HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN : du patrimoine hospitalier aux conditions de vie et de traitement du malade mental

par le Dr Marie-Bernard DILIGENT, membre associé libre

La loi du 30 juin 1838, élaborée pendant plus d'un an par le parle­ ment, dans un contexte réformateur, a été la première loi en Europe à définir les conditions de l'internement et, ce faisant, la garantie des liber­ tés des citoyens. Elle faisait obligation à chaque département de réaliser un hôpital départemental ou de passer convention avec un établissement privé. Il s'agissait donc d'une loi pragmatique qui, en définissant les condi­ tions d'internement pour éviter les excès de l'autorité publique ou de pouvoir des familles, garantissait des conditions de soins pour les malades mentaux.

Ce faisant, elle assignait au malade un statut social, un lieu de vie et de soins. Un décret royal en date du 18 décembre 1839 définira les modalités de fonctionnement des établissements qui s'appelaient alors "asiles d'aliénés", les distinguant d'autres asiles pour mendiants, margi­ naux, prostituées ou personnes âgées.

Même si l'on affirmait l'existence de "maladies mentales", on soignait ceux qui en étaient atteints dans des lieux différents du système hospitalier général. On a beaucoup écrit récemment sur "l'institution asilaire" pour la critiquer mais, en tout état de cause, la ségrégation topographique des malades mentaux a facilité celle des médecins à qui ils étaient confiés, ce qui a contribué à la création d'un particularisme de la psychiatrie plus marqué que celui d'autres spécialités médicales. Il est vrai que le champ de la médecine mentale n'a jamais été l'apanage de ce que l'on appelle aujour­ d'hui "la psychiatrie" avant le XXe siècle. Pendant tout le XIXe siècle, le vaste domaine des névroses appartenait aux généralistes (Le Professeur Bernheim, Colmarien d'origine, devenu Nancéien après la défaite de 1870 était professeur de médecine interne. Le Docteur Liebault était un médecin généraliste à Pont-Saint-Vincent). Ultérieurement, la prise en charge de ces pathologies se fit essentiellement par des neurologues. Ainsi, coexista en une médecine psychiatrique établie par la loi de 1838 et se dévelop­ pant par l'action et la réflexion des médecins aliénistes et une autre approche médicale se confondant longtemps à l'exercice de la médecine interne et, ultérieurement, de la neurologie sans que cette confrontation

159 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE anatomo-clinique ait produit des effets positifs comme nous l'envisagerons ultérieurement pour l'Allemagne.

L'ECOLE PSYCHIATRIQUE FRANÇAISE

Ce n'est que progressivement que les psychiatres étendirent dans la direction de la médecine mentale un champ de compétences, de même qu'ils revendiquèrent comme de leur responsabilité médicale les anomalies de la personnalité qui étaient, jusque là, réservées aux moralistes et aux juges.

L'Ecole française de psychiatrie était née des deux hôpitaux parisiens, de La Salpêtrière et de Bicêtre, créés à l'occasion du "grand renfermement" ordonné en 1656 par Louis XIV pour recueillir, dans le cadre d'une mesure de police, les hommes et les femmes présentant des troubles persistants du comportement social quelle qu'en fut la nature. Avec le XVIIIe siècle "les aliénés" furent progressivement séparés des autres pensionnaires. La recon­ naissance du caractère médical de l'aliénation mentale fut symbolisée par la nomination de Philippe Pinel (1745 - 1826) en 1793 comme médecin de Bicêtre et en 1795 de La Salpêtrière. Il créa la tradition psychiatrique française du XXe siècle, médicale, clinique, descriptive et nosologique, préoc­ cupé en même temps des aspects médico-légaux et administratifs. Esquirol (1772 - 1840), élève de Pinel, développa l'Ecole des aliénistes des Hôpitaux généraux de Paris et fut à l'origine de la promulgation de la loi de 1838 (38).

40 ans après la mort d'Esquirol, le courant psychiatrique représenté par ses élèves était fort dynamique : Jules Falleret, Bourneville à Bicêtre, Baillarger, Legrand du Saulle, Auguste Voisin et Moreau de Tours à La Salpêtrière.

Si Esquirol eut une influence prépondérante à travers l'analyse "des passions, considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l'aliénation mentale" (1805) pour aboutir à la notion "du traitement moral" souvent mal compris de nos contemporains, voire caricaturé dans leur méconnaissance des glissements lexicaux du contexte scientifique de l'époque, Morel nommé, de 1848 à 1855, médecin de l'Asile de Maréville à Nancy, développa le thème des dégénérescences dont la maladie mentale est une expression privilégiée. Même erroné, pour la première fois, est présenté un modèle biologique général de l'étiologie des maladies mentales tenant compte de l'hérédité, de la "nature" et de la culture intégrant les causes et les manifestations psychologiques et somatiques. La doctrine de Morel est aujourd'hui périmée, non pas comme on le lui a reproché à son époque parce qu'il l'avait mise sous l'invocation de la genèse, il était profondément religieux, mais surtout par rapport à l'acceptation d'idées pré-mendéliennes.

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Le véritable successeur de Morel fut Valentin Magnan (1835 - 1916). Il fit de la doctrine de la dégénérescence l'axe de ses conceptions. Pendant le XIXe siècle, l'objet de la psychiatrie était "l'aliénation mentale", c'est-à- dire qu'elle était définie par la situation légale et administrative qui régissait les malades, résultat en France de la loi de 1838. Les aliénistes ne pouvaient y observer que les formes les plus graves des troubles mentaux ; en pratique, les cas qualifiés aujourd'hui de "psychose". Remarquons que l'asile Sainte Anne à Paris avait été prévu comme un centre d'enseignement où Valentin Magnan inaugura en 1869 un enseignement clinique officieux. Or, dès 1870, Georges Clemenceau avait demandé la création d'une chaire de psychiatrie à la Faculté de Médecine. Neuf années plus tard, ce vœu fut réalisé. Benjamin Bail fut nommé, en 1877, premier titulaire de la chaire de clinique des maladies mentales et de l'encéphale (38).

LA SITUATION EN LORRAINE AU DEBUT DU XIXe SIECLE

Au début du XIXe siècle, l'asile de Maréville à Laxou en Meurthe était le seul établissement de l'Est de la France destiné à recevoir des fous. Sa construction datait du début du XVIIe siècle. Il était réservé aux aliénés depuis 1805 (Dumont, Thèse Médecine Nancy, 1937). Suite au décret impérial du 04 mars 1813 reléguant au département "le soin de pourvoir au traitement et à la défense des indigents attaqués de folie", l'asile de Maréville a été institué : "Hôpital central des Aliénés du département de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle, des Vosges, du Haut-Rhin, du Bas- Rhin, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et du Doubs". Après la loi du 30 juin 1838, l'Hôpital de Maréville restera l'unique établis­ sement lorrain pour aliénés et continuera à accueillir les malades de toute la province.

L'hôpital de Maréville, près de Nancy, a une longue tradition hospita­ lière. La ville de Nancy dût faire face, au XVIe siècle, à plusieurs fléaux, notamment la peste. C'est à 6 km de Nancy, sur le ban de Villers, dans un terrain appelé autrefois Laulnel ou Laynel, aujourd'hui l'Asnée que la ville groupait les malheureux pestiférés. De 1541 à 1597, la Goulette-Maréville (comme on désignait alors cet endroit) fut un cimetière de pestiférés. En 1597, Anne Feriet, veuve en premières noces du président des comptes de Lorraine et en secondes noces d'Antoine Goz, Seigneur de Novéant, conçut le projet de remédier à un aussi cruel abandon en créant à l'Asnée un établissement permanent et régulier par testament. Des bâtiments s'élevè­ rent dans le voisinage du cimetière et la Chapelle Sainte Anne fut consacrée en 1602 par l'Evêque de Toul. L'Hôtel de Ville de Nancy était chargé d'administrer l'hôpital nouveau qui s'appelle désormais Marinville ou Maréville. En 1714, le Duc Léopold créa une "renfermerie" ou "maison de correction pour jeunes gens vicieux" comme il en existait déjà en Franche

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Comté. La plupart des détenus était des hommes, on en comptait 120. Le 29 juillet 1749, le Roi Stanislas signa un traité avec la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes alors représentée par Frère Exupère. Maréville devint la plus importante des communautés de l'institut dans l'histoire des Frères des Ecoles Chrétiennes au XVIIIe siècle. Les clauses prévoyaient l'établissement d'un noviciat mais également l'obligation pour les Frères de recevoir des pensionnaires libres aux conditions qu'ils conviendront avec eux et leurs parents. Ils étaient tenus de recevoir, garder et entretenir tous les sujets qu'il plairait au prince de leur adresser par lettre de cachet, moyennant une somme annuelle de 300 livres de francs. Les pensionnaires libres et les insensés, les novices et les frères se trouvaient ainsi à l'étroit. Par la loi du 18 août 1792, la maison fut classée parmi les biens nationaux où, en vertu de nouveaux principes proclamés, on fit sortir de Maréville les jeunes gens qui étaient détenus par lettre de cachet ou sur la demande des familles. Les Frères quittèrent Maréville le 21 février 1794. Le soir même, un violent incendie consuma tout le bâtiment de Léopold en même temps que les archives. Maréville fut peu à peu abandonné après cet incendie. On y amena seulement les trente fous enfermés dans Saint Sébas­ tien jusqu'au moment où, durant les guerres napoléoniennes, Maréville fut provisoirement transformé en ambulance avant que le Préfet en décide de reconstruire la maison et d'y réunir les aliénés des deux sexes, à compter de 1805, sous la direction du Docteur Bonfils.

En 1819, la France ne possédait que 8 établissements spécialisés dans le traitement des aliénés : Charenton, Bordeaux, Lille, Marseille, Avignon, Maréville, Saint Meen et Armentières.

A Maréville, de 1808 à 1840, le nombre des admissions est passé de 11 à 189. Ce fait est le résultat de la loi de 1838 et ne saurait être imputé à l'augmentation du nombre de malades. Il tient à ce que les aliénés sont plus en évidence à partir de ce jour ; on les retire des couvents qui les dérobaient au regard, des hospices où ils végétaient, pour les placer à l'asile, pouvant recevoir des soins éclairés et peut-être guérir, pour certains d'entre eux. Cette explication est celle que donne le Docteur Archambault, dans son rapport médical au préfet en 1842.

