DU MÊME AUTEUR

On a assassiné M. le Maire (roman). Éd. Mignard, Paris. Le Mort jouait de la clarinette (roman). Éd. Mignard, Paris. Contes à mes neveux. Éd. Lorelle, Ruffec. Avec une préface du colonel Rémy (ouvrage couronné par l'Académie française). Contes de mon curé. Éd. Noblet. Avec une préface de Michel de Saint-Pierre. Dire l'Angélus. Éd. Mignard. Honoré d'une bénédiction spéciale de SS Jean XXIII. Vers la Corée interdite. Pierre Aumaître, martyr. Éd. Lorelle. L'humour en soutane, en collaboration avec Hervé Nègre. Éd. Fayard (traduit en italien, allemand et espagnol). (Tous ces ouvrages sont épuisés.)

Tusson et alentours au XVIII siècle. Du lérot, éditeur, Tusson, 1986. En préparation : Tusson moderne et souvenirs. ROGER DUCOURET

TUSSON ET ALENTOURS des origines au XVIII siècle

DU LÉROT, éditeur RUE DU LOGIS, TUSSON, © ÉDITIONS DU LÉROT, 1989. A Madame la baronne De Barthélemy de Gramont, hommage déférent et bien cordial de ces pages auxquelles elle s'est intéressée. R.D.

LETTRE DÉDICATOIRE

Chers amis, C'est encore à vous, mes chers anciens paroissiens, que je dédie les pages de cette trilogie sur Tusson. Déjà vous avez lu Tusson et alentours au XVIII siècle dont le but, en bouscu- lant quelque peu l'ordre chronologique, était de vous prépa- rer à l'anniversaire des événements que nous allons commé- morer (1789-1989) — qui vit chez nous de si profonds bouleversements. Maintenant voici Tusson et alentours des origines au XVIII siècle. Ensuite, si Dieu le veut, il y aura le Tusson moderne. Et la boucle sera bouclée... Nous faisons mentir un certain adage qui atteste que «les peuples heureux n'ont pas d'histoire». Nous devrions être très à plaindre, car nous nous enracinons très profondément dans le passé : notre forêt gauloise et, particulièrement, nos monuments mégalithiques nous le disent chaque jour. En réalité nous sommes écrasés par notre passé. Le Moyen- Age nous a vus naître, nous en avons connu les heurs et les malheurs. Notre Renaissance n'a pas été toujours rose. Pour- tant une certaine aisance nous est venue par elle. Quant à notre XVIII siècle, vous savez comment les choses se sont passées et quelles ruines ont été accumulées... En 1988, lors de la «Journée» (que j'appelle la «Fête des Anciens» de T usson ), j'ai eu l'occasion de lancer un «scoop» après les «discours-apéritifs» de M. Vinzent, notre maire et de M. Durepaire, conseiller général du canton d'. Mes intuitions, depuis longtemps, mes recherches, l'autorité de Brantôme m'ont permis de situer la «belle demeure» qu'a- vait fait bâtir, lors de ses passages fréquents, la reine de Navarre, la Marguerite des Marguerites, dans notre localité, pour sa suite. La reine, elle, descendait au couvent. L'équipe du groupe MARPEN, que dirige si intelligemment Jackie Flaud, restaure cette demeure historique pour notre plus grand profit. «Le visage de ce monde passe», nous dit Saint Paul. Nous passons avec lui. Il n'y a que les poètes qui demandent, sans grand succès, au Temps, de suspendre son vol! J'ai écrit un peu ces pages pour les jeunes générations qui nous «pous- sent de l'épaule», comme l'écrit Bossuet. Les jeunes, en effet, croient que l'histoire commence avec eux. Elle les précède, ils la font, elle les suit... Ils appartiennent à une terre, à un vieux village qu'ils conserveront et apprendront à aimer. Ils y connaîtront la douceur d'y vivre. Ah! chers amis, comme nous avons été heureux d'être ensemble ! R. D. TUSSON

