Le Statut Des Dockers De 1947 Michel Pigenet
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Le statut des dockers de 1947 Michel Pigenet To cite this version: Michel Pigenet. Le statut des dockers de 1947 : Luttes sociales et compromis législatif. Contribution au Colloque ” Construction d’une histoire du droit du travail ”, Aix-en-Provence, 20-21 septembre 2000. Cahiers de l’Institut Régional du Travail, 2000, pp.241-259. halshs-00776481 HAL Id: halshs-00776481 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00776481 Submitted on 15 Jan 2013 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Le statut des dockers de 1947 : luttes sociales et compromis législatif Michel Pigenet Centre d’histoire sociale du XXe siècle (Paris 1/CNRS) La moindre des avancées sociales de la Libération ne fut pas l’extension, par voie réglementaire ou législative, de régimes statutaires en marge du droit commun du travail et du système conventionnel1. Les procédures et les instances impliquées dans ces réalisations indiquent clairement la dimension politique de cette intrusion du juridique dans les relations professionnelles d’activités ayant à voir, peu ou prou, avec la puissance et les services publics. Au risque, amplement souligné par ses contempteurs, d’ajouter le fléau du clientélisme aux rigidités d’un modèle statutaire aux antipodes du « libre jeu » de l’offre et de la demande de travail. Tels quels, les statuts soulèvent plus d’une question. On songe bien sûr à leurs effets sur la relation du capital et du travail, mais il n’est pas moins légitime de s’interroger encore sur leurs conséquences en termes de segmentation du salariat. Le problème intéresse au premier chef la distinction essentielle établie entre les « titulaires » ou « professionnels » couverts par les garanties statutaires d’une part et d’autre part les « auxiliaires » ou « occasionnels » qui en sont exclus. Qu’en est-il, de façon plus générale de la portée de ces régimes sur les pratiques et modes de représentation des acteurs sociaux ? Dans cette perspective, l’étude de « l’organisation du travail dans la manutention portuaire » , instaurée sous ce titre par la loi du 6 septembre 1947, offre l’avantage de porter le regard sur une structure socio-économique originale. Pointe avancée, en effet, de l’option statutaire, l’activité relève à la fois du secteur privé par les entreprises qui s’y déploient et d’un domaine public fief ancestral du privilège, de la concession et du monopole d’origine administrative. La branche présente, en outre, la particularité, exceptionnelle en France, d’être le cadre d’une syndicalisation massive au bénéfice exclusif de la CGT. La loi du 6 septembre 1947 ; un statut pour l’intermittence L’option réglementaire de 1947 : l’intermittence sans la précarité Le tour de force réalisé le 6 septembre 1947 tient moins, disons-le d’emblée, dans le vote proprement dit de la loi que dans le fond même de celle-ci : doter l’intermittence d’un statut. « Vrai scandale pour le sens commun »2, le texte reconnaît la « normalité » du chômage portuaire, mais prévoit d’en circonscrire l’aire et d’en compenser les conséquences sociales. En bref, dissocie l’intermittence de la précarité. Tributaire des fluctuations imprévisibles de la météorologie et du commerce inhérentes à la navigation maritime, la manutention en exagère les caprices. Les effectifs ouvriers enregistrent la respiration saccadée que rythme l’alternance de périodes d’activité réduite et de temps de « presse » où chaque heure gagnée sur une immobilisations onéreuse se négocie au prix fort. Par suite, la bonne marche d’un port exige que les entreprises puissent aisément trouver la main-d’œuvre d’appoint indispensable au prompt chargement ou déchargement des marchandises. Si l’intermittence n’a pas d’autre cause, il est plus d’une manière, toutefois, de la gérer. Depuis deux siècle, l’histoire sociale de la profession se 1 Pour mémoire, citons le statut général des fonctionnaires – loi du 19 octobre 1946 -, celui du personnel d’EDF- GDF – décret du 22 juin 1946 – et des mineurs – décret du 14 juin 1946 -. 2 Arnaud Le Marchand, Le syndicalisme docker au Havre depuis 1947, de l’action structurante à la double contrainte in Michel Pigenet, Le syndicalisme docker depuis 1945, Cahiers du Grhis, n° 7, 1997, p. 84. 