#81

mars / avril / mai 2016

EXPÉRIENCES ARTISTIQUES / FICTIONS SCIENTIFIQUES / CHORÉGRAPHIES HYBRIDES / INNOVATIONS SCÉNOGRAPHIQUES / INSTALLATIONS ASTRONOMIQUES / UTOPIES BIOLOGIQUES / CRÉATIONS CHIMÉRIQUES /

www.digitalmcd.com DOM: 9.9 € - BEL/LUX: 9.9 € - CH: 14FS - CAN 14.99$ca - D: 10.50 € - N CAL/S: 1250cfp - POL/S: 1450cfp

Nouveaux récits du climat EDITO

LA CARPE ET LE LAPIN

La première réaction qui nous vient a l'évocation d'un rapprochement entre l'art et la science est celle de l'étonnement. Il y a ainsi des catégories qui semblent figées, assignées à une place immuable. Une assignation à résidence — la raison "pure" d'un côté, la raison "esthétique" de l'autre — qui empêche toutes passerelles et tout échange. A priori, c'est un mariage impro- bable, si ce n'est contradictoire. La carpe et le lapin, donc… Pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi. Avant d'être mis en opposition, l'art et la science se sont parfois confondus. Le symbole absolu de l'artiste "sapiens" restant Leonard de Vinci. La Renaissance apparaît sur ce plan très éclairée. Paradoxalement, ce sont les Lumières qui ont (re)plongé la conjonction art / science dans l'obscurité. En devenant "moderne", la science s'écarte de l'art, tout comme la philosophie finit par s'affranchir du religieux. Il faudra attendre le XXème siècle pour voir à nouveau un rapprochement entre art et science, mais selon des modalités différentes. Plus de génie universel comme au XV ème siècle, mais des artistes qui se tournent vers l'optique, la mécanique, l'acoustique… En ce début XXIe siècle, l'informatique, le numérique, nourrissent les œuvres des plasticiens. Question de contexte. Entre recherche et ingénierie, l'art "enrichi" par la technoscience opère ainsi une sorte retour à la tekhné. Mais cette "nouvelle alliance" art / science ne saurait pour autant se limiter à des ques- tions pratiques, de techniques et de supports, ou de mise en scène des nouvelles technologies. Les multiples ateliers et rencontres "art / science" consacrent finalement moins les œuvres en elles-mêmes que les collaborations pour elles-mêmes. Il y a là, un enrichissement mutuel qui ouvre d'autres horizons, pour l'artiste comme pour le scientifique; comme l'indiquent les contri- butions rassemblées par Annick Bureaud, rédactrice invitée pour notre dossier thématique. Ce rapprochement entre art et science ouvre les frontières de l'imagination pour la recherche scientifique et artistique. De cet entrecroisement naissent, par exemple, des chorégraphies hybrides, des innovations scénographiques, des installations astronomiques, des utopies biologiques et des créations chimériques: le poisson rougeoyant de Brandon Ballengée, Ti-tânes, et le fameux civet vert fluo d'Eduardo Kac, Alba (une lapine, en fait, ce qui assure une équité, terme que l'on préfèrera à diversité). La carpe et le lapin. Ad lib.

LAURENT DIOUF RÉDACTEUR EN CHEF

MCD remercie particulièrement Annick Bureaud, ainsi que tous les rédacteurs qui ont contribué à ce numéro réalisé avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication.

ARTS & SCIENCES - mcd #81 - 03

Arts & sciences

SOMMAIRE

03_ ÉDITO 54_ FRANÇOIS-JOSEPH LAPOINTE: DANSE, ADN ET MICROBIOME 05_ SOMMAIRE 56_ JOHANN LE GUILLERM: LIGNES DE FRONT UNE UTOPIE DE SCIENTIFIQUE 58_ RACHEL MAYERI: UNE ARTISTE 08_ MIKE STUBBS: DIRECTEUR DE FACT POUR ANIMAUX VOYEURS 10_ AURÉLIEN LAFARGUE: ÉTOILE 60_ DINGDINGDONG: LA MALADIE Guy Ben-Ary, MONTANTE DU MAPPING AUX BONS SOINS DE SES USAGERS cellF. Différentiation 12_ FESTIVAL MANIFESTE: POUR UN ART 62_ ARTS ET FICTIONS SCIENTIFIQUES de neurones au moyen MUSICAL "LOW TECH" d'une teinture rouge 14_ TRANSPHÈRE: DAITO MANABE > ICI & AILLEURS fluorescente. ET MOTOI ISHIBASHI Photo: © D.R. 66_ THE ARTS CATALYST: UN MODÈLE DANS LE SOUTIEN À LA CRÉATION ARTS & SCIENCES 68_ LE REGARD VERTICAL: 18_ ART & SCIENCE: PLAIDOYER PROGRÈS SOCIAL, ART, POUR UN NON-CHAMP ARCHÉOLOGIE ET ASTRONOMIE 22_ JEAN-MARC LÉVY-LEBLOND / 72_ PANORAMA DES STRUCTURES ROGER MALINA: DIALOGUE SUR ARTS-SCIENCES DEUX SYSTÈMES DU MONDE RETOURS D'EXPÉRIENCE > LES SCIENCES DURES AU CŒUR 80_ JOANIE LEMERCIER: 28_ LES INTERROGATIONS ACTUELLES À LA VITESSE DE LA LUMIÈRE DES ARTISTES SUR LA SCIENCE 82_ LES DISPOSITIFS DÉMIURGES 32_ MANIFESTE DE LA DUALITÉ DE PROSOPOPÉES ART/SCIENCE 84_ BIENNALE DE LYON 34_ MESSAGERS QUANTIQUES: LES ŒUVRES D'EVELINA DOMNITCH 86_ NICOLAS NOVA, DADA BOT: & DMITRY GELFAND L'ÈRE DU DADAÏSME NUMÉRIQUE 88_ LIVRES: JEAN-LUC GUIONNET 36_ FÉLICIE D'ESTIENNE D'ORVES: & ÉRIC LA CASA, DOMINIQUE LA LUMIÈRE DU CIEL PROFOND MOULON, CITY SONIC… 38_ BIO-ARTS: LES ARTS DE L'ESSENCE 90_ MUSIQUES: DEEPCHORD, FRANK DE LA VIE BRETSCHNEIDER, KING MIDAS 42_ SUBSTANCE ET CODE: SOUND & FENNESZ, MATMOS… ENTRETIEN AVEC PAUL VANOUSE 93_ AGENDA 46_ L’ART ET LE SUBLIME BIOLOGIQUE AU E XXI SIÈCLE 96_ ABONNEMENT > LE VIVANT AUTREMENT 98_ OURS/DISTRIBUTION 50_ SCIENCES ET SPECTACLE VIVANT: DE L’ACCÈS À L’EXCÈS

ARTS & SCIENCES - mcd #81 - 05 06 - mcd #81 news / LIGNES DE FRONT

news / LIGnes De FROnT - mcd #81 - 07 news / > LIGNES DE FRONT

pour en adopter bon nombre des pra- tiques. Dans le même temps, l’industrie créative s’est réappropriée l’essentiel des médias numériques comme une sorte de MIKE STUBBS régénérateur économique symbolisant les entreprises émergentes.

Directeur de FACT La consécration par les villes d’un art numérique récréatif n’est-elle pas de nature à desservir la reconnaissance du Mike Stubbs a été responsable des expositions de numérique dans l’art contemporain ? FACT a évidemment été partenaire de l’Australian Centre for Moving Image (ACMI) entre 2002 Connecting Cities, le réseau d’art contempo- rain financé par l’Europe et visant à encou- et 2007, période pendant laquelle il a aussi participé rager les expériences performatives dans à de nombreux événements à l’international. l’espace public. Lorsque nous avons com- mencé à aborder le programme de la soi-di- Depuis 2007, il dirige la Foundation for Art and Creative sant "ville intelligente", c’est devenu très en- nuyeux pour moi, car cet aspect des choses Technology (FACT) de Liverpool. ne m’intéresse pas véritablement. Bien que ces choses se produiront quoi qu’on fasse ; considérant la connexion des architectures aux Metadata, sans omettre l’Internet des Mike stubbs Objets ou, plus largement, la manière dont on peut organiser une société plus effica- cement. Tout cela est en train d’arriver et en grande partie pour de bonnes raisons, car je n’adhère pas du tout à la théorie du complot selon laquelle nous pourrions tous être contrôlés, même si nous devons rester vigilants étant donné que nous partageons un ensemble de technologies.

Que pensez-vous des événements qui, se focalisant sur le social ou le politique, tendent à s’éloigner quelque peu de la sphère de l’art ? Je travaille actuellement avec David Garcia et Annette Dekker sur un projet d’archive relatif à l’usage, dans les années 1990, des médias tactiques en vue d’une publication du MIT. Sans omettre que FACT est très impliqué dans la collaboration avec de larges communautés. Nous collaborons, par exemple, avec Krzysztof Wodiczko PhOTO © RODGER CuMMINS qui a travaillé pendant trois mois avec un Les activités de FACT s’inscrivent-elles rien d’autre qu’une pièce d’où l’on pouvait groupe de soldats de retour d’Irak, d’Afgha- dans la continuité de la section Live accéder à des archives numériques pour nistan ou de Bosnie. Ces soldats ont sou- & Media Arts de l’ICA de Londres qui présenter des travaux sur écran. L’histoire haité continuer le projet. Nous avons a fermé il y a quelques années ? de FACT, succédant au festival Video Posi- donc fait une recherche de financement Je connais bien cette initiative de l’ICA tive initié 1988, se déploie sur près d’une et, depuis maintenant six ans, nous tra- pour y avoir participé en tant qu’artiste et trentaine d’années. Des organisations vaillons avec eux pour les aider à créer en curateur. Le projet était lié à un partenariat comme le FACT, le ZKM, l’Ars Electronica se reconnectant à la société. Pour moi, ce commercial avec Sun Microsystems, ce qui Center ou l’ICC se sont institutionnalisées facteur d’implication dans une communau- signifiait que l’on devait s’efforcer d’utili- à un moment où il y avait un réel engoue- té est un produit dérivé du travail d’artiste. ser les machines de la marque. L’ICA, en ment pour les nouveaux médias alors Récemment, nous avons aussi passé une termes d’espace accessible au public n’était que le projet de l’ICA est arrivé un plus commande à un collectif d’architectes qui pas très grand, et ce que l’on appelait le tard. Notre fondation, spécialisée dans s’appelle Assemble et vient de remporter le Centre des Nouveaux Médias n’était en la présentation d’images en mouvement prestigieux Turner Prize. Ce qui a eu pour réalité qu’un placard sous un escalier. En le et d’œuvres interactives, a dû évoluer en effet d’initier un débat sur les pratiques en- voyant, on comprenait alors que ce n’était observant le monde de l’art contemporain gagées socialement : pourquoi un prix d’art

08 - mcd #81 PhOTO © STEPhEN KING

nam June Paik & norman Ballard, Laser Cone, 2001-2010.

contemporain est-il décerné à un collectif a été l’inventeur du terme "autoroute de compte qu’ils ont une approche différente d’architectes ? De notre côté, nous les avons l’information" en étant le premier à utiliser des cultures numériques. Chez eux, elle invités dans le cadre d’un projet intitulé cette expression qui s’est ensuite étendue à s’inscrit dans les médias sociaux, lesquels, Build Your Own. L’hypothèse étant de consi- la technologie et à l’industrie globalisées, en fait, deviennent une plateforme plus dérer que les gens contrôlent leur propre mais, il s’agissait bien au départ d’une ter- puissante que les galeries. Il se peut que destinée. C’est au cœur d’un ensemble de minologie d’artiste. Il a d’une certaine ma- le système des galeries appartienne au questions que doivent se poser les artistes, nière pu entrevoir, à partir d’une posture passé. Il est de notre devoir de protéger les designers et les architectes. Ce que je re- utopique, le potentiel de l’internationa- ce modèle en s’impliquant pour permettre tiens de tout cela, c’est que pour obtenir le lisme à travers l’usage des réseaux électro- à de nouvelles générations de curateurs meilleur en collaborant avec des artistes, il niques. Or l’art post-Internet n’est qu’une d’expérimenter, d’innover. Je pense qu’un faut les laisser agir librement tout en créant adaptation socioculturelle permettant de jeune curateur doit passer autant de temps des situations ou circonstances sociales composer avec un ensemble de technolo- que possible avec les artistes afin de com- dans lesquelles ils puissent opérer avec des gies. En ce moment, nous travaillons avec prendre la nature de l’art. Je ne pense pas gens avec qui ils puissent évoluer. les artistes Cécile B. Evans, Constant Dul- que le rôle des curateurs est de faire partie laart et l’acteur Shia Labeouf. Quand ce d’une classe privilégiée de gens voyageant Comment considérez-vous cette dernier a fait sa performance, nous avions en avion à travers le monde pour décou- tendance post-Internet de l’art 2000 visiteurs par jour pour 370 000 vues vrir des pièces clinquantes et les présenter. contemporain qui consiste à en ligne. Or ce public est presque plus in- un curateur digne de ce nom doit s’im- contextualiser les pratiques numé- téressant, car la plupart de ces personnes pliquer dans les mêmes questionnements riques dans un white cube ? ne s’intéressaient pas à l’art. et domaines de recherche que les artistes Notre exposition en cours s’appelle Fol- qu’il présente. Mais il doit aussi chercher à low et joue beaucoup sur la relation entre Quels conseils donneriez-vous à initier des expériences qui créent du lien, l’identité culturelle et l’identité en ligne, un curateur émergent se situant à la pour des publics larges, et pas seulement avec l’idée que nous sommes tous devenus croisée des arts et médias ? pour le monde de l’art. nos propres marchandises. Cependant, je J’aurais naturellement tendance à lui n’adhère pas vraiment à cette étiquette du conseiller de déconstruire ce que nous Dominique Moulon post-Internet. Elle est pratique, comme entendons par curateur. […] Mais je pense les autres, mais je pense que nous avons que si l’on échange avec la jeune géné- +info déjà dépassé ce moment. Nam June Paik ration d’aspirants curateurs, on se rend www.fact.co.uk

news / LIGnes De FROnT - mcd #81 - 09 news / > LIGNES DE FRONT

En arts numériques, comme en astrologie, les étoiles les plus intéressantes ne sont AURÉLIEN pas toujours visibles au premier coup d’oeil. Au fil des années, Aurélien Lafargue (alias Nature Graphique) s’est progressivement installé LAFARGUE dans la constellation des étoile montante du mapping spécialistes du mapping.

Avec un style reconnaissable, l’artiste fran- phique il y a 7 ans alors que j’étais gra- de lumières au festival a-part aux Baux de çais multiplie les projets collaboratifs. phiste et photographe. J’exécute toujours Provence. Je présentais 3 mappings monu- En 2015, il présentait Entropia et Gany- quelques contrats liés à la communication mentaux dans un site incroyable. Il y avait mède, deux univers immersifs présentés ou en recherche et développement pour des centaines de mètres de surfaces à re- dans le dôme de la SATosphère de Mon- certaines marques. D’un autre côté, je tra- couvrir. La pierre blanche donnait une tex- tréal. Ces projets évoquent les synergies vaille sur des projets artistiques où j’utilise ture très particulière à mes créations. Mes de système organique complexe (comme mon vrai nom, Aurélien Lafargue. deux premiers travaux étaient graphiques le corps humain) ou la mise en scène d’un et abstraits, mais le dernier, qui s’appelait objet céleste (comme le satellite naturel de Votre travail consiste à créer Trajectoires, exploitait différents Time Lapse Jupiter). D’autres créations, une rampe de des mapping vidéos ? que j’avais réalisés à Montréal. On y voyait skate interactive (co-création avec le DJ Je conçois et réalise des mapping vidéos, passer une succession de foules. Le poten- 20Syl) ou la scénographie du DJ techno mais pas uniquement. Je suis très attiré par tiel visuel était très intéressant et je pense Madben, visibles en 2016, ont également des installations plastiques et interactives. revenir bientôt à ce projet. À partir de là, Aurélien Lafargue, mis en lumière le talent d’Aurélien La- Pendant longtemps je me suis attaché à l’ou- j’ai produit une multitude de créations plas- Entropia fargue. Entretien avec cette étoile montante. til informatique. En tant que graphiste ou tiques et répondu à plusieurs commandes (installation webdesigner j’ai travaillé avec des logiciels et de scénographie [Festival Scopitone, Insti- numérique / performance A/V Vous travaillez sous les noms de Nature des langages de programmation complexes. tut du Monde Arabe… N.D.L.R.] immersive), Graphique et d’Aurélien Lafargue. À un moment j’ai fait une overdose. Le map- sATophère, Pourquoi deux signatures ? ping m’a permis de me concentrer sur la Tout à l’heure, vous évoquiez Montréal. J’ai adopté le pseudonyme Nature Gra- recherche de matériaux plastiques, de tex- un “retour à la matière”… tures. J’ai pu travailler sur des volumes im- En fait c’est lié à mon parcours. J’ai étu- probables comme des sphères ou des lieux dié à l’ETPA, une école de photographie gigantesques. Depuis deux ans, je consacre à Toulouse, où j’ai été formé à la photo mon travail à la lumière. Je me focalise sur argentique. À l’époque il y avait peu de un retour à la matière. cours sur le numérique. Plus tard j’ai monté avec quelques amis un projet dans Comment se sont déroulés le Morbihan, là où j’ai grandi. À 17 ans vos débuts artistiques ? j’étais l’un des premiers VJ en Bretagne. J’ai commencé par faire des prestations en Il s’agissait à l’époque de simple mixage tant que VJ en Bretagne et à Montpellier où de vidéos capturées à droite et à gauche. quelques amis et moi avions une résidence Encore aujourd’hui je trouve que je n’uti- au Rock Store. Puis je suis parti à Montréal. lise pas suffisamment de texture dans mes Là-bas, j’ai rencontré DJ Mini [musicienne créations. Même si j’ai plus de maturité, je emblématique de l’underground montréa- pense être dans une phase d’apprentissage. lais, N.D.L.R.] qui fréquentait la SATos- C’est dans ce sens que je parle volontiers phère [Société des Arts Technologiques de “retour à la matière”. Je dois revenir à de Montréal, N.D.L.R.]. Finalement, j’y ai des valeurs plastiques. travaillé un an pour présenter Espace Temps qui mélangeait l’art numérique et la danse Vous aimeriez donc vous affranchir contemporaine. C’est sans doute mon pre- de la technicité ? mier projet d’ampleur. Quelques mois plus Sur de futurs projets, l’idée serait peut-être

PhOTO © SéBASTIEN ROy tard en 2012, j’ai travaillé dans les Carrières d’assumer le rôle de directeur artistique.

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export création _ nature graphique 10/11/14

À mes débuts je souhaitais, sans doute par forme, sur des corps, remonte à plusieurs j’espère éviter les créations "one-shot" et excès d’orgueil, me prouver que j’avais les décennies. Lorsque j’anime des ateliers à la je m’oriente plutôt vers des installations capacités de faire les choses. Dorénavant Gaîté Lyrique, je présente toujours le scé- pérennes. Ça me permet de faire évoluer je privilégie les collaborations. Il m’arrive nographe tchécoslovaque Joseph Svoboda. mon travail. Dans ce sens, yannick Jacquet donc souvent de monter des équipes où C’est un modèle en son genre. Ses créations [ex AntiVJ, N.D.L.R.] avec ses Mécaniques je regroupe un développer, un graphiste, datent des années 50 et sont extraordi- Discursives est un modèle intéressant. un musicien… Par exemple, pour le son naires. Elles n’ont rien à envier à ce qui se je travaille régulièrement avec Mourad fait aujourd’hui. Svoboda projetait des dia- Quelles sont les inspirations Bennacer que j’ai rencontré à Montréal. pos, les grattait préalablement pour donner de vos futures créations ? Avec du recul, je m’aperçois que le travail de la matière et un aspect quasi filaire aux honnêtement avec Internet il n’est pas dif- en équipe est très positif. Les choix artis- visuels. un travail vraiment magnifique. ficile de trouver l’inspiration. Cependant tiques sont discutés, chacun apporte son Le renouveau du mapping, si tant est qu’on je me noie dans toutes cette abondance expertise. Pour ma part, je veux me recen- puisse parler ainsi, passe donc par un re- d’informations. Ça parait bête, mais je trer sur le sens de mes œuvres. Pour ça, tour aux choses plastiques. préfère m’inspirer de la nature. La lumière je n’exclus ni de collaborer avec des scé- naturelle est ma première muse. Ce n’est naristes ni de m’affranchir de la technicité 2016 est un tournant pas un hasard si je vis à Baden, une petite des outils. dans votre carrière ? ville dans le Golfe du Morbihan. Ici, quand Aujourd’hui j’assume enfin ma position j’invite mes amis artistes, on débriefe sur la Depuis plusieurs années beaucoup d’artiste. En 2015 j’ai eu plusieurs créa- plage. Il est tellement facile de s’inspirer d’artistes exploitent le mapping, tions importantes comme Entropia ou des beautés de la nature que nous sommes comment réinventer la discipline ? Ganymède qui ont été soutenues par la en train de réfléchir pour organiser des J’ai été témoin de l’évolution des techniques SATosphère. Ganymède, par exemple, est workshops sur une île du Morbihan. du mapping moderne. C’est Amon Tobin un projet de recherche lié à l’interactivi- Ça sera sans stress, ni questions d’argent, avec son live Isam [présenté pour la pre- té. Il s’agit de créer un univers immersif ni deadline. C’est peut-être ainsi la meil- mière fois en 2011 à Mutek, N.D.L.R.] qui où le public interagit avec chaque objet. leure façon de créer. m’a vraiment donné l’envie de prendre en La platine de mixage au centre de l’ins- main cette technique. C’était monstrueux, tallation permet de scratcher une voûte propos recueillis par Adrien Cornelissen mais aujourd’hui il y a une sorte de lassitude stellaire projetée dans le dôme de la SAT. causée par une surenchère des technologies Le rendu est impressionnant… Je suis sur et du spectaculaire. Pourtant le mapping vi- des projets structurés où les collaborations +info deo n’est pas si nouveau. La projection sur longues portent leurs fruits. Par ailleurs, www.nature-graphique.com

news / LIGnes De FROnT - mcd #81 - 11 news / > LIGNES DE FRONT

FESTIVAL MANIFESTE pour un art musical "low tech"

Du 2 juin au 2 juillet prochain, l’édition 2016 tallations avec des animaux vivants, comme espace dédié, nous allons présenter son ces douze chevaux attachés aux murs dans film From Inside — Sicilia, Vie di Gibellina. de ManiFeste, le festival annuel de l’IRCAM une galerie à Rome. C’est une chorégraphie de Manuela Rastal- (Institut de Recherche et Coordination Pourquoi l’"art pauvre" présente-t-il un di pour six danseurs filmés par Thierry de Acoustique/Musique), interrogera la intérêt spécifique pour nous ? Je crois que Mey dans le dédale labyrinthique de rues c’est parce que de nombreux compositeurs désertes de l’œuvre monumentale d’Alber- question de l’art pauvre en musique. sont intéressés par l’impact direct de leur to Burri. Cette pièce rappelle que Thierry Un positionnement intrigant de la part de musique sur le spectateur, par exemple de Mey, qui a réalisé des œuvres plus tech- ce qui est aujourd’hui l’un des plus grands par les sentiments que cela peut provo- nologiques, a toujours été très marqué par centres de recherche publique au monde quer. Parmi les compositeurs invités cette les effets de la nature dans son travail. année, Savaltore Sciarrino a souvent écrit se consacrant à la création musicale et à la des pièces à partir d’éléments très simples, Est-ce à dire que le retour au simple, recherche scientifique et technologique, en intégrant des temps de silence pour à l’émotion que vous évoquez peut mais qui, en faisant résonance au courant parvenir à obtenir un véritable effet de présenter un intérêt également stupeur chez l’auditeur. Thierry de Mey technologique à votre échelle ? artistique de l’Arte Povera, renvoie de façon a lui imaginé une pièce où il s’intéresse Le principe d’art pauvre renvoie à un plus compréhensive aux nouvelles au mouvement dans sa décomposition la travail plus approfondi sur l’émotion et préoccupations de l’Institut : celles d’un plus épurée. Pour Simplexity (la Beauté du la manière dont on perçoit les choses. Geste), il a observé les mouvements de ser- On y travaille depuis quelque temps déjà intérêt croissant pour le "low tech", pent qui ne touche parfois le sol qu’avec à l’IRCAM avec le chercheur Jean-Julien le matériau brut musical et ses connexions un seul de leurs anneaux à chacun de leur Aucouturier, chargé de recherche CNRS avec d’autres matériaux bruts (le corps, mouvement de reptation. au laboratoire Sciences et technologies Il en a fait une sorte d’analyse qu’il trans- de la musique et du son (STMS), dans les objets), aux portes des nouvelles fère dans la chorégraphie de ses danseurs notre équipe Perception et design sonores. considérations artistiques entre le matériel et dans l’écriture de sa partition pour Il mène le projet CREAM (Cracking the et l’immatériel. Entretien avec son directeur, les musiciens. Dans l’exposition Un Art Emotional Code of Music) qui, à l’inter- Pauvre ?, conçue par le Centre Pompidou, face entre technologies de traitement du Frank Madlener. mais dans lequel nous disposerons d’un signal audio et neurosciences cognitives,

Delusion of the Fury - a ritual of dream and delusion, opéra de Harry Partch, mis en scène par Heiner Goebbels. L’édition ManiFeste 2016 interroge la question de l’art pauvre en musique, en liaison avec l’exposition Un art pauvre ? au Centre Pompidou. Qu’est-ce qui a conduit l’IRCAM à se poser cette question apparemment contradictoire de la pertinence d’un art pauvre ? Il faut d’abord rappeler ce qu’on entend par "art pauvre". L’Arte Povera a été un mouve- ment anticonsumériste soucieux de réduire les matériaux utilisés, de préférer des produits pauvres ou de revenir aux objets naturels dans la pratique artistique. Son idée était la simplicité de l’expression. Ces matériaux étaient par exemple du bois, des objets trou- vés. Parmi les grands noms du mouvement, on retrouvait des artistes comme Mario Merz, Michelangelo Pistoletto, yannis Kou-

nellis, etc. Kounellis mettait en scène des ins- PhOTO © KLAuS RuDOLPh

12 - mcd #81 PhOTO © ThIERRy DE MEy PhOTO © ThIERRy

Simplexity (la Beauté du Geste), pièce de Thierry de Mey.

a pour objectif d’établir des bases métho- On ne peut pas seulement concevoir des relier cette dimension de création nou- dologiques novatrices pour caractériser logiciels ou des programmes de modé- velle avec un personnage, compositeur les différents mécanismes de production lisation ou de contrôle de synthèse et de et créateur d’instruments très atypique, d’émotions dans le cerveau en réponse à spatialisation complexes. On doit mesu- l’américain harry Partch. Partch a créé des différents types de stimuli sonores. rer avec efficacité et sérieux tout ce nou- instruments incroyables comme son orgue Le retour vers la nature que prône l’art veau rapport à la technologie et tous ces pneumatique, le chromelodeon, ou ses pauvre renvoie à cette primauté de l’émo- nouveaux utilisateurs qu’on regroupe cithares Kithara, avec 72 cordes. Il a voulu tion. Si dans la nature, on se trouve face à désormais en nouvelles catégories d’usa- sortir du système occidental et inventer un danger, certains effets physiologiques gers : makers, créateurs DIy, etc. Dans le son propre instrumentarium, obligeant les apparaissent, de la moiteur, l’envie de fuir. processus de création général actuel, qui gens qui en jouent à réinventer leur pra- C’est l’instinct de survie qui les dicte. Il est peut être complexe, l’idée est souvent d’ac- tique instrumentale. Il a écrit de grandes curieux de remarquer que le son peut em- quérir des connaissances par un système pièces comme Delusion Of The Fury, une prunter les mêmes circuits physiologiques modulaire, un système de briques dont pièce pour acteurs, chœurs, danseurs et que dans ces situations. une musique l’ensemble constitue le grand environne- grand ensemble d’instruments originaux est capable de déclencher des choses se ment de la recherche et de la composition. et petits instruments à main, qui a été rapprochant de ces états-limites. Dans le Notre idée est donc de donner accès à des transcrite au théâtre par heiner Goeb- cadre du festival, on va proposer les 8 et briques de composition : des éléments bels. Nous allons la présenter à la Grande 9 juin des écoutes en direct à un artiste plus simples qui peuvent être absorbés et halle de la Villette, ce qui est une première et un scientifique des sciences cognitives. utilisés par les artistes. Les smart instru- pour nous. C’est une pièce qui montre un On verra leurs réactions et leur analyse. ments que développe chez nous le cher- monde un peu écolo, qui utilise des objets Ce sera comme un colloque très ouvert où cheur Adrien Mamou-Mani au sein de trouvés. Elle permet de mettre en perspec- chacun pourra se faire sa propre expérience. notre équipe Acoustique Instrumentale en tive cette question qui nous taraude : où font partie. C’est une technologie avec de en est-on aujourd’hui avec la technologie ? Peut-on dire que l’IRCAM s’intéresse l’électronique embarquée où l’instrument Quelque part, on rejoint les préoccupa- donc aussi désormais au "low tech" ? est équipé d’un transducteur particulier, tions d’harry Partch qui jouait beaucoup On remarque que de plus en plus d’ar- qui peut changer le son de l’instrument sur un effet sensible. tistes et de compositeurs ont envie d’avoir sans passer par des effets extérieurs, infor- accès à des technologies "low tech", matiques ou autre. C’est la nature de l’ins- Laurent Catala quitte à les détourner par la suite. Si on trument qui est modifiée et cela renforce ne s’intéressait pas à cette question, nous donc la dimension active de l’interprète. +info à l’IRCAM, ce serait une grosse erreur. Pour ManiFeste 2016, on a eu l’idée de www.ircam.fr/manifeste.html

news / LIGnes De FROnT - mcd #81 - 13 news / > LIGNES DE FRONT TRANSPHÈRE Daito Manabe et Motoi Ishibashi Du 16 mars au 7 mai prochain, la Maison de la Culture du Japon à Paris [MCJP] invite les artistes et programmeurs japonais Daito Manabe et Motoi Ishibashi à inaugurer le premier volet de Transphère, une nouvelle série d’expositions visant à mettre en avant le travail de la nouvelle création contemporaine japonaise.

Ces deux têtes pensantes du laboratoire directrice artistique des expositions de la Il est probable que les nombreux amateurs de recherche artistique Rhizomatiks Re- MCJP et curatrice de la manifestation. d’art japonais qui fréquentent la MCJP search fusionnent art et technologie dans seront déstabilisés par cette programma- des projets mêlant innovation, notam- Une des spécificités de Transphère sera tion. Mais je suis persuadée qu’elle atti- ment interactive (leur œuvre-partition de mettre en avant le travail original rera de plus en plus de gens qui n’avaient Particles a reçu le prix Ars Electronica d’artistes japonais contemporains jamais franchi les portes de la Maison de la 2011 en art interactif), poésie (Pulse et ses forcément moins connus que les réfé- Culture du Japon. Avec Transphère, je vou- rayons laser, Rate et ses immenses ballons rences habituelles du genre, comme drais transformer la MCJP en un lieu où blancs dont les couleurs ne se révèlent Yayoi Kusama ou Takashi Murakami. les artistes et créateurs japonais puissent qu’à travers le filtre d’un écran), mais Est-ce là une manière de rééquilibrer la acquérir une reconnaissance internatio- aussi humour (la fameuse performance visibilité de la scène créative japonaise nale, comme le fait déjà le pavillon japo- Electric Stimulus To Face-Test de Manabe), actuelle auprès du public français et de nais de la Biennale de Venise. approche performative et transdiscipli- quelle manière ? naire. Manabe travaille depuis 2011 au- Jusqu’à présent, les expositions de la MCJP Pourquoi avoir porté votre choix sur tour de dispositifs corporels augmentés présentaient une sélection d’œuvres déjà le duo Daito Manabe et Motoi Ishibashi, avec la compagnie de danse Elevenplay et existantes. Dorénavant, ce sont de nou- des artistes numériques spécialistes Ishibashi s’est formé à l’ingénierie méca- velles créations, conçues en fonction de d’espaces et de design interactif, nique et au traitement de l’image au sein notre espace d’exposition, que nous pré- pour débuter ? de l’Institute of Advanced Media Arts and senterons dans le cadre du cycle Trans- Manabe et Ishibashi évitent de créer des Daito Manabe Sciences IAMAS de Gifu où il a rencon- phère. Chaque volet constituera donc un œuvres adaptées au système capitaliste, com- et Motoi Ishibashi. tré Manabe. Entretien avec Aomi Okabe, défi, une aventure, non seulement pour mercialisables, reproductibles. Pour chacun les artistes, mais aussi pour la MCJP. de leurs projets, ils font appel aux toutes Je voudrais présenter la créativité et l’art dernières technologies et y apportent des d’aujourd’hui, mais aussi faire percevoir innovations, expérimentent des formes les fondements sur lesquels reposent nos d’expression originales, produisent des sens et notre esprit dans notre monde œuvres incomparables. Ils sont encore mé- mondialisé. Nous verrons un travail de connus en France, à la différence d’autres création, fruit d’une sensibilité et d’une artistes japonais très appréciés ici comme perception issues d’un environnement et Ryoji Ikeda, Fujiko Nakaya (connue pour d’un contexte social particuliers. ses sculptures de brume), Masaki Fujiha- Je pense que certains éléments, dépas- ta, qui produit des œuvres d’une grande sant les singularités propres à nos deux diversité (images de synthèse, art des nou- peuples, entreront en résonance avec veaux médias, etc.) ou encore Shiro Taka- le public français. Car il existe en toile tani, un des membres du collectif d’artistes de fond une conscience des problèmes Dumb Type. partagée par l’ensemble du globe et des Manabe et Ishibashi appartiennent à une

PhOTO © D.R. innovations technologiques similaires. génération qui a grandi avec les jeux vi-

14 - mcd #81 PhOTO © TOShITAKA MOChIZuKI (RhIZOMATIKS RESEARCh) MOChIZuKI (RhIZOMATIKS PhOTO © TOShITAKA

Daito Manabe + Motoi Ishibashi, Rate - super high frequency lighting, 2014.

déo. Ils se définissent comme program- de la lumière de ces LEDs dépasse en ef- D’autres pièces du duo seront-elles meurs et conçoivent des logiciels et des fet celle que notre cerveau peut détecter. présentées en complément ? appareils. Ils s’intéressent aussi aux pos- Cependant, même si nous sommes inca- Seuls des projets réalisés conjointement sibilités qu’offre le milieu du divertisse- pables de voir certaines lumières colorées par Manabe et Ishibashi seront pré- ment : présentation de spectacles avec des des LEDs, elles sont réellement diffusées sentés sous forme de vidéos. Certaines compagnies de danse, collaboration avec dans la salle d’exposition. Pour voir leur vidéos montreront plusieurs de leurs le groupe pop Perfume, etc. En dévelop- présence, il suffit de regarder au travers collaborations avec la compagnie de pant des activités transdisciplinaires, ils d’un appareil photo de smartphone par danse Elevenplay, notamment des per- soulèvent paradoxalement une question exemple. Ainsi, les ombres d’objets dis- formances dans lesquelles sont utilisés fondamentale : qu’est-ce que l’art ? Ils tra- posés dans la salle d’exposition semblent des lasers, des drones, etc. Ces colla- vaillent souvent avec des scientifiques et tout à fait normales, mais vues à travers un borations sont de deux sortes : celles spécialistes, et font partie de Rhizomatiks, écran, elles apparaissent colorées. directement liées aux spectacles de la une structure regroupant de brillants créa- Cette installation montre les limites de la compagnie de danse et les projets expé- teurs, dont ils dirigent ensemble la section compréhension de notre cerveau et met en rimentaux qui permettent de tester des s’occupant de la recherche et du dévelop- évidence ce fait : même pour une personne idées. Ces derniers sont des premiers pement, Rhizomatiks Research. Selon moi, ne souffrant pas d’infirmité, ce qu’elle essais, des expérimentations qui sont leur façon spécifique de mener leurs acti- voit de ses yeux et qu’elle considère donc ensuite développées dans des spectacles vités et leurs objectifs préfigurent la créa- comme réel est soumis à des limites d’ordre de plus grande ampleur, par exemple tion telle qu’elle sera à l’avenir. physique. Avec la technologie numérique, dans ceux de Perfume. y compris dans le domaine artistique, Transphère va demander aux artistes nous avons souvent l’impression que notre Laurent Catala de réaliser une œuvre originale. corps se développe, s’étend. À l’inverse, la À quoi va ressembler celle de Manabe particularité de l’installation de Manabe et Ishibashi ? et d’Ishibashi est qu’elle fait appel aux Daito Manabe et Motoi Ishibashi, Elle va traiter d’un phénomène étonnant : technologies numériques de pointe pour du 16 mars au 7 mai, dans le cadre l’apparition, à travers le filtre d’un écran, nous révéler les limites du corps humain. de la série d’exposition Transphère de formes et de couleurs invisibles à l’œil Elle pose également le problème de ce Maison de la Culture du Japon à Paris : nu. Manabe et Ishibashi utilisent pour qu’est le réel et se rapporte à la conscience www.mcjp.fr cela des LEDs spéciales qu’ils ont eux- de la réalité, sujet qu’ils ont abordé dans le Rhizomatiks Research : mêmes conçues. La gamme de fréquences passé, notamment avec Rate en 2011. www.rzm-research.com

news / LIGnes De FROnT - mcd #81 - 15 news / > LIGNES DE FRONT

16 - mcd #81 dossier thématique / ARTS & SCIENCES

arts & sciences mcd #81 - 17 arts & sciences

ART & SCIENCE sujet de la création artistique : l’émission d’hypothèses (celles des scientifiques, mais aussi celles que peuvent propo- ser les artistes), les connaissances et les savoirs proprement dits qu’ils soient plAIdoyER récents ou plus anciennement établis, les méthodologies (parmi lesquelles le recueil et la structuration des faits ou des données), l’accès à des instruments spécifiques, précisément au cœur de la science contemporaine. Cette distinction, pouR uN loin d’être anecdotique, permet de mieux appréhender la diversité des pratiques, la façon dont les œuvres peuvent être per- çues ainsi que les relations possibles entre artistes et scientifiques. NoN-ChAmp Jean-Marc Chomaz, lors d’une conférence, suggérait d’aborder le protocole scienti- Certains l’écrivent avec une conjonction de coordination — art et science, fique comme un protocole artistique parmi d’autres. Anne Brodie s’est ainsi appuyée remplacée parfois par le "et" commercial — &, qui fait plus joli graphiquement. sur la méthode de collecte d’échantillons D’autres le concatènent en un seul mot — artscience, au genre indéterminé, pour réaliser l’œuvre réflexiveAntarctica, et écrivent des livres pour justifier le monstre linguistique. Et il est bien a choice? Rothera Collection 2007 dans la- quelle elle demandait aux résidents de la d’autres formes encore. Dans tous les cas, le résultat est le même : qu’elle est base de Rothera de remplir anonymement cette chose dont aucun des deux termes n’est le qualificatif de l’autre ? des flacons en verre avec ce qui, pour eux, résumait le mieux l’expression de leur sen- Pas d’art scientifique ni de science artistique. timent vis-à-vis de l’Antarctique. Chaînes de motoneige, sang, papiers de bonbons, eau provenant de la glace fondue, etc., les 40 flacons dessinent un "paysage humain", envers du décor de la recherche qui se Art-Science n’est pas un genre, ni un conduit sur le continent. mouvement, pas plus qu’une idéologie et encore moins une esthétique, mais Mais, parce que l’œuvre relève plus de une nébuleuse et, de plus en plus, une l’anthropologie, et qu’elle ne comporte étiquette séduisante. Des sciences dures aucune technologie ou résultats directs "vedettes" (biologie, physique et astro- issus des sciences dures, elle n’est pas nomie) jusqu’aux sciences humaines, nécessairement perçue comme une œuvre couvrant l’ensemble des pratiques et des art-science. Ce qui est le cas de beaucoup médiums artistiques, le spectre est vaste. de créations dans le champ des sciences Derrière les mots que nous n’avons pas humaines. Par ailleurs, nombre d’œuvres pour le dire, essayons d’énoncer quelques reposent sur des collectes ou des collec- éléments du débat, de poser des jalons et tions, et plus largement sur des méthodes admettons qu’il est plus de questions que procédurales, sans qu’elles soient pour de réponses. autant liées à une quelconque approche scientifique, sauf, bien sûr, à considérer l’art comme une science humaine… La science et l’art : méthode, savoir et instrumentation Art-science : de quoi s’agit-il ? Le mot Les relations entre artistes science recouvre quatre grandes compo- et scientifiques santes qui peuvent faire l’objet ou être le Rappelons que les artistes n’ont pas néces- sairement besoin des scientifiques pour faire des œuvres art-science : l’utilisation anne Brodie, Antarctica, a choice? de données, de résultats ou de connais- Rothera Collection 2007, 2006/2007. sances librement accessibles peut large- Vue de l’installation au Festival ment suffire sans parler de la construction

Photo © AnniCk BuReAuD @rt Outsiders 2009, MeP, Paris de ses propres instruments.

