Cahiers de la Méditerranée

88 | 2014 Le rapport au monde de l'Italie de la première guerre mondiale à nos jours

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/cdlm/7346 DOI: 10.4000/cdlm.7346 ISSN: 1773-0201

Publisher Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine

Printed version Date of publication: 30 June 2014 ISSN: 0395-9317

Electronic reference Cahiers de la Méditerranée, 88 | 2014, « Le rapport au monde de l'Italie de la première guerre mondiale à nos jours » [Online], Online since 15 December 2014, connection on 01 October 2020. URL : http:// journals.openedition.org/cdlm/7346 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdlm.7346

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TABLE OF CONTENTS

Dossier : Le rapport au monde de l'Italie de la première guerre mondiale à nos jours

Présentation Jean-Pierre Darnis

L’Italie à travers les comptes rendus et préfaces de Mussolini : naissance d’une doctrine (1902-1914) Georges Saro

Jeanne de Flandreysy, le palais du Roure, la et l’Italie fasciste Christophe Poupault

Oublier l’ennemi, retrouver l’allié. L’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne après la première et la seconde guerre mondiale Federico Niglia

Italy, British resolve and the 1935-1936 Italo-Ethiopian War Jason Davidson

Les politiques touristiques du fascisme et les relations internationales de l’Italie, entre diplomatie publique et création d’une marque de destination-Italie Elisa Tizzoni

Catholic and Post-Colonial Africa: the New Subjects of an Informal Commitment in the 1960s Paolo Borruso

Italian Relations with China 1978-1992: The Long Carnival Decade - Burgeoning Trade and Diplomatic Kudos Seamus Taggart

L’Italie et les euromissiles : crise et relance de l’intérêt national Giovanni Faleg

Relations between the United States of America and Italy in the post-Cold War period: a defense-industrial perspective Alessandro Marrone and Alessandro R. Ungaro

Acteurs et tendances de la politique énergétique italienne et leur évolution après la fin de la guerre froide Matteo Verda

National prerogatives in multilateral peacekeeping: Italy in Lebanese perception and ’s role within UNIFIL II Marina Calculli

L’évolution de la relation franco-italienne à travers les sommets bilatéraux de 1981 à 2011 Jean-Pierre Darnis

La politique transfrontalière, entre politique extérieure et politique régionale : le cas franco- italien Maria Chiara Sereno

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Sources et documents

Institutions, commerce et société dans un port méditerranéen. Livourne dans les papiers du consulat d’Espagne (1884) Marcella Aglietti

Notes et travaux de recherches

L’intermédiation consulaire et ses concurrences locales sur les rives pontificales. Le cas du marché des transporteurs nordiques au XVIIIe siècle Christopher Denis-Delacour

Subjects in between: three different way of translating experience by Italian travelers in late 17th - early 18th century Ottoman space Filomena Viviana Tagliaferri

Comptes-rendus

Pierre-Yves Beaurepaire et Héloïse Hermant (dir.), Entrer en communication, de l’âge classique aux Lumières, (Thierry Rentet) Paris, Classiques Garnier, coll. « Les Méditerranées », 2012, 347 p. Thierry Rentet

Joël Fouilleron et Roland Andréani (dir.), Villes et représentations urbaines dans l’Europe méditerranéenne (XVIe-XVIIIe siècle). Mélanges offerts à Henri Michel, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2013, 346 p. Olivier Zeller

Jörg Ulbert et Lukian Prijac (dir.), Consuls et services consulaires au XIXe siècle. Consulship in the 19th Century. Die Welt der Konsulateim 19. Jahrhundert, Hambourg, DobuVerlag, 2010, 522 p.Marcella Aglietti, L’istituto consolare tra Sette e Ottocento. Funzioni istituzionali, profilo giuridico e percorsi professionali nella Toscana granducale, Pise, Edizioni ETS, 2012, 440 p. Arnaud Bartolomei

Jean-Baptiste Busaall, Le spectre du Jacobinisme. L’expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 446 p. Gérard Dufour

Ralph Schor, Écrire en exil. Les écrivains étrangers en (1919-1939), Paris, CNRS Éditions, 2013, 346 p. Michel Winock

Pascal Ory, avec la collaboration de Marie-Claude Blanc-Chaléard (dir.), Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Paris, coll. « Bouquins », Robert Laffont, 2013, 953 p. Ralph Schor

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Dossier : Le rapport au monde de l'Italie de la première guerre mondiale à nos jours

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Présentation

Jean-Pierre Darnis

1 Ce dossier thématique a pour objectif de contribuer, en langues anglaise et française, à la réflexion sur l’objet « Italie » dans les relations internationales. Il est le fruit de rencontres et participations à des séminaires aussi bien en France qu’en Italie. Le rapport au monde est une clef de lecture classique pour l’Italie de l’après Risorgimento. En effet, la jeune Italie veut exister au sein du concert des nations, et la participation aux guerres est souvent perçue comme synonyme de cette volonté. Suivant cette analyse, l’Italie s’insère dans le jeu des puissances continentales, avec différents corollaires comme l’achèvement de l’unité nationale (la question des terres irrédentes) ou la volonté de conquérir des colonies. L’article de Jason Davidson à propos des rapports entre l’Italie et la Grande-Bretagne lors de la guerre d’Éthiopie en 1935-1936 offre une intéressante lecture politiste de cet épisode. Cette période s’achève avec la seconde guerre mondiale.

2 Durant la guerre froide, l’Italie peut apparaître comme discrète d’un point de vue international, car elle joue la fidélité aux institutions transatlantiques et européennes et pousse à une intégration européenne qui apparaît de plus en plus comme une raison d’être interne. Le « parapluie américain » étend sa protection sur une Italie qui semble ne se projeter qu’aux marges de ces cercles occidentaux, en Méditerranée en particulier. L’atlantisme italien obéit à une série de mobilisations et d’articulations au sein de la classe politique italienne, comme l’illustre Giovanni Faleg dans son article à propos du déploiement des euromissiles en Italie.

3 La fin de la guerre froide marque une évolution et, pour cette raison, la période actuelle est particulièrement propice à cette réflexion. Tout d’abord, l’Italie sort d’un cycle d’une trentaine d’années d’activisme international marqué par le déploiement de ses forces armées dans le cadre de missions internationales. Alors que durant la guerre froide les militaires italiens étaient cantonnés dans leurs casernes dans l’attente d’un hypothétique ennemi venu de l’Est, au cours de la période suivante, les troupes italiennes vont être projetées sur différents théâtres extérieurs. Cette dimension, illustrée dans ce dossier par l’article de Marina Calculli sur le rôle de l’Italie au sein de la FINUL, sert à éclairer un profil particulier de l’Italie, une lecture contrastée par rapport aux analyses de la puissance italienne.

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4 D’ailleurs, le concept de puissance nous permet d’opérer une division chronologique parmi les articles qui composent ce dossier. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, l’Italie cherche à s’affirmer dans le cadre international en maximisant sa puissance et son prestige. Cet aspect est illustré par les contributions qui traitent de la période fasciste, avec notamment l’utilisation des politiques touristiques comme instruments d’une stratégie de compétitivité internationale décrite par Elisa Tizzoni. La période suivante, celle de l’après seconde guerre mondiale, est marquée par l’interdiction du recours à la puissance que l’Italie s’impose au travers d’une constitution démocratique et relativement pacifiste. Elle offre donc un modèle d’interaction au monde renouvelé, car il s’exprime sous des facettes qui ne sont jamais véritablement unifiées. Par exemple, nous pouvons souligner la montée en puissance d’acteurs non étatiques dans l’exercice de ce rapport au monde : certaines entreprises (Finmeccanica, Eni, Enel) mais aussi des associations ou personnalités se montrent particulièrement actives et contribuent à modeler les spécificités de cette interaction internationale de l’Italie. Nous retrouvons cette dimension dans la contribution de Matteo Verda qui traite de la politique énergétique de l’Italie, celle d’Alessandro Marrone et Alessandro Ungaro à propos de l’industrie de la défense et de la relation transatlantique ou bien celle de Paolo Borruso sur l’ internationale des associations catholiques.

5 La centralisation de l’État italien est relativement faible, surtout si on la compare au cas français. Cet aspect, déjà présent, était difficile à entrevoir pendant la guerre froide du fait de l’immobilisme lié au face à face armé entre les deux camps. La fin de la guerre froide ne constitue pas une révolution copernicienne, mais elle permet de mieux comprendre les dynamiques particulières du rapport au monde de l’Italie. L’Italie ne s’identifie plus exclusivement avec le flanc sud de l’OTAN. Elle avance ses troupes sur l’échiquier international, pour mieux marquer son rang dans le contexte multilatéral, mais également se projeter dans des zones d’intérêt direct comme les Balkans (intervention au Kosovo) ou le Proche et Moyen-Orient (intervention au Liban). Et il est remarquable de constater comment cette action gouvernementale éclatante, celle de l’envoi de soldats, ne traduit pas une reprise d’un mode de fonctionnement de puissance au sens réaliste du terme. Il s’agit quelque part de l’arbre qui cache la forêt, avec une série d’interactions d’acteurs étatiques et non dans le cadre international. D’où l’importance de décrire le rôle des acteurs non étatiques dans ce rapport au monde, cette clef de lecture méritant d’être développée pour mieux rendre compte de la complexité du système italien. L’analyse que fait Seamuss Taggart des relations entre l’Italie et la Chine nous permet d’observer les mobilisations de différents acteurs autour d’une projection internationale : fait remarquable, l’auteur illustre le rôle du Parti communiste italien et de ses réseaux, aux côtés d’industriels comme FIAT.

6 Un autre aspect apparaît comme fondamental : celui des rapports que l’Italie entretient avec l’Europe. L’Europe est un modèle, un lieu de projection et de définition. Les textes de Georges Saro à propos du rôle des modèles étrangers dans la pensée mussolinienne et celui de Federico Niglia sur l’anti-germanisme en Italie illustrent bien l’importance et les enjeux de penser l’Italie en relation avec ses voisins les plus proches, en particulier la France et l’Allemagne. Une France qui pense l’Italie, c’est également le point que nous pouvons observer dans l’étude de Jeanne de Flandreysy et de l’Institut méditerranéen du palais du Roure. Et ce rapport de voisinage reste un aspect riche d’enseignement pour comprendre les dynamiques les plus actuelles, celles de l’intégration européenne. L’article de Maria Chiara Sereno à propos des politiques

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transfrontalières illustre ce point, tout comme la réflexion à propos des sommets bilatéraux entre la France et l’Italie, un exercice rituel révélateur.

7 Ce dossier thématique présente donc une série de contributions originales qui nous montrent combien la réflexion à propos de l’Italie représente un champ riche, ouvert à des approfondissements ultérieurs. L’histoire des idées et celle des représentations nous permettent de proposer des clefs de lectures particulièrement utiles dans le contexte actuel. Et le développement d’analyses à propos de l’action des acteurs non étatiques renouvelle l’exercice de la réflexion sur l’action de l’Italie dans son cadre international. En particulier, il permet d’apprécier les différences et les synergies potentielles avec d’autres modèles. Il s’agit d’autant de pistes de recherches que ce dossier contribue à indiquer et qui pourront être exploitées par la suite.

AUTEUR

JEAN-PIERRE DARNIS Maitre de conférences et membre du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine de l’université Nice Sophia Antipolis, senior research fellow et membre du comité exécutif de l’Istituto Affari Internazionali de Rome. Il a soutenu en 1996 à l’université de Paris X Nanterre une thèse de doctorat portant sur l’européisme et le nationalisme italien depuis les premières campagnes électorales européennes. En 2012 il a obtenu à l’université Stendhal de Grenoble son habilitation à diriger des recherches. Ses travaux actuels portent sur l’évolution de l’Italie dans le contexte international. [email protected]

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L’Italie à travers les comptes rendus et préfaces de Mussolini : naissance d’une doctrine (1902-1914)

Georges Saro

Quand, au cours du lointain mois de mars 1919, je convoquai dans les colonnes du Popolo d’Italia les interventionnistes qui m’avaient suivi dès la formation des Faisceaux d’action révolutionnaire, advenue en janvier 1915, il n’y avait aucun plan doctrinal dans mon esprit. Je n’apportais l’expérience vécue que d’une seule doctrine : celle du socialisme de 1903-1904 jusqu’à l’hiver 1914 : environ une décennie. Une doctrine univoque, universellement acceptée, du socialisme n’existait déjà plus depuis 1905 quand commença en Allemagne le mouvement révisionniste dont le chef était Bernstein, et ce qui se forma, en revanche, dans le mouvement oscillant des tendances, c’est un mouvement de gauche révolutionnaire qui, en Italie, ne sortit jamais du domaine des phrases, alors que dans le socialisme russe il fut le prélude du bolchévisme. Réformisme, révolutionnarisme, centrisme, les échos mêmes de cette terminologie se sont éteints, tandis que dans le grand fleuve du fascisme, vous trouverez les courants qui partirent de Sorel, de Péguy, de Lagardelle du Mouvement Socialiste et de la cohorte des syndicalistes italiens qui, entre 1904 et 1914, apportèrent une note de nouveauté dans le milieu socialiste italien, déjà dévirilisé et chloroformé

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par la fornication giolittienne, avec les Pagine libere d’Olivetti, La Lupa d’Orano, le Divenire sociale d’Enrico Leone. , La dottrina del fascismo, 1932.

1 Tout au long de sa carrière politique, commencée en 1902 et achevée en 1945, Mussolini a déployé une activité débordante en tant que journaliste et orateur. Il a écrit des centaines d’articles, dirigé plusieurs journaux et revues avant et après 1914, prononcé des quantités de discours dans les villes d’Italie, du nord au sud de la Péninsule. L’ensemble de ses interventions écrites et orales a été réuni dans les trente-cinq volumes de l’Opera omnia, suivis de huit autres volumes d’Appendice, auxquels il faudrait ajouter les discours dont le texte n’a pas été conservé et le grand nombre d’articles anonymes qu’on peut lui attribuer, et dont les éditeurs des œuvres complètes ont dressé la liste dans les volumes précédant 1914. Mais Mussolini a également rédigé nombre de comptes rendus et de préfaces d’ouvrages qu’il jugeait importants, et dont il se servait pour exprimer des idées sur les questions qu’il aurait pu difficilement aborder de front dans la presse socialiste, faisant ainsi dire par d’autres ce qu’il pensait lui-même.

2 Cet article se propose d’illustrer, à partir de quelques exemples, cette façon indirecte de faire de la politique, et de montrer à la fois l’image de l’Italie et ce que l’on pourrait appeler le « socialisme mussolinien » appliqué à l’Italie, qui découle de ces comptes rendus et préfaces. Au travers de ces textes, nous pouvons observer comment Mussolini utilise les références aux auteurs internationaux, en particulier français et allemands, pour construire son discours politique. Ce parcours, qui se conclut avec l’entrée de l’Italie dans la première guerre mondiale, montre comment la réflexion sur l’évolution politique de l’Italie est intrinsèquement liée à celle sur le monde, et ce depuis la formation même des acteurs politiques, comme l’illustre le cas de Benito Mussolini.

Pour un socialisme italien

3 Le premier compte rendu est celui que Mussolini consacre à la brochure du dirigeant socialiste Costantino Lazzari, intitulée La necessità della politica socialista in Italia, publiée en 1902. Mussolini est arrivé depuis peu en Suisse, et l’article paraît le 30 août 1902 dans L’Avvenire del Lavoratore, journal du Parti socialiste italien en Suisse, de la Fédération des maçons, de la Chambre cantonale du Travail de Lugano et des Syndicats italiens affiliés au Gewerkschaftsbund suisse.

4 Dans sa brochure, Lazzari passe en revue les positions des dirigeants socialistes , Enrico Ferri, Severino Merlino et Arturo Labriola, et se demande quelle est la raison de leurs divergences : elle tient selon lui à une prétendue révolution parlementaire, c’est-à-dire la conquête du pouvoir par la gauche constitutionnelle. Lazzari a raison de souligner que la formation d’un ministère déclarant que les associations économiques des travailleurs ont le droit de grève est une chose importante, mais il ne faut pas pour autant cacher le fait qu’il s’agit là d’une « habile manœuvre des classes dirigeantes », contraintes en fait d’agir ainsi par la « grande force morale qui s’était développée dans tout le pays ». Et si l’opposition de l’extrême gauche avait été plus résolue, les avancées auraient été plus grandes. À l’objection de ceux qui craignent que cette opposition n’entraîne la chute d’un gouvernement libéral et une politique répressive comme celle menée par Crispi ou Pelloux, Lazzari répond

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que les membres de ce gouvernement sont des « renards de la réaction ». Lazzari – ou Mussolini reprenant à son compte les propos de Lazzari (rien ne permet de distinguer la citation du commentaire, mais le « nous » est significatif) – ajoute alors : « De toute façon, nous préférons une réaction ouverte à ce genre de réaction hypocritement pudibonde qui fait naître des illusions chez ceux qui ne devraient pas se faire d’illusions », les artisans de la répression étant d’ailleurs en leur temps tombés, « submergés par la haine de tout un peuple ».

5 « Nous pouvons comprendre – ajoute Lazzari – que les radicaux appuient un tel gouvernement, mais nous ne pouvons pas approuver la position des représentants du prolétariat qui appuient un gouvernement bourgeois qui, en tant que tel, est toujours notre ennemi. Le peuple a un besoin urgent d’une saine politique socialiste ». La brochure aboutit à la conclusion que cette politique est incompatible avec la position de ceux qui « recommandaient la modération dans les luttes ouvrières pour ne pas perdre une liberté […] que nous n’avons pas » ; incompatible avec la politique du soutien conditionnel, une formule prosaïque qui ferait du parti « conquérant du monde » une « petite boutique pratiquant le donnant donnant » ; incompatible avec une politique du « moindre mal », « parce que les degrés du mal comme ceux du bien n’ont pas de limite ». Lazzari, qui se prononce contre l’autonomie réclamée par l’action du groupe parlementaire socialiste, définit ce que devrait être la ligne politique du Parti : Nous n’avons pas de formules. Nous souhaitons simplement que notre parti revienne à ses anciennes méthodes de lutte, harcèle avec une combativité implacable les pouvoirs en place sans jamais s’abaisser à des marchandages et à des compromis. Sa physionomie restera intacte, comme son intégrité morale, qui serait misérablement perdue s’il poursuivait dans une voie qui le confond avec les fractions de la démocratie radicale et bourgeoise, et qui diminue son prestige auprès des masses. La nécessité de la vieille et énergique politique socialiste est tout à fait ressentie et nous espérons qu’en même temps que l’unité du parti, elle soit affirmée au prochain congrès.

6 Mussolini fait suivre le compte rendu de la brochure de Lazzari de son propre commentaire dans lequel il insiste sur l’importance des réformes : Les réformes – qui dans notre programme ne sont pas des fins en soi, un moyen pour aller à la révolution de la société dans un sens collectiviste – ne sont, selon nous, que les phases successives de l’évolution. Se moquer des réformes, c’est se moquer de l’évolution. […] Tout ce qui accélère l’évolution, accélère aussi la révolution. La théorie de la ligne droite n’est pas applicable au monde politique : l’histoire n’a jamais avancé en ligne droite. Le chemin de l’humanité est comparable à l’ascension de l’alpiniste qui, s’il voulait atteindre en ligne droite les plus hauts sommets, aurait du mal à quitter sa base de départ. D’ailleurs, avec cette théorie nous devrions nous mettre à la remorque des anarchistes qui n’arrivent pas à comprendre que, pour renverser l’ordre bourgeois, il faut aller dans les parlements et les municipalités. Ce sont là les pièges de la logique abstraite, qu’un philosophe d’esprit n’a peut-être pas appelé sans raison la première ennemie de l’homme1.

7 Mussolini se prononce ainsi dans ce compte rendu pour une ligne socialiste clairement définie, intransigeante à l’égard de la bourgeoisie radicale, mais également favorable aux réformes, gages de l’« évolution ».

8 Le deuxième article de notre série est celui que Mussolini publia pour annoncer la parution du livre de Kropotkine, Les Paroles d’un révolté, dont il a lui-même assuré la traduction2. Le livre comprend les articles publiés par Kropotkine entre 1879 et 1882

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dans le journal Le Révolté et qu’Élisée Reclus avait rassemblés en volume. Mussolini dépeint en quelques lignes la profonde actualité de cet ouvrage : Vingt ans ont passé mais Les Paroles semblent dater d’hier tant elles vibrent d’actualité. En les lisant, on ressent une première impression qui saisit l’esprit, en dehors des théories énoncées. Elles débordent d’un grand amour pour le genre humain opprimé et d’une bonté infinie.

9 Kropotkine se livre à un examen critique de la situation du moment : il évoque ainsi le chaos économique dans la production capitaliste, la décomposition progressive des États européens, la faillite de la morale chrétienne, le peu de valeur pratique des fameux droits politiques des chartes constitutionnelles ou encore le grand mouvement antiautoritaire et de libre critique dans tous les domaines de la connaissance humaine. La révolution apparaissait comme inévitable. Mussolini commente : La prochaine révolution se distinguera des révolutions précédentes parce qu’elle sera générale et qu’elle devra conduire à l’expropriation de la bourgeoisie et à l’abolition de l’État. Elle tirera probablement son origine d’une désorganisation du pouvoir central à la suite d’une guerre provoquée par les rivalités réciproques de prépondérance économique [souligné dans le texte] sur les marchés internationaux.

10 Cependant, au lieu de préparer le prolétariat à la conquête du pouvoir avant même que n’éclate la guerre entre les nations capitalistes, Kropotkine – et Mussolini à sa suite – recommande que « les minorités révolutionnaires acquièrent la capacité technique pour réorganiser la production économique sur les nouvelles bases de justice, le jour où seront expropriées les entreprises capitalistes ».

11 Après la suppression de la propriété individuelle naîtra une nouvelle forme d’organisation politique. « L’État – comité de défense des intérêts des classes possédantes – n’aura plus de raison d’être ». Ce qui laissait supposer que la révolution n’avait pas besoin, selon la théorie anarchiste défendue par Kropotkine, d’un nouvel État. Ce qui est proposé, c’est une « Commune socialiste composée de groupes fédérés selon leurs aptitudes et leurs tendances, unis fraternellement par la solidarité de leurs intérêts. Sans besoin de gouvernement, de codes, de tribunaux, les hommes et les groupes trouveront les voies de l’accord pour tout problème qui pourrait naître au sein de la Commune ».

12 Point besoin donc d’un parti révolutionnaire pour faire la révolution. Encore moins de la dictature du prolétariat – honnie par les anarchistes – pour passer du capitalisme au communisme. Le commentaire de Mussolini se conclut par une attaque qui deviendra par la suite un leitmotiv de son attitude politique jusqu’en 1914, contre la dégénérescence qu’a connue l’idée socialiste à cause de l’action menée « par les transfuges de la bourgeoisie infiltrés dans le mouvement pour le corrompre et le retarder »3.

13 Le troisième texte date de 1908. Cette année-là paraît un livre de Giuseppe Forastieri, dont le titre, Prepariamo l’avvenire d’Italia, ne peut qu’attirer l’attention de Mussolini. Le compte rendu paraît dans Il Pensiero Romagnolo, organe des républicains de la région de Forlì, où Mussolini se trouve alors. Pour Mussolini le livre de Forastieri mérite un examen ample et objectif : l’auteur, émule du milliardaire américain Andrew Carnegie – dont le livre The Gospel of Wealth avait été, comme le signale Mussolini, traduit en italien4 – faisait partager à ses concitoyens le fruit de ses expériences, lançant ainsi son « cri de bataille et d’espérance : préparons l’avenir de l’Italie ». Ce « livre d’action » – qui ne comptait que 205 pages, mais qui pouvait fournir la matière de 205 volumes – trace un véritable programme d’avenir, puisque la date symbolique qu’il prenait pour

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terme était l’an 2000. L’auteur y décrit toutes les plaies de l’Italie et indique les remèdes qu’il préconise. Il n’est pas un seul problème national – de la culture des betteraves aux fouilles archéologiques, de la pellagre à la question méridionale – qui ne trouve sa solution dans ce livre. Et si l’auteur fait souvent mouche quand il dénonce les maux de l’Italie, de cette « Troisième Italie » issue du Risorgimento, la raison en est simple : Forastieri appartient à la « bourgeoisie italienne en voie de formation », une bourgeoisie « moderne, évoluée, progressiste, avide de faire des affaires, capable de prendre des initiatives », et qui n’hésiterait pas, le cas échéant, à « briser le bloc de l’institution monarchique », si celle-ci s’opposait à « l’expansion de ses énergies rénovatrices ». Et Mussolini de citer intégralement le passage du livre dressant le tableau de l’Italie vue par Forastieri : Des administrations trop compliquées ou défectueuses ; une école qui n’est pas à la hauteur de sa mission ; une justice lente et incertaine ; un système fiscal irrégulier et vexatoire ; un réseau ferroviaire incomplet et qui fonctionne mal ; une navigation interne et fluviale inexistante ; des forces motrices naturelles presque inertes ; la terre négligée et en grande partie laissée à l’abandon ; les montagnes saccagées ; l’agriculture au stade primitif dans de nombreuses régions ; des industries insuffisamment développées ; un commerce sans orientation ; un déséquilibre impressionnant entre les importations et les exportations ; des finances locales surchargées ; des ports mal aménagés ; un manque de logements pour les classes inférieures ; les plaies de l’émigration, de la mendicité et de la chasse aux emplois.

14 Sans oublier – et Mussolini ne se fait pas faute de le mentionner – une « défense nationale organisée selon des concepts restrictifs ». De la défense nationale, Forastieri passe naturellement à la politique étrangère de l’Italie, et Mussolini lui emboîte le pas : il se déclare, comme l’auteur de Prepariamo l’avvenire d’Italia, favorable à une sage politique de recueillement, afin d’éviter à l’Italie une soustraction de ses forces et les surprises très amères des aventures coloniales. Mais cette politique était-elle vraiment à terme ? « L’histoire – relève Mussolini – présente toujours de grandes inconnues et les destins des peuples sont interdépendants ». Ainsi cette politique de recueillement pouvait-elle très bien « subir un arrêt brusque en raison des erreurs du passé et du système d’alliances stipulé par la monarchie ».

15 Après quoi, Forastieri reprend sa description de l’Italie au début du XIXe siècle, en abordant en détail tous les sujets : l’agriculture, l’industrie, le commerce, les prêts accordés aux communes, le ravitaillement des grandes villes, les mesures financières et ainsi de suite. Ce qui apparaît clairement dans le livre – et dans le compte rendu qui en est fait – c’est l’idée que l’Italie doit, sur le plan intérieur, renforcer son économie, développer son agriculture, son industrie, son commerce, bref combler son retard dans le développement du capitalisme national, de façon à réduire d’abord cette perte de ressources considérable que représente le flux de l’émigration. Sur le plan extérieur, l’auteur insiste sur le fait d’une part de se préparer à mener, le moment venu, une politique coloniale digne d’un grand pays européen, lequel n’avait pas moins droit que les autres à une expansion légitime et, d’autre part, de ne pas se sentir indéfectiblement lié par un système d’alliances – le traité de la Triplice, conclu pour la première fois en 1882 avec l’Empire austro-hongrois et l’Empire allemand, et régulièrement renouvelé depuis – un système d’alliances donc « stipulé par la Monarchie » et qui au fond n’engageait qu’elle5.

16 Mussolini ne peut ignorer totalement les questions sociales. Mais il les aborde à sa façon, faussement révolutionnaire. Forastieri envisageait-il une participation des

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travailleurs aux bénéfices des entreprises ? Mussolini ne se prononce pas non plus, parce qu’il ne croit pas aux mesures législatives. Quant à la nationalisation de la terre, Mussolini y est clairement hostile : il y voit une expression de ce socialisme d’État prôné du haut de leurs chaires par des doctrinaires qui ne trouvaient aucun écho dans les masses ouvrières. D’ailleurs, se demande-t-il, comment un État bourgeois pourrait- il, « par un simple décret », introduire une réforme économique d’une telle ampleur ? Comment l’État italien – un État aussi féodal – pourrait-il adopter des mesures législatives d’une telle importance ? Forastieri, selon Mussolini, est un incorrigible optimiste. Il se fait des illusions sur l’État italien, cette « démocratie césarienne », comme l’avait définie Arturo Labriola. Il est persuadé que son programme de réformes pourrait être réalisé par une majorité parlementaire, alors qu’il apparaît évident pour le commentateur qu’une confiance excessive dans le mécanisme parlementaire ne peut apporter que d’amères déceptions.

17 Après cette déclaration d’antiparlementarisme, ornant le compte rendu d’un vernis révolutionnaire, Mussolini conclut : dans le livre de Forastieri, traversé par un sens pratique réel, on trouve non pas des discussions théoriques subtiles, pédantes et souvent inutiles, mais des propositions et des chiffres. Il fournit matière à discussion, et mérite donc d’être signalé comme une tentative çà et là réussie6. Ce compte rendu, que rien ne permettait d’attribuer à un socialiste7, sert les projets de Mussolini : lui aussi souhaite préparer l’avenir de l’Italie. Restait à en définir les modalités de réalisation.

Instruments du réformisme italien : la critique du néo- malthusianisme

18 Le 1er juillet 1911, Mussolini publie dans le journal qu’il dirige alors à Forlì (La Lotta di classe) une note de lecture consacrée au livre du docteur Alfonso De Pietri Tonelli – Il problema della procreazione. Inchiesta sul neo-malthusianismo, con indicazioni storico- bibliografiche sulla teoria e sulla pratica – qui venait de paraître à . Le livre s’insère dans la discussion sur le néo-malthusianisme qu’avait déclenchée la parution à Vienne en 1880 du livre de Kautsky, Der Einfluss von Volksmehrung auf den Fortschrift der Gesellschaft, traduit en italien en 1884 par Bissolati sous le titre Socialismo e malthusianismo. L’influenza dell’aumento della popolazione sul progresso della società. Le livre de Kautsky pose un problème qui intéresse au plus haut point le socialisme : l’enjeu est de savoir si la question sociale – due selon Malthus à la disproportion entre la production des moyens de subsistances, qui croissent de façon arithmétique, et l’augmentation de la population, qui croît de façon géométrique – devait être résolue en freinant l’augmentation de la population, et donc par la limitation des naissances, ou bien politiquement, par l’avènement d’une société socialiste qui mettrait un terme à une crise sociale due au mode de production capitaliste. Dans cette question, la position de Kautsky apparaît ambiguë. Selon cet auteur, « seule une réforme sociale pouvait supprimer la misère et le vice qui condamnaient les neuf dixièmes de la population à une vie misérable, mais seule une régulation du mouvement de la population pouvait empêcher le retour de ces maux »8. Dans ce débat, où il s’agit, toujours selon Kautsky, de concilier le socialisme avec le malthusianisme9, tous les spécialistes italiens des questions politiques et sociales de la fin du XIXe siècle, socialistes ou non, sont intervenus : Pareto, Nitti, Colajanni, Loria, Bonomi, Bissolati, Turati. Cependant, avant

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même la publication de son livre, la position de Kautsky avait entraîné une réaction d’Engels exprimée dans une réponse à Kautsky datée du 1er février 1881 : Bien que les socialistes de la chaire nous demandent à nous, socialistes prolétariens, de leur expliquer comment nous pourrions éviter la surpopulation et le risque qui en résulterait de voir s’effondrer le nouvel ordre social, je ne vois, d’ici longtemps, aucune raison de donner satisfaction à ces gens. […] Je ne considère pas cette question comme étant d’une extrême urgence, en ce moment où la production en série, qui vient de faire son apparition en Amérique et le remarquable développement de l’agriculture menacent de nous étouffer positivement sous le poids des subsistances produites et à la veille d’un bouleversement, qui entre autres conséquences, doit avoir celle de peupler toute la terre […] et qui, même en Europe, aura certainement besoin que la population s’accroisse fortement. […] Théoriquement il est déjà possible que le nombre des hommes devienne tel qu’il faille limiter cet accroissement. Mais si la société communiste se voyait un jour contrainte de régler la production des hommes, comme elle aurait déjà réglé celle des biens, il lui appartiendrait de le faire, et elle sera seule à pouvoir le faire sans difficultés. […] De toute façon, ce sera l’affaire de ces hommes de savoir si, quand et comment ils le désireront, et quels moyens il s’agira d’employer10.

19 La question est donc capitale, et Mussolini ne peut pas s’en désintéresser. Alors que, selon Mussolini, la France ou la Hollande, comme les pays plus développés en général, disposent d’une vaste littérature théorique et de propagande pour ou contre les pratiques néo-malthusiennes, l’Italie, où pourtant depuis quelque temps la question est débattue, manquerait de ce type de travail qui, « avec des intentions objectives, posait devant l’esprit des spécialistes des questions sociales le problème dans ses aspects les plus variés ». Le docteur De Pietri Tonelli a, d’après lui, comblé cette lacune en procédant à une enquête diligente « auprès des plus grands penseurs italiens de toutes les écoles, sociologues, médecins, agitateurs, etc. »11.

20 Il n’est pas question, s’empresse de souligner Mussolini12, d’exposer toutes les réflexions que suscite la lecture de ce volume. Et cela n’a rien d’étonnant si l’on pense à la complexité du problème de la procréation qui touche à des questions économiques, morales, juridiques, politiques, religieuses, sociales. Le mérite du livre serait – en s’adressant à toutes les couches sociales, y compris donc aux prolétaires invités à ne pas contribuer à l’accroissement de la population – de pousser à la réflexion, alors que trop souvent l’on s’en tient sur ces questions à l’usage traditionnel et aux préjugés.

21 Mussolini est sûr que ce livre, digne d’être signalé en raison de sa capacité à exposer et à mettre en lumière un problème des plus graves et en conséquence des plus intéressants, « serait le point de départ d’une série de discussions profitables, qui avaient déjà eu lieu dans d’autres pays »13. Sur ce plan aussi l’Italie devrait rattraper son retard : la limitation des naissances pouvait permettre d’abaisser les tensions sociales en diminuant la population ouvrière et le flot de l’émigration. Certes la limitation des naissances entre en contradiction avec une autre nécessité de la société capitaliste, celle d’accroître le nombre des producteurs et de fournir des recrues à l’armée, mais c’est bien la question de la limitation d’une population jugée excessive qui prime à ce moment-là. Comme on le sait, le fascisme fera plus tard de l’accroissement de la population pour les besoins de la production et l’augmentation des forces armées un thème majeur de sa politique, qui servira également de justification aux ambitions coloniales du régime.

22 Cette question de la population, Mussolini l’avait déjà abordée, sous un angle tout aussi important, dans un article que l’on peut considérer comme un compte rendu, dans la

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mesure où il s’agit du commentaire d’un article paru dans La Civiltà Cattolica. L’article de la revue de la Compagnie de Jésus était intitulé « Lo spopolamento progressivo delle nazioni civili ». Dans son commentaire, Mussolini fait part de son désaccord avec l’auteur de l’article sur les causes du dépeuplement : les idées de base exprimées lui semblent erronées ou unilatérales mais, comme l’article apparaît bien documenté, Mussolini signale tout de même à ses lecteurs les informations intéressantes qu’il contient.

23 D’après La Civiltà Cattolica, dans tous les pays européens on assiste à une baisse de la population. La France, où la pratique du néo-malthusianisme est très répandue dans toutes les classes de la société, est confrontée à un avenir d’irrésistible décadence. L’Allemagne, bien que comptant une population presque deux fois plus nombreuse que celle de la France, présente des signes indéniables d’épuisement. En Belgique, l’élément nataliste est représenté seulement par les Flamands, tandis que chez les Wallons, plus proches de la France, la stérilité volontaire est largement répandue. L’Angleterre, quant à elle, connaît une décroissance qui se traduit par une baisse de 200 000 naissances par an. De son côté l’Italie présente depuis 1891 une diminution du nombre des naissances. En Autriche, l’augmentation n’est que de 3 % par an, et la Norvège présente une baisse de 20 %. Les chiffres manquent pour la péninsule Ibérique, les États balkaniques et la Russie. L’auteur de l’article de La Civiltà Cattolica déclare que le dépeuplement de l’Europe est dû à la déchristianisation consécutive à la Révolution française. Mussolini fait cependant remarquer que le cas de l’Autriche catholique infirme cette thèse. Et que dire de l’Espagne ou de la France ? Mussolini donne alors sa propre explication. Pour lui, le dépeuplement est le signe de la décadence du capitalisme : La limitation de la progéniture ou le renoncement à la progéniture, le néo- malthusianisme en somme, n’est pas la conséquence des sentiments antireligieux, mais d’un ensemble de causes économiques, politiques, morales. Toutes les civilisations qui s’acheminent vers le crépuscule présentent les mêmes symptômes d’épuisement physiologique et spirituel. C’est le cas de la société bourgeoise qui, après avoir renversé la table des valeurs traditionnelles, a réalisé sa mission historique, a atteint le sommet de sa puissance et sent que sa fin est proche, parce que de nouvelles forces sociales se préparent à la domination du monde et à la création d’une autre forme de civilisation.

24 En conclusion de son article, l’auteur de La Civiltà Cattolica se demande avec effroi : Qu’adviendra-t-il de la France et des autres nations européennes, si le laïcisme anticlérical poursuit son œuvre de paralysie progressive et de suicide social ? Que fera l’Europe, coupablement exténuée et décrépite, face au danger d’une guerre mondiale ou d’une invasion asiatique ?

25 Mussolini, quant à lui, ne semble pas trouver ces questions angoissantes. Il propose sa réponse dans son commentaire : Elle se laissera conquérir, démolir et rénover. De la même façon que l’affrontement entre les barbares et l’Empire romain ne fut pas dommageable aux intérêts de l’espèce, il est de même probable que le conflit entre deux continents, en sélectionnant la race par l’élimination des plus faibles, sera favorable au développement futur de la plante-homme14.

26 On peut relever dans cet article la première manifestation de l’obsession raciale de Mussolini, ainsi que sa conception de la guerre régénératrice. Le même article est également révélateur d’un climat. Le 20 février de cette même année 1909, le chantre du futurisme, Filippo Tommaso Marinetti, lançait son Manifeste où il glorifiait « la guerre, seule hygiène du monde, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des

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libérateurs, les belles idées pour lesquelles on meurt », ainsi que le mépris de la femme15.

Le révisionnisme révolutionnaire

27 La publication en 1912 du livre de Napoleone Colajanni, I partiti politici in Italia, permet à Mussolini d’exposer sa conception du Parti socialiste italien (PSI) à la veille du XIIIe congrès qui devait se tenir à Reggio Emilia, mais aussi de porter un jugement sur les autres partis : les partis constitutionnels qui, selon lui, sont morts, les partis radical et clérical, qui sont dépeints comme des nébuleuses, le Parti républicain, qui s’est presque suicidé à son dernier congrès.

28 Dans la partie de son livre consacré au Parti socialiste, Colajanni explique que les progrès du PSI ont été extrêmement rapides au cours des dernières années, mais non comme un résultat naturel et une conséquence logique du développement industriel et de la diffusion de la culture, mais sous l’effet et comme conséquence de la misère et d’une action gouvernementale désastreuse. Ce sont moins le nombre d’adhérents, le nombre de députés ou le nombre d’organisations paysannes que les succès obtenus aux élections législatives, les trois quotidiens et les centaines d’hebdomadaires socialistes que le Parti dirige qui attestent de ces progrès.

29 Cependant s’il y a bien eu mouvement et progrès, le Parti connaît maintenant une phase de stagnation et de dégénérescence. Cette crise – écrit à son tour Mussolini – dure depuis dix ans et a conduit à une quasi-destruction du Parti. La première cause tient aux discussions internes, aux divisions multiples dues à des rivalités. Le PSI a mené une politique de clans, de « camorre », n’hésite pas à écrire Mussolini. Mais pour le commentateur, la répudiation complète du marxisme est une autre cause de la dégénérescence. Les socialistes italiens ont toujours ignoré Marx. Certains dirigeants n’ont pas lu une ligne de lui : pas même le Manifeste des communistes (sic). Le socialisme italien n’a jamais eu de préoccupations doctrinales : le premier résumé du Capital est dû à un anarchiste, Carlo Cafiero. Seul Antonio Labriola, « un homme, un vrai », échappe à la longue phase de dépression culturelle qui a suivi cette période, mais il est resté en dehors de l’orbite officielle du Parti. Il est tout à fait symptomatique que la Storia del marxismo in Italia ait été écrite non par un Italien, mais par un Allemand 16. Contrairement à la France et à l’Allemagne, l’Italie manque d’une « solide et organique tradition culturelle socialiste » : de cela il résulte que rien n’est venu mettre un frein aux « funambulismes techniques et tactiques du réformisme, qui était devenu possibilisme, collaborationnisme, revirement, trahison ». S’ajoutent à cela des causes « de caractère moral, c’est-à-dire le manque de sincérité, l’absence de sensibilité morale, l’impunité dont bénéficiaient ceux qui ne respectaient pas les principes et les méthodes du socialisme ».

30 Une mission urgente s’impose donc pour Mussolini, qui s’en fait l’écho dans la conclusion de son compte rendu : « C’est à nous, socialistes révolutionnaires qu’incombe la tâche de ramener le Parti sur le chemin de la pureté et de la sincérité ». Et cette tâche, il faut l’assumer dès le prochain congrès, et ceux qui ne sont pas prêts à exclure des rangs du Parti les membres du courant droitier des possibilistes, monarchistes et colonialistes, doivent réfléchir au fait que le Parti n’est ni une Église, ni une académie, mais une « association de volontaires qui ont accepté une discipline et

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un but commun et que, de la même façon qu’une armée qui se bat a le droit de fusiller dans le dos les traîtres, le Parti a le droit d’exclure les transfuges et les traîtres »17.

31 Au congrès de Reggio Emilia, Mussolini fait donc voter une motion entraînant l’exclusion des éléments de droite du Parti, les députés Bonomi, Bissolati et Cabrini, qui fondent aussitôt le Parti socialiste réformiste italien. Cependant, le même homme qui veut ramener le Parti socialiste italien sur le chemin de la pureté doctrinale n’a pas hésité un an plus tôt, à Cesena, le soir du 1er mai, à prononcer une conférence sur le thème Ce qu’il y a de vivant et de mort dans le marxisme : « Chaque système a une partie caduque, et le marxisme ne peut échapper à ce sort commun ». Certes, Marx a écrit le Manifeste et le Capital. Certes, il a lancé le cri fatidique : « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! ». Il a permis au socialisme de passer de l’utopie à la science. Il a mis en avant la doctrine du déterminisme économique, de la lutte de classe et le concept de la catastrophe. Mais, depuis lors, deux conceptions du socialisme s’affrontent au sein du mouvement ouvrier : la conception révolutionnaire et la conception réformiste. Dans ce binôme devenu classique, Mussolini insère une nouveauté théorique inédite : il existe selon lui un « révisionnisme révolutionnaire ». Si bien que l’on peut être, comme Mussolini, à la fois révisionniste et révolutionnaire sans la moindre contradiction18. Ce point est capital : c’est ce révisionnisme révolutionnaire de Mussolini qui explique la politique ondoyante qui est la sienne jusqu’en 1914.

La guerre révolutionnaire

32 En 1912 paraît à Paris, aux Éditions de la Guerre sociale, le livre de Charles Albert et Jean Duchêne, Le socialisme révolutionnaire. Mussolini entreprend sa traduction, qu’il fait précéder d’une préface. La traduction de l’un des chapitres du livre, « La società socialista », est publiée en cinq articles dans La Lotta di classe entre avril et juin 1912. La préface paraît dans le quotidien l’Avanti ! dont Mussolini, membre de la direction du Parti, devient le directeur en novembre 1912.

33 Le livre rassemble des articles publiés dans le périodique La Guerre sociale au courant de l’année 1912. Le but pratique immédiat attribué à ces articles, à savoir « l’entente révolutionnaire de toutes les forces subversives militantes – socialistes, syndicalistes, anarchistes – avait entièrement échoué », mais les réponses au questionnaire envoyé par Albert et son collaborateur Duchêne sont quant à elles dignes d’intérêt. Les auteurs y exposent leur conception de la société future sur la base de trois grandes institutions : Confédération générale des producteurs (syndicats), Confédération générale des consommateurs (coopératives) et Confédération des Communes, une « conception qui ne pouvait être repoussée a priori comme une idée romantique ».

34 On peut voir dans ces exemples l’embryon de la société corporative que le fascisme instaurera en Italie. Un projet de ce genre est cependant prématuré au moment de la parution du livre. Mussolini aborde donc la question de la société future sous un autre angle. La forme politique de la société socialiste, selon lui, serait le « communalisme », c’est-à-dire une république qui n’aurait pas le caractère des républiques actuelles, une république qui ne correspondrait pas non plus à l’idéal mazzinien, mais qui se rapprocherait beaucoup, presque au point de s’y confondre, avec le fédéralisme de Carlo Cattaneo. L’autre point important abordé dans la préface concerne la révolution sociale, celle-ci devant être nationale, si bien que « pour se défendre contre de possibles

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attaques de nations arriérées », le besoin se ferait sentir pendant un certain temps « d’une sorte d’armée à base de milices “communales” ».

35 Un point intéresse particulièrement Mussolini dans son commentaire, bien que le discours reste allusif : il s’agit du rapport entre guerre et révolution. Ainsi, par « nations arriérées », il faut entendre l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne, toutes deux féodales par rapport à l’Italie. Si l’on accepte cette prévision, poursuit Mussolini, l’antimilitarisme absolu devient une absurdité, et ce qui triomphe au contraire, c’est la thèse de Jaurès à laquelle Hervé s’est justement rallié dans son volume La conquête de l’armée 19. Socialisme et militarisme ne sont donc plus des termes qui s’excluent mutuellement, parce que, même dans une société socialiste il reste « une forme de militarisme, fût-elle profondément différente des formes actuelles ».

36 Mussolini fait ainsi mine de ne pas être d’accord avec les deux auteurs. Selon lui, le problème se pose autrement : si la révolution sociale venait à éclater dans un pays, les autres pays l’imiteraient, ou bien le prolétariat serait déjà assez fort pour empêcher toute intervention armée de la bourgeoisie nationale. Dans le cas contraire, tous les socialistes se battraient aux frontières, parce que la guerre – et ce ne serait pas la première fois dans l’histoire, écrit le dirigeant socialiste Mussolini – devrait sauver « et l’idée et le fait de la révolution »20.

37 De l’ensemble de ce discours alambiqué, on retient particulièrement une idée que Mussolini précisera au fil du temps : si dans un pays donné le prolétariat n’est pas assez fort pour empêcher une intervention armée de la bourgeoisie nationale dans la guerre, il devra intervenir dans cette guerre à ses côtés, non pas bien sûr dans le même but qu’elle, mais pour sauver « et l’idée et le fait de la révolution ». Le thème de la guerre révolutionnaire, abondamment repris au cours de la campagne pour l’intervention, fait ainsi son apparition dans un parti où le courant antimilitariste est prédominant.

Les modèles étrangers

38 Attentif aux évolutions des mouvements socialistes de par le monde, Mussolini pioche, de novembre 1913 à juillet 1914, dans les revues socialistes européennes pour alimenter ses propositions politiques, marquées par le pragmatisme. Ces éléments lui permettent de faire évoluer sa pensée en se confrontant aux grandes questions internationales et à leurs conséquences sur la réalité italienne.

39 Le premier compte rendu portant sur les revues Die Neue Zeit, Sozialistische Monatshefte, Socialist Review, Vie ouvrière et L’Effort libre, paraît dans le premier numéro d’Utopia, la revue que le directeur de l’Avanti ! a fondée pour s’y exprimer plus librement qu’il n’est à même de le faire dans le journal du parti. En effet, dans la présentation de la revue qui ouvre le premier numéro, Mussolini reprend le thème du révisionnisme révolutionnaire. Selon lui, l’interprétation révolutionnaire du devenir socialiste est à ce moment-là confortée par tout un mouvement de culture, que la revue se propose d’analyser, et par une situation de fait qui conduit nécessairement à des solutions violentes. Le militarisme étant le cauchemar de l’Europe contemporaine, la question est, selon Mussolini, celle du choix entre désarmement ou guerre internationale, et non – on l’aura compris – entre guerre ou révolution. « La propagande actuelle des socialistes – écrit encore Mussolini – est de faire envisager par le prolétariat l’éventualité de la guerre ». L’objectif de la revue est ainsi précisé : « nous voulons

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compléter cette propagande, nous voulons lui offrir le secours de la critique et de la doctrine »21.

40 La revue socialiste française, la Vie ouvrière, est signalée à l’attention de tous ceux qui dirigent le mouvement prolétarien italien. Un auteur, Henri Amoré, y poursuit son étude sur la correspondance d’Élisée Reclus. Durant la « guerre tragique » (la guerre de 1870), Élisée Reclus était garde national à Paris. Mussolini cite donc un passage de l’article d’Amoré : Ses lettres sont inspirées par le patriotisme ardent qui animait les révolutionnaires de cette époque. Après la défaite, Reclus se fit désigner comme candidat (ce n’est que plus tard qu’il devint abstentionniste) à l’Assemblée nationale par le Comité républicain du Xe arrondissement de Paris. Le 9 février 1871, après avoir quitté Paris, il écrivait à sa sœur que […] probablement la guerre à outrance que lui aurait soutenue n’aurait pas été du goût de ces messieurs de l’Assemblée : une « paix honorable » ferait mieux leur affaire [souligné dans le texte].

41 Mussolini signale une autre de ces lettres, où Reclus évoque sa campagne contre les capitulards (en français dans le texte). Qu’un anarchiste ait fait l’éloge de la défense révolutionnaire est évidemment précieux aux yeux de Mussolini. Le directeur d’Utopia, également directeur du quotidien du Parti socialiste, peut ainsi écrire : Tout ceci est important dans la mesure où cela montre que… l’absurde peut arriver, à savoir qu’à un certain moment historique ce sont les révolutionnaires et les antimilitaristes qui réclament et insistent pour la plus grande guerre22.

Socialisme ou capitalisme d’État ?

42 Trois courtes notes sur les revues socialistes étrangères sont publiées dans le numéro du 10 décembre 1913 d’Utopia. La première salue la naissance, annoncée pour le 1er janvier 1914, de la nouvelle revue de langue française Socialisme et Lutte de classe, un bimensuel dirigé par Jules Guesde auquel Utopia adresse ses vœux les plus fervents. La deuxième note, consacrée à la Socialist Review, porte sur l’industrialisation de l’agriculture aux États-Unis, qui a réalisé des progrès foudroyants au cours des dernières années. Selon un expert de ces questions, la moitié du capital dans une exploitation bien cultivée aux États-Unis est constituée par les machines agricoles. Le paysan traditionnel est certes menacé par cette invasion des machines, mais cette note souligne surtout en creux le très grand retard enregistré par l’agriculture italienne dans ce domaine. La troisième note est consacrée à la Sozialistische Monatshefte qui donne des informations intéressantes sur le canal de Panama. On apprend à la lecture de cet article que le creusement du canal a été mené à bien grâce à des institutions… socialistes. Citons le commentaire de Mussolini : Le canal de Panama est terminé. Là où différentes entreprises capitalistes avaient échoué, la production d’État a brillamment triomphé. L’achèvement de cette grande œuvre n’était possible, dans une région inhabitée, que grâce à des institutions socialistes. Pour pouvoir soigner et maintenir en bonne santé 40 mille ouvriers, techniciens et employés, l’État a dû construire des habitations et des magasins, prévoir des médecins et des hôpitaux, créer, en somme, une sorte de communauté socialiste. Chaque famille habitait dans une maison construite et meublée par l’État. L’État s’occupait aussi des boutiques en tout genre, ainsi que des véhicules et des chemins de fer et des hôtels. On ne payait pas en argent, mais avec des bons que l’État donnait au personnel de l’entreprise. Les directeurs et les autres cadres prenaient leurs repas dans une pension. Les ouvriers européens, en majorité des Italiens, se partageaient entre 17 pensions. Pour les 30 mille Noirs on avait installé

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33 cuisines. Un auteur américain a calculé que ces cuisines gérées par l’État avaient fourni douze millions de repas par an23.

43 Mussolini qui, peu de temps auparavant, avait fustigé le socialisme d’État dans les pays européens, fait maintenant l’éloge d’un socialisme made in USA. Ce qu’il faut retenir de ces prises de position, c’est qu’on assiste là à la naissance d’une conception de la société aux contours plus que flous. Un choix est clair cependant : toute idée d’une société socialiste est d’ores et déjà bannie dans la pensée de Mussolini.

L’évolution de la Triplice

44 La rubrique publiée dans le numéro du 15 janvier 1914 d’Utopia comprend des notes sur Die Neue Zeit, The New Review, L’Effort libre, Sozialistische Monatshefte et Le Courrier européen. Dans son numéro du 5 décembre 1913, Die Neue Zeit publie un article de Max Jack sur les transformations de la Triplice. Le contexte est celui des guerres balkaniques, qui ont profondément modifié les relations internationales entre les différents pays européens, leur équilibre, leur situation. Selon l’auteur, la Triplice aurait connu deux phases : avant et après les guerres balkaniques, et la situation de l’Allemagne par rapport à ses alliées, l’Autriche et l’Italie, n’est donc désormais plus la même : Alors que dans la première période de la Triplice les alliés s’appuyaient sur l’Allemagne, c’est elle au contraire qui, dans la deuxième période, s’attacha à eux et, tandis que l’Autriche et l’Italie étaient apparues alors comme les colonnes de la paix européenne en tant qu’elles protégeaient les épaules de l’Allemagne, dans la deuxième période l’Allemagne avait été le point d’appui pour la politique d’expansion de l’Italie en Afrique du Nord.

45 La note de Mussolini sous-entend l’idée (qu’il développera abondamment au moment de la guerre) que les socialistes allemands, dont Die Neue Zeit se fait le porte-parole, sont extrêmement attentifs à la situation de leur pays sur le plan international. L’idée, pour l’heure à peine ébauchée, est qu’ils sont plus allemands que socialistes. La dernière remarque concerne l’Albanie et l’attitude de l’Autriche et de l’Italie vis-à-vis de ce pays. Mussolini laisse entendre que l’Italie ne peut se désintéresser de l’Albanie, et qu’il faudrait tôt ou tard soustraire ce pays à l’influence autrichienne.

46 Dans The New Review, Mussolini signale un article sur la condition des Noirs aux États- Unis. En principe l’égalité des droits y est assurée. La discrimination raciale existe pourtant de facto. Les Noirs sont défendus par deux associations. L’une, la Société pour l’élévation des gens de couleur, composée de Blancs et de Noirs, est une « association bourgeoise ». L’autre société, qui accueille les Noirs, se désigne comme The Industrial Workers of the World, et compte également des organisations mixtes dans le Sud. Selon Mussolini, la conduite du Parti socialiste n’est pas unitaire aux États-Unis. Dans certains États du Sud, les socialistes ont soutenu les Noirs, mais ce n’est pas le cas pour la Louisiane ou le Texas. Le Parti a lancé un appel aux Noirs en 1901, auxquels il renouvelle sa sympathie et qu’il appelle à militer sous les drapeaux du socialisme. À la lecture de cette note, on est en droit de se demander ce que le dirigeant socialiste italien Mussolini pense de cet appel du Parti socialiste américain adressé aux Noirs pour qu’ils militent sous les drapeaux du socialisme, mais celui-ci ne fait aucun commentaire.

47 Dans L’Effort libre figure un article sur les suffragettes anglaises à propos desquelles il est bien difficile de dire là encore quel est le point de vue de Mussolini. En revanche le

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critique cite la conclusion de l’article que Le Courrier européen consacre à la démocratie sociale tchèque : La démocratie sociale tchèque reconnaît la nécessité et l’utilité de l’Autriche- Hongrie comme État, non dans sa forme actuelle d’État dualiste, dans laquelle deux seules nationalités, Allemands et Magyars, se partagent entre eux l’hégémonie sur les Slaves. Ils [sic] réclament sa transformation en une Confédération de nationalités autonomes.

48 Tout ceci est très important, commente alors Mussolini, « surtout pour ceux, et ils sont nombreux en Italie, qui croient en d’imminentes catastrophes chez notre voisin d’au- delà de l’Isonzo »24. Bien qu’il soit encore trop tôt pour y répondre, la question est celle des conséquences pour l’Italie des catastrophes imminentes qui s’annoncent dans l’Empire austro-hongrois, son allié dans la Triplice.

49 Dans le numéro d’Utopia du 30 janvier 1914, Mussolini signale les revues Vie ouvrière et Sozialistische Monatshefte. La revue française publie un article jugé très important de Tom Mann, le leader des syndicalistes anglais, intitulé « Impressions d’Amérique », dans lequel celui-ci déplore la division qui règne dans le mouvement syndical américain, partagé entre l’American Federation of Labor et l’Industrial Workers of the World. Mann – repris par Mussolini – écrit ainsi : Je dis énergiquement que les industriels (syndicalistes) devraient travailler en accord avec la Fédération du Travail. Il n’y a strictement aucune nécessité d’avoir deux organisations [souligné dans le texte]. Le champ d’action est assez vaste pour que tous puissent coopérer à la lutte économique.

50 Le commentaire de Mussolini est sans équivoque : cet article semble écrit exprès pour les Italiens. En Italie, en effet, le mouvement syndical est lui-même divisé : d’une part la CGL (Confederazione Generale del Lavoro), d’autre part les syndicalistes révolutionnaires. Mussolini se prononce pour l’unité des deux organisations. L’idée d’un syndicat unique, présentée ici comme une avancée du mouvement ouvrier, sera reprise plus tard, à l’époque du fascisme, dans une tout autre perspective, celle de la soumission totale au patronat.

51 La Vie ouvrière publie également un nouvel article sur la correspondance d’Élisée Reclus. Mussolini profite de l’occasion pour rapporter les propos du « grand géographe » sur la violence : Du point de vue révolutionnaire, je me garderai de préconiser la violence, et je suis désolé quand les amis, entraînés par la passion, se laissent aller à l’idée de vengeance, une idée si peu scientifique, une idée stérile. Mais la défense armée d’un droit n’est pas la violence. S’il est vrai, comme je le crois, que le produit d’un travail commun doit être propriété commune, ce n’est pas faire appel à la violence que de défendre son propre bien ; s’il est vrai, comme je le crois, que personne n’a le droit de s’approprier la liberté d’un autre homme, celui qui se révolte est dans son plein droit.

52 La violence est donc légitime quand il s’agit de protéger la propriété. Mussolini retient aussi un passage sur la propagande, qu’il cite : C’est par le caractère personnel que se fait la vraie propagande. Les idées les meilleures exposées par des impuissants et des faibles semblent être dépourvues de force et de vertu. C’est à vous qu’il incombe, disait Reclus à ses amis, de les mettre en relief, de les faire accueillir avec sympathie, grâce à l’élan de votre courage, à la hauteur de votre pensée et à la dignité de votre vie.

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53 Mussolini, qui semble trouver là de saintes paroles, se souviendra peut-être d’Élisée Reclus lorsqu’il justifiera la violence dans la défense de la propriété quelques années plus tard.

54 La Sozialistische Monatshefte, pour sa part, consacre un article à la correspondance entre Marx et Engels, récemment publiée en Allemagne. La revue des révisionnistes allemands relève surtout dans ces quatre volumes le fait que Marx – « l’homme qui portait un monde dans son cerveau » – a souffert de la faim. Et Mussolini de citer deux lettres à Engels, l’une du 8 septembre 1852, l’autre du 28 janvier 1858, pour illustrer son propos. Ceux qui auraient voulu en savoir plus sur la correspondance politique entre les deux fondateurs du marxisme et comment revenir à la saine doctrine n’avaient qu’à se reporter à l’édition allemande de la correspondance d’où sont tirées ces citations25.

La question coloniale

55 Avant de s’intéresser à nouveau aux revues socialistes étrangères, Mussolini consacre, dans le numéro de février 1914 d’Utopia 26, un compte rendu au livre de Charles Dumas, « au titre intéressant » : Libérez les indigènes ou renoncez aux colonies. Mussolini a eu l’occasion de rencontrer l’auteur qui, s’étant rendu en Italie quelques mois plus tôt, avait tenu à s’entretenir avec lui à propos des prochaines élections législatives. Mais la conversation a porté aussi sur la guerre de Libye, et Mussolini retrouve dans le livre des idées alors exprimées de vive voix par son interlocuteur. Le livre est né dans des circonstances particulières : en mars 1913, le Parti socialiste unifié charge Dumas de faire une enquête sur la situation des indigènes en Afrique du Nord et d’en faire un rapport au Parti. Même si le champ de la recherche se limite à l’Algérie « qui est – comme on le sait – la plus vieille colonie nord-africaine de la France », le livre mérite d’être lu, et Mussolini ne trouve pas « inopportun » de le signaler aux socialistes italiens, surtout dans un moment où « les questions coloniales occupent et préoccupent notre opinion publique ».

56 La première partie du livre est polémique, écrit Mussolini. Dumas combat la thèse du député radical Adjani, selon lequel la race « arabe » ne pourrait s’adapter à notre civilisation. Mussolini, qui déclare ne pas vouloir entrer dans une discussion, ajoute tout de même : Limitons-nous aux données de la réalité. Il y a une civilisation (ensemble d’institutions, de coutumes, religion, morale, etc.) : la nôtre, qui à un moment donné entre en contact (pacifiquement ou violemment, par le commerce ou par les armes) avec une autre civilisation. Inférieure ? Nous ne le savons pas. Indéniablement différente [souligné dans le texte] et, dans un certain sens, nous pouvons même l’admettre, inférieure (du point de vue de la technique militaire, industrielle, etc.).

57 Mussolini précise alors en quels termes se pose le problème : assimilation ou adaptation ? Faut-il se demander : « Les Arabes peuvent-ils s’adapter à notre civilisation ? Ou bien : les Arabes peuvent-ils assimiler notre civilisation ? ». Mussolini exprime par là des doutes : « Je crois que les Arabes peuvent s’adapter à notre civilisation, mais également l’assimiler ? C’est douteux ». Le point positif tient à ce que cette adaptation est facilitée du fait que les indigènes d’Afrique du Nord sont des dolichocéphales, exactement semblables à la race nordique qui composait 87 % de la population de la Suède, comme le montre le livre Recherches anthropologiques dans la Berbérie orientale 27. L’islam lui-même n’est pas un obstacle à l’adaptation, et le danger

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panislamique agité par les arabophobes, par ceux qui souhaitent une politique forte dans les rapports avec les indigènes, est un danger imaginaire. Mussolini manifeste ainsi, pour la première fois, un intérêt pour le monde islamique qui ne se démentit pas par la suite28 : Tout d’abord il n’y a plus un chef religieux, ni un État qui puisse être le centre moteur du mouvement (la Turquie, affaiblie par les dernières guerres, aura du mal à sauver des cupidités européennes ce qui lui reste). Il y a ensuite la rivalité invincible entre les différentes et très nombreuses sectes religieuses. L’empire islamique, du Gange à Tanger, de l’Inde au Maroc, comprenant les trois cents millions d’hommes qui croient en Allah, est d’une réalisation impossible. Certes, ce vaste monde est agité par des courants souterrains, des désirs de rénovation (le mouvement nationaliste indien, sur lequel nous sommes mal renseignés, pourrait en être un symptôme, de même que la solidarité financière des musulmans d’Égypte à l’égard de leurs coreligionnaires de Cyrénaïque). Mais il y a trop d’hétérogénéité d’éléments et de peuples. Au Maroc ce sont les musulmans d’Alger qui combattent « volontairement » sous le drapeau français contre leurs frères marocains…

58 Même s’il ne faut pas tirer de ce commentaire plus qu’il n’en dit, on peut affirmer qu’il est une preuve de l’intérêt porté par Mussolini, dès avant la guerre, à la question de la race, à la question coloniale et aux questions internationales, y compris celles qui ont trait à la Cyrénaïque, italienne depuis 1912.

59 Un autre passage du commentaire de Mussolini concerne les rapports entre socialisme, colonies et indigènes. Mussolini écrit, directement cette fois, sans le truchement de Dumas : Il s’est créé une antithèse artificielle entre socialisme et colonialisme. Il faut, ici encore, distinguer. Les socialistes ne sont pas opposés au colonialisme économique et commercial, mais au colonialisme politique et militaire : au colonialisme de conquête.

60 Mussolini emprunte sa conclusion à Dumas. Celui-ci estime qu’il y a deux façons de résoudre le problème colonial dans les rapports avec les indigènes : la manière réactionnaire, esclavage et terreur, et l’autre que l’on peut résumer d’un mot, l’autonomie. Ce mot, commente Mussolini, a résonné plusieurs fois au Parlement italien pendant la récente discussion sur la guerre de Libye et nous croyons qu’il synthétise notre pensée au sujet du rapport avec les indigènes. Les systèmes de politique coloniale basés sur la répression des autochtones de la part de la mère-patrie ont démontré qu’ils sont insuffisants et dangereux. L’exemple de l’Algérie le prouve. Les institutions coloniales anglaises partiellement ou totalement basées sur le principe de l’autonomie ont fait de meilleures preuves. L’expérience doit nous apporter quelque enseignement. Nous socialistes sommes pour la plus large autonomie à accorder aux indigènes : autonomie politique, administrative, économique. La Métropole ne doit pas comprimer, mais soutenir, susciter les énergies des indigènes. Ce n’est que de cette façon qu’elle pourra les élever à des formes plus civilisées de vie29.

61 Et espérer – peut-on ajouter sans trahir la pensée de Mussolini – les conserver au sein de la mère-patrie.

L’Allemagne

62 Dans le même numéro d’Utopia qui contient cette profession de foi en faveur du socialisme colonial, autrement dit du social-impérialisme, fustigé par les marxistes authentiques30, Mussolini consacre encore deux notes aux revues socialistes. Dans la Vie

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ouvrière, Pierre Monatte traite de la crise qui frappe Bataille syndicaliste, le quotidien de la Confédération générale du travail, dont les ventes chutent de 15 000 exemplaires par jour à 8 000. Selon Monatte, la crise du journal a des causes morales : Nous reconnaissons que Bataille syndicaliste n’a rien fait pour retenir et lier à elle avec amitié et confiance ses lecteurs. Ce que nous défendons en elle c’est le principe du quotidien révolutionnaire, mais la réalité du quotidien révolutionnaire nous ne l’avons pas eue.

63 Ce que souhaite Mussolini pour les lecteurs de Bataille syndicaliste, il le souhaite manifestement pour ses propres lecteurs.

64 Dans la Sozialistische Monasthefte, Mussolini relève également un article sur La question militaire et la démocratie sociale en Allemagne : « On savait désormais que les révisionnistes avaient renoncé à toute forme de lutte contre le militarisme », mais il est toujours intéressant de « suivre les manifestations de leur pensée ». La formule « Pas un homme, pas un sou à ce système » [diesen System keinen Mann und keinen Groschen] est devenue « un dogme politique que personne autrefois n’aurait osé attaquer ». Et maintenant même cette formule est violée, la démocratie sociale a accordé pour la première fois des crédits d’un montant important à l’armée. De vives discussions s’en sont suivies au congrès de Iéna, mais la majorité du Parti a finalement approuvé la conduite du Groupe parlementaire. Mussolini reprend la conclusion de l’article : La démocratie politique de l’Allemagne est une nécessité impérieuse. Que celle-ci soit possible dépend avant tout de l’attitude politique de la démocratie sociale. Des demandes positives de réformes particulières ne servent à rien ; toute la politique de la démocratie doit tendre vers une politique de réformes systématique et conséquente, non plus entravée par de faux présupposés théoriques. Avant tout le Parti doit se libérer de la lubie stupide de refuser de voter les budgets, parce que cela le conduit dans l’impasse de l’impuissance politique… La lutte pour la démocratisation de l’Allemagne est avant tout une lutte contre le doctrinarisme et l’intransigeance politique [souligné dans le texte].

65 Se féliciter que la majorité de la social-démocratie allemande renonce aux principes permet à Mussolini, quelques mois plus tard, de justifier son propre changement de position en prônant l’intervention de l’Italie dans la guerre. Puisque le Parti socialiste allemand a abandonné la lutte contre le militarisme, pourquoi le Parti socialiste italien devrait-il continuer à mener ce combat ?

66 Dans le Courrier européen, Paul Loris consacre une note « courte mais juste », à « L’Allemagne après Saverne », dans laquelle il insiste sur le poids grandissant de la féodalité agraire au Reichstag et au Landtag de Prusse. Cette allusion à la féodalité qui règne en Allemagne, et en Autriche-Hongrie, est plus tard amplifiée pour justifier l’intervention de l’Italie au côté des pays de l’Entente (Russie comprise) dans une guerre de la démocratie contre le militarisme et l’autoritarisme des Empires centraux31.

67 Dans la rubrique Riviste socialiste du numéro 5-6 d’Utopia, daté du 15-30 mars 1914, deux notes méritent d’être signalées. La première concerne un article du Courrier européen du 7 mars dans lequel est examinée la situation politique anglaise. Tout l’article vise à démontrer que l’Angleterre est bien – comme l’avaient déjà remarqué Marx et Engels – le pays qui, avant tous les autres, connaît « les grands changements que la Révolution sociale synthétise ». L’Angleterre n’a pas encore adopté le suffrage universel, mais Asquith a déposé un projet de loi dans ce sens. En Angleterre les prérogatives des Lords sont maintenant affaiblies. Leurs pouvoirs sont devenus nuls en matière financière. La Chambre haute est sur le point de se transformer ou de disparaître. La Chambre des

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communes détient désormais tout le pouvoir politique. Dans le domaine de la législation sociale, les Trade Unions ont obtenu des garanties. Un minimum salarial est fixé pour les ouvrières à domicile et pour les mineurs dans certains bassins miniers. Une loi pour les retraites accorde 6,25 livres par semaine aux ouvriers de plus de 65 ans. Les assurances contre les maladies, le chômage, l’invalidité fonctionnent bien, de même que les bureaux de placement gérés par l’État. « Quelle victoire – souligne l’auteur de l’article cité par Mussolini – pour l’intervention de l’État dans le pays où était née la doctrine manchestérienne ! ». Sur le plan fiscal, de nouvelles taxes sont appliquées à la vieille aristocratie financière. Enfin, dans le domaine agraire, les projets de Lloyd George sont connus : l’État exproprie les grands propriétaires fonciers en faveur des agriculteurs. Mussolini ne fait pas de commentaire. Mais ici encore, il prépare le terrain : comment un pays où la révolution socialiste est en n’aurait-il pas droit à être secouru s’il était attaqué par le militarisme allemand ?

68 La note suivante rapporte des chiffres concernant les dépenses navales des huit premières puissances maritimes du monde de 1904-1905 à 1913-1914, tirés du Bulletin analytique des documents parlementaires étrangers. Ces chiffres sont impressionnants : 1 milliard 157 millions pour l’année 1913-1914 en Angleterre ; 521 millions pour la France pour l’année 1913 ; 606 millions pour la Russie ; 575 millions pour l’Allemagne ; 235 pour l’Italie ; 150 pour l’Autriche-Hongrie ; 737 pour les États-Unis ; 246 pour le Japon. La note précise aussi le montant des crédits nouveaux pour l’année 1913 dans tous les pays, ainsi que l’accroissement du nombre de marins dans les flottes de guerre des différents pays. En Angleterre, ce nombre est passé en dix ans de 130 000 à 146 000 ; en France de 52 000 à 63 000 ; en Russie de 69 000 à 52 000 (le pays ne s’est pas encore remis de ses défaites en Extrême-Orient) ; en Allemagne de 38 000 à 73 000 ; en Italie de 27 000 à 37 000 ; en Autriche-Hongrie de 10 000 à 19 000 ; aux États-Unis de 45 000 à 67 000 ; au Japon de 33 000 à 51 000. Mais cette accélération de la course aux armements au cours des années 1904-1914 ne suscite aucun commentaire de la part de Mussolini, comme s’il s’agissait là d’une chose normale à laquelle il ne trouve rien à redire32.

Les causes de la guerre

69 Un dernier et bref commentaire aux revues socialistes étrangères paraît dans le dernier numéro d’Utopia : il signale un article de Die Neue Zeit sur la position des socialistes italiens par rapport à la question douanière, et un autre de la Vie ouvrière sur le 1er mai en Angleterre, aux États-Unis et en France33.

70 L’intérêt de Mussolini pour les revues socialistes étrangères faiblit. C’est qu’entre temps se produit un événement d’une tout autre importance : l’attentat de Sarajevo. Le jour même de l’attentat, Mussolini publie un article dans l’Avanti ! Selon le directeur du journal, ce double assassinat révèle « le fossé profond qui s’est désormais ouvert entre la maison de Habsbourg et le monde slave ». Il s’agit manifestement d’un attentat politique, que l’on doit attribuer à une « explosion de la haine nationale ». Mussolini poursuit ainsi : L’Autriche est la conquérante violente qui brise un traité international (le traité de Berlin de 1878) pour s’emparer de deux provinces qui n’étaient pas confiées à – comment dire ? – sa tutelle ; l’Autriche est l’obstacle qui s’oppose au dessein d’expansion de la Serbie ; l’Autriche est le pays qui maintient la Croatie dans une situation de soumission avilissante à la Hongrie en lui refusant les conditions de vie politique et civile qu’elle reconnaît et qu’elle respecte dans les autres États de la

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monarchie ; l’Autriche est la force brutale qui comprime les vœux et les aspirations d’un peuple vers son élévation, alors qu’elle en exploite les énergies et la force.

71 Et cette Autriche odieuse et haïe se résume et s’incarne dans cet homme [l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand] de triste réputation qui « se déplaçait avec une indifférence ostentatoire, au milieu des populations systématiquement opprimées et offensées ». Comment s’étonner alors que soient sortis de la foule « un ouvrier typographe armé d’une bombe et un jeune homme intrépide qui sait viser juste pour réaliser l’œuvre de suppression » ? De ce point de vue – conclut Mussolini – le tragique événement d’aujourd’hui apparaît « comme un épisode douloureux, mais explicable de la lutte entre nationalisme et pouvoir central qui est la force et la ruine de ce pays tourmenté »34.

72 Le 28 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Tour à tour la Russie, l’Allemagne, la France, l’Angleterre entrent en guerre. Le 2 août, le gouvernement italien se prononce pour la neutralité. Le PSI adopte la même position, une position qu’il maintient officiellement tout au long de la guerre. Le 2 août encore, Mussolini s’aligne sur ses camarades, non par conviction, mais, comme cela apparaîtra plus tard, pour la raison que la neutralité de l’Italie favorise militairement les pays de l’Entente. Deux mois et demi après, le 28 octobre, il publie dans l’Avanti !, dont il est encore le directeur, un article retentissant dans lequel il se prononce pour le passage, comme l’indique le titre de l’article, « De la neutralité absolue à la neutralité active et opérante »35.

73 Le 15 novembre paraît le premier numéro du Popolo d’Italia, le journal qu’il vient de fonder pour appuyer la campagne, menée au nom du socialisme, en faveur de l’entrée en guerre de l’Italie dans la guerre dite révolutionnaire. Le 24 novembre, Mussolini est exclu du PSI36. Le 24 mai 1915, après avoir négocié secrètement avec les pays de l’Entente le traité de Londres qui doit lui accorder à la fin de la guerre plus d’avantages que l’Italie ne peut en espérer de son maintien dans la Triplice, le gouvernement italien déclare la guerre à l’Autriche-Hongrie, et plus tard à l’Allemagne.

74 Mussolini entame alors la deuxième phase de sa carrière politique : fort de toute l’expérience politique accumulée au cours des années précédentes, il va pouvoir penser sérieusement à son projet de transformation de l’Italie, un projet qu’il entend mener à bien coûte que coûte, et à sa façon, censé donner enfin à l’Italie un avenir.

75 Comme on a pu le voir à travers les comptes rendus et les préfaces qu’il a rédigés au cours de la période 1902-1914, correspondant aux années d’apprentissage qui feront de lui, au départ simple militant de base, l’un des principaux dirigeants du PSI, la préoccupation première de Mussolini n’est pas le socialisme, mais l’Italie, son statut de puissance européenne, son développement économique et son expansion. Son idéal – et en cela il ne se distingue guère des dirigeants des partis socialistes d’autres pays européens de l’époque – est de mettre le socialisme – le socialisme révisionniste – au service de son pays. Cela apparaîtra clairement quand éclate la guerre en Europe en 1914. Après la guerre, quand au socialisme révisionniste il aura substitué le fascisme, c’est à ce dernier que Mussolini assigne la tâche de faire de l’Italie une véritable puissance impérialiste.

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NOTES

1. Benito Mussolini, « La necessità della politica socialista in Italia », L’Avvenire del Lavoratore, 30 août 1902, dans Opera omnia di Benito Mussolini, a cura di Edoardo e Duilio Susmel, , La Fenice, 1951-1963, vol. I, p. 15-18. Toutes les citations tirées de l’Opera omnia seront indiquées par un renvoi au volume correspondant. Le congrès du Parti socialiste italien auquel il est fait allusion dans le texte est le congrès d’Imola (6-9 septembre 1902). 2. « Dans la dernière semaine de décembre [1903], j’achevai la traduction du français en italien des Paroles d’un révolté de Kropotkine. Je fis ce travail à la demande du groupe communiste anarchiste du Réveil de Genève ». Benito Mussolini, « La mia vita dal 29 luglio al 23 novembre 1911 », dans Opera omnia, vol. XXXIII, p. 253. Le livre de Kropotkine traduit par Mussolini parut sous le titre Parole d’un ribelle, opera pubblicata con note e prefazione da Eliseo Reclus, Il Risveglio socialista-anarchico, [Genève], 1904, 273 p. 3. Benito Mussolini, « Pagine rivoluzionarie. Le Parole d’un rivoltoso », Avanguardia Socialista, 3 avril 1904, dans Opera omnia, vol. I, p. 50-53. Avanguardia Socialista, périodique de propagande et de polémique, avait son siège à Milan. 4. Andrew Carnegie, Il vangelo della ricchezza, suivi de L’impero degli affari, Turin-Rome, Casa Editrice Nazionale, 1904, 265 p. 5. Mussolini ne manque pas de souligner au passage que Forastieri, « en bon radical », est favorable à un service militaire de six mois qui pourrait être un premier pas vers la « armée ». Forastieri propose également des mesures pour « accroître l’efficacité des forces armées ». Mais sur ce point Mussolini ne se prononce pas, parce que le sujet ne le « séduisait pas ». Mussolini étant officiellement antimilitariste, il pouvait difficilement aller plus loin sur cette question. 6. Benito Mussolini, « Prepariamo l’avvenire d’Italia », Il Pensiero Romagnolo, 10 décembre 1908, dans Opera omnia, vol. I, p. 187-189. 7. Signalant ce compte rendu dans le premier volume de sa biographie de Mussolini, Renzo De Felice estime pour sa part qu’en se déclarant pour une sage politique de recueillement et contre les aventures coloniales « tout en se demandant avec une certaine appréhension jusqu’à quel point les engagements contractés avec la Triplice pouvaient rendre possible cette politique », Mussolini s’est montré « bon socialiste » : Renzo De Felice, Mussolini il rivoluzionario 1883-1920, Turin, Einaudi, 1965, p. 59. Le titre de ce volume est significatif : le biographe de Mussolini prend pour argent comptant ce que Mussolini dit de lui-même. 8. Cité par Teresa Isenburg, « Il dibattito su Malthus e sulla popolazione dell’Italia di fine ‘800 », Studi storici, no 3, 1997, p. 50. 9. Lettre de Kautsky à Colajanni du 20 novembre 1880, dans Massimo Ganci, Democrazia e socialismo. Carteggi di Napoleone Colajanni 1878-1898, Milan, Feltrinelli, 1959, p. 130. Dans cette lettre Kautsky se réjouit du fait que le nombre des « socialistes malthusiens » augmente de jour en jour, ce qui ouvre une « perspective sûre de victoire ». 10. Lettre d’Engels à Kautsky du 1 er février 1881, dans Aus der Frühzeit des Marxismus. Engels Briefwechsel mit Kautsky, Prague, Orbis-Verlag, 1935, p. 26. Nous avons utilisé, en y apportant quelques changements, la traduction française de cette lettre publiée par Alfred Sauvy dans la revue Population, 1966, p. 786-787. Dans un ouvrage postérieur, Vermehrung und Entwicklung in Natur und Gesellschaft, Stuttgart, Dietz, 1910, Kautsky maintient sa position darwino-socialiste sur le néo-malthusianisme : « En tant que théoricien de l’économie, j’ai, évidemment, récusé le malthusianisme, sinon je ne serai pas resté socialiste. Mais, en tant que darwinien, j’ai constaté, dans la nature organique, la tendance à la surpopulation. C’est de là qu’est sorti l’ouvrage [de 1886] cité plus haut » : Population, 1966, p. 786, note 2.

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11. Dans le titre original du livre l’auteur indique qu’il a enquêté auprès de « médecins, économistes, juristes, sociologues, hommes de lettres et socialistes ». En remplaçant « socialistes » par « agitateurs », Mussolini évite d’impliquer officiellement le parti socialiste dont il est membre dans cette question controversée. 12. Dans une note sur un livre qui comprend également une étude statistico-sociologique, ainsi que des indications théorico-pratiques exhaustives, recueillies avec « beaucoup d’amour » dans la littérature néo-malthusienne des différents pays par un collaborateur du docteur De Pietri Tonelli. 13. Benito Mussolini, « Note e letture », La Lotta di classe, 1er juillet 1911, dans Opera omnia, vol. IV, p. 39. 14. Benito Mussolini, « Finis Europae ? », Il Popolo, 3 septembre 1909, dans Opera omnia, vol. II, p. 246-247. Mussolini fait référence aux articles « Lo spopolamento progressivo nelle nazioni civili », parus dans La Civiltà Cattolica du 21 août 1909, p. 285-401, et du 18 septembre 1909, p. 641-653. La conclusion de l’article de La Civiltà Cattolica que cite Mussolini se trouve à la page 401. 15. Filippo Tommaso Marinetti, Teoria e invenzione futurista, éd. Luciano De Maria, Milan, Mondadori, 1968, p. 495. 16. Mussolini fait ici allusion au livre de Roberto Michels, Storia del marxismo in Italia : compendio critico con annessa bibliografia, Rome, L. Mongini, 1909, 159 p. 17. Benito Mussolini, « Il Partito socialista in un libro di Colajanni », La Soffitta, 15 juin 1912, dans Opera omnia, vol. IV, p. 141-144. 18. Benito Mussolini, « Ciò che v’ha di vivo e di morto nel marxismo », Il Cuneo, 6 mai 1911, dans Opera omnia, vol. III, p. 365-367. Sur la question de la révision du marxisme en Italie on peut se reporter à : Enzo Santarelli, La revisione del marxismo in Italia : studi di critica storica, Milan, Feltrinelli, 1964. À notre connaissance l’étude du révisionnisme de Mussolini reste à faire, mais pour accomplir ce travail il faut commencer par renoncer à l’idée d’un Mussolini « socialiste révolutionnaire » jusqu’en 1914, et même au-delà. 19. Gustave Hervé, La conquête de l’armée, Paris, La Guerre sociale, 1913, 257 p. 20. Benito Mussolini, « Prefazione a Il socialismo rivoluzionario », Avanti !, 12 juin 1913, dans Opera omnia, vol. V, p. 174-180. Le livre Il socialismo rivoluzionario : il suo terreno, la sua azione e il suo scopo, Faenza, Tip. Popolare Faentina, 1913, constitue le premier volume de la collection « Biblioteca del Socialismo rivoluzionario italiano » dirigée par Mussolini. 21. Benito Mussolini, « Al largo ! », Utopia, 22 novembre 1913, dans Opera omnia, vol. VI, p. 5-8. 22. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 22 novembre 1913, dans Opera omnia, vol. VI, p. 9-14. 23. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 10 décembre 1913, dans Opera omnia, vol. VI, p. 22-23. 24. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 15 janvier 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 52-56. 25. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 30 janvier 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 67‑69. 26. D’autres articles de Mussolini sur les « Riviste socialiste » sont parus dans les numéros du 10 décembre 1913, 15 et 30 janvier 1914 d’Utopia. 27. Mussolini fait référence ici à l’ouvrage de Lucien Bertholon et Ernest Chantre, Recherches anthropologiques dans la Berbérie orientale : Tripolitaine, Tunisie, Algérie, Lyon, A. Rey, 1912-1913, 662 p. 28. Voir sur ce point Renzo De Felice, Il fascismo e l’Oriente : arabi, ebrei e indiani nella politica di Mussolini, Bologne, Il Mulino, 1989, 358 p. 29. Benito Mussolini, « Il regime coloniale in Algeria », Utopia, 15-28 février 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 87-94. Le livre de Charles Dumas, Libérez les indigènes ou renoncez aux colonies,

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publié à Paris aux éditions E. Figuière, dans la collection « Bibliothèque politique et parlementaire », en était en 1914 à sa troisième édition. 30. Dans une lettre à Kautsky du 12 décembre 1882, Engels signale déjà le danger social- impérialiste qui menace le mouvement ouvrier en l’absence d’un véritable parti socialiste : « Vous me demandez ce que les ouvriers anglais pensent de la politique coloniale. Ma foi, la même chose que ce qu’ils pensent de la politique en général : ce qu’en pensent les bourgeois. Il n’y a pas ici de parti ouvrier, il n’y a que le parti conservateur et le parti libéral-radical, et les ouvriers profitent tranquillement avec eux du monopole colonial de l’Angleterre et de son monopole sur le marché mondial » : Karl Marx et Friedrich Engels, Textes sur le colonialisme, Moscou, Éditions du Progrès, 1977, p. 359-360. 31. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 15-28 février 194, dans Opera omnia, vol. VI, p. 95-97. 32. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 15-30 mars 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 123-124. 33. Benito Mussolini, « Riviste socialiste », Utopia, 15-31 juillet 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 285-286. Les articles précédents de cette rubrique sont parus dans les numéros des 15-18 février et 15-30 mars 1914 d’Utopia. 34. Benito Mussolini, « Commento al delitto di Sarajevo », Avanti !, 29 juin 1914, vol. VI, p. 239-240. 35. Benito Mussolini, « Dalla neutralità assoluta alla neutralità attiva e operante », Avanti !, 18 octobre 1914, dans Opera omnia, vol. VI, p. 393-463. 36. À la fin de la réunion de la section milanaise au cours de laquelle est décidé, en présence de quelques-uns des dirigeants nationaux du Parti (Lazzari, Serrati, Baci, Ratti), son expulsion du PSI, Mussolini déclare : « L’épopée napoléonienne clôt un siècle. Waterloo est de 1814 [sic]. À la fin de 1914 peut-être quelque autre tête couronnée tombera à terre et un autre arbre de la liberté surgira. […] Vous ne devez pas croire que la bourgeoisie soit enthousiaste de notre interventionnisme : elle renâcle, elle craint quelque chose, elle suppose que le prolétariat quand il a des baïonnettes puisse s’en servir dans un but social. Ne croyez pas que je me sépare de gaieté de cœur de cette carte du parti. Arrachez-la moi si vous voulez : vous ne m’empêcherez pas d’être au premier rang pour la cause du socialisme. Vive le socialisme. Vive la révolution. » Cité par Renzo De Felice, Mussolini il rivoluzionario…, op. cit., p. 279.

RÉSUMÉS

L’article se propose d’illustrer, à travers ses comptes-rendus d’ouvrages de tiers, mais également ses préfaces, l’idée de l’Italie que s’est forgée, au cours de la période 1902-1904, le jeune militant de base, puis dirigeant du Parti socialiste italien, Benito Mussolini, ainsi que la particularité du socialisme qui fut le sien. L’article démontre que la préoccupation première de Mussolini tout au long de ces années ne fut pas le socialisme, mais bien l’Italie, son statut de puissance européenne, son développement économique, son expansion, et que son objectif fut dès lors, comme cela apparaît clairement quand éclate la guerre en Europe en 1914, de mettre le socialisme au service de son pays, ainsi que le firent d’autres dirigeants socialistes des pays européens. En instaurant le fascisme après la guerre, Mussolini poursuit par d’autres moyens cet objectif de faire de l’Italie une grande puissance impérialiste.

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The article aims to show the idea of Italy and the particular brand of socialism that Benito Mussolini, the young militant and leader, forged for himself in the period 1902-1904 through analysis of his writings in prefaces and reviews of other authors’ work. The article demonstrates that Mussolini’s main concern throughout these years was not socialism but rather Italy, its status as a European power, its economic development, its expansion. Mussolini’s main goal, following a path similar to that of other European socialist leaders, was already to put socialism at the service of his country, as will become clear after the start of in 1914. In establishing fascism after the war, Mussolini will pursue through other means this goal of making Italy a great imperialist power.

INDEX

Mots-clés : Italie, Mussolini, Parti Socialiste italien, doctrine, modèles Keywords : Italy, Mussolini, Italian socialist party, doctrine, models

AUTEUR

GEORGES SARO Georges Saro est maître de conférences honoraire d’italien à l’université de Paris 3-Sorbonne nouvelle. Ses recherches ont porté sur le rapport entre histoire et littérature en Italie au XIXe siècle ainsi que sur les problèmes politiques liés à l’Unité italienne. Il est l’auteur d’articles sur Leopardi, Manzoni, Verga et leurs époques respectives, et plus récemment sur Garibaldi et Mazzini, concernant l’issue institutionnelle du processus du Risorgimento. Il a également abordé les rapports entre républicanisme et socialisme en Italie à la fin du XIXe siècle. Parmi ses principales publications : Dossier historique et notes de l’édition de A. Manzoni, Les Fiancés, Paris, Gallimard, 1995 ; Venise : La République des castors, textes réunis par A. Fontana et G. Saro, ENS Fontenay-St Cloud, 1997. Il a également traduit les articles de Marx et Engels sur l’expédition des « Mille » ; A. Gramsci, Lettres de prison, Paris, Gallimard, 1971 (en collaboration) ; Venise et la révolution française : les 470 dépêches des ambassadeurs de Venise au Doge 1786-1795, Paris, R. Laffont, 1997. [email protected]

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Jeanne de Flandreysy, le palais du Roure, la Provence et l’Italie fasciste

Christophe Poupault

1 Le palais du Roure est une demeure avignonnaise qui fut pendant plus de quatre siècles le lieu d’habitation de la famille Baroncelli, illustre dans l’histoire florentine pour l’assassinat perpétré par l’un de ses membres, Bernard de Baroncelli, sur la personne de Julien de Médicis, frère de Laurent le Magnifique1. En 1918, il est racheté par Jeanne de Flandreysy, une femme de lettres passionnée par la Provence et la culture latine. Jusqu’à sa mort, elle le transforme en un haut lieu de la défense de la langue et des traditions provençales, tout en développant un intérêt croissant pour l’Italie. La mise en place du régime fasciste et l’enracinement de la dictature ne changent en rien cet engouement et sa maison devient peu à peu un centre actif du rapprochement franco- italien, tandis qu’elle-même multiplie les initiatives pour le favoriser.

2 Les très nombreux documents que possède le palais du Roure témoignent des rapports étroits entretenus par ses propriétaires pendant plusieurs siècles avec la Péninsule. Outre un fonds d’archives sur la famille Baroncelli, il conserve une importante bibliothèque italienne essentiellement constituée par Jeanne de Flandreysy et des dossiers très riches mais partiellement classés sur les liens qu’elle a tissés avec l’Italie dans l’entre-deux-guerres. Grâce à sa vaste correspondance, à ses notes de voyages, aux documents divers qu’elle a conservés comme des guides touristiques, des fascicules d’expositions ou des cartons d’invitations à des manifestations variées, ainsi qu’à de nombreuses coupures de presse, il est possible de reconstituer les relations privilégiées que « l’Abbesse du Roure », telle que la surnommaient les Avignonnais, a cultivées avec l’Italie mussolinienne, ses efforts pour renforcer l’amitié bilatérale au cours de fêtes particulièrement démonstratives, mais aussi ses relations ambiguës avec le régime2.

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Le palais du Roure : des liens étroits avec l’Italie depuis le XVe siècle

3 En 1469, près d’un siècle après le départ du dernier pape d’, Pierre de Baroncelli, banquier florentin qui a épousé sept ans plus tôt Léonarde de Passis qui appartient à la grande famille des Pazzi, également banquiers florentins installés en Avignon et qui ont francisé leur nom, achète à son beau-père pour 600 écus la « taverne de l’Amourié » qui occupe l’emplacement actuel du palais du Roure. Dans les années qui suivent, il fait l’acquisition de deux autres demeures attenantes qu’il fait démolir pour agrandir son bien et pendant 200 ans, l’édifice subit d’importantes modifications pour constituer, à la fin du XVIIe siècle, l’hôtel de Javon, en référence à l’inféodation de la seigneurie de Javon reçue en avril 1514 par les Baroncelli d’Avignon3.

4 Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la famille aristocratique d’origine toscane l’habite et le transforme. En 1891, le marquis Raymond de Baroncelli qui en a hérité, ainsi que son épouse Henriette de Chazelles et leur fils aîné, Folco4, passionnés par la culture provençale, décident de s’associer aux activités de Frédéric Mistral qu’ils admirent. Écrivain fondateur du Félibrige en 1854, ce dernier consacre sa vie à la renaissance et à la promotion de la langue et de la culture d’Oc5. Pour le soutenir, les Baroncelli installent dans leur maison la rédaction de son journal entièrement écrit en langue provençale : L’Aiòli 6. L’aventure dure jusqu’en 1899 et c’est durant cette période que Mistral surnomme l’hôtel de Javon le palais du Roure, vraisemblablement en souvenir du collège du Roure fondé en 1476 à proximité par le légat Julien della Rovere, futur pape Jules II 7. Des hommes de lettres s’y rencontrent déjà comme Étienne Mallarmé, Villiers de l’Isle et bien sûr les membres du Félibrige. Les Baroncelli demeurent au Roure jusqu’à la mort d’Henriette de Chazelles, le 1er août 1906 8. L’édifice est ensuite mis en vente au cours de l’été 1907. La Société immobilière de Vaucluse l’acquiert en 1909, le transforme en le dégradant9, tandis que des boutiques s’installent au rez-de- chaussée, ainsi qu’une brasserie et une imprimerie. Le 12 avril 1918, tout change lorsque Jeanne de Flandreysy, journaliste littéraire au Figaro de 1904 à 1910, décide d’en faire l’acquisition.

5 Fille de l’homme de lettres et archéologue Étienne Mellier, Jeanne de Flandreysy est née le 11 juillet 1874 à Valence10. C’est à la fin du XIXe siècle qu’elle décide d’adopter son nom à particule. L’origine en est discutée. L’intéressée elle-même a longtemps mis en avant son mariage en 1899 avec un comte écossais, Aymar de Flandreysy, qui serait mort peu de temps après les noces. Mais cette union n’a jamais eu lieu et il semble que Jeanne Mellier ait choisi de changer de patronyme pour faciliter sa carrière littéraire à Paris, à une époque où être la veuve d’un comte facilitait l’insertion dans les milieux des belles-lettres11. En 1900, elle fait la connaissance de Frédéric Mistral avec qui elle noue une amitié sincère, puis en 1908 de Folco de Baroncelli lors du tournage du film Mireille en Camargue. Au contact de ces deux personnalités, elle développe une passion dévorante pour la culture provençale et commence à accumuler une impressionnante documentation sur tout ce qui la concerne. Lorsqu’au début de l’année 1918 elle a connaissance de la vente du palais du Roure, elle met tout en œuvre pour rassembler les fonds nécessaires et sollicite son ami Jules Charles-Roux qu’elle a rencontré en 1903, député des Bouches-du-Rhône de 1889 à 1898 et mécène marseillais très fortuné12. Ce dernier, également amoureux de la Provence et qui cherche depuis 1917 à constituer avec Jeanne de Flandreysy, à Avignon, un musée sur la région, accepte. Mais sa mort

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peu de temps après, le 6 mars 1918, compromet le projet. Elle se tourne alors vers son père qui lui avance la somme13. La nouvelle propriétaire s’installe au palais dès le mois d’avril et consacre le reste de sa vie à sa restauration. Surtout, grâce à la place dont elle dispose, elle amasse toujours plus d’archives, de manuscrits, de photographies, d’objets ethnographiques, de meubles, de souvenirs et de livres qui sont consacrés à la Provence. Grande collectionneuse de cloches14, elle constitue aussi une bibliothèque et fait de sa maison une « Villa Médicis » provençale dont l’objectif est la protection des artistes et des écrivains. Elle accueille des conférences, des concerts, des expositions et de nombreuses personnalités qui sont parfois hébergées, à l’image du peintre et sculpteur belge Henri de Groux15 ou du poète Louis Le Cardonnel, auteur de Camina sacra, qui trouve son inspiration à Assise avant de finir sa vie au Roure16. Centre actif de la vie intellectuelle de l’entre-deux-guerres, une foule d’hommes de lettres y séjournent parmi lesquels les académiciens Maurice Barrès, Pierre de Nolhac et , ainsi que l’écrivain Albert Thibaudet, de même que les Italiens Filippo Tommaso Marinetti, Arturo Farinelli, Ugo Ojetti ou encore le professeur Mario Chini, traducteur de Mistral dans la Péninsule. Le 8 septembre 1936, Jeanne de Flandreysy épouse l’archéologue Émile Espérandieu, membre de l’Institut, conservateur des Musées Archéologiques de Nîmes et des Monuments Romains du Gard, qui a perdu sa femme en décembre 1935 17. Pour la propriétaire du Roure, se marier à un membre de l’Institut est très flatteur depuis l’adoption de son nom à particule suite à ses soi-disant noces avec un Écossais fantôme. Elle a 62 ans, Émile Espérandieu 79. Ce dernier fait don de sa bibliothèque au Roure et ils décident ensemble de constituer une fondation qui porte leurs deux noms. Après la mort de son époux le 14 mars 1939 et malgré les tumultes de la guerre, Jeanne de Flandreysy décide le 12 juillet 1944, à l’occasion de ses 70 ans, de léguer à la Ville d’Avignon le palais du Roure et toutes ses collections, ainsi que son annexe, la villa du Chêne vert aux Angles, de l’autre côté du Rhône18. Les deux édifices forment en octobre 1952 l’Institut méditerranéen du palais du Roure, inauguré le 4 novembre par le ministre de l’Éducation nationale, André Marie, et placé sous la double autorité scientifique des universités d’Aix-Marseille et de Montpellier19. Jeanne de Flandreysy meurt le 15 mai 1959 dans sa demeure, qu’elle n’avait jamais cessé d’habiter depuis sa donation.

La passion italienne de Jeanne de Flandreysy

6 L’amour de Jeanne de Flandreysy pour la Provence se double rapidement d’un intérêt croissant pour l’Italie. Dante et Pétrarque sont ses auteurs préférés et l’histoire même d’Avignon, celle du palais du Roure et de la famille Baroncelli, suscitent chez elle une passion pour la Péninsule qui l’anime jusqu’à sa mort. Si d’après Henriette Dibon, son attrait pour la terre provençale, dont elle n’est pas originaire, est surtout lié à l’amitié qu’elle a nouée avec Jules Charles-Roux20, comme en témoigne sa méconnaissance de la langue des Félibres qu’elle n’a jamais lue ni parlée21, elle décide à partir des années 1920 d’italianiser sa propriété. Du reste, ses recherches sur le Félibrige et la culture provençale passent pendant cette période au second plan. Dans une région où tout évoque l’appartenance au monde méditerranéen et dont le nom même rappelle sa romanisation précoce, la provincia de Rome, l’engouement pour l’Italie est presque naturel. Le biographe de Jeanne de Flandreysy note : « Terre latine, terre sœur tellement semblable dans son originalité même à la terre de Mistral, que la frontière qui les sépare est sensible au seul œil averti. […] [L]’Italie, pour elle, a toujours été plus

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ou moins le pays ou le temps de la Renaissance »22. L’Italie chrétienne la fascine aussi. Elle est reçue en audience par le pape Pie XI en novembre 1927 et l’accueil au Roure de Louis Cardonnel à partir de 1929 symbolise cet attrait. Surtout, cette sympathie incite Jeanne de Flandreysy à encourager l’amitié franco-italienne durant toute la période de l’entre-deux-guerres, au nom des affinités culturelles entre les deux peuples que la notion de latinité traduit. Cette représentation unique, qui fait des nations française et italienne des « sœurs », doit être selon elle la base d’une entente commune et durable et elle est partagée par bon nombre de contemporains dans les deux pays23. Par conséquent, en plus d’être le temple de la sauvegarde des traditions provençales, elle fait rapidement du palais du Roure celui de la promotion de l’idée latine et du rapprochement entre Paris et Rome, à une époque où les relations sont particulièrement fluctuantes24. C’est pourquoi à partir de 1927, au moment où les travaux de restauration de sa demeure sont déjà bien avancés, elle choisit d’y constituer une bibliothèque italienne en rassemblant des livres, manuscrits et gravures concernant les rapports intellectuels entre les deux États « latins »25. Elle trouve des adhésions et des appuis dans les milieux culturels français, auprès du très italophile Pierre de Nolhac, son ami qui l’a conseillé pour la restauration du Roure en 1918 en tant que conservateur du Château de Versailles et qui a consacré sa thèse à Pétrarque lorsqu’il séjournait à l’École française de Rome, au début des années 1880 26, du professeur Henri Hauvette, président-fondateur en 1916 de l’Union intellectuelle franco-italienne27, de l’historien Paul Hazard, professeur au Collège de France, ou encore des universitaires Maurice Mignon, italianiste à l’origine de la création du lycée français de Rome et enseignant à la Faculté des lettres d’Aix, et Émile Ripert, son collègue qui y est professeur de langue et de littérature provençales depuis 1920. Côté italien, les parrainages sont aussi nombreux. Jeanne de Flandreysy met à profit ses nombreux voyages dans la Péninsule pour fréquenter ses bibliothèques et nouer des relations avec ses artistes et ses hommes de lettres28. Elle reçoit également quantité d’ouvrages de podestats avec lesquels elle est en contact29. En octobre 1927, le ministère fasciste des Affaires étrangères est en outre informé de son dessein et l’encourage à poursuivre ses recherches en Italie30. Celui-ci y voit un excellent moyen d’accroître sa propagande à l’étranger et lors d’un déplacement à Rome le mois suivant, elle rencontre même Mussolini pour la première fois, le 11, qui lui offre un portrait dédicacé toujours conservé au Roure31. Surtout, à l’occasion de manifestations culturelles binationales, elle multiplie les rencontres qui lui permettent d’enrichir ses collections.

7 En 1927 et en 1928, conjointement en France et en Italie, sont organisées de grandes fêtes pour célébrer les 600 ans de la rencontre entre Pétrarque et Laure de Sade à Avignon et Jeanne de Flandreysy y participe. L’initiative en revient à Pierre de Nolhac qui a créé en 1926 une Société des Amis de Pétrarque dont il existe une section vauclusienne, à laquelle la propriétaire du Roure appartient. S’il s’agit d’une période où les relations franco-italiennes sont mauvaises32, les cérémonies qui se déroulent dans un premier temps dans le Vaucluse, en 1927, sont très chaleureuses et la presse des deux pays en rend compte33. En octobre 1928, de nouvelles rencontres ont lieu à L’Isle- sur-la-Sorgue au cours desquelles l’académicien Ugo Ojetti prend la parole au nom du gouvernement italien34, avant les grandes festivités d’Arezzo un mois plus tard, la ville natale du poète. Organisées par Eugenio Coselschi, député au parlement italien et conseiller pour la propagande du gouvernement fasciste, promoteur de l’idée latine et futur créateur en 1933 des Comités d’Action pour l’Universalité de Rome (CAUR)35, elles

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sont un immense succès pour l’amitié franco-italienne. Elles se conçoivent comme une manifestation grandiose du génie « latin »36 ; André François-Poncet, sous secrétaire d’État aux Beaux-Arts, y représente officiellement le gouvernement français, accompagné par plusieurs personnalités illustres dont Pierre de Nolhac, les écrivains Marcel Boulenger, Émile Henriot et Hubert Morand venus de Paris, les universitaires provençaux Maurice Mignon, Émile Ripert et le comte Charles de Mougins Roquefort, secrétaire de l’Académie d’Aix, le Capoulié du Félibrige37, Marius Jouveau, le conservateur de la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras, le professeur Caillet, sa collaboratrice, Madame Goeffroy, le maire de Montpellier, le socialiste Albert Billod, le directeur de l’Institut français de Florence, Henri Graillot, le directeur de l’Alliance française de Gênes, Gaston Broche, et Jeanne de Flandreysy38. Louis Le Cardonnel, initialement invité par Eugenio Coselschi, doit renoncer pour raisons de santé mais assure que la présence de son amie d’Avignon le réjouit tant elle travaille « avec une ardeur inextinguible à entretenir comme sur un autel, dans son palais du Roure, ce double et unique amour de la France et de l’Italie »39. Le roi Victor-Emmanuel III préside la manifestation tandis que le gouvernement fasciste se fait représenter par Giuseppe Belluzzo, ministre de l’Instruction publique, et Francesco Giunta, sous- secrétaire d’État à la présidence du Conseil. De nombreux hommes de lettres italiens sont aussi présents40. Tous les discours, en dépit des tensions politiques, mettent en avant l’attachement entre les deux « sœurs latines » et la célébration de Pétrarque se transforme rapidement en une rencontre en faveur du rapprochement franco-italien. Émile Henriot résume : « Il parut à chacun que ce jour devait être marqué d’une pierre blanche, tant la communauté des sentiments exprimés à la mémoire d’un poète soulignait l’affectueux accord des deux nations sœurs »41. Jeanne de Flandreysy regrette notamment que les difficultés diplomatiques, liées entre autres aux colonies, obstruent les relations mais elle sait que ce type de réunion « fraternelle » est propice à l’entente et Pierre de Nolhac la réconforte dans ce sens. Il lui assure que les désaccords ne sont que passagers et l’encourage à continuer à œuvrer à l’amitié bilatérale : « Cette bourrasque encore passera et les fleurs de Vaucluse et d’Arezzo finiront par s’épanouir. À vous qui en êtes la bonne jardinière, attentive et vigilante, je souhaite pour l’an qui vient santé et prospérité »42. Jeanne de Flandreysy se trouve au centre des réseaux franco-italiens et son palais est un temple reconnu de la promotion latine.

8 Du 13 au 16 octobre 1929, lors du 34e congrès de la Société Dante Alighieri43 qui se tient à Pise et à Livourne, la propriétaire du Roure, comme présidente d’une section avignonnaise de l’association, effectue un nouveau voyage dans la Péninsule estimant qu’il lui offre l’occasion de rencontrer un grand nombre d’écrivains susceptibles de l’aider dans la constitution de sa bibliothèque italienne. L’initiative de créer en Avignon une section de la Dante Alighieri a été prise en juillet 1929 par Madame Goeffroy, dans le but de préparer les fêtes romaines prévues en 1930 pour célébrer le centenaire de la naissance de Frédéric Mistral44. Eugenio Coselschi, qu’elle a sollicité, a immédiatement approuvé et en a informé le sénateur , président de la Dante Alighieri, qui en a accepté le principe45. Cette organisation ne recrute théoriquement ses membres que parmi les Italiens et l’exception faite à la Provence prouve, selon Pierre de Nolhac, l’estime de l’Italie pour la région46. De surcroît, la présidence de la section qui est confiée en septembre à Jeanne de Flandreysy, selon le vœu d’Eugenio Coselschi, assure qu’elle est une personnalité appréciée des autorités fascistes47. Ainsi, en octobre, la propriétaire du Roure se rend en Toscane à la tête d’une petite délégation composée notamment du professeur Caillet, de sa collaboratrice, d’Émile Ripert et du comte

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Charles de Mougins Roquefort. Le programme est le suivant : séance inaugurale le premier jour du congrès, sous la présidence du roi d’Italie, dans la grande salle de l’université de Pise, par le ministre de l’Éducation nationale, Balbino Giuliano, suivie le lendemain par une visite de Volterra et de ses musées, le surlendemain par la clôture du congrès, à Livourne, et le dernier jour par une découverte de l’île d’Elbe et du musée Napoléon qui s’y trouve48. Pour le 17, Eugenio Coselschi a proposé à Jeanne de Flandreysy, accompagnée des membres de la Dante avignonnaise, de le suivre à Rome pour les présenter à Mussolini49. La rencontre a lieu en fin d’après-midi dans le bureau du et Charles de Mougins Roquefort en a fait un long compte-rendu dans Le Mémorial d’Aix 50, repris dans ses souvenirs de voyage publiés plusieurs années après51. Il raconte qu’il fut particulièrement impressionné par le décor des salles traversées avant de voir le maître de l’Italie puis, lorsqu’il arriva dans son bureau, par « la profondeur et la douceur de son regard, et par l’aménité et la bonhomie qui se dégagent de toute sa personne »52. Eugenio Coselschi exposa d’abord au dirigeant fasciste les raisons de cette entrevue, à savoir obtenir une aide morale et matérielle pour l’envoi de livres à la bibliothèque italienne du palais du Roure. Puis, au nom de la section avignonnaise de la Dante Alighieri, Jeanne de Flandreysy lui offrit un exemplaire de Mireille en provençal qui portait la signature de tous les membres de la délégation. Mussolini apprécia, assura avoir lu la grande œuvre de Mistral dans sa jeunesse et pendant qu’il feuilletait le volume, le conservateur de l’Inguimbertine et son adjointe lui firent part, à sa demande, du programme des prochaines festivités mistraliennes prévues à Carpentras pour honorer le centenaire de la naissance du poète. Eugenio Coselschi et ses hôtes exprimèrent le souhait d’une représentation du gouvernement italien à ces journées et Mussolini, d’un signe de la tête, approuva. C’est alors que la fille de Madame Geoffroy, habillée en comtadine, lui présenta un bouquet de roses rouges nouées aux couleurs de la France et de l’Italie. Jeanne de Flandreysy lui montra ensuite le registre des adhésions à son projet de bibliothèque italienne et le Duce regarda attentivement les signatures avant d’y apposer la sienne et de serrer chaudement la main de chacun de ses visiteurs. Cette rencontre fut ainsi des plus cordiales un an avant les manifestations en l’honneur de Frédéric Mistral.

9 En 1930, le centenaire de la naissance de l’écrivain est célébré dans toute la France méridionale53. Les œuvres complètes de cet auteur apprécié et même populaire en Italie ont été traduites et des cours de littérature provençale ont été institués dans les universités de Rome, Florence et Padoue54. Par conséquent, le gouvernement fasciste a décidé de s’associer aux festivités en organisant du 24 au 31 octobre une semaine « mistralienne » à Rome55. Une délégation est invitée à laquelle Jeanne de Flandreysy prend part. Elle est principalement composée de l’écrivain maurrassien Jean Rivain, vice-président du Comité France-Italie56, de Philippe de Zara, secrétaire général pour la France du Comité Mistral à Rome, de Rémy Roux, président de l’École palatine d’Avignon, d’Émile Ripert, de Maurice Mignon, du Capoulié du Félibrige et du comte Philippe d’Estailleur, président de l’Association de l’Entente française. Dès le premier jour, les voyageurs sont reçus par les deux ambassades françaises et à l’Académie royale. Le 25 octobre, une cérémonie a lieu à la Confédération nationale des Professionisti e Artisti où les Français sont accueillis de façon très chaleureuse par son président, le député Giacomo di Giacomo, secrétaire général pour l’Italie du Comité Mistral à Rome, et par le professeur Mario Chini, un ami proche de Jeanne de Flandreysy avec lequel elle a beaucoup correspondu pour préparer les journées romaines57. Le jour suivant est celui des principales commémorations. Dans la matinée

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à l’Académie royale, le ministre fasciste de l’Éducation nationale, Balbino Giuliano, à côté de son collègue des Corporations, Giuseppe Bottai, qui a été désigné pour présider le Comité Mistral à Rome, du président du Sénat, , et de l’ambassadeur de France, Maurice de Beaumarchais, fait l’éloge de la Provence devant Jeanne de Flandreysy et ses compagnons : Aucune terre, au-delà des Alpes, n’a senti profondément l’intime vérité originelle de notre race latine autant que cette terre que Rome considérait comme la province par excellence. Et aucun poète n’a jamais senti si profondément le mystique amour de sa terre comme Mistral a senti sa Provence. […] Avec ce sentiment, pendant que nous marchons vers notre nouvelle destinée, nous sommes heureux, dans un moment de recueillement, d’adresser notre pensée et notre salut à ce poète si provençal et si latin58.

10 L’académicien Arturo Farinelli prend ensuite la parole et continue à flatter ses hôtes en célébrant les liens privilégiés entre la Provence, l’Italie et les peuples « latins » qui doivent s’unir pour imposer la paix dans le monde : Ne se rendaient-ils pas compte, les peuples latins, de l’unité de leur langue, de la communion d’idéal et d’aspirations ? La race était pourtant compacte, et le sentiment, fraternel. […] Français et Provençaux, Espagnols et Catalans, l’Italie rayonnante au foyer romain, les Latins étaient en apparence dispersés ; leurs plus charmantes terres s’étendaient toutes le long d’une seule mer, la divine Méditerranée, et sur ces eaux le ciel reflétait son azur, son calme, cette lumière et cette allégresse qui devaient être le privilège des peuples ralliés autour de la Méditerranée. Rêve d’un poète, mais vivant et intense comme la plus vive réalité. Il [Mistral] mourut, toujours avec ce rêve et le désir que l’union idéale pût se réaliser59.

11 Jean Rivain, au nom de la délégation française, répond à ces allocutions en des termes très chaleureux. L’après-midi, l’inauguration de la plaque apposée sur l’hôtel où le poète et sa femme étaient descendus lors de leur voyage romain en 1891 60, rue San Nicola da Tolentino, est à nouveau l’occasion de célébrations communes pour exprimer le désir d’alliance61. En présence de Mussolini, Émile Ripert, qui a bien connu l’auteur de L’Ode à la Race latine 62 à la fin de sa vie, en prononce un panégyrique et fait de la Provence une terre d’élection pour rapprocher les deux nations « latines » : Entre toutes les provinces dont la France est composée, la Provence a une mission spirituelle, un message à porter au monde, ce qu’elle a fait de façon sublime par les lèvres de Mistral. La Provence a le devoir d’expliquer la France à l’Italie, l’Italie à la France. Plus près de vous que les Français du Nord, nous comprenons mieux votre ardeur, votre enthousiasme, votre sensibilité, et plus près que vous de Paris, nous savons bien que se dissimulent souvent sous l’ironie l’affection la plus profonde et la plus sincère. […] Nous sommes sur un grand chemin de civilisation qui va d’une capitale à l’autre63.

12 Mario Chini fait à son tour une intervention orale et en fin de journée, une réception est donnée au Capitole par le gouverneur de Rome. Le soir, un dîner sur l’Aventin est offert par la Confédération des écrivains et artistes, que préside Giuseppe Bottai. Cette fois-ci, c’est l’écrivain Philippe de Zara qui s’exprime pour lire un message de Pierre de Nolhac qui aurait dû se rendre à Rome mais qui a renoncé pour raisons de santé64. Dans l’enthousiasme général, Filippo Tommaso Marinetti exige « la nécessité impérieuse de la fraternité latine » et l’académicien Arturo Marpicati salue les Français et les Italiens qui ont ensemble versé leur sang pour la même cause65. Les jours suivants, d’autres réceptions sont organisées, notamment à la Villa Médicis où Jeanne de Flandreysy se fait photographier66. L’ultime rencontre, le dernier jour de la célébration mistralienne à

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Rome, a lieu à l’ambassade de France où le discours de Maurice de Beaumarchais insiste sur le rapprochement toujours plus étroit et plus intime des deux grandes « sœurs latines »67. Si lors de ces journées, la propriétaire du Roure ne prend jamais officiellement la parole, elle assiste à toutes les manifestations et cette présence en fait une personnalité importante de l’amitié franco-italienne. En outre, son séjour se prolonge après les cérémonies puisque le 10 novembre, elle est reçue au ministère des Corporations sans que l’on connaisse le but de cette visite68.

Philofascisme ou amitié « latine » ?

13 Cette attirance de Jeanne de Flandreysy pour l’Italie et les nombreux séjours qu’elle y effectue la mettent inévitablement en contact avec le régime fasciste qui ne semble en rien la gêner dans ses déplacements, ni du reste dans son désir de rapprocher les deux pays « latins ». Elle rencontre deux fois Mussolini en audience et au cours de la première, il lui offre son portrait dédicacé qu’elle décide d’accrocher au-dessus de la cheminée du salon d’honneur du palais du Roure, là où elle reçoit ses hôtes69. Ce choix paraît témoigner d’une adhésion ostensible à la politique du chef de l’Italie « nouvelle ». Les autorités du régime perçoivent en outre son action avec bienveillance et sa correspondance avec Eugenio Coselschi en est la marque la plus évidente. Elle est même qualifiée en 1927 par la direction du ministère fasciste des Affaires étrangères, l’année même où elle s’entretient pour la première fois avec le Duce, « de fervente admiratrice de l’Italie et de l’œuvre de rénovation effectuée par le régime »70. Si le ministère de la Culture populaire ne conserve aucun dossier qui la classe parmi tous les étrangers susceptibles d’intéresser sa propagande71, elle semble apparaître comme un soutien à sa politique.

14 Toutefois, le contexte de la fin des années 1920 permet de nuancer cette analyse. D’abord, les audiences de Mussolini ne sont pas exceptionnelles pour les voyageurs de passage qui jouissent d’une certaine notoriété. Les agendas de ce dernier, consultables à l’Archivio Centrale dello Stato à Rome, rendent parfaitement compte de la quantité impressionnante d’hôtes étrangers, parfois inattendus, qui peuvent venir le voir et converser facilement avec lui puisqu’il parle parfaitement le français. Les entretiens de Jeanne de Flandreysy ne sont donc pas inhabituels, même si rencontrer Mussolini est une marque évidente de sympathie et même si les listes disponibles pour les années 1930 certifient qu’elle ne l’a plus jamais revu en privé après les célébrations en l’honneur de Mistral72. Ensuite, à la fin des années 1920, apprécier Mussolini n’est pas honteux pour tous ceux qui estiment que son rôle dans la lutte contre la révolution bolchevique a été bénéfique et que son programme de « régénération nationale » est utile en Italie. Il apparaît à beaucoup comme un homme providentiel, un combattant à la force exceptionnelle qui a refusé de se soumettre pendant la période des troubles de l’après-guerre73. C’est pourquoi il bénéficie d’une réelle popularité auprès de nombreux chefs politiques, hommes de lettres et journalistes européens, au moins jusqu’à la guerre d’Éthiopie74. Les propos célèbres prononcés par Winston Churchill, alors chancelier de l’Échiquier, lors d’une conférence de presse à Londres le 20 janvier 1927, illustrent parfaitement cette image favorable75. Si Jeanne de Flandreysy présente incontestablement une estime réelle pour le Duce qui lui semble redonner sa grandeur à la Péninsule sur la scène internationale, elle considère que le régime fasciste ne doit pas être un obstacle à la réalisation d’une alliance franco-italienne. Elle croit

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profondément à l’idée latine et même si de 1931 à la guerre elle ne participe plus de manière aussi visible à des cérémonies binationales, contrairement aux années précédentes, elle joue un rôle actif au sein du Comité France-Italie.

15 Cette organisation, créée en 1926 par l’écrivain italophile Faure, puis remaniée en 1929 par Jean Rivain, prend son essor au début des années 1930 sous la présidence de Pierre de Nolhac. Son ambition est d’œuvrer à une entente durable entre les deux pays et la notoriété de ses adhérents, dont certains sont de véritables thuriféraires du fascisme, en fait l’institution du rapprochement franco-italien la plus éminente de toute la période76. En juin 1932, Jeanne de Flandreysy participe notamment à la création de son groupement régional de Provence. Sous la présidence de Maurice Mignon, son siège est à Marseille et la propriétaire du Roure fait partie du comité de direction77. Trois sections sont mises en place : une pour les affaires économiques, une pour les lettres, sous la direction de Maurice Mignon, et une pour les arts, sous celle de Jeanne de Flandreysy. De plus, cette dernière crée en Avignon une antenne du Comité de Marseille, qu’elle dirige. Elle choisit comme vice-présidents Rémi Roux et le conservateur du palais des papes, le docteur Colombe. Son rôle au sein de l’association est par conséquent important. Elle reçoit au palais du Roure tous les numéros de la revue France-Italie, l’organe du Comité parisien, pour la publication de laquelle elle est du reste financièrement sollicitée78, ainsi qu’un très grand nombre de cartons d’invitation pour des conférences faites par des membres français ou italiens de l’organisation79. À partir de 1933, les initiatives de cette dernière pour soutenir les négociations diplomatiques en cours sont de plus en plus nombreuses et aboutissent en septembre 1933 à la création d’un Comité Italia-Francia, sous la direction du sénateur Borletti. Les deux groupements jouent un rôle central dans le rapprochement franco- italien qui mène aux accords de Rome de janvier 1935 80 et celui de la Provence, au sein duquel agit Jeanne de Flandreysy, est particulièrement dynamique81. Le 11 mai 1935, pour célébrer à la fois les vingt ans de l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de la France et les accords de Rome, une grande fête est organisée au palais du Roure pendant laquelle une nouvelle cloche, baptisée « la Romaine », est offerte à Jeanne de Flandreysy par les deux principaux dirigeants du Comité France-Italie, Pierre de Nolhac et Louis Madelin82. Des mélodies françaises et italiennes sont jouées pour l’occasion ; Philippe de Zara prononce une conférence intitulée « La Méditerranée, source de civilisation universelle », et sont inaugurées en début de soirée les grandes eaux-fortes de Piranèse offertes par le régime fasciste à la propriétaire du Roure pour orner les salles de sa bibliothèque italienne83.

16 À partir de l’automne 1935, les relations bilatérales se dégradent à cause de la guerre d’Éthiopie mais le Comité France-Italie continue son soutien sans faille à la politique de Mussolini. Le désir de le voir ressusciter l’Empire de Rome par cette conquête africaine plaît à Pierre de Nolhac et le 28 novembre, il écrit à Jeanne de Flandreysy : « Ai-je besoin de vous dire que les sanctions contre l’Italie révoltent les cœurs et que le Comité France-Italie a rempli tous ses devoirs de protestation. La résistance de ce grand peuple est admirable »84. En 1936, « l’Abbesse du Roure » signe du reste une pétition du Centre de propagande d’action latine et d’union méditerranéenne qui demande la levée des sanctions votées à la Société des Nations contre l’Italie85. Ce Centre, situé à Toulouse, dépend du Comité contre les sanctions et la guerre qui s’est constitué à Paris dès la fin du mois de septembre 1935, à l’initiative de Robert Vallery-Radot, secrétaire général de la section française des Comités d’Action pour l’Universalité de Rome qu’Eugenio Coselschi dirige. Adressée au gouvernement français, cette pétition dit vouloir défendre

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la paix, sans référence au régime politique de l’Italie, même si elle est lancée par des organisations partisanes ou proches du fascisme italien.

17 Les archives du palais du Roure sont beaucoup plus rares concernant les relations entre Jeanne de Flandreysy et la Péninsule à la fin des années 1930. On sait que cette dernière est invitée par Mario Chini à une série de conférences sur Mistral et le Félibrige qui doivent avoir lieu à l’université de la Sapienza à Rome, vraisemblablement en 1937 ou en 1938, mais sans que l’on sache si elle y a répondu favorablement86. La guerre en 1940 interrompt inévitablement les actions entreprises mais sans que l’intérêt pour la culture italienne de la veuve d’Émile Espérandieu ne soit remis en cause. La création en 1952 de l’Institut méditerranéen du palais du Roure en est le meilleur exemple.

18 Ainsi, l’hôtel particulier des Baroncelli-Javon a toujours entretenu des liens privilégiés avec l’Italie et son rachat par Jeanne de Flandreysy en 1918 ne les a pas interrompus. S’il est un centre très fourni de documentation sur la culture provençale, il est aussi un lieu qui rappelle l’importance de la Péninsule aux yeux de ses propriétaires. Jeanne de Flandreysy fut autant passionnée par la Provence que par l’Italie et aussi bien par l’Italie de Dante et de Pétrarque que par celle des fascistes dont elle fut la contemporaine, persuadée que les peuples « latins » devaient s’unir au-delà de leurs différends politiques pour montrer au monde, qu’après tant de siècles, la gloire de la civilisation romaine continuait à éclairer le monde et à le guider. En outre, les archives du palais du Roure confirment l’attraction que le régime fasciste a exercée à l’étranger et encouragent à repenser la place des institutions culturelles dans les réseaux transnationaux qui ont contribué au rapprochement franco-italien. Au-delà de leur simple rôle documentaire, elles incarnent la complexité des relations entre Paris et Rome et les rapports étroits qui se sont noués pour promouvoir la latinité.

