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Mauvais genres. et la parodie artistique au XVIIe siècle

BLANC, Jan

Reference

BLANC, Jan. Mauvais genres. Adriaen Brouwer et la parodie artistique au XVIIe siècle. In: Les Genres picturaux. Genève : Voltiges, 2008.

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:93663

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1 / 1 Mauvais g.enre.s. M rioer. O!ùU'IICr'.Ct la p<:~ rod ÎL' arHs:tîqf4~ ·:;.u 17" siècle

Il existe comme un mysti?rP. autour d~ kr c:.lHÎ,êre e~ de l'œ\IVre rl'Adri;~e•) ilfOtl'llef. Si !c vciulré ltollomJ;;i-; ~-;~ run des plus popu­ laires au lr s1ecle, t~ata m.ment aupri!s· d~~. an:fs~e(,· et des ;'lm.ne•r!S, ile!-t \ltrsst. CU(iCUrSC'ml•nl,l'ùn dc ~ri!u-; mCpri sCsparr~s lh<}oncicns de l'a,rt. Samuel ·;;u Hrxu.sl'!l.FN pari~ ~i Mi du .r..:reru)t~~ hm R r~-uwer» (! ont «il n ·y t.t ~iN'r à g~gué-r 'à •;uivfc» l'cxcmpl ~ [ 1û?8: 1!> J, l:: l prês de soixante ans ,glul'i tard, r.erard de 1'· '~ESS-E e'ie plique q !JP. l' «.)ft de peinture [ es't] um• îrniUI,l~IJ'I! _de la vit", q.•i pt:ul ~L·üui !e ou dégoüter un im e humain, 1. .. 1s i biM que $Î l'on '.'P.Ut bien -teprP.!'.~OtP.r l.'l Vie rie f.)ÇO f'l'le S.$~1'1'\b!~(I \C', ( ~1(-~ peintu re-; comme c~jl~s dL' l;irouwcrc) s~ront r.êceS- sairemP.nt contemp!P.P.s a·.·ec:_ du.clP.goût»~ -[ 1740· 1, t'7 t ]. Ce.svioiemeS-(fitilluC·:O . frét.;uénlc~ dJ I'1S les lH-Iilb d~ peinture du 17' e~ dU l 8'" si?.t:!e, !>ont pourtant sou·.,..ent tP.intê«!'. d'admirat ion. Fr. 1émoigoe 1' ~1;.~ li'A1riùhl HCOfP:.~Ef~ (lOi, réhanantt'an dé Brou'/ler a "'dé la satire (,;otte:ir.i< ), de la bouS~U ( S~•·.. Oil o•HI.w::;it élv lé':O idencc [ 17~9.-1721:1, 2 ~!i.]. Il i1L' serait pas difficile decompr""ndre.r.P.s Con~r;:~dict ions en en foi :;.,nt les trodvctiotlsde l~lfiéhotomic traditturincile du fond et de la. forme, ou en ex:pl;quaot que!~;; textes le~>' plu$ incisifs :'! féf!:ltd d-e BrnuwP.r Qnf été écrits ;~prè.s Sa fllûll, fllôl').qUL' o;a P.Opularîté_ a-.·~it dh ;u.l au profit· d ~sJijnsc~i.'deoo: (.!..iai~>·c:es,P.)(-plir.a tio n!'. ~1 !J~i! r:~ie-m ÎP. f.~ it que-, j)OIIf CeftOi(l$ lliéOi"ÎCicn':i <:ommL' _floubr,a J<.;:on OU là.ir~:.•o;·;c , fa «maniere» tmanierl de F.ro1Jwer. P.f>t ~g.'llflmP.I\t çritl­ qua~l~ e1 G !J~, pnu( n·;~ utr~S.IlOIÎS. ~t- Vt·rn:nl'). S(·~-sûJc\S ;:OmtqU(.'S;, .'~Onl i~Î'h.:tt.;~lcs. LES GENRES PICTURAUX GEN ÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSP OS ITIONS 85

Adriaen Brouwer, un peintre inconvenant et disconvenant incapable de trouver sa place. Ce décalage de Brouwer par rapport à son espace, son environnement, son milieu, se traduit aussi, chez les Pour comprendre la nature de ces reproches - ou de ces éloges-, il commentateurs, par un rapport conflictuel à la Loi, au sens large du apparaît nécessaire de se pencher à nouveau sur la réception de l'œu­ terme, qu'elle soit celle de son maître, Frans Hals, admirée mais aussi vre et de la vie de Brouwer. Àla lecture de nombreux textes publiés sur contestée, celle de l'art et du genre, ou celle encore de la société dans le peintre hollandais, de Cornelis de Bie [ 1661) à Gerard de Laires se laquelle vit le peintre - le séjour de Brouwer en prison, entre 1633 et ( 1740), un premier fait structural peut être relevé. Il renvoie à ce que avril1634, son goût pour le tabac et l'alcool, ses multiples dettes sont l'on pourrait appeler la «disconvenance» ou !'«inconvenance» des leitmotive de ses biographies. Pour le dire autrement, le person­ d'Adriaen Brouwer. Pour les théoriciens et les connaisseurs, il y aurait nage d'Adriaen Brouwer, sa vie, son œuvre, semblent faire, dans le quelque chose qui ne convient pas avec lui, ou plutôt qui ne lui champ de la pratique artistique du 1?• siècle, mauvais genre. Ce «mau­ convient pas. Le thème de son <

212r", 228r•, 233v", 257r", 299v"; REINIŒK 1979; RENGER 1986: 114, l'iconographie rustique est, à l'exception notable de la pastorale n.31]. y compris dans des histoires plus «sérieuses» - il cite une [CoRnus 1956], très souvent associée à l'art de la satire et de la leçon Crucifixion de Bruegel [ 1604: 233v"; MUYLLE 1984: 140]. Pour dési­ morale. De ce point de vue, les tableaux de Brouwer peuvent être gner ces artistes ou leurs œuvres, les auteurs utilisent presque décrits de deux façons: comme des attaques ou des projections. toujours les mêmes adjectifs [bootsigh, potsigh ), qui traduisent leur Dans le premier cas, l'image est, comme le suggèrent l'idée de la caractère «moqueur», «blagueur», «farceur» ou «comique». «peinture ridicule», présente chez Pline, et certains passages des D'autres caractérisations apparaissent, comme chez Felipe de biographies de Brouwer, une charge critique qui dénonce sous le voile GuEVARA, qui parle de Jérôtne Bosch en comparant ses tableaux aux de la représentation. Dans le second cas, le peintre ne peut que se «gryl/i d'An.tiph ile d'Alexandrie» ( 1788: 41; UNVERFEHRT 1980: 68; peindre lui-rnême. Il choisit, comme les frères Le Nain, des «sujets MIEDEMA 1985]. On retrouve la même analogie au sujet de Brouwer. pauvres», selon l'expression volontairement ambiguë d'And ré Dans l'inscription située sous le portrait gravé du peintre, dans Félibien, et peint «d'une manière peu noble» [FÉUBIEN 1679]. La satire l'Iconographie d'Anton van Dyck, Brouwer est lui aussi présenté se retourne contre elle-même et contre son auteur, qui s'y complaît comme un Gryllorum pictor Anverpiae [ MAUOUOY·HENDRICX 1956: 184; en cherchant à les mettre en cause. RuuRS 1974; SCHOLz 1985: 30]. Sans doute issus d'un nom propre, Ces interprétations se heurtent toutefois à trois problèmes. Elles assez répandu en Grèce, ces termes de gryllus ou de gryllos ont été tendent d'abord à simplifier le lexique employé par les peintres et les pour la première fois employés par PLINE, pour qualifiercertains théoriciens, en en proposant une analyse strictement iconographique tableaux «plaisants» Uocosis J d'Antiphile, «qui a peint de façon ridi­ et psychologique. Les termes de bootsigh ou de potsigh sont dérivés cule un nommé Gryllos, en l'affublant de façon grotesque; c'est du verbe bootsen, attesté dès le 16• siècle, qui signifie originellement pourquoi les peintures de ce genre sont appelées grylles» [ 1997: 114; (et encore au 1r siècle J «esquisser», «ébaucher», «modeler», MUYLLE 1986]. À la Renaissance, le tertne passe en italien. Lomazzo «figurer». Ce verbe est lui-même issu de l'anden français «boche» l'utilise pour parler des œuvres de Sérapion [ JUNIUS 1637: 1, iv, 1; PLINE ou «boce», qui désigne une pierre taillée de façon très grossière, et a 1997: 113-114] , expliquant qu'elles étaient peintes con estrema bizar­ sans doute donné le français «ébauche», l'italien bozzetto ou le néer­ ria et grilo [LDMAZZD 1584: 422].11renvoie .également à ce concept au landais naarbootsen, qui signifie <> est aussi dans la représentation. sottes gril/en» [ 1604: 85r"] . Le passage plinien est lui"mêtne repris, Cette ambiguïté est également notable dans l'adjectif drollig, fré­ en 1694, dans le Catalogus architectorum, mechanicorum, pictorum quemment employé depuis la fin du 16esiècle [ RAUPP 1987: 167-176]. a/iorumque artijicum de Franciscus JUNIUS [ 1694: 15]. Carel VAN MANDER, qui l'emploie au sujet de Jan Mandijn et de Jérôme Le champ lexical de ces descriptions est bien celui de la comédie ou Bosch [1604: 205r"JS, explique que Bruegel «avait beaucoup prati­ de la satire. Arnold Houbraken le souligne bien, qui évoque, par un jeu qué d'après le tour de main de Jérôme Bosch», et « a également fait de mot, la «satire » ( satterick) comme l'une des principales caracté­ de semblables diableries [spoockerijen) et drôleries [ drollen) qui lui ristiques de l'art de Brouwer. Mais de quel ordre est cette satire? ont valu par beaucoup le surnom de Pierre le Drôle». Il précise: «On L'interprétation traditionnelle consiste à interpréter les œuvres de voit aussi peu d'œuvres de lui qu'un spectateur ne puisse sagement Brouwer comme des satires de type social, en vertu des sujets privi­ contempler sans rire; et même s'il devait être sévère, morose et 4 légiés par le peintre et connotés de façon négative • Dans la culture sérieux, il ne pourrait au moins s'empêcher de sourire ou de grima­ populaire, les belles-lettres et les arts figuratifs de l'Ancien Régime, cer» [ 1604: 233r" ]. Pour Van Mander, si ces œuvres sont «drôles», GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 89 LES GENRES PICTURAUX