18 - mcd #81 Photo © D.R.

Victoria Vesna, en collaboration avec le biologiste de l’évolution, charles taylor et le physicien, takashi ikegami, Bird Song Diamond, janvier 2016 au Japon dans le «Large space», espace de réalité virtuelle conçu par l’ingénieur Hiroo iwata, empowerment informatics Program (eMP), Université de tsukuba.

Cependant, les relations entre artistes et • pour ne rien produire du tout… Lors de ajouter celui d’incarnation ou de matéria- scientifiques (plutôt qu’entre art et science) la table-ronde qui s’est tenue à Ars elec- lisation. Hyperbolic Crochet Coral Reef(2) ouvrent d’autres possibles. Collaborations tronica en 2015, Michael Doser, scien- des sœurs Margaret et Christine Wer- et résidences artistiques dans des labora- tifique au CeRn et partie prenante du theim (depuis 2005) est une gigantesque toires ont le vent en poupe. programme Collide@CeRn, appelait à la installation dans laquelle les coraux, la prise en compte de l’échec dans les pro- faune et la flore de la grande barrière de Plutôt que de soulever la question oiseuse jets art-science comme condition même de corail ont été fabriqués au crochet afin de ce qu’est une "vraie" collaboration, futurs succès, sous peine de ne faire que ce d’attirer l’attention sur le changement posons celle de son objectif. Autrement que l’on sait déjà faire. climatique et la destruction des océans. dit, une collaboration pour quoi faire ? Avec la même technique, l’artiste et archi- Le spectre, là aussi, est vaste : Aujourd’hui, l’illustration, la médiation et tecte argentin Ciro najle(3) a réalisé Cum- • pour faire une œuvre commune, ce que ce que l’on peut qualifier de "prestation" mulus, énorme nuage crocheté, résultat réalise par exemple Jean-Marc Chomaz sont quasiment considérées comme une d’une recherche engagée au Chili en 2007 avec Laurent karst. aliénation ou une exploitation de l’un par pour améliorer l’efficacité des capteurs • pour produire un résultat dans les deux l’autre. Peut-être faut-il être plus nuancé. d’humidité atmosphérique posés par les domaines, dans une fécondation mutuelle. L’illustration scientifique, par exemple, populations dans les zones désertiques C’est le chemin que suit par exemple Vic- a eu par le passé ses lettres de noblesse. comme l’Atacama. outre leur engage- toria Vesna, notamment dans son dernier La visualisation ou la sonification de don- ment citoyen, ces deux projets sont aussi projet Bird Song Diamond(1) avec le biolo- nées pourraient en être considérées comme une leçon de mathématique et de géo- giste de l’évolution Charles taylor et le les héritières. en la matière les projets artis- métrie par la matérialisation du modèle physicien takashi ikegami, projet pour le- tiques sont innombrables, parmi lesquels physique de l’espace hyperbolique que quel elle a récemment réalisé une installa- ceux d’Andrea Polli qui a présenté Particle permet le crochet(4). tion immersive. La recherche scientifique Falls à Paris lors de la CoP21. Cette installa- a pour but de comprendre le langage des tion mesure le taux de particules fines dans "L’utilitarisme réciproque", en revanche, oiseaux, entre autres par une cartographie l’atmosphère et en donne une visualisation qui consiste à lister ce que l’art peut de leurs réseaux acoustiques. sous forme d’une cascade bleue quand l’air apporter à la science et inversement afin • pour produire un résultat dans un seul des est pur, qui se transforme en boule de feu de justifier des échanges, quels qu’ils deux domaines, généralement l’art, avec quand celui-ci est pollué. soient, entre les deux, me semble une éventuellement un effet "collatéral" dans voie qui témoigne surtout d’un certain l’autre. C’est certainement le cas de figure Visualisation, illustration, représentation, échec de nos modèles d’enseignement, le plus répandu des créations art-science et des glissements sémantiques s’opèrent de la crise que traversent la science tout des relations artistes-scientifiques. entre ces différents termes auquel il faut autant que l’art, d’un désir de rédemp- >

arts & sciences mcd #81 - 19 Photo © AnniCk BuReAuD

ciro najle, Cummulus, exposé au Laboratoire à Paris en 2012.

tion par l’une des erreurs passées de nier. Le laboratoire permet aussi l’accès L’art et le design spéculatifs, particulière- > l’autre, quand ce n’est pas les charger à une "écologie de chercheurs", le CeRn ment présents dans la création en biologie des solutions à tous les problèmes aux- en étant l’exemple le plus frappant. de synthèse ou dans les œuvres portant quels nous avons à faire face. Cependant, comme le démontrent am- sur l’évolution écologique de la planète plement le BioDiY, l’astronomie amateur ne semblent pas poser de problèmes par- Après le "pour quoi faire", se pose la ques- ou encore les mouvements d’une science ticuliers. La spéculation rejoint ici l’élabo- tion du "comment faire". Les résidences ouverte ou d’une science des citoyens ration d’hypothèses, la mise en place de dans les laboratoires, qu’elles soient du- (open science, citizen science), il n’est modèles et de simulations. Les exemples rables ou éphémères, se multiplient et pas toujours besoin d’un laboratoire de abondent. en 2013, teresa Dillion, naomi constituent le Graal des relations entre la science professionnelle et peut-être Griffin-Murtagh, Claire Dempsey et Ais- artistes et scientifiques. De fait, le labora- pourrait-on aussi envisager de mettre ling McCrudden proposent avec Opimilk, toire apparaît comme le lieu le plus appro- des scientifiques en résidence dans des projet développé à la Science Gallery de prié pour accéder aux moyens techniques, lieux de l’art. Dublin, un futur où les analgésiques se- aux instruments et parfois aux conditions ront produits par des vaches génétique- de sécurité de la science contemporaine. ment modifiées et où il suffira de les traire Le MRSA Quilt d’Anna Dumitriu(5) exigeait Rigueur scientifique pour obtenir le médicament directement d’être réalisé dans un laboratoire sécurisé. Intégrité artistique buvable avec le lait. en effet, ce sont des tests de culture par L’art doit-il être scientifiquement exact ou différents antibiotiques du staphylocoque peut-il s’affranchir de la véracité exigée de La frontière est cependant quelquefois doré résistant à la méticilline qui déter- la science ? Le débat est tendu aussi bien ténue. en 2001, Laura Cinti du duo C-Lab minent les motifs de chacun des carrés du de la part des artistes que des scientifiques. propose le Cactus Project(7) pour lequel des patchwork. La fabulation scientifique telle qu’elle gènes de kératine humains auraient été est portée dans les œuvres de Joan Font- introduits dans les cellules d’un cactus via Javiera tejerina-Risso n’aurait pu faire cuberta ou de Louis Bec, par exemple, est une bactérie reprogrammée afin que des Déploiement(6) en collaboration avec Pa- généralement bien accueillie en ce qu’elle cheveux poussent sur la plante en lieu et trice Le Gal, chercheur en dynamique inclut toujours un élément permettant au place des épines. Quinze ans après le pro- des fluides à l’université d’Aix-Marseille, public de comprendre que, précisément, il jet fait toujours débat comme étant une sans le simulateur de vagues de ce der- y a jeu sur la méthode et le discours. supercherie dommageable aussi bien pour

20 - mcd #81 - arts & sciences arts & sciences

la science que pour l’art. on laissera le lec- discipline. enfin, dans ce trio art-science- il me demanda alors si cela devait aussi pro- teur juge. D’une manière générale, je fais informatique, il convient de distinguer ce duire une science intéressante. "Great Art partie de ceux qui pensent que l’intégrité qui relève de la recherche en informatique for Great Science", pour reprendre le slo- artistique autorise la licence poétique. de l’ingénierie. Si les frontières sont, heu- gan du programme culturel et artistique du La littéralité au regard de la science ne fait reusement, poreuses, les amalgames hâtifs CeRn. La symétrie est-elle indispensable ? pas forcément œuvre intéressante, ni dans n’engendrent que la confusion. Je ne le pense pas. Je ne crois pas non plus la forme ni dans le fond. qu’il faille développer une sorte de syncré- tisme et encore moins établir un nouveau L’art et la science : art contemporain ghetto, un monde parallèle comme nous Art – Technologie – Ingénierie - Science La relation des œuvres "art-science" à l’art l’avons fait pour l’art numérique. Je plaide Art et science auraient en commun la tech- contemporain est pour le moins confuse. pour un non-champ. nologie. Reste à savoir de quelle techno- Quand Loris Gréaud propose le filmThe logie on parle. Les créations art-science Snorks (2012) dans lequel il fait référence Dans ce numéro, j’ai volontairement se déclinent dans tous les médiums pos- à la bioluminescence sous-marine et pour choisi de mettre l’accent sur la création sibles : de la matière vivante pour certaines lequel il visite et montre le télescope actuelle, plutôt que sur des aspects plus œuvres de bioart et d’art du vivant, aux sous-marin AntAReS, cela relève de l’art historiques. J’ai essayé aussi, par une sorte médiums les plus classiques de l’art (pho- contemporain. Quand Félicie d’estienne d’échantillonnage nécessairement limité, tographie, dessin, sculpture, vidéo, etc.), d’orves présentera son projet avec le même de témoigner de la diversité des sciences, en passant par les techniques de l’artisa- télescope, gageons que ce sera étiqueté des pratiques, des créations, des discours, nat traditionnel jusqu’aux médias numé- art-science. Les créations de Marion Laval- des esthétiques. riques. Quant aux sciences, elles aussi dé- Jeantet et Benoît Mangin du duo Art orienté ploient un ensemble de technologies qui objet qui alludent à l’histoire de l’art de ma- Annick Bureaud ne sont pas toutes numériques (l’optique nière subtile et érudite et incluent largement (1) http://artsci.ucla.edu/birds/ par exemple). L’informatique n’est donc des techniques anciennes de l’artisanat (2) http://crochetcoralreef.org commune qu’à une partie des pratiques. sont d’abord perçues comme art-science. (3) www.generaldesignbureau.com Quant à tomas Saraceno, on peut imaginer (4) C’est en 1997 que la mathématicienne Diana taimina de l’université de Cornell mis au point la en outre, l’utilisation d’un ordinateur n’a que sa rétrospective au Palais de tokyo le technique du crochet hyperbolique permettant de certainement pas valeur de langage com- fera entrer dans l’art contemporain. faire des modèles physiques de la géométrie des mun. La couche logicielle en tant que lan- espaces hyperboliques ce que l’on croyait jusqu’alors gage et structuration des savoirs et de la pen- Lors d’une conversation avec Christian Jac- impossible. (5) http://annadumitriu.tumblr.com/ModMedMicro sée tout comme la capacité d’interprétation quemin, je déclarais que ce qui m’importait (6) http://javieratejerina-risso.com/Deploiement sont en la matière bien plus importantes de dans les collaborations art-science était que (7) http://c-lab.co.uk/project-details/the-cactus- même que les instruments propres à chaque cela produisent des œuvres intéressantes. project.html

Marion Laval- Jeantet & Benoît Mangin (art orienté objet), Herzen aus Glas (Cœurs de verre), 2013. Œuvre associée à la performance Que le cheval vive en moi, cœurs anatomiques de cheval et de femme en verre rouge, 40 x 60 x 34 cm, production musée de la chasse et de la nature, Paris. Photo © AnniCk BuReAuD

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JEAN-MARC LÉVY-LEBLOND ROGER MALINA art-science : uN bREf dIAloguE SuR dEux SySTèmES du moNdE

Jean-Marc Lévy-Leblond et Roger Malina sont deux scientifiques, deux losophiques de leur temps. Cette rela- tion constitutive entre culture et science physiciens, tous deux directeurs de revues — Alliage et Leonardo —, s’est distendue progressivement, au fur engagés depuis de nombreuses années dans ces territoires à la croisée et à mesure de la séparation et de la spé- cialisation des sciences, de la montée en de l’art et de la science. S’ils partagent une large analyse commune puissance des institutions scientifiques au sur la relation art-science, dont le refus de l’illusion de l’émergence XiXe siècle, puis de l’arraisonnement des connaissances scientifiques par l’économie d’une "troisième culture", ils divergent sur d’autres points dont les actions et la politique au XXe siècle. à mettre en œuvre : "brèves rencontres" pour l’un, institutionnalisation De la bombe A au Viagra, les réalités so- des pratiques pour l’autre. Rencontre et dialogue. ciales effectives de l’activité scientifique moderne ne montrent aujourd’hui que d’assez lointains rapports avec la pro- duction artistique. Poser la question des rapports art-science a donc pour pre- mière vertu de mettre en lumière la pro- Quelle est votre approche de la relation chimie, presque jamais les sciences de la fonde mutation historique qu’a connue art-science ? terre — sans parler des sciences sociales la science moderne depuis le milieu du Jean-Marc Lévy-Leblond : Peut-on vrai- et humaines. XXe siècle — et sans doute en va-t-il de ment parler aujourd’hui d’une relation La question en vérité concerne rien moins même pour l’art. Peut-être leur plus fort entre art et science si on les considère que la globalité du lien entre science et point commun est-il aujourd’hui leur as- l’un et l’autre au singulier, comme termes culture. La science moderne se dévelop- sujettissement toujours croissant à la loi génériques ? De fait, dans les multiples pa au début du XViie siècle au sein de la du marché. ne considérer l’art que d’un écrits, rencontres, expositions, etc. consa- culture de l’époque. Les protagonistes de point de vue esthétique et la science que crés à ce sujet, force est de constater qu’il la "révolution scientifique" étaient moins d’un point de vue épistémique ne rend ne s’agit dans la très grande majorité des spécifiquement intéressés par la physique guère justice à leur réalité contemporaine. cas que des arts plastiques, parfois de la ou les mathématiques, que, selon leur musique ou du théâtre, rarement de la lit- propre assertion, par la "philosophie natu- Roger Malina : Je suis scientifique de forma- térature ou du cinéma. Quant à la science, relle". ils entretenaient, comme le cas d’un tion(1), en physique (surtout l’optique) et en Revue Alliage, elle est pour l’essentiel représentée par Galilée le montre magnifiquement, des astrophysique spatiale. Je suis instrumenta- Science en fiction, la physique, l’astronomie et la biologie, liens étroits avec les activités artistiques, liste, c’est-à-dire qu’afin de tirer des conclu- n°74 automne 2014. éventuellement les mathématiques ou la littéraires, musicales et évidemment phi- sions scientifiques j’ai développé des instru-

22 - mcd #81 Photo © D.R. / CouRteSY: FRAnçoiS MoReLLet Photo © D.R. / CouRteSY:

François Morellet, Tirets 2 cm dont l’espacement augmente à chaque rangée de 2 mm. Peinture, 1974.

ments qui permettent d’observer l’univers logies à des fins artistiques est importante sociétales. il me semble qu’investir dans de façon nouvelle. J’insiste sur ce point, car en soi et doit être soutenue. les activités arts/technologies/sciences cela a eu une influence sur mon approche De fait, il y a une appropriation culturelle, fait partie d’une stratégie de construction de l’art et en particulier mon intérêt pour les ce qui rejoint les arguments de Lévy-Le- d’une "science socialement fiable" socially( arts technologiques où les artistes s’appro- blond sur la nécessité d’ancrer la culture robust science) selon l’expression d’helga prient les technologies de leur époque pour scientifique, et la formation des scien- nowotny(2) ou de "(re)mise en culture" créer de nouvelles expériences esthétiques. tifiques, dans leur contexte sociétal et de la science dans les termes de Lévy-Le- il me semble que cette démarche, d’appro- culturel. Je partage son point de vue quant blond. Dans les discussions arts-sciences, priation ou de développement des techno- aux limites de la science sur les questions il y a aussi la nécessité de différencier les >

arts & sciences mcd #81 - 23 image des structures de connexions internes du cerveau obtenues par Gagan Wig utilisant des données de fMri. À gauche la structure interne de cerveaux de personnes âgées de 20 ans, à droite de 60 ans. L’équipe arts-science de l’Université du à Dallas a créé un "data stéthoscope" qui permet de comparer des images utilisant la sonification des données pour des explorations scientifiques, mais aussi de faire des performances avec les données ou "data dramatisation". Photo © ARtSCiLAB ut DALLAS

pratiques arts-sciences, arts-ingénieries type d’hybridité professionnelle est très raines qui s’approprient ce qui est perti- > et arts et technosciences. À mon avis il y courant parmi les chercheurs et ingénieurs nent dans les sciences et les technologies a une multiplicité de pratiques à encou- qui ont les meilleurs résultats. aujourd’hui. Lévy-Leblond propose la rager, mais il faut une rigueur d’analyse Dans une interview à France Culture, notion de "brèves rencontres", singulières, quant aux finalités. Lévy-Leblond note qu’au lycée il avait des entre artistes et scientifiques pour éviter Je viens d’ouvrir récemment le labora- passions multiples pour les sciences, mais les risques et les illusions de trop vagues toire ArtSciLab(3) à l’université du texas aussi pour la philosophie et la littérature, convergences. À mon avis, ces "brèves ren- à Dallas. Des scientifiques, en neurobio- et que son choix s’est fait en partie parce contres" ne répondent pas à l’opportunité logie et en informatique, et des artistes, qu’il s’est imposé, mais aussi par "facilité" : de mettre en place, de façon systémique, visuels et sonores, y travaillent ensemble il avait l’impression qu’en science les cri- des passerelles productives entre les arts sur des projets communs de développe- tères d’évaluation et de réussite étaient et les sciences, utilisant des méthodologies ment d’outils à finalités aussi bien scien- mieux définis, au sein de la méthode des théories de la collaboration, de la créa- tifique qu’artistique. notre espoir est de scientifique, alors que dans les sciences tivité et de l’innovation actuelles. créer un contexte pour des découvertes humaines et les arts il était très difficile scientifiques qui ne se seraient pas faites de "savoir ce qu’on attendait de vous". JMLL : Les perspectives qu’évoque Roger autrement, et des œuvres artistiques per- Ceci est incontestable, et fait partie des posent à mon avis une question essen- cutantes, de notre temps. systèmes de connaissances différents. tielle, celle du rapport entre science(s) et Jean-Marc Comme lui, je suis dubitatif sur une fusion technologie(s). Car bien des initiatives Lévy-Leblond, À la lecture de vos réponses euphorique des arts et des sciences. il y étiquetées art-science se limitent en réa- La science (n)e(s)t réciproques, y a-t-il un point a de très bonnes raisons pour lesquelles lité à un usage artistique des technologies (pas) l’art - de convergence ou de divergence des disciplines différentes, avec finalités et contemporaines. Rien là de critiquable, Brèves rencontres. que vous voudriez souligner ? méthodes différentes, ont été développées. au contraire, et l’on ne peut qu’approu- Hermann, RM : Je voudrais reprendre les remarques en revanche, il me semble intéressant et ver et encourager l’appropriation par les 2010. de Jean-Marc sur l’évolution au cours des important aujourd’hui d’investir plus artistes de nouveaux moyens techniques siècles des relations sciences et culture. dans les démarches arts-sciences hybrides — comme ils l’ont toujours fait d’ailleurs. Je suis le fils de Frank Malina, chercheur et de certains individus (et d’équipes) dans Mais ces pratiques ne mettent guère en jeu ingénieur de recherche, co-fondateur du chaque génération, et de créer des struc- les connaissances scientifiques sous-jacentes laboratoire JPL (Jet Propulsion Laborato- tures et des systèmes de soutien pour à ces techniques dans leur dimension pro- ry) de la nASA. Mais je l’ai connu, quand encourager ce type travail. Les agences prement intellectuelle et spéculative. j’étais enfant, en tant qu’artiste plasticien. scientifiques commencent à financer ce en d’autres termes, que la forme artis- Mon père a eu une carrière "hybride" en type de démarches arts-sciences en tant tique d’une œuvre dépende étroitement tant que chercheur, mais aussi en tant que frontière de la recherche scientifique. d’une avancée technoscientifique, n’im- qu’artiste. Les relations arts-sciences pour Les objectifs sont multiples : aussi bien plique nullement que la signification de lui étaient intégrées dans sa personnalité d’influencer les méthodes et directions de cette œuvre ait quoi que ce soit à voir et ses motivations. Les études de Robert la recherche scientifique que la création de avec le sens et la portée de cette avancée. Root-Bernstein(4) ont démontré que ce formes d’arts et d’une culture contempo- La réciproque est d’ailleurs vraie : certaines

24 - mcd #81 - arts & sciences arts & sciences

œuvres plastiques dont la facture n’a rien or force est de constater que, jusqu’à pré- Alliage s’efforce de contribuer aux dé- de technologiquement novateur peuvent sent, elles ne sont que rarement parties bats sur le rôle social de la science et permettre de jeter un regard des plus aigus prenantes actives du dialogue art-science, de la technologie contemporaines, à la sur le développement technoscientifique et jouent au mieux un rôle de témoins ou confrontation culturelle régulière entre (de Delaunay et Duchamp à Rebeyrolle ou d’interprètes. il faudrait, me semble-t-il, sciences, arts et lettres, aux nécessaires kiefer, les exemples seraient nombreux). ouvrir plus largement l’éventail des arts et discussions sur les finalités et les moda- La question est d’autant plus cruciale que des sciences pour les mettre en relations, lités des actions de culture scientifique. la science fondamentale est aujourd’hui en dans une pluralité nécessaire et féconde. Alliage est aussi un lieu de création, qui passe d’être réduite à la portion congrue par présente les œuvres d’artistes en réso- le développement de ses propres applica- RM : Je rejoins complètement Jean-Marc nance avec les perspectives de la revue, tions techniques, se transformant en une sur le fait que nous avons besoin "d’ouvrir des nouvelles de fiction, des pages de technoscience essentiellement utilitaire plus largement l’éventail" et de prendre en poésie. et, en dépit (ou à cause) du sé- au détriment de sa valeur intellectuelle et compte les énormes asymétries et dissy- rieux des préoccupations de la revue, culturelle. il faut donc prendre garde que métries entre les mondes des chercheurs l’humour n’en est jamais absent. la valorisation artistique des nouvelles tech- et ceux des artistes. Comme lui, je constate nologies ne consiste finalement en une jus- que les relations arts-sciences mises en RM : Les publications Leonardo à Mit tification de cette mutation. en ce qui me avant ne sont très souvent que dans Press ont pour vocation première de do- concerne en tout cas, j’attends du dialogue le champ de certaines technosciences. cumenter les créations d’artistes qui tra- art-science autre chose qu’une connivence elles sont aussi parfois instrumentalisées vaillent en liaison étroite avec les sciences apologétique mutuelle et souhaite une véri- dans un discours créativité/innovation/ et technologies contemporaines, mais aus- table confrontation, qui explicite les diffé- entrepreneuriat/emploi qui ne met pas en si le travail de chercheurs et théoriciens. rences, voire les oppositions, et éclaire donc avant les questions de fond sur nos mo- Cela inclut la revue Leonardo (fondée en les limites et les contraintes de ces deux dèles de société. Si nous devons créer une 1968 par Frank Malina), le Leonardo Music activités humaines majeures, pour leur per- civilisation humaine "durable" sur notre Journal, une collection de livres ainsi que Leonardo, mettre de les dépasser. planète, qui prenne en compte les limites les publications numériques Leonardo Volume 48 - réelles de notre écosystème, il est peu pro- Electronic Almanac et Leonardo Reviews et number 2, 2015. revital cohen & Selon vous, vers quoi devraient bable que ce soit par une extrapolation de plus récemment la plateforme de pod- tuur Van Balen, (8) tendre les relations arts-sciences ? notre mode de vie actuel. casts multilingue : Creative Disturbance . Pigeon d’Or, Comment voyez-vous l’avenir ? Donc oui à des pluralités de pratiques, nous souhaitons faire évoluer nos modes installation, 2011. JMLL : Les rencontres arts et sciences de- sur un éventail large des sciences allant d’éditions pour répondre aux nouvelles Photo: © revital mandent pour être intéressantes, voire fé- des sciences physiques, biologiques aux pratiques de création, de monstration et cohen & tuur condes, qu’il s’agisse de relations concrètes sciences humaines et sociales. Mais pour de publication, mais aussi pour toucher Van Balen). entre artistes et scientifiques(5), et que, cela il va falloir se retrousser les manches des publics différents. en collaboration pour commencer, les uns et les autres et apprendre à travailler autrement. nos publications sont adossées à deux as- avec le biologiste soient conscients des profondes diffé- un récent rapport américain Enhancing sociations, Leonardo, international Society James chappell, rences entre leurs intentions, leurs statuts the Effectiveness of Team Science de 2015(6) for the Arts, Sciences and technology à cohen et Van Balen socioéconomiques, leur reconnaissance détaille les difficultés réelles pour faire tra- San Francisco(9), et l’Association Leonardo ont développé une (10) bactérie qui modifie sociale, leurs moyens de création, etc. vailler ensemble des disciplines différentes à Paris qui organisent des programmes des pigeons afin or la dissymétrie reste grande à cet égard : avec leurs finalités propres et souvent di- d’artistes en résidence, des ateliers et des qu’ils défèquent si nombre d’artistes sont au moins curieux vergentes. Les rencontres arts et sciences rencontres. Ces "outils" sont utilisés par une substance de science, la plupart des scientifiques demandent pour être intéressantes un une "communauté de pratique" dont les savonneuse. sont peu intéressés par l’art contemporain. vrai investissement méthodologique, ins- centres d’intérêt évoluent avec le temps : Leurs relations ne peuvent donc dans la titutionnel, et une prise de risque par des arts informatiques dans les années 1970- situation présente qu’être minoritaires, individus et des groupes. 1980, art et biologie dans les années 1990, voire marginales. Bien entendu, c’est là une aujourd’hui environnement et change- raison de plus pour s’y intéresser et tenter Vous dirigez tous les deux des ment climatique. de les développer. Mais ceci n’a de sens, de revues dans le champ arts-sciences. mon point de vue, que dans une perspec- Pouvez-vous les présenter ? Annick Bureaud tive critique. Les forces actuellement domi- JMLL : La revue Alliage(7), sous-titrée (dialogue établi par courrier électronique nantes poussent la recherche scientifique à "culture, science, technique" — dans cet en juillet 2015) se contenter de répondre à la demande à ordre, ce qui n’est pas innocent — existe (1) Malina.diatrope.com court terme de l’entreprise techno-écono- depuis maintenant plus de 25 ans. elle se (2) http://spp.oxfordjournals.org/content/ mique comme la création artistique à se sa- veut une référence en matière de culture 30/3/151.abstract tisfaire d’alimenter la spéculation financière scientifique et technique. Contribuent à la (3) http://artscilab.utdallas.edu (4) http://creativedisturbance.org/podcast/successful- et le divertissement médiatique. revue, artistes, écrivains, philosophes, et, scientists/ C’est pour tenter de résister à cette pres- bien entendu, scientifiques. L’art n’y est pas (5) Jean-Marc Lévy-Leblond, La science (n’)e(s)t (pas) sion, peut-être fatale pour l’une et l’autre, limité aux arts plastiques — la musique, l’art, hermann, 2010 que leurs perspectives d’alliances me pa- la photographie, le théâtre, le cinéma sont (6) www.nap.edu/openbook.php?record_id=19007 (7) http://revel.unice.fr/alliage/ raissent porteuses d’espoir. il paraît clair présents dans nos pages. et les sciences hu- (8) http://creativedisturbance.org que, à cet égard, les sciences humaines maines et sociales, l’histoire sont aussi bien (9) www.leonardo.info et sociales ont un rôle essentiel à jouer. représentées que les sciences naturelles. (10) www.olats.org

mcd #81 - 25 arts & sciences

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arts & sciences / Les sciences DUres aU cŒUr - mcd #81 - 27 arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR

LES INTERROGATIONS ACTUELLES DES ARTISTES SUR LA SCIENCE Des algorithmes de la vie artificielle aux gènes du bioart, de la robotique aux particules élémentaires, du prix VIDA au CERN : un questionnement identique sur la matière et le vivant et la façon dont les artistes s’approprient ces thématiques dans des créations artistiques à la croisée des sciences.

On pourrait soutenir que, depuis des été les motivations communes à l’art et à Nous assistons actuellement à un engoue- siècles, notre réalité a été définie par la science tout au long de notre histoire. ment pour les zones hybrides entre les les pratiques culturelles de l’art et de la L’exploration des systèmes naturels, ou disciplines. La croisée de ces champs, que tunnel du science. La manière dont nous appréhen- leur entendement perceptuel, étaient les l’on appelle communément art, science et LHC/Large dons notre environnement, les interac- moteurs des cultures anciennes et peuvent technologie, renvoie à un espace d’interac- Hadron Collider, tions avec d’autres êtres ou la compréhen- s’avérer tout aussi essentiels pour com- tion entre des systèmes de connaissance. cern. sion des lois complexes de la nature ont prendre l’humanité d’aujourd’hui. Cependant, malgré l’aspect littéral du terme, nous devons l’aborder avec ses dif- férentes connotations liées aux contextes, aux sujets, à l’environnement, ainsi qu’au genre d’expérience qui est créée. La créa- tivité se redéfinit quand artistes et scien- tifiques sont ensemble. Non seulement parce que, souvent, les deux s’interrogent sur la nature des choses, sur ce qui consti- tue notre cosmos, sur le temps et l’espace ou sur la manière dont notre cerveau per- çoit le monde qui nous entoure, mais aussi parce qu’ils sont capables de partager ce rare détachement objectif qui permet un mode de compréhension et de connais- sance plus approfondie et plus éclairé.

Longtemps la discussion sur le sens d’une pratique interdisciplinaire a été motivée par les similarités ou les traits communs qui permettent aux artistes, aux scienti- fiques et aux ingénieurs d’interagir. On dit que l’art explore des questions semblables à celle de la science, tandis que la science voit souvent l’art comme un domaine où l’originalité et l’unicité mènent à des dé- couvertes difficiles à prouver. Les artistes

phOtO © D.R. ne souhaitent pas se cantonner à l’illustra-

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Kerstin ergenzinger, Rotes Rauschen (Red Noise), 1er prix ViDa 15.0.

tion ou la médiation de concepts, d’idées l’art à travers le prisme de la science mo- À cette époque, j’ai découvert le travail ou de processus scientifiques et techno- derne — l’astronomie, la physique, la bio- d’artistes et de "makers" qui présentaient logiques. Ils veulent pouvoir aborder la logie, la chimie, la botanique, l’anatomie ou la vie comme trame d’un dialogue ouvert connaissance avec des outils semblables les sciences du climat, entre autres systèmes pour de nouvelles pratiques utilisant la à ceux des chercheurs et découvrir le lan- d’exploration formelle qui la constituent. biologie et des organismes vivants. gage avec lequel la science modèle notre compréhension, nos perceptions et nos Ces quinze dernières années, dans ma Organismos, une liste de diffusion animée croyances. Dans ce contexte, il est évident recherche curatoriale sur les nouvelles par Douglas Repetto, a constitué un cadre que l’art, aujourd’hui, évolue pour devenir pratiques artistiques, je n’ai cessé de de recherche et de discussion pour ce progressivement un cadre de discussion porter une attention constante à l’art qui genre de thématiques au moment où les sur les complexités qui sous-tendent notre s’intéresse aux diverses disciplines scien- domaines émergents liés aux technologies vie contemporaine. tifiques. J’ai commencé à réfléchir plus du vivant — le clonage, la thérapigénie largement à l’art et à l’esthétique, en par- et l’ingénierie génétique, l’ingénierie tis- Qu’est-ce que la vie ? Quelle est l’origine ticulier lorsqu’ils sont liés à des postures sulaire, etc. — prenaient de plus en plus de notre univers ? Quels événements pri- épistémologiques, c’est-à-dire la manière d’importance dans le domaine social et où mordiaux produisent la vie ou la matière ? dont la connaissance a été engendrée et l’utilisation du vivant dans des œuvres d’art Comment pouvons-nous comprendre ou élaborée. pendant quelques années l’ac- se constituait en genre. Les thèmes du Fes- saisir les interactions qui les provoquent ? cent a porté sur une forme, plutôt mar- tival Ars Electronica, Life Science (1999) et Comment peuvent-elles influer sur la na- ginale à l’époque, de l’art et des sciences Next Sex (2000), les expositions Paradise ture actuelle de notre planète, la manière de la vie que l’on a appelées par la suite Now (2000) à l’ Gallery de New York dont nous y vivons et quelles sont les art biotech ou bioart. C’est vers la fin ou L’Art Biotech (2003) au Lieu Unique conséquences de nos activités humaines ? des années 1990 que quelques artistes et à Nantes témoignent de cette tendance. Quel rôle jouons-nous, en tant qu’es- commissaires d’expositions ont repoussé Les effets de la mise en œuvre des nouvelles pèce, au regard des autres êtres vivants, les limites de l’art vers les biosciences, technologies du vivant aussi bien que leurs au sein des phénomènes variables qui se explorant la manière dont le concept de conséquences éthiques et sociales étaient produisent dans notre environnement ? vie était transformé, voire manipulé, par parmi les questions et les préoccupations Ce genre de questions peut être abordé par l’émergence de nouvelles technologies. des pionniers de l’art biotech. >

arts & sciences / Les sciences DUres aU cŒUr - mcd #81 - 29 phOtO © D.R.