NOTES

1. Girard, Les Baroncelli d’Avignon, Avignon, Palais du Roure, 1957. 2. Je tiens à remercier tout le personnel du palais du Roure pour m’avoir facilité la communication de l’ensemble de ces archives. 3. Cette seigneurie se trouve à l’Est de l’actuel département du Vaucluse et les Baroncelli y font construire un château. 4. Marie-Lucien-Gabriel-Folco de Baroncelli, dit Folco, est né à Aix le 1er novembre 1869. Très tôt intéressé par le mouvement de la renaissance provençale, proche de Frédéric Mistral, il est le secrétaire de L’Aióli pendant toute la période de sa publication de 1891 à 1899, avant de se retirer dans son mas de l’Amarée, en Camargue, où il mène une vie de gardian. Il meurt le 15 décembre 1943. Sur sa vie, voir Jeanne de Flandreysy, Folco de Baroncelli, Avignon, La Chèvre d’or, 1947. 5. Frédéric Mistral (1830-1914) obtient le prix Nobel de littérature en 1904 pour l’ensemble de son œuvre écrite en provençal : Claude Mauron, Frédéric Mistral, Paris, Fayard, 1993. 6. Ce journal paraît pour la première fois le 7 janvier 1891. Un numéro est publié les 7, 17 et 27 de chaque mois, jusqu’au 27 décembre 1899. La rédaction comprenait tous les grands noms de la poésie provençale et Folco de Baroncelli en était le secrétaire et l’un des principaux animateurs. La presse à bras de l’Imprimerie Seguin, acquise en 1943 par Jeanne de Flandreysy et sur laquelle

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fut imprimée en 1859 la première édition de Mirèio, la grande œuvre de Frédéric Mistral, ainsi qu’à partir de 1891 L’Aiòli, est toujours visible aujourd’hui au palais du Roure. Le journal est relancé le 7 septembre 1930 par Frédéric Mistral neveu, à l’occasion du centenaire de la naissance du poète, jusqu’au 21 juin 1932. 7. Pierre Baroncelli, l’acquéreur du palais du Roure, fut trésorier personnel du cardinal Julien della Rovere. 8. Joseph Girard, Les Baroncelli…, op. cit., p. 160. Raymond de Baroncelli est décédé le 28 mars 1897. 9. Ibid., p. 162. 10. Sur la vie de Jeanne de Flandreysy, il n’existe qu’une seule biographie : Christian Chabanis, Jeanne de Flandreysy ou la passion de la gloire, [s.l.], Guy Chambelland, Éditions de la Salamandre, 1964. Voir également la contribution de B. A. Taladoire, Le palais du Roure depuis 1918. Hommage à Jeanne de Flandreysy-Espérandieu, Avignon, Les Amis du Roure, 1961 et celle de Sabine Barnicaud, « Jeanne de Flandreysy, 1874-1959 », dans Sylvestre Clap (dir.), Portraits de femmes en Vaucluse, Avignon, Club Azertyuiop, 2012, p. 174-176. 11. Henriette Dibon, « Le Roure de Jeanne de Flandreysy », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, t. X, années 1977-1978, p. 183-185. 12. Jeanne de Flandreysy et Jules Charles-Roux ont publié ensemble plusieurs ouvrages : Autour de l’histoire. Camargue, Avignon, Arles, Provence au pays d’Arles, en collaboration avec Étienne Mellier, Paris, Lemerre, 1910 ; Le livre d’or de la Camargue, en collaboration avec Étienne Mellier, Paris, Lemerre, 1916. 13. Christian Chabanis, Jeanne de Flandreysy…, op. cit., p. 209-210 ; Henriette Dibon, « Le Roure de Jeanne de Flandreysy », art. cit., p. 186. 14. Elle en possède 175 de toutes tailles et d’origines diverses, dont certaines sont du XVIIe et du XVIIIe siècles. 15. Né en 1866 près de Bruxelles et mort en 1930 à Marseille, il est l’un des grands peintres symbolistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècles : Henry de Groux, Journal, ouvrage publié sous la direction de Rodolphe Rapetti et Pierre Wat, Paris, Kimé, INHA, 2007. 16. Né à Valence le 26 février 1862, il s’intéresse très jeune à la poésie et séjourne à Paris dans les années 1880 où il s’insère dans les milieux littéraires. En 1894, profondément croyant, il entre au séminaire français de Rome. Il devient prêtre en 1896, exerce dans plusieurs paroisses puis tente l’expérience monastique. Il publie son premier volume de poèmes en 1904. L’année suivante, il se retire à Assise où il demeure plusieurs années, voyage aussi à Rome et en Toscane et rédige pendant cette période Carmina Sacra, qu’il publie en 1912. Il revient en 1914 à Valence et y reste jusqu’en 1916, avant de repartir en Italie jusqu’en 1924. Il séjourne notamment à San Remo (Gabriel Faure, Louis Le Cardonnel à San Remo, 20 lettres inédites du poète, Paris, Arthaud, 1943). Il s’installe au Roure en avril 1929 et y reste jusqu’à sa mort, le 28 mai 1936. Sur la vie de Louis Le Cardonnel, voir Raymond Christoflour, Louis Le Cardonnel. Pèlerin de l’invisible, préface de Georges Bernanos, Paris, Plon, 1938. 17. Sur sa vie, voir Christian Chabanis, Jeanne de Flandreysy…, op. cit., p. 268-274. 18. Cette propriété fut construite vers 1860 par le comte Séménov, un aristocrate russe qui était passionné par le mouvement de la Renaissance provençale. Il y reçut tous les membres du Félibrige, à commencer par Frédéric Mistral, mais aussi Paul Arène et Alphonse Daudet. Le comte mourut pendant la révolution russe et la maison échut au prince William Bonaparte-Wyse qui résidait en Irlande. Jeanne de Flandreysy l’acquit en 1953 et la Ville d’Avignon accepta son entretien pour y accueillir des artistes et des étudiants qui travaillaient sur la Provence. Son projet de « Villa Médicis provençale » prit alors tout son sens. 19. Léo Larguier et Jules Véran, Une Villa Médicis rhodanienne : le Chêne vert, Avignon, Amis du Chêne vert, 1947 ; Vincent Flauraud, L’Institut méditerranéen d’Avignon (Chêne vert – palais du Roure). Une expérience de « Villa Médicis rhodanienne » (1952-1970), Avignon, [s.n.], 2011. 20. Henriette Dibon, « Le Roure de Jeanne de Flandreysy », art. cit., p. 189.

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21. Christian Chabanis, Jeanne de Flandreysy…, op. cit., p. 28. 22. Ibid., p. 225-226. 23. Sur l’histoire de la latinité et son rôle dans le rapprochement franco-italien, voir Catherine Fraixe et Christophe Poupault, « Introduction », dans Catherine Fraixe, Lucia Piccioni et Christophe Poupault (dir.), Vers une Europe latine. Acteurs et enjeux des échanges culturels entre la France et l’Italie fasciste, Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, Paris, INHA, 2014, p. 11-30. 24. Robert de Dampierre, « Dix années de politique française à Rome (1925-1935) », La Revue des Deux Mondes, no 21, 1er novembre 1953, p. 14-38 ; id., « Dix années de politique française à Rome (1925-1935) », La Revue des Deux Mondes, no 22, 15 novembre 1953, p. 258-283. 25. Cette bibliothèque est aujourd’hui très fournie. Elle comprend de nombreuses œuvres d’auteurs italiens ayant vécu en France ou ayant parlé de sujets français et d’œuvres françaises sur l’Italie et les Italiens. 26. Gino Zuchelli, Pierre de Nolhac et l’Italie, Saïgon, Imprimerie Saïgon Ân-quàn, 1970. 27. Créée en pleine guerre mondiale pour resserrer les liens entre les intellectuels des deux nations, l’association se perpétue durant tout l’entre-deux-guerres et œuvre à sa manière au rapprochement franco-italien par l’organisation de manifestations diverses et de publications. De très nombreuses personnalités y adhèrent dans les deux pays. 28. Une multitude de dossiers d’archives au palais du Roure conservent ses billets d’entrée dans des musées, ses notes d’hôtels et de restaurants, ainsi que des documents touristiques sur toutes les villes visitées. 29. Archives du palais du Roure (APR), fonds Italie (FI). 30. APR, FI, Note du ministère italien des Affaires étrangères au ministère de l’Instruction publique, le 29 octobre 1927. 31. Henriette Dibon, « Le Roure de Jeanne de Flandreysy », art. cit., p. 188. 32. Pierre Guillen, « L’échec d’un rapprochement franco-italien dans les années 1926-1929 », dans Alessandro Migliazza et Enrico Decleva (dir.), Diplomazia e storia delle relazioni internazionali. Studi in onore di Enrico Serra, Milan, Giuffrè, 1991, p. 321-337. 33. Annexe XXI au Bulletin de l’Alliance française de Gênes, Quelques lettres de Pierre de Nolhac, défenseur de l’Amitié franco-italienne avec une introduction et des notes de Gaston Broche, Paris-Gênes, Alliance Française, 1939, p. 26-28. 34. Pierre de Nolhac, Souvenirs d’un vieux romain, Paris, Plon, 1930, p. 183. 35. Marco Cuzzi, L’internazionale delle camicie nere. I CAUR, Comitati d’Azione per l’Universalità di Roma : 1933-1939, Milan, Mursia, 2005. 36. Archivio Centrale dello Stato (dorénavant ACS), Presidenza del Consiglio dei Ministri, 1928-1930, busta 318, fasc. 14/2, protocollo 1526, Lettre d’Eugenio Coselschi à Mussolini, le 28 juillet 1928. 37. Le Capoulié est le principal responsable du Félibrige. Il est considéré comme le successeur de Frédéric Mistral. 38. Pierre de Nolhac, « Souvenirs d’un vieux romain », Revue de Paris, 19 mars 1930, p. 251 ; Charles de Mougins Roquefort, Haltes littéraires en Italie, Aix-en-Provence, Imprimerie Chauvet, 1937, p. 9. 39. APR, correspondance de Louis Le Cardonnel, Lettre de Louis Le Cardonnel à Eugenio Coselschi, le 22 novembre 1928. 40. Pierre de Nolhac, Souvenirs…, op. cit., p. 185-186 ; Charles de Mougins Roquefort, Haltes littéraires…, op. cit., p. 11. 41. Émile Henriot, Promenades italiennes, Paris, L’Édition d’Art H. Piazza, 1930, p. 138. 42. APR, Correspondance de Jeanne de Flandreysy (CJF), Lettre de Pierre de Nolhac à Jeanne de Flandreysy, le 31 décembre 1928. 43. Créée en 1889, cette Société a pour but de défendre et de promouvoir la langue et la culture italiennes à l’étranger. Sous la présidence de Paolo Boselli de 1906 et 1932, elle élargit

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progressivement ses activités et s’attache à glorifier l’Italie et le régime fasciste : Filippo Caparelli, La « Dante Alighieri », Rome, Bonacci, 1987 ; Beatrice , Nazione e politica nella Società « Dante Alighieri », Rome, Bonacci, 1995. 44. APR, CJF, Lettre d’Eugenio Coselschi à Jeanne de Flandreysy, le 12 août 1929. 45. APR, CJF, Lettre d’Eugenio Coselschi à Jeanne de Flandreysy, le 28 juillet 1929. 46. APR, CJF, Lettre de Pierre de Nolhac à Jeanne de Flandreysy, le 10 septembre 1929. 47. APR, CJF, Lettre d’Eugenio Coselschi à Jeanne de Flandreysy, le 19 août 1929. 48. APR, FI, Programme du 34e congrès de la Société Dante Alighieri. 49. APR, CJF, Lettre d’Eugenio Coselschi à Jeanne de Flandreysy, le 24 septembre 1929. 50. Charles de Mougins Roquefort, « Une délégation provençale chez Mussolini », Le Mémorial d’Aix, 3 novembre 1929. 51. Charles de Mougins Roquefort, Haltes littéraires…, op. cit., p. 19-24. Dans cet ouvrage, les dates ne coïncident pas avec son article du Mémorial ou avec les archives du palais du Roure. Il écrit que le congrès de la Dante Alighieri a eu lieu du samedi 24 au mardi 27 octobre 1929 (p. 19), ce qui est une erreur puisque le 24 octobre 1929 était un jeudi et le 27 un dimanche. De surcroît, la rencontre avec Mussolini est évoquée à la date du 27 et non du 17. Mais le fait qu’elle corresponde à un dimanche est très peu probable. Le 17 octobre était un jeudi et il y a certainement une confusion de l’auteur dans son ouvrage qui paraît longtemps après ces événements, en 1937. 52. Charles de Mougins Roquefort, « Une délégation provençale… », art. cit. 53. René Jouveau, Histoire du Félibrige (1914-1941), Nîmes, R. Jouveau, 1977, p. 159-229. 54. Paul Gentizon, Rome sous le faisceau, Paris, Fasquelle, 1933, p. 64. 55. Ces fêtes sont longuement évoquées par Maurice Mignon dans les numéros 330 et 331 de L’Aiòli, datés du 21 novembre et du 7 décembre 1930. 56. Sur ce Comité, voir infra. 57. Dix-sept lettres sont consultables dans la correspondance de Jeanne de Flandreysy conservée dans les archives du palais du Roure. 58. De Virgile à Mistral, Paris, Firmin-Didot, 1931, p. 6-7. 59. Ibid., p. 8. 60. Frédéric et Marie Mistral, Excursion en Italie. Un voyage à Venise, texte provençal intégral avec la traduction française de en regard, avant-propos de Claude Mauron, Paris, La Poterne, 1985. 61. Sur la plaque, toujours visible aujourd’hui, le texte est le suivant : « In questa casa nel MDCCCXCI visse Federico Mistral, Virgilio della sua Provenza, grande poeta degli umili, apostolo di latinità. La reale Accademia d’Italia, il comitato mistraliano, nel nome di Roma. XXVI ottobre MCMXXX Anno VIII ». « Dans cette maison en 1891 vécut Frédéric Mistral, Virgile de sa Provence, grand poète des humbles, apôtre de la latinité. L’Académie royale, le comité mistralien, au nom de Rome. 27 octobre 1930 Année 8 ». 62. Frédéric Mistral, L’Ode à la race latine ; Virgile, Le Moretum, Lourmarin, Les Cahiers de la Colette, 1931. 63. De Virgile…, op. cit., p. 13. 64. Il n’avait déjà pas pu se rendre aux fêtes mistraliennes organisées à Avignon peu de temps avant : APR, correspondance de Maurice Mignon, lettre de Maurice Mignon à Pierre de Nolhac, le 28 septembre 1930. 65. De Virgile…, op. cit., p. 17. 66. La photo est consultable dans les archives du palais du Roure, fonds Italie. Elle est en compagnie d’Émile Ripert, de Maurice Mignon, de Mario Chini et du directeur de l’Académie de France à Rome, Denys Puech. 67. De Virgile…, op. cit., p. 31. 68. APR, FI, Note du ministère des Corporations pour Jeanne de Flandreysy, le 9 novembre 1930.

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69. Eugène Guichard, « Une bibliothèque italienne à Avignon », Les Tablettes d’Avignon et de Provence, no 128, 29 septembre 1928, p. 1. Cet article a paru début juillet dans Il Messagero, le principal journal de Rome : lettre d’Eugène Guichard à Jeanne de Flandreysy, le 3 juillet 1928 (APR, CJF). 70. APR, FI, Note du ministère des Affaires étrangères au ministère de l’Instruction publique, le 29 octobre 1927. 71. La consultation à Rome des archives du ministère de la Culture populaire à l’Archivio Centrale dello Stato permet de l’affirmer. 72. ACS, Segreteria particolare del Duce, Carteggio ordinario, Udienze (1930-1943). 73. Didier Musiedlak, « Mussolini : le grand dessein à l’épreuve de la réalité », Parlement[s]. Revue d’histoire politique, no 13, mai 2010, p. 52-62. 74. Pierre Milza, Mussolini, Paris, Fayard, 1999, p. 619-629. Voir aussi, Pierre Milza, L’Italie fasciste devant l’opinion française (1920-1940), Paris, Armand Colin, 1967. 75. Ibid., p. 422. Le ministre anglais déclare notamment : « Son unique pensée est le bien-être durable du peuple italien. […] Si j’avais été italien, je suis sûr que j’aurais été entièrement avec vous, du commencement à la fin de votre lutte victorieuse contre les appétits bestiaux et les passions du léninisme. […] Sur le plan extérieur, votre mouvement a rendu service au monde entier ». 76. Enrico Decleva, « Relazioni culturali e propaganda negli anni trenta : i comitati “France- Italie” e “Italia-Francia” », dans Jean-Baptiste Duroselle et Enrico Serra (dir.), Il vincolo culturale tra Italia e Francia negli anni trenta e quaranta, Milan, Franco Angeli, 1986, p. 108-157. 77. APR, FI. Les présidents d’honneur sont Maurice Hubert, président de la Chambre de commerce de Marseille, le commandeur Sillitti, consul général d’Italie à Marseille, l’ancien député Adrien Artaud, président de la Foire de Marseille, Émile Ripert, de l’Académie de Marseille, et Gustave Bourrageas, directeur du Petit Marseillais. 78. APR, CJF, Lettre de Pierre de Nolhac à Jeanne de Flandreysy, le 4 octobre 1934. 79. APR, FI. 80. Christophe Poupault, « Le rapprochement culturel franco-italien et ses enjeux idéologiques (1933-1935) », dans Catherine Fraixe, Lucia Piccioni et Christophe Poupault (dir.), Vers une Europe latine…, op. cit., p. 115-130. Sur les accords de Rome de janvier 1935 qui voient se concrétiser l’alliance entre la France et l’Italie, voir Pierre Milza, « Le voyage de Pierre Laval à Rome en janvier 1935 », dans Jean-Baptiste Duroselle et Enrico Serra (dir.), Italia e Francia dal 1919 al 1939, Milan, Franco Angeli, 1981, p. 219-243. 81. APR, CJF, Lettres de Pierre de Nolhac à Jeanne de Flandreysy, les 11 janvier 1933 et 11 janvier 1934. Dans chacune de ces lettres, l’académicien salue l’action de son amie en faveur du rapprochement franco-italien. 82. APR, FI. 83. APR, FI. 84. APR, CJF, Lettre de Pierre de Nolhac à Jeanne de Flandreysy, le 28 novembre 1935. 85. APR, FI. 86. APR, FI.

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RÉSUMÉS

En 1918, la femme de lettres Jeanne de Flandreysy rachète à Avignon le palais du Roure qui fut pendant quatre siècles la demeure d’une famille d’origine florentine, les Baroncelli, et que fréquenta Frédéric Mistral qui lui donna son nom. Elle le restaure et le transforme en un haut lieu de la sauvegarde de la culture provençale, tout en se passionnant pour l’Italie. Elle y constitue une importante bibliothèque italienne et multiplie les actions en faveur d’un rapprochement franco-italien, au nom de la latinité, en participant notamment à des rencontres culturelles binationales et en adhérant au Comité France-Italie. Confrontée au régime fasciste, elle montre une certaine bienveillance à son égard, rencontre Mussolini et est un témoin privilégié de l’évolution des relations entre les deux pays pendant la période.

In 1918 the writer Jeanne de Flandreysy bought the Roure Palace in Avignon from the Baroncelli family, which originally came from Florence and who had lived there for four centuries. Frederic Mistral gave the residence its name when he visited. Flandreysy restored and transformed the palace as a place to preserve Provençal culture, which had a passionate following in Italy. She established an important Italian library and made efforts to solidify French-Italian cultural relations in the name of Latin identity, holding bilateral Franco-Italian gatherings and joining the France-Italy Committee. With the rise of fascism, she was somewhat friendly toward the government; she met with Mussolini and was a privileged witness to the development of bilateral relations during this period.

INDEX

Mots-clés : Avignon, Provence, Italie, fascisme, latinité Keywords : Avignon, Province, Italy, fascism, Latin identity

AUTEUR

CHRISTOPHE POUPAULT Christophe Poupault est professeur d’histoire en classes préparatoires littéraires aux grandes écoles au lycée Frédéric Mistral d’Avignon et chercheur associé à l’UMR Telemme d’Aix-Marseille Université. Parmi ses dernières publications : « Travail et loisirs en Italie fasciste. Le système corporatif et l’encadrement des masses laborieuses vus par les voyageurs français », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, no 121, avril-juin 2013, p. 169-188 ; « Amitié “latine” et pragmatisme diplomatique. Les relations franco-italiennes de 1936 à 1938 », Relations internationales, no 154, juillet-septembre 2013, p. 51-62 et en codirection avec Catherine Fraixe et Lucia Piccioni, Vers une Europe latine. Acteurs et enjeux des échanges culturels entre la France et l’Italie fasciste, Bruxelles, Peter Lang, 2014. [email protected]

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Oublier l’ennemi, retrouver l’allié. L’attitude de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne après la première et la seconde guerre mondiale

Federico Niglia

La rupture du lien historique entre Italie et Allemagne

1 Depuis la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à la première guerre mondiale, de nombreux cercles culturels italiens et allemands partagent la conviction que l’Italie et l’Allemagne ont un destin national parallèle et commun. Ces deux nations sont le produit de processus d’unification relativement tardifs, surtout si on les compare aux cas français et britannique. Au travers de cette mise en valeur d’une chronologie commune, ces cercles entendent promouvoir des idées et valeurs nouvelles. Au XVIIIe siècle, le renouvellement de la politique européenne passe essentiellement par Paris et Londres. Au cours de la période suivante, c’est le Risorgimento italien ainsi que les mouvements culturels et politiques du monde allemand qui apparaissent comme porteurs de renouveau.

2 Les auteurs italiens s’interrogent souvent et de façon critique, et ce dès l’entre-deux- guerres, à propos de la réalité d’une convergence entre l’histoire de l’Italie et celle de l’Allemagne. À cet égard, il convient de citer les travaux de Delio Cantimori1, d’Ernesto Sestan2 et de Gioacchino Volpe 3. Mais d’un autre côté la partie la plus instruite de l’opinion publique exprime fréquemment une orientation favorable à l’Allemagne alors que celle-ci est en train de s’affirmer comme une puissance nouvelle et dominante en Europe.

3 De 1880 à la première guerre mondiale, la sympathie vis-à-vis de l’Allemagne se renforce au travers des canaux politiques, économiques et commerciaux mais également culturels. Ce lien italo-allemand s’impose comme une forme de contrepoint

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à l’hostilité entre l’Italie et l’Autriche-Hongrie : il permet de garantir la cohabitation au sein de la Triplice pendant trois décennies.

4 Ce chapitre de l’histoire de l’Italie se conclut en 1915. Le rôle de l’Italie au sein de la Triplice est souvent décortiqué pour détailler, voire relativiser, l’action de Rome au sein de l’alliance. On retrouve cette orientation chez le grand historien : c’est lui qui définit dans plusieurs de ses travaux la Triplice comme une alliance « négative » dont la fonction se serait limitée à éviter aussi bien une attaque autrichienne vis-à-vis du jeune royaume italien qu’une reprise de la question romaine, autant de menaces potentielles contre l’unité de l’Italie. En contrepartie, l’Italie aurait suspendu ses revendications vis-à-vis des terres irrédentes afin de stabiliser l’acquis de l’unification4.

5 Dans un volume très intéressant publié il y a une dizaine d’années, l’historien expert des rapports italo-allemands Gian Enrico Rusconi cherche à dépasser cette représentation simplificatrice d’une Triplice comme simple accord négatif qui sacrifie l’achèvement de l’unité nationale, alors qu’il s’agit d’un objectif prioritaire de la politique étrangère italienne depuis l’unification5. Dans ses travaux à propos de l’intervention de l’Italie dans la première guerre mondiale, Rusconi met l’accent sur la rapidité avec laquelle l’Italie décide d’abandonner la « vieille » alliance pour entrer en guerre aux côtés de l’Entente. L’historien met en exergue le caractère hasardeux de la décision qui se débarrasse du parcours commun italo-allemand. De nombreux auteurs ont en effet souligné la forte syntonie culturelle mais également politique et économique entre celles qu’Helmut Plessner définit comme les deux verspätete Nationen (nations tardives) d’Europe6.

6 Dans un ouvrage publié en 2012, je soutiens la thèse que les considérations de type politico-stratégiques ont pris le pas sur les réflexions culturelles et idéelles pendant la période mouvementée d’octobre 1914 à mai 1915 7. Il est pourtant indéniable que l’intervention aux côtés des alliés résulte d’une longue préparation politique mais surtout culturelle. Au sein du monde complexe du nationalisme italien, le phénomène que Walter Benjamin définit comme le processus « d’esthétisation de la vie politique »8 se traduit alors par une tendance interventionniste. Dans ces circonstances, beaucoup remettent en cause le lien avec l’Allemagne, alors montrée du doigt et accusée d’être la cause principale de l’immobilisme et de l’état de déliquescence de l’Italie. Ceci étant dit, il faut également rappeler qu’une partie importante de la bourgeoisie italienne considère l’Allemagne comme une puissance, modèle de croissance et d’ordre social. Le Modell Deutschland, qui a inspiré la période giolittienne, continue à représenter l’étoile polaire d’une grande partie du monde académique comme de la bureaucratie, et enregistre de nombreux soutiens au sein de la classe politique.

7 Il est hors de notre propos de mesurer les effets de la signature du pacte de Londres9 sur la qualité et l’intensité des interactions entre Italie et Allemagne. Nous pouvons cependant avancer que la décision de l’Italie de prendre part à l’Entente la place dans une position d’opposition « naturelle » à l’Allemagne. Ce faisant, l’Italie intériorise une stratégie de repositionnement du monde allemand et s’emploie à garantir la défense de ce nouvel équilibre10. La classe politique, y compris le gouvernement italien, semble au départ hésitante face à cette action qui dépasse le cadre d’une guerre contre l’Autriche- Hongrie pour la conquête des territoires italiens encore en sa possession (le Trentin et la Vénétie-Julienne). L’Italie tente de limiter son intervention mais elle est rapidement entraînée par le jeu des alliances dans la guerre contre l’Allemagne et contre

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l’ensemble du monde allemand : la déclaration de guerre à l’Allemagne d’août 1916 ainsi que la participation successive à la conférence de paix de Paris parachèvent ce glissement de l’Italie dans la coalition qui cherche ensuite à limiter toute renaissance allemande.

8 Le choix de l’Italie de se positionner contre l’Allemagne pendant la guerre apparaît ambivalent. Une partie du pays s’affirme nettement et de façon irrévocable contre l’ancien allié, en mettant notamment en œuvre une politique de diabolisation du monde allemand. Mais il faut souligner qu’une partie non négligeable de l’opinion publique se refuse alors à inclure l’Allemagne dans la guerre idéologique en cours. De nombreux intellectuels, auxquels il faut ajouter des représentants de l’économie et de la politique, semblent alors persuadés que la survivance d’une Allemagne forte et puissante en Europe peut être d’une grande utilité pour l’Italie11.

9 Ces positions ambivalentes caractérisent l’attitude italienne vis-à-vis de l’Allemagne tout au long du XXe siècle. Deux guerres divisent les deux nations mais une tentative douloureuse de retrouver l’accord gâché par les combats se met à chaque fois en place. Dans chacun des cas, les Italiens vont se rapprocher du monde allemand par nécessité politique. Les processus de rapprochement lancés en 1919 et en 1945 sont cependant pétris de contradictions. L’objet de cet article est d’illustrer comment, à la suite des deux guerres mondiales, les choix politiques de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne apparaissent relativement déconnectés par rapport aux orientations culturelles. Cette dissonance entre la dimension culturelle et la dimension politique ne permet pas d’évacuer les scories du passé et favorise la survie d’une série de stéréotypes qui constituent en dernier ressort les prémisses structurelles des rapports que l’Italie entretient avec le monde allemand jusqu’à nos jours.

De Giolitti à Mussolini : la réélaboration manquée de l’entente italo-allemande

10 À la suite de la première guerre mondiale, les États européens se divisent en deux camps bien définis : d’un côté ceux qui veulent préserver l’équilibre de Versailles, de l’autre ceux qui, bien qu’à des degrés divers, souhaitent sa révision. L’Italie se positionne de façon nette dans le premier groupe, même si on note parfois l’ambivalence de certains membres de sa classe dirigeante.

11 Les travaux de Maddalena Guiotto montrent que les rapports italo-allemands dans l’après première guerre mondiale se structurent essentiellement autour de trois questions : le rapprochement économique, la question du Sud du Tyrol et celle de l’ Anschluss entre la république autrichienne et la république allemande 12. En ce qui concerne le rapprochement économique, la classe dirigeante italienne apparaît comme particulièrement désireuse de rétablir le plus rapidement possible les rapports avec le monde germanique. En suivant l’optique italienne, l’Allemagne aurait dû servir à rééquilibrer les relations économiques, mais également politiques, entre les pays européens. Cette thèse est soutenue par Franscesco Saverio Nitti qui est non seulement un responsable gouvernemental (il est président du Conseil de juin 1919 à juin 1920) mais également un intellectuel qui conserve sa lucidité dans ce moment tourmenté. On peut citer son entretien du 12 juin 1921 avec Harry Kessler, le célèbre écrivain et diplomate anglo-allemand :

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[Nitti] me donna l’impression de s’adresser à moi avec franchise : la France, dit-il, ne veut pas la réparation mais plutôt la désorganisation de l’Allemagne, de peur d’un nouveau renforcement militaire de la part d’une Allemagne réunifiée […]. Il avait refusé d’adhérer à une alliance avec la France : l’Italie n’a pas d’alliance avec la France, elle veut rester libre. L’Allemagne seule pouvait, d’après lui, sauver l’Europe ; si l’Allemagne était poussée à la ruine, c’est toute l’Europe qui suivrait. En fin de compte l’Allemagne était encore aujourd’hui beaucoup plus forte que la France. […] Nitti critiqua de façon sévère la politique étrangère de Sforza et Orlando. Orlando avait bradé les intérêts italiens pour une paire de pauvres îlots dans l’Adriatique. Et Sforza s’immisçait entre la France et l’Angleterre au lieu de chercher à jouer les médiateurs entre l’ensemble de l’Entente et l’Allemagne. Mais lui, Nitti, serait bientôt revenu aux affaires13.

12 Cette citation est représentative de la façon de penser des intellectuels de l’Italie giolittienne qui considèrent le monde allemand comme une référence. Parmi ceux-ci il faut se souvenir que Benedetto Croce, même au plus fort de l’adversité, rappelle toujours l’importance de l’apport de la culture allemande à l’Europe14.

13 Les problématiques liées à l’Autriche contribuent également à l’attitude italienne vis-à- vis du monde allemand au sens large. La position italienne à cet égard est extrêmement claire. L’objectif à long terme est de sécuriser la frontière du Brenner. Cet objectif semble pouvoir être atteint en rattachant le Sud du Tyrol à l’Italie et en assurant l’indépendance de l’État autrichien. La défense de l’indépendance autrichienne s’inscrit également dans un plus vaste dessein relatif à l’équilibre de l’Europe : pour l’Italie, il faut empêcher l’Anschluss pour museler le révisionnisme allemand. En termes géopolitiques, les Italiens craignent qu’une union entre l’Autriche et l’Allemagne projette la grande Allemagne vers le Sud, en verrouillant l’accès aux Balkans et en faisant peser une menace sur l’italianité du Haut Adige. Ainsi, c’est dans le cadre de ces attitudes contradictoires que l’Italie cherche à rétablir les rapports avec l’Allemagne après la première guerre mondiale. Une étape est franchie, ces rapports ne redeviendront jamais ce qu’ils étaient dans l’avant-guerre.

14 L’Italie adopte une position de principe contraire au projet de vexation de l’Allemagne mis au point pendant les négociations du traité de paix de Versailles. Le représentant de l’Italie, Vittorio Emanuele Orlando, s’oppose à la tenue d’un procès de Guillaume II pour crimes de guerre. C’est ensuite , président de la commission parlementaire pour l’examen du traité de Versailles, qui soutient la nécessité de mettre en place un régime de tutelle de l’autonomie de la population allemande du Haut Adige15.

15 Le fascisme et Mussolini héritent de cette vision. Dans la seconde moitié des années trente, Mussolini est cependant confronté à un contexte profondément différent par rapport à celui des années vingt, avec l’explosion de forces nouvelles. Il finit par renverser la politique d’alliance de l’Italie libérale car il est convaincu que l’alliance avec l’Allemagne représente l’unique garantie possible pour l’Italie dans le cadre européen. Malgré ce revirement apparent, il ne va en aucune manière repenser les rapports de fond entre Italiens et Allemands. Le Duce s’emploie plutôt à développer sur de nouvelles bases les affinités électives et politiques entre l’Italie et l’Allemagne, sans toucher à l’héritage de la guerre. Un mécanisme paradoxal se met en place, celui d’une amitié renouvelée avec tant d’insistance qu’elle pousse sous le tapis la poussière de l’Histoire. Le bagage de stéréotypes se retrouve donc intact lors de la seconde fracture, celle de 1943, et participe à la représentation d’un continuum négatif qui s’accumule et

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constitue, après la fin de la seconde guerre mondiale, une scorie particulièrement difficile à éliminer.

16 Depuis plusieurs années de nombreux travaux soulignent la méfiance de Benito Mussolini vis-à-vis de l’Allemagne, une méfiance qui remonte à sa période de formation et qui l’accompagne dans l’exercice du pouvoir même lorsque les deux nations s’allient. Les considérations personnelles du Duce semblent devoir céder le pas aux impératifs politiques. La formation de Benito Mussolini est largement influencée par le modèle français et cette culture constitue un substrat idéologique qui accompagne son action même pendant les années de convergence politique entre Rome et Berlin. Cet aspect « révolutionnaire » est particulièrement bien décrit dans la première partie de la biographie que Renzo De Felice consacre à Mussolini : l’auteur montre comment le futur dictateur absorbe une série de références françaises, en soulignant en particulier l’influence de la pensée de Georges Sorel16. Si nous passons de l’analyse de Mussolini à celle du mouvement fasciste, nous pouvons encore observer une série de contradictions ultérieures. Le fascisme est caractérisé à ses débuts par une polémique anti-bourgeoise et anti-allemande, en parfaite cohérence avec les principes de l’interventionnisme qui amènent l’Italie à prendre part à la guerre. Lors de cette période initiale, seuls les militants provenant du mouvement nationaliste semblent avoir une relative connaissance du monde allemand. Il faut ici rappeler que des responsables comme Alfredo Rocco et Filippo Carli ont longtemps considéré l’Allemagne du début du siècle comme un modèle à suivre17. Mais même les nationalistes les mieux informés révisent leur position pro-allemande lorsque Guillaume II soutient l’Autriche-Hongrie face à l’Italie. Ils finissent ensuite par se rallier au mouvement anti-allemand lors de l’intervention de l’Italie dans la première guerre mondiale. Ce choix, qui a pu être perçu comme incohérent, ne s’effectue pas de gaieté de cœur mais il est justifié à la fois par la priorité donnée à l’intervention contre l’Autriche et également par la volonté de se démarquer des positions neutralistes de Giolitti, l’ennemi politique.

17 Lorsqu’il prend la tête du gouvernement, Mussolini n’a pas de véritable occasion pour améliorer ses rapports avec l’Allemagne : les rapports entre l’Italie fasciste et la république de Weimar demeurent modestes, affaiblis par les divergences politiques mais aussi par la faiblesse des communications. Mussolini cherche cependant à panser la fracture culturelle qui s’est ouverte entre l’Italie et l’Allemagne, que beaucoup au sein de sa génération considèrent comme un modèle. Dix ans après la marche sur Rome, Mussolini commence la construction de son image intellectuelle : c’est dans le cadre de ce projet qu’il recherche le rapprochement avec la culture allemande. Il faut ici rappeler les tentatives obstinées d’appliquer en Italie la doctrine d’Oswald Spengler, qui affirmait l’idée qu’une révolution nationale peut inverser le déclin de l’Occident. Mussolini tente donc de rétablir le dialogue politique en faisant jouer l’entente culturelle : à la différence du XIXe siècle, cette entente ne s’appuie pas sur une approche libérale commune mais sur la convergence entre les idées nationales. Cette initiative comporte cependant une limite intrinsèque, celle de la méfiance de Mussolini vis-à-vis de la puissance allemande. Cette thèse a été particulièrement développée par l’auteur anglais Nicholas Farell, pour qui Mussolini ne considère pas l’Allemagne comme un véritable partenaire. Il affirme ainsi que « […] dans sa conduite de la politique vis-à-vis de l’Allemagne, c’était la peur de cet État qui guidait Mussolini et non pas l’idée que le fascisme et le national-socialisme dussent marcher ensemble pour conquérir le monde […] »18.

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18 Après avoir échoué à obtenir l’appui du Royaume-Uni et de la France pour conquérir l’Éthiopie, Mussolini choisit de se rapprocher de l’Allemagne. Afin de mener à bien cette opération, il remet en cause certains des principes cardinaux de la politique étrangère, en commençant par la mise sous surveillance de l’indépendance de l’Autriche. Ce moment agit comme un révélateur de la faillite du rapprochement culturel avec l’Allemagne. Lorsque l’Italie abandonne l’Autriche à son destin face à l’ Anschluss, le mécontentement se fait sentir au sein même des milieux fascistes. Mussolini cherche alors à faire passer le message selon lequel l’Anschluss est « dans l’ordre de l’histoire » et que l’Italie « ne pouvait pas tenir cette position, à titre absolument gratuit, alors que la France et l’Angleterre s’étaient depuis longtemps affranchies de leurs dettes pour préparer la guerre aux empires centraux »19. Ce moment est un marqueur des premières manifestations de ce dissentiment plus ancien.

19 C’est dans ce contexte que paraît le bimensuel Primato, publication interprétée comme une des tentatives les plus significatives de mettre en place une politique culturelle dans la période de guerre20. Cette revue contient une série d’articles extrêmement utiles pour comprendre l’orientation culturelle de l’élite fasciste face au national- socialisme et à l’Allemagne. Le projet de Giuseppe Bottai, qui assure la direction de la revue avec Giorgio Vecchietti, est centré sur la volonté d’animer non pas un laboratoire de l’hétérodoxie culturelle du régime comme certains ont bien voulu le penser, mais plutôt un lieu de pensée qui permette aux intellectuels de contribuer de façon concrète aux objectifs du fascisme. La question du rapport avec l’Allemagne émerge en particulier avec la tentative d’accompagner de manière déterminée l’action de l’Axe et d’éviter que le monde académique et intellectuel ne s’écarte des priorités de l’intervention armée. Ces intellectuels vont alors prendre une position nette de différenciation vis-à-vis d’un alignement de la vision culturelle italienne sur la vision allemande. Les travaux de Gabriele Turi illustrent clairement la façon dont le premier numéro de la revue exprime l’accord des différents penseurs et universitaires face à l’entreprise belliqueuse, un consensus qui s’appuie toutefois sur la redécouverte d’une culture italienne « précédente et opposée à la Kultur nazie »21. Avec l’entrée en guerre de l’Italie, on comprend que l’œuvre de réalignement entre les deux pays n’a pas vraiment abouti et que la tentative d’une « nouvelle » entente italo-allemande basée sur l’idéologie ne fonctionne pas.

20 Au cours de la période 1940-1943, l’alliance italo-allemande est donc mise à rude épreuve. Elle s’érode peu à peu, pour voler en éclats avec ce que les Allemands qualifient comme la « trahison » italienne. L’échec de la campagne de Grèce constitue un basculement dans la perception italienne. Les forces allemandes doivent reprendre les rênes des opérations pour remettre sur pied la situation de l’Axe : l’Allemagne se substitue de fait à l’Italie comme puissance hégémonique dans le cadre balkanique et l’Italie perd définitivement toute marge de manœuvre dans le choix des objectifs de guerre.

21 Pendant la guerre, une faction intransigeante s’illustre aux côtés de Mussolini de par son zèle vis-à-vis de la collaboration avec l’Allemagne. Pour ces irréductibles bellicistes, la guerre conduite aux côtés de l’Allemagne représente l’ultime possibilité d’un véritable renouvellement fasciste de la société, avec pour objectif l’élimination définitive des « résidus bourgeois » qui encombrent l’âme des Italiens. Mais pour de nombreux autres acteurs intellectuels et politiques, l’Allemagne d’Hitler n’est qu’un compagnon de route, malcommode, avec lequel il faut compter. Un témoignage en ce

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sens est offert par le journal de Ciano lorsqu’il relate une visite en Allemagne en décembre 1942 : […] stupides de-ci et de-là ; Allemands imbéciles par ici, Allemands crétins par-là ; « Ribbentrop, ce délinquant », « le Führer, ce criminel », et cela continue ainsi… C’est au rythme de ces phrases que, cahin caha, le train nous transporte, sans secousses ni déviations, vers l’objectif […]22

1945, encore une occasion manquée

22 La seconde césure dans les rapports entre l’Italie et l’Allemagne se produit le 8 septembre 1943. Alors que l’armistice entre le royaume d’Italie et les alliés anglo- américains vient d’être proclamé, les troupes allemandes se retournent contre l’ex- allié, coupable de « trahison ». L’Allemagne se transforme en puissance d’occupation et de nombreux Italiens qui n’avaient jamais complètement intégré le rapprochement entre Rome et Berlin voient se confirmer sous leurs yeux ce qu’ils interprètent comme la nature foncièrement mauvaise des Allemands.

23 Dans l’Italie de la fin de la seconde guerre mondiale de l’immédiat après-guerre, force est de constater que l’image des Italiens et celle des Allemands est nettement séparée. Il est facile pour de nombreux Italiens d’oublier les méfaits des deux décennies fascistes, pour attribuer aux Allemands la culpabilité des souffrances de l’Europe, en laissant aux Italiens le soin de réinterpréter a posteriori le rôle commode des alliés contraints à de mauvaises actions par la dictature.

24 L’historiographie a largement approfondi l’étude du mythe du « bon » Italien qui s’oppose à celui du « méchant » Allemand23. La classe politique italienne de l’après- guerre va également cultiver une certaine distance vis-à-vis d’une Allemagne désormais réduite à l’impuissance et divisée en quatre zones d’occupation. Autre point remarquable, Benedetto Croce fait partie des quelques voix qui s’élèvent pour inviter à un débat plus nuancé sur l’Allemagne et sur l’importance de sa contribution à la civilisation européenne24.

25 À l’image de la situation au lendemain de la première guerre mondiale, le rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne à la suite de la seconde guerre mondiale apparaît comme le fruit d’un calcul politique. Dès 1947, les Italiens relancent un dialogue avec la zone d’occupation occidentale de l’Allemagne avec pour objectif le redémarrage des rapports économiques et la mise sous tutelle d’une série d’intérêts de l’Italie dans ces territoires. L’action politique prend rapidement le relais et se développe à partir de ces premières initiatives concrètes : entre 1947 et 1948, l’administration américaine décide de réhabiliter l’Allemagne occidentale et de l’insérer dans son propre système d’alliance, avec des conséquences pour l’ensemble des alliés. Parallèlement à ces orientations de l’embryonnaire politique du camp occidental, la nouvelle république italienne commence à nouer un dialogue avec la République fédérale allemande, qui voit formellement le jour en 1949. Les contingences du moment dictent ce second rapprochement entre l’Italie et l’Allemagne : les deux pays partagent en effet l’aspiration commune de réinsertion dans la communauté internationale et veulent augmenter le niveau de la sécurité de l’Europe occidentale face à la menace provenant de l’Est. Toute une série d’intérêts bilatéraux, dans les domaines économiques et commerciaux mais aussi culturels, contribue en outre à accélérer le processus de rapprochement25.

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26 Dans ce contexte de liens italo-allemands resserrés entre la fin des années quarante et le début des années cinquante, il convient d’insister sur les initiatives politiques de deux hommes d’État : et Konrad Adenauer. Les deux leaders s’emploient dès la première heure à favoriser le rapprochement italo-allemand. Il faut surtout souligner le saut qualitatif d’une conception qui fait passer cette relation d’une coopération instrumentale à une véritable entente entre les deux démocraties. À la différence de la majorité de la classe politique de son époque, De Gasperi est convaincu que l’Allemagne ne représente pas seulement un allié utile mais un véritable partenaire politique. L’historiographie italienne a analysé d’une manière assez proche des réflexions des auteurs allemands l’entente entre De Gasperi et Adenauer, une politique à laquelle contribuent également les deux partis dont ils sont issus : la Démocratie chrétienne italienne et la CDU/CSU26 allemande.

27 En ce qui concerne la politique étrangère, De Gasperi et Adenauer partagent deux objectifs fondamentaux : la contribution à la construction européenne et l’appartenance à l’alliance atlantique. Cet aspect permet de comprendre pourquoi les deux gouvernements restent substantiellement alignés lors de la phase de lancement des deux processus, une action convergente qui dure jusqu’à la sortie de scène de De Gasperi en 1953. Cette entente entre De Gasperi et Adenauer a souvent été présentée comme le paradigme des relations italo-allemandes dans l’après-guerre, en particulier par l’historiographie italienne. Les deux hommes d’État partagent une vision de long terme qui les conduit à dépasser le fatras de préjudices qui pèsent sur les rapports entre les deux peuples. Le dépassement du passé requiert cependant de la part des dirigeants la capacité d’inspirer, voire même de s’opposer de front aux opinions publiques nationales, en les poussant à abandonner de façon volontaire les préjudices et les vieilles rancœurs.

28 Côté italien, la disparition de De Gasperi en 1954 est interprétée comme la fin de ce type de leadership et les successeurs de l’homme d’État de Trento ne font pas preuve de la force politique et idéelle suffisante pour continuer ce parcours. D’un point de vue formel, la politique d’amitié et d’entente avec l’Allemagne est maintenue sans approfondissement substantiel et les deux pays continuent leurs chemins européens et atlantistes en parfait alignement jusqu’à la chute du mur de Berlin. Toujours unis lors de cet événement majeur, ils décident de promouvoir un approfondissement du processus d’intégration européenne. Les divergences et les oppositions passagères n’ont jamais remis en cause la validité de l’entente entre Rome et Bonn27.

29 La fin du leadership de De Gasperi a cependant pour effet d’interrompre le processus d’assainissement culturel entre les deux nations. À quelques exceptions près, les élites qui gouvernent l’Italie au cours de la seconde phase du centrisme et pendant la période centre-gauche ne mettent pas la compréhension de l’importance du monde allemand pour l’Italie au premier plan. Les successeurs de De Gasperi expriment toujours une attitude ambiguë vis-à-vis de l’Allemagne : d’un côté, elle représente un partenaire important et nécessaire pour le dessein européen et atlantique italien, de l’autre, cependant, elle reste un pays trop encombrant qui risque de faire de l’ombre à l’Italie dans le contexte européen et atlantique. Presque tous les chefs du gouvernement, de Scelba à Pella en passant par Fanfani et Moro, ressentent cette inquiétude28.

30 Entre la fin des années cinquante et la fin des années soixante, le leadership politique ne semble pas parvenir à transmettre aux Italiens une image de l’Allemagne qui ne soit pas seulement celle du partenaire imposé par la guerre froide. La conception culturelle

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fondée sur le préjudice à l’égard du monde allemand survit ainsi à l’après-guerre et semble transmise de génération en génération. Un des facteurs qui contribue à cette survivance du mythe anti-allemand tient à ce que l’opposition marquée politiquement à gauche l’utilise comme un instrument pour affaiblir la cohésion du bloc occidental. La ratification du traité de la Communauté européenne de défense (CED) est une phase délicate où les socialistes et les communistes font une large utilisation des souvenirs de la barbarie allemande pour bloquer le processus29. Jusqu’à la fin des années soixante, le Parti communiste italien (PCI) promeut un processus de délégitimation de la démocratie de l’Allemagne de l’Ouest. Un courant historiographique présente alors l’Allemagne de Bonn comme le dernier avatar d’un continuum dégénératif commencé sous le prussianisme et ayant connu son apogée sous Hitler. Le PCI est à la manœuvre lors de cette opération culturelle, avec en particulier le rôle très important de l’historien Ernesto Ragioneri30.

31 La polémique anti-allemande est également ravivée lors de la campagne pour la deuxième Résistance lancée lors de la crise du gouvernement Tambroni en juillet 1960. Cette campagne a comme objectif principal la rénovation du pays, ce que définit au parlement comme « la profonde aspiration au renouvellement politique, social et moral de la société italienne »31. La première conséquence de cette remise au goût du jour de la Résistance est le retour d’une représentation de l’Allemand liée à la guerre. Dans le cadre de cette polémique contre les résurgences pangermanistes, le PCI exprime ouvertement une conviction dont certains aspects sont partagés par les autres forces politiques, et opère une jonction avec la bataille contre les résurgences de l’irrédentisme du Tyrol du Sud, revendications qui fournissent ensuite la matrice à des actions terroristes.

32 À partir de 1968, la direction du PCI approuve diverses initiatives critiques vis-à-vis de l’Allemagne occidentale. Le « tournant autoritaire » en cours dans la République fédérale est montré du doigt par la gauche italienne. Ainsi, différentes initiatives approuvées de façon explicite par le PCI dans les années 1960 s’opposent au Radikalenerlass, un décret adopté par le gouvernement du chancelier Willy Brandt en 1972 qui exclut de la fonction publique les activistes radicaux, dispositif qui rappelle le Berufsverbot de 1933 (loi d’interdiction d’exercer certaines professions pour les opposants au régime nazi). Ces mesures sont dénoncées par les communistes italiens comme de véritables déviations32.

33 L’arrivée d’ au secrétariat du PCI en 1969 marque une atténuation de la polémique anti-allemande, qui fait écho aux ouvertures de Willy Brandt envers les communistes italiens. À partir de ce moment, et à l’exception d’une nouvelle poussée « anti-allemande » de l’été 1977 à la suite de l’évasion du criminel nazi Herbert Kappler de l’hôpital militaire de Rome, la gauche italienne développe un rapport positif avec son homologue allemande, rapport que l’on peut aujourd’hui encore qualifier de solide33.

34 Il est certainement impropre et excessif d’attribuer la persistance des mythes anti- allemands à l’action des forces de gauche dans les années cinquante et soixante. Si celles-ci utilisent l’épouvantail représenté par le militarisme allemand et influencent de larges secteurs de l’opinion publique, la raison de la survivance du préjudice culturel anti-allemand en Italie doit également être recherchée dans l’incapacité de développer une réelle empathie envers le monde allemand, notamment au sein des différents acteurs de la classe politique. Nous avons ici un trait commun à l’élite politique qui

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dirige l’Italie jusqu’à la fin de guerre froide. Comme cela a pu être évoqué auparavant, les successeurs de De Gasperi n’ont jamais fait véritablement confiance à l’Allemagne, gênés par une puissance (civile et non militaire) susceptible de faire de l’ombre à l’Italie. L’analyse des différentes sources diplomatiques permet de mettre en lumière la manière dont les diplomates, et plus généralement les responsables de la politique étrangère italienne, se montrent toujours inquiets d’une mise en avant de l’Allemagne au détriment de l’Italie dans le contexte des diverses organisations internationales : les communautés atlantique et européenne ou les sommets du G7.

35 Ainsi, entre la fin des années soixante-dix et les années quatre-vingt-dix, un facteur supplémentaire vient troubler les esprits des dirigeants italiens : celui de l’hégémonie économique de l’Allemagne en Europe. Le mythe du germanisme économique puise ses sources dans un courant historiographique ancien : en effet, Francesco Ferrara, représentant de premier ordre de l’école économique libérale italienne, publie dès 1874 un pamphlet sévère dans lequel il s’oppose au germanisme économique en Italie34.

36 Cette polémique est ravivée et réactualisée au cours des années soixante-dix, lorsque les Allemands proposent un mécanisme de réglementation monétaire (le Système économique européen) pour faire face à la crise économique et à l’instabilité en Europe. Les Italiens perçoivent dans cette mesure le risque de la mise en place d’une économie européenne à l’image du modèle allemand et destinée à satisfaire les besoins économiques de l’Allemagne. Les développements ultérieurs du processus d’intégration économique et monétaire accentuent cette préoccupation, qui atteint son apogée lors de l’établissement des critères pour la construction de l’Union économique et monétaire.

37 L’étude des quarante années qui séparent le déclenchement de la guerre froide de la chute du mur de Berlin permet donc de mettre en évidence l’échec ou le refus de la classe dirigeante italienne à métaboliser le passé des rapports italo-allemands. Pour ces acteurs, il apparaît peut-être plus opportun de maintenir un rapport ambigu avec les Allemands, fondé sur l’amitié mais également sur la méfiance. Parmi les derniers interprètes de cette tradition, (1919-2013) est sans doute l’un des plus remarquables. Sa conduite de la politique étrangère fait actuellement l’objet d’études approfondies de la part des historiens. Si l’on s’appuie sur la reconstruction de son action diplomatique à l’occasion des négociations pour la réunification, on peut voir comment le gouvernement italien qu’il dirige a cherché par tous les moyens à retarder la reconstruction d’une Allemagne unifiée et forte35.

Conclusion : 1919 et 1945, un parallèle entre deux réélaborations inachevées

38 L’analyse des rapports italo-allemands les plus récents, ceux de la période suivant la réunification, reste à faire. Il s’agit ici de proposer une étude parallèle des rapports italo-allemands au lendemain de la première, puis de la seconde guerre mondiale, en mettant en exergue certains facteurs communs.

39 Au cours de ces deux conflits, l’Italie et l’Allemagne passent de rapports déterminés par une condition d’alliance à une relation marquée par une forme d’hostilité. Cette césure rend le processus d’éloignement particulièrement traumatique, car la transformation de l’allié en ennemi apparaît comme particulièrement violente dans ce contexte. La

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rupture dans les rapports italo-allemands est toujours perçue comme le résultat de choix politiques opérés par une élite restreinte : la rupture de 1915 est le produit des négociations de Londres qui passent outre trente années de rapports politiques, économiques et culturels, alors que celle de 1943 est liée à la décision de l’élite politique, militaire et diplomatique de mettre fin à une alliance considérée comme bancale. Quelles que soient les motivations avancées lors de chacune de ces occasions, ces décisions semblent prises à l’insu de la population : en 1915 l’intervention est précédée d’une brève campagne de mobilisation (les « radieuses journées » de mai, selon la propagande nationale), tandis qu’en 1943 la nouvelle de la rupture de l’Allemagne crée la surprise aussi bien au sein de la population civile que dans les forces armées.

40 Dans les deux cas, les décisions politiques ont été prises sans tenir compte des orientations du pays : c’est particulièrement vrai en 1915 lorsque la décision de rompre avec l’Allemagne semble faire peu de cas de l’importance des liens qui unissent l’Allemagne à l’Italie. Sans vouloir pousser cette thèse à l’extrême, il est possible d’affirmer que ce choix paraît dicté par l’idée que l’achèvement de l’unité nationale se réaliserait plus efficacement dans l’opposition plutôt que l’entente avec le monde allemand. L’observation des événements de 1943 permet au contraire de soutenir que la décision de rupture est prise en interprétant l’humeur d’un pays, à travers la lassitude d’une opinion fatiguée par la guerre et peu disposée à suivre les allemands dans l’engagement belliqueux. Ces éléments permettent de souligner que cette décision n’a pas été prise sans peser sérieusement les intérêts et les sentiments qui agitent alors le pays.

41 Il est enfin intéressant de noter comment la décision prise par le leardership italien visant à rapprocher l’Italie de l’Allemagne obéit également à un schéma élitiste. Cette décision semble prise sans tenir vraiment compte des orientations politiques et culturelles du pays. Au lendemain de la première guerre mondiale, la classe dirigeante libérale décide que le rapprochement avec l’Allemagne peut servir les objectifs diplomatiques de l’Italie en Europe. À la suite de la seconde guerre mondiale, la reprise des rapports avec l’Allemagne de Bonn intervient dans le cadre des objectifs de renforcement du bloc occidental. Dans les deux cas, le choix du rapprochement avec l’Allemagne ne s’accompagne pas d’un parcours culturel parallèle pour apaiser les traumatismes passés par une démarche commune. L’étude de la culture italienne dans l’entre-deux-guerres a permis de mettre en évidence que les Italiens n’ont jamais réussi à exorciser le traumatisme de la première guerre mondiale et ses effets sur leur représentation des Allemands. Ni le rapprochement avec la république de Weimar promu par les libéraux, ni le tournant pro-allemand imposé par Mussolini à la fin des années trente ne sont véritablement compris et consciemment acceptés par les Italiens, parmi la classe dirigeante comme dans l’opinion publique.

42 Le même mécanisme se reproduit après la seconde guerre mondiale : le rapprochement avec l’Allemagne d’Adenauer est mis en route sans qu’un travail sur le passé et la Mémoire ne soit véritablement approfondi. Le mythe de deux démocraties émergeant ensemble des ruines de la dictature ne réussit pas à élaguer le fatras de stéréotypes et mythes négatifs qui se transmettent depuis le premier conflit mondial et sont réactualisés avec les souffrances des années 1943-1945.

43 Si l’on veut établir un parallèle entre les rapports italo-allemands à la suite des deux conflits mondiaux, il faut garder à l’esprit que dans chacun des cas la décision italienne

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de se rapprocher du monde allemand représente une décision forcée par rapport à la perception du pays. Ce manque de consensus national doit être pris en considération pour comprendre et expliquer les limites qui caractérisent les rapports entre l’Italie et l’Allemagne entre les deux guerres et pendant la guerre froide. Cette synchronisation manquée est certainement utile pour éclairer les rapports italo-allemands dans la période successive, celle qui démarre avec la fin de la guerre froide. De manière très récente, la décision italienne d’agir aux côtés de l’Allemagne pour une série de projets politiques de premier plan, la construction européenne en premier lieu, connaît une limite importante du fait de l’absence de consensus à l’égard des raisons de ce choix de la part de nombreux secteurs de l’opinion publique. L’analyse historique rejoint ici un débat politique contemporain marqué par l’euroscepticisme et la montée des populismes. La compréhension de l’histoire récente des relations bilatérales entre les pays européens apparaît comme un enjeu majeur et un champ de recherche en plein essor.

NOTES

1. Pour appréhender la réflexion de Delio Cantimori à propos de la culture allemande, on verra Nicola D’Elia, Delio Cantimori e la cultura politica tedesca (1927-1940), Rome, Viella, 2007, 160 p. ; Eugenio di Renzio et Francesco Perfetti (dir.), Delio Cantimori e la cultura politica del novecento, Florence, Le Lettere, 2009, 138 p. 2. Les travaux d’Ernesto Sestan présentent une réflexion sur les parallélismes entre l’histoire de l’Allemagne et de l’Italie du Moyen-Âge au XIXe siècle. Voir Ernesto Sestan, Stato e nazione nell’Alto Medioevo. Ricerche sulle origini nazionali in Francia, Italia, Germania, Naples, ESI-Edizioni Scientifiche Italiane, 1952, 376 p. ; Ernesto Sestan, Europa settecentesca e altri saggi, Milan-Naples, Ricciardi, 1951, 262 p. En ce qui concerne les rapports entre libéralisme et nation au XIXe siècle en Italie et en Allemagne, voir Ernesto Sestan, La costituente di Francoforte (1848-49), Florence, Sansoni, 1946, 195 p. 3. Gioacchino Volpe, L’Italia nella triplice alleanza (1882-1915), Milan, Istituto per gli studi di politica internazionale, 1939, 304 p. 4. On verra en particulier Gaetano Salvemini, La politica estera italiana dal 1871 al 1915, Milan, Feltrinelli, 1970, 603 p. Pour une réflexion historiographique à propos du rôle de Salvemini et de Volpe dans l’étude de la politique étrangère italienne et du rapport avec l’Allemagne, voir Barbara Bracco, Tra Salvemini e Volpe : Storici italiana e politica estera 1917-1925, Milan, Franco Angeli, 1998, 228 p. 5. Gian Enrico Rusconi, L’azzardo del 1915. Come l’Italia decide la sua guerra, Bologne, Il Mulino, , 2005, 200 p. 6. On verra également Stolleis, « Italien und Deutschland als “verspätete Nationen” », Vigonianae, I, no 2, 2010, p. 77-83. 7. Federico Niglia, L’antigermanesimo italiano, Florence, Le Lettere, 2012, 133 p. 8. Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Allia, 2011, 96 p. 9. Il s’agit d’un traité qui établit l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de la France, du Royaume- Uni et de la Russie en 1915.

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10. Ce dessein apparaît déjà pendant la guerre, alors que l’Allemagne tend à se substituer à l’Autriche-Hongrie comme acteur de la politique européenne. Le ministre des Affaires étrangères Sidney Sonnino écrit en 1915 aux ambassadeurs en Grèce, Roumanie et Bulgarie : « À nos jours le résultat le plus net de la guerre européenne a été celui de réduire l’Autriche-Hongrie à un vassal de l’Allemagne. Il s’agit d’un pas en avant dans la réalisation de la politique allemande, qui peut se prolonger ultérieurement par l’extension du territoire autrichien aux dépens de la Serbie et de la Grèce ». Sidney Sonnino, Sonnino agli ambasciatori ad Atene, Bucarest, Sofia, Rome, 14 août 1915, dans Documenti Diplomatici Italiani, 6e série, Rome, Ministero Affari Esteri, 1914-1918, vol. IV, doc. 590, p. 365-366. 11. Pietro Pastorelli, Dalla prima alla seconda guerra mondiale. Momenti e problemi della politica estera italiana 1914-1943, Milan, LED, 1997, p. 73. 12. Maddalena Guiotto, « Le relazioni italo-tedesche dopo il congresso di Parigi », dans Antonio Scottà (dir.), La Conferenza di pace di Parigi fra ieri e domani (1919-1920) : atti del Convegno Internazionale di studi, Portogruaro-Bibione, 31 maggio-4 giugno 2000, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2003, p. 260. 13. « [Nitti] fece mostra di parlare con me in maniera molto franca : la Francia, disse, non vuole la riparazione, bensì la disorganizzazione della Germania, per timore di un nuovo rafforzamento militare della Germania riunificata. […] lui si era rifiutato di aderire a un’alleanza con la Francia : l’Italia non aveva un’alleanza con la Francia, ma voleva mantenersi libera. La Germania e solamente la Germania poteva, a suo dire, salvare l’Europa ; se la Germania fosse andata in rovina, tutta l’Europa sarebbe andata con essa in rovina. La Germania in fin dei conti era ancor oggi molto più forte della Francia. […] Nitti criticò in maniera assai tagliente la politica estera di Sforza e Orlando. Orlando aveva venduto gli interessi italiani per un paio di isolette senza valore nell’Adriatico. E Sforza si immischiava fra la Francia e l’Inghilterra, invece di fare da tramite fra l’Intesa nel suo insieme e la Germania. Ma lui, Nitti, sarebbe ben presto tornato al comando », Luca Renzi et Gabriella Rovagnati, Harry Kessler, Viaggi in Italia. Appunti dai diari, Milan-, Mimesis, 2013, p. 176-178. 14. Les écrits de Benedetto Croce à propos de l’Allemagne durant la période de la première guerre mondiale sont réunis dans le volume de Giovanni Castellano (dir.), Benedetto Croce, Pagine sulla guerra, Naples, Ricciardi, 1919, 326 p. Voir également Domenico Conte, « Nobiltà dello spirito sull’abisso : Benedetto Croce e Thomas Mann », dans Seduta inaugurale dell’anno accademico 2011, Naples, Società Nazionale di Scienze, Lettere e Arti in Napoli, 2011, p. 31-48. 15. Luigi Luzzatti, Italia e Germania nel trattato di Versailles, Rome, La Fionda, 1919, p. 27. 16. Renzo De Felice, Mussolini il rivoluzionario, Turin, Einaudi, 1965, 777 p. 17. Voir Emilio Gentile, Fulco Lanchester et Alessandra Tarquini (dir.), Alfredo Rocco : dalla crisi del parlamentarismo alla costruzione dello Stato nuovo, Rome, Carocci, 2010, 208 p. Voir également Terenzio Maccabelli, « Filippo Carli alla Camera di Commercio di . Il dibattito su istitutzioni e sviluppo economico », Nuova economia e storia, 7, 2001, p. 9 -53. 18. « […] a guidare la politica di Mussolini nei confronti della Germania era la paura che egli aveva di quello Stato e non l’idea che fascismo e nazionalsocialismo dovessero marciare insieme alla conquista del mondo […] » : Yvon De Begnac, Taccuini mussoliniani, édités par Francesco Perfetti, Bologne, Il Mulino, 1990, p. 565. 19. « non poteva continuare in tale mansione, a titolo del tutto gratuito, nei giorni in cui Francia e Inghilterra erano da tempo rientrate dei debiti contratti per muovere guerra agli imperi centrali », ibid. 20. La revue Primato a été publiée de 1940 à 1943 sous la direction de Giuseppe Bottai. Le premier numéro est daté du 1er mars 1940. Voir également Vittorio Vettori, Antologia di Primato, Rome, De Luca, 1968, 345 p. 21. Gabriele Turi, Lo Stato educatore. Politica e intellettuali nell’Italia fascista, Rome-Bari, Laterza, 2002, 271 p. 22. « Fesso qui, fesso là ; tedeschi imbecilli di qui, tedeschi cretini di là ; “quel delinquente di Ribbentrop”, “quel criminale del Führer”, e via di questo passo… Al ritmo di quelle frasi, poco a poco, il treno ci trasporta,

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senza scosse né deviazioni, verso la mèta ». , Diario 1937-1943, Rome-Bari, Laterza, 1998, 675 p. 23. Filippo Focardi, Il cattivo tedesco e il bravo italiano : La rimozione delle colpe della seconda guerra mondiale, Rome/Bari, Laterza, 2013, 308 p. 24. Voir Benedetto Croce, Il dissidio spirituale della Germania con l’Europa, Bari, Laterza, 1944, 60 p. 25. Federico Niglia, Fattore Bonn : La diplomazia italiana e la Germania di Adenauer, Florence, Le Lettere, 2010, 93 p. 26. La CDU (Christlich-Demokratische Union Deutschlands) / CSU (Christlich-soziale Union in Bayern) est également appelée Die Union en Allemagne. 27. De nombreux travaux analysent le rôle d’Alcide De Gasperi dans la politique vis-à-vis de l’Allemagne. On verra la synthèse de Tiziana Di Maio, « Dalla cesura del ’43 alla sfida europeistica. Superamento del passato, decostruzione della memoria e ragion di Stato nella collaborazione italo-tedesca all’epoca di Alcide De Gasperi e Konrad Adenauer », dans Anna Maria Isastia et Federico Niglia (dir.), Da una memoria divisa a una memoria condivisa : Italia e Germania nella seconda guerra mondiale, Rome, Mediascape, 2011, p. 109-132. 28. Evelina Martelli, L’altro atlantismo : Fanfani e la politica estera italiana, 1958-1963, Milan, Guerini e Associati, 2008, 478 p. Voir également Federico Scarano, « La diplomazia tedesca, e il primo centro-sinistra (1959-1968) », dans Daniele Caviglia et Daniele De Luca (dir.), Aldo Moro nell’Italia contemporanea, Parte II, Florence, Le Lettere, 2011, p. 447-469. 29. Andrea Guiso, La colomba e la spada : « lotta per la pace » e antiamericanismo nella politica del Partito comunista italiano (1949-1954), Soveria Manelli, Rubbettino, 2006, 686 p. À propos des forces armées italiennes, se reporter à Daniele Caviglia et Alessandro Gionfrida, Un’occasione da perdere : le forze armate italiane e la Comunità europea di difesa, 1950-54, Rome, APES, 2009, 1174 p. 30. Ernesto Ragioneri préface et dirige la publication en italien de l’historien soviétique Arkadij Samsonovic Erusalimskij, Da Bismarck a Hitler : l’imperialismo tedesco nel XX secolo, Rome, Editori Riuniti, 1974, 481 p. 31. « profonda aspirazione al rinnovamento politico, sociale e morale della società italiana », Palmiro Togliatti, Discorsi parlamentari, vol. II : 1952-1964, Rome, Camera dei Deputati, 1984, 1174 p. 32. Pour appréhender la critique communiste vis-à-vis des développements politiques et sociaux de l’Allemagne de l’Ouest, voir Enzo Collotti, Modello Germania. Strutture e problemi della realtà tedesco-occidentale, Bologne, Zanichelli, 1978, 203 p. 33. L’auteur a effectué une recherche dans les archives de l’Istituto Gramsci de Rome pour mettre en lumière l’importance de la fuite de Kappler dans le changement d’orientation de la direction du PCI vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ce contexte, alors que certains dirigeants plaident en faveur de la continuité de la ligne antifasciste et anti-allemande (à l’instar de Pietro Ingrao), d’autres proposent de repenser les rapports avec Bonn. C’est Enrico Berlinguer qui édicte la nouvelle ligne politique lorsqu’il déclare « qu’en ce qui concerne les relations avec la RFA, la critique nécessaire [à propos de l’affaire Kappler] ne doit pas représenter un obstacle pour la possibilité de développement de rapports positifs entre les forces démocratiques et de gauche au niveau européen ». Riunione della Segreteria del PCI, 2 settembre 1977, Rome, Archive Istituto Gramsci, APS – MF 304, 1977. 34. Francesco Ferrara, « Il germanesimo economico in Italia », Nuova Antologia, no 26, 1874, p. 983-1018. 35. On verra Antonio Varsori, L’Italia e la fine della guerra fredda : la politica estera dei governi Andreotti (1989-1992), Bologne, Il Mulino, 2013, p. 19-46.

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RÉSUMÉS

Cet article offre une interprétation des relations italo-allemandes après la première et la seconde guerre mondiale. L’attitude italienne vis-à-vis du monde allemand est sujette à de fortes contradictions depuis l’unité italienne. Si les Italiens conçoivent l’Allemagne comme un modèle économique, politique et culturel, ils craignent également la montée en puissance de l’Allemagne, perçue comme potentiellement dangereuse pour l’Italie et l’Europe. Au cours de la première, puis de la seconde guerre mondiale, les dirigeants italiens se retournent contre l’Allemagne malgré les alliances précédentes. À la suite de ces conflits les Italiens cherchent à rétablir l’amitié passée. Le processus de rapprochement a cependant toujours été entravé par l’existence de nombreux préjudices et stéréotypes qui marquent la mémoire collective. L’article analyse les effets que la mémoire et les images collectives peuvent avoir sur l’action politique de l’Italie vis-à-vis de l’Allemagne après 1919 et 1945.

This article offers an interpretation of German-Italian relations after the first and second World Wars. Since Italian unification, Italy’s attitude toward the German world was riven by contradictions. On the one hand, saw as an economic, political and cultural model, but they also feared its increasing power, perceived as potentially dangerous not only for Italy but for Europe. In both world wars, Italian leadership turned against Germany, despite their alliance, and after both wars Italy attempted to reestablish the old friendship. The rapprochement was, however, hindered by many stereotypes and prejudices affecting collective memory. This essay discusses the impact that memory and collective images had on Italy’s political attitude toward Germany after 1919 and 1945.

INDEX

Keywords : Italian foreign policy, Germany, world wars, collective memory, diplomacy Mots-clés : politique étrangère italienne, germanisme, première et seconde guerre mondiale, mémoire collective, diplomatie

AUTEUR

FEDERICO NIGLIA Federico Niglia enseigne l’histoire des relations internationales au département de Science politique de l’université LUISS Guido Carli de Rome. Il est également chargé de cours à l’université John’s à Rome. En 2007, il a obtenu son doctorat d’histoire, mention histoire de l’Europe, auprès de l’université La Sapienza de Rome. Entre 2007 et 2010 il est chercheur sous contrat auprès du département d’histoire de la LUISS. De 2003 à 2010, il est chercheur associé à l’Istituto Affari Internazionali de Rome (IAI). Ses recherches actuelles portent sur l’histoire de la politique étrangère et diplomatique italienne et sur les rapports entre l’Italie et le monde allemand. Parmi ses publications, on peut signaler les ouvrages Fattore Bonn: la diplomazia italiana e la Germania di Adenauer, Florence, Le Lettere, 2010 et L’antigermanesimo italiano da Sedan a Versailles, Florence, Le Lettere, 2012. [email protected]

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Italy, British resolve and the 1935-1936 Italo-Ethiopian War

Jason Davidson

1 As Italian elites prepared to attack Ethiopia in 1935 they knew that resolve mattered; they were aware that British willingness to incur costs to defend Ethiopia and the League of Nations would have a decisive impact on the war. If the British were to militarily oppose to Italy or even to close the Suez Canal, the Italian war effort would be prohibitively costly and would probably fail. Moreover, the British sent signals that could have been interpreted as evidence of high resolve (a willingness to incur great costs to defend Ethiopia and the League of Nations). In mid-September Foreign Secretary Hoare made an impassioned pledge that Britain would be “second to none” in defending its League obligations. The British government also repositioned the Home and Mediterranean fleets to be nearer to the potential clash. Some high- ranking Italian officials interpreted these signals as evidence that Britain would incur costs to defend Ethiopia and the League. Despite these signals, however, Fascist Dictator Benito Mussolini perceived low British resolve and rejected the final peace proposals on September 21st. He took Italy to war with Ethiopia on October 3rd, 1935. This article seeks to explain why the Italian government perceived low British willingness to incur costs on the eve of the Ethiopian War in 1935.

2 The article offers an explanation of varying assessments of resolve (defined as the willingness to incur costs for a disputed good) that is rooted in neoclassical realist theory. I argue that careerism by key domestic actors and the nature of the defender’s signals can combine to lead to perceptions of low resolve even if evidence of high resolve exists. First, those domestic actors within the challenger’s state, that are personally committed, or “vested” in, foreign policy action against the defender are most likely to question the defender’s signals. In contrast to previous scholarship, however, I do not argue that these vested actors are blind to signals of their adversary’s resolve –vested actors are simply more critical judges of incoming signals.1 The nature of the signals is incredibly important. I argue that challenger governments dominated by vested actors are only likely to perceive high resolve when defenders send clear

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(unambiguous) and costly signals. Even highly vested actors look for and perceive clear signals, whereas they are motivated to deemphasize anything less.

3 International relations scholars have long recognized the importance of resolve (as defined above) in international security. In deterrence theory, for example, a low- resolve defender will have much more difficulty deterring a challenger than a high- resolve defender.2 However, scholars have yet to adequately explain the states’ varying perceptions of adversary resolve. This is a problem because, given the nebulous nature of resolve, states often try to signal resolve to an adversary but fail. The history of international security is rife with cases where incorrect assessments of resolve led to much blood spilt that otherwise would not have been.3

Definitions of resolve

4 As noted above, I define resolve as the willingness to incur costs, or, as Steven Rosen put it, “the willingness to suffer”.4 The more willing a state is to incur costs for a particular good, the higher its resolve. By costs, I generally mean lives lost and money spent but costs can be anything the defender values. Rosen cites the famous quote by North Vietnamese leader Ho Chi Minh that “[i]n the end, the Americans will have killed ten of us for every American soldier who died, but it is they who will tire first”.5 Resolve differs from but is related to capabilities (i.e., the resources states use to get what they want in international relations). Resolve refers to a state’s willingness to use these capabilities. A state’s resolve is also often related to its probability of action. All things held equal, the more willing a state is to incur costs for a contested good, the more likely it is to act to acquire or defend that good. This is not to say that the two concepts are synonymous. States may have a high willingness to incur costs but a low probability of action because they expect their chances of success to improve in the future.

An Alternative Explanation: Costly Signals

5 The signaling approach assumes that the defender’s signals are of primary importance in constituting challenger perceptions of defender resolve.6 An initial claim is that certain signals convey a high resolve message whereas others do not.7 Perhaps the most common signals states send are statements; some directly refer to a willingness to incur costs others refer to the probability of action –often in the form of an “if/then” threat statement or the state’s interest in a particular good.8 A related step states may take is to formally commit to the defense of a threatened state.9 Military action also can signal resolve. When states mobilize forces, move them, or place them in a vulnerable area (so-called “trip-wire forces”) they signal resolve.10 Trip wire forces demonstrate resolve in that they risk an initial sunk cost (lost life) that, if imposed, may require more costs to be incurred.

6 Thomas Schelling argued that costly signals are more likely to be heard than “cheap” talk. The defender has to be willing to incur costs while signaling in order to make the case that it will be willing to incur costs to defend the objective.11 James Fearon developed the argument that public commitments are costly because they entail international and domestic audience costs if the defender later chooses not to defend the contested good.12 Kenneth Schultz has argued that democracies are particularly able to make credible threats because opposition groups serve as an independent

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source of information and a check against bluffing.13 This is important because, as Robert Jervis has shown, states have an incentive to bluff (i.e., to say that they have higher resolve than is the case). If states convince others that they are more interested in a disputed good than they truly are, they are more likely to win in a dispute.14

7 The primary problem with the costly signaling argument is that it is overly generous in categorizing a signal as costly. Costly signal theorists count even very vague public statements regarding the contested good as signals of high resolve. For example, James Fearon cites Lloyd George’s “Mansion House” speech during the 1911 Agadir crisis between France and Germany over Morocco, as an example of a costly signal.15 It is important to recognize that in the relevant portion of the Mansion House speech Lloyd George did not even mention Morocco or Germany, instead stating, […] if a situation were to be forced upon us in which peace could only be preserved by the surrender of the great and beneficent position Britain has won by centuries of heroism and achievement, by allowing Britain to be treated, where her interests were vitally affected, as if she were of no account in the Cabinet of nations, then I say emphatically that peace at that price would be a humiliation intolerable for a great country like ours to endure.16

8 Under what circumstances does this statement commit Britain to use force and against whom? Exactly, what outcome would lead to the surrender of Britain’s position? If a clear answer to that question cannot be offered, how can the politician making it be held accountable for backing down later?

A Neoclassical Realist Explanation of Failed Attempts to Signal Resolve

9 My argument is rooted in the neoclassical realist approach to explaining foreign policy. Neoclassical realism agrees with the general realist emphasis on the importance of power and conflict in international politics but also uses domestic and individual-level factors to explain the complex ways in which power and conflict are manifest in foreign policy outcomes.17 This project is neoclassical realist because of the object of study and the way I am studying it. In exploring how a potential challenger perceives a defender’s willingness to incur costs, I am focusing on state perceptions of relevant power –that is, how much power a state is willing to use in a particular context. The argument that follows is also neoclassical realist because it integrates factors from the domestic and international levels of analysis to explain perceptions of resolve.

10 My argument focuses on the interaction of two factors: vested actors and clear signals. I begin by noting that domestic actors have varying levels of motivation to process information on adversary resolve: it is essential to distinguish between what I call interested and vested actors. I argue that actors are primarily driven to maximize their career opportunities. As such, not all members of a bureaucracy that stands to gain from war would favor it, as prior scholarship has suggested.18 This is because the individual’s career gains from successful challenge are not so great as to make the individual blind to the negative ramifications of policy failure. For example, a general would stand to gain in career terms from a successful war. The same general, however, would be concerned with his reputation as an analyst if his country were to be defeated in war because he underestimated adversary resolve. While we can expect an interested actor –one employed by a bureaucracy that may gain from successful challenge– to view evidence of high defender resolve with skepticism, it also makes sense to expect

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that skepticism to have limits given the costs of underestimating resolve (i.e., the devastation that can come with a lost war).

11 Vested actors also often play a role in international crises. Vested actors are born when an individual repeatedly advocates for a challenge to the status quo that could result in war.19 The advocate for challenge makes internal appeals to persuade government colleagues and makes public appeals to national and international audiences. In so doing, the actor becomes vested in the aggressive policy in a fundamental sense –his or her personal fortune becomes intertwined with the policy. A successful challenge will entail personal, career success whereas the absence of challenge or failed challenge attempt will entail personal failure. Motivated bias provides the link between domestic actors’ preferences and perceptions of resolve. Research in psychology tells us that people dislike value trade-offs. As a result, people often ignore or discount information that would confront them with the reality of a value trade-off.20 For example, actors with an interest in an aggressive policy stance would be expected to discount or ignore information of high adversary resolve, as such information would force a value trade- off between the desire for the benefits of challenge and the painful reality that challenge is unlikely to succeed.21 The motivated bias trade-off discussed above is more severe for the vested actor than it is for the merely interested actor. If the vested actor is forced to recognize that the defender has high resolve she/he will either have to endorse retreat from the advocated policy or face likely failure in that policy. Wallace Thies offered a similar logic to make sense of the Johnson administration’s Vietnam policy: […] Since a decision to yield in the face of coercive pressures must often be made by the very officials who argued (often long and hard) for going ahead with whatever action brought on the coercive pressures […] the decision to yield is one that may be fraught with peril for the careers and at times the lives of the officials who must make it […].22

12 Consequently, vested actors are highly critical of signs of high defender resolve and if they dominate the challenger’s government, this means a perception of low resolve is likely. Even these actors usually recognize, however, that an attempt at challenge that ends in a disastrous national defeat is worse for them than policy retreat. Vested actors are highly critical; they are rarely blind. To illustrate: British Prime Minister Anthony Eden was a leading advocate, in public and private, for the use of force against Egypt in 1956. He did alter his initial perception of low American resolve, however, when the U.S. took action at the International Monetary Fund that put severe pressure on Britain, making American resolve clear.23 Because vested actors have a motivation for being critical we expect only the clearest signals of defender resolve to get through to them.

13 The more ambiguous the signal is, the less likely it is to lead to a perception of high resolve.24 As Snyder and Diesing put it “[m]aximum explicitness and clarity in threats tends to produce maximum credibility.”25 Clarity in public statements entails that the defender specify the exact nature of the steps it will take (i.e., the costs it is willing to incur) if the challenger violates the status quo. Defenders act with clarity when costly action can only be interpreted as a contribution to the defense of the disputed good; ambiguous action can be interpreted in ways that have nothing to do with resolve signaling.

14 Defenders may have incentives to be less than clear. The more ambiguous a signal is the more able government officials are to evade the costs associated with having one’s bluff

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called.26 As Thomas Schelling wrote “[t]o say one may act is to say that one may not, and to say this is to confess that one has kept the power of decision […].”27 Clear signals of high resolve always entail costs to a sender if it backs down. It is reasonable, moreover, for skeptical challengers to see ambiguous signals as indicators of low resolve. If the defender was willing to incur costs, the challenger reasons, it would have sent a clear signal.28 In sum, a defender is most likely to convince a challenger of high resolve when it makes a public statement that unambiguously commits it to incur costs to defend the contested good or takes action that can only be interpreted as contributing to the defense of that good.

15 A combination of the vested-actor argument and the clear-signal argument provides an explanation of failed attempts to signal resolve (see Table 1). Vested actors are the most critical interpreters of adversary signals. If vested actors dominate the domestic decision making process, the state is unlikely to perceive high resolve in the absence of clear signals. If, however, the defender sends clear signals of high resolve, even governments dominated by vested actors are expected to perceive high resolve. If interested actors dominate, public ambiguous signals should be sufficient to generate challenger perceptions of high resolve. In other words, the signaling threshold is higher for vested actors than interested ones.

Table 1. Vested Actors, Clear Signals, and Perceptions of Defender Resolve

Vested Actors Interested Actors

Clear High High

Public but Ambiguous Low High

Neither Low Low

Methods and Case Selection

16 In this case study I will use congruence procedure and process tracing methods.29 My aim in using both of these methods will be to assess the fit of the explanations outlined above to this case study as a theory-building exercise and an initial evaluation of the arguments.30 This case is remarkable because Mussolini, at the helm of the Italian government, perceived low resolve despite British signals that many interpreted as indicating high resolve. There is also a detailed empirical record of British signaling and Italian elite perceptions as recorded by multiple elites within the British and Italian governments in informal (e.g., diaries and memoirs) and formal (e.g., dispatches reprinted in published primary source collections) manifestations.31 Finally, in this case an alternative theory provides contradictory claims.32 The audience costs theory clearly predicts perceptions of high resolve in this case as public signals were sent and the British government was a democracy.

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Explaining Italian Perceptions of British Resolve on Ethiopia in 1935

17 In this case study resolve refers to a British willingness to incur the costs that a closure of the Suez Canal or military action against Italy would have entailed.33 British resolve was crucial to Italian policy in this case. First, Italian elites recognized that British military intervention would have devastating military consequences on Italy’s war effort.34 In January 1935, Domenico Cavagnari, Chief of Staff of the Italian Navy, suggested that prior to the conflict Mussolini should “believe himself able to exclude the step, that would have grave consequences, of the closure of the Suez Canal, relative to the passage of our armed forces.”35 Second, perceptions of low British resolve were seen as a necessary prerequisite for Italian attack.36 As high-ranking Italian diplomat, explained that it was “[i]mpossible to do it against France and Britain, indispensable to do it in agreement with them.”37

18 The following narrative reveals that while the British sent some signals of moderate to high resolve from December 1934 to September 1935, none were costly. In mid- September 1935 the British sent two costly signals of high resolve and most Italian elites began to perceive high British resolve. Mussolini continued to perceive British resolve as low, however, and ultimately chose to refuse the final peace proposals in late September. Analysis of the alternative explanations follows the narrative.

From Walwal to Stresa

19 On December 5th, 1934, fighting erupted between an Ethiopian force camped at Walwal and Italian troops that occupied the area, claiming it was a part of Italian Somaliland.38 Italy claimed its forces had been attacked but its initial demands on Ethiopia were limited; they included a formal Ethiopian apology, recognition of Italy’s right to occupy Walwal, and financial compensation.39 The British and French were successful in getting Ethiopia to pursue the dispute through bilateral arbitration - not the League of Nations as Ethiopia preferred.40 Britain, it seemed, did not want to damage the League by exposing it to a dispute that the League was not capable of resolving.41 Britain’s initial action hardly signaled high resolve.

20 Italian decision makers appear to have initially expected a low British willingness to incur costs to defend Ethiopia.42 Past British agreements with Italy on Ethiopia seemed to signal a lack of British interests and in the eyes of some a free hand for Italy.43 In an important directive to General , chief of the Italian general staff, on December 30th, 1934, Mussolini said that Italy need not worry about Britain or France intervening as long as their interests were recognized.44 Undersecretary of the Italian Foreign Ministry Fulvio Suvich recognized British interests in the League and the region but also did not predict Britain would take military action.45 In late January, Italy’s government, still perceiving low British resolve, extended an informal invitation for future talks with Britain on East Africa.46 Britain’s failure to respond to this initiative led some in Italy to believe London was uninterested in Italian action against Ethiopia.47

21 Italian preparations for war in Ethiopia began in the summer of 1934.48 The British responded to Italy’s preparations with mild protest, seemingly convinced by Italian

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assertions that the build-up was intended to defend Italian colonies from Ethiopia.49 In his aforementioned directive to Badoglio, Mussolini made it clear that Italy would henceforth look to resolve the Ethiopian problem by force.50 Within a month the Italian representative at the League, Pompeo Aloisi, referred to Mussolini’s decision to use force as “irrevocable.”51 On February 11 th, Mussolini ordered general mobilization, which he justified by the Ethiopian menace and the weakness of Italian forces in the region.52 While the British did not know about the Badoglio directive, they did know about the mobilization.53 Robert Vansittart, Britain’s Permanent Under-Secretary for Foreign Affairs, warned Ambassador Grandi on February 27th that war in Ethiopia would be met with hostility from the British public and the unity of Britain, France, and Italy would be threatened.54 This was the first signal that Britain might be willing to incur costs in defense of the League and Ethiopia, but as it was private it cannot be considered costly.

22 The Stresa conference of April 11-14, 1935, was ostensibly designed to promote cooperation by Italy, France, and Britain against rising German threat. However, the Ethiopian crisis did loom in the background. While Grandi convinced the British Foreign Office to send a North African specialist to Stresa, the British government prohibited him from discussing major issues of the Italo-Ethiopian conflict.55 In the informal conversations that resulted the British expert heard that Italy could not exclude the use of force as a means to resolve the dispute.56 The British representative replied that Italy could not expect cooperation from Britain and that such a policy “might well react adversely upon Anglo-Italian relations.”57 Mussolini claimed a victory in that the final declaration, which noted that the three countries would work to preserve the peace, only referred to Europe.58 Britain did not seem to signal a high willingness to incur costs at Stresa; a dispatch from a leading Italian diplomat at Stresa stated that “Great Britain does not appear disposed at this point to assume a precise attitude.”59

From Stresa to the Three-Power Talks

23 The day after the Stresa conference ended, Ethiopia tried, yet again, to get the League to formally address its dispute with Italy. The British government used the opportunity to demand that both sides be prepared to begin arbitration by May.60 This seemingly minor diplomatic move was important as the first public British effort in support for Ethiopia and a non-violent solution to the dispute. Some among Italy’s elite took the April 15th League démarche as a sign of British resolve. 61 In this context, Guariglia and Grandi led a charge to probe the British in an effort to clarify London’s position.62

24 In meeting with Grandi, Vansittart began by recognizing that military preparations underway meant that “Italy wants to put her hand on Abyssinia”. He also noted that “English public opinion would be decidedly against Italy”; and that the government would have to listen to the public.63 Vansittart went on to stress the importance of the League of Nations in keeping Britain committed to Western Europe and stated that the government would “[…] do everything to demonstrate the efficacy of the Genevan institution to the restive British opinion in the case of an Italo-Ethiopian conflict.”64 The British offered similar signals when Grandi met with Vansittart and Simon in early May.65 In the wake of these two probes Mussolini remained unconvinced of high British

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resolve. He claimed that if forced to make a choice between Italy and the League, Britain would choose Italy.66

25 As Italian elites perceived low British resolve, they began making clear that Italy would use force in Ethiopia.67 The amount of Italian troops and materiel in Ethiopia also allowed Italian diplomats to make the case that Italy could not concede now because Italian prestige would suffer.68 Moreover, in the wake of British pressure at the League, Mussolini began to commit himself publicly to a course of conflict. In a May 14th declaration to the Italian Senate, he warned that “[…] we will send all the soldiers necessary and no one should assume the intolerable arbitrary power to interject with regard to the character and the quantity of our precautionary measures.”69 Mussolini was becoming publicly committed to the use of force against Ethiopia.

26 About this time, Britain’s private warnings began to entail harsher language. On May 21th, Eric Drummond, Britain’s Ambassador to Rome, told Mussolini privately that an Italian war on Ethiopia “might have the gravest results on the League and on the relations between our two countries and on security.”70 As the tension mounted, on May 25th, the British-led League’s Council passed resolutions forcing the parties to appoint a tie-breaking fifth arbitrator and mandating that the Council would take up the dispute if the parties failed to address it by August 25th.71 Undeterred, Mussolini approved mobilization of three additional divisions at the end of May.72 When the Italian dictator rejected a June peace offer that Anthony Eden, Lord Privy Seal, had personally delivered to Rome, Eden offered a similarly worded warning.73 Some Italian elites interpreted British action as hostility toward Italy rooted in British colonial interests.74

27 On June 18, the British foreign office received the secret report of a special commission, tasked with evaluating the country’s interests in Ethiopia.75 The “Maffey Report” argued that British interests in Ethiopia did not necessitate military action to preserve the status quo but the authors admitted that they had not considered related British interests, such as the integrity of the League, in making their assessment.76 The Italian government acquired a copy of the report soon after its release.77 On June 27, the results of the British Peace Ballot, an unofficial national plebiscite on the League of Nations, became available. Of those voting 94% approved of non-military measures against an aggressor violating the League’s covenant and 59% supported military sanctions for a violator.78

28 Foreign Secretary Samuel Hoare’s “double policy,” which sought a negotiated solution while supporting collective action, produced mixed Italian perceptions of British resolve.79 On July 6th, Mussolini proclaimed to Italian troops that “[…] we are involved in a struggle of decisive importance and that we are immovably decided to follow it through to the end.”80 With statements like this one the Duce was becoming increasingly vested in an attack on Ethiopia and he would be increasingly resistant to signals of high British resolve. League of Nations ambassador Aloisi was more pessimistic. Reflecting on Eden’s June mission to Rome, he commented that Britain “puts itself on the path of war.”81 On July 11th, Hoare went so far as to publicly refute rumors that Britain and France were discussing a blockade of Italy.82 Italian elites breathed a sigh of relief.83 On July 20th, Aloisi wrote that Mussolini was “more firm than ever in the objectives that he proposes to achieve in Abyssinia.”84 The Italian dictator continued to pledge himself publicly to action. On the same day in an interview with the French paper Echo de Paris, Mussolini replied to a question about public support for

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his aims in Ethiopia that “[a]lmost the whole nation has grasped that which I want and why I want it. She [the nation] has an effort to make, after which she will have her place in the world.”85

29 In the second half of July France and Britain issued warnings to Italy, noting Italian commitments and the importance of the League for French and British security.86 On July 29th, the Foreign Office sent a memo that outlined its interests in opposing Mussolini to Laval, who passed it along to the Italians.87 The next day, Aloisi wrote of the memo “[i]t completely clarifies the intention of the English cabinet in our regard. London, which treats us like we are crazy, is anxious for the League of Nations, for its colonial empire and will prevent us from waging war at all costs.”88 Aloisi failed to note, however, that the British memo made no mention of what Britain should actually do if Italy attacked Ethiopia. Mussolini responded to the British memo by committing even more firmly to war. On July 31th, the Duce used the newspaper Il Popolo d’Italia to commit his regime; he proclaimed that “[t]he solution of the problem must be total. […] The problem admits of only one solution –with Geneva, without Geneva, against Geneva.”89 As he vested himself and his regime in the future war he would be reluctant to accept all but the clearest evidence that the war would fail due to British resistance.

From the Tripartite Talks to War

30 Some decision makers in Italy became concerned that British resolve was higher than had been previously thought.90 In talks with Grandi, Vansittart emphasized that an Italian attack on Ethiopia would deal the League a “mortal blow.”91 Grandi continued to predict that Britain’s bite would be less savage than its bark.92 Mussolini, while continuing to make bold statements, ordered chief of staff Badoglio to study how Italy would cope with a military clash with Britain on August 9th.93 Badoglio’s study reported on August 14th that Italy would be at a severe disadvantage vis-à-vis Britain, referring to Italy’s situation as “by far the most difficult that our country has ever passed through.”94 The next day Grandi advised Mussolini to “tirare diritto” (continue ahead): Grandi expected Britain would take no military action against Italy as the British military had recently reported to its cabinet that they could not guarantee success against Italy.95 The British government became concerned with avoiding an Italian attack on the British fleet, referred to as a “mad-dog” act.96 In the last week of August, Grandi reported that the British cabinet had decided to defend the League but only through collective action and in full cooperation with the French, which meant it was unlikely to occur.97

31 Other Italian elites were increasingly convinced that British resolve was higher than Mussolini believed. On August 20th, a group of senators along with Pietro Badoglio met to discuss approaching Italy’s king, Victor Emmanuel II, to restrain Mussolini’s rush to war.98 Mussolini’s behavior demonstrates that he was not impervious to perceptions of growing British resolve. The next day Mussolini wrote to General De Bono, telling him that in the case of “grave complications” with Britain he would receive special orders.99 At the same time Mussolini continued to publicly commit himself to action. In an August 28th speech to Italian troops, he condemned “absurd and provocative” talk of sanctions and stated defiantly that Italy would “take the nation’s armed forces to the highest possible level.”100 Badoglio wrote to Mussolini in early September, warning of the British navy’s “crushing superiority” over Italy’s fleet and pleading with him to

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reconsider.101 On September 5 th, Mussolini instructed Grandi to convince the Foreign Office that Italy would work to avoid a clash with Britain.102

32 Shortly thereafter, two British moves led many Italian elites to reassess their perceptions of British resolve.103 On September 11 th, Samuel Hoare, addressing the League of Nations, passionately proclaimed the importance of the League and promised that Britain would be “second to none” in fulfilling its commitment.104 Most –in Italy and in the rest of the international community– interpreted Hoare’s public speech as a strong sign of British resolve.105 Those who held this interpretation failed to note that Hoare pledged that Britain would support action led by others. At about the same time it became public knowledge that Britain had moved its Mediterranean fleet from Malta to Alexandria.106 While the British may have been motivated by a desire to deter attack on Ethiopia it was as plausible that they sought to deter a “mad-dog” Italian attack on Britain’s Mediterranean fleet.107 On September 14th, Italian elites became aware that the British representative in Addis Ababa had privately pledged that Britain would prevent Italian action against Ethiopia.108 According to historian George Baer, these events “gave rise to the greatest concern Italian officials had felt so far.”109 This sentiment among Italian officials contrasted with Mussolini’s steady stream of threats and claims that war was inevitable.110 In an interview with the French journal Matin on September 15th the Fascist dictator emphatically stated that “[t]his is not a game of poker […]. [W]e shall go straight ahead.”111 Mussolini seemed to prefer the low resolve interpretation of these signals as neither of them definitively committed Britain to Ethiopia’s defense.112

33 In this climate, in which many Italians perceived high British resolve, a special committee of the League proposed a peace plan in which the League would oversee reform of Ethiopia and France and Britain would work for territorial adjustments between Ethiopia and Italy.113 In the next few days, Grandi reported from London that Britain might respond to an Italian attack with force and Aloisi urged Mussolini to accept the proposals, which he believed could be modified to achieve Italy’s aims.114 Under this pressure Mussolini proposed on September 18th that Britain and France promise not to apply military sanctions in return for a promise that Italy would not attack the British navy and that it would withdraw two divisions in Libya.115 The Duce was clearly probing for indicators of resolve –the British realized this was the case and hoped to keep Mussolini guessing.116 On September 20th, Drummond reported to Mussolini that Britain was making additional naval reinforcements and had redeployed a portion of the home fleet to the Mediterranean.117 Mussolini ignored his advisors and rejected the final peace proposal in the early hours of September 21th.118 Italian troops invaded Ethiopia on October 3rd, 1935.119 Mussolini provided himself with an important escape hatch if his initial assessment was wrong. Italy’s war plan entailed an initial advance –of a few hundred miles– and then a pause to “await events on the international plane.”120

Explanations of Italian Perceptions

34 The signaling explanation outlined above expected costly signals to lead to perceptions of high resolve. A few public signals did lead many Italian policymakers to adjust their perceptions of British resolve. Hoare’s September 11th speech and the mid-September fleet movements caused many Italian policymakers to fear British intervention. The impact of these two signals, one a public speech with high domestic and international

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audience costs and the other a public form of military action provides support for the argument that costly signals matter more than those made in private. The British had been sending private signals expressing their concern with a looming Italo-Ethiopian war all summer with no effect. There is a significant problem with the costly signals explanation, however. Despite the costly September signals and the perceptions of many elites that resolve was high, Mussolini continued to perceive Britain as having low resolve and he rejected the final League proposal on September 2th. Another major problem with this explanation is that it cannot explain why Mussolini perceived the September signals differently than other Italian officials, who urged him to accept the final proposal. Why did they, having seen the same signals, perceive them differently?

Table 2. Vested Actors, Clear Signals, and the Italo-Ethiopian War

Vested Actors Interested Actors

Clear High High

Low High Public but Ambiguous Italy-September (Italian officials except Mussolini by September 1935 1935)

Low Neither Low Italy-April 1935

35 The vested actors and clear signals explanation predicts the correct outcome and makes sense of the causal process that led to it (see Table 2). A thorough explanation of this case needs to explain why Mussolini did not perceive the September signals as indicators of high resolve while others did. Mussolini repeatedly and publicly committed himself and his regime to military action against Ethiopia. In fact, he had far more frequently and vehemently spoken in favor of action than any other government official in public or private. As early as February 1935, the Italian representative to the League of Nations, Pompeo Aloisi, referred to Mussolini’s decision to use force as one that “implicates the future of the regime.”121 For the Duce to have accepted a negotiated settlement because Italy faced a high British willingness to incur costs would have been a major blow to his career.122 In reporting on the Italian dictator’s apparent sang froid in the face of the September signals, British ambassador Drummond noted that “Signor Mussolini realises that his own position is at stake in an adventure which can only be justified by success.”123 Because he was so personally vested in the conflict, it made good sense for the Duce to view signals of British resolve with extreme skepticism. Anything other than a clear public signal of resolve would not convince him that the British were willing to incur costs to defend Ethiopia and the League.

36 Why was Mussolini not convinced by the Hoare speech and the fleet movement? The September signals were public and costly but not sufficiently clear to lead to perceptions of high resolve. British signals were ultimately evaluated relative to the signals that might have been sent. If the British had a high willingness to incur costs to defend Ethiopia and the League, it was reasonable to ask, why did they not publicly and explicitly threaten military action if Italy attacked Ethiopia? Both the mid-September signals could be interpreted as half measures and it seems that Mussolini interpreted

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them this way. In fact, on two occasions in August Grandi commented on the absence of any direct reference to “real and true” sanctions and that many in Britain urged the government to “do something” without reference to explicitly what it should do.124 On September 3rd, Grandi noted to Hoare that “amidst the public clamour for sanctions in the British press and on the British platform, the British Foreign Secretary had never so much as mentioned the dangerous word.”125 Because he was vested in using force against Ethiopia Mussolini was motivated to look skeptically at the September signals and to see them as signs of low British resolve.

Conclusion

37 This article has offered a novel explanation of varying perceptions of resolve. It argued that we must look at vested actors and clear signals to make sense of why states sometimes perceive others’ resolve as high. First, the article made the case that actors who are vested –through repeated public advocacy– in a particular policy path will be especially skeptical of signals of adversary resolve as they seek to avoid value trade- offs. Second, the article argued that the more ambiguity that is present in resolve signals, the less likely states are to perceive others’ resolve as high. The article pointed out that vested actors are especially likely to be skeptical of ambiguous signals. It differed from previous scholarship, however, in arguing that vested actors can be convinced of high adversary resolve by clear and costly signals.

38 The article used this theoretical approach to explain Italian perceptions of British resolve on the eve of Italy’s invasion of Ethiopia in 1935. In September 1935, the British government went from mostly private warnings to two noteworthy public signals: they moved a portion of their home fleet to the Mediterranean and Secretary Hoare pledged that Britain would be “second to none” in defending its League commitment. Many Italian officials reacted to these signals by upgrading their view of British resolve. Benito Mussolini did not. The article concludes that because Mussolini was so vested in war with Ethiopia he was motivated to note ambiguity in the signals that other Italian officials overlooked.

39 Some policy recommendations flow from the article’s conclusions. States seeking to convince others of their resolve should first note whether their adversary’s government contains powerful individuals who are vested in action. If not, public but somewhat ambiguous signals should result in perceptions of high resolve. If, however, the adversary contains vested actors, only unambiguous signals will suffice. When faced with vested actors, signaling states are forced to make their willingness to incur costs known.

NOTES

1. Richard Lebow, Between Peace and War: The Nature of International Crises, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1981, p. 277.

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2. Thomas Schelling, Arms and Influence, New Haven, Yale University Press, 1966, p. 94. 3. See, for example, Richard Lebow, “Miscalculation in the South Atlantic”, in Robert Jervis, Richard Lebow and Janice Stein (eds.), Psychology and Deterrence, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1985, p. 110. 4. Steven Rosen, “War Power and the Willingness to Suffer”, in Bruce Russett (ed.), Peace, War, and Numbers, Beverly Hills, Sage, 1972, p. 167-183. 5. Ibid., p. 168. 6. Thomas Schelling, Arms and Influence, op. cit., p. 136, fn. 7. 7. Ibid., p. 150. 8. Paul Huth, Extended Deterrence and the Prevention of War, New Haven, Yale University Press, 1988, p. 6. 9. Ibid., p. 43-44. 10. Ibid., p. 6, 34, 48 and 125. 11. Thomas Schelling, The Strategy of Conflict, Cambridge, Harvard University Press, 1960, p. 187. 12. James Fearon, “Domestic Political Audiences and the Escalation of International Disputes”, The American Political Science Review, vol. 88, no 3, September 1994, p. 577-592. 13. Kenneth A. Schultz, Democracy and Coercive Diplomacy, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 9 and 18. For partisan limits on bluffing resolve in a democracy see Jason Davidson, “Whatever it Takes? Party Image, Probability, and Bluffing Resolve in Kosovo and Iraq”, Contemporary Security Policy, vol. 29, no 3, December 2008, p. 411-433. 14. Robert Jervis, “Bargaining and Bargaining Tactics”, in Roland Pennock and John Chapman (eds.), Coercion. Nomos XIV, Chicago, Aldine-Atherton, 1972. 15. James Fearon, “Domestic Political Audiences…”, art. cit., p. 582. 16. Reprinted in Edward Grey, Twenty-five years, 1892-1916, New York, Frederick A. Stokes, 1925, vol. I, p. 216. 17. Gideon Rose, “Neoclassical Realism and Theories of Foreign Policy”, World Politics, vol. 51, October 1998, p. 144-172. 18. Ned Lebow, Between Peace…, op. cit., p. 222. 19. The notion of vested actors is somewhat similar to the notion of policy entrepreneurs. See John Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, New York, Longman, 2nd ed., 2003, p. 122-124, 179-182. 20. Robert Jervis, Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976, p. 128-142. 21. Ned Lebow, Between Peace…, op. cit., p. 272. 22. Wallace Ties, When Governments Collide: Coercion and Diplomacy in the Vietnam Conflict 1964-1968, Berkeley, University of California Press, 1980, p. 13. 23. Keith Kyle, Suez: Britain’s End of Empire in the Middle East, London, I. B. Taurus, 2003, p. 136-137, 163-164 and 465. 24. Thomas Schelling, The Strategy of Conflict, op. cit., p. 40 and 187. 25. Glenn Snyder and Paul Diesing, Conflict Among Nations: Bargaining, Decision Making, and System Structure in International Crises, Princeton, Princeton University Press, 1977, p. 216. See also p. 212-214. 26. Robert Jervis, The Logic of Images in International Relations, Princeton, Princeton University Press, 1970, p. 113-116. 27. Thomas Schelling, The Strategy of Conflict, op. cit., p. 187. 28. Robert Jervis, The Logic of Images…, op. cit., p. 41-65. 29. Stephen Van Evera, Guide to Methods for Students of Political Science, Ithaca, Cornell University Press, 1997, p. 58-67. 30. Ibid., p. 67-71. 31. Ibid., p. 79.

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32. Ibid., p. 83. 33. Italian elites did not articulate concern with French resolve in the period before the war. I Documenti diplomatici italiani, Rome, Libreria dello Stato, 1952-, Ottava Serie/1, p. 418. See also Mario Toscano, “Eden’s Mission to Rome on the Eve of the Italo-Ethiopian Conflict”, in George Gooch and Arshag Sarkissian (eds.), Studies in Diplomatic History and Historiography, New York, Barnes and Noble, 1962, p. 134. 34. Renato Mori, Mussolini e la conquista dell’Etiopia, Florence, La Fenice, 1978, p. 91. See also George Baer, The Coming of the Italian-Ethiopian War, Cambridge, Harvard University Press, 1967, p. 22-23. 35. Renzo De Felice, Mussolini il duce: gli anni del consenso, 1929-1936, Turin, Einaudi, 1974, p. 640. 36. Giorgio Rochat, Militari e politici nella preparazione della campagna d’Etiopia: studio e documenti, 1932-1936, Milan, Angeli, 1971, p. 27, 42, 277-278, 292-293 and 294. 37. Raffaele Guariglia, Ricordi, 1922-1946, Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 1949, p. 769. 38. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 48-54. 39. Ibid., p. 56. 40. Ibid., p. 103-105. 41. Rosaria Quartararo, Roma tra Londra e Berlino: La politica estera fascista dal 1930 al 1940, Rome, Bonacci, 1980, p. 105. 42. Ibid., p. 86-87. 43. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 6, 16, and 18. 44. Giorgio Rochat, Militari e politici…, op. cit., p. 378. 45. Renzo De Felice, Mussolini…, op. cit., p. 644-646. 46. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 88-89. 47. Ibid., p. 93-95. 48. Giorgio Rochat, Militari e politici…, op. cit., p. 87-89, 101 and 123. 49. Documents on British Foreign Policy, 1919-1939, London, Her Majesty’s Stationary Office, 1976, Second Series/14, p. 122-123 and 148-150. 50. Giorgio Rochat, Militari e politici…, op. cit., p. 376. See also p. 132. 51. Pompeo Aloisi, Journal: 25 Juillet 1932-14 Juin 1936, Paris, Plon, 1957, p. 253. 52. Rosaria Quartararo, Roma tra Londra…, op. cit., p. 112. 53. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 156-157. 54. Raffaele Guariglia, Ricordi…, op. cit., p. 217. 55. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 119. 56. Ibid., p. 120. 57. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 221. 58. Mussolini claimed he had inserted the word “Europe” at the final session. Opera omnia di Benito Mussolini, a cura di Edoardo e Duilio Susmel, Florence, La Fenice, 1951-1963, vol. 27, p. 140. British documents demonstrate the change was made to an earlier draft. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 222, fn. 5. 59. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 63. 60. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 133-134. 61. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 20. Mussolini’s doubts continued: see p. 49-50. 62. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 135-136. 63. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 127. 64. Ibid. 65. Ibid., p. 136. 66. Raffaele Guariglia, Ricordi…, op. cit., p. 234. 67. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 141-144 and 151-152. 68. Anthony Eden, Facing the Dictators, Boston, Houghton Mifflin, 1962, p. 233. 69. Opera Omnia…, op. cit., vol. 27, p. 73.

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70. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 280. Emphasis added. 71. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 153-54. 72. Ibid., p. 165. 73. Mario Toscano, “Eden’s Mission…”, art. cit. 74. Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 275. 75. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 188. 76. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 775-776. 77. Raffaele Guariglia, Ricordi…, op. cit., p. 302. 78. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 202-205. 79. Ibid., p. 218. For Grandi’s assessment see I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 268. 80. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 219-220. 81. Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 284. 82. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 217-18 and 227. 83. Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 286. 84. Ibid., p. 288. 85. Opera omnia…, op. cit., 27, p. 108. 86. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 421. 87. Ibid., p. 434-439. 88. Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 290. Emphasis added. See also I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 667-668. 89. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 237. 90. Renato Mori, Mussolini…, op. cit., p. 53-54. 91. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 707. 92. Ibid., p. 709. Specifically, Grandi’s sources told him that the British had not taken measures for war as of August 15 (p. 751). See also p. 752 and 754. 93. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 253. 94. Giorgio Rochat, Militari e politici…, op. cit., p. 227. See also p. 225-227. 95. Paolo Nello, Un fedele disubbidiente: da Palazzo Chigi al 25 luglio, Bologna, Il Mulino, 1993, p. 254. See also p. 256. 96. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 261. 97. Renato Mori, Mussolini…, op. cit., p. 65 and 68. 98. Renzo De Felice, Mussolini…, op. cit., p. 630-631. 99. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 806. 100. .Opera omnia…, op. cit., vol. 27, p. 119. 101. Giorgio Rochat, Militari e politici…, op. cit., p. 228-230. 102. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/2, p. 40. 103. On September 10th and 11th, Hoare and Laval had secretly agreed that war with Italy was too high a price to pay to preserve Ethiopian integrity and the League. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 325-326. 104. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 784-790. 105. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 329-331. See also Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 303; I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/2, p. 87 and 90. 106. . Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 592. 107. Arthur Marder, “The Royal Navy and the Ethiopian Crisis of 1935-36”, American Historical Review, vol. 75, no 5, June 1970, p. 1330-1331. 108. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 340. 109. Ibid., p. 339. See also I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/2, p. 105, 109-112 and 134-136; Raffaele Guariglia, Ricordi…, op. cit., p. 269; Renato Mori, Mussolini…, op. cit., p. 95. 110. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 340-342. 111. Ibid., p. 341.

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112. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 630. 113. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 344. 114. Ibid. See also Paolo Nello, Un fedele…, op. cit., p. 258-259; Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 304. 115. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 639. 116. Ibid., Second Series/14, p. 655-656. 117. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 354. 118. Ibid., p. 346-347. On September 23th Hoare sent a personal note to Mussolini denying that Britain had considered military action or the closure of the Suez Canal to that date. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/2, p. 149. 119. George Baer, The Coming…, op. cit., p. 374. 120. Ibid., p. 279. 121. Pompeo Aloisi, Journal…, op. cit., p. 253. 122. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 716. 123. Ibid., Second Series/14, p. 634. Emphasis added. 124. I Documenti…, op. cit., Serie Ottava/1, p. 750, 795, 804 and 866-867. 125. Documents…, op. cit., Second Series/14, p. 567-568.

ABSTRACTS

This article offers an explanation of varying perceptions of resolve - the willingness to incur costs in order to reach a contested good. The article argues that domestic actors who publicly and personally invest themselves in policy action are likely to view signals of high adversary resolve more critically than those who do not. Variance in signals is also important. Skeptical “vested” actors view even public signals as indicators of low resolve if the signals contain ambiguity. If “vested” actors dominate the challenger’s government, only clear and costly signals are likely to lead the challenger to perceive high defender resolve. I use this approach to explain Italian perceptions of British resolve on the eve of the 1935-36 Italo-Ethiopian War. While many Italian officials came to see British resolve as high, Benito Mussolini was motivated to see the ambiguity in British signals.

Cet article propose une analyse de la perception variable de la résolution (l’attitude qui permet de prendre en compte des coûts pour obtenir un bien contesté). L’article soutient que les acteurs nationaux qui s’investissent personnellement et de façon publique dans l’action politique sont susceptibles de sous-interpréter les signaux provenant de compétiteurs engagés dans une épreuve de force. La variation de ces signaux constitue également un paramètre important. Des acteurs sceptiques ne prennent pas aux sérieux des messages, même publics, s’ils contiennent des ambiguïtés. Si des acteurs fortement motivés dominent le gouvernement du compétiteur, alors seulement des signaux clairs et forts (en termes de coûts) de la part du défenseur peuvent amener le compétiteur à percevoir le caractère résolu du défendeur. C’est ce schéma interprétatif que nous utilisons pour expliquer les perceptions italiennes de l’attitude résolue des Britanniques au seuil de la guerre italo-éthiopienne de 1935-1936. Alors que de nombreux officiels italiens percevaient la détermination des Britanniques, Benito Mussolini continuait à insister sur l’ambiguïté des signaux de leur part.

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INDEX

Mots-clés: Mussolini, guerre italo-éthiopienne, résolution des acteurs, coûts des signaux, réalisme néo-classique Keywords: Mussolini, Italo-Ethiopian war, resolve, costly signals, neoclassical realism

AUTHOR

JASON DAVIDSON Jason Davidson was born in Sioux City, Iowa, in the United States in 1973. He earned a B.A. in political science from the University of California at Berkeley in 1996 and an M.A. (1999) and Ph.D. (2001) in government from Georgetown University. He is the author of two books: The Origins of Revisionist and Status-quo States (Palgrave Macmillan, 2006) and America’s Allies and War: Kosovo, Afghanistan, and Iraq (Palgrave Macmillan, 2011). His articles have been published in peer- reviewed journals such as Cambridge Review of International Affairs, Contemporary Security Policy, Modern Italy, Security Studies, and The Nonproliferation Review. He is currently Associate Professor of Political Science and International Affairs at the University of Mary Washington in Fredericksburg, Virginia, USA. [email protected]

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Les politiques touristiques du fascisme et les relations internationales de l’Italie, entre diplomatie publique et création d’une marque de destination-Italie

Elisa Tizzoni

1 À l’instar des autres pays européens, l’Italie de l’époque libérale connaît une intervention plutôt limitée de l’État dans le domaine touristique. Elle se limite principalement à la perception d’une taxe de séjour pour cure ou mouillage ainsi qu’aux formalités d’entrée aux frontières. La plupart des activités de promotion des destinations1 est laissée aux initiatives privées, qui se conjuguent parfois grâce à l’action d’associations pour la promotion du voyage2.

2 Après la première guerre mondiale, une série de facteurs contribuent à la montée en puissance du tourisme comme objet de politiques publiques nationales au sein des principaux États européens. Le contexte international devient de plus en plus compétitif, avec une concurrence croissante entre les différents pays. De plus, les dévastations de la guerre entraînent une demande de programmation cohérente et d’investissements publics conséquents pour la reprise du secteur.

3 L’Italie n’échappe pas à cette intense activité législative et réglementaire dans l’entre- deux-guerres. Elle vise essentiellement à créer une organisation touristique complexe qui puisse agir aussi bien au niveau national que local. Cette organisation est d’ailleurs plusieurs fois remaniée. Un organisme central est institué dès 1919 avec l’ENIT, Ente nazionale per le industrie turistiche3, véritable bureau central du tourisme.

4 La mission de cet organisme, encore en fonction, est d’assurer la promotion du tourisme ainsi que de fournir une assistance technique aux opérateurs dans ce domaine4. Cette structure se développe au cours de la période fasciste, avec la mise en place d’une organisation touristique centrale et périphérique qui est restée inaltérée

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jusqu’à une période récente5. En plus de l’ENIT, que l’on peut définir comme un organisme technique, des entités consultatives sont instituées. La principale est le Conseil central pour les stations thermales (Consiglio centrale per le stazioni di cura).

5 L’organisation touristique territoriale se fonde sur des régies autonomes (aziende autonome) créées en 19266, compétentes dans chacune des localités touristiques, ainsi que sur les régies provinciales de tourisme (Enti provinciali del turismo ou EPT), créées en 19357. Des régies intercommunales sont également mises en place dans quelques rares instances. Au-delà de l’évolution de l’organisation institutionnelle, les politiques touristiques de la période fasciste présentent une série de traits communs qui tendent à la centralisation et au contrôle. L’attribution de compétences importantes au ministère de l’Intérieur ainsi qu’aux préfectures illustre cette vision selon laquelle le contrôle des flux de circulation de personnes et la sauvegarde de l’ordre public représentent des priorités.

6 Dans une perspective similaire, le gouvernement tente de coordonner l’activité des régies et associations locales au sein de plus amples programmes de développement touristique, mais cette opération s’oppose parfois au dynamisme de certaines régions au sein desquelles les acteurs locaux s’investissent dans le secteur.

7 La position du tourisme dans le dessein politique global du régime ainsi que la ventilation des compétences entre les différents ministères évoluent de façon significative entre les années vingt et trente. Au cours de la première décennie fasciste, l’aspect international est privilégié car le tourisme apparaît comme un élément essentiel pour la balance commerciale ainsi que dans la promotion de l’image de la « nouvelle Italie fasciste » à l’étranger. Au cours de la décennie suivante, le tourisme est utilisé comme instrument de construction du consensus interne en vue de satisfaire les besoins des classes populaires : c’est l’époque du développement du tourisme d’État qui veut augmenter l’adhésion au régime en organisant de nombreuses activités de villégiature et d’excursions. L’un des exemples les plus remarquables de cette tendance est à chercher dans le développement des colonies de vacances.

8 La divergence entre ces deux objectifs n’est pourtant pas aussi marquée dans la réalité. Il semble plus pertinent de parler d’une approche duale. En effet, le tourisme se présente certes comme un élément essentiel pour le développement économique et la compétitivité internationale, mais il constitue également un vecteur utile pour mettre en place des campagnes de diffusion d’une culture populaire en phase avec les idéaux fascistes.

9 Que ce soit dans une perspective internationale ou dans la promotion nationale du régime fasciste, le tourisme représente un instrument et un terrain d’application des politiques de diplomatie publique développées par le régime, et conduit à la définition d’une marque de destination « Italie » dont l’objectif est de contribuer au renforcement de la crédibilité de l’Italie sur l’échiquier international.

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Les politiques touristiques dans les relations internationales, entre marketing et diplomatie publique

10 L’enquête à propos du rôle du tourisme au sein des relations internationales développées au cours du régime fasciste doit prendre en compte le fait que cette période représente le moment le plus significatif au cours duquel on raisonna en termes de territoire et en termes de tourisme comme partie prenante de l’espace public. Par la suite, après la seconde guerre mondiale, c’est une lecture du tourisme comme capacité d’accueil qui prévaudra8.

11 Les politiques du régime ne se cantonnent donc pas à augmenter les revenus tirés des flux touristiques. L’image touristique de la nation, ce que nous pouvons définir comme marque de destination nationale (« nation brand »), représente une réalité familière et d’une compréhension aisée pour l’opinion publique internationale, différente du portrait officiel qui découle des politiques mises en œuvre par le ministère des Affaires étrangères ou des autres institutions préposées à l’action internationale.

12 Au même moment, la communication touristique en Italie, à l’instar des politiques touristiques développées par la plupart des pays concurrents, se positionne pour utiliser l’impact des événements intérieurs et internationaux de façon à mettre en lumière la destination-Italie, tout en cherchant à dénigrer éventuellement les destinations concurrentes.

13 La période de l’entre-deux-guerres représente un moment particulier en matière de promotion touristique. Un lien réciproque s’instaure entre la réputation touristique et l’image externe d’un État-nation : la qualité du service rendu aux visiteurs modifie la perception dans le pays de provenance alors que la politique extérieure influence le développement touristique, en particulier en ce qui concerne la sélection des marchés émergents. Plus tard, après la seconde guerre mondiale, la pacification du cadre international et la naissance d’organismes de coopération et de dialogue modifient les modalités et les enjeux de la concurrence touristique.

14 Après la Grande Guerre, l’Italie prend position afin de bénéficier au mieux de la reprise de « l’industrie du visiteur » en jouant sur la notoriété acquise pendant la période précédente, une réputation liée au prestige de nombreux sites, image positive forgée par la tradition des voyageurs du Grand Tour9.

15 Il faut cependant souligner que l’image touristique de l’Italie souffre également d’un certain nombre d’éléments négatifs. Les carences en matière d’infrastructures apparaissent au premier plan de ces doléances : les relations de voyages composent depuis des décennies, voire des siècles, un tableau négatif qui finit par avoir un effet performatif sur les perceptions des voyageurs. Parmi les reproches récurrents émis par les voyageurs, on trouve le réseau des infrastructures bien souvent qualifié de déplorable, la propreté douteuse et le manque de professionnalisme de la part des restaurants et hôtels, la dégradation des centres historiques, le mauvais entretien du réseau hydrique, le peu d’inclination des autochtones pour l’hospitalité, en particulier au Centre et au Sud10. Les récits de voyage entretiennent un certain nombre d’images et de représentations qui nuisent à l’attractivité de la péninsule, et à laquelle le régime se fait fort de remédier.

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16 Le premier objectif des politiques touristiques lancées par le fascisme est donc celui de poursuivre l’amélioration de l’image touristique de l’Italie, une action déjà engagée par le gouvernement précédent. Il convient de souligner en creux combien l’apport potentiel de devises fortes de la part des touristes, en particulier ceux provenant d’outre-Atlantique, représente une priorité pour renforcer une économie rendue exsangue par les dépenses de guerre11.

17 C’est dans ce contexte spécifique que l’ENIT coordonne un réseau international de bureaux touristiques et de correspondants pour améliorer la pénétration des marchés étrangers, diffuser des informations récentes aux médias internationaux et suivre les évolutions de la concurrence étrangère. Pendant la première moitié des années vingt, les institutions centrales mobilisent d’importantes ressources pour être présentes dans les pays qui constituent l’essentiel de l’apport touristique et établir des canaux d’informations mis à jour en permanence pour satisfaire la demande. L’action est conduite en particulier par la direction générale du commerce, organe du ministère de l’Industrie et du Commerce, qui développe une véritable action de marketing territorial dont le but est de dépasser la simple promotion touristique pour chercher à attirer les investisseurs étrangers et relancer les échanges commerciaux avec l’extérieur. Une véritable activité de veille est mise en place. Son objectif concret est de transmettre les informations reçues mais aussi d’en recueillir par le biais d’enquêtes rapides auprès des administrations publiques, des organismes territoriaux ainsi que des sociétés privées12.

18 Ce travail d’enquête sert ensuite à transmettre des communiqués-télégrammes ou des notes de synthèses envoyés par courrier express chaque semaine aux représentations diplomatiques et aux agents commerciaux à l’étranger13. En se fondant sur cette documentation, les représentants du réseau diffusent ensuite des communiqués repris par la presse ou les autorités locales.

