.P.E.J), organisation issue de la Résistance.

 CONCLUSION de Jean-Pierre GRATIEN (cf : Bibliographie de MOUTET) MOUTET fait partie de ces hommes qui n’ont pas compris, et ils furent très nombreux, à gauche, à droite et au centre, le sens de l’histoire qui allait vers l’indépendance politique des populations colonisées d’Afrique et d’Asie au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Celui-ci fait partie des générations de Français qui ont été imprégnées par l’idée coloniale, à partir des débuts de la IIIème République triomphante. A l’école, dans la presse et la littérature, la propagande républicaine montrait au français les bienfaits de la colonisation qui était déjà une forme de colonialisme, la mission civilisatrice de la Grande nation censée apporter le progrès, le bien-être et les lumières aux peuples d’outre-mer jugés inférieurs. Comme d’autres, on pense d’abord à Jules FERRY, MOUTET croyait en « l’inégalité des races ». Il a repris, au sein de la SFIO et de la L.D.H, les thèses de ce racisme culturel et non racial qui devaient justifier « la mise en valeur des colonies » : les puissances occidentales, tout particulièrement la France républicaine, devaient exporter la « civilisation » en outre- mer. MOUTET est l’un de ceux qui ont applaudi au succès de l’Exposition coloniale de 1931. *…+ En 1936, l’œuvre accomplie par le ministre du Front populaire fut modeste mais pas inutile. La « colonisation démocratique » connut l’épreuve du pouvoir. La nomination de MOUTET rue Oudinot suscita beaucoup d’espoirs. Elle eut pour effet de rendre moins brutal le système colonial en développant une législation sociale. *…+ Marqué par les deux guerres mondiales, Marius MOUTET est un apôtre de la construction européenne, d’autant plus que la France restera une grande puissance. Dès 1949, il intègre l’Assemblée consultative du conseil de l’Europe. En 1955, il devient membre de l’Assemblée de l’UEO. *…+ MOUTET est une sorte de nationaliste de gauche. Sa conviction profonde est que la France doit rester une nation puissante qui doit encore compter dans le monde, d’autant plus qu’elle a un message humaniste à apporter aux autres peuples, celui des Droits de l’Homme. C’est pourquoi, il est un de ceux qui critiquent l’emploi de la torture en Algérie mais il reste, on peut dire jusqu’au bout, un partisan de l’Algérie française. C’est pourquoi encore, il est favorable à l’Union française, à l’Eurafrique, à la communauté voulue par de GAULLE et est un partisan de la construction européenne parce qu’il espère que la France y jouera encore le premier rôle.

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 Marius MOUTET, préfacier de plusieurs œuvres textuelles Marius MOUTET préface l’ouvrage de César PULVAR3 « D’JHEBO le LEVIATHAN NOIR » « Le héros de César PULVAR ‘’D’Jebo’’ connaitra toutes les avanies et toutes les épreuves de la loi du plus fort et du mieux armé et, malgré sa puissance athlétique, sa force prodigieuse, son cœur de lion, sa volonté de résistance tendue, jusqu’aux limites extrêmes, il finira par succomber et il sera entrainé, lui aussi par ses infâmes ravisseurs, les négriers de l’époque, qui le jetteront, un jour sur les rivages inconnus d’un continent ignoré ou d’une île quasi- déserte, pour qu’il forge à son tour, une vie complètement différente de celle qui avait été la sienne jusqu’au moment de son rapt. Mais D’Jebo, aidé par les événements, retrouvera dans cette existence neuve les qualités foncières de la race ; et le dompteur de fauves, le chasseur intrépide, le chef habitué à se battre et à vaincre, finira par être le symbole vivant d’une libération totale qu’il aura très chèrement achetée. L’œuvre prend ainsi toute sa signification. Le conflit basé sur la diversité des races et sur la supériorité de l’une d’elles sur les autres a montré toute sa malfaisance au cours de la deuxième guerre mondiale. C’est au nom de la liberté et de l’égalité des hommes que la lutte a été menée contre le nazisme : les destins s’accomplissent. Sur notre sol métropolitain ; au moins, et nous pouvons le dire, presque partout, dans les territoires d’outre-mer, les temps sont révolus d’un régime féodal au profit de la race blanche. Il ne faut pas que le souvenir de ce régime ait suscité un racisme à rebours. C’est l’égalité seule qui doit triompher. Félicitons donc César PULVAR, d’avoir lui aussi offert sa pierre à cette grande œuvre de l’affranchissement des hommes par les conquêtes de l’intelligence, intimement et harmonieusement complétées par les compréhensions et les gestes indicibles du cœur ». Marius MOUTET Sénateur, Ancien Ministre de la France d’Outre-mer, Membre du conseil de l’Europe, « D’JEBO Le Léviathan noir » EDITIONS DU GERFAULT 1957