1 résume, à grands traits, dans la succession du travail organisé et contrôlée sous quelque forme que ce soit et du « travail libre ». A l’évidence, la loi de 1947 participe du premier système. Ses 26 articles, d’un laconisme relatif comparés aux 145 du statut des fonctionnaires, s’ordonnent en deux parties principales. La première stipule le monopole des ouvriers dockers sur les travaux de manutention sur les navires, les opérations de reprise sur les terre-pleins et les hangars « à l’intérieur du domaine public maritime et fluvial ». Dans ce cadre, les dockers « professionnels », distingués des « occasionnels », jouissent de la « priorité absolue » d’emploi en contrepartie de la double obligation de se présenter aux différentes journalières et d’accepter tout travail proposé. Organisme paritaire présidé par l’ingénieur en chef des services maritimes ou le directeur du port, le Bureau central de la main-d’œuvre – BCMO - de chaque site supervise, entre autres, la classification des ouvriers et « la répartition numérique du travail ». Aussi fondamentaux que soient ces acquis, la seconde partie du texte innove davantage, au regard des règlements antérieurs, avec l’institution, au profit des « professionnels », d’une indemnisation des vacations3 chômées dans la limite d’une centaine par semestre. A cette fin, la loi créée une Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers – Cainagod – à gestion tripartite, mais contribution patronale. La péréquation des dépenses comme des recettes et la définition-reconnaissance de la profession désormais inscrite dans la loi dégagent et réévaluent l’horizon national, longtemps flou, des rapports sociaux portuaires. La Fédération des Ports et Docks en tire un surcroît de légitimité. En charge de la défense du « statut », elle symbolise et concrétise à la fois la solidarité proclamée des travailleurs et des sites4. Le statut ou le couronnement d’un droit social singulier En l’état, le texte de 1947 modifie en profondeur la situation sociale sur les quais. Le législateur ne s’y trompe pas qui, sans reprendre le terme dans le titre ou le corps du texte, souligne la « grande portée »5 de la réforme et prédit qu’il « constituera, en quelque sorte, le statut de l’ouvrier docker »6. A l’image toujours vivace du sous-prolétaire, contredite par la figure du héros de la classe ouvrière, cher à la mythologie militante, se superpose déjà celle, plus virtuelle qu’esquissée, du « privilégié » replié sur ses étroitesses « corporatistes ». Pour l’heure, le clivage législatif redouble bel et bien la singularité d’une corporation à laquelle concourent, sur fond d’intermittence et de puissance syndicale, d’autres dispositions réglementaires. On le constate avec la rémunération des heures supplémentaires, majorées au- dessus de ce que loi accorde au gros des salariés7. Il en est de même en ce qui concerne l’indemnisation des accidents du travail8 dont le niveau dépasse de beaucoup celui de la compensation des vacations chômées. Aspect non négligeable de « l’exception portuaire », l’assiette des cotisations sociales, fondée sur un salaire de base très inférieur aux gains réels des ouvriers, semble beaucoup moins avantageuse, en revanche, si l’on observe le montant des prestations versées aux malades ou aux retraités. Journaliers au sens premier du terme, les dockers intermittents, rattachés à aucun établissement particulier ne disposent pas, en outre, de comités d’entreprise. Malgré la circulaire du 21 juillet 1941 tendant à considérer chaque organisation patronale 3 Soit les 4 heures correspondant à la durée minimale d’une période d’embauche. 4 L’homogénéisation engagée est cependant contredite par le classement, établi par les compléments réglementaires qui, selon le volume des trafics, répartissent les ports en quatre catégories – A, B, C, D – assujettis à des contraintes sociales différentes. En juin 1947, le salaire de base dans un port de catégorie A est ainsi supérieur de 27% à celui en vigueur dans un port de catégorie D. Centre des archives contemporaines (CAC), 920251, art. 14. Compte rendu de la réunion interministérielle du 19 juin 1947. 5 Rapport Cayol, le 19 août 1947, Journal officiel du 20 août 1947. 6 Souligné par nous. Exposé des motifs du projet de loi. 7 Soit, depuis avril 1946, 50% et 75% contre respectivement 25% et 50%. 8 Réduite à quatre semaines, la période de référence peut correspondre à un mois d’activités particulièrement rémunératrices, cependant que les jours chômés ouvrables sont pris en compte par le biais d’un « salaire fictif » égal à 75% de la rémunération moyenne. 2 locale à employeur collectif, le principe d’assimilation du port à une « entreprise unique » pose problème. Le projet de loi en ce sens déposé le 28 octobre 1947 n’aboutit pas. La situation n’est pas moins originale du côté du contrôle de la législation sociale. Depuis 19429, en effet, les fonctions d’inspecteur du travail dévolues, dans l’enceinte portuaire, aux présidents des BCMO que leurs responsabilités parallèles d’ingénieurs en chef mettent dans la position délicate ou commode, selon les circonstances, de juges et parties. Circonstances et modalités d’un compromis Du toilettage législatif à une réforme d’envergure La loi du 6 septembre 1947 ne naît pas de rien.