Histo Ire 1 Chapitre L'historien Et Les Mémoires De La Seconde Guerre Mondiale En France
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Chapitre 1 L’historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France Histoire IntroductionIntro L’Histoire est une mise à distance qui construit de manière intellectuelle le passé, le problémaƟ se. C’est une discipline savante, qui entreƟ ent avec le passé un rapport objecƟ f, neutre, sans passion. Elle s’appuie sur une démarche qui peut se décomposer en quatre tempsര: la recherche de la vérité, la compréhension, l’interprétaƟ on et le croisement des sources. À l’inverse, la mémoire est une noƟ on subjecƟ ve, déterminée par les sujets qui la conçoivent. Elle qualiĮ e le vécu tel que l’on se remémore. Elle a une forte teneur en émoƟ on et évolue perpétuellement entre le souvenir, l’amnésie et le refoulement. Elle ne permet pas de mise à distance et comporte une charge aī ecƟ ve importante. Ex. : témoignages. La mémoire et l’Histoire sont donc deux noƟ ons contradictoires, sources de vives tensions parƟ culièrement pour la période 1940-1944 en France et le traumaƟ sme de la défaite de l’été 1940 qui rompt l’unité naƟ onale. Les témoins peuvent lire aƩ enƟ vement les travaux historiques publiés sur la période mais sont souvent déçus par le manque d’émoƟ on et n’y recon- naissent pas ce qu’ils ont vécu. De plus, la mémoire de la Seconde Guerre mondiale en France est variée. Il existe des mémoires individuelles mais aussi collecƟ ves, diī érentes selon les personnes ou les groupes (résistants, déportés, collaborateurs, Français moyens, anciens du STO, « malgré-nous » alsaciens et lorrains, prisonniers de guerre) et leur relaƟ on avec l’événement. Elles se construisent, évoluent, et, éventuellement, entrent en concurrence. L’histoire de ces phénomènes est possible. 15 Elles obéissent à des rythmes, qui dépendent des phénomènes d’occultaƟ on, de « travail de mémoire » ou de récepƟ on et d’acceptaƟ on oĸ cielles des nouvelles mémoires. L’histoire de ces phénomènes est possible par la prise en compte des tensions elles-mêmes, des processus d’occultaƟ on et de leurs enjeux, des excès du débat public. En quoi, depuis 1945, la Seconde Guerre mondiale en France a-t-elle suscité des mémoires variées et parfois conŇ ictuelles, selon plusieurs périodes disƟ nctesര? I. Le mythe d’une France résistante de la reconstruction jusqu’aux années 1970 A. Le triomphe de la mémoire de la France résistante De la reconstrucƟ on du pays jusqu’aux années 1970, la mémoire de la France résistante triomphe et les autres mémoires sont rejetées dans l’oubli. Ce triomphe s’explique par la volonté du général de Gaulle (à la tête du gouver- nement provisoire de la République jusqu’en janvier 1946 puis Président de la République de 1958 à 1969) de restaurer l’unité naƟ onale comme l’aƩ este l’extrait de son allocuƟ on au soir du 25 aoûtര: « Paris൶! Paris outragé൶! Paris brisé൶! Mais Paris libéré൶! Libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l’appui et le concours de la France tout enƟ ère, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle. » Le procès de collaborateurs comme Pétain et Laval en 1945 permet de souder l’opinion publique contre le régime de Vichy. De Gaulle organise le culte des héros de la résistance au mont Valérien, où furent fusillés plus de 1ര000 otages. La volonté de réconciliaƟ on naƟ onale est visible à travers les lois d’amnisƟ e de 1947, 1951 et 1953. CeƩ e vision est rendue possible par la force du parƟ communiste (mythe du « parƟ des 75ര000 fusillés »), premier parƟ de France (entre 25 et 30 % de l’électorat). La thèse du double jeu de Vichy est défendue par le gaulliste R. Aron. Pour cet historien, « négociaƟ ons secrètes, télégrammes clandesƟ ns, mesures dilatoires, impossibles à percevoir par l’opinion, ne cessent de réduire la collaboraƟ on proclamée » (conclusion de son ouvrage inƟ tulé Histoire de Vichy, publié par Fayard en 1954). Le transfert des cendres de Jean Moulin, haut foncƟ onnaire chargé par de Gaulle d’uniĮ er la résistance française, au Panthéon en 1964 marque le temps fort de ceƩ e période. 