CONCLUSION : Madagascar 2005, le souvenir de 1947 Monument ‘’29 marsa 1947’’ Monument malgache commémorant le soulèvement ‘’Sur la Grande île, « 1947 », reste pourtant un traumatisme inscrit dans la mémoire collective. Les Malgaches aspirent aujourd’hui à commémorer ces événements avec dignité, à s’approprier leur histoire, celle d’une résistance à l’oppression coloniale’’

Photo CC Robin TAYLOR Jean-Claude RABEHERIFARA et Rosa MOUSSAOUI l’Humanité mercredi 29 mars 2017

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 21 juillet 2005, Jacques CHIRAC à Madagascar, la visite de la contrition et de la réconciliation Cette révolte de 1947, oubliée des livres d’histoire, a ressurgi le 21 juillet 2005, lors de la visite du président de la République française Jacques CHIRAC. Le taba taba (les troubles), comme disent toujours les Malgaches, a finalement été passé à la trappe des mémoires collectives, à Madagascar comme en France. A l’occasion de cette visite destinée à resserrer les liens, Jacques CHIRAC a qualifié d’ « inacceptable » la répression de 1947. Le président de la République de Madagascar Marc RAVALOMANANA6 a répondu qu’il était prêt à tourner la page « Les relations entre la France et Madagascar sont en bonne santé. Le ciel est bleu », il ne faut « pas oublier » 1947, convient-il avec le président Jacques CHIRAC, mais il s’agit d’abord de célébrer « la bonne santé » retrouvée des relations franco-malgaches. Monique MAS auteur et journaliste à RFI « Pour Chirac, la répression de 1947… » juillet 2005

Marius MOUTET 1876-1968 Bio-Express Il fait partie des étudiants des étudiants socialistes de Lyon, milite chez les socialistes indépendants des 1895. Il devient avocat. En 1900, il est délégué du Rhône au congrès de Wagram en 1900. Cinq ans plus tard, il est délégué de ce département au congrès constitutif de la Section française de l’internationale ouvrière. Il bénéficie du soutien de Jean JAURES lors de sa candidature à la députation en juillet 1914 dans la circonscription du Lyon-Vaise, dans la Rhône, où il est élu. Pendant la Première Guerre mondiale, en mai 1917, il est chargé par Aristide BRIANT de convaincre le nouveau gouvernement russe, dirigé par Alexandre KERENSY, de continuer la guerre aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. La même année, il plaide en faveur de Joseph GAILLAUX devant la Haute cour de justice. Egalement membre du Comité central de la Ligue des droits de l’homme 1918-1936, honoraire comme ministre de 1936-1939, 1939-1940, 1945-1947, il est réélu député du Rhône en 1919 et 1924, mais battu en 1928 par le candidat républicain-socialiste. Le 13 janvier 1929, il est élu député de la Drôme, succédant à Jules NADI, décédé. Devenu spécialiste des questions coloniales, il prône une politique généreuse d’assimilation, refusant la répression brutale et le paternalisme condescendant. Il est l’avocat des indépendantistes vietnamiens. Il est ministre des colonies dans les gouvernements de Front populaire du 4 juin 1936 au 10 avril 1938. MOUTET est confronté aux difficiles questions coloniales. Il supprime le bagne en Guyane. Pour améliorer le sort des populations colonisées. Il vide le code de l’indigénat de sa substance. Au cours des années 1936 et 1937 et l’abroge complètement le 6 avril 1936 ; fait interdire le travail forcé dans toutes les colonies (décret du 12 août 1937) ; y interdit l’usure (décret du 9 octobre 1936) et ordonne aux administrateurs de coloniaux de ne plus considérer la famine comme une fatalité mais comme un fléau à combattre, suite à l’enquête menée de juin 1936 à février 1937. Il multiplie les initiatives pour associer les colonisés à l’administration de leur territoire. Il nomme pour la première fois un fonctionnaire noir Félix EBOUE, comme gouverneur de la Guadeloupe, puis de l’Afrique- Equatoriale française (AFP). Il fait voter l’amnistie des indépendantistes vietnamiens qu’il avait défendus quelques années plus tôt. Marius MOUTET, en 1940, refuse les pleins pouvoirs à PETAIN et se réfugie dans la clandestinité.