Yunchul Kim, Effulge, 3ème prix ViDa 15.0

VIDA, le prix international d’art et vie arti- de l’art des nouveaux médias et le seul qui ons des séances de réflexion et des débats > ficielle(1) a été fondé à la même période et soit entièrement dédié à l’étude du vivant. animés et passionnants sur l’évolution de dans le même esprit. En 1999, un groupe Chaque nouvelle édition confirmait l’im- ce champ. Un des points centraux de nos d’artistes — Nell tenhaaf, Susie Ramsay portance de cet effort pour soutenir et discussions au cours de ces années a été et Rafael Lozano-hemmer — ont créé un promouvoir activement de nouvelles ma- les fluctuations discursives dans l’intérêt nouveau prix dédié au vivant et à la vie nières d’aborder la complexité du vivant. artistique. Cela nous conduisait, générale- artificielle. Avec le soutien de la Fundacion ment, à souligner l’importance du solide telefonica de Madrid et ayant pour mis- Les œuvres récompensées par VIDA ont travail de recherche effectué pour les sion d’encourager les efforts créatifs dans questionné, entre autres, les conséquences œuvres et l’évolution de la thèse selon ce domaine singulier, VIDA récompensait des formes et des propriétés des êtres, les laquelle la vie est une notion soumise à les œuvres d’artistes pionniers simulant actions et les responsabilités qui émer- une nature variable, intégrant plusieurs la vie à des fins artistiques. Au cours des gent de la condition post-humaine ou la approches, allant des arts à la philosophie L’artiste huit dernières années, j’ai eu l’honneur de compréhension des systèmes naturels ou aux théories des médias en passant par Bill Fontana et le participer au jury de sélection de VIDA et au sein desquels nous évoluons. VIDA a la science ou l’ingénierie informatique. scientifique subodh Patil au cern d’en être la directrice artistique ces cinq récompensé des œuvres allant des tropes Data centre, dernières années. Ainsi, j’ai pu voir la pionniers de la vie artificielle, comme Cependant, il n’a jamais été simple de artiste en résidence manière dont VIDA est devenu l’un des TechnoSphere (1999) de Jane prophet et définir tout l’éventail de sujets traités par au cern. prix les plus prestigieux dans le domaine Gordon Selley ou Tickle (1996), les robots VIDA et la manière dont le prix a réussi autonomes conçus par Maria Verstappen à passer de la simulation numérique au et Erwin Driessens, aux formes les plus bioart. Des précurseurs de la vie artificielle récentes de matière et de vie — de syn- aux artistes qui explorent le sens impli- thèse, minérales ou biologiques — comme cite de la vie dans l’ère post-numérique, Ocular Revision (2010) de paul Vanouse ou des écosystèmes de vie numérique à des Effulge (2013) de Yunchul Kim. toutes ces cultures de tissus in vitro ou des objets œuvres partagent la même capacité à in- semi-vivants, VIDA a abordé un large carner des artefacts qui sont performatifs, éventail de domaines qui non seulement dynamiques, vitaux et ressemblants à vie. brouillent les lignes entre art et science, mais révèlent aussi les implications so- En tant que directrice artistique de ciales d’un savoir de pointe et de ses inno- VIDA de 2010 à 2015, j’ai eu le privilège vations techniques. d’échanger sur ces sujets avec quelques un des experts de ces domaines, invi- Aujourd’hui, il est possible d’imaginer un tés chaque année à faire partie du jury. lieu où artistes et scientifiques peuvent

phOtO © JULIáN CALó En plus de l’examen des projets, nous avi- se rencontrer et s’influencer mutuelle-

30 - mcd #81 - Les sciences DUres aU cŒUr / arts & sciences arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR

ment à travers un échange d’idées en la routine quotidienne de l’artiste. Durant comprendre la notion de vie, le second toute liberté. Depuis mars 2015, je suis la sa résidence, il est immergé dans la ruche examine la matière comme une forme de directrice d’Arts@CERN(2), le programme immense et infatigable qu’est cet environ- compréhension des éléments clés de notre artistique de la plus grande expérience nement fascinant où plus de 10 000 scien- univers. Les deux projets ont bénéficié et scientifique au monde. Depuis sa créa- tifiques se retrouvent avec pour objectif profité d’une période exceptionnelle de tion en 1954, le CERN (Centre Européen commun l’étude des constituants fonda- progrès techniques accélérés dans leurs pour la Recherche Nucléaire) est un lieu mentaux de la matière et des particules domaines respectifs. Ces progrès ont étoffé unique et exceptionnel où scientifiques, élémentaires. le champ des possibles grâce aux poten- ingénieurs et universitaires se retrouvent tiels de la technologie et l’aptitude à traiter avec pour objectif commun de repousser La population se compose de chercheurs, les énormes quantités de données qu’ils les limites de nos connaissances actuelles de scientifiques et d’ingénieurs, mais aus- génèrent. sur la matière et l’univers. Aux côtés des si, avec la même importance, d’artistes, nombreuses découvertes et progrès tech- de créateurs et de penseurs. Ainsi, cette En tant que forces culturelles essentielles, nologiques extraordinaires, le CERN est recherche sur des questions fondamen- l’art et la science nous aident à découvrir plus largement connu comme le berceau tales et les moyens de les énoncer dans la condition humaine, c’est-à-dire, les du World Wide Web, une invention qui a un langage scientifique formel prennent moteurs de la curiosité, du jeu et de la transformé, plus que toute autre, nos vies corps et l’artiste s’associe à un laboratoire découverte. Au cours des deux dernières quotidiennes. unique au monde. Afin de modéliser les décennies, la recherche scientifique fon- étapes primordiales du cosmos, certains damentale a ouvert de nouvelles voies C’est également le site du LhC, le Grand des plus grands et plus puissants accélé- pour expliquer la nature et la réalité. Collisionneur de hadrons, la plus puis- rateurs de haute énergie ont été conçus et Dans le même temps, l’art nous offrait de sante machine fabriquée par l’homme qui construits ici. Les particules fondamen- nouvelles voies d’interprétation de nou- n’ait jamais existé. Le LhC modélise les tales sont mises en collision à une vitesse velles réalités. Ces deux domaines nous moments primordiaux de notre univers proche de celle de la lumière permettant permettent d’engendrer et d’expérimenter grâce à des outils de pointe de la phy- aux physiciens de découvrir leurs proprié- le savoir en utilisant des modes de pen- sique des particules. Sans collaborations tés et les lois régissant la matière, ainsi que sée qui détectent des modèles uniques internationales pionnières et ouvertes qui les forces impliquées dans ce processus. et inattendus dans le système naturel. valorisent l’importance de l’exploration, Les théories sont ainsi utilisées pour véri- La création d’un savoir expérientiel, en ces avancées auraient été impossibles. fier si nos suppositions sur la manière incitant les interactions et en mélangeant En abordant les connaissances par de nou- dont l’univers fonctionne sont exactes, si les forces, révèle les convergences de ces veaux processus de compréhension repo- nous devons écrire de nouveaux chapitres deux domaines en matière de recherche et sant sur la créativité, l’interaction entre dans les livres de science ou revoir entière- de découverte. art et science acquiert un nouveau sens. ment nos hypothèses. Mónica Bello, Lorsque la politique culturelle du CERN a Directrice d’Art@CERN cathrine Kramer été lancée avec pour slogan Great Arts for VIDA et Arts@CERN ont un intérêt com- traduction : & Zackery Denfeld, Great Science (de l’excellence dans les arts mun pour la recherche fondamentale Valérie Vivancos Glowing Sushi, The pour une excellence de la science) en août comme point de départ du soutien à de Center for Genomic 2011, l’implication du CERN dans l’art a nouvelles pratiques artistiques. Alors que Gastronomy, (1) http://vida.fundaciontelefonica.com/en Honorary Mention été placée au même niveau que son excel- le premier offrait de nouvelles façons de (2) http://arts.web.cern.ch lence scientifique. ViDa 15.0

Le programme artistique du CERN offre un lieu incomparable et une immense source d’inspiration permettant à des créa- teurs de toutes disciplines artistiques de développer leur pratique au cours d’une résidence pouvant aller d’un jour à trois mois. Au cours de sa résidence, l’artiste est invité à s’intégrer à la communauté des chercheurs du CERN comme s’il en faisait partie. Il sera parfois dérouté par certaines singularités telles que les routines de labo- ratoire et les pratiques des scientifiques qui peuvent paraître ésotériques. L’échelle de l’endroit peut en outre s’avérer intimi- dante. Les rencontres avec des physiciens et des ingénieurs informatiques, les visites d’expériences en cours, la réflexion, la re- cherche, les débats, l’exploration, les ques- tionnements et grand nombre d’autres

actions vont constituer les expériences et phOtO © D.R.

mcd #81 - 31 arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR

MANIFESTE DE LA DUALITÉ ART-SCIENCE

Jean-Marc Chomaz est physicien, Laurent Karst est plasticien. articuler le concept de dualité Art-Science. La dualité est une notion complexe qui prend Leurs routes se sont croisées un jour de 2003. Depuis, ensemble, des sens multiples, parfois antagonistes, dans différentes spécialités des mathématiques. ils cherchent et créent, explorant cette lisière, ou cet interstice, À la fois complémentaire et opposée, la dualité entre la réalité physique, le modèle théorique et la perception est une relation réflexive, une propriété non universelle relative à une mesure, une struc- sensible humaine. Qui est qui, du scientifique ou de l’artiste, turation d’un espace plus grand que le réel de l’objet lui-même. En mécanique quantique n’est plus de propos, mais bien un nouveau regard sur l’art, sur la dualité onde/corpuscule vient de la non- la science et sur la société. commutativité des observables de position et d’impulsion.

Labofactory s’inscrit dans l’affirmation de cette dualité Art-Science et de sa relativité par rap- Nous nous sommes rencontrés au printemps brouillard, de l’ouverture verticale de douze port au regard, à l’observable, à la métrique 2003 dans le repas de rue du passage turque- cubes noirs sort une rythmique d’anneaux de que l’on pose sur nos actions, nos êtres, nos til à paris, un ami designer pensait que nous brume lumineuse. Cette matrice posée au sol imaginaires. Cette dualité Art-Science autorise aurions beaucoup à nous dire. — Laurent : je scande l’espace de la trajectoire des anneaux. aussi bien la réflexivité entre les deux champs voudrais sculpter la vapeur, j’ai réalisé un projet Une percussion dans chacun des cubes crée le que leur appartenance à un même espace avec de grandes vitres galbées, mais comment tourbillon et un son spatialisé emmène chacun partagé. Les productions de Labofactory s’ins- la libérer de ces parois de verre ? Jean-Marc : de ces tambours vers une émotion différente. crivent dans le champ d’un mouvement Art- ce n’est pas la vapeur qu’il faut sculpter, mais le Science s’appuyant sur ce principe de dualité, mouvement dans l’espace et le temps. La vapeur pendant la semaine de tests in situ à la chapelle de symétrie et se fondant sur un processus apportera sa matérialité. Mais je ne sais faire que des Récollets où Infraespace a été créée pour la où artistes et scientifiques, en changeant de des tubes ou des anneaux. — Il nous fallut deux Nuit Blanche 2005, nous avons tous les trois rôle, ont laissé place au sensible et à l’intui- ans de recherche dans le laboratoire, en stu- apprivoisé l’installation jusqu’à ce qu’elle nous tion. L’œuvre a ainsi perdu toute tentation des- dio son, en spatialisation visuelle et sonore, de emporte dans un imaginaire sensible partagé. criptive, didactique, elle n’est plus univoque, déconstruction et reconstruction d’un univers, Nous avions tout d’abord cru qu’elle était un ni prescriptive, mais perceptive. Elle ouvre mais aussi de mises au point pragmatiques et instrument et François-Eudes avait composé directement sur un imaginaire partagé entre patientes, avant de présenter notre première des rythmiques, mais l’ajout des anneaux, artiste et scientifique qui laisse toute sa place création Infraespace. grands aplats de vapeur, n’apportait pas de au regard du spectateur qui, comme l’observa- vibration, de déséquilibre. Ensemble, nous teur quantique, modifie à jamais le sens porté pendant ce temps, François Eudes Chanfrault, avons ajouté une matrice pour imprimer l’es- par l’œuvre. compositeur, s’était embarqué dans l’aventure. pace et un clavier tactile pour dessiner de la Notre matière était devenue le tourbillon main les anneaux sur la brume. Alors seule- En cela les projets ou installations partagent des particules de l’air, une multitude de pe- ment le poème a emporté le songe. une parenté avec le mouvement des Science tits gyroscopes dont le moment angulaire se Galeries qui tente de réinventer les usages conserve presque à l’infini. Ils donnent leurs Le même processus de création entièrement et les codes de la médiation scientifique. formes à nos installations. Infraespace propose partagée, lent, à la recherche de ces interstices Ces actions, où l’échange public-science est une fracture par laquelle se glisser pour expé- par lesquels accéder à d’autres réels, a porté symétrique, où le public peut dialoguer avec rimenter un réel, plus qu’un méta-instrument tout notre travail et a mené à la création du l’œuvre, permettent de transmuter le savoir en c’est un méta–espace. Dans la nuit remplie de collectif Labofactory(1). Il nous a conduits à culture populaire(2) privilégiant l’imaginaire.

Infraespace, art rock, janvier 2011. phOtO © D.R.

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Exoplanète, un cos- mos intime habité de la bioluminescence du phytoplancton Pyrocistis noctiluca, création pour le salon des réalités nou- velles 2015. Elles changent aussi la projection que les percevoir, résonnant avec les émotions, rémi- thèse des océans a coloré de bleu le ciel que le scientifiques font de leur rôle et la perception niscences de nos vécus, révélant ainsi les fon- rôle que joue toujours le plancton en produi- que le public a de celui-ci. dements sensibles et transcendant du modèle. sant l’oxygène de l’air.

Chaque installation se fonde sur une série Créée pour le salon des Réalités Nouvelles en Labofactory, à travers cette recherche symbio- d’essais et de recherches en laboratoires des- 2015, Exoplanète interroge les nouvelles maté- tique entre l’art et la science, porte un ques- tinée à étudier, analyser, expliquer un certain rialités des sciences qui ont découvert des tionnement épistémologique visant à redéfinir nombre d’effets physiques. Ces phénomènes, planètes extra-solaires relançant le rêve de la le lien science-société, à reprendre possession apparentés à ceux observables dans la nature, possibilité de trouver d’autres êtres. La pièce est de la notion de progrès. Des installations sont présentés sous forme d’épures réduites plongée dans le noir. En s’approchant, le spec- comme Fluxus, Redshift ou Exoplanète mettent à leur plus simple matérialisation (anneaux, tateur découvre un tourbillon de traînées lumi- à l’épreuve notre capacité à percevoir certains tourbillons, ondes…), suivant ainsi, en la neuses, succession de bandes ou de spirales qui phénomènes naturels et celle de s’adapter détournant, la démarche scientifique qui va s’accélèrent et s’échappent. Un espace intime se face à de nouvelles conditions sensorielles. chercher à isoler un phénomène, à le recons- déploie. Une lumière vacille, sillon bleu de ma mé- Elles provoquent des situations émotionnelles tituer dans son essence pour pouvoir étudier moire, double spirale enroulée des origines, je me capables de ressentir d’une autre manière les et identifier chaque paramètre qui le définit. souviens d’une planète océan. Capturer la lumière enjeux actuels afin de contribuer à construire et la libérer pour interroger la nuit. Je perpétue ce une nouvelle narration du monde impliquant par exemple, un mouvement d’air sera produit cycle oublié. Je suis cette autre planète dont tu crois la dualité entre art et science. et calculé dans des environnements les plus percevoir le scintillement ultime. L’espace est replié stables, une vague sera générée dans des bas- il n’y a ni dehors ni dedans, je suis toi. Laurent Karst & Jean Marc Chomaz sins isolés, protégés du vent et des différences Nous remercions pour leur soutien : de températures. Mais dans l’installation, ces Ces crépitements sont produits par l’excitation La chaire développement durable EDF École phénomènes seront répétés, interagiront en d’un phytoplancton, le pyrocistis Noctiluca, Polytechnique, le Labex LaSIPS et La échappant de par leur dynamique propre à qui absorbe le CO2 le jour par photosynthèse Diagonale de l’Université Paris Saclay, notre contrôle, reconstituant ainsi un univers et synthétise une protéine, la luciférine, dont la Fondation Daniel & Nina Carasso. autonome, une incarnation du modèle trans- l’oxydation dans le cycle nocturne émet de la posé de l’espace mathématique à l’espace réel. lumière. Ces éclats éphémères évoquent aussi (1) Labofactory.com L’abstraction devenue tangible se laisse alors bien la planète des origines où la photosyn- (2) Un peu à la manière de Jean Villard pour le théâtre.

arts & sciences / Les sciences DUres aU cŒUr - mcd #81 - 33 arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR MESSAGERS QUANTIQUES Les œuvres d’Evelina Domnitch & Dmitry Gelfand De la lévitation sonore de feuilles d’or à des projections dimensions atypiques de phénomènes optiques éthérés et les interactions quan- d’agrandissements d’une structure en bulles de savon, le duo tiques étranges. Dotées d’une esthétique sophistiquée et d’une inclination naturelle d’artistes Evelina Domnitch et Dmitry Gelfand créent des œuvres vers la poésie de la science, leurs œuvres de performances sensorielles et des installations méditatives agissent comme autant de loupes qui ré- vèlent les caractéristiques morphologiques qui explorent l’étrange comportement quantique et les franges de mondes multiples, inédits et invisibles. pour créer leurs œuvres, les deux artistes extrêmes de phénomènes ondulatoires exotiques. ont dû eux-mêmes devenir des scienti- fiques chevronnés. C’était indispensable pour qu’ils acquièrent une compréhension profonde du fonctionnement ésotérique de phénomènes quantiques sur lesquels Après que nous ayons été conduits, nébuleuse ; une calligraphie fantomatique leurs œuvres reposaient grandement. solennellement, dans une pièce totale- qui griffonne ses propres secrets dans des Il n’est pas surprenant que leur studio ment obscure, nos yeux commencent à sceaux translucides de lumière. Des scienti- soit rempli de piles d’articles sur des re- s’acclimater à un vide d’un noir profond. fiques de tout premier plan nous avaient affir- cherches récentes et des derniers numéros Dmitry Gelfand nous demande de ne pas mé qu’il serait impossible de recréer cette ex- de la revue Nature. bouger ni toucher la surface du grand périence de laboratoire à l’échelle envisagée. réservoir de verre sphérique qui se trouve Nous leur avons donné tort, déclare Gelfand. En 2014, près des rives du Danube, à au milieu de la pièce fermée. Un silence Il poursuit en expliquant que l’installa- l’occasion d’Ars Electronica, le couple a quasi-anéchoïque répond à cette obscurité tion, Camera Lucida, utilise un processus présenté la performance 10000 Peacock Fea- totale. La trépidation silencieuse est sou- connu sous le nom de sonoluminescence thers in Foaming Acid ("10000 plumes de dain ponctuée d’une lueur irréelle au cœur par lequel des formes de lumière naissent paons flottant dans de l’acide moussant"). de la sphère — lueur qui met à l’épreuve de l’implosion de bulles de gaz dans l’eau, Entassés à l’intérieur d’un dôme gonflable, les capacités de perception de l’œil et déclenchée par des ondes sonores à très les spectateurs — allongés sur le dos — du cerveau. La vision en néon s’éteint haute fréquence. Ces fréquences ultra- étaient immergés dans des pans de denses progressivement dans un scintillement soniques, bien au-delà des limites de la projections de formes irisées. Les contor- ténébreux qui nous replonge dans l’obs- perception auditive humaine, provoquent sions fluides non-linéaires et les oscilla- curité visqueuse. Après un court silence, la destruction des bulles et génèrent une tions spectrales de ces plasmas chaotiques de minuscules points de lumière réappa- onde de choc d’implosion qui fait grim- étaient parfaitement synchronisées avec raissent et se configurent en une forme per la température à l’intérieur de la bulle des drones d’ondes sinusoïdales de basse géométrique intelligible — un maillage jusqu’à 20 000K. Ces températures sont fréquence. Dans cette performance, Dom- lumineux scintillant dans l’espace liquide. assez élevées pour engendrer la lumière. nitch fabrique soigneusement des grappes Il se pourrait que nous voyions là des fac- de bulles de savon en soufflant de l’air sur similés isomorphes de nos propres trans- Camera Lucida est typique des perfor- une plaque recouverte de savon liquide. missions neurales au moment même où mances et installations audiovisuelles La lumière laser visant la surface de chaque elles perçoivent ce spectacle de lucioles créées par Evelina Domnitch et Dmitry bulle en nucléation est réfléchie comme un tremblotantes. Gelfand, un duo d’artistes installé aux faisceau lumineux — un agrandissement pays-Bas. Œuvrant souvent en collabo- projeté révèle les nano-topologies détail- plus encore, ces minuscules vecteurs de ration avec des scientifiques, leurs tra- lées de la structure de bulles de savon ; une lumière animés semblent se positionner vaux se réapproprient des expériences abondance d’agglomérations proto-cel- pour former des glyphes ; une écriture scientifiques de pointe pour explorer les lulaire psychédéliques qui se forme — se

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evelina Domnitch & Dmitry Gelfand, Camera Lucida.

déplace du corporel à la mathématique. de cercles, de carrés et d’hexagones ayant nées de la résolution quantique (contraire- Gelfand manipule un système de caméra de chacun une façon unique de tournoyer. ment à l’impasse de l’enregistrement des surveillance qui transforme les projections penché sur une table de contrôle, Gelfand médias fixes), chaque expérience de leurs en assemblages sonores. L’interruption sou- — lui aussi avec un symbole de talisman œuvres recèle ses propres particularités, daine, mais fortuite, de cloches de l’église rasé sur la tête — affine le système de sorte ses propres révélations, ses narrations nous rappelle que nous sommes toujours que les feuilles d’or soient suspendues sous-jacentes et théâtralités inattendues. ancrés quelque part sur terre. dans les airs par un vide dépressurisé créé C’est donc dans l’expérience, au cours de par une onde stationnaire engendrée par la l’ajustement de la perception, que leurs Dans une autre performance, Sonolevita- réflexion d’une vibration acoustique à une œuvres — transmutations d’eau, d’air et tion, les "répercussions kinesthésiques de distance précise de sa source. de laser — définissent leur "signification". la propagation acoustique" sont canalisées Si selon le grand psychonaute John C Lilly, pour faire léviter de petits morceaux de Requérant une grande attention, les "L’Univers a créé une partie de lui-même feuille d’or. Arborant une coupe de che- œuvres de Domnitch et Gelfand per- pour étudier le reste"…, les travaux de veux rasés en croissant de lune et vêtue mettent de sensibiliser notre conscience Domnitch et Gelfand sont autant de méca- d’une robe jaune vif d’alchimiste, Dom- afin de révéler des propriétés insaisis- nismes de facilitation et d’amplification de nitch place méticuleusement avec une sables de phénomènes énigmatiques exis- cette interaction. À travers leurs œuvres, pince à épiler de fines feuilles d’or entre tant au-delà des limites de la perception nous pouvons non seulement étudier deux cylindres métalliques — un into- ordinaire. Comme autant de méditations l’Univers, mais aussi nous-mêmes en train nateur et un réflecteur sonore. Ses mou- sur la phénoménologie, leurs œuvres re- de l’étudier, ainsi, comme poursuit Lilly, vements lents et concentrés sont d’une cadrent la méthode scientifique — avec ses …"nous pouvons appréhender la vérité de précision chirurgicale. placé entre les fondements d’observation, de déduction nos propres réalités intérieures". transducteurs la feuille d’or commence à et de pensée rationnelle — pour facili- se soulever délicatement et tourner à toute ter une interprétation large et poétique Paul Prudence, vitesse sur son axe central. D’autres feuilles qui transcende le mode dominant Septembre 2015 d’or sont ajoutées, chacune d’une forme "empirico-réductionniste" de l’expérience. traduction: différente — une procession alchimique En favorisant les manifestations indétermi- Valérie Vivancos

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FÉLICIE D’ESTIENNE D’ORVES LA LUMIèRE DU CIEL Félicie d’Estienne d’Orves est une artiste plasticienne dont le matériau est la lumière. pROFOND Elle s’intéresse aux sciences optiques et acoustiques, physiques et astrophysiques, Lors de notre premier entretien, nous aux sciences de la perception et de la cognition. avons notamment parlé de ta pièce Supernova (Cassiopeia A). Cela m’a Entretien avec Ewen Chardronnet fait penser au travail du pionnier de l’art cinétique Thomas Wilfred et à son procédé électro-mécanique de peinture lumière dans des formes plus abstraites. Les couleurs projetées sur la fumée sont et lumière en mouvement qu’il avait J’ai rencontré Fabio Acero en 2010. issues de la palette des images d’analyse en nommé Lumia. C’est par exemple ce nuage À l’époque, il faisait son post-doctorat(1) spectroscopie et traduisent les différents coloré qui fait les séquences d’ouverture sur l’émission en rayons Gamma des éléments qui composent le nuage. Le spec- et de clôture du film The Tree of Life de restes de supernova. Nous partagions tateur est donc à l’extérieur, ce point de vue Terrence Malick. Cette pièce fait partie cette même envie de rapporter à l’échelle permet une contemplation du déploiement de la collection d’Eugene Epstein, un du corps ce phénomène gigantesque — du nuage, on rejoint le Lumia de Wilfred. astrophysicien qui est devenu le plus 8 années-lumière de rayon — et d’une vio- tu m’as fait découvrir la collection des Eps- grand collectionneur des œuvres de lence au-delà de la perception humaine. tein et le cartel du Lumia Sequence in space, Wilfred. Peux-tu nous parler de ta provoquée par l’effondrement gravita- op.159, avec la notation précise de la durée propre collaboration avec un astrophy- tionnel d’une étoile massive, soufflant les du cycle de son mécanisme cinétique(3). sicien, Fabio Acero pour Supernova ? couches extérieures de l’étoile, Cassiopée C’est quelque chose que j’explore pour des C’est ma première installation sur un sujet A a libéré une telle énergie qu’elle aurait pièces permanentes, des cycles génératifs ou astrophysique, mes pièces précédentes, été vue en 1680 depuis la terre, l’une temps réels qui se renouvellent sans cesse. plus proches de la démarche de Wilfred, des rares à avoir été visible à l’œil nu. traitaient de perception, d’hypnose et de Cette super novae ou "nouvelle étoile", Thomas Wilfred avait conçu dans les comme la supernova vue en 1572 par l’as- années 1920 un orgue cinétique de Supernova, tronome tycho Brahé, a mis à mal le modèle composition de couleur, le Clavilux. Cassiopée A, aristotélicien d’un univers constant. Le mou- Un autre personnage assez fascinant de la 2011. vement continu de la sculpture souligne ce musique visuelle est Louis Bertrand Castel, Production : Maison des arts décentrage, cette relativité du cosmos. un prêtre et mathématicien contemporain de créteil, Le nuage rémanent de gaz de Cassiopée de Newton, qui avait imaginé un clavecin arcadi. A était un bon sujet d’étude, le mieux oculaire avec lequel il voulait retranscrire documenté de notre galaxie, nous avons les notes de musique en couleurs. travaillé à partir de reconstitutions 3D publiées en 2009 par les équipes du té- Tu as prolongé le travail avec Fabio lescope Chandra(2). La pièce présente un Acero, pour le projet EXO. cycle concentré en quinze minutes, mon- EXO est une installation en extérieur qui trant l’explosion, sa propagation, puis associe la lumière de lasers projetée en di- le rémanent, et un retour à une nouvelle rection d’objets célestes à une composition organisation de la matière. J’ai pris le parti électroacoustique de Julie Rousse. Les têtes d’enfermer la supernova dans un cube de de lecture laser sondent l’espace du ciel et re- plexiglas baigné de fumée qui donne l’as- montent le temps pointant des astres proches pect tri dimensionnel de l’objet astrophy- comme des objets du "ciel profond" (étoiles, sique. pour cette pièce, j’ai également col- planètes, trous noirs, pulsars, GRB(4)…). laboré avec le musicien Laurent Dailleau, C’est au départ un projet de land art initié qui nous a quitté depuis, il a participé à avec la musicienne de field recordings Julie nos réflexions et composé un morceau qui Rousse qui rapporte l’échelle astrophysique

phOtO © MAtthIEU KAVYRChINE phOtO © MAtthIEU accompagne la lecture du cycle. à un instant et à un lieu donné.

36 - mcd #81 phOtO © FABIO ACERO phOtO © FABIO

EXO 48.9013°, 2.3789°. Nuit Blanche 2015 pour la Ville de Paris, dans le cadre de némo, Biennale internationale des arts numériques Paris-Île-de-France. Production déléguée : seconde nature et Bipolar - soutenu par le DicréaM et arcadi).

Fabio s’est beaucoup investi dans la qui déchiffrent les messages de la terre. projet Antarès, j’ai eu la possibilité de faire conception du projet et le développement Ce sont des caisses de résonance, en une proposition aux équipes du télescope. d’un simulateur avec thierry Coduys, quelque sorte des sismographes. Et pour Depuis Supernova, je cherchais à rendre autre complice du projet. Le système ce qui est du ciel naturel, je me suis par compte d’une activité en temps réel de convertit les positions célestes d’objets en exemple intéressée au Rayon Vert, une l’espace. Les neutrinos sont des messa- coordonnées azimutales en fonction d’une diffraction très rapide de la lumière verte gers du ciel profond, engendrés par des date et d’une position GpS. Avec thierry, dans l’atmosphère lors d’un coucher de cataclysmes cosmiques lointains tels que nous avons travaillé avec son logiciel Ian- Soleil. L’année dernière, j’ai réalisé une les trous noirs, les supernovas. Ces parti- niX, inspiré de l’UpIC élaboré dans les sculpture qui évoque ce phénomène pour cules élémentaires, de masse pratiquement années 1970 par Iannis Xenakis. D’autres la Médiathèque de la Marine de Colombes. nulle, traversent la matière depuis des évé- acteurs scientifiques ont participé au pro- Un disque de lumière d’un mètre de dia- nements hautement énergétiques jusqu’à jet comme le LAM(5) et le GMEM(6) pour le mètre en LEDs, motorisé, se déplace ver- la terre. J’aimerais montrer leurs impacts travail musical de Julie à partir des don- ticalement du lever du soleil jusqu’à son et leurs trajectoires en temps réel dans nées astronomiques. La prochaine étape zénith. À l’heure du coucher du soleil, le un tableau. Je suis encore dans la phase du projet sera dans le désert d’Atacama au rayon vert apparaît. Il y a un autre phéno- d’études préliminaires. Chili et une présentation dans la région de mène qui m’intéresse en ce moment, c’est Marseille avec Seconde Nature. le coucher de Soleil sur Mars. Il est bleu ! Ewen Chardronnet La poussière fine dans l’atmosphère de Nous avons aussi évoqué le Roden Mars ne dévie pratiquement pas la lumière (1) Fabio Acero est chercheur au CEA au Laboratoire Crater de James Turrell, situé près de solaire aux longueurs d’onde correspon- Astrophysique, Interactions, Multi-échelles (AIM / CNRS). Flagstaff en Arizona. Turrell a acheté le dant à la couleur bleue. (2) Chandra est un télescope spatial à rayons X cratère et conçu un espace de contem- développé par la NASA et lancé en 1999 par la navette spatiale Columbia. plation à l’œil nu des variations de la Quels sont les aspects scientifiques (3) 366 heures et 27 minutes, soit 15 jours lumière dans le ciel. Tu m’as dit qu’il qui t’intéressent dans ton projet en de programme lumineux. s’était notamment inspiré des lieux relation avec le télescope à neutrinos (4) Les sursauts gamma (gamma ray bursts ou GRB de cérémonie des Indiens Hopis ? Antarès qui se trouve à 2500 mètres en anglais) sont l’un des grands sujets d’étude de l’astrophysique contemporaine. Un ami m’a en effet fait découvrir ré- de fond dans la baie de Toulon ? (5) Laboratoire d’astrophysique de Marseille. cemment son intérêt pour les Kivas, les C’est un projet encore en développement. (6) Centre National de Création Musicale chambres de cérémonie des Indiens hopi Grâce au LAM, qui est impliqué dans le de Marseille.

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la robotique, la vie de synthèse, la biologie de synthèse s’inspirent de la Nature et de la Vie en ce qu’elles simulent l’apparence ou le comportement du vivant. En raison de leur complexité croissante, les artefacts créés par les humains imitent les formes, les fonctions et la dynamique de la BIO-ARTS Nature et de la Vie. Le Vivant fait office de modèle en ce qu’il a résisté aux épreuves Les arts de l’essence de la vie depuis l’origine de la vie et qu’il a fait l’ex- périence du monde. Aujourd’hui, l’art peut La Nature, la Vie, le Vivant : des concepts philosophiques au cœur collaborer avec une science traitant de la Nature et de la Vie de manière plus intime de la création artistique, de la poétique et des sciences. qu’à travers la représentation, en agissant directement sur la dynamique de la Vie. Depuis la fin des années 1980-début des années 1990, l’art a quitté L’art peut ainsi agir sur le Vivant pour en- le domaine de la représentation pour créer avec la dynamique gendrer un impact culturel de questionne- ment critique d’un point de vue aussi bien même du vivant ce que l’on nomma alors le "bio-art". Quelque éthique, politique, écologique que social. vingt-cinq ans plus tard, les techniques et les formes ont évolué La "dimension organique", sur laquelle et se sont diversifiées, le bio-art s’écrit désormais au pluriel. repose la vie, n’est pas un nouveau topos de l’art, pensons par exemple à l’Archi- tecture Organique (Lloyd Wright, Bruce Goff, Alvar Alto et leurs disciples) et à sa relation au design. Dès la seconde moitié Dans son ouvrage phare de 1964 Unders- chiques et sociales de la prochaine technologie, des années 1980 en particulier, les sujets tanding Media: The Extensions of Man, ("pour deviendraient-ils pour autant des artistes ? liés à l’"organique", au "bio", ont pris un comprendre les médias : les prolongements Dans leur recherche les artistes ont tou- essor considérable sur un terreau cultu- technologiques de l’homme"), Marshall jours utilisé les techniques et les techno- rel qui a vu l’avènement de mouvements McLuhan donne une belle définition de logies de leur époque, adoptant les outils culturels et politiques centrés sur la remise l’artiste dont il reconnait le rôle décisif : qu’ils pensaient être les plus aptes à expri- en question des relations avec l’environ- L’artiste est l’homme qui dans tout domaine, mer leur poétique. Aujourd’hui, on trouve nement et les êtres vivants et l’importance scientifique ou humaniste saisit les consé- parmi les technologies émergentes, une accrue de disciplines comme la biologie et quences de ses actes et des nouvelles connais- catégorie qualifiée de "bio", c’est-à-dire qui la génétique devenues des paradigmes, y sances dans son propre temps. C’est l’homme fait appel à des technologies relevant du compris en dehors de leur domaine spé- de la conscience intégrale. Et interroge : si les règne organique, de la biologie, du vivant, cifique (par exemple dans les travaux de hommes pouvaient être convaincus que l’art de la vie. traiter de la vie peut sembler Maturana et Varela, Dawkins, Cavalli- est la connaissance précise et anticipée de la éloigné de l’art, cependant l’art est à même Sforza). Les "technologies du vivant" sont manière de faire face aux conséquences psy- de dialoguer avec la science et d’aborder devenues de véritables modèles et terminus la vie de manière inédite, retrouvant une ad quem pour les technologies de pointe. fonction de questionnement critique Aujourd’hui, elles constituent la base d’un et une aura innovante. nombre croissant de dispositifs et de dis- ciplines qui utilisent le préfixe "bio" (la Il est temps de repenser la biochimie, la biomécanique, la bio-infor- Nature et la Vie, comme matique, les biotechnologies, la bio-ingé- le montrent aujourd’hui nierie, la bionique, la biorobotique…). la philosophie et la culture. L’ensemble BIO-ARTS Pier Luigi capucci, des activités hu- Le domaine des Bio-Arts est complexe, The Bioarts realm, maines a été inspiré comme on peut le voir sur ce schéma basé le 25 mars 2006. Les graphiques ou influencé par sur un texte de George Gessert, un artiste sont basés sur un la Nature et la Vie. et théoricien qui travaille dans le champ texte de George L’art les a toujours de l’Art Génétique et dont l’œuvre, depuis Gessert posté sur abordées, bien que la fin des années 1970, consiste à élaborer Yasmin, une liste de par le seul biais de la des plantes. Son travail est également une diffusion dédiée aux représentation, depuis critique de la prévalence contemporaine interactions entre art, les peintures rupestres du kitsch dans la sélection et la création science et technolo- jusqu’à la nature morte actuelle de plantes. Étant donné que les gie dans le pourtour en passant par le portrait plantes ont besoin de temps pour pousser méditerranéen. ou le paysage. par ailleurs, et se développer — certaines n’arrivant à des disciplines telles que la vie floraison qu’après plusieurs années — Ges- © D.R. artificielle, l’intelligence artificielle, sert déclare que peut-être après l’architecture,

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symbiotica, The Tissue Culture & Art Project (projet d’art et de culture de tissus). Worry Dolls.

la culture de plantes est la forme d’art la plus numérique et les technologies de com- toute ordinaire menée à l’INRA (l’Institut lente (hauser 2003). Depuis les années munication. Ainsi les Bio-Arts ne peuvent National de la Recherche Agronomique à 1980, Gessert consacre son travail aux rela- être considérés comme une évolution paris) et sans doute dans d’autres struc- tions entre art et génétique, exposant des de formes artistiques reposant sur la vie tures de ce genre à travers le monde, installations d’hybrides et de la documenta- artificielle, l’art généré par ordinateur, la qu’Eduardo Kac a rendue publique par tion de projets de culture de plantes. robotique, l’intelligence artificielle, l’art une sorte de performance médiatique. génératif, l’art des nouveaux médias ou le En réalité, Alba était un projet/performance Comme on peut le voir sur l’image, ex- numérique : c’est un art différent, même à l’intérieur d’un système médiatique dé- cepté pour le Genetic Art (Art Génétique), lorsqu’il est hybridé à ces derniers. veloppé par l’artiste, qui comprenait des toutes les formes relèvent de la catégorie affiches, des interviews, des performances, Bio-Art qui comprend des courants d’art Depuis les années 1990, de nombreux des annonces ; un projet qui critiquait historiques comme le Land Art et la per- artistes se sont aventurés sur ce terrain l’hermétisme de la science, l’aspect secret formance. L’image montre également que le (Marta De Menezes, Joe Davis, Jun takita, et l’éthique des expériences scientifiques Genetic Art a des rejetons importants dans Adam Zaretsky, Brandon Ballengée, Cri- et qui était centré sur le rôle social de l’art le domaine non-organique : en réalité, cette ticaI Art Ensemble, polona tratnik, Julia et sur le droit de l’art de s’approprier des "passerelle" entre l’organique et le non-or- Reodica, Marcello Mercado, Niki Sperou instruments scientifiques.Alba , qui a sus- ganique révélé par l’art, reflète l’échange pour n’en citer que quelques uns), instau- cité une très grande attention sur la scène actuel entre différentes disciplines de la rant une forte collaboration entre l’art et culturelle et dans les médias internatio- science et de la technologie et récapitule la science. On compte parmi eux le Brési- naux, fut également une chimère en ce l’évolution puisque, selon la biogenèse, la lien Eduardo Kac qui en 2000 a présenté qu’assujettie à une perpétuelle censure elle vie a surgi de la matière non-vivante, il y a GFP Bunny (Alba), la célèbre lapine albinos n’a jamais pu être montrée en public. environ quatre milliards d’années. à qui l’on avait transplanté une mutation Dans les Bio-Arts, la matière, la présence synthétique du gène fluorescent de la Une autre approche est celle de Symbio- matérielle, est fondamentale, par opposi- méduse Aequorea Victoria. Alba, une lapine ticA, un collectif basé à l’Université d’Aus- tion à la tendance vers l’immatérialité de transgénique, devenait sous une lumière tralie occidentale à perth, qui a créé un l’art, initialement décrite par Lucy Lippard particulière une chimère fluorescente, et centre de recherche et un programme de (1973) et Jean-François Lyotard (1985) et pas seulement du point de vue biologique. Bio-Arts. Leur travail constitue une critique mise en exergue aujourd’hui par l’imagerie Alba est issue d’une expérience somme sévère de l’approche humaine du vivant. >

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art Orienté Objet (Marion Laval Jeantet & Benoît Mangin), Que le cheval vive en moi !