En 1802, une partie des aliénés du dépôt de mendicité de Nancy fut conduite à Maréville qui reçoit encore des pensionnaires et des malades placés au compte de l'Etat. En 1814, par décret ministériel, l'asile de Maréville fut destiné aux aliénés de 23 départements sous la direction de Monsieur Gillet. Il contenait alors 500 malades. En 1815, il ne reçut plus que dix départements. En 1817, les Sœurs de Saint Charles prirent le service. En 1871, l'asile, sous la direction du Docteur Giraud reçut seule­ ment les malades de Meurthe-et-Moselle, des Vosges et de la Haute-Marne. En 1874, il comptait 1 389 malades dont 270 pensionnaires. Il s'étendait sur une superficie de trente et un hectares" (17).

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UNE AUTRE APPROCHE THERAPEUTIQUE DE LA MALADIE

Entre les années 1880 et la Première Guerre Mondiale se situe un tournant de l'histoire des idées, dans les arts et dans les sciences, en médecine générale comme en psychiatrie. La naissance de la psychopatholo­ gie des névroses est l'un des phénomènes majeurs et son corollaire thérapeu­ tique l'hypnose. Pratiquée par les médecins en marge comme Auguste Antoine Liebault à Pont-Saint-Vincent, considéré comme suspect de charla­ tanisme, elle fut reprise par Hippolyte Bernheim, Professeur de médecine interne à la Faculté de Médecine de Nancy, ni psychiatre, ni neurologue. Pour l'Ecole de Nancy qui ne comprenait, outre Liebault et Bernheim, qu'un médecin expert, Beaunis, et un légiste, Liegois, l'hypnose n'est pas une névrose mais un simple sommeil, produit par la suggestion. Il s'ensuivit, à partir de 1884, une violente querelle avec Jean-Marie Charcot et "l'Ecole de la Salpêtrière" durant laquelle le grand neurologue Babinski qualifia Nancy "d'université de village". Ce serait querelle de clochers à rester dans le cadre anecdotique. Il y eut pourtant deux conséquences majeures. La querelle porta sur le concept "d'hystérie", considérée comme proche de la simulation ; l'hystérie sera en France frappée d'anathème pendant un demi-siècle et le reste encore peut-être actuellement. L'autre conséquence, encore plus décisive, Sigmund Freud (1856 - 1939), neuroanatomopathologiste dans la lignée de l'école psychiatrique allemande fut traducteur de Charcot et de Bernheim auxquels il rendit visite en 1889 à Nancy. Cette période fut décisive dans son orientation qui aboutit à la publication, en 1885, avec Breuer des "Etudes sur l'hystérie", considérée actuellement comme marquant la naissance de la psychanalyse. Abandonnant l'hypnose au profit de la méthode des associa­ tions libres, introduisant la notion de défense et d'inconscient, faisant jouer un rôle causal majeur à des traumatismes sexuels précoces, Freud jetait les bases d'une psychopathologie générale qui modifia non seulement les concepts de clinique et thérapeutique mais le regard porté par les médecins et toute la société sur la souffrance psychique (23).

Ainsi, le tableau des grands courants psychopathologiques contempo­ rains se dessine. Il montre les fils d'Ariane qui constituent la trame des motivations ou des oppositions scientifiques. Ce tableau ne serait pas complet s'il ne prenait pas en compte les attitudes de la société par rapport aux personnes présentant des difficultés psychiques et induisant les réponses institutionnelles en forme soit d'exclusion ou d'intégration, y compris à prendre en compte les événements de l'histoire et les possibilités financières.

Le département de la Moselle est un carrefour signifiant des opportu­ nités ou des malheurs de l'histoire qui conditionnent la vie des hommes dans ce qu'ils veulent devenir, mais aussi dans ce qu'ils doivent subir. Ainsi, les hôpitaux et asiles de la Moselle seront détournés de leurs missions, devenant à plusieurs reprises hôpitaux militaires qui nécessitent l'exil des

163 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE malades et des personnels, entraînant des ruptures de la culture hospitalière et nécessitant une longue patience pour reconstituer le patrimoine immobi­ lier dévasté et restructurer des équipes et des habitudes qui avaient été détruites. Un fil conducteur de cette réflexion consiste à penser que la société n'est pas accueillante aux déviants, encore plus lorsqu'ils se diffé­ rencient par une affection mentale. Elle a d'abord besoin de s'en défendre et, secondairement, développe des principes pour le défendre, créant ainsi une profonde ambiguïté puisqu'elle mandate un certain nombre de soignants pour créer une institution psychiatrique comme lieu de transition.

Dans ce cadre, le psychiatre est chargé d'une double mission contra­ dictoire : protéger la société mais, en même temps, promouvoir la dignité et la liberté du malade. Se crée ainsi un lien paradoxal entre le soigné et le soignant, l'un et l'autre partageant ou presque les mêmes conditions de vie. Ils partageaient tout au moins ces conditions de vie jusqu'à l'étape de la "désinstitutionnalisation" autour des années 1980. Se succèdent et se superposent en partie deux exercices de la psychiatrie : la psychiatrie aux champs et la psychiatrie dans les cités.

LES ETABLISSEMENTS ACCUEILLANT LES MALADES MENTAUX EN MOSELLE LORS DE L'ANNEXION

En 1871, lorsque l'Alsace et une partie de la Lorraine devinrent allemandes, le "Landesausschuss" (autorité administrant les territoires annexés) décida de maintenir dans leur grande majorité les lois françaises d'assistance publique dans les territoires annexés : les préfets et les conseils généraux gardaient le contrôle direct des asiles publics d'aliénés, et la loi française du 30 juin 1838, quoiqu'en partie modifiée, restait en vigueur.

L'Alsace possédait déjà à cette époque son asile : "l'hospice médié­ val de Stephansfeld - Brumath" au Nord de Strasbourg qui avait été trans­ formé en 1835 en "asile spécial d'aliénés pour les malades alsaciens".

A - L'Hospice Saint-Nicolas

Lors de l'occupation allemande, il existait différents lieux de traite­ ment et d'hébergement des malades mentaux en Moselle, même s'ils n'étaient pas reconnus officiellement sur la qualification psychiatrique. Ainsi, l'hôpital Saint-Nicolas reste, à travers les siècles, un des établisse­ ments de ayant abrité des insensés. En 1677, l'Edit de renfermement prescrit l'internement des tous les vagabonds, mendiants, filles de mauvaise vie, marginaux, fous, insensés divers qui troublent l'ordre public. L'hôpital

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Saint-Nicolas, promu "dépôt de mendicité", est chargé d'accueillir cette population tandis que les vieillards et les malades pauvres sont relégués à l'hôpital Saint-Jacques et au Petit Clairvaux, établissements qui seront annexés par Saint-Nicolas en 1728 et 1756 (cf. Cuvelier Rouyer). Deux autres dépôts de mendicité sont créés à Metz à la même époque, l'un dans l'ancienne abbaye Saint-Symphorien, l'autre dans l'hôtel abbatial Saint- Vincent. Ils constituèrent les premiers lieux de prise en charge des pauvres et malades exclus des structures sociales. Jusqu'en 1982, l'hôpital Saint Nicolas, rattaché administrativement au centre hospitalier régional Notre Dame de Bon Secours à Metz, disposait de quelques cellules, baptisées "cabanons", recevant les sujets agités, notamment les sujets en état alcoo­ lique aigu, mais aussi les décompensations de sujets psychotiques ou psychopathiques. Ce service était sous la responsabilité du Docteur Charles Bernhardt, neurologue, chef de service à temps partiel au C.H.R. Bon Secours. Jusqu'à la fermeture de cet établissement, en 1986, il accueillit des sujets déficients mentaux, des psychotiques stabilisés et des alcooliques chroniques désocialisés. Les quartiers Coislin et Saint-Louis étaient habitués aux promenades et aux achats dans les magasins du quartier de ces sujets bien intégrés à la population locale.

B - L'Asile départemental de

Monsieur Marionneltz, Maire de Gorze, adressait au Préfet de la Moselle, en date du 05 septembre 1810, le rapport suivant : "De tous les bâtiments dont il était question pour l'établissement du dépôt de mendi­ cité.... le château de Gorze est situé dans l'endroit le plus sain du départe­ ment... Les fous seront placés dans un local bien éclairé, bien voûté et sec. On ne craindra pas que leur santé s'altère, ni que les clameurs troublent le repos des autres habitants du dépôt. Leur local est situé dans la partie gauche du château, sous la boulangerie. Il y a place pour 8 loges, lesquelles seront appropriées pour 800 francs. Le four à désinfection se trouve près du local des fous, mais sous la buanderie et séparé des fous par un mur d'un mètre d'épaisseur." Il ajoute : "Enfin, Gorze est à 16 km de Metz, à 5 km de la Moselle ; l'aller-retour Metz - Gorze peut se faire sur la plus petite journée de l'hiver, ce qui fait que l'administration peut aisément surveiller le dépôt. Il existe à Gorze, sur place, de bonnes pierres à bâtir, les coteaux fourniront le bois de chauffage. La houille peut arriver de la Moselle. Les denrées sont à bas prix. Les fruits sont parfaits ; tous les corps de métier existent à Gorze et la main d'œuvre n'est pas chère".

Pour éviter des dépenses dispendieuses pour l'approvisionnement de l'eau, le Maire pense obliger les valides à aller chercher l'eau. Après cette habile campagne aboutie du Maire de Gorze, les autres propositions, notamment celle de , sont en échec et les procédures de mise en place du dépôt vont s'accélérer.

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Le château de Gorze avait été érigé en 1696 par le prince Philippe Eberhard de Loewenstein.

Ainsi, le 30 septembre 1811, il trouve une destination à vocation départementale.