consiste, pour Brouwer, à se présenter comme un bouffon, à l'image ce n'est pas seulement parce qu ' elle~ donnen~ à voir des ~r~ature_s de ce que OuiNTIUEN disait des hommes qui font rire, «des bouffons, des monstrueuses et hybrides; c'est auss1 parce quelles sont SI b1en exe­ bateleurs, ou des fous» [ 1990: VI, iii]. Cette forme d'incarnation par le cutées qu'elles provoquent l'amusement et le plaisir joyeux .des bas, cette incorporation des matériaux iconographiques et de leur~ spectateurs. Philips ANGELsouligne de la même façon la forc.e com1que connotations éventuelles me semblent montrer que Brouwer souhai­ de certaines représentations, qui créent une sorte de h1atus avec tait expliciter la dimension satirique de ses tableaux, mais aussi qu'elle leur sujet: cela peut ainsi arriver quand les peintres veulent exprimer allait au-delà de la simple leçon de morale. des affects négatifs, comme «une tristesse intérieure» ou une dou­ Ceci est d'autant plus probable que Brouwer ne ressemblait très certai­ leur, «et qu'ils dessinent les traits [du visage] de faç.on _si lâche (so? nement pas à l'image que l'on a donnée - et qu'il a donnée - de lui - et /osselijke) qu'il en ressort souvent une touche de ga1ete _( bly-geest~­ ce sera le troisième problème que j'évoquerai ici. Le peintre était, au cheyt) » [ 1642: 38]. Et lorsqu'il commente la Jeune mere de Ger nt contraire, intelligent et cultivé, comme l'évoquent de Bie et Houbraken. 6 Oou , qu'il a pu voir dans les collections royales anglaises, John EVELYN (Ce contraste entre l'image légère d'un artiste et son intelligence pro­ exprime son admiration devant cette «drôlerie, ou plutôt cette cuisine fonde n'est pas rare chez les théoriciens. On le retrouve, par exemple, hollandaise, peinte par Oou si finement qu'on pourrait. pr~sque.la dans le portrait proposé par VAN MANDER de Pieter Aertsen, «un homme confondre avec de l'émail» (drolerie, or rather a Du teh k1tchtn, patn­ qui faisait peu de cas de lui-même, très médiocre et paysan d'ap­ ted by Dowe sa fine/y as hard/y ta be at al/ distinguish'dfrom ena mail) parence, si bien qu'on n'aurait jamais pu le considérer comme un [ 1955: Ill, 262; HECHT 1989: 54]. Le terme de «~rô l erie>> emplo.yé au artiste aussi grand si ses œuvres n'en avaient pas si fortement sens néerlandais, comme synonyme de «representation com1que» 0 témoigné» [1604: 243v ] .) Les acquis des recherches anciennes, 7 (clawnish representation ) [HECHT 1989: Il, 39], permet à Evelyn de qui nous relatent l'appartenance de Brouwer à plusieurs chambres souligner que le sujet du tableau l'amuse moins que la façon dont il est de rhétorique et sociétés littéraires, le confirment [VoN LERIUS et représenté, d'une touche si précise que l'illusion est presque totale. ROM BOUTS 1872: 66; VAN OEN BRANOEN 1882: 52, 54-55; UNGER 1884: 166). Ces témoignages semblent montrer qu'il y aurait, dans ces scènes de la vie quotidienne, peintes par des pinceaux libres (Brouwer) ou précis ( Oou), un aspect drolatique lié à la technique ou à l'art du pein- • 8 tre, et non pas seulement aux sujets . Adriaen Brouwer, peintre de la parodie Deuxième problème, posé à l'analyse traditionnelle des tableaux de Brouwer: le soin pris par Brouwer à se moquer de lui-même, et à l'idée Le «travail parodique» des tableaux de Brouwer concerne donc, qu'on se fait- ou que l'on veut se faire- de lui. Par~i les .portrai~s. qui d'abord, leur exécution et leur situation générique. Sur le plan de l'in­ nous restent du peintre, Anton van Dyck est le seul a le pemdre seneu­ vention, ils ne sont guère originaux [RAUPP 1987]. Aucun des thèmes sement. Et dans ses propres autoportraits, Brouwer n'a guère peur du abordés par le peintre n'est inédit. La Bataille des joueurs de cartes 9 dénigrement. Dans celui conservé au ~auritshuis , il se mo~~re bedon­ [ill.!), par exemple, reprend le modèle des estampes morales qui, dès nant mal rasé, les cheveux en bataille, et le tout touche a la façon le 16" siècle, illustrent les effets désastreux de l'ivrognerie et de la fo lâ• 0 d'un~ ébauche ou d'un madel/o. Et dans les Fumeurs l , où il se repré­ trerie ainsi que, sur le plan de la composition, celui des tableaux et des 11 sente, en compagnie de quelques amis peintres , dans le personnage estampes de Pieter et Jan Bruegel, Gillis Mostaert, Pieter van d.er regardant le spectateur, le peintre n'est guère plus à .son ~vantage. 0~ Borcht et de David Vinckeboons. Mais le tableau de Brouwer se dis­ pourrait réduire ces mises en scène, comme certams b1ogr~phes,.a tingue de ces modèles par de nombreux aspects en les renversant ou des traductions d'un caractère ou d'un tempérament vulga1re. Ma1s les altérant fortement. Brouwer choisit de placer la scène en extérieur; elles semblent plutôt s'inscrire dans une stratégie de construction ico­ mais le cadrage est resserré et limité à la scène de la lutte. Ce choix nique, où le peintre prend physiquement en charge la force comique et ne permet pas de mettre en relation, à la façon d'une chaine causale, «basse» de ses peintures en prenant la forme de ce qu'il représente. les différents aspects de la vie paysanne - la beuverie, la danse, la Cette «image» sert ici son art. Elle fait partie du pacte parodique, qui LES GENRES PICTURAUX GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 91