Il insiste sur les contradictions de la relation performance finale, les steaks furent man- anaphylactique et les immunoglobulines > entre humain et animal et sur la fluidité de gés par le public dans une sorte de banquet du cheval ont contourné son système la frontière entre le vivant et le non-vivant. collectif rituel, tandis que les grenouilles immunitaire pour s’associer aux protéines Selon Oron Catts et Ionat Zurr de Symbio- nageaient bien à l’abri dans leur aquarium. de son corps agissant ainsi sur toutes les ticA, la capacité à manipuler la vie ne crée pas Cette technique pourrait être utilisée pour fonctions majeures de son organisme. seulement de nouvelles formes de vie et d’élé- obtenir de la viande de consommation cou- Après la performance, l’artiste a ressenti ments de vie, mais nous force aussi à réexa- rante sans devoir tuer des animaux, même des altérations de son rythme physiolo- miner différentes interprétations de ce qu’est s’il s’agit encore d’une illusion d’absence de gique et de sa conscience, une sensibi- la vie et la dissolution des frontières dans le victimes. En effet, jusqu’à ce que des alter- lité et une nervosité accrues. Des prélève- continuum de la vie (hauser 2003). Dans The natives soient trouvées, la culture du steak ments de son sang hybridé ont ensuite été Tissue Culture & Art Project, initié en 1996, in vitro nécessite un sérum créé à partir de congelés. Cette performance illustre égale- des êtres "semi-vivants" sont créés à l’aide plasma d’animaux, ce qui implique le sacri- ment la possibilité de soigner des maladies de techniques similaires à celles utilisées fice de veaux ou d’embryons bovins pour auto-immunes en utilisant de l’immuno- pour la production d’organes bio-artificiels l’obtention de cet ingrédient. globuline étrangère. Ainsi, selon l’artiste, (ingénierie des tissus). "l’animal devient l’avenir de l’humain." Ils sont "semi-vivants", car les cellules, ex- En 2011, l’artiste française Marion Laval- Cette œuvre, qui en 2011 a remporté le traites d’organismes vivants et cultivées sur Jeantet, membre du duo Art Orienté Ob- prix Ars Electronica, représente en outre des supports en polymère biodégradable, jet, a fait, avec la performance Que le cheval une version contemporaine du mythe du ne peuvent vivre et se multiplier que dans vive en moi !, une auto-expérience médicale centaure, l’hybride humain-cheval, "l’ani- des bioréacteurs, protégées du monde exté- radicale et extrême destinée à gommer les mal dans l’humain" qui est l’antithèse rieur, nourries et maintenues dans une "vie frontières entre les espèces, à établir un du cavalier, l’humain dominant l’animal. partielle" non-autonome. L’une de leurs dialogue inter-espèces (ou trans-espèces). Il en découle alors un questionnement sur œuvres, Disembodied Cuisine ("Cuisine Durant plusieurs mois Marion Laval-Jean- l’anthropocentrisme, sur la pyramide du désincarnée", 2000), présente des steaks tet s’est fait injecter des immunoglobu- vivant avec l’humanité au sommet. particuliers, obtenus à partir de biopsies de lines de cheval, y développant ainsi une muscles de grenouilles que l’on cultive dans tolérance. Au cours de la performance, on Aujourd’hui, grâce à la biologie de syn- des biopolymères au sein d’un bioréacteur. lui a injecté du plasma de cheval rendu thèse et l’ingénierie génétique, il est pos- pour le finissage de l’exposition, dans la compatible sans qu’elle souffre de choc sible de modifier et de créer des formes

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de vies synthétiques, de nouveaux orga- au-delà du royaume organique, par des similaire : dans les deux cas, du courant nismes vivants, voire de faire renaitre des formes de vie organiques, inorganiques et passe à travers les composants pour géné- espèces animales disparues (ce que l’on mixtes. On pourrait qualifier ces formes rer des données ou du son. Les réseaux appelle la "dé-extinction"). Ainsi, la pro- émergentes, qui vont au-delà de l’huma- de neurones produisent des ensembles de chaine étape des disciplines du vivant nité, de "troisième Vie" dans la mesure données considérablement vastes et com- est la création de formes de vies géné- où la vie organique constitue la "première plexes et, de par sa nature intrinsèque, le rées et développées à partir de la culture Vie" et que la "Seconde Vie" appartient au synthétiseur analogique est parfait pour humaine. En octobre 2015, la conférence domaine symbolique (à ne pas confondre rendre par du son la complexité et la NeoLife, organisée par Oron Catts et Sym- avec le célèbre métavers "Second Life"). quantité de l’information. cellF peut être bioticA à l’Université d’Australie occiden- Ceci constituait l’un des points principaux perçue comme une œuvre performative, tale à perth, présentait un vaste panorama de mon exposé à cette occasion. un musicien/compositeur cybernétique. dans des domaines variés : les disciplines Des musiciens humains jouent avec cellF, liées à la biologie, l’anthropologie, l’art et En parallèle à NeoLife se déroulaient de la musique produite par les humains est l’esthétique, le post-humanisme, l’éthique, nombreux événements, ateliers et expo- envoyée aux neurones du cerveau externe le bien-être animal et végétal, l’hybrida- sitions liés à l’art, dont cellF (se prononce qui répond en contrôlant les synthéti- tion, les interventions corporelles, la pros- comme "Self" — soi en anglais), l’installa- seurs analogiques. Il en résulte des œuvres thétique, le droit, la littérature, forts d’une tion de l’artiste australien Guy Ben-Ary. L’ar- sonores jouées en direct qui ne sont pas vaste participation internationale. tiste avait cultivé un "cerveau externe" par entièrement humaines, qui nous mènent Selon le texte de présentation de la la technique des cellules souches pluripo- au-delà de l’humanité. conférence, […] de nouvelles formes de tentes induites (CSpi), qui avait fait retour- vie sont en train d’émerger dans les labos, ner à leur état embryonnaire quelques cel- Pier Luigi Capucci les ateliers d’art et les workshops. Avec la lules de sa peau, extraites par biopsie, et les traduction: Valérie Vivancos promesse d’une exploitation pour la santé avait transformées en un réseau neuronal et la prospérité, nous assistons à l’appari- opérationnel. Ensuite, Ben-Ary a construit tion d’une vie telle qu’elle n’a jamais existé un corps robotique qui produisait du son auparavant, si ce n’est enfouie sous des grâce à tout un ensemble de synthétiseurs Références hyperboles, de la rhétorique et des spécu- modulaires analogiques constituant l’inter- Jens Hauser (Dir.), L’art biotech. Le Lieu Unique, lations. […] Cette rencontre va s’efforcer face de son "cerveau externe" permettant Nantes, Filigranes Édition, 2003. de présenter les perspectives occidentales et un fonctionnement en synergie et en temps Dmitry Bulatov (Ed.), Evolution Haute Couture. non-occidentales liées à la vie telle qu’elle se réel. Les synthétiseurs ont été assemblés Art and Science in the Post-Biological Age, Kaliningrad, manifeste aussi bien que celle transformée dans une sculpture avec le biolab contenant BB NCCA, 2013. en matériau brut pour l’ingénierie. le "cerveau externe". Nous sommes en passe d’assister à une ex- Selon l’artiste, les réseaux de neurones et Site de la conférence NeoLife : tension de l’idée même de la vie, y compris les synthétiseurs fonctionnent de manière www.symbiotica.uwa.edu.au/activities/neolife-slsa-2015

Guy Ben-Ary, cellF. Installation finale. phOtO © D.R.

mcd #81 - 41 arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR SUBSTANCE ET CODE entretien avec Paul Vanouse Paul Vanouse est un artiste identifié dans le bioart qui interroge les technosciences. Sa démarche va bien au-delà de projets basés sur des principes numériques ou interactifs. Ses travaux tiennent à la fois en des performances, mais aussi des installations, temps particuliers durant lesquels il travaille à partir d’un bien singulier matériau : la biochimie et l’un de ses composants, l’ADN.

Dans la continuité du Critical Art En- génétique, la donnée qui en est extraite, dis que "bioart" crée des confusions avec semble, collectif avec lequel il a réguliè- sa visualisation et instrumentalisation ; par les formes d’art qui prennent pour sujet la rement coopéré, il engage une réflexion extension leur démystification. Mais aussi, biologie. Il y a aussi cette délicate question complexe allant à rebours d’une vision et c’est un élément important, l’incidence de la cohérence. En effet, nous ne quali- commune, par trop simpliste, qui met en sociétale qu’impactent ces technologies, fions pas la peinture sous l’appellation "art exergue des points de débat cruciaux et notamment par l’acceptation tacite de leur de la peinture". Dans tous les cas, la notion pleinement d’actualité. Ainsi, il n’hésite caractère de vérité. Il s’agit donc, pour d’art associée à un qualificatif me semble pas à aborder des questions d’éthique paul Vanouse, de signifier l’orientation et galvaudée parce qu’elle décrit habituelle- relatives à la science, la génétique, l’eugé- la détermination politiques, qui en sont ment l’essence, tandis que le média décrit nisme, mais aussi les méthodes d’investi- faites et par ce biais initier une pensée cri- plus simplement la forme, le format ou les gation policière et l’institutionnalisation tique et responsable de leurs impacts. matériaux. Il me semble en conséquence de la catégorisation des individus. plus pertinent de me désigner comme C’est donc à travers des partis-pris forts Dans le champ du bioart, la technologie artiste travaillant avec les biomédias. et au-delà d’une vision consensuelle qu’il se joint à l’art intégrant les sciences du Sur un autre plan, je tiens à mentionner engage des procédures propres au champ vivant et ce sont par conséquent des Jens hauser. Celui-ci a problématisé et dé- de l’art. Au sein d’installations et perfor- outils et protocoles se référant au veloppé une singulière visée, au sujet des mances présentées au cours de festivals, laboratoire qui sont engagés. résonances biologiques du terme "média" ; musées et événements spécifiques, paul Vous-même êtes engagé dans une telle en rapprochant notamment cette notion Vanouse connecte deux milieux initiale- démarche, et plutôt que de bioart, du milieu de culture cellulaire placé en ment étrangers. Face au public, il figure vous la qualifieriez de biomédia. boîte de petri. le chercheur et active des procédures et Dans quelle mesure opérez-vous une méthodologies de laboratoire. Opérant distinction entre ces deux notions ? Vous avez plutôt un parcours de face au public et à l’aide de machines spé- J’ai plutôt tendance à utiliser ces deux plasticien et vous enseignez également cifiques, des systèmes d’analyse et d’opéra- termes de façon indistincte, particuliè- à l’Université de Buffalo au tion chimique, il développe des processus rement quand je m’adresse à des publics département d’études visuelles. d’analyse et de visualisation se référant plus généralistes. Le terme "bioart" est Ce parcours peut étonner car il va à souvent au génome humain. simple, direct. Cependant, "biomédia" rebours d’un préconçu suivant lequel Ces processus, inscrits dans la durée, sous- m’apparaît plus précis dans la mesure où vous viendriez des sciences dures et tendent l’appropriation d’un médium, la il désigne explicitement le médium, tan- évolueriez dans ce domaine.

42 - mcd #81 phOtO © tOM LOONAN

Paul Vanouse, Ocular Revision @ surveyor, albright-Knox art Gallery, Buffalo.

Avez-vous suivi également une forma- identifier comme bio-technologies ou plu- vous l’êtes-vous approprié, notamment tion scientifique vous permettant d’être tôt techno-biologies — étaient en pleine dans le cadre de vos dernières pro- plus familier au travail en laboratoire émergence tout en produisant déjà un lot ductions : Ocular Revision et Suspect ou êtes-vous plus simplement autodi- de contradictions perverses. Il était alors Inversion Center ? dacte ? Comment en êtes-vous venu à bien naturel de commencer à travailler Dès le début — à la fin des années 90 — travailler avec la génétique et assimiler sur ces formes pour les engager dans une j’ai été fasciné par cette technique. Il s’agit les procédures techniques, mais aussi réflexion critique. essentiellement d’une procédure qui pro- éthiques de cette discipline ? Ce fut le cas notamment avec Visible duit les profils de bandes souvent appelés J’ai étudié la peinture et simultanément Human Project et Human Genome Project. "empreintes génétiques". Je ne vais pas suivi un ensemble de cours en biologie et Je suis également et tout particulièrement entrer dans le détail de ce procédé, mais ce chimie à la fin des années 80. Au terme reconnaissant à Robin held, qui a organisé qui est intéressant au sujet de l’électropho- de mon cursus, j’ai rencontré beaucoup une table ronde à Seattle en 1999, offrant rèse, c’est qu’il permet d’observer l’ADN d’artistes issus du post-modernisme dont un contexte unique à des artistes et scien- à l’œil nu. En outre, il utilise la position Jenny holzer et hans haacke. Fonda- tifiques pour discuter des problématiques de l’ADN dans un gel mis à plat dans une mentalement, la majeure partie de ma éthiques relatives au projet d’identification coupelle pour faire la lumière sur l’iden- démarche, d’un point de vue critique et génomique de l’homme(1). pour conclure tité d’une personne ou d’un organisme, réflexif, mais aussi mon approche concep- sur mon parcours, je ne peux que saluer ce qui, à l’instar de tout support visuel et tuelle des médias, émane de cette période. de notables scientifiques, comme les pro- auprès d’un artiste, semble une invitation J’ai appris à programmer de sorte à pro- fesseurs Mary-Claire King et Robert Ferrel à la recherche, la critique, l’appropriation, duire des formes culturelles complexes pour leur générosité et m’avoir appris les la réutilisation, le détournement. pouvant exister simultanément et en dif- principes d’amplification et séparation de férents lieux, comme des consoles d’infor- l’ADN. On peut donc en déduire que ce mation et guichets automatiques. médium est évolutif, manipulable et Les années 90 m’ont permis de dévelop- L’une des techniques que vous sujet à l’interprétation. Or les images per cet intérêt pour les médias interactifs. employez couramment est l’électro- de l’ADN produites en laboratoire sont Mais aussi pour les industries relatives phorèse sur gel(2). Pourriez-vous manipulées de multiples façons (élec- aux champs du vivant — que l’on peut nous décrire ce processus et comment trophorèse, découpe, amplification). >

arts & sciences / Les sciences DUres aU cŒUr - mcd #81 - 43 Paul Vanouse, Suspect Invasion Center (SIC). phOtO © D.R.

et aux techniques d’investigation, de recherche médico-légales ? Oui, ceci est particulièrement impor- tant dans des pièces comme Latent Fi- gure Protocol et Suspect Inversion Center. Dans cette dernière réalisation, par exemple, je souhaitais contrer la façon dont les mass-médias dramatisent l’infor- mation, notamment avec l’Investigation de Scènes de Crime(4). Ce traitement médiatique est typique de la désinfor- mation du public. Ce faisant, on offre au public des outils conceptuels pour com- prendre les enjeux actuels qui entourent l’utilisation de l’imagerie de l’ADN ainsi La perception commune de l’ADN, n’est après tout qu’une substance inscrite que l’exploitation de fichiers génétiques. > c’est qu’il ne peut mentir car il est la dans la matrice de la vie ; elle n’est ni vir- Avec SIC, j’ai créé un laboratoire ouvert signature unique de tout individu. tuelle ni purement symbolique, mais reliée dans lequel tout ce qui s’y passait pouvait La question n’est pas de considérer à des processus vivants et inscrite dans être exploité. Mais il était aussi important l’ADN seulement comme un sujet, mais une profonde matérialité. qu’aucune question ne puisse être trop également comme médium. L’ADN est Sans se limiter à l’électrophorèse, il y a technique ni trop culturelle. De telles alors présenté comme une substance d’autres protocoles qui exploitent la na- distinctions, démarcations, sont aussi des plutôt que comme code. Serait-il pos- ture physique de l’ADN. Dans les expé- limites construites pour induire en erreur. sible de développer cette articulation ? rimentations radicales que j’ai faites en Après tout, un précédent juridique, sa Oui, il y a une suite d’oppositions que j’ai faisant usage de l’électrophorèse comme décision, et l’acceptation scientifique sont développées. Dans la première, il s’agit de Ocular Revision, je suis allé un cran plus des processus très liés et interdépendants. considérer l’image de l’ADN comme un loin en fabriquant une structure circulaire médium plutôt que comme une empreinte mettant en évidence l’ADN comme maté- A contrario des différentes technolo- directe du sujet et la seconde opposition riau doté d’une masse, d’une charge, etc. gies produites depuis le 19ème siècle, serait de percevoir l’ADN comme une Dans ce travail, je me suis réapproprié la notamment avec les microscopes et substance plutôt qu’un code. Dans le pre- métaphore de la carte génétique et l’ai dé- autres systèmes d’observation op- mier cas, l’ADN est considéré comme un tourné. plutôt que reproduire un système tiques, l’ADN n’a pas été conçu comme moyen plastique de représenter une forme classique de représentation génétique, j’ai un médium de représentation visuelle. de communication et de représentation. créé une mappemonde avec de l’ADN. Lors de vos performances, vous don- Ce qui en émane, c’est l’idée que l’ADN est Ce qui nous ramène à la première propo- nez à voir visuellement le processus malléable et capable de représenter visuel- sition. L’ADN peut aussi être un médium d’émergence de l’ADN et son processus lement n’importe quoi. Ceci contrevient de représentation plutôt qu’un sujet de de visualisation. à cette idée préconçue suivant laquelle représentation. Quelles problématiques spécifiques, les images d’ADN transcrivent l’essence Je déconstruis. En un sens, cela apporte formelles, techniques, temporelles immuable d’une subjectivité individuelle. de la clarté. Dénaturer, détourner les rencontrez-vous ? Ces images produites avec l’ADN seraient constructions idéologiques faites autour J’ai rencontré dans mes projets des flopées le gold standard(3) d’une enquête criminelle de l’ADN, et à d’autres égards, cela permet de casse-tête. Le plus significatif pour moi voire un infaillible détecteur de men- d’initier de nouvelles métaphores, associa- étant Relative Velocity Inscription Device songes. L’autorité qui émane de l’image tions d’idées, valeurs et significations aux- débuté en 2000. L’un des problèmes que je d’ADN résulte en partie de puissantes quelles adhérer. J’espère que cela fait sens. rencontrai portait sur la mise en brillance métaphores inscrites dans notre quotidien Mon opinion, c’est que non seulement les de l’ADN. Il devait rester suffisamment vi- et couramment usitées dans le langage : métaphores utilisées pour décrire l’ADN sible pour tenir une semaine entière dans "l’empreinte génétique" ou "l’empreinte sont douteuses, mais aussi, elles sont de- le cadre d’une exposition, mais aussi rester ADN". Ces métaphores induisent en venues opérationnelles et entravent la for- détectable par un système de visualisa- erreur les novices et présupposent que mation de nouvelles idées : un régime de tion automatisé. Une concentration plus l’ADN serait l’empreinte directe et unique signes agglomérés. Cependant, j’aime les forte en ADN aurait été dispendieuse, des d’un individu plutôt que le résultat d’un métaphores et les associations logiques, rayonnements UVS plus concentrés aurait ensemble de manipulations complexes et lesquelles sont à la base de la plupart des mis en danger le dispositif et rendu l’es- arbitraires réalisé en laboratoire. langages humains, après tout, et je ne crois pace obscurci de la galerie inexploitable, Le second point sur lequel il est important pas que l’art ou la science pourraient aller etc. Comment et à partir de quand ac- de se pencher, c’est la tendance à envisa- où que ce soit sans elles. cepte-t-on le seuil de visibilité ? La réponse ger l’ADN comme un code. Une fois que à ces problèmes implique de ne pas seule- l’ADN est traité comme une simple infor- Pensez-vous que votre travail produise ment être malin et averti quant aux solu- mation (ou code), il est coupé — il est du sens critique auprès des publics, tions technologiques, mais aussi de définir rendu abstrait, voire transcendé — de la les incite à mieux s’informer, les aide à l’intention politique et conceptuelle de vie en général et devient plus facilement s’autonomiser davantage et mettre en l’œuvre. Alors, nous pouvons nous laisser rationalisé, breveté. L’ADN, à mon avis, question leur rapport à la génétique guider vers des réponses.

44 - mcd #81 - Les sciences DUres aU cŒUr / arts & sciences arts & sciences / > LES SCIENCES DURES AU CŒUR

Vos performances, différemment, se développement d’un argument — l’appli- (2) L’électrophorèse sur gel est utilisée en biochimie ou font sous les yeux du public et laissent cation à des arguments politiques et scien- chimie moléculaire pour séparer des molécules en fonction de leur taille (appelée poids moléculaire) et en les faisant place à l’échange. Pensez-vous que tifiques est également valable — il nous migrer à travers un gel par application d’un champ votre travail puisse apparaître dans faut construire un système (le contre-la- électrique. Cette technique peut être utilisée pour séparer une démarche de sensibilisation boratoire) dans lequel les prémices d’un des acides nucléiques (ADN ou ARN, sur gels d’agarose pour que chaque citoyen trouve des argument sont posées, interrogées et ou d’acrylamide) ou des protéines (sur gel d’acrylamide). [Wikipedia] moyens simplifiés pour interroger son réévaluées. Faire cela, c’est engager une (3) En médecine ou en statistique, un gold standard est quotidien, puis à son tour, essaimer, réflexion critique à l’encontre de l’argu- un test qui fait référence dans un domaine pour établir diffuser de nouveaux outils de réflexion ment, ou rouvrir une boîte noire, et ainsi la validité d’un fait. Le gold standard a pour but d’être critique ? Est-ce en cela que nous attei- par l’activation au sein de ce système, nous très fiable, mais ne l’est que rarement totalement. Le gold standard est utilisé en médecine dans le but d’effectuer des gnons la dimension des médias avec les pouvons vérifier l’argument pour le réfu- études fiables. [Wikipedia] biomédias(5) ? ter. Le professeur William thompson, à (4) Contrecarrer l’effet CSI (Crime Scene Inves- Comme votre question le suggère, j’aime l’université d’Irvine, a justement abordé ce tigation), mode déclinée à toutes les sauces dans penser que mon travail est ouvert, popu- procédé qui consiste à opposer un argu- plusieurs séries télévisées et faisant l’apologie des techniques d’investigation médico-légales tout en en laire, progressif et voué à démystifier. ment à un autre de la même façon qu’on exagérant la précision. Cependant, je ne me résoudrais pas à élaborerait un contre-récit ou une multi- (5) Je pense notamment au Critical Art Ensemble et exclure un projet qui nécessiterait un peu plicité d’autres récits possibles. son kit de détection d’OGM ou, dans cette lignée, plus d’obscurité, d’opacité et de mystifica- au projet Safecast, kit open source de détection de radioactivité. tion (ou ce qui pourrait être perçu comme propos recueillis par tel), dans la mesure où il servirait des Gaspard Bébié-Valérian buts progressistes et populaires. Je pense que la définition d’un "contre-laboratoire" (1) Le Projet Génome Humain est un projet entrepris en 1990 dont la mission était d’établir le séquençage complet +info Paul Vanouse, faite par Bruno Latour dans La science en de l’ADN du génome humain. Son achèvement a été LatentFi gure action est pertinente. pour maîtriser le annoncé le 14 avril 2003. [Wikipedia] www.paulvanouse.com Protocol @ transmediale. phOtO © JONAthAN GRöGER phOtO © JONAthAN

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L’ART ET LE SUBLIME BIOLOGIQUE AU XXIe SIèCLE À l’ère post-anthropocentrique, nous nous trouvons confrontés ouvrir un centre d’histoire post-naturelle aujourd’hui permet de dépasser de manière non pas à une conception unifiée de l’existence, telle que le remarquable ce dilemme d’opposition en référençant les spécimens altérés artificiel- "monde" ou la "nature", mais à une multiplicité de structures lement — altérés par les humains, bien et de frontières floues. Ceci nous a conduits à questionner, entendu. Il met ainsi en lumière un pan es- sentiel du débat actuel sur l’anthropocène. à travers des postures artistiques interdisciplinaires, certains [macro]biologies II : organismes pans du domaine de recherche actuel qui rencontre les Maja Smrekar est une jeune artiste de Lju- changements les plus rapides : celui des sciences de la vie. bljana en Slovénie, dont le travail relie les croisements entre sciences humaines et naturelles. Son œuvre BioBase: risky ZOO- graphies, est une nouvelle itération d’un projet au long cours, BioBase, qui propose Dans cet article(1) nous examinerons [macro]biologies I : la biosphère un prototype de futur laboratoire itinérant quelques œuvres d’art présentées dans Le Center for postNatural history ou destiné à l’étude d’arthropodes aquatiques nos expositions [macro]biologie et [micro] CpNh (centre d’histoire post-naturelle) invasifs. La structure architecturale en biologie(2). Alors que les artistes sélection- installé à pittsburgh, aux États-Unis, est forme de tente contenait un aquarium en nés se concentrent principalement sur un projet d’art et de recherche qui porte deux parties, l’une abritait une écrevisse un ou deux domaines spécialisés, nous sur l’histoire de la manipulation du vi- slovène locale, l’écrevisse à pattes rouges nous intéressons davantage à leur désir de vant par l’humanité, des débuts de l’agri- (Astacus astacus), l’autre — l’envahisseuse, comprendre et de partager le profession- culture aux modifications génétiques. l’écrevisse bleue (Cherax quadricarinatus) Joanna Hoffmann, Proteo, nalisme scientifique. Nous nous intéres- Suite à l’émergence de l’idée, en 2008, l’ar- qui a récemment colonisé le lac thermal installation serons également au développement d’un tiste Richard pell et ses collègues Lauren de topla, en Slovénie, et s’y est multipliée à art Laboratory, champ hybride qui résulte de la collabora- Allen et Mason Juday ont fini par ouvrir à foison. Les deux parties étaient reliées Berlin. tion entre les artistes et les sciences. le CpNh en 2012. Le terme "post-naturel" par une échelle permettant aux crustacés fait référence aux formes de vie intention- de traverser et de se confronter. nellement modifiées par les humains à tra- Au-delà de l’interaction entre espèces vers la domestication, l’élevage sélectif et invasives (ordinairement introduites par l’ingénierie génétique. À cet effet, le CpNh les humains) et espèces originelles, le ca- organise des expositions multimédias thé- ractère parthénogénétique de la femelle matiques, édite des publications et consti- écrevisse marbrée fait écho au débat tue une collection de spécimens d’origine actuel sur la biotechnologie et la repro- post-naturelle préservés et documentés. duction humaine. La parthénogenèse Le CpNh questionne également l’institu- assistée par la biotechnologie pourrait tion du "Muséum d’histoire Naturelle" en devenir un jour une norme humaine(3). tant que tel. En tant qu’institution de pro- Le travail de Smrekar fournit un labo- duction de savoir moderne, le muséum ratoire à multiples facettes permettant d’histoire naturelle est un lieu où ont été d’explorer à la fois le monde naturel qui sciemment instaurées une division entre nous entoure et notre propre développe- sujet et objet et une dichotomie entre hu- ment culturel et biopolitique dans une

phOtO © tIM DEUSSEN mains et non-humains. En conséquence, ère d’écosystèmes précaires.

46 - mcd #81 phOtO © tIM DEUSSEN

Maja smrekar, BioBase: risky ZOOgraphies, 2014.

[micro]biologies I : le sublime bactérien Dans sa pratique artistique plurielle, Anna Dumitriu associe la microbiologie aux tex- tiles, à la robotique et aux médias numé- riques. Dans ses objets, ses installations, ses performances et workshops, elle uti- lise des bactéries et des "robots sociaux". Ses œuvres qui se servent des bactéries comme médium associent les champs de l’art et de la microbiologie, l’histoire et la recherche de pointe, dans le but avéré de rendre la microbiologie moderne accessible au public. Une œuvre centrale de son tra- vail, Normal Flora, est un projet artistique au long cours explorant les bactéries, moi- sissures et autres levures omniprésentes dans et sur nos corps, dans nos maisons et l’ensemble de la planète, et qui constituent un élément fondamental des écosystèmes complexes qui nous entourent. par exemple, l’installation Bed and Chair Flora est fabriquée à partir d’une chaise biologie, la physique et la technologie. Donnant naissance à une molécule de sculptée avec des images de bactéries Son utilisation d’installations multimédias, protéine complexe et à sa "danse de vie" trouvées sur celle-ci, images qui sont éga- de stéréoscopie 3D, d’animation vidéo moléculaire dynamique, elle évoque les lement brodées au point de croix sur la expérimentale et d’autres médias explore liens entre énergie, matière et forme. tapisserie du siège. posé sur la chaise, se tout autant la visualisation subatomique Fusionnant des interprétations de données trouve un ouvrage au crochet réalisé de et moléculaire que l’espace cosmique. scientifiques, d’images, de son, de poésie manière collaborative et dont les motifs πρωτεο/ Proteo, est un "fantôme de pep- πρωτεο/ Proteo pose les questions des dé- s’inspirent d’images au microscope élec- per", un précurseur de l’holographie, pro- fis et des limites de nos facultés cognitives, tronique de bactéries trouvées dans le lit jeté sur une pyramide. créant une passerelle émotionnelle entre de l’artiste. En ce début de XXIe siècle, le Le titre de l’œuvre fait référence à la racine notre expérience quotidienne et le côté rôle de l’artiste en tant que communica- grecque du mot protéine (Gr. πρωτεῖος le abstrait de la science contemporaine. teur, démystificateur et éthicien des avan- premier, à la pointe), à la tradition philoso- cées scientifiques et artistiques est particu- phique de recherche de l’arche — l’essence Regine Rapp & Christian de Lutz lièrement pertinent. L’œuvre de Dumitriu du monde physique (Anaximandre) et art Laboratory Berlin crée une passerelle entre les univers de la au principe de connaissance (Aristote). technologie, des sciences de la vie et un / Proteo est une animation qui re- πρωτεο (1) Extrait de l’introduction de leur livre plus large public. présente un nuage de particules créant ainsi [macro]biologies and [micro]biologies. Art and the un mini-univers replié sous forme d’espace Biological Sublime in the 21st Century. [micro]biologies II : πρωτεο / proteo Calabi-Yau, dans lequel, selon la théorie des (2) http://artlaboratory-berlin.org/html/eng-pro- L’artiste polonaise basée à Berlin Joanna supercordes, les dimensions successives de gramme-2014.htm (3) Sykes, Bryan: Adam’s Curse: A Future Without Men, hoffmann crée des œuvres trans-dis- notre monde sont "enroulées" sur elles- New-York 2004 et prasad, Aarathi: Like a Virgin: How ciplinaires qui associent l’art, la micro- mêmes au niveau subatomique. Science is Redesigning the Rules of Sex, Londres 2012.

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arts & sciences / Le ViVant aUtreMent - mcd #81 - 49 arts & sciences / > LE VIVANT AUTREMENT

SCIENCES bault Rossigneux, directeur artistique de la compagnie Les Sens des Mots(3), avec ren- dez-vous annuel lors du festival d’Avignon. Le protocole est ainsi défini : deux mois ET SPECTACLE après un entretien de 50 minutes entre un auteur de théâtre et un scientifique, le premier livre une lecture publique d’une pièce issue de la rencontre avec le second. De son côté, la base de données en ligne Scènes de méninges(4) recense dans l’hexa- VIVANT gone les pièces de théâtre en lien plus ou moins direct avec les sciences. de l’accès à l’excès La connaissance scientifique du corps et du cerveau accompagne l’évolution des théories de l’interprétation, et vice versa. Conférences-performances sur des thèmes scientifiques, La médecine, la psychologie, la biologie, la neurophysiologie sont autant de portes études des processus de création d’une chorégraphie par les directement ouvertes sur la compréhen- neurosciences, développements de nouveaux agrès pour le cirque… sion du mouvement dont chorégraphes et danseurs s’emparent tout au long du Les relations entre sciences et spectacle vivant sont variées 20e siècle. À rebours, la connaissance empirique du danseur, son haut degré de et fécondes. Tour d’horizon et focus sur les démarches de deux maîtrise corporelle mêlé à des processus chorégraphes, Kitsou Dubois et Gilles Jobin. mentaux et émotionnels complexes en font un partenaire de choix pour des études scientifiques. Le récent film de Julien Pré- vieux, Patterns of life (2014), produit pour la "troisième scène" de l’Opéra de Paris, L’histoire des arts de la scène est hantée avec le scientifique Stephen Emmot, pré- retrace une partie de cette histoire tout par les sciences. Les exemples abondent et sent sur scène, sur les conséquences de en la mettant en pratique. Julien Prévieux peuvent être regroupés en trois axes prin- l’évolution de la population mondiale ; reconstruit six expériences de capture du cipaux : la science comme sujet (avec pour Space Travelling d’Agnes Meyer-Brandis sur mouvement avec cinq danseurs du Ballet tête de proue La vie de Galilée de Brecht) ; la question de l’apesanteur). La rigueur du de l’Opéra, des lapins, du scotch et une la nécessaire connaissance du corps dans raisonnement laisse parfois libre cours à tortue. Les danseurs exécutent des choré- toutes ses ramifications (celui du danseur la fantaisie et à l’absurde, comme dans la graphies à partir de protocoles et résultats comme celui de l’acteur) ; les techno- série des Cartographies de Frédéric Ferrer, scientifiques préalablement recensés et sciences, dont l’évolution imprègne l’évo- sous-titrées petites conférences théâtrales sur décrits dans un article du philosophe Gré- lution de la scénographie et des salles des endroits du monde. goire Chamayou, "Une brève histoire des de spectacle. Nous n’évoquerons ici que corps schématiques"(5). L’étude scientifique quelques-uns des avatars contemporains Liliane Campos, dans Sciences en scène du mouvement (chorégraphié si ce n’est de ces trois continuums(1). dans le théâtre britannique contemporain(2) chorégraphique) devient dans Patterns of montre que chez nos voisins d’outre- life prétexte à chorégraphie. La boucle est Depuis la fin des années 2000, l’essor de la Manche les sciences sont à la fois thème bouclée. conférence-performance offre la promesse et langage pour des auteurs et des com- d’une rencontre avec le réel, d’une expli- pagnies tels que Tom Stoppard, Caryl Depuis une décennie environ, les sciences cation – si ce n’est d’une démonstration, Churchill, Sarah Kane, On Theatre ou cognitives et les neurosciences retiennent d’un théâtre de la preuve. Donnée dans un le Théâtre de Complicité. Malgré l’essor tout particulièrement l’attention de la contexte théâtral, elle offre parfois la possi- des conférences-performances, la science danse. Le chorégraphe Wayne McGregor bilité de transmettre autrement et ailleurs comme sujet est plus rare en France. a ainsi mis en œuvre un véritable labo- un savoir scientifique Ten( Billions, mis en D’où la publicité autour du projet binôme, ratoire de recherche sur le corps au sein scène par Katie Mitchell en collaboration initié en 2010 par le metteur en scène Thi- même de sa compagnie(6). Depuis 2001,

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Quantum, chorégraphie de Gilles Jobin.

avec Scott deLahunta, il invite des scien- recherches sur le geste à partir de la bio- ment un axe de recherche sur les maté- tifiques dans son studio, dont Philip Bar- mécanique de Meyerhold(10). Depuis 2013, riaux (nouveaux revêtements, nouvelles nard, spécialiste de sciences cognitives(7). le labodanse, autour de la chorégraphe cordes, textiles sensibles, à mémoire de Wayne McGregor leur propose alors d’étu- Myriam Gourfink, poursuitune collabora- formes, matériaux composites, etc.) aussi dier son processus de création afin de tion innovante entre des chercheurs en neu- bien pour des enjeux de sécurité (résis- susciter une nouvelle compréhension de rosciences cognitives, une chorégraphe et des tance, protection vis-à-vis des brûlures la pratique chorégraphique. Il s’agit de spécialistes en Interaction Homme Machine, de frottement) qu’artistiques. De telles rechercher des connexions entre la créati- pour former une plateforme partagée destinée recherches, en collaboration avec des vité, la chorégraphie et l’étude scientifique au développement en ligne de mesures physio- scientifiques et des ingénieurs, devraient du mouvement et du cerveau. Ce champ logiques et neurophysiologiques des interac- permettre le développement de nouveaux s’avère particulièrement fécond pour la tions danseur-danseur, danseur-chorégraphe agrès ou de nouveaux procédés de conser- danse. Un premier colloque international et danseur-spectateur. Cette plateforme ser- vation des matériaux. est organisé par Ivar Hagendoorn dès jan- vira à étudier les processus cognitifs qui sous- vier 2004. Intitulé Dance and the Brain, il tendent la production et la réception artis- Mais il ne faut pas s’y tromper : l’objet de est accueilli par les ballets de Francfort, tiques, ainsi que comme outil de recherche et ces conversations n’est pas de mener à des dirigés par William Forsythe. Comme le composition chorégraphique(11). conversions (la science en spectacle, le note Scott deLahunta, la curiosité person- spectacle en science), mais à des œuvres et à nelle de Forsythe pour les neurosciences pro- Les collaborations entre arts de la scène des connaissances scientifiques. Au théâtre, vient de son désir de préciser une intuition sur et (techno)sciences sont également à l’ori- la figure de Jean-François Peyret, metteur la perception de ses œuvres par les spectateurs gine d’innovations scénographiques et en scène co-signant plusieurs de ses spec- au travers de la compréhension des méca- architecturales. L’impact des technologies tacles avec des scientifiques (Jean-Didier nismes cognitifs de l’attention(8). numériques sur le spectacle vivant depuis Vincent, Alain Prochiantz), s’est imposée la seconde moitié du 20e siècle est la par- comme une référence majeure(13). Il décrit En 2005, Johannes Birringer publie Dance tie immergée de l’iceberg(12). Des travaux en ces termes la nature de la collaboration : and Cognition(9). À la fin des années 2000, moins connus concernent les matériaux. chacun reste l’autre de l’autre, et nous ne tâ- Alain Berthoz, titulaire de la chaire de Ainsi, le Centre National des Arts du chons pas de combler le fossé entre l’Art et la physiologie de la perception et de l’action Cirque (CNAC) et l’Institut International Science. Il ne s’agit pas d’un dialogue : le scien- au Collège de France, entreprend des de la Marionnette développent actuelle- tifique ne se fait pas artiste (du dimanche) et >

arts & sciences / Le ViVant aUtreMent - mcd #81 - 51 PHOTO © JULIEN PRéVIEUx / COURTESy GALERIE JOUSSE ENTREPRISE, PARIS PHOTO © JULIEN PRéVIEUx / COURTESy

Julien Prévieux, Patterns of Life (Jeune fille du 16e #1), 2015. Photos de tournage.

l’homme de théâtre scientifique d’occasion, de tion de son projet par le comité scientifique Pour prendre du recul, la chorégraphe > seconde main. […] Le scientifique vient faire du CNES. Son interlocuteur est alors le dé- rédige alors une thèse sur son expé- de la science autrement, sur un autre tempo, partement communication. L’Observatoire rience : Application des techniques de la et l’homme de théâtre essaie de faire un théâtre de l’Espace prendra le relai pour les vols danse à l’entraînement du vol en apesan- un peu autre… Chacun rit dans sa barbe. effectués à partir de 2000(17). Fondamental, teur : une danseuse en apesanteur, sou- Altérité radicale plutôt qu’interdisciplinarité irréversible(18), ce premier vol fait basculer la tenue en 1999(19). Puis en 2002, un administrative ou diplomatique(14). danseuse dans des sensations paradoxales. premier spectacle, Trajectoire Fluide. L’espace intérieur devient concret, la liberté Depuis, tous ses spectacles concernent Quelques institutions ont essayé de graver de mouvement est totale, le corps (alors l’apesanteur et la microgravité, thèmes dans le marbre ce type de collaboration, par qu’il semble s’évanouir, disparaître) se ré- inépuisables qui engagent le rapport à la essence fragile. Ainsi en France, l’Atelier vèle d’une absolue nécessité. Auparavant, matière, à l’espace, au temps, à l’autre. Arts Sciences, une "plateforme" commune Kitsou Dubois avait commencé à collaborer Le processus de création est boulever- à la scène nationale de Meylan et au CEA, avec des scientifiques, dont Alain Berthoz, sé. Tout nouveau projet s’inspire d’une associés depuis 2007 pour créer "un labo- alors directeur du laboratoire de physio- réflexion scientifique, par exemple sur ratoire commun de recherche aux artistes logie sensorielle du CNRS, l’un des tout le comportement des fluides en 0G, et et aux scientifiques"(15). Des laboratoires premiers centres à conduire des travaux entraîne des rencontres avec des cher- de recherche de haut niveau ouvrent éga- de neurophysiologie sur le corps humain. cheurs. L’expérimentation de la micro- lement leurs portes aux arts de la scène. Suite à son expérience de la microgravité, la gravité devient un préalable au travail Nous présenterons ici deux démarches : neurophysiologie, et en particulier les ques- avec les danseurs. Kitsou Dubois leur celle de Gilles Jobin avec le CERN et celle tions de perception de l’espace et du temps, fait effectuer des vols en apesanteur et/ de Kitsou Dubois en lien avec le Centre passionne Kitsou Dubois. Le passage à ou leur propose des milieux analogu- National d’Etudes Spatiales (CNES). la création chorégraphique demandera es, comme l’eau, afin demettre en évi- 10 années, à l’exception d’un spectacle, dence des états de corps. Pour occuper Se présentant comme "chorégraphe de Gravité Zéro, en 1994, qu’elle décrit comme le volume du plateau, elle engage des l’apesanteur", Kitsou Dubois(16) a été l’une un spectacle nostalgique sur le vol. Après le circassiens. La place de l’image devient des premières chorégraphes à effectuer un choc initiatique, il faut un temps de matu- fondamentale, dans un premier temps vol en apesanteur, en 1990, après accepta- ration, d’incarnation, d’écriture. pour réactiver la mémoire sensible du

