La Derniere Revolution Leniniste: Pensee Et Pratique D'une
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www.ssoar.info La derniere revolution leniniste: pensee et pratique d’une autorite revolutionnaire en Roumanie Ionescu, Alexandra Veröffentlichungsversion / Published Version Zeitschriftenartikel / journal article Empfohlene Zitierung / Suggested Citation: Ionescu, A. (2006). La derniere revolution leniniste: pensee et pratique d’une autorite revolutionnaire en Roumanie. Studia Politica: Romanian Political Science Review, 6(1), 25-114. https://nbn-resolving.org/urn:nbn:de:0168- ssoar-56146-3 Nutzungsbedingungen: Terms of use: Dieser Text wird unter einer CC BY-NC-ND Lizenz This document is made available under a CC BY-NC-ND Licence (Namensnennung-Nicht-kommerziell-Keine Bearbeitung) zur (Attribution-Non Comercial-NoDerivatives). For more Information Verfügung gestellt. Nähere Auskünfte zu den CC-Lizenzen finden see: Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/1.0 https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/1.0/deed.de La dernière révolution léniniste 25 La dernière révolution léniniste∗ Pensée et pratique d’une autorité révolutionnaire en Roumanie ALEXANDRA IONESCU Le postcommunisme a-t-il proposé une nouvelle manière de penser l’autorité politique? La réponse devrait être, en principe, positive. L’épuisement historique des systèmes politiques inspirés du modèle soviétique ouvrait la porte à des expé- riences politiques qui se réclamaient toutes d’une nature radicalement différente, même si cette nature était au début imparfaitement et incomplètement actualisée par les régimes dites de transition. La question n’a d’historique que l’apparence. En revanche, elle cherche à inter- roger les ressorts d’intelligibilité du politique de l’après communisme. En effet, quinze ans après la chute du communisme, la transition et le postcommunisme sont déjà et presque en totalité évacués du vocabulaire de l’Europe Centrale et Orientale, tandis que l’expression même d’«Europe Centrale et Orientale», por- teuse d’une généalogie politique pesante, s’est effacée au profit de celle d’«Eu- rope», strictement ordonnée au présent et à l’avenir. Le Parti-État, en tant que re- père historique marquant la vie des sociétés anciennement communistes, a été di- sloqué dans les lexiques officiels par la référence à l’Europe. Est-ce une autre ma- nière de souligner un vœu commun selon lequel le projet politique de l’Union Eu- ropéenne serait plus significatif pour la compréhension de l’existence politique de ces sociétés que l’empreinte d’un demi-siècle de pratique soutenue et à la fois di- verse du modèle soviétique et de son projet léniniste? Le passé communiste et, avant tout, son projet politique ont-ils pour autant perdu toute pertinence heuristi- que pour le présent politique de ces sociétés? Quelle est la matière politique que le postcommunisme travailla pour mettre en forme de nouveaux systèmes politiques, quel est l’outillage intellectuel, politique et institutionnel convoqué pour mener à terme ce travail et combien doit-il aux précé- dents historiques qu’il s’attache à évacuer? À ce point, les avis sont pour le moins partagés. Pour les uns, tels François Furet, «les peuples qui sortent du communisme semblent obsédés par la négation du régime où ils ont vécu, même s’ils en héritent les habitudes ou des mœurs. La lutte des classes, la dictature du prolétariat, le mar- xisme-léninisme ont disparu au profit de ceux qu’ils étaient censés avoir remplacé: la propriété bourgeoise, l’État démocratique libéral, les droits de l’homme, la liberté d’entreprendre. Rien ne subsiste des régimes nés d’Octobre que ce dont ils étaient la négation… Lénine ne laisse pas d’héritage»1. Pour d’autres, tels Dominique Colas, ∗ C’est lors d’une discussion à Bucarest, le 15 mai 2005, que Timothy Garton-Ash a trouvé cette formule pour qualifier mon analyse de la révolution roumaine de décembre 1989. Cette recherche a bénéficié du soutien d’une bourse New Europe College, Bucarest. 1 François FURET, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Robert Laffont, Calmann-Lévy, Paris, 1995, pp. 11-12, souligné par nous. Romanian Political Science Review • vol. VI • no. 1 • 2006 26 ALEXANDRA IONESCU l’effondrement des systèmes de type soviétique lègue au postcommunisme un pa- trimoine plus subtil, durable et insidieux et à la fois extrêmement pertinent pour la nature politique des systèmes à construire: «Le communisme… s’est effondré en Europe dans la débâcle économique et la montée des nationalismes. Mais pour au- tant le léninisme n’a pas échoué. Dans a sphère politique, il a fait triompher son hosti- lité a l’État représentatif et démocratique, tout en éradiquant dans la sphère juridi- que les principes des droits de l’homme et des liens reposant sur des contrats»1. Les anciens pays