Double Defi Pour L'algerie
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
ETUDES et REFLEXIONS Paul Balta DOUBLE DEFI POUR L'ALGERIE Après vingt-sixans de parti unique, l'Algérietente de mener à terme unprocessus démocratique qui devrait déboucher sur des élections (( libres et honnêtes ». Le pari n'est pas gagné, d'autant que la crisefinancière n'ajamais été aussi grave. 1 J 1 e suis prêt, s'il le faut, à vendre un quart de Hassi Messaoud{..}. Tout ce quiprivilégie nos ressources propres est préférable à l'emprunt. )) Cette déclaration du premier ministre, Sid Ahmed Ghozali, à la mi-juillet, devant l'Assemblée nationale algérienne puis à la télévision belge (1) a immédiatement fait l'effet d'un électrochoc. Parce que venant de lui : premier Algérien diplômé de l'Ecole des ponts et chaussées de Paris, président de la Sonatrach, la puissante société nationale des hydrocarbures, de 1966 à 1977, année où feu le président Houari Boumediene le nomme ministre de l'Energie et des industries pétrochimiques. (Il a perdu ce portefeuille après l'élection de Chadli Bendjedid à la présidence, en 1979.) 78 REVUE DES DEUX MONDES OCTOBRE 1991 ETUDES et REFLEXIONS Double défi pour l'Algérie Nul ne pouvait donc, mieux que lui, ouvrir une brèche dans le sacro-saint tabou de la « nationalisation des hydrocarbures » (décrétée le 24février 1971), pour administrer la preuve que l'Algérie était bel et bien engagée dans l'économie de marché. Qui a aussitôt confirmé, par cette déclaration : « Il y a une idée, des formules étudiées et beaucoup de sociétés intéressées )) (2)? Son ami et complice Nordine Aït Lahoussine, ministre du Pétrole. Ancien président, lui aussi, de la Sonatrach, considéré comme un des meilleurs experts internationaux, il s'était installé à son compte, à Genève, au début des années quatre-vingt et jusqu'à son entrée dans le gouvernement formé les 17-18 juillet. Rude choc pour de nombreux Algériens. Même le Front islamique du salut (Fis), pourtant partisan proclamé de la libre entreprise, au point d'avoir défendu et soutenu les « trabendistes » (du néologisme algérien trabendo, «contrebande »),a démagogique ment protesté. Mais le monde entier a brusquement pris conscience que les centaines de décrets libéralisant l'économie, adoptés dans l'indifférence et le scepticisme par le gouvernement de Mou loud Hamrouche entre le 16 septembre 1989, date de son entrée en fonctions, et le 5 juin 1991, jour de sa démission, n'étaient pas des leurres. Sid Ahmed Ghozali est confronté à deux défis. Le premier est politique. En effet, après vingt-six ans de parti unique (3), l'Algérie est sans doute le pays arabe qui, à partir de 1989, s'est engagé le plus loin et le plus franchement dans l'expérience démocratique: une cinquantaine de partis reconnus dont une dizaine de formations islamistes; création de nombreux journaux, en arabe et en français, d'une grande liberté de ton; élections municipales et régionales libres, en juin 1990, marquées par la victoire du Fis et la défaite du FLN (Front de libération nationale). Il revient donc au premier ministre, nommé le 5 juin, en plein état de siège, de mener à son terme le processus démocratique en organisant des élections législatives, (( libres et honnêtes )), avant la fin de 1991 et, aussitôt après, des élections présidentielles anticipées. Lepari n'est pas gagné d'avance. Deuxième défi : la situation économique. M. Ghozali a lui-même noté que le pays fait face à (( la plus grave crisefinancière de son histoire )), avec une dette de 25 milliards de dollars dont le 79 ETUDES et REFLEXIONS Double défi pour l'Algérie service annuel est de 8 milliards! Or, les recettes d'exportations, assurées à 98 % par les hydrocarbures, ont été de quelque 12 milliards de dollars en 1990, sur lesquels 2,5 milliards ont été consacrés à l'achat de produits alimentaires. Les investissements n'ont cessé de diminuer, pour tomber à 10 milliards de dinars (3 DA = 1 FF) - soit, compte tenu de l'inflation (16,5% en 1990, selon les autorités), moins du quart de ce qu'ils étaient il y a dix ans. La croissance économique (2,4 %) reste inférieure à la croissance démographique (2,7 %), qui tend à baisser légèrement depuis un lustre. Dès lors, les répercussions sont graves sur le plan social. Le chômage atteint 1,5 million de personnes (dont 850 000 de moins de trente ans), soit 23 % de la population active. Les moins de vingt ans - 65 % des 25 millions d'Algériens - sont d'autant plus sensibles à la crise que les trois quarts échouent au baccalauréat et que les perspectives sont bouchées. Or, la société de consomma tion - à leur porte, mais hors de leur portée - les nargue quotidiennement : grâce aux antennes paraboliques, 8 millions d'Algériens - un sur trois - peuvent capter toutes les chaînes de la télévision française et, selon les régions, les chaînes maghrébines voisines et celles