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vol (systématiquement filmé) puis pour eux, à la base d’un premier spectacle né "Augmenting Choreography: Insights and Inspiration essayer de transmettre l’expérience des de la résidence au CERN, Quantum, en from Science", in Jo Butterworth and Liesbeth Wildschut (Eds.), Contemporary Choreography: a sensations éprouvées au spectateur, 2013. Un second, Força forte, est prévu critical reader, Londres ; New york, Routledge, 2009, jusqu’à l’immerger dans l’image(20). pour 2016. pp. 431-448. (9) Johannes H. Birringer, Josephine Fenger (Eds.), En 2012, Gilles Jobin(21) est le premier Les relations entre science et spectacle Tanz im Kopf: Dance and Cognition, Münster, Lit, 2005. (10) Alain Berthoz, La simplexité, Paris, Odile Jacob, chorégraphe à avoir été accueilli en rési- ne sont pas uniquement sous le signe de 2009. dence dans le cadre du programme l’accès à la connaissance (pour le metteur (11) http://labodanse.org Arts@CERN(22), avec pour devise Great Art en scène, le chorégraphe, l’interprète ou (12) Clarisse Bardiot, Arts de la scène et technologies for Great Science. Rejoignant les propos encore le public). Elles ressortent aussi numériques : les digital performances, Boulogne, Leonardo/Olats, Les Basiques, 2013 de Jean-François Peyret, le chorégraphe du dépassement de chacun des domaines. www.olats.org/livresetudes/basiques/artstechnosnu- résume ainsi cette expérience : on nous De l’accès (aux sciences) à l’excès (des merique/basiquesATN.php. pose beaucoup la question de savoir si cela disciplines) : telle pourrait être résumée (13) Cf. notamment Jean-François Peyret, aide les scientifiques dans leurs découvertes. l’aventure des collaborations entre arts de Alain Prochiantz, Les variations Darwin, Paris, Ce n’est pas la question : aucun scientifique la scène et sciences. Odile Jacob, 2005. (14) Jean-François Peyret, "Le théâtre et la recherche ne m’a amené des solutions chorégraphiques. Clarisse Bardiot scientifique" (entretien),Hermès, La revue, n° 72, Et je n’ai amené aucune solution scientifique à L’artiste, un chercheur pas comme les autres, 2015, p. 141. des scientifiques. Par contre, j’ai eu un dialogue (1) Deux revues francophones ont offert un panorama (15) www.atelier-arts-sciences.eu qui a stimulé ma créativité. C’est pareil dans de la question dans les années 2000 : Nouvelles de (16) www.kitsoudubois.com (17) L’Observatoire de l’Espace, qui conduit l’autre sens, j’imagine(23). La rencontre avec danse, avec le numéro Scientifiquement danse en novembre 2004, puis en 2009 Alternatives théâtrales, les projets Arts-Sciences au sein du CNES, les chercheurs en physique des particules avec l’opus Côté sciences, inspiré par le travail du a été créé en 2000. marque une rupture dans sa carrière et lui metteur en scène Jean-François Peyret. (18) Interview de Kitsou Dubois par Clarisse Bardiot, permet de sortir d’un fantasme de science. (2) Liliane Campos, Sciences en scène dans le théâtre le 13/10/2015. Idem pour les propos qui suivent. La résidence au CERN a un impact en britannique contemporain, Rennes, Presses universi- (19) Des extraits de la thèse de Kitsou Dubois sont taires de Rennes, 2012. publiés sur le site de Leonardo/Olats : http://olats.org/ termes d’inspiration, mais aussi et surtout (3) www.lessensdesmots.eu space/colloques/artgravitezero/t_Dubois.html de méthode de travail. Concernant l’inspi- (4) www.scenesdemeninges.fr (20) Pour une description plus détaillée de la ration, la résidence est l’occasion de trouver (5) Grégoire Chamayou, "Une brève histoire des démarche de Kitsou Dubois, cf. Jean-Luc Soret, des références au-delà des mondes de la corps schématiques", Jef Klak, "Bout d’ficelle", "Les variations légères de Kitsou Dubois" in All Aliens - Cabarets de curiosités 4, Les Soliaires Intempestifs, mai 2015, http://serpent-libertaire.over-blog.com/ Kitsou Dubois, danse et de l’art, de sortir d’une réflexion 2015/09/une-breve-histoire-des-corps-schematiques- en coédition avec Subjectile et Le Phénix, scène auto-centrée, caractéristique de la danse par-gregoire-chamayou.html nationale-Valenciennes, 2014, p. 80 87. danseurs lors des 30 dernières années. Lui-même se sent (6) www.randomdance.org (21) www.gillesjobin.com d’un vol plus proche des sciences dures, de la phy- (7) Le projet Choreography and Cognition est décrit sur (22) http://arts.web.cern.ch en apesanteur le site internet www.choreocog.net (23) Interview de Gilles Jobin par Clarisse Bardiot le effectué sique, des mathématiques ou de la biologie (8) Scott Delahunta, Phil Barnard, Wayne McGregor, 8/10/2015. Idem pour les propos qui suivent. en 2009. que de la littérature ou de la poésie.

Sa rencontre avec la physique des parti- cules implique un changement d’échelle. Comment faire pour ramener à l’échelle de la danse des phénomènes inobservables et abstraits ? Comment sortir de l’organique ? Plus fragmentée, moins holistique, sa re- présentation du monde bascule. Du point de vue des méthodes de travail, alors qu’il pensait être un artiste expérimental, Gilles Jobin prend conscience que la recherche fondamentale, sans obligation de résul- tat, est très rare pour un chorégraphe. Son travail est orienté vers la production d’une œuvre, ce qui laisse peu de marge à l’imprévu. La rencontre théorique n’est pas suffisante. L’expérimentation, dans un même espace-temps, est beaucoup ITSOU DUBOIS plus décisive. Ainsi, l’invitation de deux physiciens dans le studio de danse, où ils assistent au travail des danseurs, amène les premiers à présenter aux seconds les diagrammes de Feynman, lesquels per- mettent de décrire des collisions entre des particules. Les danseurs se les sont appro-

priés pour écrire des interactions entre y: K / COURTES PHOTO © LOïC PARENT

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FRANÇOIS-JOSEPH LAPOINTE dANSER SoN AdN ET ModELER SoN

traits génétiques, où ce n’est plus l’appa- rence extérieure du sujet qui est repré- sentée, mais son identité biologique, elle s’en démarque pourtant. En effet, ce type MICRobIoME (3) de représentation se fait habituellement Ne se reconnaissant pas dans une démarche inter ou transdisciplinaire, sous forme d’image fixe, alors qu’ici, l’au- le biologiste et bioartiste François-Joseph Lapointe se fait le défenseur toportrait permet de transcrire l’ADN en (1) mouvements et dans une temporalité éti- d’une paradisciplinarité . Selon cette conception, l’art et la science évoluent rée qui s’échelonne sur plusieurs heures. côte à côte, avec de nombreux échanges et interinfluences possibles, mais sans que ne s’opère de fusion des langages ou des savoirs. Biologie Investi dans un enchaînement continuel de mouvements où chaque solo correspond et art collaborent, dialoguent et se répondent sans jamais se fondre l’une à la séquence d’un gène, OGM sollicite le dans l’autre. L’idée qui parcourt l’œuvre de Lapointe, que ce soit à travers corps entier de l’artiste. Lorsqu’il pénètre dans la pièce où se trouve le performeur, le la danse ou la performance, est que la biologie, tout en étant un moyen spectateur devra lire à voix haute une "par- d’explorer le corps, participe pleinement à la création de sens et donc tition chorégraphique" qui lui est remise et à la constitution de l’identité humaine. qui sera exécutée en direct par le perfor- meur. Chaque partition est composée d’une série de lettres (A, C, G, T) — les quatre nucléotides — auxquelles ont été associées un mouvement spécifique. Avant que le François-Joseph Lapointe est déjà profes- Née d’une pratique de la danse contem- spectateur ne quitte la pièce pour céder sa seur de biologie à l’Université de Montréal poraine, sa démarche artistique l’amène place au suivant, une éprouvette contenant depuis plus de dix ans lorsqu’il entreprend peu à peu vers une réflexion sur l’acte l’ADN de l’artiste lui est remise(4). La molé- un second doctorat, en études et pra- chorégraphique. De là, il développe une cule adopte ici un triple rôle, tenant lieu tiques des arts, qu’il obtiendra en 2012. méthode exploratoire — la choréogéné- à la fois de partition chorégraphique, de tique(2) — qui s’inspire directement des re- relique témoignant d’une œuvre éphémère, cherches sur la génétique des populations ainsi que d’offrande contenant une parcelle qu’il mène alors au Laboratoire d’écologie infime du corps de l’artiste et de son iden- moléculaire et d’évolution qu’il dirige. tité biologique. En utilisant d’abord des algorithmes géné- tiques pour créer des variations chorégra- Poursuivant la réflexion sur les défini- phiques, il cherche à évacuer la subjectivi- tions du soi entamée dans son travail lié té du chorégraphe. Cette quête se poursuit à la génétique, Lapointe se tourne ensuite via une seconde phase d’expérimentation, vers un autre aspect de l’identité corpo- les "mutations in vivo", où les mouve- relle humaine : le microbiome. Ce champ ments effectués par le danseur ne sont plus de recherche relativement récent de la générés par ordinateur, mais bien dictés biologie s’intéresse au microbiote, ancien- par ses propres données biologiques. nement appelé microflore, et à la somme des génomes de ces micro-organismes qui Dans une performance intitulée OGM : habitent la surface et l’intérieur du corps Organismes Génétiquement Mouvementés humain. Encore une fois, avec son "art (2007-2013), présentée successivement métagénomique", il se distingue de la pro- au Québec, au Mexique et en France, duction des autres bioartistes(5) qui se sont Lapointe dansait une partie de son ADN jusque-là intéressés au sujet. Alors que ces qu’il avait préalablement séquencé. derniers cultivent simplement ces micro- Si l’œuvre s’inscrit dans la lignée des por- organismes dans des boîtes de Petri et les

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François-Joseph Lapointe, 1000 Handshakes, copenhague, octobre 2014, Performance produite en collaboration avec le Medical Museion de copenhague.

exposent comme œuvre, Lapointe propose patrimoine bactérien des participants : le microbiome chez diverses populations plutôt de se livrer à diverses expérimen- microbiome de l’artiste comme celui du humaines et animales. tations afin de voir comment son micro- spectateur seront modifiés par cette ren- biome en sera affecté. contre. En raison de son caractère ludique Quant à l’épineuse question des limi- et participatif, l’œuvre s’inscrit donc dans tations éthiques ou du contrôle de la Dans sa performance 1000 Handshakes: une esthétique relationnelle où l’échange recherche, Lapointe demeure dans l’obli- Mapping the Microbes Between Us (Copen- de poignées de mains, de sourires et de gation de soumettre ses projets à divers hague, 2014)(6), il s’est soumis, pendant paroles constitue finalement le cœur du comités universitaires. Mais le choix du six heures, au contact de plus de 1218 projet. Si une part de notre identité bio- type de comité éthique est actuellement individus rencontrés au hasard afin de logique est fondée sur nos échanges avec uniquement déterminé par les sujets transformer le microbiome de sa peau. l’environnement et les organismes qui impliqués (humain ou animaux), sans Après un premier prélèvement dans sa vivent en nous et autour de nous, l’identité différenciation aucune quant à la nature main "vierge", il débute son parcours à personnelle est tout autant forgée par nos artistique ou scientifique de la recherche travers la ville et échange des poignées rencontres et nos interactions humaines. envisagée. Souhaitons que cette brèche de mains avec tous les gens qu’il croise administrative ouvre la voie à l’affirmation sur son passage. Toutes les 50 poignées Dans une volonté de ne pas dissocier ses et à la reconnaissance de la paradisciplina- de mains, de nouveaux prélèvements recherches artistiques et scientifiques, rité au sein des institutions universitaires sont effectués. Pendant la performance, François-Joseph Lapointe aborde ses di- comme des structures sociales. l’artiste est accompagné d’une équipe vers projets comme un ensemble, corpus d’assistant(e)s vêtu(e)s de blouses de à la fois éclectique et cohérent, sans hié- Marianne Cloutier laboratoire : ils s’occupent des prélève- rarchie entre les disciplines. Il utilise ainsi historienne de l’art et chercheuse ments, distribuent des tracts informatifs les échantillons et les données recueillies post-doctorale à l’Université de Montréal sur le microbiome et répondent aux di- lors des projets à finalité artistique dans verses questions du public. ses articles, conférences et congrès en (1) Terme emprunté au physicien et essayiste Jean- sciences biologiques, n’hésite pas à discu- Marc Lévy-Leblond. Sur les pancartes qu’ils arborent, on peut ter de son travail d’artiste dans un cadre (2) François-Joseph Lapointe, 2012, " La choréo- scientifique et à y aborder la manière dont génétique ou l’art de faire danser l’ADN ", Thèse de lire "Free handshake" et "you are what doctorat. Montréal : Université du Québec à Montréal. you touch", annonçant que l’artiste ten- l’art l’a amené à concevoir autrement son (3) Voir notamment le travail de Justine Cooper, tera d’établir un contact physique avec travail de biologiste. C’est d’ailleurs suite Gary Schneider ou Iñigo Manglano-Ovalle. le public, mais aussi que ce geste, aussi à ses créations en art métagénomique et (4) Lapointe, Ibid. ses questionnements sur les frontières de (5) Notamment Joana Ricou, Polona Tratnik et anodin qu’il puisse paraître, est en fait un Edgar Lissel pour n’en nommer que quelques-uns. appel à la transformation, à la modifica- l’humain qu’il a réorienté ses recherches (6) Cette performance a également été réalisée tion physique par le bouleversement du en biologie vers l’étude des variations du à Montréal et à San Francisco.

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JOHANN LE GUILLERM UNE UToPIE dE SCIENTIfIqUE Mathématique, topologie, géométrie, classification : science. à en faire le tour complet par le chemin le plus simple. Résultat, une découpe en Jonglage, équilibrisme, acrobatie : cirque. Johann Le Guillerm forme d’ellipse qui, aplanie, forme un "S". Plus tard, il mettra ce volume en mouve- marie les deux sans faire de cirque mathématique, ni d’illustration ment, puis confrontera sa sphère à d’autres scientifique. Il crée un univers qui transcende les deux. sphères, observera leurs frictions, leurs trajectoires. C’est ainsi que sont nées des expérimentations devenues "chantiers" en perpétuel développement.

Johann Le Guillerm est une des per- sculptures. Il invente des numéros qui Le Guillerm formule, choisit ses outils, sonnalités les plus singulières du cirque sont les expérimentations à vue des phé- émet des hypothèses, définit. Ses connais- contemporain. Tout à la fois jongleur nomènes qui le hantent, le mouvement, sances s’appuient sur des raisonnements virtuose, équilibriste sur corde, acro- l’équilibre, le point de vue, la métamor- très personnels, mais nés d’observations bate et clown, il est issu de la première phose. Il crée des Architextures, structures précises. Parce que sa "méthode" croise promotion du Centre National des Arts autoportées qui le rapprochent de l’archi- celle de scientifiques, on l’a un peu vite du Cirque (1986-1989). Look médiéval tecture. Il a imaginé La Motte, sorte de pla- rangé de leur côté. Certes, on peut recon- punk, poulaines, longues nattes dans nète minérale et végétale de 2,5 m de haut naître dans ses recherches un imaginaire lié le dos et regard d’acier, le personnage qui tourne lentement sur elle-même en à la physique, l’astronomie, la génétique, est mutique, ponctue ses élans de rage, laissant au sol la trace d’un trèfle inversé… la botanique. Oui, les longues heures pas- de feulements et grognements de fauve. Vous avez dit, cirque ? sées à observer (théoriser, disent les Grecs) Il incarne le dernier des mohicans d’un lui ont donné une connaissance empirique cirque nomade qui se vouait à la piste et Tout commence en 2000. L’artiste rentre de tous ces sujets. Il ne pense pas par pos- au chapiteau. Il possède effectivement sa d’un voyage autour du monde où il a tulat, mais par analogie, ce que font aussi toile, joue toujours en circulaire, mais ne rencontré des populations autochtones, les chercheurs quand ils abordent un cesse de travailler aux confins du genre, handicapées ou traumatisées, sociétés champ nouveau. Ainsi ce "S", découpe de depuis les débuts d’Attraction, l’œuvre de fermées, inadaptées au monde. Il pose son volume, qu’il a repéré dans les cou- sa vie, débutée il y a 15 ans. alors les bases de son projet. Je cherchais rants marins, les galaxies, les ouïes d’un à comprendre de quoi était fait un "minimal", violon… est commun au monde minéral, Johann Le Guillerm, L’artiste poursuit une recherche autour du le plus petit commun, comme un fondement végétal et aux mammifères. Il en a fait son détail du chantier point, véritable usine à gaz d’expérimenta- applicable à tout. Je pensais que si je parve- "référentiel commun". de l’Alphabet tions déclinées sous des formes multiples : nais à le savoir, alors je pourrais appréhender À Lettre Unique. spectacles, performances, exposition, le plus complexe. C’était une bonne entrée en Cette pratique toute aristotélicienne de matière pour faire le point sur le monde… connaissance des phénomènes est surtout Je tente d’emprunter d’autres chemins que une manière assez évidente d’appréhender ceux déjà établis, ou donnés comme vrais. ce qui nous entoure et que l’on ne connaît Le monde n’est pas uniquement ce que l’on en pas. L’artiste crée des nomenclatures de ses dit, il peut être vu autrement(1). recherches. Il classe, regroupe, répertorie, crée des cartes d’identité des phénomènes Ce monde "autrement" est matière en observés en fonction de leurs formes, de mouvement composée d’un ensemble de leur identité phonique, graphique ou points, atomes ou particules, et pour en morphologique et de leur mouvement. faire le tour — au sens littéral — il faut Cette taxinomie patiente et un peu obses- multiplier à 360°, les points de vue sur sionnelle, il la nomme "plan de mutation chaque point. C’est ce qu’il va faire en s’at- des nomenclatures". Mais le démiurge taquant à ce "point" devenu volume par la ignore sciemment les savoirs académiques grâce d’une simple clémentine. Il va ob- et emprunte aux sciences ce que bon lui

PHOTO © PHILIPPE CIBILLE server l’ensemble de sa surface et chercher semble. Ainsi il peut réinventer les mathé-

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Johann Le Guillerm, Secret, spectacle sous chapiteau.

matiques, asseoir des principes contraires au sens commun, recourir au discours le plus illogique. Jamais il ne pense univer- salité du raisonnement, postulat, conclu- sion, il ne publie rien.

Le Guillerm avance en sceptique, pense avec son corps, là où il vit, il éprouve pour savoir, ne se satisfait d’aucun postulat préétabli. Il pratique une science de l’idiot qui lui appar- tient en propre. Il se verrait plutôt alchimiste. Ses axes de recherche sont autonomes, mais reliés. Ils peuvent se ramifier, se transformer l’un l’autre, et parfois se traverser, sans ordre prédéterminé, ni hiérarchie. Leur organi- sation est rhizomatique : acentrée, à points d’entrée et de sortie multiples. Une manière "nomade" de structurer les observations au sens où l’entendent Deleuze et Guattari, une forme de pensée qui suit une ligne de fuite et ne se laisse pas prendre dans les mailles des forces institutionnelles(2).

Rebelle donc aux ordres établis, il invente son propre vocabulaire "Architextures", "Aalu", "Mantines", "L’Irréductible" pour se démarquer de postulats scientifiques repérés, comme si les principes déjà posés pouvaient frelater son ambition. Il crée sa propre mathématique des formes de l’Uni- vers ; une mathématique d’intuition, fondée sur l’expérimentation et l’analogie, qui n’a de valeur que par sa singularité d’inter- prétation du réel. L’artiste circonscrit son champ, il s’agit bien de mettre de l’ordre dans ses chaos intérieurs et non de dessiner un paysage cosmique avéré, validé. Johann Le Guillerm le sait, il ne fera pas le tour de son sujet, le paysage qu’il dessine est faux.

Attraction n’est donc pas un prurit scien- tiste. C’est une reconstruction poétique d’une planète sans lieu qui s’écarte des che- mins tracés pour créer de nouvelles alterna- Un enseignant chercheur en physique de (1) Entretien avec l’auteure pour la brochure tives en résistance radicale aux prêts-à-pen- l’Université de Lille 1 me confiait un jour du Festival d’Avignon, 2008. (2) Deleuze Gilles, Guattari Félix, Rhizome, ser et à rêver en perturbant les évidences, à son propos, il accomplit un vieux rêve de introduction à Mille Plateaux, Paris, Les éditions en déplaçant les certitudes. Cette recherche chercheur, pouvoir remettre en cause tous les de Minuit, 1980. vise à la possibilité de penser par soi-même postulats, ce que nous ne faisons jamais parce le monde pour ne pas l’endurer. En ce sens, que sinon nous ne pourrions pas avancer. la démarche est artistique, voire politique, Mais ce qui induit aussi que nous pouvons mais peu soupçonnable de rationalisme. travailler sur des principes faux… Johann La force d’un artiste est de pouvoir reconsi- Le Guillerm est une utopie de scientifique. dérer le monde qu’il voit. Qu’importe que Un vrai chercheur, libre. les chemins empruntés soient faux, infon- dés, fragmentaires, l’essentiel est les utopies Anne Quentin qu’ils promettent. critique dramatique

arts & sciences / Le ViVant aUtreMent - mcd #81 - 57 arts & sciences / > LE VIVANT AUTREMENT

RACHEL MAYERI UNE ARTISTE PoUR ANIMAUx VoyEURS

sur la sexualité. Elle souligne les alliances Est-ce que visionner des séries télévisées et les trahisons tandis que les mâles sont est aussi naturel que manger des bananes ? en compétition pour attirer l’attention des femmes/femelles des deux côtés de L’artiste vidéo Rachel Mayeri explore la fiction l’écran. Mayeri a imaginé sa transposition de la société de babouins dans la sphère inter-espèces et ce que cela signifie que humaine comme un ensemble d’histoires semblables à celles de la série télévisée à d’être un animal (humain). succès Friends. Il s’agit là d’un rappel sai- sissant et probant que les humains sont des grands singes. rachel Mayeri, The Life Cycle Dans le second volet de la série, How ofT oxoplasma to Act Like an Animal ("Comment agir Gondii, 2015. comme un animal", 2009), les acteurs Détail d’installation vidéo à 29 canaux. humains recréent l’action montrée dans un documentaire du National Geographic sur un groupe de chimpanzés étudiés par la célèbre primatologue Jane Goodall. Dans l’extrait choisi par Mayeri pour la reconstitution, les chimpanzés chassent et mangent un singe colobe, le déchiquetant membre après membre. Les chimpan- zés restent sérieux et impitoyables tandis qu’ils dépècent le singe hurlant. Les ac- PHOTO © D.R. teurs humains étudient la scène macabre, Au beau milieu d’Apes as Family ("Des Mayeri ont créé des zones imaginatives de puis improvisent leur propre version. grands singes pour famille"), une sorte de communication inter-espèces. Le travail C’est émotionnellement et physiquement série télévisée que Rachel Mayeri a réali- de Mayeri se distingue par une double fas- dérangeant : ils sautent à quatre pattes sée pour les chimpanzés du zoo d’édim- cination pour la culture animale et pour la autour de leur "victime" tout en mâ- bourg, on aperçoit l’artiste caméra à la culture télévisuelle humaine, assorti d’un chouillant un chandail. Mais les efforts des main. Nous la regardons en train d’obser- humour au second degré. acteurs pour comprendre les chimpanzés, ver les chimpanzés tandis qu’eux-mêmes tout comme leur incapacité à égaler la regardent son film — un "signe" clair que Apes as Family fait partie d’une série d’ins- cruauté de ces derniers, donnent la me- l’œuvre va bien au-delà d’une série inter- tallations vidéo que Mayeri nomme Pri- sure de l’empathie humaine et sont autant espèces, même si c’est intrigant. Mayeri mate Cinema. Le premier volet de la série, de rappels de la complexité des sentiments fait partie d’un groupe important d’artistes Baboons as Friends ("Des babouins comme humains au regard de notre animalité. contemporains qui, attentifs aux critiques amis", 2007), juxtaposait des images de féministes de la science et de la méde- recherche sur les babouins filmés dans la Apes as Family continue la série de fictions cine, font de l’art avec des êtres vivants nature avec celles de la reconstitution des inter-espèces. Bénéficiant du soutien du non-humains. Dans des œuvres qui vont interactions entre les babouins reproduites Wellcome Trust, Mayeri a travaillé pendant d’installations à l’utilisation des nouveaux par des humains. La primatologue Debo- un an avec Sarah-Jane Vick, une spécia- médias en passant par des interventions rah Forster, collaboratrice de longue date liste de la psychologie comparée, montrant sociales, des artistes comme Kathy High, de Mayeri, a fourni les images de recherche différentes vidéos aux chimpanzés du zoo Natalie Jeremijenko, Gail Wight et Rachel et narre, avec délectation, l’action centrée d’édimbourg. L’idée centrale découle de

58 - mcd #81 pratiques banales dans les zoos : les singes regardent un documentaire sur des singes Mayeri et Forster sont du genre à terminer s’ennuient en captivité alors de nombreux sauvages. Au moment où Mayeri apparaît, les phrases l’une de l’autre et ce film est leur zoos leur offrent des télévisions. Mayeri et pointant sa caméra sur les grands singes projet le plus ambitieux à ce jour. Vick ont mené un genre d’étude d’impact en cage, on se demande si elle ne s’identi- Nielsen appliquée aux chimpanzés pour fie pas elle-même au chimpanzé étranger, Mais Mayeri a également commencé à ex- comprendre leurs préférences en matière de essayant se faire une place. plorer différents aspects de "l’animalité" hu- divertissement. Mayeri écrit : Les chimpanzés, maine avec des œuvres sur des thèmes scato- une espèce intelligente et sociale, ont besoin, La facilité de Mayeri à circuler entre l’art et logiques. The Life Cycle of Toxoplasma Gondii comme nous, de se surveiller mutuellement la science a une origine familiale. Elle est ("Le cycle de vie du Toxoplasme Gondii", pour maintenir une bonne entente. Connaître le la fille du neurobiologiste Earl Mayeri et de 2015), une installation vidéo en 29 canaux, statut d’autrui, son humeur, ses relations et sa la céramiste Beverly Howard Mayeri, qui utilise des vidéos circulant sur Internet pour disponibilité sexuelle (les bases de Facebook) est avaient tous deux suivi une formation en raconter l’histoire d’un microbe que l’on important pour la vie sociale. L’attrait compul- zoologie — ils se sont d’ailleurs rencontrés trouve dans les excréments de chat. C’est du sif pour l’observation de ses semblables est sans dans un cours sur le comportement animal. moins le sujet officiel : comme d’habitude, doute un instinct primaire chez les grands singes, Il se peut que l’exposition précoce de Ra- Mayeri raconte plus d’une histoire à la fois. à la base de notre intérêt pour les histoires de chel à des vidéos de recherche scientifique, Comme vous le savez peut-être, cette re- relations sociales, que ce soit directement ou par comparées à la télévision grand public de cherche étant devenue célèbre, le biologiste le biais d’enregistrements. son enfance dans les années 1970, l’ait Jaroslav Flegr pense que le Toxoplasme Gon- sensibilisée au langage conventionnel de dii colonise les cerveaux des souris et des Cela paraît simple, mais l’installation son médium. Son travail attire toujours les humains pour déclencher chez eux une fas- vidéo de Mayeri, résultant de son année spectateurs par le biais d’une histoire pour cination pour les chats. Mayeri compare cet de recherche, entremêle la curiosité des leur demander ensuite de réfléchir au fait effet du microbiome, qui modifie le compor- chimpanzés et celle des humains de ma- qu’ils aient été happés par ses intrigues. tement humain au profit d’un protozoaire, nière très étrange. Pour cette fiction des- à la puissance de l’Internet dans sa capacité tinée aux résidents du zoo, elle est partie Mayeri travaille actuellement, dans une de détournement de l’attention humaine. de l’histoire d’un chimpanzé étranger qui autre collaboration avec Forster, sur un Quel que soit le sujet, l’approche narrative rencontre une troupe sédentaire — une nouveau volet de Primate Cinema basé prismatique de Mayeri attire le public vers son situation assurément spectaculaire dans sur la vie de la primatologue Alison Jolly. travail parce qu’il est avant tout captivant. la vie sauvage. Ceci a été filmé avec des Une visite de leur studio révèle des murs acteurs humains déguisés en chimpanzés couverts de "Post-Its" et de minuscules des- Meredith Tromble qui mêlent les actions "humaines", comme sins esquissant une histoire de la primato- traduction: Valérie Vivancos rachel Mayeri, regarder la télévision, à un comportement logie. Forster était présente pour les étapes Primate Cinema: Apes as Family, "chimpanzé", comme jeter de la nourri- importantes — elle a étudié avec Shirley +info 2011. ture. On y trouve des films dans le film : Strum qui, à partir de ses travaux sur les image fixe un singe qui zappe entre les chaînes re- babouins, a remis en cause la manière dont site de rachel Mayeri : www.rachelmayeri.com d’installation vidéo garde une animation avec un scientifique la primatologie était utilisée pour conforter Documentation de The Life Cycle of Toxoplasma à deux canaux, et un singe de laboratoire qui eux-mêmes des stéréotypes dans les sociétés humaines. Gondii : https://vimeo.com/118290411 boucle 22’00". PHOTO © D.R.

arts & sciences / Le ViVant aUtreMent - mcd #81 - 59 arts & sciences / > LE VIVANT AUTREMENT dINGdINGdoNG la maladie aux bons soins de ses usagers

Dr Marboeuf. capture d’écran de la capsule. La maladie de Huntington (MH) est une maladie étrange et complexe, autrefois associée à la "danse de Saint-Guy". Incurable, mais dépistable par test génétique. Que se passe-t-il quand la science médicale sait détecter, mais n’a aucune thérapie à proposer ? La réponse de Dingdingdong passe par les sciences humaines et l’art,

sans oublier les patients. PHOTO © D.R.

La maladie de Huntington (MH) est une du coup comporte le grand risque d’écra- Nous cherchons constamment les moyens maladie génétique rare, héréditaire, incu- ser les expériences dans du déjà connu les plus appropriés pour instaurer les condi- rable, dite "neuro-dégénérative", qui pro- dont on n’aurait plus rien à apprendre. tions d’une coproduction de savoirs et pour voque d’importants troubles moteurs, Le savoir expérientiel des personnes les partager, devenant nous-mêmes tous cognitifs et psychiatriques et se développe concernées n’étant à ce jour ni visible ni concernés et usagers de la MH. Chaque si- le plus souvent au beau milieu de la vie. pensé, considérer la MH comme un en- tuation dans laquelle nous nous engageons Le gène responsable étant connu depuis semble d’énigmes à explorer est alors une — centre d’art, atelier, faculté de méde- une vingtaine d’années, il est possible de manière d’instaurer des possibles dans une cine, congrès scientifique, etc. — demande passer un test et de savoir si oui ou non, situation qui semble fermée(1). de réfléchir soigneusement à la manière on est porteur de cette maladie et donc dont on va s’y prendre. Il s’agit toujours de nécessairement voué à la développer. En créant Dingdingdong(2) et en rassem- reprendre, de ne jamais faire deux fois la Sauf, et c’est crucial, qu’on ne sait ni blant des historiens, des philosophes, même chose parce que nous ne nous adres- quand ni comment elle va se développer, des psychologues, des neurologues, des sons jamais deux fois à la même assemblée. et encore moins comment chaque per- danseurs, des cinéastes, des plasticiens C’est parce que nous pensons d’abord aux sonne va vivre — avec — cette maladie. et des écrivains, nous avons fait le pari effets de ce que nous fabriquons que nous Dingdingdong est né pour prendre la de créer des savoirs pertinents, c’est-à- pouvons créer de nouvelles formes d’alliance mesure de cette situation très particulière dire efficaces vis-à-vis de la MH avec et entre arts et sciences sociales, lesquels sont — il est possible de savoir, alors qu’en réa- pour ses usagers, et, simultanément, de pensés ensemble et non séparément. lité on ne sait pas grand-chose — qui met mettre nos pratiques à l’école, ou plus pour le moment tous les usagers de la MH exactement à l’anti-école, de la MH. La narration spéculative, par exemple, est (porteurs, malades, proches, médecins, Nous donnons au problème qui a rendu l’un des instruments principaux de Din- soignants) en grande difficulté. nécessaire notre institut — comment gdingdong. Elle a pour objet d’expérimenter Le problème est que nous envisageons la bien vivre avec Huntington — le pouvoir les effets et les forces de la fabulation envi- MH essentiellement dans une perspective de troubler nos habitudes de pensée et de sagée non pas comme une fuite vers l’ima- médicale, qui, auto-suffisante, l’enferme faire. Notre approche est d’éviter à tout ginaire, mais comme un pari des possibles dans une vision plutôt désespérante. Il ne prix de réduire la richesse et la multipli- contre des probables. Cette méthodologie de s’agit pas de dire que le savoir médical est cité des expériences que nous recueillons création ancrée dans la réalité des expériences faux, mais de ralentir là où la médecine à des expressions qui referment et enfer- et des situations vise à décoller légèrement va vite, prise dans sa propre temporalité ment ; au contraire nous cherchons à en du réel pour le bousculer. Un concept, une et dans ses propres contraintes, mais qui déployer toutes les potentialités. idée ou une œuvre ne s’évalue pas a priori

60 - mcd #81 PHOTO © ALExIS BERTRAND

spectacle Bons Baisers de Huntingtonland, Festival Mode d’emploi, novembre 2014.

et en abstraction de situations concrètes. lui en une provocation constructive — ce prend et interprète chaque danse spécifique. Au contraire, leur valeur dépend uniquement que nous appelons une pour-vocation — Il s’agit d’un geste fort, car c’est considé- de leurs effets, c’est-à-dire de leur capacité à qui l’a mené à s’engager dans la fondation rer que la chorée n’est plus tout à fait un intervenir de manière transformatrice dans la d’une unité expérimentale de recherche symptôme, mais bien une caractéristique réalité concernée. Dès le départ, nous avons afin d’explorer tous les aspects de la MH singulière, qui ajoute à la personne, et non misé sur la puissance de la fiction puisque en étroite collaboration avec ceux et celles qui soustrait ; c’est explorer la chorée pour nous avons fabulé un institut de coproduc- qu’elle concerne. Ces vidéos sont postées en faire proliférer les énigmes qui mettent tion de savoir sur la MH avant même qu’il sur youTube, mais aussi adressées dans au travail ; c’est proposer une version plus ne se mette effectivement à exister et que nos des contextes choisis avec soin — notam- riche et intéressante de la vie avec MH. travaux lui donnent au fur et à mesure une ment des congrès médicaux(3). Le collectif Dingdingdong, parce qu’il réalité. Il nous a paru urgent, également, de répond à une nécessité vitale, s’affranchit fabriquer une histoire à la hauteur de la vio- De la même manière, toujours connec- complètement des asymétries courantes lence d’un geste tel que le test permettant de tée aux paroles des usagers, la danse est entre savoirs scientifiques et profanes, connaître son statut génétique pour commen- devenue un outil de saisie pertinent pour entre pratiques scientifiques et artistiques. cer à se rendre capable de l’apprivoiser. apprivoiser les mouvements choréiques, Toutes nos réalisations — livres, rapports, À partir d’entretiens menés avec les usa- mouvements désordonnés et incontrôlables vidéos, spectacles, etc. — échappent à l’éva- gers, nous travaillons avec Fabrizio Terra- du corps qui constituent le symptôme le luation stricte des disciplines parce qu’elles nova à la création d’une série de capsules plus manifeste de la MH (encore récem- sont toujours légèrement désobéissantes, vidéo faisant intervenir le performeur ment appelée "Chorée de Huntington"). mais obligent à penser leurs effets dans la Olivier Marboeuf, alias Dr Marboeuf. La chorégraphe Anne Collod a décidé de réalité concernée et sur nos pratiques dont Dans la première capsule, le Dr Mar- prêter une attention inédite à ces mouve- la transformation est nécessaire. boeuf rend compte d’une situation cli- ments habituellement considérés comme nique liée au test présymptomatique qui purement dérangeants et de faire le pari Valérie Pihet l’a particulièrement marqué. Après qu’il que chaque personne touchée a son propre ait annoncé un résultat défavorable à une pas de danse. Depuis lors, elle travaille à (1) Manifeste de Dingdingdong précédé de "De la chorée" jeune femme, cette dernière et sa sœur se la réalisation d’une série de "portraits cho- de Georges Huntington (trad. Fr. Vincent Bergerat), sont insurgées en l’interpelant d’un Nous régraphiques" de personnes malades en éditions Dingdingdong, Paris, 2013. Solhdju (K.), situation de vie et d’action dans un envi- L’Épreuve du savoir. Propositions pour une écologie du reviendrons le jour où vous serez capable de diagnostic, éditions Dingdingdong, Paris, 2015. dire que vous ne savez pas ! Cette injonction ronnement spécifique qu’elles ont choisi. (2) www.dingdingdong.org s’est transformée au fur et à mesure pour Une fois retranscrite en partition, elle ap- (3) http://dingdingdong.org/divers/dr-marboeuf/

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ARTS ET fICTIoNS SCIENTIfIqUES

Alors que les trois domaines des sciences, de l’art et de la fiction Créer des mondes qui n’existent pas est le propre de la littérature notamment de entretiennent des liens à la fois étroits et problématiques, science-fiction. Arrakis est une célèbre pla- comment interpréter les propositions scientifiques totalement nète imaginaire inventée par Frank Her- bert dans Dune, ou Krypton dans le comics imaginaires créées par des artistes ? Quel sens artistique ou Superman. Ian M. Banks dans sa série La Culture (1987-2000), décrit non seulement scientifique accorder à ces constructions fictives qui défient des êtres de diverses espèces, leur psycho- les frontières entre disciplines et brouillent les genres ? logie et leur environnement matériel, mais également leurs planètes naturelles ou arti- ficielles. Nat Schachner puis Isaac Asimov dans le Cycle de la Fondation (1942-1991) Tout type de recherche, y compris dans les fait qu’elles ne sont pas vraies dans le sens de créent une discipline scientifique fictive, sciences de la nature, suppose des hypo- non conforme à la vérification. Il faut d’ail- la psychohistoire, qui croise histoire, psy- thèses qui entraînent une certaine dose leurs noter que certaines hypothèses scienti- chologie et statistiques pour parvenir à une d’imagination. L’interprétation fait égale- fiques bien que connues comme fausses ou capacité prédictive de l’avenir. ment partie intégrante de cette dose de "fic- inadéquates sont tout de même utilisées par tion" qui œuvre dans l’expérimentation et à défaut en attendant mieux. Mais on a aussi pu parler de fictions la découverte scientifique, autant qu’artis- scientifiques à propos du cinéma docu- tique. Entre invention et découverte, tous Contrairement à d’autres moments de la mentaire de Jean Painlevé qui soulignait ces aspects d’une oscillation entre un but culture où les fictions scientifiques étaient précisément la relation existant entre à atteindre, un objet à construire ou une des erreurs d’appréciation ou d’observation science et fiction, notamment dans l’éla- hypothèse à démontrer, et un réseau de (parmi la pléthore d’exemples, on peut pen- boration des images qui rendent compte possibles dans les chemins à prendre pour ser à Ambroise Paré qui, dans Des monstres des découvertes scientifiques en biolo- y parvenir font partie du domaine "subjec- et prodiges (1573), imagine les habitants gie. Les spéculations des artistes autour tif" de l’entreprise scientifique. des antipodes marchant sur la tête ou à la des découvertes scientifiques de leur nomenclature des cabinets de curiosités qui temps est une constante, parmi celles-ci : Nous allons nous intéresser ici à un thème jusqu’au milieu du 17e siècle va faire entrer Mikhaïl Larionov et Paul Klee avec les spécifique qui est le rapport d’intimité dans une chaîne "logique" objets naturels, rayons x ou Malevitch et Duchamp pour qu’établissent certains artistes avec la science phénomènes biologiques, étrangetés loin- la 4e dimension, ou les taxinomies de Paul par l’art à travers la création de fictions. taines ou constructions humaines des tech- Armand Gette, ou encore les installa- Il s’agit donc du brouillage des trois ter- niques et des arts, à grands coups de théo- tions de fictions spatiales d’Ilya Kabakov. ritoires pour créer une zone commune. ries fumeuses, mais très élaborées du point Ces pratiques sont des extrapolations ou En cela, elles sont fort différentes de ce qui de vue de l’extrapolation fantasmatique), il des constructions narratives dans le strict se passe en science, puisque la succession s’agit d’une démarche délibérée qui vise à champ de l’art. D’autres artistes tels que d’hypothèses nécessaires à la recherche qui faire œuvre par la fabrication d’une fantai- Joan Fontcuberta ou Louis Bec fabriquent se révéleront a posteriori fausses n’est pas fic- sie qui fonctionne sur le mode d’un compte de toutes pièces des fictions scientifiques tive à proprement parler. Elles ne sont pas rendu savant, ou à rendre visible par mani- renforçant délibérément la proximité tant concernées par l’imaginaire que par le pulation ce qui sans cela ne pourrait l’être. avec un possible réel.

