HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE : Du Patrimoine Hospitalier Aux Conditions De Vie Et De Traitement Du Malade Mental
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HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE : du patrimoine hospitalier aux conditions de vie et de traitement du malade mental par le Dr Marie-Bernard DILIGENT, membre associé libre La loi du 30 juin 1838, élaborée pendant plus d'un an par le parle ment, dans un contexte réformateur, a été la première loi en Europe à définir les conditions de l'internement et, ce faisant, la garantie des liber tés des citoyens. Elle faisait obligation à chaque département de réaliser un hôpital départemental ou de passer convention avec un établissement privé. Il s'agissait donc d'une loi pragmatique qui, en définissant les condi tions d'internement pour éviter les excès de l'autorité publique ou de pouvoir des familles, garantissait des conditions de soins pour les malades mentaux. Ce faisant, elle assignait au malade un statut social, un lieu de vie et de soins. Un décret royal en date du 18 décembre 1839 définira les modalités de fonctionnement des établissements qui s'appelaient alors "asiles d'aliénés", les distinguant d'autres asiles pour mendiants, margi naux, prostituées ou personnes âgées. Même si l'on affirmait l'existence de "maladies mentales", on soignait ceux qui en étaient atteints dans des lieux différents du système hospitalier général. On a beaucoup écrit récemment sur "l'institution asilaire" pour la critiquer mais, en tout état de cause, la ségrégation topographique des malades mentaux a facilité celle des médecins à qui ils étaient confiés, ce qui a contribué à la création d'un particularisme de la psychiatrie plus marqué que celui d'autres spécialités médicales. Il est vrai que le champ de la médecine mentale n'a jamais été l'apanage de ce que l'on appelle aujour d'hui "la psychiatrie" avant le XXe siècle. Pendant tout le XIXe siècle, le vaste domaine des névroses appartenait aux généralistes (Le Professeur Bernheim, Colmarien d'origine, devenu Nancéien après la défaite de 1870 était professeur de médecine interne. Le Docteur Liebault était un médecin généraliste à Pont-Saint-Vincent). Ultérieurement, la prise en charge de ces pathologies se fit essentiellement par des neurologues. Ainsi, coexista en France une médecine psychiatrique établie par la loi de 1838 et se dévelop pant par l'action et la réflexion des médecins aliénistes et une autre approche médicale se confondant longtemps à l'exercice de la médecine interne et, ultérieurement, de la neurologie sans que cette confrontation 159 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE anatomo-clinique ait produit des effets positifs comme nous l'envisagerons ultérieurement pour l'Allemagne. L'ECOLE PSYCHIATRIQUE FRANÇAISE Ce n'est que progressivement que les psychiatres étendirent dans la direction de la médecine mentale un champ de compétences, de même qu'ils revendiquèrent comme de leur responsabilité médicale les anomalies de la personnalité qui étaient, jusque là, réservées aux moralistes et aux juges. L'Ecole française de psychiatrie était née des deux hôpitaux parisiens, de La Salpêtrière et de Bicêtre, créés à l'occasion du "grand renfermement" ordonné en 1656 par Louis XIV pour recueillir, dans le cadre d'une mesure de police, les hommes et les femmes présentant des troubles persistants du comportement social quelle qu'en fut la nature. Avec le XVIIIe siècle "les aliénés" furent progressivement séparés des autres pensionnaires. La recon naissance du caractère médical de l'aliénation mentale fut symbolisée par la nomination de Philippe Pinel (1745 - 1826) en 1793 comme médecin de Bicêtre et en 1795 de La Salpêtrière. Il créa la tradition psychiatrique française du XXe siècle, médicale, clinique, descriptive et nosologique, préoc cupé en même temps des aspects médico-légaux et administratifs. Esquirol (1772 - 1840), élève de Pinel, développa l'Ecole des aliénistes des Hôpitaux généraux de Paris et fut à l'origine de la promulgation de la loi de 1838 (38). 40 ans après la mort d'Esquirol, le courant psychiatrique représenté par ses élèves était fort dynamique : Jules Falleret, Bourneville à Bicêtre, Baillarger, Legrand du Saulle, Auguste Voisin et Moreau de Tours à La Salpêtrière. Si Esquirol eut une influence prépondérante à travers l'analyse "des passions, considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l'aliénation mentale" (1805) pour aboutir à la notion "du traitement moral" souvent mal compris de nos contemporains, voire caricaturé dans leur méconnaissance des glissements lexicaux du contexte scientifique de l'époque, Morel nommé, de 1848 à 1855, médecin de l'Asile de Maréville à Nancy, développa le thème des dégénérescences dont la maladie mentale est une expression privilégiée. Même erroné, pour la première fois, est présenté un modèle biologique général de l'étiologie des maladies mentales tenant compte de l'hérédité, de la "nature" et de la culture intégrant les causes et les manifestations psychologiques et somatiques. La doctrine de Morel est aujourd'hui périmée, non pas comme on le lui a reproché à son époque parce qu'il l'avait mise sous l'invocation de la genèse, il était profondément religieux, mais surtout par rapport à l'acceptation d'idées pré-mendéliennes. 