Le savant professeur Coquard qui enseignait la géologie et la minéralogie à la Faculté des Sciences de Marseille, dans sa Description physique, paléontologique et minéralogique du département de la Charente, écrivait ceci en 1862 : «Tusson, canton d'Aigre, superficie: 1396 hectares, 36 ares. Population : 965 habitants (nous disons bien en 1862, car aujourd'hui, depuis le dernier recensement, il n'y en a plus que 389), occupé par l'étage jurassique moyen et les terrains tertiaires. Moêllons. Altitude: 165». Comme tous les chemins mènent aussi à Tusson, signa- lons que le même professeur Coquard analysait notre struc- ture routière en des termes fort érudits : «De la formation jurassique, qui est entièrement compo- sée de bancs calcaires, les bons matériaux sont rares, surtout dans les étages supérieurs où les calcaires argileux prédomi- nent et où les terrains tertiaires qui sont les magasins les plus abondants en cailloux siliceux ne constituent que quelques dépôts isolés ; aussi les routes qui traversent les communes occupées par ces étages (telle celle de Tusson) sont boueuses et creusées par des ornières profondes qui rendent la circula- tion difficile. Cet inconvénient se produit surtout dans les cantons d'Aigre, de et de Saint Amant-de- Boixe», etc. Rappelons que ce texte était écrit en 1862. De nos jours nos chemins sont si carrossables que les touristes seraient facilement tentés de traverser le village à vive allure. Nous avons eu en main, certain jour, une carte postale du bon vieux temps représentant la rue principale de Tusson : toute une basse-cour y picorait... Où sont les routes d'antan ?... Si nous ajoutons que le bourg est coupé par la nationale numéro 736, qu'une forêt, dite «de Tusson» (alors qu'elle est en majorité sur le territoire de Villejésus) la jouxte et qu'elle est, sans risque d'erreur, une «forêt gauloise», nous aurons une carte d'identité fidèle de ce village qui a traversé l'histoire de Nous nous en voudrions d'être pédant en un ouvrage que nous écrivons d'une manière familière et décontractée et qui tiendra autant de l'histoire elle-même que de la chronique, mais en souvenir des scolastiques de notre jeunesse, nous allons procéder à leur manière (quoad nomen, quoad rem) : le «nom» et l'«objet en soi» qui, — celui-ci — sera la subs- tance de tout ce travail.

Le nom de «Tusson» ? D'où vient ce mot ? En réalité nous l'ignorons et pourtant nous voyons que, dans les chartes du Moyen-Age, ce mot se décline comme un substantif de la troisième déclinaison: Tucio, Tucionis, etc. Certains vou- draient que «Tusson» fût un nom celtique (ou gaulois).