62 - mcd #81 , NEW yORK, Ny PHOTO © D.R. / COURTESy BRANDON BALLENGéE, OURTESy DE L’ARTISTE ET RONALD FELDMAN FINE A RTS DE L’ARTISTE BRANDON BALLENGéE, OURTESy PHOTO © D.R. / COURTESy

Brandon Ballengée, Ti-tânes, Lapetus, 2012-2013.

Joan Fontcuberta(1) utilise tous les tech- Que veut dire cette création d’objets, Nommée par Coleridge "suspension niques et artifices photographiques d’anecdotes, de personnages scienti- volontaire d’incrédulité"(3), cette posture pour créer des "vérités fictionnelles". fiques ? y a-t-il une vérité dévoilée dans la mentale permet l’abandon du principe Animaux hybrides supposés être la col- création de fictions scientifiques ? Le "faux de réalité au profit de celui de l’accepta- lection retrouvée d’un savant inconnu scientifique" acquiert-il, une fois déplacé tion des incongruités pour s’abandonner à qui n’envient rien aux fameux poissons dans le champ de l’art, une forme de vérité l’histoire que l’on raconte. Doute ou scep- à fourrure ou aux cornes de licornes du de notre réalité tangible qu’il montre ou ticisme n’ont plus de sens, puisque tout 17e siècle (Fauna) ou plantes inventées et démontre ? Autrement dit, ces fictions se- étant permis, tout est possible. La puis- hyperréalistes à la fois (Herbarium, 1984) raient opérantes à un autre niveau que ce- sance de l’impact dans nos vies de l’ima- composent des fictions "amusantes", lui de la véracité ou de la connaissance du ginaire scientifique par rapport à celui alors que l’utilisation du logiciel Terragen monde tangible qui est celui de la science. de l’art contemporain est exponentielle. (Orogenesi, 2002) ou des images de Goo- Ces artistes en faisant des propositions gleMaps (Googlegrams, 2005) interroge De ce point de vue, Brandon Ballengée et "à l’envers", c’est-à-dire en investissant les la source technique et économique des ses expositions de corps d’animaux modi- sciences par le fonctionnement métapho- images qui hantent nos machines, leur fiés de façon à mettre en évidence l’impact rique et fondamentalement imaginaire des universalité et leur indépendance. des interventions environnementales sciences, tendent à redonner la sensation humaines dans la transformation de leur de la puissance de transformation intrin- L’"épistémologie fabulatoire" de Louis physiologie (et, partant, de la nôtre), est sèque à l’art. Bec interroge par l’exemple l’impact des exemplaire. Car, après tout, ces fictions biotechnologies, de la vie artificielle et artistiques décrivent des êtres inexistants, Manuela de Barros des technologies de communication sur ou inauthentiques tels quels, mais nous nos vies et le monde qui nous entoure. édifient sur notre monde. Il s’agit de simu- (1) www.fontcuberta.com Montrer qu’il existe, actuellement, des acti- lations au sens de modélisations, pour ré- (2) Louis Bec, "L’art est le vivant" in Déterminismes vités artistiques avancées qui se trouvent fléchir autant que pour rêver. Des modèles et complexités : du physique à l’éthique, autour d’Henri liées à certains domaines des sciences du de mondes possibles à portée d’explora- Atlan, éditions La Découverte, Paris, 2008, vivant et des technologies et qui se déve- tion par la création artistique allant au- pp. 195-205. En 2015, CIANT a publié l’eBook Zoosystémie (disponible sur iTunes) rassemblant une loppent à partir de concepts et de pratiques delà de la réalité tangible, et qui existent sélection de textes de Louis Bec. expérimentales traitant d’une incertaine indépendamment du regard scientifique (3) "Willing suspension of disbelief", Samuel Taylor spécificité du vivant(2). ou artistique que l’on porte sur eux. Coleridge, Biographia Literaria, 1817.

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64 - mcd #81 arts & sciences / ICI & AILLEURS

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THE ARTS CATALYST

voler, les a embarqués dans des expéditions médiaire d’un espace où artistes et scienti- un modèle d’excellence et les a fait vivre dans un habitat lunaire fiques peuvent agir sur un plan d’égalité. analogue distant. Au-delà de la commande d’œuvres, ces dans le soutien réflexions se concrétisent aussi sous forme Depuis plus d’une décennie, un artiste mexi- d’expositions, de débats, d’installations in à la création de projets cain, fort de son expérience en ingénierie, situ, de conférences, de soirées, de publi- art-science effectue des recherches pour mettre au point cations, de retraites, d’incubateurs et de un instrument sonore subaquatique qui fasse projets de laboratoire. De la gravité zéro à également office de sous-marin. La moti- la culture du nucléaire, du bio-art à l’évo- Depuis vingt ans, l’agence indépen- vation de cet artiste vient d’une sensibilité lution en passant par l’anthropocène et dante The Arts Catalyst soutient la particulière à la nature dans un monde où l’afrofuturisme, nul domaine art-sciences des créatures humaines et des cétacés com- ne semble laissé pour compte. production et la monstration de muniquent par le biais de sons dans l’habitat naturel de ces derniers. Interspecies: Falling Asleep with a Pig créations art-science. En janvier 2016, ("Inter-espèces : s’endormir avec un elle a ouvert un nouvel espace dédié Les trames des trois projets décrits ci-des- cochon"), la pièce de Kira O’Reilly pro- sus relèvent toutes du thème général des duite en 2009, mettait en scène l’artiste près de King’s Cross à Londres. interactions entre "l’humain et l’animal" en de performance d’avant-garde cohabi- lien avec des préoccupations plus larges tant avec Delia-la-truie dans une sorte de autour de l’éthique et des comportements fosse de zoo. Les deux êtres coexistaient humains-animaux, dont certains décrits dans cet habitat de fortune, partageant par Donna Haraway dans When Species le même espace, c’est-à-dire mangeant Une femme partage un espace intime avec Meet ; livre où elle explore la manière dont et dormant ensemble durant 72 heures. une truie nommé Delia. Dans cette porcherie les êtres humains contemporains interagissent Ce projet perturbe les relations habituelles construite pour l’occasion, l’artiste cohabite avec diverses créatures pour élaborer des si- et normatives de domination entre hu- avec un cochon vivant pour tenter d’explorer gnifications, des expériences et des mondes(1). mains et animaux. La notion de supério- les interactions entre l’humain et l’animal. rité est inversée, pour permettre d’identi- Cette interaction entre humains et ani- fierles ambivalences implicites et les violences S’inspirant de l’histoire des "oies lunaires" maux que l’on retrouve dans ces projets perpétrées lorsque les animaux sont considé- que l’on trouve dans le livre, "The Man in reflète parfaitement la diversité des com- rés comme une simple ressource(2). the Moon" (L’homme dans la Lune), une ar- mandes "art-science" passées par The Arts tiste remet ce concept au goût du jour en fu- Catalyst qui, depuis plus de deux décen- Pour Moon Goose Colony ("Colonie des sionnant réalité, fiction, mythe et folklore. agnes Meyer nies, a réalisé des projets parmi les plus Oies Lunaires", 2011), Agnes Meyer-Bran- Brandis, Moon Elle imprègne onze oisons, telle une mère- intéressants à la croisée de ces disciplines dis a bâti une histoire inspirée de The Man Goose Colony, oie, et leur donne des noms d’astronautes a priori disparates. The Arts Catalyst, l’une on the Moon écrit en 1603 par l’évêque 2011. ou liés à l’espace. L’artiste leur a appris à des organisations artistiques les plus sin- britannique Francis Godwin. Dans le gulières du Royaume-Uni, est en effet re- livre de Godwin, le personnage principal nommée pour sa spécialisation art-science va jusqu’à la Lune dans un char tiré par et ses commandes ambitieuses passées à des "oies-lunaires". Meyer-Brandis réinter- des artistes avec, à ce jour, la réalisation de prète l’histoire, élève et embarque onze oi- plus de 125 projets. sons dans un programme d’entraînement spatial dans un "habitat lunaire analogue". ysT Le rapprochement de ces deux disciplines Le résultat est un film en dix-neuf épi-

s C ATAL est constamment discuté en termes du sodes où l’on peut assister à l’histoire de "comment" et du "pourquoi" des colla- l’élevage, de l’imprégnation et de l’entraî- borations art-science. À travers ses com- nement à la vie sur la lune. mandes d’œuvres, The Arts Catalyst fait avancer ce vieux débat en adoptant une Holoturian (2015), la récente installation approche à la fois expérimentale et axée d’Ariel Guzik présentée à l’Edinburgh sur la recherche. L’exploration et la re- Arts Festival, est un instrument sonore mise en question de tous les aspects de la sous-marin devant fonctionner avec des

PHOTO © D.R. / COURTEsy: PHOTO © D.R. / COURTEsy: AGnEs MEyER BRAnDIs ET THE A RT science sont rendues possibles par l’inter- créatures maritimes, des dauphins, des

66 - mcd #81 PHOTO © D.R. / COURTEsy: ARIEL GUzIK PHOTO © D.R. / COURTEsy:

nicola Triscott, la directrice de l’organisa- tion, explique avec justesse, citant Andrew Pickering, que, plutôt que de percevoir les scientifiques comme des intelligences désincarnées qui fabriquent du savoir dans un domaine de faits et d’observations, nous devrions partir de l’idée que le monde n’est pas avant tout constitué de faits et d’observations, mais d’actions(3). C’est de ce type d’actions que The Arts Catalyst tire ses valeurs fondamentales pour conti- nuer à jouer un rôle dans la création d’un cadre critique nécessaire à la production d’œuvres relevant du champ art-science. Des œuvres qui, en conséquence, sont issues d’une recherche et sont pertinentes tant sur le plan critique que sur l’ouverture d’un potentiel pour l’expérimentation.

The Arts Catalyst, dans un contexte d’in- certitude liée aux mesures d’austérité au Royaume-Uni et dont l’art est la première victime, poursuit son développement inter- national parallèlement à l’ouverture de son nouveau centre pour les arts, la science et la technologie, le 28 janvier 2016, dans le quartier de King’s Cross à Londres. La période de novembre 2015 à octobre 2016 s’annonce prometteuse pour The Arts Catalyst : suite à une campagne de crowd- funding couronnée de succès, ce nouveau centre sera comme un ban d’essais permet- tant de développer et accueillir des projets expérimentaux qui explorent les interac- tions entre art, science, technologie et leurs contextes sociaux et culturels.

Le lieu accueillera un mélange d’expo- sitions, de résidences, de conférences, d’événements, d’ateliers, de séminaires et de projets participatifs, animés par des artistes et des scientifiques. Dédié à l’en- semble des activités de The Arts Catalyst, ce lieu projet-galerie-archives deviendra un espace public de participation per- mettant d’élargir l’action de l’organisation et de créer un centre indispensable de partage, d’action et d’expérience dans le baleines et autres cétacés. Guzik voit en Tous ces projets traitent des implications ariel Guzik, champ art-science. ces êtres vivants de véritables individus éthiques de l’interaction entre humains et Holoturian, qui évoluent dans une civilisation paral- animaux, en d’autres termes, ils démêlent 2015. Jareh Das lèle à celle des humains. Ce projet s’inscrit les relations de pouvoir en jeu lorsqu’on traduction : dans une recherche plus large qu’il mène s’intéresse de plus près à ces interactions. Valérie Vivancos en collaboration avec un groupe de musi- Ils rendent visible les codes éthiques qui ciens, d’ingénieurs du son et d’artistes et régissent ce que qui sépare les humains (1) Donna Haraway, When Species Meet. Minneapolis: University of Minnesota Press, (2008). p. 3-19. qui s’est déclinée sous forme d’expéditions des non-humains. Plus encore, ces trois (2) nicola Triscott, The performance (and performa- visant à communiquer avec ces créatures projets soulignent un processus de com- tivity) of science, www.nicolatriscott.org, publié le au large des côtes de Baja, Californie, du mande artistique inscrit dans la durée qui 05/07/2015, consulté le 12/08/2015. Costa Rica et de Moray Firth, en Écosse. continue à questionner ce que cela signifie (3) Andrew Pickering, “The Mangle of Practice: Time, Agency, and science” cité par nicola Triscott, Ces expéditions ont donné lieu à des ins- pour des artistes de faire des œuvres à la The performance (and performativity) of science, tallations sonores et de nombreux dessins croisée de la science, de la technologie et www.nicolatriscott.org, publié le 05/07/2015, portant sur cette civilisation de cétacés. de la société dans son ensemble. consulté le 12/08/2015.

arts & sciences / ici & aiLLeUrs - mcd #81 - 67 arts & sciences / > ICI & AILLEURS LE REGARD VERTICAL quand le progrès social passe par l’art, l’archéologie et l’astronomie

Le regard vertical est un terme j’ai adopté pour traduire une que le big bang, ont fait naître en moi un besoin de révéler la fine couche du "main- constante dans ma pratique de ces dernières années et qui renvoie tenant", pour me positionner en dehors et poser la question "comment est-ce que à l’acte de regarder. Regarder vers le haut, dans le ciel étoilé, ou j’existe dans le présent ?" vers le bas, sous les strates de notre terre. J’ai trouvé que cet acte Cet acte d’observation porte tout autant d’observation intensive et sensible m’apportait des réponses, mais sur l’étude de découvertes et de faits que sur la compréhension de l’espace de spé- plus important encore, qu’il engendrait de nombreuses questions. culation, l’espace de "l’interstice" — l’ima- ginaire. Lors d’une conversation avec l’archéologue sven Ouzman, en juillet 2012, ce dernier a répondu à ma question : La matière interstitielle (autour des artefacts) Mon intérêt pour le ciel et la terre en l’espace et du temps est devenu tout aussi d’une fouille archéologique est appelée ma- tant qu’espaces d’observation et d’étude intéressant. Les deux pratiques regardent trice. Tout cela fait partie du contexte, sans m’a amené à travailler directement avec en arrière et créent une histoire archivée. lequel la découverte n’aurait aucun sens. des archéologues et des astronomes. Avec l’astronomie nous étudions la lumière Tout comme les silences ou les pauses entre Les observer dans leur quête pour parve- qui nous parvient de partout, de plusieurs les notes qui donnent leur sens à la musique. nir à une compréhension plus subtile de centaines à des millions d’années-lumière ; la lumière qui prend son origine dans un Les grottes et les sites de fouilles archéo- Marcus neustetter, temps et un lieu bien loin de ce que nous logiques dans le Berceau de l’Humanité, ArtistO bservatory pouvons imaginer, mais dont le voyage se in the making. en Afrique du sud, sont devenus des centre des visiteurs termine sur notre rétine. sources d’inspiration et des sites pour des du saaO, interventions temporaires et des structures sutherland, En archéologie, chaque couche de pous- pérennes d’observation, déplaçant la pra- afrique du sud, sière sous nos pieds peut être précaution- tique d’atelier dans l’espace public. De la 2012. neusement isolée et traitée pour révéler même manière, dans un échange avec des l’histoire de notre terre. Ce qui est enfoui astrophysiciens, l’espace entre les étoiles recèle une riche documentation de notre constitue une fascination constante de passé, mais montre aussi la direction de mon exploration et mon esquisse du ciel notre futur. Ces rencontres avec le passé, nocturne — en essayant de faire sens de que ce soit dans l’immédiateté de nano- l’imaginaire sur lequel la science spécule. secondes à peine écoulées ou aussi loin Ces expérimentations artistiques à la fron- PHOTO © D.R.

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Marcus neustetter, Artist Observatory in the making. Observatoire astronomique sud africain, sutherland, afrique du sud, 2012.

tière de la science posent une question : où nelle et subjective. C’est en gardant ceci à échanger des histoires et des impres- existons-nous entre les mystères astrono- à l’esprit que mes installations performa- sions avec leurs propres formulations. miques et nos inconnues archéologiques ? tives invitent les participants-spectateurs Cet ensemble d’œuvres repose sur des Cet espace ne demande qu’à être comblé à entrer en scène, d’une certaine manière, activations lumineuses et de la photogra- par notre imaginaire. et à exprimer leurs propres histoires. phie à longue exposition qui, en vertu de Dans le cadre de ma dernière commande l’imagerie et de l’abstraction de la forme Cependant le questionnement lié à notre officielle du Département de la science et humaine déformée qui en résulte, permet existence ne se rapporte pas seulement à la de la Technologie de l’Afrique du sud et une interprétation ouverte et largement science ou à l’imaginaire, il doit aussi être du Forum national de la science et de la personnelle laquelle n’aurait pas été pos- ancré dans des réalités quotidiennes spéci- Technologie pour l’Année internationale sible autrement. fiques à un contexte. Dans les complexités de la lumière de 2015, j’ai fourni aux parti- de l’Afrique du sud il s’agit, en règle géné- cipants une variété de sources lumineuses. L’Obscurité, quelle que soit sa générosité rale, de réalités problématiques nourries Utilisant la technique populaire de la longue ici, exige aussi un regard critique quant à par des injustices sociales, historiques, exposition photographique, la lumière est l’idée même de la "lumière" et quant à la politiques, économiques et environnemen- devenue un outil au service de leur propre propriété et la distribution des ressources tales. En tant qu’artiste œuvrant dans ce narration. Cette interaction ludique a don- énergétiques en Afrique du sud et sur le contexte, je ne peux ignorer ces injustices et né une série de photographies, qui ne sont reste du continent africain. Ici aussi les j’ai dû mettre en place une approche au sein en rien des d’objets d’art, mais plutôt des matériaux utilisés dans la production des de mon processus artistique qui permette traces tangibles de rencontres personnelles œuvres de cette exposition sont volontai- de les appréhender. Cet acte donne à ma subjectives dans le temps et l’espace. rement issus de marchés chinois locaux pratique un nouveau rôle, celui de facilita- qui, typiquement, abondent en jouets teur et d’activateur qui essaie de permettre Aucun voyage dans le temps et l’espace et en gadgets lumineux bon marché. à un processus et à une solution, pertinents ne serait complet sans des rencontres en Une intervention artistique apparemment au niveau local, de se déployer. cours de route avec des entités passion- temporaire se retrouve ainsi avec des pro- nantes — en particulier l’Obscurité, qui duits dérivés permanents sous forme de Par cette approche, j’ai pris conscience offre à mon public la liberté de s’enga- milliers de bâtonnets lumineux, de LEDs que le rôle de facilitateur demandait sou- ger dans des notions de temps dans un cassés, de boîtes plastiques et de maté- vent une rencontre profondément person- quasi-anonymat tout en étant encouragé riaux d’emballage mis au rebut qui, à leur >

arts & sciences / ici & aiLLeUrs - mcd #81 - 69 Marcus neustetter, One Woman at the Centre of the Universe. Public-performeurs en interaction avec des cordons lumineux pour raconter l’histoire d’une femme, sutherland, afrique du sud, 2014.

tour, sont assemblés en de nouvelles > œuvres d’art destinées à être renvoyées en Chine dans une sorte d’échange rituel. Compte tenu de la présence croissante de la Chine sur le continent africain cette ren- contre avec la "matérialité" de la Chine fait référence à ce que j’avais initialement ima- giné, un lieu qui se "vendrait" lui-même à travers sa nourriture et la culture Made- in-China dans le monde entier. Est-ce que nous racontons nos histoires, une fois en- core, avec le vocabulaire et les instruments des pouvoirs coloniaux ?

Marcus Neustetter, Dancing in a Prehistoric Footprint. Un autre exemple de ce type d’approche Performance par un groupe de danse de quadrille traditionnel participative en partenariat avec les à Fraserburg avec des cordons de LEDs dans le dessin d’une sciences est la collaboration avec l’artiste empreinte de pas paléontologique d’avant l’ère des dinosaures, Bronwyn Lace à sutherland. suther- Afrique du Sud, 2015. land est un lieu magnifique et unique au monde. La petite ville est située au milieu du désert sud-africain du Karoo. Comme une grande partie du Karoo, elle est connue pour sa "vacuité". ses quali- tés d’obscurité et de silence sont difficiles à trouver ailleurs. ses vastes étendues de terres vierges et de cieux cristallins per- mettent une observation et une contem- plation qui nous étaient étrangères (à nous artistes) avant ce projet. Ces qualités y ont attiré les astrophysiciens il y a quelques décennies. Ainsi, à seulement 7km de la ville l’on trouve l’Observatoire Astrono- mique sud-Africain (sAAO), équipé de plus de douze télescopes internationaux et du Grand Télescope sud-Africain (SALT/ Southern African Large Telescope), l’un des télescopes les plus puissants au monde. Malgré la beauté du lieu et la proximité d’un projet scientifique international Marcus Neustetter, Meteorite Impact. Un groupe de jeunes d’une telle envergure, la communauté de raconte l’histoire de l’impact d’une météorite il y a 2 millions d’années au Dôme Vredefort à l’aide de gaze et de pointeurs laser, sutherland, qui compte à peine plus de Afrique du Sud, 2014. 4000 habitants, fait face à l’autre aspect de l’isolement : le chômage et l’alcoolisme touchent de larges portions de cette com- munauté éclatée.

En raison d’atrocités sociales comme la chasse au san ou au Bushman jusqu’en 1938, la relocalisation forcée de popula- tions par le gouvernement de l’Apartheid sous la loi Group Areas et l’héritage d’une identité déformée par la pensée séparatiste durant et après le régime de l’Apartheid, la communauté de sutherland doit affron- ter des obstacles sociaux et économiques constants. Les personnes de couleur de sutherland parlent Afrikaans, la plupart sont membres de l’Église Réformée néer- landaise et quelques-uns portent les noms de famille des fermiers pour lesquels tra-

PHOTOs © D.R. vaillaient leurs ancêtres.

70 - mcd #81 - ici & aiLLeUrs / arts & sciences arts & sciences / > ICI & AILLEURS

C’est dans ce contexte que nous avons sol- ("l’Afrique rencontre l’Afrique"). Le projet communautaire. Cette cérémonie a été licité les populations locales et les scienti- Sutherland Reflections est devenu une expé- réalisée sans permission, comme un geste fiques pour créer des connexions entre les rience de participation, d’interventions symbolique initial. Deux ans plus tard, et communautés fragilisées et la recherche artistiques et de spectacle créatif portée après un effort de persuasion, nous avons scientifique. En utilisant les interventions par la communauté. À travers leur colla- obtenu la permission du sAAO et un fi- artistiques, nous avons tenté d’attirer l’at- boration, des artistes et des scientifiques nancement du Conseil national des Arts tention sur des histoires tues, des luttes ont commencé à répondre à l’attitude et pour construire un dôme d’observation à permanentes et de nouvelles opportuni- la relation actuelles envers la "distance" l’œil nu pour la population de sutherland. tés. notre travail a commencé par associer apparente des communautés défavorisées l’Année Internationale de l’Astronomie de de sutherland et leurs disciplines, en lien La base du dôme utilise des méthodes de 2009 à l’Observatoire Astronomique sud- avec l’observatoire international voisin. constructions locales traditionnelles et de Africain à sutherland, nous avons inau- la pierre extraite dans la région. Le dôme guré notre projet par un vol de cerf-vo- L’un des moments forts du projet a été la géodésique fait écho aux outils scienti- lant. Ceci a non seulement rassemblé des construction du Dôme de sutherland sur fiques voisins, mais il permet aussi à une centaines de participants intéressés, mais a la propriété du sAAO. Même s’il s’agit d’un personne, allongée sur le sol et à l’abri aussi donné le ton de l’activation du pay- important site international dédié à la re- dans cet espace, de suivre le mouvement sage à travers des interventions ludiques et cherche scientifique, pour un peuple dont des étoiles à l’aide d’une grille. Par-delà sa créatives avec la communauté pendant les le lien à la terre est empreint de douleur charge sociale et politique intentionnelle, six années qui suivirent. et de violence, ce territoire scientifique le Dôme de sutherland se révéla une illus- international n’est pas perçu comme très tration poétique inattendue d’un espace Les résultats ont été des œuvres perma- accueillant. Dans une tentative d’ouvrir le d’observation et de réflexion — une nentes de land-art, des spectacles de cerfs- dialogue vers l’appropriation et l’accessi- concrétisation physique qui accueille mon volants, des expositions muséales, des sites bilité, Lace et moi avons invité quelques regard vertical. mémoriaux et plus récemment la création anciens et figures importantes de la com- d’un long métrage et d’un livre en asso- munauté à poser la première pierre de leur Marcus Neustetter ciation avec le projet Africa meets Africa propre espace d’observation, un dôme traduction : Valérie Vivancos

Marcus neustetter, DômeC ommunautaire de Sutherland. Observatoire astronomique sud africain, sutherland, afrique du sud, 2012. PHOTO © D.R.

mcd #81 - 71 arts & sciences / > ICI & AILLEURS ICI & AILLEURS panorama des structures arts-sciences La France ne dispose pas, ou pas encore, d’un lieu emblématique arts-sciences, mais, comme partout, les initiatives fleurissent : du soutien à la création et à la monstration, en passant par la formation et la recherche, durables ou éphémères, portées par des institutions de taille et de nature diverses, initiées par toutes sortes de gens (artistes, scientifiques, acteurs culturels), parfois re-labellisant simplement du bon vieil art numérique ou flirtant avec l’ingénierie. En bref, l’art-science devient tendance. Nous proposons ici un tour guidé, non exhaustif, des initiatives de ces quinze dernières années qui se veulent pérennes, complété par la présentation de quelques exemples étrangers.

■ Arts & sciences création en tandem scientifique-artiste), > Ayant pour vocation première l’accueil à l’université puis de La Diagonale (2010) qui organise en résidence de scientifiques, toutes dis- De plus en plus de projets se mettent en le festival CURIOSITas (2012-13), dirigés ciplines confondues, l’IMéRA, Institut place dans les universités, du simple pro- par stéphanie Couvreur, ainsi que de la Méditerranéen de Recherche Avancée à gramme académique classique autour d’un Koen Vanmeckelen, liste artsciedu (2005). l’université d’Aix-Marseille, a, dès son ori- LaB iomista. (artiste-)chercheur, en passant par des Cosmopolitan ■ https://sympa.limsi.fr/wws/info/artsciedu gine, ouvert ses portes aux artistes pour résidences d’artistes dans les laboratoires, Chicken Project des projets arts-sciences. des actions de monstration, de recherche- (2015 — depuis > La Diagonale est une plateforme trans- ■ http://imera.univ-amu.fr création ou de formation plus structurées. 1999), présentée ici verse aux divers établissements de l’uni- au ZKM dans l’expo- versité. Elle s’articule autour de trois axes : > En 2012, PSL/Paris Sciences & > L’Université de Paris Saclay compte sition Exo-Evolution. médiation scientifique, arts et sciences, Lettres met en place le doctorat SACRe dans ses rangs Jean-Marc Chomaz et Chris- Koen Vanmeckelen histoire et patrimoine. La Diagonale sou- (sciences, Arts, Création, Recherche) tian Jacquemin, deux scientifiques avocats croise des poulets de tient la recherche-création artistique par dans lequel les étudiants ont une double infatigables de la relation arts-sciences. différents pays afin le biais d’appels à projets pour des duos direction, par un chercheur en arts et d’obtenir une espèce Le premier signe un article dans ce numé- qui aurait des gènes artistes-scientifiques. par un scientifique. sACRe regroupe les ro, le second est un des acteurs fondateurs de toutes les espèces ■ www.ladiagonale-paris-saclay.fr cinq écoles nationales d’art —l’Ensad de VIDA en 2006 avec le LIMsI (recherche- du monde. (École nationale des arts décoratifs), > CURIOSITas est la manifestation l’Ensba (École nationale supérieure des annuelle de La Diagonale qui rend beaux-arts), le Cnsad (Conservatoire compte des créations et projets soutenus. national supérieur d’art dramatique), Le festival expose également les réalisa- le CnsMDP (Conservatoire national tions des étudiants issus des appels à pro- supérieur de musique et de danse de jets des établissements. Présentée lors de Paris), La Fémis (École nationale supé- l’édition 2015, l’installation-performance rieure des métiers de l’image et du son) Gardien du Temple est l’exemple même — et l’Ens (École normale supérieure). d’une collaboration entre des artistes : Parmi la "première génération" de docto- Véronique Caye, Pascale stih, Frédéric rants, on trouve Lia Giraud — avec son Minière, Ashtar Muallem, des scienti- projet d’images "vivantes" Algaegraphies fiques de plusieurs laboratoires, Panagio- — dont la recherche s’effectue avec le tis-Alexandros Bokaris, Michèle Gouiffès, conseil scientifique de Claude yépré- Christian Jacquemin, Jean-Marc Chomaz mian du laboratoire CCE du Museum et des étudiants, Kévin Heems et XI Wang. national d’histoire naturelle.

PHOTO © AnnICK BUREAUD ■ www.ladiagonale-paris-saclay.fr/curiositas/ ■ www.ensad.fr/recherche/doctorat-sacre-psl

72 - mcd #81 Gardien du Temple, artistes : Véronique caye, Pascale stih, Frédéric Minière, ashtar Muallem, scientifiques Panagiotis-alexandros Bokaris, Michèle Gouiffès, christian Jacquemin, Jean-Marc chomaz et les étudiants, Kévin Heems et Xi Wang, 2015.

sous la direction de Richard Conte et

> PHOTO © AnGÉLIqUE GILsOn / VÉROnIqUE CAyE Olga Kisseleva, l’Institut ACTE (uni- versité Paris 1 et CnRs) se propose de développer, d’analyser et de promouvoir des projets associant art, sciences exactes, sciences naturelles et sciences politiques. ■ www.institut-acte.cnrs.fr

> Au sein de Paris 8, le Labex Arts - H2H, le laboratoire d’excellence des arts et mé- diations humaines, explore le territoire où se rencontrent arts, sciences humaines, sciences, techniques et numérique. ■ www.labex-arts-h2h.fr

> À l’Université de Montpellier, c’est le service Art & culture qui a mis en place un projet d’artistes en résidence depuis 2009. ■ http://www.umontpellier.fr/vie-etudiante/ art-et-culture/

> 2015 a vu la naissance de FACTS (Fes- tival Arts Créativité Technologie sciences) à l’Université de Bordeaux sous la houlette de Vanessa d’Oltra. ■ www.facts-bordeaux.fr

■ Arts & sciences dAns l’Art contemporAin Les institutions de l’art contemporain sont quelque peu ambivalentes face aux créa- tions arts-sciences.

