L'esprit De 1867 *
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Document généré le 1 oct. 2021 02:23 Revue d'histoire de l'Amérique française L’esprit de 1867 Jean-Charles Bonenfant Volume 17, numéro 1, juin 1963 URI : https://id.erudit.org/iderudit/302251ar DOI : https://doi.org/10.7202/302251ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Institut d'histoire de l'Amérique française ISSN 0035-2357 (imprimé) 1492-1383 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bonenfant, J.-C. (1963). L’esprit de 1867. Revue d'histoire de l'Amérique française, 17(1), 19–38. https://doi.org/10.7202/302251ar Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 1963 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ L'ESPRIT DE 1867 * Un des thèmes les plus fréquents de notre éloquence poli tique, ces dernières années, est révocation de l'esprit de 1867, un esprit idéal qui aurait été celui d'un âge d'or auquel il suffirait de revenir pour que soient résolus tous les problèmes du fédéralisme canadien et en particulier celui de la dualité de notre pays. Déjà, en 1954, Maurice Lamontagne écrivait dans son livre Le fédéralisme canadien: «On entend souvent parler de la nécessité de retourner à l'esprit de la Confédération. Si on signifie par là qu'il est désirable de revenir aux intentions des Pères de la Confédération ou à la situation qu'ils ont établie en 1867, ce vœu pourrait alors signifier tout autre chose que ce que désirent ceux qui le formulent.» 1 Par ailleurs, à la fin des pages consacrées à l'interprétation des intentions des Pères de la Confédération d'après l'histoire, les auteurs du Rapport de la Commission royale des relations entre le Dominion et les pro vinces ont conclu presque à la vanité de l'histoire dans ce do maine 2 et les auteurs du Rapport de la Commission royale d'en quête sur les problèmes constitutionnels, la Commission Trem blay, leur ont donné raison.3 Malgré cela et malgré les travaux de Creighton, de Trotter, de Whitelaw, de Waite et de Groulx4 qui me semblent avoir * Travail présente à la Réunion générale de l'Institut d'Histoire de l'Amérique française, le 27 avril 1963. 1 Maurice Lamontagne, Le fédéralisme canadien (Les Presses Uni versitaires Laval, Québec, 1954), 100. 2 Rapport de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces, I: 37. 3 Rapport de la Commission royale d'enquête sur les problèmes cons titutionnels, II: 152. 4 D. G. Creighton, UAmérique britannique du Nord à Vépoque de la Confédération, appendice 2 au Rapport de la Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces; R. S. Trotter, Canadian Federation (Toronto, 1934) ; W. M. Whitelaw, The Maritimes and Canada before Confederation (Toronto, 1934) ; P. B. Waite, The Life and Times of Confederation 1864-1867 (Toronto, 1962) ; Lionel Groulx, La Confédération canadienne, ses origines (Montréal, 1918). [19] 20 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE épuisé le sujet, sans avoir la témérité d'offrir une intelligence nouvelle de l'esprit de 1867, j'ai accepté quand même de pré parer ce travail tout d'abord parce qu'en français on a rarement fait le point sur ce fameux esprit et aussi parce que tout ce qui a trait à la Confédération semble depuis quelque temps avoir pris un aspect nouveau. Obligé de couvrir rapidement une ques tion très vaste, j'ai cru que je pourrais commodément grouper mes observations sous quatre chefs: 1° — les causes immédiates de la naissance de la Confédération, car lorsqu'on comprend pour quoi les hommes sont directement déterminés à agir, on sait mieux dans quel esprit ils agissent; 2° — la conception du fédé ralisme que les hommes politiques canadiens pouvaient avoir à l'époque et celle qu'ils ont tenté de réaliser; 3° — l'idée qu'ils pouvaient avoir de la survivance des Canadiens français; 4° — les limitations de l'état au milieu du dix-neuvième siècle et sur tout les limitations d'un état colonial. CAUSES DE LA CONFÉDÉRATION Pour unir les colonies britanniques en Amérique du Nord, on avait pu rêver académiquement d'un système fédératif, du juge William Smith, en 1764 5 à J.-C. Taché,6 en 1858, et, par ailleurs, même un adversaire du projet de 1864 comme Antoine- Aimé Dorion 7 admettait que le fédéralisme serait un jour né cessaire, mais de 1864 à 1867, ce fut avant tout une solution d'urgence que recherchèrent des praticiens de la politique, em barrassés par des problèmes concrets. Contrairement à leurs pré décesseurs américains de 1787, les Pères de la Confédération n'étaient pas de profonds penseurs citant Locke, Hobbes ou Montesquieu, maïs c'étaient des avocats, des journalistes et des hommes d'affaires à la recherche de compromis. Dans leur éternité heureuse ou malheureuse, ils doivent éprouver une sur- 5 On trouvera les grandes lignes du plan du juge Smith dans Memoir précédant l'édition 1829, vol. 1, de The History of the late province of New York (New York), by the Hon. William Smith. 