Devenu hôpital militaire après la retraite de Russie, il garde une vocation de dépôt de mendicité organisé pour recevoir, en qualité d"'asile départemental des pauvres", les vieillards indigents, les faibles d'esprit et les incurables du département. (1880 [archives départementales 4 AL 240])

La ville de Metz, par sa prospérité, attire les indigents qu'il faut héberger, occuper et nourrir. Le 23 avril 1845, le règlement du dépôt de mendicité est présenté par le préfet Germeau. Il concerne notamment l'ali­ mentation. Les proportions de soupes, de légumes, de beurre, de sel et de poivre sont calculées au plus juste. La composition des bouillons constitue une véritable recette culinaire. Le dimanche, les quatre grandes fêtes de l'année et le jour de la fête des rois, un service gras (on ajoute dans la soupe cinq décilitres de bouillon gras provenant de la cuisson de 1 500 g de viande de bœuf ou de mouton pour dix individus) est proposé aux mendiants non condamnés. Le vin est délivré, comme les médicaments, sur prescription médicale (50 cl pour les hommes, 30 cl pour les femmes, 25 cl pour les enfants). Ceci illustre parfaitement l'idée qu'à cette époque le vin, essence de la terre, cultivé de manière consciencieuse sur les terres de Gorze, est un élément bienfaiteur de la vie, qui apporte le réconfort et probablement sa touche à visée anxiolytique. Le règlement draconien peut faire sourire mais il faut se souvenir des périodes de disette catastrophiques et des laissés pour compte - nous disons les exclus - pour apprécier la sécurité qu'il apportait.

En 1911, les pensionnaires psychiatriques sont transférés à l'établis­ sement de .

Néanmoins, un tableau montrant la répartition des personnes hébergées à l'Hospice de Gorze au 31 mai 1960 tend à montrer l'importance des problèmes neuropsychiatriques existants. La structure n'est pas celle d'un hospice de vieillards, étant donné que le nombre des malades âgés de moins de 65 ans représente la majorité. Par ailleurs, la plupart des hospitalisés sont hébergés pour des raisons autres que la sénilité. Cette répartition montre, à l'évidence, la tradition d'accueil ininterrompue de tous les établissements, hospices et dépôts de mendicité fondée sur l'hébergement, la nourriture et le blanchissage des pensionnaires. Cette démarche peut apparaître désuète dans la mesure où les pensionnaires étaient souvent sans prise en charge globale mais il fallait l'évolution des sciences pour permettre aux sujets épileptiques, parkinsoniens, paraplégiques, tous blessés du cerveau plus que malades mentaux, d'accéder à de nouvelles techniques.

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Répartition des personnes hébergées à l'hospice départemental de Gorze

Malades âgés de Raisons invoquées lors du placement - de 65 ans + de 65 ans Total

Déficience, débilité mentale, faiblesse

d'esprit, affaiblissement intellectuel 93 Os 109 Arriération mentale, imbécillité, idiotie, dégénérescence 51 8 59 Etat dépressif, troubles mentaux, démence, délire, psychose, anxiété, confusion, neurasthénie, déséquilibre 28 25 53 Schizophrénie, démence précoce, démence paranoide, folie maniaque, paralysie générale 10 5 15 Ethylisme 11 6 17 Epilepsie 8 2 10 Sénilité, démence sénile, gâtisme 1 23 24 Parkinson 5 1 6 Autres affections (amputation d'un membre, cécité, paralysie, surdité, sourd-muet, rhumatisme chronique, vieillesse, invalidité due à l'âge, etc.) 44 59 103 EFFECTIF AU 31 MAI 1960 251 145 396

Dans le rapport en date du 31 août 1960, le Docteur Henri Vermo- rel, médecin chef à l'hôpital psychiatrique de , précisait : "Le changement de structure pouvait se développer dans plusieurs directions : développement des techniques neuropsychiatriques : traitement des épilep- tiques, des parkinsoniens. Cela suppose une réorganisation des modalités d'approvisionnement en médicaments, la création d'un cahier de pharmacie, la création d'un cabinet médical adapté, la création d'observations médicales distinctes du dossier administratif... Cela suppose un changement de climat de l'hospitalisation : la vaisselle en métal pourra être remplacée par la vaisselle ordinaire, on pourra donner une fourchette et un couteau à chaque malade, les tables énormes pourraient être remplacées par des petites tables". Ce rapport précis sur les détails de la vie quotidienne est évocateur des conditions de vie du sujet défavorisé ou du malade mental. J'ai connu, personnellement, les mêmes conditions alors que j'étais interne à l'Hôpital Psychiatrique de Nancy Laxou de 1967 à 1971.

Le centre de Gorze, fidèle à son passé, fastueux et humanitaire, accueille une population très hétérogène. Ce cosmopolitisme lui impose en quelque sorte une triple orientation :

167 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

- l'accueil de personnes âgées en évitant le choc psychologique du changement d'habitudes, du déracinement du milieu habituel et de l'éloignement de la famille qui leur est chère,

- l'accueil de personnes à pathologie psychiatrique rendu nécessaire par le manque crucial de ces lits spécifiques en Moselle,

- l'accueil de personnes qui n'entrent dans aucune des structures citées, essentiellement des personnes qui n'ont pas encore 60 ans et ne sont pas atteintes de pathologie psychiatrique bien définie, consi­ dérées comme des "déclassés sociaux", on dirait peut-être "handica­ pés sociaux" que le centre de Gorze a toujours accueilli.

Le Docteur Vermorel ajoutait dans son rapport en 1960 : "L'état actuel de l'hospice de Gorze permet d'y retrouver une structure particulière ; on pourrait dire qu'il s'est constitué en partie un hôpital psychiatrique clandes­ tin ; il n'y a pratiquement pas de vieillards tels qu'on les rencontre habituel­ lement dans un hospice ; la conception même des hospices a évolué depuis plusieurs années. Il se produit une évolution analogue à celle de l'hôpital psychiatrique. On considère que les personnes doivent être non seulement hébergées mais aussi traitées... C'est ainsi que les gens considérés comme en marge de la société et rejetés hors d'elle doivent être vus à un moment donné sous un angle et entrer dans le domaine médical..." (29).

En 1961, les deux tiers des malades sont âgés de moins de 65 ans. Sur 400 personnes, 150 viennent des hôpitaux psychiatriques du département. L'effectif ne comprend alors qu'une vingtaine d'agents. Le service médical est assuré par un médecin vacataire.

L'établissement a une superficie de 116 hectares dont trois de culture potagère exploités jusqu'en 1962.

La disparition de l'hôpital psychiatrique de Sarreguemines sinistré par suite des événements de guerre fait que l'hôpital psychiatrique de Lorquin est surchargé. L'établissement de Gorze hésite dans sa vocation.

Le 14 septembre 1961, un psychiatre occupe la fonction de médecin chef (Mme Gérandal-Cabanel). La commission administrative donne son accord pour la création d'un quartier de psychiatrie de 50 lits fonctionnant sous le régime de la loi du 30 juin 1838. Pendant quelque temps, il est question de créer un hôpital psychiatrique de 400 lits. Une telle démarche est alors apparemment justifiée. En effet, l'étude de la population de l'hôpi­ tal de Lorquin met en évidence que la moitié des hospitalisés trouve son origine dans la ville de Metz ou ses environs proches. Mais cette volonté se heurte aux réalités issues du passé. En 1973, la direction de l'action sanitaire et sociale de la Moselle envisage toujours de créer "une unité

168 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE individualisée de 50 lits de psychiatrie, ainsi que 370 lits de "défectologie" (sic) alors que le centre psychothérapique de Jury est ouvert depuis le 16 août 1972.

Ces orientations sont définitivement abandonnées avec le plan de restructuration en 1988 du centre de Gorze se constituant dès lors de : - 80 lits de long séjour, - 220 lits de maison de retraite dont 100 lits de cure médicale, - 50 lits en Maison d'Accueil Spécialisé, - 35 lits pour un foyer expérimental, - 35 lits pour un foyer occupationnel (29).

Cette période récente est marquée, d'une part, par la compétence de Monsieur Contai, directeur, et d'autre part par l'humanisme, le dévouement et la sainteté laïque de Monsieur le Docteur Alain Chevry, gériatre.

LA SITUATION EN MOSELLE EN 1871

Comme ni le service d'aliénés de l'hospice Saint-Nicolas de Metz, ni le dépôt de mendicité de Gorze ne suffisaient en aucune façon à abriter les malades mentaux du département de la Moselle nécessitant un internement, l'administration du département avait conclu un accord avec l'établisse­ ment public d'aliénés de Maréville du département de la Meurthe.

L'accord qui existait lors de l'occupation allemande en 1870 datait du 5 août 1865 et arriva à échéance pendant l'occupation, à savoir le 1er janvier 1871. Il fut cependant prorogé de façon tacite par les deux parties eu égard aux circonstances de l'époque. Ainsi, le gouvernement allemand s'était engagé à payer 1 F 15 par jour à l'établissement de Maréville pour entretien, comprenant les frais d'entretien, les soins médicaux des malades mentaux de l'ancien département de la Moselle ; ils étaient au nombre de 260 (deux fois plus de femmes que d'hommes) alors que le montant à acquitter pour les malades originaires des parties du département de la Meurthe rattachées à l'Allemagne, c'est-à-dire des arrondissements de et Château- Salins n'était que de 75 centimes. A cette époque, à Maréville, les pension­ naires de Première Classe payaient 2 F 75 par jour et disposaient, pour ce prix, d'un logement personnel qu'ils devaient, il est vrai, chauffer, éclairer sur leurs propres deniers. Le trousseau à fournir était aussi très important (24 chemises, 12 bonnets de nuit, serviettes et autres). En 1876, le tarif journalier pour la lère Classe à Maréville fut remonté à 4 F pour les mêmes

169 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE conditions. Le renouvellement du contrat était souhaité par les Allemands non sans une certaine inquiétude quant au coût des soins et surtout quant à la pérennisation de cet accord. Finalement, le contrat fut signé le 4 juin 1871 pour une durée de 5 ans. Il y avait lieu, du côté allemand, d'être satis­ fait de ce sursis relativement long ; l'enquête que l'on dirigea sur les établissements allemands voisins pour savoir s'ils étaient disposés ou même en état d'accueillir les Lorrains malades mentaux et de les soigner moyennant indemnités ne donna pas de résultat favorable.