> Dans ce contexte, Rurart fait figure d’OVnI. Au milieu de la campagne poitevine, au sein d’un lycée agricole, il accueille des créations arts-sciences exigeantes, les place résolument dans le champ de l’art tout en permettant la compréhension et l’appréhension de leur dimension scientifique. Parmi leurs expo- sitions : Eduardo Kac, Art orienté objet, Michel Blazy, Koen Vanmechelen. ■ www.rurart.org

■ Arts & sciences dAns les ccsti il accueille également d’autres axes tels que > Parmi les CCsTI accueillant des pro- La France est dotée d’un solide réseau de la recherche en acoustique, en physique des jets arts-sciences, citons l’Espace Pierre centres de culture scientifique, technique fluides ou encore en bioart. Il a ainsi soutenu Gilles de Gennes à Paris (www.espgg.org), et industrielle dont certains ouverts, mais la création de Cypher d’Eduardo Kac com- La Rotonde à saint-Etienne (www.ccsti- bien timidement, à l’art. missionnée par Rurart en 2009. larotonde.com), l’Espace des sciences ■ http://lieumultiple.org à Rennes (www.espace-sciences.org), > sous la responsabilité de Patrick Treguer, La Casemate à Grenoble (http://lacasemate.fr) Le Lieu Multiple à Poitiers, au sein de l’Es- > Avec Labomédia (Orléans), Bandits ou encore En attendant le quai à Toulouse. pace Mendès-France, se distingue par son Mages (Bourges) et PinG (nantes), Le (http://eaq.inconitoweb.net). engagement et la nature de ses actions, dans Lieu Multiple fait parti d’Artlabo, un une approche qui inclut les aspects socié- programme de recherche-création qui > Depuis quelques années, comme au- taux et politiques. si l’essentiel de ses acti- a pris l’anthropocène comme premier tant d’espaces pour une culture tech- vités concerne l’art et la culture numériques thème de travail. nique et scientifique renouvelée et en dialogue avec la recherche informatique, ■ http://artlabo.org réappropriée, les fablabs, makerspaces, >

arts & sciences / ici & aiLLeUrs - mcd #81 - 73 anaïs tondeur, Mutation du Visible, D’après Soviet Mission Luna 3 (1959), Graphite sur papier, 2013-16. Mutation du Visible est une série de dessins au graphite qui retracent les étapes majeures de l’évolution de nos connaissances de la Lune et leur impact sur notre perception de ce satellite. PHOTO © D.R. / COURTEsy: AnAïs TOnDEUR / GV ART GALLERy

et autres hackerspaces prolifèrent, > certains accueillant des projets arts- sciences. MCD ayant pour petite sœur la plateforme en ligne Makery dédiée à ces pratiques. nous mentionnerons ici pour mémoire La Paillasse à Paris (http://lapaillasse.org/), la plateforme Hackteria (http://hackteria.org), ou encore HONF à yogyakarta en Indoné- sie (www.natural-fiber.com). ■ www.makery.info

■ Arts & sciences dAns des institutions de sciences et de techniques > Au cœur d’une activité emblématique nologies. Organisé des sciences dures et de la technologie, en partenariat avec L’Observatoire de l’Espace, mis en place Minatec, le campus d’inno- en 2000 par Gérard Azoulay au CnEs, vation en micro et nano-tech- l’agence spatiale française, développe une nologies de Grenoble, Experimenta approche en contrepoint pour valoriser est un salon avec un ensemble de stands l’imaginaire, le patrimoine et la culture de où sont exposés des projets d’innovation l’espace par des collaborations avec des technique et scientifique aussi bien que > À l’échelle internationale, dans une sorte écrivains et des artistes de toutes disci- des œuvres artistiques et tous les hybrides de phénomène inverse, la science inves- plines. Parmi ses activités : un programme possibles entre les deux. tit le champ du spectacle et de la perfor- de résidences, une série de publications, ■ http://experimenta.fr mance comme mode de communication. le festival Sidérations et le blog Humanités Atelier Arts Sciences (depuis 2007). Dance Your PhD, lancé en 2007 par John spatiales pour les sciences humaines et Un laboratoire de recherche commun aux Bohannon en est l’exemple le plus connu. sociales. artistes et aux scientifiques, en partenariat ■ http://gonzolabs.org/dance/ ■ www.cnes-observatoire.net avec le CEA de Grenoble, avec des rési- dences pouvant aller de quelques jours à plusieurs mois. ■ Arts & sciences ■ Arts & sciences et lieux ■ www.atelier-arts-sciences.eu et les territoires de spectAcle vivAnt La France présente cette singularité d’un > À Creil, La Faïencerie, dirigée par Gré- > En 2000-2001, le Collectif pour la Culture engagement des lieux de théâtre dans le goire Harel, organise la manifestation en Essonne regroupant un ensemble de villes champ arts-sciences (voir l’article de Cla- annuelle FASTE (Forum Arts sciences et de structures du département, organisait risse Bardiot). Technologies Éducation) qui accueille, une première manifestation arts-sciences qui notamment, le projet Binôme de la compa- deviendra en 2011 le festival La Science de > L’Hexagone, scène nationale du Mey- gnie Le sens des Mots. l’art. Le projet inclut le soutien à la création lan (Grenoble), sous la houlette d’Antoine ■ www.faiencerie-theatre.com/FAsTE.html et des résidences d’artistes. son originalité, Conjard, développe depuis 2001 un et peut-être son exemplarité comme modèle ensemble d’actions structurées autour de > Mentionnons également Le Lieu pour d’autres, tient à son ancrage territorial. trois pôles principaux : Unique à nantes (www.lelieuunique. ■ www.collectifculture91.com Les Rencontres-i, Biennale Arts sciences com), le Centre Des Arts d’Enghien- (depuis 2001). les-Bains (www.cda95.fr) ou encore, à > Dans le cadre de la manifestation La ■ http://rencontres-i.eu Paris, Le Théâtre de la Reine Blanche Science se livre du Conseil départemental Des spectacles, parcours artistiques, ate- qui a pris, en 2015, la dénomination des Hauts de seine, Le Cube propose une liers, rencontres et événements dont de "scène des arts et des sciences" programmation art-science. Experimenta, salon Arts sciences Tech- (www.reineblanche.com). ■ www.lecube.com

74 - mcd #81 - ici & aiLLeUrs / arts & sciences arts & sciences / > ICI & AILLEURS

■ Arts & sciences dimension internationale, pour devenir un > AIL, Artists-in-Labs, zurich, suisse. dAns l’union modèle de projet arts-sciences à exporter. Programme doctoral de recherche mis européenne ■ www.sciencegallery.com en place par l’artiste Jill scott en 2003 à l’Institut d’Études Culturelles dans les Arts > The Arts Catalyst, > De Waag Society, Amsterdam, Pays-Bas. de l’université des arts de zurich avec des Londres, Royaume-Uni La Waag society est un espace pour l’inno- résidences d’artistes dans des laboratoires (voir l’article de Jareh Das). vation culturelle et sociétale via les sciences scientifiques. ■ http://artscatalyst.org et les technologies. Elle soutient la création ■ www.artistsinlabs.ch artistique mais aussi la transmission des > Wellcome Collection, savoirs, notamment à travers des fablabs et > Ars Electronica, Linz, Autriche. Londres, Royaume-Uni. divers programmes de formation. Elle est Ars Electronica est perçu, à juste titre, Wellcome Collection particulièrement impliquée dans des pro- comme un Festival et un Centre pour l’art présente des expositions jets de bioart et a mis en place un labora- et les technologies. La relation art-science gratuites autour de la toire de bioDIy, l’Open Wet Lab. y est cependant très présente notamment médecine, des sciences ■ http://waag.org/en au sein du Prix "Hybrid Art" créé en 2007. de la vie et de l’art ; et Plus récemment Ars Electronica s’est associé commissionne également > BioArtSociety, Helsinki, Finlande. au CERn et à l’EsO/European southern de nouvelles créations. Organisation soutenant des projets en art, Observatory (observatoires astronomiques ■ http://wellcomecollec- sciences du vivant et environnement avec au Chili), quelquefois en partenariat avec tion.org un accent particulier sur la zone arctique. d’autres organismes culturels, pour des ■ http://bioartsociety.fi programmes d’artistes en résidence dans > Science Gallery, Dublin, Ir- ces deux institutions de recherche scienti- robertina Šebjanič, lande. Au sein de Trinity College, > Art Laboratory Berlin, Allemagne fique. En 2016,Ars Electronica a lancé, pour Aurelia 1+Hz / flirtant entre musée des sciences (voir l’article de Christian de Lutz et le compte de la Commission Européenne, protov iva avec sa boutique de gadgets et gale- Regine Rapp). un appel à projet pour un prix STARTS. sonification, performance rie d’art, la science Gallery a su allier ■ http://www.artlaboratory-berlin.org ■ www.aec.at/news/en/ visuelle et sonore rigueur scientifique et exigence artis- en interaction tique, œuvres expérimentales tout autant > Arts@CERN, Genève, suisse (voir l’ar- > Laboral, Gijon, Espagne. Le Centre art, avec des méduses, que spectaculaires, public d’experts et ticle de Monica Bello). science et technologie des Asturies. présentée au cube néophytes de tous âges, ancrage local et ■ http://arts.web.cern.ch ■ www.laboralcentrodearte.org/en > par Décalab en 2015. PHOTO © AnnICK BUREAUD

mcd #81 - 75 arts & sciences / > ICI & AILLEURS

> Cultivamos Cultura, Portugal. sous une collection d’ouvrages (en polonais > Le rôle de l’art et de la créativité comme > la direction de l’artiste Marta de Menezes, et en anglais), des ateliers, séminaires et un des moteurs de l’innovation et du une association indépendante pour le sou- conférences. développement fait maintenant partie de tien à la création et la réflexion en bioart. ■ http://artandsciencemeeting.pl/?lang=en/ l’approche de la Commission européenne ■ www.cultivamoscultura.org et des programmes spécifiques sont mis en > Kapelica Galerija, Ljubljana, slovénie. place qui accueillent aussi les projets art- > Art & Science Meeting, Gdansk, Un des espaces emblématiques de mons- science. STARTS en est actuellement l’un Pologne. Au Centre d’art contemporain tration et de soutien à la création de projets des principaux vecteur. Laznia, Ryszard Kluczcwynski conduit expérimentaux, notamment art-science. ■ https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/ un programme qui inclut des expositions, ■ http://www.kapelica.org/index_en.html ict-art-starts-platform

■ Arts & sciences Ailleurs The Tissue Culture & Art dAns le monde (Oron Catts & Ionat Zurr), Victimless Leather-A Prototype of Stitch-less Jacket grown in a > ANAT (Australian network for Art and Technoscientific «Body», 2004. Technology), l’un des plus anciens réseaux Une des œuvres emblématiques art, science et technologie. À travers le du bioart et du duo Catts-Zurr. programme synapse, il soutient les col- laborations art-science et des résidences d’artistes. ■ www.anat.org.au

> SymbioticA, Perth, Australie. C’est, à plus d’un titre, un lieu emblématique de la création et de la collaboration art-science. Laboratoire de recherche et création artis- tiques au sein d’un département scienti- fique à l’université d’Australie occidentale à Perth, il a été fondé conjointement par des artistes et des scientifiques (Oron Catts, Ionat zurr, Miranda Grounds, stuart Bunt). C’est le premier lieu de recherche- création en bioart inscrit dans la durée. ■ www.symbiotica.uwa.edu.au

> ArtISci Center, UCLA, Los Angeles, États-Unis. Créé par l’artiste Victoria Ves- na, le ArtIsci Center soutient les collabo- rations entre les arts des nouveaux médias et les sciences, avec un accent sur les biotechnologies et les nanotechnologies. Au sein du département Design I Media Arts de la school of the Arts de UCLA, l’ArtIsci Center est affilié au CnsI/Califor- nia nanosystems Institute où se trouve la galerie d’exposition. ■ http://artsci.ucla.edu

> Beall Center for Art + Technology, UC Irvine, États-Unis. À l’université de Californie à Irvine, le Beall Center pré- sente des expositions qui explorent les relations dans le champ arts, sciences et technologies. si l’art numérique y occupe une part importante, la programmation est très ouverte à un ensemble de disciplines et thématiques. En collaboration avec le Center for Complex Biological systems et le newkirk Center for science and society de l’université, le Centre a mis en place

PHOTO © D.R. une résidence d’artiste en biologie de syn-

76 - mcd #81 PHOTO © D.R.

andrea Juan, Solar Storm 1121, thèse et ouvre l’année 2016 avec l’exposi- > Aux États-Unis, l’approche STEM to faires étrangères. Il est ouvert à des artistes 2014. tion Wetware: Art I Agency I Animation or- STEAM avec l’introduction de l’art dans de toutes les nationalités. ganisée par David Familian et Jens Hauser. les cursus d’enseignements science, tech- ■ www.surpolar.org ■ http://beallcenter.uci.edu/about/mission nologie, ingénierie et mathématiques est un des courants porteurs des projets arts- > Laboratoria, Art & science space, Mos- > Artscilab, ATEC, UT Dallas, Texas, États- sciences. http://stemtosteam.org cou, Russie. Organise des expositions, des Unis. À l’université du Texas à Dallas, au sein Un des groupes de travail est le SEAD. conférences et des rencontres. du département ATEC, le projet Artscilab ■ http://sead.viz.tamu.edu ■ http://newlaboratoria.ru/www/eng/ mis en place par Roger Malina a pour objec- tif des collaborations pour une hybridation > IPTI (Instituto de Pesquisas em Tecno- art-science. Un des axes est le développement logia e Inovação), santa Luzia do Itanhy, ■ Arts & sciences, d’outils communs aux deux permettant aussi sergipe, Brésil. Cet Institut de Recherche inter-trAns/nAtionAl bien des créations artistiques que des avancées pour l’Innovation et la Technologie croise & cyberespAce scientifiques. On retrouvera sur Makery l’inter- les technologies sociales, l’éducation, les view de Roger Malina par Ewen Chardronnet. industries de la création, l’art et la science > Leonardo/Olats est la branche franco- ■ http://artscilab.utdallas.edu dans des projets sur le territoire. européenne de Leonardo/IsAsT qui publie ■ www.ipti.org.br/en la revue Leonardo. ses activités sont cen- > ACT (Art Culture Technology), Boston, trées sur des publications en ligne mais États-Unis. Le programme art, science, tech- > Arte Mas Sciencia, UnAM, Mexico. aussi sur l’organisation d’ateliers, de sémi- nologie du MIT, résultant de la fusion du Initié par María Antonia González Valerio naires et de conférences. Parmi ses thèmes VAP (Visual Arts Program) et du mythique dans le département de philosophie de de travail et de recherche récurrents : l’art CAVs (Center for Advanced Visual studies) l’Université de Mexico, Arte Mas sciencia spatial et le bioart. fondé par György Kepes en 1967 et dirigé est un projet collaboratif interdisciplinaire ■ www.olats.org ensuite pendant vingt ans par Otto Piene. qui inclut une recherche théorique et des ■ http://act.mit.edu créations collectives associant artistes et > Fondée en 2005 YASMIN est la liste scientifiques lors de workshops ainsi que internationale pour l’art et les technos- > MIT Media Lab, Boston, États-Unis. des expositions. ciences. Outre les annonces, elle propose Le lieu de la recherche en technologies ■ www.artemasciencia.com aussi des discussions thématiques. innovantes du MIT. ■ www2.media.uoa.gr/yasmin/ ■ www.media.mit.edu > Sur Polar, Art in Antarctica, Argentine. Ce programme de recherche et création Annick Bureaud > Bio Art Lab, school of Visual Arts, new artistique en Antarctique a été développé avec la participation york, États-Unis. Laboratoire de bioart et mis en place par l’artiste argentine An- de Natacha Seignolles (Décalab) fondé par l’artiste suzanne Anker à l’École drea Juan qui est devenue responsable des et le généreux partage d’Arts Visuels de new york. projets culturels du Bureau national pour d’information de Grégoire Harel ■ http://bioart.sva.edu l’Antarctique du ministère argentin des Af- (La Faïencerie).

arts & sciences / ici & aiLLeUrs - mcd #81 - 77 arts & sciences / > ICI & AILLEURS

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JOANIE LEMERCIER à la vITESSE DE la lUmIèRE De l’art numérique à l’art contemporain, via la pratique du VJing en solo ou au sein du label Anti-VJ, le parcours de l’artiste visuel Joanie Lemercier est un modèle de souplesse et d’adaptation. Accompagné de Juliette Bibasse, avec qui il crée le Studio Joanie Lemercier en 2013, le Français se tourne depuis trois ans vers le monde des galeries et du marché de l’art. Regard sur le parcours d’un artiste qui ne rechigne pas à mélanger les genres, surtout quand c’est pour le meilleur.

Joanie, tu viens du VJing, tu es le co- même si au cœur du développement de feuille, des origamis ou toute sorte de fondateur du label Anti-VJ. Ta pratique notre studio avec Juliette, il y a ce désir de formes plus simples à créer et à entretenir. a évolué, même si elle garde des traces créer un pont entre installations pour festi- Prendre le temps de développer un vrai des idées que tu développais alors. vals d’arts numériques et le monde de l’art discours, de donner une chance aux idées Depuis peu, tu présentes tes instal- et son marché. et de pouvoir par là même intéresser les lations dans des galeries, comment galeries, était une option intéressante. envisages-tu cette évolution ? Mais cela ne signifie-t-il pas plus de Juliette Bibasse : En ce qui concerne la J.L. : Cela va faire dix ans que je me suis mis contraintes au contraire ? direction que nous développons pour les à faire de l’image projetée et que je travaille J.L. : Plutôt qu’une contrainte, je vois pièces de galeries, je pense que la démarche sur ce médium avec des vidéos-projecteurs, plutôt ça comme le moyen d’évoluer, de de Joanie vient également du fait qu’aupa- en explorant autour de la lumière et de me poser des questions et d’aller vers ravant on nous imposait des surfaces très l’espace. Cela fait beaucoup de choses diffé- des formes et projets que je n’aurais pas structurées, avec "tant de fenêtres", "tant rentes dans beaucoup de cadres différents : forcément envisagé autrement. C’est une de colonnades", etc. Aujourd’hui, Joanie a les galeries, les expériences autour de nou- réflexion quotidienne que je poursuis envie de créer sa propre toile. Un support velles scénographies, les projections sur bâ- depuis trois ou quatre ans, pour des rai- vierge sur lequel il peut projeter ce qu’il timents, etc. Quand je me retourne sur ces sons bêtement économiques d’une part, veut. C’est une démarche beaucoup plus dix années d’activités, je réalise à quel point mais aussi dans une quête de pérennité et créative puisque tu ne dépends plus des toute cette scène se structure quasiment au de conservation de mes travaux. J’ai fait outils ou des technologies lourdes, mais de même moment. Les artistes et les projets se beaucoup de projections sur façades et il ta créativité et de ton imagination. professionnalisent, certains sont là depuis est parfois ingrat de voir des mois de pré- dix ans et sont toujours actifs. Des trajec- paration se concrétiser en une heure de Fuji est symptomatique de cette toires se rejoignent de façon étonnante, spectacle, puis disparaître sans qu’il reste démarche. Peux-tu nous en parler ? également. Ma pratique n’est pas étrangère rien, que ce moment fugitif. Il y a une vraie J.L. : Fuji est un travail récent imaginé à cette évolution. Je reste sur une ligne défi- frustration à développer un langage, une en réaction au vidéo mapping classique. nie depuis mes premiers VJ sets à Bristol en scénographie, etc., et que cela soit diffusé J’ai réfléchi à une façon de rendre ma dé- 2007, tout en cherchant continuellement à puis oublié. Dans l’idée de me détacher marche plus simple techniquement afin la faire évoluer. Je travail toujours avec la des contraintes de production (matériel de me concentrer sur le contenu narratif. lumière, toujours avec l’espace, c’est juste coûteux, durée de temps limité, envi- C’est là que j’ai imaginé le "mapping in- la façon de présenter ce travail, ou les lieux ronnement), j’ai voulu revenir au studio. versé" (ou reverse mapping). L’idée étant de dans lesquels je le présente, qui diffèrent, Un projecteur léger, un crayon et une d’abord créer le contenu — une image fixe

80 - mcd #81 PhOTO © DAVID hANKO PhOTO © DAVID

Fuji (2013), biela Noc kosice, 2014. studio Joanie Lemercier.

qui est mon support de mapping — puis tecture. L’ordre, le chaos, l’émergence de à des choses aussi triviales que la façon d’ajouter la lumière pour animer et trans- l’ordre dans le chaos, l’émergence de motifs dont on range ses fichiers par exemple, former l’ensemble. Le contenu existe avant et de patterns dans l’univers. Poussé à son pour pouvoir adapter son œuvre à toutes la projection. Cela m’a permis d’écrire une paroxysme cela aboutit à des architectures les configurations. L’envie étant de rester histoire sans penser aux contraintes tech- très complexes, particulièrement dans le dans des projets plus légers, plus flexibles, niques. C’est en 2010, autour d’un projet domaine du sacré. Ce sont des idées qui amortis plus rapidement. sur le volcan Eyjafjallajökull que j’ai testé nous habitent et qui vont se développer cette idée. J’ai travaillé sur les connexions dans le futur. C’est un projet que l’on es- Cela pose pas mal de question entre formules mathématiques, la phy- saie aussi de présenter en lui donnant des sur l’économie de l’art numérique sique à l’œuvre dans l’éruption du vol- formes différentes. Il s’adapte aux lieux également… can, et les paysages naturels. En 2013, j’ai qu’il investit. C’est l’occasion de mettre en J.L. : Tout à fait ! C’est même une ques- souhaité changer de sujet en gardant cette perspective ces idées. La structure, en gros, tion intéressante. Plus que celle que l’on technique. Lors d’un voyage au Japon, j’ai est un monolithe vertical (clin d’œil à 2001 nous pose habituellement, du type les imaginé Fuji, qui s’inspire d’un conte du L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick). logiciels que vous utilisez influencent-ils votre 10ème siècle. C’est cette histoire qui m’a don- Nous souhaitions travailler sur cette verti- démarche ? Il est intéressant de voir com- né les teintes et la ligne narrative principale calité. Ce regard qui monte vers les voûtes, ment nous pouvons nous adapter à ce fac- (jeu de lumières, ombres portées, jeu sur la et qui pose des questions sur les origines de teur économique. Cela revient à optimiser perception) pour créer une narration. l’univers, semblait particulièrement intéres- nos travaux afin de pouvoir les présenter sant dans le cadre d’une église. de façons différentes dans différents lieux En novembre, tu présentais Blueprint J.B. : C’est une œuvre qui se place dans et contextes. Parfois les contraintes écono- en collaboration avec le musicien la continuité de Nimbes. Elles sont habi- miques sont positives, puisqu’elles nous James Ginzburg à l’église Saint-Merri tées par les mêmes questions. Cela fait permettent de pousser toujours plus loin à Paris. Un travail qui est également partie des projets où Joanie s’est posé les nos travaux, de rajouter des éléments, de le fruit de cette évolution, avec ses questions du découpage en chapitres et creuser la narration, etc. "versions" et ses variations… d’un contenu décontextualisé. Pour en J.L. : Oui, ce projet répond aux mêmes finir avec la tendance des one shots ou des propos recueillis par Maxence Grugier exigences que Fuji. Nous nous sommes gros mapping de façades. Aujourd’hui, interrogés sur l’écriture avant de penser aux un artiste comme Joanie doit être le plus contraintes techniques. Blueprint tourne flexible possible. Cela demande de pré- +info autour du rapport entre l’univers et l’archi- parer ses œuvres en amont et de réfléchir http://joanielemercier.com

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les dispositifs démiurges de PROSOPOPÉES Si l’art numérique dévoile souvent des pièces dynamiques, la fumée s’échappe du cadre (Art Student de Marck), un frigo luttant contre un radiateur l’exposition-phare Prosopopées : quand les objets prennent vie dans un match climatique (My Answer To Ecology #2 de Charbel Joseph Boutros), de la biennale Némo a mis en exergue un sentiment plus des œufs tournant dans leur cuillère (Œuf directement vital, en lien avec la fécondation croissante de de Samuel Saint-Aubin)…Tout un arsenal vitupérant au milieu duquel les Mécaniques nouvelles formes hybrides de dispositifs artistiques. Discursives de Fred Penelle et Yannick Jac- quet ont presque quelque chose de rassu- rant, avec leurs jeux de vidéo-projections en trompe-l’œil et leur théâtre d’objets faits main, en papier, en cube-écran et en ma- tière plastique.

PhOTO © D.R. La technologie donne la vie Dans cet apparent bric-à-brac, la technolo- gie la plus subtile s’invite tout de même en catimini, éclairant de nouvelles imbrications entre innovation et objets, presque sans que l’on s’en aperçoive. On la devine de manière ludique dans Wave Interference du Canadien Robin Moody, qui confronte un vieil orgue en bois avec les oscillations mécaniques de 88 tubes fluorescents roulant en vagues comme un long ruban lumineux animal, ou dans Signal To Noise du collectif LAb[au] évoquant le dérèglement généralisé, avec ces lettres en flip-flap, de vieux tableaux d’affichage des gares ou des aéroports. On le scrute de façon plus symbolique dans Marck, Sans Objet, la sculpture d’Aurélien Bory Art Student. livrant les mouvements aléatoires d’une bâche plastique à ceux programmés d’un Il y a quelque chose de stimulant à visiter Alvarez, directeur de Némo et José-Ma- bras robotique, ou encore dans les jeux l’exposition Prosopopées au milieu des di- nuel Gonçalves, directeur du Cent-Quatre d’optique cinétique de Dominique Marmin, zaines de danseurs hip-hop et breakdance — par la vision dystopique de notre so- combinant lumière, mouvement et son au qui investissent quotidiennement les tra- ciété héritée de l’écrivain Philip K. Dick travers de structures formelles percées de vées du Cent-Quatre parisien. Quelque et de son inquiétant personnage du Doc consonances orientalisantes (Hara) ou plus chose de l’ordre du vital, du remuant, Labyrinth, inventeur de l’Animateur (une interstellaires (Timée). procédant de cette énergie partagée dans machine supposée donner vie aux objets un espace répondant avant tout à une inanimés), Prosopopées a en effet des airs Ce creuset créatif, qui semble rendre toute évidente envie de vivre. Une convergence d’atelier de savant fou, de laboratoire un son autonomie espiègle à la machine, ne d’ingrédients qui donne le ton de l’expo- peu foutraque sortant tout droit du cer- s’arrête pourtant pas en si bon chemin. sition-phare d’un rendez-vous incontour- veau d’un Géo Trouvetout détraqué. Il donne une dimension nouvelle, une nable des arts numériques, la Biennale nature vivante, mystérieuse, à tous ces Némo, et de son crédo énoncé : donner On y rencontre une armada de pièces brico- dispositifs qui se plaisent à agréger tous vie à des objets et dispositifs supposément lées loufoques, en particulier dans les écu- les flux vitaux qui nous entourent, et dont inanimés, en leur conférant ce supplé- ries des sous-sols abritant L’Appartement les exosquelettes d’Inferno de Bill Vorn et ment d’âme qui fait parfois tant défaut à Fou : un canapé vertical en suspension (Ba- Louis-Philippe Demers — vision futuriste bien des installations. Influencée dans lance From Within de Jacob Tonski), le por- d’un homme nouveau, connecté et robo- la réflexion de ses concepteurs — Gilles trait vivant d’une femme à la cigarette dont tisé — sont la meilleure démonstration.

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Jacob Tonski, Balance From Within.

Puisant dans les trames complexes du web, pirée des glitchs polygones générés par des Armand donne à entendre par un système le Bbot (Browsing Bot) d’Anne Roquigny se bugs dans l’espace 3D. Il est imprimé en 3D d’amplification et de composition sonore nourrit du réseau et des différentes œuvres et son chromage permet aussi que le contenu restitués. L’idée est d’acquérir une conscience Internet inspirées de mondes virtuels 3D se reflète sur le contenant. Il s’intègre bien grâce à une attention au corps qui rompe nos imaginaires qu’il "expose". En adoptant une sûr au réseau Webjays développé par Anne automatismes tant langagiers que sensori-mo- forme sculptée curieuse, celle d’un cristal Roquigny, mais en adoptant donc de faux teurs, dévoile Edwige Armand. Ce que nous hérissé de pointes, il traduit physique- airs de commissaire d’expo ! C’est un objet ressentons, vivons, est toujours une création. ment la féconde cristallisation des données d’art qui diffuse des œuvres d’art. Un bot qu’évoque sa créatrice à son sujet. curator, s’amuse-t-elle d’ailleurs. Encore plus intimiste dans sa forme, Octo- aédrite de Félicie d’Estienne d’Orves et de Le Bbot se connecte automatiquement au Connexions empathiques la compositrice Lara Morciano se connecte réseau des lieux où il se pose, explique Anne Alimentée par le réseau, la pièce À Chacun même avec les flux vitaux de l’espace, dans Roquigny. Grâce à son système de vidéo- Son Tour d’Edwige Armand est la dernière une scénographie quasi-"extra-terrestre" projection qui diffracte les images du web, arrivée dans l’expo. Il s’agit d’un trieur ro- puisque l’élément central est une tranche l’espace s’éclaire et s’illumine de jaillissements botique d’usine recevant en temps réel par de météorite ferreuse dont les stries sont définis par des œuvres dématérialisées, essen- flux RSS des informations d’un site comp- lues par une tête de lecture, à la manière tiellement des sculptures virtuelles 3D, loin- tabilisant le nombre de naissances et de d’une platine vinyle. Mais dans cette nou- tains ou proches cousins du Bbot. Ses accoin- mort. En fonction de celui-ci, la machine velle symbolisation du vivant augmenté, la tances avec le réseau Internet auto-génèrent dispatche avec sa froideur mécanique pièce la plus magique s’avère encore plus des "trajectoires pixelisées" qui dévoilent les un stock de dents symbolisant l’absur- discrète. Avec son Ascension, Anish Kapoor trames les plus secrètes et déjantées de la dité d’une vie canalisée dans des circuits invente la vie fantomatique d’une colonne toile. De manière plus prosaïque, ce Bbot qui la dépassent. L’installation se greffe d’air se faisant et se défaisant au gré des est donc un objet connecté, autonome, qui dans l’espace clinique dédié à Edwige gestes du public. Une matérialisation in- permet d’exposer des œuvres d’art sur tout Armand, parmi ses autres pièces très orga- formelle qui agrémente d’une aura céleste type de surface (murs, écrans, vitrines, fa- niques de sa série Endophonies Mécanisées. tout cet étrange bestiaire artistique que çades, etc.). Chaque Bbot est composé d’un Placés sous verre, "transfusés" plus que constitue Prosopopées et son havre scienti- système de vidéo-projection et d’un mini-or- connectés, un cœur, des intestins, un pou- fico-poétique si propice à l’établissement de dinateur qui "surfe” de façon automatisée mon, un cerveau et un foie s’adressent à nouvelles formes artistiques mutantes. sur Internet dans des playlists éditorialisées, nous, dans des connexions empathiques poursuit Anne Roquigny. Sa forme est ins- murmurées que la jeune artiste Edwige Laurent Catala

feedbacks / ReTOURs d’eXPÉRIeNce - mcd #81 - 83 feedbacks / > RETOURS D’EXPÉRIENCE BIENNalE DE lYON 2015 Directeur Artistique de la Biennale de Lyon, Thierry Raspail a confié le commissariat d’exposition à Ralph Rugoff. Le titre qui a émergé de leurs échanges pour cette treizième édition, La vie moderne, fédère un grand nombre de lieux dont le Musée d’art contemporain, celui des Confluences et la Sucrière où l’on retrouve, comme chaque année, des œuvres d’exception.

L’AURA du sport que celle du conservateur ayant majeure, s’il en est, Internet incite les États, Céleste Boursier-Mougenot, déjà consacré réuni les objets (un vélo, une batte de sous pression des lobbies d’une industrie à Venise, se devait d’être présenté à Lyon baseball, des balles de golf, etc.) de scan- culturelle internationale, à reconsidérer cette année. Et c’est avec une pièce intitu- dales historiques. La lumière blanche qui les contours des lois censées protéger les lée Aura qu’il a investi le rez-de-chaussée illumine successivement ces mêmes acces- œuvres de l’esprit en nous en interdisant de La Sucrière. Localisée au centre sous la soires illustre littéralement les coups de l’accès "en un clic". forme d’une batterie, elle s’inscrit dans la projecteurs qu’ont portés des journalistes continuité d’Averses (2014) qui recevait sportifs. Plus généralement, cette installa- RENVERSEMENT des ondées lorsque des rayons cosmiques tion traite de l’ambiguïté de notre relation Du jasmin, qui déjà parfumait l’antiquité, entraient dans son champ. Avec Aura, aux innovations, quelles qu’elles soient, il existe plus de deux cents variétés dont ce sont les visiteurs qui déclenchent des dans les domaines de l’enseignement, de le musc de la nuit nommé ainsi, car il ne pluies aléatoires de noyaux de cerises au l’industrie ou de l’économie. Car elles pré- libère ses senteurs que pendant notre som- travers des champs magnétiques qui, tous, cèdent les règles qu’elles nous incitent à meil. hicham Berrada en a placé dans des nous enveloppent puisque nous sommes reconsidérer. Quand ce sont, bien au-delà terrariums disposés à l’étage de la Sucrière. porteurs de téléphones cellulaires. de l’éthique, ceux qui les contournent qui Mais il a dû inverser le cycle circadien D’un point de vue strictement sonore, les participent aussi à en préciser les contours. qui lui est propre en faisant du dispositif solos qui se suivent sans jamais se ressem- olfactif Mesk-ellil une installation lumi- bler sont comparables aux plus extrêmes des EffETS PERSONNELS neuse afin que le public de la biennale solos de batterie. Artiste du son s’il en est, C’est précisément le 20 janvier 2012, sur puisse s’en délecter pendant la journée. Céleste Boursier-Mougenot aime les tech- les conseils avisés du FBI, que les poli- Le protocole est scientifique. De nuit, niques propices à la non-prédictibilité au ciers néo-zélandais se rendent à l’apparte- les plantes sont illuminées d’un éclairage point de ne pas les dissimuler. Quand elles ment de Kim Schmitz alias Kim Dotcom. horticole simulant le soleil. En journée, lui servent à préserver l’aura — telle que Ils y saisissent alors ses effets personnels, elles baignent dans une obscurité bleutée. Walter Benjamin l’a définie — des œuvres car il est notamment accusé de violation C’est par conséquent en agissant sur son qu’il ne peut prédire avec exactitude. de propriété intellectuelle. Ce qui ne sur- environnement, dont il fait partie intégrante, prend guère lorsque l’on sait que ce der- que l’artiste active l’œuvre. Son action sur les LA TRIChE nier est aussi le fondateur de la plateforme plantes, bien qu’indirecte, est des plus radi- La Petite anthologie de la triche de Julien d’échange de fichiers en ligne Megaupload cale. Ce qui n’interfère en rien avec la poésie Prévieux a été spécifiquement conçue fermée le 19 janvier 2012 par la justice qui s’en dégage. La prouesse technique de pour cette Biennale. Tous les objets qui y américaine. L’installation The personnal l’artiste, aux antipodes des exploits techno- sont présentés, sur des gradins évoquant la effects of Kim Dotcom de l’artiste d’inves- logiques de l’industrie des fleurs coupées, présence des spectateurs que l’on entend tigation Simon Denny regroupe quelques nous renvoie à celle des architectes des jar- parfois huer, illustrent les relations tumul- véhicules entre autres objets d’art ayant dins suspendus de Babylone. tueuses que les fédérations sportives inter- appartenu à l’homme d’affaires à l’aura de nationales entretiennent avec l’innovation hacker. Par conséquent, on ne peut plus ANTICIPATION technologique. L’artiste y adopte tant la caresser la carrosserie d’une voiture ayant Michel Blazy, quant à lui, a suspendu des posture du chercheur traitant des aléas acquis le statut d’œuvre d’art. Innovation jardins miniatures (Pull over time) sur

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simon denny, The personnal effects of Kim Dotcom, 2014.

les balcons de la Sucrière où des plantes le cloud. Mais c’est pourtant des câbles de ont effectué des moulages comme on le émergent des rebus électroniques de nos toutes les formes et aux couleurs entre- fait en archéologie. Intitulée Laocoon II, décharges contemporaines. Victimes d’une mêlées (Mid-Sentence) que l’artiste Nina l’œuvre fait référence à celui qui affronta obsolescence programmée de longue date Canell nous présente dans cette biennale les serpents en faisant malencontreuse- par les responsables des départements intitulée La vie moderne. Sans pour autant ment corps avec eux. Mais n’est-ce pas cet marketing des entreprises high-tech de que l’on sache ce qu’ils ont transporté, de entrelacement qui fit le succès de la sculp- l’image et du son, ordinateurs portables, l’électricité ou des données. Mais peu im- ture antique de la collection vaticane ? lecteurs vidéo, appareils photographiques, porte lorsque Jeremy Rifkin nous annonce On reconnaît les embouts des câbles que casques audio et imprimantes à jet que la troisième révolution industrielle se figurent les fragments deLaocoon II, car d’encre sont réinvestis par une nature ver- concrétisera à la croisée des énergies re- ils font partie intégrante des appareillages doyante comme le sont naturellement les nouvelables et des technologies Internet. auxquels nous nous interfaçons quoti- épaves des navires dans les fonds marins. Toujours est-il que jamais nous n’avons diennement. Une question émerge alors : Mais le message ici est ambigu. Car si l’on été aussi dépendants des câbles qui, au comment notre dépendance aux tech- se réjouit à l’observation d’une nature en fond des océans comme sous la terre, rac- nologies — qui sont celles de notre "vie puissance, on ne peut pas par la même cordent les data centers de nos données moderne" — pourrait-elle être interprétée occasion s’empêcher de penser au monde personnelles. Les câbles dont on observe par les archéologues du futur ? qui pourrait nous perdurer. Le développe- les coupes et auxquels l’artiste a consacré ment du vivant, dans ce cas, ne serait que un livre aux allures de planches anato- Dominique Moulon la conséquence d’une fin programmée elle miques, en réalité, nous sont essentiels. aussi. D’une catastrophe dont nous avan- Nous en dépendons comme nos organes cerions inlassablement l’échéance comme dépendent de nos veines et artères. +info dans les pires scénarios de littérature ou Biennale de Lyon : www.biennaledelyon.com du cinéma d’anticipation. ARChéOLOGIE La Sucrière : www.lasucriere-lyon.com À quelques pas de la Sucrière, il y a l’Es- Céleste Boursier-Mougenot : www.xippas. SOUS LA TERRE pace Verney Carron où sont présentées les com/fr/artists/celeste-boursier-mougenot Dans le milieu des années 1980, le pré- œuvres de l’exposition Oxi More On dont Julien Prévieux : www.previeux.net Hicham Berrada : www.hichamberrada.com sident François Mitterrand avait utilisé le le commissariat a été assuré par Alexis Nina Canell : www.canellwatkins.org terme "câblé" à la télévision pour dire à Jakubowicz et Philippe Riss. On y retrouve Espace Verney Carron : quel point il était moderne. Aujourd’hui, des assemblages de câbles entrelacés, mais www.espace-verney-carron.com la modernité consisterait davantage à se en creux cette fois-ci. Car les artistes Gré- Grégory Chatonsky : http://chatonsky.net passer de toute connectique en utilisant gory Chatonsky et Dominique Sirois en Dominique Sirois : http://dominiquesirois.net

feedbacks / ReTOURs d’eXPÉRIeNce - mcd #81 - 85 feedbacks / > RETOURS D’EXPÉRIENCE DaDa BOT En tant que sociologue, comment t’es- tu dirigé vers l’étude des technologies l’ère du dadaïsme numérique et leur impact sur nos vies ? Des sujets que tu scrutes également au sein de Avec Dada Bot, Nicolas Nova, co-fondateur du Near Future l’agence Near future Laboratory… Laboratory et sociologue, accompagné du Lausannois Joël Après des études scientifiques (sciences de la vie, sciences cognitives), je me suis rap- Vacheron, spécialiste des cultures numériques, s’attelle en fin proché du champ du design, avec un inté- rêt pour la manière dont les gens utilisent observateur de nos mœurs connectés à démontrer les possibi- les technologies. En particulier le numé- lités créatives offertes par l’omniprésence des algorithmes dans rique, avec à la fois un travail académique de doctorat sur les enjeux et opportunités nos vies. Dans cet ouvrage mis en page par le designer Raphaël posés par la géolocalisation, et en tra- Verona, les deux complices mettent en lumière — avec des vaillant avec des studios de jeu vidéo, des industriels, des organisations publiques. exemples choisis — la fantaisie à l’œuvre derrière la logique Le point commun de tout ce petit monde étant de s’interroger sur les changements mathématique censément irréprochable. Entretien. que le numérique pourrait apporter à l’existence. Si je devais décrire ma pra- tique actuelle, ce serait celle d’un ethno- graphe des technologies numériques, qui s’intéresse non seulement aux pratiques et Nicolas, peux-tu nous préciser le sujet l’omniprésence de ces "agents" dans usages actuels, mais également aux chan- de ton dernier ouvrage, Dada Bot ? nos vies… Pourquoi ? gements à venir. Ce que je fais aussi avec Nicolas Nova : Dada Bot s’intéresse à ce Peut-être s’agit-il ici de la posture de neu- Near Future Laboratory, dont l’objectif est "tournant algorithmique" que connaît la tralité de l’ethnographe qui observe avec d’éclairer la compréhension du présent culture actuelle. Ce terme renvoie à la place curiosité avant de juger ! D’un côté, il y a pour mieux appréhender les futurs pos- croissante occupée par les programmes un aspect intéressant à décrypter, à com- sibles. Nous opérons au croisement de la informatiques dans la sélection et la consti- prendre les mécanismes et à discerner ce prospective (imaginer demain), de la tech- tution même des contenus : morceaux de qu’il se passe quand des machines parti- nologie, et des sciences sociales. musiques, livres, articles de journaux, créa- cipent de façon croissante à la production tion en arts visuels, etc. Pour vous donner culturelle. Cela permet de relativiser les dis- La mise en page de Dada Bot et le choix une idée, environ 20% des changements cours d’autonomie pure de la technique, et des exemples dénotent aussi d’une sur Wikipedia sont le fait de bots, ces petits de montrer le rôle des êtres humains dans volonté d’être "en phase" avec le sujet. programmes informatiques qui corrigent et ces formes de création. Je suis personnel- Ton essai, par exemple, est morcelé éditent l’encyclopédie collaborative ! En do- lement moins craintif quant au mode opé- en petits chapitres dispersés, il y a un cumentant cela par des entretiens avec des ratoire de ces agents logiciels, que dans les effet "Lost in data". C’est délibéré ? artistes, un lexique et diverses expérimenta- choix de certaines organisations publiques Complètement. Un des aspects traités dans tions, nous avons voulu décrire en quoi la ou privées. Le danger ne vient pas forcé- l’ouvrage correspond au réassemblage — au création même évolue dans cette situation. ment de la technique elle-même, mais des remix — permanent qui a lieu avec ces pro- En particulier, comment des morceaux de personnes ou des institutions qui lui dé- grammes. Ceux-ci vont hybrider et trans- contenus sont hybridés, ré-assemblés de fa- lèguent toutes sortes de pans de notre vie. former automatiquement des morceaux de çon automatique avec une ampleur sans pré- De plus, nous n’avons pas abordé d’autres contenus. On le voit avec les Twitter Bots cédent. Le tout menant à une sorte de grand champs que la production culturelle, donc ou des créations musicales comme celles de remix généralisé, déroutant et curieux. nous ne nous sommes pas prononcés sur Dadabot industries. Le designer graphique, d’autres influences des algorithmes au Raphaël Verona, a choisi de marquer cela Tu abordes l’omniprésence des algo- quotidien qui me semblent plus probléma- explicitement dans la mise en page et la rithmes sous l’angle ludique, subversif tiques. Je serais certainement plus critique (dé)structuration du livre. Il y a un côté et artistique. Tu ne sembles pas faire envers les objets connectés dans le champ jubilatoire ou transgressif à faire cela, par partie de ceux qui s’affolent quant à de la santé, par exemple. exemple en plaçant un lexique en plein