6 J. C. Taché, Des Provinces de VAmérique du Nord et oVune union fédérale (Québec, 1858). ? Débats parlementaires sur la question de la Confédération (Québec, 1865), 686. ( Désormais cités sous le titre de Débats). L'ESPRIT DE 1867 21 prise moqueuse devant les intentions que depuis près d'un siècle leur prêtent des orateurs académiques ou politiques, des ju ristes et parfois même des historiens. On a l'habitude d'énumérer comme causes de la Confédé- ration: 1° — les exigences économiques, plus précisément la né cessité de construire un chemin de fer intercolonial et le désir de renflouer les finances du Grand-Tronc; 2° — la crainte des Etats-Unis et par conséquent les besoins de la défense; 3° — la naissance d'un sentiment chez les habitants des colonies et surtout chez leurs chefs d'une commune appartenance à un même monde historique et géographique; 4° — la volonté de la métropole et finalement l'instabilité politique dans le Canada- Uni. Quelques-unes de ces causes étaient latentes et lointaines, mais en réalité la Confédération est née sous le signe de l'ur gence, non pas pour réaliser un beau rêve unanime, mais pour sortir le mieux possible de difficultés immédiates. Elle a été engendrée par les magnats de chemin de fer et les banquiers de l'époque, grâce à la collaboration de Cartier aidé par le clergé catholique, le tout cuisiné par cet admirable opportuniste qu'était John A. Macdonald avec la bénédiction d'une Angleterre qui se désintéressait de ses colonies. En simplifiant un peu, on en arrive même à une cause unique de la naissance de la Confédé ration, la volonté de Georges-Etienne Cartier. Sans Cartier, dé clarait plus tard sir Charles Tupper, le dernier survivant des Pères de la Confédération, dans une entrevue qu'il donnait, en 1913, au biographe de Cartier, John Boyd, il n'y aurait pas eu de Confédération 8 et le journaliste historien sir John Willison a pu écrire lui aussi dans son ouvrage sur Laurier que « sans 8 « Cartier's role was an extremely difficult one. There was the strongest opposition in Quebec to Confederation. Cartier had to face the powerful attacks of redoutable antagonists who maintained that Con federation would be detrimental to French-Canadian interests. In face of the most determined opposition, and the bitterest attacks, Cartier stood firm, and secured the allegiance of the Province of Quebec to the measure. Sir Charles Tupper declared that the services that Cartier rendered at that time entitled his name to the lasting and grateful remembrance of all Canadians. « I have no hesitation in saying », he added, « that without Cartier there would have been no Confederation, and therefore Canada owes him a debt that can never be repair ». » The Canadian Magazine, XXXXI: 226. 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE Cartier et le clergé catholique du Québec, l'Union de 1867 n'au rait pu s'accomplir ».° Chercher à quels motifs Cartier a obéi est peut-être donc une bonne façon de percer un peu l'esprit de 1867. Ce n'est qu'en 1858, lorsque Alexander T. Gait fit de la réalisation de la Confé dération la condition de son entrée dans le ministère Cartier- Macdonald 10 que Cartier devint l'apôtre d'un nouveau régime. Le chef des conservateurs canadiens-français semble tout d'abord avoir compris que les avantages dans la représentation parle mentaire que l'Union de 1840 dirigée contre les Canadiens français leur avait par une douce ironie du sort apportés, ne pourraient pas durer indéfiniment et qu'un jour il faudrait bien accepter la représentation selon la population, réclamée par le Haut-Canada et à laquelle il s'opposait catégoriquement. Il comprit que cette représentation selon la population n'aurait pas les mêmes inconvénients dans un état fédératif où d'ailleurs le séparatisme naturel des provinces maritimes pourrait s'allier aux intérêts ethniques du Bas-Canada pour s'opposer au Haut- Canada, sans compter que dans cet état fédératif plusieurs ques tions importantes relèveraient des législatures locales. Cartier était, en outre, un homme d'ordre auquel l'équilibre politique instable des dernières années répugnait naturellement.