19 Dans le même ordre d’idée, des dépêches de propagande sont transmises de façon systématique aux paquebots italiens, et les autorités cherchent à élargir cette diffusion aux bateaux d’autres nationalités. Il s’agit d’un canal important pour la diffusion de l’information au sein des croisiéristes, des autorités locales, mais aussi d’un plus large éventail d’industriels et de commerçants présents dans les différents ports abordés. Les informations diffusées traitent des principales productions italiennes, de l’évolution des échanges, de l’augmentation des revenus de l’État, de la croissance des dépôts de l’épargne, des mouvements ouvriers, […], du trafic maritime, de l’émigration, de l’activité bancaire et de celle de certaines branches de l’administration publique14.

20 Cette attention portée à la qualité des renseignements concernant l’Italie est liée à la crainte que les sources étrangères ne rapportent des nouvelles erronées ou exagérées. Cette inquiétude, source d’un contrôle plus étroit de l’information, s’inscrit dans un contexte de suspicion vis-à-vis de la presse internationale en général, et anglo-saxonne en particulier15.

21 L’ENIT est l’organisme qui s’occupe de la propagande touristique stricto sensu. Ici encore l’objectif est celui de « combattre les campagnes diffamatoires dont l’Italie est fréquemment l’objet »16: l’organisme utilise l’ensemble des moyens mis à sa portée, des campagnes publicitaires aux articles publiés dans la presse internationale, pour valoriser les ressources du patrimoine naturel et historique ainsi que l’attractivité des séjours.

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22 Une forme indirecte de propagande est parallèlement mise en œuvre auprès d’individus ou d’institutions à la faveur des échanges universitaires entre l’Italie et le Royaume-Uni, de la collaboration avec des associations européennes, des visites organisées pour des journalistes ou des responsables politiques17.

23 Cependant il apparaît rapidement que le tourisme international est susceptible de remplir une fonction nettement plus importante pour le régime, en sus de la simple contribution à la balance des paiements internationaux. Au cours des années vingt, le tourisme se diffuse de façon plus large au sein de la société, même si le niveau moyen de la consommation reste faible. La petite bourgeoisie européenne se contente des excursions relativement abordables, alors que dans certaines régions des États-Unis, elle accède à de véritables vacances.

24 L’entre-deux-guerres connaît également un fort développement des associations internationales. Cette tendance se retrouve pour le tourisme, avec la naissance en 1925 de l’Union internationale des organisations officielles de promotion touristiques (International Union of Official Travel Organisation, IUOTO), un organisme qui permet la confrontation avec les systèmes touristiques de différents pays.

25 Cet activisme de l’Italie en matière de politique de promotion touristique et territoriale à l’étranger, tel qu’il est décrit par Angelo Mariotti en 1923, correspond à un temps d’affirmation d’un État fasciste encore relativement faible au sein des nations les plus développées. La politique touristique acquiert donc le statut de « projection de la politique italienne, voire celle de l’image de l’Italie fasciste, à l’étranger »18.

26 Le régime se rend progressivement compte du lien étroit entre l’amélioration et la promotion de l’image touristique de l’Italie, dans son ensemble ou au travers d’activités spécifiques, et le renforcement de l’image de la nouvelle Italie fasciste. Cette amélioration se présente comme le fruit d’initiatives de communication et de marketing, en partie mises en valeur dans les comptes-rendus issus de l’expérience directe des voyageurs une fois de retour au pays.

27 Le contexte des foires internationales fournit un bon exemple : les stations thermales et les destinations de villégiature sont mobilisées pour mettre en avant le travail d’amélioration et de modernisation du fascisme. Le but est d’éviter que le patrimoine historique italien ne soit réduit aux beautés artistiques et que l’organisation italienne apparaisse comme compétitive par rapport aux structures développées à l’étranger19.

28 Dans la vision des autorités nationales fascistes, le tourisme international doit permettre à un nombre important de citoyens de se rendre compte directement des réalisations du régime en observant le renouveau économique, culturel et social de l’Italie. L’objectif est de promouvoir l’expérience directe des voyageurs, dont la vision serait indépendante des considérations politiques exprimées par les diplomates ou des préjudices exprimés par les journalistes et intellectuels, et par là garante d’une certaine authenticité. Ces touristes conquis doivent ensuite devenir des ambassadeurs spontanés du régime.

29 Nous retrouvons la synthèse de cette fonction attribuée au tourisme par le régime dans un article publié par le périodique Notiziario turistico de l’ENIT. Intitulé « Le visage de la vraie Italie », cet article insiste sur l’appréciation reçue par le pavillon italien lors de l’exposition internationale de Liège et développe les concepts de « renouvellement » et de « puissance » qui sont les fruits « d’une administration savamment dirigée et de l’intelligence d’un peuple qui a su se plier aux exigences de la discipline ». L’article

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entend offrir une réponse aux « critiques vis-à-vis de l’Italie et du fascisme », ainsi que prodiguer le « conseil de ne plus juger l’Italie seulement comme la terre du soleil, gardienne jalouse d’un patrimoine antique »20. La presse étrangère, à l’image du Journal de Genève, semble approuver ces ambitions lorsqu’elle affirme que « le régime de Mussolini considère donc la question touristique d’un point de vue différent par rapport à celui adopté par les gouvernements différents, qui n’en faisaient qu’une question de revenus »21.

30 L’évolution du régime au cours des années trente, lorsque « l’attitude provocatrice […] devient la constante de la politique de l’Italie », entraîne un changement de politique22. Alors qu’au cours des années vingt, les politiques touristiques se tournent vers l’extérieur et s’inscrivent dans des initiatives de coordination européenne, la période successive inaugure un repli vers l’intérieur qui s’accompagne d’accords et d’échanges bilatéraux pour attirer les touristes étrangers, plus selon une logique politique que sur la base d’une évaluation technique.

31 En 1931, les institutions chargées du tourisme évoluent. Un commissariat au tourisme est créé, ce qui marque une prise de distance vis-à-vis du ministère des Affaires étrangères23. En 1934, les activités du commissariat sont déléguées au sous-secrétaire d’État pour la presse et la propagande, organe de la présidence du Conseil, alors que l’année suivante une Direction générale du tourisme est mise en place au sein du ministère pour la Presse et la Propagande.

32 En ce qui concerne les excursions, qui peuvent être définies comme une forme de voyage à bon marché par rapport à de « véritables vacances »24, c’est l’Opera nazionale dopolavoro (ONT, Œuvre nationale du temps libre) qui se charge d’organiser ce secteur conçu comme une action éducative indirecte. Le régime développe une conception sociale de l’excursion en exaltant son rôle auprès des classes sociales les plus humbles et en insistant sur la fonction de régénération physique et spirituelle nécessaire pour faire face aux conséquences du travail industriel25. Ce type de politique applique les théories relatives à la nécessité de programmer de façon saine et constructive le temps libre des travailleurs, pour contribuer à sa productivité ainsi qu’à sa participation à la vie sociale. Ces idées, apparues à la fin du XIXe siècle, ont été reprises et développées par les organisations récréatives qui se créent dans les pays industrialisés.

33 En ce qui concerne l’Italie fasciste, il s’agit non seulement de récompenser le citoyen- travailleur pour sa contribution à la production de richesse nationale et au maintien de l’ordre social préétabli, mais également de cultiver l’adhésion à l’esprit du régime. Les excursions ont souvent comme destination Rome ou d’autres lieux symbolisant l’histoire du régime. Elles représentent une occasion pour connaître et admirer le dynamisme de l’intervention du régime sur le territoire national. Elles permettent enfin la diffusion de messages idéologiques véhiculés par les monuments et les célébrations, dans le but d’accroître le consensus au sein de la population.

34 L’extension des politiques touristiques au projet d’un renforcement du consensus politique ne constitue pas un jeu à somme nulle : il ne s’agit donc pas d’une translation pure et simple d’une action dirigée vers l’extérieur à une politique interne. Les deux compétences coexistent.

35 Le potentiel du tourisme comme élément de compétitivité internationale, qu’elle soit économique avec l’attraction de devises ou bien idéologique avec l’amélioration de l’image de l’Italie fasciste, acquiert encore de l’importance lorsqu’en 1934 le pays est

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touché par une profonde crise économique liée aux conséquences de la crise de 1929 et à l’effet des sanctions internationales à la suite de l’affaire éthiopienne26.

36 À partir de 1930, l’ENIT est en outre chargé de coordonner la propagande touristique dans la presse étrangère, en instituant une commission de propagande qui s’occupe des « principales publications des peuples qui contribuent de façon majoritaire à l’augmentation du tourisme vers l’Italie : nord-américain, anglais, allemand, hongrois, autrichien, tchécoslovaque, danois, suédois, norvégien, etc. »27.

37 La compétition entre les destinations d’accueil ne ralentit pas pendant les années 1930. Cet aspect trouve une illustration dans les attaques portées au sein des colonnes du magazine Notiziario turistico de l’ENIT contre l’auteur d’un article paru dans la revue Jugoslavenski List de Sarajevo, intitulé de façon significative « Les catastrophes du tourisme italien » et qui décrit de façon négative les aléas du climat italien dans l’Italie du Nord à la fin de l’été 1930. D’après le Notiziario, cet article soutient qu’une série de catastrophes naturelles ont touché le nord de l’Italie, en particulier la Vénétie, ce qui aurait découragé les touristes de visiter cette zone. L’ENIT s’empresse de réagir par un communiqué radiophonique daté du 11 septembre 1930, qualifiant ces informations de « vulgaires mensonges », « blagues ridicules » et « concurrence déloyale »28. Le communiqué publié dans le Notiziario se termine sur un ton assez menaçant à l’égard de la Jugoslavenski List, en mélangeant revendications politiques et agressivité commerciale : Rappelez-vous, et prenez-en bonne note, qu’existent des Italiens prêts à tout oser pour la grandeur et la défense de la Patrie : mais oser à la lumière du jour, en ne cachant pas son visage et non pas avec les méthodes yougoslaves : ici on ne travaille pas dans l’ombre ; les pelotons d’exécution font sentir le goût du plomb fasciste seulement dans le dos des terroristes et des traîtres : et ces derniers, nous le savons, tirent leurs inspirations de sources bien connues !29

38 La poussée autarcique promue au même moment par le régime touche le tourisme dans les années trente. On trouve une illustration de cet aspect dans la directive du ministère de l’Intérieur qui, en septembre 1930, rappelle à l’ordre les autorités à propos de la nécessité de ne pas encourager les voyages touristiques en groupe à l’étranger organisés par les organismes étatiques ou para-étatiques ainsi que par les organisations officielles du Parti national fasciste30.

39 Les motivations de cette interdiction sont édifiantes : Premièrement car notre pays offre déjà un large choix de beautés naturelles, monuments, antiquités, œuvres d’arts […]. Deuxièmement car les voyages à l’étranger reviennent à la fin à procurer un avantage pécuniaire pour les activités industrielles et commerciales étrangères aux dépens de celles d’origine nationale […]31.

40 Les préfets se voient donc enjoindre de recommander aux organisateurs de voyages en groupe de recourir aux services d’agences touristiques italiennes, en particulier à la Compagnia Italiana Turismo, car « elles n’ont rien à envier à celles de l’étranger »32.

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La nouvelle Italie fasciste et le tourisme international : tentatives de création d’une marque de destination- pays

41 En ce qui concerne la propagande du régime, il faut souligner que celui-ci se présente dès le départ comme promoteur d’une nouvelle approche qui vise à libérer le potentiel de l’Italie et à moderniser le pays. Le fascisme met en œuvre un processus qu’il présente comme une redécouverte des caractères originels italiens en utilisant les mythes de la romanité et de l’Italie comme berceau de la civilisation occidentale sans trop s’embarrasser de la véracité de la reconstruction historique. En parallèle, il met en scène la transformation de l’Italie, en exaltant une action mythique et poétique à l’enseigne des valeurs de la modernité, de la technologie et du renouveau.

42 Lorsque ces messages sont transmis à la presse étrangère, ils insistent sur les bénéfices de l’action de régénération entreprise par la nouvelle politique mussolinienne. En effet, même si l’exaltation du passé impérial romain est bien présente, c’est l’importance de la dimension contemporaine au sein de l’identité nationale que cette politique cherche à renforcer. Le mouvement touristique est perçu comme un filon, puisqu’il représente « un élément très important de propagande et de valorisation vis-à-vis des étrangers pour l’Italie fasciste, ses œuvres, ses réalisations, sa puissance impériale conquise sous la direction du Duce »33.

43 Le matériel promotionnel élaboré pendant les années vingt reprend l’histoire et les traditions des différentes localités, traitées en insérant de nombreuses références aux symboles du passé liés à l’appareil idéologique fasciste (la période romaine avant tout) ou à des lieux qui correspondent à des événements significatifs pour la mise en place du régime et ses activités.

44 Le programme d’activité des différentes sections de l’Opera Nazionale Dopolavoro34 peut être analysé par l’étude de la documentation relative à la section de la Versilia en 1936-1937. Il fait la part belle aux excursions à Rome, particulièrement lors d’événements significatifs pour les autorités, comme l’anniversaire de l’Empire. L’Exposition nationale des colonies d’été et de l’assistance à l’enfance du Parti national fasciste (Mostra Nazionale delle Colonie Estive e dell’Assitenza all’Infanzia, PNF) qui se déroule en août 1937 dans la capitale, offre également aux participants la possibilité de « visiter de façon commode et pour un prix modique l’auguste cité des Césars »35.

45 Les répercussions de la crise économique internationale de 1929, à la suite de l’effondrement de Wall Street, se combine pour l’Italie avec des phénomènes de réorganisation économique interne. Ces transformations poussent le régime à surenchérir à propos du thème du renouveau, de façon à rassurer les milieux touchés par la conjoncture, mais également afin d’accompagner les mesures prises par le gouvernement pour assainir l’économie : […] pour conceptualiser le type de transformation institutionnelle qui devait accompagner la réorganisation économique, les fascistes substituèrent le vocabulaire de la mobilisation en temps de guerre par les métaphores de la modernité industrielle36.

46 Le secteur du tourisme reflète donc lui aussi l’apparente contradiction de l’idéologie fasciste, qui promeut à la fois les références au culte de la tradition italienne, romaine en premier lieu, et le modernisme futuriste. Cette contradiction s’exprime dans

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l’opposition entre mouvements intellectuels qui s’inspirent d’une vision antithétique du rapport entre passé et modernité37.

47 En ce qui concerne ce secteur du tourisme en particulier, cette tension entre renouveau et tradition semble résolue par le recours à un schéma commun à l’ensemble des différentes formes de promotion : la présentation du patrimoine traditionnel s’accompagne de nouvelles typologies d’attractions qui rappellent les réalisations du régime, comme la réalisation d’infrastructures technologiques ou sportives. Cette nouvelle orientation de l’offre touristique est illustrée par une circulaire du secrétariat d’État pour la Presse et la Propagande envoyée aux responsables des organisations touristiques ainsi qu’aux préfets en 1935 : elle contient des recommandations à propos de la reprise du programme des « trains populaires » et souligne l’opportunité d’organiser des manifestations spéciales pour mettre en valeur les produits typiques de l’agriculture, des industries et de l’artisanat local en présentant également les usines les plus importantes ainsi que les principales infrastructures publiques du régime38.

48 La promotion de certaines structures technologiques ne date certainement pas de cette période, elle s’inscrivait alors dans le cadre générique des « merveilles », à la manière de n’importe quelle curiosité naturelle. Au cours de la période étudiée ici, en revanche, les messages promotionnels adoptent un schéma de propagande en évoquant d’abord les traditions du territoire et le caractère authentique de l’expérience touristique pour ensuite mettre l’accent sur le caractère moderne des localités présentées grâce à l’intervention du régime. Les innovations technologiques, les nouvelles constructions ainsi que la possibilité de s’adonner à des loisirs du dernier cri sont alors mises en avant.

49 Afin d’assurer la promotion des « beautés et attractions de la rivière de la Versilia », une zone touristique très en vogue sous le fascisme, un film est réalisé à la fin des années trente par l’Istituto Luce, la régie cinématographique du régime. Les images soulignent la nouveauté de l’offre en matière de loisirs avec la possibilité de pratiquer le ski nautique, les plongeons depuis un tremplin, le tennis sur des courts « vastes et parfaits » réalisés à proximité des pinèdes ainsi que le patinage à roulettes39.

50 D’autres événements concourent encore à mettre en évidence l’image d’une Italie en marche vers le progrès, à l’avant-garde de la technologie, efficace et bien organisée : le baptême d’un nouveau navire militaire40, ou bien l’inauguration d’une station de ski moderne41 sont à ce titre exemplaires. Dans ce cadre, il ne faut donc pas s’étonner du rôle central attribué au tourisme automobile qui apparaît comme une expression de ces tendances modernes. Il représente l’élément principal du programme des événements touristiques dans de nombreux lieux de villégiature à la mode, comme l’illustre le dépliant des manifestations de l’été 1932 à Viareggio42. Dans ce même ordre d’idée, il est à noter que le tourisme aérien est soutenu par les plus hauts représentants des institutions43 et par des organismes comme la Compagnie italienne pour la propagande du tourisme aérien (Compagnia italiana per la propaganda aereo-turistica). L’importance de cette forme de tourisme est confirmée par exemple par la politique observée en Versilia où le préfet intervient directement pour que les collectivités locales, malgré leurs problèmes financiers, débloquent des fonds pour le développement du tourisme aérien à Torre del Lago44.

51 Même si le régime ne manque jamais l’occasion de procéder à une exaltation nationaliste des gloires du passé, la modernité et le progrès sont également deux leitmotive de l’opération de valorisation de la destination-Italie mise en place par le

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fascisme. Le développement de ces concepts semble inséparable d’une volonté d’encadrer les forces sociales et culturelles au sein de l’idéologie du régime.

Conclusion

52 La présentation d’une synthèse des contenus et des principales évolutions des politiques touristiques développées par le fascisme permet d’analyser les sphères d’action de la diplomatie publique ainsi que le processus de création et de promotion d’une marque de destination-Italie, conformément au concept de nation branding.

53 Le régime conçoit le développement touristique national suivant des objectifs multiples : les paradoxes ne sont pas absents, les politiques n’apparaissent pas toujours cohérentes. Il faut peut-être y lire les rythmes de la construction et de l’affirmation du régime fasciste, confronté en matière de tourisme aux aléas de la conjoncture et à des impératifs variés. Cet aspect rend l’analyse parfois complexe car des aspects contradictoires apparaissent. C’est ce que révèle notamment l’examen de la « double voie » suivie par le tourisme. D’un côté, le tourisme apparaît comme l’élément clé d’une stratégie de compétitivité internationale, dans laquelle les autorités souhaitent provoquer l’apport de devises étrangères. Il s’agit également de cultiver une image positive de l’Italie, et par là du régime, en travaillant à l’amélioration de l’image touristique. Cette stratégie vise à augmenter l’attractivité internationale de l’Italie, dans un contexte de concurrence croissante où la maîtrise de l’information est un impératif crucial. D’un autre côté pourtant, la fonction de cohésion sociale du tourisme est également développée dans le but de contribuer au consensus interne. Ces deux objectifs concomitants expliquent la multiplication des acteurs et des initiatives, dont la multiplicité semble parfois nuire aux efforts d’attractivité car elle conduit à l’éparpillement des actions.

54 Cette interprétation est confirmée par les données concernant les flux de personnes : le nombre d’étrangers qui entrent en Italie (annexe 1, tableau 1) augmente fortement dans la seconde moitié des années trente. La compétitivité croissante de la destination- Italie paraît ainsi confirmée. Elle est à porter au crédit des activités de promotion mises en place par le régime et qui semblent se traduire par une plus grande attractivité de la péninsule. Le détail des données à propos des nuitées touristiques (annexe 1, tableau 2) montre cependant que l’évolution des présences nationales et internationales est analogue, ce qui permet de rappeler que la demande fluctue de façon globale en fonction de phénomènes économiques et politiques importants tels que les conséquences de la crise de 1929 ou l’impact des sanctions internationales à la suite de la guerre en Lybie. L’analyse de ces flux permet de confirmer que les activités de promotions du pays sont destinées à la fois au marché intérieur et international, sans qu’un aspect ne soit véritablement privilégié.

55 Quelques années plus tard, la guerre met à mal les structures et la réputation de l’Italie. Elle conduit à un aggiornamento de la fonction du tourisme dans le cadre de la politique intérieure ou étrangère de la nation, avec la réforme des structures organisatrices. Au sein du nouvel ordre international pacifique qui s’instaure après 1945, la République italienne reprend les initiatives de propagande et de communication touristiques expérimentées pendant le Ventennio fasciste en modulant les messages et les contenus pour correspondre au climat démocratique. Les politiques de promotion de la

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destination-pays mises en place sous le fascisme apparaissent alors comme un héritage dont les effets sont encore perceptibles de nos jours.

ANNEXES

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Tableau 1. Total des flux de touristes étrangers qui séjournent en Italie de 1931 à 1942, présentés suivant les moyens de transport et la durée des séjours

Source : Marco Avancini, « La statistica turistica nella sua importanza e nei suoi obiettivi d’indagine », dans Camera di Commercio Industria e Agricoltura di Genova, Problemi del turismo : memorie e note presentate al primo congresso nazionale del turismo (Genova, 15-19 maggio 1947), Gênes, Pagano, 1947, p. 342.

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Tableau 2. Flux totaux de voyageurs basés sur les déclarations des structures réceptives aux autorités de sécurité publique de 1931 à 1940

Source : Marco Avancini, « La statistica turistica… », art. cit., p. 344.

NOTES

1. Marc Boyer, Histoire du tourisme de masse, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1999, p. 126 ; Franco Paloscia, Il turismo nell’economia italiana : dall’Unità d’Italia a oggi, Rome, Agra, coll. « Scenari & ricerche », 2004, p. 288 ; Patrizia Battilani, Vacanze di pochi, vacanze di tutti. L’evoluzione del turismo europeo, Bologne, Il Mulino, coll. « Le vie della civiltà », 2009, p. 416 ; Annunziata Berrino, Storia del turismo in Italia, Bologne, Il Mulino, coll. « Le vie della civiltà », 2011, p. 344. 2. Dans le cas italien, il convient de souligner l’efficacité de l’action du Touring Club Italiano. Cet organisme promeut la pratique des excursions et des vacances. Les nombreux guides et publications de voyages qu’il publie deviennent progressivement des références incontournables pour les touristes visitant l’Italie. Voir Emanuela Scarpellini, L’Italia dei consumi. Dalla Belle Époque al nuovo millennio, Bari, Laterza, coll. « Quadrante », 2008, p. 326. 3. Au cours de l’après-guerre, la dénomination change pour Ente nazionale italiano per il turismo, ce qui accentue le caractère national sans toutefois modifier l’acronyme original. 4. Regio decreto 12 ottobre 1919 no 2099, publié dans la Gazzetta Ufficiale, no 276, 22 novembre 1919, p. 3473-3475. 5. Les mutations les plus significatives dans l’organisation touristique italienne s’opèrent par la loi du 29 mars 2001. Voir Legge 29 marzo 2001 no 135, « Riforma della legislazione nazionale del turismo », Gazzetta Ufficiale, no 92, 20 avril 2001, p. 23-40 ; aujourd’hui, la principale référence normative est constituée par le Code du tourisme promulgué par un décret du 23 mai 2001. Voir Decreto Legislativo 23 maggio 2011 no 79, Gazzetta Ufficiale, no 129, 6 juin 2011, Allegato 1. 6. Regio decreto legge 15 aprile 1926 no 765, Gazzetta Ufficiale, no 112, 15 mai 1926, p. 2066-2068.

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7. Regio decreto legge 20 giugno 1935 no 1425, Gazzetta Ufficiale, no 182, 6 août 1935, p. 3978-3980. 8. Annunziata Berrino, « Dinamiche istituzionali e organizzazione del turismo in Italia nel Novecento. La nascita delle Aziende autonome e le politiche di sviluppo territoriale tra le due guerre », intervention présentée lors du colloque Convegno Sissco Cantieri di Storia III. La Storia contemporanea in Italia oggi : linee di tendenza ed orientamenti di ricerca, Bologne, 22-24 septembre 2005, p. 1. 9. Attilio Brilli, Il viaggio in Italia. Storia di una grande tradizione culturale dal XVI al XVII secolo, Milan, Silvana Editoriale, 1987, 318 p. ; Cesare De Seta, « L’Italia nello specchio del Grand Tour », dans Storia d’Italia, t. V, « Il paesaggio », Turin, Einaudi, 1982, p. 127-263. Voir aussi, en français, Gilles Bertrand, Le Grand Tour revisité. Pour une archéologie du tourisme : le voyage des Français en Italie, milieu XVIIIe - début XIXe siècle, Rome, École française de Rome, 2008. 10. La presse internationale interprète fréquemment le mécontentement de voyageurs, célèbres ou non, lors de leurs pérégrinations en Italie. Le New York Times du 4 juin 1922 publie par exemple le courrier d’un lecteur, Earnest Elmo Calkins, qui synthétise les principaux griefs vis-à-vis du système touristique italien. Earnest Elmo Calkins, « Foreign travel. Details of hotel and transportation charges on trip through Italy, France, etc. », New York Times, 4 juin 1922, p. 97. 11. À la veille des élections de 1921, s’adresse à l’Associated Press pour rassurer l’opinion publique nationale à propos des progrès de l’économie italienne, malgré les sacrifices et les problèmes de l’après-guerre. Dans cette déclaration il rappelle que l’apport en devise du tourisme international avant le premier conflit mondial était estimé à 120 000 000 de dollars par an. « Giolitti gaining as election nears », New York Times, 12 mai 1921, p. 3. 12. Angelo Mariotti, L’industria del forestiero in Italia, Bologne, Zanichelli, 1923, p. 28. 13. Ibid. Mariotti cite certains pays concernés par cette initiative : Suisse, France, Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne, Allemagne, Danemark, Égypte, Grèce, Roumanie, Brésil. Le service sera ensuite étendu à d’autres pays. 14. Ibid. 15. Ibid., p. 30. L’auteur cite une lettre du chef de la délégation commerciale à Londres datée du 16 juillet 1922, dans laquelle ce responsable affirme que ces communications ont eu une influence positive sur le ton général de la presse anglaise lorsqu’elle traite de la situation économique de l’Italie et de ses efforts constants pour un retour à un nouvel équilibre économique. Des considérations similaires sont exprimées également par le chef de la délégation commerciale à New York. 16. Ibid., p. 131. 17. Angelo Mariotti, L’industria del forestiero in Italia…, op. cit., p. 36. 18. Enzo Collotti, Fascismo e politica di potenza. La politica estera 1922-1939, Florence, La Nuova Italia, coll. « Biblioteca di storia », 2000, p. 31-32. « La période de 1922 à 1929 peut être considérée comme une période de préparation, voire même d’apprentissage […]. La politique étrangère de l’Italie fasciste cherche prudemment à consolider des positions précédemment acquises […] plutôt que de s’orienter vers l’ouverture de nouveaux horizons ». De 1922 à 1929, c’est Mussolini lui-même qui exerce la fonction de ministre des Affaires étrangères. 19. « Lettera del Presidente dell’Associazione nazionale dei comuni di cura ai Sindaci dei comuni di cura riguardante la partecipazione all’Esposizione internazionale del turismo di Grenoble, 9 aprile 1925 », Viareggio, Archivio del Centro documentario storico del Comune di Viareggio, Faldone « Turismo » (secc. XIX-XX). 20. ENIT, Notiziario turistico, no 25 del 1 settembre 1930. 21. Extrait d’un article paru sur le Journal de Génève cité dans Notiziario turistico, no 24, 21 août 1930. 22. Enzo Collotti, Fascismo e politica di potenza…, op. cit., p. 35. 23. Regio decreto legge 23 marzo 1931 no 371, Gazzetta Ufficiale, no 107, 9 mai 1931, p. 2023.

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24. Victoria De Grazia, Consenso e cultura di massa nell’Italia fascista. L’organizzazione del dopolavoro, Rome-Bari, Laterza, 1981, p. 209. 25. Opera nazionale dopolavoro, L’attività dell’Opera nazionale dopolavoro fino al 31 dicembre 1929, Rome, Tipografia del Littorio, 1930, p. 15. 26. Le gouvernement veut favoriser l’arrivée de touristes étrangers et adopte un décret-loi pour exempter ceux-ci des taxes de séjour lorsqu’ils utilisent les bons hôteliers émis par la Federazione Nazionale Fascista Alberghi e Turismo (regio decreto legge 26 settembre 1935 no 1980, « Agevolazioni a favore dei turisti stranieri per quanto riguarda il pagamento delle imposte di soggiorno e di cura », Gazzetta Ufficiale, no 276, 27 novembre 1935, p. 5494). 27. ENIT, « Catastrofe del turismo italiano », Notiziario turistico, no 26, 18 septembre 1930, p. 7. 28. Ibid. 29. Ibid. 30. Archivio di Stato di Lucca, fondo Gabinetto della prefettura, faldone n o 252, Lettera del ministero dell’Interno ai prefetti, 13 septembre 1930. 31. Ibid. 32. Ibid. 33. « Il Duce fissa le direttive al turismo italiano », La Stampa, 15 décembre 1936, p. 2. 34. L’Opera Nazionale Dopolavoro est une association instituée en 1925 par le régime fasciste et qui est directement contrôlée par Mussolini. Son objectif est d’organiser le temps libre des travailleurs. 35. Archivio di Stato di Lucca, fondo Gabinetto della prefettura, faldone n o 338, Lettera del Presidente del Dopolavoro provinciale di Lucca ai Presidenti dei Dopolavoro operanti nella provincia, 18 août 1937. 36. Victoria De Grazia, Consenso e cultura di massa…, op. cit., p. 16. 37. C’est ainsi que des mouvements de promotion des villes, Stracittà, et des campagnes, Strapaese, apparaissent comme antagonistes. Voir Luciano Troisio (dir.), Le riviste di Strapaese e Stracittà. Il Selvaggio - L’Italiano -’900, Trevise, Canova, 1975, p. 379. 38. Archivio di Stato di Lucca, fondo Gabinetto della prefettura, faldone n o 309, Circolare del Sottosegretario per la Stampa e la Propaganda, 20 mai 1935. 39. Istituto nazionale Luce, « Bellezze e richiami della riviera versiliese », film N&B de la fin des années trente, disponible en ligne sur le site de l’Istituto Luce, http://www.archivioluce.com/ archivio/, consulté le 15 janvier 2014. 40. Istituto nazionale Luce, « L’Italia sul mare. Alla Spezia è stato varato il sommergibile “Ametista” di tipo costiero, da 640 tonnellate », Cinegiornale Luce B, 04/1933, film N&B disponible en ligne sur le site de l’Istituto Luce, http://www.archivioluce.com/archivio/, consulté le 15 janvier 2014. 41. Istituto nazionale Luce, « L’inaugurazione della funivia del Fraiteve », Cinegiornale Luce B, 26 janvier 1938, disponible en ligne sur le site de l’Istituto Luce, http://www.archivioluce.com/ archivio/, consulté le 15 janvier 2014. 42. Centro documentario Storico del Comune di Viareggio, faldone Turismo (secc. XIX-XX), brochure de programme des manifestations estivales de 1932. 43. « Il turismo aereo in un discorso di S.E. Valle », La Stampa, 28-29 janvier 1935, p. 1. 44. Archivio di Stato di Lucca, fondo Gabinetto della prefettura, faldone n o 280, Lettera del Commissario Straordinario dell’Azienda autonoma della « Riviera della Versilia » al Prefetto di Lucca, 4 janvier 1934.

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RÉSUMÉS

L’article analyse le rôle des politiques touristiques fascistes en relation avec les activités de diplomatie publique et de création d’une marque de destination « Italie ». Ce secteur est particulièrement important pour consolider une image positive ou négative d’un pays dans l’opinion publique internationale. Après avoir présenté une synthèse des principaux éléments du système institutionnel touristique fasciste, la recherche se concentre sur le lien entre les relations internationales et le développement du tourisme, en soulignant les différences et similitudes entre les politiques touristiques menées dans les années vingt et dans les années trente. À cette époque, l’Italie est développée comme une image de marque, une opération de construction de la représentation de la nouvelle Italie fasciste mise en place au travers de la stratégie de communication publique du régime.

This essay analyzes the place of tourism within the Italian fascist regime’s public diplomacy and national branding. The sector was especially important for consolidating a positive (or negative) image of the country on the international stage. After summarizing the main elements of the international system of fascist tourism, the paper addresses the link between international relations and the development of tourism, comparing the 1920s and the 1930s. The construction of a national brand during these years marked the representation of a new fascist Italy defined by the regime’s communication strategy.

INDEX

Mots-clés : tourisme, fascisme, diplomatie publique, création d’une marque-nation, communication publique Keywords : tourism, fascism, public diplomacy, national branding, public communication

AUTEUR

ELISA TIZZONI Elisa Tizzoni est docteur en histoire contemporaine à l’université de Pise et chercheur associée en géographie à l’université de Florence. Elle a soutenu en mars 2011 une thèse de doctorat sur l’histoire des politiques touristiques au xxe siècle. Ses recherches actuelles portent sur les aspects institutionnels des politiques touristiques, sur l’histoire culturelle ainsi que sur la gestion des ressources territoriales. [email protected]

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Catholic Italy and Post-Colonial Africa: the New Subjects of an Informal Commitment in the 1960s

Paolo Borruso

Vatican II, Italy and the “new Africa”

1 This paper focuses on an important aspect of Italy’s relations with Africa. In the early 1960s, the independence process in Africa posed new challenges to Italian foreign policy and also favored non-institutional actors who provided renewed momentum to the Vatican and a growing presence throughout the continent. Both traditional missions and the Catholic laity showed their commitment, and they worked together or individually, with different or shared inspirations and objectives. As the seat of the papacy, Italy as a “Catholic nation” has its own specificity and a noticeable presence of Catholicism throughout society.

2 Vatican II was opened by John XXIII in Rome on 11 October 1962. Immediately it was clear that it would have international as well as religious and ecclesiastical significance.1 Its convocation, and the radio message sent by the pope to the opposing powers, helped settle the Cuban Missile Crisis, which threatened to undo the recent detente and possibly trigger a nuclear war. The international situation was marked not only by the Cold War but also by decolonization, which began in Africa in 1956 with the independence of Morocco, Tunisia and Sudan, which was followed by that of Ghana in 1957 and that of eighteen other countries in 1960, the “year of Africa.” In July 1962 the long war of independence in Algeria, which began in November 1954, finally came to an end.

3 The presence of African ecclesiastical figures in Rome was something totally new. The media covered them not only as a visible group, albeit a minority one, but also because they represented a arising from the ashes of European colonialism. “New Africa” was represented by a significant number of attendees. The meeting on 23 October was attended by 2,381 churchmen; 273 came from Africa. Many were

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Europeans, but there also were 77 African natives, 67 Latin American bishops and ten Copts. Eleven percent of the participants represented a continent whose Catholic population accounted for 4.6 percent of the world’s Catholics. Only thirteen of them, including seven African natives, became members of council commissions (seven were elected and six appointed by the pope) compared to 132 European members. Although the majority of the African bishops were Europeans, 61 were black, coming from 24 countries. Among the most authoritative were Zairean Joseph-Albert Malula, subsequently elected to the Liturgical Commission; Belgian Jan van Cauwelaert, vicar in the Democratic Republic of Congo since 1954; Dutchman Joseph Blomjous, bishop of Mwanza in Tanzania; South African Denis Hurley, archbishop of Durban; South African Emmanuel Mabathoana, a grandson of the founder of the “Basotho nation” (the former name for Lesotho) and expert on Bantu philosophy; and the Tanzanian Laurean Rugambwa, who in 1960 became the first African to be appointed cardinal.2

4 At the council, which was continued by Pope Paul VI after John XXIII’s death in June 1963, the African bishops discussed issues related to independence. Jean Zoa, archbishop of Yaounde (Cameroon) since 1961, highlighted the value of human dignity.3 This subject was promoted by other prelates too, such as Malula and the Mozambican Sebastião Soares de Resende, bishop of Beira, who spoke about racial discrimination and ethnic clashes, and the need for women’s dignity and social justice.4 Other members, such as Paul Zoungrana, archbishop of Ouagadougou (Burkina Faso), tackled the issues of economic, social and political development.5 Without hiding the complexity of the different issues and the difficulties of intervention in such different contexts, they hoped to be able to keep a balance and that the increasing role of the Church might help preventing recourse to violence. With regard to South Africa, Hurley’s address in October 1965 did not rule out conflicts with civil authorities for the defense of rights and religious freedom.6

5 The council revealed a new, global Church, and the African episcopate’s high expectations were overt.7 In October 1964 Paul VI canonized twenty Catholic martyrs from Uganda. This was a noteworthy event in a context marked by difficulties encountered by missionaries in independent Africa. It was the dawn of an era for missionaries, who faced new political situations arising from the ashes of colonialism but also inescapable problems. During the 1960s, the missionary presence and the future of African Christians were affected by violence and persecution.8 Missionaries’ challenges, addressed for the first time in a council, were reflected in the decree Ad Gentes, issued on 7 December 1965, when the Second Vatican Council was about to end, and significantly promoted by the African bishops.9 Taking inspiration from the basic contents of the twentieth-century encyclicals Maximum illud, Rerum Ecclesiae, Evangelii Praecones, Fidei Donum and Princeps Pastorum , the document restates that the “missionary nature” is an essential dimension of the Church. It also provides a new vision and perspective of missionary activity. The Church eliminated its overriding identification with “European civilization,” driven by its desire to maintain dialogue with native cultures, and it set evangelization as the primary goal of missionary activity.10 Based on this document, Pietro Rossano noted that the reflection on the relations between African culture and the Gospel was still in its initial stages and that innovations would result from the proclamation of the Gospel.11 In the 1980s, the Cameroonian Jesuit Engelbert Mveng, who was murdered by an unknown assailant in 1995, stressed the importance of the openness of African cultures to receive the Gospel message. Highlighting the traditional connection between the Holy Scriptures and

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Africa from the story of , he saw the proclamation of the Gospel as the fulfillment of Africa’s deepest aspirations.12 The decree also recalls the theme of laymen’s apostolate, already addressed in the Apostolicam Actuositatem of 18 November 1965, and opens new paths of missionary commitment beyond traditional religious congregations.13 These positions marked a significant change for the “new Africa.”

6 The council had a significant impact on Italy in its dimension as Catholic nation and home to the papacy.14 This dimension went beyond state-church relations; it was a cross-cutting issue for those components of civil society open to listening to the council’s message. After the last trace of Italy’s colonial legacy, Somalia, was removed in 1960 and the ruling political class began to deal with more global processes, such as African decolonization, Italian Catholics showed renewed enthusiasm towards Africa15. With regard to foreign affairs, there was increasing attention to the processes of independence, such as in Algeria (1962) and to the Congolese crisis in 1961, with the massacre of Kindu, where thirteen Italian airmen working for the United Nations were killed.16 It is especially important to recall in this context the activity of the Christian Democrat Mario Pedini, who put all his efforts in the 1960s toward the foundation of the European African Association, provided for by the Treaties of Rome in 1957.17 The events concerning new Africa were also reflected in several Catholic journals, especially due to the role played by leading members of the Church including the archbishop of Algiers, Leon-Etienne Duval, who promoted a model of multiracial and multireligious coexistence for Algerian independence and overtly denounced the use of torture by French authorities.18 Scholars such as Ettore Passerin d’Entreves analyzed the Algerian question.19

Missionary networks: between renewal and challenges

7 The new sensitivity of the council primarily concerned missionaries in the context of decolonization.20 The first efforts focused on what in the 1960s came to be called emerging countries (EC). The most emblematic case was that of the Combonian Missionaries of the Heart of Jesus, heirs of Daniel Comboni, who were entirely devoted to Africa. The council represented a turning point in the Combonians’ commitment in the different African regions where they were present. This was reflected by the magazine Nigrizia, which reported on events including the increase in the number of African episcopates. In May 1960, attention focused on the tragedy of apartheid in South Africa and on the massacre carried out by local policemen against black demonstrators in Sharpeville.21 The magazine also gave room to influential scholars, who analyzed specific contexts or movements concerning the fight for independence, such as the Africanist historian Teobaldo Filesi, who recalled the developments of Pan- Africanism and revealed the basic contradiction between unattainable hopes and historical situations.22 In October 1961 the Combonians organized a conference in called “Africa and contemporary civilization,” which was attended by artists and scholars from Africa, Asia and the West. At the meeting, Africa was analyzed from a perspective of equality.23 Between 1962 and 1965, Nigrizia became a key Catholic observatory of African “rebirth” in the context of the council; the publication saw the council as a marking an era of new communication between Christianity and African cultures, in terms of culture and values.24

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8 After the council there was increasing interest in the creation of a “black” theology arising from a new idea of Africanness. The study of African cultures, in the perspective of a dialogue with Christianity, was fostered by the Combonian missionaries, as is clear from the attention paid by a young Franciscan, the Congolese François Marie Lufuluabo, to the meeting of Christianity and Bantu culture.25 The key issue concerned a new conception of the presence of the Church in post-colonial Africa in terms of cooperation with national governments, despite ideological pressures such as nationalism or socialism.26 The Combonians’ remarks and interests seemed to go beyond traditional missionary issues, although they felt the need to review the methods of evangelization and of missionaries’ role. One of the issues was to face underdevelopment and support efforts to reduce the gap between Africa and Europe, renewing the perspective opened by the Treaties of Rome in 1957 with the European African Association.27 In the opinion of Louis-Paul Aujoulat, known for his medical commitment in Africa and for being the founder of Ad Lucem, health and medical care remained areas influenced by Christianity.28 Among the subjects studied by Africanists were changes in the structure of African societies such as the institution of the family, affected by modernization resulting from development, and polygamy, challenged by women’s growing emancipation with independence.29

9 The Xaverian Brothers also considered the Second Vatican Council to be an occasion to discuss the role of missions in a deeply changing historical context and in the perspective of “Christianization of cultures.”30 Operating in Congo and Sierra Leone, the Xaverians are particularly attentive on taking roots in the areas targeted by missionaries, especially at the cultural and religious level.31 Along with other missionary organizations, they participated in weeklong meetings devoted to missionary studies, which began at the Università Cattolica in Milan in the 1960s. There they discussed political, social and religious transformations in the new Africa and the emerging role of Catholic laymen.32 The theme of laity was seen to be highly urgent also by representatives of the young African Churches, such as the Congolese Joseph Malula, the then auxiliary bishop of Leopoldville.33 In light of the council, the independence processes were considered to constitute a “kerygmatic period”, favorable to the proclamation of the Gospel message and to the evangelization of African cultures that called for evangelization of African cultures, especially in relation to those contexts characterized by exacerbated nationalism and the emergence of phenomena that Catholics perceived as deviance such as non-Catholic sects that apparently spread and disseminated beliefs not only against Catholicism but also against the presence of non- African foreigners34. Amidst the issues faced by in the post-council period, the martyrdom of missionaries who were persecuted or killed in the processes of independence remained and was dealt with not only as an example of faithfulness to the Gospel message but also in relation to missionary-relevant aspects, namely as a means of evangelization.35 The Xaverians stressed the importance of renewing missionary culture and rediscovering the missionary and ecumenical image of the of the Second Vatican Council; as was stated in Fede e Civiltà (“Faith and Civilization”): “The mission is the exercise of catholicity” aimed at rootedness in every culture and civilization.36

10 The new African scenarios, with their tensions and crises, fiercely challenged missionaries’ efforts. In 1964 four Combonian missionaries –Remo Armani, Lorenzo Piazza, Evaristo Migotti and Antonio Zuccali– were murdered in the crisis of Congo.

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Expelled from Sudan in 1962 during the civil war, when Southern Christian fringes of the army fought against Northern Islamic forces, the four missionaries were sent to Congo to establish an early presence of Combonian missionaries. It was a time of serious and violent unrest caused by Simba rebels as a result of Patrice Lumumba’s murder and the secession of Katanga, led by Moise Tschombe, in January 1961. Abbot Attanasio Joubert, the son of a Breton man and of an orphan hosted in the Mpala mission who become priest of the diocese of Kasongo, died along with the four. One of the few Combonian missionaries remaining in Sudan, the Sudanese priest Barnaba Deng, was murdered by the national army in August 1965 in the first civil war (1955-1972) between the North and the South.37 Also three Xaverian missionaries – priests Giovanni Didonè and Luigi Carrara and the young layman Vittorio Faccin– were murdered in Congo on 28 November 1964 by Simba rebels, who accused them of espionage and collaboration with the government army.38 The missionaries’ work was considered to undermine traditional practices of witchcraft, which were used as means of coercion against local populations and a source of income for those who practiced it. 39 Near Niangara, the priest Claudio Frini and all local Dominican and Augustinian missionaries were ambushed; they were tortured, forced to dance naked and thrown into a river and eaten by caimans.40 Maria Angela Di Schiena, a Franciscan Missionary of Mary, was murdered by Simba rebels in Stanleyville on 25 November along with fifteen more nuns and nine fathers, mainly from Belgium; Francesco Spoto, a Servant of the Poor, was beaten to death in Biringi one month later, on 27 December.41 The missionaries justified their stay, despite the dangers, not only by their faithfulness to their work but also by their attempt to provide an image of missionaries different from Western and colonial stereotypes.42

11 Despite the harsh challenges they faced, the missionary institutes created a network of interests and perspectives through which Italian public opinion, not only the Catholic one,43 perceived a new image of Africa, free from colonial stereotypes. This context also accommodated the figure of Giuseppe Ambrosoli, a Combonian doctor known for his work at the Kalongo hospital in Uganda from 1956 to 1987. His work became a benchmark for central East Africa as a whole, and in 1963 he was awarded the Doctors Mission Prize, established by the Carlo Erba Foundation. In Kalongo in the late 1960s he personally experienced the issues of famine, reporting the ineffectiveness of Western policy to support developing countries over that decade and calling for the development of more suitable economic strategies at the global level.44

The vitality of the Catholic laity

12 The council also opened new perspectives to lay Catholics, who proved especially committed to the peripheries of the world, above all in Africa. There was a lively debate on African decolonization. Along with meetings and conferences arranged by the Italian Christian Workers Association (ACLI) aimed at analyzing the causes of underdevelopment, renowned Catholic journals such as Studium, curated by graduates of Catholic Action movement, and Vita e Pensiero, owned by the Università Cattolica, published reflections of an ecclesiastical, political and social nature inspired by the encyclical addresses Pacem in Terris by Pope John XXIII (1963) and Populorum Progressio by Pope Paul VI (1967).45 The essays and articles aimed to draw attention to the

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dramatic issues raised by the two encyclicals in relation to poverty in the new countries and to seek solutions, regardless of the liberal model imposed by the Western powers.

13 As Luciano Tosi and Maurilio Guasco have remarked, the Third World drew attention from dissenting Catholics, and the question became highly politicized. Politics and religion overlapped, based on the council’s assertions on the “church of the poor,” and coinciding with the growth of left-wing parties in Italy, anti-Americanism produced by the Vietnam war and the student rebellions in 1968.46 The major interest was towards Latin America and was reflected in solidarity with the forces opposing authoritarian regimes, especially after the 1973 Chilean coup, as was the case of “Christians for Socialism,” founded in Bologna in the same year.47 Third-World issues also inspired many journals connected directly or indirectly to “Catholic dissent.” Jaca Book, founded in the context of the Gioventù Studentesca movement in 1965, published Marxist texts concerning Latin America and Africa, while the EMI (Editrice Missionaria Italiana) editions, created within the missionary context in the 1950s, sought a new concept of missionary commitment in the face of decolonization. The Catholic Church also was present in other international contexts, such as the foundation of the African Asian Bandung movement and the Non-Aligned Movement.48

14 Catholic Italy received the input of Raoul Follereau, a French journalist who started a mission for the treatment of leprosy in Africa around which one of the most popular Third World youth movements developed. The Italian Association of Friends of Raoul Follereau (AIFO) was established in Bologna in June 1961 as a result of Follereau’s appeal on the Eighth World Leprosy Day. In the 1960s, AIFO not only fought leprosy, but also committed itself to international cooperation projects, offering partnerships to missionary congregations, social and community movements, public administrations and educational institutions.49

15 This network accommodated groups and movements of lay Catholics, seen by missionaries with a widened perspective of humanitarian commitment as a key resource.50 One of the first movements to start African missions was the Focolari (“hearth”) Movement, founded by Chiara Lubich in 1943. In February 1963, a first group settled in the town of Shisong, in independent Cameroon, upon the request of the Dutch bishop of Buea, Julius Peeters, formerly a Mill-Hill missionary. In 1965 he moved to Fontem, a forest village inhabited by members of the Bangwa ethnic group, where they built the Maria Salute dell’Africa hospital, a secondary school and a parish and building complex designed to be a “citadel” of fraternity; “mission Africa” it was called by Lubich on a visit in 1966. Beyond medical treatment, the improvement of the Bangwa people’s living conditions was intended to convey and share the experience of the “hearth,” based on community living, free from religious or secular traditions. This was a unique experience that aimed at “enculturating itself” in the various African contexts.51

16 In 1964, Mani Tese was established in Milan in the environment of the Pontifical Institute for Foreign Missions (PIME). Made up of missionaries and lay young people, in a few months it became one of the most significant groups intended to raise awareness and commitment about famine and underdevelopment-related issues. It received several international awards and contributed to increase the membership of the Combonian Missionaries of , the Xaverians in Parma and the Consolata in Turin. 52 In the late 1960s, fundraising by Mani Tese allowed it to implement projects, training and educational courses. The movement enlarged its goals by studying and proposing

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“global” and “Christian” solutions to the issues of famine and underdevelopment. It tried to develop a Christian vision of development fully independent from ecclesiastical institutions but according to the principles of the Gospel, Vatican Council texts and the major encyclicals such as Pacem in Terris and Populorum progressio. Mani Tese does not preclude its membership to believers of other religions or nonbelievers. While rejecting links with political parties, it promotes work with a strong impact on society and politics. Since the late 1960s, Mani Tese has concretely operated in the field.53 Through “microprojetcs”, the movement both tackles desertification in some areas and boosts development of agricultural and human resources. The most significant initiatives were carried out in Burkina Faso (formerly Upper Volta) between 1968 and 1987, with the establishment of specialized schools in fields including agriculture, crafts and manufacturing, along with companies and cooperatives developed by machinery which was supplied.54 Mani Tese operates with the support of the lay congregation Fratelli della Sacra Famiglia, present in the territory for many years and representing a crucial communication channel with village communities.

17 Xaverian environments are linked to the International Service Volunteers Association (AVSI), which came out of Gioventù Studentesca, one of the most significant youth groups founded by priest Luigi Giussani in Milan in 1954, a promoter of cultural and charitable initiatives.55 Together with the director of Fede e Civiltà, the Xaverian Meo Elia, AVSI in the 1970s implemented the Integrated Community Center of Kiringye, in what was then Zaire. This area had plenty of resources but was marked by frequent instability. The center, based on the integration of agriculture and health care, manages the extraction of peanut oil, rice processing, the production of flour, a hospital connected to a number of health care centers, a system of schools and a school for managers, as well as a hydroelectric power station.56 The initiative aims to offer a development pilot model involving the indigenous population in a constant dialogue with the local culture, showing their ability to self-manage work in village cooperatives.

18 This network includes new ecclesiastical actors and figures, such as Vittorio Pastori, who became famous as Don Vittorione. A former restaurateur in Varese, from 1966 he became a follower of Enrico Manfredini, provost of the San Vittore basilica in Varese, who became bishop of Piacenza in 1969 and entrusted Pastori with the administrative and organizational responsibilities of the diocese. Contact with African bishops led Pastori to seek direct knowledge of the African continent. On his journeys to sub- Saharan countries including Uganda, Kenya and Tanzania, he was able to learn about the social situation and missionaries’ activity, and he commited himself to raise awareness among Italian public opinion about the issues affecting Africa, and collect material and financial resources (food and primary commodities, medical, agricultural, mechanical, health care and education equipment and facilities), to be allocated for the development of these countries and the new African churches. He established “Africa Mission” with Bishop Manfredini in 1972, which would become one of the most popular cooperation movements in the Italian Catholic world, and the Friends of Uganda Committee in Piacenza, in 1979. The remarkable path taken by Don Vittorione, who became a priest at the age of 58 in 1984, illustrates the vitality of Catholic laity and their interest in “new Africa”.

19 The year 1972 marked the foundation of the Federation of Christian Organizations for International Voluntary Service (FOCSIV), which, on the basis of the previous

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experience of the Federation of Organizations of Laity Missionary, operating since 1965 and inspired by the Second Vatican Council and the Populorum progressio encyclical, was based on cooperation and was one the main promoters of Italian Law No. 49/1987, which concerns Italian cooperation with developing countries. FOCSIV firmly believes that decisive development action should be based on the connection of commitment and solidarity with professionalism. In June 1972, Mani Tese held a conference in Milan on “The political commitment to the Third World” that was attended by a number of Third-World associations. This was a topic that increasingly concerned Catholic laity as well as the missionary world, as was stated in the PIME magazine, Mondo e missione.57 Commitment was being politicized by ideological left-wing movements and parties, which resulted from what Agostino Giovagnoli defined as “contamination” between the spirit of the council and the 1968 protests that ended up obliterating or flattening the utopian dimension of Third Worldism.58 This was shown by dissenting Catholics and by the evolution of many Catholic magazines representing major and minor groups and movements.59 The case of Mani Tese is significant in this context; in the 1970s it experienced the separation of the members of the San Paolo community in Rome, who established Liberation and Development; later on, in 1976, following the withdrawal of the missionary institutes from which it originated, the movement took on the name of Mani Tese 76.60

20 Also from the world of Catholic laity came the initiative of financial support by Giordano Dell’Amore, president of the Cassa di Risparmio delle Province Lombarde (Cariplo) and dean of Bocconi University, who in Milan in 1967 founded the Center for Financial Support to African Countries (Finafrica), which became the Giordano Dell’Amore Foundation in 1977. Continuing Cariplo’s tradition of devoting part of its income to finance social and cultural projects in developing countries, Finafrica intends to revive rural areas of “new Africa”, where the gap with urban areas is hindering development. It promotes the startup of small and medium-sized enterprises in the craft and commercial sectors capable of creating wealth, and holds vocational training courses for banks and financial operators which also provide for internships at Cariplo agencies.61

21 In the post-Vatican II period, following converging paths or parallel to missionary networks, the new and most significant elements in the Italian Catholic world were secular. They promoted broad-reaching thinking and ambitious initiatives concerning fast, but problematically, changing Africa and laid the foundations of cooperation that would develop in the subsequent decade. Through this complex of diversified experiences, Catholic Italy reveals its dynamism with regard to the projects on the African continent, as well as the hindrance arising from its limited colonial past. Italian Catholicism, particularly sensitive to the papacy’s call of universality, is an important element in the proposition of an extraverted model which is not comparable to other European experiences, which are affected by their long-established colonial past. Italian Catholicism, moreover, possessed an original tendency to extend the boundaries of solidarity beyond national belonging.

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NOTES

1. Andrea Riccardi, “Il caso religioso italiano”, in Marco Impagliazzo (ed.), La nazione cattolica. Chiesa e società in Italia dal 1958 a oggi, Milan, Guerini e associati, 2004, p. 21-38. 2. Andrea Riccardi, Il potere del papa. Da Pio XII a Giovanni Paolo II, Rome-Bari, Laterza, 1993, p. 217-222, and Giuseppe Alberigo, Storia del Concilio Vaticano II, vol. I, Il cattolicesimo verso una nuova stagione. Annuncio e preparazione, Bologna, Società Editrice Il Mulino, 1995, p. 509-512. 3. Giovanni Caprile (ed.), Il Concilio Vaticano II, Secondo periodo 1963-1964, Rome, Edizioni La Civiltà Cattolica, 1969, p. 254. 4. Ibid., p. 296, and Giovanni Caprile (ed.), Il Concilio Vaticano II, Quarto periodo 1965, Rome, Edizioni La Civiltà Cattolica, 1969, p. 116. 5. Giovanni Caprile (ed.), Il Concilio Vaticano II, Terzo periodo 1964-65, Rome, Edizioni La Civiltà Cattolica, 1969, p. 338. 6. Giovanni Caprile (ed.), Il Concilio Vaticano II, Quarto periodo, op. cit., p. 165. 7. See Andrea Riccardi, “Da Giovanni XXIII a Paolo VI”, in Giuseppe Alberigo, Andrea Riccardi (eds.), Chiesa e papato nel mondo contemporaneo, Rome-Bari, Laterza, 1990, p. 217-222, and François de Medeiros, “Verso una Chiesa planetaria. Dalle missioni a un cristianesimo universale”, ibid., p. 417-484. See also Giuseppe Butturini, “Missioni e concilio. Le istanze missionarie dei vescovi in vista del Vaticano II”, in Giuseppe Alberigo (ed.), Il Vaticano II fra attese e celebrazione, Bologna, Il Mulino, 1995, p. 29-74. 8. Andrea Riccardi, Il secolo del martirio. I cristiani nel novecento, Milan, Mondadori, [2000], new edition 2009, p. 348-354, and Jacques Gadille, “Africa”, in Maurilio Guasco, Elio Guerriero, Francesco Traniello (eds.), La Chiesa del Vaticano II (1958-1978), XXV/2, Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo, 1994, p. 347-393. 9. Giuseppe Alberigo, Storia dei concili ecumenici, Brescia, Queriniana, 1990, p. 445. 10. Sandra Mazzolini, La Chiesa è essenzialmente missionaria. Il rapporto “natura della Chiesa”-“missione della Chiesa” nell’iter della costituzione “de Ecclesia” (1959-1964), Rome, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 1999, 572 p. and Walter Insero, La Chiesa è “per sua natura missionaria” (AG2). Origine e contenuto dell’affermazione conciliare e la sua recezione nel dopo Concilio, Rome, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 2007, 545 p. 11. Bishop Pietro Rossano had a prominent role at the Secretariat for Non-Christians – established by Pope Paul VI– between 1964 and 1982, first as consultor, then as undersecretary and secretary. See Pietro Rossano, “Vangelo e cultura africana”, in Pietro Rossano, Dialogo e annuncio cristiano. L’incontro con le grandi religioni, Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo, 1993, p. 269-273 (first published in French in Bulletin [edited by Secretariat for Non-Christians], XI (1976), p. 311-315. 12. Engelbert Mveng, Identità africana e cristianesimo, Turin, Società Editrice Internazionale, 1990, p. 59-66 (translated from French: L’Afrique dans l’Eglise. Paroles d’un croyant, Paris, L’Harmattan, 1985). 13. See decrees Apostolicam Actuositatem and Ad Gentes, in I documenti del Concilio Vaticano II. Costituzioni, decreti, dichiarazioni, Milan, Figlie di S. Paolo, 1987, p. 411-447 and 449-504. See also Roger Aubert, “I testi conciliari”, in Maurilio Guasco, Elio Guerriero, Francesco Traniello (eds.), La Chiesa del Vaticano II (1958-1978), op. cit., p. 347-393. 14. Andrea Riccardi, “Il caso religioso italiano”, in Marco Impagliazzo (ed.), La nazione cattolica…, op. cit., p. 21-38. 15. In 1960 –the “Year of Africa”– 17 African Countries gained independence from European colonization. With regards to Somalia, see Antonio Morone, L’ultima colonia. Come l’Italia è tornata in Africa 1950-1960, Rome-Bari, Laterza, 2011, 232 p.

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16. Maria Stella Rognoni, Scacchiera congolese. Materie prime, decolonizzazione e guerra fredda nell’Africa dei primi anni Sessanta, Florence, Polistampa, 2003, 468 p.; Angela Villani, L’Italia e l’ONU negli anni della coesistenza competitiva (1955-1968), , Cedam, 2007, p. 119-126. 17. On post-colonial Italy, see Paolo Borruso, “L’Italia e l’Africa”, in Agostino Giovagnoli, Luciano Tosi (eds.), e la politica estera italiana, , Marsilio, 2010, p. 414-431, and id., “Le nuove proiezioni verso l’Africa dell’Italia postcoloniale”, Studi Storici, no 2, 2013, p. 449-480. 18. On African decolonization, see M.P.V., “Sguardi sul mondo. Risveglio dell’Africa nera”, Studium, no 3, (1960), p. 196-201; A. Pappalardo, “Unità e indipendenza dei popoli africani”, Vita e Pensiero, no 1, (1959), p. 394-400; A. G., “L’eccidio del Congo”, Studium, no 11, (1961), p. 814-816; A.P., “Sguardi sul mondo. Il Congo nella realtà internazionale”, Studium, no 7-8, (1962), p. 537-548; C.A., “Africa che nasce”, Studium, no 2, (1966), p. 106-109; Isidore De Souza, “Alcuni aspetti della situazione attuale africana”, Vita e Pensiero, no 1, (1966), p. 29-36. On the Algerian issue, Ruggero Orfei, “La questione algerina”, Vita e Pensiero, no 10, (1958), p. 687-693; M.P.V., “Algeria ieri e oggi”, Studium, no 1, (1962), p. 36-39; F.A., “Tragedia in Algeria”, Studium, no 4, (1962), p. 287-288. See also Carlo Meardi, La chiesa e la lotta di liberazione dal colonialismo: la lezione dell’Algeria, Milan, Jaca Book, 1969, and, more recently, Marco Impagliazzo, Duval d’Algeria. Una Chiesa tra Europa e mondo arabo (1946-1988), Rome, Studium, 1994, 244 p. 19. Ettore Passerin d’Entreves, “In margine alla crisi algerina: problemi dell’espansione coloniale francese ed europea”, Studium, no 5, (1961), p. 384-389; id., “Ancora sui problemi coloniali di fronte al dramma del Nordafrica”, Studium, no 5, (1962), p. 390-398. 20. Luciano Tosi, “Il Terzo mondo”, in Marco Impagliazzo (ed.), La nazione cattolica…, op. cit., p. 481-518. 21. Andy O’Hara, “I giorni del terrore nel Sud Africa”, Nigrizia, no 5, (1960), p. 12-15. 22. Teobaldo Filesi, “Utopie e realtà del panafricanismo”, Nigrizia, no 7, (1960), p. 8-12. 23. Andrea D’Anna, “Spirito dell’umanesimo africano ‘Ci siamo guardati negli occhi’”, Nigrizia, no 10, (1961), p. 12-15. A period of cultural meetings began in Italy with the II Congress of Black writers and artists, held in Rome on the Capitoline Hill from the 26th to the 31st March 1959. See Presence Africaine, Revue culturelle du monde noir, “Deuxième congrès des écrivains et artistes noirs”, numéro spécial, 24-25, 1959. 24. Enrico Bartolucci, “Africa rinascente”, Nigrizia, no 11, (1962), p. 12-17. 25. Roberto Esposito, “Nasce la teologia africana”, Nigrizia, no 9, (1967), p. 8-11. 26. Nazareno Contran, “La Chiesa in Africa sotto esame”, Nigrizia, no 5, (1968), p. 8-11. 27. Elio D’Auria, “Europa ed Africa: 10 anni di politica comune”, Nigrizia, no 5, (1969), p. 18-22. On the European African Association provided for by the Treaties of Rome, see Marie-Thérèse Bitsch, Gérard Bossuat (eds.), L’Europe unie et l’Afrique de l’idée d’Eurafrique à la convention de Lomé I, Actes du colloque international de Paris, 1-2 avril 2004, Bruylant-Bruxelles-Paris, Université Robert Schuman Starsbourg, 2005, p. 233-460. 28. Enrico Bartolucci, “L’Africa non è più una tomba”, Nigrizia, no 12, (1969), p. 18-23. 29. Teobaldo Filesi, “Una famiglia nuova per un’Africa nuova”, Nigrizia, no 12, (1969), p. 26-31. 30. “Le attese delle missioni di fronte al Concilio Ecumenico”, Fede e Civiltà, no 7, (1961), p. 434-492. 31. See numbers 4 (1961) and 5 (1960) of Fede e Civiltà, respectively concerning Sierra Leone and the relationship between Christian religion and Islam. 32. “La Chiesa e le trasformazioni sociali politiche e culturali dell’Africa Nera”, Settimana di studi missionari, no X, (1961), p. 1-306; “Il laicato cattolico dei paesi di missione”, ‘Atti della Settimana di studi missionari, II, Milano 4-8 settembre 1961’, Vita e Pensiero, no XIV, (1961), p. 1-298; on this issue, see also Marcello Candia, “Laici missionari italiani”, Fede e Civiltà, no 9, (1961), p. 648-650. 33. “Adattamento, laicato ed ecumenismo”, Fede e Civiltà, no 10, (1962), p. 859-874. 34. “La missione cattolica, il nazionalismo e le sette acattoliche in Africa”, Fede e Civiltà, no 1, (1963), p. 61-64.

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35. Daniele Chianella S. J., “La Chiesa martire, oggi”, Fede e Civiltà, no 8, (1963), p. 3. 36. A. Bellini, “Il lungo cammino verso la Chiesa del Concilio Vaticano II”, Fede e Civiltà, no 10, (1963), p. 9-22. 37. Assunta Tagliaferri, Africa. Dio ha bisogno di testimoni: i missionari italiani che hanno dato la vita per la Chiesa africana, Verona, CUM Foundation, 2000, p. 25-45. 38. Vittorino Martini, P. Giovanni uomo per gli altri, Piacenza, ISME, s.d., p. 144; Vittorio Martini, Sangue sul Lago, Piacenza, ISME, s.d., p. 216; the posthumous book by Vittorio Faccin, Il rischio di amare, Parma, ISME, 1970, 147 p. A detailed reconstruction is also provided by an unpublished work by Xaverian Vittorino Ghirardi, Missione e martirio. Memoria martyrum: a prezzo di sangue, 1990, p. 337, manuscript kept by his family. 39. Engelbert Mveng, Identità africana…, op. cit., p. 67-108; see also the essay of Alice Bellagamba, L’Africa e la stregoneria. Saggio di antropologia storica, Rome-Bari, Laterza, 2008, p. 138-177. 40. Antonio Alessi, Nel Congo insanguinato, Alba, Edizioni Paoline, 1966, p. 42-44. 41. Assunta Tagliaferri, Africa…, op. cit., p. 54. 42. See Vittorino Ghirardi, Missione e martirio…, op. cit., p. 24. 43. On the persistence of colonial stereotypes in Italian public opinion, see Nicola Labanca, Una guerra per l’impero. Memoria della campagna d’Etiopia 1935-36, Bologna, Il Mulino, 2005, p. 309-349; on the image of new Africa, see id., “L’Italia repubblicana fra colonialismo e post-colonialismo. Una ricerca sull’immagine dell’Africa nei periodici illustrati degli anni Cinquanta e Sessanta”, AFT. Rivista di storia e fotografia, no 31-32, 2000, p. 99-108. 44. Thematic issue “Sui paesi in via di sviluppo”, Vita e Pensiero, no 7-8, (1972), p. 415-418; Fausto Montanari, “Per un equilibrio dinamico a dimensione mondiale”, Studium, no 7-8, (1972), p. 513-516; Oscar Garavello, “Lineamenti di una politica economica internazionale per lo sviluppo”, no 7-8, (1972), p. 450-465; C. Nasuelli, “Il decennio di sviluppo. Realizzazioni e valutazioni”, Studium, no 7-8, (1972), p. 490-501. 45. As to the ACLI, see Raffaele Cananzi (ed.), ACI. Scelta religiosa e politica. Documenti 1969-1988, Rome, AVE, 1988, p. 119-120, 140-141, 178, 368, 416, 509; see also Francesco Vito, “La Pacem in Terris e il mondo contemporaneo”, Vita e Pensiero, no 9-10, (1963), p. 646-659, and I problemi dell’economia mondiale alla luce della Populorum Progressio, Milan, Vita e Pensiero, 1967, 288 p. 46. Luciano Tosi, “Il Terzo mondo”, in Marco Impagliazzo (ed.), La nazione cattolica…, op. cit., p. 499-500; Maurilio Guasco, Chiesa e cattolicesimo in Italia (1945-2000), Bologna, EDB, 2001, p. 71. 47. Cristiani per il socialismo, Convegno Nazionale Bologna, settembre 1973, Milan-Rome, Sapere Edizioni, 1974, p. 140-145. See also Antonio Parisella, “Cristiani per il socialismo, compromesso storico, cultura cattolica”, Il Tetto, no 123/124, 1984, p. 306-318. 48. The publishing project was edited by Combonian missionary Romeo Panciroli, Priest Piero Gheddo del Pime, Xaverian missionary Walter Gardini and Priest Igino Tubaldo della Consolata. See Maurice Cheza, Monique Costermans, Jean Pirotte (eds.), Nouvelles voies de la mission, 1950-1980, Lyon, Actes de la Session conjointe du Credic et du Centre Vincent Lebbe, 1999; see also Massimo De Giuseppe, “Orizzonti missionari, coloniali, terzomondisti”, Cristiani d’Italia (2011), www.treccani.it. (last accessed december 2013). 49. Francesco Colizzi, Un potere più grande. La sapienza della lebbra, Molfetta (Bari), Editore La Meridiana, 2010, 176 p. 50. André Rétif, “Scaraventati in Africa”, Nigrizia, no 6, (1964), p. 21-24. 51. Enzo Maria Fondi, Michele Zanzucchi, Un popolo dal Vangelo. Chiara Lubich e i focolari, Cinisello Balsamo, Edizioni San Paolo, 2003, p. 57-65 and 113-136. On the experience in Fontem, see Michele Zanzucchi, Fontem, un popolo nuovo, Rome, Città Nuova, p. 246, 2002, and Lucio Dal Soglio, Presi dal mistero. Agli albori dei Focolari in Africa, Rome, Città Nuova, 2013, p. 55-73; Ilaria Pedrini, Marilen semplicemente vivere, Rome, Città Nuova, 2001, p. 151-176; Alfredo Zirondoli, Oltre la scienza il “viaggio” di Piero Pasolini, Rome, Città Nuova, 1990, p. 126-179; Nkafu Nkemnkia Martin, “L’esperienza di Fontem e la visione africana della vita”, in Vera Araújo (ed.), Rapporti Sociali e

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Fraternità: Paradosso o modello sostenibile? Una prospettiva a partire dalle Scienze Sociali, Atti del Convegno Social-One, Castelgandolfo (Roma), 28-30 March 2003, Rome, Città Nuova, p. 68, 2005. 52. Piero Gheddo, “Mani Tese: una buona soluzione”, Nigrizia, no 2, (1970), p. 18-21. 53. Giuseppe Scidà, L’utopia concreta. Indagine sull’Associazione Mani Tese, Milan, Franco Angeli, 1987. 54. Silvana Bottignole, “Valutazione dei vent’anni (1968-87) di presenza di Mani Tese in Burkina Faso (ex Alto Volta)”, Africa, Three-month magazine of research and documentation of the Italian Institute for Africa and the East, no 4, (1988), p. 630-644, and id., Mani Tese in Burkina Faso. Una valutazione delle microrealizzazioni 1968-1987, Milan, Franco Angeli, 1989, 180 p. 55. Walter Gardini, “Spiritualità missionaria”, Fede e Civiltà, no 6, (1964), p. 65-80. See also Marco Impagliazzo, “Movimenti e nuove comunità”, in id. (ed.), La nazione cattolica…, op. cit., p. 251‑263. 56. Paolo Cremonesi and Letizia Vaccari, Kiringye 1973-83. Storia di un progetto di sviluppo nel cuore dell’Africa, Milan, Franco Angeli, 1987, p. 27-30. 57. Ernesto Toaldo, “L’impegno politico per il Terzo mondo”, Mondo e Missione, no 20, (1972), p. 510-531. 58. Agostino Giovagnoli, “I cattolici e il Sessantotto”, in id. (ed.), 1968: fra utopia e Vangelo. Contestazione e mondo cattolico, Rome, AVE, 2000, p. 17-48. 59. Rocco Cerrato, “Il Sessantotto e il mondo cattolico in Italia”, ibid., p. 49-78. See also Marco Impagliazzo, “Il dissenso cattolico e le minoranze religiose”, in Fiamma Lussana, Giacomo Marramao (eds.), L’Italia repubblicana nella crisi degli anni settanta. Culture, nuovi soggetti, identità, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2003, p. 231-251, and the recent work of Daniela Saresella, Dal Concilio alla contestazione. Riviste cattoliche negli anni del cambiamento (1958-1968), Brescia, Morcelliana, 2005, 491 p. 60. Giorgio Pecorari, “Movimenti missionari, Terzomondisti operanti in Italia”, in Agostino Favale (ed.), Movimenti ecclesiali contemporanei, Rome, LAS, 1980, p. 388-390. 61. The first two courses, dealt with the “Credito Agrario nei Paesi in Via di Sviluppo” (i.e. Land Banking in the developing countries) in 1965, and the “Specializzazione Bancaria per i Paesi Africani” (i.e. Specialty Course in Banking for African Countries) in 1967. The most significant relationships, established by Giordano Dell’Amore with Africa in the 1970s, include that with Ethiopia, ruled by Haile Selassie, and Algeria, ruled by Houari Boumediene. See Giancarlo Galli, “Giordano Dell’Amore, il ‘gran banchiere bianco’, Economia-Finanza, no 102, 2006, p. 52-55; Arnaldo Mauri, “Risparmio e credito nel pensiero di Giordano Dell’Amore”, Il Risparmio, no 6, 1996, p. 1291-1298; Gianmario Raggetti, “Giordano Dell’Amore”, in Giampietro Pizzo and Giulio Tagliavini (eds.), Dizionario di microfinanza, Rome, Carocci editore, 2013, p. 391-398.

ABSTRACTS

The Second Vatican Council for the first time brought a large group of African bishops to Rome. They symbolized a new, independent Africa and its problems. After Vatican II, missions were encouraged to rethink their activities outside the colonial framework in which they developed, and post-colonial conflicts and crises created a new environment. The Vatican also promoted lay associations and individuals who, with inventiveness and passion, launched projects inspired by a broad, new vision of Catholicism in the “new Africa.” A new vision was born, which has had

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important repercussions on the development of political strategies by the Italian Catholic leadership.

Le concile de Vatican II a amené à Rome pour la première fois un grand nombre de prélats africains qui ont renouvelé l’expression d’une Afrique indépendante et de ses problématiques. À la suite de Vatican II, les missions sont incitées à repenser leur action hors du cadre colonial dans lequel elles avaient jusqu’alors travaillé, alors que les crises et les conflits postcoloniaux produisent un nouvel environnement. Le Vatican favorise aussi l’émergence et le développement d’associations laïques et de personnalités qui, avec inventivité et passion, mettent en place des projets inspirés par une vision ample et renouvelée de la présence du catholicisme dans la « nouvelle Afrique ». Une nouvelle sensibilité voit le jour, et cette tendance a d’importantes répercussions sur le développement de stratégies politiques de la part de la classe dirigeante catholique italienne.

INDEX

Mots-clés: Vatican II, Italie, Afrique, Missions, acteurs non étatiques Keywords: Vatican II, Italy, Africa, missions, non-state actors

AUTHOR

PAOLO BORRUSO Paolo Borruso was born in Rome in 1959. He teaches contemporary history at the Catholic University of Milan. His research interests are the history of contemporary Africa, in particular with European colonial expansion, Catholic missions in Africa in the nineteenth and twentieth centuries and Italian politics and African decolonization. He focuses mainly on Ethiopia and the Horn of Africa, but also works on Egypt, Uganda and Sierra Leone. He has published several essays and the books Il mito infranto (1997), on the imprisonment of Italians in Africa during World War II; L’ultimo impero cristiano. Politica e religione nell’Etiopia contemporanea 1916-1974 (2002), on the long reign of Emperor Haile Selassie; L’Africa al confino. La deportazione etiopica in Italia (1937-1939) (2003); and Il PCI e l’Africa indipendente 1956-1989 (2009). He is currently working on a book on Italy and postcolonial Africa. [email protected]

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Italian Relations with China 1978-1992: The Long Carnival Decade - Burgeoning Trade and Diplomatic Kudos

Seamus Taggart

1 Relations between Italy and the People’s Republic of China (PRC) since the foundation of the Italian State have often been cast in a negative light and in the last quarter century, have in the main been characterized as negative by the majority of commentators. Up until the Second World War Italy had what could be termed a quite checkered relationship with China, particularly in regard to its pursuance of imperial spoils in the 19th century. This picture however glosses over a much more complex story since the Second World War and in particular overlooks a significant period in relations with the PRC, when Italy played both a dynamic and successful role in economic terms –and succeeded in substantially expanding trade volumes– and in the field of international diplomacy, where it was able to play the role of mediator between East and West it had always coveted. This period essentially lasted from the mid-1980s until the end of the so called First Italian Republic in 1992, when there was a dramatic decline in diplomatic relations, followed within a few years by the same in trade.

2 This is a crucial period in the development of both Italy and the PRC. I propose to illustrate the detail of relations between the two countries in this period in order to demonstrate how substantial they were and to correspondingly answer two crucial questions: How did Italy achieve such success in such a short period of time, and why did things fall apart again so quickly in the early 1990s? I will argue that the crucial elements that account for the intensity of relations relate to the underlying policies of both governments in the field of economics which were determined by domestic prerogatives and that the role of Small and medium enterprises (SMEs), development aid and export credit were the determining agents in the development of relations. Economic success provided a credible basis for a more prominent profile in diplomatic affairs. I propose also to examine relations between the Chinese (CCP)

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and the , in this period the largest in Western Europe. These relations are important in illustrating the depth and understanding the ultimate outcomes of many political and diplomatic initiatives.

3 The former diplomat Mario Filippo Pini provides a useful entry point. He recounts the following exchange when he was stationed in the Italian Embassy in Beijing: One morning in the summer of 1986 when I was commercial attaché at the Italian Embassy in Beijing, my French colleague phoned me and said he wanted to pay me a visit. Once in my office, he said that Italian exports to China in the previous year had almost doubled, lifting Italy above France and placing it in second place among Europeans, behind only West Germany. He wanted to know what the secret of our success was. How could Italy rise above France? I responded with a partial truth. I could have mentioned our development aid to China, which even then was becoming a significant driving force with much potential in regard to relations. Instead I described a precise instance that I had observed in my business travels to Shanghai and other Chinese cities where I had regularly met Italian nationals even in unexpected places. They did not speak Chinese, but they were flexible, ready to get to grips with the local mentality, courageous in advancing their projects, successfully promoting engines, machine tools and other products that fitted in well with the type of development that China was pursuing. By telling these things to my French colleague, I remember I felt a sense of pride. At that time, amongst the European countries active in China, Italy counted.1

4 This self-aware hubris provides a partial answer and also illustrates the impulse that belies much of official Italian diplomacy in the period. Development aid and the issuing of export credits was a major engine of growth in terms of Italian exports to the PRC in the twentieth century. Most importantly he points out that Italian SMEs were a crucial element in the rapid growth of Italian trade with the PRC. To understand better the context and functioning of this flexible approach it is necessary to shift the focus to the political and economic changes which were rapidly taking place in both countries from the beginning of the 1980s.

5 In the PRC the essential catalyst for change was the reforms instigated by Deng Xiaoping from 1978 onwards, termed the Period of Reform and Opening. There was a significant break with the past and the policies of Mao. It was however Zhao Enlai who had first proposed such reforms in 1964,2 with his promotion of the Four Modernizations3 in agriculture, industry, defence and science and technology. He made another pitch for them at the Fourth National People’s Congress in 1975.4 Zhao was however ill with cancer and it was only after his death and that of Mao that Deng was able to provide the necessary bulwark of support for reform and instigate concrete measures. He was well aware that after decades of stagnation there had to be wealth creation. The reforms were market-orientated and opened up space for private enterprise. They were “socialist” in their intention and in this sense Deng can be compared to Gorbachev in his attempts to reform while maintaining the system. Deng succeeded through determination and a wily political sense as well as sheer ruthlessness. Like Gorbachev, he unleashed something that ultimately he could not completely control. Yet he succeeded in establishing parameters. He was pragmatic enough to allow some reforms to play out and go with them even when they resulted in practical liberalization that was beyond what he had originally intended. He was less idealistic than Gorbachev and kept his eye firmly on the bigger picture, unafraid to exert brute force when necessary. He was also wise in experimenting in limited areas first, setting up Special Economic Zones such as Shenzhen,5 next to Hong Kong, where

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the initial reforms could be observed before some were rolled out across the country. The fact that these reforms followed on quite quickly after the end of the Cultural Revolution stifled dissent, as progress was quickly registered and incomes began to rise. In practice a space was created at the local level where a market began to operate. National control was replaced by local control exerted by public figures and those who most quickly were able to accumulate power and capital in this environment. Once initiated, growth had to be maintained and this required a complete overhaul of the Chinese economy. To achieve this, the PRC needed to engage with western companies to provide the wherewithal to develop its infrastructure. Suddenly opportunities were there for Western companies.6

6 Unlike in previous epochs, Italy was well positioned. It had gone through its own economic miracle after the Second World War and the 1980s were the years of the sorpasso, when Italian GDP overtook that of the . Italy was experiencing a second boom partially due to the economic pump priming activities of in government. It had a vibrant manufacturing economy that was on par with other Western European countries. Italian firms were dominated by small and medium enterprises. Sufficient numbers of them had the resources to send representatives to the PRC to make contacts and negotiate contracts. In 1980, a report drawn up by the Istituto Affari Internazionali (IAI) in Rome on the potential of Italian economic relations with the PRC stated: “Fortunately it seems now that the PRC does not have the intention of following a program of industrialization aimed primarily at exporting.”7 This situation would obviously change in time but nevertheless there would be at least a decade of opportunity in a primarily buyers’ market. The report concluded: If our analysis of the objectives of the opening of the Chinese economy is correct, then one must conclude that an intensification of economic relations can only be achieved by moving from a purely commercial approach to a strategy of economic cooperation. This means on the one hand, expanding complementarities through a joint venture […]. Particularly important would be the creation of a financial instrument to facilitate industrial cooperation that can utilize the capital of the joint venture when it is necessary to facilitate the participation of the Italian company and, more importantly, to act as a buffer in relation to any changes in the distribution of shares among the partners in order to avoid possible conflicts. It is also conceivable that some of the funds made available to the credit for exports to China could usefully be redirected to the creation of such a financial instrument.8

7 Unfortunately neither conclusion was really followed through upon, the overriding tendency was to promote the short term. A system of export credit was indeed put in place and, as we shall see, this gave a sustained impetus to Italian exports to the PRC. The direction of this aid would have a major impact. Smaller Italian firms found out they could access the Chinese market directly. There was no longer the need to work through entities such as Dino Gentili’s Compagnia Generale Interscambi (COGIS). In ignoring the longer term strategic elements of the Istituto Affari Internazionali report, there was the risk that economic relations would become unbalanced and indeed precarious.

8 Thus, in the context of increased economic flexibility on both sides, relations significantly intensified on all levels. To illustrate the depth and complexity that they eventually achieved, it is necessary to provide an outline of the main developments. In 1978 Huang Hua visited Europe and Italy comforted itself as being included as a destination. In the same year four Italian Government Ministers travelled to Beijing, including Minister of Public Education Mario Pedini, Minister of Health ,

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Minister of Foreign Trade , and Minister of Transport, . In addition , leader of the Partito Repubblicano Italiano visited Beijing on 25th September of the same year. Colombo met Deng Xiaoping, who would assume publicly the reins of power in the CCP Congress of December that same year. The PRC was eager to gain a reliable interlocutor in Europe. Since West Germany could only whisper, the UK’s European voice was muffled and France apt in any dialogue to conflate Europe with France, an opportunity existed for Italy to make itself heard as a practical interlocutor. Beijing saw Italy as a component of what it hoped would be a united Europe and counter pillar to both United States and the USSR. In the wake of the Soviet invasion of Afghanistan, Deng developed the theme of Europe, continuing on from where Zhou Enlai had left off with Colombo in 1973: Much more than China, the Soviet troops in Afghanistan affect Europe. [The USSR] wants to maintain a strategy of encirclement; it wants to win without fighting. At this point, Europe must choose, it cannot wait to decide whether the rope is already tight or can be tightened more. It must now decide if it wants to be free, in order to be free it has to be united and strong.9

9 However, such a strategic discourse mattered more in Beijing than in Rome, where the domestic agenda dominated, and fluctuating political control left Italy very much in the second tier where European decisions were taken. Italy no longer possessed European statesmen. Beijing nevertheless would persevere in trying to convince Italy to play a positive role, as the PRC continued to open to the West. During Huang Hua’s visit to Italy from 5th to 10th October 1978 he expanded on the new Chinese theory of the Three Worlds. During his visit a cultural agreement was also signed. The intensification of relations was noted by the USSR and Brezhnev sent an abrasive letter to Prime Minister Andreotti, complaining that the help that Italy was proffering to the PRC was unwelcome, particularly as it seemed that it might well also aid the PRC in modernizing its military sector. This, he maintained, would adversely affect détente.10 Little official or unofficial note was taken of Brezhnev’s letter and relations with the PRC continued on an upward trajectory.

10 The next year saw Deng Xiaoping visit the US, as official relations were finally established and Prime Minister and President of the Chinese Communist Party Hua Guofeng visited Italy from the 3rd to the 6th November 1979. Rome was now a fixed stop on the route to Paris, Bonn and London. Security and global issues were discussed. This visit also marked the beginning of regular consultations. Meetings were also held with Bettino Craxi, and Enrico Berlinguer. Agreements were signed covering economic, scientific, technical and cultural cooperation, as well as an accord for the opening of consulates in Shanghai and Milan.11 Hua underlined that “these relations have entered a new phase of development and agreements signed in recent days have laid the basis for further growth in exchanges.”12 This was in conformity to Hua’s description of Chinese plans: “China is a developing country which has laid the foundations of industrialization. From this year on and for the next three years, China will make serious efforts through further adjustments to its plans for a proportional constant and rapid development of its economy.”13

11 Momentum in relations was maintained by the State visit of Italian President accompanied by Foreign Minister in September 1980. This was a calculated move on Rome’s part, sending the veteran Socialist Party leader and sparring partner of Nenni in tandem with Colombo, who had been Prime Minister when relations were established in 1970. The difference between the Socialists and the

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Christian Democrats had always been that the former had a clear international ideology (at least until the advent of Craxi’s leadership when it became subservient to domestic imperatives), whereas the latter stuck to an ill-defined and thus hugely flexible amalgam of Atlanticism and support for a more integrated Europe. The priority was to avoid offending international partners rather than incurring the risk of taking any major initiatives. As Pini described it: “Pertini responded to his interlocutors with the idealism which came natural to him, posing those questions out loud, that all men of good sense have always asked.”14 The Italian President was uniquely able to rise above party interests and factionalism and to speak his mind. However such discourses rarely impact actual policy making. During his meeting with Deng Xiaoping, Deng turned to a more practical level and enquired “How is Oriana Fallaci? […] she put me to the test for four hours.” Pertini responded: “It was you who did the testing […] and I can assure you she passed with flying colours. The interview is a consummate piece of work.”15 Oriana Fallaci’s interview16 with Deng Xiaoping provided an interesting aside to the more regular channels of diplomacy and trade negotiations. The sparring between the two was on a par with Frost and Nixon. The text of the exchanges provides both insight and entertainment and certainly added to Italian prestige in regard to its relations with the PRC. Overall as a goodwill trip Pertini’s visit worked well and was seen by Beijing as a gesture that took account of Chinese sensibilities.

12 Trade relations were now poised to take off. In 1978 the main imports from the PRC were basic manufactures, including wooden products and textiles, totaling 169,000 million lire.17 Exports were dominated by chemical products and machine tools, totaling 160,000 million lire,18 representing a small but significant trade deficit. By 1984 imports had grown by a factor of five, textiles still a very significant element, particularly silk. Exports had grown even more to yield a balance of trade of 25,000 million lire, chemicals and steel products being important elements in the mix.19

13 From 1984 until the Tiananmen Square crackdown, Italian exports to the PRC were second only to West Germany’s. In 1985, Italian exports to China grew 40 percent from the previous year.20 Italy would record a comfortable trade surplus until 1988. Italian exports were dominated by machinery and machine tools, produced in the main by SME’s. Italian imports from China were mainly labour intensive goods such as textiles. Total trade would continue to grow strongly both imports and exports showing an increasing trend well into the 1990s, before the dip subsequent to the Tiananmen Square incident. Italy however, at least on the economic level, was “punching above its weight” to use Douglas Hurd’s recognized international measure.21 This period from the mid-1980s until 1992 represented the high point of Italian relations with the PRC in the twentieth century. Even with the Tiananmen Square crackdown, relations would remain relatively close.

14 Major Italian companies had entered China in the 1950s. President of the Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) Enrico Mattei made a surprise trip to Beijing in 1958 to promote it. Italian petrochemical and automotive companies had done respectable business in an era of strict controls. This business was to increase steadily in the 1980s. As part of the same delegation led by Hua Guofeng in November 1979, the Chinese Vice- Prime Minister Yu Qiuli paid a visit to FIAT in Turin where discussions were held on the provision of tractors and earth moving machinery by FIAT. Giovanni Agnelli had a separate personal meeting with Hua Guofeng in Rome. Hua also met a delegation of approximately 50 representatives of Italian industry. On departure Hua declared: “Italy

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is an industrialized nation. You have much experience that would be of use to us and for this reason we would be very happy to have Italian industrialists visit us.”22 This statement basically sums up the rationale behind Chinese efforts to intensify relations between the two countries over the following decade. A protocol had been signed in April that year which opened up a credit line of $1 billion. Thus on the economic front relations were finally gearing up.

15 FIAT had since 1976 been developing a China project which envisaged the production of FIAT tractors and other agricultural machinery in China, with an initial projected production rate of 20,000 tractors per annum.23 A contract to this effect would only finally be signed in June 1985.24 In October 1979 an official FIAT office was opened in Beijing.25

16 In the wake of Hu Yaobang’s later trip to FIAT in Turin, a contract was signed in September 1986, which provided for the provision of technical assistance from FIAT and the setting up of a joint venture between Iveco and the Nanjing Motor Corporation for the production of light lorries from the Daily range. It was envisaged that the Chinese government would invest $260 million.26 Aeritalia had also just signed a contract valued at $200 million.27 In 1988 FIAT was still hoping to establish itself as a producer of cars for the commercial marketplace. Back in December 1972 at an Italian Trade Show in Beijing, Marshall Yeh Jan Ying had remarked to Italian representatives: “Your cars are lighter than the Soviet ones and more solid than the Japanese.”28 It was the Germans however who were to get in first. Volkswagen had got the go ahead from Beijing to set up a plant in 1985, but its production was still limited, only producing 12,000 cars a year. There was still space in the Chinese market for another player and FIAT proposed its Panda as a suitable option. Nothing eventually came of this and Volkswagen was instead to enjoy massive expansion and a very lucrative monopoly in the Chinese market for the next couple of decades. The ubiquity of Volkswagens on Chinese streets is such that they are considered to be Chinese by much of the population.

17 In the 1980s and 1990s however Italian trade with the PRC was dominated by SMEs. The Italian SME sector was a volatile one and fluctuating market trends left many Italian companies focused on the Chinese market for only a number of years. In the recently deregulated Chinese market these smaller companies were often able to negotiate the challenges at this level better than larger enterprises. There had been an influx of smaller Italian companies into the PRC as it opened up. They were able to benefit from both deregulation and lack of oversight. This trade remained substantial until stagnation in the domestic Italian economy constrained the activities of SMEs and trade stagnated from the mid-1990s onwards.

18 Returning to the detail of relations, there had in the meantime been some diplomatic missteps. Bettino Craxi finally officially visited China in 1986. The visit was viewed as a catch up measure and the Chinese had noted the lack of an official visit at this level. The French, West German and British Prime Ministers had made the trip mostly shortly after Deng Xiaoping had stabilized his control. Two Chinese Prime Ministers Hu Yaobang and Zhao Ziyang had visited Italy. There had been a visit to the PRC by a delegation of the Italian Communist Party (PCI) led by , and on their return to Rome, one of the messages that was to be conveyed to the government was that Beijing had noted the lack of an official visit at Prime Ministerial level. It was billed of course as historic being the first by an Italian Prime Minister, but Craxi as leader of

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the Italian Socialist Party (PSI) did not follow in the footsteps of either Nenni or Pertini. Craxi’s visit was viewed as a superficial one. Andreotti who was part of the entourage as Foreign Minister defined the delegation sarcastically as “Craxi and his fine friends.”29 Italy had experienced significant economic growth in the 1980s and its trade balance with the PRC was very healthy. Craxi could afford to be magnanimous and indicated that Italy would be disposed to buy Chinese oil to help balance trade. During the trip, agreements were signed on matters which included taxation, health and nutrition and the cooperation in the university sector.30

19 During this period there was also cooperation in defence procurement. A general accord for military cooperation was signed by the Italian Defence Minister during his mission to the PRC in April 1985. The PRC had previously shown interest in installing FIAT engines in PLA tracked military lorries. MAGIRUS –a German subsidiary of the IVECO branch of FIAT– had sent examples of military lorries with Deutz air-cooled engines to the PRC already in 1978. It was determined that with suitable alterations to the body of the lorries FIAT engines could be installed. A meeting between the Commercial Director of MAGIRUS and the former General Schenz, consultant to MAGIRUS, was held with a Chinese military attaché in Bonn on the 28th February 1979. In the end, it seems that the eventual solution was the production of the FIAT Daily lorry in China. IRI (Istituto per la Ricostruzione Industriale) had been hoping to sell frigates to the PRC but these did not meet the specifications of the Chinese navy. It was however envisaged that Italy would supply the PRC with jet fighters, transport planes, avionics, mines torpedoes and also provide military training for Chinese military personnel in Italy. Italy had to explain the reasoning behind these projected sales to the US military export control committee (COCOM) but permission was eventually obtained.31 In 1986 the defence contractor Oto Melara was in negotiation for a large contract for artillery with the PLA.32 Alenia won significant contracts to supply radar installations to civilian airports from 1989 onwards, beating out stiff US competition and in January 1992 established a joint venture with the PRC firm RIDA and the Hong Kong company Dragon Base to produce civilian radar installations.33 This also had implications for the military sector. Francesco Sisci states that at this point Alenia supplied 70 percent of Chinese radar requirements.34 The US gave its ultimate blessing to all these endeavours after Nixon’s visit to the PRC. Previously such cooperation on such developed systems would have been unthinkable. Italy was viewed as relatively neutral in the overall context of the Cold War. This allowed it a certain leeway and the US without being seen as the prime mover, promoted certain exports in armaments to the PRC as a way of counterbalancing the USSR. Despite the importance of these showpiece trade agreements, larger Italian companies accounted for a minority of trade value. Italian SME’s accounted for far more business.

20 The overall picture of diplomatic interaction and trade relations thus is seemingly a glowing one. However the two most important elements underlying this as previously intimated were development aid and the role of SMEs. An agreement had been concluded in 1979 for the year 1982-1983, that provided for $48 million in credit and $25 million in development aid.35 The former was to be a credit line to aid the construction of industrial plant in China under the auspices of projects such as those elaborated by ENI and FIAT to manufacture products in China, the latter was government spending on Italian products such as hospital equipment to be sent to China. By the third programme 1987-1989, credit aid had risen to $576 million and

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$95 million for development aid. This put Italy among the principal suppliers of development aid and credit in Europe. The main problem with the aid was that it was not programmed or targeted at strategic sectors. It was handed out primarily to benefit the balance sheet of the Italian companies that were involved. The system became analogous to that of government tendering within Italy. Massimo Iannucci, a former Italian ambassador to the PRC, pointed out the problems inherent in an article in 2000, where he lamented the tendency of Italian development aid to be tied to the interests of private companies.36 Aid was dispensed piecemeal and as part of the established system of dispensing favours by the political parties. This was to have major future consequences.

21 In the 1980s the stultifying rule of the Christian Democrats had produced a honed clientelist system within Italy binding politics and business. This system now met a similar emerging structure in China. As Kwan Ha Yim describes in the Chinese context of the early 1980s: Up until a few years previously, during the Cultural Revolution, the nation was hypnotized by Maoist rhetoric describing a permanent revolution and one was resigned to the sacrifices required. Now the people have in front of them a vision of happiness which is achievable through the path of material wealth. The party leaders in the countryside, who in the past would have managed the agricultural system, liberated of many of their old duties, have begun to transform themselves into a new class of rural bosses. Other party functionaries thanks to their new power, find themselves in the ideal position to obtain ‘brown envelopes’ in exchange for favouring foreign investors and local businessmen.37

22 Italian businesses thrived in this unregulated nexus. One cannot however negate the point that Pini made that a significant element of entrepreneurship also accounted for Italian success. For half a decade trade continued to burgeon. The hubris of Craxi was to eventually presage a catastrophic fall.

23 However events in Beijing were almost to precipitate an even greater catastrophe. Hu Yaobang and Zhao Ziying had pushed reforms and certain of these were carried through. The funeral of Hu Yaobang brought many of the students onto the streets. The historical visit of Gorbachev to Beijing after thirty years of mutual animosity was overshadowed by the demonstrations. Deng ever the realist decided that matters were not to be allowed to get out of hand. The crackdown on the night of 3rd-4th June 1989 caused many fatalities. An account of these days from a firsthand Italian perspective can be read in the pages of Ilaria Fiore the RAI correspondent in Beijing’s account, Tien An Men.38 Led by the US, Western governments broke off contacts with the PRC in the aftermath of this and sanctions were imposed, including an arms embargo. This breakdown in relations, the first significant step backwards since the Korean War, was to provide an opportunity for Italy. Within a matter of days after the crackdown, an aircraft was sent to evacuate Italian nationals. The Berlin Wall came down in November of the same year and the whole Communist system in Europe disintegrated. With so much change taking place the wisdom of isolating China was beginning to be questioned. In October 1990 the EU began to reestablish contacts, partly through the efforts of the Italian government who occupied the rotating Presidency in the latter half of 1990. The arms embargo though was left in place. US Undersecretary of State Lawrence Eagleburger and National Security Advisor Brent Snowcroft arrived in Beijing in November. In the same period an Italian mission led by Bruno Bottai was sent to Beijing to assess the situation. By this stage the US had long since ceased to issue orders

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to its Allies on such strategic matters. Europe as a whole had post Nixon exited its US cocoon. The Christian Democrat member of Parliament (and shortly afterwards Minister of the Interior) travelled to Beijing. In May 1991 Foreign Minister headed to Beijing and in November Prime Minister Andreotti sojourned there too. The Spanish Foreign Minister had travelled the previous autumn and there had been some Portuguese and British contacts ostensibly in regard to their colonies. Chinese Prime Minister Li Peng often portrayed as the villain of Tiananmen visited Italy, Spain and Portugal in January 1992. He specifically referred to Italy’s role as a bridge in that era.39 Pini states: Perhaps, with our activism in favour of China, we were opportunists, motivated by the desire to take up business opportunities in contrast to the activism in that era of some of our European partners such as the Scandinavians always ready to crusade for human rights.40

24 Human rights never really played any meaningful role in dialogue between Italy and China, and Pini is correct to cite commercial interests as a major spur to reestablishing relations. Sisci however also ascribes a strategic element in that there was US support and contact behind the scenes in supporting Italian efforts. This was he maintains in the context of the First Gulf War when the US was worried about having China beyond the Pale when such a conflagration was occurring.41 In an interview in 1995 De Michelis explained the opening in the following terms. Newly appointed Foreign Minister in November 1989, I realized that the closure of the West towards China was the wrong answer to Tiananmen. I always thought that the embargo did not serve anything. And above all, the Chinese gave the impression that we did not understand the real issue, and we once again we had undervalued the issues involved and had taken refuge in our reassuring simplifications. In November of 1989 I already assumed the position of a “heretic” at an exhibitors’ conference on China organized by leaning Centro Studi di Politica Internazionale (CeSPI)42 in Bologna. Against the advice of diplomats of the Foreign Ministry, I wanted to go there and explain that our concern was to encourage the opening up towards China and therefore that the punitive sanctions had to be lifted as soon as possible.43

25 De Michelis was able to follow through on his analysis, for once an active realist position. Undoubtedly trade was a major factor in his calculations but he was able to present himself as somewhat of a pioneer, though not quite unique, as Pini points out that the Spanish Foreign Minister visited Beijing before him. Almost immediately in order to regain economic momentum Italy guaranteed 600 billion Lira to China in relation to the Pudong development which was just then getting underway and was destined to radically change the face of Shanghai and to present to the world a new skyline as memorable as that of Manhattan. This diplomatic role undoubtedly did help to give Italy a more prominent profile as a constructive actor in the international sphere.

26 Then, the flood. The whole Italian political system was swept away in less than two years. Though the Christian Democrat vote had been declining over the years, it was the fall of in the USSR that removed a major reason for its existence and support as a bulwark against communism. A bribery investigation initiated in Milan in February 1992 –referred to as Tangentopoli– began to spread and eventually when internal divisions scuppered the possibility of silencing the judges, the whole edifice of Italian politics was toppled. The investigations had the effect of decimating the promised Italian input in the Pudong project, as the funds earmarked were suspended

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since the awarding of contracts had been illegal. Indeed at least one Italian ambassador was arrested as the investigations reached the level of export credits and foreign aid.44 Thus the motor behind the growth in trade was turned off. Di Michelis categorized this as a tragedy: From the second half of 1992, the Italian crisis began, the Foreign Ministry turned off the taps in relation to cooperation and the entire country virtually disappeared from the international stage. The cooperation between Italy and China was one of the main victims of this. To ensure nothing was done wrong, the Foreign Minister blocked all cooperation projects initiated during my administration, including the Pudong initiative. For nearly three years, no Foreign Minister travelled to Beijing.45

27 This represented the fracture from which relations have not really recovered. He himself later was almost thrown into a canal in Venice after his own trial and conviction for malfeasance. As Pini dryly states when describing the events: “The Chinese, as I remembered from the first page of the life of Lucius Wu, have long memories”.46

28 Yet there is also an alternative relevant narrative in this period, one that recounts an important story that was significant for a large section of the Italian population that was not represented in government. It is largely overlooked since it only had a marginal effect on actual diplomatic and economic relations between the two countries. However it is very much worth recounting, as it did have a major effect on how Beijing viewed Italy and thus in some way did affect its conduct both internally and externally. To do this it is necessary to return to the beginning of the period being discussed.

29 Vittorino Colombo, then Christian Democrat Minister of the Mercantile Marine, travelled to the PRC in 1978, just shortly after the assassination of Aldo Moro by the Red Brigades. Deng expressed his shock at the act and also his bewilderment that the organization responsible ostensibly declared that it drew its inspiration from Leninism and the teachings of Mao Zedong. The effects of the Cultural Revolution were receding rapidly. It was not long after this that relations were reestablished between the PCI and the Chinese Communit Party (CPC). In Rome in 1979 the first steps were taken when representatives of the CPC met with members of the PCI. It took a year of encounters and position papers and statements declaring the precise positions of each party before practical relations were reestablished. The initial signal had arrived on 1st February 1979 as PCI representative Antonio Rubbi was given the task of developing the renewed links after over 15 years of virtual non communication, as he describes in his volume Appunti cinesi dedicated to PCI relations with China from that date up to 1991.47 The process of recovery was indeed a “long march.”48 It seems as if in one sense that the careful footwork was essentially an unraveling of the detailed denouncements that had presaged the break almost two decades previously. By the time Berlinguer travelled to Beijing in April 1980, he had been elevated to most honoured guest status. The Soviet invasion of Afghanistan had caused a rupture between the PCI and the Communist Party of the Soviet Union (CPSU) which adjusted their place in the pantheon. The visit was termed an “historical trip” across the Italian press.49 Berlinguer outlined the motivations of the visit in an article published in L’Unità, “Why We are Travelling to China”: We go because we believe it is necessary and to our advantage to gain a better understanding of the conditions and real situations in which the two parties operate and how politics functions. We go with a clear understanding –on our own

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part and also that of our Chinese comrades– that respect for our respective positions and mutual autonomy is the basis for a frank dialogue, both in terms of points of agreement and on those we have different positions on. These exist and there is no need to hide them. They concern, as is known, many positions, analysis and procedures on various issues. But we go there essentially to look for the space in terms of a possible meeting ground where relations between two parties, two countries and two peoples and the great issues of peace and international cooperation might be constructively developed […]. Never before, when the international scene is increasingly prone to tensions, divisions and dangers, has this need appeared so necessary. We are witnessing a deterioration of international relations so serious that one might fear an imminent catastrophe. This situation demands the wider mobilization of those forces who realize the need to propose new ideas so as to address the crisis and thus reopen a constructive and peaceful dialogue on issues and objectives on which the salvation of humanity depends: new international relations, founded on justice and equal dignity, respect for of peoples to free themselves from imperialist domination and other forms of foreign interference regarding disarmament and the use of resources.50

30 Berlinguer’s use of language is interesting on a number of levels. In the first instance it conveys the fears and preoccupations of the Cold War era. In concentrating on the minute details of interstate relations this element can often lose its significance. Berlinguer speaks as a protagonist. The language of the Christian Democrats was more often than not drawn from the script of a subordinate, eschewing the bigger issues and concentrating on the dues to be paid. Effectively Berlinguer broadened the Italian interaction with China significantly in terms of international relations. The themes however remained largely global rather than bilateral since the PCI remained in opposition. They served well in Beijing however to establish a cordial working relationship again between the two parties. The warmth of Berlinguer’s character was also an element which helped cement relations, helping him establish a close personal rapport with Chinese leaders.

31 One other thing was clear, at one stroke the PCI had supplanted the PSI as Beijing’s preferred interlocutor. During the final meeting between the PCI delegation and Hu Yaobang, Pietro Nenni was lauded in conversations but it was clear that there was no longer any real connection between Beijing and the new leadership of the PSI. Bettino Craxi had visited China in the meantime but only with an invitation from the Association for Friendship between Peoples and had thus not met any politicians of note. On the suggestion of the PCI delegation that Beijing should invite him officially, the Chinese demurred and instead noted the upcoming visit of Pertini, “Is he not a Socialist too?”51 Hu Yaobang inquired. Rubbi notes that the smiles that greeted Hu’s remark indicated that Beijing was well informed on the vicissitudes within the PSI. Dino Gentili was still involved in commercial ventures in China but the political aspect tied to the PSI had distinctly receded.

32 Rubbi describes vividly Hu Yaobang’s clarification of the Cultural Revolution era and its implications in relation to Italy: It remained for the visibly embarrassed Hu Yaobang to offer the required clarification. He returned to the years of the Cultural Revolution. They were not only disastrous for the upheaval caused throughout the country, but also for the image of that the CCP had presented to the world. Instead of connecting with the forces more representative of the labour movement and national liberation movements it had often encouraged small groups on the fringes of the political and cultural scenes of their own countries, who claimed to support the political ideology then prevailing in China. This was also the case in relation to Italy and for

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that Hu now almost apologized. He expressed his regret and assured us that they would no longer have any kind of links with such groups. Pajetta52 relieved him from any further embarrassment with yet another joke: “There are far more serious messes which we could think of”.53

33 There was no point dragging the issue of the death of Aldo Moro into the conversation and one understands the clear objective of the PCI to reestablish uncomplicated links with Beijing, however Pajetta’s remark was ill-weighed in discounting maybe too much. In any case, practical steps were agreed. L’Unità gained permission to locate a permanent correspondent in Beijing and like in the 1950s, a group of Italian students would attend Chinese universities to study Chinese culture and language. Interestingly, a request was also made by the Chinese for help in preparing a translation into Chinese of the works of . The final press conference Rubbi describes as a unique experience: “It was the first time in the post-Mao China had opened itself so publicly to the outside world.”54 At the banquet that followed, in his final speech in Beijing before departure, Berlinguer summed up what had been achieved: These conversations were very useful, it seems to us, for better mutual understanding of the politics professed by our parties and their objective and subjective motivations. The points of consensus and those of divergence have become much clearer. But it is very important, in any case to have tried even when our respective positions are different and even widely diverging, to find a meeting point where dialogue might emanate from and sometimes bring positive results […]. You should know, dear comrades, that the links that the PCI has re-established with your party, it intends to maintain and develop in the context of links with other communist parties and many other workers and democratic forces all over the world, corresponding to our vision of internationalism as an Italian element as a force that is part of a larger progressive movement in Europe and the world […]. We came to China also to contribute to the development of every sector of relations between the two countries, those which correspond to the national interests of Italy and the People’s Republic of China. Also in this sense we feel we have made progress.55

34 One can appreciate from the language used the points of difference Beijing would have had and the fact that they would have through their realist lens have viewed the PCI as being compromised in both the context of national politics and the Communist International. Nevertheless in grappling with their own opening to the West and the consequences of free market economics the relationship certainly was of use and, as Berlinguer stated, the PCI would also promote the Italian national interest as well as theoretical global socialist ideas. Le Monde categorized Berlinguer’s trip as “another step taken by the PCI on the road away from the USSR and towards Europe.”56 The PCI had condemned the invasion of Afghanistan in December 1979 by the USSR and in declining an invitation to attend an international Communist Party gathering in Paris the same year had made clear its differences with Moscow. This of course greatly pleased Beijing. The PCI’s relations with Moscow however remained complicated as it attempted to balance various strategic impulses.

35 The relationship between the two parties developed steadily and was marked by respect. In July 1981, Politburo member and ex-Mayor of Shanghai, Pong Chong, visited Rome and Milan when a Twin City agreement between the latter a Shanghai was signed. When Hu Yaobang issued an invitation to Berlinguer and his family to spend their holidays in the PRC in the summer of 1983, it was readily accepted. The Rubbi family were also to be included in the travelling party. The political situation in Italy in those years of extremist violence had made the annual summer holiday more of a

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period of almost house arrest as security was deployed with a heavy hand. Instead the two weeks that Berlinguer spent in China he described as splendid.57 The other aim apart from some relaxation was to discern the Chinese position on a number of national and international issues, which they were to discover as essentially the same as those expressed three years previously. On arrival in Beijing, Berlinguer was given a distinguished reception, on the same level Rubbi maintains that was only reserved for Kim Il Sung.58 Rubbi describes the meetings with Hu Yaobang and other officials as jovial59. On his departure Hu Yaobang, used the opportunity to get his own message across that: “For the socialist modernization of China –we need peace and stability.”60 Berlinguer’s parting words were to invite Hu to Italy, his response: “I will… I will visit with pleasure, as soon as I can.”61 Unfortunately Berlinguer would not see Hu Yaobang visit Italy; instead in June 1984, Chinese Prime Minister Zhao Ziyang interrupted his visit to Norway to attend Berlinguer’s funeral in Piazza San Giovanni. Zhao remained the following day in Rome. The PCI seemed a little taken aback concerning the strength of feeling displayed by Zhao and his entourage in regard to Berlinguer. Rubbi related the enquiries of Zhou regarding the scenes at Berlinguer’s funeral: What does it mean for Italy and the Italians I have seen in Piazza San Giovanni? He maintained it was something similar to the funeral of Zhou Enlai (the pain of the people when it is sincere, one senses and feels it well beyond the [formal] directives of the party).62

36 Alessandro Natta replaced Berlinguer as party leader and astutely continued the development of relations with Beijing. The PCI speaker of the House of Deputies, Nilde Iotti, briefly visited China shortly afterwards, invited by a Chinese Women’s Association, followed by , Macaluso and Pajetta. Natta as new party leader arrived in Beijing in October 1985. The invitation had been proffered a year previously, when Natta had been elected to replace Berlinguer. At the first banquet Hu Yaobang invoked the memory of Berlinguer: “his vision, his deep thought, his self- effacing style and honesty, his firmness and determination will remain forever in our memory.”63 He added a reference to a Chinese proverb: “flowers in spring, fruit in the autumn.”64 Berlinguer had caused the blossoms to flower and Natta was there to harvest the benefits.

37 The meeting with Deng Xiaoping was auspicious. Deng spoke about his first encounter with representatives of the PCI in the 1920s when he had spent a period of time in Paris working and ostensibly studying as a youth. He recalled his encounters with Togliatti, Longo and with Berlinguer in 1980 and summed up relations briefly and somewhat dryly: Over the years we have made mistakes but even you in certain circumstances have not done everything right. But for five years now we have had a very positive relationship and that is what counts.65

38 Both parties had now taken the measure of each other and had obviously developed a respectful working relationship. Beijing hoped to see the PCI move further outside the orbit of Moscow and the PCI hoped to see Beijing integrating itself more and more into international institutions. Natta’s trip was however to be cut short due to the fall out of the Achille Lauro incident 66 and the resulting political destabilization in Rome and ramifications of the standoff between Italian and US authorities.

39 Further discussion had to wait until Hu Yaobang visited Rome in June 1986. This was a visit well thought out and Hu, assiduously paid his respects to all the key state office holders from Prime Minister Bettino Craxi, Foreign Minister Giulio Andreotti and

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President , through the speakers of both houses, Fanfani and Iotti to the graceful acknowledgement of ex-President Pertini. This did not go amiss in a country that so values recognition. Apart from the special request for a day apart to deal with meetings with the PCI, Hu also paid a visit to Turin and the headquarters of FIAT as the last stop on his trip.

40 Rubbi states: “We were proven right. Upon returning home Hu accelerated the drive toward political reform and renewal.”67 The question remains in the context of these reforms and also the position taken by Zhao Ziyang, how much of an influence did the detailed dialogue between the PCI and the CPC have on the outlook and policy of these two key figures in the Chinese administration. Their admiration for Berlinguer and his ideas was clearly apparent. The outpouring of grief at his funeral certainly as previously evidenced had a distinct effect on Zhao Ziyang. I believe that the interaction between the two parties did influence these two individuals greatly in regard to their reformist stance. However it is nigh impossible in the available documents to find traces of this. In the transcription of a meeting on Natta’s trip Hu did declare that: “ must be fostered and promoted through the development of democracy within the Party. A Party that has vitality and dynamism can promote democracy within our country.”68 This seems a clear echo of PCI thinking. Both Hu and Zhao recognized the implications for the PRC of failure to reform, Deng himself made that clear in declaring that his reforms were essential to maintaining the CPC at the apex of power. Both Hu and Zhao had observed how in Italy a Communist party could command widespread allegiance and respect in a pluralistic system. I believe it was the popular response to the passing of Berlinguer that convinced them that radical reform was the way forward in China. In this sense Zhao seems very much a character in the Gorbachev mould. Deng was much more of a realist and had understood also how his own reforms had followed a path that was not completely of his making but had not gone beyond any threshold that would seriously threaten the power of the CPC. It would only be a short time before the demonstrations in Tiananmen Square would command the headlines.

41 The events in Tiananmen Square caused a rupture in relations between the two communist parties as in the wake of public opinion, the PCI broke off relations with the CCP. They were never really reestablished as the fall of the Berlin wall soon brought about the end of the PCI as it transformed in a new entity the Partito Democratico della Sinistra. A minority effused to accept this and renamed themselves Rifondazione Comunista. Thus by the time relations between Italy and China were again properly constituted again in the early 1990s, the party of Togliatti, Berlinguer and Natta was no more.

42 There is a clear sense that post Tangentopoli, Italy lost China, this is the gist and title of a seminal article by Francesco Sisci in Limes in 2005. 69 We have seen how a half dozen years of real commercial and diplomatic success had been achieved and now almost all was lost in the explosion of Tangentopoli. It was not simply that Italy had lost its place because of the stasis of those years of investigations, rather economic relations went into a tail spin because the Italian State had never invested in coherently supporting them and thus whenever the political and economic winds varied there was always the risk that what had been established would wither away. The motor of development aid was simply turned off. The dynamic SME’s would continue to maintain a high volumes of exports for a number of years, but without government support their decline was

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inevitable, as the Craxi boom came to an end and the Italian economy entered a period of stagnation from which it is yet to emerge. Furthermore in the new governments of the Italian Second Republic, despite the fact that a process of trasformismo had effectively left the underlying elites still in control, most of the old guard that had experience in China were toppled. From the Chinese side there was a sense that Italy had let China down. From this point on the nature of trade was altered. China began to export substantially and Italy suddenly found its textile sector in particular in trouble as cheaper Chinese manufactures entered the market. The end of the Cold War and the fall of the First Italian Republic marked the end of a time period covering just over four decades where despite certain plateaus, relations between Italy and the PRC had tended to follow an upward trend from both perspectives. Thereafter the relationship would become more distant and Italy would rapidly slip down the pecking order of commercial and strategic partners.

43 This should however not obscure the very real successes of the 1980s. It represented a period when there were effective synergies between the two countries. It allowed Italy on the back of the confidence gained in the economic realm to play a meaningful diplomatic role. In the long term however trade volumes were just not sustainable without a consistent export policy underpinned by appropriate investment.

APPENDIXES

Oriana Fallaci’s interview with Deng Xiaoping The interview by Oriana Fallaci was an interesting episode in itself, echoing somewhat Nixon’s interview with Frost. It is again another vignette illustrating a small facet of relations between the two countries without the scenario of institutional restraint. Ironically due to this Fallaci became one of the few Italians to actually discuss directly high level strategic issues with Chinese leaders. In practice this was a subject largely avoided by visiting Italian politicians. Deng Xiaoping, with a more precarious hold on power, hoped that the interview might help shore this up on the international stage rather than leave a record for posterity. The interview had significant international impact and was another episode in the same vein as Chung Kuo Cina which both sheds light from a more media based perspective on relations between Italy and China in a global context. Fallaci was certainly an interesting choice. Mao had used Edgar Snow for an interview to set out his ideas, to be broadcast to the world. His encounter with Curzio Malaparte as already described was a much smaller scale effort and had only an Italian audience in mind. This time Deng’s interview was to be published jointly in Italy and the US. It was as Pini describes, a message designed to be broadcast ‘urbi et orbi’,70 a message that was to clarify and stabilize the position of the new regime. One might have expected Deng to have gone for an English speaking journalist to increase impact. It seems that Fallaci’s reputation as not being a walk over and one that was sufficiently international met Deng’s criteria. She had previously interviewed Nenni in April 1971 71 and Kissinger in November 1972.72 In 1980 she had done an interview with Enrico

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Berlinguer, not long after relations had been reestablished between the two communist parties. Such diversely political interviewees would certainly have recommended her as a suitable candidate, as well as the fact that they were certainly not banal. Indeed Deng seemed to be so happy with the first encounter with Fallaci that he conceded a second session. Deng also had one to one encounters with another lady of forceful character , which he also seemed to relish. Fallaci’s opening gambit was to wish him a happy birthday which caught Deng off guard: Deng: My birthday?! It’s my birthday tomorrow?! Fallaci: Yes, I read it in your biography Deng: Uhm! If you say so… I do not know when my birthday is and nevertheless if it is my birthday it is not exactly something to be congratulated upon. It means I have reached the age of seventy six. Seventy six is a decadent age to be. Fallaci: My father is the same age Mr. Deng, and if I said to my father that he had reached a decadent age he would give me a slap. Deng: Alright! You wouldn’t want to say something like that to your father, eh! 73 Thus the ice was broken and one can sense the tone of benign sparring immediately, that ran through the whole encounter. Fallaci moved on immediately to more serious matters and directly the crucial question: Fallaci: Mr. Deng, in an article published by the Western papers you wrote that China is at a turning point comparable to a second revolution. And indeed, a traveler who arrives in Beijing today, in the late summer of 1980, experiences an almost physical sensation of great change: no uniforms, no slogans, no enveloping red. As for the portraits of Mao Tse-Tung, so far I’ve only seen three, including the one above the entrance to the Forbidden City in the company of the images of Marx, Engles, Lenin and Stalin. I have chosen this particular detail to lead into my first question: Will these rare portraits of Mao remain? Deng: They will definitely remain. They will remain forever, including the one in Tiananmen Square. In the past there were too many portraits of Chairman Mao. In the end this reduced them to the level of banality making them trivial, even disrespectful, and therefore we removed them, but… Look, Chairman Mao made mistakes, yes. But he was also one of the principle founders of the Chinese Communist Party and the People’s Republic of China. Even taking into account his errors, his positive actions remain primary. This means that the contribution he gave to the Chinese revolution will always sustain his memory. We will always think of him as one of the founders of the party and the People’s Republic.74 Deng thus got his primary message delivered and more relaxed, was happy to range over many issues and respond in his own way. As the interview drew to a close he echoed the message in no uncertain terms: Deng: Thank you and please make it understood [to your audience] everything I have said. Explain well that it is necessary to promote an objective evaluation of Chairman Mao, to first consider his merits, then his mistakes. Explain well how we will continue to follow the ‘Thought of Mao Tse-tung’, but that we also clearly point out where he made mistakes. Above all explain well that some of those mistakes were also our responsibility, including mine! Fallaci: I will indeed Mr. Deng, please allow me one last question: What evaluation would you give himself? Deng: Hmm! Listen: I’ve made mistakes, yes, and sometimes even serious mistakes. But I have never done anything with malicious or bad motives. I have always done what I have done with good intentions. So there is nothing that I feel I have a guilty conscience about. Hmm! Listen: I would say that I could give myself a score of fifty percent. Yes, fifty percent is fine.75

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Thus straightforward Chinese self-criticism met the Italian Catholic confessional, with Deng throwing in his own redemption. He was able to get his message immediately across that there was a change in regime which was stable and which would not desecrate the memory of Mao in the way Khrushchev had demolished Stalin. Deng reserved his only harsh words for Mao’s widow Jiang Qing, whom he described as absolutely rotten, meriting one part good, to one thousand nine hundred and ninety nine parts bad.76 Mao himself in contrast received the assessment of one third bad, two thirds good, a position adopted form ally by the party in July 1981. As Pini notes that was the quotient that Mao himself had applied to Deng in 1973.77

NOTES

1. Mario Filippo Pini, Italia e Cina. 60 anni tra passato e futuro, Rome, L’Asino d’oro, 2011, p. 167-168. 2. Quansheng Zhao, Interpreting Chinese Foreign Policy: The Micro-macro Linkage Approach, Hong Kong, Oxford University Press (China) Ltd., 1996, p. 50. 3. See George C. Wang, ed. (and translated by) China under the Four Modernizations: Part 1. Selected Papers Submitted to the Joint Economic Committee. Congress of the United States, Ninety-Seventh Congress, Second Session, Washington, DC., US GPO, 1982. 4. Quansheng Zhao, Interpreting Chinese Foreign Policy…, op. cit., p. 50. 5. See articles on 30th anniversary of the establishment of the Shenzhen SEZ in the China Daily: http://www.chinadaily.com.cn/bizchina/shenzhen30years/sz.html, accessed 12.03.2014. 6. See Fan Ying, “Research on Joint Ventures in China: Progress and Prognosis”, Journal of Euromarketing, vol. 4, no 3-4, 1996, p. 71-88 for further background. 7. Giacomo Luciani, Alcune ipotesi e considerazioni sui possibili sviluppi di una politica di cooperazione economica fra l’Italia e la Repubblica Cinese, Rome, IAI, 1980, p. 7. 8. Ibid., p. 16-17. 9. Vittorio Colombo, Incontri con la Cina, Milan, Istituto Italo Cinese, 1995, p. 77. 10. Testi e documenti sulla politica estera dell’Italia, Rome, Ministero Affari Esteri, 1978, p. 168. 11. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 175. 12. Aldo Rizzo, “Hua è partito”, La Stampa, 7 November 1979, p. 1. 13. Ibid. 14. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 177. 15. Michaelangelo Jacobucci, Pertini uomo di pace: i viaggi del presidente, Milan, Rizzoli, 1985, p. 152‑153. 16. See appendix. 17. Statistica annuale del commercio con l’estero 1978, Rome, ISTAT, 1978. 18. Ibid. 19. Statistica annuale del commercio con l’estero 1984, Rome, ISTAT, 1984. 20. “La grande industria italiana alla scoperta del pianeta Cina”, La Repubblica, 7 November 1986, p. 49. 21. The phrase was coined by UK Foreign Secretary Douglas Hurd at a Chatham House lecture in 1993. http://news.bbc.co.uk/hi/english/static/in_depth/uk_politics/2001/open_politics/ foreign_policy/uks_world_role.stm, accessed 11.03.2014. 22. Aldo Rizzo, “Hua è partito”, art. cit., p. 1. 23. Archivio Storico FIAT, Turin, Fondo Pedrani, b. 11, China Project – Agricultural Tractors, Considerations on the New Production Programs. 24. “La Cina apre le porte ai trattori FIAT”, La Repubblica, 8 June 1985, p. 39.