86 - mcd #81 © D.R.

milieu d’un ouvrage. Mais nous ne sommes manifestations machiniques, et d’en com- tory sur ce que j’appelle le design fi ction. évidemment pas les seuls à procéder ainsi. prendre la logique sous-jacente. C’est un sujet que j’ai rarement vu abordé C’était plus une manière de marquer le sous forme d’une exposition. Il y avait là une caractère hybride et éclaté de ces cultures. Tu es aussi à l’origine d’une exposi- opportunité intéressante. Le fait de montrer tion, Culture Interface : Numérique cette infl uence réciproque, en montrant di- L’algorithme a cela de fascinant que, au et Science-Fiction, qui se tient à la rectement ces aspects par une scénographie lieu d’incarner un lissage de l’esthé- Cité du Design jusqu’en août 2016, où adaptée, me motivait tout particulièrement. tique et de l’information, au contraire, on trouve pêle-mêle extraits de fi lms Et cela, de façon plus systématique — j’ai il inspire des artistes pour produire du de science-fi ction, brevets et designs un regard d’ethnographe — en prenant des bug et encore plus de chaos. J’imagine d’interface, prospective… catégories d’objets (visiocasques, interfaces que ça t’amuse beaucoup… J’ai été sollicité par Ludovic Noël, le di- gestuelles, neurocasques) dépliées ensuite En effet, il y a un côté jubilatoire à obser- recteur de la Cité du Design, pour être sous la forme d’extraits de fi lms, de projets ver cela. Comme le disait Alan Turing, commissaire d’une exposition sur le sujet historiques ou récents, et d’images de bre- Machines take me by surprise with great fre- des interfaces. Il m’a alors paru pertinent vets. Le croisement de toutes ces représen- quency. Les dérapages, les bugs et toutes d’aborder la proximité entre les représen- tations permet de constater les vas et vient ces étrangetés produites par les objets tations de la science-fi ction et les proto- entre les imaginaires et la création. techniques me fascinent. Cela nous en types ou produits conçus par les designers montre les limites et les imperfections. d’aujourd’hui. C’est assez évident quand on propos recueillis par Maxence Grugier Les bots twitter m’intéresse énormément, observe à la fois les imaginaires convoqués j’en suis plusieurs. Observer ce qu’ils pro- dans les médias, et par ces mêmes designers Nicolas Nova et Joël Vacheron, Dada Bot, duisent sur les réseaux sociaux — car c’est dans leur travail. C’est un thème sur lequel Essay about the hybridization of cultu- là qu’ils "s’expriment" le plus — est une je travaille depuis un certain temps, à la fois ral forms (music, visual arts, literature) bonne manière de se rendre compte de ces en lien avec mes enseignements et dans le produced by digital technologies (IDPURE phénomènes, de saisir la diversité de ces cadre des projets du Near Future Labora- éditions, 2015). www.idpureshop.ch

feedbacks / ReTOURs d’eXPÉRIeNce - mcd #81 - 87 feedbacksBiblio / / > RETOURS D’EXPÉRIENCE aRT SONORE / aRT EN RÉSONaNCE / aRT TOPOGRaPHIQUE /

CITY SONIC mière la relation entre les arts visuels et le son REfLECTED WAVES ainsi que la musique du début du XXe siècle. Mis en place en 2003, à Mons en Belgique, L’art sonore est aussi à la source de sa ma- Point de départ : la problématique des flux le festival City Sonic a pour vocation de tière première. Nombre d’œuvres génèrent et des courants, des dérives possibles des faire découvrir les arts sonores (installa- des sons, des bruits et des ondes, au travers corps et objets dans un espace donné, de tions, parcours, performances, , de machines, d’objets, d’images, de voix, l’émergence de phénomènes ou d’émotions ateliers, expositions…) in situ, dans l’espace de corps, d’environnements, de réseaux… liés à ces flux. Point de cristallisation, une urbain, à un large public. Mais qu’est-ce Sons captés, collectés, trouvés, détournés… installation qui "réfracte" différentes échelles, que l’art sonore finalement ? Que recouvre La gamme est large. Et à la question quelle logiques et modalités de fonctionnements, ce terme ? Quelles pratiques artistiques y est votre définition personnelle de l’art sonore ?, objets, mots, sensations, informations, mu- sont rattachées ? Quels types d’œuvres en beaucoup d’artistes pointent le rapport à siques… L’idée est de composer […] avec le émergent ? C’est à ces questions, notam- un espace naturel ou construit, et insistent phénomène acoustique des ondes stationnaires ment, que tente de répondre un ouvrage sur l’importance de l’écoute. Ainsi, pour pris comme relation physique entre le son et l’es- collectif — City Sonic, les arts sonores dans la Gauthier Keyaerts, ce sont des contrepoints pace. Point de chute : une galerie marchande cité — au travers de nombreuses contribu- sonores interrogatifs et souvent matérialisés à Melbourne, en Australie. tions réunies sous l’impulsion de Philippe sur le rapport communicationnel, osmotique L’histoire commence en 2005, à l’invitation Franck, directeur du festival, qui rappelle ou antagoniste, entre l’homme et la "société" : de Philip Samartzis, directeur artistique du en préambule qu’il s’agit en premier lieu l’environnement naturel, l’architecture… festival Liquid Architecture, qui convie Jean- pour les artistes rattachés à cette démarche Frank Smith complète cette définition Luc Guionnet et Éric La Casa à présenter d’explorer le son dans toutes ses dimensions fragmentée en indiquant que cela consiste à leur travail. Ils expliquent leur démarche contemporaines en allant au-delà des repré- créer des visibilités et des énonciations sonores. en ces termes : nous multiplions les pratiques sentations musicales et traditionnelles… Faire entendre ce que l’on ne peut pas voir. artistiques en développant la transversalité des de traiter le son comme matériau premier… Mais on sent aussi beaucoup d’hésita- questions comme pour s’en sortir (dans tous les Faisant écho aux propos d’Érick D’Orion tions et de réticences pour qualifier, ou sens du terme). À l’intérieur de notre recherche qui précise, quand on commence à s’intéres- du moins, tenter de cerner le périmètre musicale, nous faisons entrer les arts plastiques, ser au son sans se soucier de la musique, ça de l’art sonore ; sachant que toute définition la radio, ou encore le cinéma. Même si le son devient de l’art sonore, de l’art audio. qui englobe valablement des formes variées est reste entre nous la monnaie d’échange la plus L’art sonore s’enracine aussi bien dans le impossible, dixit Todor Todoroff. courante, un projet ne reçoit pas d’emblée une mouvement futuriste que dans le du ciné- réponse exclusivement musicale ou sonore… ma d’animation, avant de s’émanciper et de City Sonic, les arts sonores dans la cité Jean-Luc Guionnet et Éric La Casa re- se diversifier au fil des supports, des tech- (sous la direction de Philippe Franck), cherchent un lieu d’intervention à Mel- niques et des nouvelles pratiques qui en La Lettre Volée, 2015. bourne réunissant les réalités (acoustiques, découlent comme le souligne Anne-Laure > www.lettrevolee.com anthropologiques, sociales…) d’un territoire Chamboissier dans un texte qui met en lu- et porteur de ses propres spéculations esthé-

88 - mcd #81 tiques. Ce sera le quartier Central Business ART ET NUMéRIQUE Plutôt qu’une typologie de l’art du numé- District et la West Space Gallery. Comme ils rique, c’est avant tout un regard sur la ré- le décrivent minutieusement dans la nomen- Quatre ans après son premier livre, Art ception des œuvres, sur l’interaction avec clature consacrée à leur installation Reflected Contemporain Nouveaux Médias, Domi- le public, sur les technologies et la résur- Waves (ondes réfléchies), ils effectuent toute nique Moulon signe un nouvel ouvrage gence de pratiques artisques "anciennes" une série de captations — étendant leurs préfacé par Norbert hillaire sur la conver- qui se métamorphosent ou ressurgissent prises de son aux points cardinaux — qu’ils gence de l’art et du numérique — et non selon de nouvelles modalités. Sachant qu’à mettent en forme ensuite pour en proposer pas sur l’art numérique — désormais en l’heure du "post-internet" où le numérique un rendu spatialisé en galerie. Chaque son résonnance. Aujourd’hui, nombreuses sont est omniprésent, il n’est, de fait, plus un collecté à son double en image, parfois barré les œuvres initiées grâce à un moteur de re- "critère distinctif" signalant une pratique d’un mot échappé d’une enseigne, pour cherche ou un appareil mobile. Les pratiques artistique singulière. Ce panorama est mieux inscrire les bruits dans la topogra- artistiques et usages amateurs, en réseau, illustré par un aperçu des créations, no- phie du lieu. En image "animée", cela donne s’entremêlent. Pour faire œuvre, des artistes tamment, de Samuel Bianchini, Du Zhen- une vue fixe sur un groupe d’immeubles détournent les médias sociaux que tous nous jun, Cory Arcangel, Jacques Perconte, filmé en continu de la fin de la soirée à la nous approprions. Car les cultures du numé- Aram Bartholl, Valérie Belin… Et des matinée, passant ainsi de la nuit d’encre aux rique sont aujourd’hui très largement parta- entretiens avec des curateurs, directeurs premières lueurs du jour, le tout entrecoupé gées. Quant au medium numérique qui, dans de festivals, théoriciens, collectionneurs, d’inserts. La bande-son "oscillant" au gré les musées ou centres d’art n’est dorénavant directeurs de galerie, etc. Dont Chris- de field recordings (ambiance urbaine du plus réservé à la scénographie, il devient la tine Schöpf, Wolf Lieser, Lev Manovich, quartier). matière même d’œuvres résolument contem- Domenico Quaranta, Régine Debatty, poraines. L’art et le numérique sont des lan- hampus Lindwall, Alessandro Ludovico… Jean-Luc Guionnet & Éric La Casa, gages qui se fondent pour nous offrir les pos- Des entretiens dont les lecteurs de MCD Reflected Waves (ondes réfléchies), sibles lectures des sociétés qu’ils interrogent reconnaîtront la forme puisque Domi- livre + dVd, nouvelle édition bilingue, ou documentent. Sans omettre les publics, y nique Moulon, enseignant, critique d’art Passage d’encre / Trace(s), 2015. compris les collectionneurs, qui s’émancipent et commissaire d’exposition, est aussi un > http://inks-passagedencres.fr des standards du marché et qui, maintenant de nos collaborateurs de longue date. plus que jamais, sont prêts à accueillir cette fusion de l’art et du numérique. Dominique Moulon, Art et numérique en résonnance Faisant suite à une série d’expositions La Maison Populaire / proposée en 2015 à la Maison Populaire nouvelles éditions scala, 2015. à Montreuil, Dominique Moulon articule > www.editions-scala.fr son analyse autour de trois "catégories" — Convergence, Ré-émergence, Conséquence. Laurent Diouf

feedbacks / ReTOURs d’eXPÉRIeNce - mcd #81 - 89 feedbacksRepérages // > RETOURS D’EXPÉRIENCE mUSIQUES ÉlECTRONIQUES

CARTER TUTTI VOID de chuintements ou d’aigus persistants, plutôt bien dans un registre trip hop "2.0", "f(x)" (Industrial Records) était à l’origine une installation sonore voix éthérées en prime. On préfèrera Tout en ondulations souterraines et en destinée à illustrer les conséquences de néanmoins les ambiances poisseuses, plus variations grinçantes, cet album "dubby la privation sensorielle à laquelle ont été caverneuses, et surtout les "versions". noisy groovy" prolonge l’équation que les soumis des prisonniers (politiques pour la > https://ninjatune.net vétérans Chris Carter et Cosey Fanni Tutti plupart). > www.lineimprint.com (Throbbing Gristtle), alliés à la guitariste KODE9 "Nothing" (Hyperdub) expérimentale Nik Colk Void, avaient JéRÔME ChASSAGNARD - JéRéMIE Beaucoup de rythmiques obtus envelop- formulée en , notamment dans le MAThES "Outer dialog" (Hymen Records) pées dans des nappes synthétiques à peine cadre de Villette Sonique à Paris. Après Inner Dialog paru en 2014, Jérôme rehaussées de quelques fioritures électro- > www.industrial-records.com Chassagnard (Ab Ovo, avec Régis Baillet) niques sur cet opus composé pour l’essen- nous gratifie d’une suite très travaillée. tiel de petites pièces (2/3 minutes pas plus) DEEPChORD Cette fois, c’est en compagnie de Jérémie disloquées et dissonantes ; le premier de- "Ultraviolet Music" (soma Records) Mathes qu’il poursuit ce dialogue futu- puis la disparition prématurée de The Spa- Ces derniers mois, Rod Modell alias Deep- riste, toujours dans une veine ambient- ceape dont l’ombre rôde toujours ("Third chord a multiplié les productions, surfant electronica avec des séquences aux ryth- Air Transmission"). > www.hyperdub.net toujours sur de l’ambient-dub grésillant, miques accentuées. > www.hymen-records.com deep et minimal. On aurait pu s’arrêter LANDSCAPES Of fEAR (Gruenrekorder) sur Atmospherica dont le 2ème volet vient JOY ORBISON / BEN UfO & PEARSON Entre field recordings et expérimentations, juste de paraître, mais c’est le pléthorique SOUND (Rush Hour Tape) musique concrète et art bruitiste : une Ultraviolet Music qui nous a happés par ses Deux mixes riches et insolites, en particu- double anthologie en forme de topogra- nombreux méandres (21 titres au total !). lier celui de Ben UFO & Pearson Sound, phie sonore dont chaque piste — il y en > www.somarecords.com qui télescopent des éléments reggae, a 15 pour plus de 2 heures d’écoute atten- ambient, synth-pop, dark-beats, world tive — ouvre sur de singuliers paysages et fILThY fEAThERS VOL.1 (kanja Records) & co… Autre particularité, c’est sorti en questionne les notions d’espace, de terri- Première anthologie d’un tout jeune label édition ultra-limitée sur K7 — support qui toire, de frontière… > www.gruenrekorder.de slovène a vocation minimal-dub / deep-tech opère un "revival" dans le milieu cryptique qui nous fait découvrir quelques talents pro- néo-indus (mais il faut vraiment être très MATMOS "Ultimate care II" (Thrill Jockey) metteurs si l’on en juge par la puissance hyp- jeune et ne pas avoir connu les années Utilisant une machine à laver vintage en notique de Fulvio Ruffert & Federico Sal- walkman pour plébisciter ce support). guise d’instrument et de générateur de moiraghi ("Unknown Dub"), Vedran Komm > https://soundcloud.com/rush-hour-store/sets/ sons (rythmique, texture, etc.), Matmos a ("Elegant"), Massud Matin ("hegelian") et rush-hour-store-cassette composé une pièce abstraite, mais rythmée, N2Brothers ("Fuckez Shit"). À suivre… d’une trentaine de minutes qui jongle entre > https://soundcloud.com/kanja_records KING MIDAS SOUND & fENNESZ musique concrète, contemporaine et, bien "edition 1" (Ninja Tune) sûr, expérimentale… > http://thrilljockey.com fRANK BRETSChNEIDER Rencontre improbable entre le trio roi du "Isolation" (LINe) dubstep (Kevin Martin aka The Bug, Roger MIChEL ChION / LIONEL MARChETTI / Presque inaudible (stricto sensu) en écoute Robinson & Kiki hitomi) et le grand ma- JERÔME NOETINGER simple, cette succession espacée d’infra- nipulateur noisy guitaristique. Deux uni- "filarium" (ccaM / Vand’Œuvre) sons, de bruits blancs, d’effets de masse, vers distincts donc, mais qui fonctionnent Un entrecroisement de musique impro-

90 - mcd #81 visée et concrète : chaque compositeur a Ben Klock, Atom TM, Marcel Dettmann, slaps"). Il existe une édition "parallèle" en créé une pièce, puis après s’être échangé et L.B. Dub Corp, Substance, Answer Code vinyl… > www.kotaerecords.com avoir retravaillé des sons, ils signent trois Request, Martyn, Len Faki, Planetary morceaux "composites" qui laissent beau- Assault System, Tobias, Efdemin, Func- ThE WANDERING II COMPILATION coup de place au silence. tion…). > www.ostgut.de/label (silent season) > www.centremalraux.com/disques Dédiée à Michael Mantra, cette triple SCUBA "claustrophobia Remixes" compilation d’obédience "ambient / dub- MIKKEL METAL (Hotflush Recordings) techno" est fidèle à la ligne éditoriale de "Resemblance" (echocord) Tout en conservant la torpeur et la ce label incontournable en la matière. Label-phare de la scène dub-techno, noirceur du dubstep, Scuba a toujours Le tracklisting s’étire sans éclat particulier, Echochord et sa division "colorée" dispen- su dépasser les stigmates du genre en mais en finesse avec Sonitus Eco, Michal sent régulièrement des maxis, mais peu multipliant les alliances avec l’ambient, Wolski, ASC, Yuka, Segue, As If, Mon0, d’albums. Raison de plus pour apprécier la techno, etc. dès son premier opus, Warmth, Martin Schulte, Slownoise… celui de Mikkel Metal plutôt mid-tempo, A Mutual Antipathy en 2008. Ça s’est > www.silentseason.com qui tourne autour du minimalisme dubby amplifié progressivement sur les albums sans s’enliser dans les pesanteurs du genre, suivants. Claustrophobia, le dernier en ThIGhPAULSANDRA pour s’ouvrir à d’autres tonalités plus di- date, vient d’être remanié avec encore "The Golden communion" (edition Mego) versifiées et posées.> www.echocord.com plus d’amplitude par Function, Atom Personnage au parcours multiple (Julian TM, Mr. Tophat & Art Alfie, Radio Slave, Cope, Spiritualized, Coil), Thighpaulsan- NEMO & JAYMON Ø [phase], Len Faki… dra délivre un album aux résonnances "Wanderings" (forest Roots) > www.hotflushrecordings.com psyché, aux effluves krautrock ou pop- Les fondateurs de Forest Roots offrent electronic déphasée (au propre, comme au un panorama augmenté (28 tracks, 3h30 SERVOVALVE "Necromasse" (M-Tronic) figuré), dominé par des claviers, guitares d’écoute !) de leurs compositions qui res- Le retour de Servovalve qui sort d’un long et effets ; on y croise même les fantômes de pectent tous les codes du minimal-dub silence avec ce troisième album elektro- John Balance et Peter Christopherson sur teutonique, mais avec une palette de sons dark-synth, souvent abrasif, parsemé un ou deux titres… > http://editionsmego.com élargie, plus dense et colorée (dixit Nemo, d’extraits de voix qui renforcent, parfois aka The Nautilus Project) que Seasons, leur avec humour ("Macrosense"), l’univers ThOMAS KÖNER précédent opus, et de nouveaux samples futuriste et inquiétant dans lequel Grégory "The futurist Manifesto" (Von) et field recordings en arrière-plan. et Alia nous entraînent sans ménagement. Plutôt abstrait, cet hommage à Marinetti > http://forestroots.de > www.m-tronic.com se présente comme une performance en forme de mini opéra pour "orchestre brui- OSTGUT TON / ZEhN (Ostgut Ton) SILK SAW "Imaginary Landscapes" (kotä) tiste, chanteuse, piano préparé et vidéos Parmi toutes les séries de compils mixées Gabriel Séverin et Marc Mœdea réac- erratiques". On retrouve en effet tous ces (Fabric, DJ Kicks, Cocoon…), on retien- tivent Silk Saw après 10 ans de sommeil. "ingrédients" dans cette pièce d’un peu dra, pour la saison, ce dixième volet du On les retrouve sur leur terrain de jeu fa- plus d’une demi-heure en vidéo sur DVD label affilié au Berghain, le fameux club vori, entre expérimental, IDM, post-indus en édition limitée. > www.vonarchives.com berlinois, qui balaie tout le spectre de et dark-ambient dispatchés au travers de la techno dark, mais clubby, au travers sonorités grésillantes, rugueuses, métal- d’un tracklisting sans concession (feat. liques, et un moment apaisant ("Enough Laurent Diouf

feedbacks / ReTOURs d’eXPÉRIeNce - mcd #81 - 91 feedbacks / > RETOURS D’EXPÉRIENCE

92 - mcd #81 agenda /

FESTIvalS / EXPOSITIONS / ÉvÉNEmENTS

MARS Chamonix Unlimited Festival. Recondite, Villette Sonique. 27 mai / 01 juin, Paris. Agoria, Agents Of Time, Chris Liebing, > www.villettesonique.com AV Festival 2016, meanwhile, what about Maceo Plex, … 07-11 avril, socialism?, jusqu’au 27 mars, Newcastle Vision’r. Paris. > www.vision-r.org Chamonix. > www.chamonix-unlimited.com (Angleterre). > www.avfestival.co.uk EMAF, European Media Art Festival. 20-24 JUIN Convergence, music + art + technology. avril, Osnabrück (Allemagne). > www.emaf.de , Lamb, The herbali- Art Basel. 16-19 juin, Bâle (Suisse). ser… 10-20 mars, Londres (Angleterre). Festival Exit. Collectif 33 1/3 & Rosa > www.artbasel.com Ensemble, Blanca Li & Maria Alexandrova, > www.convergence-london.com Bains Numériques #9, Mondes sensibles — Fouad Bouchoucha, Robbie Thomson, Biennale internationale des arts numériques Digital Choc 2016 : Futurama, festival des Thierry Fournier, David Wampach, Nicolas d’Enghien-les-Bains. Pierrick Sorrin, ORLAN nouvelles images et des cultures numériques, Lespagnol-Rizzi (Programme d’Éric Arlix), & Maël Le Mée, Françoise Dorocq & Luc jusqu’au 21 mars, Institut Français, Tokyo Massimo Furlan & Christophe Fiat… Vandromme, Joséphine Derobe, Daniel (Japon). > http://www.institutfrancais.jp 07-17 avril, Créteil. > www.maccreteil.com/fr Larrieu… 01-05 juin, Centre des Arts, Electrochoc, musiques actuelles et arts Intonal, experimental . Morton Enghien-les-Bains. numériques. Fingers In The Noise, Don Subotnick & Lillevan, rRose, LCC (Las > www.cda95.fr/fr/bains-numeriques Rimini, Panda Dub, Scratch Bandit Crew… CasiCasiotone), TM404, Thomas Ankers- ème 26 mars / 09 avril, Bourgoin-Jallieu. BIAN, 3 Biennale Internationale d’Art mit, SØS Gunver Ryberg, Stephen O’Malley Numérique… à partir du 03 juin. Montréal, > www.electrochoc-festival.com (Sun O)))), Jan Schulte, Acousmatic for the Québec / Canada. > http://bianmontreal.ca Electron, festival des cultures électroniques People… 21-24 avril, Malmö (Suède). de Genève. (exposition The Ship), > http://intonalfestival.com Elektra #17, Automata : L’art fait par les machines pour les machines… 01-05 juin, Adam Beyer, Agoria, Byetone, Cabanne, Mapping Festival, visual audio + deviant Camo & Krooked, Carl Craig, Grischa Montréal, Québec / Canada. electronics. 28 avril / 8 mai 07-17 mai, > http://elektramontreal.ca/fr/ Lichtenberger, helena hauff, John Tejada, Genève (Suisse). Kanding Ray, Matthew Dear, Michael > http://2016.mappingfestival.com Futur en Seine, le festival du numérique, Mayer, Mimetic, Oliver Lieb, Recondite, 09-19 juin, Paris. > www.futur-en-seine.paris Prix Cube 2016 + Festival Rendez-Vous du Rone, Todd Terry, Zion Gate… 24-27 mars, MAB16, Media Architecture Biennale 2016, Genève (Suisse). > www.electronfestival.ch Futur, jeune création numérique internatio- nale. 13-17 avril, Issy-les-Moulineaux. 02-04 Juin 2016, Sydney (Australie). Festival Tropisme. Collectif Scale, Franck > www.prixcube.com > http://mab16.org Vigroux, Mondkopf, Arnaud Rebotini… #SDBX5, Semaine Digitale Bordeaux. RYBN, Mutek. Atom TM, Burnt Friedman, Col- 22 mars / 8 avril, Chamonix. leen, Franck Vigroux & Kurt D’haeseleer > www.tropismefestival.fr Plapla Pinky & Robin Fox… 05-09 avril, Bordeaux. > http://citedigitale.bordeaux.fr pres. Centaure, Function, Orphx, Tim Festival VIA. Blanca Li & Maria Alexan- hecker… 01-05 juin, Montréal (Québec / drova, Cie Fuse, Shiny Shiny, False Colored Snowbombing. Prodigy, Andy C, Canada). > www.mutek.org/fr/montreal/2016 Eyes… 10-20 mars, Maubeuge. Skepta, Netsky… 04-09 avril, Maryhofen (Autriche). > www.snowbombing.com Secret Solstice. Goldie, Kerri Chandler, Lil > www.lemanege.com Louis, Skream, DJ Frimann, Visionquest… Fête de l’anim. 25-27 mars, Lille / Tour- Sonic Protest. Joachim Montessuis, Martin 17-19 juin, Reyjavik (Islande). Rev, Sister Iodine, Konono n1, People Like coing / Valencienne. > www.fete-anim.com > http://secretsolstice.is Us, Warum Joe, hans Joachim Irmler & Laval Virtual, salon international des tech- Jaki Liebezeit, ProjectSinge, Yves-Marie Sònar, music, creativity & technology. nologies et usages du virtuel. 23-27 mars, Mahé… 02-15 avril, Paris + Montreuil. Alva Noto, Ben Klock, Byetone, Cyclo, Laval. > www.laval-virtual.org > www.sonicprotest.com , John Talabot, Keri Chandler, King Midas Sound + Fennesz, Kode9 x Panoramas. Birdy Nam Nam, Agoria, MAI Lawrence, Laurent Garnier, Martin Messier Mr Oizo, helena hauff, John Talabot… (Field), Matias Aguayo, New Order, Paco 25-27 mars, Pays de Morlaix. Festival Extension. 03-20 mai, Osuna, Para One, , Skepta… > www.festivalpanoramas.com Paris / Ile-de-France > http://alamuse.com/ 17-18 juin, Barcelone (Espagne). Vidéoformes, festival international d’arts evenement/festival-extension-2016/ > https://sonar.es/en/2016 numériques, 17-19 mars + 02 avril , music, art and technology. Weather Festival. Adam Beyer, Collabs (exposition), Clermont-Ferrand. Jaron Lanier, David Katz, Mad Professor, 3000 (Chris Liebing & Speedy J), Tuskegee > http://videoformes.com Gary Numan, Laurie Anderson, sunn (Seth Troxler & The Martinez Brothers), O))), The Orb, Tim hecker… 19-22 mai, Ben Klock, Defekt, Loco Dice, Magda, AVRIL Durham (Caroline du Nord / États-Unis). Marcel Dettman, Robert hood, Scuba, Arte Concert Festival. Carl Craig, Brandt > http://www.moogfest.com SoulPhiction, Venetian Snares… 03-05 Bauer Frick, Chloé & Ivan Smagghe… Nuits Sonores. Motor City Drum juin, Parc des Expositions, Le Bourget. 15-17 avril, Gaîté Lyrique, Paris. Ensemble, Laurent Garnier, Seth Troxler… > www.weatherfestival.fr > http://concert.arte.tv/fr 04-08 mai, Lyon. > www.nuits-sonores.com

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ARTS & SCIENCES - mcd #81 - 97 who’s MCD - Musiques & Cultures Digitales TRADUCTION ANGLAIS > FRANÇAIS en vente en consultation: Publication trimestrielle Valérie Vivancos < [email protected] > en kiosques > Alès: Médiathéque Alphonse Daudet, DIRECTRICE DE LA RÉDACTION et librairies: 24 rue Edgar Quinet, 30106 Anne-Cécile Worms DIRECTION ARTISTIQUE (liste non exhaustive) > Anglet: Bibliothèque Municipale, < [email protected] > Yann Lobry < [email protected] > 12 rue Albert le Barillier, 64600 > Ajaccio: Relais Ceccaldi, > Bourogne: Espace Multimédia Gantner, RÉDACTEUR EN CHEF VISUELS COUVERTURE route du Ricanto, 20090 1 rue de Varonne, 90140 Laurent Diouf © Guy Ben-Ary, cellF. > Amiens: > Cergy: Médiathèque Visages du monde, < [email protected] > Différentiation de neurones au moyen 18 rue de La République, 80000 place du Nautilus, 95800 d'une teinture rouge fluorescente. > Angoulème: AngDis Centre E. Leclerc, > Chaumont: Médiathèque ENSIBB, RÉDACTRICE EN CHEF INVITÉE Photo: © D.R. 31 rue de la Madeleine, 16000 7-9 avenue Foch, 52000 (dossier thématique) > Annecy: 13 rue Vaugelas, 74000 > Creil: Médiathèque Antoine Chanut, Annick Bureaud < [email protected] > MCD est une publication > Arras: Relay Presse, place François Mitterrand, 60109 de l’association Musiques & Cultures Vestibule SNCF Arras, 62000 > Fontenay-aux-Roses, Médiathèque, RÉDACTEURS Digitales présidée par Hadda Fizir. > Belfort: 1 avenue du Général 6 place Château Saint Barbe, 92260 > Adrien Cornelissen de Gaulle, 90000 > Gardanne: Médiathèque Nelson < [email protected] > DIRECTEUR > Besançon: Relay Presse, SNCF Mandela, Bd Paul Cézanne, 13120 > Anne Quentin < [email protected] > Guillaume Renoud-Grappin Besançon, avenue de La Paix, 25000 > Gujan-Mestras: Médiathèque Michel > Biarritz: 2 rue Garderes, > Annick Bureaud < [email protected] > < [email protected] > Bezian, allée Mozart, 33470 > Casino, 64200 > Hyères: Médiathèque Saint-John Perse, Christian de Lutz > Bonifacio: Calata, place Théodore Lefèvre, 83400 < [email protected] > PUBLICITÉ & PARTENARIAT Muriel Knezek 5 quai Jérôme Comparetti, 20169 > Issy-les-Moulineaux: Le Cube, > Clarisse Bardiot > Bordeaux: Relay Presse, 20 cours Saint Vincent, 92040 < [email protected] > < [email protected] > Place des Quinconces, 33800 > Les Ulis: Médiathèque François > Dominique Moulon RESPONSABLE ÉDITORIAL WEB > Brest: Relay Presse, Mitterand, 13 rue du Forez, 91940 Vestibule SNCF Brest, 29200 > Lyon: Bibliothèque Municipale Part- < [email protected] > & RÉSEAUX SOCIAUX > Ewen Chardronnet > Caen: Relay Presse, Dieu, 30 boulevard Vivier-Merle, 69003 Muriel Knezek Vestibule SNCF Caen, 14000 > Marseille: Bibliothèque Départementale < [email protected] > < [email protected] > > > Calvi: Ceccaldi, Aérogare Gaston Defferre, 13003 Jareh Das Sainte Catherine, 20260 > Mauguio: Médiathèque Gaston < [email protected] > ABONNEMENT > Carcassonne: Baissette, 106 boulevard de la Liberté, > Jean Marc Chomaz < jean-marc. +33 (0)1 83 89 13 73 70 rue de la Barbacane, 11000 34130 [email protected] > < [email protected] > > Grenoble: 2 rue Molière, 38000 > Montreuil: Bibliothèque Robert Desnos, > Gaspard Bébié-Valérian > La Rochelle: Relay Presse, 54 rue Victor Hugo, 93100 ADRESSE < [email protected] > Vestibule SNCF La Rochelle, 17000 > Nantes: Le Lieu Unique, 2 rue Musiques & Cultures Digitales, > Laurent Catala < [email protected] > > Lille: 20 rue Saint Nicolas, 59000 de la Biscuiterie, 44000 8 rue du Général Renault, 75011 Paris. > Laurent Diouf < [email protected] > > Lille: SNCF Lille Europe 2, 59000 > Paris: Bibliothèque Couronnes, > > Lyon: 39 rue de St Cyr, 69009 66 rue des Couronnes, 75020 Manuela de Barros IMPRIMERIE: > Lyon: 57 place de la République, 69002 > Paris: Bibliothèque Oscar Wilde, < [email protected] > Escourbiac l'imprimeur > Lyon: 75 rue Massena, 69006 12 rue du Télégraphe, 75020 > Marianne Cloutier 258 rue Marcadet 75018 PARIS > Lyon: Relay Presse, > Paris: Bibliothèque Publique < [email protected] > Tél.: 01 44 85 04 21 SNCF Lyon Part Dieu 1, 69003 d’Information, 19 rue Beaubourg, 75004 > Marcus Neustetter < [email protected] > Certifié Imprim’Vert > Marignane: CCI Marseille Provence > Paris: BNF, rue Émile Durkheim, 75013 > Maxence Grugier < http://escourbiac.com > Aéroport, 13700 > Paris: Centre Musical Barbara Fleury < [email protected] > > Marseille: La Salle des Machines / Gouttes d’Or, 1 rue de Fleury, 75018 > Meredith Tromble < [email protected] > DISTRIBUTION: MLP Librairie La Friche, 13003 > Paris: IRMA, 22 rue Soleillet, 75020 > > Marseille: Relay Presse Esplanade > Paris: Médiathèque de l'IRCAM, Mónica Bello < @monica_bello > COMMANDE EN LIGNE St Charles, 13001 1 place Igor-Stravinsky, 75004 > Paul Prudence < [email protected] > < www.digitalmcd.com > > Marseille: Relay Presse > Paris: Médiathèque de la Cité de la > Pier Luigi Capucci Galerie Marchande, 13001 Musique, 221 avenue Jean-Jaurès, 75019 < [email protected] > Tous droits réservés > Menton: 25 avenue Félix Faure, 06500 > Paris: Médiathèque Edmond Rostand, > Regine Rapp ISBN 978-2-36807-036-9 > Millau: 1 rue Ferrer, 12100 11 rue Nicolas Chuquet, 75017 < [email protected] > ISSN 1638-3400 > Nancy: 85 rue Charles Keller > Paris: Médiathèque Musicale de Paris, > Valérie Pihet < [email protected] > Dépôt légal à parution: mars 2016. > Nantes: 9 rue de la Paix, 44000 Forum des Halles, 75001 > Nîmes: G.T.D. - CC, La Coupole des > Paris: NUMA, 39 rue du Caire, 75002 Halles, 22 Boulevard Gambetta, 30000 > Pau: Médiathèque André Labarrère, > Niort: 8 rue Victor Hugo, 79000 place Marguerite Laborde, 64000 > Paris: 107 avenue Ledru Rollin, 75011 > Perpignan: École des Beaux-Arts, > Paris: 2 rue des Petits Carreaux, 75002 3 rue Maréchal Foch, 66100 > Paris : 217 rue St Maur, 75010 > Reims: Centre culturel Saint-Exupéry, > Paris: 25 avenue des Gobelins, 75013 esplanade André Malraux, 51100 > Paris: 3 place Gambetta, 75020 > Rennes: Bibliothèque Les Champs Ce numéro > Paris: 318 rue Vaugirad, 75015 Libres, 46 boulevard Magenta, 35000 > Paris: 4 avenue Jean Jaurés, 75019 > Rennes: Le Jardin Moderne, a été réalisé avec > Paris: 62 rue Damremont, 75018 11 rue du Manoir de Servigné, 35000 le soutien MCD bénéficie du dispositif > Paris: 64 avenue de Versailles, 75016 > Rosny-sous-Bois: Espace Jeunesse - du Ministère > Paris: 67 rue St Honoré, 75001 Cercle J, 45 rue Gardebled, 93110 d'aides aux revues de la Région de la Culture Île-de-France. > Paris: 7 place de Clichy, 75017 > Saint Herblain: Médiathèque Herme- et de la > Paris: 95 avenue Philippe Auguste, 75011 land, rue François Rabelais, 44817 Communication. > Pauillac: E.M.B.S., > Saint-Denis: Synesthésie, 9 quai Léon Perrier, 33250 1 ter Place du Caquet, 93200 > Poitiers: 33 rue Carnot, 86000 > Sarcelles: Bibliothèque Universitaire > Quimper: 4 rue St Francois, 44000 de Cergy-Pontoise / Site de Sarcelles, > Rennes: 7 place de Bretagne, 35000 34 bd Henri Bergson, 95200 > Rodez: Tabac-Presse, > Strasbourg: Médiathèque André 1 boulevard d'Estourmel, 12000 Malraux, 1 presqu'île d'André Malraux, > Rouen: 66 rue Jeanne d'Arc, 76000 67076 > Saint-Brieuc: FJC Librairie, > Thionville: Bibliothèque Municipale, 13 rue St Guillaume, 20000 32 Rue du Vieux Collège, 57100 > Strasbourg: 4 rue du Faubourg > Toulouse: Centre culturel Bellegarde, de Pierre, 67000 17 Place Bellegarde, 31000 Site < www.digitalmcd.com > MCD est membre > Toulouse: 19 place du Salin, 31000 > Toulouse: Mediathèque José Cabanis, E-mail < [email protected] > du Réseau Arts Numérique (RAN) > Tours: Relay Presse, Vestibule SNCF 1 allée Jacques Chaban Delmas, 31500 Infos < www.facebook.com/digitalmcd > < www.ran-dan.net > Touts Quai A, 37000 > Tourcoing: Le Fresnoy, Vidéo < http://vimeo.com/digitalmcd/videos > > Uzès: 7 boulevard Gambetta, 30700 22 rue du Fresnoy, 59200 Réseau < https://twitter.com/mcd_mag > > Valence: 198 avenue Victor Hugo, 26000 > Villeneuve d’Ascq: Bibliothèque Univer- sité Lille III, rue du Barreau, 59650 > Villeneuve-Lez-Avignon: Bibliothèque du CNES La Chartreuse, 58 rue de la République, 30404 98 - 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