1. Quant au sous-sol de Tusson et alentours, voilà comment le professeur Coquard, s'introduisant chez nous par Luxé et Ligné, le voyait : «Luxé est en plein dans les calcaires lithographiques et on peut observer qu'en face de Ligné il recouvre l'étage corallien, dont les bancs supérieurs s'annoncent par des blocs très volumineux avec diceros arietina et périnées, que l'on trouve épars au milieu des champs» (pp. 282-83). «En entrant dans la forêt de Tusson par la route d'Ébréon, on remarque, intercalés d'une manière irrégulière et ininterrompue, des bancs fort épais d'un calcaire à grains fins et miroitants, de couleur foncée, carié et caverneux par place à la manière des cargneules. Il est traversé par des veines de carbonate de chaux contenant çà et là quelques nids de baryte sulfaté lamellaire, blanc-rosâtre.» «...La forêt de Tusson pousse sur le calcaire lithographique à couches plates. Cependant en face de la Croix-Blanche, il admet quelques bancs oolithiques ; vers Bessé, on atteint la base qui est argileuse et dans laquelle j'ai rencontré une bélemnite B Troslayanus, un Sptychus et l'Ammonite Cymodoce. Les argiles remontent jusqu'au-dessus de Souvigné, car en des- sous du moulin à vent, on les voit venir s'appuyer, près de Fontdouine (Fontdouce) sur le corallien supérieur (que nous avons décrit).» Coquard, Description physique, géologique, paléontologique du département de la Charente, Éd. Barlatier-Feissat et Demondy, Marseille, 1862, tome 2. Des spécialistes ne le pensent pas, encore que l'hypothèse ne soit pas exclue, car géographiquement nous étions situés dans cette partie de la Gaule, entre Seine et Garonne, qui s'appelait la «Gaule Celtique». Cette hypothèse peu fondée laisserait le pas à cette autre : un personnage gallo-romain aurait vécu là. De même que Ruffec viendrait de villa Rufiaci (la propriété de Rufiacus), Tusson se serait appelé ainsi parce qu'un dénommé Tucio aurait habité là (villa Tucionensis). Il est permis de rêver. Cette dernière opinion est émise par un dictionnaire ency- clopédique sérieux Après avoir envoyé son lecteur à «Tuchan», il pense qu'il s'agit du nom d'un homme latin (avec u long, suffixe annum). Quant à l'orthographe du mot Tusson, elle est assez fantai- siste jusqu'au XIX siècle. Certaines chartes comme telle ou telle concernant Marcillac-Lanville parlent de «Tuzzio». Une carte géographique du «Poictou» (la carte d'Ortelius, de 1579), écrit «Tusson» à la moderne. Très souvent les histo- riens des XVII et XVIII siècles orthographient Tusson de cette manière : «Tuçon». Nous ne parlons pas d'un certain Dictionnaire Universel (heureusement épuisé) qui ortho- graphiait Tusson ainsi : «Tuçon», mais le plaçait à des lieues de chez nous...