bagarre, etc. Brouwer arrache ainsi l'événement à la simple satire visuelles et génériques. Cette ambiguïté est une force, en ce qu'elle sociale.ll implique aussi davantage le spectateur, qui est «pris» dans est efficace sur le plan comique-même si de nombreux théoriciens, l'histoire, et n'en est plus détourné par des détails significatifs mais soucieux du principe de la clarté et de la convenance, la condamneront distrayants. La touche elle-même et la palette chromatique jouent un par aillet,Jrs. (QUINTILIEN remarque «qu'un mot plaisant a presque tou­ rôle important. Les pigments liés sont disposés par des lavis fins_et jours un côté faux, et par conséquent quelque chose de méprisable; transparents, sur un fond coloré clair, qui réunit les figures, les mot1fs que souvent même il repose sur une équivo.que qu'on fc!it naître à des­ et le fond, à l'aide notamment .de contours simplement esquissés et sein, ce qui n'est jatnais de la dignité d'un orateur» [ 1990: VI, iii).] de modelés abrupts, souvent traités avec la seule extrémité du pin­ Mais, au-delà de cela, elle traduit la dimension parodique d'un œuvre ceau, par de légères hachures colorées. Si bien que même si Brouwer qui, très souvent, s'appuie sur des représentations et des traditions place des motifs dans le fond de sa composition, ils sont fondus dans figuratives afin de les subvertir [GENETTE 1982: 19-23, 45; SANGSUE l'ensemble de l'image. De même, le resserrement de la palette autour 1994]. C'est bien en cela que les commentateurs ont pu voir ch ez d'un camaïeu de bruns et de verts sombres facilite tout autant l'unité Brouwer deux artistes en un: un peintre apparemment vu l gë;~ire, qwi se du tout-ensemble et évite ainsi la dispersion du regard qui se complaît dans le sordide de scènes basses; et un peintre plus cultivé, concentre sur la scène principale. jouant des conventions, des lieux et des codes. Bref: une attitude qui Le peintre fait ainsi passer la scène qu'il représente de la focalisation zéro, se rapproche assez de la définition donnée en 1561, par Jules-César caractéristique du jugement moral, à celle, externe, voire interne, de l'impl~­ SCALIGER, de la parodie (parôdia J, décrite par un moyen trouvé par «des cation empathique du spectateur. La disparition des légendes et du motJf amuseurs» d'introduire «subrepticement» «à côté [d'un] sujet de l'église, qui domine généralement ce type de composition, afin de sérieux (rem seriam]» «d'autres, ridicules (ridicula)», et cela «en 2 contextualiser la scène et d'inscrire symboliquement l'œil de Dieu dans et vue du délassement (remissionem) de l'esprit» [1561: 1, 42)1 • face aux scènes représentées, est un autre fait essentiel dans cette entre­ Cette dimension parodique de Brouwer touche essentiellement quatre prise d'appauvrissement du message moral. C'est également vrai des aspects de son a-rt. Le premier, qui vient d'être évoqué, est celui des spectateurs qui, au bout de la table ou devant la chaumière, ne participent thèmes, réinterprétés et souvent même renversés. Deuxième aspect: ni ne jugent la scène, mais semblent presque l'encourager du regard ou celui de l'exécution. Tout est fait, dans ses tableaux, pour que les lieux, des gestes. Ces recadrages permettent à Brouwer de se rapprocher des les personnages et les actions paraissent crédibles et représentés figures, de détailler leurs costumes, de préciser leurs attitudes, d'exagérer «sur le vif» (naer het /evên ). L'insertion du portrait de l'artiste ou de leurs expressions, qui deviennent à la fois plus explicites et, de ce fait,_ plus ses collègues dans ces œuvr.es, comrne dans les Fumeurs, ou de per­ drôles. Privée de ses attributs, l'histoire devient presque anecdotique, sonnages observant la scène principale, d'un autre côté, comme des absur.de. L:éparpillement de la cruche et des cartes, sur la table, exprime spectateurs à la fois dans et hors de l'image, joue le même rôle: créer peut-être, en un sens, la brutalité chaotique de la scène mais aussi l'irrup­ des «effets de réel», qui essaient de «singer» la nature; mais aussi, tion des aléas et de la non-causalité dans un tableau où, pourtant, c'est la dans le même temps, les désamorcer afin de souligner la puissance narration visuelle, traduite par l'enchaînement et l'enchevêtrement des trompeuse et illusionniste de la peinture. On ne s'étonnera donc pas figures, qui occupe la place centrale. de trouver, chez de nombreux théoriciens de l'art, des définitions de Un tel tableau ne se présente donc ni comme une simple comédie la peinture la présentant comme une «aimable séduction (aen­ picturale, ni comme une naïve leçon morale [ ALPERS 19?2-19?3; 19?5- lockinge) »,remarquables «par leur tromperie (bedrieghelijkcheydt) » 19?6; MIEOEMA 19??; ALPERS 19?8-19?9; VANOENBROECK, 1984]. Brouwer [ JUNIUS 163? ( 1641]: 42-43], ou expliquant que «nous aimons outre ne vide pas son œuvre de tous les éléments à connotation symbo­ mesure être trompé par une fausse semblance des choses [een val­ lique; il joue avec eux, .comme avec les pièces d'un puzzle qu'il tente sche gelikenis der dingen) » [ BRUI'JE1 665: 304-305). Les biographes et de refabriquer. Et.si l'œuvre fait r-ire, ce n'est pas seulement par son leurs topai ont, de ce fait, partiellement raison. En expliquélnt que sujet rustique ou ses personnages ridicules; c'est aussi par sa struc­ Bruegel s'est attaché à la représentation du monde rural après avoir ture, qui surprend le spectateur en déjouant certaines habitudes lui-même fréquenté des villages paysans et des tavernes malfamées 13 LES GENRES PICT URAUX GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANS POSI TIONS 93

ou que Brouwer a représenté les cabarets qu'il fréquentait lui-même, qu'Arnold Houbraken propose du Combat des joueurs de cartes (ill.2). ils ne disent pas l'histoire; mais ils donnent des clefs pour comprendre Il commence par renvoyer le tableau au genre du «combat» ou de la les œuvres de ces peintres, plus proches de la vie que celles des pein­ «bataille» (gevecht), plus spécifique de la peinture d'histoire [VAN tres d'histoire. C'est précisément cette collusion de la vie et de l'art que HooGSTRATEN 1678 ( 2006 J: 79, 108]. La description elle-même met l'ac­ le peintre cherche à mettre en scène dans ses tableau~. Et son sym­ cent sur les dimensions narratives du tableau. Elle insiste sur la bole est le singe ( aep), que Corn elis de BlE rapporte à l'art de Brouwer, perfection du rendu de l'action et sur la clarté de la composition et de 19 en le comparant à une «singerie» ( aepery) [ 1661: 94 ps; et que l'invention, alors même que le sujet ne s'y prête guère : HouBRAKEN associe à son portrait du peintre [ 1718-1721: Ill, 194)]. un L'un [des personnages ] frappe un autre avec une chope de bière sur la tête; un autre est singe qui traduit la mimésis fidèle [JANSON 1952], mais aussi, chez de jeté au sol, dont la lividité ( doodverf) avait gagné le teint, mais semble toutefois vouloir nombreux auteurs du 17• et du 18• siècle, l'art de la parodie. se venger avec son épée, qu'il cherche, dans la lutte, à sortir de son fourreau. De l'autre Troisième aspect parodique: celui qui concerne les modèles. Dans côté, on en voit un en pleine colère, avec le couteau dans la main, se levant de sa chaise, comme s'il voulait surgir entre les combattants. Au loin, on en voit un autre qui descend son Combat de joueurs de cartes [ il1.2). Brouwer fait dériver l'une des en toute hâte des marches, avec une pince dans la main. figures de son tableau du prototype du fameux groupe d'Hercule HOUBRAKEN ( 1718-1721: 1, 254-255 J dominant Cacus, longtemps attribué à Michel-Ange, abondamment 16 La convenance et le naturel dans l'expression des passions sont éga­ copié au 16• et au 17" siècle , et cité dans plusieurs tableaux hollan­ lement évoqués, tout comme l'alliance du dessin et du coloris: dais. Dans les deux cas, les modèles subvertis le sont de plusieurs Tout dans l'apparence [des figures] était représenté avec beaucoup de naturel, suivant façons: par une recontextualisation de type burlesque; par une la nature des passions, et dessiné de façon si merveilleuse (verwonderlyk), avec taht déperdition de leur éventuelle signification symbolique - la victoire de fermeté [vast) et peint avec tant de relâchement (/os) qu'il a bien pu faire de cette de la Vertu sur le Vice, pour le groupe d'Hercule et Cacus [VAN MANDER œuvre le chef-d'œuvre [proefstuk) de son art. 1604: 79v• [Wtlegghingh] ; HECHT 1989]; et par une charge caricatu­ HOUBRAKEN (1718-1721: 1, 254·255] rale des attitudes des figures, qui marque l'effet comique de la Autant d'éléments relevant traditionnellement des qualités néces­ représentation et sa distance parodique. saires à une grande peinture d'histoire. Faudrait-il lire une telle Ces tableaux jouent donc aussi - quatrième et dernier aspect que œuvre comme une métaphore métacritique de la «guerre des j'évoquerai ici - avec leur sujet et avec leur genre, qu'ils choisissent genres">, entre les peintres de genre (les pa!:jsans) et les peintres de citer, de manipuler et de transformer, sur le mode ludique de la d'h istoire (les soldats)? Ce n'est pas exclu, pour autant que ce parodie burlesque [GENETTE 1982: 179-181] . Sans doute n'est-ce pas «combat» soit compris, comme c'est le cas chez la plupart des théo­ un hasard si le contexte dans lequel Brouwer produit ces tableaux est riciens du 17• siècle, comme une saine émulation entre des artistes 19 celui de l'émergence, en It alie et en France, du genre littéraire du soucieux d'accéder au rang le plus'élevé de leur·profession • Et cela «travestissement burlesque», fondé sur la réécriture ou la transpo­ coïnciderait avec le portrait qu'Arnold HouBRAKEN nous dresse du sition d'un style grave en style familier, voire vulgaire, et l'usage de jeune Adriaen Brouwer, hésitant sans cesse, dans l'atelier de son techniques éprouvées [substitution aux thématiques morales, maître, Frans Hals, .entre le désir de l'imiter et de lui exprimer son res­ mythiques et historiques des sujets plus familiers et anecdotiques, pect, et le souhait d'échapper, dixit HoUBRAKEN, à son « esclavage» 17 anachronisme, détails incongrus) • Le terme de «burlesque», d'ail­ [slaverny] [ 1718-1721: Il, 252-254] . leurs, est utilisé par BULLART pour décrire l'art de Brouwer: « Comme Toujours est-il, on le voit, que la parodie peut être lue, ici aussi, Rubens et Van Dyck tenaient en ce temps-là le haut rang dans le comme un moyen plus que comme une fin. Comme le carnaval, magnifique et le sérieux, [Brouwer] le tenait dans le facétieux et le thème de prédilection des «peintres de genre» depuis Pieter Bruegel burlesque» [ 1682: Il, 487]. l'Ancien, la parodie est un processus à la fois destructeur et Dans ce registre, Brouwer joue clairement des ambigüftés génériques construct.eur [SANGSUE 1994: 32]. En proposant une lecture critique pouvant exister entre ses œuvres et celles, plus nobles, de la peinture des peintures de genre et d'histoire, Brouwer se présente comme d'histoire. L'exemple le plus éloquent dé ce travail est la lecture GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSI TI ONS 95 LES GENRES PICTURAUX