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25. Disposizione Organizzativa n. 2/79, 15 October 1979, Archivio Storico FIAT, Turin, Fondo Delibere, 1002. 26. “Maxicontratto della FIAT con la Cina per la produzione di camion leggeri”, La Repubblica, 13 September 1986, p. 47. 27. “La grande industria italiana alla scoperta del pianeta Cina”, La Repubblica, 7 November 1986, p. 49. 28. Quoted in an interview with Dino Gentili: “COGIS – Dal commercio una sorgente di amicizia”, Il Giorno, 21 December 1972. 29. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 193. 30. Testi e Documenti sulla politica estera dell’Italia, Rome, Ministero Affari Esteri, 1986, p. 179. 31. “Spadolini a Pechino – La Cina dice No alle guerre stellari”, L’Unità, 6 April 1985, p. 2. 32. “La grande industria italiana alla scoperta del pianeta Cina”, La Repubblica, 7 November 1986, p. 49. 33. “Alenia sulla rotta di Marco Polo, punta alla leadership nei radar”, L’Unità, 25 January 1992, p. 16. 34. Francesco Sisci, “Come abbiamo perso la Cina”, Limes, no 6, 2005, p. 273. 35. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 190. 36. Massimo Ianniccui, “La Politica della cooperazione italiana in Cina”, Mondo Cinese, no 103, 2000, http://www.tuttocina.it/mondo_cinese/103/103_iann.htm#.UyCGMmeYY5g, accessed 12.10.14. 37. Kwan Ha Yim (ed.), China Under Deng, New York, Facts on File, 1991, p. 154. 38. Ilaria Fiore, Tien An Men, Turin, Nuova Eri, 1990. 39. Radio Radicale interview with Li Peng (sound recording), Rome, 1992, http:// www.radioradicale.it/scheda/44257/44302-visita-ufficiale-in-italia-del-leader-cinese-li-peng, last accessed January 2014. 40. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 201. 41. Francsco Sisci, “Come abbiamo perso…”, art. cit., p. 274. 42. The CeSPI is an independent Italian think tank, which had for long close tights with the former Italian communist party. 43. Gianni De Michelis, “La Cina: istruzioni per l’uso”, Limes, no 1, 1995, p. 209. 44. Denis Mack Smith, Modern Italy: A Political History, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997, p. 484. 45. Gianni De Michelis, “La Cina: istruzioni…”, art. cit., p. 209. 46. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 203. 47. Antonio Rubbi, Appunti cinesi, Rome, Editori Riuniti, 1992, p. 3. 48. Ibid., p. 79. 49. Ibid., p. 101. 50. Enrico Berlinguer, “Perché andiamo in Cina”, L’Unità, 13 April 1980, p. 1. 51. Antonio Rubbi, Appunti cinesi…, op. cit., p. 140. 52. Giancarlo Pajetta was a member of the National Secretariat of the PCI, with responsibility for its international relations. 53. Antonio Rubbi, Appunti cinesi…, op. cit., p. 141. 54. Ibid., p. 142. 55. Archivio Gramsci (Rome), Fondo Berlinguer, Viaggio in Cina 1980, Discorsi Pubblici, b. 168, Brindisi di Enrico Berlinguer al banchetto di commiato offerto alla delegazione italiana dal compagno Hu Yaobang, Beijing, 22 April 1980. 56. Antonio Rubbi, Appunti cinesi…, op. cit., p. 150. 57. Ibid., p. 173. 58. Ibid., p. 181. 59. Ibid., p. 182.

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60. Ibid., p. 203. 61. Ibid., p. 203. 62. Ibid., p. 206. 63. Ibid., p. 215. 64. Ibid., p. 215. 65. Ibid., p. 224. 66. The hijacking of the Italian cruise liner Achille Lauro in the Mediterranean by members of the Palestinian Liberation Front (PLF) led to somewhat of a crisis in the Italian government and a standoff between the Italian and US armed forces in regard to taking the captured hijackers into custody. 67. Ibid., p. 259. 68. Archivio Gramsci, Fondo Natta, Scritti e Discorsi, b. 42, Viaggio in Cina, Riscontro. 69. Francsco Sisci, “Come abbiamo perso…”, art. cit., p. 269-275. 70. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 180. 71. Oriana Fallaci, Intervista con la Storia, Milan, BUR Rizzoli, 2008, p. 334-365. 72. Oriana Fallaci, Intervista con la Storia, Milan, Rizzoli, 1977, p. 15-38. 73. Oriana Fallaci, Intervista con il Potere, Milan, Rizzoli, 2009, p. 463. 74. Ibid., p. 464. 75. Ibid., p. 498. Giulio Andreotti despite his regular trips to the confessional never offered the same level of public examination of conscience. Deng’s comments on his clear conscience have however been echoed by Andreotti on numerous occasions. 76. Ibid., p. 516. 77. Mario Filippo Pini, Italia e Cina…, op. cit., p. 181.

ABSTRACTS

This article identifies the high point of relations between Italy and the People’s Republic of China and argues that it was the prerogatives of domestic politics and specifically the aftermath of the imploding of the Italian political system in the wake of the “Clean hands” investigations initiated by judges in Milan that was responsible for the subsequent major rupture. The analyze focuses on the varying trajectories of both states, which produced the circumstances that permitted a very significant growth in Italian exports to the PRC, to the extent that in Europe only West Germany boasted a superior performance. Attitudes within the Government are further examined to account for the volatile nature of relations both in the economic and diplomatic spheres.

Les relations entre l’Italie et la République Populaire de Chine connaissent une phase particulièrement intense dans les années 1980-1990. À partir de ce contexte, cet article propose d’analyser comment une question interne, l’implosion du système politique italien à la suite des enquêtes judiciaires de , engendre une rupture majeure dans ces relations. Les évolutions des trajectoires de ces deux États permettent notamment le développement de circonstances favorables aux échanges : les exportations italiennes en République Populaire de Chine font un bond en avant, et l’Italie se classe alors au second rang des exportateurs européens en Chine, derrière l’Allemagne. L’examen des différentes tendances qui se manifestent au sein du gouvernement permet cependant de souligner une relative instabilité des relations entre les sphères économiques et diplomatiques.

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INDEX

Mots-clés: Italie, République Populaire de Chine, relations diplomatiques, commerce, relations économiques, Tangentopoli Keywords: Italy, People’s Republic of China, diplomatic relations, trade, economic relations, Tangentopoli

AUTHOR

SEAMUS TAGGART Seamus Taggart earned a B.A. (Hons.) in History from Trinity College, University of Dublin in 1991, an M.A. (1999) in International Relations from the Paul H. Nitze School of Advanced International Studies (SAIS), Johns Hopkins University and a Ph.D. (2012) in International Studies from the Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), Geneva. He is the joint author of Italy – Garibaldi’s Mistake? (Edizioni dell’Orso, 2012) and various chapters and articles on Italian and Irish politics and the use of political language including: “The Discourse of Irish Nationalism: The Metamorphosis or Emasculation of Irish Republicanism?”, in The Changing Political Language of Northern Ireland, edited by Patrick McCarthy, Johns Hopkins University, Occasional Paper, European Studies Seminar Series, 1999. He is currently Research Coordinator at the International Balzan Foundation in Milan, Italy. seamus. [email protected]

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L’Italie et les euromissiles : crise et relance de l’intérêt national

Giovanni Faleg

Introduction

1 La crise des euromissiles représente une phase clé de l’affrontement Est-Ouest. Elle commence officiellement le 28 octobre 1977, avec le discours du chancelier allemand Helmut Schmidt à l’Institut international d’études stratégiques de Londres, et s’achève dix ans plus tard, le 8 décembre 1987, avec la signature à Washington du Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire. Cette crise se produit pendant une période délicate, caractérisée par un retour de la confrontation entre les deux superpuissances, après la normalisation de la première moitié des années soixante-dix.

2 Entre l’été 1977 et l’automne 1979, l’aggravation du débat sur la modernisation des forces nucléaires de théâtre de l’OTAN a marqué le passage d’une situation d’équilibre systémique à une phase « d’équilibrisme » diplomatique et politique. Elle correspond, en effet, à un véritable déséquilibre militaire, dès lors que l’URSS déploie ses nouveaux missiles balistiques de portée intermédiaire SS‑20. Pour les Alliés européens, il s’agit d’une menace envers la sécurité du continent, alourdie par les spectres de la guerre limitée et du découplage militaire1. Les démarches entreprises par l’Alliance atlantique pour moderniser son arsenal nucléaire de théâtre et rétablir l’équilibre militaire avec le pacte de Varsovie ont une signification particulière pour l’Italie, un pays à la périphérie de l’Alliance qui se retrouve en première ligne dans la gestion de la crise et devient par la suite l’un des principaux artisans du rapprochement consécutif à la double décision.

3 En Italie, les euromissiles ont produit des conséquences importantes en matière de politique étrangère. Celle-ci avait été, depuis 1945, peu visible et soumise aux intérêts de la puissance américaine. De plus, tout au long des années soixante-dix, l’instabilité politique interne, le terrorisme et la crise économique contribuent à renforcer la perception d’instabilité à l’égard de l’Italie. Ces facteurs avaient en même temps modifié les équilibres de force au sein du système politique italien, qui, en 1979, doit prendre acte une fois pour toutes de la fin du compromis historique, c’est-à-dire de la

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possibilité d’une coopération transversale entre Démocratie chrétienne (DC) et Parti communiste italien (PCI). La rupture entre les partis du centre / centre gauche et le PCI ouvre alors une phase de transition et d’incertitudes, qui dure jusqu’à la réorganisation de la vie politique autour d’une succession de coalitions centristes dénommées 2. Or ce passage de témoin marqué par l’isolement du PCI coïncide avec le début de la crise des euromissiles.

4 Dans un pays où les affaires intérieures sont traditionnellement influencées par les dynamiques internationales, la crise engendre des effets importants : elle constitue un outil formidable pour le rééquilibrage de la vie politique, en marginalisant le parti communiste et en ouvrant la voie à l’accession au pouvoir du parti socialiste, mais elle relance aussi le débat sur la nécessité de définir une ligne de politique étrangère et de défense plus active, au service de l’intérêt national, notamment dans la Méditerranée.

5 En sus de cette dimension interne, le débat italien sur les euromissiles se révèle décisif pour l’Alliance atlantique. Le soutien donné par le gouvernement Cossiga (août 1979 - avril 1980) au programme de modernisation des forces nucléaires de portée intermédiaire de l’OTAN et, ensuite, la position du gouvernement Craxi (août 1983 - août 1986), favorable au déploiement des missiles américains à Comiso, en Sicile, débloquent de facto la prise de décision au sein de l’Alliance atlantique.

6 Cet article analyse la position italienne dans l’adoption et l’application de la double décision de l’OTAN, ainsi que les conséquences sur le rapport au monde de l’Italie. Il illustre un cas très significatif de correspondance entre politique intérieure et extérieure, une spécificité de l’Italie. La façon dont la classe politique italienne conçoit le rôle de l’Italie dans l’affrontement Est-Ouest, et plus généralement dans le monde, en sort transformée. Les euromissiles représentent donc un tournant historique pour la politique étrangère italienne et illustrent également sa dépendance vis-à-vis des contraintes externes et internes.

7 Nous suivrons deux phases pour développer notre analyse : d’abord l’élaboration et l’adoption de la double décision (1979) et ensuite la période entre 1980 et 1983, avec les conséquences du déploiement des euromissiles italiens sur les équilibres internes et la politique étrangère italienne.

Le rôle de l’Italie dans l’élaboration de la double décision

8 Les problèmes politiques et stratégiques liés aux euromissiles apparaissent dans le débat politique italien à partir du printemps 1979. Jusque-là, les enjeux de la disparité des forces nucléaires en Europe et de la modernisation de la Long-Range Theater Nuclear Force de l’OTAN n’avaient rencontré que peu d’écho en Italie, à l’exception des cercles militaires, diplomatiques et de quelques experts des questions de sécurité. Même le discours du chancelier Schmidt d’octobre 1977, lorsqu’il lance un cri d’alarme face à l’installation des missiles SS-20 soviétiques, et les débats successifs au sein de l’Alliance atlantique n’avaient pas suscité l’intérêt des médias de la péninsule.

9 Lorsqu’en 1979 l’Italie doit faire face à la décision de devoir éventuellement approuver le programme de modernisation et de déploiement des forces nucléaires de théâtre de l’OTAN, le système politique se trouve pris au dépourvu. À l’inverse de leurs homologues européens, les députés et les partis italiens n’avaient que très rarement

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traité les questions de défense et de sécurité, et il convient également de souligner la quasi-absence d’une véritable réflexion stratégique italienne visant à sauvegarder l’intérêt national.

10 L’adhésion de l’Italie au programme de modernisation des forces nucléaires de théâtre de l’OTAN était cependant essentielle pour que l’Alliance puisse prendre cette décision, à la suite du principe de « non singularité » invoqué par le chancelier Schmidt au sommet de la Guadeloupe (janvier 1979) comme condition préalable à l’installation des missiles américains en territoire allemand. L’accord allemand dépend donc d’un éventuel accord italien. L’intérêt de Rome dans l’affaire se développe à partir du moment où l’Italie devient, par le jeu des circonstances, le pays clé de l’Alliance pour le déploiement.

11 Il convient, tout d’abord, de rappeler le débat sur les euromissiles en Italie, pendant l’année 1979. Pourquoi l’Italie a-t-elle accepté d’accueillir les euromissiles sur son territoire ? Les finalités de politique étrangère s’inscrivaient-elles dans un but fonctionnel de transformation des équilibres sociopolitiques existants3 ? Ou bien l’intérêt national a-t-il défié l’instabilité politique ?

Du sommet de la Guadeloupe aux élections du juin 1979 : l’Italie et les euromissiles, un « tacitum pactum » ?

Le complexe de la Guadeloupe et la fin du compromis historique : le prix de l’instabilité politique et le cadeau de Schmidt

12 En janvier 1979, le sommet de la Guadeloupe a une saveur amère pour le gouvernement italien. L’exclusion de l’Italie du directoire informel qui vient de se constituer au sein de l’Alliance atlantique provoque une profonde humiliation, interprétée comme l’un des signes du manque d’influence du pays à l’échelle internationale4. Elle représente, surtout, l’aboutissement d’une période historique pendant laquelle l’instabilité politique interne avait créé un déficit de crédibilité internationale. Pour les membres de l’Alliance atlantique, et notamment pour les États-Unis, l’Italie était, certes, un allié parmi les plus fidèles, mais péchait par son manque de fiabilité. Les raisons de ce manque de confiance avaient été confirmées par les faits quelques jours après le sommet de la Guadeloupe : le 26 janvier, Enrico Berlinguer avait annoncé que le parti communiste cessait de soutenir le gouvernement de Giulio Andreotti, ouvrant ainsi l’une des plus graves crises politiques de l’après 1945 et la fin de la saison du « compromis historique ».

13 En même temps, la crise politique en Italie avait commencé à tracasser l’administration américaine, soucieuse, d’un côté, de trouver un allié qui soit disposé à répondre à l’appel du chancelier Schmidt, et inquiète, de l’autre, des conséquences que cette crise aurait pu produire dans la patrie du plus puissant parti communiste de l’Europe occidentale5.

14 En résumé, le cheminement initial de la double décision en Italie est un mélange de trois facteurs : d’abord, la volonté de la diplomatie italienne et d’une partie de la classe politique de s’affranchir du « complexe de la Guadeloupe », l’Italie ne pouvant pas rester en marge des rencontres qui pesaient sur les dynamiques internationales. Deuxièmement, l’action exercée par les États-Unis dans le but de lancer un « ballon d’essai » concernant la participation de l’Italie au programme de l’OTAN, en engageant

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des pourparlers informels et en portant une attention scrupuleuse à l’évolution politique du pays. Enfin, il ne faut pas négliger l’importance des problématiques internes et des échéances électorales prévues pour juin 1979.

15 Compte tenu de l’interaction de ces trois facteurs, il faut signaler qu’en Italie ce sont les diplomates otaniens qui s’intéressent en premier au sujet des euromissiles et essayent de faire pression sur l’élite politique. Dans leurs travaux, Ciarrapico, Nuti et Gardner mettent en évidence une convergence sur le dossier euromissiles entre les diplomates italiens attachés à l’OTAN, qui suivaient depuis 1977 les travaux du Groupe de haut niveau, et la direction des Affaires politiques du ministère des Affaires étrangères italien, en faveur de la participation de l’Italie au programme de modernisation6. L’état- major de la défense reste en revanche opposé à la participation italienne, tout au moins jusqu’en janvier 1979, car il est préoccupé par un alourdissement du budget qui aurait pu se faire au détriment des dépenses allouées aux forces conventionnelles, jugées prioritaires. L’administration du ministère des Affaires étrangères est elle aussi prudente car elle est bien consciente que, malgré l’acceptation de l’atlantisme par le PCI, il n’aurait pas été question de prendre une décision ouvertement hostile à l’URSS, une potentielle source de problèmes pour le gouvernement.

16 Après le sommet de la Guadeloupe, la position du gouvernement italien change. Le ministre italien des Affaires étrangères, , et le ministre de la Défense, , optent pour une position plus avancée – mais toujours prudente – de l’Italie sur le dossier euromissiles. Le 22 février 1979 Roberto Ducci, ambassadeur italien à Londres, Antonio Ciarrapico, diplomate à la représentation permanente auprès de l’OTAN, et Roberto De Franchis, chef du bureau OTAN de la Farnesina (le siège du ministère des Affaires étrangères à Rome), participent à une rencontre bilatérale avec des représentants du Royaume-Uni.

17 La participation de l’Italie au programme de modernisation de l’OTAN est alors mise sur la table, en vue de la réunion du Groupe de haut niveau programmée à Colorado Springs les 28 février et 1er mars. Elle est pourtant conditionnée à l’axiome qu’il n’y aurait jamais plus « d’autres Guadeloupes », c’est-à-dire que l’Italie ne serait plus exclue de ce type de rencontres internationales7. Avant de se rendre aux États-Unis, Ciarrapico reçoit des instructions de la capitale, alors que jusqu’à ce moment Rome n’avait pris aucune position sur le dossier en laissant ses diplomates libres… de ne pas prendre position. Ciarrapico prend connaissance d’un échange de lettres entre Forlani et Ruffini dans lequel les deux ministres affirment la nécessité d’éviter toute position d’abstention ou refus au programme, en allant dans la direction d’une acceptation « conditionnée ». C’est ainsi que, à la fin de la réunion du Groupe de haut niveau à Colorado Springs, et après avoir maintenu une position très prudente pour éviter toute complication ou fuite d’information, Ciarrapico s’entretient avec McGiffert, qui dirigeait les travaux du Groupe de haut niveau, et lui explique que la situation en Italie était virtuellement débloquée, mais qu’en raison des contingences politiques il n’aurait pas été possible d’assumer publiquement une telle responsabilité et qu’il aurait fallu du temps pour élaborer un plan d’engagement et préparer la décision italienne8. En gros, c’était un « oui » tacite de la part de l’Italie, qui toutefois ne pouvait pas être déclaré ouvertement pour ne pas troubler la situation politique interne.

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Washington fait pression : la mission à Rome de David Aaron et les conditions du gouvernement italien

18 Au mois de mars 1979, le tour européen de David Aaron, le vice-conseiller américain pour les affaires de sécurité, passe par Rome. Bien que les premiers pourparlers aient été déjà entamés à Colorado Springs, Washington reste sceptique quant à la disponibilité de Rome pour accueillir les missiles américains. En effet, le poids du PCI est susceptible de lui donner un véritable droit de veto sur une telle décision, et le parti socialiste, compte tenu de sa tradition vouée au neutralisme et au pacifisme, n’aurait guère pu appuyer la DC qui aurait donc dû supporter un poids trop lourd, d’autant plus qu’une crise à l’intérieur du gouvernement venait juste de se produire.

19 Il est vrai aussi qu’il n’y avait pas d’autres véritables alternatives. Les Pays-Bas et la Belgique, les premiers deux pays sur lesquels les États-Unis comptaient pour rassurer Schmidt sur le principe de non-singularité, s’étaient montrés perplexes en raison de l’opposition interne qu’une telle décision aurait provoquée. De plus, lors de la visite d’Aaron à Bonn, le gouvernement allemand avait confirmé la position assumée à la Guadeloupe, à savoir qu’il n’aurait pas soutenu le programme de l’OTAN en accueillant les missiles sans qu’un autre gouvernement ne fasse de même. Aaron arrive à Rome les mains vides.

20 Sur la base des documents et des témoignages disponibles, les représentants du gouvernement italien qu’Aaron rencontre lors de son premier voyage à Rome auraient tous exprimé l’intérêt de l’Italie pour les nouvelles armes, en gardant en même temps une approche prudente et formulant des remarques formelles concernant l’élaboration de la prise de décision. La priorité pour l’Italie était d’éviter d’autres humiliations sur la scène internationale après l’exclusion du sommet de la Guadeloupe ; or si cela devait passer par le soutien italien au programme de modernisation nucléaire, il fallait tenir compte de l’impact dans l’opinion publique et bien choisir le moment pour lancer le débat. Pour cette raison, les ministres Forlani et Ruffini, tout en acceptant le principe qu’une décision aurait dû être prise au mois de décembre 1979 au plus tard, demandent que le débat en Italie démarre après les élections, programmées pour juin. De même, le gouvernement italien estime nécessaire d’engager un processus de maîtrise des armements parallèle au programme de modernisation, rejoignant la proposition du chancelier Schmidt. Le groupe spécial, chargé d’approfondir cet aspect de la double décision, commence ses travaux peu après, en avril.

21 Outre ces aspects, nécessaires pour huiler les mécanismes du débat public, le gouvernement italien pose deux conditions supplémentaires, une économique et l’autre juridique. D’abord, il demande une forme de partage des dépenses, puisque le bilan de la défense en Italie ne permettait pas de mobiliser des ressources supplémentaires pour financer le programme de déploiement. Ensuite, en ce qui concerne l’aspect juridique, le gouvernement italien demande que l’OTAN adopte une décision sur le principe, mais que la définition des accords techniques qui en découlent soit réglée par des négociations bilatérales entre les États-Unis et les alliés9.

Qui a dit « oui » ? Euromissiles et équilibres internes, en attendant les élections

22 Au cours du printemps 1979, la position italienne sur les euromissiles semble se consolider et on enregistre désormais une tendance favorable aux missiles au niveau des ministères des Affaire étrangères et de la Défense10. Au mois de mai, une délégation

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de l’état-major italien de la défense se rend à Washington pour aborder les détails techniques d’une éventuelle participation de Rome au programme de l’OTAN. Fin juin, le ministre Ruffini et le sous-secrétaire aux Affaires étrangères Battaglia réaffirment le soutien du gouvernement italien lors d’une visite d’une délégation du Congrès des États-Unis, mettant toujours en avant la nécessité de gérer avec doigté le débat public et d’éviter une débâcle11.

23 L’administration américaine commençait toutefois à se montrer de plus en plus soucieuse, voire inquiète, à propos des changements politiques en cours en Italie. La fin du compromis historique ouvrait de nouveaux scénarios dont Washington ne pouvait pas sous-estimer la portée. Naturellement la problématique tournait autour du PCI. Les États-Unis avaient jusque-là manifesté maintes fois leur opposition à l’entrée des communistes dans les coalitions de gouvernement pendant la phase des exécutifs dits de solidarité nationale.

24 Or la situation en 1979 n’était plus celle de 1976. Le PCI était encore, certes, le deuxième parti italien et, vu l’importance géostratégique de l’Italie et la présence des bases de l’OTAN dans la péninsule, les États-Unis ne voyaient pas d’un bon œil la participation éventuelle des communistes au gouvernement. Mais l’eurocommunisme de Berlinguer avait commencé à révéler de profondes contradictions et le PCI chutait dans les sondages qui précédaient les élections de juin 1979. De plus, l’Italie était un pays socialement choqué et profondément divisé par le terrorisme et la crise économique. Fallait-il continuer à s’opposer à l’entrée du PCI dans le gouvernement, une perspective qui de toute façon semblait peu probable vu l’opposition du courant majoritaire au sein de la Démocratie chrétienne et la perte d’une partie de l’électorat suite à l’exécution d’Aldo Moro par les Brigades rouges ? Quelles auraient été les conséquences d’un retour du PCI dans l’opposition pour la gouvernabilité du pays ? Quelles auraient été les implications du résultat électoral sur la politique extérieure italienne ?

25 Dans cet environnement politique incertain, les décideurs américains étaient confus sur la démarche à suivre au moins autant que leurs homologues italiens12. En même temps il était certain que le feu vert du gouvernement italien à l’installation des missiles de croisière n’aurait pas pu être donné avant la formation du nouveau gouvernement. Cette attente aurait aussi permis de réévaluer la question communiste en Italie en fonction des résultats des élections. Ce sont donc les euromissiles qui fournissent l’occasion d’une manœuvre consistant à prendre les communistes par leur flanc « socialiste ». L’histoire fait ainsi se croiser le parcours du Parti socialiste italien (PSI) avec la double décision de l’OTAN.

Le gouvernement Cossiga, le parti socialiste et le soutien italien à la double décision de l’OTAN (août 1979 - décembre 1979)

Les élections de juin 1979 et la formation du gouvernement Cossiga. La préparation du débat sur les euromissiles : la parole au politique

26 Les élections parlementaires des 3 et 4 juin 1979 représentent un tournant historique. La Démocratie chrétienne obtient 38,3 % des suffrages tandis que le Parti communiste n’arrive qu’à un décevant 30,4 %. Ces deux résultats doivent d’ailleurs être lus à la lumière de deux considérations. D’abord, pour la Démocratie chrétienne, c’est le courant hostile au compromis historique qui l’emporte : le député anti-communiste

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Gerardo Bianco gagne la bataille pour le leadership du parti à la Chambre le 30 juin au détriment de Giovanni Galloni13. Le deuxième constat porte sur le début du déclin du parti communiste. Alors qu’en 1976 le PCI avait obtenu un étonnant 34,4 %, les élections de 1979 confirment la validité de l’approche d’Aldo Moro et du piège de la solidarité nationale : l’entrée dans la coalition de gouvernement avait été un désastre pour le parti communiste, qui avait dû faire face à la responsabilité de prendre des décisions impopulaires sans même obtenir de portefeuilles ministériels14. C’est la première fois dans l’histoire républicaine que le Parti communiste perd des voix. Ce déclin se prolonge lors des élections européennes qui se tiennent, en Italie, le 10 juin 1979, lorsque le PCI n’obtient que 29,6 % des suffrages alors que la Démocratie chrétienne obtient 36,4 %. Le Parti communiste, après trois ans de solidarité nationale, retourne à l’opposition. Cependant, la formation du gouvernement ne se fait pas sans difficultés. Après plusieurs consultations avec les partis politiques, au début du mois d’août le président de la République Sandro Pertini convoque Francesco Cossiga et lui confie la responsabilité de former le gouvernement.

27 Le 4 août 1979, Cossiga devient le président du Conseil d’un gouvernement composé de la Démocratie chrétienne, du Parti libéral et du Parti social-démocrate italien, mais qui peut compter aussi sur le soutien externe du Parti républicain et sur l’abstention du Parti socialiste. C’est ce gouvernement qui assume la responsabilité d’exprimer le soutien italien à la décision de l’OTAN. Il s’agissait non seulement de confirmer des engagements qui avaient été pris, jusque-là, de façon informelle, mais aussi de faire vite, car les pressions internationales augmentaient, alors que la date butoir de décembre 1979 s’approchait. C’est justement dans le but de vérifier que les Italiens auraient été « à l’heure » que, peu avant la formation du gouvernement Cossiga, le chancelier allemand Helmut Schmidt arrive à Rome pour y rencontrer le président Pertini.

28 La rencontre entre les deux chefs d’État socialistes porte essentiellement sur le déséquilibre des forces nucléaires en Europe, le danger issu du déploiement des SS-20, la nécessité que l’OTAN réagisse pour rétablir l’équilibre de théâtre entre l’Est et l’Ouest, et naturellement la situation délicate de la République fédérale d’Allemagne qui ne pouvait pas soutenir seule le poids de la sécurité européenne. « L’Italie ne va pas vous abandonner »15 : avec ces mots, Pertini, qui était non seulement pacifiste mais aussi très méfiant envers l’Union soviétique, répond à l’appel du chancelier allemand, signe de la mutation de la situation politique.

29 L’initiative passe alors au nouveau président du Conseil, Francesco Cossiga. Bien qu’il représente le courant de gauche de la Démocratie chrétienne, Cossiga est cependant un atlantiste convaincu, capable aussi d’instaurer un dialogue avec le Parti communiste, même à propos de questions très délicates telles que la défense et la sécurité. Cossiga n’était pas un spécialiste des questions stratégiques et n’avait pas suivi l’affaire des euromissiles auparavant. Pourtant, il comprend tout de suite l’importance du dossier, tant pour la solidité de l’Alliance atlantique que pour les équilibres politiques en Italie. Après avoir été briefé par le président Pertini et l’ambassadeur américain Gardner, qui lui auraient transmis un mémorandum confidentiel sur le programme de déploiements des missiles de croisière peu après la formation du gouvernement, Cossiga commence à construire les bases d’un consensus nécessaire au vote favorable du parlement italien16. Il sonde d’abord les communistes17. Il organise une rencontre avec le leader communiste Enrico Berlinguer, un cousin éloigné. Le Parti communiste vient de subir

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une défaite électorale qui inaugure la période peut-être la plus difficile de son histoire. Berlinguer devait prendre acte de l’échec électoral et du retour à l’opposition, mais aussi se garder de l’offensive du Parti socialiste, qui depuis la fin du compromis historique cherche à isoler le PCI et défier la Démocratie chrétienne. De plus, au niveau interne, il fait face à une partie des dirigeants du parti qui veulent durcir la ligne, alors que la base électorale orthodoxe n’aurait pas apprécié des positions modérées pour une matière aussi délicate que le réarmement de l’Alliance atlantique. Ceci explique la position intransigeante de Berlinguer, qui réplique à Cossiga que le Parti communiste n’aurait pas eu d’autre alternative que de s’opposer à la résolution du parlement italien.

30 Compte tenu du fait que la Démocratie chrétienne aurait donné son soutien, et qu’elle aurait été suivie par le parti républicain et le parti libéral, mais aussi que le parti radical aurait voté contre, toute l’attention se focalise alors sur le parti socialiste, dont le vote favorable est nécessaire pour obtenir la majorité au parlement.

Les gauches italiennes et les euromissiles : détermination socialiste et atermoiements communistes, chemins croisés et destins opposés

31 À la fin des années soixante-dix, le PSI, comme presque tous les partis italiens, traverse une phase délicate. Bettino Craxi, secrétaire général du parti depuis 1976, a engagé une véritable bataille contre le parti communiste et ouvert une phase de confrontation avec la Démocratie chrétienne, afin de s’affirmer comme une alternative aux deux partis qui sortent épuisés de l’expérience de la solidarité nationale. Toutefois, ces orientations sont critiquées au sein même du PSI : l’aile gauche du parti, avec en tête , est toujours prête à remettre en cause le leadership de Craxi. L’instabilité interne du PSI préoccupe aussi bien Cossiga que l’ambassade américaine, car la décision italienne sur les euromissiles est liée au débat au sein de la direction socialiste.

32 Le 10 octobre, Craxi rencontre l’ambassadeur américain Richard Gardner puis, quelques jours après, Francesco Cossiga. La pression de l’administration américaine s’exerce en parallèle aux efforts du président du Conseil italien pour obtenir l’accord du leader socialiste. De son coté, Craxi comprend toute de suite l’importance de l’enjeu et s’exprime en faveur du déploiement des missiles, même s’il ajoute que le soutien du PSI passe par l’approbation par la direction de la résolution à présenter au parlement. S’il occupe la fonction de secrétaire du Parti socialiste italien, il doit aussi faire les comptes avec des courants hostiles au sein de la formation.

33 Un refus des cadres socialistes d’appuyer la campagne des euromissiles promue par le leader du parti aurait provoqué des conséquences graves, non seulement car Craxi aurait dû selon toute probabilité démissionner, mais aussi parce que cela aurait pu entraîner la chute du gouvernement Cossiga et un nouveau cours politique qui, dans le meilleur des scénarios, aurait vu réapparaître un exécutif de solidarité nationale avec le parti communiste. Craxi visait aussi à envoyer un signal fort à l’administration américaine : le parti socialiste pouvait être un interlocuteur fiable, fidèle aux valeurs atlantistes, qui pouvait éloigner les communistes du centre décisionnel en les renvoyant dans l’opposition. Mais Craxi devait aussi prendre en compte la dimension internationale du PSI ainsi que sa tradition pacifiste, et notamment les relations avec les partis socialistes de l’Europe occidentale, en particulier le parti social-démocrate allemand qui ne voulait pas entendre parler de réarmement de l’OTAN et insistait sur la nécessité d’ouvrir des négociations pour la maîtrise des armements18. Plusieurs auteurs

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ont vu dans cette détermination sur le dossier des euromissiles la volonté du leader socialiste de rompre une fois pour toutes avec le parti communiste et préparer l’entrée du parti socialiste au gouvernement19.

34 C’est ainsi que, à la suite des rencontres avec Gardner et Cossiga, Craxi appelle , qui dirigeait à l’époque le bureau « Problèmes de l’État »20 du PSI, et lui confie la tâche, extrêmement délicate, de préparer un rapport sur les euromissiles à présenter à la direction du parti pour que la position soit consolidée en vue du débat au parlement. Lagorio travaille à la rédaction du rapport en tandem avec Stefano Silvestri, directeur de l’Istituto Affari Internazionali et expert de questions de sécurité. Le problème principal, selon le témoignage de Lelio Lagorio, consiste alors à élaborer une formule qui laisse ouverte la possibilité d’une négociation avec l’Union soviétique tout en approuvant, dans la substance, la décision de déployer les missiles. Dans ses mémoires, Lagorio affirme avoir proposé en premier la clausola dissolvente, ou clause de dissolution, dont il avait entendu parler lors d’un débat au parlement néerlandais21. Il s’agissait de prévoir la possibilité que les Occidentaux annulent leur programme de déploiement dans le cas où l’URSS accepte de réduire ou démanteler ses forces nucléaires de théâtre. Il décrit aussi la clause de dissolution comme l’embryon de l’option zéro, qui sera formulée deux ans plus tard. Le 18 octobre, le rapport Lagorio- Silvestri favorable au programme de l’OTAN et au déploiement des euromissiles en Italie est approuvé par un comité restreint de dirigeants socialistes et présenté ensuite à la direction du parti en vue du vote d’une résolution le 25 octobre 1979 22. Le rapport Lagorio-Silvestri présente un résumé de la problématique des euromissiles, qui aborde tant les enjeux militaires que politiques, et une conclusion qui propose la position que le parti doit prendre lors du vote au parlement. Celle-ci comporte le soutien à la préparation des déploiements des missiles eurostratégiques avec, comme condition complémentaire, une offre publique à adresser à l’Union soviétique d’annulation du programme de déploiement en cas de réduction significative ou démantèlement des missiles SS-20 déployés sur le territoire de l’URSS. Après un long débat, avec notamment des interventions critiques de l’aile gauche du parti (Riccardo Lombardi et ), la direction approuve de façon consensuelle un document d’orientation en faveur des propositions du rapport. Bettino Craxi résume la position du parti dans la formule : « Il faut de façon prudente poursuivre dans la direction de l’autorisation, en amorçant des pourparlers »23. Un article paru dans le quotidien socialiste Avanti ! le 26 octobre 1979, et intitulé « L’équilibre est la base d’une politique de paix », réaffirme cette position du parti socialiste, orientée vers le « oui » mais toujours soucieuse de sauvegarder les négociations avec l’URSS et le processus de maîtrise des armements24. C’est à partir de cette position que le parti socialiste affronte le débat au parlement.

35 La résolution socialiste coïncide, paradoxalement, avec les atermoiements communistes. Le PCI allait certes voter contre les euromissiles, mais sa position était fortement ambiguë quant aux modalités de cette opposition. Ce choix obligé, nécessaire afin de ne pas rompre définitivement avec l’Union soviétique et d’amadouer les membres pro-URSS du parti, ne pouvait en effet pas déboucher sur une opposition anti- atlantiste, car cela aurait porté atteinte à toute possibilité de participer à un gouvernement avec la DC. Ainsi, Berlinguer se rend très bien compte que la position du PCI sur les euromissiles représente une sorte de test : le comportement du parti au parlement peut être perçu comme un autre petit pas vers l’occidentalisation du parti et l’éloignement de Moscou, ou bien comme la des liens avec l’Union

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soviétique et de l’incapacité du PCI de disposer de la crédibilité et de la maturité nécessaire à entrer dans le gouvernement. L’opposition à l’OTAN se doit d’être modérée et ambiguë pour éviter toute rupture interne, mais elle ne peut pas être univoque pour préserver l’identité et le soutien de l’électorat.

36 Ce dilemme se reflète dans la position finale du PCI à propos des forces nucléaires de théâtre, publiée dans un communiqué de la direction du 16 octobre 1979. Cette résolution commence par approuver la proposition de Brejnev du 6 octobre et fait trois propositions25 : un moratoire de six mois sur toute décision de l’OTAN relative à la production et au déploiement des missiles, un appel à l’Union soviétique à suspendre la production et le déploiement des SS-20, et, enfin, l’ouverture immédiate de négociations entre les deux alliances pour établir un équilibre militaire le plus désarmé possible afin de garantir la sécurité réciproque26.

37 À la fin du mois d’octobre, le PSI penche en faveur de la décision de l’OTAN, ce qui permet au président Cossiga de rassurer les alliés au sujet de la participation italienne au programme. Dans les semaines suivantes, le gouvernement italien prépare la motion à présenter au parlement (séances du 4 et 6 décembre). Le plan pour le déploiement, préparé par un groupe de travail ad hoc créé au sein du service de renseignement italien, le SISMI (Servizio Informazione e Sicurezza Militare), est présenté au Conseil suprême de la défense, présidé par le président de la République Sandro Pertini, le 31 octobre. Toujours au cours du mois d’octobre, Cossiga rencontre le chancelier Helmut Schmidt pour lui expliquer que la situation en Italie est débloquée et qu’il ne manque désormais que le vote formel du parlement. La nouvelle de la participation italienne au programme de l’OTAN parvient aussi à Washington, Londres… et Moscou. À la mi-novembre, le président de la commission des Affaires étrangères du soviet suprême, Boris Ponomariov, arrive à Rome pour rencontrer des délégations du parlement, le président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés, Giulio Andreotti et naturellement le président du Conseil Francesco Cossiga. Cette tentative d’exercer des pressions sur le gouvernement italien ne rencontre pourtant pas d’écho politique, et ne contribue qu’à mettre en évidence la position ambiguë du parti communiste, qui doit prendre acte de la déception de Moscou pour l’opposition « de velours » adoptée par les communistes italiens.

La résolution du parlement italien du 6 décembre 1979 en soutien du programme de modernisation de l’OTAN et ses conséquences

38 Le 6 décembre 1979, le parlement italien approuve une résolution par laquelle l’Italie s’engage à participer au programme de modernisation des forces nucléaires de théâtre de l’OTAN, avec 328 votes favorables et 230 contres. Le fait qu’un autre pays européen, avec un gouvernement social-démocrate, accepte de déployer les missiles dans son territoire a sans doute facilité la tâche du gouvernement italien. Le « oui » des démocrates-chrétiens, des républicains, des libéraux et des sociaux-démocrates est justifié par la nécessité de rétablir l’équilibre militaire afin de garantir la sécurité réciproque. Il faut d’abord déployer, puis négocier, car négocier sans déployer aurait affaibli la crédibilité et l’efficacité de l’Alliance atlantique tout en isolant l’Italie27. La résolution présentée par la Démocratie chrétienne contient donc deux volets : l’adhésion de l’Italie au programme de modernisation de l’OTAN et une proposition de négociations à adresser en parallèle à l’Union soviétique dans l’espoir qu’entre-temps un accord entre les deux superpuissances devienne possible.

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39 Comme prévu, l’opposition du parti communiste se révèle plutôt feutrée, elle reprend même quelques éléments qui coïncident avec la position du gouvernement. L’ouverture d’Alessandro Natta ne remet en discussion ni l’appartenance de l’Italie à l’Alliance atlantique, ni l’importance de l’équilibre militaire au niveau du théâtre européen. Il arrive jusqu’à admettre que la production des missiles SS-20 avait créé un problème qui ne pouvait pas être ignoré. L’intervention du secrétaire du parti, Enrico Berlinguer, explicite la position des communistes, en énonçant les trois conditions contenues dans la résolution du 16 octobre et en affirmant la nécessité de rétablir l’équilibre des forces en Europe en procédant à un nivellement par le bas28.

40 Le vote socialiste est décisif, même s’il n’exprime pas un consensus total à l’intérieur du parti. Francesco De Martino et Michele Achilli manifestent leur soutien au moratoire proposé par le PCI et à l’ouverture immédiate des négociations29. Cependant, malgré les dissensions de quelques représentants de l’aile gauche du parti, la décision du PSI se consolide autour du principe que le rétablissement de l’équilibre militaire doit précéder la négociation. De plus, le gouvernement Cossiga avait accepté toutes les conditions proposées par les socialistes, y compris la clause de dissolution. Les socialistes peuvent alors répondre aux communistes que la décision de produire les missiles n’impliquait pas forcément leur déploiement, l’Europe disposant d’un intervalle de trois ans pour négocier avec l’URSS avant que les missiles américains ne soient prêts à être installés30. Ces différences avec le parti communiste dans le débat sur les euromissiles offrent au PSI une formidable occasion de relance politique, qui se reflète dans l’image d’un parti capable d’assumer des responsabilités dans le domaine de la défense tout en conservant sa tradition pacifiste.

41 Le vote du 6 décembre constitue un tournant pour le PSI mais aussi pour la politique italienne et, indirectement, les relations internationales. C’est le début de ce processus qui s’achève avec la nomination de Craxi à la tête du gouvernement après les élections de 1983. Cette consécration modifie profondément les équilibres de force des partis italiens. La période 1980-1983 reflète ces bouleversements avec un PSI en pleine ascension, un PCI en déclin progressif et une DC qui subit les divisions internes au monde catholique.

Les euromissiles italiens et les conséquences de la crise

42 Suite au vote du parlement, le 12 décembre 1979 le ministre des Affaires étrangères communique aux alliés de l’OTAN l’accord du gouvernement italien pour l’adoption de la double décision. Les accords prévoient le déploiement, sur le territoire italien, de 112 missiles de croisière basés au sol. Le 8 août 1981, le gouvernement choisit comme site pour le déploiement des missiles américains l’aéroport militaire Vincenzo Magliocco à Comiso, en Sicile. À la suite de l’échec des négociations de Genève, les 14 et 15 novembre 1983, le nouveau parlement italien issu des élections de juin 1983 confirme la décision prise par le gouvernement Cossiga en 1979 et approuve la politique du nouveau gouvernement concernant le début des déploiements, d’autant plus nécessaires que les États-Unis et l’Union soviétique n’étaient pas parvenus à un accord sur la limitation des forces nucléaires intermédiaires à longue portée. Malgré l’opposition d’une large partie de l’opinion

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publique et les initiatives pacifistes, les missiles de croisière installés en Italie sont opérationnels à partir du mois de mars 1984.

43 L’importance de la crise des euromissiles dans le débat politique en Italie présente des caractéristiques différentes de celles des autres pays européens. En Italie, le déploiement des missiles américains coïncide avec deux changements majeurs. D’abord, le début d’un nouveau pacte politique, qui, sous le nom de Pentapartito, garantit la quasi-stabilité du système politique italien tout au long de la décennie quatre-vingt. Ensuite, l’émergence d’un nouveau profil de politique étrangère, visant à réaffirmer le rôle régional de l’Italie en Europe et dans la Méditerranée, à reformuler les relations bilatérales avec les États-Unis sur une base plus égalitaire et à relancer enfin la capacité d’initiative italienne dans le processus de construction européenne. Entre 1980 et 1983, les euromissiles représentent donc le prétexte pour le développement d’une réflexion sur le rôle international de l’Italie, et sur les moyens militaires et diplomatiques nécessaires afin de le soutenir, mais s’inscrivent aussi dans la recomposition de la politique interne qui s’achève avec l’arrivée au pouvoir de Bettino Craxi après les élections de juin 1983.

44 Il convient de s’interroger sur les enjeux politiques du choix de Comiso et la portée de la crise des euromissiles par rapport au nouveau cours de la politique étrangère et de sécurité de l’Italie : dans quelle mesure les euromissiles ont contribué au débat qui fleurit, au début des années quatre-vingt, dans les milieux diplomatiques et militaires italiens ?

Le débat politique lors du déploiement des missiles de croisière « BGM 109 Gryphon » à Comiso

45 L’adoption de la double décision entraîne, dès le début de l’année 1980, une modification de la façon dont la classe politique italienne conçoit le rôle de l’Italie dans l’affrontement Est-Ouest. Malgré l’opposition d’une partie considérable de l’opinion publique, les gouvernements successifs réaffirment l’engagement de l’Italie pour la mise en œuvre des missiles, en allant jusqu’au déploiement si les négociations échouent. Il s’agit d’un tournant historique, une rupture par rapport à la période précédente (1958-1979), au cours de laquelle la fragilité des équilibres internes avait entraîné une politique étrangère de compromis, de tendance neutraliste31. Cette rupture s’opère de façon graduelle. À partir du début de la décennie quatre-vingt, le principe de « paix dans la sécurité » et la recherche d’une politique de détente constituent le fondement de l’action internationale italienne. Cela entraîne toutefois une rupture du consensus interne en matière de politique étrangère et le retour d’une position tatillonne, notamment de la part des communistes.

46 Au cours des années 1980, 1981 et 1982, le soutien du gouvernement au programme de modernisation de l’OTAN est donc fondé sur l’espoir qu’un accord entre les États-Unis et l’URSS rende inutile le déploiement des euromissiles. Il faut rassurer les alliés occidentaux à propos de la fiabilité du gouvernement dans l’hypothèse d’un déploiement, mais aussi faire comprendre à l’électorat que des efforts concrets visant à favoriser la reprise des négociations entre les deux superpuissances pour aboutir à une limitation des armes nucléaires sont entrepris. Cependant à Genève les négociations patinent : la tension internationale s’aggrave (Pologne, Afghanistan) et l’action diplomatique italienne n’arrive pas à redresser la situation. Les affirmations du

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ministre des Affaires étrangères Emilio Colombo, lors d’un débat au Sénat le 5 mars 1981, sont révélatrices : « Le fait que la crise afghane perdure constitue malheureusement le signe évident que le paradis de la détente ne se trouve pas à l’angle de la rue »32.

47 Le premier acte de mise en œuvre de la décision de décembre 1979 a lieu pendant l’été 1981, lorsque le gouvernement Spadolini annonce le 7 août 1981 que l’aéroport Vincenzo Magliocco de Comiso, à l’extrémité méridionale de la Sicile, a été choisi comme emplacement pour l’installation des missiles de croisière33. Le 20 et le 21 août les commissions parlementaires des Affaires étrangères et de la Défense doivent présenter aux Chambres le choix du gouvernement. Cela ne constitue que l’acte exécutif de la décision du 6 décembre 1979, mais il permet de mesurer les réactions des partis à un évènement qui rendait plus concret le déploiement des missiles. À l’occasion de ce débat, les commissions renforcent la position du gouvernement en lui apportant un soutien ferme, lié aux efforts pour le succès des négociations de Genève. Le PCI ne modifie pas son opposition « souple ». Les interventions de Giancarlo Pajetta et Paolo Bufalini34 ne soulèvent qu’une très modeste polémique concernant le choix du gouvernement. Seuls le parti radical et les petits partis d’extrême gauche demandent que l’Italie sorte de l’OTAN. Ce climat de détente (tout au moins en matière de politique étrangère) se dénote aussi à l’extérieur du parlement, les mobilisations des mouvements pacifistes n’ayant été, jusque-là, que très modestes par rapport aux autres pays européens.

48 Néanmoins, dans les mois qui suivent, l’aggravation de la tension internationale et le blocage des négociations de Genève ravivent le débat en Italie. Entre 1981 et 1983, le parti communiste durcit le ton, les initiatives pacifistes à Comiso, depuis le début des travaux, et ailleurs dans la péninsule s’intensifient, des dissensions apparaissent à l’intérieur du monde catholique entre pacifistes et atlantistes orthodoxes, et même au sein du parti socialiste, Craxi doit faire face à la gauche du parti.

49 C’est dans ce contexte que le parti socialiste remporte, en termes relatifs, les élections de juin 1983. Craxi est nommé président du Conseil et, dans sa première allocution en tant que chef du gouvernement, il réaffirme l’engagement italien en ajoutant que, en cas d’échec des négociations, l’Italie procédera à l’installation des missiles. L’hypothèse envisagée d’un décalage du déploiement suscite des réactions tant en URSS qu’aux États-Unis. Peu après sa nomination, Craxi reçoit une lettre du secrétaire du Parti communiste soviétique Andropov, lui signifiant qu’en cas de début de déploiement des missiles américains, les négociations en cours pour un traité sur les armes nucléaires de portée intermédiaire perdraient toute signification. Andropov réitérait la proposition soviétique du 26 août 1983 consistant à réduire le nombre de SS-20 pointés sur l’Europe occidentale au même nombre que les missiles britanniques et français et à éliminer les SS-20 en surnombre. Il avertissait également le président du Conseil italien que Moscou prendrait des contre-mesures si le déploiement commençait. Les Soviétiques veulent convaincre le gouvernement italien de décaler le début du déploiement, en s’appuyant sur certaines ouvertures du discours de Craxi et sur l’attitude conciliante du ministre des Affaires étrangères Andreotti avec son homologue soviétique Gromyko lors d’une rencontre quelques jours auparavant35.

50 Peu après, Reagan écrit à son tour une lettre au président du Conseil italien, dans laquelle il exprime sa volonté de faire un nouvel effort pour obtenir un accord global avec l’URSS avant le début des déploiements, en demandant également à Craxi s’il a des

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suggestions à cet égard36. La réponse de Craxi aux leaders des deux superpuissances est cohérente avec la position du parti socialiste : il adresse d’abord une lettre à Andropov dans laquelle il réplique que, malgré l’espoir que les négociations puissent se poursuivre, il est inacceptable d’avaliser la supériorité globale de l’URSS par l’acceptation du statu quo. Ensuite, il écrit à Reagan qu’il faudra des négociations même après le déploiement des missiles. Cette position du gouvernement sera réaffirmée à l’occasion de la visite de Craxi à Washington en octobre 1983, ainsi que par le nouveau ministre de la Défense Spadolini lors d’une rencontre avec le secrétaire américain à la Défense Weinberger.

51 Lors du débat sur le déploiement, les 14 et 16 novembre 1983, le parlement italien exprime un vote favorable sous réserve d’un accord rapide à Genève. Le gouvernement Craxi confirme donc le choix de 1979, alors que le contexte international est beaucoup plus tendu. Le 23 novembre, l’échec des négociations de Genève ouvre la voie du déploiement. Les premiers missiles de croisière sont installés à Comiso le 31 mars 1984, et le déploiement continue jusqu’en octobre 1987, deux mois avant l’accord entre Reagan et Gorbatchev qui clôt le chapitre des euromissiles.

Les conséquences sur la politique étrangère italienne. New look, old style ?

Le nouveau modèle de défense et la politique militaire italienne

52 L’affaire du déploiement des euromissiles à Comiso est liée non seulement à l’évolution des équilibres internes de la politique italienne, mais aussi à une réorientation de l’action extérieure et des politiques de sécurité et de défense. La réflexion qui se développe dans les premières années quatre-vingt concerne les finalités et les grandes lignes de l’action extérieure de l’Italie et de son rôle au sein de l’Alliance atlantique, aussi bien que les moyens et les capacités militaires nécessaires à soutenir cette nouvelle approche. En juin 1980, le ministre de la Défense Lelio Lagorio présente au parlement un programme intitulé Indirizzi di politica militare (orientations de politique militaire). Le ministre prône un renforcement de la présence des forces armées dans le Sud du pays et une conséquente adaptation des instruments militaires et des doctrines d’emploi, pour garantir une capacité d’action effective dans la région méditerranéenne37.

53 À partir de ce document, un débat se développe autour du nouveau modèle de défense italien, pour rechercher l’adéquation entre le dynamisme de la politique étrangère et les capacités de l’outil militaire. Le programme, d’ailleurs, ne reste pas lettre morte. Il se traduit par une augmentation considérable du budget de la défense. Selon les statistiques diffusées par l’Istituto Affari Internazionali, les augmentations réelles du budget de la défense sont d’environ 20 % entre 1980 et 1981, d’environ 16,6 % entre 1981 et 1983, enfin de 17,8 % entre 1983 et 1984, bien supérieures aux 3 % annuels requis par la décision de l’Alliance atlantique lors du Conseil de Lisbonne de 1977 38. Cet élan militaire représente une nouveauté et un changement considérable, surtout si on le compare au contenu insipide du premier « livre blanc » italien de la défense présenté en 1977 39.

54 Contre toute attente, le nouveau modèle de défense italien réussit à s’inscrire dans un programme à long terme. Le 24 novembre 1983, le Conseil suprême de la défense

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(Consiglio Supremo della Difesa), présidé par le président de la République, se réunit au Quirinale40 et approuve le concept d’une restructuration quantitative et qualitative des forces armées, mettant l’accent sur la projection au sud en raison des menaces provenant de la Méditerranée. C’est le début d’un processus visant à rendre progressivement plus agiles et souples les forces armées italiennes, et qui prévoit entre autres la création d’une force d’intervention (Forza di pronto intervento) capable de développer une réaction rapide adaptée aux nouvelles exigences opératives.

55 L’accent que le nouveau programme met sur la présence militaire italienne dans la Méditerranée et le choix du gouvernement de déployer en Sicile les missiles de croisière américains font penser à une connexion entre les deux décisions. Bien que le ministre de la Défense Lagorio ait toujours démenti l’hypothèse que les missiles de croisière aient été positionnés pour réarmer le sud de la péninsule, ces armes constituaient de facto une contre-mesure militaire dans toute la Méditerranée : comme d’ailleurs avait observé Falco Accame, à la Commission parlementaire « Défense », le 30 septembre 1981, « Comiso est un choix important car, qu’on le veuille ou pas, c’est une dissuasion au Sud »41. Ceci apparaissait d’autant plus vrai que les facteurs d’instabilités augmentent en Méditerranée, depuis une Libye qui se range ouvertement contre les États-Unis jusqu’à la croissance de la présence soviétique et la puissance économique émergente des pays arabes.

Des missiles méditerranéens ? L’Italie et le flanc sud de l’OTAN

56 Au début des années quatre-vingt, la Méditerranée réveille l’attention de la scène internationale. Les sommets de l’OTAN qui se tiennent à Ankara en juin 1980 et à Bruxelles en décembre 1980 consacrent une grande partie de leurs travaux au problème de la stabilité au Moyen Orient, menacée par la guerre entre l’Iran et l’Irak et, plus indirectement, par l’intervention de l’URSS en Afghanistan42. Les membres de l’Alliance atlantique s’accordent sur le fait qu’il faudrait renforcer la défense du flanc sud- oriental et maintenir la stabilité et l’équilibre des forces dans la région méditerranéenne dans son ensemble43. Entre 1980 et 1981, les discussions au sein de l’Alliance portant sur les enjeux au Moyen Orient et sur les opérations « hors zone » (en dehors du champ d’application du traité de l’Atlantique Nord) se multiplient. L’Alliance décide alors de mettre en place des responsabilités subrégionales spécifiques pour chaque État membre. À cet égard, lors d’une visite aux États-Unis, le ministre italien des Affaires étrangères Emilio Colombo souligne à New York, le 10 février 1981, l’urgence de renforcer la coopération euro-américaine sur les questions relevant du « hors zone ». Un mois plus tard, le 12 mars 1981, le ministre de la Défense Lagorio affirme que l’attention de l’Italie se focalisera en particulier sur la partie occidentale de la Méditerranée. Sur le plan opérationnel, ces déclarations politiques des deux ministres se traduisent par la participation italienne à la mission multilatérale au Liban (été 1982)44, qui contribue à rendre plus dynamique l’action internationale de l’Italie ainsi qu’à consolider les relations entre le gouvernement italien et l’administration Reagan. Nous constatons ainsi une convergence entre les intérêts stratégiques italiens dans la Méditerranée – la volonté de Rome de jouer un rôle important dans la région à partir du début des années quatre-vingt – et l’attention croissante de l’OTAN envers le Moyen Orient et l’ensemble de la Méditerranée dans le cadre des missions « hors zone ».

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57 La nécessité d’une montée en puissance des forces armées italiennes (et otaniennes) dans la Méditerranée correspond à plusieurs facteurs. D’un point de vue politico- stratégique, toute ambition internationale de l’Italie s’articule suivant deux axes : l’Europe continentale, autrement dit le processus d’intégration européenne, et la Méditerranée. Le problème posé par la Méditerranée à l’Italie, en termes géopolitiques, est donc de faire en sorte que cette frontière représente un pôle d’attraction, même en termes problématiques, pour que la présence italienne soit visible et que la politique internationale en reconnaisse l’importance45. En même temps, entre la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingt, les menaces dans la région ont considérablement augmenté. La principale menace pour l’Italie est représentée par la Libye, qui, à l’époque, a accumulé un arsenal militaire considérable par rapport à la population du pays, et dont le leader Kadhafi se fait toujours plus menaçant tant envers l’Italie que vis-à-vis des États-Unis. Il fallait aussi tenir compte de la présence de la flotte soviétique en Méditerranée ainsi que des relations de Moscou avec la Syrie et la Libye46. En ce qui concerne les États-Unis, l’intérêt de Washington se déplace de plus en plus vers le golfe Persique : ceci implique une approche nouvelle de la région méditerranéenne et notamment de l’utilisation de la sixième flotte, qui aurait pu être employée pour des missions au Moyen Orient laissant ainsi découverte la partie occidentale de la Méditerranée47. L’Italie pouvait alors, mieux que les autres alliés, jouer le rôle de « pompier » de la Méditerranée, non seulement au niveau politique, mais aussi en fournissant un soutien militaire aux États-Unis48.

Conclusion

58 La position italienne pendant la crise des euromissiles montre le caractère fortement ambigu de sa politique étrangère, partagée entre l’intérêt national et la stabilité interne. Ce « test de l’atlantisme » a été toutefois fondamental. D’un côté, la double décision a contribué à la stabilisation du système politique, favorisant l’ascension politique de Craxi et le rééquilibrage interne qui mène au Pentapartito. De l’autre, elle a permis à l’Italie de relancer une action extérieure plus dynamique, notamment vers la Méditerranée, alors que le gouvernement risquait de se trouver relégué à la marge des principaux évènements internationaux. Les effets de l’évolution de l’outil militaire italien et de la réorientation de la posture stratégique dans la Méditerranée à partir de ce test sont encore valables et visibles aujourd’hui, bien que la fragilité du système politique italien empêche leur pleine utilisation opérationnelle en dehors des coalitions, comme illustré par l’intervention de 2011 en Libye.

59 En même temps, on constate aussi à partir des années quatre-vingt un engagement plus actif de l’Italie dans les projets visant à la construction d’une défense européenne et de coopération politique, qui s’enchaînent depuis le plan Genscher-Colombo. Ce nouvel élan dans le processus d’intégration européenne est, ironie de l’histoire, l’un des effets de la renationalisation de la politique étrangère italienne, motivée par la volonté d’empêcher la formation d’un directoire franco-allemand-britannique.

60 La crise, en concomitance avec d’autres transformations du système politique intérieur, a donc été à la base de la relance de l’Italie « puissance moyenne » au cours des années quatre-vingt. Ce type de puissance ne pouvait pas défendre ses intérêts nationaux méditerranéens et européens en renonçant aux moyens mis à disposition par la

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coalition transatlantique. Cette contrainte stratégique marque une politique étrangère qui est caractérisée finalement par une bonne dose de pragmatisme.

NOTES

1. Voir Jean-Christophe Romer, Le monde en crises depuis 1973. Triomphe et décadence de la bipolarité, Paris, Ellipses, 1997, 292 p. Voir aussi David N. Schwartz, NATO’s Nuclear Dilemmas, Washington D.C., Brookings Institution, 1983, 282 p. 2. Pour une analyse approfondie de l’histoire politique italienne sous la Première République, y compris les dynamiques du Pentapartito, voir Piero Craveri, La Repubblica dal 1958 al 1992, Turin, UTET, 1995, 1074 p. La phase du Pentapartito débute le 28 juin 1981 avec la formation du gouvernement Spadolini. Selon ce nouveau « pacte », la Démocratie chrétienne accepte l’alliance avec les partis républicain, socialiste, social-démocrate et libéral, assurant ainsi un minimum de gouvernabilité au pays qui mettait fin à la possibilité, pour le Parti communiste, d’entrer dans le gouvernement. C’est cette formule qui va favoriser l’ascension politique de Bettino Craxi. 3. Ennio Di Nolfo, La politica estera italiana negli anni Ottanta, Bari-Rome, Piero Lacaita Editore, 2003, p. 104. 4. Peu après le sommet, lors d’un dîner avec l’ambassadeur américain à Rome, Richard Gardner, le président de la République italienne Alessandro Pertini aurait manifesté au diplomate américain toute sa déception : « Comment est-il possible que les États-Unis aient pu faire ça à l’Italie, qui est son allié le plus fidèle, dans le but d’apaiser la France, pays dont la politique étrangère est conditionnée par l’anti-américanisme ? ». Richard N. Gardner, Mission : Italy. On the Front Lines of the Cold War, Oxford, Rowman & Littlefield, 2005, p. 206. 5. Le 1 er février 1979, Brzezinski envoie un télégramme à l’ambassadeur américain à Rome, Richard Gardner, dans lequel il écrit que : « It goes without saying that we are following Italian political developments with special interest these days. We look to you for the best possible reporting of those events, which will be essential to help us determine specific policy direction » [Cela va sans dire que nous suivons la politique italienne avec un intérêt particulier en ce moment. Nous attendons de votre part les meilleurs comptes rendus possibles de ces évènements, des informations essentielles pour nous aider à déterminer notre politique spécifique] : Richard N. Gardner, Mission : Italy…, op. cit., p. 209. 6. Voir Antonio Ciarrapico, « Rapporti Est-Ovest 1977-79. La vicenda degli Euromissili », Rivista di studi politici internazionali, no 10, juillet/septembre 2002, p. 365 ; Leopoldo Nuti, La sfida nucleare : la politica estera italiana e le armi atomiche 1945-1991, Bologne, Il Mulino, 2007, 452 p. ; Richard N. Gardner, Mission : Italy…, op. cit., p. 10. 7. Lors d’une rencontre informelle, le Premier ministre anglais James Callaghan avait rassuré l’ambassadeur italien à Londres, Roberto Ducci, en lui disant que : « There will be no more Guadeloupes » [Il n’y aura pas d’autres Guadeloupes]. Ceci compensait la réponse beaucoup moins « satisfaisante » du conseiller du président américain pour la sécurité nationale Brzezinski, lequel avait répondu à l’ambassadeur italien à Washington, quelques jours après le sommet de la Guadeloupe, qu’il fallait être capable de contrôler son propre système politique si l’on briguait d’être représentés à des sommets de ce genre. 8. Antonio Ciarrapico, Rapporti Est-Ovest…, op. cit., p. 375-376.

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9. Leopoldo Nuti, La sfida nucleare…, op. cit., p. 365-366. Voir aussi Richard N. Gardner, Mission Italy …, op. cit., p. 229. 10. Giulio Andreotti, chef d’un gouvernement de transition dont les responsabilités ne vont pas au-delà de l’organisation des élections anticipées, ne pouvait pas donner l’accord formel, le gouvernement italien étant en pleine crise politique. 11. Leopoldo Nuti, La sfida nucleare…, op. cit., p. 366-367. 12. Richard Gardner aurait ensuite déclaré que : « In Italy, we had to expect the unexpected » [En Italie nous devions nous attendre à l’imprévu] (Richard N. Gardner, Mission Italy…, op. cit., p. 196). 13. Richard Gardner, Mission Italy…, op. cit., p. 223. 14. Le New York Times décrit très bien cette situation dans l’éditorial du 7 juin : « There were no real winners in the Italian election this week, but there was a looser – the Communists. After the 1976 Parliamentary election, the Communists seemed the wave of the future. Now it appears that the red tide has begun to ebb » [Il n’y avait pas de véritable vainqueur après les élections italiennes de cette semaine, mais il y a avait un perdant : les communistes. Après les élections législatives de 1976, les communistes semblaient être l’astre montant. Aujourd’hui la marée rouge a commencé à se retirer]. 15. « L’Italia non vi lascerà soli ». Cité dans Lelio Lagorio, L’ultima sfida : gli Euromissili, Florence, Loggia de Lanzi, 1998, p. 29. 16. Richard N. Gardner, Mission Italy…, op. cit., p. 232. 17. Lelio Lagorio, L’ultima sfida…, op. cit., p. 29. 18. Diana Johnstone, The Politics of Euromissiles : Europe’s Role in America’s World, Londres, Verso, 1984, p. 140. Pour un approfondissement du débat politique sur les euromissiles dans la République fédérale d’Allemagne, voir Christian Krause, « The political debate on missile deployment in the Federal Republic of Germany », Foreign Policy and GDR Research Department – Study Group on Security and Disarmament, no 5, mai 1984, 24 p. 19. Selon Maurizio Cremasco, « L’affaire des euromissiles pouvait aider le PSI à construire l’image d’un parti de la gauche italienne qui était capable d’assurer ses responsabilités dans le domaine de la défense sans être conditionnée idéologiquement » : Maurizio Cremasco, « Italy : A new role in the Mediterranean ? », dans John Chipman (éd.), NATO’s Southern Allies : Internal and External Challenges, Londres, Routledge, 1988, 399 p. 20. Le bureau (Ufficio) « Problemi dello Stato » avait en charge toute question relative à la justice, aux droits des citoyens, mais aussi l’ordre publique et la défense. 21. Lelio Lagorio, L’ultima sfida…, op. cit., p. 33. 22. Leopoldo Nuti, La sfida nucleare…, op. cit., p. 370. À la réunion du 18 octobre auraient été présents Craxi, Signorile, Lagorio, Lombardi et Accame. 23. « Con prudenza occorre procedere nella linea dell’autorizzazione con l’avvio della trattativa », cité dans Lelio Lagorio, L’ultima sfida…, op. cit., p. 38. 24. « L’equilibrio è la base della politica di pace », Avanti !, no 248, vendredi 26 octobre 1979, année LXXXIII, p. 1, 5-6, Archives de la Fondation d’études historiques « Filippo Turati », Florence (Italie). 25. Dans son discours à Berlin-Est le 6 octobre 1979, le secrétaire général du parti s’était déclaré prêt à faire réduire le nombre de vecteurs nucléaires déployés dans les parties occidentales de l’URSS par rapport au niveau actuel, à condition qu’il n’y ait pas de mise en place supplémentaire de tels vecteurs en Europe occidentale. 26. Voir « Risoluzione della Direzione del PCI del 16 ottobre 1979 », L’Unità, 18 octobre 1979. 27. Voir les discours de Gerardo Bianco et Benigno Zaccagnini pendant le débat au parlement. Camera dei Deputati, Atti parlamentari, 71, Roma, Camera dei Députati, 5 décembre 1979, p. 5189-5194.

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28. Voir le discours de Enrico Berlinguer pendant le débat au parlement, Camera dei Deputati, Atti parlamentari, Resoconto stenografico, 71, Roma, Camera dei Deputati, 5 décembre 1979, p. 5178‑5188. 29. Pour la position de De Martino et Achilli, voir respectivement l’interview dans La Repubblica du 8 décembre 1979 et l’article publié dans Avanti ! du 1er décembre 1979. 30. Voir l’article de Ugo Intini, « Si tratta con prospettive migliori », Avanti !, 13 décembre 1979. 31. Cette thèse est soutenue par Giovanni Sartori, « Il pluralismo polarizzato : critiche e repliche », Rivista italiana di scienza politica, avril 1982, p. 3-44. Voir aussi Carlo Maria Santoro, La politica estera di una media potenza : l’Italia dall’Unità ad oggi, Bologne, Il Mulino, 1991, 352 p. 32. Cité dans Luigi Vittorio Ferraris (dir.), Manuale della politica estera italiana (1947-1993), Bari, Laterza, 1996, p. 348. 33. Le choix de la base des missiles à Comiso avait été fait par le gouvernement bien avant le mois d’août 1981. Toutefois, le président du conseil Giovanni Spadolini avait décidé de décaler l’annonce de quelques mois en raison des élections qui devaient se tenir en Sicile au mois de juin 1981. Dans Lelio Lagorio, L’ultima sfida…, op. cit., p. 67. 34. Paolo Bufalini, membre du comité central du PCI, était allé jusqu’à affirmer que le déploiement était « théoriquement possible », étant donné « la nécessité d’un équilibre de forces et d’une sécurité égale ». 35. Leopoldo Nuti, La sfida nucleare…, op. cit., p. 385. 36. Ibid., p. 386. 37. Jusque-là, tous les efforts pour garantir la défense du territoire italien étaient concentrés au Nord-Est (application du concept de « défense avancée » à la frontière yougoslave, sur la ligne tracée par le fleuve Isonzo), en fonction de la menace principale à la sécurité italienne qui était, selon l’état-major de la Défense, le déclanchement d’une guerre entre l’OTAN et le pacte de Varsovie. 38. Voir les annuaires publiés par l’Istituto Affari Internazionali : L’Italia nella politica internazionale, Milan, Edizioni di Comunità, de 1980 (vol. 8) à 1984 (vol. 12). 39. Voir Libro bianco della Difesa : la sicurezza dell’Italia ed i problemi delle sue Forze armate, Rome, Ministero della Difesa, 1977. 40. Le ministre de la Défense Lelio Lagorio a été remplacé en août 1983 par Giovanni Spadolini. 41. Lelio Lagorio, L’ultima sfida…, op. cit., p. 66. 42. Suite à l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan, Washington est contraint de modifier ses plans militaires, à travers la création d’une force de réaction rapide qui puisse traverser rapidement l’Atlantique pour défendre la région du golfe Persique. Les États-Unis commencent alors à demander que les objectifs et les missions soient étendus en dehors du champ d’application du traité. Le concept de « hors zone » (out of area) est né. 43. « L’Italia nella politica internazionale », Annuaire de l’Istituto Affari Internazionali, IX, 1980-1981, p. 165-167. 44. La présence italienne dans la Méditerranée est ensuite renforcée par la participation des forces armées italiennes à des missions de maintien de la paix dans la mer Rouge, dans le Sinaï et dans le golfe Persique entre 1982 et 1985. 45. « L’Italia nella politica internazionale », Annuaire de l’Istituto Affari Internazionali, XII, 1983-1984, p. 74. 46. Pour un compte rendu détaillé de l’équilibre des forces dans la Méditerranée entre l’OTAN et le pacte de Varsovie, au début des années quatre-vingt, voir Stefano Silvestri et Maurizo Cremasco, Il fianco sud della NATO. Rapporti politici e strutture militari nel Mediterraneo, Milan, Feltrinelli, 1980, 201 p. 47. « There have also been calls for the formation of an allied naval force to offset a decline in the US Sixth Fleet presence in favour of Persian Gulf deployment » [Il y a eu également des appels pour la constitution d’une flotte navale alliée pour faire face à un déclin de la présence de la sixième

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flotte américaine à l’occasion d’un déploiement dans le golfe Persique] dans Yannis Valinakis, Italian Security Concerns and Policy, New York, Institute for East-West Security Studies, 1984, p. 112. 48. « Italy has accepted its new role as Mediterranean fireman both in practice and in theory » [L’Italie a accepté son nouveau rôle de pompier méditerranéen aussi bien d’un point de vue opérationnel que théorique], Diana Johnstone, The politics of Euromissiles…, op. cit., p. 147.

RÉSUMÉS

Cet article analyse la position italienne dans l’adoption et l’application de la double décision de l’OTAN. Les euromissiles représentent un tournant historique pour la politique étrangère italienne. Le début de la crise a montré le caractère ambigu de cette politique, partagée entre l’intérêt national et la stabilité interne. Cependant, ce « test de l’atlantisme » a été fondamental, car il a permis de relancer une action extérieure plus dynamique et stratégique. L’évolution de l’outil militaire italien à partir des euromissiles et de la réorientation de la posture stratégique dans la Méditerranée marque encore la situation actuelle. Ainsi, la façon dont la classe politique italienne conçoit le rôle de l’Italie dans l’affrontement Est-Ouest, et plus en général dans le monde, sort transformée de la crise. L’Italie se découvre « puissance moyenne », qui défend de façon assez pragmatique ses intérêts nationaux méditerranéens et européens par le biais de la politique transatlantique.

This article analyzes Italy’s role in the adoption and implementation of NATO’s double-track decision. The Euromissiles crisis represents a watershed in Italy’s foreign policy. On the one hand, the beginning of the crisis shows the ambiguous nature of a foreign policy inhibited by internal stability concerns and driven by the pursuit of national interest. On the other, the “Atlantic test” triggered a new phase for Italy’s role in the world. The effects on the reform of the and the reorientation of its strategic position towards the Mediterranean are still relevant today. Italy rediscovered its role as a “middle power” that rather pragmatically promotes its Mediterranean and European interests through transatlantic means.

INDEX

Mots-clés : euromissiles, politique étrangère italienne, relations transatlantiques, guerre froide Keywords : euromissiles, italian foreign policy, transatlantic relations, Cold War

AUTEUR

GIOVANNI FALEG Chercheur associé au Centre d’études politiques européennes (CEPS) de Bruxelles et chercheur invité au Centre pour les relations transatlantiques SAIS de l’université Johns Hopkins, Washington. Ancien élève de la London School of Economics (LSE), il a soutenu sa thèse de doctorat en septembre 2013 sur le rôle des communautés de pratiques et épistémiques dans l’évolution de la politique de défense européenne. Ses recherches actuelles portent sur la

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coopération européenne et transatlantique en matière de défense ainsi que sur le rôle de l’Union européenne en tant qu’acteur de sécurité dans la Méditerranée et en Afrique. [email protected]

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Relations between the United States of America and Italy in the post- Cold War period: a defense- industrial perspective

Alessandro Marrone and Alessandro R. Ungaro

1 This paper focuses on the relations between the United States of America and Italy in the post-Cold War period from the perspective of defense procurement and industrial cooperation in relation to the strong military and political relationship between the two countries. It will consider how the concentration and internationalization of the Italian defense industry –epitomized by the build-up of Finmeccanica as a global player in the defense market– is related to U.S.-Italian relations in defense. Procurement programs involving American and Italian governments will be analysed, with a particular focus on the F-35 aircraft, together with the penetration of U.S. markets by Italian defense companies such as AgustaWestland and Fincantieri. This cooperation relied on an important Memorandum of Understanding (MoU) signed by the United States and Italy already in 1978, which established the necessary political and security frameworks for procurement programs and cooperation activities.

2 Such a defense-industrial perspective should not be isolated from broader military and political relations between the United States and Italy, which have been particularly important in terms of Italy’s contribution to U.S.-led military operations in Europe, Central Asia and the enlarged Mediterranean.1 Indeed, the final part of the paper argues that there is a two-way relationship between defense-industrial and politico- military cooperation.

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The concentration and internationalization of the Italian defense industry

3 Since the end of the Cold War, the Italian defense industry has experienced two complementary phases: concentration and internationalization. The latter can be further divided into two specific moments: the European phase of internationalization and the transatlantic one. A detailed analysis of the entire process through which the Italian defense industrial base developed and expanded lies beyond the scope of this paper. The focus will rather be on the fundamental steps related to the concentration and internationalization of the Italian defense industry, and in particular of Finmeccanica as the eighth-largest company in aerospace, defense and security.2

4 In the early 1990s, the Italian defense industry was very fragmented in a constellation of small and medium enterprises (SMEs) without the presence of a big national defense company able to compete on the international market. It suffered from duplication and experienced an over-reliance on the domestic market as well as on multinational defense programs based on the principle of juste retour.3 The majority of business activities were civilian-oriented and almost all companies had deep roots in the domestic market with a limited international business perspective.

5 Entering the market of other Western countries was rather difficult, as the two major industrial players –EFIM4 and IRI 5– were until the early 1990s totally owned and controlled by the State, establishing a direct fil rouge between companies’ industrial strategies and Italy’s defense and foreign policy. Both EFIM and IRI were state-owned conglomerates holding the majority of Italian aerospace and defense companies. For instance, EFIM owned, among others, the helicopter manufacturer Agusta, the defense company Oto Melara and the electronic enterprise Officine Galileo. The IRI subsidiary STET6 held enterprises with specializations in security and defense electronics such as Selenia, Elsag and SGS Thomson. At that time, Finmeccanica was an IRI subsidiary holding three main companies: Aeritalia, Alfa Romeo (later acquired by Fiat) and Ansaldo.

6 Such a fragmented industrial landscape gradually changed in ten years, as the concentration phase started in 1992. The process was not easy, due to strong political and industrial interests in maintaining the status quo of a plurality of small and medium enterprises totally controlled by EFIM and IRI.7 However, the objective of creating the so-called “national champion” prevailed, and in May 1993 an industrial plan was approved to take advantage of all possible synergies between Finmeccanica and EFIM companies. In particular, Finmeccanica had direct interests in twenty-eight of the about 100 EFIM companies. Among these, Agusta, Siai Marchetti, Oto Melara, Officine Galileo, Breda Meccanica Bresciana and Sma were acquired by Finmeccanica. The company then undertook a privatization process in 1993, when it was listed on the Milan Stock Exchange.8

7 The rationale behind this decisive step towards the rationalization of the Italian defense industry was delineated by Fabiano Fabiani, chief executive officer (CEO) of Finmeccanica in those crucial years. In September 1993 Fabiani explained the idea to move from a fragmented and inefficient business logic with several uncoordinated companies to a more integrated and efficient industrial group able to compete on European and international markets.9 During a hearing at the Senate commission in

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charge of supervising the privatization of state-owned companies, Fabiani introduced the company’s strategic guidelines by identifying the core business areas in which Finmeccanica would allocate the majority of its financial and human resources: aerospace and defense. Fabiani also declared his intention to complete the company’s consolidation on the domestic market and then enter the international one.10

8 Meanwhile, the restructuring and rationalization of the Italian defense industry proceeded and the internationalization phase took its first steps. This process can be outlined by dividing it into two lines of action: a European phase of internationalization and a transatlantic one. They are not separated but rather complementary and consecutive.11 The first line of action can be linked to the lead of Alberto Lina as CEO of Finmeccanica since 1997 and was mainly characterized by a business model centred on the creation of joint ventures and partnerships with European companies. Such an industrial strategy seems to coincide with strong political activism by Italian governments at a European level12 in a period when many states in Europe were led by progressives. The analysis of Finmeccanica’s European partnerships is beyond the scope of this paper. We will only state that, as of 2012, the company accounted for 21 percent of the Eurofighter consortium and 25 percent of the European missile producer MBDA, in both cases with EADS and BAE Systems as major shareholders, and had constituted two joint ventures with Thales producing space assets and services: Thales Alenia Space, 67 percent owned by Thales, and Telespazio, 67 percent owned by Finmeccanica.13

9 During the transatlantic phase, instead, Finmeccanica seemed more inclined to develop partnerships and penetrate the two most important Atlantic defense markets, the United States and the United Kingdom. This period could be linked to the lead of Pier Francesco Guarguaglini as CEO of the Italian defense company since 2002. Finmeccanica started to refine its international strategy in order to achieve a leadership position in certain sectors.14 Such a strategy implied a different course of action in terms of alliances and JVs. Previously, the Italian company took part in several European and international partnerships, but it had always played a junior role without aspiring to a leading position. Under the leadership of Guarguaglini, one of the main industrial objectives was to reverse this trend through two industrial policies: acquiring, where possible and in line with overall strategy, the entire equity stake of particular JVs; and moving towards the establishment of equal partnership in specific defense sectors in which Finmeccanica would have decided to play a more decisive role on a case by case basis.15

10 In this context, two of the most important business operations carried out by Finmeccanica have regarded the United Kingdom, paving the way for penetration in the U.S. defense market. In 2004, Finmeccanica acquired the shares held by the UK company GKN of the JV AgustaWestland, established when Alberto Lina was the CEO of Finmeccanica. Through this decision, Finmeccanica became sole owner of the helicopter company, ensuring a leading position in one of the most dynamic industrial sectors crossing the defense and civilian markets. The total amount of the operation was estimated at around $1.5 billion, one-tenth of the whole turnover of the industrial group.16

11 The second key step concerned the defense electronics sector. After long negotiations with the British counterpart BAE Systems, Finmeccanica created two companies, totally owned and controlled by the Italian company: Selex Communications and Selex Sistemi

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Integrati. Moreover, in the aviation field, Finmeccanica and BAE Systems established the JV Selex Sensors Airborne Systems with a shares division of 75 percent and 25 percent, respectively.17 In other words, the United Kingdom became the second “domestic market” of Finmeccanica, with more than 9,000 employees, and Finmeccanica became the second major supplier for the UK MoD. As affirmed by Guarguaglini, these two decisive business achievements represented a privileged channel in order to further improve Finmeccanica’s position in the U.S. defense market.18

Defense procurement and industrial cooperation between the United States and Italy

12 U.S. political and industrial attention in Italy’s defense sector has been constant since the end of World War II, in particular regarding the aeronautic sector. High-level contacts as well as partnerships and cooperation agreements with Lockheed Martin, McDonnell Douglas and later with Boeing were established during the Cold War. For example, the F-104S Starfighter was a licensed Italian version of the Lockheed F-104 Starfighter, which served in Italy’s Air Force from the late 1960s until the late 1990s.

13 In the post-Cold War period, defense industrial relations between Rome and Washington included two important elements: first, relevant procurement programs, both concluded and still ongoing, such as the C130J and C27J Spartan transport aircraft, the KC-767 tanker, the Medium Extended Air Defense System (MEADS) and, above all, the F-35 fighter aircraft; second, the penetration of U.S. defense markets by Finmeccanica, AgustaWestland and Fincantieri.

The aerial triad and the A400M

14 A first relevant case regarded two military transport aircraft –the Lockheed Martin C-130J and the Alenia C-27J Spartan. In August 2000 the Italian Air Force received its first C-130J with the primary intent of supporting the intervention of Italian troops in missions abroad, as well as transporting personnel contaminated by biological agents. In order to continue the modernization process started with the C-130J, in early 2000 Italy also ordered twelve C-27J transport aircraft from Lockheed Martin Alenia Tactical Transport Systems (LMATTS), a company equally owned by Lockheed Martin and Alenia Areonautica.

15 The partnership of Lockheed Martin and Alenia Areonautica had been set at the time of the acquisition of the C-130J by Italian authorities when an offset agreement was reached to involve the U.S. company in the development and production of the C-27J.19 Conceived to replace the old medium-sized military transport aircraft G-222, the C27J was to be part of an aerial triad alongside the C-130J and a future tanker (KC-767) to sustain Italian military operations outside national territory. The deal was generally well received by experts, who praised the Italian Armed Forces for the operation, which allowed the acquisition of new modern aircraft while limiting expenses, thanks to the support of the Ministry of Industry and the acquisition of the old G-222 by LMATTS.20 The new aircraft received its airworthiness military certificate in December 2001 and was delivered to Italian authorities in 2005.

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16 Italy’s role in the European A400M program was strictly related to previous transport aircraft programs. In July 2001 five EU countries –Belgium, France, Germany, the United Kingdom and Portugal– and Turkey signed a memorandum of understanding stating their intention to buy a number of A400Ms developed and produced by Airbus Military.21 In July 2000, the progressive Italian government led by Prime Minister had decided to support the Airbus project with a potential acquisition of sixteen aircraft.22 Nonetheless, one year later –in December 2001– the newly established conservative government led by reversed that decision, causing the withdrawal of Italy from the program.

17 The episode received national and international attention, and various explanations of the decision were put forward. First, the Italian company Alenia was not satisfied with the 8 percent work-share assigned for its eventual involvement in the program23 and there was little room for manoeuvre to improve it since agreements already had been signed with French, German and Spanish suppliers, while the C27J/C130J was seen as promising industrial partnership with Lockheed Martin. The second explanation was more political and was based on the arguments put forward by the Italian defense minister, : he said the aircraft was expensive and useless to the Italian Air Force, which had already selected the U.S. C-130J and the C27J.24 Moreover, at that time the future European transport aircraft was still just a plan, while the U.S. platforms were already developed. After strong reactions from major representatives of the government –namely the foreign affairs minister, – and the parliament, Martino reported to Parliament on the Airbus case in October 2001.

18 The third component of the Italian Air Force’s aerial triad –besides the C130J and C27J– is the Boeing KC-767 tanker. In July 2000 Italian authorities issued a request for proposals for the acquisition of a new tanker aircraft. At that time, only two competitors had developed a tanker aircraft suitable to replace the old tanker air fleet: the U.S. company Boeing, with its civilian 767, and the European consortium EADS, with the Airbus A330. Two years later Italy selected Boeing to procure four KC-767s, conceived for air refueling as well as for long-range troop transportation.25 Once more, the Italian company Alenia Aeronautica was initially involved in the program as it was responsible for converting the original civilian version of the aircraft –the 767, built in Kansas– into the tanker variant.26 The preference for an American supplier over the European one was partly motivated by the fact that an offset deal was reached concerning the assembly of the aircraft in Italy, although the offset proposed by EADS was also significant.

19 The United States had already said it needed to replace its tanker fleet –which mainly consisted of old KC-135s– but the U.S. Air Force officially requested the purchase of the KC-767 only in early 2003, following evaluations concerning the costs and technical capabilities of Boeing’s tanker. By the end of the same year, irregularities in the procurement process started to emerge,27 but the Italian government confirmed its intention to be the “first customer” of the U.S. tanker with the first delivery expected in spring 2007. After various bureaucratic and legal problems, a new competition was opened by the U.S. government, and in February 2011 Boeing was announced the winner, acquiring a contract of approximately $35 billion. Italy received its first and second KC-767 aircraft in January and March 2011, which were later deployed during the Unified Protector operation in Libya. The fourth and last KC-767 was delivered in 2012.

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20 The medium extended air defense system (MEADS) is aimed to ensure mobile missile protection from air threats for military or civilian sites and troops deployed on the ground. According to Italian official documents, this meets both NATO’s and Italy’s requirements for flexible, interoperable, deployable and sustainable air defense.28 The United States launched the requirement in 1989 and immediately looked for European partners. In 1995, a declaration of intent was signed by the United States, France, Germany and Italy, followed in 1996 by a memorandum of understanding on the program definition/validation phase. After France’s withdrawal, the memorandum was modified so that costs were divided among the three remaining partners in the following way: United States 60 percent, Germany 25 percent, and Italy 15 percent. The procurement program is based on the principle of juste retour, which implies substantial equality between each government’s investment in the program and the investment return for its national defense industry. The memorandum envisages that each country may review its participation in subsequent phases, that the initial cost share may change, and that each partner country can leave the program.29

21 In 1996, considering the importance attached by the Atlantic Alliance to air defense against ballistic missiles, the program was enshrined in the NATO framework by creating the NATO MEADS management agency. In 1999 it was chosen as prime contractor in the MEADS International consortium composed by Lockheed Martin, Daimler AeroSpace and Alenia Marconi System. It is noticeable in this regard that Italian (and German) industries are not subcontractors of the U.S. prime but part of the joint venture, which acts as prime contractor. After a $231.8 million risk reduction phase financed 55 percent by the United States, 28 percent by Germany and 17 percent by Italy, in 2005 a $3.4 billion contract was signed between NATO MEADS management agency and MEADS International for the system development and demonstration phase. The costs of this contract would be shared by the three governments on the basis of the same percentage, and the national industries part of MEADS received equally divided investments: 55 percent to Lockheed Martin, 28 percent to European Aeronautic Defense and Space (EADS30) and 17 percent to MBDA Italia.31 In particular, MBDA Italia worked on missile launchers, reloaders and multifunction fire control radar.

22 The MEADS system’s preliminary design review was completed in 2008,32 while the system-level critical design reviews were passed and completed two years later.33 At that moment representatives of the management agency and all states involved evaluated the results of the design work positively and decided to advance towards further system integration and a test phase. The first tactical operations centre and the first launcher were delivered to MEADS International at the end of 2010.34 In early 2011, the United States expressed its intention to cease participation because of rising costs and severe cuts in the defense budget. Nevertheless, the U.S. government continued to support MEADS development, as Pentagon officials declared that the three countries involved in the program would be able to harvest technologies from it and upgrade current missile defense systems or use the technology for other purposes.35 MEADS conducted its first flight test at White Sands missile range, New Mexico, in November 2011. In April 2013, Defense Secretary Chuck Hagel reassured Germany and Italy that the United States would fulfill its commitment to fund the MEADS program through fiscal year 2013. Congress allocated $380 million to the program, although the amount is subject to a 10 percent reduction due to sequestration.36

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23 Because of growing opposition to the program by U.S. lawmakers,37 however, it is possible that the United States will opt out of the program in 2014, leaving to Germany and Italy the responsibility to decide if and how to continue its development. On September 2013 a senior Lockheed Martin manager said the Polish government had proposed joining the program and that governments in the Middle East and Asia also had expressed interest in MEADS. 38

Italy’s participation in the U.S.-led F-35 procurement program

24 The F-35 procurement program deserves specific attention because of its military, industrial and political importance. The program is aimed to deliver a fifth-generation fighter aircraft with net-centric and stealth characteristics. Total U.S. investment in the F-35 is nearing $400 billion to develop and procure 2,457 fighter aircraft by 2037.39 The multinational procurement involves Australia, Canada, Italy, the Netherlands, Norway, Turkey and the United Kingdom, while Japan and Israel have selected the aircraft through the foreign military sale process. As a whole, around 3,000 aircraft are set to be produced and sold worldwide. The five-year-long evaluation of the proposals presented by two consortia, led respectively by Boeing and Lockheed Martin, ended on 26 October 2001 when the U.S. Department of Defense awarded the contract to Lockheed Martin. After a prolonged phase of system development, demonstration and testing, the first aircraft were delivered to the United States and other members of the multinational program.

25 The F-35 program changed the way allied countries such as Italy participate in a U.S.- led multinational procurement. In fact, they were involved since the development phase through a number of bilateral memoranda of understanding within the framework memorandum covering the entire program. The F-35 program does not formally recognize the principle of juste retour or the logic of offsets, which are industrial compensations granted to partner or customer countries buying the defense product. The F-35 procurement, rather, is based on the principle of best value for money. In theory, industries from all partner countries compete to become suppliers of the U.S. prime contractor. That means the memoranda do not envisage the exact industrial return for partners’ national industries, and nor do they prescribe the workshare to match the costshare.40 In reality, so far, the economic contribution of many allied governments is often roughly matched by the investment returns for their national defense industry. A good example is represented by the Italian case.

26 Italy joined the program in 1998 with an initial investment of $10 million. According to the report presented in 2002 by the Air Force chief of staff, the F-35 perfectly met national requirements and offered the best guarantees in terms of interoperability and standardization in the context of multinational operations.41 In 2002, Italy and the United States signed a bilateral addendum envisaging, among other things, an Italian financial contribution of $1,028 million covering 2002-2013.42 In 2007, the Italian government signed a new memorandum related to the next phases of the procurement program, involving an Italian investment of $903 million.43 The undersecretary of state at that time, Lorenzo Forcieri, declared at a hearing at the defense committee of the that contractual commitments by Lockheed Martin with Italian industries amounted to $1,018 million, with 10,000 workers expected to be employed in various regions.44 In 2009, the Italian and U.S. governments agreed to build an assembly

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facility in Cameri (province of Novara, northern Italy), the only one outside the United States, involving an Italian investment of $796 million. In 2012, the number of aircraft to be purchased was reduced from 131 to 90 45 because of the austerity policy undertaken by the government led by . However, in 2012, the national armaments director, General Claudio Debertolis, confirmed that Italy’s acquisition of 90 F-35 was needed to replace 253 aging aircraft introduced in the 1970s and ’80s, including the Tornado, AMX and Harrier.46 This decision survived the Parliamentary debate in 2013, when a motion was tabled to suspend the whole procurement program in light of the economic crisis affecting Italy and later was rejected. 47

Italian penetration of the U.S. defense market

27 While the U.S. industrial presence in Italian markets dates to the aftermath of World War II, Italian penetration of the American market is a recent phenomenon occurring largely after the end of the Cold War. The Italian case is not unique in Europe: since the 1990s major European companies such as BAE Systems and EADS made efforts to bid for U.S. Department of Defense procurement, for example by establishing subsidiaries or joint ventures in the United States. At least four major examples are noteworthy with regard to the penetration of the U.S. defense market by Italian defense industries: AgustaWestland’s supplies for the US101, the acquisition of DRS by Finmeccanica, Fincantieri’s participation in the Littoral Combat Ship program and Beretta supplies to the U.S. Army.

28 In July 2002, Lockheed Martin and AgustaWestland signed a ten-year agreement to jointly market, produce and support a medium-lift helicopter, the AW101, then named US101, in the United States. In May 2003, AgustaWestland signed an agreement with Bell Helicopter to undertake final assembly of the US101 in the United States. According to the deal, AgustaWestland would produce the main rotor blades and fuselage sections at its U.S. facility and other components, including the gearbox, at its Italian facility.

29 In December 2003, the U.S. Department of Defense issued a request for proposals to supply twenty-three helicopters to replace eleven VH-3Ds and eight VH-60Ns, which provide presidential helicopter transportation. Two competitors responded: Lockheed Martin-AgustaWestland and Sikorsky Aircraft. In January 2005, the Department of Defense announced that it had selected the US101 by Lockheed/Augusta as the winner, with a contract value of $6.1 billion. The contract foresaw the delivery of three prototypes in 2007 and final delivery of all the helicopters by 2014. In July 2005, the US101 was given the designation VH-71 Kestrel. However, following U.S. Navy requests to add security and communication systems, the cost of the VH-71 program started to rise, forcing Lockheed and AgustaWestland to meet new requirements, which caused delays.48 As a consequence, in February 2009 the Democratics asked that the VH-71 acquisition be revised. The program was definitely cancelled in June 2009 despite contrary suggestions by the U.S. Navy49, as well as by .50 The cancellation took place notwithstanding a letter from the Italian minister of defense, Ignazio La Russa, to his U.S. counterpart, Robert Gates.51 A new request for proposals was issued in March 2010 52 and again in November 2012 by setting new requirements for the program: the helicopter would carry fewer people and would have a shorter range and simplified communications. Sikorsky seemed to be the only bidder.53

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30 In May 2008, Finmeccanica announced the acquisition of 100 percent of U.S. defense company DRS Technologies.54 Based in Virginia, it is a leading supplier of thermal imaging devices, combat display workstations, electronic sensor systems, power systems, rugged computer systems, air combat training systems, mission recorders, deployable flight incident recorders, environmental control systems, telecommunication systems, aircraft loaders, military trailers and shelters, and integrated logistics support services.

31 The total amount of the operation was estimated at $5.2 billion. According to the Finmeccanica CEO, Pier Francesco Guarguaglini, the acquisition was the natural outcome of Finmeccanica’s emerging role in the U.S. defense market after the involvement of the Italian company in the US101 and C27J procurement programs. After the formal announcement, the acquisition was completed in October 2008 55, following approval by the Committee on Foreign Investment in the United States and the defense security service (DSS).56 This acquisition was particularly important because DRS supplies high-tech and very sensitive products and services to the Department of Defense.

32 In May 2004, the U.S. Department of Defense awarded Lockheed Martin and its partner Fincantieri a contract to design, develop and produce two ships as part of the wider littoral combat ship program which foresaw the acquisition of fifty-five ships by the U.S. Navy for a total amount of $20 billion by 2020.57 Lockheed’s ship was named the LCS-1, as General Dynamics was in charge of the development of another prototype (LCS-2) within the same program. In 2007, the U.S. Navy decided to cancel construction of the second LCS-1, as it had been impossible to reach an agreement with Lockheed Martin to halt the increase of ships’ costs. Nevertheless, work on the first LCS-1 continued, as it was 80 percent completed by that date and almost ready for delivery.58 Within the context of the LCS program, Fincantieri acquired Manitowoc Marine Group (MMG) and, consequently, its plants in Marinette, Sturgeon Bay and Cleveland.59 In doing that, Fincantieri entered the industrial phase of the program while increasing the company’s possibilities in the U.S. defense sector. The LCS-1, christened USS Freedom in September 2006, was delivered in September 2008 and officially accepted by the Navy in October. In December 2010, the U.S. Navy commissioned ten LCSs to Lockheed Martin and Fincantieri. The total amount of the contract was about $437 million, with the possibility of adding another nine ships by 2015 and raise the value of the contract to $4.5 billion in case of extra features.60

33 Finally, it is worthwhile recalling the case of the Italian arms company Beretta. One of its major successes in the U.S. defense market dates to 1985, when U.S. Armed Forces and state police forces started using the Beretta 92 series. In May 2002, a new contract was awarded to the Italian company for 18,744 pistols to the U.S. Air Force. Finally, in January 2009 Beretta won the largest U.S. handgun procurement program since World War II, providing the U.S. Army with a total of 450,000 model 92FS pistols.

Legal aspects of procurement cooperation: MoUs and technical agreements

34 Defense procurement cooperation between Italy and the United States has relied on the legal framework provided by a number of agreements and memoranda of understanding. During much of the post-Cold War period, the two governments relied

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on the first MoU signed in September 1978, entitled “Concerning the Principles Governing the Mutual Cooperation in Research and Development, Production and Procurement of Defense Equipment.” This agreement has never been ratified by the Italian Parliament, as it was considered a technical deal rather than a result of political negotiations.61 According to the Italian defense minister, Attilio Ruffini, the memorandum would promote harmonization through standardization and interoperability, and would enable the gradual rebalancing of trade relations in the defense sector, both in monetary and technological terms. The memorandum served as a framework whose purpose was to achieve the best cost-effectiveness ratio in military spending by encouraging the technological upgrade of the Italian defense industry and export to third countries of U.S. defense equipment produced under license by Italy.62

35 The 1978 memorandum has been one of the main pillars of Italy-U.S. defense industrial cooperation. However, some concerns emerged, especially regarding the significant imbalance in the defense trade penalizing Italy. In fact, as stated in 1984 during a hearing in the Italian Senate by the undersecretary of state, Silvano Signori, the defense trade ratio between 1975 and 1978 was 1 to 7 in favour of the United States.63 Such a critical imbalance was due to several factors, including the greater competitiveness of U.S. defense products, the difficulty for Italy to obtain profitable cooperation agreements –often characterized by a low technology content for the Italian defense industry– and U.S. export restrictions of defense equipment produced by Italy under American license.64 Nevertheless, the memorandum paved the way for a closer relationship between the two allies, as demonstrated by the fact that, after the signing, Italian industries were selected to provide maintenance support to several U.S. C-130s deployed in Europe and to SH-3 helicopters.

36 The memorandum resulted from two different but complementary political needs. On the one hand, Italy’s objective was to reduce the industrial, technological and trade gaps. On the other hand, the rationale behind the U.S. decision to sign the memorandum was part of a broader strategy –strictly correlated to the Cold War context– aimed at strengthening the defense capabilities of the NATO allies by spreading the application of standardization and interoperability principles among allied armed forces.65

37 Following the memorandum, Italy and the United States signed further technical and sectorial agreements covering the regulation of the defense procurement process and industrial cooperation. For example, in October 2003 the “Declaration of Principles of Enhanced Cooperation in Matters of Defense Equipment and Industry” was signed by the Italian minister of defense and his American counterpart. The 1978 memorandum was not legally binding, leading to discussions inside the Italian Parliament about whether or not to ratify it. Indeed, the question arose when the Italian government decided instead to ratify the letter of intent/framework agreement in 2003 with law no. 148, thus creating a discrepancy between Italian-U.S. defense relations – characterized by an absence of legal protection– and relations with European countries, which relied on a legal framework established through a ratification process.66

38 In 2005, efforts aimed at strengthening Italian defense exports achieved an important political result. By subscribing to the so-called “blanket assurance agreement,” Italy was allowed to re-export toward a third country –which in turn had signed the same blanket assurance– military equipment imported from the United States without asking for authorization but only by informing the U.S. Department of State within thirty days

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of delivery. This agreement conceals substantial political value as it reflects the will of the Italian government to share responsibility for a multinational system of export control related to sensitive military and dual-use material.67

39 In 2006 there was significant consolidation of defense cooperation between Italy and the United States. A first important step was the memorandum for “Meeting National Defense Requirements – Security of Supply,” which went into effect on 1 August 2006. This agreement implemented the “Meeting National Defense Requirements” section of the aforementioned “Declaration of Principles.” The document envisaged the establishment of a code of conduct to which Italian companies might voluntarily join under the coordination of the Italian minister of defense. In brief, the agreement established greater mutual protection and a more effective procurement regulation between the two countries.68 The Italian defense companies that joined the code of conduct entered into a mutual guarantee system between Italy and the United States.69 In this way they were considered reliable suppliers to both the Department of Defense as well as to any U.S. companies wishing to use them as subcontractors.70 In particular, the code of conduct allowed Italian defense companies to obtain and exploit a preferential access route into the defense priorities and allocations system, which is used to prioritize national defense-related contracts/orders throughout the U.S. supply chain in order to support military, energy, homeland security, emergency preparedness and critical infrastructure requirements.71

40 In 2006, two other technical agreements were signed. In August 2006 the deal entitled “Regarding the Exchange of Engineers and Scientists” regulated and coordinated the position of national engineers and scientists working in each other’s country. One month later, on September 26, the “Research, Development, Test and Evaluation Projects agreement” was signed to regulate collaboration in research, testing and evaluation. As anticipated in the introduction, thirty years after the 1978 memorandum, in 2008 Italy and the United States signed a new, ten-year umbrella agreement concerning “Reciprocal Defense Procurement.” As a consequence, on 3 May 2009 –the date the memorandum went into effect– the previous 1978 agreement ceased. 72 Finally, the U.S. Department of Defense considers Italy as a qualifying country, which theoretically implies an exemption from the Buy American act and Balance of Payment Program according to federal acquisition regulations.73

Political and strategic dimensions of the bilateral relationship

41 Defense industrial relations between the United States and Italy should be considered in the context of the military and political aspects of the post-Cold War era. First, in this period Italy demonstrated a new, significant and constant military activism in international missions, mostly –but not only– alongside the Americans. This activism was linked to the enduring importance of bilateral relations with the United States for Italy’s defense and foreign policy, which has been recognized by both conservative and progressive Italian governments in the last two decades. The political and strategic dimension to a certain extent has shaped defense industrial relations, which in turn played a role in influencing the former.

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A new Italian military activism in international missions

42 First, let us look at the new, significant and constant military commitment of Italy in crisis management operations alongside U.S. forces. In 1991, Italian military forces took part in the Gulf War, including a naval group and Tornado ground attack fighters, and the Italian Air Force commander took part in high-level planning meetings with officials from the United States, the United Kingdom, France, Germany, Saudi Arabia and Kuwait. In 1993, 3,500 Italian troops were deployed in Somalia in the peace-keeping mission led by the United States under United Nations mandate, experiencing the first casualties in a military action since the end of World War II. Through the 1990s, Italian armed forces operated in the western Balkans together with the Americans: Italy not only provided air bases in 1995, but the air force made a small number of sorties and the army was deployed within the NATO mission IFOR74 in the following period. Again in 1999, Italy not only provided indispensable bases for the NATO air campaign against the Serbian regime, but made the third-largest contribution to air sorties, after the United States and France, with forty-nine aircraft,75 172 bombings and the involment of a navy task force including the carrier Garibaldi. In the aftermath of the September 11 terrorist attacks, the first Italian military personnel officially arrived in Afghanistan on January 2002, and in October 2002 Italy decided to deploy 1,000 troops in Afghanistan alongside U.S. forces even before NATO took a leading role in the country –the so-called Task Force Nibbio. After NATO took over command of the International Security Assistance Force, Italy commanded the whole mission between August 2005 and May 2006. Italy has been in charge of NATO regional command west since its establishment in 2006 76 and has maintained between 3,000 and 4,000 troops in Asia despite fifty-three casualties among Italian soldiers through September 2013. In the case of Iraq, the lack of a U.N. mandate or international consensus on Operation Iraqi Freedom, as well as strong domestic opposition, prevented Italy from taking part in the first months of operations conducted by U.S. forces, with British support. Yet, after U.N. resolution 1483 of May 2003 –confirmed by resolution 1551 of October 2003– Italy deployed until September 2006 between 2,000 and 3,000 troops in southern Iraq, particularly in the city of Nasiriya, the second-largest European contribution after that of the United Kingdom. Finally, during the 2011 NATO Operation Unified Protector in Libya, the Italian Air Force conducted 9 percent of air sorties –compared to 27 percent of the United States, 21 percent of France, and 11 percent of the United Kingdom.77 As in 1999, military bases on Italian territory proved to be fundamental to successfully manage the six-months-long NATO air campaign against the Libyan regime.

43 Such military efforts took place within a broader Italian activism with regard to crisis management operations, under NATO as well as the umbrellas of the United Nations and the EU. During the 1990s Italy participated in more than twenty-five concurrent missions per year, which peaked at thirty in 1999.78 In the 2000s, large-scale operational commitments in Kosovo, Lebanon, Iraq and Afghanistan led Italy to deploy on average 12,500 troops abroad per year. In the post-Cold War period, participation in crisis management operations traditionally has been considered a way to strengthen Italy’s position and credibility within relevant multilateral organizations and fora such as the United Nations, NATO, the EU and the G8.79 Already in the early 1990s, it become clear that in the new phase of international relations after the Cold War, not being present in military operations alongside the United States would be a handicap for Italian defense and foreign policy.80 This is linked to the widespread and deeply rooted perception

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among Italian policymakers that Italy has to constantly bolster its prestige among peer nations and that military contribution to crisis management operations is a valuable and effective tool to that end. Such participation was also deemed an important tool for enhancing bilateral cooperation with major European and North American allies. In some cases, such as the western Balkans, missions abroad were also aimed at addressing a direct security concern for Italy such as the flow of refugees through the Adriatic, the creation of failed states where organized crime could find safe havens and the risk of regional instability just a few kilometers from Italian borders. Finally, participation in crisis management operations has been useful in modernizing the Italian military and improving its interoperability with NATO allies.

The enduring importance of bilateral relations with the United States

44 However, Italian military commitment alongside U.S. troops was not just the result of these factors. This commitment was, rather, a tool to maintain and enhance bilateral relations with the United States, which has been considered the bedrock of Italy’s national security, as well as of the Italian system of alliances, since the end of World War II.81 Being surrounded by unstable regions –from the western Balkans to the southern Mediterranean shores– and unable to shape events in these regions on its own, Italy traditionally has relied on asymmetric alliances with stronger partners such as the United States to address common security concerns.82 The United States has been considered by the Italian Republic as the main contributor to European security during and after the Cold War. Moreover, bilateral relations with Washington have been deliberately pursued by Rome as leverage to enhance Italy’s status with more powerful European countries such as France and –after reunification– Germany. This two-fold approach to relations with the United States continued in the 1990s, despite the disappearance of the Soviet threat to Western Europe, because of the security crisis in the Balkans and the Mediterranean as well as the kind of structural relations with other EU members.83 In the early 2000s, the United States remained a crucial variable in defining Italy’s security interests and options because of U.S. influence in Italy’s unstable vicinity, namely the Mediterranean and Middle East84. After the 2001 terrorist attacks, when U.S. national security priorities shifted from Europe to the greater Middle East, the weight of European allies become increasingly valued in terms of their political and military contribution to U.S.-led crisis management operations.85 Therefore, Italian participation in missions abroad become a fundamental tool for Italian defense policy.86

45 Because of Italy’s strategic interest in the European integration process, in the post- Cold War period Italian governments have tried to balance this Atlanticist attitude with Europeanist efforts. For example, Italy has constantly supported European cooperation and integration not only in the economic domain but also in the political, security and defense realms. However, this Europeanist effort has been traditionally seen as complementary to NATO and not in opposition to strong transatlantic relations. Both progressive and conservative governments in the post-Cold War period have agreed that Italy should continue to maintain the two traditional pillars of its foreign and defense policy: excellent relations with the United States and a firm anchor in Europe.87

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46 In this context, the case of Italy’s military commitment in Iraq is noteworthy. In fact, while U.S.-led operations in Afghanistan and the western Balkans were managed within a NATO framework and enjoyed wide European support, military intervention in Iraq took place as a “coalition of the willing” and triggered a deep political divide among Europeans. In 2003, the Italian government offered the United States political and – later on– military support. The political support was epitomized, among other things, by the letter to the Wall Street Journal signed by the heads of government of the Czech Republic, Denmark, Hungary, Italy, the Netherlands, Poland, Portugal, Spain and the United Kingdom in the run-up to U.S. military intervention. It was an important pro- U.S. stance, at least in symbolic terms, to balance Franco-German opposition to the war. 88 That decision was taken by the conservative government led by Silvio Berlusconi, and Italian military deployment in Iraq –around 3,000 troops– was maintained for three years despite the attack on the Italian military base in Nasiriya, which killed nineteen Italians on 12 November 2003.

47 The conservative governments led by Berlusconi in 1994, in the 2001-2006 period and between 2008 and 2011, demonstrated a greater pro-U.S. attitude than the governments led by progressive leaders in 1996-2001 and 2006-2008. Already in 1994, the foreign minister, Antonio Martino, in a parliamentary speech on June 21 recalled as guiding principles for Italian foreign policy first the “loyalty to the Atlantic Alliance and to the relations with the U.S.” and secondly “the economic and political cooperation within the EU.”89 , foreign minister of governments in 2002-2004 and then between 2008 and 2011, affirmed that his government was increasing U.S.-Italian relations to higher levels than in the recent past.90 This Atlanticist attitude included a strong personal relationship between the Italian prime minister and the U.S. president, George W. Bush, as demonstrated by the number of summits held in Italy and the United States as well as by the rare opportunity provided to Berlusconi to give a speech at the U.S. Congress in March 2006.91 But the personal relationship between the two conservative politicians should not be overestimated with respect to the traditional attitude of Italian governments to seek strong relations with Washington regardless of the personality of the U.S. president. In fact, though Barack Obama had no personal affinity with Berlusconi, when in 2009 the Democratic administration called for European military support for its strategy in Afghanistan, the Berlusconi government immediately increased the Italian contribution to ISAF by 1,000 troops, the largest European surge to the NATO-led operation at that time.

48 This is not to say that Italian progressive governments did not attach great importance to bilateral relations with the United States. It is true that leftist opposition parties hindered the Italian mission in Iraq, and when they won the general election in 2006 the new government, led by , immediately withdrew Italian troops from Nasiriya. However, the Berlusconi government had already agreed to a similar timeline for withdrawal in the previous months. Above all, the Iraqi case was an exception with regard to progressive leaders’ support of U.S.-led crisis management operations in the post-Cold War period. In particular with the Clinton administration (1992-2000) and the Obama administration (2008-2013), Italian leftist politicians worked to enhance military and political ties with the United States. Indeed, Italian progressive governments confronted the radical left wing twice.

49 First, from October 1998 until the end of the NATO air campaign in Kosovo and Serbia, the government led by Massimo D’Alema struggled with the radical wing of Italian

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progressive parties, within and outside his coalition government, over the decision to support the NATO operation.92 Italy’s contribution was indeed crucial, as it allowed NATO to use a number of air bases. According to the foreign minister at that time, , the Italian decision to accept the Alliance’s activation order was a turning point with regard to both the domestic political situation and relations with the United States and NATO.93 The defense minister, Carlo Scognamiglio Pasini, informed the defense and foreign affairs committee of both the Senate and the Chamber of Deputies that in case of NATO military intervention Italy would ensure full operational and logistic support, with “full and unquestioned membership and participation in the decisions and collective actions of the Alliance.”94 Italy’s role and its relations with the United States were at stake. The anti-American attitude of part of the was one of the main reasons for internal opposition to the war.95 The first-ever government led by a former Communist leader, D’Alema, contributed strongly to the NATO campaign because it believed it was of great interest to Italy to cultivate links with the United States.96

50 Eight years later, in 2006-2007, the Prodi government –while withdrawing Italian troops from Iraq– did not reverse the operational commitment in Afghanistan despite the increase of Italian casualties. Furthermore, the Prodi government supported participation in the F-35 procurement program by allocating 1,028 million euros97 notwithstanding opposition to the U.S.-led multinational acquisition.

51 Generally speaking, in the post-Cold War period, on one hand the United States has asked Italy –as well as other European allies– for more military support than in the past, from the Balkans to the Middle East and Central Asia: this includes not just the use of bases on Italian soil but also active deployment of troops and a range of military assets from special forces to trainers, from fighter aircraft to light armoured vehicles. On the other hand, Italy has been more willing and able than in the Cold War era to provide this support, thanks to a bipartisan consensus among political elites that this action served national interests by enhancing prestige, contributing to international peace, and strengthening relations with the United States without weakening Italian ties with Europe.98

52 It is also worthwhile examining the role of the president of the republic. The analysis of Italy’s constitutional and institutional framework is beyond the scope of this paper. We will just highlight the fact that the 1948 Italian constitution assigns important powers to the president, including the right to appoint prime ministers and call general elections. With regard to defense and foreign policy, the president –who is also the head of the armed forces– chairs the Supreme Defense Council. Particularly from 1999, presidents (1999-2006) and Gorgio Napolitano (since 2006) devoted considerable attention to foreign and defense policy. For example, Ciampi balanced the Atlanticist attitude of the Berlusconi government with explicit Europeanist statements, but at the same time immediately took sides with the Bush administration over military intervention in Afghanistan in the aftermath of September 11, 2001.99 With regard to military intervention in Iraq, Ciampi took a much more cautious approach than the Berlusconi government and worked to make the Italian military contribution dependent on and legitimized by a U.N. resolution. He also chaired the Supreme Defense Council on 18 March and 14 April 2003.

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The linkage between the politico-strategic and the defense industrial dimensions

53 It is difficult to assess the linkage between military and political support for the American administrations by Italian governments in the post-Cold War period and defense industrial relations between the United States and Italy. However, three main points can be fairly argued.

54 One of the main reasons Italy made constant efforts to enhance defense industrial cooperation with its American counterparts was the strategic importance of the relations with the United States. This was particularly obvious during the Cold War, but has applied also to the post-Cold War period. The fact that different Italian governments have negotiated and signed a number of MoU and technical agreements with the United States demonstrates this willingness to anchor defense industrial relations to a solid political and legal framework. The preference for American defense products and U.S.-led procurement programs is based not only on military and industrial considerations but also on the transatlantic rationale of enhancing relations with Washington. For instance, this has been the case with the F-35, which Italian governments have supported over the last fifteen years. There are four main reasons for this. First, the military rationale, the understanding that the F-35 is necessary and fits the requirements for both the Italian Air Force and the navy. Second is the industrial rationale, based on the strategic interests of the Italian defense industry. Third is the multinational rationale, the desire by Italian policymakers generally speaking to pursue defense policy in multinational frameworks. Last, but not least, there is the transatlantic rationale, namely the importance attached by Italy to bilateral relations with the United States and with NATO.

55 In the case of the C27J, the decision to favor the American procurement program over the A400M was partly the result of the low level of pro-European enthusiasm by the parties forming the Berlusconi government coalition in 2001. According to the diplomatic advisor of the president of the republic at that time, this euro-scepticism was epitomized by the relations between Berlusconi and his foreign minister, Renato Ruggiero, who was appointed in May 2001 and resigned in December 2001 in disagreement with the government. The decision to skip the A400M program was one of the reasons which led Ruggiero to resign, as the pro-European minister considered it seriously harmful to European defense integration. Considering the examples of the C130J and C27J transport aircraft, as well as the KC-767 tanker, it can be argued that under the Berlusconi governments defense industrial cooperation between the United States and Italy has been pursued more than in the past, and more so than cooperation with other European countries.

56 However, the critical approach to Europe by Italian conservative parties in that period should not be overstated. First, already in the mid-1990s, new moderate and conservative parties such as and Alleanza Nazionale worked to enter the European People’s Party and did not see a European vocation and the American alliance –as well as a greater degree of national autonomy over foreign policy– as mutually exclusive alternatives.100 Second, a certain European commitment by conservative parties in the early 2000s was illustrated by the fact that the Berlusconi government managed to host in Rome the signing of the EU Constitutional Treaty in 2004 –in the very same room where the Treaty of Rome was signed in 1957.

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57 It can also be argued that the political proximity between the Italian and U.S. governments created a favourable atmosphere for the Italian defense industry in the United States. Generally speaking, in the defense market government-to-government agreements and lobbying by homeland military and political authorities is even more important than in other industrial sectors subject to export support by national governments.101 Customers of defense products are other states, mostly the military but also security forces, and therefore the reassurance provided by the state where the defense supplier is located is extremely important. In the field of defense industrial cooperation, credibility and reliability of industrial and military partners are achieved through mid- to long-term efforts, as well as continuity in defense policy.102 Inversely, if the United States considers an ally to be leaning towards pacifism, neutrality or opposition with respect to American military operations abroad, the most important technology transfers or valuable defense industrial cooperation become more difficult to achieve.103 This is particularly true with the United States, which is used to link commercial policy, including the openness of its domestic market, to foreign and defense policy, particularly to bilateral relations with single allies. That means Finmeccanica needs the backing of Italian governments to gain the trust of foreign governments eligible to buy its products.104 The fact that Italian military forces were deployed with Americans in a number of missions abroad, including special operations and counter-insurgency campaigns in Iraq and Afghanistan, as well as the pro-U.S. stance of Italian governments on most international issues, played a role in strengthening the credibility of Italy as a staunch ally of the United States as well as a reliable supplier of defense equipment. In addition, the good relations between George W. Bush and Silvio Berlusconi between 2001 and 2006 played a role.105 Generally speaking, Italian conservative governments have paid more attention than previous ones to the promotion of Italian exports, partly because of the entrepreneurial background of Berlusconi himself –although first steps in this regard were undertaken by progressive governments in the late 1990s.106 This led to a number of visits by representatives of major Italian companies such as Finmeccanica, ENI and ENEL not only to the United States but also to and Arab countries. The Berlusconi governments, particularly Foreign Minister Franco Frattini, also tried to reform the Italian Ministry of Foreign Affairs to make it more supportive of Italian exports. With particular regard to the United States, it is noteworthy that the Italian ambassador, Giovanni Castellaneta, was appointed to the Finmeccanica board in 2004 and was then nominated to head the Italian embassy in Washington, D.C., while maintaining his role within the company. Finmeccanica decided to ride this political trend to seek penetration in the U.S. defense market, as it did in the late 1990s, with the pro- European attitude of Italian progressive governments by taking part in the integration and rationalization process of the aerospace and defense industry.

58 However, this positive political environment cannot be considered the only driver of defense industrial cooperation between the United States and Italy. In particular, in the case of the Marine One helicopter, the AgustaWestland platform at that time was widely recognized as the most competitive product. Cooperation in procurement programs and supply security is a long-term effort which spans decades; negotiations to replace the 1978 U.S.-Italian bilateral agreement on defense procurement initiated at the beginning of the 1990s and was finalized only in 2008. This long-term character increases the role of high-level civil servants, both military and civilian, who work over the years on the various procurement dossiers, in contrast to politicians, who may hold

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the post of defense minister only briefly. This is particularly true for Italy, where the constitutional settlement centred on Parliament, rather than on the executive, coupled with the fragmentation of the political party system often leads to government crisis and cabinet changes. Moreover, in the case of procurement programs of high-tech and complex systems, military officials and defense industry managers have extremely valuable technical know-how. In addition, within the military, joint deployment and training with the U.S. Armed Forces creates an incentive to procure the same or at least interoperable equipment through transatlantic rather than European procurement programs. Generally speaking, the military and diplomatic bureaucracies –like others in the Italian state– have a certain degree of influence over elected politicians. As a result, once they hold a government post, political leaders tend to take positions more in line with traditional Italian foreign and defense policy then when they were out of the government.107

59 A third point can be made on the influence of defense industrial cooperation on the politico-strategic dimension of U.S.-Italy relations. Generally speaking, since the end of World War II, strategic industries such as ENI and later ENEL and Finmeccanica played an important role.108 Certainly, the creation of a large defense company like Finmeccanica in the 1990s represented an important novelty, because for the first time U.S. industries had an interlocutor in the private sector with sufficiently large turnover and portfolio to become a partner and not only a supplier. That helped create partnerships and increased the relevance of the defense industry within overall bilateral relations. Moreover, the substantial autonomy enjoyed by the CEOs of Finmeccanica –particularly but not only Lina and Guarguaglini– meant that company strategies were first largely shaped by management and then shared with Italian governments. At the same time, the fate of one of the few large Italian manufacturing companies, directly employing 70,000 workers and sub-contracting with dozens of small and medium companies in Italy, was obviously highly considered by Italian policymakers in conducting defense and foreign policy. In this context, it is interesting to note the preference for U.S. and U.K. markets by Guarguaglini compared to the cooperation with France and Germany sought by his predecessor as Finmeccanica’s leader, Alberto Lima.

60 An analysis of Italy-U.S. relations through the evolution of the defense industry offers a very interesting picture of the continuity of Italian foreign policy, with some evolutionary aspects. It also indicates that the strategic nexus of the Cold War, a partnership based on the defense of the West against the Eastern threat, has faded away. Today we have a mix of regional security and economic interests that allow us to describe the relationship in realistic terms. But Italy’s transatlantic anchor, which could also be described as its American prism, is still vivid even if European ties have increased much more than transatlantic ones. There is still much to say about the Italian penchant towards Washington.

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NOTES

1. The concept of enlarged Mediterranean (Mediterraneo allargato) is used in several official documents issued by the Ministry of Defense, the Armed Forces and the Ministry of Foreign Affairs, and includes not only the countries geographically present in the Mediterranean but also the Horn of Africa and the Persian Gulf. See, for example, Rapporto 2020, le scelte di politica estera, Rome, Ministero Affari Esteri, 2008, p. 57. 2. Alessandro Marrone et al., Defense budgets and industry: tables and graphs, IAI, July 2013, p. 22, http://www.iai.it/pdf/Economia_difesa/Tabelle-grafici-EN.pdf, last accessed December 2013. 3. Michele Nones, “La nuova dimensione industriale dell’Italia”, AffarInternazionali, April 2006. http://www.affarinternazionali.it/articolo.asp?ID=86, last accessed April 2013. 4. EFIM (Ente Partecipazioni e Finanziamento Industrie Manifatturiere) was created in 1962 as Ente Autonomo di Gestione per le Partecipazioni del Fondo di Finanziamento dell’Industria Meccanica (FIM). Five years later, it changed its name to EFIM to reflect its diversified business portfolio with respect to IRI (see footnote 5). 5. IRI (Istituto per la Ricostruzione Industriale) was established in 1933 by the Fascist regime to rescue, restructure and finance banks and private companies that went bankrupt during the Great Depression. After the Second World War, IRI played a pivotal role in the Italian economic miracle of the 1950s and 1960s. It was dissolved in 2002. 6. Società Telefonica Finanziaria Spa. 7. Vera Zamagni, Finmeccanica. Competenze che vengono da lontano, Bologna, Il Mulino, 2009, p. 385. 8. Ibid., p. 89. 9. Senato della Repubblica, 4° Commissione Permanente, Indagine conoscitiva sui problemi connessi all’industria degli armamenti ed alle commesse militari e sui temi della riconversione dell’apparato produttivo della Difesa, September 15th 1993, Rome, Senato della Repubblica, 1993, http:// www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/57477.pdf, last accessed May 2013. 10. Senato della Repubblica, 10° Commissione Permanente, Indagine conoscitiva sul processo di privatizzazione delle imprese pubbliche e a partecipazione statale, November 10th 1994, Rome, Senato della Repubblica, 1994, http://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/58193.pdf, last accessed May 2013. 11. Francesco Renda, Roberto Ricciuti, Tra economia e politica: l’internazionalizzazione di Finmeccanica, Eni ed Enel, Florence, Firenze University Press, 2010, p. 130. 12. For example, in 1996 the governments of France, Germany, Italy and the United Kingdom founded the Organisation Conjointe de Coopération en matière d’Armement, aimed to manage joint procurement programs. In 1998 the Letter of Intent/Framework Agreement was signed by the six European countries having the largest defense industry in Europe, namely France, Germany, Italy, Spain, Sweden and the United Kingdom, in order to foster the restructuring and Europeanization of their defense industrial bases. 13. For more details see Alessandro Marrone et al., Defense budgets…, op. cit., p. 21. 14. Francesco Renda, Roberto Ricciuti, Tra economia e politica…, op. cit., p. 22. 15. Pier Francesco Guarguaglini, Gestire il futuro: keynote speech at University 22 January 2007, http://www.unige.it/comunicazione/honoris_causa/documents/LaureaHC-Gestireilfuturo-1.pdf, last accessed June 2013. 16. Francesco Renda, Roberto Ricciuti, Tra economia e politica…, op. cit., p. 22. 17. Vera Zamagni, Finmeccanica…, op. cit., p. 122. 18. Pier Francesco Guarguaglini, “Gestire il futuro…”, art. cit., p. 6. 19. Andrea Nativi, “C27J: A.M. e oltre”, Rivista Italiana Difesa, no 3, March 2000, p. 50-55. 20. Ibid., p. 50.