Sans sortir du sujet absolument, et songeant avec la mémoire du cœur aux lecteurs des alentours qui, espérons-le, nous lirons, nous pensons à l'étymologie de certains villages dont nous avons partagé la vie pendant des années : Bessé ne vient pas de «Lieu bas». Qui, l'hiver, aurait traversé (pendant la guerre 1939-45 notamment) les chemins, voire la place du village, eût pu l'imaginer tel, tant on patau- 1. Dictionnaire Encyclopédique Larousse, sélection du Reader's Digest (21 volume). Pour J. Géméon, Tusson (Tucio, Tussion et Tuzconium) viendrait vrai- semblablement de Tutor, défenseur, protecteur, gardien, ou Tutatio : pro- tection (Essai d'Épigraphie latine, La Charente et l'Aquitaine à l'époque gallo-romaine, Éd. Lachanaud, Angoulême, 1958). geait dans une boue homérique ! Bessé viendrait, d'après le Dictionnaire cité plus haut, d'un «nom d'homme: Bus- siaco». Même origine que Bassac en Charente. Il en est ques- ton dans une charte de l'année 855 — ce qui indique que Bessé n'est pas né de la dernière pluie... Ligné, dont le nom autrefois était accolé à «Les Bois» (Ligné-les-Bois) — ce qui paraîtrait devoir être un plé- onasme puisque lignum signifie bois dans la langue de Cicé- ron — viendrait également, d'après le même dictionnaire, du nom d'un homme gallo-romain. Il en serait question dans un Cartulaire de Loire-Atlantique («Lingiacum», 1123). Les chartes portent «de Leigniaco», s.d. L'abbé Gaudin, notre ami, ancien curé de , et très versé en ces matières, avait émis jadis l'opinion que Ligné signifiait peut-être qu'il s'agissait là d'un «lieu planté de lin». Il en fut ensemencé effectivement pendant des siècles. Mais c'était aussi le cas de toutes les terres de la région. L'azur du lin remplaçait le jaune de nos colzas d'aujourd'hui. Charmé (autrefois Chermé) devrait son nom à un lieu planté de charmes. Ébréon. Ce mot serait d'origine celtique. De tous les vil- lages entourant Tusson, on peut dire qu'Ébréon est le plus ancien. Le porche (seulement le porche) de son église l'atteste puisque pour certains il serait du IX en tout cas sûrement du XI siècle. C'est l'opinion très fondée de ce spécialiste qu'était notre ami Charles Daras. Saint-Fraigne ne vient pas de Fronimius, ou Fremonius (qui aurait été martyrisé dans la région d'Angoulême au VI siècle : les adorateurs de Bacchus, selon une pieuse légende, lui ayant crevé les yeux). Saint-Fraigne vient de Fremerarius (Saint Fronyme). En réalité le nom primitif de Saint-Fraigne était «L'Ile» (allusion à la dépendance du petit monastère de Saint-Fraigne au monastère de l'île de Noirmoutier) Les Pouillés (anciens et modernes) se mettraient donc, si l'on peut dire, le doigt dans l'œil ! 1. Cf. Le Pays Poitevin, avril 1894 et la communication de l'abbé Legrand à la S.A.H.C., L. XVIII, 1899. 2. Nous pourrions en ce qui concerne les communes voisines continuer ce petit jeu des étymologies : Aigre viendrait d'Aygue (eau). Elle n'y manque pas ! Notre patois quand il désigne une importante rosée parle d'«égaille». Tusson avant d'avoir une histoire a eu une préhistoire. Cette science de la préhistoire est relativement récente. Napo- léon III fut un de nos rares souverains à s'y intéresser. Sous son règne Jacques de Boucher de Crève-Cœur de Perthes (décédé en 1868) qui contribua à créer le musée de Saint- Germain (dans les vitrines duquel figurent maints objets découverts en Poitou-) peut être regardé comme le père de la science préhistorique. Il a eu des disciples un peu partout. En Charente nous avons vu se lever une phalange de fouilleurs qui allaient des membres de certaines grandes familles des environ à des bourgeois ayant loisir et compé- tence, comme Chauvet, notaire à Ruffec, ou le professeur Lièvre, ou A. Favraud qui avait des attaches familiales à Tusson. La liste n'est certes pas exhaustive. De nos jours ils ont des émules heureusement mais n'importe qui ne fouille plus n'importe quoi, ni n'importe comment comme cela se faisait autrefois. Dans ce domaine, tant la prudence est de rigueur, nous avançons «à pas de colombe». Que les spécialistes nous pardonnent nos erreurs possibles : on n'est pas en cette matière à cinq mille ans près !