tendent à distinguer très nettement la forme et le fond, en faisant de leur adversaire, mais aussi leur collaborateur. Il pointe les conven­ la qualité artistique et technique le principal objet de la critique, tions, les usages sclérosés, souligne certains travers, et incite ainsi comme c'est le cas chez Isaac Bu liart: à un certain nombre d'amendements [SANGSUE 1994: 44-46]. C'est toujours exceller en cet art de bien peindre les choses, de quelque qualité qu'elles C'est en cela que l'on peut mieux comprendre le mystère autour de la soient, puisque sa fin est d'imiter le naturel. Le mérite du travail ne vient pas tant du sujet carrière et de l'œuvre de Brouwer. Par sa dimension comique, bur­ exprime que de la fidél ité de l'expression, et il est certain qu'une action vulgaire ou lesque et parodique, qui remet en jeu une grande partie des règles de grossière, parfaitement représentée par le pinceau, aura toujours plus d'approbateurs l'art et des genres de la peinture, l'œuvre de Brouwer ne pouvait que qu'une pompeuse et éclatante qui le sera de mauvaise grâce. se prêter à ce malentendu. Plus: elle les alimentait, e~ d_éterminant u~ 8ULLART[ 1682: Il, 487) double horizon d'attente: celui des amateurs de comed1es et de repre­ Réduire une telle lecture des œuvres de Brouwer à une louange de sentations burlesques; et celui des connaisseurs et des peintres. l'«art pour l'art» serait sans doute exagéré. Cette idée me semble, Deux horizons qui, coupés l'un de l'autre, dans la plupart des cas, dans cette formulation, impropre à la période moderne, où la produc­ expliquent en grande partie les lectures négatives. de l'œuvr~ ~e tion des œuvres d'art demeure toujours associée à un marché ou un Brouwer proposées par certains commentateurs qu1 n ont pas sa1s11e système de commandes, et intégrée dans une logique de corps et second degré sur lequel elles sont fondées. d'institutions. Mais il est clair que la «peinture de genre», en général, Ces constatations appellent trois dernières remarques. D'abord pour et les tableaux comme ceux de Brouwer, en particulier, questionnent souligner que ce travail du genre dans l'œuvre de Brouwer con~rme davantage cette problématique de la forme et du fond et, au-delà, de l'idée que les «genres», pour l.es peintres flamands et hollan?a1s du l'existence possible de règles transgénériques. Je citerais, pour le sou­ 17" siècle, sont des modalités plus que des normes de representa­ ligner, un exemple: celui du peintre Antoine Coypel qui, distinguant le tion. Ils induisent une certaine approche de la mimésis. Ils appellent style bas des peintres de genre et le style haut des peintres d'histoire, des sujets, sans qu'un lien direct et définitif puisse unir des conte· explique que «le style le plus bas doit avoir sa noblesse» [MÊROT 1996: nus et des formes. Mais ils sont aussi plus plastiques et poreux qu'on 442], ce qui lui permet d'exprimer son admiration pour les «petits a pu le montrer. Faire de Brouwer un artiste transgressif ou révol~_­ tableaux des Flamands et des Hollandais», qui manquent certes du tionnaire serait anachronique et absurde. Non seulement parce qu 11 «choix», de la «noblesse» et de !'«élévation» des peintures d'histoire, n'est pas le seul à réinterroger le!:ô limites des genres à son_ é?oque, mais qui, «dans les sujets qui leur conviennent, [ ... ] sont quelque­ mais aussi parce que les genres ne sont pas des cadres ng1des et fois parfaits, même par la naïveté des expressions» [MÊROT 1996: étanches qu'il faudrait dépasser ou détruire. . . 414]. L'origine littéraire et rhétorique de cette opposition est confir­ Deuxième remarque: ce travail parodique du genre - et plus specifique­ mée ailleurs: «Le Kalf, dans les objets qu'il a imités d'après nature, ment de la peinture de genre - permet de comprendre le goût propre me paraît parler le langage de la peinture aussi bien que le Giorgione des peintres pour Brouwer, et sa présence presque absco_nse d~ns et le Titien, avec la différence qu'il ne sait pas dire d'aussi grandes l'Iconographie de Van Dyck. Pour ce dernier, Brouwer ne deva1t pas etre choses que ces grands maîtres de l'art». Différences de signifié, un simple peintre de tavernes et de tabagies. Par s~n art et par se_spro­ donc, et non différences de signifiant. Des sujets dissemblables, vocations, il encourageait les artistes-et, au prem1er chef, les p~mtres mais un vocabulaire et une grammaire comparables, bref: une d'histoire- à remettre en cause un certain nombre des conventions de langu~ en commun. leurs œuvres, et à faire évoluer les règles de leur ~rt. La «peinture de genre» est ainsi un discours «classique», au sens don_n~ à cet adj~c­ tif par Barthes. Elle est d'abord référentielle; et elle part1c1pe, au moms 1 Dans la lîste des peintres incriminés figurent également le Bamboche, Adriaen en partie, au renforcement du discours qu'elle prétend mettre en ques- van Ostade et Jan Miense Molenaer [LAIRESSE 1740: 1, 174]. tion, péilr le fait même qu'elle le met en question_. . . . 2 L'anecdote est reprise par Houbraken. 1627 est l'année de la première, sans Troisième et dernière remarque: l'aspect qualitatif de certames eva­ doute à Amsterdam, d'une pièce de Pieter Nootman, intitulée Den constrijken en luations des tableaux de Brouwer. Ces jugements, souvent élogieux, LES GENRES PICTURAUX GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 97

wijtberoemden jang man Adriaen Brouwer. schilder van Haerlem { Adrioen Brouwer. vers burlesque de Oufresnoy ( 1649), l'Ovide bouffon ou les Métamorphoses le jeune homme riche en art et très-réputé peintre de Haarlem). La même année, burlesques de Ri cher [ 1649), la Guerre d'Énée en Italie appropriée à l'Histoire du Brouwer répond à Nootman par un poème [UNGER 1884: 166]. temps en vers burlesques de Barciet [ 1650), l' Énéide enjouée de Brébeuf ( 1650), 3 111e dit au sujet de Brouwer, mais aussi de Gillis Mostaert, de Jan Steen et l'Art d'aimer travesti en vers burlesques de O.L.B.M. [ 1650), l'Ovide en belle d'Abraham Oiepraem [HooBRAKEN 1718-1721:111,10, 79, 93,192]. Voir aussi SCHOLl humeur d'Assouci [ 1650), l'Odyssée en vers burlesques de Pi cou ( 1650) ou le [1985: 15-17]. Virgile goguenard, ou le xiie livre de l' Énéide travesti, puisque travesti il y a de 4 Petitjean ( 1652]. Sur ce sujet, voir GENETIE [ 1982: 78-79]. Sur la satire chez Brouwer, voir MAETERUNCK [1903]; RAUPP [ 1987]. L'histoire de ce 18 genre est précoce. On en trouve plusieurs exemples dans le De inventoribus rerum Selon Carel VAN MANDER, la principale caractéristique de la peinture d'histoire est le de Polydore VIRGILE ( 1490: 104-107 (1, xi)). fait qu'elle amène à la représentation des figures humaines en action [ 1604: 5 0 0 192v"]. C'est pourtant aussi, on le voit, une prérogative d'une partie non Voir aussi VAN MANDER [ 1604: 233r , 261r , 268v"). négligeable des «peintures de genre». 6 Gerrit Oou, La jeune mère, 1658, La Haye, Mauritshuis. 19 L'image de l'art ou de la peinture comme champ de bataille est fréquente [VAN 7 Attesté dès le 15esiècle, le mot clown, dérivé du frison klan ne ou klünne, un HooGSTRATEN1678 (2006): 6, 75, 189 ]. Quant à la description de la concurrence sur personnage rustique et mal élevé et, par extension, un fou, un bouffon, le mode du combat, elle est topique: «C'est ainsi, en se combattant les uns les notamment sur scène [HOAO 1986: 81]. autres, que les anciens de l'Antiquité ont recherché la beauté parfaite» [VAN 0 8 L'idée est également présente dans le champ des belles-lettres et de la HOOGSTRATEN 1678: 216}. Voir aussi PLINE ( 1997: XXXV, 83 }; VAN MANDER [ 1604: 78r ); rhétorique. Comme le souligne QUINTILIEN, dans un autre contexte: «Nous ne rions JUNIUS ( 1637 ( 1641): Il, Xl , 1); VANH OOGSTRATEN [ 1678: 237-238, 331-332, 360). pas seulement de ce qui est dit spirituellement et avec grâce, nous rions encore de ce que font dire ou faire la bêtise, la peur, la colère» [ 1990: VI, iii). 9 Adriaen Brouwer, Autoportrait, v.1635, La Haye, Mauritshuis. ALPERS, Svetlana [ 1972-1973]. «Bruegel's Festive Peasants», Simiolus, 10 Adriaen Brouwer, Les fumeurs, 1637, huile sur bois, 46 x 36,5 cm, New York, vol.6, pp.46-50. Metropolitan Museum of Art. ALPERS, Svetlana [ 1975-1976]. «Realism as a Comic Mode: Low-Life u Selon le témoignage de WEYERMAN, relayant celui de Ka rel de Moor, Brouwer se Painting Seen Through Bredero's Eyes». Simiolus, vol.8, pp.115-144. serait représenté, dans ce tableau, en compagnie des peintres Jan Oavisdz. Oe ALPERS, Svetlana [ 1978-1979]. «Taking Pictures Seriously: A Reply to Hessel Heem et Jan Cassiers [ 1729: 1, 70 ]. Sur ces «effets de parodie», voir notamment Miedema». Simiolus, vol.10, pp.46-50. GENETTE ( 1982: 179]. ANGEL, Philips [ 1642 ]. Lof der schilderkonsr. Haarlem. 12 Je cite la traduction, légérernent modifiée, de Gérard GtNtl lt:. [ 1982: 24-25]. Voir encore, pour des définitions plus tardives, GENETTE [ 1982: 2?, 31]. Blf, Corne lis de [ 1661]. der schilder-const. Lier. 13 On le dit aussi d'Adriaen Brouwer [HoUBRAKEN 1718-1721: 1, 260]. BJNSFELD, Wolfgang [ 1976]. Grylloi: ein Beitrag zur Geschichte der antiken Korikatur, thèse. Cologne. 14 L'exemple le plus connu de cette identification est celui de Pieter Bruegel, décrit par VAN MANDER allant étudier incognito les attitudes des paysans sur le vif [ 1604: BREOJUS, Abraham [ 1915-1922]. Künstler-lnventare. Urkunden zur 0 Geschichte der hollandischen kunst des XVIten, XV/Iten und XV/1/ten 233r ] . Jahrhunderts. La Haye: Nijhoff, 8 volumes. 15 Cette thématique est, chez Corn elis de B1E, reliée à d'autres artistes comme Gillis Mostaert, qui peignait de si «jolies et comiques plaisanteries» (aerdighe en BRUNE, Johan de [ 1665]. Alle volgeestige werken . Harlingen. vremede boetserijen) qu'il était un «singe de la nature» [ aep der naturen) [ 1661: BuLLARr,lsaac [1682}.Acodémie des sciences et des arts. Amsterdam, 2 79 ]. volumes. 16 Voir par exemple Stefano Maderno, Hercule dominant Cacus, v. 1621, terre-cuite, CURTJUS, Ernst Robert [ 1956]. La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Ven ise, Casa d'Oro. trad. de J. Bréjoux. Paris: Presses Universitaires de France, coll. «Agora». 17 En Italie, on peu t citer le Schema degli dei de Bracciolini [ 1618), I' Eneide De PAUW-OEVEEN, Lydia [ 19 69]. De begrippen <

