Étienne-Jean Delécluze Et La Jeune Génération Romantique : Léopold Robert, Ary Scheffer, Victor Schnetz, … Aurélie Gavoille

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Étienne-Jean Delécluze Et La Jeune Génération Romantique : Léopold Robert, Ary Scheffer, Victor Schnetz, … Aurélie Gavoille ÉTIENNE-JEAN DELÉCLUZE ET LA JEUNE GÉNÉRATION ROMANTIQUE : LÉOPOLD ROBERT, ARY SCHEFFER, VICTOR SCHNETZ, … AURÉLIE GAVOILLE Surnommé le « Nestor artistique du Journal des débats 1 », en raison de la longévité de sa carrière, Étienne- Jean Delécluze (1781-1863) (fig. 1) est un critique d’art assez singulier dans le paysage du XIXe siècle en France. Il suit l’enseignement de l’atelier le plus couru d’Europe, celui de Jacques-Louis David (1748-1825). Comptant parmi ses élèves favoris, il embrasse une carrière de peintre d’histoire sous l’Empire puis se tourne vers l’écriture. De l’école davi- dienne, il retiendra des idées fonda- mentales qu’il s’appropriera pour les mettre au service de son futur auditoire en tant que critique d’art. Fig. 1. Jean-Auguste-Dominique Ingres, Portrait Ancien exposant du Salon, il est d’Étienne-Jean Delécluze, 1856, graphite et craie conscient des enjeux de ce type de blanche, 33,2 × 25,1 cm, Cambridge, Harvard Art manifestation et du rôle de plus en Museums/Fogg Museum. plus affirmé de la presse qui consti- tue alors une autorité dans la diffusion des idées et des images. Il débute ainsi à l’âge de trente-huit ans cette reconversion au sein de la rédaction du Lycée français à l’occasion du Salon de 1819 où Théodore Géricault (1791-1824) pré- sente sa Scène de naufrage, véritable scandale aux prémices du romantisme. Il devient à partir de 1822 le chroniqueur artistique du Journal des débats poli- tiques et littéraires, organe de presse conservateur, orléaniste, dirigé depuis 1 Étienne-Jean DELÉCLUZE, Louis David son école et son temps, Paris, Éditions Macula, 1983 (1re éd. Paris, Didier Libraire-Éditeur, 1855), p. V. /138 A URÉLIE GAVOILLE 1799 par la famille Bertin qui en fit l’un des périodiques les plus importants de la monarchie de Juillet. Auteur prolifique, il y rédige plus d’un millier d’articles entre 1822 et 1863, où il a pu « exprimer une foule d’idées et de sentiments qui s’agitaient 2 » en lui. Le romantisme apparaît sous la Restauration en tant que mouvement de libération individuel des artistes. Le critique Arnold Scheffer, en 1827, tente d’en expliquer l’origine : « la réforme romantique, puisque c’est le nom qu’on lui donne, […] ne se proposait point un objet spécial et défini ; elle aspirait à quelque chose de bien autrement large, à l’affranchissement de l’art de peindre, entravé par un système de lois et de restrictions arbitraires 3 ». Cette volonté d’émancipation coïncide avec l’apparition de nouveaux artistes sur la scène artistique et fait du romantisme un mouvement non plus unique- ment esthétique mais également générationnel dont Delécluze devient l’un des témoins privilégiés. Nous nous intéresserons à cette génération de 1820 4, sur laquelle une journée d’études a été organisée en 2004, comme emblème de cette supposée bataille picturale dont l’apogée n’a duré que trois années, entre 1824 et 1827. Nous tenterons également de saisir de quelle façon, s’inscrit le postulat d’un Delécluze critique conservateur qui ne soutient guère « l’assaut furieux du romantisme 5 » dans ce moment charnière sous la Restauration puis sous la monarchie de Juillet, où les frontières entre classicisme et romantisme semblent difficiles à distinguer. Réfractaire à toute idée nouvelle, Delécluze poursuit-il la même approche ou se sent-il menacé lorsqu’il tente de décrire cette régénération ou opposition esthétique qu’il qualifie lui-même de « révo- lution 6 » à travers les figures de ses principaux acteurs, les artistes eux-mêmes ? 2 Étienne-Jean DELÉCLUZE, Souvenirs de soixante années, Paris, Michel Lévy Frères Libraires- Éditeurs, 1862, p. 145. 3 Arnold SCHEFFER, « Salon de 1827 », Revue française, t. I, 1828, p. 200. 4 Sébastien ALLARD (dir.), Paris 1820. L’Affirmation de la génération romantique, actes de la journée d’étude, Paris, Centre André Chastel, 24 mai 2004, Berne, Peter Lang, 2005. Ce terme de génération qui se rattache davantage à un répertoire chronologique est associé a posteriori aux travaux de Delécluze qui n’emploie pas ce vocabulaire synonyme de filiation. Il préfère utiliser le mot de classification qui lui permet ainsi de définir les artistes de cette génération de 1820 dont certains exposent pour la première fois au Salon, lieu où évoluent ces idées générationnelles sous une identité commune désignée par Delécluze comme étant celle de la « Nouvelle École ». 5 [ANONYME], Le Livre du centenaire du Journal des débats 1789-1889, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1889, p. 467 : Delécluze doit « soutenir, au Journal des débats, l’assaut furieux du romantisme ». 