Fouqueure viendrait de Vulcanus Caesaris (ou Fulcanus, le v se confon- dant avec le f). On devait y cuire des briques en abondance. Des recherches récentes du D Minier, habitant le manoir du Palliée, à , nous retenons que des biens appartenant, entre autres, au tem- porel des moniales de l'abbaye Sainte-Croix de Poitiers, fondée par Sainte Radégonde au VI siècle, étaient relevés à Fouqueure. Il est question dans un document du XII siècle de «l'église et de la cour de Focoira». On aurait ainsi la plus ancienne transcription connue en latin populaire de Fouqueure (que les Gaulois avaient désigné depuis longtemps par Volca duro : maison forte de Volca). Les lois de la phonétique expliqueront les formes évolutives du mot (o en ou ; v en f; disparition du d médian, etc.) pour aboutir au roman vers le IX siècle puis au français : Foulqueure, Fouqueure. Luxé : Locus Caesaris. Les innombrables vestiges romains qu'on y trouve ne le contrediraient pas. Villejésus. C'est la ville de Jérusalem, la ville de Jésus. N'oublions pas que s'y trouvait une commanderie de Templiers (les hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem). : le saut du loup (lupi saltus). Etc., etc. Notre sous-sol à Tusson n'a pas encore été scientifique- ment exploré à la bêche (légère) et à la cuiller à café. Il n'a pas dit son dernier mot, loin de là. Tusson, avant d'être un «village-dortoir», comme l'accusation en a été faite après la dernière guerre, a été en quelque sorte et en toute vérité une de la préhistoire. Lorsque nous regardons du côté de l'est, sa ligne d'horizon mamelonnée, nous voyons se profiler des monticules recou- verts de végétation, véritables agglomérats de pierres et de terre. Ce sont nos tumulus : le Gros Dognon (qu'il ne faut pas confondre avec celui de Ligné), le Dognon, la Grande Jus- tice, la Petite Justice. Toutes les hypothèses ont été faites à leur sujet. Les plus fantaisistes ont vu là des amas de pierres semblables à ceux que les paysans ont accoutumé de dresser en lisière de leurs champs pour assurer à leur sol un meilleur rendement et qui auraient pris ces dimensions particulières. D'autres, plus réalistes, ont pensé qu'il s'agissait là, comme à Varaize (Charente-Maritime), de bornes qui ser- vaient aux légions romaines en marche. La nuit, des feux étaient allumés sur ces hauteurs... Il se pourrait que nos Dognons eussent pu servir, sous l'occupation romaine, à cela — encore que rien ne permet de l'attestera Tout peut servir à tout. Le spectateur, juché sur le Gros Dognon de Tusson, est à même, du haut de ce promontoire, de jouir d'un admirable panorama : par temps clair, il lui arrive d'apercevoir Angou- lême. Mais le Dognon en question n'a jamais été érigé là pour être un point d'observation. Nos tumulus sont des sépultures néolithiques. Il faut faire éclater les limites de nos communes et voir ces monuments dans un plan d'ensemble. C'était l'avis de notre vieil ami Germain Gaborit, du manoir du Palliée de Fou- queure, ancien président de la S.A.H.C. Il était très impres- sionné par un certain «mouvement» que faisaient selon lui les monuments mégalithiques de notre région. Il en

1. F. Marvaud, professeur au lycée impérial d'Angoulême, dans son intéres- sante Petite Géographie du département de la Charente (Éd. Baillarger, Angoulême, 1860) voyait à tort dans nos tumulus des monuments de l'épo- que gallo-romaine recouvrant ordinairement les corps de quelques guerriers gaulois ou romains... égrenait les noms dans ses conversations avec un enthou- siasme qu'il nous faisait partager. Dans cette liste des tumu- lus et dolmens, il voyait un symbole mystérieux. Un sens mystique. Percera-t-on jamais leur secret ? Nos tumulus et leurs homologues ainsi que les dolmens régionaux (dolmen du breton dol, table, et men, pierre) qu'il faut avoir vus, appartiennent non pas à l'époque éolithique (période de la pierre éclatée), ni à la période paléolithique (période de la pierre taillée) mais comme nous le disions plus haut, à la période néolithique, c'est-à-dire celle de la pierre polie (âge qui a duré, croit-on, plus de six mille ans). Ensuite viendront l'âge du bronze et l'âge du fer. Pour ne pas sortir outre mesure du cadre d'une étude locale et s'égarer dans une histoire régionale qui nous emmènerait trop loin, contentons-nous, puisqu'il y aurait, semble-t-il, dans ces monuments mégalithiques, une certaine orienta- tion, d'énumérer les specimens de notre ruffécois, en com- mençant par Tusson, Bessé et Ligné. Voilà un agréable but de promenade dominicale pour une famille un peu curieuse ! Nous les énumérons avec G. Gaborit, et le concours d'un bulletin mensuel de la S.A.H.C. de 1808 (n° 6). Nous nous appuyons également sur la carte qu'a dressée notre ami Mau- rice Planchet, de Ligné, chercheur invétéré. Nous mêlons — paradoxe ! — pour plus de clarté tumulus et dolmens. La plupart du temps il n'y avait pas de tumulus sans dolmen (qui s'y trouvait enfoui) à moins qu'il ne se profilât à l'hori- zon. Notons au départ que les spécialistes divisent les tumu- lus en deux catégories : les tumulus oblongs et les tumulus circulaires. Ceux de notre région semblent ressortir aux deux genres.