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111.1 - Adriaen Brouwer, LoBa toi/le des joueurs de cartes, 1620-163.0, Amsterdam, Rijksmuseum 111.2-Adria en Brouwer, Le Comboc desjoueurs de carres, 1631-1635, Munich, Alte Pinakothek La « hiérarchie des genres». Histoire d'une notion tactique et occasionnelle

Jan Blanc

«Pour exprimer leurs pensées, [certains peintres] se sont servis d'une manière simple et serrée. Les autres, qui ont eu un génie plus élevé, ont peint avec plus d'éclat et plus d'étendue. Mais quoique les productions d'esprits sublimes et magnifiques soient les plus .consi­ dérables, les autres néanmoins peuvent être excellents dans leur genre et d'une bonté qui les doit faire estimer». Cette déclaration, frappante par son esprit d'ouverture et par l'accent qu'elle met sur la qualité intrinsèque des œuvres d'art plutôt que sur leur «genre»1 ou le nom de leur auteur, est signée d'André FÉLIBIEN [1666-1688: IV, 216], l'un des théoriciens auquel on renvoie pourtant le plus volontiers pour justifier l'existence supposée d'une véritable hiérarchie des genres, régissant la pratique des artsvisuels à l'âge classique. Comment penser cette contradictîon? Félibien est-il, comme on le prétend souvent, à travers la lecture de sa fameuse préface pour l'édition des Conférences de l'Académie royale de peinture et de sculpture ( 1668), le penseur de la «hiérarchie classique des genres», selon l'expression de Nadeije Laneyrie-Oagen [LICHTENSTEIN 1997: 604]? Ou fait-il preuve de davantage de relativisme qu'on ne l'a prétendu? De façon plus générale, existe-t-il réellement une hié­ rarchie des genres à la période moderne? Pour répondre à ces questions, et plutôt que de proposer l'histoire trop schématique d'une notion par ailleurs flottante et difficile à cerner en quelques pages, cet article démontrera, en remontant le fil terminologique et conceptuel de ces classificat.ions normatives des genres jusqu'à leurs sources antiques, et en explicitant la diffusion des notions empruntées à la rhétorique classique dans la littérature artistique, que la «hiérarchie des genres» est une notion secondaire dans les théories picturales modernes, qui ne surgit presque toujours qu'en répondant à un contexte spécifique ou à des stratégies particulières de valorisation ou de dévalorisation. LES GENRES PICTURAUX GE NÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITI ONS 137

«Genres du discours» et «genres de style» [deliberatiuum) .Ici, comme chez Aristote, un genre n'est jugé «infé­ L'idée que les œuvres d'art puissent être classée~ en fonction de l~ur rieur» qu'en fonction de la spécificité trop grande de sa destination contenu ou de leur destination est, pour l'essentiel, un emprunt a la et de son niveau de langue. Cicéron délaisse ainsi le genre épidic­ rhétorique antique. Dans sa Rhétorique, ARISTOTE définit cet art tique [ demonstratiuum, laudatiuum, panegyricum) parce qu'il se comme celui de «bien dire» et de ~>, le «style moyen» et le «style simple>)., «maigre'>> ou < ( kharaktêres tou Jogou). . topique. Ils sont définis comme des modalités techniques de lan­ Les trois «genres de discours» sont distingués_selon le~r destJ~a­ gage, qui permettent d'infléchir le discours, dans un sens ou dal"ls tion et leur fonction: le délibératif [sumbou/eutJkon), qUI conseille l'autre, afin de susciter des émotions et des réactions différentes de la ou déconseille; le genre judiciaire [dikanikon), q.ui accuse ~t part du public. La hiérarchisation péripatéticienne du style moyen, défend; le genre épidictique [ epideiktikon), appelé ~ncore lau ~at1f plus propre à toucher le grand nombre, n'est plus de rigueur. Chaque (enkômiastikon) ou panégyrique [panêgurikon), qUI loue et blame «genre» offre ses spécificités,.ses avantages et ses inconvénients, et [ 1, 3-15] . Les trois «genres de style», quant à eux, correspondent n'est comparable aux autres qu'en termes d'effets et de contraintes originellement à une description stylistiqu~ différenciée d~s _vertus discursives. QUINTILIEN le souligne, qui associe des fonctions différentes des personnages homériques: le «style Simple» pour Menelas, le aux trois genres [ 1990: Xli, 10, 59}: émouvoir (grand style). plaire «style moyen» pour Nestor et le «style élevé» pour Ulysse (style moyen) et instruire (style simple). De ce fait, l'orateur achevé [QuiNTILIEN 1990: Xli, 10, 64; AuLU-GELLE 1967-1998: VI, 14, ?]. Cette n'est pas celui qui maîtrise le genre supérieur, mais celui qui les maî• distinction s'est ensuite étendue à celle de la langue des grands trise tous [DENYS o'HALICAnNASSE 1988: 2, 4). rhéteurs -Lysias (style simple), Isocrate [style moyen) et La diversité de ces analyses rhétoriques, privilégiant une hiérarchi­ Démosthène [style élevé). Ces classifications ne sont pa_s seule­ sation [Aristote) ou prônant au contraire un point de vue relativiste ment techniques. Elles sont aussi fondées sur une promotion d~ l.a (Denys d'Halicarnasse] sur les pratiques du discours, est très pré­ harangue populaire, plus belle parce que plus gén~rale et plus diffi­ sente dans les théories artistiques antiques. Pour ARISTOTE, la pratique cile: «Haranguer est plus difficile que de plaider; et cela se de la peinture suppose, comme celle de la rhétorique ou du théâtre, comprend: dans le premier cas, on s'occupe de l'aveni_r, _et _d~n7 le une hiérarchisation de ses effets et de ses fonctions: «Puisque ceux second, du passé» [ARISTOTE 1991: Ill, 1418a]. La supenonte dun qui imitent imitent des personnages agissant qui sont forcément ou genre sur un autre tient à son universalité, liée à la d~fficulté du nobles ou bas [ ... ], ils les imitent ou meilleurs ou pires ou bien sem­ domaine auquel il peut ou doit s'attacher: celui du vratsemb/able blables, comme le font les peintres: Polygnote les peint en mieux, plutôt que du vrai. . . , Pauson en pire etDionysiostels quels» [1997: 2, 1448a1-6]. Toute la Pour les théoriciens romains, les données sont sensiblement diffe­ question est donc de savoir si cette distinction est normative ou sim­ rentes. La question importe peu de discuter de l'utilité d'ajouter de plement classificatoire. Poyr Aristote, qui privilégie la représentation nouveaux genres à la tripartition générique de la rhétorique_g~ecque générale des actions et des passions de nobles caractères, la [QuiNTILIEN 1990: Ill, 4; CICÉRON 1950: Il, 43-64], ou de la pr_e~er_enc_e réponse est sans appel: «il faut que les jeunes gens contemplent non pour le genre judiciaire [iudiciale J plutôt que pour le deliberatif pas les œuvres de Pauson mais celles de Polygnote ou de tout autre peintre ou sculpteur qui représenterait des dispositions éthiques» LES GENRES PI CTUR AUX GI:NÈS E, MÉTAMORPHOS ES ET TRANSPOS ITIONS 139