6 Étienne-Jean DELÉCLUZE, Les Beaux-Arts dans les deux mondes en 1855, Paris, Charpentier Libraire-Éditeur, 1856, p. 108-109. /139 É JTIENNE- EAN DELÉCLUZE et la jeune génération romantique Delécluze au cœur de la bataille du romantisme et du classicisme : une querelle de définition entre esthétisme… Avant de s’intéresser à ce nouveau groupe d’artistes, nous devons comprendre le contexte dans lequel Delécluze a évolué. Formé dans l’atelier de David, la prédominance de l’Antiquité, la peinture d’histoire et l’étude du dessin consti- tuent le fondement de sa théorie esthétique et artistique. Parmi les critiques dits de « droite 7 », il a souvent été réduit à l’image d’un « gardien inflexible du Temple menacé par les mauvaises doctrines 8 » alors qu’il débute son activité de critique sous la Restauration au cœur de la supposée bataille entre le clas- sicisme et le romantisme. Ces appellations, souvent galvaudées, qui « ne sont pas précisément des compliments 9 », idée partagée par le critique Adolphe Thiers (1797-1877), il tente de les comprendre ; les définir est au centre de ses préoccupations. Affirmant qu’il n’avait « jamais pu comprendre ce que ces deux mots vou- laient dire 10 », il décide de rédiger en 1828, tel un bilan, à l’issue du Salon de 1827 considéré a posteriori par beaucoup comme étant le dernier Salon du romantisme pictural, une définition personnelle de ces deux termes. Le mot classique désigne, selon lui, outre ceux qui « exécutent leurs travaux d’après la théorie et la pratique des anciens 11 », « tout peintre sans imagination qui fait profession d’imiter machinalement les ouvrages de la statuaire antique ou ceux des maîtres du seizième siècle 12 ». La notion de romantisme, qualifiant cette génération nouvelle, lui semble beaucoup plus ardue à formuler 13 tant elle est complexe. D’origine anglaise, ce terme désigne, ce qui est « faux 14 » et formerait « une secte d’artistes spiritualistes 15 » qui repousseraient « l’étude de 7 Pontus GRATE, Deux critiques d’Art de l’époque romantique, Gustave Planche et Théophile Thoré, Stockholm, Almqvist & Wiksell, 1959, p. 19. 8 Ibid. 9 Étienne-Jean DÉLÉCLUZE, Précis d’un traité de peinture, contenant les principes du dessin, du modelé et du coloris, et leur application à l’imitation des objets et à la composition ; précédé d’une introduction historique, et suivi d’une biographie des plus célèbres peintres, d’une bibliographie et d’un vocabulaire analytique des termes techniques, Paris, 1828, p. 62-63. 10 Étienne-Jean DELÉCLUZE, « Salon de 1831. (Treizième article.) Le Salon de 1808 et le Salon de 1831. M. Paul de La Roche », Journal des débats politiques et littéraires, 2 juillet 1831, p. 2 : « Nous n’avons jamais pu comprendre ce que ces deux mots voulaient dire au juste ». 11 Étienne-Jean DÉLÉCLUZE, op. cit. à la note 9, p. 57. 12 Ibid. 13 Ibid., p. 62 : Selon Delécluze, « on ne sait pas encore au juste ce que l’on entend à présent par la peinture romantique ». 14 Ibid. 15 Ibid. /140 A URÉLIE GAVOILLE la perspective, du dessin, de l’anatomie et du modelé, comme conduisant à des résultats trop mathématiques et contrariant la marche, l’essor du génie 16 ». … et littérature Cette terminologie déjà existante ne le satisfaisait aucunement et souhai- tant rester à l’écart de la polémique entre ces deux écoles supposées rivales, il n’emploie pas ces mots devenus presque des « injures 17 » dans les deux camps. Il préfère utiliser un tout autre vocabulaire, mais il n’en modifie pas pour autant ces définitions rédigées en 1828 même si l’on observe un glisse- ment manifeste vers le champ littéraire. En effet, les romantiques deviennent les shakespeariens 18 et les classiques des homéristes, ce qui est révélateur de son état d’esprit et du cercle dans lequel il évolue. Il associe les recherches des romantiques à la représentation de la laideur voir du grotesque, qualités subli- mées par le dramaturge britannique et partagée par Augustin Jal (1795-1873) 19. En revanche, Homère est rattaché à un idéal de perfection recherchant le beau pour encourager une élévation esthétique et morale soutenue ouvertement par Delécluze. Ce vocabulaire littéraire, utilisé pour la première fois à l’occa- sion du Salon de 1824 a été repris par d’autres critiques dont Charles-François Farcy (1792-1867) dans le Journal des artistes. Ces qualificatifs sont devenus de véritables définitions esthétiques s’appuyant sur la révolution littéraire commencée plusieurs années auparavant. Mais l’un des premiers à établir un rapprochement avec la littérature n’est autre que Stendhal 20, ami de Delécluze et fidèle de son cénacle de la rue Chabanais, qui publie son programme en 1823 sous le titre Racine et Shakespeare. Autour de ces nouveaux critiques qui recherchent une crédibilité et une légitimité, il ne faut pas oublier que la cri- tique d’art contemporaine n’a pas encore de réels fondements scientifiques et qu’elle s’appuie essentiellement sur le paradigme littéraire qui semble toujours prédominer pour l’analyse de l’art faute de critères autres.
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