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21. “Martino conferma il suo ‘no’ all’aereo da trasporto militare europeo”, Air Press, no 41, October 2001, p. 1716-1717. 22. “Panorama industriale: Agusta, Piaggio e l’ordine per gli A400M”, Rivista Italiana Difesa, no 9, September 2000, p. 20. 23. Ibid. 24. Antonio Martino, “Le rivelazioni di Antonio Martino sull’affare Airbus A400M”, Il Foglio, January 31st 2010, http://www.ilfoglio.it/soloqui/4330, last accessed May 2013. 25. Francesco Maria Cirillo, “Officine Aeronavali finalizzano il tanker KC 767A”, Pagine di Difesa, May 2005, http://www.paginedidifesa.it/2005/cirillo_050517.html, last accessed May 2013. 26. Sergio Villa, La pianificazione strategica: strumento per le decisioni di lungo periodo (parte I). Un caso concreto: il Boeing KC 767A, Florence, Centro Universitario di Studi Strategici ed Internazionali, May 2010, http://www.cssi.unifi.it/upload/sub/VLL_1_Caso_767.pdf, last accessed June 2013. 27. Darleen Druyun (deputy undersecretary of the Air Force) was sentenced to jail for nine months after pleading guilty of having facilitated the acquisition of the KC-767 by the USAF. Because of the scandal, Boeing’s CEO and financial director were forced to resign. 28. Servizio Studi Camera dei Deputati, Programma pluriennale di A/R4 SGD/06/2000 relativo alla definizione e validazione del sistema missilistico MEADS, Rome, Camera dei Deputati, July 2000, p. 5. 29. U.S. General Accounting Office (GAO), Decision nears on Medium Extended Air Defense System, Washington, June 1998, p. 2. 30. In the meantime, EADS had acquired DASA. 31. In the meantime, MBDA had been created by various mergers and acquisitions. It is owned by BAE Systems (37.5 percent), EADS (37.5 percent) and Finmeccanica (25 percent). 32. “Inizio progettazione di dettaglio sistema MEADS”, Dedalonews, February 2008, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/02/2008/inizia-progettazione-di-dettaglio-sistema-meads/, last accessed April 2013. 33. “MEADS supera la Critical Design Review”, Dedalonews , September 2010, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/09/2010/meads-supera-la-critical-design-review/, last accessed May 2013. 34. MBDA System, MEADS Press Information, June 2012, http://www.mbda-systems.com/ mediagallery/files/meads_background-1367919539.pdf, last accessed May 2013. 35. Michael Hoffman, “MEADS Future Remains Unclear After $4B Investment”, Military.com, June 2013, http://www.military.com/daily-news/2013/06/19/meads-future-remains-unclear-after-4b- investment.html, last accessed September 2013. 36. Jen DiMascio, “Hagel Approves Meads Funding”, Aerospace Daily & Defense Report (Aviationweek), April 2013, http://www.aviationweek.com/Article.aspx?id=/article-xml/ asd_04_10_2013_p01-02-567075.xml, last accessed June 2013. 37. John T. Bennet, “Rep. Sanchez: I’m Coming To End MEADS Program”, DefenseNews, May 2013, http://www.defensenews.com/article/20130522/DEFREG02/305220020/Rep-Sanchez-m-Coming- End-MEADS-Program, last accessed September 2013. 38. Paul McLeary, “Lockheed Looks to Poland for Possible MEADS Partnership”, DefenseNews, September 2013, http://www.defensenews.com/article/20130911/DEFREG02/309110012/ Lockheed-Looks-Poland-Possible-MEADS-Partnership, last accessed October 2013. 39. U.S. Government Accountability Office, F-35 Joint Strike Fighter - Restructuring Has Improved the Program, but Affordability Challenges and Other Risks Remain, Washington, June 2013, p. 2, http:// www.gao.gov/products/GAO-13-690T, last accessed September 2013. 40. Alessandro Marrone, Cooperazione transatlantica nella difesa e trasferimento di tecnologie sensibili, Quaderni IAI n. 30, Rome, IAI, 2008, p. 29. 41. Servizio Studi Camera dei Deputati, Programma pluriennale di R/S n. SMA 002/2002, Rome, Camera dei Deputati, 2002, p. 18. 42. Alessandro Marrone, Cooperazione transatlantica nella difesa…, op. cit., p. 32.

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43. Commissione IV Difesa Camera dei Deputati, Resoconto Stenografico Audizione, Comunicazioni del Governo sullo stato di attuazione del programma pluriennale relativo allo sviluppo del velivolo Joint Strike Fighter-JSF. January 16th 2007, Rome, Camera dei Deputati, 2007, p. 9, http://leg15.camera.it/_dati/ lavori/stencomm/04/audiz2/2007/0116/s000r.htm, last accessed March 2013. 44. Ibid., p. 7. 45. Senato della Repubblica e Camera dei Deputati - Commissioni Congiunte IV, Audizione del Ministro della Difesa Giampaolo Di Paola sulle linee di indirizzo per la revisione dello strumento militare, February 15th 2012, Rome, Senato della Repubblica, 2012, p. 24-25, http://documenti.camera.it/ _dati/leg16/lavori/stencomm/04c04/audiz2/2012/0215_RS/INTERO.pdf, last accessed September 2013. 46. Commissione IV Difesa Camera dei Deputati, Audizione del Segretario generale della Difesa e Direttore nazionale degli armamenti, generale di squadra aerea Claudio Debertolis sullo stato di avanzamento del programma d’armamento Joint Strike Fighter, December 5th 2012, Rome, Camera dei Deputati, 2012, p. 2, http://leg16.camera.it/470?stenog=/_dati/leg16/lavori/stencomm/04/ audiz2/2012/1205&pagina=s010, last accessed July 2013. 47. Senato della Repubblica, Mozione 1-00057 presentata da Felice Casson, June 6th 2013, seduta n. 037, Rome, Senato della Repubblica, 2013, http://dati.camera.it/ocd/page/aic.rdf/aic1_00057_17, last accessed September 2013. 48. “USA: crescono i costi dell’elicottero presidenziale”, Dedalonews, July 2007. http:// www.dedalonews.it/it/index.php/07/2007/usa-crescono-i-costi-dellelicottero-presidenziale/, last accessed May 2013. 49. “U.S. Navy: cancellare il Marine One costerebbe quasi 5 miliardi di dollari”, Dedalonews, May 2009, http://www.dedalonews.it/it/index.php/05/2009/us-navy-cancellare-il-marine-one- costerebbe-quasi-5-miliardi-di-dollari/, last accessed April 2013. 50. “New York Times: falso risparmio cancellare il VH-71”, Dedalonews, May 2009. http:// www.dedalonews.it/it/index.php/05/2009/new-york-times-falso-risparmio-cancellare-il-vh-71/, last accessed July 2013. 51. “Elicottero presidenziale USA: La Russa scrive a Gates”, Dedalonews, May 2009, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/05/2009/elicottero-presidenziale-usa-la-russa-scrive-a-gates/, last accessed April 2013. 52. “U.S. Navy riapre gara elicottero presidenziale”, Dedalonews, March 2010, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/category/flashnews/page/600, last accessed July 2013. 53. Christopher Drew, “Few Suitors to Build a New Marine One”, The New York Times, July 28th 2013, http://www.nytimes.com/2013/07/29/business/few-suitors-to-build-a-new-marine- one.html?ref=marineone&_r=0, last accessed September 2013. 54. “Finmeccanica acquista DRS per 5.2 miliardi di USD (3.4 miliardi di euro)”, Difesa News, May 2008, http://www.difesanews.it/archives/finmeccanica-acquista-drs-technologies-per-52- miliardi-di-usd-34-miliardi-di-euro, last accessed April 2013. 55. “Finmeccanica completa l’acquisizione di DRS”, Pagine di Difesa, October 2008, http:// www.paginedidifesa.it/2008/pdd_081043.html, last accessed May 2013. 56. “CFIUS approva acquisto di DRS da Finmeccanica”, Dedalo News , October 2008, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/10/2008/cfius-approva-acquisto-di-drs-da-finmeccanica/, last accessed May 2013. 57. “Navy Christens Littoral Combat Ship Independence”, U.S. Department of Defense, October 2008, http://www.defense.gov/releases/release.aspx?releaseid=12255, last accessed June 2013. 58. “La U.S. Navy cancella la seconda LCS di Lockheed Martin”, Dedalo News, April 2007, http:// www.dedalonews.it/it/index.php/04/2007/la-us-navy-cancella-la-littoral-di-lockheed-martin/, last accessed May 2013. 59. “Fincantieri acquista cantieri americani ed entra nella fase industriale del programma Littoral Combat Ships”, Dedalo News, August 2008, http://www.dedalonews.it/it/index.php/

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08/2008/fincantieri-acquista-cantieri-americani-ed-entra-nella-fase-industriale-del-programma- littoral-combat-ship/, last accessed April 2013. 60. “Da U.S. Navy commessa LCS da USD 4 mld per Lockheed e Fincantieri”, Dedalo News, December 2010, http://www.dedalonews.it/it/index.php/12/2010/da-us-navy-commessa-lcs-da- usd-4-mld-per-lockheed-e-fincantieri/, last accessed May 2013. 61. Michele Nones, “Industria della difesa: l’avanzata del multilaterale”, in Nomos & Kaos. Rapporto Nomisma 2006, Rome, Agra, 2007, p. 353-379. 62. Camera dei Deputati, Bollettino delle Commissioni, VII Commissione Permanente (Difesa), September 27th 1978, Rome, Camera Dei Deputati, 1978, http://legislature.camera.it/_dati/leg07/ lavori/Bollet/19780922_00.pdf, last accessed April 2013. 63. Senato della Repubblica, 4a Commissione Permanente, 7° resoconto stenografico, February 15th 1984, Rome, Senato della Repubblica, 1984, http://www.senato.it/service/PDF/PDFServer/DF/ 258660.pdf, last accessed March 2013. 64. Ibid., p. 3. 65. Camera dei Deputati, Bollettino delle Commissioni…, op. cit., p. 46. 66. Michele Nones, “Industria della difesa…”, art. cit., p. 365. 67. Ibid., p. 366-367. 68. For the entire text of the Memorandum, see Office of the Under Secretary of Defense for Acquisition, Technology and Logistics, Memorandum of Understanding between the Ministry of Defense of Italy and the Department of Defense of the United States of America for Meeting National Defense Requirements – Security of Supply, August 2006, http://www.difesa.it/SGD-DNA/Staff/Reparti/III/ Documents/Memorandumofunderstandingbetween.pdf, last accessed May 2013. 69. Michele Nones, “Luci e ombre della collaborazione Italia - Usa nella difesa”, AffarInternazionali, May 2009, http://www.affarinternazionali.it/articolo.asp?ID=1145, last accessed April 2013. 70. The Memorandum specifies that: “Participation in the Code of Conduct System may be offered by Italian companies as an indication of their reliability in supplying industrial resources to the U.S. Department of Defense and the contractors supplying it. Likewise, U.S. companies may offer being subject to the U.S. DPAS as an indication of their reliability in supplying industrial resources to the Italian Ministry of Defense and the contractors supplying it.” 71. U.S. Department of Commerce, Bureau of Industry and Security, Defense Priorities and Allocations System Program (DPAS), http://www.bis.doc.gov/index.php/other-areas/strategic- industries-and-economic-security-sies/defense-priorities-a-allocations-system-program-dpas, last accessed September 2013. 72. Ministero della Difesa, Segretariato Generale della Difesa - Direzione Nazionale degli Armamenti, III Reparto, Memorandum di Intesa tra il Governo Italiano e il Governo degli Stati Unti d’America concernente il reciproco procurement per la difesa, October 2008, http:// www.osservatoriosullefonti.it/rubriche/fonti-comunitarie-e-internazionali/204-elenco-dei- comunicati-del-ministero-degli-affari-esteri-pubblicati-nel-2009-e-relativi-alla-vigenza-di-atti- internazionali-lettere-a-e-b-e-gli-atti-internazionali-resi-esecutivi-con-provvedimenti- pubblicati-nel-2009-lettere-c-e-d, last accessed September 2013. 73. U.S. Department of Defense, DoD Federal Acquisition Regulations Supplement, 225.872 Contracting with qualifying country sources, Revised December 31, 2012, [last accessed September 2013]. The document states: “as a result of memoranda of understanding and other international agreements, DoD has determined it inconsistent with the public interest to apply restrictions of the Buy American statute or the Balance of Payments Program to the acquisition of qualifying country end products from the following qualifying countries: Australia, Belgium, Canada, Czech Republic, Denmark, Egypt, Federal Republic of Germany, Finland, France, Greece, Israel, Italy, Luxembourg, Netherlands, Norway, Poland, Portugal, Spain, Sweden, Switzerland, Turkey, United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland”.

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74. Paolo Bellucci, “Italian intervention in Bosnia and the (slow) redefinition of defense policy”, in Roberto D’Alimonte and David Nelken (eds.), Italian Politics: the Center-Left in power, Boulder, Westview Press, 1997, p. 206. 75. John E. Peters et al., European Contributions to Operation Allied Force, Santa Monica, Rand, 2001, p. 19-21. 76. International Security Assistance Force, Key Facts and Figures, 2006-2013, August 2013, http:// www.nato.int/isaf/docu/epub/pdf/placemat.pdf, last accessed September 2013. 77. Mario Arpino, “L’Italia nelle operazioni in Libia”, AffarInternazionali, December 2011, http:// www.affarinternazionali.it/articolo.asp?ID=1925, last accessed June 2013. 78. Stefania Forte and Alessandro Marrone, L’Italia e le missioni internazionali, Documenti IAI 1205, Rome, IAI, 2012, p. 4. 79. See, among others, Stefano Silvestri, L’Italia nel nuovo sistema internazionale, Documenti IAI 0306, Rome, IAI, 2003, p. 5-6. 80. Sergio Romano, Guida alla politica estera italiana, Milan, Rizzoli, 2004, p. 258. 81. For an historical perspective of bilateral relations between the Italian Republic and the United States see, among others, Leopolto Nuti, “The richest and the farthest master is always best: U.S.-Italian relations in historical perspectives”, in David M. Andrews (ed.), The Atlantic Alliance under stress, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 177-200. 82. See, among others, Alessandro Colombo and Gianni Bonvicini, La politica estera dell’Italia, Bologna, Il Mulino, 2012, p. 232. 83. Leopoldo Nuti, “The richest and the farthest master is always best”, art. cit., p. 189. 84. F. Stephen Larrabee et al., Changing U.S. defense policy and the war on terrorism: implications for Italy and for U.S.-Italian relations, Rome, CeMiSS-Rand, 2002, p. 46. 85. Ibid. 86. For a detailed comparison of Italian, French and British contributions to U.S.-led military operations see Jason W. Davidson, America’s Allies and War, New York, Palgrave Macmillan, 2011, p. 250. 87. Osvaldo Croci, “Much ado about little: the Foreign Policy of the second Berlusconi government”, Modern Italy, vol. 10, no 1, 2005, p. 62. 88. Leopoldo Nuti, “The richest and the farthest master is always best”, art. cit., p. 194. 89. Antonio Martino, Fatti e cronache della politica estera italiana, Rome, Associazione Italiana per gli Studi di Politica Estera, 1994, p. 126. 90. Franco Frattini, Cambiamo rotta: la nuova politica estera dell’Italia, Rome, Piemme, 2004, p. 158. 91. U.S. Congress, Joint meeting of the House and Senate to hear an address by the honorable Silvio Berlusconi, Prime Minister of the Republic of Italy 1st March 2006, Washington, Congressional Record 152, H454, http://www.gpo.gov/fdsys/pkg/CREC-2006-03-01/pdf/CREC-2006-03-01-pt1- PgH454.pdf#page=1, last accessed March 2013. 92. For a detailed analysis of Italian participation in the NATO war in Kosovo and related domestic politics see Maurizio Cremasco, “Italy and the Management of International Crises”, in Pierre Martin and Mark R. Browley (eds.), Alliance Politics, Kosovo, and NATO’s War, New York, Palgrave, 2000, p. 165-180. 93. Lamberto Dini, Fra Casa Bianca e Botteghe Oscure, Milan, Guarini Associati, 2001, p. 67-68. 94. Commissioni Riunite Esteri (III), Difesa (IV) della Camera dei Deputati; Esteri (3°) Difesa (4°) del Senato, Audizione del Ministro degli Affari Esteri, Lamberto Dini e del Ministro della Difesa, Carlo Scognamiglio, sulla situazione determinata dall’attuale crisi nella regione del Kosovo, January 21st 1999, Rome, Camera dei Deputati 1999, http://legislature.camera.it/_dati/leg13/lavori/stencomm/0304c030/ audiz2/1999/0121/pdf000.pdf, last accessed June 2013. 95. Massimo D’Alema, Kosovo: gli italiani e la guerra, intervista di Federico Rampini, Milan, Mondadori, 1999, p. 105.

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96. See, among others: Roberto Menotti, “I rapporti politici transatlantici e la trasformazione della NATO”, in Roberto Aliboni et al. (eds.), L’Italia e la politica internazionale, Bologna, Il Mulino, 2000, p. 304. 97. Senato della Repubblica. 4° Commissione Difesa, Comunicazioni del Governo sullo stato di attuazione del programma pluriennale relativo allo sviluppo del velivolo Joint Strike Fighter-JSF, Resoconto stenografico audizione, January 16th 2007, Rome, Senato della Repubblica, 2007, p. 7, http:// leg15.camera.it/_dati/lavori/stencomm/04/audiz2/2007/0116/s000r.htm, last accessed May 2013. 98. James W. Davidson, “Italy and the U.S.: Prestige, Peace and the Transatlantic Balance”, in Maurizio Carbone (ed.), Italy in the post-Cold War order, Plymouth, Lexington Books, 2011, p. 194. 99. For a detailed description of Ciampi’s foreign policy see Antonio Puri Purini, Dal Colle più alto, Milan, Il Saggiatore, 2002, p. 328. 100. .John l. Harper, “Italy’s American Connection: Past, Present, Future”, The International Spectator, vol. 31, no 2, April-June 1996, p. 82. 101. See, among others, Alessandro Cattaneo, La geoeconomia delle imprese italiane: riflessi sulla gravitazione degli interessi geostrategici nazionali, Rome, Centro Militare di Studi Strategici, 2009, p. 104. 102. Alessandro Marrone, Cooperazione transatlantica nella difesa…, op. cit., p. 119. 103. Ibid., p. 126. 104. Jean Pierre Darnis, “The role of Italy’s strategic industries in its foreign policy”, in Giampiero Giacomello and Bertjan Veerbeck (eds.), Italy’s Foreign Policy in the Twenty-First Century, Plymouth, Lexington Books, 2011, p. 208. 105. Ibid. 106. .Fabio Fossati, Economia e politica estera in Italia, Milan, Franco Angeli, 1999, p. 113-120. 107. Alessandro Marrone and Paola Tessari, The Italian debate on defense matters, Documenti IAI 1307, Rome, IAI, November 2013. 108. Jean Pierre Darnis, “The role of Italy’s…”, art. cit., p. 197.

ABSTRACTS

This article analyzes U.S.-Italian relations after 1989 from a defence-industrial perspective. It argues that the concentration and internationalization of the Italian defence industry, particularly through the creation of Finmeccanica, influenced bilateral relations by introducing a new element into defence industrial cooperation between the two countries. Military procurement programs involving American and Italian governments and industries, based on several memorandums of understanding, have become an important component of transatlantic relations. In turn, these programs are influenced by the broader military and political relations between the United States and Italy, which have been particularly intense regarding Italy’s contribution to U.S.-led crisis management operations in Europe, Central Asia and the greater Mediterranean. The paper argues that there is a two-way relationship between defence industrial cooperation and politico-military cooperation.

Cet article présente une analyse des relations entre les États-Unis d’Amérique et l’Italie depuis 1989 vues sous l’angle de l’industrie de la défense. La concentration et le développement international de l’industrie italienne de la défense, avec en particulier la création de

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Finmeccanica, a fait évoluer la relation bilatérale en introduisant un élément nouveau dans la coopération industrielle entre les États-Unis d’Amérique et l’Italie. Les programmes de fournitures militaires auxquels participent les gouvernements et industriels américains et italiens se basent sur plusieurs accords-cadres et sont devenus un élément important des relations transatlantiques. Cet élément est également influencé par les relations bilatérales militaires et politiques. Il s’agit de relations intenses marquées par la participation de l’Italie à des opérations de gestion de crise en Europe, Asie centrale ainsi que dans la région méditerranéenne. En conclusion, l’article montre comment s’articule une relation à double sens dans laquelle la dimension de coopération dans l’industrie de la défense et celle politico-militaire se correspondent.

INDEX

Keywords: military procurement, defence industry, transatlantic relations, crisis management operations, F-35 Mots-clés: fournitures militaires, industrie de la défense, relations transatlantiques, opérations de gestion de crise, F-35

AUTHORS

ALESSANDRO MARRONE Alessandro Marrone was born in L’Aquila, Italy, in 1982. He holds a bachelor’s degree in political science and a master’s degree in international relations from the LUISS Guido Carli University in Rome, in both cases with first-class honours. In 2009 he obtained a master’s degree in international relations at the London School of Economics and Political Science (LSE). Currently he is a PhD student at the University of Rome La Sapienza. He is a researcher at the International Affairs Institute’s (IAI) Security & Defence Area, where he has been responsible for research projects concerning European and transatlantic security and Italian defence policy. He is a member of the editorial board of the IAI web-magazine AffarInternazionali. His articles have been published in peer-reviewed journals such as The International Spectator. [email protected]

ALESSANDRO R. UNGARO Alessandro R. Ungaro was born in Viareggio, Italy, in 1987. He holds a bachelor’s degree and a master’s degree with first-class honours in political science and international relations from the Catholic University, Milan. In 2013 he obtained a master’s degree in economics, security, geopolitics and intelligence from the Italian Society for International Organization (SIOI). After completing an internship at Istituto Affari Internazionali (IAI) in the Security & Defence Area, he authored a study on offsets in international defence markets. He is currently a junior researcher at IAI Security & Defence Area, where he works on research funded by the and the European Defence Agency, mainly related to the defence industry and markets. [email protected]

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Acteurs et tendances de la politique énergétique italienne et leur évolution après la fin de la guerre froide

Matteo Verda

NOTE DE L'AUTEUR

L’auteur remercie Annie Ravetti.

La fragmentation de la politique énergétique italienne

1 Le développement et l’industrialisation de l’Italie au cours de la seconde moitié du XXe siècle se sont déroulés sans pouvoir bénéficier d’une base autonome de production nationale de ressources énergétiques. Ce fait a profondément marqué l’évolution du système productif italien qui, par conséquent, a été caractérisé par une basse intensité énergétique et un sous-développement de certains secteurs gourmands en énergie. De plus, la pénurie énergétique a eu aussi des conséquences politiques sur le long terme. En raison de sa nature stratégique et du risque relatif de pénurie (la faiblesse de la compétitivité italienne d’un point de vue énergétique), ce secteur a été l’objet d’une série d’interventions publiques.

2 Cette tendance prit la forme de la création d’entreprises publiques sous la forme juridique d’ente pubblico (l’équivalent des régies publiques françaises), avec la tâche de traduire les indications de politique énergétique du gouvernement par le biais de stratégies d’entreprise. En réalité, ces sociétés publiques commençaient à gagner de l’autonomie et de l’influence au moment de leur création, en devenant des acteurs ayant leurs propres priorités. En particulier, le contexte de faiblesse endémique des

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exécutifs italiens et de relative fragmentation de l’action politique a accéléré l’autonomisation des entreprises publiques.

3 La pénurie énergétique a eu également des conséquences sur les rapports avec l’étranger. En fait, l’accès aux marchés internationaux représentait – et continue à représenter aujourd’hui – une condition indispensable pour garantir la sécurité énergétique italienne1. L’approvisionnement international a donc joué un rôle central dans la politique énergétique et dans les priorités d’action des entreprises publiques, en conditionnant aussi les priorités en matière de politique internationale.

4 La vague des privatisations commencée au cours des années 1990 a modifié le nombre et la nature des acteurs du marché énergétique, avec une mutation du rôle de l’État qui diminue sa participation directe au capital des entreprises pour s’imposer comme régulateur, en suivant l’application des normes européennes. Néanmoins, la fragmentation est restée une caractéristique structurelle de la politique énergétique italienne. En particulier, on a assisté à un inévitable découplage entre l’action politique et les intérêts des entreprises traditionnellement contrôlées par l’État, qui sont en train de perdre leur rôle stratégique. Au même moment, l’influence du cadre européen s’est accrue avec les progrès de la législation communautaire en matière de marchés énergétiques, en créant un niveau supplémentaire de gouvernance. Cette dernière évolution ajoute de la complexité.

5 Nous entendons reconstruire ici dans un premier temps brièvement l’évolution de la politique énergétique italienne depuis la seconde guerre mondiale, pour nous concentrer ensuite sur les principales dynamiques de changement qui se sont manifestées après la fin de la guerre froide et avancer des hypothèses quant aux principales tendances pour le futur. L’analyse portera une attention particulière au gaz naturel et au développement de son approvisionnement international, car cette source énergétique joue un rôle croissant depuis les chocs pétroliers et est en passe de devenir l’élément clé du bouquet énergétique italien.

L’énergie lors de la reconstruction et l’évolution des monopoles

6 Les années de la reconstruction représentèrent un passage fondamental pour l’évolution du secteur énergétique italien. Après l’expérience de l’autarcie et les difficultés de l’effort de guerre, la disponibilité d’énergie en grande quantité et à prix compétitif était une condition nécessaire pour permettre la reprise et le développement industriel du pays2. Toutefois, l’Italie ne disposait que d’une capacité limitée de production hydroélectrique dans les Alpes et de quelques gisements de charbon, tout à fait insuffisants pour satisfaire des besoins croissants3.

7 Pour faire face à la demande croissante, le pays avait alors besoin à la fois d’investissements en infrastructures et d’importations. Pour atteindre ces objectifs, deux différents paradigmes économiques ont été sollicités, celui du marché et celui de l’économie planifiée, qui correspondent aux différentes visions politiques de l’époque liées à la confrontation naissante entre les États-Unis et l’Union soviétique.

8 Les décideurs politiques italiens choisirent une solution mixte, celle d’un marché avec la création d’entreprises publiques. En effet, le système des partis de l’Italie républicaine était fragmenté, mais les décideurs étaient en large majorité favorables à

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l’intervention publique directe et massive dans l’économie4. Toutefois, la situation politique chaotique de l’après-guerre devait ralentir la mise en place de cette intervention publique et donc sa montée en puissance.

9 Durant cette période, la priorité était donnée à un secteur relativement marginal dans le bouquet énergétique italien à la fin de la guerre : le pétrole. Les États-Unis avaient basé leur supériorité militaire sur la disponibilité de pétrole en grande quantité et la reconstruction des économies européennes suivait le modèle américain, au moins dans la partie occidentale du continent. Il en résulta une diffusion très rapide de la consommation de pétrole, aussi bien pour les transports que pour la production électrique.

10 En effet, du point de vue énergétique, le plan Marshall avait le but de soutenir le développement de la consommation, ce qui correspondait également aux stratégies d’expansion des entreprises pétrolières américaines présentes sur ces marchés d’avant- guerre, et qui voulaient profiter de la reconstruction pour élargir leur marché5. Pour l’Italie, donc, l’expansion des consommations pétrolières représentait une occasion d’alimenter le développement économique ; en même temps, elle avait pour effet de lier de plus en plus la sécurité nationale aux actions de l’allié américain.

11 Dans le domaine de la politique étrangère, cette contrainte devenait de plus en plus évidente au fur et à mesure que l’Italie passait d’une condition de nation vaincue à celle d’économie industrialisée et d’allié clé dans le front anticommuniste en Europe. Dans ce contexte, la création d’un champion national dans le secteur pétrolier était devenue une priorité de la politique énergétique, pour assurer au marché italien la sécurité d’au moins une partie de ses approvisionnements.

12 En 1945, Enrico Mattei fut chargé de démanteler l’Agenzia generale italiana petroli (Agip), la compagnie pétrolière nationale de l’époque fasciste6. En dépit de cette injonction initiale, Mattei réorganisa l’Agip et développa la prospection et l’exploitation des réserves d’hydrocarbures de la plaine du Pô. L’intention initiale était de produire du pétrole brut, mais les techniciens découvrirent surtout des réserves de gaz naturel. Dans la stratégie de Mattei, l’Italie avait besoin d’un champion national avec le droit exclusif d’utiliser ces réserves italiennes et de réduire la dépendance par rapport aux importations de pétrole. Dans cette stratégie, le gaz naturel devenait soudainement central.

13 Malgré l’opposition des forces politiques peu favorables à l’intervention étatique, la stratégie de Mattei se concrétisa avec la création en 1953 de l’Ente nazionale idrocarburi (Eni), qui reçut l’exclusivité de l’exploitation de la plaine du Pô et une position préférentielle pour le développement des marchés italiens du gaz et des produits pétroliers7. En théorie, Eni était la propriété de l’État, le gouvernement fournissant une orientation générale alors que le ministère des Participations de l’État impartissait des directives pour l’action. Toutefois, dès le début Eni avait une marge d’autonomie considérable que Mattei utilisa pour créer un centre de pouvoir autonome, capable d’influencer la politique énergétique du gouvernement8.

14 Les activités d’Eni sur le territoire italien visaient à exploiter les modestes réserves nationales, mais dans le même temps la dépendance vis-à-vis des importations augmentait9. Nécessairement, les opérations d’Eni devenaient de plus en plus internationales, alors que l’entreprise devait affronter un contexte de compétition distordue, dominé par les compagnies internationales américaines. Dans ce domaine, la marge de manœuvre d’Eni et de Mattei devint un facteur fondamental : de l’Afrique du

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Nord à l’Iran, à l’Afrique subsaharienne, Eni mettait en place des accords et des opérations avec une large autonomie par rapport au gouvernement10.

15 Pendant cette phase historique où le gouvernement italien renforça son ancrage à l’OTAN et de manière plus générale dans la sphère d’influence américaine, Eni conclut en 1958 des accords avec l’Union soviétique pour l’approvisionnement de brut. L’activité internationale d’Eni devint de plus en plus audacieuse et autonome, jusqu’à la mort de Mattei, en 1962, survenue dans des circonstances mystérieuses.

16 Au cours des années 1960, la politique de création des champions nationaux et d’affirmation de la priorité de l’action publique dans l’industrie énergétique s’acheva par des interventions dans le secteur électrique. En 1960 le Comitato nazionale per l’energia nucleare (CNEN) fut créé pour organiser la recherche scientifique et technique sur l’énergie nucléaire et pour coopérer à la construction des premiers réacteurs nucléaires italiens, avec des sociétés publiques et privées11.

17 L’intervention de l’État fut complétée par la nationalisation de toutes les activités du secteur électrique et la création de l’Ente nazionale energia elettrica (Enel) en 1963 12. L’objectif était la rationalisation des activités de génération et le développement du réseau. La nationalisation d’Enel réduisit la fragmentation de l’offre, mais en même temps créa un autre centre de pouvoir industriel public partiellement autonome, bien que formellement dépendant de l’autorité de l’État.

18 Les années 1960 représentent un second chapitre de la politique énergétique italienne, caractérisée par un vide politique substantiel et un manque de vision d’ensemble de la part du gouvernement13. Cette période a continué jusqu’aux chocs pétroliers des années 1970, ce qui a permis aux champions nationaux de consolider leur autonomie. Dans cette même période, la dépendance vis-à-vis des importations continua à croître, atteignant 81 % en 1973.

19 Malgré la faiblesse gouvernementale, l’existence des grands opérateurs publics assura la mise en place de plusieurs processus cruciaux, comme la méthanisation et la complète électrification du territoire national14. Cette dynamique a encore accru l’autonomie des entreprises publiques, qui entretinrent un rapport étroit et direct avec les partis alors que souvent elles passaient par le gouvernement15. Par conséquent, la réduction du nombre des acteurs du marché au cours des années 1960 n’a pas entraîné une réduction de la fragmentation de la politique énergétique. Au contraire, l’autonomie des entreprises publiques se traduisit par une influence directe de celles-ci sur la régulation du marché et sur les priorités de l’activité du gouvernement.

20 L’autonomie d’action des entreprises publiques fut particulièrement évidente dans le cas des approvisionnements internationaux de gaz naturel. Jusqu’en 1970, la production italienne fut suffisante pour satisfaire la demande, mais l’expansion du marché et l’épuisement des réserves de la plaine du Pô rendirent l’importation indispensable. Depuis 1971 l’Italie importa une partie croissante de sa consommation de gaz naturel et depuis 1978 les importations dépassèrent la production nationale et continuèrent à croître, atteignant 90 % du total consommé au cours des années 2000 16.

21 À la différence du marché pétrolier, celui du gaz naturel était essentiellement régionalisé et donc, pour approvisionner les consommateurs italiens, il fallait recourir aux producteurs plus proches : les Pays-Bas, les pays de l’Afrique du Nord et l’Union soviétique17. Pour ces derniers, le rapport commercial nécessitait un accompagnement politique très fort, pour conclure les accords et pour garantir et protéger les

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investissements. Aussi, dans ce domaine, Eni devait combler le vide politique et la faiblesse de l’action extérieure du gouvernement, en prenant l’initiative et en traitant directement avec les gouvernements étrangers18.

22 Les chocs pétroliers marquèrent le début de la troisième période de la politique énergétique italienne, qui continua jusqu’aux années 1990. L’augmentation du coût du brut et des importations énergétiques en général eut des effets particulièrement graves pour les économies fortement dépendantes des importations, mais elle ne modifia pas la centralité des compagnies publiques. En effet, le gouvernement rédigea en 1975 un plan énergétique national à la fois pour proposer une vision d’ensemble, pour faire face aux crises et en même temps pour essayer de reprendre en main les stratégies des sociétés publiques19.

23 Le plan fut relancé plusieurs fois, mais le gouvernement n’arriva pas à réduire l’autonomie des différents acteurs et donc la fragmentation resta une caractéristique centrale de la politique énergétique italienne. Dans ce contexte, Eni renforça le réseau d’importation de gaz en réalisant en 1983 un nouveau gazoduc en provenance d’Algérie, presque trente ans après les premiers contacts de Mattei avec les indépendantistes. Au même moment, Enel dut gérer d’abord la construction d’une nouvelle centrale nucléaire, puis le démantèlement de tout le parc nucléaire italien, après la catastrophe de Tchernobyl et le référendum de 1987 qui mit fin, de fait, à l’exploitation des centrales en Italie.

La fin d’une époque

24 L’autonomie d’Eni et d’Enel paraissait incontournable, mais au début des années 1990 la centralité des compagnies publiques commença à être remise en question, ce qui correspond à la quatrième période dans la politique énergétique italienne. En fait, le système des partis fut ébranlé par les scandales liés à la corruption et à cause du bouleversement du système international causé par la dissolution de l’Union soviétique. La réduction de l’intervention publique était à l’ordre du jour, sur fond de crise de confiance vis-à-vis des élites politiques ; de plus, la réduction de la dette publique apparaît alors comme prioritaire, ce qui pousse à la cession des participations d’État20.

25 Au même moment, plusieurs tendances nées pendant les années 1980 se renforcent : les libéralisations, les privatisations et l’intégration européenne ont le vent en poupe, ce qui va produire des conséquences profondes sur l’organisation des marchés énergétiques italiens et les acteurs de la politique énergétique au cours des années suivantes.

26 La demande d’une réduction de la présence publique dans l’économie mena rapidement à la fin du système des participations publiques. La première étape, en 1992, fut la conversion des enti pubblici (régies) en sociétés par actions, obligées à suivre les procédures de comptabilité privée, de transparence et d’équilibre des bilans à l’instar des autres sociétés21. Ensuite, en 1993, le ministère des Participations de l’État fut aboli, mettant formellement fin au mécanisme de contrôle qui avait rendu les entreprises publiques des sujets partiellement hors du marché, chargés de poursuivre des objectifs autant politiques qu’économiques.

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27 Le parcours de réduction du rôle direct de l’État dans le secteur énergétique passait par deux autres étapes nécessaires : la privatisation et la libéralisation des marchés22. L’évolution de ce processus visant à l’ouverture à la concurrence fut particulièrement influencée par un facteur international dont le poids allait être croissant dans la politique énergétique italienne : le niveau européen.

28 L’intégration européenne était née autour de la gestion commune du marché énergétique par excellence, celui du charbon (CECA, 1951), et du développement du nucléaire (Euratom, 1957), ce qui toutefois ne concernait l’Italie que d’une façon marginale en raison de son bouquet énergétique déséquilibré en faveur des produits pétroliers. De toute façon, l’intégration dans le domaine de la politique énergétique n’avait pas sensiblement progressé jusqu’à la fin des années 1980, quand la Commission européenne avait commencé à intervenir dans le domaine énergétique en le considérant comme un secteur sur lequel appliquer la logique de l’intégration du marché européen.

29 L’activité de la Commission concernait en particulier les marchés de l’électricité et du gaz naturel, jugés comme prioritaires dans le processus d’intégration. L’initiative de la Commission se traduisit par trois séries de directives et de règlements successifs, regroupés en paquets23. La législation européenne eut un impact profond sur l’évolution du marché italien, en fournissant un cadre normatif et de légitimité politique aux transformations en cours au niveau national.

30 La vision d’ensemble de la législation européenne propose un marché intégré, où plusieurs entreprises concourent dans les différents segments de la filière pour approvisionner les clients finaux en utilisant des réseaux indépendants. Les changements par rapport à la structure du marché italien au début des années 1990 étaient remarquables : il fallait démanteler progressivement les structures des entreprises publiques.

31 La deuxième étape de ce processus fut la privatisation partielle des entreprises publiques, avec des variations suivant les secteurs. La privatisation d’Eni commença en 1995 et le gouvernement plaça sur le marché 63 % de la compagnie, avec quatre offres publiques de vente en trois ans. Une tranche supplémentaire fut cédée en 2001, ce qui amena la participation de l’État à 30 % du capital24. Malgré le fait que l’État reste le principal actionnaire de la société, synonyme d’un contrôle de l’entreprise, l’introduction de capitaux privés a renforcé la tendance à l’action autonome et à la poursuite d’intérêts pas nécessairement concordants avec les positions du gouvernement.

32 La privatisation d’Eni s’accompagna d’une ouverture à la concurrence des activités traditionnelles de la compagnie et d’une réduction progressive de sa part de marché25. Au contraire, la privatisation d’Enel suivit une dynamique plus musclée, en divisant la compagnie pour créer artificiellement un marché concurrentiel26. En octobre 1999, le gouvernement plaça sur le marché 34,4 % du capital de la société. Ensuite, la capacité de production électrique d’Enel fut réduite pour qu’elle passe en dessous du seuil de 50 % du total national, en créant trois Generation Company (GenCO), dotées chacune d’un certain nombre de centrales électriques27. Entre 2001 et 2003, ces sociétés furent vendues à d’autres opérateurs, alors qu’Enel poursuivit une stratégie d’investissement à l’étranger et de désengagement relatif du marché italien28. Au même moment l’État réduisit encore sa participation au capital, en arrivant à un niveau de 31 %29.

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33 Toutefois, la privatisation partielle n’était pas une condition suffisante pour la création d’un marché concurrentiel. Que ce soit dans le marché du gaz naturel ou bien dans celui de l’électricité, le réseau de distribution représente un monopole naturel, qui doit être indépendant et impartial par rapport aux opérateurs intervenant dans un marché concurrentiel. Cette impartialité se traduisait par deux éléments clés de la législation européenne sur l’énergie : le dégroupage (unbundling) et l’accès des tiers au réseau (third party access), couplés avec la création d’une autorité indépendante pour la régulation du marché.

34 Dans le contexte italien, ces passages furent particulièrement délicats. Les réseaux de transport du gaz naturel et de l’électricité faisaient partie intégrante des entreprises publiques. Le processus de séparation vers lequel la législation européenne tendait imposait une réorganisation en profondeur et engendrait une période de transition pour éviter tout problème opérationnel et pour permettre aux compagnies publiques en cours de privatisation d’élaborer un plan industriel pour le futur et de préserver leur valeur de marché.

35 En ce qui concerne le secteur électrique, en 1999 Enel créa Terna, une société contrôlée chargée de la gestion du réseau électrique selon le modèle européen de gestionnaire de réseau indépendant30. En 2004, 50 % du capital de Terna fut placé sur le marché et au cours des années suivantes la participation d’Enel fut progressivement réduite, jusqu’à sa sortie du capital de Terna en 2012 31. En même temps, l’État acquit une participation directe de 29,9 %, à travers la Cassa depositi e presiti (CDP). Dans le cas du gaz naturel, Snam Rete Gas fut créée par Eni en 2000 comme gestionnaire de réseau indépendant. En 2001, 40 % de la société fut vendu au marché. Au cours des années suivantes, Eni réduisit encore sa participation et en 2012 la société céda le paquet d’actions de contrôle (30 %) à CDP 32. Actuellement, Eni détient une participation de 8,5 % du capital, qui sera liquidée d’ici janvier 2016 33.

36 Dans l’ensemble, le processus de privatisation et la séparation des réseaux de distribution ont fortement réduit le rôle des anciens monopoles, en créant les conditions d’une compétition accrue. Dans le contexte d’une évolution législative liée aux directives européennes, ce passage a été soutenu par les principales forces politiques, de droite comme de gauche34. Ce soutien transversal doit être analysé dans le contexte plus ample de la configuration des pouvoirs dans le marché libéralisé. Le démantèlement des entreprises publiques impliquait en effet un nouveau rôle pour l’autorité publique, appelée à conduire une politique énergétique à travers la régulation du marché au lieu de déléguer aux entreprises monopolistiques, publiques mais largement autonomes, la gestion d’une politique énergétique qui nécessairement finissait par coïncider avec leurs stratégies d’entreprise.

D’une fragmentation à l’autre

37 L’ouverture des marchés a donc représenté une opportunité pour réduire la fragmentation de la politique énergétique, en détruisant les monopoles semi- autonomes des entreprises publiques, dont le pouvoir a été limité35. Dans un contexte d’acteurs privés en compétition entre eux, l’autorité publique pouvait en effet jouer un rôle pivot et augmenter les possibilités de mener une politique plus centralisée et cohérente36.

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38 Toutefois, la réduction de la fragmentation italienne sous cet aspect a été accompagnée par une fragmentation plus grande encore, à différents niveaux. Tout en imposant la création d’un marché concurrentiel, la législation européenne a en effet introduit aussi les autorités indépendantes, conçues comme des organismes techniques de régulation. En Italie, l’Autorità per l’energia elettrica e il gas (AEEG) fut créée en 1995 et étendit son rôle au cours des années suivantes, en concomitance avec le développement du marché concurrentiel37. Les compétences de l’AEEG sont arrivées à inclure plusieurs fonctions : la promotion de la concurrence, la régulation de l’accès aux réseaux, les activités de vigilance et d’inspection, avec la possibilité d’imposer des sanctions38. Au fil des années, l’AEEG a acquis une significative autonomie d’action et une expertise unique dans ces domaines.

39 L’AEEG est formellement indépendante, mais elle doit suivre les indications d’ordre général du gouvernement. Bien que ces indications ne comprennent pas la possibilité pour le gouvernement de déterminer les actes de la réglementation, elles posent la question de la portée de l’autonomie de l’AEEG. En particulier, cette autonomie a créé des contrastes avec l’action du gouvernement et surtout du ministère du Développement économique, compétent pour la politique industrielle et énergétique39.

40 Le cas le plus remarquable a été celui des subventions destinées aux énergies renouvelables, qui ont connu une forte impulsion dans la législation européenne et qui, au niveau italien, ont été gérées par le ministère. En particulier, l’adoption des mesures du paquet énergie-climat et l’objectif national du 17 % de consommation d’énergie provenant des sources renouvelables avant 2020 ont justifié une politique d’incitation massive (plus de 11 milliards d’euros en 2013)40. Les subventions ont profondément modifié le fonctionnement des marchés énergétiques et l’AEEG doit maintenant gérer les conséquences de l’absence de coordination entre les différentes autorités publiques41.

41 Le ministère du Développement économique est le principal acteur de la politique énergétique du gouvernement, mais il n’est pas le seul : le ministère de l’Économie et des Finances et celui de l’Environnement font notamment partie du processus décisionnel. La nécessité de coordonner le travail de ces ministères mène inévitablement à un ralentissement de certaines fonctions, comme la réorganisation des plans de soutien aux énergies renouvelables et l’octroi des autorisations pour l’exploration des gisements d’hydrocarbures42.

42 Le ministère de l’Économie joue aussi un rôle indirect par l’entremise de la Cassa depositi e prestiti (CDP), contrôlée à 80 % par l’État. En effet, la CDP est devenue au cours de la dernière décennie l’actionnaire principal des gestionnaires des réseaux, en héritant partiellement du rôle de référent politique autrefois joué par le ministère de Participation de l’État. Toutefois, à la différence de cette période, les gestionnaires ne sont plus intégrés dans les grands monopoles et donc l’action de CDP (et du ministère) a été plus limitée et généralement orientée à l’intégration dans un cadre européen43.

43 La fragmentation de la politique énergétique a aussi concerné les différents niveaux de l’autorité publique. Le niveau national, en dépit de sa fragmentation horizontale, reste central. Toutefois, le processus de libéralisation a été conçu dans un cadre européen qui, au cours des phases initiales, a été utilisé pour renforcer le rôle du gouvernent national vis-à-vis des anciens monopoles. Maintenant, en particulier avec le troisième paquet, l’objectif général de la création d’un marché continental paraît au contraire de plus en plus opposé au maintien d’une large autonomie nationale.

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44 Cette tension est renforcée par le rôle que les autorités indépendantes sont appelées à jouer, en se coordonnant au sein de l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER)44. L’indépendance de l’AEEG est donc de moins en moins une question de rapports au niveau italien et elle est en train de devenir une question de rapports entre le gouvernement italien et le niveau européen.

45 Après 2001, le gouvernement a dû aussi prendre en compte les compétences des autorités locales introduites par la réforme de l’article 117 de la Constitution. En effet, les autorités locales se sont vu attribuer le droit de légiférer en matière de production, transport et distribution de l’énergie. Cette compétence partagée a créé des frictions constantes entre le gouvernement et les autorités locales et, par conséquent, un ralentissement des procédures d’autorisation des nouvelles infrastructures45.

46 Par l’effet combiné de plusieurs facteurs, la fragmentation de la politique énergétique italienne a donc augmenté au cours de la décennie passée. Le gouvernement a néanmoins essayé de la contourner et de l’exploiter pour s’imposer comme décideur des stratégies sur le fond. L’occasion a été fournie par l’hypothèse d’un retour de l’Italie au nucléaire, en vue duquel le gouvernement disposa la rédaction d’une Stratégie énergétique nationale (SEN)46. Après l’accident de Fukushima, l’option nucléaire a été écartée, mais la SEN a été enfin publiée en 2013 comme document d’encadrement (non contraignant) pour les principales décisions de politique énergétique.

47 À côté des objectifs européens en matière d’énergie renouvelables et d’efficience, la SEN se confronte avec la dépendance structurelle de l’économie italienne vis-à-vis des importations énergétiques47. En particulier, au cours des années 1990 et 2000, la consommation totale de gaz naturel a augmenté de façon considérable, en passant de 51 milliards de mètres cubes (Gmc) en 1992 à 73 Gmc en 2012, avec un maximum de 84 Gmc en 2005. En parallèle, la part du gaz dans le bouquet énergétique italien est passée de 23 % à 35 %. Cette expansion de la demande de gaz a été concentrée en large partie dans le secteur électrique et rendue plus aisée par la libéralisation du marché. En effet, les centrales à cycle combiné gaz sont devenues le premier choix des opérateurs en concurrence, avec des effets négatifs sur la dépendance italienne48.

48 Dans le même temps, la production nationale a commencé à reculer jusqu’à 10 % du gaz naturel consommé. Par conséquent, les importations de gaz naturel sont arrivées à représenter à peu près 30 % de la consommation totale d’énergie, en devenant la source principale de vulnérabilité pour la sécurité énergétique italienne. Ainsi, dans un contexte de libéralisation et de réduction du rôle des anciens monopoles, la question d’assurer l’expansion et la diversification de la capacité d’importation est devenue d’importance primordiale pour le gouvernement.

Le réseau d’importation et le cas du couloir gazier méridional

49 Traditionnellement, Eni a directement géré les rapports avec les principaux fournisseurs du marché italien. Les accords pour la construction de grands gazoducs au cours des années 1970 et 1980 furent en effet réalisés entre le monopoliste italien et les sociétés de production, avec le gouvernement italien relégué à un rôle de second plan49. Eni a continué à jouer ce rôle pendant la phase de transition et de libéralisation, en réalisant en 2004 le gazoduc Greenstream, qui connecte la Libye à la Sicile, en

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cohérence absolue avec les axes de politique étrangère italienne de la période. En effet, la construction du gazoduc et l’exploitation des gisements assignés à Eni en Lybie représentaient l’un des piliers fondamentaux de l’action internationale du gouvernement italien en Libye et plus généralement en Afrique du Nord.

50 La réalisation de Greenstream a néanmoins représenté le dernier grand investissement d’Eni en matière d’infrastructure destinée au marché italien. Au cours des années suivantes, Eni a été forcé de céder la propriété de gazoduc d’importations en Europe, pour affaiblir sa position dominante dans les importations50. Au même moment, le gouvernement s’est tourné de plus en plus vers les investisseurs privés pour la réalisation de la capacité d’importation nécessaire à garantir volumes supplémentaires et diversification de l’origine.

51 Malgré les difficultés créées par le nouveau régime d’autorisation, deux grandes infrastructures ont été réalisées au cours des années récentes : le regazéificateur de Rovigo (2008) et celui de Livourne (2013), qui ont ensemble une capacité totale de presque 12 Gmc (10-15 % de la consommation italienne de gaz). Cette expansion de la capacité d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL), stratégique, a été maintenant suspendue à cause des effets dépressifs de la crise économique, qui a fait reculer de dix ans la consommation de gaz. Toutefois, plusieurs autres terminaux sont en projet et les investisseurs attendent l’arrivée de conditions plus favorables pour considérer d’ultérieures expansions.

52 L’augmentation de la capacité d’importation concerne aussi les gazoducs. Dans ce cas, les efforts du gouvernement se sont concentrés sur la participation de l’Italie au couloir gazier méridional européen, c’est-à-dire le système d’infrastructures destinées à diversifier l’approvisionnement en Europe orientale et méridionale51. Dans ce cas, pour la première fois, on a assisté à un découplage entre les priorités du gouvernement et celles d’Eni.

53 En effet, Eni participait (et participe encore) au projet South Stream, qui doit transporter le gaz russe en Bulgarie et ensuite vers les autres marchés européens. En revanche, la priorité du gouvernent a été la réalisation d’un gazoduc destiné à transporter le gaz azerbaidjanais jusqu’aux Pouilles, projet dans lequel Eni n’est pas engagé.

54 Le gouvernement a initialement soutenu le gazoduc Interconnector Turkey Greece Italy (ITGI), mais après son exclusion (2012), il a commencé à soutenir activement la réalisation du Trans Adriatic Pipeline (TAP), projet prévu dans la SEN, arrivant également dans les Pouilles52. En juin 2013, TAP a été sélectionné par les producteurs au détriment du Nabucco West, qui aurait dû rejoindre l’Autriche. La décision de construire le gazoduc a été fondée principalement sur les fondamentaux économiques des projets, mais l’action du gouvernement italien a contribué à améliorer les chances de TAP53.

55 De fait, non seulement le gouvernement italien a faiblement appuyé le projet d’Eni mais, qui plus est, il a soutenu un projet différent et en concurrence partielle, parce que jugé plus pertinent pour l’intérêt national. Aussi, dans le difficile domaine des infrastructures d’importation, l’érosion du rôle spécial de l’ancien monopoliste a donc continué, en montrant une certaine continuité d’action au cours des années, malgré la tendance à la fragmentation de la politique énergique italienne et la relative faiblesse des gouvernements.

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56 Cette faiblesse a été flagrante au cours du processus de sélection des infrastructures : bien que l’Italie soit le premier partenaire commercial de l’Azerbaïdjan depuis la deuxième moitié de la décennie 2000, l’action internationale de Rome pour exploiter ce lien reste limitée et fait montre d’une certaine passivité. En effet, les opérateurs internationaux engagés dans le projet TAP soutiennent le tracé qui se termine en Italie depuis 2003, alors que le gouvernement ne donne son plein soutien qu’en 2012. En particulier, le retard dans l’action du ministère des Affaires étrangères peut être interprété comme une conséquence des décennies de subordination vis-à-vis des initiatives d’Eni en matière de projets énergétiques et du manque d’une vision d’ensemble autonome. Ainsi cette absence d’une vision stratégique serait le reflet d’un réflexe conditionnel qui pousse le gouvernement italien à ne pas agir dans le contexte international lorsqu’Eni n’apparaît pas dans la boucle.

Le futur : une fragmentation européenne

57 La politique énergétique italienne a connu une constante évolution au cours des décennies passées. La fin de la guerre froide, le processus d’intégration européenne et un changement général de la société ont toutefois déterminé une accélération, à partir des années 1990, des libéralisations et des privatisations qui ont dominé les marchés électriques et ceux du gaz naturel. Ces processus proviennent du scénario international et ont rapidement pénétré le processus politique italien par le biais de la législation européenne, tout en démontrant la perméabilité aux influences extérieures de la politique énergétique, traditionnellement un des domaines les plus sensibles de la souveraineté nationale.

58 Dans ce contexte de changement, la fragmentation a été une caractéristique constante de la politique énergétique italienne. Dans l’après-guerre, la fragmentation était essentiellement le résultat de la très grande marge d’autonomie des compagnies publiques monopolistes par rapport au gouvernement. Après la fin de la guerre froide, les anciens monopoles ont progressivement perdu leur centralité, tandis que le gouvernement a accru sa capacité d’action directe, en particulier au travers des politiques d’aide aux énergies renouvelables. Toutefois, au même moment, on a assisté à de nouvelles sources de fragmentations : la législation européenne de plus en plus contraignante, l’AEEG qui acquiert et défend son autonomie, les administrations locales qui exercent leurs nouvelles prérogatives.

59 La fragmentation des acteurs et des priorités de la politique énergétique italienne s’est donc accrue au cours de la décennie passée. Dans le même temps, dans le domaine de l’action internationale, la centralité des stratégies des monopolistes publics s’est évanouie, avec un effacement de leur rôle de référence pour l’action de politique étrangère. Parallèlement, le gouvernement n’a pas pris l’initiative ou déclenché une stratégie active, mais il a laissé faire les logiques des marchés et a donc été relativement neutre vis-à-vis des groupes internationaux qui ont investi en Italie.

60 Au cours des prochaines années, il est probable que l’on assiste à une certaine réduction de la fragmentation. Dans un contexte de croissance programmée de la production d’énergies renouvelables et de stabilité du reste du bouquet énergétique, la priorité est celle de l’achèvement du marché commun de l’énergie, pour obtenir une réduction des coûts finaux et pour augmenter la résilience du système énergétique continental.

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61 L’intégration croissante des réseaux nationaux et des mécanismes de régulation du marché conduit à une centralisation majeure au niveau européen des politiques énergétiques nationales, à commencer par les pays caractérisés par une production limitée et donc très dépendants des importations, comme l’Italie. De plus, l’épuisement des politiques d’aide aux énergies renouvelables du fait de la compétitivité croissante de ces sources réduit progressivement les marges d’intervention des gouvernements nationaux. Enfin, surtout dans le cas italien, la nécessité de réduire la dette publique constitue une limite à l’action du gouvernement pour les décennies à venir, tout en imposant la poursuite du processus de privatisation.

62 La fragmentation de la politique énergétique italienne est donc destinée à être digérée dans le cadre plus large de la consolidation du marché énergétique européen. Dans le domaine de l’action internationale, un marché libéralisé et de plus en plus intégré au niveau européen peut entraîner une ultérieure réduction des marges d’action du gouvernement, avec une perte de l’initiative au bénéfice des institutions supranationales ou des acteurs privés. De plus, la faible croissance de la consommation énergétique italienne prévue pour la prochaine décennie limite la demande de nouvelles infrastructures d’importation, comme les gazoducs et regazéificateurs, tout en relativisant la nécessité d’une action extérieure visant à renforcer les rapports avec les pays producteurs et les investisseurs internationaux. En matière énergétique, nous serons alors peut-être amenés à revoir l’importance du facteur externe dans le contexte italien.

NOTES

1. Pour une définition de sécurité énergétique voir Antoine Mocilnikar, « Sécurité énergétique : de la théorie à la pratique », Cahiers de la sécurité, no 12, octobre 2012, p. 15-28. 2. Pour une reconstruction de la relation entre la disponibilité d’énergie et l’évolution de l’industrie italienne, voir Antonio Cardinale et Alessandro Verdelli, Energia per l’industria in Italia. La variabile energetica dal miracolo economico alla globalizzazione, Milan, Franco Angeli, 2008, p. 58-214. 3. Par exemple, la seule demande électrique doubla entre 1945 et 1950, entre 1950 et 1959 et entre 1959 et 1968. Terna, Dati statistici sull’energia elettrica in Italia, Rome, 2009, http:// www.terna.it/default/Home/SISTEMA_ELETTRICO/statistiche/dati_statistici.aspx (page consultée le 03/02/2014). 4. Pour une synthèse de la situation italienne au cours de la seconde moitié du XXe siècle, voir Marc Lazar (dir.), L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris, Fayard, 2009, 533 p. 5. Les Américains avaient aussi une autre priorité stratégique : dès 1948, les États-Unis devenaient importateurs nets de pétrole, pour la première fois dans leur histoire. Le durcissement de la compétition bipolaire avec l’Union soviétique imposait une attention particulière pour la sécurité de l’approvisionnement pétrolier américain. Pour cette raison, l’augmentation des approvisionnements européens devait venir du Moyen-Orient, très exposé en cas de guerre, alors que les zones de productions les plus fiables étaient réservées au marché

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américain. Daniele Pozzi, Dai gatti selvaggi al cane a sei zampe. Tecnologia, conoscenza e organizzazione nell’Agip e nell’Eni di Enrico Mattei, Venise, Marsilio, 2009, p. 190 sq. 6. Pour une biographie de Mattei et pout une liste des sources sur sa vie et ses œuvres, voir Nico Perrone, Enrico Mattei, Bologne, Il Mulino, 2001, p. 7-145. 7. Loi du 10 février 1953, no 136. La position d’Eni ne fut jamais celle du monopole dans le marché pétrolier, dont la nature concurrentielle n’a jamais cessé. Pour cette raison, au fur et à mesure que le rôle du gaz naturel dans le bouquet énergétique italien augmentait, le relief politique de ce monopole s’accroissait. 8. Le pouvoir politique est ici défini comme un « pouvoir stabilisé et généralisé […] qui produit (et distribue) des pouvoirs “garantis” (sous forme de “droits”) pour le champ social, ou la société, de référence » (traduction de l’auteur) : Mario Stoppino, Potere e teoria politica, 3e éd., Milan, Giuffrè, p. 279. 9. Le taux de dépendance (importations nettes / consommations) totale crût de 53 % en 1953 à 66 % en 1962. Au même moment, la composition du bouquet énergétique italien changeait rapidement : en 1953, le gaz naturel représentait 6 % de l’offre d’énergie totale, le pétrole 40 %, le charbon 35 % et les autres sources 19 % ; en 1963, le gaz naturel représentait 8 %, le pétrole 63 %, le charbon 15 % et les autres sources 14 % ; en 1973, le gaz naturel représentait 9 %, le pétrole 79 %, le charbon 6 % et les autres sources 6 % ; en 1983, le gaz naturel représentait 15 %, le pétrole 66 %, le charbon 9 % et les autres sources 10 % ; en 1993, le gaz naturel représentait 23 %, le pétrole 61 %, le charbon 6 % et les autres sources 10 %. Les données statistiques citées ici sont tirées de Antonio Cardinale et Alessandro Verdelli, Energia per l’industria in Italia…, op. cit., p. 227 sq. (pour la période 1953-1997), et de Ministero dello sviluppo economico, Bilancio energetico nazionale, http://dgerm.sviluppoeconomico.gov.it/dgerm/ben.asp (page consultée le 03/02/2014) (pour la période 1997-2012). 10. Pour l’histoire d’Eni, voir Daniele Pozzi, Dai gatti selvaggi al cane a sei zampe…, op. cit., et Marcello Colitti, Eni. Cronache dall’interno di un’azienda, Milan, Egea, 2008, p. 7-268. 11. Le CNEN fut créé avec la loi du 11 août 1960, n o 933. En tout, quatre centrales nucléaires furent construites : Latina (Simea-Eni, en fonction en 1963), Garigliano (Senn-IRI, 1964), Trino (Selni-Edison, 1965), Caorso (Enel, 1978). Pour approfondir l’histoire de l’énergie nucléaire en Italie, voir Alberto Clô, Si fa presto a dire nucleare, Bologne, Il Mulino, 2010, p. 75-174. 12. Loi du 6 décembre 1962, n o 1643. Entre 1963 et 1995, Enel absorba 1 270 sociétés. Seuls les producteurs individuels et certaines activités des régies municipales restent en dehors du périmètre d’Enel. 13. Pour la périodisation de l’évolution du secteur énergétique dans l’Italie républicaine, on renverra à Pier Angelo Toninelli, « La questione energetica », dans Franco Amatori, Duccio Bigazzi, Renato Giannetti et Luciano Segreto (dir.), Storia d’Italia. Annali – 15. L’industria, Turin, Einaudi, 1999, p. 352-384. 14. En particulier, le réseau de transport du gaz naturel passa de 667 km en 1948 à 3 021 km en 1953, à 5 207 km en 1963, à 11 376 km en 1973. Alessio Zanardo, Una storia felice. Il gas naturale in Italia da Mattei al Transmediterraneo, Rome, Aracne, 2008, p. 104. 15. À propos du rapport entre partis et entreprises à participation publique, on lira Franco Briatico, Ascesa e declino del capitale pubblico in Italia. Vicende e protagonisti, Bologne, Il Mulino, 2004, 626 p. 16. Voir Alessio Zanardo, Una storia felice…, op. cit., p. 229. 17. On trouve une description du fonctionnement des différents marchés énergétiques dans l’ouvrage de Samuele Furfari, Le monde et l’énergie. Enjeux géopolitiques. 1. Les clefs pour comprendre, Paris, Éditions Technip, 2007. 18. L’action d’Eni rendit possible plusieurs phases d’expansion de la capacité italienne d’importation. Après le terminal pour le gaz naturel liquéfié de Panigaglia pour le gaz libyen (1971), Eni a construit des gazoducs provenant des Pays-Bas (1974) et de l’Union soviétique

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(1974). Voir Matteo Verda, Una politica a tutto gas. Sicurezza energetica europea e relazioni internazionali, Milan, Università Bocconi Editore, 2011, p. 155-190. En ce qui concerne l’analyse du rôle des approvisionnements soviétiques et russes pour l’Europe et pour l’Italie, voir Matteo Verda, Politica estera e sicurezza energetiche. L’esperienza europea, il gas naturale e il ruolo della Russia, Novi Ligure, Edizioni Epoké, 2012, p. 57-131. 19. Pour l’évolution de la politique énergétique italienne et, en particulier, les réponses aux chocs pétroliers, voir Silvio Labbate, Il governo dell’energia. L’Italia dal petrolio al nucleare (1945-1975), Florence, Le Monnier, 2010, p. 143-288. 20. Les revenus tirés des privatisations furent de 95,2 milliards d’euros entre 1994 et 2010. Ministero dell’economia e delle finanze, Relazione al Parlamento sulle operazioni di cessione delle partecipazioni in società controllate direttamente o indirettamente dallo Stato riferita al periodo 2007-2010 (ex art. 13, comma 6, legge 474/1994), Rome, septembre 2011, p. 23. 21. Décret-loi du 11 juillet 1992, n o 333 http://www.dt.tesoro.it/export/sites/sitodt/modules/ documenti_it/interventi_finanziari/ D.L._11-7-1992_n._333_xConv._Legge_n._359-1992x._Misure_urgenti_per_il_ risanamento_della_finanza_pubblica.pdf (page consultée le 03/02/2014). 22. En ce qui concerne le rapport entre la libéralisation, la gestion du réseau et la régulation, on verra Giancarlo Pireddu, Economia dell’energia. I fondamenti, Pavie, Pavia University Press, 2009, p. 264-373. Pour une critique ponctuelle de la gestion italienne, voir Carlo Andrea Bollino, Energia. La follia mondiale, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2010, p. 43-117. 23. Premier paquet : Directive 1996/92/CE et Directive 1998/30/CE. Deuxième paquet : Directive 2003/54/CE, Directive 2003/55/CE, Règlement (CE) no 1228/2003 et Règlement (CE) no 1775/2005. Troisième paquet : Directive 2009/72/CE, Directive 2009/73/CE, Règlement (CE) no 713/2009, Règlement (CE) no 714/2009 et Règlement (CE) no 715/2009. Sur l’évolution du droit européen dans le domaine énergétique, voir Marilù Marletta, Energia. Integrazione europea e cooperazione internazionale, Turin, Giappichelli, 2011, p. 3-224. 24. Actuellement (2013), la participation de l’État dans l’Eni est partagée entre le ministère de l’Économie et des Finances (4,34 %) et la Cassa Depositi e Prestiti (CDP) (25,76 %). « Eni », Enciclopedia Treccani, Rome, Istituto della enciclopedia italiana, en ligne (http://www.treccani.it, page consultée le 28/10/2013). 25. Le décret législatif du 23 mai 2000, no 164. La part de marché d’Eni en Italie continuait à se réduire, en arrivant à 27,1 % du marché final en 2012 ; AEEG, Relazione annuale sull’attività svolta - 2013, Rome, 2013, p. 193. 26. Décret législatif du 16 mars 1999, n o 79 (« décret Bersani ») ; http://def.finanze.it/ DocTribFrontend/decodeurn ?urn=urn:doctrib::DLG:1999-03-16;79 (page consultée le 03/02/2014). 27. Les trois GenCo étaient Elettrogen (5.438 MW de capacité de génération), vendue en juillet 2001 et devenue Endesa Italia, puis E.On ; Eurogen (7.008 MW), vendue en mai 2002 et devenue Edipower ; Interpower (2.611 MW), vendue en janvier 2003 et devenue Tirreno Power. La part de marché d’Enel en Italie continuait à se réduire, en arrivant à 26,4 % en 2012 ; AEEG, Relazione annuale…, op. cit., p. 57. 28. Pour une reconstruction de l’évolution du secteur électrique au cours de la transition après l’introduction du décret Bersani, voir Federico Boffa et al., « La generazione di energia elettrica in Italia a 10 anni dal Decreto Bersani. Risultati raggiunti e agenda futura », Research Report IEFE, no 7, 2010, p. 3-96. 29. La participation est contrôlée (2013) par le ministère de l’Économie et des Finances. Sa réduction arriva après plusieurs tranches de privatisation, une participation temporaire de la CDP (2005-2009) et une augmentation de capital à laquelle le ministère n’a pas participé, en diluant son apport (2009).

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30. Le troisième paquet imposait le dégroupage des gestionnaires du réseau de transport (Transmission System Operator), soit par le transfert de la propriété des réseaux à des entreprises qui ne soient pas contrôlées par un opérateur (Ownership Unbundling, l’option préférée par la Commission), soit par la cession de la gestion des réseaux (et non des réseaux mêmes) à une entreprise indépendante par rapport au propriétaire (Independent System Operator), soit par une séparation juridique et organisationnelle de la gestion des réseaux au sein d’une entreprise intégrée (Independent Transmission Operator). 31. Le black-out électrique du 28 septembre 2003 contribua à accélérer la réorganisation du secteur électrique. Une partie importante des changements arriva par la loi du 27 octobre 2003, no 290. Sur le black-out et, plus généralement, sur l’évolution des marchés électriques et du gaz naturel en Italie au cours des années 2000, voir Stefano Agnoli et Giancarlo Pireddu, Il prezzo da pagare. L’Italia e i conflitti del panorama energetico mondiale, Milan, Baldini Castoldi Dalai, 2008, p. 99‑ 147. 32. Décret législatif du 23 mai 2000, n o 164. Dans le même temps, Snam acquit le contrôle de Stogit (stockage), GNL Italia (terminal de regazéification de Panigaglia), Italgas (gestion des réseaux de distribution), en consolidant son rôle. 33. Décret du président du Conseil des ministres du 25 mai 2012. Voir également Laura Serafini, « Eni completa l’uscita da Snam. Ceduto l’11,7 % al prezzo di 3,69 euro », Il Sole 24 Ore, 9 mai 2013, http://www.ilsole24ore.com/art/finanza-e-mercati/2013-05-09/completa-uscita-snam- ceduto-095347.shtml (page consultée le 03/02/2014). 34. Marco Patucchi, « Bersani : “l’Enel e l’Eni vanno privatizzate al 100 %” », La Repubblica, 31 octobre 1999, http://www.repubblica.it/online/economia/enel/bersani/bersani.html (page consultée le 03/02/2014) et Fabio Massimo Signoretti, « Marzano : l’Enel deve cedere la proprietà della Rete elettrica », La Repubblica, 28 février 2002, http://ricerca.repubblica.it/repubblica/ archivio/repubblica/2002/02/28/marzano-enel-deve-cedere-la-proprieta.html (page consultée le 03/02/2014). 35. L’importance de ces acteurs demeure, bien que réduite. Pour une analyse de leur rôle dans le contexte actuel voir Jean-Pierre Darnis, « The Role of Italy’s Strategic Industries in Its Foreign Policy », dans Giampiero Giacomello et Bertjan Verbeek (dir.), Italy’s Foreign Policy in the Twenty- First Century. The New Assertiveness of an Aspiring Middle Power, Plymouth, Lexington Books, 2011, p. 197-214 ; et Gian Maria Gros-Pietro, « Energia e partecipazioni strategiche », Energia, no 3, septembre 2011, p. 2-8. 36. De plus, la fin du système de partis traditionnel a indirectement contribué à concentrer au sein des institutions publiques – et en particulier dans le gouvernement – les dynamiques d’influence relatives à la politique énergétique et aux rapports avec les entreprises, publiques et privées. 37. Loi du 14 novembre 1995, no 481. Pour une analyse de l’évolution du rôle de l’AEEG et pour une reconstruction du débat académique, voir Nicola Bassi, Eugenio Bruti Liberati et Filippo Donati, La « Governance dell’Energia ». Rapporto, Osservatorio sulla Politica Energetica, Turin, Fondazione Einaudi, 2012, p. 17-50. 38. Une fonction particulièrement importante pour la gestion du marché est l’approbation des codes de réseaux, les documents rédigés par les gestionnaires et qui sont à la base du fonctionnement du marché concurrentiel. 39. La structure actuelle du ministère est établie par le décret du président de la République du 28 novembre 2008, no 198, http://www.dps.tesoro.it/documentazione/docs/all/DPS/DPRn. 198-2008.pdf (page consultée le 03/02/2014). 40. Pour une reconstruction critique des coûts voir Giulio Bettanini, Patrizia Feletig et Chicco Testa, « Chi ha ucciso le rinnovabili ? La storia come non ve l’hanno mai raccontata del green business del fotovoltaico in Italia », Formiche, no 79, mars 2013, http://www.assocarboni.it/docs/ uploads/ChiHaUccisoLeRinnovabili.pdf (page consultée le 03/02/2014).

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41. L’intervention du gouvernement a engendré plusieurs mesures, dont en particulier la mise en place des comptes énergie : pour une construction du régime d’aides aux énergies renouvelables, voir Gestore Servizi Energetici, Rapporto 2012 delle attività del Gestore dei Servizi Energetici, Rome, 2013, http://www.gse.it/it/Dati%20e%20Bilanci/GSE_Documenti/ Rapporto%20Attivit%C3%A0/GSE_Rapporto%20Attivita.pdf (page consultée le 03/02/2014). 42. Nicola Bassi et al., La « Governance dell’Energia »…, op. cit., p. 39-40. 43. Sur le rôle et l’évolution de la CDP, voir Augusto Ninni, « La cassa depositi e prestiti : il ritorno dello stato-guida (e oltre) in politica industriale », Economia e politica industriale, no 3, 2013, p. 141-155. Le ministère de l’Économie possède aussi le Gestore Servizi Energetici, qui gère le fonctionnement des mécanismes d’incitation aux énergies renouvelables (à travers le Gestore dei Mercati Energetici) de la bourse électrique. Gestore Servizi Energetici, Rapporto 2012…, op. cit., p. 103-108. 44. ACER, Annual activity report 2012 of the Agency for the Cooperation of Energy Regulators, Ljubljana, 2013, http://www.acer.europa.eu/Official_documents/ Acts_of_the_Agency/Publication/ ACER%20Annual%20Activity%20Report%20for%20the%20year%202012.pdf (page consultée le 03/02/2014). La construction du marché européen du gaz naturel est envisagée dans le Gas target model : sur son importance et sur son rapport avec le troisième paquet voir Katja Yafimava, « The EU Third Package for Gas and the Gas Target Model : major contentious issues inside and outside the EU », Working Paper, no NG75, Oxford Institute for Energy Studies, 2013, http:// www.oxfordenergy.org/wpcms/wp-content/uploads/2013/04/NG-75.pdf (page consultée le 03/02/2013). 45. Pour une reconstruction de la répartition des compétences voir Nicola Bassi et al., La « Governance dell’Energia »…, op. cit., p. 50-78, ainsi que Carlo Andrea Bollino, Energia…, op. cit., p. 107-117. 46. La SEN était prévue par l’article 7 du décret-loi du 25 juin 2008, no 112. L’article a été abrogé par le référendum du 12 et 13 juin 2011, mais en tous cas l’ordre juridique italien prévoit la possibilité pour le gouvernement de rédiger des documents stratégiques sous la forme de décret ministériel. La SEN a enfin été publiée comme annexe au décret du ministère du Développement économique et du ministère de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la mer du 8 mars 2013. Pour des considérations sur le rapport avec le contexte européen, voir Carlo Secchi, « Strategia nazionale e opportunità del contesto europeo », Energia, no 3, septembre 2012, p. 36-38. 47. Le taux de dépendance totale est stable, autour de 80 %. 48. Les centrales électriques à cycle combiné gaz offrent la solution la plus équilibrée entre les coûts de construction et le coût du combustible. International Energy Agency et Nuclear Energy Agency, Projected Costs of Generating Electricity, Paris, 2010, http://www.iea.org/publications/ freepublications/publication/projected_costs.pdf (page consultée le 03/02/2014). 49. Pour une introduction de ces dynamiques voir Matteo Verda, Una politica a tutto gas…, op. cit., p. 155-193. 50. Eni a vendu le gazoduc TENP/Transitgas (Luca Pagni, « Eni vende i gasdotti europei Transitgas e Temp ai belgi di Fluxys », La Repubblica, 23 septembre 2011, http:// ricerca.repubblica.it/repubblica/archivio/repubblica/2011/09/23/eni-vende-gasdotti-europei- transitgas-temp-ai.html – page consultée le 03/02/2014) et TAP (Laura Serafini, « Cdp rileva dall’Eni il gasdotto Tag », Il Sole 24 Ore, 26 mai 2011, http://www.ilsole24ore.com/art/finanza-e- mercati/2011-05-26/rileva-gasdotto-065033.shtml – page consultée le 03/02/2014) avant de vendre Snam Rete Gas. 51. Pour une reconstruction des dynamiques qui ont mené à la réalisation des infrastructures du couloir gazier méridional européen et, en particulier, du gazoduc TAP, voir Carlo Frappi et Matteo Verda, Azerbaigian. Energia per l’Europa, Milan, Egea, 2013, p. 75-137.

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52. L’action politique au niveau bilatéral a été particulièrement intense à l’égard du gouvernement azerbaidjanais, avec plusieurs rencontres officielles. En particulier, la visite à Bakou de Claudio De Vincenti (sous-secrétaire au ministère du Développement économique) (1er février 2012), la rencontre entre Marta Dassù (alors sous-secrétaire au ministère des Affaires étrangères) et le ministre des Affaires étrangères azerbaidjanais Elmar Mammadyarov durant le sommet du G20 de Los Cabos (19 juin 2012), les visites à Bakou de Marta Dassù (maintenant vice- ministre des Affaires étrangères) (8 et 9 juillet 2012, 14-15 février 2013) et enfin la visite à Bakou de (président du Conseil des ministres) (11-12 août 2013). 53. L’action du gouvernement italien a aussi intéressé les gouvernements albanais et grec qui ont signé un accord de soutien le 13 février 2013 (http://www.gazzettaufficiale.it/atto/ serie_generale/caricaDettaglioAtto/originario? atto.dataPubblicazioneGazzetta=2014-01-04&atto.codiceRedazionale=13G00196&elenco30giorni=false – page consultée le 03/02/2014) et elle a influencé positivement l’avis de l’AEEG sur la demande d’exemption à l’accès des tiers (délibération 28 février 2013, 78/2013/R/gas) (http:// www.autorita.energia.it/allegati/docs/13/078-13.pdf – page consultée le 03/02/2014).

RÉSUMÉS

En Italie, la production nationale de ressources énergétiques est très limitée. Les importations d’énergie représentent donc un élément fondamental du développement économique italien, facteur qui influence l’intervention publique. Dans ce contexte, il faut faire le constat d’une politique énergétique particulièrement fragmentée, avec une évolution continue des rapports entre le gouvernement et les entreprises publiques. Cet article reconstruit brièvement l’évolution de la politique énergétique italienne depuis la seconde guerre mondiale, pour se concentrer ensuite sur les principales dynamiques de changement qui se sont manifestées après la fin de la guerre froide et enfin anticiper les principales tendances pour d’évolution. L’analyse porte une attention particulière à l’interaction entre la fragmentation de la politique énergétique et les rapports internationaux, surtout dans le cadre du processus d’intégration européenne.

The production of energy resources in Italy is very limited, and Italy therefore relies on imports for its economic development, which has an influence on public administration. Italian energy policy is particularly fragmented, and it has undergone a constantly changing relationship between government and state-owned companies. This article briefly describes the evolution of Italian energy policy after World War II and then focuses on the main dynamics of the post-Cold War period. It then examines the principal tendencies we can expect. The article pays particular attention to the interaction between the fragmentation of energy policy and the international sphere, especially in the framework of European integration.

INDEX

Mots-clés : politique énergétique italienne, relations internationales, sécurité énergétique Keywords : Italian energy policy, international relations, energy security

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AUTEUR

MATTEO VERDA Chercheur associé à l’Istituto per gli Studi di Politica Internazionale (ISPI) de Milan depuis 2009. Ancien élève de l’université de Pavie, il a soutenu sa thèse de doctorat en février 2010 sur la relation entre la stabilité politique et l’exploitation de ressources naturelles. Il est auteur de plusieurs publications sur l’énergie et les relations internationales. En particulier, Una politica a tutto gas. Sicurezza energetica europea e relazioni internazionali (Università Bocconi Editore, 2011) et Azerbaigian, energia per l’Europa. Storia, economia e geopolitica degli idrocarburi del Caspio (avec Carlo Frappi) (Egea, 2013). Ses recherches actuelles portent sur le concept de sécurité énergétique, sur la politique énergétique italienne et de l’UE et sur la géopolitique des approvisionnements européens. [email protected]

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National prerogatives in multilateral peacekeeping: Italy in Lebanese perception and Rome’s role within UNIFIL II

Marina Calculli

Introduction

1 After the 2006 Israeli invasion of South Lebanon and the ensuing military conflict between Hezbollah fighters and the Israeli Defence Force (IDF), the UN Security Council adopted Resolution 1701 (12 August 2006) which redefined the role of the United Nations Interim Force in Lebanon (UNIFIL)1. It resolved to increase troop numbers and expand its mandate, thus inaugurating UNIFIL II. Resolution 1701 came to fruition after intense diplomatic efforts by the Italian government which held an international conference in Rome on 26 July 2006. With the adoption of Resolution 1701, Italy contributed a significant number of troops to the peacekeeping mission while also providing the key commanding figures.

2 UNIFIL II is generally considered a successful mission. Apart from some objections and criticisms which have taken root, mainly in Europe, it is noteworthy that the Lebanese government and the Lebanese population consider UNIFIL II vital to preserving peace in South Lebanon. Furthermore, UNIFIL commanders are, by and large, trusted by both civilian communities and local political leaders.

3 Beyond classical Foreign Policy analysis, this article aims to explain why Italy has been crucial in the successful establishment and management of the UNIFIL II mission from 2006 to the present, all this, whilst building and preserving unanimous recognition and appreciation for its leadership within the UN mission. It contends that the leading role played by Italy within UNIFIL II was decisive in legitimizing the establishment of the mission in 2006 and its evolution thereafter. Legitimacy and legitimization are theoretically distinguished in peacekeeping operations, with legitimacy being the de

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jure international recognition, while legitimization the de facto acceptance of foreign contingents on a sovereign territory by local political actors and populations. Challenges to the legitimization of UNIFIL II in 2006 were potentially dependent on the tie-in of the mission itself with the Arab-Israeli conflict: well-defined political stances of the countries involved could reflect an alleged partisanship and thus question the interposition force as well as imperilling officers on the ground.

4 In this article, I argue that two variables made Italy the most trusted power to act as an interlocutor with the Lebanese government, population and political actors involved in the ceasefire, including Hezbollah. First, unlike most of the western powers, Italy’s approach to the Arab-Israeli conflict relied on a long-standing tradition of neutrality epitomized by the equivicinanza (“equal proximity”) policy. Secondly, a positive historic memory of Italian troops in Lebanon (from 1982 to 1984)2 rooted among Palestinian and Shi’a communities made Italy the most appropriate façade player within UNIFIL II.

5 Italy’s successful leading role in UNIFIL II –embodied by the Force command of the mission from 2007 to 2010, and from 2012 until now, as well as in the command of the West sector from 2006 until now– has allowed the UN-sponsored mission to play a significant role in South Lebanon. This is particularly the case in containing destabilizing clashes over the Israel-Lebanon border, thus substantially harmonizing Israeli and Hezbollah interests. Emphasizing national prerogatives in dealing with local actors, Italy also led UNIFIL II towards a de facto acceptance of the political order in Lebanon, and in particular the cooperation between Hezbollah and the Lebanese Armed Forces (LAF). This circumvents the de jure general principle of UN peacekeeping, which relies on the aspirational restoration of a liberal order, and a Western idea of based on the State’s monopoly of the coercive force.

6 This article builds on theoretical literature on multilateral peacekeeping and historical reconstructions of the Lebanese civil war and the 2006 Israel-Lebanon war. Accounts of Italy’s military and diplomatic role in the legitimization process are extracted from 36 semi-structured surveys that I conducted in Beirut, Chatila, Chamaa, Naqoura, and Blida between 2010 and 2014. I, ultimately, relied on official interviews with General Franco Angioni, former Commander of ITALCON –the Italian contingent which took part in the Multinational Force (MNF) in Lebanon between 1982 and 1984– General Guglielmo Luigi Miglietta and General Vasco Angelotti, former commanders of the Italian UNIFIL base in Chamaa, and General Paolo Serra, current Commander of the UNIFIL II.

Legitimacy and Legitimization in peacekeeping operations: a theoretical overview

7 After the end of the Cold War, multilateral peace operations have become a privileged tool of international politics, with the purpose of ending conflicts, establishing and maintaining peace, as well as building states and institutions. During the last decade the number of multilateral peace operations has risen to more than 130 missions in 50 countries3. Reiterated failure, lack of effectiveness, as well as objection to peace operations, has raised the question of legitimacy, however.

8 According to Ian Clark, three interlinked factors can define legitimacy in International Society: i) international political consensus; ii) legality and iii) moral authority4. On the

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one hand, the first two factors relate to the enforced international mandate, and expect a mission to be more or less legitimate in accordance to the number of members of the international community that agree upon it. The third, on the other hand, considers whether external military or civilian operators are perceived as trustworthy, reliable and truly super partes or not. As Jett puts it, failure of peacekeeping mainly occurs when either one side or all involved actors in a conflict do not recognize the authority of the peacekeeping force5. In regards to those critics, the United Nations has been stressing the importance of internal, rather than, external consensus of the three basic principles that UN-sponsored peacekeeping operations are based on: i) Consent of the parties; ii) Impartiality; iii) Non-use of force except in self-defence and defence of the mandate6.

9 Those principles are also included in the 2008 “Capstone Doctrine of the Department of Peacekeeping Operations (DPKO)”, which underlines the importance of cooperating with local and national leadership in order to enforce the legitimacy of the mandate, as well as preserving stability once the mission is over7. When dealing with local leadership, however, a critical objection can be raised, when considering the selection of local or national interlocutors. Hansen, for instance, has critically examined the criteria according to which the UN usually tends to chose interlocutors on the ground and concludes that arbitrary selection often ends up being a factor of further fragmentation instead of catalysing a comprehensive dialogue between conflicting parties8. Selection of interlocutors, in other words, is related to what Richardson sees as the unspoken dimension of peacekeeping operations, which is based on the restoration of peace and the return to stability –thus on the pre-judgment that the ground “was somehow far removed from the liberal conception of a pre-existing peace”9. In this perspective, the UN tends to choose interlocutors who are allegedly prone to accept a liberal order and to cooperate with the West. This approach not only contradicts with the empirical durability of conflict dynamics, or “negative peace” in post-peacekeeping areas, but, above all, completely refuses to deal with alternative political orders that adopt methods based on a deep understanding of contextual political, social and economic realities10.

10 Ian Hurd also proposes a critical theoretical approach to international military humanitarian interventions, investigating how legitimacy can be created, manipulated, and misused as a tool of power politics. Combining realist and constructivist approaches, Hurd conceives legitimacy as strictly interlinked with perception and interest11. While legitimacy does refer to a “normative and subjective” belief by an actor that a rule or an institution ought to be obeyed, this belief is “not necessarily shared with any other actor”12. In line with the classical Weberian distinction between what is legitimate and what is perceived to be legitimate13, Hurd argues that individuals experience legitimacy in their perception of the rule or institution, and –as this is the case with all perceptions– it is not directly accessible to outsiders14.

11 Although it has been asserted that UN-sponsored military interventions are statistically perceived as more legitimate than multinational or NATO-backed operations by virtue of their lower politicization, empirical evidence also shows that, when narrowed down to a merely de jure definition, legitimacy ends up being significantly insufficient. Following on Hurd’s approach to the “Anarchy of the International System”, I argue that the legitimacy of peacekeeping becomes a full-fledged concept when it is complemented by “legitimization”. Tracing back to Max Weber’s theory of power,

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legitimization occurs when people who exercise power are recognized as legitimate in fulfilling their task. Hard also defines legitimization as the “process of internalization of a rule”15 –a bottom-up recognition by all actors engaged in the perception of a given institution.

12 When it comes to international peacekeeping, the most obvious challenge for a foreign contingent is to be perceived as legitimate authority by all the parties involved in a conflict, including actors who a priori ideologically refuse liberal organizations and liberal democracy or substantially conform to deep-rooted orders alternative to the liberal paradigm. In this perspective, the conundrum stems from a double-directional identity incompatibility, that is the impossible harmonization between an International Organization grounded on a liberal institutional framework and local actors who govern through different ways of conceiving and living sovereignty. Therefore, the production of conflicting narratives of sovereignty and political order ends up being the main hindering factor to a successful peacekeeping mission.

13 In this paper, I consider the peculiar case of liberal institutions tacitly circumventing the identity divide, by attaining a full-fledged understanding of the contextual rules of a given political order and dealing with it accordingly. Beyond façade rhetoric, this dynamic is likely to take place when a liberal institution, such as a UN Agency, pursues a highest interest deriving from its action. This necessarily entails the hidden political interest of a group of States pursuing it through the humanitarian machine. During the 2011 crisis in Syria, for instance, it has been shown that UN humanitarian agencies conducted negotiations with “terror groups”, in order to make food delivery and humanitarian assistance succeed16. In this case, the everyday experience on the ground of individuals representing the UN apparently contradicts the institution’s identity, applying a realist, rather than a liberal paradigm, in accordance with the so-called Machiavellian principle that the end justifies the means. This means that the UN, although rhetorically bound by its own identity narrative, can arbitrarily choose whether to play inflexibly or not, depending on the hidden interest in its action.

14 The case of Lebanon shows that after the 2006 July war, UNIFIL II was only a viaticum to securitize the Israel-Lebanon border. While all actors engaged in the conflict (Israel, Hezbollah, and the Lebanese Government) were potential beneficiaries of the establishment of UN troops in the southern-Litani area, Hezbollah needed guarantees about the maintenance of its prerogatives, in order to accept a ceasefire and Resolution 1701. As neither the US nor France could be relied upon to carry out an informal negotiation, Italy was the only player able to cajole Hezbollah into accepting the UN presence in South Lebanon by virtue of the consensus built from the Lebanese civil war onwards. This example shows that the UN acted in accordance to realistic maxims by tacitly exploiting the national prerogatives of one of its members in order to achieve “legitimization”.

Italy’s diplomatic activism in the promotion of UNIFIL II

15 On 12 July 2006, Israel invaded Lebanon in response to the kidnapping of two Israeli soldiers by Hezbollah; the 34-day long conflict witnessed intense air strikes on Dahiye, the Shi’a neighbourhood of Beirut and Hezbollah stronghold. 12,000 Lebanese were killed and 4,400 injured. In addition, approximately 1 million Lebanese were displaced

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from their homes. On the other side of the conflict, 170 Israelis –among which 52 civilians– were killed and around 600 injured.

16 During the conflict, the intensity of Italian diplomatic activism was unparalleled in its effort to reach a swift ceasefire. Romano Prodi, the newly elected Prime Minister (April 2006), held a peace conference in Rome, co-chaired by Italy and the United States, in which he expressed the need for establishing an ad-hoc peacekeeping mission, also implying that Italy was ready to send its troops to Lebanon. The 15 diplomatic missions attending the conference agreed unanimously to call for a full and immediate ceasefire, and to provide humanitarian relief to the civilians of Lebanon; they jointly expressed “deep concern for civilian casualties and suffering, the destruction of civil infrastructures and the rising number of internally displaced people”, and in their final statement called Israel to exercise its “utmost restraint”, thus paving the way for the adoption of resolution 1701 on 12 August 2006 17.

17 UNSC resolution 1701 legitimated the deployment of peacekeeping forces –UNIFIL 2– with the mandate of 18: a) monitoring the cessation of hostilities; b) accompanying and supporting the Lebanese Armed Forces (LAF) in their deployment in South Lebanon, including along the “Blue Line”19, c) coordinating its activities with the Government of Lebanon and the Government of Israel; d) extending its assistance to help ensure humanitarian access to civilian populations and the voluntary and safe return of displaced persons; e) assisting the Lebanese Armed Forces in taking steps towards the respect of borders and territorial control20; f) assisting the Government of Lebanon in securing the border and also preventing the entry of arms or related materiel21.

18 Two days after the adoption of resolution 1701, the cessation of hostilities went into effect. On September 7 and 8 Israel lifted its air and sea blockade on Lebanon and less than one month later, on October 2, withdrawal was complete. In early September, however, Israel was not fully convinced that calling troops back from Lebanon was the best option, and –again– the solution came out of an Italian initiative: on September 7 Rome’s Minister of Foreign Affairs travelled to Tel Aviv and managed the lifting, offering an Italian Navy vessel to patrol Lebanese waters until a German-led Maritime Task Force would be deployed. The operation concretely started when Israel accepted the offer, and Italian vessels Garibaldi, San Giorgio, San Marco, San Giusto and Fenice constituted the Interim Maritime Task Force in support of the Lebanese Navy.

19 In order to understand the far-reaching success of Italian diplomacy in the adoption of UNSC resolution 1701, it is noteworthy to compare it with moves by the US and France. Indeed, when the war erupted, the United States blamed the “Party of God” in the “strongest terms”, supporting, by and large, Israeli reaction to the kidnapping of two Israeli soldiers. Hezbollah argued in response that the kidnapped soldiers were spies but the National Security Council spokesman Frederick Jones, stated: “this is a terrorist attack and it is clearly timed to exacerbate already high tensions in the region and sow further violence”22.

20 The French position was very much in line with Washington’s statements. President Jacques Chirac joined the White House in calling for the disarmament of Hezbollah and blamed Iran and Damascus for backing what he considered “a terrorist attack”. It is noteworthy that Chirac did not agree with a major engagement of UNIFIL, while insisting that a solution might be better grounded in Chapter VII of the UN Charter23.

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21 Unlike Washington and Paris, Rome expressed its deep concern for a “spill-over effect in the whole region” and the Minister of Foreign Affairs, Massimo D’Alema, blamed Israel for its “exaggerated reaction”24, although he never openly sided with one of the two parties preserving a super partes standing. In managing a crisis which could potentially affect EU security, Italy also appealed to Brussels for an enhanced engagement, wishing for a European “willingness to become a political player”, after having long been a “payer of economic assistance”25.

22 The UN-brokered ceasefire was definitely an Italian success. Beyond the façade, however, it is important to note that after suffering unpredicted casualties among its ranks, Israel had already decided to withdraw from Lebanon. The red line in Israeli military strategy is the human loss and the Hezbollah guerrilla had been framed in accordance to this peculiar vulnerability with the aim of forcing the enemy to a retreat. The underestimation of Hezbollah’s capacity of defence and resistance was, thus, decisive for Israel and the US to turn towards a diplomatic solution. Italy, on its side, was able to capitalize on this juncture, pushing forward its political option, which ended by receiving unanimous international consensus with D’Alema congratulating Washington for abandoning its doctrine of the War on Terror.

23 From a purely Italian perspective, a combination of international and domestic factors fostered the newly elected government to push forward a peacekeeping initiative26. After obtaining the parliamentarian majority in April 2006, the centre-left coalition became particularly active in boosting a new trend in Italian foreign policy, in order to smoothen Berlusconi’s tout-court Atlanticism. After 2001, Italy’s global role had been marked by its unconditional backing of Washington’s War on Terror and emotional support for Israel. Without cutting off US-Italy relations27, the new government tried to balance Atlanticism with Europeanis28. Prime Minister Romano Prodi had been president of the European Commission from 2002 to 2004, and personally engaged in the promotion of the European Neighbouring Policy (ENP). In Prodi’s view, all Europe’s neighbours, including the Mediterranean countries, had to be considered a “ring of friends”29 –a vision that very much influenced Italy’s new Mediterraneanism. Domestic turnover and international context encouraged Italian activism in regards to the July 2006 Israeli-Lebanon war. Some other underestimated factors, however, might be considered in analysing how Italy was not only able to gather international consensus on strengthening UNIFIL’s mandate, but was also identified as the most suitable interlocutor to face the Lebanese counterpart despite conflicting views with Washington and Paris.

24 To this end, it is important to underline that, for American and French interests, strengthening the UNIFIL mandate was useful in limiting Hezbollah’s threats to Israel and in securing the Lebanese-Israeli border. For Italy, instead, resolution 1701 was primarily grounded in humanitarian concerns and functional considerations to restrain potential security spillovers. All actors involved needed an implicit or explicit window of dialogue with Hezbollah but neither Washington nor Paris were plausible interlocutors to the “Party of God”. Washington had blacklisted Hezbollah as a terrorist organization in 1982, and France, despite its special relationship with Lebanon, did not entertain any diplomatic relation with the Shi’a party, while its pro-Israel, anti-Syria and anti-Iran bias prevented it from bringing out any kind of serious negotiations30.

25 On the other hand, Italy relied on a portfolio of political attitudes, which placed it as the only actor allegedly able to cajole Hezbollah into accepting the ceasefire and to

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turn UNIFIL II into a successful mission. First and foremost, Italy does not match up with the colonial past of France and the United Kingdom, and self-rejection of its short colonial experience in Libya31 elaborated in the national consciousness of the First Republic, has broadly sheltered Rome from anti-imperialist sentiments of radical Middle Eastern actors. In addition, when it became clear that it would not been granted any colony, Italy embraced the cause of decolonization –a card profusely played in the construction of its pro-Arab stance during the First Republic32. In 2006, moreover, while launching a renewed Italian Mediterraneanism, Massimo D’Alema coined the word equivicinanza (“equal proximity”) to describe Rome’s policy towards the Arab-Israeli conflict along the lines of the tradition of equidistanza (“equidistance”) typical of the Christian democrat party. This was of course aimed at significantly re-adjusting Berlusconi’s enthusiastic and unconditional support of Israel. Since his appointment, D’Alema re-established friendly relations with Arab counterparts, including Hezbollah33 –a shift stirring up huge disappointment in Tel Aviv, with newspaper titles claiming for “The end of Italy-Israel love affair”34. In addition, after the adoption of resolution 1701, the Italian Minister of Foreign Affairs clearly stated: “It is wrong to say that our soldiers go to Lebanon to disarm Hezbollah”35. While explaining that UNIFIL II’s role was to assist the Lebanese Armed Force in achieving full control of the territory, he also wished a long-term integration of Hezbollah within the Military36. The “Party of God” declared to accept UNSC resolution 1701 on 12 August 2006 –the day in which the resolution was issued– despite explicit reference to “all militias disarmament” included in the text.

Parallels in history: “Angioni’s peacekeeping pattern” and Italy’s heritage in the memory of Lebanon

26 The most important asset Italy was able to employ in its sponsoring action of UNIFIL II’s interposition force was the memory of Italian troops in Beirut between 1982 and 1984. This constituted a pacesetter for establishing a UN mission in which Italy could play as the forefront negotiator.

27 On 2 July 1982, the Israelis established a military siege of the Lebanese capital, after having linked up with the Christian Lebanese forces in East Beirut, targeting the Palestinian Liberation Organization (PLO) and the Syrian forces. Israel, however, had no intention of attacking the enemy who blended in with the population. An international crisis erupted: an intervention of UNIFIL was contemplated, but soon discarded. The Security Council was not an affordable viaticum, since it was to a large extent blocked by the 8 June 1982 US veto to a resolution calling for Israeli withdrawal from Lebanon, through which Washington had “made evident that it would not accept any decision by the Council that could be interpreted as sanctions against Israel for not having respected Security Council resolution 508 and 509”37. The way out was found by the then Italian Prime Minister Giovanni Spadolini, who proposed a humanitarian option: the evacuation of the PLO and the Syrians. Israel accepted and asked for American troops to supervise operations. The government of Lebanon requested French assistance. Italy was also called to intervene as part of the Multinational Force (MNF). 500 soldiers, of the “ITALCON”, were sent to Beirut to perform the most delicate task: the evacuation of 12,000 Palestinian fighters and 3,000 Syrian soldiers from the besieged capital. The military operation lasted 12 days, after which the MNF was

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disbanded. The worst crisis, however, was yet to come: the MNF was called back after the huge massacre perpetrated in the Sabra and Shatila Palestinian refugee camps by Christian militias and tacitly backed by the Israeli Defence Forces. The so-called MNF II was reconstituted in a hurry by American, French and Italian troops, and was later joined by the French. From a political point of view, Italy had clearly stated in the Venice declaration its neutrality in the conflict and the recognition for the legitimate rights of the Palestinian people.

28 In addition, unlike Washington and Paris, Rome was merely led by humanitarian concerns38. This permitted the Parliament to easily approve the dispatching of 2,300 men to Beirut immediately, also with the consensus of the Italian Communist Party39. On the ground, Italians elaborated a new practice of peacekeeping, which can be attributed to General Franco Angioni, marking a difference from US and French troops in the perceptions of local civil populations. The logistic division was favourable: in effect, while US forces settled in the southern zone of Beirut with very limited contact with the population, and the French took control of the western part of the town, Italians were assigned the centre. As Franco Angioni and Maurizio Cremasco put it: The sector represents an important element in the concept of employment of the military units engaged in peacekeeping operations, because it often influences the decision whether units and population should be separated or merged. Separation of a peacekeeping force from the civilian population can help its political opponents, as it does not permit the military force to demonstrate what it wants and can do for the civilian population. On the contrary, separation increases the opposition’s prejudice against the military force and the country it belongs to40.

29 The position of the Italian contingent was set into an area which contained approximately 600,000 inhabitants, 95 percent of whom were Shi’ites, while in the Palestinian camps of Shatila and Bourj el-Barajneh, the settlements included a large Palestinian population. The main goal of the Italian contingents became the protection of Lebanese and Palestinian civilians, a task that could not be accomplished without the collaboration of the population itself41. For the US or France, on the contrary, peacekeeping entailed the elimination of the enemy by full-fledged military action. According to Angioni, “this made the greatest difference between the perception of American and French troops and that of Italian troops on the ground”42: a fact that eventually explains why the latter were spared the huge terror attack, in which 299 US Marines and French troops were killed43. Retrospective critical analysis of the MNF have underlined the political mistakes and the error of the intransigent attitude of Washington and Paris which led them to be perceived as occupying forces which, in turn, provoked unnecessary casualties44. Not much attention, however, has been put on the strategic errors of the peacekeeping action, compared to the Italian practice. A further intuition of General Angioni was to understand that the troops’ turnover, which took place every four months, negatively affected the transparent cooperation with civilians and personal contact, intrinsic in the Italian model, which necessitated continuity in order to be effective. To this purpose, Franco Angioni asked Rome for the permission to maintain unchanged ITALCON’s commanding apparatus, and 60 units out of 2,400 remained permanently in Beirut for 18 months45.

30 Memories of Italian troops in Lebanon between 1982 and 1984 have lingered on not only among the Palestinian populations in the refugee camps, but also in the general consciousness of the Lebanese people. Personal memories, recorded during my visit to

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the Shatila camp on 23 October 2010, recounted, for instance, of “the human touch of Italian soldiers”, “the closeness between troops and the people”. Another trump card for Italy was the field hospital, particularly vivid in the memory of the inhabitants of Beirut Wust-el-Balad during 1982 and 1984, in which civilians were continuously accommodated.

31 Italy’s peacekeeping practice, in harmony with the local population, undoubtedly created support for Italy which capitalized it in 2006, when it became clear that a renewed peacekeeping mission was necessary in South Lebanon. According to General Franco Angioni, “It is not by chance that in July 2006, when the humanitarian option was explored again, the Lebanese Premier, Fuad Seniora, called Rome before either Paris or Washington”46.

UNIFIL II and Italy: beyond the mandate

32 In 2006, Italy’s diplomatic success was proportional to the importance of its role within UNIFIL. In accordance to the new international mandate, the size of the mission was expanded from 2,000 to 15,000 soldiers. Italy, since 2006, surpassed traditional key players like France, in terms of troop contribution and currently ranks as the second top contributor with 1,097 troops47. Washington offered financial support to the mission but never contributed troops to UNIFIL II. Italy’s prestige was also reflected in the number of key places assigned to Italians in the organization’s structure, at both the strategic and decision-making levels. Since 2006 Italy has also been holding the command of Sector West. In 2006, when the UNIFIL mandate was enhanced and the mission renamed UNIFIL II, the French General Alain Pellegrini, UNIFIL Commander since 2004, carried on this role until February 2007. Italian General Claudio Graziano replaced him in the UNIFIL Headquarters in Naqoura, and stayed in office until January 2010. He was followed by Spanish General Alberto Asarta Cuevas, who commanded UNIFIL II for two years. From 2012 to the present day, General Paolo Serra, another Italian commander, has been leading the mission. It is also worth mentioning that in 2006, General Giovanni Ridinò was appointed head of the ad hoc Strategic Military Cell (SMC) which was part of the UN Department of Peacekeeping Operation in New York. In 2007 Captain Giuseppe Guglietta was appointed Deputy Director, with the task of: i) supporting the DPKO with a pool of military experts; ii) creating a stronger link between New York and the theatre of operations; and iii) involving key troop- contributing countries (like Italy) in strategic military planning48.

33 Beyond the classical criticisms adressed to UNIFIL II regarding the ineffectiveness of UN troops in disarming the protected zone south of the Litani River, it is also important to evaluate how UNIFIL has contributed in improving and securing the mandate’s zone despite these outcomes not having been prescribed by Resolution 1701. While it is true that UNIFIL troops have never found evidence of weapons allegedly belonging to Hezbollah, a tacit agreement between the UN interposition force and the “Party of God” seems to have determined the zones of influence. There is a general acknowledgement in Lebanon that Hezbollah has moved its training camps from Southern Lebanon to the Beqaa Valley, while training in Syria and Iran has increased. Evidence of Hezbollah’s ongoing preparation for battle can be extrapolated from its decisive action in the Syrian conflict, particularly after the Qusayr battle of April-May 2013. However,

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Hezbollah’s fighters, after 2006, have not been training within the UNIFIL II area which Israel is able to monitor49.

34 In addition, the UNIFIL II mandate highlights the importance of UN support for the Lebanese Armed Forces in deploying and re-establishing territorial control in South Lebanon. However, Lebanon’s everyday experience and practice of security shows that the Army is not an independent body from Hezbollah, but that the two groups collaborate at both the intelligence level and the strategic level50. Liberal definitions of sovereignty, intrinsic in the UNIFIL II mandate, allow only for the national Army to be the official holder of the “monopoly of coercive force”. This strengthens the paradigmatic dichotomy of “State vs. non-State”. However, in Lebanon, the collaboration between the Army and Hezbollah shows that the State and the non-State are hybridized51. In addition, South-Lebanon’s population is mainly Shi’a, its local politicians are often affiliated to the “Party of God”, and the strong presence of Shi’a officers deployed, hides another potential dilemma for UNIFIL II. Therein lies a further conundrum in the composition of an Army in a multi-confessional society52: officers are simultaneously State servants and supporters of a confessional party. It becomes thus obvious that the majority of Shi’a soldiers in South Lebanon simultaneously represent the Lebanese State and Hezbollah. It is widely recognized that Italian troops are involved, more than others, in a number of civilian activities that benefit local populations and are engaged in a political dialogue with the local leadership which is often pro-Hezbollah53. This is in line with the tradition of what I called “the Angioni pattern” which has inaugurated the Italian tradition of peacekeeping grounded on neutrality and comprehensive dialogue54. Meetings between UNIFIL Italian troops and local leadership are usually held in public offices where Hezbollah’s flags and pictures of the Secretary-General of Hezbollah, Hassan Nasrallah, are exposed55. Since this fact “never hinders those meeting to take place”56, it also affirms a de facto mutual recognition between UNIFIL and Hezbollah.

35 Another tacit compromise between the political reality of UNIFIL member States and the UNIFIL military action on the ground has emerged in May 2013 when the European Union blacklisted the military wing of Hezbollah as a “terror group”. Criticism arose immediately from South Lebanon. Ali Zahwi, the pro-Hezbollah mayor of the village of Qabrikha stated: “We, as locals in the south, treated the UNIFIL like sacred guests, we protected them. What do they return? Put us on the terrorist list”. Zahwi also affirmed that “people are not going to accept troops living among them and calling them terrorists”57. These words not only state de facto a sort of equivalence between Hezbollah and the people of South Lebanon, but they also recognize the mutual collaboration between two organizations allegedly incompatible on paper. However, it is noteworthy that, when the European Union finally decided to blacklist Hezbollah as a terrorist organization, the Italian Minister of Foreign Affairs, , strongly opposed the intransigent European line – a position which was by and large echoed in the Lebanese media, including al-Manar, Hezbollah’s official network58.

36 Commenting on the EU decision, General Paolo Serra affirmed that collaboration between UNIFIL II and local leadership –an essential tool in the strategic philosophy of the mission– was not significantly affected. Although “respecting the political decision”, General Serra expressed “concern with a measure which could impact the progressive integration of the military wing of Hezbollah into the LAF in the long-run” 59. This statement is in line with the 1989 Ta’ef agreement, which legitimized Hezbollah

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in keeping weapons in South Lebanon to carry on the anti-Israel muqāwama (“resistance”) and formally shaped the peculiar two-faced pattern of security control in Lebanon. It also shows respect for Hezbollah’s promise to put its weapons under the authority of the State, once Israel will no longer be a threat. In practical terms, it stays in line with General Angioni’s conviction that “[d]iplomatic agreements and political instruments may, to a certain extent, be vague, because, once put into effect, they have to allow freedom of movement”60.

Conclusions

37 This paper aimed to demonstrate that UN peacekeeping missions can tacitly circumvent the rhetoric imperative of acting in order to “re-establish a liberal order”, when backed by a major political interest in securitizing a specific area. The UNIFIL II mission in South Lebanon demonstrates how the UN can deal with a deep-rooted political order which is not in line with the Western liberal paradigm. The conditio sine qua non was that all actors involved in the 2006 July war shared interest in maintaining the ceasefire and establishing an interposition force at the border between Lebanon and Israel. In so doing, neither the US nor France were entrusted to represent UNIFIL, given their pro-Israel and anti-Hezbollah political bias, while Italy stood out as the most reliable actor to handle the Lebanese puzzle. Italy’s “equivicinanza” policy, its historical unbiased stance towards Arab countries, and, most importantly, its recognition of Hezbollah as a legitimate political player, were tactically acknowledged at the international level as being of key importance in achieving a comprehensive political legitimation of resolution 1701. Moreover, capitalizing on the positive memory of ITALCON’s peacekeeping in Beirut, between 1982 and 1984, Italy was also strategically crucial in attaining the legitimization of UNIFIL II by the Shi’a populations of South Lebanon. In so doing, Italy was able to assert the continuity of its commitment to post- Cold War multilateralism, and to seek international prestige by associating UNIFIL II with Rome’s national prerogatives.

NOTES

1. UNIFIL was established in 1978, during the Lebanese civil war (1975-1990) in accordance to UN Security Council Resolutions 425 and 426. 2. During the so called Lebanon I and Lebanon II operations under the Multinational Force (MNF) umbrella –that is, (i) the evacuation of Palestinian and Syrian fighters from Beirut, following the Israeli siege of the Lebanese capital in summer 1982, and (ii) the peacekeeping mission, established after the Sabra and Shatila massacre in September 1982 which lasted until February 1984. 3. SIPRI Multilateral Peace Operations Database, http://www.sipri.org/databases/pko (accessed 25 December 2013). 4. Ian Clark, Legitimacy in International Society, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 251-260. 5. Dennis C. Jett, Why peacekeeping fails, Hampshire, Palgrave, 2000, 236 p.

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6. United Nations Peacekeeping, What is peacekeeping?, https://www.un.org/en/peacekeeping/ operations/peacekeeping.shtml (accessed 28 December 2013). 7. United Nations, United Nations Peacekeeping Operations: Principles and Guidelines, New York, United Nations, Department of Peacekeeping Operations, Department of Policy, Evaluation and Training, 2008. 8. Annika S. Hansen, “Local Ownership in Peace Operations”, in Timothy Donais (ed.), Local Ownership and Security Sector Reform, Münster, LIT Verlag, 2008, p. 39-58. 9. Olivier Richmond, “UN Peacekeeping Operations and the dilemma of the peacebuilding consensus”, International Peacekeeping, vol. 11, no 1, 2004, p. 86. 10. On the lack of understanding of political local dynamics on UN peacekeeping policies see, among others: Michael Mersiades, “Peacekeeping and Legitimacy: Lessons from Cambodia and Somalia”, International Peacekeeping, vol. 12, no 2, 2005, p. 205-221. 11. Ian Hurd, After Anarchy: Legitimacy and Power in the United Nations Security Council, Princeton, Princeton University Press, 2008, p. 23-25. 12. Ibid., p. 30. 13. Max Weber, Economy and Society, Berkley, University of California Press, 1978, p. 78. 14. Ian Hurd, After Anarchy…, op. cit., p. 31. 15. Ibid. 16. Colum Lynch, “United Nations Official talking with Syrian Terror Groups”, Foreign Policy, 18 February 2014, http://thecable.foreignpolicy.com/posts/2014/02/18/ exclusive_united_nations_officials_talking_with_syrian_terror_group (accessed 18 February 2014). 17. International Conference for Lebanon, Rome 26 July 2006, http://www.state.gov/documents/ organization/98981.pdf (accessed 29 December, 2013). 18. UNSC resolution 1701, paragraph 11. 19. The term “Blue Line” refers to the semi-defined border between Israel and Lebanon. 20. Reference to UNSC resolution 1701, paragraph 8. 21. Reference to UNSC resolution 1701, paragraph 14. 22. “US blames Iran, Syria for Hezbollah kidnapping of two Israeli soldiers”, USA Today, 7 December 2006, http://usatoday30.usatoday.com/news/world/2006-07-12-us-middle- east_x.htm (accessed 29 December 2014). 23. “Chirac met en cause Damas et Teheran”, Le Nouvel Observateur , 27 July 2006, http:// tempsreel.nouvelobs.com/monde/20060726.OBS6390/chirac-met-en-cause-damas-et- teheran.html (accessed 13 January 2014). 24. “D’Alema insiste: Israele ha esagerato”, Europa , 17 July 2006, http:// www.europaquotidiano.it/2006/07/19/dalemainsiste-israeleha-esagerato/ (accessed 13 January 2014). 25. Massimo D’Alema, “A Crucial Test”, The Wall Street Journal Europe, 29 August 2006. 26. On the internal-external interplay in Italy’s foreign policy see James Waltson, “Italy as a Foreign Political Actor: the interplay of Domestic and International Factors”, in Maurizio Carbone (ed.), Italy in the Post-Cold War Order. Adaptation, Bipartisanship, Visibility, Maryland, Lexington Books, 2011, p. 65-80. 27. By confirming Italy’s contribution to the ISAF-NATO mission in Afghanistan. 28. Raffaella Del Sarto and Nathalie Tocci, “Italy’s politics without policy: Balancing Atlanticism and Europeanism in the Mediterranean”, Modern Italy, vol. 13, no 2, 2008, p. 135-153; Maurizio Carbone, “Between ambition and ambivalence: Italy and the European Union’s Mediterranean Policy”, Modern Italy, vol. 13, no 2, 2008, p. 155-168. 29. European Union Centre, Observatory of Euro-Mediterranean Regional Integration, http:// www.as.miami.edu/eucenter/observatories/eumed (accessed 14 January 2014).

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30. France turned out to designate the military wing of the Party as a terrorist group in May 2013, along with the European Union. 31. Generally considered inglorious and negatively associated to the Fascist era. 32. Maurizio Carbone, “Between ambition and ambivalence…”, art. cit., p. 157. 33. Hezbollah is blacklisted by the US as a “terrorist organization”. 34. “Official: Italy-Israel Love affair over”, Ynet, 18 May 2006, http://www.ynetnews.com/ articles/0,7340,L-3252286,00.html (accessed 2 January 2014). 35. “D’Alema: in Libano rimarremo anni ma sarà un’operazione di pace”, La Repubblica, 17 August 2006, http://www.repubblica.it/2006/08/sezioni/esteri/medio-oriente-15/dalema-espresso/ dalema-espresso.html (accessed 13 January 2014). 36. Ibid. 37. Bjorn Skogmo, UNIFIL: International Peacekeeping in Lebanon 1978-1988, Boudler and London, Lynne Riener, 1989, p. 100. 38. Anthony McDermott and Kjell Skjelsbaek (eds.), The Multinational Force in Beirut 1982-1984, Gainesville, Florida International University Press, 1991, p. xi-xii. 39. Alessandro Massai, “The political motives for Italy’s participation in the multinational Force in Beirut”, International Spectator, vol. 19, no 1, 1984, p. 61-72. 40. Franco Angioni and Maurizio Cremasco, “Italy’s Role in Peacekeeping Operations”, in Anthony McDermott and Kjell Skjelsbaek (eds.), The Multinational Force…, op. cit., p. 154. 41. Author’s interview with General Franco Angioni (20 January 2014). 42. Ibid. 43. The terrorist attack was launched on 23 October 1983 in Beirut. 44. On the contrary, a sort of “gentleman’s agreement” if not an alleged pro-Palestinian attitude of Italian troops, has also been emphasised by the international press, as well as by historic surveys of the Lebanese civil war (see, among others, Robert Fisk, Pity the Nation: Lebanon at War, Third ed., Oxford, Oxford University Press, 2001, 727 p.). 45. Author’s interview with General Franco Angioni (20 January 2014). 46. Ibid. 47. The first contributor is currently Indonesia, with 1,185 troops (December 2013) (Data provided by UNIFIL Headquarters, Department of Political and Civil Affairs, Military Public Information Officer in Naqoura). 48. Lucia Marta, “The UNIFIL II Mission in Lebanon: Italy’s Contribution”, Security & Defence – ARI, 125, 2009, p. 3. 49. Author’s interview with General Paolo Serra (Naqoura, South Lebanon, 28 August 2013). 50. See among others: Riccardo Dugulin, “Hezbollah and the Lebanese Army: Cooperation or competition?”, Open Democracy , 1 March 2012, http://www.opendemocracy.net/riccardo- dugulin/hezbollah-and-lebanese-army-cooperation-or-competition (accessed 3 January 2013). 51. On the concept of “hybrid sovereignty” see: Sara Fregonese, “Beyond the ‘weak state’: hybrid sovereignties in Beirut”, Environment and Planning D: Society and Space 2012, vol. 30, 2012, p. 655-674. 52. Lebanon’s consociational democracy entails “quotas” in the political system as well as in the composition of the Armed Forces. 53. Author’s interviews with local population in Chamaa, Naqoura and Blida (17 October 2010; 1 March 2011; 28 July 2013). 54. Author’s interview with General Paolo Serra (Naqoura, 28 August 2013). 55. Author’s interview with General Guglielmo Luigi Miglietta (Chamaa, 1 March 2011). 56. Ibid. I asked the same question to General Vasco Angelotti (Author’s interview, Chamaa 28 August 2013), who confirmed the statement of general Miglietta. 57. “Lebanon’s permanent ‘interim’ UN force”, Al-Jazeera, 28 August 2013, http:// m.aljazeera.com/story/201382811184126988 (accessed 28 December 2013).

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58. “Italy leads charge against EU move to blacklist Hezbollah”, Daily News, 5 June 2013, http:// www.dailystar.com.lb/News/Politics/2013/Jun-05/219485-italy-leads-charge-against-eu-move- to-blacklist-hezbollah.ashx#axzz2tt7ynu00 (accessed 8 January 2013). 59. Author’s interview with General Paolo Serra (Naqoura, 28 August 2013). 60. Franco Angioni and Maurizio Cremasco, “Italy’s Role in Peacekeeping Operations…”, art. cit., p. 152.

ABSTRACTS

Italy’s role in the post-2006 United Nations Interim Force in Lebanon (UNIFIL II) is generally considered the crowning achievement of Rome’s foreign policy. Italy has played a major role in promoting and developing UNIFIL II while also surpassing traditional powers in the region, like the US and France, in importance. Elaborating on the “legitimacy-legitimization” dichotomy in international peace-keeping, this article contends that Italy’s prominent role within the mission was decisive in accomplishing the legitimization of UNIFIL II to Lebanese political actors and southern populations. Two factors made Italy the most reliable player to interact with both the society and the government of Lebanon after the Israeli invasion of 2006: a long-standing tradition of “equidistance” (equidistanza) towards the Arab-Israeli conflict, and a positive memory of the Italian contingent, ITALCON, operating in Beirut from 1982 to 1984. This article finally argues that, through UNIFIL II, Italy’s Mediterranean politics gained an autonomous position while simultaneously affirming a proactive role within the UN.

Pour l’Italie, l’engagement au sein de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban après 2006 (FINUL II) est considéré comme un élément de prestige de sa politique étrangère. L’Italie a joué un rôle majeur dans la promotion et le développement de la FINUL II, montrant un activisme supérieur à celui des puissances traditionnelles présentes dans la région, comme la France et les États-Unis. Cet article reprend la dichotomie « légitimité-légitimation » dans l’action internationale de maintien de la paix internationale pour démontrer que l’activisme de l’Italie a été décisif dans la légitimation de la FINUL II aux yeux des acteurs politiques du Liban et des populations du Liban du Sud. Deux facteurs majeurs doivent être pris en considération: la longue tradition d’une politique d’équidistance dans le conflit israélo-arabe d’une part, la bonne réputation du contingent italien à la suite de la mission ITALCON à Beyrouth entre 1982 et 1984 d’autre part. Ces deux éléments mettent l’Italie en position d’interlocuteur particulièrement fiable face à la société et au gouvernement du Liban après l’invasion israélienne en 2006. Cet article soutient que la FINUL II a permis à l’Italie de s’affirmer et de progresser dans sa politique méditerranéenne, en contribuant également à renforcer son profil d’acteur au sein du système des Nations unies.

INDEX

Mots-clés: politique étrangère italienne, Liban, force multinationale, maitien de la paix, FINUL II Keywords: italian foreign policy, Lebanon, multinational force, peacekeeping, UNIFIL II

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AUTHOR

MARINA CALCULLI Marina Calculli is visiting post-doctoral fellow of the University of Oxford (Faculty of Oriental Studies) and post-doctoral fellow of the Ca’ Foscari University in Venice (School of International Relations). She is also fellow of the American University of Cairo (AUC) Forum and lecturer in Euro-Mediterranean relations and International Relations of the Middle East at the Saint-Joseph University of Beirut and ASERI (Postgraduate School of Economics and International Relation) at the Catholic University of Milan. She has lived in Lebanon for three years. [email protected]

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L’évolution de la relation franco- italienne à travers les sommets bilatéraux de 1981 à 2011

Jean-Pierre Darnis

1 Lorsque l’on s’intéresse à la question du « rapport au monde » d’un pays comme l’Italie, on a tendance à prendre en considération les interactions sur l’échiquier international. Le cadre européen et bilatéral fait l’objet de peu d’analyses, car il apparaît parfois comme une dimension désormais largement technocratique interne. L’intégration européenne représente un modèle au sein duquel les enjeux bilatéraux ne disparaissent pas, bien au contraire. La relation entre la France et l’Italie est le fruit d’une histoire longue et particulière. Ce patrimoine historique constitue la toile de fond des problématiques actuelles, un rapport à la fois proche et problématique. Même si les enjeux se sont déplacés de terrain, nous observons de nombreuses divergences. Depuis les années 1980, les sommets bilatéraux annuels sont censés marquer le rapprochement entre Paris et Rome. Ils représentent certainement un progrès dans l’institutionnalisation du cadre bilatéral, mais leur contenu, parfois maigre, indique la difficulté à mettre en place un rapport politique privilégié. Au travers de cet article nous illustrerons comment les sommets bilatéraux représentent une étape dans l’institutionnalisation de la relation bilatérale, un cadre formel dont l’utilité en termes de recherches d’alliances dans le contexte du jeu européen est certainement supérieure à la pure dimension bilatérale.

La relance de 1981

2 En 1981 l’élection de François Mitterrand relance les relations entre la France et l’Italie. La période précédente a été marquée par une série d’incompréhensions, surtout de la part de l’Italie qui s’est sentie exclue après qu’elle n’a pas été invitée au sommet des grands pays occidentaux de la Guadeloupe en janvier 1979. L’Italie se perçoit comme marginalisée face à l’axe franco-allemand et aux relations franco-britanniques1.