[VIII, 5, 21]. L'argument est répété et explicité: «en peinture, Zeuxis seulement préféra le tableau, mais le mit en bonne place dans sa se trouve, de ce point de vue, en mauvaise position pa r rapport à chambre à coucher>> [2006: 44, 2 [Tibère)]. Polygnote, car Polygnote est un bon peintre de caractères alors que la peinture de Zeuxis ne laisse aucune place au caractère>> [ARISTOTE 199?: 6, 1450a2?-28] . D'autres auteurs semblent vouloir appliquer la grille de lecture aristo­ Hiérarchies et exclusions télicienne aux arts visuels. Ainsi de PLINE [199?: XXXV, 114], qui oppose les sujets «petits» [parva) et «comiques» (com icis) de Ces théories artistiques antiques demeurent des références incon· Piraïkos, Kalliklès et Kalatès aux «grandes>> œuvres d'Apelle, tournables pour les textes modernes, à travers le travail de traduction Aristide de Thèbes et ses disciplines, et souligne le «style moyen» et d.e diffusion de compilateurs qui, comme Franciscus Junius, n'ont d'Antiphile qui « réussissait dans les deux genres>.> futraque de cesse de reprendre et d'amplifier les passages dtés et les Antiphilus). Pour d'autres auteurs, en revanche, les «peintres d'ob­ concepts qu'ils mettent en œuvre, mais aussi de répéter les mêmes jets vils» (rhyparographos) ou de «menus objets>> [rhopographos )2 hésitations quant à la hiérarchisation des distinctions génériques3• ne sont pas nécessairement de «vils peintres>>. Faisant l'objet d'un Dans son De pictura, Leon Battista ALBERTI semble faire primer, en sou· véritable engouement, à l'époque alexandrine, pour ses tableaux de lignant que «le sommet de l'œuvre du peintre est la représentation genre ou de natures mortes, le peintre Piraïkos est loué par Pline, qui d'une histoire [historia]>>, les principes de généralité et de vraisem­ parle des «artistes dont le pinceau s'est illustré dans des genres pic­ blahce défendus par la poétique aristotélicienne [ 1435: Ill, 60 J: «il turaux mineurs [minoris picturae) »: faut prendre soin d'apprendre - autant que le permet notre tempéra­ Bien qu'il fût inférieur à peu de peintres sur le plan de l'art,je ne sais si, par son choix déli­ ment- à bien peindre non seulement l'homme, mais aussi le cheval, béré, il ne s'est pas faït du tort, puisque, tout en se bornant à deSsuJ ets bas, il n'en a pas le chien, les autres êtres vivants et tout ce qui est particulièrement moins atteint dans le genre le sommet de la gloire.ll a peint de's boutiques de barbi ers et digne d'être vu, afin que la variété et l'abondance des choses, sans de cordonniers, des ânes, des comestibles et d'autres sujets du même ordre [ ... ] , fai­ lesquelles aucune représentation ne suscite d'éloges, ne viennent à sant montre en cela d'un choix fort habile, car le prix de tels tableaux monta bien plus que manquer le moins du monde dans ce que nous faisons». Mais le théo­ les trés grandes compositions de nombreux maîtres. PliNE ( 1997: XXXV, 112-113] ricien s'empresse de souligner, en précisant so définition de l'historia [une «composition>> comportant plusieurs figures en action, autant Parrhasios d'Éphèse fait l'objet d'appréciations tout aussi ambiguës. qu'un «récit>>), que ces indications relèvent moins d'une conception Même s'ils critiquent parfois son caractère orgueilleux et son mode hiérarchique de la pratique picturale que d'une taxinomie éthique: de vie excentrique, les auteurs reconnaissent tous l'ingéniosité «Ainsi une aptitude différente a-t-elle été donnée à chacun; de fait, la remarquable du peintre grec {ingen ium ), notamment dans la repré­ nature a doté les divers tempéraments de qualités particulières, dont sentation de l'act ion et l'expression des passions 69], tout [XXXV, pourtant nous ne devons pas nous satisfaire au point de laisser inex· en soulignant le goût part iculier de l'artiste pour les « tableaux éro­ pl orées les voies d'un possible dépassement>>. tiques» ( tabel/is /ibidi nes) ?2] _Les excuses trouvées par les [XXXV, Ce passage, fondamental, sera repris dans la plupart des discours théoriciens pour l'expliquer sont diverses. Pour Pline, ces tableaux théoriques modernes qui abordent la question des genres artistiques, ont été faits pour «se détendre à ce genre de badinage impudique» et où il s'agira à la fois de faire preuve d'ouverture et d'ambition. [XXXV, ?2] . Peut-être plus proche de la vérité, SUÉTONE sous-entend L'historia - ou, dans d'autres contextes, la «peinture d'histoire» ou de son côté que ces tableaux, très appréciés, répondaient à une l'«un iversalité»-est unefin et non unefinalité ; elle doit être visée par demande très forte: « Un tableau de Parrhasios, où l'on voit Ata lante tous les artistes dignes de ce nom, notamment au cours de leur ap­ rendant à Méléagre un service qui n'est pas fort honnête, lui prentissage, avant que leur caractère propre [ ethos) ne les amène, [Tibère ] avait été légué, sous la réserve expresse que, si le sujet l'of· naturellement, â se spécialiser. Ce relativisme albertien, lui-même fusquait, il recevrait à la place un mill ion de sesterces: Tibère non imprégné des valeurs ouvertes de la rhétorique antique [ BAXANDALL LES GENRES PICTURAUX GI:NÈS E, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 141

1971: 151-172], continuera de marquer profondément les théories La «hiérarchie des genres» continue à faire partie, pour les théoriciens modernes des genres artistiques. Et il explique notamment les de la peinture, à la fin du 16• et au 17•siècle, d'une batterie d'arguments prises de position de Léonard, pour lequel «le peintre n'est pas digne et de lieux préfabriqués qui permettent de dévaluer les œuvres d'ad­ d'éloges s'il n'est pas universel» et qui, dans le même temps, cri­ versaires ou de concurrents. Dans la préface qu'il écrit pour une édition tique les paysages peints par Botticelli, qui «disait que c'était une de septante-cinq estampes d'après des dessins de genre de son ami étude vaine» (LICHTENSTEIN 1997: 597). Annibale Carra cci, intitulée lesArti di Balogna ( 1646), Giovanni Battista Il est bien possible de trouver, de façon assez exceptionnelle, des théo· Agucchi s'appuie sur une critique violente de l'art du Caravage et de ses ries donnant lieu à des cristallisations plus fortes des hiérarchies suiveurs [dont le succès européen est alors exceptionnel) pour formu ­ génériques, mais leur formulation est presque toujours liée à des condi­ ler un éloge particulièrement ambigu de l'idea della be/Jezza qui, selon tions ou un contexte socioculturel particulier. C'est bien le cas lorsque, lui, devrait guider toute pratique picturale digne de ce nom [MACTIGHE lors de l'exceptionnelle rivalité qui, sous les Farnèse, voit s'opposer un 1993]. Un éloge qui se fonde, en principe, sur l'art du Carrache, opposé certain nombre d'artistes de Florence et de Venise et se construire l'ex­ à celui, trop proche de la nature, du Caravage, pour structurer un dis­ ceptionnelle réussite artistique et commerciale de Trtien, Michel-Ange cours d'essence générique, distinguant une manière «basse» et choisit d'opposer la «manière italienne» et «flamande», en faisant «simple», confinée aux petites choses et aux bagatelles sans impor­ appel, dans l'un des Quatre dialogues sur la peinture que lui consacre tance, et une manière «haute» et digne d'être considérée comme le Francisco de Holanda ( 1538 ). à une distinction générique très claire: sommet de la peinture. Mais un éloge ambigu, puisqu'il s'adresse impli­ On peint en Flandre, à vrai dire, pour tromper la vue extérieure, soit des choses agréables citement aux peintures d'histoire du Carrache plutôt qu'à ses œuvres à voir, soit des choses dont on ne puisse dire du mal, comme par exemple des saints et de genre, si bien que les estampes publiées avec lesArti sont en grande des prophètes. Cette peinture n'est que chiffons, masures, verdures de champs, ombres partie discréditées et ainsi présentées comme les contre-exemples de d'arbres, et ponts, et rivières, qu'ils nomment paysages, et maintes figures par·ci, et ce que peut et doit être le grand genre de l'istoria. maintes figures par· là. Et tout cela, encore que pouvant passer pour bon à certains yeux, est fait en réalité sans raison ni art, sans symétrie ni proportions, sans discernement, ni Cette nouvelle instrumentalisation de la classification hiérarchique choix, ni aisance, en un mot, sans aucune substance et sans nerf. des genres picturaux répond alors à une situation inédite, liée aux LICHTENSTEIN ( 1997: 658-659) succès du caravagisme et des bambochades auprès des amateu rs La virulence de ces critiques, qui se structurent autour de l'opposition d'art européens et romains. La situation du marché de l'art, dominée d'une espèce (la «bonne peinture», c'est-à-dire la peinture d'histoire par les tableaux de Campi, puis de Pieter evan Laer, de Michelangelo italienne) et de ses genres multiples, et qui sont adressées par Cerquozzi ou de Jan Miel, qui figurent généralement des scènes de la Michel-Ange à un art qui, par la répétition obsessive des négatifs et vie quotidienne romaine, suscite auprès des peintres d'histoire ita­ des privatifs qui lui sont attachés, s'apparente pratiquement à un liens et de feurs amis une frustration d'autant plus grande qu'Annibale non-art, ne peut être réellement comprise qu'en la confrontant à un Carracci décide à son tour de produire des tableaux et des estampes climat qui voit s'opposer les artistes florentins et vénitiens. Les dans la veine du Bamboche. adresse ainsi, le 28 octobre «réponses» apportées par Giorgio Vasari à l'immense succès des 1651, une lettre à l'Albane, citée (et peut-être en partie réécrite J par peintres de Venise, et fondées sur la primauté du disegno et du co/a­ Malvasia, où il ne cache pas son hostilité ni sa jalousie: rita, relèvent aussi d'une stratégie de dévaluation générique des La peinture fait partie des choses qui déclinent aujourd'hui à . Certains peintres ont œuvres de Giorgione ou de Titien, tous deux incapables de représen­ vu à quel point la connaissance de la vraie beauté de la nature est élevée, comment il est ordu de représenter ses accidents avec la noblesse qui convient et ses expressions avec ter l'istoria: «Quant à moi, je n'ai jamais rien compris à ces la dignité idoine. lis se sont accordé une certaine liberté de conscience, en représentant compositions [de Giorgione], ni rencontré personne qui pût me les n'importe quoi, y compris des actes malséants, sans grâce et sans dignité, comme un expliquer. lei, un homme a près de lui une tête de lion; là, auprès d'une baron qui se cherche les poux, un autre qui boit de la soupe à l'écuelle, une dame qui femme, on voit un ange ou un amour. C'est un inexplicable pêle-mêle» pisse, etc. Ces toiles sont portées chez des amateurs qui les revendent pour s'en faire (VASARJlSS0-1568: IV, 35]. faire d'autres pour six ou huit écus. MALVASIA ( 1678: Il, 267sqqJ LES GE .N RES P 1C TU RAUX GE NËS E, MÉ TAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 143