De même que l'hôpital de Stephansfeld en Alsace ne peut donner aucun avis positif (même s'il avait été question de transformer le dépôt de mendicité de Hoerdt près de Stephansfeld en dépendance de cet hôpital, ce qui n'eut aucune suite). On n'aurait obtenu, de toute façon, aucune condition aussi avantageuse en Allemagne que celle de Maréville. Dans le même temps, on craignait que ces conditions ne puissent être accordées à nouveau lors de la révision du contrat. Il était peu envisageable, par ailleurs, que des Allemands, lors de leur séjour en Lorraine annexée, soient hospitalisés à Maréville avec les problèmes linguistiques et relationnels que cela pouvait supposer. Ainsi, le chancelier du Reich décida-t-il qu'il fallait se préoccuper d'un asile d'aliénés situé dans le pays même. On espéra trouver, pour cet usage, un bâtiment qui puisse être aménagé en établissement d'aliénés.

Furent envisagées la forteresse de , de même que la forteresse de Marsal. Le dépôt de mendicité de Gorze, plus proche, dont l'administra­ tion française avait examiné dans un projet d'avant 1870 de le transformer en asile d'aliénés, ne sembla pas convenir du fait de sa situation défavorable dans la circonscription. Il fallait une propriété de 80 à 60 hectares, adaptée à la création d'un système pavillonnaire. Par ailleurs, l'emplacement devait être adapté à la fourniture de 150 mètres cubes d'eau dont 3 000 litres pour la boisson, la cuisine et la toilette. Quelques années plus tard, une orienta­ tion thérapeutique fut l'hydrothérapie mais cette consommation n'était pas prévue dans le projet original.

Les rapports médicaux annuels adressés au président du conseil de Lorraine démontrent les effets sédatifs de la technique de douche.

L'emplacement devait, par ailleurs, se situer à proximité d'un chemin de fer et si possible auprès d'une grande ville, non seulement pour la satis­ faction des besoins des patients mais aussi par la "volonté des médecins dont la distraction dans leur profession difficile était nécessaire pour le maintien d'un bon moral". La publication du dessein du gouvernement provoqua de nombreuses candidatures qui furent examinées par une commission d'experts sur arrêté en date du 25 octobre 1872 de l'Ober Praesident. Le projet prévoyait un hôpital de 400 malades avec une colonie agricole (maisons de voisinage) de 100 autres malades. Le coût des soins d'un malade fut évalué à 2 F 50 par personne et par jour. Il fut renoncé à la

170 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE coopération d'ordres religieux pour le soin des malades. Au regard des perspectives ainsi arrêtées, la commission refusa un terrain à bâtir à Saint- Avold mais apparut opportune l'acquisition des terrains de la ferme Barth située sur la rive droite de la Sarre, au Sud-Ouest de Sarreguemines, Ferme de Steinbacherhof (ce qui explique l'appellation encore actuelle de l'Hôpi­ tal de Steinbach) qui fut acquise le 1er novembre 1872 pour le prix de 232 000 francs. La superficie est de 58,28 hectares.

C'est dans un contexte culturel et scientifique différent qu'allaient s'élaborer le projet d'établissement mais également l'architecture de l'hôpital.

L'ÉCOLE PSYCHIATRIQUE ALLEMANDE

Le troisième tiers du XIXe siècle marque une évolution importante de la psychiatrie allemande. Elle avait été dominée par le courant "psycholo­ gie" très intriqué avec le mouvement romantique allemand, assez lié avec la philosophie, la littérature et la peinture de l'époque.

Une telle doctrine idéaliste et spéculative, érigée par des théoriciens qui, pour la plupart, n'avaient que peu ou pas de contact avec les malades, isola complètement la psychiatrie allemande de la médecine mentale française et anglaise, clinique et empirique.

Elle provoqua une réaction, "l'Ecole Somatiste" représentée par Friedrich Nasse (1778 - 1851), Klum, Jacobi (1775 - 1858) et Johannes Friedreich (1796 -1862). Le système universitaire se développa, dans le cadre de la décentralisation et du développement de la puissance allemande. En 1880, on compte dix-neuf chaires de psychiatrie de langue allemande (dont une à Strasbourg à compter de 1872), avant même, comme nous l'avons vu, que ne se crée à Paris une chaire des maladies mentales à l'Hôpital Sainte Anne. Elles se transforment en "cliniques des maladies nerveuses" sous l'influence somatiste, rassemblant psychiatres et neuro­ logues grâce à Griescinger (1817 -1868) abandonnant les spéculations théoriques au bénéfice d'une approche clinique et thérapeutique. L'influence du somatisme se reflétera dans l'accès mis sur l'anatomie pathologique et la physiologie nerveuse et créera la "Gehirn Pathologie" inaugurée par Westphal (1833 - 1890), pathologie anatomique, tendance qui aura une longue postérité jusqu'à nous. Elle inaugurera avec Kalbaum (1829 - 1899) une approche qui prendra bientôt une place prépondérante et construira l'édifice de la nosologie clinique moderne, y compris à intégrer dans sa réflexion les traditions et les modèles français.

C'est dans cette perspective d'une médecine psychiatrique dynamique que s'inscrivent l'édification et le développement du centre hospitalier de

171 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

Sarreguemines, même si l'ensemble des comptes rendus administratifs et médicaux des années 1880 à 1905, soit les vingt-cinq premières années de création, montrent les difficultés.(38)

LA CONSTRUCTION ET L'ÉVOLUTION DU CENTRE HOSPITALIER DE SARREGUEMINES

Le centre hospitalier de Sarreguemines fut construit entre 1872 et 1880 pour recevoir les malades mentaux de la Lorraine nouvellement annexée. Dès 1879, des malades hospitalisés à l'hôpital psychiatrique de Maréville-Nancy y furent transférés. L'organisation générale retenue par l'administration allemande est de type pavillonnaire, on y retrouve les grandes lignes des asiles d'aliénés français. Le système pavillonnaire où les bâtiments sont séparés les uns des autres par des jardins a un rôle d'hygiène en évitant les endémies, notamment la tuberculose si fréquente dans les asiles. Il permet, par ailleurs, une répartition des différents patients : les tranquilles de classe normale et de classe inférieure, les semi-agités hommes et femmes et les agités hommes et femmes, les grabataires et les épileptiques, les malades somatiques dans le Lazarett (ce fut une originalité de cette construction de proposer un bâtiment militaire pour les deux sexes : onze lits pour chacun).

L'idée prévaut que les malades légers, calmes et susceptibles d'un traitement ne soient pas dérangés par la vue, ni les cris des agités.

Leurs pavillons se trouvent à l'avant de l'établissement. A remarquer qu'il existe une séparation stricte selon les sexes.

Les malades se répartissent dans les pavillons selon les chiffres suivants :

H F ensemble

1 - pensionnaires de 1ère classe : 12 (25) 15 (25) 27 (50) 2 - tranquilles de classe inférieure : 60 (70) 106 (110) 166 (180) 3 - demi-tranquilles : 76(30) 88(35) 164 (65) 4 - agités : 28(15) 49(15) 77 (30) 5 - grabataires et épileptiques : 43 (35) 54 (40) 97 (75) 6 - Lazaret : 11(11) 11(11) 22 (22) 7 - colonie : 21 (75) / (25) 21 (100)

172 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

Les chiffres entre parenthèses désignent l'occupation de l'hôpital prévue lors de l'ouverture. Les chiffres qui précèdent se rapportent au nombre des malades en 1898.

Les travaux eux-mêmes avaient été commencés au printemps 1875 ; leur histoire n'est pas dans l'ensemble réconfortante. Une grande place des rapports est occupée par les plaintes à propos des délais et retards dont l'ori­ gine tient des circonstances, en partie, personnelles et, en partie, organisa- tionnelles. Finalement, ce fut le 19 mai 1880 alors que l'accord passé avec l'hôpital de Maréville aurait dû être reprolongé encore une fois, qu'il est possible de transférer les premiers malades de cet hôpital vers le nouvel établissement d'aliénés de la région lorraine. D'autres transferts eurent encore lieu les mois suivants. Le nombre total de patients ainsi transférés de Maréville atteignit 297 (120 hommes et 177 femmes) (15).

Le programme de construction n'était pas terminé lors de l'ouverture de l'hôpital. Différentes parties du programme attendaient encore leur réali­ sation, d'autres (en particulier l'approvisionnement en eau) se révélèrent insuffisantes ou sans utilité. Le champignon apparut dans certains bâtiments, ce qui nécessita de coûteuses modifications. Par ailleurs, la situation défavorable du sous-sol causa des affaissements dangereux et des fissures dans les murs qui exigèrent des mesures durables. En outre, l'exploitation de l'hôpital révéla toute une série de lacunes dans le programme. Les fontaines, situées sur le site restreint de l'hôpital, qui devaient l'approvisionner en eau apparurent bientôt comme insuffisantes et ce d'autant plus que la consommation allouée de 885 litres par tête et par jour avait été appréciée au plus bas. Les 80 m3 pompés par jour furent bientôt ramenés à 60, puis à 40 et finalement à 2Q m3 et même plus bas. Pour compenser ce manque d'eau, on dut mettre en place, dès 1881, un prélève­ ment d'eau du cours de la Sarre à l'aide d'une pompe à eau qui devait fournir 60 m3 et devait avoir une capacité plus importante dans des condi­ tions difficiles, en saison sèche. Cette surcharge de la machine entraîna des réparations continuelles. Ainsi, édifié en bordure de la Sarre, à deux kilomètres au sud est de la ville, l'asile est conçu pour recevoir 500 malades dont 100 ne seraient pas enfermés dans des espaces clos mais traités selon le principe d'une colonie agricole. L'installation devait être équipée, conformément aux expériences les plus récentes (à l'époque) avec toutes les installations approuvées des asiles modernes. Les pavillons desti­ nés aux grabataires, aux malades somatiques ou aux agités devaient être partagés horizontalement, c'est-à-dire que des salles de séjour jouxtaient les chambres à coucher ; les bâtiments des patients calmes, au contraire, établis sur un mode vertical : chambres à coucher au dessus des salles de séjour. Un partage particulier en cellule pour les agités ne fut pas envisagé mais, à la place, un grand nombre de chambres d'isolement (environ 20) réparties aux endroits adaptés de l'établissement. Des installations de bains

173 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE particulières ne furent envisagées que dans les pavillons d'agités et de grabataires, de même que pour le Lazarett et la maison des fonction­ naires ; un établissement central de bains était prévu pour les autres habitants. Les bâtiments qui devaient abriter la colonie agricole ne furent jamais construits par défauts financiers. Quelques années après l'ouverture, et sans moyens supplémentaires, il fut possible d'accueillir 20 malades hommes. Ils s'occupèrent de travaux agricoles. Le système open-door était novateur. Il sera réalisé plus communément dans les hôpitaux psychia­ triques à partir des années cinquante incluant les patients dans des activi­ tés occupationnelles... et lucratives pour l'hôpital. Il s'agissait des malades travailleurs collaborant au projet autarcique de l'établissement, dans tous les domaines - agricoles, viticoles, magasins, cuisine, buanderie, ravaudage - La production devait répondre aux besoins non seulement des malades mais du personnel. L'exploitation agricole et viticole était au centre des préoccupations. Pour cela, il fallut faire l'acquisition de foudres, chantiers, cuves à confire les légumes, cuveaux à saler la viande. En 1903, Monsieur Alt, directeur de l'asile "trouve que le manger est préparé très proprement et qu'il est de bon goût. Le menu des pensionnaires de lère et 2e classes est et varié. Mais le menu des malades indigents est trop uniforme et absolument insuffisant. Ceux qui ne travaillent pas ne reçoivent que deux fois de la viande par semaine et seulement 150 grammes pesés à l'état cru avec os : tandis que les prisonniers en reçoivent trois fois par semaine. Le fait que certains malades augmentent en poids n'est pas, d'après Monsieur Alt, une preuve que la nourriture soit assez substantielle. Il exige absolu­ ment que les malades indigents reçoivent plus de viande. La quantité de viande est également plus faible qu'à Stephansfeld. Pour remédier à de pareils inconvénients à l'avenir, le ministère devrait régler par ordon­ nance l'alimentation des malades indigents, comme c'est le cas pour les prisonniers, si toutefois l'ordonnance ministérielle de 1858 n'est plus en vigueur".

Il existe à l'asile de Steinbach quatre classes de tables :

• Table extra (pour dix personnes dont trois médecins et sept pension­ naires de classe la.

• Table I (pour 58 personnes 39 pensionnaires, 18 sœurs et le jardinier fleuriste).

Ces deux tables reçoivent à peu près le même menu ainsi composé : - 1er déjeuner : café au lait ou chocolat. - 2e déjeuner : pain avec beurre ou autre accompagnement. - Dîner : pain, vin, soupe, deux sortes de viande, légumes et pommes de terre ou œufs ou macaronis, compotes ou fruits frais, fromage.

174 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

- Goûter : café avec pain beurré ou gâteau. - Souper : pain, vin, soupe, viande ou saucisse, légumes ou pommes de terre, salade, compote.

• Table II (pour 141 personnes dont 22 pensionnaires de la classe II, 112 infirmiers, infirmières, personnes de service, apprentis et infirmiers privés et 7 journaliers). Elles reçoivent : - 1er déjeuner : café au lait avec pain, - 2e déjeuner : café ou pain avec fromage ou autre accompagnement. - Dîner : pain, vin, soupe, viande, légumes avec pommes de terre. - Goûter : café au lait ou pain et fromage. - Souper : Pain, vin, soupe, viande, légumes avec pommes de terre. De la viande de vache les lundis et jeudis et du lard les mardis et samedis et pour tous de la viande de vache ou de porc ou de la saucisse le dimanche, de la viande de vache ou du foie ou du mou le mercredi. Les jours maigres, la viande est remplacée par un plat maigre.

• Table III (pour 574 à 549 personnes dont 34 pensionnaires de IIIe classe et les autres indigents.) Ils ont droit de recevoir : - 1er déjeuner : café au lait écrémé. - 2e déjeuner : pain sec (pour les meilleurs ouvriers : café au lait ou pain avec fromage). - Dîner : pain, soupe et légumes, plus viande pour ceux qui travaillent, et viande seulement les dimanches et mercredis et les jours fériés pour ceux qui ne travaillent pas. - Goûter : pain sec avec limonade pour ceux qui travaillent. - Souper : Soupe ou pommes de terre avec pain (fromage blanc avec pommes de terre le vendredi) et salade, quand il y en a, avec la soupe les mardis, jeudis et samedis.

La consommation de vin est bien codifiée :

Vin par jour. Table la : 40 centilitres aux hommes, 30 centilitres aux femmes et 75 centilitres aux médecins. Table 1: 40 centilitres aux hommes, 30 centilitres aux femmes, 40 centilitres aux employés, 30 centilitres aux sœurs. Table II : 30 centilitres aux hommes, 15 centilitres aux femmes, 40 centilitres aux infirmiers et autres employés, 20 centilitres aux infir­ mières et laveuses, 40 centilitres aux cuisinières et filles d'écuries. Table III : 30 centilitres aux hommes, 25 centilitres aux femmes.

175 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

A l'établissement de Stephansfeld - Hoerdt en Alsace, les règlements sont différents. Ainsi, pour la consommation de vin : seulement les dimanches et jours de fête : les hommes 20 centilitres et les femmes 15 centilitres pouvant être remplacés par 1/2 litre de limonade. Ceux de cette classe qui travaillent, les hommes de 30 à 45 centilitres en été, et de 15 à 45 centilitres en hiver, les femmes travaillant à la cuisine ou à la buande­ rie 25 centilitres, ailleurs 15 centilitres.

La codification de l'alimentation, comme de l'habillement ainsi que des horaires se poursuivra tardivement, avec l'arrêté ministériel et la circu­ laire ministérielle en date du 5 février 1938 portant "règlement modèle" du service intérieur des hôpitaux psychiatriques. Dans ce texte (article 152), le régime alimentaire est établi par classes correspondant au prix de pension. Il n'y est apporté de modifications que sur "l'avis conforme motivé et écrit des médecins chefs de service". Le régime alimentaire est réglé comme suit : Pensionnaires de lère classe ; Pensionnaires de 2e classe ; Pensionnaires de 3e classe ; Pensionnaires. Malade du régime commun non travailleurs ; Malade du régime commun travailleurs ; Personnel supérieur ; Personnel secondaire.

Vingt cinq pages de la circulaire ministérielle sont consacrées à une topographie alimentaire suivant le critère grand et petit régime en fonction des sexes, des âges et de l'occupation, comme un manuel gastronomique à l'usage des malades mentaux et de ceux qui les assistent dans l'espace asilaire clos. L'analyse des documents montre le détournement de l'objectif thérapeutique vers un système gestionnaire qui a prévalu jusqu'au début des années 1970.

L'établissement, qui bénéficia d'améliorations successives, a fonctionné jusqu'à la deuxième guerre mondiale. De par sa situation à l'avant de la ligne Maginot, l'hôpital fut évacué dès le 3 septembre 1939 et les malades repliés sur les hôpitaux psychiatriques de la Gironde. Pendant la guerre, l'hôpital abrita diverses formations de la Wehrmacht. Les combats de la libération causèrent, en 1944, des dégâts considérables aux bâtiments et aux installations. A la libération, certains des pavillons furent loués par le département au ministère de l'intérieur qui y cantonna une compagnie républicaine de sécurité.

176 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

Les travaux de reconstruction furent entrepris à la demande du minis­ tère de la Santé Publique et s'échelonnent de 1954 à 1959. Le conseil général de la Moselle décide d'affecter à nouveau l'établissement au traite­ ment des malades mentaux et plus particulièrement à celui des malades difficiles. Ce dernier terme désigne des malades mentaux présentant une dangerosité particulière (ce qui est l'exception, l'affection psychique ne suppose pas a priori un comportement antisocial). L'hôpital de Sarregue- mines a encore cette mission avec trois autres établissements (Villejuif, Cadillac et Montfavet) régis par des dispositions réglementaires très précises pour protéger les libertés individuelles.

En 1959, la capacité optimale de l'établissement rénové est de 757 lits dont 162 réservés aux malades mentaux ordinaires. Les services d'enfants "Bourneville", situés en annexe, comprennent 189 lits.

En 1960, la poussée démographique importante constatée en Moselle et la recrudescence des malades mentaux hospitalisés imposent la mise au point d'un vaste programme départemental dont le plan directeur des équipements nouveaux à entreprendre à Sarreguemines va constituer la première étape. L'établissement prendra, désormais, la dénomination de "centre de Psychothérapie" de Sarreguemines (9).

UN DEUXIÈME HÔPITAL EST NÉCESSAIRE, L'HÔPITAL DE LORQUIN

L'encombrement de l'asile de Sarreguemines avait fait décider de la construction d'un nouvel hôpital. Après diverses investigations, il fut décidé de créer un asile d'aliénés à Lorquin, localité située en zone annexée mais de langue française, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Sarrebourg. L'établissement est destiné à accueillir des aliénés tranquilles tout en prévoyant un certain nombre de cellules par rapport à des sujets agités.

Le domaine s'étend sur une superficie de 55 hectares, dont une quarantaine est réservée à l'agriculture, aux pâturages et aux vergers.

Le 22 septembre 1910, l'asile départemental d'aliénés est officiellement inauguré. Il dépend administrativement de l'établissement de Sarregue­ mines qui lui transfère ses malades incurables, tranquilles et travailleurs. Il est réservé aux indigents excluant les pensionnaires, à savoir les malades de première classe ayant leur pension. L'organisation matérielle des services est confiée à l'ordre des Sœurs de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul qui avait déjà pris en charge l'hôpital Saint-Sébastien de Lorquin.

177 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

En 1913, l'établissement compte 350 patients venus de Sarreguemines mais aussi de Gorze, de l'hospice Saint Nicolas de Metz et des maisons centrales de Haguenau et en Alsace. La grande majorité des malades est d'origine mosellane, quelques uns sont alsaciens ou allemands. Comme à l'asile de Sarreguemines, l'effectif médical est rapidement insuf­ fisant, ne comptant que 2 médecins (dont le directeur) alors que les principes établis par la Société allemande de psychiatrie exigeaient la présence d'un médecin pour 100 à 150 malades en plus du directeur. (Souli­ gnons que la circulaire ministérielle du 5 février 1938 portant règlement intérieur des hôpitaux psychiatriques français, dans son article 71, conti­ nuera de préciser que chaque service médical ne doit pas dépasser 400 malades sauf exception spécialement autorisée par le Ministre, ce qui est une norme largement plus élevée que celle énoncée par la Société allemande de psychiatrie.)

A la veille de la Première Guerre Mondiale, l'asile compte 400 hospi­ talisés. Dès le début des hostilités, 272 d'entre eux sont transférés dans des asiles allemands ou alsaciens. L'hôpital a alors une destination militaire pour l'armée allemande puis pour les troupes françaises jusqu'à l'armistice. Les malades réintègrent l'hôpital mais, en 1921, pour des raisons budgé­ taires mais aussi d'organisation de l'asile sur le modèle allemand, l'hôpital est fermé à l'issue de la remise d'un rapport demandé par le conseil général de Moselle. Les malades et une partie du personnel sont alors transférés à Sarreguemines et ce n'est qu'en 1925 que sont amorcées des réflexions sur la réouverture de l'établissement afin que soient exploités les bâtiments laissés inoccupés.

En janvier 1926, s'ouvre à Lorquin "l'Hôpital départemental de femmes" dont les Sœurs de la charité de Strasbourg sont chargées d'organi­ ser les services. Une convention est signée avec le département de la Seine et du Nord qui manquent cruellement de lits après les destructions de la guerre. En 1927, 477 patients sont installés, venant à 80 % des deux dépar­ tements associés. En 1935 commence la construction d'un pavillon destiné aux hommes qui sera inauguré en 1937 et accueillera alors une cinquantaine de pensionnaires masculins. A la déclaration de guerre de 1939, l'asile compte 710 patients qui sont évacués sur l'hôpital de Cadillac, pour les hommes, et La Rochelle ou Angoulème, pour les femmes. Un hôpital militaire français est installé à Lorquin, vite évacué en 1940. L'hôpital est scindé en deux avec un secteur militaire destiné aux soldats allemands et un secteur psychiatrique dirigé par des psychiatres civils allemands.

La population des malades bénéficie très vite des pratiques plus modernes alors usitées en Allemagne : les moyens de contention sont limités et les femmes peuvent revêtir leurs habits personnels. Les méthodes thérapeutiques changent : techniques du maillot mouillé pour les agités enveloppés étroitement dans des draps imprimés d'eau froide, sismothérapie

178 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE introduite en Italie par Ugo Cerletti et Lucio Bini en 1938 et destinée d'abord à suppléer le choc au cardiazol et sa phase de latence très anxio­ gène. Après la guerre, la réorganisation est difficile. Tout manque et l'asile compte encore près de trois cents malades. Nombre d'entre eux sont morts, comme dans tous les asiles français qui perdirent environ 40 000 patients dans la période d'occupation. A Lorquin, certains malades furent sans doute victimes d'euthanasie. Le Docteur Vermorel a reçu le témoignage d'infirmiers qui auraient assisté au transfert de patients vers l'hôpital de Merzig sans possibilité de contrôler l'exactitude des informations.

Jusqu'en 1957, Lorquin va fonctionner comme unique établissement psychiatrique en Moselle, recevant les rapatriés de l'évacuation et les pensionnaires de Sarreguemines. L'hôpital hébergera également des malades tuberculeux venus du sanatorium d' de 1945 à 1948. En 1950, un pavillon libéré par le sanatorium est ouvert aux malades hospi­ talisés sur le mode de la cure libre. Il hébergera aussi des patients alcoo­ liques, des dépressifs, des lobotomisés. La psychochirurgie est alors en vogue, pratiquée à l'asile de Maréville puis, dès 1952, à Lorquin où est installée une salle de chirurgie. Une cinquantaine d'interventions de loboto­ mie seront pratiquées en deux ans, avec les lobotomies frontales bilatérales et des interventions partielles. Lors de l'ouverture du centre hospitalier de Jury-lès-Metz en 1972, cinquante malades chroniques seront transférés de l'hôpital de Lorquin. Dès 1975, une nouvelle politique médicale va permettre un développement de la sectorisation en multipliant les centres médico-psychologiques dans les différents bourgs et surtout une désinstitu- tionnalisation. La clinique de psychologie médicale, prévue dans le programme d'établissement depuis le 22 mars 1988, est ouverte depuis avril 1995 à Phalsbourg, d'une capacité de vingt-trois lits. A noter enfin que le Centre Hospitalier de Lorquin a la responsabilité du service médico-psycho­ logique régional, secteur psychiatrique à compétence régionale, au sein de la maison d'arrêt de Metz, destiné à accueillir en hospitalisation et en consul­ tations des détenus présentant des décompensations psychiatriques lors de leur incarcération préventive ou des problèmes médico-psychologiques.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA PSYCHIATRIE MOSELLANE DEPUIS 1960

Dans l'après-guerre a dominé le souci d'accueillir un nombre croissant de malades mentaux alors même que le potentiel d'hébergement des hôpitaux avait été réduit par les dommages de la guerre, au niveau de la Lorraine ; l'hôpital psychiatrique de Ravenel, dans les Vosges, créé en 1938 n'ouvrira ses portes aux malades mentaux, après avoir été un hôpital militaire, qu'en 1947. Il en fut de même pour l'hôpital de Fains-les-Sources dans la Meuse ; l'hôpi-

179 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE tal de Sarreguemines fut fermé jusqu'en 1957. Par ailleurs, la norme qui prévalait déjà au début du siècle en psychiatrie allemande continuait à être la règle rappelée par le groupe de travail sur l'avenir des hôpitaux psychiatriques réuni par l'Organisation mondiale de la santé à Mannheim (36) en novembre 1976, à savoir 3 lits pour 1 000 habitants. Peut-être ces préoccupations immédiates cachèrent-elles à un certain nombre de décideurs lorrains que derrière l'urgence se dégageaient des tendances scientifiques et de nouvelles modalités de prises en charge qui allaient modifier profondément la prise en charge hospitalière et surtout les conditions de traitement et les conditions de vie du malade. L'accès aux soins en santé mentale n'est plus limité à l'hospi­ talisation. Dorénavant, les soins ambulatoires sont la règle, l'hospitalisation est l'exception.

A- L'état des lieux de 1960 à maintenant : les spécialistes en psychiatrie

Au moment où est publiée la circulaire du 15 mars 1960 relative à la sectorisation, le guide sanitaire de la Moselle donne un aperçu des moyens départementaux. En effet, il existait trois dispensaires d'hygiène mentale ouverts très sporadiquement dans des dispensaires polyvalents : Metz au 6, rue Mozart le vendredi après-midi avec le Docteur Vermorel ou le Docteur Bernhardt, à le premier et le troisième lundi du mois au 44, rue de la Liberté avec le Docteur Thomas et à Sarrebourg le deuxième jeudi du mois avec le Docteur Vermorel. Cinq psychiatres libéraux exercent à Metz (Docteurs Bernhardt, Cantiant, Fischer, Schmitt, Boyer) et un à (Docteur Serrier) et deux à Thionville (Docteurs Michel Rouyer et Charles Thomas). Huit neuropsychiatres ont un exercice libéral dont quatre ont, dans le même temps, une activité hospitalière à mi-temps (cinq à Metz, 1 à Forbach, 2 à Thionville). Six psychiatres exercent en milieu spécialisé (3 à Lorquin et 3 à Sarreguemines). Au total, 14 spécia­ listes en Moselle auxquels il faut ajouter les internes. En 1996, 118 psychiatres et 7 neuropsychiatres, soit 125 spécialistes sont inscrits au tableau du conseil de l'ordre départemental des médecins de la Moselle dont 67 exercent dans les hôpitaux publics, 10 en qualité de salariés d'associa­ tions minières ou familiales et 48 en exercice privé.

La répartition mosellane est la suivante : 29 psychiatres et neuropsy­ chiatres exercent à Metz dont 7 ont un mi-temps hospitalier, 7 psychiatres et neuropsychiatres à Forbach et à Thionville, 4 psychiatres à Sarregue­ mines, 3 psychiatres à Saint-Avold, 2 psychiatres à Sarrebourg, 1 à Bitche, , et Longeville-lès-Metz et Montigny-lès-Metz.

La répartition hospitalière publique se compose ainsi : 27 psychiatres hospitaliers au centre hospitalier spécialisé de Metz, 6 au centre hospitalier régional de Thionville, 17 au centre hospitalier spécialisé de Lorquin, 15 au

180 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines. 3 psychiatres sont salariés du régime minier, 7 sont salariés à temps plein par des associations gérant des institutions pour enfants ou adultes handicapés. Il faut ajouter les 5 psychiatres spécialistes des armées de l'hôpital d'instruction des armées Legouest à Metz. Pour bien montrer le potentiel clinique et psychothéra­ pique dont l'usager peut bénéficier il faudrait répertorier les psychologues. Ce n'est pas chose facile en l'absence d'une définition de cette fonction qui n'est pas garantie par un titre, si ce n'est dans le cadre du statut de psycho­ logue hospitalier nécessitant une maîtrise de psychologie délivrée par les universités et un D.E.S.S. de psychologie clinique.

14 psychologues titulaires d'un diplôme universitaire exercent en privé, d'autres, sans aucune formation universitaire, s'autorisent à exercer comme "psychothérapeutes". Il est certain qu'une telle situation peut favori­ ser l'incompréhension des usagers, ne faisant pas toujours la distinction entre de tels professionnels et préférant des références douces (thérapeutes en géo-bio-chromatothérapie, en sciences des énergies, en psycho-analyse active de courte durée ou en aide psychologique au manque de confiance en soi) à une démarche nécessitant l'engagement du sujet dans une demande thérapeutique, souvent longue et marquée du sceau de la psychiatrie. Aux confins des sciences médicales psychiatriques et psychopathologiques se développent même des tendances inavouées. Un rapport récent "Pratiques médicales et sectes" adopté le 27 septembre 1996 par le conseil national de l'ordre des médecins décrit des formes d'activité de sectes à travers des mouvements "guérisseurs" et des mouvements "psychanalytiques". Les thèmes de la santé sont, en fait, inclus dans de nombreuses familles de sectes affirmant des vocations écologiques, l'épanouissement de la sexualité ou l'aide aux toxicomanes. Le nombre probable de médecins ayant des rapports avec les sectes est préoccupant : 3 000 médecins parmi les quelque 300 000 à 500 000 adeptes des sectes en France.

