Des Architectures Disparues Aux Bordels Contemporains. Réflexion Sur La Prostitution Par L'espace
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Des architectures disparues aux bordels contemporains. réflexion sur la prostitution par l'espace Autor(en): Teyssier, Paul Objekttyp: Article Zeitschrift: Tracés : bulletin technique de la Suisse romande Band (Jahr): 140 (2014) Heft 23-24: Le sexe et la cité PDF erstellt am: 23.09.2021 Persistenter Link: http://doi.org/10.5169/seals-515987 Nutzungsbedingungen Die ETH-Bibliothek ist Anbieterin der digitalisierten Zeitschriften. Sie besitzt keine Urheberrechte an den Inhalten der Zeitschriften. Die Rechte liegen in der Regel bei den Herausgebern. Die auf der Plattform e-periodica veröffentlichten Dokumente stehen für nicht-kommerzielle Zwecke in Lehre und Forschung sowie für die private Nutzung frei zur Verfügung. Einzelne Dateien oder Ausdrucke aus diesem Angebot können zusammen mit diesen Nutzungsbedingungen und den korrekten Herkunftsbezeichnungen weitergegeben werden. 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Dans cet article, il s'efforce de mesurer l'ecart qui separe les maisons closes du 19® siecle ä Celles du 21®. lieux de prostitution quels qu'ils soient proposent Lesune experience spatio-temporelle souvent revelatrice des conditions d'exercice, de l'organisation sociale, du regard et des tabous de la societe dans laquelle ils operent. «Au cZnquanfe-sZx, sept hu/t peu Zmporfe En ce France fut l'aboutis- sens, l'entre-deux-guerres en De /a rue X, s/ vous Zrappez ä /a porfe sement d'un long processus historique, fait de reglemen- tations successives, d'abolition et de tolerance, d'enferme- Dahord un coup, pu/'s fro/s aufres, ment et d'exploitation, mais aussi de poesie, de creation on vous Za/'sse enfrer. et d'imaginaire. Mac Orlan parle de l'odeur des bordels Seu/ et parfoZs comme d'une «odeur prehistorique ». Les maisons closes meme accompagne.» semblent etre les concretions presque parfaites des nom- breuses strates historiques deposees en miroir de la societe Serge Ga/nsbourg, L'hotel particulier - Histoire de Melody Nelson des annees 1930, pour aboutir ä ce que l'on a appele «l'äge d'or des maisons closes». A travers les nombreux plans, coupes et documents issus des archives de la police pari- sienne, tout un corpus oublie d'ediflces reprend vie et esquisse la partie construite et topographique de la prosti- tution parisienne de l'epoque. Le Gw/fife rose edite par le « syndicat» des tauliers montre que le reseau des 196 lupanars parisiens se dilue alors dans toute la ville. Les plus modernes s'ouvrent souvent dans les quartiers de loisirs, comme le Sphinx ä Montparnasse, haut lieu de divertissement oü se mele l'intelligentsia cultu- relle et artistique, tandis que les plus populaires, les mai- sons dites « d'abattage », prennent place pres des gares du Nord et de l'Est, ou bien vers Belleville oü se trouve le Fort Monjol et ses bouges semi clandestins, dernier degre de la Prostitution. Un veritable programme architectural de bätiments publics prend place ä cöte des mairies, des postes, des eglises et des ecoles. Des architectes, des urbanistes et des decorateurs se specialisent alors sur la question, ä l'image de Leon Louvet qui ceuvre ä la fois sur le One Two Two au 1 Plan du 106 boulevard de la Chapelle (© Prefecture 122 de 2 luxe rue Provence (flg. et 3), bordel huppe et d'un de police, DR) inoüi aux chambres ä themes les plus delirantes, mais aussi 2,3 Plans du One Two Two (© Prefecture de police, DR) - TRACES n° 23-24 / 12 decembre 2014 - /o jonii £>«/je*/, 18 TRACES n° 23-24 / 12 decembre 2014 sur les espaces minimaux du 106 boulevard de la Chapelle du stupre, le grand « bar americain » avec ses fresques de (flg. 1), taule d'abattage, oü toute construction temporelle Van Dongen et la piste de danse sous la coupole doree de est abolie. Les filles y enchament plus de dix passes par mosai'que permettent egalement de ralentir le temps de jour contre deux ou trois au One Two Two. Les fiches de la consommation sexuelle. Parfois meme, on ne venait ici police vont meme jusqu'ä reveler les ecarts de prix, 6 francs que pour boire, danser et s'amuser, faisant de ces lieux des contre 50 dans les bordels luxueux tels le Chabanais situe etablissements de loisirs ä part entiere, veritables architec- au 12 de la rue du meme nom. tures «inversees », fermees sur le monde exterieur mais Cependant, ä l'aube du grand conflit mondial, et malgre ouvrant vers un infini de possibilites. Dejä Sade theorisait toute