L'académie Française Et La Libération
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ROBERT ARON L'Académie française et la Libération e 13 février 1945, l'Assemblée consultative consacre un débat à l'épu• L ration de l'Institut. Robert Pimienta conclut son intervention par cet assaut non déguisé : Je n'ignore pas qu'à l'Institut il y a des patriotes intrépides, deux, même trois d'entre eux sont mes amis et ont été plus ou moins mes complices. Mais aussi longtemps que l'Institut de France comptera dans deux de ses classes le plus criminel, le plus néfaste et le plus marquant de tous les traîtres, cela ne sera ni moral ni politique et l'Académie qui compte encore dans son sein ce misérable pourra, si bon lui semble, se réclamer de Sig- maringen (1) mais elle n'aura pas le droit de se dire française. Qu'avait donc fait l'Académie française pour provoquer un tel ana- thème ? Sous l'occupation, dans son ensemble, elle s'était mise en veilleuse. La dernière élection avait été, le 11 janvier 1940, celle de Paul Hazard, un grand universitaire que la mort devait empêcher d'être reçu officielle• ment. Jusqu'à la Libération, il n'y eut plus de nouveaux scrutins, et pen• dant toute la durée de l'occupation l'Académie, « ou tout au moins son noyau parisien de l'époque... a marqué une extrême tiédeur à l'égard de celui de ses confrères qui se trouvait placé à la tête de l'Etat (2) ». A l'automne 1940, une adresse comportant l'envoi de vœux officiels au maréchal Pétain fut écartée par huit voix contre trois, sous prétexte qu'il fallait éviter toute motion politique étrangère à la Compagnie. Paul Valéry animait alors « non sans nuances » l'action des opposants au nouveau régime de l'Etat français. Dès que ce refus fut connu en pro• vince, il suscita des protestations, particulièrement en zone Sud où rési• daient quelques immortels. Certains d'entre eux se déclarèrent « indi- (1) A cette date, le maréchal Pétain était encore détenu par les Allemands au château de Sigmaringen. Cf. Histoire de Vichy, p. 711 et suivantes. (2) Guy Raissac : Un soldat dans la tourmente, p. 398. 569 gnés » du « prétexte révoltant » allégué lors de cette séance tenue en petit comité. Malgré cette attitude de prudence, il se trouva, lorsque se termina l'occupation, que quatre membres de l'Académie française, un de l'Aca• démie des sciences morales et politiques et un de l'Académie des scien• ces posèrent des cas difficiles. C'était, à l'Académie française, Abel Bonnard, qui avait été ministre de l'Education nationale sous Vichy, Abel Hermant, qui s'était compro• mis en écrivant dans la presse collaborationniste de Paris ; c'était aussi et surtout, Charles Maurras, directeur de l'Action française, et, évidemment, le maréchal Pétain. Aux Sciences morales et politiques, il y avait, en plus de Pétain, membre des deux Académies, Joseph Barthélémy, ancien garde des Sceaux de Vichy ; à l'Académie des sciences, le savant Georges Claude, propagandiste convaincu de la collaboration (3). Dans l'effervescence qui suit la Libération, l'Académie française sem• ble partagée entre deux sentiments, agissant en sens contraire pour déter• miner son attitude. D'une part, chez certains de ses membres, en particu• lier chez le secrétaire perpétuel, Georges Duhamel, et chez Georges Lecomte, qui lui succédera en cette fonction, la crainte de la suppres• sion : celle-ci en effet est demandée dans des articles de journaux comme, par exemple, l'Aube du 19 septembre 1944, sous la plume de Max André : « // faut parler net. Je demande la dissolution de l'Académie française. Elle vient de se couvrir de honte. » Dans ses Mémoires de guerre (4), le général de Gaulle raconte qu'on le pressait d'user de ses pouvoirs pour rénover l'Académie, voire pour la supprimer : dans un entretien qu'il eut (5) avec Georges Duhamel, secré• taire perpétuel, celui-ci, après lui avoir exposé les difficultés de l'illustre Compagnie, ajoute : « Tout serait rendu plus facile si vous-même acceptiez, d'en• trer à l'Académie. » Avec beaucoup de considération, j'écartai cette perspective. « Le chef de l'Etal, répondis-je à Georges Duhamel, est protecteur de l'Académie. Comment en devien• drait-il membre ? Et puis de Gaulle, vous le savez bien, ne sau• rait appartenir à aucune catégorie, ni recevoir aucune distinc• tion. » Puis le général exprime à son interlocuteur qu'il serait heureux que l'Académie partît sur de nouvelles bases : « Puisque beaucoup de ses fauteuils sont vacants, pourquoi l'Académie, usant d'une procédure exceptionnelle, ne suspendrait- elle pas, pour un jour, la règle de la candidature ? Pourquoi n'appellerait-elle pas spontanément à siéger dans son sein quel• ques écrivains êminents dont elle sait qu'ils en sont dignes et qui se montrèrent, dans l'épreuve, les champions de la liberté de (3) Cf. Histoire de l'épuration, tome Ier, p. 