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A la libération, il est réélu député de la Drôme aux deux Assemblées nationales constituantes en 1945, puis est élu au Conseil de la République. Il est président du conseil général jusqu’en 1951. Il retrouve le ministère de la France d’Outre-mer dans les gouvernements de Félix GOUIN (du 26 janvier au 24 juin 1946), (du 24 juin au 16 décembre 1946), Léon BLUM (du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947) et Paul RAMADIER du 22 janvier au 22 octobre 1947). Il négocie avec HO CHI MINH et fonde le Fonds d’investissement économique et social des territoires d’Outre- mer. A partir de 1947, il représente le Soudan français (aujourd’hui Mali) au Conseil de la République puis le département de la Drôme dès 1948 sous les IVème et Vème Républiques jusqu’à sa mort. Il est doyen d’âge du Sénat. A l’initiative de Jean BESSON, sénateur de la Drôme, un Institut d’histoire porte son nom.

1 Il s’agit bien de Marius Achille MOUTET et non de Louis Guillaume MOUTTET, qui est né à Marseille le 6 octobre 1887 et mort à Saint-Pierre le 8 mai 1902. Administrateur colonial, gouverneur de la Martinique (juillet 1901- 8 mai 1902), il trouva la mort ainsi que son épouse lors de l’éruption de la montagne Pelée. « Il quitta le chef-lieu, Fort-de-France le jour même, le 7 mai, par le bateau de quatre heures, accompagné de Mme MOUTTET, du lieutenant- colonel GERBAULT, de M. le conseiller privé HUSSON ». … Sources : 1635-1902 SAINT-PIERRE—MARTINIQUE Naissance, vie et mort de la cité créole C.C.L., CŒUR CREOLE BERGER-LEVRAULT & Cie EDITEURS p. 389 année 1905 2 Charles PEAN (1901-1991) est un officier suisse de l’Armée du salut qui consacra une partie de sa vie à aider les bagnards et anciens bagnards de Cayenne et qui contribua à faire fermer le bagne de Guyane.il a été aussi chef de territoire de l’Armée du salut en France de 1957 à 1966, puis en Suisse jusqu’en 1971. Retiré à Berne, Charles PEAN décède le 14 juillet 1991 (à 90 ans). 3 César PULVAR Décédé en France métropolitaine en 1996, Martiniquais d’origine, il avait une véritable vocation d’écrivain, et publia plusieurs ouvrages à compte d’auteur. « Il faut lire les textes de César PULVAR en gardant à l’esprit que ce recours au ‘’gothisme’’, unique dans la littérature franco-créolophone, correspond très certainement à une profonde révolte intérieure contre l’esclavage et ses séquelles, contre le racisme anti-nègre et contre la non intégration de ce dernier dans la nation française » « Relire ou découvrir César PULVAR » Montray Kréol 4 Jules Marcel de COPPET, né le 18 mai 1881 à Paris et mort le 31 août 1968 à Quibreville est un administrateur colonial français. Il devient Haut-commissaire à Madagascar en mars 1946, où il assiste au début de l’insurrection et organise sa répression jusqu’en décembre 1947. 5 Pierre Gabriel Adhéaume de CHEVIGNE, né le 16 juin 1909 à Toulon et mort le 4 août 2004 à Biarritz, a été envoyé par le gouvernement en qualité de Haut-commissaire de la République française à Madagascar de février 1948 au 3 février 1950. Il mène la pacification, la reconstruction et la réorganisation de la Grande île. 6 Marc RAVALOMANANA, né le 12 décembre 1949 à Imerinkasinina Province d’Antananarivo, est un homme d’Etat malgache. Il est maire d’Antananarivo de 1999 à 2002 et président de la République de Madagascar de 2002 à 2009. --NB : « A Fort-de-France quand on dit le ‘’bateau’’ il s’agit du bateau ‘’Gouverneur MOUTET’’ qui quotidiennement fait la navette de Saint-Pierre à – » Marthe OULIER « Les Antilles, filles de France » Editeurs Fasquelles p.28 1935