la cruaute du Systeme et la notion d'enfermement dans Les 120_/OM»zees de Sodowe la liberte sexuelle de l'es- encore presente dans les maisons dites «de tolerance», il pace clos, lieu de tous les possibles. Une initiation presque existe une volonte publique et politique de reflechir sur la magonnique est necessaire pour franchir une succession de Prostitution en tant que phenomene social par le lieu et differentes etapes et arriver ä un lieu qui se retourne alors l'espace. La prostitution s'inscrit et se « construit» dans le pour devenir totalement libre,« hors du monde », ä l'image paysage urbain de maniere consciente. des caves aux murs epais du Montyon dans le 9" arrondis- Au 18" siecle dejä, certains projets utopiques comme sement. La «machine aux fantasmes» s'articule autour de l'Oikema de Ledoux dans sa Saline imaginaire d'Arc-et- deux escaliers qui ne se croisent qu'au second etage des Senans ou, dans une autre mesure, les croquis et eleva- salons. L'escalier, colonne vertebrale du temple, apparait tions aquarellees de Casinis par Jean-Jacques Lequeu, alors comme la piece maitresse, ornee et travaillee, qui relie montraient la necessite d'une reflexion philanthropique les entrailles, les coulisses et les salons de presentation aux sur l'espace prostitutionnel, debat auquel architectes et chambres chargees de fantasmes assouvis. urbanistes participaient alors sans tabous. En France, apres une periode d'occupation qui a vu la Les archives de la police montrent que, durant les plupart des bordels se mettre au Service des forces armees annees 1930, des ordonnances sont edictees, imposant etrangeres, la loi Marthe Richard de 1946 a balaye tous la demolition et une mise aux normes d'hygiene dras- ces bätiments et ce qu'ils renfermaient, des ceuvres d'art tique des anciens taudis. Des «maisons de rendez-vous» du Chabanais aux filles misereuses des taules populaires modernes obeissant ä une nouvelle reglementation et oü retournees sur le trottoir. Des annees d'oubli, volontaire ou les filles ne sont plus pensionnaires se construisent ex- non, entretenues par les ligues abolitionnistes et certaines nihilo avec des systemes d'aeration, d'isolation et d'apport associations feministes ont monopolise le debat. Petit ä de lumiere naturelle particulierement modernes. Les plans petit, les espaces controverses de ces architectures ephe- des travaux de l'immeuble du 162 boulevard de Grenelle, meres sont devenus des ruines qui ont finalement disparu qui remplace un boxon vetuste de bas etage, en sont reve- dans l'indifference. lateurs. Le bureau d'architecture Gauthier Pere et Fils y La France, qui fut l'un des derniers pays ä fermer ses apporte toutes les mesures d'hygiene, double les hauteurs maisons, se retrouve aujourd'hui cernee par d'autres — la sous plafond, les cubages d'air et agrandit la cour exte- Suisse, l'Espagne, l'Allemagne ou la Belgique —, qui ont rieure. Les 18 chambres se trouvent ä l'etage, la numero tous autorise et/ou legifere sur les lieux du sexe tarife. 15 etant reservee aux visites medicales tandis que tout le En sont-ils pour autant progressistes? Cela nous amene 3" etage est devolu aux Services de la maison: vestiaires, ä confronter la Situation actuelle de la prostitution ä ses dortoirs, «bahut» oü se detendent et patientent les filles. fantömes. L'«etude de cas» qu'est l'analyse architecturale Le programme du bordel parisien se disseque en coupe, et fonctionnelle d'un bordel moderne nous permet d'es- qui illustre alors l'efficacite des liaisons entre les differents quisser quelques reponses ä ces interrogations. organes de la «machine de plaisir». La maison close est un ensemble, et avant tout un commerce, proche des etablis- Une experience contemporaine: le Feiina ä Barcelone sements de loisirs et des programmes höteliers; eile com- Au 42B de la rue Can Bruixa ä Barcelone, proche du porte en ce sens toutes les coulisses techniques necessaires centre universitaire et jouxtant le parc verdoyant de ä sa fonction. Los Infantes, se trouve une entree d'immeuble anodine. Paradoxalement, alors meme qu'ils dependent de la rue, La niche formee par le seuil abrite une plaque discrete, les boxons s'isolent du tissu urbain. Reconnaissables gräce presque invisible, mais gravee en noir au nom de Feiina ä leurs discrets symboles, ils se tiennent ä l'ecart. II est vrai (flg. 4). En-dessous est inscrit: «interdit aux mineurs ». que la reglementation impose l'absence presque totale de Sans doute le respect strict de l'article 7 de l'arrete du signes distinctifs.