301. (4) Charles de Gaulle : Mémoires de guerre, tome 111, « Le Salut », p. 115 et suivantes. (5) Non daté. 570 l'esprit et ceux de la France ? Son prestige, sa popularité y gagneraient, j'en suis sûr. » Mais le général constate, quelques jours plus tard, que sa « suggestion novatrice » n'était pas bien accueillie par les académiciens. « En fin de compte, l'Académie, rassurée par le bon ordre qu'elle voyait se rétablir partout, en revint à ses habitudes. » A deux reprises, aussi, nous trouvons trace, dans les souvenirs d'Henry Bordeaux (6), d'interventions du secrétaire perpétuel, faisant état de l'hostilité marquée par l'opinion publique à l'égard de la Compagnie. Une première fois, c'est le 15 février 1945. Henry Bordeaux, revenu à Paris depuis le mois d'octobre et qui a repris contact avec l'Académie, fait à ses confrères une proposition d'ordre pratique, mais peut-être pré• maturée : Je soulève, écrira-t-il, la question de l'indemnité, non person• nellement — car j'ai refusé le prix de 100 000 francs d'Antoine Girard que l'Académie m'avait attribué, il y a cinq ou six ans, pour le répartir en cinq prix de 20 000 francs que notre Com• pagnie a distribués —, mais parce que la vie de nos successeurs deviendra impossible. Mon tailleur me dit qu'aujourd'hui un cos• tume d'académicien avec le chapeau et la cape coûterait 60 000 francs. Il faudrait dix ans' de notre indemnité pour le solder. Or Paul Hazard est mort sans avoir revêtu le sien que sa veuve doit payer au tailleur. Il serait donc antidémocratique de laisser se prolonger une telle situation. A cette demande de bon sens, Georges Duhamel oppose comme prin• cipal argument que l'opinion est alors très hostile à l'Académie. Jérôme Tharaud a beau « lui reprocher d'attacher beaucoup trop d'importance à cette opinion », l'Académie, jugeant le moment peu favorable,, décide d'attendre. Une seconde fois, trois mois plus tard, le 17 mai 1945, Georges Duhamel exprime encore la même crainte. Il signale des intrigues contre l'Académie qui serait très menacée et qui « suscite des haines terri• bles (7) ». Le secrétaire perpétuel propose alors que la Compagnie se renouvelle dans le sens de la jeunesse et de la Résistance. Et de citer Herriot, Claudel, Maritain, Malraux, qui tous quatre sont bien vus du gouvernement. Une fois de plus, l'Assemblée décide de ne pas se pro• noncer : dans sa prochaine séance, elle discutera de la candidature hors cadre d'Edouard Herriot, en écartant momentanément les trois autres. C'est que l'Académie a également pour souci de ne pas agir sous la pression des circonstances tout en affirmant sa reconnaissance patrioti• que aux libérateurs. Sans doute, le 15 février a-t-elle décidé d'envoyer des félicitations au général de Lattre et à la première armée française pour célébrer la prise de Colmar, qui marque la libération totale de l'Alsace, et le 15 mai (6) Histoire d'une vie, tome XII, « Lumière au bout de la nuit ». (7) Henry Bordeaux, op. cit.. p. 325. 571 son secrétaire perpétuel a-t-il pris sur lui d'envoyer au général de Gaulle une adresse ainsi rédigée : « L'Académie française exprime sa profonde gratitude au général de Gaulle pour l'œuvre de salut entreprise dans la détresse, poursuivie dans la ferveur et accomplie dans la gloire. » Mais cet élan patriotique n'entraîne pas l'Académie à brûler les étapes pour l'épuration de ceux de ses membres qui se sont compromis avec Vichy. Après la séance du jeudi 24 août, à laquelle trois membres seulement s'étaient rendus sous les balles, le jeudi suivant 31, la Compagnie avait décidé de prendre des mesures temporaires contre Abel Bonnard et Abel Hermant en déclarant qu'ils devaient désormais s'abstenir de participer aux séances. La question des deux Abel, ainsi qu'on l'appelait, était de celles qui, dans Paris libéré, méritaient quelque urgence. Elle a été réglée sans débat : [...] La décision se fonde sur l'article XIII du statut de 1635 : « Si un académicien fait quelque action indigne d'un homme d'honneur il sera interdit ou destitué selon l'importance de sa faute. » Si l'Académie s'est limitée hier à l'interdit, [...] c'est que, pour que la destitution soit décidée, il faut que le quorum soit atteint. L'on en était loin : onze mem• bres étaient présents sur vingt-huit (8). Mais, lorsque, le 14 décembre 1944 (9), l'amiral Lacaze intervient pour que l'on transforme cette mesure momentanée en exclusion défini• tive, il provoque des réactions qui vont empêcher son projet d'aboutir. Henry Bordeaux formule des objections : En premier lieu, écrira-t-il, j'oppose une question préjudi• cielle qui est celle-ci : tous deux sont soumis à une action judi• ciaire, nous ne pouvons pas nous prononcer auparavant, parce que le verdict de l'Académie, étant donné sa haute autorité, pèserait sur l'arrêt des juges et que nous ne pouvons pas livrer des confrères.