socialistes de l’Est européen ont aménagé différemment leurs divorces historiques des régimes qu’ils avaient construit, consolidé, renforcé ou ré- formé durant le demi-siècle ayant suivi la Seconde Guerre mondiale. Depuis, nom- breuses furent les études cherchant à expliquer cette relative diversité des straté- gies de sortie du communisme à l’aide de perspectives proposées par les sciences sociales. Si la Pologne offre le modèle le plus raffiné de démantèlement négocié de son régime de type communiste, si la Tchécoslovaquie a inspiré le jeu de mots de la «révolution de velours», si les Allemands de l’Est arrivèrent à combiner la défec- tion massive du régime avec sa critique ouverte et publique2, la Roumanie offrit à ses propres citoyens et à une Europe les yeux rivés sur elle l’image d’un effondre- ment du communisme sous forme dramatique, rapide, radicale et sanglante d’un régime qui, au-delà de l’unanimité qu’avait fait sa rigidité et son caractère oppres- sif, avait reçu des qualifications variées: totalitarisme à tendances sultanesques3, stalinisme national4, voire despotisme asiatique sui generis5. La fin du communisme roumain reçut le nom de la «Révolution de Décembre», à la foi célébrée et contes- tée par sa postérité, tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur du pays. Quel type de politi- que cette «Révolution» produisit-elle, comment coupa-t-elle avec le système politi- que dont elle voulait organiser la séparation, quelles autorités instaura-t-elle et quel type d’exercice du pouvoir imagina-t-elle? Et, en dernier ressort, à quel point le projet politique sous-tendant la production «révolutionnaire» fut-il différent de celui contre lequel cette «Révolution» même proclamait sa fureur? QUELLE RÉVOLUTION? Au-delà de la diversité des voies de sortie du communisme6, au-delà du carac- tère pacifique ou non de la déposition des anciens systèmes, l’effondrement des ré- gimes de type soviétique de l’Est européen soulevait dès le début une double ques- 1 Dominique COLAS, Les Constitutions de l’URSS et de la Russie (1905-1993), PUF, coll. «Que sais-je?», Paris, 1997, p. 3, souligné par nous. 2 Albert O. HIRSCHMAN, «Exit, Voice and the Fate of the German Democratic Republic. An Essay in Conceptual History», World Politics, vol. 45, no. 2, 1993, pp. 173-202. 3 Juan J. LINZ, Alfred STEPAN, Problems of Democratic Transition and Consolidation. Southern Europe, South America and Post-Communist Europe, The Johns Hopkins University Press, Baltimore & London, 1996, pp. 349-356. 4 Vladimir TISMĂNEANU, Stalinism for All Seasons. A Political History of Romanian Communism, University fo California Press, Berkeley & Los Angeles & London, 2003, pp. 32-35. 5 Ibidem, p. 22. 6 V. Jacques RUPNIK, L’Autre Europe. Crise et fin du communisme, nouvelle éd. revue et augmentée, Odile Jacob, Paris, 1993; François FEJTO, avec la collaboration d’Ewa KULESA- MIETOWSKI, La fin des démocraties populaires. Les chemins du post-communisme, éd. mise à jour, Seuil, Paris, 1997. Romanian Political Science Review • vol. VI • no. 1 • 2006 La dernière révolution léniniste 27 tion. D’une part, la façon dont les divorces avaient été organisés permettait-elle que ces phénomènes historiques soient inclus dans la catégorie conceptuelle de la révolution? D’autre part, en quelle mesure les acteurs visibles de ces phénomènes historiques avaient-ils l’impression et la conviction de participer à des moments ré- volutionnaires et d’en être des artisans tout aussi révolutionnaires? Les deux ques- tions, certes articulées, supportent des approches distinctes. Si la première inter- roge la pertinence heuristique d’un concept abondamment utilisé dans les sciences sociales et dans la science politique, pour tenter d’expliquer le sens et la portée historique, politique, sociale ou intellectuelle du tournant 1989 en Europe de l’Est, la deuxième examine la subjectivité des acteurs en tant que ressort d’une image de soi et d’un ensemble d’actes politiques concrets esquissant un projet politique. L’objectivité conceptuelle de la «révolution» La première question induit une double réponse. La construction du concept de «révolution» est a sans cesse fait objet de débat1. Par conséquent, suivant des perspectives théoriques et méthodologiques diverses, les différents auteurs ac- ceptèrent ou refusèrent de classer les effondrements du communisme dans la case conceptuelle de la révolution. Pour un auteur comme S.N. Eisenstadt2, les effondrements du communisme en Europe de l’Est seraient à rapporter à un modèle de révolution construit à partir des précédents historiques illustres: la guerre civile anglaise, la Révolution améri- caine et française, les révolutions russe et chinoise. L’association de la chute des systèmes de type soviétique à la série de ces grands événements appartenant à une historiographie déjà consacrée donnerait