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3 Cette élection suscite un débat en Italie. L’arrivée de la gauche au pouvoir après 23 ans de majorité de droite en France représente un tournant historique, et est perçue comme telle par les commentateurs italiens. L’actualité politique italienne est également marquée par la mue du Parti socialiste italien depuis l’élection de Bettino Craxi en 1976. À partir de 1980, le PSI participe aux gouvernements de coalition du « pentapartito », aux côtés de la Démocratie chrétienne. Pour les socialistes italiens, la victoire de François Mitterrand représente un modèle, la possibilité d’une alternance qui pourrait s’appliquer aussi à l’Italie2. La victoire des socialistes en France apparaît également comme porteuse du renouveau de la vision d’Europe des peuples en rupture par rapport à la politique de l’axe Paris-Bonn3. Cependant, le rapport entre communistes et socialistes français pose problème aux franges les plus atlantistes de la politique italienne, en particulier au sein de la Démocratie chrétienne. Les commentateurs politiques italiens insistent sur la stratégie d’un parti socialiste français qui a gagné les élections présidentielles après avoir rompu l’Union de la Gauche, et qui représenterait donc la victoire d’une vision réformiste face aux conceptions communistes4.

4 Dès 1981, François Mitterrand reçoit le président du Conseil Giovanni Spadolini et invite le président Sandro Pertini en visite officielle en France ; il se rend en visite d’État à Rome en février 1982 et c’est à cette occasion qu’il lance l’idée d’un sommet bilatéral sur le modèle de ceux qui existent avec l’Allemagne et le Royaume-Uni5.

5 À partir de cette période, ces rencontres sont institutionnalisées : de 1981 à 1994 on peut ainsi compter 15 sommets bilatéraux qui se déroulent en alternance en France et en Italie6.

6 Alors que la France a déjà développé cet exercice bilatéral avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, pour l’Italie il s’agit d’une nouveauté. En 1995 est institué un sommet bilatéral Italie-Espagne, puis en 1999 entre Italie et Allemagne. La France et l’Espagne organisent des sommets bilatéraux depuis 1985. Cet aspect n’est pas anodin ; d’après Jean Musitelli, Mitterrand cherche d’abord à réorienter la politique européenne de la France en développant des alliances au Sud pour sortir de la relation exclusive avec l’Allemagne. Ensuite, même s’ils se révèlent d’une utilité intrinsèque relative, ces sommets permettront d’assurer la continuité diplomatique entre les deux pays dans un moment de forte évolution du cadre international.

7 La nomination de Gilles Martinet au poste d’ambassadeur de France à Rome en octobre 1981 illustre cette volonté de rapprochement : ce journaliste et responsable socialiste, ancien résistant, est également l’époux de Jole Buozzi, la fille du syndicaliste italien Bruno Buozzi, et il représente un point de connexion entre socialisme français et italien.

8 Le premier sommet bilatéral, en février 1982, est présenté par le président du Conseil Giovanni Spadolini comme le « premier Conseil des ministres italo-français »7. L’heure est au renouveau des relations bilatérales, avec un François Mitterrand qui multiplie les gestes symboliques à l’égard de l’Italie.

9 Dans la revue Politica Internazionale, Alberto Minotti commente ce nouveau cours de la politique française en parlant du sentiment de « libération… après les frustrations subies… à cause de l’indifférence gaulliste et de l’“incommunicabilité” giscardienne qui lui succéda » vis-à-vis de l’Italie au cours de la décennie précédente8. Il continue en faisant l’éloge des connotations stendhaliennes du premier sommet bilatéral.

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10 Au-delà de cet optimisme parfois lyrique, les dossiers bilatéraux comportent de nombreux aspects conflictuels. Dans le contexte méditerranéen, les deux pays sont concurrents lorsqu’ils recherchent des relations privilégiées avec l’Algérie, l’Égypte ou l’Irak. Mais ce qui marque le plus l’actualité de l’époque c’est la « guerre du vin » : les vignerons français s’opposent aux importations de vin en provenance d’Italie. En août 1981, un groupe de manifestants séquestre un pinardier italien dans le port de Sète et détruit la cargaison. Ce contentieux remet en cause le principe de libre circulation des marchandises établi par les traités européens, et l’Italie porte plainte auprès de la Cour de justice européenne. De façon plus générale, ce conflit pose le problème des distorsions de concurrence entre l’Italie et la France dans le secteur viticole9 et a comme conséquence le boycott de produits italiens par la France. Ce conflit peut apparaître comme anecdotique d’un point de vue politique, mais il a des conséquences directes sur le débat politique interne : le gouvernement Mauroy cherche à ménager les agriculteurs et, souvent, dans l’opinion publique française, l’Italie est stigmatisée10. Même si au niveau gouvernemental l’élection de François Mitterrand est censée inaugurer un nouveau cycle, les perceptions divergent lorsque l’on observe ce conflit commercial entre les deux pays. La création en 1981 d’un groupe d’intérêt économique entre Aérospatiale et Aeritalia pour produire l’avion de transport régional (ATR), une opération particulièrement significative pour l’industrie aérospatiale, ne permet pas de contrecarrer le tam-tam médiatique que suscite le conflit viticole.

11 L’idylle diplomatique semble connaître ses dernières heures avec la visite à Paris du président de la République italienne Sandro Pertini en juillet 1982 11. Une série de dossiers épineux prennent alors le pas : les différences de position à l’égard des États- Unis sur les rapports avec l’URSS, le choix fait par la compagnie aéronautique italienne Alitalia de renouveler sa flotte avec des appareils américains et non pas européens, les critiques récurrentes de Rome vis-à-vis de l’axe Bonn-Paris.

12 Lors du sommet franco-italien de février 1983 à Paris, les deux gouvernements vont examiner une série de coopérations possibles dans les secteurs de l’électronique, du nucléaire et de l’aérospatial12. Il s’agit d’un mécanisme qui devient rapidement classique dans les relations entre la France et l’Italie : pour compenser l’absence d’une « grande politique » entre les deux pays, on met en place des coopérations sectorielles qui utilisent comme levier la similarité entre les politiques industrielles publiques. Ces coopérations alimentent les enjeux sectoriels, mais ne suffiront jamais à créer un véritable axe Paris-Rome.

13 L’accession du leader socialiste italien Bettino Craxi à la fonction de président du Conseil des ministres en août 1983 fournit l’occasion d’une relance des rapports avec Paris : à partir de l’automne 1983, nous assistons à une intensification des rencontres bilatérales entre Craxi et Mitterrand. Pour les socialistes italiens, le gouvernement Craxi représente une consécration, un parcours politique qu’ils comparent à celui des socialistes français en 1981.

14 Dès le début du gouvernement Craxi, la France et l’Italie recherchent des convergences en matière de politique étrangère13. Lors du sommet bilatéral de Venise en novembre 1983, les délégations passent en revue les différentes questions de l’agenda européen et international, sans toutefois parvenir à des accords significatifs. La France et l’Italie ont des positions différentes vis-à-vis de l’adhésion de l’Espagne et du Portugal à l’Europe. Par ailleurs, la France réitère son offre d’intégrer l’Italie au sein du consortium Airbus.

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15 L’actualité internationale et communautaire, mais aussi la coopération dans le secteur de la défense sont au programme des différentes rencontres bilatérales franco- italiennes. Nous pouvons observer comment, en 1983 et 1984, les gouvernements socialistes français et italiens se rencontrent fréquemment de façon à coordonner leurs priorités dans le cadre européen, bien qu’il leur soit difficile d’établir un climat de confiance14.

16 La problématique des réfugiés politiques italiens en France émerge à partir de 1984. Une série de jugements sont alors rendus en Italie : entre autres, Antonio Negri est condamné en juin 1984 à 30 ans de réclusion. À la suite de ces décisions de justice, des voix s’élèvent pour réclamer l’extradition des condamnés ayant trouvé refuge en France15. Il ne s’agit pas d’une protestation unanime : les socialistes italiens sont peu diserts sur le sujet, alors que d’autres partis plus à droite multiplient les déclarations critiques. La rencontre fortuite à Paris entre le ministre socialiste italien Gianni De Michelis et Oreste Scalzone, en janvier 1985, provoque d’ailleurs de vifs commentaires et un débat parlementaire. Lors du sommet bilatéral de Paris en novembre 1984, la question n’est toutefois pas inscrite à l’ordre du jour. Les socialistes français et italiens ont un intérêt commun à maintenir cette situation d’asile dans un relatif flou juridique.

17 Lors de ce sommet bilatéral, les gouvernements français et italiens pratiquent un examen parallèle et croisé des différentes problématiques internationales. Les Français émettent des réserves sur les actions autonomes entreprises par l’Italie au Moyen- Orient, et des questions économiques importantes, comme la guerre du vin ou la participation de l’Italie à Airbus, ne trouvent pas de véritables solutions16.

18 Au cours du sommet suivant, celui de Florence en juin 1985, l’exercice se répète. La France propose à l’Italie de participer à l’initiative de recherche spatiale stratégique « Eureka »17 alors que l’Italie voudrait que cette initiative européenne soit intégrée à la Strategic Defence Initiative américaine, ce que ne peut accepter Paris.

19 Cependant, l’axe Craxi-Mitterrand, celui des socialistes au pouvoir en France et en Italie, produit des effets. En novembre 1985, la concession de la nouvelle chaîne privée française – La Cinq – est attribuée au tandem Jérôme Seydoux - Silvio Berlusconi. D’après Jacques Attali, c’est Bettino Craxi lui-même qui aurait recommandé Silvio Berlusconi à François Mitterrand alors que ce dernier cherchait à augmenter le pluralisme au sein du paysage audiovisuel français18. L’attribution de La Cinq à la fin de 1985 permet également aux socialistes français de réaliser une privatisation en plaçant un groupe « ami » et en évitant que cette opération soit réalisée par la droite, qui se présente en position favorable en vue des élections de mars 1986 19. Il convient de rappeler que cette opération suscite de nombreuses critiques à Paris, dans l’opposition de droite bien sûr, mais aussi au sein des socialistes et de la gauche : le député communiste Guy Hermier, lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, compare le choix de Silvio Berlusconi à celui que l’on aurait fait si l’on avait nommé Mémé Guérini, une figure du milieu marseillais, au ministère de la Justice20.

20 Les gouvernements Fabius et Craxi se mettent cependant en quête de convergences : fin 1985, des séminaires bilatéraux à propos de la coopération technologique et de la coopération militaire et politique en Méditerranée sont organisés à Paris et à Rome21. Ces scénarios de coopération en Méditerranée font d’ailleurs partie du programme des rencontres bilatérales entre les ministres de l’Intérieur (Joxe et Scalfaro) et de la Défense (Spadolini et Quiles) en janvier 1986. Il est remarquable de constater comment,

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malgré les difficultés, le thème de la Méditerranée revient périodiquement à l’agenda bilatéral franco-italien, poussé sans relâche par la France.

21 L’arrivée de la droite au pouvoir après les élections de 1986 en France va en quelque sorte normaliser les relations avec l’Italie, c’est-à-dire qu’elles reprennent un profil bas. La période 1981-1986 est caractérisée par une emphase politique, celle du moment socialiste que vivent les deux pays, dont l’un des résultats les plus tangibles est l’institution du sommet bilatéral annuel. Cependant, la relation bilatérale évolue assez peu, au-delà de quelques coups symboliques (la question des réfugiés politiques, celle de Silvio Berlusconi et La Cinq). La période suivante est marquée à Paris par la cohabitation et la rivalité entre François Mitterrand et Jacques Chirac. Côté italien, alors que le premier gouvernement Craxi a duré plus de trois ans, de 1983 à 1986, les gouvernements se succèdent rapidement, à l’exception du gouvernement Andreotti de 1989 à 1991, ce qui rend plus difficile le dialogue. Les premiers contacts entre Chirac et Craxi tournent autour des questions multilatérales et communautaires.

22 Une constante se dégage des rapports bilatéraux : la coopération croissante dans la lutte contre le terrorisme. Certes, il ne s’agit pas d’une démarche spécifique aux relations franco-italiennes, car la France signe des accords de coopération avec l’ensemble de ses partenaires occidentaux, mais dans le contexte des relations bilatérales, nous pouvons observer un aspect singulier : les accords de coopération en matière de terrorisme international, en particulier de terrorisme d’origine arabe, prévoient des mesures de collaboration qui ont un impact sur le traitement du terrorisme interne et sur la question des réfugiés politiques italiens en France22. L’arrestation par les forces de l’ordre françaises, en juin 1987 à Paris, de Maurizio Locusta, chef présumé du groupe Unità Comuniste Combattenti, est perçue à Rome comme un signal en ce sens, et permet de renforcer le climat de confiance et l’échange d’informations en matière de lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue.

23 Le sommet franco-italien de novembre 1986 permet aux deux pays de faire un large tour d’horizon diplomatique. Craxi présente le projet d’un organisme de consultation euro-arabe en Méditerranée, une thématique qui monte peu à peu en puissance sans toutefois donner lieu à une véritable action conjointe entre Paris et Rome23. Ce sommet fournit l’occasion de constater l’importance d’une série d’accords sectoriels, en particulier dans les domaines de la technologie aérospatiale24. Les discussions autour de la participation italienne au satellite d’observation militaire Helios sont révélatrices de ce climat, entre coopération (Helios, ATR) et des divergences (Airbus). Ce sommet de 1986 marque donc bien une relative normalisation, avec la présence de dossiers importants, souvent industriels, mais aussi l’absence d’une véritable concertation politique bilatérale, rien de comparable à la relation entre Bonn et Paris.

24 Il faut relever toutefois que, côté italien, la perception de l’exclusion revient en force et affecte les relations avec la France. Déjà en novembre 1986, les responsables italiens sont irrités par leur exclusion d’un groupe de travail sur la sécurité européenne mis en place par l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni25. En février 1987, c’est le ministre de l’Économie qui quitte le sommet monétaire de Paris pour protester contre l’exclusion de l’Italie des réunions à cinq sur les questions de réforme du système monétaire international. Par la suite, la visite de François Mitterrand à Rome, parfois présentée comme une attention particulière pour rétablir les bons rapports entre les deux pays, est brocardée par Giulio Andreotti qui décrit ce voyage comme une étape sur la route du carnaval de Venise26.

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25 Cette question des axes et des différences d’appréciation des initiatives bilatérales se prolonge tout au long de l’année 1987. La France et la République fédérale d’Allemagne renforcent leur coopération dans le secteur de la défense : la création de la brigade franco-allemande et d’un Conseil commun de sécurité et défense est annoncée lors du sommet franco-allemand de novembre 1987. Aussi bien le ministre italien des Affaires étrangères, Giulio Andreotti, que le président du Conseil Giovanni Goria se montrent réservés voire préoccupés devant une initiative européenne susceptible de se développer en concurrence avec l’Alliance atlantique27. Ces différences de vue apparaissent lors du sommet bilatéral de Naples, fin novembre 1987 28. Alors que la France offre à l’Italie de rejoindre l’accord signé avec la République fédérale d’Allemagne, comme embryon d’une Europe de la défense, le gouvernement italien exprime ses craintes face à un directoire européen. Par ailleurs, les projets français et italiens divergent également en matière de réforme du budget européen, l’Italie défendant un traitement particulier des régions du Sud. Ce sommet bilatéral apparaît donc en demi-teinte : les divergences de fond sont importantes alors que des coopérations sectorielles sont annoncées, en particulier en ce qui concerne la défense en Méditerranée et le programme Helios29.

26 Dans ce climat difficile, il faut mentionner la rivalité en Méditerranée : les services secrets italiens auraient pris part au coup d’État « médical » en Tunisie en novembre 1987 pour permettre l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, et ce en compétition avec d’autres services30. Ce fait qui marque l’actualité de 1987 illustre la dimension de concurrence qui existe entre l’Italie et la France lorsque l’on examine leurs rapports avec la rive sud. Ici, point de « vision méditerranéenne » convergente, mais une lutte d’influence politique et économique qui n’est pas sans rappeler le précédent historique de la rivalité franco-italienne au sujet de la Tunisie à la fin du XIXe siècle.

27 En mai 1988, François Mitterrand est réélu à la présidence de la République. Il dissout l’Assemblée nationale et, lors des élections successives, la gauche remporte la majorité. C’est Michel Rocard qui est nommé Premier ministre. La France retrouve ainsi une cohérence politique après la période de la cohabitation Mitterrand-Chirac. Mais ce second mandat de François Mitterrand n’est pas comparable au premier : alors que mai 1981 symbolise l’arrivée de la gauche au pouvoir et du changement qui doit s’appliquer à l’ensemble de l’action politique, mai 1988 n’a pas la même portée. En ce qui concerne les relations avec l’Italie, cette dimension est très nette : en 1981, l’élection de Mitterrand avait été perçue, probablement de façon exagérée, comme l’occasion d’un renouveau fondé sur l’axe entre socialistes français et italiens ; en 1988, c’est la continuité qui prévaut en matière de politique étrangère, d’autant plus que celle-ci est considérée comme le domaine réservé du président de la République française et n’a pas été vraiment infléchie par la cohabitation.

28 Lors du sommet bilatéral d’Arles en octobre 1988, nous retrouvons une dichotomie désormais classique : d’un côté les convergences évoquées au sujet des grands dossiers internationaux, en particulier l’évolution de l’URSS de Mikhail Gorbatchev ; de l’autre, la mise en place d’accords sectoriels (industrie et défense), certes significatifs mais de faible portée politique. La première partie de ces sommets bilatéraux ne doit pas être interprétée comme un échec : si les analyses de la situation internationale ne donnent pas lieu à des initiatives bilatérales spécifiques, cet exercice apparaît toutefois comme important dans le cadre des différents processus multilatéraux au sein desquels la recherche d’un consensus nécessite des alliances élargies. Il est donc fondamental de

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rappeler que l’un des résultats de ces sommets concerne les aspects multilatéraux et non bilatéraux. Pour ce qui est des aspects sectoriels, ce sont les dossiers industriels et technologiques qui tiennent le haut du pavé. Dans le secteur militaire, il faut citer la coopération en matière de missile sol-air « Astair » ainsi que la confirmation d’une participation de 14 % de l’Italie au programme Helios31. Dans le cadre des programmes civils, les deux gouvernements signent l’acte de fondation de l’AFIRIT (Association franco-italienne de recherche industrielle et technologique) : ici encore, le volontarisme est de mise en ce qui concerne la coopération industrielle et technologique.

29 Le sommet bilatéral de Venise, en octobre 1989, est marqué par l’agenda communautaire32. Le futur de l’Est de l’Europe est la priorité du moment avec la discussion de l’aide à la Pologne, à la Hongrie ou à la Yougoslavie33. Les dossiers moyen- orientaux sont également évoqués, avec l’examen du plan proposé par le leader égyptien Hosni Mubarak pour la Palestine. La dimension purement bilatérale semble marquer le pas face aux urgences de la politique internationale. Pour les deux pays, l’essentiel est de renouveler les mécanismes de sécurité collective et de relancer le rôle de l’Europe dans le contexte des changements à l’Est.

30 En cette fin de décennie, les rapports bilatéraux entre la France et l’Italie semblent intenses si l’on s’en tient au nombre de rencontres entre responsables politiques. Mais ces contacts bilatéraux sont liés à l’activité diplomatique internationale : depuis le printemps 1989, l’ouverture de la frontière entre la Hongrie et l’Autriche annonce la fin du mur de Berlin qui tombe symboliquement le 9 novembre. L’évolution rapide à l’Est et la question du futur de l’Allemagne inquiètent les alliés traditionnels de la République fédérale d’Allemagne, la France en premier lieu. Aussi les consultations entre France et Italie font-elles partie de la recherche d’une réponse européenne concertée pour faire face à ces nouveaux défis34.

31 Pour la France, c’est le rapport privilégié avec l’Allemagne qui est en jeu dans cette évolution et la modification éventuelle d’un équilibre européen fondé sur l’axe avec Bonn suscite des craintes à Paris. L’Italie, fidèle alliée atlantique, est bien sûr attentive à l’évolution de l’OTAN et à la continuité du cadre de la sécurité collective. Il faut également ajouter que la chute du mur a des effets symboliques importants dans un pays comme l’Italie : le Parti communiste italien a longtemps tiré une partie de sa légitimité d’une identité communiste internationale, et la chute du mur entraîne la fin du PCI, une mutation aux conséquences multiples, dont en particulier la possibilité d’une alternance politique en Italie.

32 À cette urgence diplomatique liée à l’évolution de l’Europe de l’Est, s’ajoute bientôt l’invasion du Koweit par l’Irak le 2 août 1990. Là encore, la France et l’Italie se retrouvent dans un processus de convergence diplomatique. Lors du sommet bilatéral d’octobre 1990 à Paris, les deux gouvernements proposent une conférence de paix pour le Moyen-Orient, initiative qui correspond à leurs préoccupations communes en ce qui concerne la question palestinienne35. L’initiative bilatérale devient une arène pour la diplomatie internationale des deux pays : l’intégration européenne et la politique industrielle sont également au programme de cette rencontre, mais le premier élément est prioritaire36.

33 En 1991, le sommet bilatéral franco-italien du 17 octobre est marqué par les divisions parmi les membres de l’Europe des douze alors qu’un profond mouvement de redéfinition de l’Europe, aussi bien au niveau institutionnel qu’en termes

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d’élargissement, est à l’œuvre. Le traité de Maastricht est en cours d’élaboration, il sera signé en 1992. Le sommet se déroule juste après que l’Italie et le Royaume-Uni ont proposé une force de défense européenne sous l’égide de l’Union de l’Europe occidentale, alors que Français et Allemands mettent en avant la création de l’Eurocorps. La position franco-allemande vise à promouvoir des capacités européennes autonomes en matière de défense, alors que la position italo-britannique veut ancrer le développement d’une défense européenne dans le cadre atlantique. Un compromis est adopté dans le cadre du traité de Maastricht, avec la présentation de l’Union de l’Europe occidentale comme pilier européen de l’Alliance atlantique. Le sommet bilatéral représente donc un moment de confrontation entre les délégations italiennes et françaises même si le président du Conseil Giulio Andreotti affiche son souci de recherche d’une position médiane37. Le caractère feutré des débats ne doit pas masquer l’importance des divergences38.

34 L’année 1992 est marquée par une série de changements politiques importants en Italie : la succession de scandales et d’affaires entraîne une transition politique que certains auteurs qualifient de passage de la première à la seconde République italienne39. La situation interne en Italie ressemble à un état d’urgence, avec un gouvernement qui doit faire face de façon simultanée au discrédit de la classe politique et à la quasi-faillite financière de l’État. Le gouvernement Amato, nommé en juin 1992, est très affaibli lorsqu’il se présente au sommet bilatéral de Paris en novembre 1992. Les deux gouvernements affichent une position commune en ce qui concerne la ratification du traité de Maastricht et les retards de la part du Royaume-Uni. Cependant, alors que la France propose de poursuivre au sein d’une Union à dix, sans le Royaume-Uni et le Danemark, l’Italie semble plus réticente40. Ici encore, le cadre bilatéral sert à une clarification des positions respectives dans le contexte européen.

35 En France, les élections législatives de mars 1993 provoquent un changement de majorité. La droite revient au pouvoir et c’est Édouard Balladur qui est nommé Premier ministre : c’est la période de la seconde cohabitation. Quelques semaines plus tard, en Italie, Carlo Azeglio Ciampi est chargé de former un nouveau gouvernement : Ciampi, ancien gouverneur de la Banque d’Italie, apparaît comme un technocrate – il n’est pas parlementaire – capable de poursuivre les réformes alors que le cadre politique italien est sujet à une forte recomposition. Le système des partis politiques est en train de se bloquer à la suite des différentes enquêtes et arrestations pour financements illicites.

36 Le sommet bilatéral de novembre 1993 à Rome se déroule comme les précédents. D’un côté, nous observons un passage en revue des thèmes multilatéraux d’intérêt commun (élargissement et renforcement de l’Union européenne, nouvelle architecture de la sécurité européenne, négociations du GATT), de l’autre une série de dossiers sectoriels bilatéraux sont explorés41. C’est toujours les secteurs de la défense et de l’industrie qui semblent susceptibles d’être développés dans un cadre de coopération. Plus généralement, les deux gouvernements expriment la volonté de rééquilibrer la vision stratégique de l’Europe vers le Sud, avec la promotion d’initiatives de sécurité en Méditerranée. Cependant, au cours de ce sommet, alors que le contexte de politique globale ne permet pas d’exprimer un véritable axe politique entre Paris et Rome, les ministres des Affaires étrangères et Alain Juppé signent un accord de coopération transfrontalière. Il s’agit d’une nouveauté importante car pour la France c’est le premier texte qui établit un cadre infra-étatique de coopération aux frontières. L’accord de coopération transfrontalière de 1993 apparaît comme un

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révélateur : il représente l’évolution d’un processus de transformation administrative interne avec, en particulier, l’initiative législative française en matière de coopération décentralisée en 1992. Il ouvre un nouveau champ de coopération entre les deux pays. Cette nouveauté, qui concerne essentiellement les collectivités locales et territoriales le long de la frontière, représente une initiative qui se développe ensuite avec une relative autonomie, liée aussi à l’évolution des programmes européens transfrontaliers. Elle ne crée donc pas de véritable priorité politique nationale ni pour l’Italie, ni pour la France.

37 En ce sens, il s’agit d’un aspect symptomatique des relations entre la France et l’Italie : la création d’accords sectoriels fondés sur des synergies effectives permet le développement d’initiatives qui correspondent également à l’évolution du cadre européen, initiatives concrètes mais de profil relativement bas.

38 Certains commentateurs ont théorisé la politique italienne de François Mitterrand42. On peut raisonnablement penser qu’au début de son premier septennat, Mitterrand considère l’Italie comme une « carte à jouer » dans le contexte européen et méditerranéen, mais la relation avec l’Italie ne se transforme jamais en un « axe » comme celui dessiné avec l’Allemagne. Si l’on analyse par exemple les ouvrages publiés par Pierre Favier et Michel Martin-Rolland sur la présidence de François Mitterrand, on constate la quasi-absence d’une analyse du rapport avec l’Italie, à peine mentionnée à l’occasion du rôle de Bettino Craxi dans le cadre du Conseil européen de Milan en 1985 43. La politique étrangère de la présidence Mitterrand est placée sous le signe du rapport avec l’Allemagne, et la relation avec l’Italie s’affaiblit de toute façon à partir de la première cohabitation en 1986 et de la fin des gouvernements Craxi. Enfin, force est de constater que dans les années 1980, la France et l’Italie ne concrétisent pas les projets de réalisation de programmes industriels publics porteurs d’une intégration économique mais aussi politique : c’est en particulier le cas lors de l’échec de la participation italienne aux programmes Airbus, une décision dans laquelle Romano Prodi, président de l’Istituto per la Ricostruzione Industriale de 1982 à 1989, joue un rôle clef.

39 Les sommets bilatéraux de la période mitterrandienne, période qui est aussi celle des gouvernements italiens associant démocrates-chrétiens et socialistes, sont caractérisés par une série de projets de coopérations culturelles ou scientifiques, mais ne renforcent pas véritablement l’axe politique malgré l’affichage d’une affinité et d’un volontarisme, tout au moins pendant la première partie de la présidence Mitterrand.

40 L’Italie apparaît en repli en matière de politique étrangère sous les gouvernements Goria et De Mita (de 1987 à 1989), ainsi qu’entre 1992 et 1994. Il faut cependant relever que le gouvernement Andreotti de 1989 à 1992 a développé une entente avec la France dans le contexte mouvementé de la chute du mur de Berlin et de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Cette phase illustre une des tendances que nous avons observées lors de ces différents sommets, celle d’une approche commune dans le contexte multilatéral.

41 L’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi en 1994 puis la présidence Chirac en 1995 marquent un renouvellement politique en Italie puis en France, mais ces changements n’ont que peu d’impact sur la relation bilatérale.

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Les sommets bilatéraux de 1994 à 2010

42 En décembre 1994, Silvio Berlusconi rencontre le président de la République François Mitterrand et le Premier ministre Édouard Balladur lors d’un sommet bilatéral à Aix- en-Provence44. La question de la participation de l’Italie à l’Union économique monétaire focalise l’attention. En ce qui concerne la coopération bilatérale, le lancement d’un programme d’études sur la rentabilité et la réalisation de la ligne TGV Lyon-Turin marque la volonté d’améliorer les infrastructures de franchissement des Alpes. Même si nous n’observons pas de décisions concrètes, les deux pays évoquent également une série de coopérations potentielles dans le domaine de la défense, depuis la mise en place d’une force européenne (Euroforce) jusqu’au projet d’agence européenne pour l’armement proposés par la France et l’Allemagne, en passant par les activités de satellites d’observations militaires.

43 L’année 1995 jette un froid dans les relations bilatérales. En mai 1995, Jacques Chirac est élu à la présidence de la République française. Cette élection représente une évolution par rapport à la période précédente. En cohérence avec ses promesses électorales, Jacques Chirac relance les essais nucléaires militaires français dans l’atoll de Mururoa. Cette décision entraîne une campagne d’opinion internationale contre la France. À la suite du vote par l’Italie d’une résolution de l’ONU contre les essais nucléaires, le gouvernement français annule le sommet prévu pour le mois de novembre45. En sus, le gouvernement français reproche à l’Italie de pratiquer des dévaluations compétitives qui portent préjudice aux exportations françaises.

44 En 1996, l’arrivée de Romano Prodi à la tête du gouvernement italien fournit un prétexte pour raviver les relations bilatérales. Au printemps 1996, la France renoue avec les pays européens qui avaient protesté contre les essais nucléaires, comme l’Autriche, l’Irlande ou la Suède. Romano Prodi se rend à Paris dès juin 1996 46, ouvrant une phase d’action diplomatique commune dans le cadre de la mission des Nations- Unies au Liban.

45 Le climat reste toutefois tendu entre Paris et Rome. À la veille du sommet franco-italien prévu en octobre 1996 à Naples, l’Italie menace d’annuler la rencontre à la suite de déclarations de Jacques Chirac qui laissent entrevoir des doutes à propos de la capacité de l’Italie à intégrer l’Union économique et monétaire47. Entre 1995 et 1996, nous assistons donc à une série d’accrochages entre la France et l’Italie, avec une France soucieuse de marquer ses prérogatives de grande puissance alors que l’Italie se montre elle aussi susceptible sur son rang au sein des grands pays européens.

46 Le sommet de Naples permet néanmoins d’afficher les convergences à propos de l’Union économique et monétaire, ainsi qu’une volonté commune en matière de développement des institutions européennes. Fait remarquable, il ne comporte aucune annonce spécifique de programme bilatéral de coopération48.

47 En octobre 1997, le sommet bilatéral de Chambéry est présenté comme une « nouvelle étape »49. La France semble décidée à promouvoir la coopération bilatérale industrielle. Mais la situation du chef de gouvernement italien, Romano Prodi, est affaiblie par la crise de la majorité parlementaire provoquée par des dissensions avec le Parti de la refondation communiste. Côté français, on assiste à une cohabitation entre le président Chirac et Lionel Jospin, chef du gouvernement. Ce sommet permet aux deux pays un affichage politique lorsqu’ils présentent une Déclaration commune sur l’aménagement

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du travail et leurs convergences de vue à propos d’une participation à l’Union monétaire dès le 1er janvier 1999 50. En matière de coopération bilatérale au sens strict du terme, la poursuite des études pour la liaison ferroviaire Lyon-Turin apparaît comme l’initiative la plus concrète. Malgré la volonté française, il n’y a pas d’avancées ultérieures en termes de coopérations industrielles.

48 Un an plus tard, en octobre 1998, le sommet franco-italien se déroule à Florence. Comme l’année précédente, il s’agit d’un moment délicat pour Romano Prodi qui doit faire face à des tensions dans l’aile gauche de la coalition au pouvoir. Le contenu de ce sommet s’avère plutôt maigre car les deux pays multiplient les déclarations de convergence sans que de véritables résultats se dégagent51. En marge de ce sommet, il faut toutefois signaler la signature d’un accord pour la création d’une université franco-italienne52. Typiquement, ce sommet sert à confronter les points de vue dans le cadre du multilatéralisme européen mais ne semble porteur que de faibles enjeux spécifiquement bilatéraux.

49 En cette fin de la décennie 1990, on remarque à quel point les dossiers industriels sont de plus en plus à l’ordre du jour : les autorités françaises poussent au rapprochement entre Thomson CSF et Alenia Marconi Systems dans le secteur de l’électronique de défense53, et lors du sommet franco-italien de Nîmes en septembre 1999, les chefs de gouvernement prennent en considération un rapprochement éventuel entre ENI et ELF-TotalFina54. À la suite de ce sommet, les gouvernements annoncent par ailleurs la constitution d’un groupe franco-britannico-italien dans le secteur des missiles, fusion des activités d’Aérospatiale Matra, BAE Marconi et Alenia55.

50 Ce sommet de Nîmes peut apparaître comme révélateur. Le volet politique est très faible, d’autant plus que la France et l’Italie ne parviennent pas à présenter une déclaration commune en matière de défense qui aurait répondu à l’accord de Saint- Malo en 1998 entre France et Royaume-Uni. Par contre, les gouvernements français et italien montent en puissance en ce qui concerne la rationalisation européenne d’industries souveraines, comme la défense ou l’énergie. Ici encore, c’est l’intégration européenne qui fournit la matière à la relation bilatérale.

51 En 2000, on assiste côté français à une mobilisation régionale en faveur de la liaison ferroviaire Lyon-Turin. En avril, lors des assises du transport dans la région Rhône- Alpes, les représentants du gouvernement insistent sur la nécessité de réaliser cette liaison Lyon-Turin, ce qui est confirmé lors de la rencontre successive des ministres des Transports à Modane56.

52 Le dossier des transports constitue le thème principal du vingtième sommet franco- italien à Turin fin janvier 2001. L’accord de construction de la ligne Lyon-Turin est signé. Cet accord fait l’objet d’un marchandage entre Paris et Rome. Pour Paris, il s’agit d’une priorité politique qui est dictée par des considérations internes d’aménagement du territoire (le désenclavement de la Savoie par le biais d’une liaison à grande vitesse vers Paris), alors que Rome se montre beaucoup plus concernée par la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, fermé depuis l’incendie de mars 1999, un goulot d’étranglement pour l’accès au territoire italien. L’accord du Lyon-Turin est donc le fruit d’un compromis : les Italiens acceptent de s’engager dans cette construction alors que lors du sommet les deux pays se mettent d’accord pour la réouverture du Mont-Blanc57.

53 Si la coopération dans les transports tient le haut de l’affiche lors de ce sommet bilatéral, il faut aussi relever un accord plus discret mais peut-être plus significatif, celui visant à mettre en place un système de satellites d’observation de la terre à

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vocation civile et militaire58. Cet accord revêt une importance particulière, car il porte sur le renseignement militaire, un domaine stratégique qui engage le concept de souveraineté nationale.

54 Il faut noter combien ces initiatives révèlent une approche du bas vers le haut, qui puise ses racines dans des intérêts sectoriels pour contribuer à un intérêt national qui s’exprime à travers la relation bilatérale. Ces tentatives de mise en musique d’intérêts sectoriels pour contribuer à une politique bilatérale constituent une caractéristique récurrente de la relation entre la France et l’Italie.

55 En novembre 2001, le sommet bilatéral franco-italien se déroule à Périgueux. Silvio Berlusconi est le chef du gouvernement italien depuis le mois de mai. Il a constitué un des symboles du rapprochement franco-italien dans les années 1980, lorsqu’il a lancé La Cinq à Paris. Mais en 2001, son style apparaît comme différent de celui de Jacques Chirac et de Lionel Jospin59.

56 Ce sommet se déroule alors que des points de friction apparaissent entre la France et l’Italie, au premier chef desquels la tentative d’offre publique d’achat d’EDF sur Montedison, une action perçue comme hostile par la classe politique italienne et qui crée un véritable imbroglio politique et industriel. À la suite de cette tentative d’offre publique d’achat, les droits d’EDF au sein de la société italienne seront bloqués par un décret législatif, et il faudra une dizaine d’années avant d’arriver à une solution. De plus, la participation de l’Italie au programme d’avion militaire Airbus A400M est sujette à discussion, et finalement elle n’intégrera pas le programme. Enfin, l’Italie affiche son mécontentement vis-à-vis du directoire européen composé de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni60. Cette réaction négative reprend un trait classique de la diplomatie italienne qui entend compter en Europe et qui se regimbe dès qu’elle perçoit une exclusion de tel ou tel cénacle. L’accord de réouverture du tunnel du Mont- Blanc représente donc le seul et maigre résultat tangible enregistré lors de ce sommet !

57 Un an plus tard, en novembre 2002, c’est à Rome que se déroule le vingt-deuxième sommet franco-italien. Alors que l’Italie se prépare à prendre son tour de présidence de l’Union européenne lors du second semestre 2003, ce sommet apparaît comme une occasion de se confronter sur les grands thèmes de l’agenda européen et international. Le changement de majorité en France et la nomination de Jean-Pierre Raffarin à Matignon fournissent un prétexte pour rechercher une meilleure atmosphère entre Paris et Rome, en se fondant également sur les correspondances supposées entre deux gouvernements de centre-droit. Les deux pays en particulier affichent leur convergence potentielle en ce qui concerne le Pacte de stabilité. Au niveau bilatéral, il faut encore relever la question d’une gestion coordonnée des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus, mais aussi l’annonce d’un programme commun de construction de frégates militaires61. Ce sommet apparaît comme plutôt volontariste mais ne permet pas de dégager une véritable dynamique nouvelle.

58 La précarité de ces relations entre la France et l’Italie éclate au grand jour en 2003. La France et l’Italie adoptent des positions opposées en ce qui concerne l’intervention en Irak. L’Italie n’épargne pas ses critiques face à l’utilisation du droit de véto français à l’ONU62. L’année 2003 est donc une « année blanche » en ce qui concerne la relation bilatérale, les divergences à propos du dossier irakien empêchant la tenue du sommet.

59 Le vingt-troisième sommet franco-italien se déroule donc en juillet 2004, à Paris. Le contexte des relations entre les deux pays ne s’est pas vraiment apaisé. Certes, la page de l’Irak commence à être tournée, mais d’autres dossiers provoquent des tensions : la

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question EDF-Edison mais aussi le cas Cesare Battisti. C’est d’ailleurs ce dernier élément qui suscite l’attention médiatique. La cour d’appel de Paris s’est prononcée fin juin en faveur de l’extradition de l’ancien terroriste vers l’Italie. À l’issue du sommet, Jacques Chirac adopte une position légaliste de reconnaissance de la légitimité de l’action judiciaire italienne au sein de l’espace judiciaire européen, position qui rompt avec la doctrine Mitterrand. Cette évolution est d’ailleurs perçue de façon positive par la majorité de centre-droit de Silvio Berlusconi qui attache une grande importance à cette question63. Ce sommet sert surtout à un affichage pour rappeler l’entente entre la France et l’Italie et les différents cadres de coopération, bilatéraux ou multilatéraux. L’heure est à la réconciliation formelle, même si, sur le fond, les convergences n’émergent pas vraiment. Que l’étiage est bas entre les deux pays ! Mais l’exercice du sommet bilatéral sert à sauver la forme et à maintenir un minimum de communication et de vision partagée.

60 La solution de l’affaire EDF-Edison est la priorité de 2005. En janvier de cette même année, des hauts fonctionnaires français et italiens se réunissent à Bercy pour rechercher un compromis64. L’épineuse question du gel des droits de vote d’EDF au sein d’Edison n’a pas évolué depuis 2001. Il s’agit d’une réunion préparatoire en vue du séminaire gouvernemental qui se tient à Rome le 25 janvier. Ce séminaire est présidé par les deux chefs de gouvernement, Jean-Pierre Raffarin et Silvio Berlusconi. La présence à Rome du président d’EDF, Pierre Gadoneix, illustre l’importance accordée au dossier EDF-Edison65. Ce séminaire montre combien cet épineux dossier industriel est au centre de la relation bilatérale, d’autant plus qu’il s’agit d’un exercice original de mise en place d’un accord multisectoriel. Lors de ce séminaire, une série de solutions sont proposées, en recherchant pour les Italiens des contreparties qui passent par l’ouverture du marché français à la concurrence. Il est ici particulièrement significatif d’observer l’utilité de l’action diplomatique intergouvernementale pour la résolution d’un conflit lié à l’action de sociétés de droit privé mais dont les États respectifs sont actionnaires. Les règles du marché évoluent par le biais des directives européennes de libéralisation, processus qui voit également les différents États membres s’affronter dans l’arène bruxelloise. La résolution d’un conflit dans cette phase transitoire nécessite donc la prise en compte d’une multiplicité d’intérêts que seuls les gouvernements peuvent coordonner. Il s’agit d’un exemple clair de renouvellement de l’action bilatérale gouvernementale dans le cadre de l’approfondissement de l’intégration économique européenne. Le vingt-quatrième sommet franco-italien qui se déroule en octobre 2005 à Paris marque un retour à la normale : il permet aux deux gouvernements de faire le point sur l’ensemble des questions internationales et d’annoncer le lancement d’un programme de vingt-sept frégates européennes multimissions (FREMM)66.

61 Cette relative normalisation ne dure pas très longtemps. Début 2006, l’Enel organise une offre publique d’achat sur l’entreprise française Suez. Cette offre publique d’achat est rejetée par le gouvernement français qui saisit ce prétexte pour opérer la fusion Suez-GDF, suscitant l’ire de l’Italie. L’arrivée du centre-gauche au pouvoir en Italie avec la nomination de Romano Prodi à la présidence du Conseil contribue à apaiser ce climat. Il faut dire que, durant l’été 2006, l’intervention militaire au Liban sous l’égide des Nations-Unies représente un scénario de forte convergence entre la France et l’Italie. Lors du vingt-cinquième sommet bilatéral, à Lucques en novembre 2006, les deux gouvernements soulignent les convergences au Moyen-Orient et annoncent la création d’un Conseil franco-italien de Défense et de Sécurité. L’accord en matière de

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politique étrangère semble donner le coup d’envoi. Des dossiers industriels épineux sont évoqués (Suez, Air France - Alitalia) mais passent au second plan par rapport à l’entente affichée67.

62 Le sommet bilatéral de Nice, le 30 novembre 2007, revêt une importance particulière. C’est au cours de ce sommet qu’est signé un accord de partenariat entre EDF et Enel qui permet à Enel de prendre 12,5 % du réacteur de Flamanville68. Cet accord permet de lever l’obstacle principal à la normalisation des relations entre la France et l’Italie dans le secteur électrique : après l’épisode de blocage autour du dossier Suez, la France ouvre son marché aux Italiens, condition réclamée par Rome pour pouvoir annuler le décret qui bloque les droits de vote d’EDF au sein d’Edison. Toujours dans le cadre de ce sommet Finmeccanica, DCNS et Thalès signent un accord pour examiner la création de sociétés communes dans le secteur des armements sous-marins (torpilles). Un protocole de coopération est également lancé au sujet du programme de satellite de télécommunications militaire Athena Fidus. Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans une vision de politique industrielle et de politique de défense, aspect confirmé par l’organisation d’un Conseil bilatéral de défense en marge de ce sommet.

63 Ce sommet est le premier auquel participe Nicolas Sarkozy en tant que chef de l’État. Le volontarisme est de mise, mais en ce qui concerne l’énergie, la résolution du conflit est le fruit d’une évolution longue et ne peut être véritablement mise au crédit de la nouvelle équipe.

64 Le dossier énergétique est encore à l’affiche lors du sommet bilatéral de février 2009, un rendez-vous tellement décalé que le sommet de 2008 a sauté. La France et l’Italie signent un accord de coopération pour le développement du nucléaire en Italie : cet accord de partenariat prévoit que l’Italie développe la filière de réacteur de type Flamanville sur son propre territoire dans le cadre d’un retour au nucléaire, en mettant en place une coopération étroite entre EDF et Enel69. Il s’agit d’un accord qui se trouve à la confluence de l’intérêt des deux gouvernements : Silvio Berlusconi, de nouveau au pouvoir depuis 2008, a adopté une position nette en faveur du retour au nucléaire ; la France recherche des débouchés pour sa filière, et ce d’autant plus que l’alliance avec l’Allemagne est en train de se lézarder. Ainsi, cette conjonction permet un important effet d’annonce dans le sillage d’une résolution globale de l’affaire Edison-EDF.

65 Lors du sommet bilatéral suivant, à Paris en avril 2010, c’est encore le nucléaire et l’énergie qui tiennent le haut du pavé. Une série d’accords intergouvernementaux sont signés pour prolonger le cadre défini lors du précédent rendez-vous. Ce sommet fournit également l’occasion de mettre de l’ordre dans la compétition en matière de transport ferroviaire : alors que la SNCF a des visées sur le marché italien par le biais de son allié le groupe privé NTV, Nuovi Treni Veloci, le groupe public FS (Ferrovie dello Stato) demande l’ouverture du marché français par le biais d’une alliance avec Veolia Transport, suivant une logique qui n’est pas sans rappeler l’affaire Edison-EDF-Enel70. Enfin, sur un plan militaire, il faut remarquer l’annonce de la création d’une brigade franco-italienne de chasseurs alpins sur le modèle de la brigade franco-allemande.

66 Le sommet de 2011 est marqué par un retour des aspects problématiques sur le devant de la scène. Les précédents sommets bilatéraux ont été marqués par la volonté de résoudre les tensions dans le secteur énergétique par la recherche de nouveaux accords, en particulier dans le secteur nucléaire. Cet exercice connaît cependant des limites, d’autant plus que l’accident de Fukushima marque un coup d’arrêt aux projets italiens de retour au nucléaire71. Le sommet bilatéral qui se déroule en avril 2011 à

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Rome ne comporte pas d’annonces d’accords particuliers, de nouveaux programmes de coopération tangibles. Il s’agit cependant d’un moment important dans lequel les responsables des deux gouvernements affichent leur proximité. Les facteurs d’irritation sont nombreux72 et Umberto Bossi, leader de la Lega et allié du gouvernement Berlusconi, déclare à la veille du sommet que l’Italie est devenue une « colonie française »73 en stigmatisant les investissements français outre-alpes, en particulier le rachat de l’entreprise Parmalat par le groupe français Lactalis. De plus les gouvernements français et italiens se sont livrés à une série de prises de bec au sujet du printemps arabe et de ses conséquences, notamment pour ce qui concerne la gestion des flux migratoires en provenance de la Tunisie. Aussi ce sommet correspond à un exercice d’affichage nécessaire qui permet de réunir les acteurs gouvernementaux, de présenter au public une entente renouvelée et de calmer la pression médiatique. De fait, dans le cadre de la politique de libre-investissement pratiquée dans l’Union européenne, les deux pays se doivent de réaffirmer leur neutralité et leur ouverture aux investissements croisés. Ici encore, même si nous n’avons pas de véritables avancées bilatérales, le rendez-vous diplomatique prend tout son sens pour permettre de réguler une série d’enjeux dans le contexte européen. L’importance des investissements croisés et en particulier les perceptions relatives aux investissements directs réalisés par les grands groupes français en Italie produisent un besoin d’accompagnement politique, ne serait-ce qu’en termes de rappel des bénéfices mutuels de l’intégration économique européenne. Le sommet bilatéral de 2011 constitue un bon exemple de la capacité de ce type d’exercice à dégonfler des bulles de rhétorique nationaliste, parfois xénophobe, qui peuvent apparaître comme le corollaire démagogique de l’intégration économique.

Conclusion

67 Ces sommets bilatéraux qui se suivent et souvent se ressemblent nous permettent de mieux cerner la typologie des relations entre les deux pays qui n’arrivent pas vraiment à dépasser les convergences temporaires pour donner un sens commun à la relation politique, au-delà des aspects déclaratoires de la politique. Il est par ailleurs particulièrement significatif de constater comment, lorsqu’un retournement d’actualité produit une série de divergences, la relation bilatérale est sérieusement mise à mal car elle ne bénéficie pas d’un environnement politique qui puisse amortir les à-coups. Dans ce contexte, le forum institutionnel représenté par le sommet bilatéral est une initiative de convergence forcée à laquelle doivent se soumettre les équipes diplomatiques. Il illustre les limites du volontarisme de deux systèmes qui se font face dans leurs différences culturelles et politiques, mais permet d’instaurer une routine qui se révèle parfois extrêmement utile. Au travers de la participation à ces rencontres, le rapport de l’Italie avec la France reprend des constances historiques fortes, celle d’un pays qui n’entend pas être le second de l’autre, mais aussi les relatives incompréhensions entre un système présidentiel et un système parlementaire, souvent juxtaposés alors qu’ils sont différents.

68 La question de la mémoire de cette évolution diplomatique récente se pose, car nous observons des cycles de répétition des thèmes. Par exemple nous avons relevé combien le thème de la Méditerranée est à la fois problématique et récurrent. Ces rencontres gouvernementales périodiques apparaissent également comme un mécanisme utile de

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résilience politique. En temps normal, nous assistons souvent à une activité faible ou répétitive. Mais dès qu’un aspect problématique apparaît, alors l’institutionnalisation de la rencontre intergouvernementale produit des effets en termes à la fois de traitement de dossier, de déclaration commune et d’affichage médiatique. Aussi bien l’affaire Edison-EDF que les difficultés multiples de 2011 illustrent ce paradigme lié à l’approfondissement de l’intégration européenne. Ainsi les sommets bilatéraux apparaissent comme un signe du renouvellement de la gouvernance européenne, avec des rapports binationaux qui parfois s’intensifient au nom de l’Europe, et ce en démenti d’une vision commune qui considère avec trop de facilité la construction européenne comme un jeu à somme nulle qui aspirerait la souveraineté vers les institutions européennes aux dépens des États membres. L’analyse des sommets franco-italiens nous indique des tendances différentes. Il s’agit d’une incitation supplémentaire pour approfondir ultérieurement cette histoire du temps présent : de la connaissance des enjeux de ce positionnement réciproque, entre la France et l’Italie, découlent certainement des éléments d’un progrès européen, méthode bilatérale caractéristique des relations franco-allemandes et qui mériterait d’être étendue.

NOTES

1. Bernardo Valli, « Il tenait l’Italie à l’œil », La lettre de l’Institut François Mitterrand, Paris, no 10, décembre 2004, http://www.mitterrand.org/Il-tenait-l-Italie-a-l-oeil.html, article consulté en ligne le 18 novembre 2011. 2. Claudio Signorile, « Eppure qui in Italia ci vorrebbe Mitterrand », La Repubblica, 15 mai 1981, p. 7. 3. Voir Mario Zagari, « Una svolta per l’Europa », Avanti !, 14-15 juin 1981, p. 11. 4. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno nono : 1980-1981, Rome, Istituto Affari Internazionali-Edizioni di Comunità, 1982, p. 565. 5. Jean Musitelli, « Le rénovateur des relations franco-italiennes », La lettre de l’Institut François Mitterrand, no 10, Paris, décembre 2004, http://www.mitterrand.org/Le-renovateur-des-relations- franco.html, article consulté en ligne le 18 novembre 2011. 6. Ibid. 7. Pier-Carlo Padoan (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno decimo : 1981-1982, Rome, Istituto Affari Internazionali-Edizioni di Comunità, 1984, p. 430. 8. Alberto Ninotti, « Mitterrand guarda al Sud dell’Europa », Politica internazionale, no 4, avril 1982, p. 123-124. 9. Charles Arnaud, « Le vin et l’organisation commune de marché : entre Paris et Bruxelles un dialogue quelquefois difficile », Économie rurale, no 204, 1994, p. 3-10. 10. Voir « La guerre du vin », La Dépêche du Midi, Toulouse, 11 août 1981, p. 1. 11. Voir Barbara Spinelli, « Tra l’Italia e la Francia rapporti più freddi », La Repubblica, 11 novembre 1982, p. 7. 12. Interview à Filippo Maria Pandolfi, La Repubblica, 20 février 1983, p. 9. 13. Pier Carlo Padoan (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno dodicesimo : 1983-1984, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1986, p. 476.

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14. Barbara Spinelli, « Su missili e medio oriente l’Eliseo diffida dell’Italia », La Repubblica, 19 février 1984, p. 15. 15. Paola De Gori, « La libertà di Negri offende l’Italia », Il Popolo, 15 juillet 1984, p. 12. 16. Pier Carlo Padoan (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno tredicesimo : 1984-1985, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1986, p. 477. 17. Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », La lettre de l’Institut François Mitterrand, Paris, no 38, 5 décembre 2011. 18. Voir Jean-François Huchet, « Naissance du pluralisme, Interview à Jacques Attali », La lettre de l’Institut François Mitterrand, Paris, no 7, 6 avril 2004. 19. Bernardo Valli, « Un teleschermo per due presidenti », La Repubblica, 21 novembre 1985, p. 7. 20. Cité par Bernardo Valli, « Un teleschermo… », art. cit. 21. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno quatordicesimo : 1985-1986, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1987, p. 377. 22. « I 200 latitanti non lasciano Parigi », La Repubblica, 30 mai 1987, p. 15. 23. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno quindicesimo : 1986-1987, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1988, p. 418. 24. Bernardo Valli, « Craxi e Chirac discutono a Parigi la crisi americana », La Repubblica, 28 novembre 1986, p. 13. 25. Paolo Garimberti « Gli Europei escludono Roma da un consulto sulla difesa », La Repubblica, 6 novembre 1986, p. 4. 26. Maurizio Ricci. « Sapete perche viene Mitterrand ? Solo per il carnevale di Venezia », La Repubblica, 25 février 1987, p. 5. 27. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno sedicesimo : 1987-1988, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1990, p. 106. 28. Vicenzo Nigro, « Roma e Parigi lontane sull’Europa », La Repubblica, 27 novembre 1987, p. 11. 29. Ettore Storti « La conquista dello spazio », Informazioni della Difesa, no 6, 2002, p. 24. 30. Voir Carlo Chianura, « L’Italia dietro il golpe in Tunisia », La Repubblica, 10 octobre 1999, p. 20. 31. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno diciassettesimo : 1988-1989, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1990, p. 578. 32. Vicenzo Nigro, « Francia e Italia vertice a Venezia », La Repubblica, 5 octobre 1989, p. 16. 33. Vicenzo Nigro, « Italia e Francia : “Gli aiuti all’est priorità per la CEE” », La Repubblica, 6 octobre 1989, p. 15. 34. Voir Fabiano Fabiani, « Parigi e Roma guardano a Est », La Repubblica, 1 février 1990, p. 17. 35. Voir Fabiano Fabiani, « Per Mitterrand e Andreotti subito una conferenza di Pace », La Repubblica, 9 octobre 1990, p. 3. 36. Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno diciannovesimo : 1990-1991, Istituto Affari Internazionali, Milan, Franco Angeli, 1993, p. 438. 37. Voir Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno ventesimo : 1991-1992, Istituto Affari Internazionali, Rome, SIPI, 1993, p. 359. 38. Fabiano Fabiani, « Quale difesa commune ? Italia e Francia divise », La Repubblica, 18 octobre 1991, p. 11. 39. Barbara Palombelli, « Choc in video per gli “oligarchi” il gelo di Craxi saluta il divorzio”, La Repubblica, 26 avril 1992, p. 2. 40. Marinella Neri Gualdesi, « L’Italia e l’integrazione europea », dans Roberto Aliboni (dir.), L’Italia nella politica internazionale, anno ventunesimo : 1992-1993, Istituto Affari Internazionali, Rome, SIPI, 1994, p. 55. 41. Voir dépêche ANSA, « Italia-Francia : Vertice attenzione al Mediterraneo », Rome, 26 novembre 1993. 42. Voir Jean Musitelli, « Le rénovateur des relations franco-italiennes », art. cit.

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43. Voir Pierre Favier et Michel Martin-Rolland, La décennie Mitterrand, t. 1 : Les ruptures (1981-1984), Paris, Le Seuil, 1990 ; t. 2 : Les épreuves (1984-1988), Paris, Le Seuil, 1991 ; t. 3 : Les défis, Paris, Le Seuil, 1998. 44. Voir Marie-Bénédicte Allaire, « Berlusconi rassure Mitterrand sur l’UEM », Reuters, Actualités en français, 16 décembre 1994, article consulté dans la base de données Factiva, www.factiva.com. 45. « Nucléaire - Rome regrette la décision de Paris », Reuters, Actualités en français, 17 novembre 1995, article consulté dans la base de données Factiva, www.factiva.com. 46. « Chirac-Prodi - Bientôt un sommet franco-italien », Reuters, Actualités en français, 10 juin 1996, article consulté dans la base de données Factiva, www.factiva.com. 47. « Le sommet de Naples a failli être annulé », Reuters, Actualités en français, 1er octobre 1996, article consulté dans la base de données Factiva, www.factiva.com. 48. Voir Marie-Bénédicte Allaire, « Paris et Rome font taire leurs querelles », Reuters, Actualités en français, 4 octobre 1996, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 49. Voir Marie-Bénédicte Allaire, « Sommet franco-italien à Chambéry, une “nouvelle étape” », Reuters, Actualités en français, 1er octobre 1997, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 50. Philippe Ricard, « Modestes avancées franco-italiennes », La Tribune, 6 octobre 1997, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 51. Marie-Bénédicte Allaire, « Italie-France - Vérifier les convergences », Reuters, Actualités en français, 5 octobre 1998, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 52. « Sommet franco-italien », AGEFI, 6 octobre 1998, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 53. Jean-Pierre Neu, « Paris fait le forcing pour marier Alenia et Thomson-CSF », Les Échos, 17 septembre 1998, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 54. « Paris et Rome pas hostiles à un rapprochement », Reuters, Actualités en français, 24 septembre 1999, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 55. « Un géant européen du missile est en train de naître », Libération, 25 septembre 1999, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 56. Georges Serraz, « Ferroviaire - la ligne Lyon-Turin entre dans une phase concrète », La Tribune, 16 mai 2000, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 57. Emmanuel Georges-Picot, « La France et l’Italie donnent le coup d’envoi officiel du Lyon- Turin », La presse canadienne, 29 janvier 2001, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 58. « Espace - accord franco-italien pour un système d’information », Les Échos, 30 janvier 2001, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 59. Pierre De Gasquet, « De l’influence de Berlusconi sur le microclimat franco-italien », Les Échos, 27 novembre 2001, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 60. Richard Heuzé, « Interview à Silvio Berlusconi : l’euro sera une calamité pour ceux qui n’y auront pas adhéré », Le Figaro, 27 novembre 2001, p. 6. 61. Pierre De Gasquet, « Entente franco-italienne sur le Pacte de stabilité », Les Échos, 8 novembre 2002, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 62. Pierre De Gasquet, « Paris-Rome : divorce à l’italienne », Les Échos, 3 avril 2003, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 63. Voir « Chirac et Berlusconi “la main dans la main” malgré leurs divergences », AFP, Paris, 2 juillet 2004, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 64. Voir Pierre De Gasquet, « Rome veut convaincre EDF de renoncer à l’arbitrage sur Edison », Les Échos, 3 avril 2003, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 65. Voir Heuze Richard, « L’imbroglio EDF-Edison au cœur du sommet franco-italien », Le Figaro, 25 janvier 2005, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com.

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66. « Sommet franco-italien : le coup d’envoi au lancement des frégates multimissions », Les Échos, 4 octobre 2005, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 67. « Conférence de presse conjointe à l’issue des XXV e consultations franco-italiennes », News Press, 24 novembre 2006, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 68. Pascal Pogam, « Le groupe donne à Enel les moyens de ses ambitions sur le marché français de l’électricité », Les Échos, 3 décembre 2007, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 69. Richard Heuzé, « Coopération nucléaire entre la France et l’Italie », Le Figaro, 23 février 2009, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 70. Bulletin quotidien, « La France et l’Italie renforcent leurs liens nucléaires et militaires », Société Générale de Presse, 12 avril 2010, article consulté dans la base de données Factiva, www.factiva.com. 71. Frank-Paul Weber, « EDF et Enel gèlent leurs projets d’EPR en Italie », La Tribune, 22 avril 2011, p. 4. 72. James Mackenzie, « Un sommet franco-italien sous tension sur fond de crise libyenne », Reuters, Actualités en français, 25 avril 2011, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com. 73. « L’Italie est devenue une “colonie française”, dénonce l’allié de Berlusconi », AFP, 26 avril 2011, article consulté sur la base de données Factiva, www.factiva.com.

RÉSUMÉS

Lorsque l’on s’intéresse à la question du « rapport au monde » d’un pays comme l’Italie, le cadre européen et bilatéral fait l’objet de peu d’analyses. L’intégration européenne représente un modèle au sein duquel les enjeux bilatéraux ne disparaissent pas, bien au contraire. La relation entre la France et l’Italie est le fruit d’une histoire longue et particulière. Depuis les années 1980, les sommets bilatéraux annuels sont censés marquer le rapprochement entre Paris et Rome. Leur contenu, parfois maigre, indique la difficulté à mettre en place un rapport politique privilégié. Les sommets bilatéraux représentent une étape dans l’institutionnalisation de la relation bilatérale, un cadre formel dont l’utilité en termes de recherches d’alliances dans le contexte du jeu européen est certainement supérieure à la pure dimension bilatérale.

When considering the “relationship to the world” of a country such as Italy, European and bilateral frameworks are often not taken into account. Yet European integration represents a model in which bilateral interaction does not disappear; on the contrary. The relationship between France and Italy is the product of a long and peculiar history. Since the 1980s, annual bilateral summits have been used to measure improvements in the relationship between Rome and Paris, but the scarce content of the meetings indicates the difficulties involved in creating a special relationship. Bilateral summits represent a stage in the institutionalization of bilateral relations, a formal framework whose added value in terms of establishing alliances within the European arena goes beyond the purely bilateral dimension.

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INDEX

Mots-clés : France, Italie, relations bilatérales, frictions, européanisation Keywords : France, Italy, bilateral relations, misunderstandings, europeanization

AUTEUR

JEAN-PIERRE DARNIS Maitre de conférences et membre du Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine de l’université Nice Sophia Antipolis, senior research fellow et membre du comité exécutif de l’Istituto Affari Internazionali de Rome. Il a soutenu en 1996 à l’université de Paris X Nanterre une thèse de doctorat portant sur l’européisme et le nationalisme italien depuis les premières campagnes électorales européennes. En 2012 il a obtenu à l’université Stendhal de Grenoble son habilitation à diriger des recherches. Ses travaux actuels portent sur l’évolution de l’Italie dans le contexte international. [email protected]

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La politique transfrontalière, entre politique extérieure et politique régionale : le cas franco-italien

Maria Chiara Sereno

1 Cet article analyse la dynamique transfrontalière des rapports au sein de l’espace franco-italien entre les États et les régions qui en font partie. Il étudie son cadre institutionnel et s’interroge sur l’évolution de l’interaction État-région et le futur institutionnel de cet espace de coopération transfrontalier.

2 Que faut-il voir dans ce mouvement de multiplication des niveaux d’intervention et dans la profusion des relations transfrontalières ? Une division géographique de l’action publique selon des niveaux de décision qui se rapprocheraient de la « vie réelle » des citoyens européens ? La montée en puissance d’acteurs dotés d’une compétence intentionnelle et d’une capacité d’action stratégique en faveur des pouvoirs locaux ? Si l’idée de contre-pouvoir vient facilement à l’esprit pour caractériser les collectivités et, en général, les acteurs engagés dans les coopérations transeuropéennes, elle semble insuffisante pour rendre compte de la dimension et de l’impact des politiques strictement communautaires. Ces initiatives s’opposent-elles à l’action des États-nations ou au contraire la complètent-elles, voire dans certains cas comblent-elles un vide ? Quelle que soit leur finalité, ces politiques servent, dans bien des cas, de laboratoire pour de nouvelles relations de voisinage dans le cadre de l’européanisation des pratiques et, surtout, reflètent une politique de cohésion mise en œuvre de manière tripartite et concertée, la mise en place d’une gouvernance européenne à niveaux multiples, avec autant de « petites Europes », et d’une subsidiarité tolérée (sinon encouragée) qui contribue aux nombreuses tentatives d’ajustement entre les institutions locales et les réalités post-nationales. Dans ce jeu à plusieurs, la figure hégémonique de l’État, bien qu’écornée, reste cependant majeure, d’autant que l’Union européenne ne s’est toujours pas dotée d’une compétence exclusive dans tous les domaines.

3 Ces dernières années, les relations interrégionales sont revenues avec vigueur sur le devant de la scène dans le cadre communautaire. Les rapports directs entre les

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autorités sub-étatiques des pays membres sont encouragés et considérés comme essentiels pour donner un nouvel élan au projet européen et affronter les défis difficiles de l’Europe à 27. Les coopérations entre régions en sont même venues à faire partie des principes de fond qui guident les politiques communautaires. Mais que sont les relations interrégionales ? Et, surtout, qu’entend l’Union européenne (UE) par cette expression ? Il est nécessaire d’éclaircir ce point parce que les relations interrégionales sont multiples et embrassent une large gamme de réalités, depuis les rapports de coopération de différents types à l’adhésion aux associations interrégionales et jusqu’aux pratiques dites de « paradiplomatie »1.

4 La plupart de ces relations interrégionales passe actuellement par l’UE et c’est par elle qu’elles sont stimulées et favorisées : à travers des projets que l’UE finance, à travers les associations européennes de régions apparues pour donner voix aux niveaux sub- étatiques, à travers certaines arènes politiques qui permettent les contacts directs entre régions européennes. Mais, en réalité, le phénomène des relations entre régions, dans ses différentes formes, n’est pas nouveau et tire même sa force de décennies d’expériences sur et au-delà du territoire communautaire. Il n’est pas davantage lié à l’existence de l’UE : la preuve en est que nombre de ces relations sont nées à l’extérieur du cadre communautaire et que les premières pratiques remontent à bien avant la création du projet d’Europe unie et que des accords en tous genres entre autorités sub- étatiques des différents pays sont stipulés même sans l’aval de l’UE.

5 Ces relations directes entre les régions existent donc depuis longtemps, mais il est vrai aussi que certaines de ces formes « d’interrégionalité » jouissent depuis peu d’un succès énorme et sont au centre de l’attention communautaire, tandis que d’autres ne font pas l’objet du même intérêt.

6 Si, par exemple, l’adhésion à des associations régionales de différents niveaux continue à être pratiquée – fût-ce avec moins de vigueur que par le passé – ce sont en revanche les coopérations entre les régions qui ont connu une véritable explosion, au point d’être carrément promues parmi les pratiques à soutenir et diffuser entre les acteurs des arènes communautaires.

7 Par coopérations interrégionales, on entend toutes ces collaborations entre plusieurs régions visant à la réalisation d’initiatives et de projets communs ou, simplement, à l’instauration d’une relation privilégiée pour échanger des informations, expériences et connaissances de différents types. De telles coopérations se concrétisent ensuite sous une pluralité de formes différentes : partenariats, collaborations techniques (par exemple échanges de technologies, connaissances, procédures), projets, échanges culturels réciproques, jumelages, etc.

L’institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe

8 Alors que les mouvements de globalisation des économies et d’intégration régionale supranationale, tels que l’Union européenne, favorisent le dépassement des frontières, les espaces frontaliers sont l’objet d’enjeux renouvelés2. Ce regain d’intérêt couvre la politique, l’économie et la culture ; il est lié à des questions d’ et de citoyenneté, de loi et de désordre, de désastres écologiques et de régulation environnementale, d’identités nationales, régionales et autres3.

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9 En effet, ces mouvements, associés à la révolution des techniques d’information et communication et à la fin de la guerre froide, ont reconfiguré et diversifié les fonctions, voire la signification des frontières étatiques. Liam O’Dowd distingue entre les « frontières barrières », les « frontières ponts », les « frontières ressources » et les « frontières symboles identitaires »4. Pour Kenichi Ohmae5, les zones transfrontalières deviennent des territoires stratégiques, dans un « monde sans frontières » où le modèle de l’État-nation cède le pas – tout au moins sur le plan économique – à celui des « États- régions », tels que l’Italie du Nord.

10 Jean-Philippe Leresche et Guy Saez distinguent, quant à eux, différents régimes politiques de la frontière6. Le limes, ou régime étatique de gouvernement, apparaît comme le niveau zéro de la coopération transfrontalière et relève des relations internationales ; la marche, ou régime de gouvernabilité, inaugure un nouvel espace institutionnel « à mi-chemin entre les organisations interétatiques […] et les vastes regroupements interrégionaux » ; enfin, la synapse, ou régime de gouvernance, procède d’une déconstruction des modes traditionnels de l’action publique au bénéfice d’un mode coopératif dominant, « dépassionnant, dépolitisant et désidéologisant ». Cette dernière option n’est pas sans rappeler les thèses de Denis de Rougemont sur l’Europe des régions. Celui-ci voyait dans la coopération transfrontalière, de nature fonctionnelle et « terre à terre », un moyen de dépasser les revendications régionalistes pour former de « grandes régions » européennes sur une base ethnoculturelle et risquant de reproduire la logique d’un mini État-nation, à laquelle il tentait justement de proposer une forme alternative7.

11 Une des leçons de l’histoire de la formation des États européens est que la structure, les fonctions et le sens des frontières restent rarement stables ou fixes sur une longue période. Dans l’ouvrage précurseur sur les régions transfrontalières en Europe occidentale, dirigé par Malcolm Anderson8, on constatait déjà la multiplicité des coopérations à l’œuvre. En 2005, le Comité des régions de l’Union européenne a estimé que près de 40 % de la population de l’Union réside dans des régions frontalières, voire plus de 50 % pour les nouveaux États membres de l’Est9.

12 Dans ce sens, l’intervention croissante de l’Union européenne vient remettre en cause le monopole traditionnel des différents États membres en la matière. Prenons pour exemple le projet centralisateur français, « la première politique d’aménagement du territoire national »10 : force est de reconnaître que celle-ci est longtemps restée une prérogative étatique exclusive. Même si des modèles d’intervention ont pu circuler entre pays, les racines de l’aménagement du territoire, par exemple, sont généralement nationales, renvoyant à des préoccupations propres11, au point que les termes officiels utilisés pour désigner les politiques équivalentes varient d’un pays à l’autre en fonction de leurs traditions12. Ces ancrages nationaux sont aujourd’hui confrontés au défi posé par le passage à des schémas continentaux d’un côté et, de l’autre, à la multiplication des initiatives aux échelles locales.

13 Dans le cas français, l’époque où la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) était toute puissante est désormais révolue. Depuis, ont émergé de nouveaux acteurs publics qui, chacun à leur échelle, interviennent explicitement sur les territoires. D’un côté, la décentralisation politique a conduit dans la plupart des pays de l’Europe – comme la France, l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni – à l’affirmation de nouveaux acteurs et collectivités dont les compétences ne cessent de croître, notamment à l’échelle régionale. L’épanouissement

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de ce niveau d’intervention, qualifié de « mésogouvernement », a été lui-même favorisé par le processus de construction communautaire qui s’est développé en parallèle, encourageant du reste la décentralisation régionale, au point que les gouvernements paraissent parfois pris en tenaille entre ces nouveaux venus apparus aux échelles infra et supranationales.

14 La « politique régionale » – dite désormais « de cohésion » – conduite au niveau communautaire a forcément une incidence sur les pratiques nationales. Le principe même d’une intervention européenne en faveur du développement spatial doit d’abord être accepté par l’ensemble des États membres. Cette politique de cohésion menée par l’Union européenne présente le paradoxe d’occuper une place grandissante malgré l’absence de toute compétence communautaire officielle en matière territoriale, tout en faisant face à des menaces récurrentes susceptibles d’en réduire les ambitions. Cette politique menée de concert impose aussi naturellement de s’entendre sur des objectifs communs, qui soient de surcroît compatibles avec ceux poursuivis au niveau national et régional. Cette nécessaire cohérence devrait impliquer non seulement une harmonisation entre politique de cohésion et politiques menées dans chaque pays, mais aussi une articulation entre les trois niveaux d’intervention majeure sur les territoires que sont aujourd’hui l’UE, les États et les régions. La construction communautaire crée de facto une responsabilité partagée sur le devenir des territoires. Ce prérequis est loin d’être une réalité.

Les organisations européennes, « maîtres d’ouvrage » de la coopération transfrontalière

15 La coopération transfrontalière européenne s’est principalement développée comme coopération entre autorités territoriales de part et d’autre des frontières étatiques. De ce fait, même si ce développement s’inscrit dans un contexte global, la prégnance des questions institutionnelles et de l’intervention publique qui font de la frontière l’objet d’actions d’aménagement et de structuration, apparaît comme une spécificité européenne par rapport aux coopérations transfrontalières développées dans d’autres parties du monde et davantage portées par des dynamiques de marché (market driven) que d’action publique (policy driven)13.

16 Ainsi, l’institutionnalisation de la coopération transfrontalière en Europe est le produit de l’action d’une gouvernance à niveaux multiples, entendue comme un processus d’action publique faisant intervenir différents types d’acteurs situés à différents niveaux, en l’occurrence les organisations européennes, les autorités territoriales et les États. Or, si cette action a eu pour résultat commun l’émergence et la multiplication d’espaces et d’organisations de coopération aux frontières de l’Europe, cela ne va pas sans soulever des contradictions, à commencer par celles générées par cette « institutionnalisation sans institution », alors même que le droit européen ouvre de nouvelles perspectives de structuration juridique pour les organisations de coopération territoriale.

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Le Conseil de l’Europe et les outils juridiques de la coopération transfrontalière

17 Alors que l’idée de la coopération entre autorités territoriales – ou coopération territoriale, dont la coopération transfrontalière est une des principales modalités – a été initiée et promue par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne a quant à elle été le cadre d’un apprentissage concret, notamment par la mise en place de programmes et de financements spécifiquement dédiés : « Transcender les frontières reste, en fait, un leitmotiv des politiques européennes, même après quarante ans d’intégration progressive des États-nations »14.

18 De manière générale, le positionnement du Conseil de l’Europe en faveur de la coopération territoriale peut être attribué aux interactions qui existent entre, d’une part, la défense des identités locales, régionales ou minoritaires, et, d’autre part, l’affirmation des pouvoirs infra-étatiques comme leviers des processus de démocratisation15.

19 Dans ce contexte, l’élément principal de l’action du Conseil de l’Europe est la mise en place de la convention-cadre européenne sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, dite convention de Madrid, ouverte à la signature le 21 mai 1980 et entrée en vigueur le 22 décembre 1981 16. Quarante ans plus tard, près de 76 % des quarante-sept États-membres du Conseil de l’Europe ont ratifié cette convention. Parmi les protocoles additionnels progressivement annexés à la convention – obligations légales des États en 1995, coopération entre territoires non contigus en 1998 –, le troisième et dernier en date ouvre de nouvelles perspectives d’évolution de la coopération. Présenté lors de la réunion ministérielle d’Utrecht en novembre 2009, il vise à l’établissement d’un instrument juridique de coopération commun : le Groupement eurorégional de coopération (GEC)17.

20 Ce nouvel outil doit composer avec le statut juridique de Groupement européen de coopération territoriale (GECT), créé auparavant dans l’Union européenne par règlement communautaire du 5 juillet 2006 (CE no 1082/2006) et dont il est un équivalent18. Si le GECT vise à remédier à l’hétérogénéité des régimes nationaux applicables aux autorités de gestion des financements de l’Union européenne, le GEC possède un champ d’action élargi au-delà du cadre spécifique des programmes communautaires. Sa structure peut se révéler utile pour la coopération avec des collectivités de pays membres du Conseil de l’Europe au-delà de la seule Union européenne.

21 Le Conseil de l’Europe affirme régulièrement son soutien à la coopération transfrontalière et eurorégionale comme dans certains articles de la Charte européenne de l’autonomie locale de 1985, ou encore à travers de nombreuses déclarations politiques telles les conférences qui, depuis 1972, réunissent tous les quatre ans les régions frontalières de la grande Europe. L’action du Conseil de l’Europe reste incitative et non contraignante. Elle a de ce fait une portée limitée qui relativise d’autant sa dimension innovante. Ainsi, la base de données Matching Opportunities for Regions in Europe (MORE), mise en place fin 2008 pour permettre la recherche de partenaires, le partage des expériences et des bonnes pratiques de coopération, a dû être désactivée faute de trouver un administrateur permanent. En cela, le Conseil de l’Europe ne fait que correspondre au « profil type » de la plupart des organisations internationales, dont les actions, procédant d’un compromis entre États souverains, ont souvent une

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portée plus symbolique qu’opérationnelle. Ceci étant, les retombées potentielles de telles actions ne sont pas à négliger, pas plus que la capacité de ces organisations à se saisir de questions de manière parfois avant-gardiste.

22 La défense d’instruments juridiques stables semble même avoir tellement porté ses fruits que la création du GECT par l’Union européenne a, comme on l’a vu, devancé celle du GEC par le Conseil de l’Europe. L’Union européenne semble avoir pris de court le Conseil de l’Europe, ce dernier n’ayant été informé qu’a posteriori du projet de GECT. La mise en place du GEC pourrait signaler une certaine convergence des fonctions entre ces organisations – traditionnellement partagées entre régulation juridique pour le Conseil et dynamisation de la pratique de coopération pour l’Union, à travers notamment les programmes communautaires de coopération territoriale.

Union européenne : des orientations politiques relayées par des financements

23 Dans la dernière décennie, les coopérations interrégionales, dans toutes leurs formes, ont connu un succès sans précédent et l’UE a contribué à ce succès de manière active et convaincue, surtout à travers la politique de cohésion communautaire qui a favorisé et promu les relations de coopérations entre régions en mettant le partenariat horizontal au centre de ses instruments et procédures. Cette attention croissante envers les rapports interrégionaux s’est affirmée de manière progressive dans les périodes successives de programmation de la politique régionale et des fonds structurels, mais elle a été particulièrement accentuée à partir de la troisième programmation (2000-2006) et dans la phase de lancement de la quatrième (2007-2013), avec la nouvelle politique de cohésion suivie à l’entrée des dix nouveaux États-membres.

24 D’un point de vue théorique, s’il est indubitable que le phénomène des coopérations peut être inséré dans un débat plus ample sur les réseaux européens, les policy networks et la networked governance, il est également vrai que, dans la perspective ici utilisée, l’européanisation est certainement le cadre conceptuel le plus approprié. L’européanisation, désormais de plus en plus décisive dans la vie politique des États- membres et leurs structures politico-administratives, se fait en effet aussi sentir dans des pratiques, comme les relations interrégionales, désormais consolidées depuis longtemps et carrément conçues de façon indépendante à la sphère communautaire. Elle leur a fait en outre adopter des caractéristiques partiellement différentes par rapport au passé : en substance, l’intérêt de l’UE pour ces pratiques a réduit la variété de coopérations interrégionales effectivement mises en pratique, mais, en même temps, elle en a renforcé les traits. Tâchons d’éclaircir ce point. L’attention de l’UE a réduit la variété des coopérations interrégionales dans le sens que les relations que l’Europe a favorisées dans ces dernières années ne représentent pas toutes les possibles occurrences de coopérations, mais seulement certaines d’entre elles, en particulier les partenariats. La raison réside dans le caractère plus concret et plus réel de la mise en œuvre de ces derniers : les partenariats sont des liens entre régions caractérisés par un certain degré de formalisation des rapports ou au moins par une habitude de relations étroites et directes entre les partenaires. Avec la conséquence que d’autres formes de coopération, comme les jumelages, les échanges, etc., tout en continuant à exister, sont cependant considérées avec moins d’attention de la part des régions parce que privées

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du soutien communautaire explicite, ce qui signifie aussi des flux de financement moins importants.

25 En même temps, cependant, pour les coopérations aussi, comme dans tous les cadres dans lesquels elle intervient, l’UE a enclenché un processus de standardisation, en imposant des traits communs et des procédures partagées, délimitant les options pour toutes les régions et assujettissant la nature des coopérations à certains lieux communautaires, de type opérationnel et financier, établis auparavant de manière plutôt autonome par les régions impliquées. Avec ce résultat que les partenariats, ces dernières années, se forment, opèrent et se perpétuent selon des pratiques désormais clairement définies et plutôt uniformes.

26 Entrons plus dans le détail.

27 En 1999, l’Union européenne a adopté un Schéma de développement de l’espace communautaire (SDEC), dont l’objectif principal était d’atteindre un développement spatial polycentrique, c’est-à-dire équilibré et réparti entre plusieurs centres complémentaires19. Dans cette optique, la coopération territoriale apparaît comme un levier important. La terminologie communautaire distingue trois formes de coopération : transfrontalière, interterritoriale ou interrégionale entre territoires non contigus et transnationale au sein de macro-régions prédéfinies telles que l’arc atlantique. La coopération au sein de régions virtuelles transnationales a notamment pour but de matérialiser l’Union européenne comme continuum territorial et d’instiller un sentiment d’identité et de citoyenneté européenne20. De telles orientations se retrouvent dans l’agenda territorial de l’Union européenne adopté en 2007, qui promeut la coopération transnationale, interrégionale et transfrontalière comme un instrument efficace de cohésion territoriale21.

28 Sur le plan opérationnel, la coopération a été lancée par la politique régionale communautaire, deuxième politique distributive après la politique agricole commune. Renforcée à partir de l’Acte unique européen de 1987 22, elle vise la cohésion économique et sociale des territoires de l’Union et la réduction des inégalités de développement qui se sont accentuées au cours des élargissements, notamment les deux derniers de 2004 et 2007. La politique régionale repose sur la distribution par la Commission européenne de dotations financières, issues pour leur majeure partie des fonds structurels, sur la base d’objectifs prédéfinis et dans le cadre de programmes pluriannuels. La Commission complète ses budgets alloués à chaque État d’une répartition indicative par région, qui n’est généralement modifiée qu’à la marge par les pays au cours des négociations.

29 En France, la gestion des fonds structurels est confiée aux préfectures de région et non aux collectivités régionales qui en réclament du reste la décentralisation, à l’instar de nombreux pays d’Europe de l’Ouest. Toujours est-il que le système repose sur une architecture à trois niveaux : 1. L’Union définit les Orientations stratégiques communautaires (OSC) ; 2. Chaque État propose ensuite de les décliner dans un Cadre de référence stratégique national (CRSN) ; 3. Ce CRSN est lui-même détaillé ensuite dans des Programmes opérationnels (PO) régionaux.

30 La coopération a été soutenue principalement via le programme d’initiative communautaire (PIC) INTERREG23. Après une période de test au travers de programmes-

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pilotes en 1989-1990, INTERREG a connu quatre périodes de programmation, des budgets en augmentation constante et s’est révélé être le principal moteur de l’institutionnalisation de la coopération transfrontalière. Ainsi, INTERREG est passé du statut d’outil innovant à celui d’instrument incontournable de l’aménagement du territoire communautaire validant, en quelque sorte, les travaux qui ont abouti à l’adoption du SDEC. Ce programme a progressivement adopté trois axes d’intervention correspondant aux trois formes de coopération établies par la terminologie communautaire, dont la coopération transfrontalière reste la principale modalité. Pour la programmation 2007-2013, la coopération territoriale, toujours déclinée selon trois axes, est devenue un objectif à part entière de la politique régionale, aux côtés des deux autres objectifs de convergence et de compétitivité régionale24. L’évolution, qui s’est accompagnée, comme on l’a vu, de la création d’un instrument juridique dédié : le GECT, témoigne donc d’une montée en puissance de la coopération territoriale, avec l’intégration d’un dispositif développé à la marge de la politique régionale, INTERREG, dans les fonds structurels. Si la coopération territoriale, qui représente 2,5 % du budget total de la politique régionale, peut faire figure de parent pauvre de cette politique, son nouveau statut d’objectif à part entière s’est néanmoins traduit par une augmentation du budget qui lui a été alloué dans la programmation 2007-2013 du budget européen25.

Le rôle des « principales intéressées » : les autorités territoriales ou l’institutionnalisation « par le bas »

31 L’activisme des autorités territoriales en faveur de la coopération s’est traduit par la création de plusieurs structures communes, représentatives de leurs intérêts, qui sont finalement les porte-voix des collectivités membres : l’Association des régions frontalières européennes (ARFE)26, la Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM)27 ou encore l’Assemblée des régions d’Europe (ARE) 28. Ces forums eurorégionalistes ont beaucoup fait pour permettre l’avancée de la coopération territoriale. La CRPM a par exemple contribué à institutionnaliser la voix des collectivités territoriales auprès de la Commission européenne. La reconnaissance par le traité de Maastricht de nouveaux droits pour les autorités territoriales et la création du Comité des régions de l’Union européenne en 1994 sont à mettre au crédit de ces réseaux d’action collective29.

32 Par ailleurs, de nombreux programmes pilotes de coopération ont été initiés à la fin des années 1980, en concertation avec les territoires concernés. Lors de la mise en place de la politique régionale, on a parfois décelé une volonté de « contournement » de la part de la Commission qui tentait d’instaurer un dialogue direct avec les collectivités, ce qui souligne le statut d’acteur à part entière de la gouvernance communautaire que ces dernières ont acquis grâce à leur investissement dans des actions et des réseaux de coopération transeuropéens30.

33 Michael Keating dénombre plus de deux cents « ambassades » régionales à Bruxelles et plusieurs collectivités ont fait le choix de mutualiser leurs structures de représentation auprès des institutions communautaires, traduisant l’importance de la coopération entre collectivités31. Le succès des Open Days, semaine européenne des régions et des villes organisée par la Commission européenne depuis 2003, illustre bien cette tendance32. À cette occasion, des groupements de collectivités ont mené des actions conjointes sous le label Euroregions for territorial cooperation, un type d’action qui,

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d’après certains professionnels, pourrait être amené à se développer dans le cadre de la politique régionale communautaire pour 2014-2021 et de la réforme en discussion du statut de GECT33. Ceci étant, l’action des organisations européennes et des autorités territoriales en faveur de la coopération transfrontalière reste soumise, pour une large part, aux prérogatives des États – que ceux-ci soient centralisés ou fédéraux –, notamment en matière d’action et de relations extérieures.

34 La frontière pose en effet de nombreux problèmes de gestion. Si les entreprises et les sociétés frontalières ont progressivement réussi à franchir les frontières grâce aux différents traités européens, les droits des collectivités restent encore largement contingentés par leurs isolats nationaux respectifs.

L’omniprésence des États

35 La convention de Madrid, un des actes fondateurs de l’institutionnalisation de la coopération transfrontalière, a été dès le départ instrumentalisée par certains États, conditionnant son application à la signature d’accords interétatiques préalables pour encadrer les modalités de la coopération, comme par exemple l’accord de Rome de 1993 entre la France et l’Italie, l’accord de Karlsruhe entre la France, l’Allemagne, le Luxembourg et la Suisse en 1996 ou encore le traité de Valence signé en 2002 entre l’Espagne et le Portugal34. Ainsi, l’action du Conseil de l’Europe doit passer sous les fourches caudines de la diplomatie interétatique, et ce d’autant plus que la coopération transfrontalière relève du domaine des relations extérieures des collectivités, parfois nommé coopération décentralisée ou paradiplomatie, dont les États continuent de déterminer les marges de manœuvre et les conditions de développement. Par conséquent, les droits des collectivités restent encore largement contingentés par leurs isolats nationaux respectifs.

36 Seul un véritable droit transfrontalier et plus largement européen permettrait de formaliser de manière satisfaisante la coopération transfrontalière. Rares sont les lois ou règlements nationaux incitant à la recherche de solutions transfrontalières. En outre, de nombreux règlements nationaux ne sont pas adaptés à des situations frontalières.

37 Le différentiel des attributions et pouvoirs entre collectivités de part et d’autre des frontières génère de nombreuses difficultés, notamment d’ordre administratif : État centralisé ou non, compétences d’État plus ou moins étendues pour certaines collectivités (notamment leur droit aux relations internationales), existence ou absence de notion de tutelle entre collectivités.

38 Même si l’Union européenne fait figure d’organisation intégrée, les États-membres restent des opérateurs incontournables des politiques communautaires. Ils négocient les financements et établissent les cadres de référence stratégique nationaux qui vont déterminer la répartition des fonds et les priorités d’intervention, même si, dans certains États fédéraux ou régionalisés, les autorités sub-étatiques peuvent participer au processus.

39 Souvent et par conséquent, la collaboration transfrontalière vit sans moyens propres ou presque. Concrètement, elle fonctionne aujourd’hui grâce à des sources de financement très ponctuelles :

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• pour les études et l’organisation du dispositif partenarial, grâce à INTERREG et aux contreparties des collectivités territoriales et des États ; • pour ses investissements, principalement par une contribution des partenaires complétée par les financements éligibles à INTERREG.

40 On a même pu constater une certaine reprise en main de la coopération transfrontalière de la part des États entre les programmes INTERREG I et II. Pour la programmation 2007-2013, seules l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Italie et l’Irlande ont affiché une décentralisation intégrale des fonds structurels. En France, pour l’objectif « coopération territoriale », l’État a décentralisé les autorités de gestion des programmes tout en conservant un engagement de ses services déconcentrés avec la désignation de préfets de région coordonnateurs des programmes. Concernant la création de GECT, le règlement communautaire rappelle que les États doivent donner leur accord quant à la participation des membres potentiels sur leurs territoires respectifs. En France, une autorisation préfectorale officialise cette création.

41 D’autre part, certains intérêts nationaux français sont situés de l’autre côté de la frontière. Le développement du Luxembourg, de Monaco et de Genève, villes francophones où siègent des organisations internationales, des banques ou des sociétés multinationales, représente un enjeu aussi important pour la France entière que pour les villes frontières françaises directement concernées. L’implication de l’État est à ce titre une obligation. Mais cette obligation conduit trop souvent à une marginalisation de fait des collectivités locales françaises limitrophes, parfois court-circuitées dans leurs relations de voisinage (exemple de Monaco, ville-État qui a tendance à privilégier le contact direct avec Paris et à négliger l’entretien de relations suivies avec les collectivités françaises frontalières pour régler les problèmes de proximité).

42 De manière générale, les gouvernements centraux gardent la main sur la gouvernance communautaire par l’action du Conseil européen et du Conseil de l’Union européenne, notamment dans un contexte post-élargissement de remontée de l’intergouvernementalisme en Europe. Or, une telle situation n’a pas empêché la montée en puissance de la coopération transfrontalière. Ce sont bien in fine les États qui ont décidé de l’évolution des programmes communautaires. La France, réputée fortement centralisatrice, a largement soutenu la création du GECT.

Entre eurorégions et GECT, quelles perspectives ?

43 Le terme « eurorégion » fait figure d’appellation générique, voire de standard, pour désigner les principaux produits de la coopération territoriale européenne car, même s’il renvoie à plusieurs types de coopérations et de regroupements, ceux-ci présentent, malgré leurs spécificités, des caractéristiques communes35. Ainsi, les eurorégions peuvent être définies comme des organisations européennes de coopération plus ou moins structurées, de part et d’autre d’une frontière, entre des collectivités allant de la commune à la région ou leurs équivalents, associées pour la réalisation d’objectifs et de projets communs en fonction d’intérêts partagés et dans le cadre de « territoires de projets ».

44 Si les premières eurorégions ont été créées le long de la frontière germano- néerlandaise (Euregio en 1958), ces structures se sont multipliées à partir des années 1990 en Europe, ce qui montre que l’apport financier des programmes communautaires

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a été décisif pour l’institutionnalisation de la coopération transfrontalière. De trente- cinq au début des années 1990, on est passé à plus de cent structures pouvant être considérées comme des eurorégions. Or, un tel développement n’est pas sans soulever des contradictions, car le foisonnement d’initiatives est allé de pair avec des statuts institutionnels généralement précaires et peu adaptés, compromettant la durabilité et, par là même, la légitimité des processus et des organisations de coopération36.

45 Les possibilités ouvertes par le GECT et le GEC devraient venir modifier le paysage de la coopération territoriale en Europe, en permettant de dépasser les barrières administratives et juridiques auxquelles les collectivités sont confrontées lors de la mise en œuvre de coopérations. Cette potentialité est à mettre en perspective avec le fait, par exemple, que l’absence de tels instruments transnationaux apparaît comme un « facteur inhibiteur » de la coopération territoriale en Amérique du Nord37. Le GECT, par exemple, possède une capacité juridique reconnue aux personnes morales par les législations nationales et peut agir au nom de ses membres. Une dizaine de GECT ont été mis en place et près d’une vingtaine sont en préparation. Pourtant, malgré une dimension inédite et novatrice, il serait prématuré de considérer ce nouveau statut comme un « statut-miracle »38. Il s’agirait plutôt de raison garder à propos des potentialités et des ressorts de ce nouvel instrument, sans pour autant le dénigrer : Il s’agit, du moins a priori, d’un changement intéressant par rapport à la situation précédente. En tout cas, moyennant cette formule, l’Union tente de répondre, à la fois, à la multiplication des frontières au sein de l’Union européenne consécutif à l’élargissement (plus de 15 000 km) et au besoin de renforcer la coopération avec les régions des nouveaux pays voisins dans le cadre de la politique de voisinage39.

État des lieux de la coopération transfrontalière franco-italienne

46 Dans le contexte transfrontalier, étant donné l’impossibilité d’un gouvernement en tant que tel, il est essentiel de parler de gouvernance : c’est-à-dire d’un dispositif permettant de faire coopérer divers acteurs publics et privés par-delà les frontières. S’intéresser à la gouvernance transfrontalière signifie se poser la question de pérenniser des projets, structurer des actions ponctuelles au sein d’une relation à plus long terme, ou bien se doter d’une stratégie intégrée (ou d’un plan d’actions commun) sur un territoire transfrontalier. Une analyse des rôles des acteurs institutionnels impliqués dans la coopération transfrontalière, en particulier franco-italienne, relève la diversité et le dynamisme des positionnements.

47 Premièrement, les différences d’organisation des systèmes politiques, administratifs et juridiques de part et d’autre des frontières justifient la création de structures de gouvernance avec des configurations très diverses (en termes de composition, de fonctionnement, de missions, d’échelle territoriale, de forme juridique). Deuxièmement, notamment par rapport au cas français, les collectivités assument de plus en plus un rôle moteur dans la coopération, en même temps que l’État est en cours de repositionnement vers un rôle d’accompagnateur des démarches locales.

48 En termes d’échelle territoriale, il est possible d’identifier plusieurs grands types de structures : • Locales (les eurodistricts de la frontière franco-allemande : SaarMoselle, Strasbourg- Ortenau, Regio Pamina, Eurodistrict Trinational de Bâle, Région Freiburg / Centre et

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Sud Alsace ; les agglomérations ou conurbations transfrontalières : Eurométropole Lille-Kortrik-Tournai, Grand Genève, Eurocité basque, etc.) ; • Intermédiaires (Conférence des Alpes franco-italiennes40, coopérations bilatérales départements/provinces/comtés, etc.) ; • Eurorégionales (Alpes-Méditerranée41, Pyrénées-Méditerranée, Aquitaine- Euskadi, etc.) ; • À l’échelle de la frontière (Communauté de travail des Pyrénées).

49 Dans les politiques transfrontalières, le caractère multi-niveaux de la gouvernance est un enjeu important, en raison des différences d’organisation, des asymétries de distribution des compétences et des interdépendances entre différentes thématiques. Il existe ainsi de nombreux exemples de gouvernance multi-niveaux, mais non pas entre France et Italie. Jusqu’à présent, aux frontières françaises et italiennes, les modèles de gouvernance transfrontalière sont essentiellement composés d’acteurs institutionnels de part et d’autre de la frontière. Cependant, l’implication de la société civile et des acteurs privés est un enjeu important42.

Spécificité de la frontière franco-italienne

50 Actuellement, aucune instance permanente, ni dialogue politique bilatéral au niveau des États centraux, ne permet d’aborder les questions de voisinage franco-italien en matière de développement territorial. En effet, la commission intergouvernementale franco-italienne ne s’est plus réunie depuis 1996. Malgré les tentatives de relance au cours des dernières années, les travaux de la CIG n’ont pas été repris. Cependant, une spécificité de cette frontière est l’existence de plusieurs types de coopérations sectorielles. Outre les CIG, le PRES Euro-Méditerranéen43 créé en 2006 se proposait de regrouper les universités de Nice Sophia Antipolis, du Sud Toulon-Var, de Corte, l’université Pierre Marie Curie (Paris-VI) et les universités italiennes de Gênes et Turin.

51 En 2010 a été rédigé un projet pour la création d’un GECT « Euro campus méditerranéen »44 qui est encore en attente d’approbation. Il existe depuis 2009 un réseau des chambres de commerce (CCI ALP-MED), impulsé par la création de l’Eurorégion Alpes-Méditerranée45. Actuellement sous la forme d’une association sans but lucratif (ASBL) de droit belge, ce réseau regroupe les sept CCI régionales françaises et italiennes qui coordonnent 36 CCI territoriales. Enfin, il faut mentionner que l’Eures Transfrontalier Eurazur (constitué en 1995 entre les régions Ligurie et Provence-Alpes- Côte d’Azur) n’existe plus.

52 À l’échelle des régions, celles-ci sont très impliquées dans la coopération transfrontalière, avec toutefois des difficultés de gouvernance et de montage de projets dues à l’asymétrie de compétences, les collectivités italiennes ayant beaucoup plus de pouvoir que leurs équivalents français. Le conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur est très actif dans la coopération franco-italienne, notamment dans le suivi et l’animation du programme ALCOTRA, bien qu’il soit tourné stratégiquement plutôt vers la Méditerranée à l’échelle transnationale du programme MED dont il est autorité de gestion46. Le conseil régional Rhône-Alpes était jusqu’à présent plus orienté sur sa frontière suisse et l’Espace Alpin. Il est cependant partenaire de projets ALCOTRA, contribue à l’animation par le biais d’une gestion déléguée au niveau des départements et soutient les démarches de Plans intégrés transfrontaliers (PIT) via sa politique de CDDRA (contrats de développement durable Rhône-Alpes) dans le cadre du CPER. La

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collectivité territoriale de Corse est impliquée surtout dans la coopération maritime, notamment avec la Sardaigne, avec laquelle elle souhaite signer un accord de coopération bilatérale abordant leur insularité et leur identité commune. Intéressée surtout par les sujets liés à son insularité, elle considère également comme un partenaire pertinent les îles Baléares. Le Piémont a un positionnement stratégique plus large, à l’échelle du massif alpin, concrétisé par un appui fort à l’élaboration d’une macro-stratégie alpine. Par ailleurs, cette région est autorité de gestion du programme ALCOTRA, son interlocuteur français étant la préfecture Provence-Alpes-Côte d’Azur (autorité nationale française). La Vallée d’Aoste a des partenariats privilégiés avec la Haute-Savoie (dont un accord de coopération datant de 2007), la Savoie et, dans une moindre mesure, avec Rhône-Alpes. La Ligurie est à cheval entre les deux programmes franco-italiens, de sorte que ses intérêts sont partagés entre la dynamique ALCOTRA et la dynamique maritime. La Toscane, autorité de gestion du programme Italie-France Maritime, a des relations privilégiées avec la Corse et Provence-Alpes-Côte d’Azur et une orientation stratégique vers la Méditerranée. Enfin, la Sardaigne coopère notamment avec la Corse, sur des enjeux territoriaux communs. Les préfectures françaises sont impliquées dans la coopération de manière variable. La préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est très active et volontariste. Autorité nationale française pour ALCOTRA, elle assure l’instruction des projets en amont du comité de suivi et représente le principal interlocuteur des régions italiennes dans le cadre du programme, laissant les collectivités françaises en retrait. La préfecture Rhône-Alpes est moins active, étant plus orientée vers la frontière suisse. Enfin, la préfecture de Corse se mobilise graduellement dans la coopération, alors qu’en début de période 2007-2013 son implication était minime.

53 À l’échelle des départements, les Français sont très impliqués dans la coopération, notamment au niveau des programmes INTERREG. Le conseil général des Alpes- Maritimes s’intéresse notamment à la coopération dans le domaine des transports, mais semble en retrait face à la montée en puissance des coopérations menées par la métropole niçoise. Les Alpes-de-Haute-Provence, les Hautes-Alpes, la Savoie et la Haute-Savoie contribuent à la coopération notamment autour des domaines clés des politiques de montagne. Les provinces italiennes sont traditionnellement parties prenantes à la coopération, notamment Cuneo et Turin ; mais elles sont soumises à une réorganisation menée dans le cadre de la réforme territoriale en Italie, ce qui affaiblit actuellement leur capacité de coopération.

54 La création de la métropole Nice Côte d’Azur (NCA) en 2011 a renouvelé l’intérêt pour la coopération47. Cependant, bien qu’elle ait une continuité territoriale avec le Piémont de par ses territoires de montagne, la métropole se projette vers la Ligurie et en particulier vers Gênes, avec laquelle NCA a signé en 2011 un protocole de collaboration. Ainsi, des synergies entre fonctions métropolitaines, comme le transport, sont envisagées (complémentarité portuaire et aéroportuaire entre Nice et Gênes)48. Pour la communauté d’agglomération de la Riviera française, la coopération transfrontalière semble moins prioritaire depuis le changement de président en 2008, alors qu’elle avait une relation privilégiée avec Vintimille. La principauté de Monaco est insuffisamment présente dans la coopération impliquant des partenaires régionaux et locaux français et italiens. En effet, en raison de son statut d’État, elle préfère communiquer directement avec le niveau central français. La principauté est quasiment absente du programme ALCOTRA, n’ayant participé qu’aux premiers comités de suivi.

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Fonctionnement d’ensemble du système

Stratégie

55 Il n’y a pas de stratégie de coopération sur l’ensemble de la frontière franco- italienne, les enjeux étant trop hétérogènes et partagés entre les territoires de montagne, de littoral et insulaires. Cependant, cette frontière fait partie de deux réflexions stratégiques macrorégionales autour de la Méditerranée et du Massif alpin. Dans les premières années de l’Eurorégion Alpes-Méditerranée, les régions partenaires ont réalisé un travail d’identification d’axes stratégiques en fonction de leurs intérêts communs et de leurs compétences, qui a débouché sur le développement de six projets stratégiques dans le cadre du programme ALCOTRA. Avec la perte de vitesse de l’Eurorégion, le portage politique de ces réflexions stratégiques a diminué. Au niveau local, plusieurs territoires transfrontaliers, comme l’Espace Mont-Blanc, les Hautes- Vallées, la coopération Alpi Marittime-Mercantour et le Parc marin international des Bouches de Bonifacio, se sont dotés de stratégies territoriales propres, mises en œuvre avec l’aide de financement INTERREG pour partie. Enfin, il faut mentionner les opportunités importantes de développement territorial transfrontalier liées aux futurs axes de transport de la LGV Lyon-Turin, et de la LGV PACA et de son prolongement vers Gênes.

Gouvernance

56 Sur la frontière franco-italienne, la gouvernance de la coopération s’est structurée tant au niveau régional qu’au niveau départemental/provincial et local. L’objectif initial de l’Eurorégion Alpes-Méditerranée était de doter la coopération franco-italienne d’un pilotage politique capable de coordonner, d’une part, les fonds européens, afin qu’ils bénéficient mieux aux territoires ; d’autre part, elle avait vocation à mettre en cohérence les politiques régionales de ses membres (en matière de transports, éducation, culture, tourisme, innovation, montagne). Les cantons suisses n’ont pas souhaité faire partie de l’Eurorégion au moment de sa création, préférant attendre sa stabilisation. Après une phase initiale de développement entre 2006 et 2010, pendant laquelle ont été préparés la création d’un GECT pour l’Eurorégion ainsi que les projets stratégiques du programme ALCOTRA, cette structure de gouvernance est entrée dans une phase ralentie, notamment suite au changement politique en Piémont. Une réunion a eu lieu en février 2012 entre les présidents des régions dans la perspective d’une relance de l’Eurorégion. Au niveau départemental/provincial, la CAFI, précurseur de la coopération franco-italienne, est dans une phase critique de transition, vu le processus de réorganisation des provinces italiennes actuellement en cours. Au niveau local, il existe plusieurs instances de gouvernance impliquant le niveau communal, comme l’Espace Mont-Blanc et les Hautes-Vallées, mais aussi les structures de coopération entre le Parc national du Mercantour et le Parco delle Alpi Marittime, ainsi que celle du Parc marin international des Bouches de Bonifacio.

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Programmes INTERREG 49

57 Les programmes ALCOTRA et Italie-France Maritime constituent l’épine dorsale de la coopération transfrontalière franco-italienne50. Les deux programmes présentent des difficultés liées aux périmètres. Le territoire d’ALCOTRA pose problème étant donné que Turin est dans la zone éligible, alors que deux des pôles majeurs de développement du côté français, Lyon et Marseille, sont hors zone éligible. Leur participation reste restreinte par l’allocation d’un maximum de 20 % des subventions du FEDER du programme, ce qui limite leur implication sur des thèmes comme les pôles de compétitivité ou l’enseignement supérieur. Le programme Italie-France Maritime a un territoire déséquilibré, trop réduit du côté français étant donné qu’il couvre uniquement la Corse. Ainsi, se pose la question de son évolution pour la prochaine période, étant donné le déséquilibre démographique entre la Corse et les régions italiennes et par conséquent le petit nombre de partenaires corses par rapport aux partenaires italiens. Les programmes ont également une gouvernance asymétrique. Dans ALCOTRA, l’État français, et ses représentations en région coordonnées par la préfecture de région Provence-Alpes-Côte d’Azur, assure seul la sélection des projets, alors que du côté italien ce sont les trois régions italiennes qui en ont la charge. Par ailleurs, dans le comité de suivi, seule la préfecture Provence-Alpes-Côte d’Azur est membre français de droit. Néanmoins, les collectivités françaises régionales et départementales ont mis en place des réunions de concertation nommées 3CTI (Comité de coordination et de coopération territoriale interrégionale) afin de construire des positions communes dans le cadre du programme. Enfin, pour Italie-France Maritime, la gouvernance est déséquilibrée étant donné qu’une région française, la Corse, est face à trois régions italiennes (Ligurie, Sardaigne, Toscane) et que la gestion est très centralisée par la Toscane.

58 La principauté de Monaco est le grand absent d’ALCOTRA. De manière générale, se pose aujourd’hui la question de la prolongation et du développement de cette initiative. À l’échelle régionale, la relance de l’Eurorégion Alpes-Méditerranée peut apparaître comme une opportunité afin de permettre un pilotage politique et stratégique fort de la coopération, tandis qu’à l’échelle de la frontière, il semble utile de renforcer une gouvernance impliquant les deux États (y compris du côté français le préfet coordonnateur de massif et le préfet de façade maritime), afin de traiter les thématiques de compétence étatique (transports, sécurité, environnement, etc.) et de façon à explorer les synergies entre la zone terrestre et la zone maritime de cette frontière.

59 Le programme maritime pourrait lui aussi connaître une extension, avec l’élargissement envisagé à la Ligurie et à une partie de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mais se pose la question de la continuité de la coopération entre les îles et avec le continent.

Conclusion

60 La coopération transfrontalière constitue un sujet fascinant et paradoxal à bien des égards. Il s’agit d’une initiative de matrice intergouvernementale, qui obéit aux canons de la politique étrangère et de la diplomatie. La signature d’accords internationaux, bi ou multilatéraux, a permis la mise en place de cette politique. À l’origine, nous

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trouvons donc un acte de souveraineté classique. Cette emprise des États reste forte, qu’elle s’exerce au sein de l’Union européenne ou bien par le biais des représentants qui participent directement aux programmes, avec le rôle des préfectures. Déjà cependant, nous voyons que la fonction diplomatique, celle qui a permis la mise en place de ce cadre, s’efface lors de la mise en place des programmes, et ce alors que les institutions territoriales s’affirment. La diplomatie ne disparaît cependant pas complètement, elle intervient lors des négociations visant à renouveler les tranches de programmes et les budgets alloués au niveau européen. D’autres logiques voient le jour : le dispositif de la coopération transfrontalière semble entrer dans une nouvelle phase d’institutionnalisation, et se pose la question de la capacité des eurorégions à incarner un être institutionnel nouveau, notamment auprès des populations. De plus, les tentatives, même inachevées, de créer des regroupements transfrontaliers (les GECT) font bouger les frontières institutionnelles. La vision de coopération transfrontalière apparaît comme un mécanisme défini par le haut, dont l’initiative est inter-gouvernementale et communautaire, mais elle modifie la réalité des territoires concernés. C’est par exemple le cas dans le contexte franco-italien qui représente un exemple de cette application. Même s’il s’agit d’une initiative relativement récente, nous pouvons constater qu’elle s’est sédimentée auprès des acteurs concernés. Les différentes institutions, parfois pour bénéficier d’effets d’aubaines, se positionnent vis- à-vis des programmes INTERREG. Ces processus de coopération sont désormais acquis, même si leurs finalités ne semblent pas stratégiques. Un autre facteur remarquable de cette coopération tient à son caractère périphérique. Comme nous l’avons évoqué, ce sont les régions frontalières qui sont concernées, et donc des territoires éloignés de Paris ou de Rome. Bien sûr cet éloignement géographique est relatif, mais il contribue également à cette perception d’un effet « aux marges » de la coopération transfrontalière. Les dynamiques politiques et économiques bilatérales passent par les capitales, et les enjeux de ces programmes de voisinage sortent la plupart du temps de la sphère des décideurs nationaux. Ainsi, l’action inter-gouvernementale qui a poussé à la création de ces mécanismes détermine la création partielle de dynamiques endogènes et périphériques qui entendent bien revendiquer leur existence propre par rapport au centre. D’ailleurs les revendications identitaires, celles d’une « communauté de la périphérie », sous-tendent ces différents programmes : le renforcement de l’identité transfrontalière est une constante des motivations officielles des différents programmes51. La question de la spécificité de la politique transfrontalière dans le cadre franco-italien se pose donc. Même si le discours de renforcement d’une identité transfrontalière est clamé haut et fort, l’importance du cadre normatif européen décrit dans cet article illustre un concept finalement européen et théorique (la volonté d’effacer ou de gommer les frontières) dont les instruments d’applications sont homogènes d’une frontière intra-européenne à l’autre. Ainsi nous pourrions être tentés de relever les effets relativement marginaux dans le contexte franco-italien. Mais le diable se cache dans les détails, et il nous faut observer que la création d’une identité aux marges de ces deux États-membres, pour autant marginale qu’elle soit, n’est pas dénuée d’effets. Elle représente un indicateur de l’européanisation des institutions territoriales. Mais surtout, elle forge un discours d’identité qui vient se superposer à celles déjà existantes, mais qui renouvelle aussi le maillage territorial. Nous pouvons donc formuler l’hypothèse d’une singularité naissante de l’identité transfrontalière franco-italienne, qui ne peut qu’être partiellement reconduite aux dynamiques franco- espagnoles ou franco-allemandes, pour citer certains des exemples les plus importants

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en matière de coopération transfrontalière. La coopération transfrontalière contribue donc à renouveler les relations entre la France et l’Italie, une dynamique qui représente un terrain stimulant pour des recherches ultérieures.

NOTES

1. Eric Philippart, « Le comité des régions confronté à la “paradiplomatie” des régions de l’Union européenne », dans Jacques Bourrinet (dir.), Le Comité des régions de l’Union européenne, Paris, Economica, 1997, p. 6-13. On verra également Kepa Sodupe « The European Union and Inter- regional Co-operation », Regional and Federal Studies, vol. 9, no 1, 1999, p. 58-80. 2. Marcus Perkmann et Ngai-Ling Sum, Globalization, Regionalization and Cross-border Regions, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2002, 280 p. 3. James Anderson, Liam O’Dowd et Thomas M. Wilson, New Borders for a Changing Europe. Cross- Border Cooperation and Governance, Londres, Frank Cass Publishers, Cass Series in Regional and Federal Studies, 2003, 208 p. 4. Ibid. 5. Kenichi Ohmae, De l’État-nation aux États-régions, Paris, Dunod, 1996, 214 p. 6. Jean-Philippe Leresche et Guy Saez, « Identités territoriales et régimes politiques de la frontière », Pôle Sud, no 7, 1997, p. 27-47. 7. On verra Denis De Rougemont, Lettre ouverte aux Européens, Paris, Albin Michel, 1970, 214 p. 8. Malcolm Anderson (éd.), Frontier Regions in Western Europe, Londres, Frank Cass & Company, 1983. 9. Francesco Morata, « Euroregions i integració europea », Documents d’Anàlisi Geogràfica, vol. 56, no 1, 2010, p. 41-56. 10. Christel Alvergne et Pierre Musso, Les grands textes de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, Paris, La Documentation française, 2003, 399 p. 11. Patrice Caro, Olivier Dard et Jean-Claude Daumas, La politique d’aménagement du territoire. Racines, logiques et résultats, Rennes, PUR, coll. « Espace et Territoires », 2002, p. 65-77. 12. Andreas Faludi, European Spatial Planning, Cambridge (.), Lincoln institute of land policy, 2002, p. 237. On verra également Andreas Faludi, « Territorial cohesion : old (French) wine in new bottles ? », Urban Studies, vol. 41, no 7, 2004, p. 1349-1365. Voir aussi Guy Baudelle et Klaus R. Kunzmann, « Regards croisés sur l’aménagement du territoire en France et en Allemagne », ESO, no 22, 2004, p. 69-77, http://eso.cnrs.fr/TELECHARGEMENTS/revue/ESO_22/ Baudelle_Kunzmann.pdf, consulté le 10 décembre 2013. 13. Markus Perkmann, « Policy entrepreneurship and multilevel governance : a comparative study of European cross-border regions », Environment and Planning C : Government and Policy, vol. 25, no 6, 2007, p. 861-879. 14. James Wesley Scott, « A networked space of meaning ? Spatial politics as geostrategies of European integration », Space & Polity, vol. 6, no 2, 2002, p. 147-167. 15. Malcolm Anderson (éd.), Frontier Regions…, op. cit. 16. http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/106.htm, page consultée le 10 décembre 2013.

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17. On verra Jean-Claude Guibal, no 3996 et no 4002, Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, 22 novembre 2011, Paris, Assemblée nationale, 2011, 35 p., http:// www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rapports/r3996.pdf, page consultée le 13 mars 2014. 18. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32006R1082:FR:NOT, page consultée le 10 décembre 2013. On verra également http://europa.eu/legislation_summaries/ agriculture/general_framework/g24235_fr.htm, page consultée le 8 décembre 2013. 19. http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/reports/pdf/sum_fr.pdf, page consultée le 10 décembre 2013. 20. James Welsley Scott, « A networked space of meaning… », art. cit. 21. http://www.europarl.europa.eu/webnp/webdav/users/jribot/public/JCM%20REGI%202009/ Territorial%20Agenda.FR.pdf, page consultée le 10 décembre 2013. 22. http://europa.eu/legislation_summaries/institutional_affairs/treaties/ treaties_singleact_fr.htm, page consultée le 10 décembre 2013. 23. http://www.interact-eu.net/interreg/interreg/342/5898, page consultée le 10 décembre 2013. 24. http://ec.europa.eu/regional_policy/cooperate/cooperation/index_en.cfm, page consultée le 10 décembre 2014. 25. Id. 26. http://www.aebr.eu/fr/, page consultée le 17 septembre 2013. 27. http://www.crpm.org/fr/, page consultée le 17 septembre 2013. 28. http://www.aer.eu/fr/, page consultée le 17 septembre 2013. 29. Paul Alliés, « L’Eurorégionalisme ou “l’Europe d’en bas” ? Les valeurs heuristiques de la notion d’Eurorégion », Pouvoirs locaux, no 72, 2007, p. 127-132. 30. Silvia Bolgherini et Christophe Roux, « Les régions d’Europe et l’enjeu des coopérations », Pôle Sud, no 29, 2008, p. 111-130. 31. Michael Keating, « Paradiplomacia y consitución de redes regionales », Revista Valenciana de Estudios Autonómicos, no 36, 2001, p. 39-50. 32. http://ec.europa.eu/regional_policy/conferences/od2014/about_od.cfm, page consultée le 13 mars 2014. 33. http://euroalert.net/en/news.aspx?idn=13768, page consultée le 12 mars 2014. 34. http://conventions.coe.int/Treaty/FR/treaties/html/106.htm, page consultée le 6 juillet 2013. 35. On verra Thomas Perrin, « Eurorégions, eurorégionalisme et construction de l’Europe “aux frontières” », dans Yves Denéchère et Marie-Bénédicte Vincent (dir.), Vivre et construire l’Europe à l’échelle territoriale de 1945 à nos jours, Bruxelles, Bern, Berlin etc., Peter Lang, 2010, p. 175-190. On verra également Franscesc Morata, « Euroregions i integració europea », art. cit. 36. Henri Comte et Nicolas Levrat, Aux coutures de l’Europe : défis et enjeux juridiques de la coopération transfrontalière, Paris, L’Harmattan, 2006, 366 p. 37. Michael Keating, « Paradiplomacia y consitución… », art. cit., p. 8. 38. Nicolas Kada, « L’eurorégion : un statut avantageux ou un cadre contraignant pour la coopération transfrontalière », dans Les entretiens du transfrontalier. Expertise collective des territoires transfrontaliers en Europe. Actes et synthèse des rencontres 2005-2006-2007, sous la direction de Michel Casteigts, http://www.espaces-transfrontaliers.org/fileadmin/user_upload/ documents/Evenements_MOT/actes_ENTRETIENS-DU-TRANSFRONTALIER.pdf (Actes des 3es entretiens du transfrontalier, Eurocité basque, 13 et 14 décembre 2007), p. 250-256. 39. Franscesc Morata, « Préface », dans Bruno Dupeyron, L’Europe au défi de ses régions transfrontalières. Expériences rhénane et pyrénéenne, Bern, Peter Lang, 2008, p. 3. 40. http://www.cafiweb.eu/, page consultée le 8 décembre 2013. 41. http://medalp.eu/fr/, page consultée le 8 décembre 2013. 42. http://www.espaces-transfrontaliers.org/fr/, page consultée le 16 janvier 2014.

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43. http://unice.fr/pres, page consultée le 12 juillet 2013. 44. http://etudiants.nice.fr/creation-du-gect-euro-campus,438.html, page consultée le 12 juillet 2013. 45. http://www.ccialpmed.eu/, page consultée le 16 janvier 2014. 46. http://www.interreg-alcotra.org/2007-2013/?lang=fr, page consultée le 10 décembre 2013. 47. http://www.nicecotedazur.org/, page consultée le 13 octobre 2013. 48. On verra « La métropole Nice Côte d’Azur », L’actualité transfrontalière, no 76, février 2012, http://www.espaces-transfrontaliers.org/fileadmin/user_upload/documents/Newsletter/ FR_NL76_2012_02.pdf, consulté en ligne le 15 janvier 2014. 49. http://www.interreg-alcotra.org, page consultée le 10 septembre 2013. 50. http://www.maritimeit-fr.net/, page consultée le 10 septembre 2013. 51. On verra http://www.interreg-alcotra.org/pages.asp?p=08&lang=it, page consultée le 15 janvier 2014.

RÉSUMÉS

Les coopérations interrégionales connaissent une croissance depuis les années 50 : elles constituent aujourd’hui un trait central de la politique de cohésion communautaire. Cet article analyse les principaux aspects des instruments de cohésion et de coopération transfrontalière en tâchant d’identifier le rôle et la dynamique des acteurs dans ce processus. Aujourd’hui, la construction communautaire modifie en profondeur les modalités de l’action publique sur les territoires. Elle conduit d’abord à coordonner les politiques des États membres sur la base d’objectifs partagés. La politique de cohésion renforce aussi le besoin d’une gouvernance multiniveaux associant l’Union européenne, les États et les régions. Les espaces de coopération transnationale illustrent parfaitement ce partage croissant des politiques territoriales entre de nouveaux acteurs, évolution qui modifie le monopole traditionnel de l’État aménageur. Le cas franco-italien nous permet de nous interroger à la fois sur la portée européenne mais aussi la spécificité régionale de cette coopération.

Interregional cooperation has steadily increased during the last fifty years, achieving a central position in the process of European Union (EU) cohesion. This article analyzes the principal instruments of cohesion and cross-border cooperation so as to identify the roles and dynamics of the relevant actors. The construction of the EU has had a significant impact on public policy management in its territories, leading to a need for coordination among member states on the basis of shared objectives. Cohesion policy also reinforces the need for multilevel governance involving the EU, states and regions. Transnational cooperation perfectly illustrates this tendency to share territorial policies among new players, a trend that modifies the traditional monopoly of states. The Franco-Italian case offers an opportunity to study both European trends as well as regional specificities of cooperation.

INDEX

Keywords : European Union, France, Italy, cross-border cooperation, regions Mots-clés : Union européenne, France, Italie, Coopération transfrontalière, Régions

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AUTEUR

MARIA CHIARA SERENO Maria Chiara Sereno est doctorante en civilisation italienne au Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine de l’université Nice Sophia Antipolis. Sa thèse porte sur les « Parcs naturels d’Italie et coopération transfrontalière : la question de l’identité collective dans l’espace franco-italien : la question de l’identité collective dans l’espace franco-italien ». Après son baccalauréat en Italie, elle a effectué tout son parcours universitaire à l’université de Nice. C’est par le biais d’un DEA politiques européennes comparées qu’elle a commencé à traiter le sujet de la coopération transfrontalière. Elle a ensuite poursuivi une carrière internationale au sein de multinationales ainsi que dans le domaine de la formation. Elle est chargée de cours dans le Master 2 Pro langues et affaires internationales, relations franco-italiennes à l’université de Nice. Ses recherches portent sur la transformation de l’identité franco-italienne dans le cadre des coopérations transfrontalières. [email protected]

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Sources et documents

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Institutions, commerce et société dans un port méditerranéen. Livourne dans les papiers du consulat d’Espagne (1884)

Marcella Aglietti Traduction : Silvia Marzagalli

NOTE DE L'AUTEUR

Cet article s’inscrit dans le cadre des activités du projet de recherche HAR2010-16680, financé par le Ministerio de Ciencia e Innovación de España (2011-2013) et dirigé par Fernando García Sanz. Je tiens à remercier le personnel de l’Archivo del Congreso de los Diputados et de la Biblioteca del Congreso de los Diputados de Madrid et, tout particulièrement, le responsable du Servicio de Información Bibliográfica, Javier Plaza Bravo, pour son soutien et sa compétence dans la recherche des données. Je remercie enfin Silvia Marzagalli, qui s’est chargée de la traduction de cet article depuis l’italien, et Maria Ghazali qui a assuré la traduction des citations depuis l’espagnol.

Le consulat espagnol à Livourne : son institution et son rôle

1 Le Conseil d’État du Royaume d’Espagne entame une réflexion quant à l’opportunité d’ouvrir un consulat à Livourne dès 1606, lorsque l’escale maritime toscane obtient du grand-duc Ferdinand I de Médicis le statut de ville et est pourvue des institutions et infrastructures nécessaires pour permettre le développement de ce qui deviendra l’un des principaux ports de la péninsule italienne1. Le projet prend partiellement corps en 1658, lorsque l’Espagne confie la protection des intérêts espagnols au Toscan Antonio Borgi2, déjà élu consul par la nation napolitaine3, mais ne se réalise complètement qu’en

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1677 avec la nomination d’Andrés de Silva, d’origine portugaise, mais sujet fidèle du souverain d’Espagne4.

2 La monarchie des Habsbourg souhaite avant tout s’assurer d’un point d’observation et de contrôle fiable dans un lieu stratégique à plusieurs égards. En effet, Livourne offre tout d’abord la possibilité de garder un œil sur les dynamiques politiques agitées, caractéristiques de l’Italie centrale, la partie septentrionale de la mer Tyrrhénienne, et l’ensemble des États et principautés environnants5. En second lieu, cela permet aussi de surveiller directement le grand-duché de Toscane et sa fidélité, surtout lorsque les sympathies autour des Médicis se tournent de manière de plus en plus insistante vers le trône de France plutôt que vers celui de Madrid6.

3 Au-delà des raisons politiques, il y a par ailleurs des objectifs significatifs de nature commerciale. Les réseaux marchands espagnols profitent des opportunités offertes par Livourne, port d’entrepôt et de transit devenu entre le XVIIe et le XVIIIe siècle un centre névralgique en Méditerranée et une base pour les compagnies de commerce internationales les plus dynamiques, y compris, grâce à la politique de tolérance religieuse des Médicis, des compagnies juives7. En 1749 encore, lorsque Madrid promulgue l’un des plus importants règlements pour réformer l’institution consulaire et fixer le nombre des sièges à l’étranger, la ville toscane est comprise parmi les dix- neuf postes prévus, et est l’un des rares postes – avec Londres, Lisbonne, Gênes, Hambourg et Marseille – à être pourvu d’un titulaire8.