la critique est clairement ciblée. Sacchi affirme ne pas reconnaître la légitimité de peintres qui, plutôt que d'affronter les difficultés de mais plus strictement descriptif. On ne peut juget ces artistes de la lïstoria, se contentent de peindre ce qui est facile et plaît agréable­ même façon, puisqu'ils ne peignent ni les mêmes choses, ni pour les ment aux yeux. L'argumentaire est, en grande partie, celui de Pline, mêmes fins. lorsque l'écrivain latin évoque les tableautins de Piraïkos, si ce n'est, ici, que Sacchi en tire une leçon différente. Celle-ci atteste clairement d'une opposition normative de la «grande peinture>>, qui vise «la vraie beauté de la nature» (c'est-à-dire, au sens aristotélicien du Hiérarchies et contextes terme, la nature vraisemblable) , et la peinture mesquine, «sans 4 grâce et sans dignité» . Ces critiques seront assez souvent reprises Les deux lettres de Sacchi et l'Albane illustrent bien la vâriété des par la suite, notamment par Bellori, Rosa ou Passeri, qui n'auront de points de vue sur les genres picturaux au milieu du 17" siècle. Pour cesse de critiquer à la fois les «mauvais exemples» des tableaux du le premier, la «hiérarchie des genres» est, pour l'essentiel, un lieu, Caravage ou des peintres de bamboches, et le goût controuvé des au sens rhétorique du terme; il lui permet, par la promotion des pein­ amateurs pour ces œuvres basses et ridicules: tres d'histoirè romains et bolonais, d'exclure du champ de l'art-ou, Né crede oggi il pittor far cosa buon a tout du moins, de l'art digne d'être considéré et pratiqué - des se non dipinge un gruppo di stracciati, adversaire·s aux œuvres et au succès particulièrement gênants. se la pittura sua non è barona. Pour le second, en revanche, la « hiérarchie des genres» s'appa­ Equ esti quadri son tanto apprezzati rente davantage à un système de protection des petits et des che si vedon de' grandi entra gli studi. di superbi ornamenti incorn iciati. [ ... ] grands artist es qui se voient confier une partie de l'art à partir de Prencipi, perch'a voi mai non increbbe laquelle ils seront jugés. L'Albane arrache non seulement le juge­ questo dipinger sordido e plebeo, ment de ces œuvres à l'absolu d'un jugement post-aristotélicien, ne l'a rte la viltà s'apprese e crebbe. mais leur permet, dans ce cadre générique bien marqué, de survivre ROSA [ v.1642: Ill, 247-252, 283-285] en conservant leur caractère et leurs qualités propres. On ne peut pourtant parler, là encore, d'un P. véritable «hiérarchie des La préface écrite par André Félibien pour son édition des Conférences genres», puisque l'Albane, partageant le diagnostic et l'indignation de de l'Académie royale de peinture et de sculpture,, en 1668, est elle­ son correspondant, s'inscrit en partie en faux avec ses propositions: même fondée sur une conception assez ambivalente, et qu'il est une Ces occ.uperont toujours, à mes yeux, une place de bons praticiens; mais nouvelle fois nécessaire de contextualiser. À la fondation de seulement dans leur genre, et à condition qu'ils restent distingués des premiers pein­ l'Académie, les peintres d'histoire ne se consacrent pas exclusive­ tres qui, éloignés du vt,~lga i r e, aspirant à la perfection de toutes le s parties, utilisant les ment à la représentation de sujets mythologiques ou religieux, et ne lumières savantes de la poésie et de l'histoire, cherchent, grâce à la noblesse de leurs 5 sont pas les seuls à être admis dans l'institution • Mais la situation idées et à la grâce qu'ils savent exprimer, à gagner à eux les sentiments plus que les change sensiblement au début des années 1660. Dans les nouveaux regards et à donner satisfaction plus par le beau que par l'utile. MALVASIA [161'8: If, 267sqq) statuts de l'Académie, enregistrés en 1663, est ainsi précisé, sans doute à l'instigation de Colbert et de Le Brun, «que nulle personne à Tout en sous-entendant que le succès phénoménal des bambochades l'avenir ne sera nommé en laditte charge de professeur qu'il n'ait été pourrait être le résultat d'une opération secrète, menée de l'étranger, nommé adjoint, et que nul ne sera nommé adjoint qu'il n'ait fait contre les intérêts et la grandeur de la peinture italienne, l'Albane ne connaître sa capacité en la figure et en l'histoire, soit en peinture ou condamne pas ces œuvres. Les tableaux du Bamboche ne sont pas en sculpture et qu'il n'ait mis dans l'Académie le tableau d'histoire ou inférieurs en eux-mêmes à ceux ndu Dominiquin; en expliquant qu'Ils bas-relief qui lui aura été ordonné» (article Xlii J. Cette décision, qui sont réussis «dans leur genre», l'Albane introduit la dimension géné­ fait suite à la révocation de plusieurs professeurs ayant été engagés rique dans le jugement esthétique, non plus sur un mode esthétique sans être de.s peintres d'histoire, constitue un tournant dans l'his­ toire institutionnelle et théorique de I'Académi.e. Elle suggère en effet LES GENRES PICTURAUX GENÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 145