Ainsi, dorénavant, l'usager a une grande capacité de choix, allant de la psychiatrie classique à des approches non officielles, voire ésotériques. Dans l'exercice de ce choix, et rappelons-le sur un plan très marginal, il risque de faire l'objet d'une prise en charge sectaire qui n'est pas négligeable en Moselle.

B - L'état des lieux : les nouveaux lieux d'hospitalisation

Progressivement, se mettent en place, après la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles formes de traitement. Pendant que le centre hospi­ talier spécialisé de Sarreguemines doit être restauré, que l'hôpital psychia­ trique de Lorquin doit être aménagé pour accueillir et héberger les malades mentaux, d'autres structures, pour malades présentant des troubles plus légers, se développent.

181 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

Le service de neurologie du centre hospitalier Notre-Dame de Bon Secours à Metz où le Docteur Bernhardt, neurologue exerçant en pratique libérale à Metz, crée un service où il deviendra, en 1947, médecin chef à temps partiel. Le service se compose de deux unités : "neuro hommes", unité fermée qui accueille des sujets alcooliques, des déprimés et même des psychotiques en début d'évolution, pour des cures de trois semaines, et une unité "neuro femmes". En cas de nécessité, les patients étaient dirigés sur la clinique psychiatrique des hospices civils de Strasbourg ou le service de psychiatrie de Saint-Nicolas-de-Port ou encore une clinique privée de Merfy (près de Reims) ou, en cas de nécessité d'internement, au centre psychothérapique de Lorquin.

La sismothérapie fut largement pratiquée y compris en ambulatoire avant que l'introduction des neuroleptiques n'en restreigne l'usage.

La psychiatrie s'est développée dans le même temps. Dès 1926, à l'Hôpital Sainte-Blandine, ouvert en 1886 dans les locaux de l'ancienne caserne de la gendarmerie par les sœurs franciscaines, le Docteur Morin pu disposer de quatre lits psychiatriques dans le service de médecine générale et ce jusqu'en 1940 où il cesse ses activités.

Un psychiatre d'exercice privé, le Docteur B. Schmitt (1923 - 1997) reprend cette tradition en 1954 constituant progressivement un service de trente quatre lits, fort actif, qui accueille majoritairement des sujets atteints de dépression névrotique ou réactionnelle pour une prise en charge chimio- thérapique ; il est reconnu comme service de psychiatrie depuis 1989.

Dans le même temps, le Docteur Boyer crée la clinique psychiatrique "Sainte-Marguerite" à Novéant-sur-Moselle avec une capacité de cinquante lits.

Enfin, la construction de la clinique psychiatrique de l'hôpital d'ins­ truction des armées Legouest est liée à la décision de fermeture de l'hôpital des armées Sédillot, à Nancy, prise en avril 1969. Le centre hospitalier des armées Legouest est un hôpital multi-pavillonnaire, regroupant vingt-deux bâtiments importants sur une surface de près de onze hectares, implanté à proximité du centre ville de Metz. Compte-tenu de délais extrêmement courts, les études fonctionnelles ont été réalisées en parallèle avec la concep­ tion architecturale et technique du bâtiment entre mai et décembre 1989. Les autorisations administratives ont été obtenues et les marchés ont été réalisés au cours du premier semestre 1990 afin de permettre un début des travaux en août 1990. En octobre 1991, le bâtiment pouvait être remis au service de santé et inauguré en même temps qu'un nouveau bloc technique à la pointe des techniques de réanimation (salle de triage d'arrivées massives, accueils- urgences, imagerie médicale et bloc opératoire) le 5 novembre 1991.

182 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

Le service de psychiatrie militaire abrite cent lits sur trois étages dont soixante-seize strictement réservés à la population militaire (secteur fermé de vingt lits et secteur "aptitude" de cinquante-six lits) et vingt-huit lits de clinique répartis sur deux étages où sont accueillies par quatre praticiens hospitaliers et deux assistants de spécialité non seulement la population militaire et les familles des militaires mais également la population messine.

Une restructuration est en cours de réalisation visant à augmenter la capacité du service face à la réforme des armées et à une demande locale importante, y compris à pouvoir disposer d'un service d'urgence psychia­ trique avec six lits.

Il existe, dorénavant, des alternatives hospitalières, publiques ou privées, en hôpital général ou en milieu spécialisé, en zone urbaine ou en milieu rural qui devraient donner plus de liberté de choix. Certes le choix de l'hôpital reste souvent déterminé par l'opportunité d'un lit disponible au moment d'une situation de crise ; il reste également déterminé par les représentations que le médecin généraliste, le malade et sa famille ont de l'institution psychiatrique. En effet, l'accès aux soins et le refus de soins dépendent souvent d'images négatives, voire de préjugés, quand ce n'est pas une peur ancestrale face à la maladie qui rend impuissant à toute démarche thérapeutique. Après la période de pénurie, va-t-on connaître une période de pléthore des lits...

Le Centre Hospitalier Spécialisé de Jury-lès-Metz

Dès 1960, les autorités préfectorales et sanitaires de la Moselle s'étaient préoccupées du déficit de formations hospitalières et extra-hospi­ talières relatives à la maladie mentale. En effet, 1TNSEE prévoyait que la population mosellane allait s'accroître de 28 % durant la période 1960 - 1972 et 1972 et 1986. Cette prévision permettait de penser que le départe­ ment atteindrait alors un million cinq cent mille habitants. En admettant que la norme O.M.S. était toujours valable, soit trois lits pour mille habitants en psychiatrie adulte, un équipement de quatre mille cinq cents lits pour malades mentaux était nécessaire. Dans les faits, le département disposait de dispensaires d'hygiène mentale et de mille deux cents lits environ pour recevoir les malades mentaux alors que deux mille sept cent soixante-six lits auraient été nécessaires en appliquant à la population recensée, en 1962, la norme de trois lits pour mille habitants définie et trois mille deux cent soixante-dix lits en 1970 - 1971 pour une population départementale de près d'un million quatre-vingt-dix mille habitants.

Le 26 septembre 1963, un programme initial fut approuvé par modifi­ cation du ministre de la Santé. Un arrêté de subvention intervint le

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lerdécembre 1967. Avec la séance d'installation de la commission de surveillance en date du 17 avril 1969, les offres d'appels lancées en juillet 1969 et la nomination d'un directeur intérimaire en novembre 1969, la construction de l'hôpital entra dans une phase active.

On sait que l'établissement avait, tout d'abord, été prévu sur les hauteurs de Saint-Julien-lès-Metz où une première étude avait été faite. Il s'est, toutefois, avéré que le choix de cet emplacement entraînerait des frais considérables de voirie et comporterait, en outre, des difficultés pour l'acquisition des terrains nécessaires. La population de St-Julien n'était, par ailleurs, pas favorable à une telle implantation. Dans le même temps, les prescriptions du ministère de la Santé imposaient une distance limite de l'agglomération messine ; un tel hôpital ne pouvait être construit en pleine campagne, ce qui était une rupture conceptuelle appréciable par rapport au passé.

Mais, compte-tenu de l'intégration des communautés de Vallières et de Borny dans la ville de Metz et de la réalisation de la Z.U.P. de Borny, cette agglomération était, désormais, appelée le long de l'actuelle route de Stras­ bourg. Il était ainsi possible de retenir la commune de Jury-lès-Metz, située entre et Courcelles-sur-, comme lieu d'implantation du futur hôpital.

Un terrain militaire a été choisi et un accord entre le Préfet, Monsieur Déleplanque, et le Gouverneur Général de Metz, le Général Massu, fut conclu. Le terrain est très bien situé, à quelques kilomètres du chef-lieu du département, devant être relié presque directement dans quelques années aux grandes rocades d'autoroutes assurant des liaisons rapides et pratiques dans toutes les directions. L'emplacement retenu est un terrain d'environ 60 hectares situé au nord de la commune de Jury, aux limites de celle-ci avec celles d'Ars- et de Mécleuves. Ce terrain est occupé par un bois de taillis le "Bois des Maires" qui constituera un cadre de verdure naturel bien exposé sur un coteau orienté au Midi.

La réalisation dont le maître d'ouvrage est le département, représenté par le directeur de l'Action sanitaire et sociale, devait comporter deux tranches de construction pour accueillir 821 malades (597 pour la première tranche et 224 lors de la construction de la deuxième tranche). La concep­ tion de l'ensemble a été confiée à Monsieur R. Muller le 1er juillet 1970 en liaison avec Monsieur Le Maresquier, architecte des monuments nationaux, concepteur du plan sous forme d'"hôpital - village" qui prévaudra dans l'élaboration de différents Centres hospitaliers en France (Erstein et Fort-de- France, etc.). Ainsi, sept années se sont écoulées entre la décision initiale et le début des travaux. Sept autres années s'écouleront avant la fin des travaux en 1970. Dès le début des travaux, il apparaît des difficultés de financement. Le budget initial prévu de trente-neuf millions de francs dont

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la moitié était accordée par l'Etat et le reste versé par le département et la Sécurité sociale ne put couvrir l'ensemble des besoins qui sont estimés alors à quarante-six millions. Cela va se traduire par une réduction de l'ambition du projet ; cette réduction touchant tant l'aménagement des espaces extérieurs (des voies de circulation, la suppression des trottoirs) que l'aménagement des pavillons (suppression des volets roulants, aménage­ ment minimal de systèmes de ventilation) entraînèrent des conséquences durables tant sur le plan du fonctionnement quotidien que du confort des usagers. Finalement, lors de l'ouverture du centre hospitalier, le 16 août 1972, c'est une somme de cinquante-six millions qui a été engagée dans la première tranche de construction.