À Tusson. À tout seigneur tout honneur : le Gros Dognon. Il n'est pas totalement inviolé. Il est encore couronné de ses branches chevelues, il a encore bien des secrets à nous livrer.

1. Si l'on croit le Grand Larousse cette civilisation néolithique des méga- lithes se serait répandue dans l'ouest et le nord de l'Europe, à partir des régions méditerranéennes, vers le III millénaire. Cela même, dit-on, pour- rait se situer au-delà. 2. Notre compatriote de Bessé, M. Brigot, de Saint-Ciers, a trouvé dans les sables de sa carrière des ossements d'un éléphant de cette époque. Notre Gros Dognon, bien que du genre oblong, a une altitude telle qu'on l'a dit être «le plus haut d'Europe», ce qui est de surcroît, un bon argument touristique. Ce tumulus-roi est, d'après la description qu'en a faite Lièvre, fort précise, «une énorme masse de cent cinquante mètres de long, de cinq de large et de dix de haut». En s'appuyant sur des monuments similaires (tumulus de Barnenez-en-Pouhezac, tumulus de Bougon Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres) M. Gomez de Soto, professeur d'arché- ologie à l'Université de Poitiers, un spécialiste très averti, pense qu'on peut «radioscoper» le Gros Dognon, de cette manière: il doit avoir une ouverture à l'est, un couloir qui conduit à la «Cella», avec des murs de soutènement. Lui fixer un âge? C'est bien difficile. Jusqu'à ces derniers temps, en conduisant des touristes amis en promenade vers cette curio- sité locale, nous parlions, avec la crainte d'exagérer, de deux ou trois mille ans d'âge. M. Gomez de Soto pense, lui, que sans grand risque d'erreur, on peut parler de quatre à cinq mille ans avant Jésus-Christ. Peut-être plus ? Une récente étude sur Bougon situe son tumulus à 7000 ans avant J.C. Qu'y a-t-il là-dessous? Sûrement pas un «veau d'or», comme le suggéraient (peut-être une réminiscence bibli- que?) certains anciens de Tusson. Nous l'ignorerons abso- lument tant que cet amas n'aura pas été prospecté de haut en bas. Probablement se cache-t-il là un dolmen important avec sa chambre sépulcrale, ses ossements, son «mobilier», c'est- à-dire les différents objets qui accompagnaient la dépouille des défunts: armes, silex taillés, bijoux, poteries, etc. On imagine comment dans cette fouille bien menée du Gros Dognon la récolte sera abondante. On pense communément, en raison de l'importance du monument, qu'un chef de tribu, un conquérant de renom de l'époque, gît là-dessous. Il arrivait qu'à la mort de certains grands personnages, on tuât ses esclaves, ses familiers, pour l'accompagner dans son éter- nité. On risque de faire des découvertes curieuses. Mais ne fabulons pas... Par manière d'éclairage indirect la fouille effectuée en 1874 par Lièvre dans le tumulus de la Garde, à Luxé, pourrait nous donner une idée de ce que contient son voisin, notre Gros Dognon. Ce tumulus de La Garde, quoique de moindre importance, ressemblait au nôtre et la distance est relative- ment faible entre Luxé et Tusson. Disons d'abord que le tumulus de La Garde n'abritait pas un mais plusieurs squelettes. Lièvre émit alors l'hypothèse qu'il s'agissait là d'une sépulture où des générations succes- sives avaient apporté leurs défunts. Un genre de fosse com- mune en somme. Voici une énumération succinte des objets trouvés dans ce tumulus de La Garde. On croirait entendre du Prévert : Un couteau en silex; une hachette de grès (comme à la Boixe) ; des lances diverses ; six têtes de lance en silex ; quatre jolies flèches à ailerons ; des grattoirs ; un perçoir ; des amu- lettes ; dix défenses de sangliers dont une devait probable- ment servir d'ornement; une aiguille en os, etc., etc. Notre Gros Dognon à quelques détails près, devra sans doute receler des objets semblables lorsque la permission de la fouille aura été donnée. Tous nos monuments mégalithi- ques ont été inscrits à l'Inventaire des Monuments Histori- ques par André Malraux, lorsque ce dernier était ministre de la culture du général de Gaulle. À Tusson, outre ce Gros Dognon, citons le tumulus du Bois Monjeaud (sur le petit chemin qui va rejoindre la route de Tusson à Fouqueure) avec sa pierre de trois tonnes. Il a été fouillé par les frères Planchet, de Ligné. Dans la litanie de nos tumulus, citons aussi la Grande et la Petite Justice (ou Petit Dognon). Avec Lièvre qui, en 1889, s'est penché avec sérieux sur ces différents vestiges, nous disons que le Petit Dognon est «long de quarante-cinq mètres et large de trente», qu'il a été «coupé en son milieu» par le propriétaire de l'époque pour établir un chemin d'ex- ploitation et peut-être se rendre compte de ce qu'il pouvait recéler Citons le Vieux Breuil, «motte de cinquante mètres de long sur vingt de large», nous dit notre guide. «Ce tertre, au nord, termine l'alignement, il est complètement déformé» et n'a que vingt-cinq à trente mètres de diamètre. «On l'appelle La Justice, ce qui semble indiquer qu'il fut sous la féodalité un lieu d'exécution ; et c'est peut-être pour y établir les 1. Exploration Archéologique du département de la Charente. Canton d'Ai- gre. Cf. également le Bulletin de la S.A.H.C. (année 1889, t. VI). fourches patibulaires qu'on l'a tronqué...» Lièvre, là, semble en rajouter et nous emmène en plein cauchemar. Nos reli- gieuses fontevristes qui furent les seules «féodales» de Tus- son et ses seuls seigneurs jusqu'à la Révolution n'avaient que le droit de basse et petite justice. À Bessé, nous n'aurions garde d'oublier la Grosse Pierre ou la Pierre Blanche située à la jonction des communes de Bessé, Tusson et Charmé. «Il est à remarquer, écrit G. Gabo- rit, dans son Inventaire archéologique de la frontière Angoumois-Poitou-Saintonge, que le dolmen de la Pierre Blanche, commune de Bessé, est placé dans l'axe des quatre tumulus de Tusson». «Ce bloc, note Lièvre, dont un morceau détaché depuis longtemps a été récemment enlevé, mesurait quatre mètres et demi de long. Il en a à peu près quatre de large et plus d'un et demi d'épaisseur. Il ne repose plus maintenant, par un bout, que sur deux supports. «Dans des terres fraîchement retirées de l'enceinte sépul- crale, le propriétaire du champ a ramassé sous mes yeux un petit bronze de Constantin.» (Lièvre, op. cit.) Cette trouvaille du pasteur Lièvre n'implique pas que ce tumulus ait eu quelque rapport avec l'occupation romaine, pas plus qu'on ne saurait dater la Pyramide de Chéops (bien postérieure à l'âge de la Pierre Blanche) par une médaille de saint Christophe qu'un touriste eût pu perdre à ses pieds. Il n'est pas rare, en effet, de rencontrer aux environs des monuments préhistoriques, des vestiges gaulois ou romains. Ces pierres mystérieuses étaient des «lieux sacrés» dont s'ap- prochèrent les générations des civilisations successives. Ces lieux connurent sans doute des liturgies païennes druidiques (on accusait les druides de faire des sacrifices humains), ou romaines. Nous y emmenions quelquefois en promenade les enfants des catéchismes et y disions une dizaine de chapelet. Quant aux noms des amoureux gravés dans la