16 En parallèle, les autres mémoires (celle des collaborateurs, des collaboraƟ on- nistes, des déportés) sont oubliées. La singularité du Génocide est occultée. La Į gure de référence du déporté est celle du résistant (La Bataille du rail de R. Clément en 1946). Le Į lm Nuit et Brouillard (1956) d’A. Resnais et J. Cayrol, qui aborde l’horreur du système concentraƟ onnaire et présente une vision univoque des vicƟ mes, sans disƟ nguer le moƟ f de leur présence, est révélateur de ceƩ e période d’une quinzaine d’années. Il n’y a pas de disƟ ncƟ on entre juifs, Tsiganes, homosexuels, malades mentaux. La scène où un gendarme français surveille un convoi de déporté y est censurée. EnĮ n, les travaux des historiens comme H. Michel, fondateur du Comité d’his- toire de la Seconde Guerre mondiale, sont surtout centrés sur l’histoire de la résistance. Henri Rousso qualiĮ e ceƩ e volonté de faire de la France un pays résistant durant la Seconde Guerre mondiale de « résistancialisme ». Histoire B. Les limites du triomphe de la mémoire d’une France résistante Ce mythe d’une France résistante présente, néanmoins, des limites. Des tensions ponctuelles émergent. Une parƟ e des résistants ressent de la rancœur face aux lois d’amnisƟ e. La libéraƟ on des « malgré-nous » en 1953 malgré leur condamnaƟ on au procès du massacre d’Oradour-sur-Glane provoque la colère des populaƟ ons du Limousin. Des mémoires sont oubliées. Certains témoignages comme ceux des prison- niers de guerre, des « vicƟ mes » du génocide et des résistants non gaullistes et non communistes, sont occultés. Des quesƟ ons comme la responsabilité de Vichy dans l’exterminaƟ on et la collaboraƟ on demeurent taboues. Certains cinéastes peuvent ébranler le mythe résistancialiste. Dans La Traversée de Paris (1956), C. Autant-Lara évoque le marché noir à Paris durant l’OccupaƟ on. EnĮ n, la spéciĮ cité du génocide juif commence à apparaître lors du procès d’Eichmann, ancien haut foncƟ onnaire du Troisième Reich chargé de la circu- laƟ on ferroviaire pendant la Seconde Guerre mondiale, en Israël en 1961 et 1962. 17 II. Le retour des mémoires refoulées à partir des années 1970 À parƟ r des années 1970, le mythe d’une France résistante s’eī ondre. La période du retour du refoulé s’ouvre. Elle remet en cause la mémoire gaulliste et permet la résurgence des autres mémoires, jusque-là oubliées. Un contexte parƟ culier explique ce changementര: le déclin du gaullisme et du communisme, l’arrivée à l’âge adulte de la généraƟ on née dans l’après-guerre, le mouvement de contestaƟ on de mai 1968 et les réacƟ ons suscitées par les thèses négaƟ onnistes (théories qui nient la réalité du génocide perpétré par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale). A. L’affirmation d’une mémoire de la Shoah La Shoah, « catastrophe » en hébreu, connue aussi sous le nom d’« holocauste » (« sacriĮ ce »), qualiĮ e l’exterminaƟ on systémaƟ que par l’Allemagne nazie des trois-quarts des juifs d’Europe. Longtemps refoulée, une mémoire du génocide juif émerge avec le procès d’Eichmann à Jérusalem et prend plusieurs caractérisƟ ques. Le Į lm Shoah de Claude Lanzmann en 1985 dure neuf heures trente et fait prendre conscience de l’horreur du génocide juif par des témoignages de rescapés, de bourreaux, ainsi que des photos de l’état actuel des lieux. Des personnalités comme Serge Klarsfeld, des associaƟ ons comme l’Asso- ciaƟ on des Į ls et des Į lles des déportés juifs de France militent en faveur de la mémoire de la Shoah. L’organisaƟ on de procès contre des responsables de persécuƟ ons anƟ sémites comme Klaus Barbie, ancien chef de la Gestapo à Lyon, en 1987, Paul Touvier, ancien milicien, en 1994, Maurice Papon, ancien haut foncƟ onnaire, en 1997 et 98, renforce l’aĸ rmaƟ on de ceƩ e mémoire. Les historiens fournissent alors des renseignements indispensables aux jurés pour comprendre le contexte historique. Jean-Pierre Azema, Robert Paxton et Marc Olivier Baruch acceptent de témoigner au procès Papon. Par contre, Henri Rousso refuse parce qu’il n’accepte pas son statut de simple témoin et qu’il considère que le travail de l’historien est diī érent de la démarche judiciaire. La mémoire collecƟ ve évolue. Contrairement à ses prédécesseurs, en 1995, le Président de la République Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’« État français » et de « Français » dans les persécuƟ ons contre les juifs. Le nom des 76ര000 juifs de France disparus est inscrit sur un mur à Paris dans le cadre du mémorial de la Shoah inauguré en janvier 2005. Le devoir de mémoire, c’est-à-dire le devoir civique de commémorer les crimes commis pendant la guerre, s’impose. 18 B. L’affirmation d’une mémoire d’une France collaboratrice En 1971, le Į lm de Marcel Ophuls, Le Chagrin et la PiƟ é, fait découvrir une France collaboratrice, pétainiste, et suscite de mulƟ ples polémiques. La télévision refuse de le diī user bien qu’elle l’avait commandé. Il se passe à Clermont-Ferrand et montre que les Français n’ont pas été tous résistants, ceux qui ont acclamé Pétain pendant la guerre acclament à leur tour de Gaulle à la LibéraƟ on. De même, Lacombe Lucien, réalisé par Louis Malle, raconte l’histoire d’un Į ls de paysan entré au service de la Gestapo.