Entre le projet et son exécution, la psychiatrie a évolué vers des orien­ tations plus précises, ne serait-ce que l'essor du travail de secteur et essen­ tiellement du travail dans la communauté. Or, le projet architectural ancien, inscrit dans une planification rigoureuse et administrative, n'a pu tenir compte de cette évolution. Jury-lès-Metz est le dernier "hôpital - village" construit en France. Un nouveau débat eut lieu pour la construction de la deuxième tranche : était-il opportun de la décider alors que les prévisions démographiques, d'une part, et les constats psychiatriques, d'autre part, devaient faire réviser à la baisse les projets d'implantation de lits. Ne fallait-il pas faire porter l'effort public vers la construction d'un hôpital psychiatrique à Thionville ou aider le développement d'un hôpital psychia­ trique dans le Nord meurthe et mosellan, à Briey ? Il apparut important aux décideurs mosellans que le choix soit fait en faveur de l'hôpital de Jury-lès- Metz avec la persévérance de Monsieur le docteur Ameur, médecin inspec­ teur régional, et grâce à l'intervention de Monsieur Pierre Messmer, alors Premier ministre. Ce choix a pesé lourd dans l'histoire de l'hôpital de Jury- lès-Metz, surdimensionné par rapport aux besoins. Un arrêté ministériel du 11 janvier 1991 précise de nouveaux indices de lits en matière de besoins de psychiatrie générale (indice global un à huit lits pour 10 000 habitants ; indice partiel 0,5 à 0,9 lit pour 10 000 habitants) alors qu'en psychiatrie infanto-juvénile il est retenu l'indice global de 0,8 à 1,4 lit pour 1 000 habitants de 0 à 6 ans et un indice partiel de 0,1 à 0,3 lit pour 1 000 habitants. L'hôpital est prévu pour desservir quatre secteurs géographiques des arrondissements de Metz-Ville et Metz-Campagne. Chacun, ayant cent cinquante lits à sa disposition, devra ultérieurement accueillir deux secteurs qui auraient dû être, primitivement, rattachés à l'hôpital psychia­ trique de Thionville, pôle d'attraction naturelle sur le plan géographique et économique d'Hayange et de . Finalement, le projet d'hôpital psychiatrique de Thionville fut abandonné ; le centre hospitalier régional avait créé un service de médecine à orientation psychiatrique à l'hôpital Beauregard en 1968. Celui-ci restera le seul pôle d'hospitalisation, malgré l'ouverture du 2ème Secteur de santé mentale de Sierck - Bouzonville, les malades du pôle de Thionville continuant à être admis au centre hospitalier de Jury-lès-Metz, notamment les personnes hospitalisées sous contrainte.

185 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

L'"hôpital - village" a été réalisé selon une norme définie officielle­ ment et qui devait respecter les données suivantes : - La conception générale admise est qu'il convient de ne construire que des établissements de faible importance, entre trois cents et six cents lits, en règle générale, la capacité de huit cents lits ne devant être atteinte que pour des établissements situés dans des zones de haute densité démographique.

- D'autre part, la dispersion en formations de petite et moyenne impor­ tance donne un caractère plus humain aux hospitalisations. D'où, en outre, la conception de l'hôpital selon la formule "village" : pavillon de cinquante lits au maximum, scindé en deux unités de soins de vingt-cinq lits. - Les pavillons d'hospitalisation doivent être conçus sur un type standard, susceptibles d'être utilisés par toutes les catégories de malades et de se prêter à l'application de toutes les thérapeutiques. - Des blocs techniques comportant des locaux de consultations spécia­ lisées (radio, O.R.L.), les laboratoires, la pharmacie, le centre de rééducation motrice, ainsi que les cabinets des médecins, internes, psychologues, les bureaux des secrétaires médicales, la bibliothèque et les archives médicales. - Les services généraux (comme les cuisines, magasins, buanderie, lingerie, ateliers, chaufferie) sont construits et implantés de manière à ne pas gêner les malades par leur proximité. - Le centre social (chapelle, salle des fêtes, bibliothèque, cafétéria, ergothérapie) doivent constituer une sorte de "pôle d'attraction" au centre du complexe hospitalier. En consultant le plan de masse de Jury ont peut constater que ces directives sont parfaitement appliquées. En ce qui concerne les pavillons d'hospitalisation, le type standard est totalement respecté. Par contre, le pavillon devant se prêter à l'application de toutes les thérapies a un non sens en lui-même compte tenu de l'évolution des thérapies. Cette organisation pavillonnaire gêne considérablement les pratiques thérapeutiques quand bien même le centre hospitalier apparaît, notamment, les jours d'ensoleille­ ment, comme un lieu de "villégiature" agréable mais le temps de villégia­ ture n'est plus le principe d'hospitalisation dont la durée apparaît de plus en plus brève et la réduction constitue un objectif de santé mentale.

La condition actuelle du malade

Adressé par son médecin traitant, souvent dans un contexte de crise, le sujet peut arriver au service d'accueil d'urgence créé en 1995 au centre hospitalier Notre-Dame de Bon-Secours. Il rencontre une infirmière, un

186 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE médecin urgentiste, une infirmière de secteur psychiatrique et, quelquefois, un médecin psychiatre. S'il a besoin d'une surveillance constante du fait des troubles mentaux et se trouve dans l'incapacité de donner son consentement, il va faire l'objet d'une hospitalisation à la demande d'un tiers avec deux certi­ ficats médicaux (dont l'un par le médecin spécialiste) et sera hospitalisé sous contrainte au centre hospitalier spécialisé en référence avec son lieu d'habitation. Dans ce service où il est admis, il rencontre, à l'accueil, une infirmière, un interne de garde et un médecin praticien qui va vérifier la validité de l'hospitalisation sous contrainte, en application de la loi du 27 juin 1990. Le lendemain, il sera revu en examen par un autre psychiatre pour établir un "certificat de 24 heures". Cette situation est pourtant excep­ tionnelle car dans 75 % des cas le sujet donnant son consentement et n'ayant pas de trouble majeur peut être admis en unité ouverte sous le régime de l'hospitalisation libre. Il peut alors choisir, dans les plus brefs délais entre une unité de réhabilitation et une unité d'accueil. Les portes sont ouvertes, des réunions de vie communautaire ont lieu chaque matin à 8 heures 30 permet­ tant de décider des rythmes de vie et d'organiser les étapes de la journée. La réunion dure une quinzaine de minutes, elle est suivie d'un staff réunissant les surveillants et les médecins qui apprécient la situation des patients et discu­ tent des orientations. Des activités ergothérapiques, corporelles ou culturelles sont proposées en groupe. Les repas sont présentés et servis par les patients. A remarquer que la durée moyenne du séjour en milieu hospitalier est de vingt-neuf jours. Le partage entre la vie hospitalière et les séjours extérieurs permet de mesurer les effets pacificateurs des médicaments mais aussi les effets négatifs inhibiteurs jusqu'à faire disparaître le plaisir d'écouter, le plaisir de chanter ou le plaisir de l'amour. Après l'hospitalisation, de courte durée, le malade va continuer à rencontrer son médecin traitant pour la surveillance du traitement et pour bénéficier d'un soutien psychologique, voire d'une démarche psychothérapique, dans le cadre d'alternatives à l'hos­ pitalisation, sous forme de centres médico-psychologiques et d'hôpitaux de jour. Dorénavant, ces centres de consultations sont nombreux, soit pour enfants, soit pour adultes jeunes, soit pour adultes âgés (centre de psychogé­ riatrie), soit pour toxicomanes, soit pour détenus libérés et leur famille. Les patients peuvent bénéficier de structures plus spécialisées, telles les C.A.T.T.P. (centre d'aide par le travail à temps partiel), les clubs de vacances, de clubs d'insertion à travers des groupes socioculturels et sportifs. Ils sont dans un cadre socio-thérapeutique développant ou restituant leurs capacités de citoyen de telle manière qu'ils se sentent responsables vis à vis des autres et d'eux-mêmes, de ce qu'ils font et de ce qu'ils vivent.

Les acquis scientifiques ont progressé. Le regard de la société sur le fait psycho-pathologique s'est modifié. La condition du malade et son traitement se sont améliorés. Dorénavant, l'essentiel de l'expérience patho­ logique se déroule hors des murs de l'ancien asile, conformément aux aspirations des citoyens et à la volonté éthique. Cette évolution est bénéfique au malade et à sa famille. Elle va s'accompagner de profondes

187 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE transformations institutionnelles. Si l'essentiel consiste à maintenir ou resituer le malade dans son environnement, qu'en sera-t-il du patrimoine hospitalier constitué au cours de l'histoire de l'assistance et de l'accompa­ gnement des malades. Nul doute que les exigences thérapeutiques mais aussi financières conduiront à la fermeture de certains établissements. Ce patrimoine témoigne de la souffrance des hommes mais aussi de l'ingénio­ sité de ceux qui ont voulu les secourir, à travers les représentations intel­ lectuelles et l'affectivité qui les habitaient. Dans ce domaine sanitaire comme dans d'autres, la Moselle est le témoin des influences complémen­ taires, françaises et allemandes, qui ont enrichi la dignité du citoyen.

Comment préserver ce patrimoine bâti hospitalier pour qu'il serve de témoin, pour qu'il serve encore à quelque chose ?

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191 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

48. Les secteurs de psychiatrie générale en 1993. Documents statistiques, S.E.S.I., Direction générale de la Santé, Ministère de la Santé et des Affaires sociales, 1996, n° 253, 33 p. 49. Supplément au rapport de Monsieur Henry sur l'Assistance publique traitant du régime alimentaire à Steinbach, Metz, Gazette de Lorraine, 1905, bilingue, 17 p. 50. Vidon (G), Goûtai (M), Lieux de vie. Lieux de soins. Ed. techniques, Encyclop. Méd. Chir., psychiatrie, 37 876 A 70, 1995, 4 p.

192 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

193 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

L'HÔPITAL DE LORQUIN

Une salle d'ergothérapie : la couture (1955).

194 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE

L'HÔPITAL DE SARREGUEMINES

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Premier rapport annuel 1880-1881.

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