160 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE Le véritable successeur de Morel fut Valentin Magnan (1835 - 1916). Il fit de la doctrine de la dégénérescence l'axe de ses conceptions. Pendant le XIXe siècle, l'objet de la psychiatrie était "l'aliénation mentale", c'est-à- dire qu'elle était définie par la situation légale et administrative qui régissait les malades, résultat en France de la loi de 1838. Les aliénistes ne pouvaient y observer que les formes les plus graves des troubles mentaux ; en pratique, les cas qualifiés aujourd'hui de "psychose". Remarquons que l'asile Sainte Anne à Paris avait été prévu comme un centre d'enseignement où Valentin Magnan inaugura en 1869 un enseignement clinique officieux. Or, dès 1870, Georges Clemenceau avait demandé la création d'une chaire de psychiatrie à la Faculté de Médecine. Neuf années plus tard, ce vœu fut réalisé. Benjamin Bail fut nommé, en 1877, premier titulaire de la chaire de clinique des maladies mentales et de l'encéphale (38). LA SITUATION EN LORRAINE AU DEBUT DU XIXe SIECLE Au début du XIXe siècle, l'asile de Maréville à Laxou en Meurthe était le seul établissement de l'Est de la France destiné à recevoir des fous. Sa construction datait du début du XVIIe siècle. Il était réservé aux aliénés depuis 1805 (Dumont, Thèse Médecine Nancy, 1937). Suite au décret impérial du 04 mars 1813 reléguant au département "le soin de pourvoir au traitement et à la défense des indigents attaqués de folie", l'asile de Maréville a été institué : "Hôpital central des Aliénés du département de la Meurthe, de la Meuse, de la Moselle, des Vosges, du Haut-Rhin, du Bas- Rhin, des Ardennes, de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et du Doubs". Après la loi du 30 juin 1838, l'Hôpital de Maréville restera l'unique établis sement lorrain pour aliénés et continuera à accueillir les malades de toute la province. L'hôpital de Maréville, près de Nancy, a une longue tradition hospita lière. La ville de Nancy dût faire face, au XVIe siècle, à plusieurs fléaux, notamment la peste. C'est à 6 km de Nancy, sur le ban de Villers, dans un terrain appelé autrefois Laulnel ou Laynel, aujourd'hui l'Asnée que la ville groupait les malheureux pestiférés. De 1541 à 1597, la Goulette-Maréville (comme on désignait alors cet endroit) fut un cimetière de pestiférés. En 1597, Anne Feriet, veuve en premières noces du président des comptes de Lorraine et en secondes noces d'Antoine Goz, Seigneur de Novéant, conçut le projet de remédier à un aussi cruel abandon en créant à l'Asnée un établissement permanent et régulier par testament. Des bâtiments s'élevè rent dans le voisinage du cimetière et la Chapelle Sainte Anne fut consacrée en 1602 par l'Evêque de Toul. L'Hôtel de Ville de Nancy était chargé d'administrer l'hôpital nouveau qui s'appelle désormais Marinville ou Maréville. En 1714, le Duc Léopold créa une "renfermerie" ou "maison de correction pour jeunes gens vicieux" comme il en existait déjà en Franche 161 HISTOIRE CONTEMPORAINE DE LA PSYCHIATRIE EN MOSELLE Comté. La plupart des détenus était des hommes, on en comptait 120. Le 29 juillet 1749, le Roi Stanislas signa un traité avec la Congrégation des Frères des Ecoles Chrétiennes alors représentée par Frère Exupère. Maréville devint la plus importante des communautés de l'institut dans l'histoire des Frères des Ecoles Chrétiennes au XVIIIe siècle. Les clauses prévoyaient l'établissement d'un noviciat mais également l'obligation pour les Frères de recevoir des pensionnaires libres aux conditions qu'ils conviendront avec eux et leurs parents. Ils étaient tenus de recevoir, garder et entretenir tous les sujets qu'il plairait au prince de leur adresser par lettre de cachet, moyennant une somme annuelle de 300 livres de francs. Les pensionnaires libres et les insensés, les novices et les frères se trouvaient ainsi à l'étroit. Par la loi du 18 août 1792, la maison fut classée parmi les biens nationaux où, en vertu de nouveaux principes proclamés, on fit sortir de Maréville les jeunes gens qui étaient détenus par lettre de cachet ou sur la demande des familles. Les Frères quittèrent Maréville le 21 février 1794. Le soir même, un violent incendie consuma tout le bâtiment de Léopold en même temps que les archives. Maréville fut peu à peu abandonné après cet incendie. On y amena seulement les trente fous enfermés dans Saint Sébas tien jusqu'au moment où, durant les guerres napoléoniennes, Maréville fut provisoirement transformé en ambulance avant que le Préfet en décide de reconstruire la maison et d'y réunir les aliénés des deux sexes, à compter de 1805, sous la direction du Docteur Bonfils.