un nouveau type de regard jeté sur les œuvres, qui ne tient pas seu­ considérables, les autres néanmoins peuvent être excellents dans leur lement compte de leur genre propre, comme chez l'Albane, mais genre et d'une bonté qui les doit faire estimer» [ FËUBtEN 1666-1688: IV, induit clairement l'idée, sous-jacente jusque-là, que seule l'histoire 216]. Plus loin, il ajoute: doit être réellement promue dans la pratique artistique et pédago­ Il est plus rare de trouver des gens qui aient les qualités nécessaires à bien s'acquitter de gique et qu'elle doit être confondue avec la peinture toute entière. la peinture d'histoire, qu'il n'est malaisé de trouver des hommes d'un esprit moins On comprend dès lors l'insistance avec laquelle Félibien, relayant ces sublime qui peuvent représenter des choses ordinaires. ( ..• ] Oua nd celui qui travaille se nouvelles décisions, met en valeur l'histoire au détriment des autres trouve avec un génie suffisant pour donner aux animaux du mouvement et de la vie, aux fleurs de la vivacité, aux fruits de la fraicheur, il est certain que ces sortes de tableaux ont genres, en s'appuyant d'abord, comme d'autres auteurs, à la même un mérite particulier et qu'on doit avoir de la considération pour leurs auteurs, et à vous époque, sur la théorie aristotélicienne des degrés des êtres [VAN dire le vrai, quoi qu'on ait écrit à l'avantage des anciens peintres, je ne sais si en cela ils HooGSTRATEN 1678: 184-187]: «Comme dans cet art il y a différents ont surpassé les modernes. ouvriers qui s'appliquent à différents sujets, il est constant qu'à FEliBfEN ( 1666-1688: IV, 398-399) mesure qu'ils s'occupent aux choses les plus difficiles et les plus Pour d'autres auteurs, contemporains de Félibien, qui, pour la plu­ nobles, ils sortent de ce qu'il y a de plus bas et de plus commun et part, ont lu et approuvé sa préface, la question des genres picturaux s'anoblissent par un travail plus illustre» [MËROT 1996: 50}. se pose en termes comparables. Pour Noël Coypel, qui se prononce à Souhaitant également distinguer le genre du portrait de l'histoire, à l'Académie, le 1"' février 1670, sur «le discernement à faire du génie proprement parler, Félibien propose une remarquable synthèse des des étudiants et sur la manière de prononcer les ombres», «si l'on thèses défendues par Aristote et Alberti, en renouant avec la notion doit, avant de faire faire un ouvrage pour en avoir de la satisfaction, d'isroria: connaître la capacité de l'ouvrier que l'on y veut employer, il faut avoir Ouoique ce ne soit pas peu de chose de faire paraître vivante la figure d'un homme et de donc quelque connaissance du génie qu'il est nécessaire qu'un éco­ donner l'apparence de mouvement à ce qui n'en a point, néanmoins un peintre qui ne fait lier ait pour la peinture, et savoir en quelle qualité d'esprit il consiste» que des portraits n'a pas encore atteint cette haute perfection de l'art, et ne peut préten­ (LiCHTENSTEIN et MICHEL 2006: 1, 1, 348) . La répartition des genres dre à l'honneur que reçoivent les plus savants. li faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs ensemble; il faut traiter l'histoire et la fable; il faut repré· répond donc à une répartition des esprits [et non à une hiérarchie senter de grandes actions comme les historiens, ou des sujets a.gréables, comme les des mérites], conforme aux théories de la psychologie différentielle, poète~. exposées près d'un siècle plus tôt par le médecin espagnol Juan MÉRUT [ 1996: 50-51] Huarte dans son célèbre Examen de ingenias para las ciencias Ce texte doit ainsi être analysé en tenant compte des récents change­ [ 1575]. Les peintres ayant le plus de mémoire s'orienteront vers les ments institutionnels et théoriques au sein de l'Académie royale, dans genres; ceux qui ont davantage d'imagination seront des coloristes; la continuité desquels la préface de Félibien se place explicitement: quant à ceux les plus dotés d'entendement, ils seront ceux qui pour­ «Sur la fin de l'année 1663, le roi pourvut à Monsieur Colbert de la ront le plus aisément s'orienter vers la peinture (d'histoire J. charge de Surintendant des Bâtiments, et fit connaître par-là le désir L'argument est assez proche de celui avancé, huit ans plus tard, par qu'il avait de faire fleurir les arts plus que jamais, etc.» [MÉROT 1996: le théoricien néerlandais Samuel VAN HooGSTRATEN, qui cite lui-même 46 }. Il suffit de lire ce que Félibien déclare dans d'autres ouvrages pour Huarte in extenso [1678: 170-171]. mais revient aussi sur cette se convaincre qu'il ressemble assez peu à la caricature que l'on a sou­ répartition éthique des genres, inspirée une nouvelle fois d'Aristote: vent faite de lui. Dans ses Entretiens, par exemple, il montre beaucoup Ceux qui ont l'esprit prompt et vif ont en effet la plupart du temps la mémoire courte. Et plus de prudence, en déclarant, comme je l'ai rappelé au début de cet ceux qui apprennent difficilement et laborieusement retiennent bien mieux ce qu'ils ont article, que certains peintres, «pour exprimer leurs pensées, se sont une fois compris, puisque l'apprentissage consiste pour ainsi dire dans l'échauffement et l'embrasement de l'âme. [ ... ] Pour l'art universel de peinture,je choisirais cependant servis d'une manière simple et serrée. Les autres, qui ont eu un génie les plus prompts d'intelligence plutôt que ceux qui ont une bonne mémoire, puisque l'on plus élevé, ont peint avec plus d'éclat et plus d'étendue. Mais quoique exige d'eux une prompte spontanéité plutôt qu'une recherche trop timide. ( ... JMais pour les productions d'esprits sublimes et magnifiques soient les plus chaque partie spécifique de l'art, j'accepterais plutôt un esprit plus mélancolique. Il LES GENRES PICTURAU X GE NÈSE, MÉTAMORPHOSES ET TRANSPOSITIONS 14?

défendra en effet jusqu'à la fin et avec plus d'équanimité la matière qu'il se propose d'ap· aux sujets des œuvres pour qualifier les différents sujets de la peinture (peinture prendre et ne passera pas de façon mconstante et caprici euse d'une matière à une autre. d'histoire, paysage, portrait, peinture d'architecture, perspective, nature morte, \ ... ] C'est la raison P?ur laqu~lle les Italiens sont meilleurs dans la majeure partie d.e etc.). 1art, tandts qu~ nos Neerlandats, qut ne sont pas si prompts d'esprit et de pensées mais 2 Ces dénominations apparaissent sous la plume de Pline et de Diodore, et sont sont plus ternens et plus frotds, se donneront rarement vaincus aux Italiens da·ns dérivées du grec rhopos, <

JUNIUS, Franciscus [ 1637]. Het schilderkonst der Oude, trad. de J. de Brune. Middelburg, 1641. LICHTENSTEIN, Jacqueline [éd.) [ 1997]. La peinture. Paris: Larousse. ~ICHTE~srE!N, Jacqueline ~t MICHEL, Christian [ édsJ [ 2006]. Conférences de I'Acade_mte royale d_e pemture et de sculpture. Edition critique intégrale. Paris: Editions de l'Ecole nationale supérieure des Beaux-arts, 2 volumes. Pour une analyse économique du genre au 19" siècle. MACTIGHE, Sheila [ 1993]. «Perfect Deformity,ldeal Beauty, and the Le cas de Léopold Robert "Imaginaire" ofWork: The Reception of 's "Arti di Balogna" in 1646», The Oxford Art Journal, vol.16, n•1, pp.?5-91. Pascal Griener MALVASIA, Cesare [ 1678]. Felsina Pittrice. Bologne, 2 volumes. MÉROT, Alain [éd.) [ 1~96] . Confér~nces de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Paris: Editions de l'Ecole nationale supérieure des Beaux­ Léopold Robert exerce une fascination sur tout historien préoccupé Arts. par la question du genre dans la peinture au 19• siècle. L'artiste offre PiLES, Roger de [ 176? ]. Œuvres diverses de M. de Piles. Tome troisième tout d'abord l'exemple d'un immense succès: il s'impose au salon de contenant Les élémens de peinture pratique. Amsterdam. Paris dès 182?\ et parvient à séduire une clientèle aristocratique PLINE [ 199? ]. Histoire naturelle, éd. de J.-M. Croisille, trad. de P.-E. Dauzat. européenne, de Lord Kinnaird- un Irlandais - aux collectionneurs Paris: Les Belles Lettres. français et italiens, en passant par des Russes, tels le comte Gouriev QUINTILIEN [ 1990].1nstitution oratoire, trad. de J. Cousin. Paris: Les Belles ou des Polonais comme le mécène Athanasius Raczynski. D'autre Lettres, 7 volumes. part, au 19c siècle, la peinture de Léopold Robert a semblé exemplifier REINACH, Adolphe (éd.] [ 1985]. La peinture ancienne. Textes grecs et latins. la peinture de genre même: le Dictionnaire de l'Académie de beaux­ Paris: Macula, coll. «Histoire de l'art». arts, paru de 1858 à 1896, le hausse à la dignité de modèle RosA, Salvator [v. 1642]. Satire, éd. de A. M.Salvini. Milan: Edoardo [ 1858-1896, t.6: «Genre»]. Sonzogno Editore, 1892. Mais plus encore, cette carrière artistique bouleverse toutes les caté­ SuêTONE [2006]. La vie des douze Césars, éd. deN. Oesgrugillers et trad. de gories forgées par une histoire de l'art encore trop confinée dans ses C. L F. Pnnckoucke. Clermont-Ferra nd: Paléo, 2 volumes. cadres nationaux. Il naît dans un village de la principauté de Neu­ VAN HOOGSTRATEN, Samuel [ 1678].1ntcoduction à la haute école de l'art de châtel en 1?94, au sein d'une famille d'artisans francophones, mais peinture, éd. et trad. de J. Blanc. Genève: Librairie Droz, coll. «Travaux du Grand Siècle», ·2006. sujets de fait du roi de Prusse. Charles Samuel Girardet lui enseigne VASARI, Giorgio [ 1550-1568]. Vies des peintres, sculpteurs et architectes, les rudiments de la gravure de reproduction, mais surtout le culte de trad. de L Leclanché. Paris: Just Tessier, 1838-1842, 5 volumes. Raphaël et de son dernier chef-d'œuvre, la Transfiguration, peinture d'histoire par excellence, que deux Girardet ont reproduite en gravure comme en lithographie. Ce culte met le jeune homme en appétit. Robert aura le front de récla­ mer à son père ce dont rêvait tout artiste de l'Empire: devenir l'élève de Jacques-Louis David, et s'inscrire à l'École des Beaux-Arts. On devine les craintes de la famille, raide et protestante, à l'idée d'envoyer son rejeton dans la Babylone moderne; le clan, pourtant, accède à son désir. En 1810, le jeune provincial, qui n'a presque connu que la vie d'une petite ville réformée, est ainsi voituré dans la capitale des beaux­ arts. Il est présenté au grand David en 1812, et ô miracle, premier peintre de l'Empereur accepte de le former. Il faut imaginer le choc cul­ turel alors absorbé par le jeune peintre. L'attitude de Robert scelle fa Frédéric El sig, Laurent Oarbellay et Imola Kiss (éds)

LES GENRES PICTURAUX Genèse, métamorphoses et transpositions Table

Introduction Quelques réflexions préliminaires sur les genres picturaux Frédéric Elsig 11

Genèse, métamorphoses ettranspositions L'œuvre attrapée par le genre. Quelques préalables théoriques Bernard Vouilloux 23 La crise de l'anthropomorphisme médiéval Jean Wirth 37 Les genres de peinture dans les inventaires d'lta.lie centrale (1410-1650) Philippe Sénéchal 65 Mauvais genres. Adriaen Brouwer et la parodie artistique au 1?• siècle Jan Blanc Copyright 83 MëtisPresses, © 2010 Considérations sur le portrait historié rte des Acacias 43, CH - 1227 Genève Imola Kiss http://www.metispress·es.ch 103 [email protected] La «hiérarchie des genres». Histoire d'une notion tactique Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous les pays. et occasionnelle Jan Blanc Soutien 135 P.ublié avec l'appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique.