1 Anne Dulphy Et Christine Manigand Portrait De Jean François-Poncet La
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Anne Dulphy et Christine Manigand Portrait de Jean François-Poncet La carrière de Jean François-Poncet, né le 8 décembre 1928, est inscrite sous le sceau d’une double fidélité. Tout d’abord, sa croyance dans l’ardente obligation d’un rapprochement entre la France et l’Allemagne, puis son corollaire, faire de cette alliance la pierre angulaire de l’intégration européenne. Ainsi, lorsque l’ancien ministre des Affaires étrangères de Valéry Giscard d’Estaing analyse les répercussions du « non » français du 29 mai 2005 au traité constitutionnel, c’est avant tout au travers du prisme des relations franco-allemandes mises en danger par ce résultat qu’il le fait. Déjà, le 6 avril 2005, le sénateur du Lot-et-Garonne avait, à la tribune du palais du Luxembourg, mis en garde contre les conséquences d’un éventuel rejet français risquant de provoquer un divorce entre les deux pays. Il avait insisté sur ce qui serait la première séparation importante du couple depuis les débuts du processus communautaire. Certes, cette discordance ne serait pas sans précédent, mais, avait-il expliqué, « pour la première fois en 55 ans, les chemins de la France et de l’Allemagne se sépareront en ce qui concerne l’Europe, non sur un sujet secondaire, mais sur une question fondamentale ». Certes, il considère avec le recul que sa crainte d’assister à un changement du centre de gravité de l’Europe dont la Grande-Bretagne tirerait les bénéfices en imposant sa conception de toujours, celle d’une « Europe à l’anglaise », vaste zone de libre-échange bien éloignée de l’Europe puissance autour du pivot franco-allemand, ne s’est pas vérifiée : la Grande-Bretagne n’a proposé aucune avancée susceptible de recueillir les suffrages de ses partenaires pour relever le défi du rejet de la Constitution. Mais il n’en reste pas moins qu’une relation particulière entre la France et l’Allemagne s’impose plus que jamais à ses yeux. Il préconise donc, au-delà de la divergence conjoncturelle, de valoriser des concordances correspondant à de communes tendances lourdes en terme de vision future de l’Europe : le refus du modèle britannique, la proposition d’un partenariat privilégié avec la Turquie, et la même référence à l’économie sociale de marché. C’est à ce prix seulement, estime-t-il, que sera sauvegardé l’essentiel de l’entente franco-allemande soumise depuis 50 ans à bien des vicissitudes dont elle a 1 triomphé : « Si la relation franco-allemande a toute chance de survivre au non français, il ne s’ensuit pas qu’elle sera, plus qu’elle ne l’a été dans le passé, un “long fleuve tranquille”1 ». L’attachement affectif, mais réaliste, de Jean François-Poncet à l’Allemagne vient de loin. Les liens qu’il a tissés avec ce pays remontent à l’enfance. Une enfance passée outre- Rhin, une connaissance de la langue et de la civilisation allemandes, sans oublier l’essentiel, la tradition familiale, imprègnent tous ses souvenirs. L’héritage de son père, André François- Poncet, germaniste distingué, qui fut ambassadeur à Berlin de 1931 à 19382, a marqué le très jeune garçon qu’il était : il ne manque pas aujourd’hui d’évoquer le souvenir des revues nazies dans la capitale du Reich, celui des défilés aux flambeaux passant sous les fenêtres de l’ambassade de France, et de rappeler qu’il a joué sur les genoux d’Hermann Göring… Il retrace aussi l’arrestation de son père, en 1943, à Grenoble, par la Gestapo de Lyon et sa déportation en Allemagne dont il revint en 1945, libéré par l’avance de la 1ére armée française. Le régime nazi ne lui avait pas pardonné les rapports qu’il avait faits en tant qu’ambassadeur pour prévenir les gouvernements de la IIIème République de la menace que représentait Hitler. Après la guerre, André François-Poncet fut nommé, à Bonn, haut commissaire de la France en Allemagne (de 1949 à 1956) et joua de ce fait un rôle important dans la préhistoire de la réconciliation franco-allemande. Jean François-Poncet aime à rappeler les contacts noués alors avec Konrad Adenauer, mais aussi avec de nombreux jeunes Allemands rencontrés aux réceptions organisées par sa mère. Dans la préface qu’il livre aux rapports mensuels que le haut commissaire adressait au Quai d’Orsay, il retrace les difficultés et les résistances à l’entente franco-allemande, surmontées grâce à la volonté politique d’une grande partie des dirigeants de la IVème République. Cette persévérance doit, selon lui, être appliquée de façon continue pour surmonter des divergences qui n’ont pas disparu depuis la réunification, bien au contraire. Reprenant à son compte les propos de son père sur l’amitié entre les deux pays qui « est une plante fragile qu’il faut arroser tous les matins », il ajoute qu’« André François-Poncet savait mieux que quiconque que le seul terreau où cette plante pousse des racines solides est celui de la construction européenne3 ». Entre-temps, titulaire d’un doctorat en sciences économiques, d’un master of Arts des universités américaines de Wesleyan et Tufts, Jean François-Poncet entra en 1953 à l’École 1 Jean François-Poncet, « Le nouveau défi », Revue des deux mondes, n°10-11, 2005, p. 40-41. 2 André François-Poncet, Souvenirs d’une ambassade à Berlin septembre 1931-octobre 1938, Paris, Flammarion, 1946. 3 Rapports mensuels d’André François-Poncet, haut commissaire français en Allemagne 1945-1955 : débuts de la République fédérale d’Allemagne, Paris, Imprimerie Nationale, 1996, tome 1, préface de Jean François- Poncet, p. 10. 2 nationale d’administration (ENA), pour devenir deux ans plus tard secrétaire d’ambassade affecté à la direction générale des Affaires politiques du Quai d’Orsay. Alors que se dessinait la relance européenne, il en devint un acteur, encore modeste dans le sillage de Maurice Faure, secrétaire d’État aux Affaires étrangères dont il fut le directeur adjoint de cabinet, puis en tant que secrétaire général de la délégation française qui participa à la négociation et à la signature des traités du Marché commun et de l’Euratom le 25 mars 1957. Analysant ces événements aujourd’hui, au moment du 50ème anniversaire du traité de Rome, Jean François- Poncet ramène ces discussions avant tout à un duo franco-allemand, qui engloba ensuite les autres partenaires. Il aime évoquer à cette occasion son souvenir de la visite à Londres de la délégation française, de retour de Rome, auprès du Premier ministre britannique : en termes tout à fait courtois, Harold MacMillan expliqua que le traité de Rome n’était pas fait pour la Grande-Bretagne, mais ponctua son intervention de « mais, si vous réussissez, nous vous rejoindrons ». Trois années passées ensuite à la sous-direction des Affaires européennes au ministère des Affaires étrangères confortèrent son apprentissage européen, suivi d’expériences internationales (au Maroc, comme chef de mission d’assistance technique, puis à la sous- direction d’Afrique orientale de 1963 à 1968, enfin en tant que premier conseiller d’ambassade à Téhéran de 1969 à 1971). C’est alors, après la décennie gaullienne où il avait pu avoir le sentiment d’être mis sur la touche en raison de son europhilie que, déçu peut-être de ne pas avoir obtenu de poste d’ambassadeur, il se mit en disponibilité pour exercer des fonctions dans le privé, au sein de la société Carnaud S.A. C’est à la fois son excellente connaissance de l’Allemagne et ses convictions européennes affirmées qui ont joué dans son retour aux affaires. Le président Giscard d’Estaing, bien décidé à redonner vie à l’entente franco-allemande et à impulser un nouvel élan à la construction européenne, lui confia, en janvier 1976, le poste de secrétaire d’État aux Affaires étrangères auprès du ministre Jean Sauvagnargues, lui-même ancien ambassadeur à Bonn ; pour autant, il fut surtout mis à l’épreuve en étant chargé de conduire Djibouti à l’indépendance ! Jean Sauvagnargues fut remplacé quelques mois plus tard par Louis de Guiringaud, qui avait également occupé un poste en Allemagne dans les années 50 où il avait été, par ailleurs, un des proches collaborateurs d’André François-Poncet. Jean François- Poncet quitta, en juillet 1976, le ministère pour l’Élysée dont il devint le secrétaire général succédant à Claude Pierre-Brossolette, collaborateur de longue date de Valéry Giscard d’Estaing et lui-même très pro-européen. Le 29 novembre 1978, Valéry Giscard d’Estaing 3 nomma Jean François-Poncet à la tête du Quai d’Orsay qu’il ne quitta qu’avec l’alternance, le 13 mai 1981. Malgré la prédilection commune aux différents ministres des Affaires étrangères de Valéry Giscard d’Estaing pour la composante franco-allemande, et comme en a témoigné Gabriel Robin, « le cœur » en a échappé aux conseillers de l’Élysée et au Quai d’Orsay, « c’est-à-dire les rapports directs, personnels, d’homme à homme, qu’ont noués et entretenus le président de la République et le chancelier » Helmut Schmidt4. Cette personnalisation de la politique étrangère a du reste caractérisé l’ensemble du septennat, posant la question de la place de la diplomatie que Valéry Giscard d’Estaing a rétrospectivement définie comme « une expertise pour la recommandation et… pour la mise en œuvre », mais pas « pour les objectifs et les dogmes » dont il juge que la définition nécessite une légitimité élective5. Jean François- Poncet reprend à son compte ce schéma et évoque le duo que forment en général les présidents de la Vème République et leur ministre des Affaires étrangères, dans lequel seuls s’immiscent certains chefs du gouvernement du fait de leur trajectoire personnelle - comme Raymond Barre, ancien commissaire européen - ou à la faveur de cohabitations.