4 Le consulat d’Espagne à Livourne demeure fermement entre les mains de la famille de Silva jusqu’au début du XIXe siècle. Par la suite, le siège subit plusieurs vicissitudes, pas tellement à cause de la crise économique subie par le port toscan au début du siècle9, mais plutôt en raison des contrecoups des guerres napoléoniennes, de l’instabilité et des turbulences qui caractérisent l’histoire politique espagnole bien au-delà du milieu du siècle, ainsi que des transformations et réformes de l’institution consulaire au sein du système administratif espagnol. La période allant jusqu’à la décennie qui précède l’annexion du grand-duché au royaume de Sardaigne – qui voit Antonio María Balaguer de Irujo occuper le poste de consul à Livourne de 1849 au mois de juin 1864 10 – est donc marquée par de fréquents changements et de nouvelles nominations, qui dépendent souvent des résultats des procès d’épuration (purificación) destinés à attester de la fidélité des titulaires au régime de Madrid.

5 Bien que l’unité italienne se réalise dans une hostilité mutuelle entre les cours de Madrid et de Turin11, l’Espagne demande et obtient le renouvellement de l’exequatur pour son consul dès 1860 12. Dans la nouvelle configuration géopolitique, le port de Livourne ne représente toutefois plus l’escale principale d’un État comme au temps du grand-duché, ce qui entraîne son déclassement de la première à la seconde classe par décision du 27 septembre 1866 13, cédant la place au siège de Gênes.

6 Dans les années suivantes, les consuls espagnols qui se trouvent en poste à Livourne expriment des positions pour le moins critiques, si ce n’est ouvertement hostiles, vis-à- vis des mesures économiques adoptées par le gouvernement des Savoie. La correspondance du consul Antonio de Dominé, qui succède à Balaguer, est à cet égard significative. Ce consul enregistre l’insatisfaction et les difficultés qui font suite à la première abolition de toutes les franchises et privilèges dont avait bénéficié la ville depuis plus de deux siècles et demi, puis à la suppression du port franc, décrétée en 1865 et réalisée en 1868 14.

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Discipliner l’obligation d’information : les rapports sur le commerce des consuls espagnols à Livourne

7 Les consuls ont toujours eu, parmi leurs prérogatives institutionnelles, celle d’envoyer à leurs tutelles des informations sur leur lieu de résidence. Avec le temps, et de plus en plus au XVIIIe siècle, la volonté de rendre ce flux d’informations plus conforme aux exigences d’une structure administrative en expansion porte Madrid à demander à ses consuls à l’étranger de collecter et de transmettre des informations selon des modalités davantage standardisées et homogènes. En l’été 1797, le Premier ministre Manuel Godoy, sur ordre du souverain, indique aux consuls espagnols dans les principaux postes en Méditerranée les contenus qu’il fallait collecter en vue de l’élaboration d’un premier mémorial sur le commerce d’Espagne. Ils doivent comporter des précisions sur la législation maritime et douanière en vigueur dans leur résidence et surtout, la formulation de suggestions utiles pour accroître les trafics avec la mère-patrie. L’initiative s’inscrit dans la tentative de trouver de nouveaux marchés et répondre ainsi à la paralysie du commerce atlantique suite au blocus du port de Cadix après la défaite de la flotte espagnole contre les forces navales anglaises au Cap Saint-Vincent (le 14 février 1797), et à la chute dramatique des valeurs des importations et des exportations entre la péninsule Ibérique et l’Amérique latine15. Depuis Livourne, le consul Manuel de Silva met ainsi en évidence que les circonstances si critiques du conflit portent surtout préjudice au commerce génois, qui détenait jusque-là un monopole presque incontesté sur les mouvements commerciaux en provenance et à destination de l’Espagne grâce à l’action de ses maisons de négoce dans les principaux ports ibériques ; Madrid doit ainsi, à son avis, profiter de l’occasion pour établir une « factorerie, dans le but de donner plus de débouchés à nos productions » dans le port toscan, lieu jugé comme très favorable « autant par sa position avantageuse et par le grand commerce qu’il fait chaque jour avec le Levant, que du fait qu’il est port franc », et qui « de par ses relations commerciales » pourrait devenir « aussi utile, voire plus, que tout autre port de la Méditerranée »16. La suite des événements ne permet pas la concrétisation de ce projet, qui réveille néanmoins l’intérêt de la cour quant à la possibilité de faire de Livourne le centre du commerce espagnol en Méditerranée, comme Hambourg l’est déjà dans les routes du Nord17.

8 Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, toujours dans le but d’uniformiser l’envoi des informations, le gouvernement espagnol prend des dispositions encore plus détaillées pour réglementer les relations consulaires sur l’état du commerce et de la navigation, qui sont encore trop peu uniformes en raison de l’influence des innombrables variables dépendantes de la spécificité du poste ou de l’efficacité et des capacités du personnel préposé à leur rédaction. Les dossiers – rédigés annuellement et envoyés au consul général, qui les transmet au ministère d’État (Ministerio de Estado)18 –, doivent traiter en particulier de : la réalisation des nouveaux phares19, les découvertes, inventions ou la publication d’ouvrages importants ; le détail des marchandises importées et exportées, le nombre de navires marchands entrés et sortis dans le port de résidence aussi bien pour ce qui concerne les autres États que pour ceux en provenance et à destination de l’Espagne, accompagné des variations éventuelles par rapport aux années antérieures20 ; l’état de l’industrie manufacturière locale, en mettant en évidence ses potentialités et ses difficultés, avec toute autre indication sur la richesse du pays et son évolution. Plus généralement, le consul devait signaler tout élément

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utile pour accroître les activités commerciales, marchandes, industrielles et agricoles de la mère patrie21, voire pour favoriser le développement du territoire de l’Espagne ainsi que de toutes les activités et biens espagnols à l’étranger22.

9 Les effets de ces réformes se mesurent aussi sur la documentation produite par les consuls espagnols à Livourne. Leurs fonctions subissent un processus détectable de bureaucratisation et, pour ce qui concerne les activités d’information, ils se conforment aux exigences accrues de normalisation administrative qui affectent tous les sièges consulaires sans distinction. L’analyse et la promotion des échanges et du commerce avec l’Espagne, en particulier, devient l’objet principal des correspondances du consul Balaguer de Irujo après l’adoption de ces mesures, et cela en dépit du fait que la ville demeure un point important de collecte de nouvelles de nature politique qui sont de grand intérêt pour Madrid, portant aussi bien sur les mouvements nationaux du Risorgimento, que sur les groupes révolutionnaires anti-Bourbons qui agissent sur la scène européenne. On observe le même phénomène avec son successeur, Antonio de Dominé : rédacteur ponctuel de rapports sur le commerce et la navigation, il ne promeut que de manière secondaire, et en secret, d’efficaces opérations d’espionnage au sein de nombreux groupes révolutionnaires qui trouvent un point d’ancrage dans le port toscan23.

10 Les relations sur la navigation et les trafics commerciaux entre l’Espagne et les différents sièges consulaires constituent une documentation de grande importance stratégique, au point qu’en 1852 Madrid en vient même à interdire expressément aux consuls de les publier sous une forme quelconque24. Quelques années à peine plus tard, toutefois, une bonne partie de ces mémoires sont finalement publiés dans la Gaceta de Madrid, vraisemblablement après avoir été opportunément contrôlés. Le 26 novembre 1875, les ministères d’État et des Finances décident enfin de confier la gestion des mémoires consulaires sur le commerce à la Direction générale des douanes (Dirección General de Aduanas) qui en organise la publication dans des volumes collectifs, après une révision effectuée par le Ministère d’État. Entre-temps, les consuls ont reçu ordre de rédiger des relations plus amples, suivant un nouveau format bien détaillé, qui comprend : une analyse exacte des conditions des secteurs agricoles, industriels et du commerce du district, aussi bien en général, que par rapport à l’Espagne ; les données sur les quantités de transactions économiques effectuées et sur les modalités visant à les encourager ou à dépasser les obstacles éventuels, y compris par rapport à la législation douanière et fiscale en vigueur ; la liste des principaux produits manufacturiers et matières premières présents, importés et exportés, en marquant l’évolution des prix et en vérifiant s’il est possible d’entamer des échanges avantageux avec le marché espagnol ou si ces produits entrent, au contraire, en concurrence avec lui25.

11 En dépit de l’indéniable effort de réglementation visant à discipliner cette activité informative, le ministère est encore obligé en juillet 1882 de réitérer à tous les agents consulaires l’obligation de rédiger ces rapports exhaustifs sur la réalité économique de leur district sans se contenter, comme le font la plupart d’entre eux, d’envoyer une simple compilation des données statistiques enregistrées dans l’année26.

12 La loi organique du 14 mai 1883 et le règlement d’application du 23 juillet suivant apportent des réformes nouvelles et importantes au système consulaire, confirmant pour l’essentiel ce que nous avons déjà observé quant à l’importance des activités d’information en matière de commerce. À l’été 1885, dans les pages de la revue

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spécialisée Archivo Diplomático y Consular de España, est publié un article qui compare le système consulaire espagnol au système français. En France, y lit-on, l’appareil consulaire repose sur deux types de consuls : les consuls « envoyés » et ceux « non- envoyés ». Dans la première catégorie, à laquelle on reconnaît le caractère diplomatique et de ministre public, rentrent ceux qui répondent aux trois conditions suivantes : avoir la nationalité de l’État dont ils sont les émissaires, recevoir une rémunération directe ou indirecte pour le service rendu, et ne pas s’occuper de commerce. Le non-respect de l’une de ces conditions comporte la perte immédiate de la charge, ou le fait de devenir un consul « non-envoyé ». Tous les privilèges octroyés aux seuls consuls « envoyés » dérivent de cette distinction. L’auteur est convaincu aussi bien de l’utilité de la condition de nationalité – car il lui semble improbable qu’un étranger puisse aimer un autre pays autant que le sien – que de l’interdiction de s’adonner à des activités commerciales, comme garantie de l’indépendance et de l’impartialité du consul, lui évitant ainsi de courir le risque de devoir choisir entre ses propres intérêts et ceux de l’État qu’il représente.

13 « Chaque jour les affaires qui incombent au personnel consulaire augmentent. Parmi lesquelles, vu l’esprit de notre siècle, se détache la promotion du commerce national » 27, ajoute-t-il, ce qui entraîne la nécessité de donner au personnel consulaire espagnol une formation adéquate en matière commerciale, politique et juridique, comme cela est prévu par le cursus au sein de la carrière française, de prévoir des nominations plus longues sur un même poste afin de permettre une meilleure connaissance du lieu et de ses caractéristiques. La question la plus intéressante par rapport à notre objet d’analyse, toutefois, réside dans l’attention que le rédacteur anonyme de cet article consacre aux relations des consuls. À ce propos, en effet, il dénonce non seulement des affectations trop courtes pour permettre au consul de comprendre correctement la réalité environnante, mais surtout une formation technique inadéquate, notamment en matière de statistique, qui rend donc lourde la collecte des données et expose aisément leurs rapports à des erreurs et inexactitudes. Pour que les rapports ou mémoires de commerce puissent être rédigés convenablement, il faut que le consul connaisse de manière détaillée une partie des données, que l’on n’obtient ni en peu de mois, ni même en peu d’années. Il ne faut pas oublier – et c’est là notre avis – que dans beaucoup de pays, en commençant par l’Espagne, la statistique est une science inconnue. Les Gouvernements ne savent même pas ce que l’on produit ni combien l’on produit, ce que l’on vend ni combien l’on vend. Le résultat est que les recherches et les démarches des consuls ne peuvent être que très laborieuses, et que parfois il leur est même impossible de les mener à bien avec bonheur28.

14 En dépit des limites énoncées, les consuls espagnols en poste à l’étranger se chargent, avec une régularité louable, d’étendre les relations commerciales pourvues d’un grand intérêt économique ou d’importance stratégique pour le développement national : un travail en revanche inconnu de la plupart d’entre eux, qui n’est ni reconnu au niveau du salaire, ni pris le moins du monde en compte pour faciliter la progression de carrière de ceux qui montrent des talents analytiques supérieurs : Et puisque nous y sommes, nous ne laisserons pas non plus de côté un autre point qui se rapporte singulièrement aux consuls espagnols. Quiconque a lu les mémoires consulaires, envoyés avec une régularité digne d’éloge, ne pourra faire moins que de souligner l’intérêt qu’ils renferment. Des personnes de grande connaissance en sciences économiques reconnaissent que ce sont des documents remarquables qui servent de fonds inépuisable pour tous types de travaux. Eh bien, malgré tout, ce

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travail n’est ni rétribué ni que nous sachions pris en compte pour avantager la carrière de ceux qui l’accomplissent avec grand succès29.

15 Ces observations issues de l’Archivo Diplomático y Consular permettent d’éclairer le cadre dans lequel opère Lucio Saavedra, consul d’Espagne à Livourne, qui moins d’un mois avant la publication de cet article rédige un long mémoire « avec le seul objectif de faire mieux connaître la ville », dans lequel il consacre beaucoup de pages à en illustrer les caractéristiques et les spécificités.

Le rapport du consul Lucio Saavedra

16 Lucio Saavedra, Oficial en comisión (commissaire) auprès du ministère d’État, est nommé consul d’Espagne à Livourne au début du mois de décembre 1884 30. Il exerce ses fonctions jusqu’en 1892 31. Lors de sa nomination, il n’en est pas à sa première expérience, puisqu’il a déjà été vice-consul à Marseille avant d’être promu à Smyrne en qualité de consul de seconde classe de 1779 à la fin de 1884. Sa mutation dans le siège toscan ne peut être considérée comme une promotion à part entière, elle rentre néanmoins dans une dynamique d’avancement qui rappelle pour bien des aspects celle de son prédécesseur, Manuel José Quintana, parvenu à Livourne en 1878 depuis le siège de seconde classe de Beyrouth32.

17 À cette époque, le corps consulaire en Italie comporte un seul consul général à Gênes, un consul de première classe à Rome, et six consuls de seconde classe à Cagliari, Palerme, Civitavecchia, Naples, Trieste et, justement, Livourne33.

18 À la fin du mois de juillet, quelques mois après son arrivée à Livourne, Saavedra envoie à Madrid un recueil d’informations (« resumen de noticias ») sur la ville et son commerce en 1884. Il s’agit d’un long essai sur Livourne et sur la province, assez dissemblable des dossiers traditionnels, aussi bien de ceux envoyés par ses prédécesseurs immédiats, que de ceux qu’il allait lui-même rédiger dans les années suivantes. C’est peut-être justement en raison de cette différence qu’il n’est pas reproduit dans les Memorias comerciales redactadas por el Cuerpo Consular de España en el extranjero publiés chaque année par la direction générale des douanes de Madrid, et qui recueille les comptes rendus en provenance des sièges consulaires à l’étranger34. La raison de son omission n’est pas explicitée, et l’on ne peut pas non plus exclure que le rapport de Saavedra n’arrive trop tard pour être publié dans le volume de l’année correspondante, mais ce qui est sûr, c’est que le mémoire donne lieu à des remarques critiques au sein de la section des affaires commerciales du ministère d’État35.

19 Les difficultés d’accéder à ce document inédit36 et l’intérêt de son contenu insolite en rendent utile la publication intégrale, qui pourra faire l’objet d’approfondissements ultérieurs. Nous nous limiterons à fournir uniquement en note quelques explications ainsi que les références bibliographiques essentielles.

20 Saavedra ouvre sur une brève mais efficace synthèse de l’histoire du port de Livourne depuis les débuts de son affirmation, résultat de l’engagement des grands-ducs François Ier et Ferdinand Ier de Médicis qui, grâce à la réalisation d’importantes infrastructures et à des politiques économiques prévoyantes, avaient transformé le « pauvre et humble village » de départ en un « emporium de la Méditerranée » et une place de commerce des quatre continents alors connus. Le profil général est complété par quelques notes relatives aux infrastructures portuaires, au profil urbanistique et

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aux monuments, ainsi que par une courte mais significative référence au tremblement de terre de 1742 et aux plus récentes épidémies de choléra et de fièvre jaune.

21 Aucun commentaire quant à la politique locale agitée, alors que plusieurs prédécesseurs de Saavedra n’avaient pas été avares en jugements souvent négatifs ou du moins peu flatteurs sur la population de Livourne, décrite comme toujours prédisposée à réagir de manière violente. On est frappé par le contraste entre les tons utilisés par Balanguer de Irujo dans les turbulentes années pré-unitaires, et ceux plus accommodants de José María García, consul aux débuts des années 1870, qui parlait plutôt de quelques « agitateurs de métier » (« agitadores de oficio ») toujours prêts à saisir l’occasion de perturber l’ordre public, mais voués à l’échec grâce « à l’attitude de la majorité de la population et aux mesures adéquates et énergiques prises par les autorités »37. Saavedra se limite à la remarque éloquente relative au fait de se trouver dans « l’une des villes les plus libérales du royaume » d’Italie (« una de las ciudades más liberales del Reino ») et rappelle qu’il en avait toujours été de même depuis que la ville s’était mobilisée d’abord contre l’empereur Maximilien de Habsbourg en 1496, puis contre l’invasion autrichienne en 1849, toujours et encore prête à fournir un grand nombre de combattants volontaires à chaque occasion où la défense de la liberté de la patrie se rendrait nécessaire.

22 Saavedra décrit ensuite les institutions politiques et administratives, municipales et provinciales, l’articulation et les effectifs de la division militaire, l’organisation du système judiciaire, bancaire et de crédit, sans oublier des développements importants sur les réalités productives industrielles.

23 À en juger par l’organisation du mémoire, et bien que les sources d’où il tire les données ne soient pas mentionnées, il n’est pas à exclure que le consul ait eu accès aux annuaires statistiques et aux publications officielles de la Chambre de Commerce, une ressource qui avait fait défaut à son prédécesseur Quintana, qui avait prétexté l’absence de statistiques fiables à sa disposition pour justifier son impossibilité d’effectuer une étude détaillée des différentes branches de l’industrie locale38.

24 On ne peut pas exclure que Saavedra ait aussi eu recours à des rapports informels. Le royaume d’Italie avait en effet publié depuis peu les résultats de la troisième enquête statistique menée sur le nombre considérable de quinze secteurs industriels sur l’ensemble du territoire national et, à la fin de l’année 1882, avait lancé le relevé pour une quatrième enquête, encore plus complète et détaillée, sur l’état de l’industrie dans les provinces italiennes, impliquant en sus des chambres de commerce, aussi les préfectures, les municipalités et tous les autres sujets compétents en la matière39. Cette hypothèse apparaît d’autant plus plausible que, alors que les informations historiques et de nature institutionnelle ne font référence qu’à la seule ville de Livourne, les données économiques et relatives aux activités productives concernent la province40, dans son intégralité, c’est-à-dire le chef-lieu et ses environs, et Portoferraio avec six autres petites communes de l’île d’Elbe, reprenant ainsi la structure des enquêtes promues par le ministère italien de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce.

25 Le consul passe sous silence toute référence au secteur agricole, considéré déjà par le passé comme négligeable41, alors qu’il ajoute en annexe une liste assez exhaustive des activités industrielles et manufacturières locales, même s’il n’en précise pas le nombre, le chiffre d’affaires et la production, ni l’importance globale sur le plan local, national ou par rapport à l’Espagne. Les listes des marchandises les plus importées et exportées sont détaillées bien davantage, sans respecter pour autant l’organisation en catégories

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de produits prévue par les tableaux ministériels ; ici non plus, le volume des échanges entre Livourne et l’Espagne ne figure pas. Dans la lettre d’accompagnement du mémoire envoyée à Madrid, Saavedra s’en justifie en mettant en avant qu’il n’avait pas eu à disposition des données définitives, et que par ailleurs on pouvait les déduire facilement, par analogie, de celles relatives aux ports de Marseille et de Gênes. D’une chose toutefois, le consul est certain : « la crise qu’a traversée cette place l’an passé a atteint le commerce de notre pays à cause du choléra, qui malheureusement poursuit ses ravages aujourd’hui dans le nôtre »42, attribuant ainsi à la grave épidémie qui avait frappé quelques ports en Méditerranée, en particulier Marseille, Toulon et Naples, les causes de la réduction des activités économiques et des flux de commerce d’importation et d’exportation entre Livourne et la péninsule Ibérique.

26 Saavedra passe ensuite à l’illustration d’autres aspects qu’il considère utiles et dresse un tableau du développement social et culturel de la ville. Il consacre beaucoup d’espace aux établissements scolaires et professionnels43, décrivant tous les degrés de l’instruction élémentaire, les collèges et le supérieur – autant technique que de type lycée – et même la formation universitaire, car il inclut également dans les ressources du territoire la proche Université de Pise où, écrit-il, il est facile de se rendre grâce à la ligne de chemin de fer, rapide et économique. Il réserve toutefois une attention particulière à l’Académie navale, créée à Livourne justement en 1881, seule école supérieure dans le royaume d’Italie destinée à la formation des officiers de ligne de la Marine royale après la suppression des deux sections de Gênes et de Naples. Il en décrit les enseignements et les activités des élèves, qui sont alors au nombre de 184 et qui appartiennent à des « familles importantes de par leur position et leur condition sociale », italiennes et étrangères. Impossible de ne pas voir, dans la description détaillée de l’établissement, le vœu que le gouvernement espagnol puisse s’en inspirer : à cette époque, l’entrée dans la Marine espagnole se fait encore suite à une année d’apprentissage à bord d’un vaisseau de la Real Armada, où l’on apprend l’astronomie, la science de la navigation et des principes de géodésie, en sus de la natation et d’autres exercices militaires, comme prévu par le règlement de 1869 qui créait l’École navale flottante (« Escuela naval flotante »)44.

27 Le système scolaire de Livourne apparaît bien diversifié dans son offre de formation entre garçons et filles, largement financé par les fonds publics, mais pourvu également de nombreux collèges privés ainsi que d’un réseau efficace d’institutions de bienfaisance consacrées à l’enfance45. Le fruit de cette offre combinée semble confirmé par le taux d’analphabétisme qui en 1881 était d’environ 44 %, un pourcentage comparable avec le taux de 42 % de Madrid pour 1877 46. Saavedra brosse ainsi le portrait d’une société livournaise dynamique et vivante, culturellement animée par des théâtres et des pinacothèques, avec des bibliothèques riches et fréquentées, des cercles culturels et récréatifs, des clubs et des associations, mais aussi des périodiques et des revues à contenus artistique, politique et religieux.

28 Comme nous l’avons souligné, ce rapport représente une pièce unique dans la documentation consulaire de l’époque, et il nous semble qu’il faille y voir la volonté de Saavedra d’exhiber ses capacités d’analyse de nature politique qui allaient bien au-delà du simple compte rendu des relations commerciales : une velléité que ses supérieurs jugent négativement, car en décalage par rapport à la fonction dont il était titulaire. Le dossier préparé l’année suivante, signé encore par Lucio Saavedra, rentre pleinement dans le standard général requis et il est, ainsi, publié avec les autres relations

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commerciales. Le consul ne laisse désormais plus aucune place aux institutions politiques et civiles présentes, aux réalités industrielles et manufacturières, et ne porte aucune attention à autre chose que le mouvement maritime et marchand du port, aux volumes d’importations et exportations, au montant exact des droits douaniers et d’entrepôt. Les tables des produits, encore incomplètes pour ce qui concerne le cabotage avec l’étranger faute de statistiques définitives, montrent un niveau de détail bien inférieur au mémoire précédent : les produits décrits sont moins de 80, contre plus de 140 entrées l’année précédente, et certains produits, même d’une certaine importance – peut-être pas toutefois pour le marché espagnol – disparaissent complètement, tels certains produits chimiques et minéraux, ou alimentaires (fromages, pâtes, vin, certains fruits secs), les maïoliques et le papier. Les échanges commerciaux entre Livourne et l’Espagne en 1885 apparaissent vraiment peu importants, surtout si on les compare avec ceux d’autres pays. La péninsule Ibérique (les données pour l’Espagne étant réunies à celles du Portugal) arrive aux dernières places, aussi bien pour ce qui concerne les importations – qui avec un total de 1 016 597 Kg sont terriblement éloignées des volumes de l’Angleterre (203 381 670 Kg), de la Russie (21 259 423 Kg) voire de la Turquie (23 826 977 Kg) – que pour les exportations : 704 024 Kg, bien loin des premiers pays. L’Angleterre absorbe en effet 16 416 981 Kg en provenance de Livourne, la France 11 220 970 Kg, l’« Amérique » (catégorie qui comprend sans doute le continent entier) 7 121 488 Kg.

29 Au total, se confirme une tendance déjà mentionnée dans les années 1850 dans les rapports du consul Balaguer de Irujo : le volume des échanges entre les deux pays via Livourne est plutôt modeste et se limite à l’importation depuis la péninsule Ibérique de vin, sardines, plomb, sucre, café et petites quantités de sparte, et à l’exportation depuis la Toscane de charbon végétal, tissus, potasse, sumac, marbres, huile de lin, ainsi que des produits liés à une demande spécifique et ponctuelle variable d’une année à l’autre47. Après l’Unité, Livourne subit des mesures économiques et douanières qui marquent en profondeur son économie, et cela apparaît aussi clairement dans le dernier compte rendu envoyé par le consul Quintana à Madrid en mars 1883, relatif à l’année 1881. À côté d’une légère reprise des importations constatée dans la période 1877-1881, le consul mettait en évidence la chute vertigineuse du volume des exportations, une réduction progressive et constante des mouvements commerciaux et de la navigation en provenance et à destination du port de Livourne, que ce soit en termes absolus ou dans les relations avec l’Espagne. Saavedra toutefois, tout en étant conscient de cette réalité, n’hésite pas à définir encore Livourne comme l’« un des ports les plus importants en Méditerranée » et le croit de toute évidence encore capable de réserver des perspectives prometteuses de développement dans les années suivantes48, en espérant que l’Espagne sache en tirer profit.

30 Par une coïncidence vraiment extraordinaire, en juillet 1884, les Cortes de Madrid ouvrent les discussions en vue de la ratification d’un traité de commerce et de navigation entre l’Italie et l’Espagne rédigé à Rome, qui sera approuvé au mois de novembre49. Cet accord, destiné naturellement à promouvoir les trafics entre les deux pays selon les attentes de Saavedra, évoluera à son expiration dans le traité de commerce du 26 février 1888. L’importance de cet accord, justement indépendant de la mesure quantitative des marchandises échangées, est soulignée dans le texte même de la relation de la commission parlementaire qui propose son approbation à la chambre des députés :

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L’Italie ne fait pas partie des nations qui en Espagne ont un trafic international d’importance. Au contraire, et c’est sans doute à cause de la nature des principaux produits que l’on destine à l’exportation dans ces deux pays que notre commerce international en Italie est neuvième dans l’ordre des valeurs échangées. […] Mais si cela devait être, et a été, une considération qui empêche d’avoir un engagement obligatoire […], ce ne pourrait pas être une raison pour qu’aujourd’hui l’on néglige les relations commerciales d’Italie et d’Espagne, lesquelles subiraient un rude coup si à l’expiration du traité de 1884 l’on n’essayait pas de le prolonger ou de le substituer par un autre traité équivalent50.

31 Approuvé, le traité de 1888 est prorogé le 23 janvier 1892 51.

NOTES

1. Sans citer l’abondante production scientifique sur ce sujet, on se limitera à signaler les contributions publiées par Adriano Prosperi (dir.), 1606-1806 : un laboratorio dell’incontro tra popoli e culture, Turin/Londres/Venise/New York, Umberto Allemandi & Co., 2010 et la bibliographie mentionnée. 2. La nomination de Borgi est fortement appuyée par le secrétaire de l’ambassade espagnole à Gênes, Diego de Laura, qui souligne ses mérites et sa fidélité à la cause espagnole, même lorsqu’elle s’opposait aux intérêts des Médicis. De Laura insistait sur l’importance de disposer d’un appui fiable à Livourne, ne fût-il que pour parer à l’éventualité de ne pas pouvoir compter sur Gênes, comme cela avait été le cas entre la fin de 1657 et le début de 1658, lorsque l’épidémie qui avait frappé le port ligure avait interrompu tout contact avec la région tyrrhénienne. Voir les rapports de 1658 à 1660 dans Archivo General de Simancas (dorénavant AGS), Estado (dorénavant E), 3609, inserti (dorénavant ins.), 38, 39, 63, 64, 80, 81 e 189. 3. Comme il est bien connu, il existe deux formes de représentation consulaire : celle du consul missus, généralement un officier de carrière revêtu de l’autorité de son État, et celle du consul electus, membre de la nation marchande et désigné par celle-ci ou, comme c’est ici le cas, technicien pourvu de compétences sur les us et les normes locaux et choisi pour cette raison, même s’il n’appartient pas à la nation qui le pourvoit de la charge. 4. Francisco J. Zamora Rodríguez, « La pupilla dell’occhio della Toscana » y la posición hispánica en el Mediterráneo occidental (1677-1717), Guadalajara, Bornova-Fundación Española de Historia Moderna, 2013 ; Marcella Aglietti, L’istituto consolare tra Sette e Ottocento. Funzioni istituzionali, profilo giuridico e percorsi professionali nella Toscana granducale, Pise, ETS, 2012, p. 169-195. 5. Francisco Xavier Gil Pujol, « Visión europea de la Monarquía española como monarquía compuesta, siglos XVI y XVII », dans Conrad Russell et José Andrés Gallego (coord.), Las Monarquías del Antiguo Régimen, ¿Monarquías compuestas?, Madrid, Editorial Complutense SA, 1996, p. 65-95 et Francisco J. Zamora Rodríguez, « Génova y Livorno en la estructura imperial hispánica. La familia Gavi al frente del consulado genovés en Livorno », dans Manuel Herrero Sánchez, Yasmina Rocío Ben Yessef Garfia, Carlo Bitossi et Dino Punchu (coord.), Génova y la Monarquía Hispánica (1528-1713), Gênes, Atti della Società Ligure di Storia Patria, 2011, p. 585-616. 6. Franco Angiolini, « I Presidios di Toscana : cadena de oro e llave y freno de Italia », dans Enrique García Hernán et Davide Maffi (éd.), Guerra y Sociedad en la Monarquía Hispánica : Política, Estrategia y Cultura en la Europa Moderna (1500-1700), Madrid, Ediciones Laberinto-CSIC-Fundación MAPFRE,

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2006, vol. I, p. 174-179 et Carla Sodini, L’Ercole tirreno. Guerra e dinastia medicea nella prima metà del ‘600, Florence, Olschki, 2001. 7. Voir Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers : The Sephardic Diaspora, Livorno, and the Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, New Haven, Yale University Press, 2009, et Lucia Frattarelli Fischer, Vivere fuori dal ghetto. Ebrei a Pisa e Livorno (secoli XVI-XVIII), Turin, Silvio Zamorani editore, 2008. 8. Jesús Pradells Nadal, « Los cónsules españoles del siglo XVIII. Caracteres profesionales y vida cotidiana », Revista de Historia Moderna, no 10, 1991, p. 209-260. 9. Romano Paolo Coppini, « Politica e problema economici nel Regno d’Etruria », dans Marco Manfredi (dir.), Spagnoli a Palazzo Pitti : il Regno d’Etruria (1801-1807), Florence, Consiglio regionale della Toscana, Università degli Studi di Pisa, Gabinetto G. P. Vieusseux, 2013, p. 23-36. 10. Marcella Aglietti, L’istituto consolare…, op. cit., p. 198-211. 11. Fernando Jiménez Núñez, Los gobiernos de Isabel II y la cuestión de Italia, Madrid, Ministerio de Asuntos Exteriores, 1988. 12. Archivo General de la Administración Civil del Estado de España, (10) 54/13693, non numéroté. 13. Archivo Histórico del Ministerio de Asuntos Exteriores (dorénavant AMAE), Consulado de España en Liorna (dorénavant CEL), H1932, ins. 49 : le consul Antonio de Dominé confirme la réception de l’ordre du 27 septembre par lequel la reine d’Espagne lui communiquait le déclassement du consulat de Livourne. 14. La nouvelle avait été ainsi communiquée par le consul espagnol à Madrid de l’époque, Antonio de Dominé : « ce port de Livourne, à qui Ferdinand Ier de Médicis avait concédé au XVIIe siècle le privilège d’être franc et port d’entrepôt, a cessé de l’être depuis le 1er janvier courant. Ce qui s’est passé pour que le Gouvernement prenne une telle décision mérite d’être connu, car c’est la preuve de l’état général dans lequel se trouve l’Italie. […] Quand le Commerce apprend ce qui s’était passé, tous les commerçants se réunissent, protestent contre la commission et envoient à leur tour une autre commission pour solliciter que le Gouvernement révoque la décision. Elle ne put rien obtenir et Livourne est restée sans le privilège qui a tant contribué à sa grandeur, alors que Gênes et Ancône ont obtenu un prolongement de 18 mois » [este puerto de Liorna, a quien Fernando I de Medicis concedió en el siglo XVII el privilegio de ser franco y de deposito, ha dejado de serlo desde el 1 de enero corriente. Lo ocurrido para que el Gobierno tomara tal resolución merece conocerse, pues demuestra el estado general de Italia. […] Cuando el comercio supo lo ocurrido, se reúnen todos los comerciantes protestan contra la comisión y mandan a su vez una comisión a solicitar que el Gobierno revocara la resolución. Nada pudo conseguir y Liorna se ha quedado sin el privilegio que la engrandeció, mientras que Génova y Ancona han conseguido se les amplió por un plazo de 18 meses], lettre de Livourne, 8 janvier 1868, dans AMAE, CEL, H1933, ins. 9. 15. Sur ce thème, voir Amedeo Lepore, « Il Mediterraneo napoleonico. Spazi, merci, idee. Le vicende dei traffici coloniali e l’attività di un’impresa mercantile a Cadice nel periodo del blocco continentale », Tiempos Modernos. Revista electrónica de Historia Moderna, 9, 2003-04, http:// www.tiemposmodernos.org/tm3/index.php/tm/article/viewFile/39/58 [consulté le 22 novembre 2013]. 16. « factoría, con el fin de dar la mayor salida a nuestras producciones » ; « ya por su posición ventajosa y por el gran comercio que hace en el día con el Levante, como por ser puerto franco » ; « por su relaciones mercantiles » ; « tan útil o más que otro alguno del Mediterráneo » : AGS, E, 5420, non numéroté, lettres de Manuel de Silva à Godoy, 20 juillet et 24 novembre 1797. 17. Voir Silvia Marzagalli, « Hambourg 1750-1850 : l’adaptation d’une ville aux changements de l’activité portuaire », dans Des hommes et des pouvoirs dans la ville, XIVe-XXe siècles. France, Allemagne, Angleterre, Italie, textes réunis par Josette Pontet, Pessac, CESURB- Histoire, Université Michel de Montaigne Bordeaux III, 1999, p. 89-115 ; et id., « Napoléon, l’Europe et le Blocus continental. Application et réactions à partir de l’étude de trois villes

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portuaires : Bordeaux, Hambourg et Livourne », dans Jean-Clément Martin (dir.), Napoléon et l’Europe, Rennes, PUR, 2002, p. 71-90. 18. Le Ministerio de Estado, ou ministère d’État est le terme qui désigne, à l’époque des Bourbons, le ministère des Affaires étrangères, qui prend le nom de Ministerio de Asuntos Exteriores seulement à partir de 1938. 19. Ordre souverain du 15 mars 1829. 20. Ordre souverain du 2 janvier 1849, réitéré le 3 janvier 1857. 21. Voir l’ordre souverain promulgué le 11 décembre 1830. 22. Ordre souverain du 11 octobre 1837. 23. Marcella Aglietti, « Convertir le privé en public. L’évolution de la fonction d’information chez les consuls d’Espagne, XVIIIe-XIXe siècle », dans Silvia Marzagalli, Maria Ghazali et Christian Windler (dir.), Les consuls en Méditerranée, agents d’information et de contre-information, XVIe-XXIe siècle , Paris, Garnier, 2014, sous presse. 24. Ordre souverain promulgué sous forme de circulaire le 11 septembre 1852. 25. Circulaire du ministère d’État du 15 décembre 1875. 26. Circulaire du ministère d’État, section commerciale, 22 juillet 1882. 27. « Cada día son mayores los negocios que gravitan sobre el personal consular. Entre todos ellos, dado el espíritu de nuestro siglo, se destaca el de avanzada del comercio nacional », « Organización consular », Archivo diplomático y consular de España, 15 août 1885, p. 3. 28. « Organización consular », Archivo diplomático y consular de España, 15 août 1885, p. 3 : « Para que los informes o memorias comerciales puedan estar redactados con acierto, preciso es que el cónsul conozca al por menor una porción de datos que no se logran ni en pocos meses, ni en pocos años tampoco. Es necesario no olvidar, y esto lo decimos por nuestra cuenta, que en muchos países, comenzando por España, la estadística es una ciencia desconocida. Ni los Gobiernos saben ni siquiera lo que se produce, ni cuanto se produce ; lo que se vende, ni cuanto se vende. De aquí resulta que las investigaciones de los cónsules tienen que ser laboriosísimas, y muchas veces imposible llevarlas a cabo con exquisito acierto ». 29. « Organización consular », Archivo diplomático y consular de España, 15 août 1885, p. 3 : « Y puestos ya a discurrir sobre esto, no dejaremos tampoco de tocar otro punto que singularmente se refiere a los cónsules españoles. Cualquiera que haya leído las memorias consulares que remiten con una regularidad digna de elogio, no podrá menos de ponderar el interés que encierran. Personas de grande conocimiento en las ciencias económicas, confiesan que son documentos notables y sirven de arsenal inagotable para todo género de trabajos. Pues bien : a pesar de esto, ni este trabajo se retribuye, ni sabemos que se tenga en cuenta para servir de nota ventajosa a la carrera de los que con mejor éxito lo desempeñan ». 30. On en donne la nouvelle publiquement sur le numéro du 16 décembre 1884 de La Correspondencia de España, XXXV, n. 9765, p. 1. Il s’agit d’un quotidien à caractère national, parmi les plus diffusés en Espagne. 31. Guía Oficial de España, Madrid, Manuel Minuesa de los Ríos, 1892, p. 115. 32. Guía Oficial de España, Madrid, Imprenta Nacional, 1875, p. 74. Beyrouth aussi bien que Smyrne faisaient partie des consulats espagnols de l’aire moyen-orientale auprès de la Porte ottomane, l’Égypte et la Barbarie. 33. Federico Moreno Albareda, « Los Cónsules », Archivo diplomático y consular de España, 3 août 1885, p. 11. 34. Il n’y a en effet aucun mémoire relatif à Livourne dans le volume qui collecte les rapports de 1884, alors qu’on trouve celui correspondant à l’année précédente, signé par Quintana et daté du 31 décembre 1883, dans Memorias comerciales redactadas por el Cuerpo Consular de España en el extranjero, Madrid, Dirección General de Aduanas, 1876-1890, vol. IX, p. 382-385. La première relation sur Livourne de Saavedra à être publiée se rapporte à l’année 1885, bien qu’elle ne soit envoyée à Madrid que le 12 août 1887 : ibid., vol. XI, p. 264-267. 35. Le ministère confirmait la réception du document « à cause des données curieuses dont il abondait bien qu’ils ne se rapportent pas au commerce de Livourne » [por los datos curiosos en que

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abunda, aunque no se ciñen al comercio de Liorna], comme il était de toute évidence requis : AMAE, CEL, H1933, ins. 20, annotation ministérielle du 1er septembre 1885 sur le verso de la lettre de Saavedra du 25 juillet 1884. 36. J’ai pu identifier ce document il y a quelque temps déjà, avec d’autres, dans AMAE, CEL, H 1933, non numéroté. Depuis septembre 2012, ce dépôt d’archives a fermé au public et les collections sont en attente du transfert dans d’autres archives et de leur reclassification. Le fonds « archivo histórico », qui contient les documents antérieurs à 1931, a été destiné principalement à l’Archivo Histórico Nacional où la documentation est de nouveau consultable depuis mai 2014, alors que l’« archivo renovado », qui comporte les documents postérieurs, sera versé à l’Archivo General de la Administración. 37. D’après le rapport du consul José María García – nommé au siège de Livourne à partir de 1870 pour remplacer Antonio de Dominé – sur les désordres des 2, 3 et 4 juin 1872, daté Livourne, 5 juin 1872 : AMAE, CEL, H1933, ins. 39. (« a la actitud de la mayoría de la población y a la acertadas y enérgicas medidas adoptadas por las autoridades »). 38. Dans sa dernière relation depuis Livourne, relative à l’année 1881, Quintana se limite à mentionner en quelques lignes la fabrique des marbres « connue partout dans le monde » [conocida en todo el mundo] ; la fabrication des cédrats en conserve et confits exportés en grandes quantités ; les porcelaines, bien qu’elles ne soient pas comparables aux porcelaines florentines de Ginori, et les céramiques ; diverses usines de tissus et fils, et une production intéressante de soieries, qu’il fallait prendre en considération pour remplacer celles d’origine japonaise sur le marché espagnol : Memorias comerciales redactadas por el Cuerpo Consular de España en el extranjero, Madrid, Establecimiento Tipográfico de los Sucesores de Rivadeneyra, 1884, t. IX, année 1884, p. 240. Quintana avait en revanche tiré des données officielles publiées par la chambre de commerce de Livourne, les volumes des trafics commerciaux pour la relation sur l’année 1880, publiés dans Memorias comerciales redactadas por el Cuerpo Consular de España en el extranjero, Madrid, Imprenta y fundación de Manuel Tello, 1882, t. VII, année 1882, p. 179-181. 39. La première enquête statistique remonte à 1862, mais elle avait produit des résultats très décevants. La seconde, réalisée entre 1870 et 1874, avait permis une collecte des données plus développée, organisée selon un schéma plus large et plus complet, permettant de mieux saisir la situation réelle. Elle a servi surtout comme base pour la troisième enquête, dont les résultats ont été publiés entre 1878 et 1880. Quant à la quatrième enquête, extrêmement ambitieuse, elle est lancée à la fin de 1882. À ce propos, voir Michele Lungonelli, « Tra industria e burocrazia : gli esordi della statistica industriale in Italia », Studi Storici, XXVIII, no 2, 1987, p. 277-295 ; Dora Marucco, L’amministrazione della statistica nell’Italia Unita, Bari, Laterza, 1996 ; Guido Melis, Storia dell’amministrazione italiana, 1861-1993, Bologne, Il Mulino, 1996, p. 107-113 et 160-166 ; et Alessandro Polsi, « La “statistica dell’industria manifattrice” del 1862 », Quaderni Storici, no 45, 1980, p. 894-917. Les données relatives à Livourne issues de la troisième et de la quatrième enquête sont publiées dans Annali di Statistica. Statistica Industriale, Rome, MAIC-Direzione Generale della Statistica, Tip. Botta, 1887, f. X, Notizie sulle condizioni industriali della provincia di Livorno et dans Annali di Statistica. Statistica Industriale, Rome, MAIC-Direzione Generale della Statistica, Tip. Nazionale Bertero, 1902, f. X-A, Notizie sulle condizioni industriali della provincia di Livorno, Seconda edizione. Cette documentation est encore peu étudiée, alors qu’elle est très riche en informations, utilisées ici pour annoter le document reproduit. Pour ce qui est de Livourne, les rapports ont été en partie déjà examinés et mis à profit par Danilo Barsanti, « Le industrie in provincia di Livorno a fine Ottocento », Nuovi Studi Livornesi, XVIII, 2011, p. 187-200. 40. La province de Livourne, l’étendue de la circonscription ainsi que ses fonctions et son administration, avaient été fixées et règlementées par la loi nationale de 1865, en provoquant des protestations réitérées en raison de l’exiguïté du territoire. Sur ce sujet en général, voir Alessandro Polsi, Per una storia delle amministrazioni provinciali in Italia, Pise, Il Campano, 2003 et

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Piero Aimo (dir.), Le province dalle origini alla Costituzione, Milan, ISAP, 2009 ; plus spécifiquement, Elena Fasano Guarini (dir.), La Provincia di Pisa (1865-1900), Bologne, Il Mulino, 2004. 41. C’est ainsi qu’il ressort aussi dans les dossiers du consul Quintana que « l’on peut dire peu de chose voire rien en ce qui concerne l’agriculture car dans cette province il n’y a aucune culture spécifique : des légumes verts, des pommes de terre et d’autres légumineuses qui ne suffisent pas à la consommation locale. […] en réalité on peut dire que dans cette province il n’y a pas d’agriculture » [Poco o nada puede decirse respecto a la agricultura, pues en esta provincia no hay ningún cultivo especial : verduras, patatas y algunas otras legumbres que no bastan para el consumo del interior. […] en realidad puede decirse que en esta provincia no hay agricultura] : Memorias comerciales redactadas por el Cuerpo Consular de España en el extranjero, Madrid, Establecimiento Tipográfico de los Sucesores de Rivadeneyra, 1884, t. IX, année 1884, p. 240. 42. AMAE, CEL, H1933, lettre de Lucio Saavedra au ministre d’État à Madrid, datée Livourne, 25 juillet 1885 : « que la crisis por que ha pasado esta plaza el año último ha alcanzado al comercio con nuestro país a causa del cólera, que hoy por desgracia continúa en el nuestro ». 43. Saavedra consacre un paragraphe entier aux établissements scolaires de Livourne : il dénombre treize écoles élémentaires en ville et dix-sept autres dans la province, une école technique de premier degré, deux instituts techniques de deuxième degré et deux lycées, des instituts pour l’enseignement des langues étrangères et même un collège de formation supérieure pour accéder à l’université et à l’académie navale, un pensionnat pour les filles de l’élite urbaine. Ce que Saavedra ignore, c’est que la mise en place d’un tel plan de construction et d’une offre de formation si articulée avait été complexe, longue et coûteuse. À ce sujet, voir Francesco Mumolo, « Notizie sulla nascita delle scuole secondarie pubbliche a Livorno », dans Gianfranco Porrà (éd.), Il Liceo Classico a Livorno. Storia e personaggi. 1860-1960, Livourne, Debatte, 2009, p. 35-48 ; du même auteur, « Il difficile cammino dell’istruzione tecnica livornese fra i Lorena e l’Unità », Nuovi Studi Livornesi, XVIII, 2011, p. 227-270. 44. Le « Règlement pour l’entrée des aspirants à la Marine dans l’École navale flottante, et les études qu’ils devront suivre pour être admis en ladite école et promus ensuite gardes de Marine » [Reglamento para el ingreso de aspirantes de Marina en la Escuela Naval Flotante, y estudios que deberán cursar para ser admitidos en dicha Escuela y ascender después a Guardias Marinas] du 10 septembre 1869 se trouve dans la Colección Legislativa de España, Madrid, Imprenta del Ministerio de Gracia y Justicia, 1870, t. CII, p. 497-499. 45. Sur les institutions de bienfaisance pour l’enfance, voir Mirella Scardozzi, « La filantropia come politica : la Società di Signore per gli asili infantili di carità di Livorno », Nuovi Studi Livornesi, XVIII, 2011, p. 201-226, et la bibliographie indiquée. 46. Pedro Pascual, Escritores y editores en la Restauración canovista (1875-1923), Madrid, Ediciones de la Torre, 1994, vol. I, p. 57. Sur l’efficacité des mesures politiques adoptées par la commune de Livourne dans la lutte contre l’analphabétisme, voir Angelo Gaudio, « Aspetti dell’istruzione elementare a Livorno nell’età giolittiana », Rassegna Storica Toscana, no 2, juillet-décembre 1987, p. 190-192. 47. AMAE, CEL, H1932, « Résumé général des états de la navigation et du commerce de l’année dernière avec séparation des navires espagnols et étrangers, accompagnés d’une exposition du mouvement marchand de l’Espagne avec ce port lors de l’année qui vient de s’achever, selon la forme décidée par l’ordre royal de 1849 » [Resumen general de los estados de navegación y comercio con separación de buques españoles y extranjeros respectivos al año próximo pasado acompañados de una exposición del movimiento mercantil de España con este puerto en el año que ha espirado, en la forma determinada por real orden de 1849], du consul Balaguer, 3 janvier 1855. 48. Ugo Spadoni, Capitalismo industriale e movimento operaio a Livorno e all’isola d’Elba (1880-1913), Florence, Olschki, 1979 et Giuseppe Pozzana, Livorno e la sua provincia. Materiali per una storia dello sviluppo economico e sociale dall’Unità d’Italia ai nostri giorni, Milan, FrancoAngeli, 1987.

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49. Archivo del Congreso de los Diputados, Serie General, ins. 220/06, Proyecto de ley autorizando la ratificación del tratado de comercio con Italia, 2 juin 1884-11 novembre 1884. 50. Archivo del Congreso de los Diputados, Serie General, ins. 232/37, opinion de la commission parlementaire chargée d’examiner la proposition de loi pour la ratification du traité commercial et de navigation entre l’Espagne et l’Italie, présidée par le vicomte de Campogrande, transmis le 12 avril 1888. « No es Italia de las naciones cuyo tráfico internacional en España tenga más importancia. Lejos de esto y, sin duda, por la identidad de los principales productos que se destinan a la exportación en los dos Países, nuestro comercio internacional en Italia venga al noveno lugar en el orden del total de valores cambiados, […]. Pero si esto había de ser, y ha sido, una consideración que impidiera adquirir ningún compromiso obligatorio […], no podría ser motivo para que en este periodo se desatendieran las relaciones comerciales de Italia y de España, que sufrirían un rudo golpe si al expirar el tratado de 1884 no se procurase su prórroga o la sustitución por otro equivalente ». 51. Sur le développement des politiques commerciales entre Italie et Espagne, voir Fernando García Sanz, Historia de las relaciones entre España e Italia. Imágenes, Comercio y Política exterior (1890-1914), Madrid, CSIC, 1994, p. 50-51.

RÉSUMÉS

Parmi les réformes qui intéressent l’institution consulaire au XIXe siècle, une part importante concerne l’homologation des activités d’information et, en particulier, la mise au point de rapports sur le commerce. Ces dossiers représentent une partie importante des tâches dévolues aux consuls à l’étranger, dont les fonctions sont de nature de plus en plus commerciale plutôt que politique. Le consul espagnol à Livourne, Lucio Saavedra, envoie en 1884 à Madrid un intéressant rapport sur la ville et son territoire. Ce document, sensiblement différent des autres mémoires consulaires, offre un témoignage significatif aussi bien par rapport à l’évolution de l’institution que pour l’étude du port toscan dans une optique méditerranéenne.

A significant aspect of the reform of consular institutions during the nineteenth century concerned the standardization of information activities, particular commercial reports. These dossiers became an important part of the duties of consuls, who increasingly played commercial rather than political roles. The Spanish consul in Leghorn, Lucio Saavedra, in 1884 sent Madrid a very interesting report about the city and its area. This document was quite different than other consular reports, offering significant testimony regarding both the institution and the Tuscan port city in a Mediterranean framework.

INDEX

Keywords : consular institutions, history of institutions, Leghorn, Mediterranean, relations between Spain and Italy during the nineteenth century Mots-clés : institutions consulaires, histoire des institutions, Livourne, Méditerranée, rapports entre l’Italie et l’Espagne au xixe siècle

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AUTEURS

MARCELLA AGLIETTI Marcella Aglietti enseigne l’histoire des institutions politiques au département de sciences politiques (Dipartimento di Scienze politiche) à l’université de Pise. Après avoir obtenu le titre de docteur en histoire moderne et contemporaine en 1999, elle a bénéficié de plusieurs bourses d’étude et postdoctorales au CNR (Conseil national de la recherche italien), à l’École supérieure S. Anna de Pise et au Consejo Superior de Investigaciones Científicas espagnol. Ses recherches portent sur l’histoire des institutions politiques et des classes dirigeantes, sur les rapports entre l’Italie et l’Espagne pendant l’époque moderne et contemporaine et sur l’histoire du genre. Parmi ses publications les plus récentes : I governatori di Livorno dai Medici all’Unità d’Italia. Gli uomini, le istituzioni, la città (Pise, 2009) et L’istituto consolare tra Sette e Ottocento. Funzioni istituzionali, profilo giuridico e percorsi professionali nella Toscana granducale (Pise, 2012) ; elle a codirigé, entre autres, avec Manuel Herrero et Francisco Zamora, Los cónsules de extranjeros en la Edad Moderna y a principios de la Edad Contemporánea (Madrid, 2013). [email protected]

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Notes et travaux de recherches

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L’intermédiation consulaire et ses concurrences locales sur les rives pontificales. Le cas du marché des transporteurs nordiques au XVIIIe siècle

Christopher Denis-Delacour

1 Comment envisager la fonction consulaire d’Ancien Régime ? La question mérite toute notre attention tant le consul concentre une somme de pouvoir dont les contours sont parfois flous et ne se limitent pas exclusivement à sa qualité personnelle. Que ce soit au niveau de l’expertise acquise dans les domaines du commerce, de l’information et de la diplomatie, le consul est loin de détenir le monopole de l’intermédiation1. Gageons que si ce dernier joue alors sa propre partition socio-économique, à l’instar d’une foule d’autres acteurs qu’il est parfois difficile de définir, la fonction consulaire n’est jamais neutre et concentre des tensions qui lui sont propres ; tensions liées au contexte étatique qui la définit et lui assigne un cadre spécifique, et tensions marchandes, dans la perspective économique qui peut alors être envisagée par le consul2.

2 Le cas pontifical illustre à ce titre les niveaux d’analyse nécessaire à la compréhension des enjeux spécifiques d’une fonction consulaire dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’emploi du singulier, tout comme la période ici retenue, sont loin d’être anodins. Nous verrons en effet comment un État « en construction »3 fait interagir sa souveraineté consulaire avec les contraintes d’un marché et les données pratiques du transport maritime. Envisager de façon concomitante l’ensemble de ces processus permet d’appréhender la fonction consulaire dans ce qu’elle a d’essentiel : sa substance économique et son essence institutionnelle. À ce titre, les places portuaires pontificales constituent un terrain d’analyse de la transversalité de la concurrence consulaire. Elle peut aussi bien être disputée autour des institutions et des acteurs du commerce qu’à partir de la politisation de la fonction. Notre problématique s’inscrit alors au sein d’un réseau d’intermédiation où une multitude d’individus participe à la perméabilité du

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positionnement politique, institutionnel, économique et juridique du consul. Ce phénomène procédait d’une construction économique âprement disputée, à savoir le marché des transporteurs nordiques au sein des trafics céréaliers pontificaux.

Un marché « politique », une problématique maritime : nature et coûts de la liaison Ancône-Civitavecchia

Carte 1. L’État pontifical (Stato Pontificio) au début du XVIIIe siècle

3 Depuis l’Antiquité, les modalités de l’organisation du transport maritime romain sont influencées par de fortes contraintes géographiques et économiques. Le semis portuaire de la côte romaine resta par exemple largement inadapté aux lourds acheminements de blé à destination de la capitale, et ce malgré de nombreuses tentatives d’aménagement jusqu’à l’époque moderne4. Répondre à la problématique des transports, routiers comme maritimes, s’avère d’autant plus vital qu’au XVIIIe siècle Rome devient l’une des cités les plus populeuses de la péninsule. La progression démographique est loin d’être anodine. La capitale pontificale passe de 120 000 habitants vers 1642 à 160 000 à la fin du XVIIIe siècle5. À cela s’ajoutent les incertitudes liées à la production vivrière qui revêtent au XVIIIe siècle une importance toute particulière. Néanmoins, le système annonaire, réponse autoritaire devant permettre d’assurer l’approvisionnement de la capitale et qui trouve son fondement politique dans la crainte des émotions populaires, amortit difficilement les archaïsmes d’une économie de subsistance6. Pour atteindre l’équilibre7, l’Annone doit régulièrement avoir recours aux divers centres de production de l’État romain et de façon plus marginale aux importations8.

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4 Fréquemment excédentaires, les , territoire pontifical jouxtant la côte adriatique et anconitaine, font partie de ces réservoirs potentiels auxquels l’institution romaine a recours presque annuellement. Alors qu’au cours du XVIIIe siècle les grains acheminés jusqu’à Rome sont essentiellement transportés par voie terrestre, le transport maritime est curieusement privilégié pour le blé des Marches9. Au regard de la distance à parcourir, le « chemin de la mer » n’apparaît pas comme le choix le plus judicieux. Tout capitaine qui appareille d’Ancône pour rejoindre Civitavecchia doit affronter une navigation de près de 2 000 km (carte 2).

5 Les données géographiques « brutes » suscitent de nombreuses interrogations car la distance à parcourir plaiderait en faveur de la voie terrestre. Ce questionnement est d’autant plus justifié qu’un mode de transport alternatif existe à cette époque. Pour des grains acheminés depuis les Marches, le parcours emprunte alors, depuis diverses localités comme Jesi, Osimo, Loreto, Recanati ou Tolentino, un chemin menant à Muccia (il s’agit d’une distance d’environ 75 km, dont 40 km depuis Tolentino) puis Ponte Felice sur le Tibre (130 km), pour enfin utiliser la voie fluviale jusqu’à Rome (72 km), soit une distance totale d’environ 250 à 300 km (carte 3)10.

Carte 2. Parcours des acheminements maritimes du blé des Marches à destination de Civitavecchia (seconde moitié du XVIIIe siècle)

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Carte 3. Acheminement terrestre des grains depuis les Marches (XVIIIe siècle)

6 Néanmoins, l’éventuel bénéfice de cette courte distance disparaît quand l’analyse incorpore les données relatives aux coûts. Giuseppe Mira, après évaluation des diverses taxes et droits inhérents à chacun des modes de transport, a calculé que la voie maritime renchérissait le prix d’achat des grains (le primo costo) de 34 %, contre 100 % pour la voie terrestre11, même si le dernier tiers du parcours effectué par voie fluviale contribue à une forte baisse du coût total12. À titre d’exemple, la Chambre apostolique fixe en 1754-1755 le prix moyen du rubbia 13 de blé à environ 6/6,5 écus. À la même époque, le coût du transport maritime depuis Ancône, quand il se déroule sans encombre, donne la rubbia à 5,74 écus à Civitavecchia. Dans ce cas précis, les achats de l’Annone permettent de garantir un prix moyen tout en évitant de fortes pertes financières. Un tel rapport permet de comprendre pourquoi les transports céréaliers destinés à Rome via Ancône sont exclusivement maritimes. Cependant, si d’autres éléments contribuent à expliciter ce choix, certains en modèrent également les bénéfices.

7 À ce titre, les divers projets visant à établir une voie de communication entre les mers adriatique et méditerranéenne, une préoccupation récurrente, soulignent les désavantages du parcours terrestre. Outre les passages montagneux, le coût des aménagements à réaliser laisse aux projets peu de chance d’aboutir, comme en témoigne une évaluation demandée par le gouvernement pontifical au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Comparant différents itinéraires pour l’acheminement de marchandises entre les Marches et Civitavecchia, le document souligne les difficultés des parcours envisagés14. Il s’agit d’un rapport d’experts et d’officiels pontificaux qui propose dans un premier temps le réaménagement d’un chemin commun via Pérouse, Marsciano et Orvieto, la plus grande difficulté étant les passages montagneux. Ensuite, le principal chargé de mission envisage deux possibilités (carte 4) : une voie dite della Peglia, plus montagneuse et allant jusqu’à Orvieto, puis à Montefiascone, Toscanella et enfin Civitavecchia, ou bien la voie delle Tavernelle, passant également par Orvieto et Montefiascone, puis Viterbe et Corneto avant de rejoindre Civitavecchia.

8 Au-delà des parcours possibles, il est intéressant de noter combien la voie terrestre est peu aménagée. Pour faire aboutir le projet, il fallait envisager la réhabilitation ou la construction de nombreux ponts et relais, tout comme la restauration de routes dans l’ensemble peu praticables. Le coût de ces travaux fut évalué à 236 252 scudi pour la voie della Peglia et à 177 873 scudi pour celle delle Tavernelle. Il est peu probable que ce compte

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rendu se soit traduit dans une action concrète, les finances pontificales, au plus bas, interdisant un tel investissement. Ce projet s’inscrit plutôt dans un contexte européen où, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, la réflexion économique remet la voie terrestre au cœur des préoccupations, en insistant sur la nécessité d’une réhabilitation générale15. Concernant l’État pontifical, la réflexion au sujet de l’union des deux mers se poursuivit jusqu’au XIXe siècle, la priorité étant cette fois donnée au développement du chemin de fer16.

Carte 4. Projets pour relier les deux mers

9 La voie maritime depuis Ancône semble donc être, au XVIIIe siècle, le choix le moins onéreux. Qui plus est, en termes de capacité, les cales des bâtiments dépassent largement celle du transport par charrettes et autres moyens terrestres. Toutefois, certaines situations peuvent remettre en cause cette prépondérance. C’est le cas des fortunes de mer qui, selon leur gravité, renchérissent le coût du primo costo jusqu’à atteindre un prix équivalent au transport terrestre17. Cependant, au-delà du choix de l’une des deux options, les dépenses liées à l’acheminement importent peu face aux situations d’urgence. Rappelons que la crainte des émotions populaires dicte une partie de la politique annonaire, laissant parfois de côté les considérations économiques. Le prix « politique » du grain a en effet un coût, entraînant l’épuisement progressif des maigres ressources romaines. Les crises frumentaires de la seconde moitié du XVIIIe siècle ont ainsi parfois conduit l’Annone à de désastreuses opérations d’achat sur le marché céréalier18. L’essoufflement du système est d’ailleurs patent à la fin du XVIIIe

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siècle. L’entreprise annonaire dépasse largement les capacités structurelles et financières d’un État romain économiquement aux abois19.

10 Dans ce contexte, l’utilisation du transport maritime pour acheminer le blé des Marches est la solution que l’on peut qualifier de plus raisonnable car elle correspond aux moyens dont l’Annone dispose, sans impliquer de lourds investissements structurels. Dans une économie maritime qui repose encore sur le cabotage de petites embarcations, la présence de véritables ports n’est pas non plus nécessaire à l’embarquement et au débarquement des grains20. En revanche, force est de constater qu’un réseau routier défaillant ne peut supporter de telles cargaisons sans de constants investissements. Certes, les risques maritimes peuvent entraîner de fortes pertes, de la cargaison aux sommes investies. Néanmoins, c’est un risque que l’Annone ne peut que courir en l’absence de solutions équivalentes et plus sûres.

11 En tenant compte de ces contraintes, la marge de manœuvre économique semble étroite pour tenter de diminuer les frais supplémentaires liés à ces risques : seul le choix du transporteur offre alors un interstice concurrentiel21. À titre d’exemple, les tarifs de l’assurance maritime a tutto rischio sont de 5 % pour les navires suédois et hollandais, contre 6 % pour les embarcations italiennes22. De plus, ces assurances sont rarement accordées pour les caboteurs originaires de la péninsule. Plus qu’une question de « réputation », les navires nordiques profitent de leurs pavillons neutres, d’une meilleure protection face au risque barbaresque et sont très recherchés. D’ailleurs, ces embarcations sont également régulièrement impliquées dans des acheminements de blés depuis le Nord de l’Europe, lorsque les ressources du territoire pontifical sont insuffisantes23. Toutefois, mis à part quelques directives générales, l’institution annonaire ne s’implique pas directement dans l’organisation de ces trafics. Elle confie à divers intermédiaires le soin d’assurer l’achat des grains, leur embarquement et les procédures de nolisement, le tout au meilleur coût. Ce système permet cependant, comme nous le verrons, d’alimenter un marché d’exportation du blé romain sous pavillon nordique. La présence de navires d’Europe du Nord au sein des trafics annonaires découle ainsi de relations complexes tissées entre les divers acteurs de la médiation économique, dans lesquelles les tensions de la délégation institutionnelle et étatique se mêlent à la recherche du profit personnel. Avant d’adopter le point de vue consulaire et de mesurer l’influence des marchés annonaires sur la fonction, il convient d’évaluer les trafics des capitaines dits nordiques.

Modalités de la présence nordique sur les rivages pontificaux

12 La pénétration de l’espace méditerranéen par les marines d’Europe du Nord, phénomène connu, est au XVIIIe siècle une réalité sur l’ensemble des rivages de la péninsule24. Divers témoignages illustrent combien cette présence suscite à la fois inquiétudes, exagérations et souvent de vaines réactions de la part des contemporains25. Les ports des divers États italiens enregistrent certes régulièrement l’arrivée de navires chargés essentiellement en poissons, minéraux, cuirs et produits coloniaux26. La thématique de « l’invasion nordique » a cependant été l’objet de débats ces dernières années, à la lumière de travaux réexaminant la réalité pratique des trafics méditerranéens27. Face au phénomène, on évoque même une eastern invasion en réponse à celle venue du Nord28. Mais c’est bien le dynamisme des marines péninsulaires qui

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invite à ne pas surévaluer la place des transports extra-méditerranéens29. Qu’en est-il du phénomène sur les rivages pontificaux ? Il est possible, dans une certaine mesure, de retracer les trafics battant pavillon d’Europe du Nord au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle à partir des places portuaires d’Ancône et de Civitavecchia. Si les données concernant l’activité de ce dernier port sont parcellaires (les registres d’ancrage sont présents de 1740 à 1743 puis de 1785 à 1796), d’autres sources – entre autres, les archives du Consulat de la mer de Civitavecchia et celles des notaires de Ripa Grande conservées à l’Archivio di Stato de Rome – témoignent d’une présence faible mais continue.

Graphique 1. Navires nordiques dans le port d’Ancône (1739-1796)

Source des données : Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône…, op. cit., p. 172-175.

Tableau 1. Principaux pavillons des caboteurs accostant à Civitavecchia (1740-1743) 30

Année 1740 1741 1742 1743

Génois 602 775 598 290

Napolitain 401 571 446 234

Français 125 102 82 58

Sicilien 120 186 94 67

Forio d’Ischia 113 133 109 86

Romain 58 56 54 6

De Gaeta 44 75 41 43

Livournais 33 29 27 21

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De Procida 22 32 61 36

Anglais 1 3 2 3

Hollandais 1 2 1 0

Danois 0 1 0 0

Suédois 0 1 0 0

Source : ASR, Camerale III Civitavecchia, Ancoraggio, b. 839 (1740 à 1743). Le total des navires entrés est respectivement de 1 675, 2 118, 1 641 et 908.

Tableau 2. Nordiques accostant à Civitavecchia (1785-1796)

Total du trafic Total des navires Dont Dont Dont Dont Année entrant nordiquess anglais hollandais danois suédois

1785 1501 21 7 5 4 5

1786 1343 22 13 6 1 2

1787 1309 34 16 9 4 5

1788 1426 28 15 9 3 1

1789 1536 27 18 9 0 0

1790 1443 34 19 14 1 0

1791 1345 29 16 10 2 1

1792 1040 29 15 11 2 1

1793 1266 20 15 0 3 2

1794 1676 32 19 3 4 6

1795 1555 22 15 0 5 2

1796 1471 13 5 0 6 2

Source : ASR, Camerale III Civitavecchia, Ancoraggio, b. 838 (1785-1797).

13 Malgré l’imprécision de nos sources concernant Civitavecchia, on constate que l’activité des navires d’Europe du Nord est très différente pour chacun des deux ports. Côté tyrrhénien, le faible trafic des navires anglais, hollandais, danois et suédois ne constitue pas une surprise. Les données liées à ce segment des échanges confirment que l’idée que Civitavecchia était au XVIIIe siècle un port de transit surtout dominé par de petits caboteurs dont l’activité dépassait rarement l’horizon des côtes voisines. Si les Génois sont les plus actifs, les caboteurs napolitains prennent progressivement

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l’ascendant dans les transports romains, comme en témoigne le registre de l’année 1796, le seul complet au niveau de la mention des pavillons entre 1785 et 1796 31.

Tableau 3. Principaux pavillons accostant à Civitavecchia en 1796

Pavillon Année 1796

Napolitain 767

Génois 408

Toscan 87

Vénitien 49

Maltais 37

Ragusois 33

Ottoman 30

Duché de Massa et Carrare 22

Espagnol 10

Romain 1

Nordique 13

Source : ASR, Camerale III Civitavecchia, Ancoraggio, b. 838 (1785-1797). On dénombre au total 1 471 navires entrés.

14 L’activité nordique n’est certes pas l’apanage du « grand » port romain qui souffre dans ce domaine de la concurrence de Gênes, Livourne et Naples, plus attractifs, ainsi que d’une carence en produits d’exportation. Si l’absence d’une véritable marine marchande nationale est compensée par l’activité de caboteurs étrangers, c’est parce que les marchés du port franc sont largement centrés sur la capitale et l’importation. Civitavecchia, malgré ses quais et sa politique d’ouverture économique, représente une enclave commerciale « passive », une étape sur les grandes lignes des trafics méditerranéens. Concernant Ancône, la nouvelle franchise du port en 1732 permet, du moins à ses débuts, un réel développement des trafics. Alors qu’existe une forte concurrence économique entres les principaux ports adriatiques, la Cour autrichienne et Rome souhaitent établir de solides relations commerciales entre Ancône et Trieste afin de faire vaciller l’hégémonie vénitienne32. Si la présence des pavillons d’Europe du Nord y est plus importante, elle reste toutefois largement inférieure par rapport aux autres grandes places, comme Livourne. Le seul élément commun aux deux ports romains est la domination de l’activité anglaise en dehors des périodes de conflits.

15 Comment interpréter ces séries ? Côté adriatique, on constate que les guerres de la seconde moitié du XVIIIe siècle entraînent une forte diminution du trafic sous pavillon anglais. Les Hollandais, même s’ils sont plus présents lors de ces parenthèses, ne s’imposent pas. En revanche, les Danois et les Suédois dépassent difficilement le cap de

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la dizaine de navires par an au cours de la période. Notre analyse doit cependant aller plus loin que les oscillations statistiques provoquées à des degrés divers par l’impact des guerres sur le trafic nordique d’Ancône33. La comptabilité de l’activité portuaire reste évidemment essentielle, mais ces données ne doivent pas rester des réalités désincarnées. En anticipant notre propos, nous savons que cette présence nordique pose un problème commun à l’ensemble de ces capitaines : éviter de rentrer sur lest en mer du Nord et mer Baltique, un élément déterminant quant à la présence d’acteurs capables de dynamiser et de capter ces trafics. Bien que confrontés à divers obstacles et, quoique minoritaires, les Nordiques sont nécessaires en Méditerranée, ce qui explique l’apparition d’un réseau consulaire au XVIIIe siècle. Ce réseau prend cependant des traits particuliers dans les États pontificaux, en raison des tensions produites par la confrontation de plusieurs types d’intermédiaires dont les fonctions et les intérêts s’enchevêtraient, derrière un objectif commun de contrôle du marché des transporteurs nordiques, au détriment parfois de l’activité consulaire.

Litiges et pouvoirs autour de l’intermédiation consulaire des Nordiques

16 Un personnage tel que Francesco Trionfi illustre le rôle essentiel des relais marchands locaux dans la présence des marines de l’Europe du Nord à Ancône34. Agent de l’Annone, mais également négociant et appaltatore della dogana du port (fermier de la douane), le réseau de Francesco Trionfi s’étend bien au-delà des frontières de la péninsule, notamment en mer du Nord et en Scandinavie où il a agents et associés35. Dès 1735, ce sont cinq à dix navires en provenance d’Angleterre qui déchargent chaque année des marchandises exclusivement pour son compte36. En retour, Trionfi permet à ces capitaines et à leurs équipages de repartir chargés en céréales pour le Ponant. Il peut paraître étonnant qu’un État régulièrement déficitaire en blé autorise l’exportation d’une denrée si précieuse. Comme tous les autres appaltatori camerali de l’État pontifical (officiers des fermes), Trionfi jouit de la concession de tratte, ces licences « gratuites » qui donnent le privilège d’exporter le blé romain à l’étranger et qui sont par-là source d’importants profits37.

17 Au cours de ces années, la personnalité de Francesco Trionfi s’impose, tant son empreinte sur les trafics nordiques est importante à Ancône. Il possède lui-même des parts de navires, la moitié de la Galera Britannia, commandée par le capitaine Lott Gale, et une autre sur la Stella Matutina, capitaine Bosmowort, en association avec le marchand Giffard Alexander de Londres. Les nombreux contrats avec les capitaines d’Europe du Nord associés à son expérience des trafics céréaliers contribuent à en faire un agent essentiel pour l’Annone. Lorsque Rome fait appel à plusieurs reprises à ses services, il utilise son réseau d’intermédiaires qui permet de trouver rapidement le grain à embarquer et surtout des navires, tâche difficile38, dont la plupart proviennent naturellement d’Europe du Nord39.

18 Le rayonnement d’un Francesco Trionfi ne doit cependant pas nous éblouir ; en vérité, de tels négociants sont peu nombreux sur la place d’Ancône40. Les grandes maisons sont rares, et l’on a le plus souvent recours aux banques des places étrangères pour l’achat et le paiement de marchandises. L’élite marchande anconitaine, fort réduite, n’a également pas le monopole de la médiation économique avec les capitaines nordiques. D’autres acteurs, grâce à leur réseau d’information et à leur position, participent au

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nolisement des navires en provenance d’Europe du Nord, tout en contribuant à la présence de ces embarcations dans les trafics annonaires.

19 C’est le cas des consuls des nations nordiques. Interlocuteurs privilégiés des capitaines, ils sont les premiers informés du mouvement des navires de la nation dont ils doivent en théorie défendre les intérêts. Souvent eux-mêmes marchands, le poste de consul leur offre une position privilégiée et très recherchée pour le nolisement d’embarcations. Il est difficile de savoir si, à Ancône, la fonction consulaire supplante progressivement, au niveau de l’emprise sur les trafics, la figure du grand marchand décrite par Alberto Caracciolo, ou encore si les aspects marchands et consulaires ont pu se confondre à une période. L’analyse comparée du degré d’influence des divers acteurs reste encore à effectuer. Plus certainement, la fonction consulaire dans un port étranger peut revêtir diverses formes. La pratique consulaire s’avère en effet très différente d’un État à l’autre, voire sur le même territoire. En règle générale, on s’attend à rencontrer derrière le titre de consul un agent désigné par la nation dont il représente les intérêts. La fonction est beaucoup plus ambiguë dans le cadre pontifical. L’État romain fut longtemps le seul habilité à désigner les consuls devant défendre les intérêts nordiques sans que les nations concernées n’aient leur mot à dire. En d’autres termes, le privilège de désigner par lettres patentes ces consuls à Ancône et à Civitavecchia témoigne avec éclat des leviers de la souveraineté romaine, et cela en dehors de toute réciprocité étatique41.

20 L’exemple du consul de la nation anglaise à Ancône permet de préciser le phénomène. Le renforcement des intérêts anglais dans le port récemment franchisé pousse d’abord le souverain pontife à nommer à la tête du consulat, le 21 juillet 1734, Domenico Storani, personnage issu de la riche noblesse anconitaine et lié à la cour des Stuart. À la mort de ce dernier, la même année, Rome reconnaît un Anglais, Thomas Chamberlain, nommé par Jacques Stuart lui-même et réfugié à Rome depuis 1717. Puis un autre Storani, Giuseppe, obtient le poste en 1741. Ces premières nominations font suite aux nombreuses protestations des capitaines anglais, ces derniers se plaignant d’être sans défense face aux juges de l’Université des marchands d’Ancône, c’est-à-dire le tribunal de la mer ou tribunal du Consolato 42. Cependant, on ne peut pas parler d’un véritable consulat anglais. À Londres, on créa parallèlement un poste d’agent privé présent à Ancône, choisi par les marchands eux-mêmes43. Ces réticences s’expliquent par le choix diplomatique de l’État pontifical de continuer à reconnaître l’ancienne dynastie des Stuart44.

21 Le mode de nomination locale prévaut également pour les consuls des nations suédoises et danoises. Officiellement, la Suède ne crée un poste consulaire à Civitavecchia qu’en 1804, et à Ancône en 1816 45. Avant cela, les consuls des deux nations en poste tirent plus leur légitimité du pouvoir romain que des souverains et dirigeants des deux nations. Il s’agit là d’une politisation limitée de la fonction consulaire. Les limites de ce système distribuant localement un privilège, source d’influence et de crédit sur le plan des trafics, sont cependant atteintes en 1793, lorsque les souverainetés concurrentes s’expriment au sujet de l’extraterritorialité maritime. Cette année-là, les cours suédoises et danoises décident de nommer un agent général commun aux deux nations dans les ports pontificaux en la personne de Francesco Piranesi : les agents pontificaux prennent alors conscience du caractère labile de la légitimité pontificale. Certes, les deux consuls concernés par la création de ce poste, Francesco Storani à Ancône et Alessandro Gily à Civitavecchia, font immédiatement

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« allégeance » à Piranesi, et affirment avoir toujours pris soin des capitaines dont ils ont eu la charge46. Mais de leurs correspondances ne transpire pas uniquement de la déférence : les consuls sont paniqués et craignent de voir leur charge remise en cause. Alessandro Gily évoque clairement « une perte de souveraineté » si les consuls ne devaient plus être nommés par l’administration pontificale47. Ce sera le cas au début du XIXe siècle48. Pour l’instant, l’agent général devait uniquement surveiller les trafics battant pavillon des deux cours, et une simple collaboration des consuls était demandée, sans remettre en cause leurs attributions49. L’émoi suscité par l’arrivée d’un agent officiel est cependant révélateur du statut conféré par le poste consulaire. La fonction, jalousement défendue, s’insère dans le jeu de pouvoir local avec une dépendance étatique forte. Mais, paradoxalement, la spécificité pontificale témoigne des ressources d’un État « faible » pour affirmer sa souveraineté sur le plan des trafics. Ce système alimente une forme de iura imperfecta, c’est-à-dire un droit à perfectionner établi en fonction de l’accès ou non au territoire permis par le souverain50. Appliquée aux territoires maritimes, cette notion implique la nécessité de personnaliser l’embarcation, son pavillon et son capitaine, en prenant en compte les intérêts divergents et les tensions inhérentes à la souveraineté des États qui s’expriment tout particulièrement sur mer, par l’intermédiaire d’institutions juridiques et économiques. Les consuls sont alors au cœur du système. Sous cet angle, les Nordiques sont au XVIIIe siècle confrontés à un espace méditerranéen, certes fragmenté et différent sur le plan étatique, mais dont la matrice théorique est commune sur le plan économique. Il s’agit des notions de commerce actif et d’un mercantilisme, certes tardifs, mais dont les règles sont loin de leur être inconnues51. S’opère alors une réorganisation intra- étatique des États et autres gouvernances méditerranéennes qui s’expriment avec force sur le plan des échanges maritimes. Les procédures pontificales, tout comme les appuis nécessaires et la nature même du rôle de ces consuls en témoignent52. Jusqu’en 1797 53, la plupart des demandes de nomination consulaire sont adressées à l’administration du Camerlengo pour tous les types de postes, pour nommer tant les consuls pontificaux à l’étranger que les consuls représentant les nations étrangères dans les ports romains. La redéfinition des compétences proprement maritimes remonte au début du pontificat de Benoit XIV54. Peu après l’institutionnalisation du tribunal du Consolato à Civitavecchia en 1741, les attributions du Camerlengo en matière de gestion politique maritime sont en effet renforcées en 1742 par la faculté de concéder le pavillon romain aux embarcations de commerce et de nommer les consuls pontificaux dans les ports locaux et étrangers. C’est le motu proprio du 1er mars 1742 qui fixe alors les compétences qui lui sont propres55. Si les conditions dans lesquelles les candidatures consulaires sont acceptées dépendent du type de relation entretenue avec l’État concerné, les aspects locaux sont également prégnants.

22 L’exemple de la succession du comte Ambrogio Tomasi au poste de consul de la nation anglaise à Ancône témoigne de ces impératifs. En mai 1789, peu après sa mort, la liste des prétendants est déjà étoffée56. Souvent nobles, les candidats se prévalent d’une bonne connaissance de la langue anglaise, d’un niveau de vie élevé et d’une participation au commerce battant pavillon anglais. Deux candidats sont alors pressentis pour succéder à Tomasi : Francesco Storani, déjà consul des nations suédoise, danoise et russe, et possédant une rente de 300 écus (qualifié de consul des nations « baltiques » en 1778 57), et Luigi Candelari, marchand prêtant fréquemment assistance au groupe des capitaines anglais, dont il affirmait avoir converti un membre sur son lit de mort et espérer la conversion d’un autre. La candidature de Candelari

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était soutenue par le duc d’York, alors qu’il avait déjà été proposé comme vice-consul de Tomasi58. Le Camerlengo reçut d’ailleurs une importante correspondance pour soutenir l’un ou l’autre des candidats. Outre la mise en valeur de leurs qualités respectives, plusieurs lettres visaient surtout à discréditer l’adversaire de son « favori ». La calomnie, inhérente aux procédures de nomination des consuls, est présente tout au long de la carrière consulaire59. Quels sont les arguments avancés ? Ils concernent surtout Storani. Ce fils d’antico console d’Inghilterra lié à la maison royale ne pouvait légitimement concourir car il possédait déjà plusieurs consolati supposés incompatibles60. Or Storani s’appuyait justement sur son expérience consulaire pour obtenir le poste. Dès le 24 octobre 1788, alors que sa santé était déjà défaillante, Tomasi évoquait la possibilité de réunir différentes nations dans le même consulat (« varie nazioni nello stesso consolato »), comme c’était déjà le cas à Civitavecchia61. En effet, à la même époque, Alessandro Gily était consul pour toutes les nations du Nord (« per le nazioni tutte del nord »)62, un consul des Nordiques selon l’appellation officielle. Après la mort de Tomasi, il argumenta de nouveau en faveur de l’union des consulats du Nord, notamment en rappelant que les nations anglaise et hollandaise avaient toujours été réunies au sein du même consulat63. Aux soupçons de partialité, surtout en cas de guerre, il répliqua que la réunion des consulats sous sa seule direction diminuerait au contraire les réactions hostiles. Selon lui, les nations d’Europe du Nord naviguaient peu en temps de guerre et la franchise du port les protégeait. Son dernier argument en faveur de l’union des consulats est étonnant : sa fonction ne nécessiterait que peu de tâches à effectuer. Le consul se bornerait à assurer la discipline des équipages selon leurs propres règles et la fourniture en provision, les contentieux commerciaux n’étant pas de son ressort mais se jugeant au tribunal du Consolato. Si le rôle du tribunal est certes important, il est intéressant de noter combien Francesco Storani minimise la portée de sa fonction. Il est évident que le poste procure bien plus d’avantages, notamment sur le volet économique. Plus que l’union des consulats, c’est la concentration des pouvoirs aux mains d’une seule personne qui fait ici débat. Elle prend l’allure d’un monopole jalousé au sein d’un port où les trafics nordiques représentent une richesse économique loin d’être négligeable. Sous cet angle, la comparaison avec Civitavecchia pèse peu tant l’activité y est plus réduite. Ainsi, côté tyrrhénien, l’union des consulats nordiques suscita assurément moins de débats et de controverses.

23 Pour dépasser l’argument du conflit d’intérêt, Storani s’appuie alors sur sa supposée légitimité. Il évoque ainsi ses liens avec de nombreux Ministri di Svezia e Danimarca présents dans diverses cours et la garantie d’un réseau solide, avant de se targuer d’être connu du roi de Suède et du Premier ministre du Danemark. Enfin, il propose une rente annuelle de 50 écus à la veuve de Tomasi, jugeant au passage que le fils Carlo est trop inexpérimenté pour exercer la charge64. Finalement, le choix dynastique est privilégié car Carlo devient consul des nations anglaise et hollandaise en 1789 65. Les appuis et l’expérience de Storani n’ont apparemment pas suffi face aux arguments adverses. Néanmoins, le choix s’avéra peu judicieux : Carlo Tomasi renonce dès le 9 août 1790 à sa charge en faveur de Luigi Candelari. Une correspondance nourrie souligne alors l’inexpérience du fils de l’ancien consul, tant dans la gestion des trafics que pour la pratique de la langue anglaise, qui le forçait à réclamer en tout l’aide de Luigi Candelari66.

24 La décision finale de la succession revient cependant à Rome. Candelari plaida sa cause auprès du Camerlengo en concentrant son propos sur sa condition. La noblesse, à

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laquelle il n’appartenait pas, semblait en effet être un facteur important pour obtenir le poste. Un de ses soutiens, le cardinal Rannuzzi, écrivit à ce sujet au Camerlengo afin de le convaincre que la naissance ne représentait pas un obstacle. Selon lui, Ancône ne comptait que trois consuls issus de la noblesse, alors que les consulats des Génois, des Vénitiens et des Maltais étaient tenus par de simples marchands67. L’argument pesa peu car Francesco Storani obtint cette fois la charge68.

25 Cette brève présentation souligne l’âpreté de la lutte autour du poste de consul des nations du Nord. Si l’obtention de la charge est souvent l’objet de controverses, les uns faisant valoir leurs mérites face aux autres, c’est que la fonction garantit, pour un personnage entreprenant, un quasi-monopole local des relations avec les capitaines nordiques. D’ailleurs, quand d’autres intermédiaires tentent de surpasser l’autorité du réseau consulaire, ils sont vertement rappelés à l’ordre. C’est le cas des interprètes camérales des langues dites nordiques qui officiaient à Ancône. Ces derniers sont successivement accusés de s’attribuer les prérogatives des sensali (courtiers) et autres commissionnaires, alors que ces fonctions étaient très encadrées, et surtout de profiter des avantages du « premier contact » liés à leur fonction.

Les voies concurrentes de la médiation nordique : interprètes camérales et consuls

26 Parmi la multitude des voies empruntées, le réseau consulaire constitue l’un des canaux relayant l’information marchande69. Les navires nordiques à la recherche d’un nolis de retour bénéficient de son étendue à l’échelle adriatique et des relations de confiance tissées au fil des recommandations. Le consul, quand il n’utilise pas l’information pour ses propres intérêts, la fait parvenir à un négociant ou tout autre type d’intermédiaire avec qui il est en affaire. C’est le cas de Pietro Delorthe, consul de la nation suédoise à Venise et pour le Golfo adriatico 70. Il charge régulièrement un marchand d’Ancône, Giuseppe Maria Acquabone, de trouver des nolis de retour pour les navires nordiques présents à Venise et en Adriatique71. La correspondance du consul Delorthe révèle à ce titre une partie du fonctionnement du réseau et met en relief les avantages de sa position : […] mediante la piccola mia influenza, e parole con detti Capitany Ponentini, il Cap. Olai Stuansen, della nave Elenesar, Danese, di 80 lastri circa, che computo verso 900 rubbia, si è persuaso di pasar anche’esso così con parola a me datta d’indirzzarsi a voi solamente, in consequenza a che lo munitò di una mia lettere per voi, lusingandomi che ancor lui mediante la vostra cura ed attenzioni trovara motivo di rimaner contento di tal risoluzione […]72.

27 Dans le système mis en place, la circulation de l’information semble emprunter une voie hiérarchique et verticale. Giuseppe Maria Acquabone, raccomandatario (consignataire) des navires envoyés depuis Venise par Pietro Delorthe, touche une commission sur le nolis de chacun des capitaines qu’il place. Cependant, un troisième acteur met à mal cette organisation. Leonardo Hoffmeister, interprète camérale des langues suédoises et danoises, est en effet accusé d’usurper la fonction de courtier pour les navires étrangers (« mezzano per i bastimenti forestieri ») dévolue à Giuseppe Maria Acquabone, en touchant au passage ses commissions. Concrètement, Leonardo Hoffmeister aurait détourné plusieurs capitaines, dont le Suédois Giovanni Henry Gunther commandant le navire la Giovanna Brigitta, des nolis prévus par Acquabona73. Pour Pietro Delorthe, l’interprète outrepasse dans ce cas précis les limites de sa

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fonction, tandis qu’Acquabona évoque de nombreux précédents avec d’autres négociants de la place. Le marchand implore alors le Camerlengo d’intervenir tant l’activité de l’interprète perturbe, selon lui, les procédures de consignation des navires et d’attribution des commissions sur les contrats d’affrètement nordiques74. Il porte également l’affaire devant le tribunal du Consolato d’Ancône afin de récupérer ses droits sur un navire danois devant rallier Gênes75. Le fait de s’aventurer sur le terrain judiciaire témoigne du danger que représente la concurrence d’Hoffmeister par rapport au système de consignation mis en place par le consul de la nation suédoise à Venise. Les prérogatives des interprètes camérales sont toutefois mal définies.

28 Dans le jeu de l’intermédiation marchande locale, la fonction reste floue et ne se définit que lorsqu’elle empiète sur les intérêts d’autres acteurs. Les interprètes sont en effet de sérieux concurrents pour les sensali d’Ancône (courtiers des contrats), lesquels apprécient peu les libertés prises avec les commissions. Un mémoire souligne d’ailleurs l’incompatibilité des deux fonctions en dénonçant le positionnement institutionnel d’Alessandro Comelati, interprète des langues anglaise et hollandaise à Ancône76. Lors de l’inscription à l’Université des marchands, pour pouvoir exercer les sensali doivent en théorie renoncer à tout autre privilège antérieur (c’est à dire à toute fonction). Or Alessandro Comelati demanda à être sensale de la place dès 1783 tout en « omettant » d’enregistrer auprès du tribunal du Consolato la patente qui lui attribuait la charge d’interprète77. La tentative de cumuler les deux fonctions en ne respectant pas la règle d’admission entraîna ainsi la protestation du corps des sensali. Leur charge est cependant loin d’être un gage de monopole économique. Tout comme dans le cadre du tribunal du Consolato de Civitavecchia, l’équilibre marchand de l’institution-sœur d’Ancône est défavorable aux sensali 78. En 1792 il y eut une véritable purge des individus patentés qui révèle un positionnement institutionnel encore plus fragile qu’à Civitavecchia79. Le tribunal du Consolato d’Ancône souhaitait officiellement mettre un terme aux abus des sensali en procédant à l’exclusion de plusieurs d’entre eux80. Face aux décisions des consuls-résidents (les juges du tribunal, eux-mêmes marchands et immatriculés à l’Université des marchands), ces derniers firent un recours auprès du Camerlengo en dénonçant l’arbitraire des décisions81. Le débat autour de leur fonction témoigne combien l’intégration du courtage des sensali aux structures étatiques ne fait plus sens. Une foule d’autres acteurs en assume désormais les prérogatives en étant liée aux marchands de la place tandis que les sensali officiels doivent payer plusieurs taxes82. À ce titre, les interprètes ont su habilement se positionner aux marges des institutions dans la pratique du courtage maritime concernant les Nordiques. La configuration décrite dans les documents explique également pourquoi les marchands immatriculés d’Ancône purent aisément mettre au pas la corporation. Une corporation inexistante car le Collège des sensali ne fut apparemment jamais institué par l’Université des marchands malgré l’édit de 1732 qui en stipule la création83. Les marchands immatriculés justifiaient l’exercice de cette contrainte institutionnelle par la nécessité pour le tribunal de garder le contrôle d’un corps enclin à agir pour son propre compte84. Cependant, les doléances des sensali trouvèrent apparemment un écho auprès du Camerlengo, car un édit, dont la date n’est pas précisée mais certainement promulgué dans les années 1780, força l’application des mesures de 1732 85. Il créa une véritable corporation des courtiers limitée à trente individus, vingt chrétiens et dix juifs divisés en trois classes : l’une dédiée à la négociation des assurances et changes maritimes et composée de deux individus, l’autre aux nolis de bâtiments (quatre individus) et enfin la dernière pour les comestibles et autres marchandises (24 individus). Si la portée

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socioéconomique et l’application de cette nouvelle législation restent inconnues, notons que les discours autour de l’activité des sensali se concrétisent désormais en termes de prérogatives publiques et d’intérêts communs et étatiques. Mais loin de révéler une morale marchande connectée aux intérêts de l’État, les débats laissent également entrevoir une notion de crédit marchand qui ne correspond pas forcément à une vision légaliste de la négociation économique. En effet, les courtiers qui ne sont pas intégrés dans le corps officiel des sensali continuent à être des références économiques grâce à la qualité de leur intermédiation, et ce malgré les risques de sanction encourus. Assurément, les périodes qui précèdent et suivent la purge des sensali restent favorables à la médiation d’individus positionnés aux marges des institutions. Il ne s’agit là que d’éliminer des concurrents économiques gênant les juges-marchands d’Ancône. C’est dans ce contexte que l’activité d’Alessandro Comelati est attaquée de toute part.

29 Le personnage est jusqu’en 1794 au centre de plusieurs affaires de même nature, impliquant marchands, consignataires et consuls. Dès 1782, un autre mémoire adressé au Camerlengo préconise de lui retirer sa charge d’interprète de la nation anglaise en même temps qu’à son père, Carlo Comelati86. Plusieurs marchands reprochent à leurs activités de perturber l’activité de consignation et de commissionnement local des navires nordiques et dénoncent « l’ingerenza dei raccomandatari dei bastimenti che arrivano in quel porto su i bastimenti delle bandiere del Nord, che vi giungono sotto diverse raccomandazioni locali »87. Le dossier rappelle un précédent, une affaire entre Giuseppe Maria Acquabona et Leonardo Hoffmeister. Concernant l’interprétariat de la langue anglaise, le document vise, en forçant le trait, à mettre en relief les abus du père et l’incompétence du fils. Carlo Comelati, qui ne se limite apparemment pas au « détournement » des navires anglais, suédois, danois et hollandais des nolis de retour de leurs consignataires88, promet des contrats plus avantageux que la moyenne. Ainsi, il attire à lui les capitaines dont il obtient les commissions sur nolis. C’est le cas du capitaine suédois Johan Laurents à qui il proposa un transport de grains vers Civitavecchia pour le compte de l’Annone à douze paoli par rubbia de blé. Ce contrat est largement au-dessus des dix paoli par rubbia, tarif habituellement pratiqué. Les autres intermédiaires craignent ainsi qu’il ne soit par la suite difficile de faire entendre raison aux capitaines afin qu’ils acceptent à nouveau ce tarif89. Les sanctions proposées sont l’interdiction d’exercer pour Alessandro, qualifié d’inhabile, d’inexpérimenté et de mezzano non approvato (courtier non reconnu) selon l’usage du tribunal du consulat d’Ancône, ainsi que l’impossibilité de traiter avec les capitaines sans l’autorisation des raccomandatari o ricevitori di carichi (consignataires des navires ou des cargaisons). Enfin, on souhaite leur interdire d’intervenir auprès du bureau de la santé afin d’obtenir les patentes. Les Comelati ont en effet su tisser des liens étroits avec les responsables de la santé et peuvent se procurer le document plus rapidement que leurs concurrents.

30 Il paraît peu probable que ces recommandations aient été appliquées, car Alessandro Comelati n’a jamais été destitué de sa charge. On le retrouve en 1789, lors de la succession du comte Ambrogio Tomasi, de nouveau au cœur d’une controverse portant sur les limites de ses attributions. L’affaire a cette fois pour objet l’ingérence de Comelati en matière de prérogatives consulaires. Lors de la vacance du poste de consul de la nation anglaise, il se permit en effet de percevoir des droits sur les navires anglais : les capitaines protestèrent contre la pratique, jugeant qu’en l’absence de consul les cinq talari du consolaggio (taxe consulaire sur chaque embarcation) n’étaient pas dus90. L’affaire semble toutefois plus complexe et l’on peut s’interroger sur les liens que Comelati entretient avec la fonction consulaire. En 1789, il est rappelé au nouveau

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consul fraîchement nommé, Carlo Tomasi, qu’interprète et consul ont des attributions distinctes et qu’il doit s’entourer de personnes compétentes91.

31 Enfin, en 1794, Alessandro Comelati se trouve au cœur d’un conflit d’intérêt, à l’instigation du nouveau consul de la nation anglaise, Francesco Storani. Les débats portent une fois de plus sur les limites de la fonction d’interprète et sur d’éventuelles fraudes à la patente sanitaire92. On cherche alors de nouveau à destituer Comelati en arguant cette fois que ses activités sortent du cadre juridique de sa fonction. Pour résumer, Alessandro Comelati doit-il être considéré comme un négociant ? Dans ce cas, il ne peut plus exercer l’interprétariat sans enfreindre les règles et provoquer de nombreuses réclamations93. Francesco Storani fait à l’occasion de cette affaire référence à l’ordonnance de marine française de 1681 qui, dans l’article 13 du livre 1, titre 7, confirme que les courtiers (sensali) et interprètes ne peuvent commercer ou acheter de marchandises aux capitaines de navires sous peine d’amende94. À cette fin, les acteurs institutionnels concurrents (consuls, juges-marchands) s’efforcent de prouver qu’Alessandro Comelati pratique le commerce avec les navires anglais et qu’il outrepasse les limites de sa fonction95. Néanmoins, le litige pousse les parties à définir les prérogatives de chacun afin de confondre Alessandro Comelati. La chose fut loin d’être aisée. Tant le gouverneur d’Ancône que le tribunal du Consolato éprouvent des difficultés à clarifier le rôle des différents intermédiaires. À cette occasion, on tente de définir la fonction d’interprète. Pour l’administration pontificale, Alessandro Comelati doit permettre au consul Storani de capter les intérêts des capitaines anglais arrivant à Ancône et d’obtenir leur bienveillance96. Il est également tenu de retranscrire les témoignages des capitaines en cas de fortune de mer (prove di fortuna), document destiné au consul et indispensable au partage (repartitio) des frais de l’avarie ou pour bénéficier de l’assurance maritime97. Si l’interprète peut assumer le rôle de mezzano di noleggi, il ne peut en revanche être raccomandataro (consignataire du navire) ou ricevitore di carichi (consignataire de la cargaison), ou encore commisionato e mercanti nei generi d’Inghilterra (consignataire ou marchands spécialisés dans les marchandises d’Angleterre). Or beaucoup de témoignages accusent Alessandro Comelati d’assurer chacune de ces fonctions. Il est en effet régulièrement destinataire de chargements de baccalari et aringhe (morues et harengs) sur des navires anglais, tient un magasin sur la place d’Ancône et enfin « ouvre » un comptoir à chaque foire de Senigallia98. Il est donc qualifié de négociant véritable (« vero e positivo negoziante »).

32 Difficile de dire si Alessandro Comelati a réellement la stature d’un négociant. Le terme ne semble pas convenir et il serait plus juste d’évoquer un simple marchand aux multiples activités. Toutefois, la virulence et la récurrence des attaques étonnent, tout comme le souhait farouche d’écarter les interprètes. Quant à leur place sur l’échiquier de la médiation des trafics anconitains, on peut légitimement se demander si celle-ci n’était pas exagérée. Dans le cas contraire, leur importance est-elle uniquement liée à leur fonction ou le fruit de l’habileté de Comelati et Hoffmeister ? Si les autres intermédiaires considèrent la position privilégiée dont jouit l’interprète comme une injustice, il ne fait aucun doute que l’élimination d’un concurrent devenant gênant, tout comme la jalousie économique, motivent la démarche. Le consul de la nation anglaise ne tolère pas que l’interprète ne lui soit pas totalement soumis et qu’il puisse apparaître comme une alternative efficace. Un évènement va tout particulièrement tendre une situation déjà très conflictuelle. En février 1793 le chargé d’affaires de la nation anglaise à Venise, Giovanni Watson, décide de prévenir l’interprète camérale pour les trafics nordiques plutôt que le consul de la nation anglaise de l’imminence de

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la guerre entre la France et l’Angleterre. Il s’agit là d’un camouflet pour le consul. C’est également l’illustration des possibles limitations des prérogatives consulaires face à l’action quotidienne d’agents de la pratique99. Plusieurs lettres jointes au dossier concernant l’affaire défendent d’ailleurs Alessandro Comelati qui serait devenu l’objet d’une vengeance du consul Storani100. Les partisans de l’interprète évoquent plus globalement une longue machination dirigée contre l’interprète, ce dernier refusant de s’allier avec les individus voulant « tromper et décevoir les pauvres capitaines » (« ingannare e deludere i poveri capitani »)101. Les capitaines, justement, participent peu aux débats, et l’argument de leur naïveté souvent évoqué par Storani semble excessif. Si pendant plus d’une dizaine d’années ils s’adressent à Alessandro Comelati, on peut raisonnablement penser qu’ils y trouvent leur intérêt. En effet, les plaintes de l’intermédiation concurrente contre l’interprète sont nombreuses et documentées, alors qu’on n’évoque aucune protestation des capitaines le concernant. Nul doute que si celles-ci existaient, elles auraient été utilisées par les adversaires de Comelati. Plus que le « premier contact », c’est la qualité des services rendus par les interprètes qui explique leur solide ancrage au cœur des navigations anglaises, hollandaises, suédoises et danoises. Inversement, la légitimité des consuls des nations nordiques est, nous l’avons vu, plusieurs fois remise en cause, tant sur le plan de la perception des droits que sur celui de leur efficacité : une opposition qui procède d’une construction économique âprement disputée et posant la question de l’État face à l’extraterritorialité des statuts, à savoir le marché des transporteurs nordiques institutionnalisé par l’Annone. La reconnaissance de la médiation des interprètes découle à ce titre d’une élaboration économique ancienne dont les fondements doivent être envisagés au-delà du simple cadre pontifical.

33 Ce que la documentation consulaire ne mentionne pas, ou à demi-mots, c’est qu’Alessandro Comelati et Leonardo Hoffmeister ont créé en 1783 une société pour assister les capitaines suédois et danois de passage dans le port d’Ancône102. En 1786, fort de son succès, cet organisme d’assistance étend ses compétences aux intérêts des capitaines anglais et hollandais. À cette occasion, Rosa Colini, veuve d’un puissant négociant juif de la place, et Lorenzo Pulini, marchand d’Ancône, prennent des parts dans la société103. De plus, Alessandro Comelati attire facilement les capitaines nordiques grâce à l’expérience acquise à Venise en tant qu’agent d’assurance maritime, notamment pour le compte de Gianfranco Nembrini. Ce dernier, puissant marchand anconitain issu de la noblesse, en fit son fondé de pouvoir (procuratore) le 25 juin 1760, lui donnant la faculté de négocier et souscrire des polices d’assurance en son nom. Si Nembrini faisait partie de la Compagnia privata di assicurazioni, créée à Ancône en 1754 grâce à l’union des plus importants négociants de la place, il pouvait toutefois stipuler des polices d’assurance à titre personnel sans engager la compagnie. Le réseau vénitien d’Alessandro Comelati et ses relations avec les mezzani di sicurtà de la place permet ainsi de choisir les meilleurs capitaines, de connaître l’état des embarcations et les routes les plus sûres pour la navigation104. Cependant, quelques prises de navires et naufrages mirent fin à l’association avec Nembrini en mai 1761, ce dernier lui reprochant les pertes subies. Il est vrai que Comelati lui conseillait souvent di far tocchi (faire des coups) sur les embarcations risquées malgré les conflits, alors que Nembrini invitait plutôt son procuratore à la prudence105. Dans l’esprit de Comelati, l’assureur doit utiliser le risque à son avantage et parier sur les navigations. En fin connaisseur du métier, il tenta d’expliquer à Nembrini, plus habitué à la stabilité des rentes, que le meilleur capitaine naviguant sur un navire sûr pouvait malgré tout s’échouer si d’aventure le

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mauvais temps s’invitait dans sa navigation. À l’inverse, assurer les cargaisons les plus risquées sous un pavillon en guerre représentait une source potentielle de profit beaucoup plus rapide et importante. Alessandro Comelati, malgré sa réputation et les profits obtenus, perdit après cette affaire la confiance d’une partie des négociants et assureurs d’Ancône. Ainsi, quand il fonde par la suite avec Leonardo Hoffmeister sa propre société, l’interprète est loin d’être un novice en matière d’entremise économique. Il sait négocier d’avantageux contrats de nolis et les assurances maritimes sur diverses places marchandes. Il n’est pas non plus un inconnu, avec toutes les jalousies et inimitiés que ses relations avec la place vénitienne et le tissu marchand anconitain ont pu créer autour de sa personne.

34 À la lecture de ces documents, se dessine toute l’épaisseur sociale de la nébuleuse des intermédiaires. Dans la compétition journalière que se livrent les différents acteurs de la médiation des trafics nordiques, les relations privilégiées qu’entretient Comelati avec les capitaines anglais le favorisent assurément. Certes, grâce à son rôle d’interprète, Alessandro Comelati attire à lui les trafics anglais et peut conseiller, détourner même les navires selon ses intérêts et ceux des capitaines afin de toucher les commissions sur les nolis106. Les attaques dont sa fonction est l’objet illustrent l’importance de la communication et du premier contact107. Mais dans une réalité locale où de nombreux marchands, à l’exemple de Trionfi, cumulent charges, affermages (appalti) et fonctions officielles, sources de privilèges et de passe-droit, l’argument perd de sa force. La controverse fut surtout un conflit d’intérêt entre le consul Storani et Alessandro Comelati, le premier défendant son propre réseau d’intermédiaires face à un indépendant faisant des nolis nordiques un négoce. D’ailleurs, le consul Storani attaqua également avec virulence l’interprète Leonardo Hoffmeister, accusé de faire de même avec les navires hollandais. Or, au-delà de l’interprète, c’est surtout l’associé d’Alessandro Comelati qui est visé par le consul. Storani tente alors de restaurer la légitimité d’une fonction que l’entreprise d’Alessandro Comelati met clairement en péril sur le plan économique.

Conclusion

35 S’il existe assurément quelques lignes directrices quant à la genèse du corps consulaire à l’époque moderne, le cas pontifical témoigne de manière exceptionnelle que toute idée d’unité professionnelle selon une position institutionnelle fixe s’avère illusoire. Le consul agit et fait sens au travers d’un contexte économique, social et politique, jouant comme les autres acteurs sur diverses échelles au sein d’un système d’entrelacements personnels qui est au final producteur d’un type de pratiques consulaires particulier. Autour du marché des transporteurs nordiques employés par l’Annone, se dessinent différents espaces d’interprétation et de positionnements économiques permettant de proposer une définition plus ouverte de la fonction. Si le caractère local retient à ce titre toute l’attention afin de restituer l’espace social fragmenté où l’action consulaire prend corps, la concurrence des souverainetés complexifie la donnée consulaire. Dans le cas des consuls pour les nations nordiques en poste à Ancône, il faut varier la focale de la cité à l’État romain, et de l’État romain aux cours étrangères qui entendent elles aussi affirmer leur souveraineté « maritime » sur le territoire pontifical. Nous sommes alors en présence d’un tableau mouvant au sein duquel la légitimité du médiateur consulaire dépend d’une négociation autour de l’extraterritorialité des statuts et des

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concessions accordées sur la souveraineté consulaire. La préférence donnée au pavillon national, les tribunaux de commerce et maritime, les ordonnances de marine et tout autre organe devant définir la circulation maritime des États sont alors autant d’éléments à partir desquels se négocie l’imperfection des rapports entre les souverainetés maritimes concurrentes. Il faut alors appréhender le médiateur consulaire non pas seulement comme un prolongement étatique de la nation qu’il représente mais selon les aspects locaux et internationaux qu’il fait quotidiennement interagir. Le cas du consulat des Nordiques à Ancône concentre à ce titre l’ensemble de ces problématiques dans une perspective à la fois commune aux autres fonctions consulaires mais qui garde toutes ses particularités.

NOTES

1. Christian Windler, La diplomatie comme expérience de l’autre : consuls français au Maghreb, 1700-1840, Genève, Droz, 2002, 633 p. 2. Concernant les multiples aspects de la fonction consulaire et leurs évolutions, consulter la synthèse de Jörg Ulbert sur la question : Jörg Ulbert, « Introduction. La fonction consulaire à l’époque moderne : définition, état des connaissances et perspectives de recherche », dans Gérard Le Bouëdec et Jörg Ulbert (dir.), La fonction consulaire à l’époque moderne. L’affirmation d’une institution économique et politique (1500-1800), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 9-20. Outre les différentes contributions à cet ouvrage, la problématique des « horizons consulaires » fait actuellement l’objet de rencontres scientifiques organisées par le Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (Université Nice Sophia Antipolis) ; sont abordés les thèmes de l’insertion des consuls dans les contextes local et international, sur les plans social, culturel et institutionnel, ainsi que leur rôle dans la circulation de l’information et de l’intermédiation marchande. Le présent article entend apporter une modeste contribution à la réflexion en cours. 3. En 1742, et parallèlement à la définition des compétences du Camerlengo à la tête de la Chambre apostolique (l’organe dédié à la gestion « temporelle » des États pontificaux), s’opère une tentative de reprise en main de la gestion juridique des trafics maritimes. L’objectif est alors d’initier un cercle vertueux permettant de faire progresser les échanges : Christopher Denis-Delacour, « Consolato del mare, Consoli et Capitani à Civitavecchia (1742-1797). L’expression institutionnelle du positionnement économique des acteurs », Rives méditerranéennes, no 41, 2012, p. 161-182, http:// rives.revues.org/4127. 4. André Tchernia, « Le ravitaillement de Rome : les réponses aux contraintes de la géographie », dans Brigitte Marin et Catherine Virlouvet (dir.), Nourrir les cités de Méditerranée. Antiquité-Temps modernes, Paris/Aix-en-Provence, Maisonneuve & Larose/ MMSH, 2003, p. 45-60. 5. François Brizay, L’Italie à l’époque moderne, Paris, Belin, 2001, p. 114-115. 6. Monica Martinat, Le « juste » marché. Le système annonaire romain aux XVIe et XVIIe siècles, Rome, École française de Rome, 2004, 370 p.

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7. Giuseppe Mira, Commercio e consumo del frumento a Roma nel XVIII secolo, Côme, SAGRA, 1948, p. 13. 8. Jacques Revel, « Le grain de Rome et la crise de l’Annone dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Moyen-Âge, Temps modernes, vol. 84, no 1, 1972, p. 239-240. 9. Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône : croissance et impasse d’un milieu marchand au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1965, p. 182. 10. Giuseppe Mira, Contributo alla storia dei trasporti marittimi nel Settecento. I trasporti marittimi da Ancona a Civitavecchia nel quadro dell’economia del tempo, Bari, Alfredo Cressati, 1953, p. 32. 11. Ibid., p. 31. 12. Ibid., p. 34 et Giuseppe Mira, Note sui trasporti fluviali nell’economia dello Stato pontificio nel XVIII secolo, Rome, Archivio della Società romana di Storia patria, 1954, 18 p. 13. Concernant la métrologie : 1 rubbia équivalait à 2,94 hl et à 4 quarte (1 quarta = 4 staia = 0,73 hl). Enfin 1 staio = 0,18 hl (Angelo Martini, Manuale di metrologia : ossia Misure, pesi e monete in uso attualmente e anticamente presso tutti i popoli, Rome, ERA, 1976, p. 597). 14. Archivio di Stato di Roma (dorénavant ASR), Camerale II Strade, b. 3. 15. Luigi De Rosa, « Comunicazioni terrestri e marittime e depressione economica : il caso del Regno di Napoli (secoli XIV-XVIII) », dans Anna Vannini-Marx (dir.), Trasporti e sviluppo economico (secoli XIII-XVIII), Florence, Le Monnier, 1986, p. 15. 16. Alessandro Cialdi, Sul Tevere, sulla unione dei due mari e sulla marina mercantile, Rome, Bertinelli, 1847, p. 15-38. 17. L’analyse de Giuseppe Mira décrit les frais supplémentaires consécutifs au naufrage d’un navire suédois devant effectuer un transport de grains entre Ancône et Civitavecchia pour le compte de l’annone en 1755 (nolisement d’un nouveau bâtiment, constitution d’une nouvelle cargaison de blés, et ainsi de suite) : Giuseppe Mira, Contributo alla storia…, op. cit., p. 25. 18. En 1795, l’Annone, par crainte d’une mauvaise récolte, acheta près de 13 000 rubbia de blé à Livourne au prix fort (17 écus par rubbia). Mais l’arraisonnement de deux navires, la lenteur de l’acheminement, le manque de 20 % lors du déchargement de la cargaison à l’arrivée ainsi que la piètre qualité du grain entraînèrent une perte sèche de 160 000 écus. L’Annone écoula par la suite difficilement ce blé pendant près d’un an sur les places de Livourne et de Gênes (Jacques Revel, « Le grain de Rome… », art. cit., p. 233-234). 19. Jacques Revel, « Le grain de Rome… », art. cit. 20. Concernant la poussière portuaire romaine, Christopher Denis-Delacour, « Petits ports et escales de la côte romaine dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Rives méditerranéennes, no 35, 2010, p. 117-132, http://rives.revues.org/3856. 21. La thématique du risque offre de nombreuses pistes pour un champ de recherche très large. Parmi celles-ci, nous retenons l’étude de l’anticipation et des actions normatives face au risque comme partie intégrante de notre réflexion : Mathias Tranchant, « La “culture” du risque chez les populations usagères des mers et littoraux du Ponant (XIe-XVIe siècles) : première approche d’une histoire à construire », Revue d’histoire maritime, no 9, 2008, p. 9-45. 22. Sur la place d’Ancône, l’assurance maritime s’établissait selon l’usage de Livourne : Giuseppe Mira, Contributo alla storia…, op. cit., p. 19.

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23. C’est par exemple le cas du capitaine anglais John Boyes qui, au début de l’année 1768, quitte le port d’Ostende chargé de blé à destination de Civitavecchia : ASR, Consolato di Mare, Manuale di atti, b. 1023 (1768-1771), acte du 12 mai 1768, f. 96 et 97. 24. Dès le XVIe siècle, les échanges entre la péninsule italienne et l’Europe du Nord sont une réalité : Gigliola Pagano De Divitiis, « Mediterraneo e Nord Europa fra ‘500 e ‘700 : scambi commerciali e scambi culturali », dans Simonetta Cavaciocchi (dir.), Ricchezza del mare, ricchezza dal mare (Secc. XIII-XVIII), Florence, Le Monnier, 2006, p. 81-114. 25. Plusieurs témoignages contemporains décrivaient l’ampleur et les conséquences de cette progression. Par exemple John Cary, Storia del commercio della Gran Bretagna, Naples, Benedetto Gessari, 1757, p. 57-58 et Nicolas Fortunato, Rifflessioni di Nicola Fortunato giureconsulto napoletano intorno al commercio antico e moderno del Regno di Napoli, Naples, Stamperia Simoniana, 1760, p. 206-207. Plus récemment, les travaux de Leos Müller évoquent la progression suédoise en Méditerranée : Leos Müller, Consuls, Corsairs, and Commerce, The Swedish Consular Service and Long-distance Shipping, 1720-1815, Uppsala, Uppsala Universitet, 2004, p. 51-54. 26. Concernant la présence nordique à Ancône et Livourne, voir Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône…, op. cit., p. 154-167 et Jean-Pierre Filippini, Il porto di Livorno e la Toscana (1676-1814), vol. 1, Naples, Edizioni scientifiche italiane, 1998, p. 58-62. 27. En reprenant la thématique de l’héritage braudélien, notamment son analyse de la domination des navigations nordiques en Méditerranée, le numéro 13 de la Revue d’histoire maritime, paru en 2011 et intitulé « La Méditerranée dans les circulations atlantiques au XVIIIe siècle », propose par exemple de reconsidérer les échanges méditerranéens au-delà d’une vision atlantiste du commerce et de réévaluer les processus de cette invasion nordique (consulter l’introduction d’Arnaud Bartolomei et de Silvia Marzagalli). C’est également le cas de Maria Fusaro, Colin Heywood et Mohamed-Salah Omri qui traitent, dans un ouvrage collectif, la problématique de la pénétration des Nordiques en Méditerranée : Maria Fusaro, Colin Heywood et Mohamed-Salah Omri (dir.), Trade and Cultural Exchange in the Early Modern Mediterranean : Braudel’s Maritime Legacy, Londres, Tauris, 2010, 336 p. 28. Il s’agit de la « conquête » des marchés maritimes méditerranéens par les embarcations grecques qui culminerait entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle : Gelina Harlaftis, « The “Eastern Invasion”. Greeks in Mediterranean Trade and Shipping in the Eighteenth and Early Nineteenth Centuries », dans Maria Fusaro, Colin Heywood et Mohamed-Salah Omri (dir.), Trade and Cultural Exchange…, op. cit., p. 223-252. 29. Entre autres, Biagio Salvemini (dir.), Lo spazio tirrenico nella « grande trasformazione ». Merci, uomini e istituzioni nel Settecento e nel primo Ottocento, Bari, Edipuglia, 2009, 503 p. 30. Le registre de l’année 1743 s’arrête à la date du 14 septembre. 31. Pour des raisons indéterminées, les seuls capitaines dont les registres d’ancrage de Civitavecchia omettent de préciser l’origine entre 1785 et 1797 battent pavillon du Royaume de Naples. Grâce au registre de 1796, seule année où les listes indiquent de manière exhaustive le pavillon de chaque capitaine, il a été possible de mener une analyse comparative des données. En 1796 on relève ainsi la présence de près de 767 caboteurs napolitains. Une comparaison avec les autres registres permet alors de préciser les forces en présence. En 1791 par exemple, aucun caboteur napolitain n’est mentionné alors que l’origine de près de 789 capitaines reste inconnue et que toutes les autres « nations » sont présentes. Il est naturellement impossible que le pavillon du Regno soit absent des trafics. Surtout, en fonction des noms et prénoms des caboteurs napolitains présents en 1796 et des informations relatives à leurs embarcations, nous

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constatons que ces derniers font partie des « indéterminés » de 1791. Ainsi, malgré les écueils documentaires, la marge d’erreur concernant l’évaluation des pavillons à Civitavecchia entre 1785 et 1797 peut être considérée comme faible. 32. Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône…, op. cit., p. 68-69. Cette collaboration fut toutefois largement remise en question par la suite. 33. Dans le cas des trafics maritimes, les outils statistiques, qui restent essentiels, sont à appréhender avec précaution. Concernant les remises en questions et les nouvelles approches de l’analyse quantitative : Claire Lemercier et Claire Zalc (dir.), Méthodes quantitatives pour l’historien, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2008, 120 p. ; Jean- Yves Grenier, « L’histoire quantitative est-elle encore nécessaire ? », dans Jean Boutier et Dominique Julia (dir.), Passés recomposés. Champs et chantiers de l’histoire, Paris, Autrement, 1995, p. 173-183. 34. Alberto Caracciolo, Ricerche sul mercante del Settecento-II Francesco Trionfi, capitalista e magnate d’Ancona, Milan, Giuffrè, 1962, 115 p. 35. Ibid., p. 12-13. 36. Ibid., p. 14. 37. Luigi Dal Pane, Il commercio dei grani nello Stato Pontificio nei secoli XVII e XVIII, Bari, Cressati, 1939, p. 42-44. 38. À ce titre les navires nordiques étaient très recherchés et avaient la préférence des négociants. Le 2 février 1771, la maison Rangoni de Livourne, en affaires avec les Roux de Marseille, informa de l’absence de bâtiments anglais, hollandais, danois et suédois pouvant être nolisés. Elle demanda alors à la maison Roux l’autorisation de pouvoir utiliser des bâtiments italiens pour l’envoi de blés à Marseille : Archives de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille, L IX 919 : lettres de Rangoni et Fils (1756-1777). 39. Quelques listes d’embarquements de grains organisés par Francesco Trionfi nous renseignent sur la nationalité des transporteurs. En 1754-1755, il nolisa deux navires hollandais et un suédois, et lors de la crise frumentaire de 1764-1765, vingt-quatre navires dont dix anglais, deux hollandais, deux danois et deux suédois contre six italiens : ASR, Camerale II Annona, b. 17. 40. Dans la courte liste des plus importants marchands d’Ancône établie en 1760, on note tout de même la présence de quelques négociants « internationaux » tel Ricotti (Alberto Caracciolo, Ricerche sul mercante…, op. cit., p. 262). Néanmoins, rien de comparable avec Livourne et Marseille, largement mieux pourvus. 41. Les capitaines Enrico Gripp et Cristiano Laerson, danois, refusèrent de payer les droits consulaires dus à Alessandro Gily au motif qu’il n’était pas désigné par leur souverain : ASR, Camerale II Consolati, b. 5, fascicolo 3, Affari navali e di commercio, lettre du 24 décembre 1787. 42. Le tribunal du Consolato d’Ancône fut institué en 1594 par le pape Clément VIII. Ses structures inspirèrent celui de Civitavecchia, notamment en ce qui concerne leurs statuts. Cependant, les archives du tribunal de la mer d’Ancône sont perdues, alors qu’au XVIIIe siècle celui-ci était toujours en activité et servait de point de référence juridique pour les administrateurs pontificaux : Carmelo Trasselli, « Un nuovo versamento al R. Archivio di Stato di Roma. Il Consolato del mare di Civitavecchia », Archivi, III, 1936, p. 28. 43. Il s’agit de Giorgio Cressner, élu en 1735 : Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône… , op. cit., p. 146.

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44. Alberto Caracciolo, Le port franc d’Ancône…, op. cit., p. 145-146. Ce cas précis peut, dans une certaine mesure, illustrer une « troisième » voie à côté des consuls envoyés (missi) et des consuls élus (electi) : Jörg Ulbert, « Introduction. La fonction consulaire… », art. cit., p. 16. 45. Leos Müller, Consuls, Corsairs, and Commerce…, op. cit., p. 231. 46. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Francesco Storani du 15 juillet 1793 et lettre d’Alessandro Gily du 15 juillet 1793. Francesco Storani se vanta même de liens étroits avec le roi de Suède Gustave III et de connaître et servir tous les « ministres » des deux nations présents dans les diverses cours. 47. Ibid. 48. Ici les notions de souveraineté et d’extraterritorialité sont directement liées à l’évolution de la « politisation » de la fonction. Entre le XVIIIe siècle et le XIXe siècle, et en fonction des importantes reconfigurations territoriales et politiques de la Restauration, le mode de nomination évolue et renforce le rôle du consul comme défenseur des intérêts de l’État qu’il représente à l’international. L’appartenance « nationale », tout comme la fidélité de l’individu en charge du poste consulaire, remettent alors en question le système précédent, mais sans forcément éliminer totalement les anciens consuls. La temporalité de ces transformations peut cependant différer d’un territoire à un autre. Concernant ces divers aspects, consulter l’ouvrage essentiel de Marcella Aglietti, L’istituto consolare tra Sette e Ottocento. Funzioni istituzionali, profilo giuridico e percorsi professionali nella Toscana granducale, Pise, ETS, 2012, p. 252-260. 49. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, promemoria destiné au Camerlengo. 50. Georg Cavallar, The rights of strangers. Theories of international hospitality, the global community and political justice since Vitoria, Aldershot, Ashgate, 2002, p. 158. 51. Concernant la notion de commerce actif dans la politique économique pontificale : Christopher Denis-Delacour, « Commerce actif et compromis institutionnels à Civitavecchia », à paraître en 2014 aux Mélanges de l’École française de Rome-Italie, Méditerranée. 52. Même si l’analyse d’Alberto Caracciolo traite avec intérêt de l’intermédiation consulaire à Ancône, le sujet ne constitue pas le cœur du propos et mérite une analyse approfondie. 53. Après le traité de Bologne en juin 1796, puis celui de Tolentino le 19 février 1797, les ports pontificaux furent laissés sous le contrôle des troupes françaises. La navigation des embarcations des puissances en guerre contre la République y fut interdite : Odoardo Toti, Storia di Civitavecchia-Da Sisto IV a Pio VI- vol. II, Civitavecchia, La Litografica, 1996, p. 259. L’administration romaine est ensuite totalement réorganisée par la France : Monica Calzolari et Elvira Grantaliano, Lo Stato pontificio, tra Rivoluzione e Restaurazione, Istituti e archivi (1798-1870), Rome, Archivio di Stato, 2003, 253 p. 54. Benoit XIV fut pape de 1740 à 1758. 55. Maria Grazia Pastura-Ruggiero, La Reveranda Camera Apostolica e i suoi archivi (XV- XVIII), Rome, Archivio di Stato di Roma, Scuola di Archivistica, Paleografia e Diplomatica, 1987, p. 70-71. 56. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du 15 mai 1789. 57. ASR, Camerale III, Ancona, lettre de 1778. 58. Le duc d’York avait précédemment recommandé Storani : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du 15 mai 1789. 59. Tout comme du côté tyrrhénien, la stratégie du discrédit pour obtenir le poste consulaire était également prégnante dans les pratiques anconitaines.