pierre, ils n'ont rien à voir avec la préhistoire... En Bretagne et dans notre Poitou natal, la religion nou- velle (celle du Christ) s'empara souvent des récits légendaires pour y ajouter ses propres légendes, — lesquelles, sou- lignons-le, ne sont pas du domaine de la foi. 1. Éd. Coquemard, Angoulême, 1954. Notre Pierre Blanche de Bessé n'y échappe pas si l'on en croit La France mystérieuse. La Sainte Vierge, en ouvrant son tablier, aurait laissé tomber ce gros caillou sur nos terres... De nombreux conciles locaux, tels ceux d'Arles (en 452), Tours (567), Nantes (658), Tolède (681-682) et les décrets de 789 de Charlemagne jetèrent l'anathème et l'excommunica- tion sur ceux qui rendaient un culte aux arbres, aux pierres (dolmens, menhirs) et aux fontaines, comme à cette fontaine dite «le bénitier des fées» (fontaine gauloise) de Juillé. À la fin du XVI siècle, le célèbre jésuite Le Noblez, évangélisant la Bretagne, rencontrait des gens qui rendaient encore un culte aux pierres — et il n'en manque pas Faut-il enfin signaler, encore à Bessé, et pour déplorer sa disparition récente, due probablement à l'ignorance, un tumulus à La Chize... À Ligné, le principal monument mégalithique est le Gros Dognon — ainsi l'appelle-t-on, à l'instar du nôtre : un tumu- lus qui recouvre un dolmen. Il a été maintes fois exploré. Et récemment d'une manière scientifique par notre ami Mau- rice Planchet avec toutes les autorisations voulues. À Luxé — car il n'y a pas de frontières communales en préhistoire — signalons : La Motte-de-la-Garde. Ce tumulus serait plutôt du genre circulaire, orienté Est-Ouest avec cinquante mètres de lon- gueur, vingt-sept mètres de largeur et quatre mètres de hau- teur. «La chambre sépulcrale, nous dit G. Gaborit, est placée à l'extrémité. Fouillé en 1874 par Lièvre, ce monument a fourni (nous l'avons vu) un nombre appréciable d'objets dont l'énumération donne soixante-neuf numéros». Le tumulus de La Folatière au nord du village : un gros amas de pierres et de terre, de plan ovale très allongé d'est en ouest. «Il aurait servi de carrière, nous dit Gaborit, pour la 1. Éd. Tchou. En 1889, Lièvre (op. cit.) signale qu'à environ cinq cents mètres de la Pierre Blanche, sur le prolongement de la même ligne, et à la lisière d'un taillis, on voyait les supports, à demi renversés, de deux dolmens qu'on a détruits en creusant un fossé et qui servaient également à signaler la limite de la commune. Ces pierres semblent avoir disparu. 2. Cf. Le Rouzic (qui a fait sur la question une intéressante plaquette). Dans ce premier volume de sa monographie de Tusson, l'abbé R. Ducouret évoque ce que pouvait être la vie des premiers habitants de la région, telle que permettent de la comprendre les nombreux vestiges préhistoriques, de la plus petite pointe de flèche aux immenses dolmens et tumuli. L'époque gallo-romaine, riche également, puis la naissance de «la foi de nos pères», les invasions barbares et les aléas de la villa tucionencis, premier Tusson, sont décrits tour à tour, jusqu'à la fondation de Fontevrault suivie de très peu de celle de l'abbaye de Tusson par Giraud de Salles. Autres figures importantes de l'histoire de Tusson: la reine et écrivain Marguerite de Navarre, qui y séjourna, et plus tard, au XVII siècle, Nicolas Pasquier, avocat polygraphe, qui nous per- met de suivre un épisode judiciaire ayant opposé les dames de Tusson à l'abbaye-mère de Fontevrault. Nombreuses illustrations in et hors-texte.

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