d'Italie et d'Espagne. Une revanche sur l'Histoire Quelques constantes historiques méritent d'être rappelées ici, car elles éclairent l'évolution de l'Algérie depuis l'indépendance, en 1962, et, par là même, la crise actuelle. Certaines lui sont spéci fiques, d'autres sont communes à tous les peuples du Maghreb, de sorte que les choix d'un pays risquent souvent d'avoir des répercussions chez les voisins. (( Nous sommes un peuple rebelle ii, nous avait confié Boume diene (4). Le fait est que l'insurgé d'hier et d'aujourd'hui bénéficie toujours de la révérence populaire: Massinissa, Micipsa, Juba, Fa raxen, Gildon, du temps des Romains,la Kahinaface aux cavaliers de l'islam, les frères Barberousse à l'époque de la course, l'émir Abd el Kader au début de la colonisation française, en 1830,et les multiples 80 ETUDES et REFLEXIONS Double défi pour l'Algérie organisateurs de rébellions ensuite, Ben Bella et les autres chefs du FLN, en 1954, ont leurs noms inscrits dans la mémoire collective. Grand comme cinq fois la France (2,5 millions de km-), le pays a toujours été la proie des forces centrifuges qui ont, sauf rarissimes exceptions, empêché l'établissement d'un pouvoir central fort. Il est significatifque, depuis l'avènement de l'islam, au VIle siècle, toutes les grandes dynasties maghrébines ont été ancrées au Maroc, à l'ouest, ou en Tunisie, à l'est. Cela pourrait expliquer que, après trois siècles de tutelle ottomane, cent trente-deux ans de présence française (1830-1962) et une guerre de libération de huit ans sans équivalent dans le reste du monde arabe, Boumediene ait incarné, de 1965 à sa mort en 1978, la volonté des Algériens de prendre une revanche sur l'Histoire : jacobin, il a cherché avec une rare opiniâtreté à faire de l'Algérie la grande puissance régionale de la fin du XXe siècle, afin qu'elle s'impose comme le fédérateur du Grand Maghreb. Elle est d'ailleurs le seul pays à avoir une frontière commune avec les quatre autres Etats qui constituent l'Union du Maghreb arabe. Autre constante, religieuse celle-là. Sous la domination romaine, les Berbères - ils se nomment eux-mêmes Imazighen, ou hommes libres - conservent leurs coutumes et restent fidèles à leurs divinités. S'ils se convertissent au christianisme, c'est par opposition à la Rome impériale. Chrétiens, ils embrassent, dès le IVe siècle, le donatisme, schisme égalitaire prêché par l'évêque Donat qui dresse les pauvres cultivateurs berbères contre les riches colons romains et inspire leur révolte contre le christianisme de Rome, religion du pouvoir et des villes. Le phénomène se reproduit au VIle siècle : après une phase de résistance (la Kahina), l'adoption du Coran exprime le rejet de Byzance la Grecque et de Constantinople, siège de l'Empire romain d'Orient. Musulmans, les Berbères embrassent aussitôt le schisme kharidjite, miroir du donatisme : intransigeance doctrinale, égalité absolue des croyants devant Dieu, rejet du califat héréditaire, rigorisme moral. Les kharidjites sont bien les « puritains de l'islam ». En adhérant à cette doctrine, les Berbères témoignent de leurs particularismes et situent sur le plan religieux leur opposition au pouvoir politique, incarné par les représentants de Damas puis de Bagdad, sièges successifs du califat. Le kharidjisme (sauf au M'Zab 81 ETUDES et REFLEXIONS Double défi pour l'Algérie et à Djerba, en Tunisie) sera éliminé par le chi'isme. Contestataire par essence, ayant la passion du martyre - le chahid -, encore à l'honneur, le chî'isme a constitué dans l'histoire de l'islam un contre-pouvoir. On ne s'étonne pas qu'il ait séduit à son tour paysans, montagnards et pasteurs berbères de 908 à 1171. Et lorsque les Almoravides (1050-1147), partis de Mauritanie, rétablissent progressivement l'orthodoxie sunnite, majoritaire en islam, ils optent pour le malikisme. Particulièrement strict, ce rite adopté massivement fait confiance au consensus des savants mais, surtout, accorde une importance particulière à la coutume - ourj- et aux pratiques locales avec leurs zaouias (confréries) et leurs marabouts. Par leur discours moral et égalitaire, les dirigeants islamistes font indéniablement vibrer aujourd'hui la fibre de la justice sociale, si populaire. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, à côté du Fis, se sont constitués sept ou huit autres partis, moins importants il est vrai, se réclamant aussi de l'islam radical. Là s'arrêtent les analogies avec les lames de fond kharidjite, chî'ite, malikite : l'islamisme est surtout un phénomène urbain et, malgré ses succès, il est loin d'entraîner l'adhésion de l'ensemble des populations (5). Trois ans de désordre Revenons à l'indépendance. Chef charismatique mais brouil lon, Ben Bella a laissé, non sans panache, s'installer le désordre pendant trois ans. Idéologue austère, Boumediene l'écarte et s'em pare du pouvoir le 19 juin 1965.