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*Léon BLUM, né le 9 avril 1872 à Paris et mort le 30 mars 1950 à Jouy-en-Josas, est un homme d’Etat français. Figure du socialisme, Léon BLUM fut l’un des dirigeants de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), et président du Conseil des ministres, c'est-à- dire Chef du gouvernement français à deux reprises, de juin 1936 à juin 1937, puis de mars à avril 1938. **Félix GOUIN, Président du gouvernement provisoire de la République française, Chef de l’Etat de facto et chef du gouvernement, 26 janvier-24 juin 1946, (4 mois et 29 jours) ***André LE TROQUER, 27 octobre 1884 - 11 novembre 1963. Ministre de l’intérieur du 26 janvier 1946 au 12 juin 1946 (4 mois et 17 jours), Gouvernement Félix GOUIN ****HO CHI MINH, né Nguyen Sinh Cung le 19 mai 1890 à Hoàng Trù et mort le 2 septembre 1969 à Hanoï, est un homme d’Etat vietnamien et une figure importante de l’anticolonialisme et du communisme. C’est en France qu’il commence à militer au début des années 20, il se lie à la gauche française et participe au congrès de Tours. Au fil de son parcours, HO CHI MINH développe une idéologie qui se distingue des communismes russes et chinois. Sa pensée continue aujourd’hui encore à inspirer politiques et particuliers au où il fait l’objet d’in véritable culte de la personnalité. La ville la plus peuplée du Viêt Nam est baptisée HO-CHI-MINH-Ville en son honneur depuis 1975. *****L’Amiral Georges Thierry d’ARGENLIEU est né le 7 août 1889 à Brest et mort le 7 septembre 1964 est un prêtre religieux carme français, en religion le père Louis de la Trinité de l’ordre des Carmes déchaux. Mobilisé en août 1939. Ce très proche du Général de GAULLE devient un amiral incontournable dans la Marine. En août 1945, il est nommé Haut- commissaire de France en Indochine. Son mandat est marqué par l’impossibilité de parvenir à un accord avec HO CHI MINH et par le développement du conflit. Son nom reste associé au déclenchement de la guerre d’Indochine en 1946.

Bibliographie : BENOT Yves « Massacres coloniaux 1944-1950 : la IVème République et la mise au pas des colonies françaises» Editions La Découverte 1 mars 1993. Général CHARBONNEAU Jean « Gallieni à Madagascar » Nouvelles Editions Latines, janvier 1958 FREMIGACI Jean « La vérité sur la grande révolte de Madagascar » L’Histoire, N°318 mars, 2007 GRATIEN Jean Pierre principal de collège, proviseur de lycée « Marius MOUTET, un socialiste d’outre-mer » L’Harmattan octobre, 2006 MARTIN-ROSSET Freddy «L’itinéraire politique drômois de Marius MOUTET Il était une fois, 5000 paysans idéalistes… » L’ours 1er mars 2012 MICHELOT Jean-Claude « LA GUILLOTINE SECHE Histoire du bagne de Cayenne » Fayard 12 novembre 1981 POLIDORI Marie-Rose « L’Action de Marius MOUTET au ministère des colonies » mémoire de maitrise en histoire, université de Provence, 1992. TRONCHON Jacques « L’insurrection malgache de 1947 » Editions Karthala Paris 1986 VAISSET Thomas « L’Amiral D’ARGENLIEU Le moine-soldat du gaullisme » Editions Belin mars 2017

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