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60. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre non datée. 61. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Francesco Storani du 24 novembre 1788. 62. ASR, Camerale II Consolati, b. 5, Affari navali e di commercio : lettre d’Alessandro Gily du 24 décembre 1787. 63. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Francesco Storani du 8 mai 1789. 64. De son vivant, son père avait essayé d’organiser sa succession en sa faveur : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre d’Ambrogio Tomasi du 13 avril 1789. 65. Dans une lettre datée du 19 juin 1789, il remerciait le Camerlengo Rezzonico pour sa nomination : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona. 66. Dès le 12 juin 1789, Alessandro Comelati avait soutenu Luigi Candelari, soulignant l’importance de placer un homme d’expérience sachant parler anglais pour le poste : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona. 67. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du Cardinal Ranuzzi du 30 août 1790. 68. Dans la documentation consultée, il apparaît comme consul de la nation anglaise dans une lettre datée de 1793 et comme consul des nations du Nord en 1794 : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona. 69. Concernant les problématiques liées à la circulation de l’information marchande : Gilbert Buti et Wolfgang Kaiser (dir.), « Moyens, supports et usages de l’information marchande à l’époque moderne », Rives méditerranéennes, no 27, 2007, p. 7-11, http:// rives.revues.org/1973?lang=en ; Biagio Salvemini et Wolfgang Kaiser (dir.), « Informazioni e scelte economiche », Quaderni Storici, no 124, 2007, p. 3-18. Sur l’information consulaire, voir Silvia Marzagalli, Maria Ghazali et Christian Windler (dir.), Les consuls en Méditerranée, agents d’information et de contre-information, Paris, Classiques Garnier, 2014 (en préparation). 70. Le titre ne laisse aucun doute quant à la nature officielle de la fonction (ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Pietro Delorthe du 7 avril 1787). Le premier consul de la nation suédoise à Venise fut nommé en 1735 par le Board of Trade suédois : Leos Müller, Consuls, Corsairs, and Commerce…, op. cit., p. 231. 71. Les nolis de retour étaient très recherchés par les bâtiments d’Europe du Nord. Pietro Delorthe, souhaitant trouver un nolis pour un capitaine danois, évoquait l’intensité du phénomène : « possanno in questa scorsa staggione di noli ottonere qualche cosa per salvarsi delle spese […] » [Ils puissent en cette saison d’affrètements qui vient de s’écouler, trouver un contrat pour rentrer dans leurs frais] : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du 14 avril 1787. Ces propos sont confirmés par l’analyse de Giuseppe Mira. Ce dernier souligne que les capitaines anglais, hollandais, suédois et danois cherchaient à ne pas rentrer totalement sur lest en profitant d’un dernier contrat. Le coût du nolis était d’ailleurs le même pour un transport d’Ancône à Civitavecchia et de Civitavecchia à Livourne ou Gênes : Giuseppe Mira, Contributo alla storia…, op. cit., p. 26. 72. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Pietro Delorthe du 5 mai 1787. L’extrait est ici restitué dans son orthographe originale. (« Grâce à ma modeste influence, et mes discussions avec les capitaines du Ponant, le capitaine Olai Stuansen commandant le navire danois Elenesar d’environ 80 lasts, ce qui fait près de 900 rubbia, a été convaincu lui aussi et il m’a donné sa parole de ne s’adresser qu’à vous en conséquence de quoi je l’ai muni d’une lettre, me flattant que votre soin et attention à son endroit permettront de le conforter dans son choix »).

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73. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Pietro Delorthe du 2 juin 1787. 74. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Giuseppe Maria Acquabona non datée. 75. À cette occasion, Pietro Delorthe fit jouer son réseau et demanda d’intervenir à une connaissance du consul de Suède à Tunis, Carlo Holmberg, résident à Gênes : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Pietro Delorthe du 2 juin 1787. 76. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, promemoria non daté (certainement 1788 eu égard aux pièces jointes du dossier). 77. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, attestation du 3 mars 1788. Elle concernait la demande de patente d’Alessandro Comelati auprès de l’Università dei mercanti pour être admis parmi « li mezzani publici di questa piazza » [les courtiers publics de cette place]. 78. Christopher Denis-Delacour, « Consolato del mare… », art. cit. 79. Leur nombre passa de 36 à 19. Tout comme à Civitavecchia, la prérogative du tribunal en matière de renouvellement des patentes des sensali lors de la congrégation annuelle du Consolato fut utilisée à des fins marchandes : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre des consuls-résidents du 13 avril 1792. 80. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, dossier général daté de 1792 avec résumé des pièces jointes du 7 mai 1792. 81. Ils se nommaient Antonio Silici, Luigi Pulini, Lorenzo Pulini, Agostino Volponi, Matteo Bellomo et Giovanni Antoninone : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre non datée. 82. On dénonçait le fait que même les étrangers et les juifs exerçaient la fonction librement : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre non signée et non datée. 83. Ibid. 84. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre des consuls-résidents du 13 avril 1792. 85. Il n’est présent que sous la forme d’une copie rédigée à la main et sa version originale n’a pas été retrouvée : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, édit non daté du pape Pie VI (pontificat de 1775 à 1799). 86. La périodisation de ce dossier est incertaine, un seul des documents contenus étant daté du 6 décembre 1782. 87. « L’ingérence des consignataires des bâtiments qui arrivent dans ce port quant aux navires sous pavillon nordique adressés sous diverses recommandations locales ». 88. Ibid. 89. En 1755 il était de 8 paoli par rubbia pour le même trajet. Voir Giuseppe Mira, Contributo alla storia…, op. cit., p. 21. 90. C’est le cas des capitaines Tomaso Pearson et Francesco Panson : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du 14 juillet 1789. 91. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du gouverneur Gaudenzio Antonini du 31 juillet 1789. 92. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Francesco Storani du 10 mars 1794. 93. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Francesco Storani du 31 janvier 1794. 94. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, document du 30 août 1794 non signé (en plusieurs copies). La référence au droit français est très intéressante au titre de la pratique et de la circulation des savoirs juridiques. Les autres principales sources du

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droit maritime étaient le Consolato di Mare de Casaregi (Giuseppe Lorenzo Maria Casaregi, Il consolato del mare colla spiegazione di Giuseppe M.a Casaregi, Venise, Silvestro Gnoato, 1806, 240 p.) et l’ouvrage de Carlo Targa (Carlo Targa, Ponderazioni sopra la contrattazione marittima. Ricavate dalla legge civile e canonica, dal consolato di mare, e dagli usi marittimi, con le formole di tali contratti, profittevoli non solo a praticanti nel Foro, ma ancora di ogni sorta di mercanti e marinari dal dottissimo Carlo Targa, Gênes, Casamara, 1750, 259 p.). 95. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, extrait des registres douaniers d’Ancône de décembre 1793 à février 1794 concernant les cargaisons de navires destinées à Alessandro Comelati. 96. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, « congresso » du 27 avril 1794 entre Monseigneur Rusconi, le Sieur Tucci et Giovanni Celestini. 97. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, promemoria du 14 mars 1794. Néanmoins, on hésita sur les modalités de cette retranscription. Les soutiens d’Alessandro Comelati évoquaient une simple traduction des journaux de bord des capitaines tandis que ses détracteurs parlaient d’une transcription orale du témoignage de la fortune de mer. Dans ce dernier cas, la pratique aurait permis des fraudes aux assurances. Concernant la procédure du témoignage des prove di fortuna : Carlo Targa, Ponderazioni sopra la contrattazione marittima…, op. cit., p. 170. 98. ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, témoignage par-devant notaire de négociants d’Ancône du 20 mars 1794. 99. Le chargé d’affaires de la nation anglaise à Venise, Giovanni Watson, s’adressa à l’interprète afin qu’il prévienne les capitaines et négociants anglais car il n’y avait pas, selon lui, dans les États pontificaux de ministro accreditato (ministre accrédité) par l’Angleterre : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Giovanni Watson de Venise datée du 2 février 1793. L’affaire constituait l’apogée de l’opposition entre les deux hommes et fut à l’origine de nombreuses calomnies dirigées contre Comelati : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre d’Antonio Frosin de 1793. L’opposition entre Comelati et le consulat anglais était d’ailleurs ancienne. La veuve de l’ancien consul Ambrogio Tomasi, lorsque le fils lui succéda, réclama avec force plus de soumission de la part de l’interprète Alessandro Comelati : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de la veuve Tomasi du 23 juin 1789. 100. .ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, promemoria non signé avec pièces jointes datées de mars 1794. 101. Plusieurs témoignages de capitaines anglais louaient les qualités de Comelati, démentant également certaines accusations de « détournements » frauduleux de navires déjà engagés dans le cadre d’autres nolis. Voir, entre autres, ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du capitaine anglais David Carmont du 6 mars 1794. 102. Gilberto Piccinini, « I tocchi veneziani di G. Nembrini : per una storia delle compagnie private di assicurazione marittima ad Ancona nel Settecento », Studi Urbinati. B1 Storia Geografia, no 57, 1984, p. 75-91. 103. Werther Angelini, « Ancora sulla società di negozio nel ghetto anconitano (secc. XVI-XVIII) », Studi Urbinati. B1 Storia Geografia, no 57, 1984, p. 37-74, p. 64. 104. Gilberto Piccinini, « I tocchi veneziani… », art. cit., p. 81. 105. Ibid., p. 85. 106. .Pietro Delorthe, entre autres, soulignait en 1787 combien la présence d’un interprète était nécessaire. Ce témoignage rentrait assurément dans le cadre d’un soutien intéressé à une fonction en lien avec ses propres affaires. Au sujet d’un

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capitaine danois qu’il souhaitait placer pour un nolis à Ancône, il précisa : « […] sia necessario un interprette, essendo che lui capitano intende pochi linguaggi fuori il suo natale » [un interprète est nécessaire car le capitaine comprend peu d’autres langues à part la sienne] (ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre de Pietro Delorthe du 4 avril 1787). L’avantage commercial de l’interprète était également un argument lors des débats de 1794 : « nella detta qualità d’interprete camerale, è il primo, ed il solo il comelati a parlamentare all’approdo con i capitani nazionali nell’Officio di Sanità » [en la susdite qualité d’interpréte camérale, Comelati est le premier et le seul à parlementer avec les capitaines de la nation quand ils arrivent au bureau de la santé] : ASR, Camerale II Consolati, b. 4, Ancona, lettre du 7 février 1794 intitulée « Per la remoz. dell’interprete Comelati per officy incompatibili mercatura ch’esercita ». 107. La maîtrise de compétences langagières est à ce titre « parmi les éléments clés de la réussite dans le commerce à longue distance » : Gilbert Buti, Michèle Janin-Thivos et Olivier Raveux (dir.), Langues et langages du commerce en Méditerranée et en Europe à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2013, p. 5.

RÉSUMÉS

La politique de l’État pontifical en matière de nomination consulaire constitue un cas à part au XVIIIe siècle. Se réservant en partie le droit de choisir le personnel consulaire devant représenter les nations étrangères, l’administration romaine contribua à la mise en place d’une fonction certes originale mais également plus incertaine. Si le fait que les gouvernements ne soient pas consultés donne l’illusion que la souveraineté pontificale est univoque en matière d’extraterritorialité consulaire, elle délégitime en partie la fonction sur le plan diplomatique mais aussi économique. C’est ici la gestion maritime des consuls qui est concernée, et le cas des transports sous pavillon nordique cristallise tout particulièrement ces tensions. L’intermédiation consulaire, loin de bénéficier des atouts d’une tutelle étrangère, doit alors se confronter à la concurrence locale comme n’importe quel autre agent économique.

Papal policy regarding the appointment of consuls in the eighteenth century was an unusual case in that the papacy kept for itself the right to choose them. Though the fact that other governments were not consulted might give the impression of unequivocal papal sovereignty, at the same time it undermined the legitimacy of the consular function in both diplomatic and economic realms. This was important for consular maritime administration, and Nordic transport in particular exemplified these tensions. Consular mediation, rather than simply benefiting from foreign bonds, must also deal with local commercial competition as it would any other economic agent.

INDEX

Mots-clés : État pontifical, consul, capitaines nordiques, Ancône, Civitavecchia Keywords : papacy, consul, Nordic captains, Ancona, Civitavecchia

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AUTEUR

CHRISTOPHER DENIS-DELACOUR Christopher Denis-Delacour est actuellement post-doctorant de l’université Paris 1 Panthéon- Sorbonne dans le cadre du projet de l’European Research Council Mediterranean Reconfigurations (ConfigMed). Ses travaux concernent principalement les aspects sociaux et pratiques de la circulation des acteurs maritimes en Méditerranée du XVIIIe siècle au XIXe siècle, dans une perspective qui transcende la pluralité juridique, géographique et culturelle. Parmis ses publications les plus récentes : « Flying the Pope’s Flag. The Commercial Exploitation of the Roman Flag in Mediterranean Mercantile Policies (18th Century) », Quaderni Storici, no 143, 2013, p. 395-418 ; « Commerce actif et compromis institutionnels à Civitavecchia », à paraître dans les Mélanges de l’École française de Rome, Italie et Méditerranée, 2014. [email protected]

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Subjects in between: three different way of translating experience by Italian travelers in late 17th - early 18th century Ottoman space

Filomena Viviana Tagliaferri

Hence I pray my discreet reader not to doubt what I will be saying in this volume, when I say I saw it with my own eyes; and not to pay attention to the chatter of those who believe that the whole World is contained within the space they can see with their own eyes; and mistrust that others may have seen those Countries where they are too afraid to go, even in their own imagination.1

1 With these proud words, Giovanni Francesco Gemelli Careri opened the second part of his work, the Giro del Mondo (Voyage Round the World). Here is the pride of the experience that is speaking. And these words also testify how, between the late 17th and the beginning of the 18th century, Italian travelers contributed in building a new awareness of different worlds for those within European society. In their role as cultural mediators,2 the development by these travelers of a tolerant attitude towards what was perceived different from a cultural and religious point of view influenced, more specifically, the Italian society between the end of the 17th and the beginning of the 18th century. In this regard, personal experience in knowing and defining the Self and the Other played an important role in bringing about this change of attitude. As Paul Hazard was the first to suggest, the shift toward first-hand knowledge could be considered the source of the Oriental fascination which was so prominent during the Enlightenment. According to Hazard, the crise of the European conscience began by questioning the authority on which scholastic methods had been based, and this played a key role in the complex and multifaceted evolution of a more critical European society.3

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2 Hazard understood the three-four decades of European history between the seventeenth and the eighteenth centuries as a period particularly full of contradictions, weaving between values of the past and stimuli for ideological innovation. The re- discussion of the principles governing authority, which in any case still subsisted, coexisted with an new idea of society founded on natural law; an ambivalence which would lead to the background of uncertainty where we can find the origin of the Enlightenment mentality. This is indeed what Hazard highlighted, namely how a mental transition occurred before the political and economical one.

3 Going beyond this initial statement, Hazard’s theory provides us with a useful framework within which to examine the ambiguous attitude of European cultures towards what they perceived as different. Examining the ideas of the period presented in translated texts, we can trace a very contradictory movement that led from sheer hostility (the crusades) to fascination, while often these two approaches and attitudes are present in the same places and at the same time.

Moving Knowledge. The traveler and the experience as epistemological tool

4 Experience, then, has a full and crucial epistemological role in the re-elaboration of judgments of Otherness that could be based on prejudicial knowledge of cultural diversity. With experience here we mean the process of developing knowledge from the active practice of the object that is going to be known. This is direct knowledge, personally acquired, of a particular sphere of reality.4 Far from pretending to assume as too rigid and sharp the passage from prejudice to first-hand knowledge in discovering a “new” and “positive” Otherness, by now widely investigated by both historians and social anthropologists,5 we would like first to emphasize that the new approach to Otherness was not induced by a more rational way of looking at the world, but was mostly the result of experience, that is, of real encounters with the Other. For this reason, trying to find even a hint of a structured theory of diversity in the travel literature of the period would fail, for the process was not driven by a pre-defined and explicit idea about, for instance, tolerance and appreciation of diversity, often underestimating the extent of cultural differences. Rather, we should say that by being in contact with real people, the Europeans –as diplomats, merchants, missionaries or simply travelers6– were forced to elaborate their own responses in order to maintain a workable relationship with the “real” non-Europeans with whom they had to share the same ordinary environment.7 Furthermore, we would like to notice the importance that the travelers under investigation attributed themselves to personal experience. The opening quotation of this article by Gemelli Careri is an example of the irreplaceable value that physical experience played in the eyes of our analyzed subjects. But the other three, Giovanni Pietro Pittoni, Luigi Ferdinando Marsili and Giuseppe Sorio, also appreciated being eye witnesses. The selection of these four authors was made on the basis of two different criteria, i.e. geographical origin and education. Regarding the former, they cover different areas of the Italian peninsula: two of them were born in the Venetian Republic, one in the Papal State and one in the Kingdom of Naples. As the distribution covers much of the Italian peninsula, we can have access to a variety of perspectives given by the different political configurations. Regarding the latter, it was our intention to study how individuals of high educational level, therefore in principle

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confident about their own cultural identity, reacted towards a strongly alien cultural environment. People of such a profile often played the role of cultural mediators, due to a series of variables such as being cultivated, having a higher degree of sensitiveness, and, finally, being more likely to write a book.

5 The value of the knowledge brought by moving far from one’s place of origin and the desire for wonder were already present in European culture, as well as travel accounts. However, our aim is to point out how, in the end of the 17th century, travelers and travel accounts reached a new dimension both as cultural mediators and in their impact on the society of origin. A new dimension that was also stimulated by two material factors that highly developed in the analyzed period, i.e. the overall increase in human travel by sea and the expansion of the printed book market. For the first, the development of new sailing methods made possible cheapest and fastest connections, increasing the numbers of people that could afford the opportunity to move far from their homes in search of a new perspective on the world.8 For the second aspect, the last two decades of the 17th century represented an important turning point for the peninsula which experienced for the first time a real explosion in the circulation of information.9 Venice was the main place for cheap print production intended for wide circulation, as a consequence of the transformation in its traditional printing activity and the evolution of the printing market. While no longer selling products of high quality characteristic of previous years, the impact of the new printers on society was much greater, contributing to the shaping of a proto-public opinion.10 The new audience, attentive to current events, became familiar with the printed sheet and the reader was no longer satisfied with generic information. He tended to place the news in a historical frame and to want verification of the truth of the claims that were being made.11

6 We can add then a third factor, given by a military and political event: the second siege of Vienna in 1683. It represented a modern breakthrough in the distribution of information, because, for the first time, an event triggered the need for news consumption which was required to be fast and constantly updated.12 News from faraway places, which shifted the focus onto distant objects, also created the conditions for another type of production. Although Ottoman history and culture had been always intriguing for Europeans, beyond Vienna we find a major increase in the number of accounts on Ottoman subjects that, even though were intended as easy-reading, provide fairly accurate knowledge of the culture of the other.13 As the second siege of Vienna represented an important turning point in the dialectic of power between the Habsburgs and the Porte, it carried along an inversion in the cultural and mental attitude of the West towards the Ottomans and their culture. It is interesting to notice the gradual but constant shift from the triumphant reaction to victory in Vienna (observable in public ceremonies, publications and, in general, the dissemination of the news tout court) to a genuine attraction for Ottoman “topics” also in the Catholic Empire that fought against the sultan.14 The texts that give voice to the new editorial trend and the attraction of exotic topics for the audience are highly diverse phenomena and of a great variety. For instance, there are the avvisi, as analyzed by Infelise,15 that follow the gazettes that started to be widely popular in conjunction with public interest in the movements of the two imperial armies of the two imperial armies. Another type of text production are diplomatic dispatches, a traditional product of the Italian peninsula, following the well-established practice of the Venetian Republic.16

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Furthermore, we may draw attention to the spreading of the presence of the Turk in theatre plays in Italy, France and Habsburg Empire.

7 At any rate, it was the act of writing itself that made the travelers to achieve the role of cultural mediators. The very process of reporting personal experiences through the act of writing carried a deep meaning. Displaced in a new world, the travelers needed to redefine themselves, in order to give significance not only to the present situation, but also to their existence as individuals.17 They were re-shaped by experiencing other cultures and, even though they often did not fully understand how deep this internal process was, they reached an awareness of the pedagogic value of their evidence.18 Moreover they were members of distinct and separate communities with peculiar identity of their own,19 a different and international society, based on their very status as travelers. Their cultural origin made them different: they were strangers to the people they encountered while travelling, whilst at the same time their experiences set them apart from the individuals in the society at home.

8 Italian travelers from the age of the hazardian crise displayed a very interesting and peculiar mindset, elaborated with great originality in their journals, at the core of which was often the ultimate (as declared by the authors20) aim to give information and “educate” others in the experience of Otherness. Albeit with some exceptions, before and after this moment, other elements prevailed to outline the travelers’ mentality. Before, throughout the 17th century, Italians had tended to regard travel as an opportunity to confirm their cultural background, rather than as a dialectical confrontation with what was distant,21 while after, during the “enlightened” 18 th century, the anecdotal knowledge of travelers often provided empirical support to justify the intervention of European states in the policies of the Ottoman Empire and the Barbary states.22

Translating the Experience. The process of the elaboration of the narrative of the Otherness

9 The translation of different encountered realities made by the Italian authors of the end of the 17th century was usually done following two different options, i.e. the description through similitude and through difference. These two approaches were expressions of the same concept, a different way of representing the Turks that was departing from the second-hand stereotypes and making the Ottomans culturally closer in the readers’ perception. Similitude allowed the description of the culture of the Other in parallel with the European one. In my opinion, this should be seen as a strong attempt to normalize the “Turks”, rather than as a symptom of the inability of the authors to assign meaning to what lay outside their original cultural environment. By outlining the similarities between Turks and Europeans, such descriptions not only hinted at the proximity of the two cultures, but also at the intrinsic legitimacy of the Ottoman world.

10 On the other hand, the emphasis on diversity gives to diversity itself its own value within another culture. Through such accounts, the Turks were seen not as barbarians, but as people with a value system, albeit a different one.23 Through this process, the emerging sense of the authors’ real experiences of a different environment was powerfully conveyed.

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11 The impact of the cultural translation operated by the travelers on the society of origin led finally to a different way for early modern Italian subjects to perceive cultural and social differences.24 While, for the travelers, it is obvious that this new perception was highly influenced by the personality and the mental flexibility of each individual, nevertheless we can easily trace a common esprit de l’époque, shared by all of them in approaching diversity. The public circulation of their thoughts was then the step that led eventually those Italians who remained at home to become aware of these attitudes. We can reasonably argue that the publishing success of these works represent an acknowledgment of the approval given by the readers to the travelers. We agree with Paul Hazard on the hypothesis that travel accounts brought fascination also where there was no direct experience of the Orient, playing an important part in the development of a new perception of the world as a container of wonder and plurality.25

12 Within this genre, which was greatly expanding at a very swift pace, travel accounts were written in a multitude of ways, some wildly different from others. Writers could choose to use a personal or impersonal register; they could adopt the style of diary, letter, autobiography or just plain description. Of course, such choices were influenced by the personal disposition of the author, his personality and could also be determined by the intended audience. In this regard, we will see how some accounts remained unpublished for a long time, and were only circulated in narrow, usually upper-middle class, social circles, wherein the interest in the new cultural climate which was affecting Europe was much higher.26 Far from wanting to get into the epistemological debate whether or not these forms of writing that translate the Other constitute a literary genre in its own right,27 we just want to point out how the way these texts were elaborated was very wide and varied, allowing its different “sub-forms” to trespass one into the other.

13 Among them, we can identify three main ways adopted by the authors in making their personal experiences public. In our opinion, the method that each author chose was deeply linked to his particular experiences in the places that he visited, how he valued them, what role these experiences were accorded in his life and it seems to us that the more positive the experience had been for the author, the more he would try to purify his narration of contradictory elements, as the literary followed the psychological in the normalization of Otherness.

The Impersonal Narration: the Guide

14 We can note a tendency towards impersonal and neutral narration, in cases where the author took a strongly pedagogical approach to narration. Such a traveler considered his experience as a useful tool for “educating” the others. The experience here was perceived as having a positive general role, as leading to knowledge. But in such cases, the real experience tended to lose its personal value as something unique, becoming repeatable and universally experienceable.28

15 This is the case of Giovanni Pietro Pittoni, the little-known author of an account of Istanbul, first printed in Venice in 1684. The Historia o’ sia vero e distinto ragguaglio sullo stato presente della città di Costantinopoli 29 (History, or true, and distinct account of the present state of the city of Constantinople, and the menagerie of sultanas, with the rites of the Turks, and greatness of the Ottoman Empire) was printed by Leonardo Pittoni, one of the small publishers of Venice in the second half of the 17th century. It is possible that the author

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and the publisher were related, as the Pittonis’s management of the stamperia was family-based.30

16 According to the survey of the Venetian press of the 17th century, this was the only text which Giovanni Pietro wrote with certainty.31 The fact that it was reprinted twice by Leonardo Pittoni, in a very short period of time, clearly shows that the subject was attractive, especially if we consider the short lifespan of a cheap print book.32 The only information we currently have about the author is derived from the printer’s introduction. According to it, Giovanni Pietro was affected by what Leonardo called “a longing to investigate the things of this wide world, although most remote and difficult”.33 In order to satisfy that longing, he travelled far from home “without regard for the convenience of homeland and the changes of fortune […] by launching himself upon stormy oceans and wandering far and rough regions”.34 Giovanni Pietro would eventually travel to Asia, across a large part of Africa and would come to know Europe in great detail. Maybe it is for this reason that he was known only by name, in the Venetian publishing scene, as he spent most of his life travelling outside the city. We can reasonably assume that Leonardo proposed to Giovanni Pietro that he should write a small paper in order to capitalize on the surge of interest in Istanbul, which was the symbol of the Ottoman Empire, in the wake of the events at Vienna.

17 In his introduction, Leonardo stressed the importance of knowledge based on first- hand observations. On the other hand, it is interesting to note that first-hand observation was meant to enable readers to acquire true knowledge without leaving their home and country. Efficiency and convenience were, however, for the benefit of the “eyes of curious minds”, an interesting statement that emphasizes the care of the printer in characterizing the potential recipients of its product through the element of intellectual curiosity. Furthermore this “dedication” can also testify the real orientation of the readers’ preference for travel narrative of the period, stressing the need of Otherness of the public.35 Although this was undeniably an easily readable text, aimed at a non-specialist public, it would be a mistake to dismiss the information it provided as superficial or generic. This is clear in the section On the Muslim religion, usually one of the topics most affected by prejudicial narrative. In the section About the Ritual, and Mohammedan Law in general, the author displays an extensive knowledge of Islam, not only as regards its formal aspects but also in terms of the fundamental differences between the worship practices of the Sunnis and the Shiites. He liked to incorporate parallelism into his travel reports, and he employed this device throughout the text as a whole: for instance, he made reference to “Lutherans” among the Muslims.

18 Furthermore, he framed all his description by saying that Islam had Ten Commandments. Those Ten Commandments fell within the Islamic-Christian and Jewish tradition, and for the convenience of us who study the book today, they can be divided into four subgroups, according to their degree of similarity to the Catholic religion.

19 The first subgroup relied on Mosaic Law, and we find in it the most important commandment, the Aiaduth (probably ‘al-Fātiḥa’, the first sura of the Quran): “to believe, and preach the humility of the Divinity, say that God is one and must believe in this.”36 This is very similar to “Thou shalt have no other gods before me”. The author had the precise cognition that Islam was monotheistic, and that however great, Muhammad was a prophet for the faithful and not a divinity, a much misunderstood point in Europe concerning Islam. He also identified Moses and Jesus Christ as Muslim prophets, and

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pointed out the links between Islam and the Jewish and Christian faiths; his choice, in focusing attention on these common doctrines, helped to portray Islam with greater dignity. The first subgroup also included the Gualedyn Rayathy (“valideyn reayeti”), to “honour thy father and mother”, the Meschit Bayaty (“ mescid bi’ati”), which was substantially similar to the Mosaic observance of the Sabbath, and also included the obligation to perform the pilgrimage to the House of Mekka at least once in a lifetime.

20 The second subgroup includes precepts which refer to the New Testament and prescribe charity, in analogy with the evangelical teachings of loving one’s neighbor and with reference to the first letter of John on charity. These were Megytlor Caytì (“ meyyitler kaydı”), or charity to the dead, and Sadachà (“sadakat”), charity to the living. Pittoni observed and noted, as many other travelers did, the great humanity of Islam, and the obligation of the faithful for almsgiving and to visit the sick and prisoners.

21 The third group consists of two commandments comparable to the two Catholic sacraments, marriage (Vlimak) and . What Pittoni interpreted as baptism was circumcision, a procedure that every male adherent to the faith must undergo in remembrance of Ishmael, son of the , a ceremony that takes place at the end of the adherent’s thirteenth year. On the other hand, Pittoni found major differences with Christianity in the prescriptions regarding marriage. Here our author indulged in the abused cliché of Eastern eroticism. The Turk was said to observe the custom of having sexual intercourse with slave women to produce free children in high regard. There was said to be no limit to the number of concubines: providing the man could support them with dignity, he was allowed the famous harem. In addition, not only men but also women could divorce. If the husband was unjustifiably absent for more than six months, the wife had the right to appeal to the kadì’s court in order to marry another man. In this case, the first husband lost all his rights over her, and this made clear to Pittoni’s post-tridentine readers that Islamic marriage was a civil rather than a religious act.

22 Finally, the fourth subgroup included the Muslims’ way of relating to God through prayer, and the author here clearly exposed the view that the Muslim attitude was better than the Christian equivalent. The first precept, purification through ablutions before uttering the prayer, included a description of the hammam. The author’s attention to Turkish baths, one of the greatest orientalist icons, should not blind us to Pittoni’s respect for the hygienic implications of the “bath-system”, which were far- removed from the European standards of the time.37 The relationship of Europeans to bodily cleanliness was completely different, and various reactions can be found to this religious and social custom. Some authors appreciated the practice, while others maintained that it was not good to wash too frequently, because this was supposed to weaken one’s body and one’s sexual appetite.38 The second precept, Namas (“namaz”), prescribes the behavior associated with prayer. Pittoni expresses his open appreciation of the way in which the Turks behave in the mosque, making several remarks about their respectful and serious attitude. He noticed that Turks did not spit, cough, speak or glance, and that they prevented animals from entering the place of prayer, where the silence was so great that “although the mosque is full of people, if not for the voice of the Imam and, sometimes, of the people responding, it seems that there are no people inside and especially when they make mental prayer.”39 This appreciation suggests an implicit condemnation of the behavior of the Europeans in the churches of the day, which were treated more as places for social gatherings than as places of prayer.

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23 It is interesting to notice that as part of the discussion of Casilardogusy (“gaziler doğusı”), Pittoni concludes his discussion, concerning death as a martyr during holy war against infidels, after only a few lines, showing clearly that after the events in Vienna, the urgency of martyrs and crusaders was no longer felt. In its place, we may detect an ambivalent but liberating sense of curiosity which, over time, prevailed. The Ragguaglio was certainly an unpretentious text but, precisely for this reason, it was more indicative of the cultural climate that was beginning to inform the mentality of people at all levels of society. We can reasonably assume that its two reprints within two years are an indication of its editorial success.

24 In giving priority to analogies, Pittoni was able to describe the Turk as possessing great human traits as well as a respectable cultural identity and, moreover, even in diversity, as bearing a subtle but definite similarity to the European.

25 It is indeed noteworthy how it could be find in the text a trace of the ambiguity proper of the crise period between a positive and a negative pole in representing also iconographically the Turk, as in the book were also included woodcut portrayal of two very famous and emblematic Ottoman historical figures of the period, Sultan Mehmet IV and Grand Vizier Kara Mustafa Pasha. In this case we might note that for these two men experience was restricted to hearsay rather than eyewitness observation but, in my opinion, they were relevant also for this reason. Since they were stereotypically presented to the imagination of a European audience, they embodied in abstract terms the two sides of the Otherness, as were elaborated by the cultural mindset of the time. The Sultan’s portrait depicted him as being handsome and of noble bearing. He could have quite easily passed as a European ruler, while in the text his life was described according to the same clichés that were used to describe Christian sovereigns. The beard was barely visible; his eyes were clear and calm and his clothes far from extravagant. He wore a simple tunic, closed on the chest by a line of frogs; the only piece of jewelry was an earring. The cloak, however, provided an important clue about his status: it was an arabesque and somewhat luxurious cloth garment, decorated on the shoulders with a fur trim and clasped at the neck with a beautiful buckle. The only thing which identified this figure as a Turk was the unambiguous turban.

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Sultan Mehmet IV, engraving from Giovanni Pietro Pittoni, Historia, o’ sia vero e distinto ragguaglio sullo stato presente della città di Costantinopoli, Venice, Stamperia Leonardo Pittoni, 1684. Sheet of larger size folded into the text, unnumbered page.

26 The portrait of Kara Mustafa Pasha was placed at the end of the text. As we know, in 1684 the Grand Vizier had been executed, as consequence of his failure in the siege of the Habsburg capital. In this regard, it is interesting to note that he was not even mentioned in the first edition of the Ragguaglio. In other words, his picture was included so as to enhance the value of the product,40 by exploiting the fame of a character whose image was, incidentally, much more flamboyant than that of the Sultan. Also, the engraver clearly tried to convey the figure’s sense of pride and arrogance. The man, with his bushy beard, was definitely iconographically “more Turkish” than Mehmet. The sword that hung at his side had an elaborate and rich hilt, and behind him stood the Turkish camp, the walls of Vienna besieged, the Ottoman artillery and cavalry poised to attack the infidels and a dense throng charging the city. We can presume that the reader was pleased to find the haughty mastermind of the failed conquest of Europe included in the description of Istanbul, and the publishing industry put itself in the service of knowledge about the event, amplifying and emphasizing it. As Mehmet was the good and noble side of the Other, the Grand Vizier embodied the dark, frightening side.

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Grand Vizier Kara Mustafa Pasha, engraving from Giovanni Pietro Pittoni, Historia, o’ sia vero e distinto ragguaglio sullo stato presente della città di Costantinopoli, Venice, Stamperia Leonardo Pittoni, 1684. Sheet of larger size folded into the text, unnumbered page.

27 Images were used as catalysts for focusing the reader’s attention, and to fulfill the desire to depict a distant but truly connoted space. For this reason, the Ragguaglio also featured maps of Istanbul, the Bosporus and the Dardanelles. Maps represented the visual translation of an experienced space, even though the cartographical representation of Istanbul dated back to a previous period, and was, in Pittoni’s age, a fairly standardized practice.41

The city of Istanbul, engraved map from Giovanni Pietro Pittoni, Historia, o’ sia vero e distinto ragguaglio sullo stato presente della città di Costantinopoli, Venice, Stamperia Leonardo Pittoni, 1684. Sheet of larger size folded into the text, unnumbered page.

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28 In conclusion, we can see that experience served in the Ragguaglio as a source of cumulative knowledge which was to be shared with Pittoni’s readership, having, first and foremost, a pedagogical value and function.

The Self-centered Narration: the Personal Experience

29 The second form of literary typology which can be recognized in these accounts is the personal narrative, in which the traveler’s ego acts like a tie, holding together elements which stand in open contradiction. The focus of the narration is the personal experience in itself (“what I did”, “what happened to me”), which is almost never connected with an unconventional way of looking upon the Other, but is generally reported through prejudicial statements.

30 For this category of traveler and author, in both their texts and thinking, good and evil are intermingled, and this is particularly evident in the two texts that we will now analyze. While the authors of these texts share a particularly strong condemnation of the Turks from a moral point of view, portraying them as barbarians, they both also mingled with the Ottomans in their daily lives. The Bolognese count Luigi Ferdinando Marsili and the Calabrian lawyer Giovanni Francesco Gemelli Careri42 developed very different narratives, just as their experiences of travelling were also very different. While Marsili reported his travel experiences in his autobiography, Gemelli Careri was the author of the well known Giro del mondo (Voyage Round the World), one of the first ever accounts of a journey around the world.43

31 Marsili’s position in Ottoman society as a fellow of the Venetian bailo in Constantinople explains why, despite his brilliance, his depiction of the local environment is a sort of black and white sketch, stark and lacking in nuance. It seems as though his privileged position as a member of the Venetian diplomatic corps effectively cut him off from direct daily contact with the locals. Marsili’s Turks were mainly characterized by cruelty, sensuality and, above all, greed. The count often did nothing to hide his disdain for Ottoman culture, which he judged to be deceptive, treacherous and underhand, and driven by the desire for material gain.44 The Ottomans of Marsili’s Autobiography were stereotypical barbarians, and he refers to them using this epithet.45 Nobody escaped his harsh criticism: at all social levels, Turks were described as lacking courtesy and as being untruthful. Here again, we find the well-known Kara Mustafa, this time presented as an antihero of “infinite arrogance”, even though the author unexpectedly (for the reader) acknowledges him to be a “man of great talent”.46 While our evaluation of Marsili experience led us to consider him as prejudiced against the Ottoman social environment, usually catching the Turks as a group and not as individuals, we could however observe how the author is sensitive to the intellectual capacity of the single. This disposition towards Ottoman intellectual culture became more complex the more directly involved he became with real individual during his staying in Istanbul. His well know curiosity was tied with a deep appreciation in the case of his friendship with Hüseyin Efendi, called “the most literate of Constantinople”.47 The high esteem for him because of his vast knowledge (a man “of a thousand-science”48) created a link of genuine affection. A real friendship was nourished by discussions about politics, religion and moral philosophy. The count was astonished by his friend’s ability to support Islam with strong (however “false”) arguments and by his graceful dialectical skills.49 Religious identity indeed remained the weakest point of the relationship, as

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Marsili wrote that such a man, admirably equipped with “talent and morality, […] made me often think with tenderness about the misfortune of being in Mohammedanism”.50 The count’s tolerance was more practical than theoretical, although even his prejudicial judgments cannot dispel the impression that he was genuinely fond of Ottoman Istanbul and its culture.51

32 Gemelli Careri’s experience was in many ways the opposite of Marsili’s: a genuine, anonymous, traveler, moving without a diplomatic apparatus. His condition is reflected in his work as a very down-to-earth attitude: the Turks of Gemelli Careri were encounters rather than sketchy figures. We should point out that the encounter here embodied the experience itself. It is a very physical experience, made by a sequence of accounts of meetings with various real “others”; the author often reported his interactions with characters met along the way. Often, the conditions under which these encounters took place were far from ideal. Careri denounced the fact that Christian travelers in Muslim countries were often forced to endure abuses (avanie),52 and that they could also be exposed to the risk of enslavement, if found by the Ottoman officers without a safe-conduct that should be required to one of the consulates in the Ottoman Empire. But these were common problems even when travelling in Europe, especially when there was a war underway –a rather common occurrence. As with other authors, Careri stigmatizes the Turks as barbarians, while at the same time commingling with them to a considerable degree. One of his most eloquent descriptions is of the agha of Seyde (Sidon, in Lebanon), a rather picaresque figure, who embodies the author’s stereotype of the Ottomans. In the first episode, the agha is offered a sea urchin during a stop on the journey from Rhodes to Izmir, but has no idea how to eat it. Careri writes: “that beast opposed it to the fire to roast as if it was fish, and really in acts and words you knew that he was wild because he wore a beard of a necromancer, or rather of a goat nurtured between beasts in the forest”.53 This eloquent portrait is reinforced by the second episode: once in Izmir, Gemelli invited the agha to drink a precious cup of chocolate. The “good satyr, who never had tasted similar beverage (maybe having his mind altered by it or by the tobacco smoke) complained fiercely about me, saying that I had given him some poisonous liquor to make him mad and bereft of understanding and, certainly, if the alteration continued, he would give me what I deserved for giving chocolate to a donkey”.54 The passages displays how the Turk, unaccustomed to the seafood much appreciated by Greek and southern Italian cultures, or to the fashionable American beverage, was assumed to lack of civility. In spite of this, we can observe that in both cases there was a food offer,55 moreover of a precious food, a refined delicacy.56 That testify for us that, despite all the unfair and bestial epithets –beast, goat, satyr, donkey–, which are strong enough to label the account as “orientalistic”, it can be argued the author had a genuine exchange with the agha. Moreover, offers also imply a desire of relationship and communication. During his voyage, Gemelli Careri often felt deeply isolated and cut out of the social intermingling, suffering a lot from his inability to communicate with the inhabitants of the Ottoman Empire. When reporting his journey to Rhodes, he wrote: “I lowered myself to the ground, seeking relief from the melancholy of seeing myself among Turks and Greeks without being able to be understood.”

33 This quote allows us to consider the liminal condition of being a traveler and, going further, the very meaning of the tendency of travelers, typically, to aggregate among themselves, as we have previously underlined. In the enlarged travelers’ society, the personal unique and distinctive features, which might compromise the establishment

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of interpersonal relationships in the context of the different national origins of the travelers, were softened through the emphasis given to the common condition of travelling.

34 Gemelli Careri expressed this very plainly: “the competition, however, and wars between nations should not break the course of private friendships, especially in a foreign and barbaric country”.57 And then: “among the numberless ills caused by self- love which is the only source and root of all evils, one of the major ills must doubtless be considered the excessive anticipation that we have, most of the time, of our country and our customs.”58 Sharing a strong sense of camaraderie, and the common pride of belonging to a superior culture, travelers were able to transcend national particularisms in a faraway context, where personal relationships took on a unique value, much greater than the sense of national identity.59 All these considerations played a role in allowing the travelers to overcome their own cultural prejudices through practical engagement in everyday life, which brought them into conflict with those who had never exposed themselves to something totally alien. We can argue as this aspect of the experience could provide a better disposition of the travelers in being more open minded even towards the “other”, the non-European –namely here the Ottomans. Of course, on the other hand, there was a strong religion-based cultural prejudice against the “Turks”, which explains why there were strict limits to the open- mindedness of the travelers. But indeed they put the real act of travelling as the source of a “real” knowledge of the world. And, in fact, Careri, observing how the pride in national customs concealed within itself a certain physical and mental cowardice, stated plainly that non-travelers “consider that the whole world is confined within the space that relates to [their] eyes, and distrust others [who] have seen other countries, where they scare you to go unto, even in the imagination”.60 This passage highlights also the strong ambiguity of this typology of reporting, in which the subject of the narration is more the “moving self” than the real travel, in which the objective (and often “positive”) events which occur clash with the persistence of prejudice. This conflict sometimes opens the way, as in the last quote from Careri, to considerations framed in general terms that seem very close to theorizations about the value of experience as an epistemological tool, and to the recognition of how meaningful another system of values could be.

The Conscious Narration: the Encounter

35 Such potential ambivalence is overcome in the third and last typology of narration, in which the clear and logical connections between real observation, general considerations and personal experience are transformed into a real open-minded awareness. However, it must be stressed that the attitude of Giuseppe Sorio, the last of our travelers, towards Otherness was extremely rare and the result of a very sensitive personality.

36 The extreme flexibility of re-shaping mental attitudes finds, in fact, its highest expression in the ability to achieve a complete reversal of perspective. Giuseppe Sorio, a Vicentine traveler, expressed this attitude at its best. In his text, Sorio was labelled only as a traveler. This is a very interesting detail, which should be examined in the context of his biography in order to better understand his personality. Sorio was born in Vicenza in 1663, in a very prosperous and cultured family. He began to travel in

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Europe before the turn of the century, first to Paris and then to London. In England he was imprisoned on charges of being a Francophile, and he was released in 1702. Back in Italy, he set off on a new journey almost immediately, visiting the Netherlands and the “Orient”. On 30 April 1705, he embarked on a journey to Istanbul, the Holy Land, Egypt and Barbary.

37 The extent of his ramblings up and down Europe, and around the Mediterranean, suggests that for Sorio travelling was almost a physical necessity, towards which he was pushed by his very nature. He is the real prototype of the Enlightenment traveler, possessing a broad culture, language skills and, above all, a strong belief that honest curiosity was the only gateway to knowledge. Sometimes this led him to exceed the limits of modern sensitivity. This is the case in his close encounter with a mummy in 1707. With hardly any qualms, he undertook to “un-bandage one of those semi- corpses”,61 complaining that the operation caused him “more boredom than I could believe”.62 He also reported that the locals mocked him for coming “from the other side of the world”63 only to do such a thing. While his action may seem shocking to a modern audience, it reveals the desire to experiment and be a first-hand witness. This desire is also present in the letter which Sorio wrote from Istanbul, where he shows an incredibly open and articulate elaboration of the Other’s culture; the author’s personality does not hang over the scene, and priority is given to unbiased observations of reality. Unlike the other travelers we have discussed, Sorio wrote this text as a letter to his friend Gaetano Chiericati for informing him and their common friends, and it was not originally intended for wide circulation, but for an intellectual elite.64 Beginning his account, he writes: “if you could honestly depart from Constantinople without making any account to friends, I will exempt myself from it willingly”.65 This exceptional city could barely be described, and only through the expression of wonder. Although the description of Istanbul was a topos in travel literature, Sorio’s account is rather unique. It displays an unusual lucidity and an open- mindedness that goes beyond what we find even in other non-ordinary authors. In Sorio’s account, we finally find the plain expression of real experience as absolute value, as he stated that he did not want to give an account of anything that he had not witnessed himself. On one occasion, talking about the Topkapı Palace, he specified that “I say nothing about the inner distribution of the apartments, where no one can enter, so as not to vainly replicate many uncertain things that are known to everybody from other authors who have spoken often of little more than fairy tales: so I will restrict myself briefly to those parts that can be seen”.66 But the elaboration of the same argument in the case of Aya Sofya digresses from the limits of his need to see and measure everything himself. In fact, in expressing his opinion on the European habit of comparing the domes of Aya Sofya to those of in the Vatican, remarking that as for the dimensions of the two monuments, he did not want to be “guarantor of measures not taken with my own hands”,67 he went further stating: “I do not want to choose between the two tastes, which both seem good to me”.68

38 The very innovative attitude to want to write only about what he had witnessed himself converges what we consider his most valuable quality, namely a mentality to appreciate foreign cultures. Sorio’s observation skills, nourished by the continuous experiential exercise, led him to a high intellectual development of the intrinsic meanings of the other’s culture. Even though Ottoman despotism was considered responsible for allowing Istanbul to fall into decay, in comparison to the idealized magnificence and grandeur of the Byzantine ages,69 Sorio softened this picture by

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stating that the management of power still left “place for clemency and moderation”.70 Moreover, he never used the epithet “barbarians” in referring to the Turks.

39 The two ways of describing the other, through similarities and differences, were blended together to produce a superlative result, whereby the author acknowledged the legitimacy of a different system of values. According to him, it was prejudice that gave Europeans their severely curtailed view of Turkish customs. However, when faced with the Ottoman mosques, “we will estimate them beautiful if the uncultivated barbarism that we assume in the Turks does not eclipse our discernment”.71 This amazing passage, and his declared awareness of the relativity of cultural values, placed Sorio way ahead of almost all his contemporaries: he writes that “who wants to know the good manners of others has to put aside his own taste and examine then without any partiality because of it”.72 According to Sorio, it was pointless to determine whether a Turkish house was beautiful or ugly according to the typical criteria of European baroque society. Even the members of Ottoman high society did not share the “desire for eternity” that led Europe’s noble families to build palaces designed to last “forever”.73 The absence of blood aristocracy in the Ottoman state was so foreign to the mentality of the European elite that often travelers did not notice the elaboration of strategies by the Ottoman elite for allowing the transmission of the family’s possessions and securing a kind of succession in power and position following genealogical lines.74

40 Sorio pointed out that the Turks had other cultural priorities and that they designed the products of their culture according to their own needs. If the caravanserais, “that we would call houses or warehouses (fondaco) of merchants […], do not have the paintings of the Fasolo, if they are not elegant as the Fondaco dei Tedeschi in Venice, they are, however, massive in structure and abound in all the facilities to which they are ordered for”.75 For sure, one of the houses on the Bosporus “would be ridiculous if it was on the Brenta”76 but, penetrating “the taste of the nation without seeking our architecture”77, it would be found comfortable and well structured. As even the concept of comfort was relative, their “natural ways of living […] are so remote from ours, that the means and the tools necessary to us for the conveniences of life are useless for them”.78 The rooms of the houses should then be arranged differently, and one would not find fireplaces, while “our windows are too high for them, who want to see outside sitting on the ground”.79 In conclusion, “the differences in life are infinite, because of this it is impossible for a Turk to feel at home in an European-style palace without spending enough to change it as it is necessary to build a house for his taste, lasting enough for his life, after which little more is wished for amongst the Turks, where usually a man’s fortune begins and ends with life, in particular in the great [people] who could decorate the city with rich buildings”.80

41 The ability to present the readers with relevant parallels with their reality was used by Sorio to emphasize the dignity and cultural diversity he encountered. Depicting the diversity in another system of values, painted in all its complexity but brought close to the readers’ mindset by familiar examples, allowed him to open their minds to a new way of thinking.

42 In conclusion, we note that first-hand experience sometimes made the travelers more sensitive to the “other” and sometimes not, which depended on background, personality, mentality, and position. Eventually, it was not automatic that experience made people more open-minded. It was a tool which gave them an opportunity to test their biases –in this case towards the unbelieving, uncivilized Turk– with divergent

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results. What experience achieved was to de-idealize the Ottoman Turks, in line with the awareness of military weakening of the Ottoman state in the late 17th century.81 I mean that what most of these accounts confirm is that the Turks were no longer admired for their military might, or the wealth and discipline of their state, but were seen as a people not worthy of respect, appreciation or fear in the military field. Rather than “expansion of awareness” in a modern, culturally positive sense, it provided the Turks with flesh and bones.

Conclusions

43 The aim of this essay has been to highlight how this process was made possible through the value given to first-hand knowledge. Through simple narrative, often not even supported by explicit theorization, travelers showed their readers not only a different world, but also the real possibility of creating a profound, and for some of them meaningful interaction with that world. Moreover, we have observed that often this second aspect is entirely implicit and we could even detect it as an unconscious attitude. What we consider fundamental in this process is not so much the awareness of the individual authors as their reaction to a different environment and the transformation of this reaction into narrative.

44 Their “bridge role” is quite obvious. These different narrative styles allow a range of possibilities of literary manipulation of physical action and also different ways to transmit the information. We would like to highlight a further observation on these three ways of translating experience that represent the foundation of the epistemological value of travel narratives, the ars apodemica. The fabrication of a literary corpus has allowed us to have access to different modalities of communicating cultural encounters and making them real and at the disposal of the Italian and wider European audiences. The ways of communicating that we have detected may be configured within a narrative typology that is built along three different lines. The first is represented by the “guide”. The author describes the location that he had visited, adding to this the image of delights, following an impersonal narrative style which is the strong point of the text itself. The second is the “personal experience”. The record of the journey is powerfully based on the author-protagonist with his catalyzing personality, assurance of the authenticity of the described “Song of the Experience”. The third and last is the “encounter”. The author situates his experience at a crossroad, creating a dialectic both with potential readers and the community of travelers which is the real granter of authenticity. After the information has been validated, it provides and enhances both the value of the specific item of travel literature and the meaning of the apodemic experience. Information, having passed through these different stages of elaboration, achieves its final goal of reporting the “truth” (geographical, social, cultural), one of the crucial issues that was at the heart of the success of this genre in the eighteenth century.

45 Despite ambivalences, this “information” was what made the Turks real to European audiences, showing their independence from the European system of value, the dignity of their own cultural context, a concrete alternative to the European readers’ experience of daily life. First-hand experience made them to come out from the pages of the accounts as real people and not only like a product of stereotypes.

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46 The increasing movement of people, both in absolute and literary terms, was translated into variety in the theme of the Other. We have showed how the implicit value of this literary transmission, even in absence of a lack of prejudice by the authors, led them to present the Turks to their European audience as they were observed, which often involved a positive, unprejudiced description, though sometimes this elaboration could not take place, since some authors still remained bias even after their travel to the “Orient”.

47 The different kinds of experience (impersonal, self-centered and conscious) of the Other observed in different degrees, became a source of authority in speaking about cultural diversity to those people who were curious about the world. This meant that, going beyond contradictions and ambiguity, there was a new awareness according to which the real act of knowing relied upon a physical one, giving to real travelers the right to be teachers for the armchair travelers. Coming back to Paul Hazard, we agree with him that this represents a turning point for the mindset of the Europeans of Ancient Regime societies, the travelers having gained the right to express a more informed opinion not by virtue of authority, but by virtue of their actual, physical and concrete fatigue.

NOTES

1. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo Del Dottor D. Gio: Francesco Gemelli, Venice, Stamperia Giovanni Maffei, 1718, p. 3. 2. The wide variety of people in between cultures (travelers, interpreters, ambassadors, merchants, slaves, renegades, pirates, and so forth) in the Early Modern Mediterranean world has recently received increasing scholarly attention. For a general overview of this game played on the frontiers, see Bernard Heyberger and Chantal Verdeuil (eds.), Hommes de l’entre-deux. Parcours individuels et portraits de groupes sur la frontière de la Méditerranée (XVIe-XXe siècle), Paris, Indes Savantes, 2009, as well as Natalie E. Rothman, Brokering Empire. Trans-Imperial Subjects between Venice and Istanbul, Ithaca, Cornell University Press, 2012. For a masterful enquiry into the individual experience of “internal frontier”, see Natalie Zemon Davis, Trickster Travels. A Sixteenth-Century Muslim between Worlds, New York, Hill & Wang, 2006. 3. Paul Hazard, La crise de la conscience européenne [1935], English trans. The European Mind, the Critical Years, 1680-1715, New Haven, Yale University Press, 1952. Hazard’s interpretation has become widespread and central to the historiographical debate, where it has been harshly criticized. Jonathan I. Israel eventually overcame Hazard’s periodization, although he reformulated it. In his Radical Enlightenment: Philosophy and the Making of Modernity 1650-1750, Oxford, Oxford University Press, 2001, Israel openly challenges Hazard’s view, and traces the genealogy of the change of mentality back to Spinoza’s thought. Hazard’s analysis, even if formulated in the 1930s, is extraordinarily brilliant, and constitutes for us a still relevant interpretive tool. 4. For an enquiry into the history and use of the concept of experience, see Martin Jay, Songs of Experience. Modern American and European Variations on a Universal Theme, Berkeley, University of California Press, 2005. An interesting perspective on the creative role of experience in

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constructing reality is offered in Mercedes Fernández-Martorell, “La experiencia como invento”, Historia, Antropología y Fuentes Orales, no 26, ‘Denuncia Social’, 2001, p. 85-96. 5. There is abundant literature on this subject, but here we only cite three fundamental reference works. Within an interdisciplinary dialogue with the social sciences, a fundamental work is Bernard Lepetit (ed.), Les formes de l’expérience: Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, a collective methodological reflection on the construction of forms of social identity in the historical narration through the re-thinking of epistemological categories. The recent Guido Abbattista (ed.), Encountering Otherness. Diversities and Transcultural Experiences in Early Modern European Culture, Trieste, EUT-Edizioni Università di Trieste, 2011 provides a wide overview of different approaches of Early Modern experience of the Otherness. Always relevant and inspiring remains the work of Michel de Certeau, Heterologies: Discourse on the Other, Manchester, Manchester University Press, 1986, with the dialectic between image, orality and writing, since, to write about the other, one needs first to look and listen to the other. 6. On these shifting categories in the Ottoman lands, see Suraiya Faroqhi, The Ottoman Empire and the World Around It, New York, I. B. Tauris, 2006. 7. On the role of experience in relation to travel, see also Nasia Yiakovaki, Ευρώπη μέσω Ελλάδας. Μια καμπή στην ευρωπαϊκή αυτοσυνείδηση, 17ος-18ος αιώνας, Athens, I. D. Kollaros & SIA, 2006. The targets of Yiakovaki’s enquiry are British and French reports of the period in Greece, even though the analysis is developed through consideration of the concept of being “European” and through the use of Hazard’s notion of crises. 8. On the development of “the desire of seeing Foreign Places”, and the “vain-glory of being named a Traveler”, see Gerald M. MacLean, The Rise of Oriental Travel. English Visitors to the Ottoman Empire, 1580-1720, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006, p. 187. 9. For a deep enquiry conducted on the Italian press of the 17th century, see the pioneering work of Mario Infelise, Prima dei giornali. Alle origini della pubblica informazione, Rome-Bari, Laterza, 2002. 10. Sabina Minuzzi, Il secolo di carta. Antonio Bosio artigiano di testi e immagini nella Venezia del Seicento, Milan, Franco Angeli, 2009, p. 64. 11. The Introductions to the Reader of travel accounts tended to insist on the accuracy of the reported information, showing clearly the will of both authors and publishers to be considered reliable. Also the titles of the accounts often contain statements in this regard: “true and distinct account”, “very true relation”, “accurate report” (vero e distinto ragguaglio, verissima relazione, esatta notizia). 12. In Venice, there was a similar public reaction to the campaign of the Morea, the Venetian- Ottoman war for the control of the Peloponnese (1684-1699); Mario Infelise Mario and Anastasia Stouraiti (eds.), Venezia e la guerra di Morea. Guerra, politica e cultura alla fine del 600, Milan, Franco Angeli, 2005, containing an analysis of the busy and “fast” publishing world. 13. This trend can easily be checked scrolling through the list of publications printed in Venice in the 17th century, in Caterina Griffante (ed.), Le edizioni veneziane del Seicento. Censimento, 2 vol., Milan, Editrice Bilbliografica, 2003-2006. The number of travel and geographical accounts not only increased constantly by the second half of the century, but we also find many reprints. 14. According to recent literature, this shift was rather rapid and dramatic. See, for instance, Paula Sutter Fichtner, Terror and Toleration: The Habsburg Empire confronts Islam (1529-1850), London, The University of Chicago Press, 2008. 15. Mario Infelise, Prima dei giornali…, op. cit. 16. Carla Coco and Flora Manzonetto, Baili Veneziani alla Sublime Porta: Storia e Caratteristiche dell’Ambasciata Veneta a Costantinopoli, Venice, Stamperia di Venezia, 1985. See also Marie De Testa and Antoine Gautier, Drogmans et diplomates européens auprès de la Porte ottomane, Istanbul, The Isis Press, 2003. 17. We fully agree with the assertion that “the act of travel itself […] consistently offered the traveler […] the opportunity to engage in a constructive questioning and self-examination of

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previously unquestioned beliefs and habits”: Mark Rennella and Whitney Walton, “Planned Serendipity: American Travelers and the Transatlantic Voyage in the Nineteenth and Twentieth Centuries”, Journal of Social History, no 38/2, Winter 2004, p. 336. The article provides also an interesting perspective on the creative role of travelling on the individual mindset. 18. On the literary transmission of scientific knowledge acquired through direct experience see Felix Driver, “Distance and Disturbance: Travel, Exploration and Knowledge in the Nineteenth Century”, Transactions of the Royal Historical Society, Sixth Series, no 14, 2004, p. 73-92. 19. The “society of travelers” described in Antoni Maczak, Travel in Early Modern Europe, Cambridge, Polity Press, 1995. 20. In the Introduction to the Reader of these texts, one may often find the expressions “you will know”, “you will see” (saprai, conoscerai, vedrai), or “to give information” (dare notizia), or “to not be in doubt about what I am going to recount” (non essere in dubbio di quanto io vo ricontando). 21. In this regard, see the introduction to Marziano Guglielminetti (ed.), Viaggiatori del Seicento, Turin, UTET, 1967, p. 54-57. 22. On this point, we refer to the debate opened by Edward Said, Orientalism: Western Conceptions of the Orient, New York, Vintage, 1979. On the role of travel accounts in colonial policy, see Nedret Kuran-Burçoğlu, “The Development of the Image of the Turk in Europe”, in Mustafa Soykut (ed.), Historical Image of the Turk in Europe: 15th Century to the Present. Political and Civilisational Aspects, Istanbul, Isis Press, 2003, p. 21-37. 23. The oscillation between positive and negative elaborations of the image of the Turk characterized different European environments and, for the Italian peninsula, the Venetian Republic was among those which had the more complex and articulated relationship. The representation of the Turks as admirable and respectable, often linked to the Ancient Romans, was already present in the Venetian culture of the late Renaissance. See the classical works of Paolo Preto, Venezia e i Turchi, Florence, G. C. Sansoni, 1975 and Lucette Valensi, Venise et la Sublime Porte: la naissance du despote, Paris, Hachette, 1987. Valensi identified in the post-Lepanto period a change in the Venetian policy that affected also the cultural perception of the Venetians about the Ottomans. 24. On the comparison of the European representation with the self-picture the Ottomans wanted to give of themselves see Suraiya Faroqhi, Another Mirror for Princes. The Public Image of the Ottoman Sultans and Its Reception, Istanbul, The Isis Press, 2009. 25. See the definition of “armchair travelers” in Attilio Brilli, Il viaggio in Oriente, Bologna, Il Mulino, 2009, p. 163-166. On the topic, see Paul Hazard, The European Mind…, op. cit., stressing that the “Orient”, even in the deformed image of the time, still carried an original force and represented a non-Christian value, a human mass that had built its own concepts of morality, truth and happiness. It was one of the reasons why the consciousness of old Europe felt deeply perturbed and wanted to be perturbed. 26. In this regard, a well-known example is provided by the letters of Lady Mary Wortley Montagu, The Turkish Embassy Letters, London, Virago Press, 1994. 27. This topic has been extensively debated by comparative literature scholars. According to the Enciclopedia Treccani, the notion of travel literature is defined by an “uncertain status”. Far from pretending to produce an exhaustive bibliographical reference on the topic, see a general overview in Michel Butor, “Le voyage et l’écriture”, Romantisme, no 4, 1972, p. 4-19; Eric J. Leed, The Mind of the Traveler: From Gilgamesh to Global Tourism, New York, Basic Books, 1992 ; Paolo Scarpi, La fuga e il ritorno: storia e mitologia del viaggio, Venice, Marsilio, 1992; Pino Fasano, Letteratura e viaggio, Rome, Laterza, 1999; Daniel-Henri Pageaux, Le Séminaire de ‘Ain Chams. Une introduction à la littérature générale et comparée, Paris, L’Harmattan, 2008; Jennifer Speake (ed.), The Literature of Travel and Exploration. An Encyclopedia, 3 vol., New York, Fitzroy Dearborn, 2003.

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28. This process is parallel to the one described in Kathryn Blair Moore, “The Disappearance of an Author and the Emergence of a Genre: Niccolò da Poggibonsi and Pilgrimage Guidebooks between Manuscript and Print”, Renaissance Quarterly, no 66/2, summer 2013, p. 357-411. 29. Giovanni Pietro Pittoni, Historia, o’ sia vero e distinto ragguaglio sullo stato presente della città di Costantinopoli, Venice, Stamperia Leonardo Pittoni, 1684. The book was reprinted with some additions twice in the two following years. It comprises a description of the city, the life of the Sultan, the Islamic rites, and of the Dardanelles and the Bosporus. 30. One of the most important authors of the stamperia was Giovanni Battista Pittoni, a Catholic secular priest. The son of Leonardo, he wrote a collection of works on Roman religious congregations and orders and was also famous for his biography of Pope Benedict XI. 31. The edition of 1684 was simply a reprint while the one of 1686 was a new edition. See Caterina Griffante (ed.), Le edizioni veneziane…, op. cit., entry “Pittoni Giovanni Pietro”. The author also edited the previously mentioned biography of Benedict XI of Giovanni Battista Pittoni in the edition of 1691. Another work of 1691 attributed to him is Suegliarino alli Signori Veneziani per poter con sicurezza viver di continuo in sanita, fino gli anni cento e dieci. All the works were printed by Leonardo Pittoni. Giovanni Pietro Pittoni should not be confused with his namesake, a painter (1687-1767) active mostly in Venice, on whom we can get information through Laura Pittoni, Dei Pittoni, artisti veneti, Bergamo, Istituto Italiano d’Arti Grafiche, 1907. 32. Unfortunately, we do not have any information about the printing run of the editions. 33. Giovanni Pietro Pittoni, Historia…, op. cit., p. 5. The urge to know and see (brama d’indagare) has to be regarded as the first prerequisite to be a true traveler. 34. Ibid. 35. Ibid. 36. Ibid., p. 29. 37. At the beginning of his account, Pittoni dwelt upon the description of the public baths in Istanbul (according to his estimation, there were about 220) where, for four aspers, anyone could enter to wash himself. In addition, “there are many baths in all places of the Turks and, if there are none, they bath in their own house.” In addition, all the mosques have fountains and vases with water “in order that each one can be washed with convenience”: Giovanni Pietro Pittoni, Historia…, op. cit., p. 25. 38. Antoine Galland, the French Orientalist and first European translator of the One Thousand and One Nights, talked about this custom in his travel account on Smyrna of 1678. He considered the hypothesis that excessive body washing had reduced fertility among the Turkish population. 39. Giovanni Pietro Pittoni, Historia…, op. cit., p. 29. 40. This addition is also highlighted in the book’s title, where its contents are listed: “and the portrait of the Grand Vizier, who was in the siege of Vienna” (& il ritratto del gran visir, che fù sotto l’assedio di Vienna). In the second edition on 1686 was added a fifth part on “The life and death of Kara Mustafa, Grand Vizier, who was in the siege of Vienna” (La vita, & morte di Carra Mustafa gran visir, che fu sotto l’assedio di Vienna). 41. See Ian R. Manners, “Constructing the Image of a City: The Representation of Constantinople in Christopher Buondelmonti’s Liber Insularum Archipelagi”, Annals of the Association of American Geographers, no 87/1, March 1997, p. 72-102. 42. Marsili was born in Bologna, on 20 July 1658, and died in the same city, on 1 November 1730. His family belonged to the town aristocracy and this guaranteed him a very prominent career. He was the Imperial plenipotentiary at the negotiations of the Peace of Karlovitz and the head of the committee engaged in the diplomatic agreements regarding the boundaries between the Ottoman and Habsburg Empires. Marsili travelled to Istanbul for the first time in July 1679, remaining there for about a year, as a comrade of the newly elected bailo Pietro Civran. Gemelli Careri was born in Radicena, modern Taurianova, in 1651, and died in Naples in 1725. His decision to leave was almost forced, due in part to his exclusion from high offices in the Giudicatura of the

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Kingdom because of his humble origins, and partly to personal enmities he had in Naples. Frustrated and exasperated, he moved away from the city full of regrets and embarked upon an undertaking which, ironically, would make him famous. On 14 June 1693, he started a journey around the world that lasted five years. 43. Gemelli was the second Italian to complete a journey around the world. The first Italian circumnavigation of the globe was held as early as the end of the 16th century by Francesco Carletti, a Florentine merchant. It lasted 12 years, from 1594 to 1606. Carletti died on 12 January 1636, after recording his experience in the report entitled Ragionamenti del mio viaggio intorno al mondo, Turin, Gianfranco Silvestro, 1958. 44. For example, when Marsili described the reception reserved to the new Venetian delegation, he called it flattery in hopes of receiving “as usual, great donatives”: Luigi Ferdinando Marsili, Autobiografia di Luigi Marsigli, a cura del Comitato Marsiliano, Bologna, Zanichelli, 1930, p. 14. 45. Ibid. The autobiography remained unpublished until the edition cited in the previous footnote, by Emilio Lovarini. It was probably dictated by Marsili in 1704-1705, and then were added autograph fragments, concerning some interviews with Clement XI, between 1710 and 1711. 46. Ibid. 47. Lugi Ferdinando Marsili, Autobiografia…, op. cit., p. 20. 48. Ibid. 49. Hüseyin Efendi represents the stereotype of the “good Turk”. We can compare this stereotype with the topos of the “good Jew” and the fascination with wisdom developed in the context of another cultural and religious system of values. 50. Ibid. 51. Coming back to the Ottoman capital for a diplomatic mission on behalf of the Emperor, in 1691-92, in spite of the burden of his official duties, Marsili denoted himself not only to the observation of natural phenomena, but also to the gathering of Greek codices and manuscripts “extracted from the Imperial seraglio of Constantinople; and also Turkish, Arabic and Persian [ones], treating natural observation and geography”: Luigi Ferdinando Marsili, Autobiografia…, op. cit., p. 160. 52. Avanie have long been considered as arbitrary abuses, but it has recently been stressed that they left ample space of negotiation: Maurits Hubrecht van den Boogert, The Capitulations and the Ottoman Legal System: qadis, Consuls and beraths in the 18th century, Leyde, Brill, 2005. 53. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo, Naples, Stamperia Giuseppe Roselli, 1699, p. 200-201. The second edition was printed in Venice in 1718, less than twenty years after. The success of the book surprised the author himself. In the introduction of the second edition he wrote that he decided to proceed to the reprint of Giro del Mondo, “copies of which started to become quite rare, more than ever I should, or could, hope”. 54. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo…, op. cit., p. 153. 55. For the deep religious, social and anthropological implications of the act of food sharing, see Martin Jones, Feast. Why Humans Share Food, Oxford, Oxford University Press, 2007; L. Shannon Jung, Sharing Food: Christian Practices for Enjoyment, Minneapolis, Augsburg Fortress, 2006. 56. On the consumption of exotic foods like tea, coffee and chocolate in the 18 th century, see Piero Camporesi, Exotic Brew: The Art of Living in the Age of Enlightenment, Hoboken, Wiley, 1998. 57. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo…, op. cit., p. 333. This referred to the custom of English and French eating at the same table in Istanbul, even though there was a war underway between their mother countries. 58. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo…, op. cit., second edition, fourth part, first book, p. 1. 59. Here national identity is used with the meaning of identifying themselves according to the place of origin and of being born subjects of the same sovereign.

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60. Giovanni Francesco Gemelli Careri, Giro del Mondo…, op. cit., second edition, forth part, first book, p. 3. 61. Giuseppe Sorio, “Lettera XI. Viaggio e descrizione delle piramidi e delle mummie con tavole dei disegni”, in Andrea Caparozzo (ed.), Giuseppe Sorio viaggiatore vicentino, Vicenza, Burato, 1881. 62. Ibid. 63. Ibid. 64. The first edition was published in 1853, by the Tipografia Tramontini of Vicenza, with the title Descrizione di Costantinopoli. Lettera di Giuseppe Sorio viaggiatore vicentino. As we can read in the introduction, it was commissioned by “some friend for the Fiorasi-Boscolo propitious marriage”. This detail is extremely significant, denoting how a printed report of travel in the East could be regarded as a valuable wedding gift. The decision to publish the letter from Istanbul, among the author’s many, was justified by the fact that “nowadays all eyes are turned” to that city, probably because of the Crimean War. 65. Giuseppe Sorio, Descrizione di Costantinopoli…, op. cit., p. 9. 66. Ibid., p. 31. 67. Ibid., p. 13-14. 68. Ibid. 69. Although the city was no longer as it had been under the Christian emperors, Istanbul remained one of the most beautiful in the world, according to Giuseppe Sorio, Descrizione di Costantinopoli…, op. cit., p. 60-61. 70. Giuseppe Sorio, Descrizione di Costantinopoli…, op. cit., p. 42. 71. Ibid., p. 14. 72. Ibid., p. 22. 73. A strong necessity was felt by the European aristocracy of the baroque era to leave a “sign” in the urban space. On this practice of architectural perpetuation of the earthly existence, see Maria Antonietta Visceglia, Il bisogno di eternità. I comportamenti aristocratici a Napoli in età moderna, Naples, Guida, 1988. 74. The muṣādara, “the practice of the confiscation to the Ottoman treasury of the property of a deceased and/or dismissed official and other person” (muṣādara, vol. 7, The Encyclopaedia of Islam, Leiden-New York, E. J. Brill, 1993), had started to be circumvented by the members of the most prominent families, especially since the second half of the 17th century. One may also observe at that time a development in Ottoman society through the formation of a middle class of officers. See Rifa’at ‘Ali Abou-El-Haj, Formation of the Modern State. The Ottoman Empire, Sixteenth to Eighteenth Centuries, New York, State University of New York Press, 2005, p. 48-49, 57; Fatma Müge Göçek, Rise of the Bourgeoisie, Demise of Empire. Ottoman Westernization and Social Change, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 56-57; I. Metin Kunt, The Sultan’s Servants. The Transformation of Ottoman Provincial Government, New York, Columbia University Press, 1983, p. 54-56. These references also discuss the elaboration of new strategies for the transmission of a family’s estate. 75. Giuseppe Sorio, Descrizione di Costantinopoli…, op. cit., p. 29. 76. Ibid., p. 59. 77. Ibid. 78. Ibid., p. 62. 79. Ibid. 80. Ibid. For a novel architectural language, and a new sense of elegance and comfort, see the analysis of the so called “Tulip Era” by Stefanos Yerasimos, Κωνσταντινουπολη: από το Βυζάντιο μέχρι σήμερα, Athens, Ekdoseis Karakotsoglou, 2006. For the development of the new trend in the following century see Hamadeh Shirine, The City’s Pleasures: Istanbul in the Eighteenth Century, Seattle and London, University of Washington Press, 2007.

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81. On the topic see Asli Çirakman, From the “Terror of the World” to the “Sick Man of Europe”: European Images of Ottoman Empire and Society from the Sixteenth Century to the Nineteenth, New York, Peter Lang, 2004.

ABSTRACTS

The essay focuses on Italian travelers in the Ottoman Empire between the late seventeenth and the beginning of the eighteenth century. Through analysis of four works and the detection of three different ways of translating the “real act” of traveling into literature, we introduce experience as an epistemological tool. Impersonal narration, treatment of the act of knowing as a personal achievement and narration as a way of sharing a conscious encounter with the “other” convey a knowledge based on first-hand experience. Leaving behind the principle of authority based on tradition, a new dignity was given to authority that came from the physical act of the concrete experience of the author himself. The ability of authors to overcome prejudices in their narratives of their encounters with Turkish culture and society should not be given for granted. Nevertheless, there is greater articulation and sensitivity in the definition of diversity. The dissemination and editorial success of this kind of writings had also an impact on the mentality of these author’s readers in the Italian peninsula.

Cet article s’intéresse aux voyageurs italiens dans l’Empire Ottoman entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle. À travers l’analyse de quatre travaux et la reconnaissance de trois façons de traduire, dans la littérature, le voyage comme un fait, nous introduisons l’expérience en tant qu’un objet épistémologique. Le style narratif impersonnel, la considération de « l’acte de savoir » comme réussite personnelle, et l’emploi de la narration comme moyen de partager une rencontre consciente avec l’autre, conduisent à une connaissance fondée sur sa propre expérience. En se détachant du principe d’autorité fondé sur la tradition, une nouvelle autorité émerge désormais de l’acte physique de l’expérience concrète vécue par les auteurs. Leur capacité à dépasser, dans leur narration, les préjudices de leurs confrontations avec la culture et la société turque, ne doit pas être donnée pour acquise. L’on remarque néanmoins une articulation et une plus grande sensibilité dans la façon de décrire la diversité. Grâce à la diffusion de ces travaux et à leur succès éditorial, ce genre d’écrit exerce un impact sur la mentalité des lecteurs dans la péninsule italienne.

INDEX

Mots-clés: voyageurs, Empire ottoman, ars apodemica, représentation de l’altérité, crise de la conscience européenne Keywords: travelers, Ottoman Empire, ars apodemica, representation of Otherness, crisis of the european conscience

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AUTHOR

FILOMENA VIVIANA TAGLIAFERRI Filomena Viviana Tagliaferri is post-doctoral researcher at the Insititute of Mediterranean Studies - Fundation for Research and Technology, Hellas (IMS-FORTH), of Rethymno and fellow of the Istituto di Storia dell’Europa Mediterranea del Consiglio Nazionale delle Ricerche (ISEM-CNR) in the joint project with the Istituto Storico Italiano per il Medioevo Foreigner Communities in Rome, 1377-1870. Her present research project is focussing on the interaction of catholic and orthodox community in the Aegean in the fifty years following the fall of Candia (1669). It deals in particular with the changes in mentality in places or periods of cultural overlapping and on Mediterranean as a border place. The research focuses on the key role of experience in re- shaping mental, cultural and social behaviour. Her MA thesis on inter-Mediterranean gastronomy won the publication prize of the Università degli Studi Roma Tre in 2007 (La cucina intermediterranea. Progetto per una taverna del gusto comune, Rome, Aracne editrice, 2010). [email protected]

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Comptes-rendus

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Pierre-Yves Beaurepaire et Héloïse Hermant (dir.), Entrer en communication, de l’âge classique aux Lumières, (Thierry Rentet) Paris, Classiques Garnier, coll. « Les Méditerranées », 2012, 347 p.

Thierry Rentet

1 L’ouvrage rassemble treize articles issus de la fusion de deux journées d’études du groupe CITERE, répartis en quatre chapitres : « Entrée en communication par la construction d’un réseau », « Entrée en communication par l’inclusion dans un réseau », « Entrée en communication et culture de la mobilité », et « Succès et échecs de l’entrée en communication ». Ventilés sur les trois siècles de l’époque moderne, avec un léger penchant pour le XVIIIe siècle, les articles sont complétés par deux index, l’un thématique (70 occurrences) et l’autre géographique (54 occurrences), outils très utiles pour le lecteur.

2 Avant de développer les aspects positifs qui rendent la lecture stimulante, abordons les deux points les plus perfectibles. Le premier concerne les illustrations graphiques et statistiques. Leur utilisation comme appoint à une démonstration peut s’avérer pertinente, à condition d’être lisibles et compréhensibles rapidement, et de reposer sur des corpus significatifs. Le second renvoie à l’index thématique. Mise à part l’entrée « communication », les principales occurrences sont « lettres », « correspondance » et « réseau ». Pourquoi ne pas y avoir fait figurer « broker » et « intermédiaire », voire « passeur » ?

3 Car, premier apport, l’ouvrage montre parfaitement le rôle incontournable de l’intermédiaire dans le processus d’entrée en communication. Évoqué en introduction (p. 16), l’intermédiaire caractérise le niveau « méso » (noblesse moyenne de Jean-Marie

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Constant, officiers moyens de Michel Cassan…) d’une étude réticulaire. Ici, la définition est ouverte. On pense d’emblée au support classique de la lettre, repris, à juste titre, par la majorité des contributions ; lettres d’introduction, de recommandation, de relance, d’information, d’injonction… Une typologie des missives peut être dressée, d’où découlent des échelles d’intermédiarité. On pense aussi aux personnages dont la plupart sont ce qu’il faut bien appeler, sans que l’expression soit forcément péjorative, des « seconds couteaux ». À côté de Catherine de Médicis ou de Don Juan José d’Austria, dont les entrées en communication influent d’ailleurs directement sur le changement de stature politique, les noms de Louis Gérard, François de Paule Latapie, Dominique Chaix sont ceux d’honnêtes hommes de lettres ou de sciences à l’envergure limitée, tandis que Louis de Beausobre « ne fait pas partie de l’intelligentsia francophone de la cour et de l’Académie frédériciennes » (Anne Baillot, p. 123). On peut même avoir affaire à des relégués comme dans le cas de Luisa de Padilla, femme, aristocrate et Espagnole dans l’Espagne d’Olivarès, ou à des penseurs marginaux tel Boulainvilliers.

4 Pour tous cependant, deuxième intérêt, les stratégies d’entrée en communication sont bien mises en évidence. Elles réussissent malgré les obstacles physiques (Kenneth Loiselle et Gilles Montègre), sociaux (Marie-Laure Acquier), politiques (Héloïse Hermant), moraux (Géraldine Sheridan), souvent grâce à une bonne préparation en amont (Florence Catherine) ou à un relatif isolement qui autorise un développement autonome (Pierre-Yves Beaurepaire). Mais celles qui échouent sont aussi éclairantes. Jean Boutier (dont la communication peut être lue avant celle d’Alain Cantillon qui la précède car toutes deux portent sur Leibniz) montre que le choix du solliciteur est capital, au risque d’une fin de non-recevoir.

5 En creux, l’ouvrage amène à formuler des réflexions et des questions qui incitent à poursuivre l’ébauche présentée. Il existe les réseaux des exclus et des angles morts de l’entrée en communication. Ceux-ci renvoient à une vision très utilitariste du donner- recevoir-rendre de Marcel Mauss qui semble particulièrement prégnante dans les relations politiques. En outre, l’établissement d’un lien crée, ou active, des fidélités et des clientèles. L’approche anthropologique proposée permet de rajeunir l’analyse de notions chères à Roland Mousnier. Les moments de crise, en donnant à ce mot un sens très large, sont-ils plus propices à l’entrée en communication que les périodes moins agitées ? Enfin, où placer le curseur ? À partir de quel moment l’entrée en communication prend-elle fin ?

AUTEUR

THIERRY RENTET Université Paris-Nord Centre de recherches espace, société, culture (CRESC)

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Joël Fouilleron et Roland Andréani (dir.), Villes et représentations urbaines dans l’Europe méditerranéenne (XVIe- XVIIIe siècle). Mélanges offerts à Henri Michel, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2013, 346 p.

Olivier Zeller

1 Les contributions réunies en l’honneur du professeur Henri Michel ne forment pas des mélanges comme beaucoup d’autres. Ils sont offerts à un historien particulièrement fécond qui, après avoir été formé aux exigences de l’histoire sérielle et à la rigueur de l’école quantitative, s’est signalé par de nombreuses publications à la fois remarquables par la variété de leurs problématiques et par la cohésion assurée par la connaissance approfondie d’un « terrain » à l’échelle languedocienne. Qui voudra prendre la mesure du travail accompli et du chemin parcouru se reportera aux recensions réalisées par Joël Fouilleron. Peut-on en être surpris ? Dans leur diversité, les vingt contributions rassemblées dans ces mélanges sont à l’image de l’œuvre de celui qu’elles honorent.

2 Il n’est pas exagéré d’affirmer que plusieurs d’entre elles ne sont en rien de légers articles de circonstance, mais d’importants travaux de fond, qui ne peuvent que nourrir l’indispensable démarche comparative. C’est tout particulièrement le cas de l’étude qu’Élie Pélaquier et Stéphane Durand ont consacrée à l’ensemble des villes du Languedoc au XVIIIe siècle. Très classiquement, ils se penchent sur le délicat problème de l’identification des seuils et utilisent Zipf et Christaller dans une optique strictement descriptive. Surtout, ils proposent une typologie raisonnée, qui intègre la géographie des foires et des marchés aux critères d’une grille d’interrogation articulée sur les

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institutions judiciaires et politiques, mais aussi sur les modes de dénomination. L’apport n’est donc pas seulement factuel, il est méthodologique. Des cartes fort parlantes et la publication intégrale des caractéristiques de 121 unités urbaines ont ici valeur de synthèse. Un tel travail est particulièrement précieux à un stade de la recherche qui ne peut guère faire fonds que sur les travaux de Claude Nières, de Christine Lamarre, de René Favier et, très récemment, sur la belle thèse de Dominique Bouverat sur les petites villes de Savoie.

3 Une autre contribution de grand intérêt est celle de Robert Chamboredon, qui a traité les 15 400 lettres constituant la correspondance active de la maison de commerce nîmoise Fornier, entre 1765 et 1786. La puissance démonstrative de la quantification débouche sur une étude géographique pratiquant des regroupements pertinents et considérant les relations européennes, l’Italie et l’Espagne étant traitées séparément, puis le royaume, avec distinction des villes portuaires et s’achevant par une cartographie des correspondances languedociennes. La démarche est de la veine des grandes enquêtes menées jadis par Pierre Léon. Même si le carrousel des modes et des intérêts s’est soldé par une dévalorisation des études d’aires commerciales, sauf dans une problématique des réseaux, la restitution spatiale des structures économiques européennes n’est concevable qu’à condition de multiplier des travaux de cette qualité.

4 Un deuxième thème majeur du recueil est focalisé sur les sociabilités. La contribution d’Hélène Berlan sur les étudiants en médecine de Montpellier décrit le passage d’une sociabilité d’études à une sociabilité de corps. Évidemment, son intérêt dépasse de beaucoup la simple histoire locale. La faculté formait la base de la diffusion des concepts médicaux néo-hippocratiques et ses épigones participaient à un groupe de pression visant à établir un quasi-monopole dans un grand nombre de villes françaises.

5 Dans le même champ de l’histoire sociale, la maçonnologie s’enrichit de deux de ces travaux qui permettent de saisir les dimensions multiples du phénomène à l’échelle la plus fine. À partir de très riches correspondances, Pierre-Yves Beaurepaire décrit par le menu le rôle d’un maçon d’influence, le montpelliérain Pierre de Guenet. Cette étude disqualifie définitivement le mythe d’une origine de la Grande Loge de France qui aurait été jacobite ; textes à l’appui, elle met aussi en valeur la volonté de ségrégation sociale qui se manifesta dans le recrutement des apprentis. De son côté, Jean-Jacques Vidal a livré une étude de loge dont l’originalité est de porter sur l’Orient d’une très petite ville de 1 200 habitants : Sète. Cela donne l’occasion de constater le jeu des influences d’Agde et de Montpellier dans l’allumage des feux de deux ateliers dans les années 1782, puis de centrer les curiosités sur la loge Les Vrais Amis fidèles des treize États Unis. Les maçons sétois sont jeunes et se recrutent essentiellement chez les négociants et les capitaines de navire. La présence de nombreux architectes ou entrepreneurs sur les colonnes du temple assure à la loge un rôle indirect dans la réalisation des principaux travaux publics. En revanche, l’influence sur la municipalité est plus immédiate, de nombreux frères figurant sur les listes consulaires.

6 Plus diffus, un troisième paradigme majeur est celui des formes urbaines de la spatialité. On le trouve notamment dans les contributions de François Pugnière, sur la territorialisation confessionnelle et ses marqueurs lors de la Contre-Réforme nîmoise, ainsi que chez Nicolas Vidoni, qui rapporte un projet de 1755 tendant à rationaliser la géographie policière de Montpellier.

7 La richesse des regards qu’il est possible de porter sur la ville est illustrée par la belle diversité des autres communications. La particularité de la gouvernance

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languedocienne ressort des pages données par Arlette Jouanna et qui décrivent une superstructure tripolaire constituée par les États, l’intendance et le couple formé par le gouverneur et l’archevêque. Étudiant quatre siècles de politique hydraulique à Narbonne, Gilbert Larguier décrit à la fois les enjeux liés à l’édilité et ceux qui relevaient de la politique des transports. Étudier une ville, c’est aussi se pencher sur des images et des représentations. Des guides orientent les curiosités et construisent les stéréotypes, et Jean Boutier convoque l’exemple précurseur des descriptions de Florence à la fin du XVIIe siècle. Guidé par le peintre Claude Vignali, l’architecte Barthélémy-Michel Hazon a laissé une description de son passage en 1745. Ainsi que le rapporte Thomas Fouilleron, le regard de l’artiste n’est pas exempt de « l’intertextualité, parfois forte, qui caractérise le commun des récits de voyage en Italie ». Des histoires de ville et leurs mythes légitiment des prétentions politiques, mais balisent également les diverses évolutions, et Régis Bertrand découvre ici plusieurs textes restés inédits. Les images construites sont utilisées lors des rivalités urbaines, à l’exemple de Nîmes et de Montpellier se disputant l’accueil des États provinciaux, selon l’analyse de Robert Sauzet. Évoquant les frasques des nonnettes vénitiennes, la contribution de Guy Chaussinand-Nogaret sur Venise vue par Casanova est moins anecdotique qu’il y paraîtrait de prime abord ; en effet, la grande permissivité sexuelle de la cité des Doges et son interminable Carnaval ont longtemps retardé les effets de sa décadence économique en attirant les riches étrangers.

8 Étudier la ville, c’est aussi considérer un creuset des opinions collectives ; revisiter la célèbre affaire du jésuite Girard permet de mesurer la mobilisation de la population autour des luttes intestines du clergé, au point qu’il fut prévu d’organiser en l’honneur de la Cadière, sa maladive victime, une entrée digne d’une princesse, arc de triomphe et coups de canon compris.

9 L’histoire rurale se trouve représentée dans ces mélanges par deux études dissemblables. Pour expliquer l’atonie du marché foncier dans les campagnes dominées par les Perpignanais, Geneviève Gavignau-Fontaine tourne le dos au matérialisme historique et s’en remet à l’histoire idéaliste, Lefebvre et Soboul ayant méconnu, selon l’auteur, la prégnance des vieux principes chrétiens. En revanche, Jean Nicolas, qui considère deux seigneuries, l’une dans le Mirepoix pyrénéen, l’autre en bas Vivarais, fonde une analyse convaincante sur les rapports de force et met en évidence le contre- pouvoir antiseigneurial des communautés d’habitants.

10 Les historiens d’art seront intéressés par l’exploitation que Laure Pellisser a faite de l’inventaire des biens du peintre montpelliérain Joseph Fabre, parti en émigration avec ses deux fils, dont l’un, François-Xavier, également peintre, devait fonder le musée de la ville en 1825. Dans un tout autre ordre de préoccupations, Guy Le Thiec apporte une touche finale d’exotisme en considérant les représentations françaises et italiennes des femmes du sérail du grand seigneur, notamment iconographiques.

11 Ces quelques lignes, on l’espère, auront invité le lecteur à se plonger sans tarder dans ces beaux mélanges qui, à l’exception d’une préface à l’irritant égotisme, constituent une œuvre collective d’une belle qualité.

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AUTEUR

OLIVIER ZELLER Université Lyon-II Lumière

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Jörg Ulbert et Lukian Prijac (dir.), Consuls et services consulaires au XIXe siècle. Consulship in the 19th Century. Die Welt der Konsulateim 19. Jahrhundert, Hambourg, DobuVerlag, 2010, 522 p.

Marcella Aglietti, L’istituto consolare tra Sette e Ottocento. Funzioni istituzionali, profilo giuridico e percorsi professionali nella Toscana granducale, Pise, Edizioni ETS, 2012, 440 p.

Arnaud Bartolomei

1 Les études historiques portant sur les consuls, qui avaient été renouvelées ces dernières années par les travaux de Jesús Pradells Nadal1 et d’Anne Mézin 2, portant sur le personnel et les carrières des consuls au XVIIIe siècle, ou par le bel ouvrage de Christian Windler3, consacré à l’étude du protocole diplomatique dans la Régence de Tunis et à « l’expérience de l’autre » qu’il révèle, ont connu un nouvel essor à partir de la parution en 2006 de l’ouvrage collectif La fonction consulaire à l’époque moderne, édité par Jörg Ulbert et Gérard Le Bouëdec. Loin de n’être qu’un simple « état des connaissances » sur la fonction consulaire – ce qu’il est aussi et ce qui lui vaut d’être d’ores et déjà un

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classique –, ce dernier ouvrage ouvrait en effet de nombreuses pistes de recherche, qui ont été empruntées depuis par divers programmes de recherche, individuels ou collectifs, qui, en France ou ailleurs, se sont inscrits dans son sillage. Ce fut, par exemple, le cas des colloques de Nice de 2011 (dédié à « l’information consulaire »4) et de Séville de 2012 (consacré à l’étude des « cónsules de extranjeros » sur la longue durée), dont les actes viennent d’être publiés5. C’est également le cas avec le nouveau colloque organisé à Nice en 2014 qui, en s’intéressant aux « fonctions marchandes des consuls », prolonge l’une des thématiques esquissées dans La fonction consulaire. Il en va de même avec les deux ouvrages dont il sera question ici : naturellement, celui qu’a coordonné Jörg Ulbert (avec Lukian Prijac cette fois), qui prolonge, pour le XIXe siècle, le volume précédemment consacré à l’époque moderne, mais aussi celui que vient de publier Marcella Aglietti en Italie, qui est consacré à l’évolution de l’institution consulaire, telle que l’on peut la percevoir depuis l’observatoire singulier que constitue le port toscan de Livourne.

2 C’est donc sous la forme d’un ouvrage collectif réunissant pas moins de trente-six contributions, rédigées en français, en anglais ou en allemand, que se présente l’ouvrage, au titre déjà polyglotte, Consuls et services consulaires au XIXe siècle. Consulship in the 19th Century. Die Welt der Konsulateim 19. Jahrhundert. La perspective internationale, même mondiale, adoptée par l’ouvrage se trouve immédiatement confirmée dans son architecture d’ensemble qui, après les trois contributions introductives, distingue, d’une part, la situation des « anciennes nations consulaires », à savoir les nations européennes qui ont inventé la fonction consulaire à l’époque moderne et l’ont développée au siècle suivant, et, d’autre part, celle des « nouveaux arrivants », c’est-à- dire les États qui ont acquis leur indépendance au XIXe siècle (comme les Républiques latino-américaines ou la Serbie) ou qui se sont efforcés de suivre le train de la modernité européenne en adoptant à leur tour une institution devenue incontournable (Empire Ottoman, Chine, Japon et Éthiopie). Le découpage n’est cependant pas aussi net – ni aussi européo-centré – qu’il n’y paraît à première vue : ainsi le cas des États-Unis est abordé dans le premier groupe alors que les services consulaires de certains États allemands ou même des Pays-Bas sont abordés dans le second. Cela n’affecte cependant pas le propos car l’essentiel ne réside pas tant dans le découpage en lui-même que dans ce qu’il suggère : les services consulaires ont connu au XIXe siècle un double processus d’essor quantitatif et d’expansion mondiale, porté aussi bien par le développement des réseaux des « anciennes nations consulaires » (qui passent en général d’une dizaine de postes centrés sur l’Europe et la Méditerranée à une centaine de postes répartis dans le monde entier) que par celui des « nouveaux arrivants », qui entendent tous affirmer leur indépendance et leur souveraineté sur la scène internationale en s’appropriant à leur tour l’institution consulaire. Il en résulte une profusion illimitée des études de cas possibles à l’aune de laquelle les trente-six contributions réunies paraissent finalement peu de chose. Le but de l’ouvrage n’était cependant pas de dresser un inventaire systématique de tous les postes ouverts au XIXe siècle, ni même de tous les réseaux constitués alors, mais plutôt de s’interroger sur les raisons d’une telle vogue de l’institution consulaire qu’évoque Jörg Ulbert dès les premiers mots de son introduction en rappelant que « jamais avant ni après, le nombre de postes consulaires n’a été aussi important, jamais les attributions des consuls n’ont été aussi larges, jamais leur rôle aussi élevé » (p. 9). En fait, l’auteur souligne que ce n’est pas tant la nature des fonctions consulaires qui change – elles demeurent principalement centrées sur la collecte d’informations, la protection des ressortissants et l’assistance au « pavillon »

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du pays d’origine – que leur systématisation et leur professionnalisation. Ainsi, en matière d’information, les consuls français ne pourront plus se contenter d’expédier le « mémoire annuel » prévu par les Ordonnances de la Marine de 1681, mais doivent dorénavant adresser à leur ministère de tutelle de réguliers états de navigation, du commerce, des prix, des industries et des manufactures… De même, les fonctions de protection et de contrôle des ressortissants s’étoffent au fur et à mesure que se développent les flux internationaux de migrants – dont il faut viser les passeports – et les colonies d’expatriés auxquelles il faut garantir un accès minimal aux services d’état civil ou de légalisation juridique que dispensent les consulats. Cet alourdissement des charges dévolues aux consuls se traduit partout dans le monde par une professionnalisation du métier et de la carrière consulaire, par un triomphe progressif du modèle des consuls missi (agents de l’État et à son service) sur celui des consuls electi (désignés par les « nations marchandes ») et par un détachement, au contraire, des fonctions marchandes originelles des consuls, qui tendent d’ailleurs peu à peu à être récupérées par de nouvelles figures qui apparaissent à la toute fin de la période (comme les « attachés commerciaux » qui sont créés en France au début du XXe siècle).

3 L’évolution est donc sensible mais elle demeure longtemps lente à s’affirmer, notamment d’un point de vue réglementaire, ce que souligne utilement Anne Mézin dans sa contribution, en remarquant que les instructions consulaires françaises de 1814 et 1833 ne font souvent que confirmer ou aménager les dispositions des ordonnances de 1681. De même, lorsque les nouveaux dirigeants des États-Unis rédigent leur première loi sur les services consulaires en 1792, ils n’innovent nullement et prévoient que « le consul doit recevoir les plaintes et les déclarations en prenant soin des problèmes dans l’intérêt du commerce américain ; il prend provisoirement possession des biens des Américains décédés dans son district ; […] il s’occupe des chargements des bateaux américains échoués ou avariés, et perçoit certaines taxes sur les inventaires, etc. » (Guadalupe Carrasco González, p. 243). Ce qui change donc en premier lieu dans la fonction consulaire au XIXe siècle, ce sont les conditions d’exercice du métier et le contexte nouveau dans lequel elle évolue dorénavant : ainsi Rudolph Agster constate, amusé, qu’avec l’explosion des flux migratoires vers les États-Unis à la fin du XIXe siècle, le temps « où la tâche des consulats ne consistait qu’à l’accompagnement de l’export de coton et de tabac vers la Monarchie » est bien fini (p. 188). De même, l’industrialisation et l’essor des échanges internationaux tendent à transformer l’essence même des fonctions marchandes du consul : de juge des négociants placés sous sa juridiction, il s’affirme peu à peu comme un véritable « représentant de commerce » de l’industrie de son pays d’origine, parfois avec un certain succès si l’on en croit la démonstration de Tomoko Hashino qui lie le succès de l’industrie japonaise de la soie à l’efficacité du réseau consulaire déployé par Tokyo dans le monde et en Europe à partir de l’ère Meiji – des postes étant ouverts aux Philippines, à Singapour, au Guangdong, à Marseille, à Liverpool, à Brême, etc. (p. 489). L’autre grande transformation qui caractérise le siècle, c’est ensuite l’évolution du statut juridique des consuls et notamment les processus de fonctionnarisation et de bureaucratisation de leur fonction. De nombreuses contributions reviennent sur les tensions qu’entraîne une telle évolution, le plus souvent, pour souligner les diverses résistances qu’elle suscite et l’intérêt des débats auxquels elle donne lieu – certains arguant que le traditionnel « consul marchand » est le plus à même de servir les intérêts du commerce national, d’autres, que les conflits d’intérêts inhérents à un tel mélange des genres rendent nécessaires sa suppression. Le paroxysme dans ces débats est probablement atteint à l’époque de l’union des deux

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couronnes scandinaves, étudiée par Leos Müller, puisque la Norvège, commerçante et tournée vers la mer, souhaite développer un large réseau de consuls honoraires de dimension mondiale, alors que la Suède, industrielle et dépendante de ses marchés continentaux, souhaite plutôt s’appuyer sur un réseau de consuls professionnels, solidement implanté en Europe. Le conflit aurait même constitué l’une des causes de la rupture entre les deux pays (p. 268).

4 La transformation de « l’institution consulaire » constitue également la trame de fond de l’ouvrage de Marcella Aglietti, qui consacre plus de 400 pages à la description d’une évolution littéralement « saisie sur le vif » à partir de l’observatoire livournais, qui permet aussi bien d’appréhender les changements intervenus dans l’administration du réseau consulaire toscan à l’étranger que dans le fonctionnement des dizaines de représentations consulaires implantées dans le grand port italien. L’adoption de ce double point de vue, qui pouvait paraître au préalable une source de confusion, s’avère finalement particulièrement judicieuse pour mettre en évidence ce qui constitue le cœur de la démonstration : l’étude de l’uniformisation et de la standardisation de l’institution consulaire dans l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles, ainsi que celle des processus de territorialisation de l’État et de la citoyenneté dont cette évolution serait à la fois un facteur et un symptôme. Plutôt que de réduire l’évolution décrite à une simple transformation des consuls electi en consuls missi ou au triomphe de l’interprétation française et colbertienne de l’institution consulaire, Marcella Aglietti préfère en effet s’intéresser à ce que sous-tend cette évolution institutionnelle, à savoir la transformation de l’institution consulaire « traditionnellement considérée comme l’organe représentatif d’une communauté d’individus unis par des intérêts communs »6 en « un service complètement intégré à l’organisation administrative de l’État »7 (p. 9). Pour cela, l’auteure délaisse rapidement les sources traditionnellement utilisées pour traiter un tel sujet (les sources réglementaires, comme les ordonnances françaises, et les sources théoriques, comme les traités juridiques de Borel, Martens, Miltitz ou Cussy) pour appuyer son étude sur un troisième corpus de sources solidement étoffé – comprenant principalement les instructions, observations et autres mémoires, rédigés tant par les consuls que par leurs autorités de tutelle – et dont de larges extraits sont reproduits in extenso dans les cent dernières pages de l’ouvrage, ce qui en renforce encore l’intérêt. Un tel choix permet d’appréhender au plus près la praxis consulaire telle qu’elle se définit au jour le jour dans l’activité et l’administration des postes et, plus encore, la circulation des modèles institutionnels d’un pays à l’autre puisque ce sont les « enquêtes » sur les réseaux concurrents, menées par les consuls à la demande de leurs responsables, qui constituent les pièces les plus remarquables du dossier mobilisé.

5 Le chapitre 1 s’intéresse d’abord aux tensions qu’ont suscitées dans les États de Toscane les deux volontés contraires, des grandes monarchies mercantilistes, d’une part, soucieuses de systématiser et d’affirmer les prérogatives de leurs consuls en matière judiciaire notamment, et de la dynastie des Lorraine, d’autre part, désireuse de moderniser l’État dont elle avait hérité. Les souverains toscans souhaitaient notamment restreindre les empiètements à leur souveraineté que représentait l’existence des juridictions exercées plus ou moins légalement par les consuls étrangers installés à Livourne. À l’étranger, en revanche, les Lorraine ont suivi le modèle français et ont été à l’origine d’une importante littérature administrative visant à uniformiser leurs représentations consulaires extérieures et à les conformer aux modèles alors dominants (chapitre 2). Ainsi, les instructions de 1758 sont largement nourries des

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observations qui ont été faites des systèmes consulaires français, génois ou pontificaux ; et elles servent à leur tour de laboratoire aux réformes consulaires autrichiennes – ce qui traduit bien finalement ce vaste processus d’uniformisation de l’institution consulaire à l’œuvre, d’après l’auteure, partout en Europe au XVIIIe siècle. Les consuls toscans cessent donc d’être electi, deviennent les représentants de l’ensemble de leurs ressortissants, et non plus des seuls marchands, et voient leurs missions se diversifier et se complexifier puisqu’ils doivent dorénavant assurer, par exemple, le service postal, l’assistance aux galères du Grand-Duché et la collecte de toutes les informations « pouvant intéresser le commerce de Livourne »8 (p. 91). C’est cependant au XIXe siècle, dont l’étude est menée dans le chapitre 3, que les transformations en cours parviennent à leur aboutissement. Dès le début de la Restauration, les autorités toscanes entreprennent en effet une nouvelle offensive à l’encontre des prérogatives dont se targuaient les consuls français et britanniques, de façon totalement infondée d’après elles : le caractère de « ministre public » de ces derniers est ainsi remis en cause, tout autant que leur droit à exercer un pouvoir juridictionnel à Livourne ou encore la valeur des « conventions internationales » qui auraient permis l’établissement de telles atteintes à la souveraineté toscane. La dernière partie du chapitre développe cette question des liens entre institution consulaire et souveraineté en développant la situation singulière créée par l’unification italienne – laquelle donne lieu à toute une série de problèmes nouveaux (avec qui doivent correspondre dorénavant les consuls ? Qui doit récupérer les archives des anciens consulats toscans ? Que faire lorsqu’un consul toscan refuse de se soumettre à la souveraineté piémontaise ?). Le chapitre 4 s’intéresse au cas archétypique du consulat espagnol à Livourne, qui a été l’objet d’une transmission patrimoniale au sein de la famille marchande de Silva pendant toute l’époque moderne (1677-1802), avant d’être repris en main et bureaucratisé par la monarchie espagnole au siècle suivant. Et l’auteure de constater qu’ « avec la sortie de scène de la famille de Silva se terminait l’époque des consulats d’Ancien Régime, caractérisés par ce mélange particulier […] entre intérêts personnels et affaires privées, d’un côté, et intérêts de la Couronne et d’une communauté marchande, de l’autre. S’ouvrait ainsi l’ère du consul bureaucrate, dépourvu pour l’essentiel de liens forts avec le territoire où il était envoyé, mais lié de manière très étroite à l’État qui l’avait nommé à la tête de cette charge »9 (p. 193). Les chapitres 5 et 6, clairement inscrits dans la perspective d’une histoire sociale de la fonction consulaire, s’intéressent plus précisément aux modalités empruntées par le processus de professionnalisation à l’œuvre : formalisation de la formation des consuls, standardisation des instructions qui leur sont adressées, détachement des fonctions marchandes et aristocratisation de la profession. Enfin, le chapitre 7 reprend, sous forme de synthèse, l’idée-force qui a guidé toute la démonstration : le passage « de consul de la “nation” à consul de l’État »10 constitue l’une des manifestations les plus évidentes d’une transformation politique plus large qui a vu s’affirmer l’État territorial, et deux notions qui lui sont intimement liées, la nationalité et la citoyenneté. C’est là démontrer de la plus belle manière le bon usage que l’on peut faire des études consulaires pour analyser des dynamiques qui les dépassent largement, comme ici la formation de l’État territorial et bureaucratique, ou ailleurs les processus de la mondialisation et de l’expansion européenne.

6 On ne saurait, en définitive, trop recommander la lecture de ces deux ouvrages à tous ceux qui suivi de près, comme contributeurs ou comme simples lecteurs, le renouveau récent des études consulaires, mais également à tous ceux qui utilisent fréquemment

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des sources consulaires dans leurs travaux d’histoire, qu’ils soient de nature économique, politique, sociale ou culturelle, tant il paraît évident qu’une bonne compréhension de l’institution consulaire, de son fonctionnement et de son évolution, constitue un préalable nécessaire à l’exploitation scientifique des masses considérables d’archives – correspondances, statistiques, recensements ou actes notariés – qu’elle a laissées en héritage aux historiens d’aujourd’hui.

NOTES

1. Jesús Pradells Nadal, Diplomacia y comercio : la expansión consular española en el siglo XVIII, Alicante, Universidad de Alicante, 1992. 2. Anne Mézin, Les consuls de France au siècle des Lumières, Paris, Ministère des Affaires étrangères, 1998. 3. Christian Windler, La diplomatie comme expérience de l’autre : consuls français au Maghreb (1700-1840), Genève, Droz, 2002. 4. « Les Consuls en Méditerranée, agents d’information, XVIe - XXe siècle », Nice, 24-26 novembre 2011. Les actes du colloque seront publiés chez Classiques Garnier, sous la direction de Silvia Marzagalli, Maria Ghazali et Christian Windler. 5. Marcella Aglietti, Manuel Herrero Sánchez et Francisco Zamora Rodríguez (dir.), Los cónsules de extranjeros en la Edad Moderna y a principios de la Edad Contemporánea, Madrid, Ediciones Doce Calles, 2013. 6. « tradizionalmente considerata organo rappresentativo di una comunità di individui unita da interessi condivisi ». 7. « un officio compiutamente integrato nell’ordinamento amministrativo dello Stato ». 8. « che potevano interessare il commercio di Livorno ». 9. « con l’uscita di scena della famiglia de Silva si chiudeva l’epoca dei consolati di antico regime, caratterizzati da quella speciale commisione, […], tra interessi personali e affari privati, da un lato, e interessi della Corona e di una comunità mercantile, dall’altro. Si apriva, invece, l’era del console burocrate, sostanzialmente privo di legami forti con il territorio di destinazione ma vincolato, in maniera strettissima, con lo Stato che lo aveva nominato a capo di quell’ufficio ». 10. « da console della “nazione” a console dello Stato ».

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Jean-Baptiste Busaall, Le spectre du Jacobinisme. L’expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 446 p.

Gérard Dufour

1 Pour éditer la thèse de l’un de ses anciens membres scientifiques, Jean-Baptiste Busaall, la Casa de Velázquez se sera hâtée avec lenteur puisque, présenté en janvier 2006 en vue de l’obtention du titre de docteur de l’Université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), aujourd’hui composante d’Aix-Marseille Université, ce travail n’aura été publié que six ans plus tard, en avril 2012.

2 L’ouvrage de l’auteur venait cependant juste à point pour s’inscrire dans le grand débat scientifique qu’annonçait la commémoration en 2008 du bicentenaire du début de ce que l’on appelle en France, la guerre d’Espagne ; en Espagne, la guerre de l’Indépendance ; en Catalogne la Guerra del Francés et en Angleterre et au Portugal la guerre de la Péninsule. Certes, son auteur – qui s’est fait connaître des historiens espagnols par quelques brillants articles – n’aura pas été absent des rencontres et discussions organisées à cette occasion. Mais, publié en avril 2012 – autre année de fureur commémorative en Espagne – son livre sera arrivé bien tard, sinon trop tard, pour avoir toute la place qu’il méritait dans la révision historique du processus d’élaboration et de la signification de la Pepa, cette constitution de la monarchie espagnole proclamée à Cadix le 18 mars 1812, et que tous les libéraux d’Europe rêvèrent d’imposer aux tyrans de la Sainte-Alliance dans les années 1820.

3 La parution de l’ouvrage de Jean-Baptiste Busaall est d’autant plus la bienvenue que les historiens français du droit qui travaillent sur l’Espagne ne sont pas légion et que, hormis l’auteur, on ne compte guère parmi eux que Xavier Abeberry Magescas, dont l’intéressante thèse sur Le gouvernement central de l’Espagne sous Joseph Bonaparte (1808-1813). Effectivité des institutions monarchiques et de la Justice royale soutenue devant

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l’Université de Paris XII-Val de Marne en 2001 n’a malheureusement pas été publiée et n’est connue que d’un mince « happy few ». Souhaitons que quelque maison d’édition, suivant l’exemple de la Casa de Velázquez, se décide à publier également ce travail réalisé il y a maintenant treize ans car, si le travail récent des historiens espagnols spécialistes du droit constitutionnel est particulièrement remarquable, ceux des deux rarae aves que sont, pour l’historiographie française, Jean-Baptiste Busaall et Xavier Abeberry Magescas méritent amplement d’être connus et reconnus de tous.

4 Comme à quelque chose, malheur est bon, l’auteur a profité du long laps de temps écoulé entre la soutenance et la publication de sa thèse pour, sinon la corriger, du moins l’augmenter des informations fournies par les publications sur la guerre de l’Indépendance parues depuis 2006. En incluant à sa bibliographie 99 titres nouveaux (sans compter ses propres travaux postérieurs), et surtout en complétant ou nuançant ses propos antérieurs, il évite la qualification d’obsolète qui aurait pu frapper son travail. Mais pour ces mises au point, il a très souvent eu recours aux notes explicatives en bas de page, un système de gloses ou de digressions dont Jean-Baptiste Busaall a quelque tendance naturelle à abuser, et qui vient trop fréquemment interrompre le fil de ses démonstrations. C’est là, au demeurant, un péché de jeunesse fort fréquent, et dont nous ne saurions, en conscience, lui faire grief car, dans notre propre thèse, nous en avons fait non seulement tout autant, mais bien pire encore par le nombre et l’étendue de ces notes que nous jugerions actuellement superflues, ou devant être intégrées au texte à proprement parler.

5 Le titre de l’ouvrage n’éclaire qu’à moitié le futur lecteur sur son contenu. Mais l’auteur se montre autrement explicite dans le résumé (en français, espagnol et anglais) que l’on trouve à la fin de ce travail, et est sans doute destiné à ceux qui n’auraient pas compris ce qu’ils viennent de lire, ou à ceux qui, après en avoir fait l’acquisition, auraient été rebutés, non pas « par les nœuds de sa belle ceinture », (comme disait Paul Valéry), mais par ses 367 pages de texte. « Par une approche culturelle et historique du droit constitutionnel – nous affirme-t-il – ce livre propose une réponse nouvelle à une question ancienne : le premier libéralisme espagnol et les premières constitutions écrites de la monarchie dite catholique trouvèrent-ils leurs modèles dans l’expérience et l’héritage de la Révolution française ? » (p. 433).

6 Effectivement, la question n’a rien de nouveau puisque, avant même que le P. Vélez ne prétendît la trancher de manière définitive dans son Apología del trono y del altar (1818-1819), les partisans de l’absolutisme comme ceux de Joseph, unis dans une sorte de Sainte Alliance, avaient dénoncé avec virulence un texte constitutionnel qui n’était, selon l’expression de Juan Antonio Llorente dans la Gazeta de Valencia du 15 septembre 1812, qu’une refonte de quelques chapitres de Mably agrémentés de principes de Marat et de Danton. La réponse, extrêmement prudente, formulée après la réitération de divers « en dépit de », selon laquelle « il ressort de l’analyse des objectifs des constituants et de l’architecture constitutionnelle de 1812 ne s’inscrivait pas dans l’idée contemporaine d’un système constitutionnel », (p. 348) est sans doute moins révolutionnaire que ne semble le croire l’auteur. En revanche, ce qui est tout à fait neuf, c’est la volonté d’analyser le processus d’élaboration de la Pepa dans l’ensemble de la « Révolution d’Espagne », depuis « la régénération constitutionnelle de Bayonne » (p. 33 sq.) jusqu’à l’établissement de l’ordre constitutionnel de 1812 comme « modèle juridictionnel » (p. 313 sq.).

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7 Quand Jean-Baptiste Busaall soutint sa thèse en 2006, les historiens espagnols n’avaient toujours pas admis que le texte signé à Bayonne le 7 juillet 1808 par les représentants à l’Assemble dite « Nationale » était la première des constitutions qu’ait connue leur pays et ce n’est qu’un an plus tard, en 2007, que cet état de fait fut reconnu par la publication, par I. Fernández Sarasola, de ce document dans la collection Las Constituciones españolas dirigée par Miguel Artola. En divisant son travail en deux parties d’importance quasiment égale, la première intitulée « La Constitution franco-espagnole de Bayonne : une expérience aux origines du libéralisme modéré » (p. 33-202) ; la seconde « Révolution, Constitution de Cadix et Nation : la voie espagnole et le précédent français » (p. 203-350), l’auteur avait pris un parti pertinent mais dont la publication tardive de son ouvrage a estompé (voire effacé) le caractère alors novateur et courageux. Ce n’est pas là son seul mérite : alors que les constitutionnalistes nous ont habitués à des analyses essentiellement fondées sur l’examen du contexte historique, des discussions préliminaires à l’adoption d’un texte et aux comparaisons avec les constitutions antérieures ou contemporaines, Jean-Baptiste Busaall, tout en s’acquittant avec un rare bonheur de ces tâches indispensables, s’est intéressé de fort près aux conduites individuelles et collectives des acteurs politiques des « pères de la patrie ». Ce faisant, il dépasse amplement le strict cadre de l’histoire du droit constitutionnel et, par exemple, le chapitre tout à fait remarquable consacré à « L’expérience politique du règne espagnol de Joseph Bonaparte », et en particulier aux « partisans du roi Joseph : joséphains et afrancesados » vient encore ajouter (ce qui semblait impossible après la publication de l’ouvrage de Juan López Tobar en 2001) à notre connaissance de ces Famosos traidores…

8 Pour rédiger cet ouvrage qui constitue un apport des plus importants à notre connaissance de l’Espagne de la guerre de l’Indépendance, Jean-Baptiste Busaall a effectué une recherche patiente et, sinon exhaustive, du moins la plus complète possible, dans les archives et bibliothèques françaises et espagnoles. Il a su trouver des documents encore non exploités à Paris aux Archives du ministère des Affaires étrangères et aux Archives nationales ; ainsi qu’à l’Archivo General de Simancas, et, à Madrid, à l’Archivo Histórico Nacional, ou à l’Archivo General de Palacio, ainsi qu’aux archives du Congrès des députés, beaucoup moins fréquentées par les chercheurs mais qui renferment nombre de pièces capitales, notamment en ce qui concerne les sessions de l’Assemblée nationale de Bayonne. Sa bibliographie, divisée comme il se doit en primaire et secondaire, est également conséquente : 307 titres pour les « sources imprimées » (p. 372-394) ; 576 pour la « bibliographie », en incluant les mises à jour de travaux publiés postérieurement à la soutenance de la thèse (p. 395-429).

9 On ne peut que déplorer que ni l’auteur ni l’éditeur n’aient songé à offrir aux lecteurs un index onomastique, qui eut pourtant été fort utile compte tenu du nombre et de l’importance des faits rapportés sur nombre d’acteurs de cette période de l’histoire politique et constitutionnelle de l’Espagne. On regrettera aussi que Jean-Baptiste Busaall ait trop souvent cédé à la tentation d’utiliser en se contentant de les mettre en italiques des termes comme pueblo(s), ou vecinos, sans même prendre la peine d’en fournir une définition ce qui le mène à utiliser un sabir dans lequel se complaisent parfois les hispanistes français. Ainsi, dire : « étaient Espagnols […] tous les hommes libres […] nés et avecindados dans les domaines des Espagnes ainsi que […] ceux qui jouissaient d’une vecindad obtenue selon la loi dans n’importe quel pueblo de la monarchie » (p. 328) est parfaitement exact, mais sans doute guère compréhensible par

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qui ne maîtrise pas l’espagnol. Enfin, on s’indignera à la découverte de grossières fautes de syntaxe. Un tel mépris du français avait déjà été signalé par les membres du jury (et en particulier son président), lors de la soutenance de la thèse aujourd’hui enfin publiée. Manifestement, six ans n’auront pas suffi à M. Busaall pour effectuer les indispensables corrections qui lui auraient permis de nous offrir un ouvrage sinon parfait, du moins tendant vers la perfection.

AUTEUR

GÉRARD DUFOUR Aix-Marseille Université UMR TELEMME

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Ralph Schor, Écrire en exil. Les écrivains étrangers en France (1919-1939), Paris, CNRS Éditions, 2013, 346 p.

Michel Winock

1 Ralph Schor, qui s’est révélé par ses travaux un de nos meilleurs historiens de l’immigration en France, publie cette fois un éclairage particulier du phénomène migratoire en France, celui des écrivains étrangers entre les deux guerres mondiales. Cette période, on le sait, comprend deux décennies assez bien tranchées, et il est visible que les années 1920 n’ont pas la même tonalité que les années 1930. Les premières sont marquées surtout par l’exil volontaire d’écrivains qui, mal à l’aise dans leur pays, sont surtout attirés par la France et Paris en particulier (la Côte d’Azur arrivant loin derrière). Ce magnétisme s’exerce encore dans les années de la crise économique, mais une nouvelle immigration apparaît, celle des réfugiés politiques, fuyant l’Allemagne hitlérienne et les pays autoritaires de l’Europe centrale et orientale.

2 Cette coupure ne doit pas être exagérée, puisque dès le début de la période arrivent déjà en France des réfugiés politiques, principalement les Russes vaincus par la révolution léniniste.

3 Tous ces exilés, volontaires ou non, se distinguent les uns des autres, non seulement par leur nationalité et leur langue maternelle, mais selon diverses lignes de clivage où entrent les niveaux de vie, les religions, les appartenances politiques et idéologiques et, peut-être plus encore, leur aptitude plus ou moins prononcée à l’intégration. Car certains, généralement les plus âgés, ne parlant pas ou parlant mal la langue du pays d’accueil, ont tendance au repli nostalgique, au refuge passéiste, à des attitudes qui les distancient des Français. À l’opposé, d’autres, surtout ceux qui savent déjà le français en arrivant, s’immiscent mieux dans les milieux littéraires cosmopolites, les revues françaises, au point que certains adopteront même le français pour écrire leurs œuvres, tels Romain Gary, Eugène Ionesco, Émile Cioran, Henri Troyat ou Nathalie Sarraute.

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4 Cet ouvrage très vivant décrit les lieux de sociabilité dans un des chapitres les plus colorés. L’auteur se livre à une topographie des cafés parisiens, où se rencontrent les écrivains, certains établissements devenant des quartiers généraux de nationalités distinctes, mais aussi des besogneux, des plumitifs, ceux que Fred Uhlman appelle les ratés :

5 Les ratés étaient, en majorité, des hommes et des femmes qui passaient là presque toute leur vie à parler et à boire. C’étaient les épaves de maintes migrations : des Russes blancs, des Italiens antifascistes, des Espagnols, des Juifs de partout, des Allemands, des Autrichiens, des Polonais, plus un assortiment d’escrocs internationaux, le tout entremêlé de faux réfugiés qui espionnaient les vrais réfugiés et faisaient des rapports sur eux à leur ambassade. J’en découvris un qui m’espionnait1.

6 À côté des cafés, nous faisons avec Ralph Schor le tour des salons étrangers, et spécialement les trois endroits les plus emblématiques de cette immigration intellectuelle : la librairie Shakespeare and Company de Sylvia Beach, rue de l’Odéon ; le salon raffiné de Nathalie Barney, rue , où l’on rencontrait aussi bien Sinclair Lewis que Paul Valéry ; enfin l’appartement de Gertrude Stein, que celle-ci habitait rue de Fleurus avec sa compagne Alice Toklas.

7 Nous en apprenons encore beaucoup sur les moyens d’expression de ces immigrés, leurs journaux, parfois des quotidiens, leurs revues, leurs maisons d’édition, le tout profitant d’une législation française libérale. Henry Miller pouvait publier Tropique du cancer, et Bertolt Brecht créer Les Fusils de la mère Carrar.

8 Portant un jugement d’ensemble sur cette immigration, Ralph Schor retient qu’à tout prendre l’exil en France, si douloureux qu’il avait pu être pour certains, avait été une « expérience extraordinairement formatrice », d’où ils « retiraient plus de liberté intellectuelle et de sens critique » (p. 241).

9 L’ouvrage est complété par plus de trois cents notices biographiques, qui ajoutent à l’intérêt de ce travail et témoignent de la minutie de l’auteur. Sources, bibliographie, index, notes en bas de page en sont d’autres preuves.

NOTES

1. Fred Uhlman, Il fait beau à Paris aujourd’hui, Paris, Stock, 1955, p. 149 (cité dans l’ouvrage p. 150-151).

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AUTEUR

MICHEL WINOCK Institut d’études politiques de Paris

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Pascal Ory, avec la collaboration de Marie-Claude Blanc-Chaléard (dir.), Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, Paris, coll. « Bouquins », Robert Laffont, 2013, 953 p.

Ralph Schor

1 Les historiens savent ce que la France a reçu comme apports étrangers au cours des siècles. Aussi la publication d’un dictionnaire des personnalités et communautés qui, d’une manière ou d’une autre, dans les domaines les plus variés, politique, économie, culture, sciences, sports… ont contribué à construire leur pays d’adoption est-elle la bienvenue. À l’appel de Pascal Ory, une soixantaine de contributeurs ont rédigé près de 1 200 notices individuelles, une vingtaine de notices collectives comme celle qui est consacrée à l’École de Paris, et une cinquantaine de notices étudiant une communauté nationale. La période couverte va de la Révolution française à nos jours. Les personnalités vivantes sont comprises, comme Anne Hidalgo, candidate à la mairie de Paris au moment où paraît l’ouvrage. Les critères juridiques, linguistiques, voire éthiques, qui ont présidé au choix des entrées sont clairement présentés.

2 Dans une telle masse d’informations, les erreurs apparaissent rares (Henry Miller est confondu avec Arthur Miller, p. 49). On pourrait discuter à l’infini sur la présence ou l’absence de telle personnalité. L’historien, le curieux, l’amateur d’exhaustivité ne repousseront aucune notice, même celles qui évoquent Céline Dion, Lara Fabian ou Julio Iglesias. En revanche, pour se limiter aux écrivains, on peut regretter qu’aux côtés d’auteurs estimables, mais d’importance moyenne, ne figurent pas de grands créateurs comme Klaus Mann, Joseph Roth, Marina Tsvetaeva, Ivan Bounine, Somerset Maugham, Zoé Oldenbourg, Edith Wharton…

3 Il faut surtout souligner la richesse de l’ouvrage et le plaisir de la découverte car, vraisemblablement, aucun lecteur ne maîtrise la totalité du champ analysé. Ceux qui s’étonneront de trouver, à leur place alphabétique, Omar Raddad et l’assassin en série

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Eugen Weidmann comprendront qu’à travers le premier est posée la question du racisme contemporain et apprendront que l’exécution du deuxième, qui éveilla une curiosité malsaine, fut en 1939 la dernière à être effectuée en public. On peut conseiller au lecteur non pressé de lire ce dictionnaire dans l’ordre des notices. Ainsi il enrichira ses connaissances, mesurera à sa juste valeur la contribution des étrangers à la formation de l’identité française et comprendra les singulières facultés d’intégration de ce pays qui a autant reçu que donné.

AUTEUR

RALPH SCHOR Université de Nice Sophia Antipolis Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC)

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