Dossier Spécial Éthique Publique
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Dossier spécial Éthique publique 45 Montréal : scandales et corruption à tous les étages 51 Consolider la confiance 55 Éthique acrobatique 61 Ces pratiques qui dénaturent l’État 68 Contrats publics et pouvoirs privés 74 Le piège de l’éthique 78 Les Québécois sont-ils par nature corrompus ? 83 Chercheurs et responsables 43 n adage veut que plus on parle d’éthique, moins on la pratique. Si cet adage udit vrai, le Québec souffre d’une crise majeure d’éthique publique. Pendant que la classe moyenne se relève de la pire crise économique depuis les années 30 et que les gouvernements renouent avec les déficits budgétaires, les médias d’information ont mis au jour au cours des 18 derniers mois autant de situations dans lesquelles les fonds publics étaient dilapidés ou détournés dans les poches de truands. Montréal a même été comparée à Palerme. D’autres scandales ont éclaboussé des institutions financières, des courtiers ou d’autres entrepreneurs véreux. Certains ont dormi quelques nuits en prison. Outre l’argent perdu, le gaspillage de fonds publics et la valorisation du copinage qui en résulte, c’est la démocratie qui en souffre le plus. Déjà, le public fait de moins en moins confiance aux institutions publiques et à la classe politique. Les événements de l’année écoulée ont à coup sûr aggravé le problème. La popularité du gouvernement Charest a chuté, tandis que le maire de Montréal, bien que réélu, a perdu l’appui de la majorité des Montréalais. En outre, le taux de participation électorale est au plus bas. Les institutions censées protéger le bien public sont sur la sellette : à quoi servent-elles ? Et les lois, les codes ou les guides de conduite ont-ils un impact ? La question n’est pourtant pas d’abord d’ordre juridique. Elle est d’ordre politique : y a-t-il des leaders volon- taires et aptes à redresser la situation au Québec ? Et puis elle révèle quelque chose de ce que nous sommes : la société québécoise est-elle devenue trop tolérante même à l’intolérable ? Le je-m’en-foutisme à l’égard de la chose publique est-il à ce point répandu que les coquins ont désormais la voie libre ? 44 Montréal : scandales et corruption à tous les étages andré noël Journaliste, La Presse La dernière année a été une période faste pour les journalistes d’enquête, qui ont trouvé dans l’actualité montréalaise de quoi nourrir leurs articles : scandale des compteurs d’eau, opérations immobilières douteuses et contrats de construction attribués de façon obscure… comme dans les années 40 et 50, la sphère muni- cipale semble marquée du sceau de la collusion et de la corruption. Il n’est presque jamais question de Titré « Corruption municipale au Montréal dans The Economist, un Canada – Eau et crasse1 », l’article com- magazine plutôt bien informé, plutôt mençait ainsi : « Dans les années 40 et conservateur et plutôt cher. Mais le 50, Montréal était connue au Canada 25 juin 2009, deux articles en ont parlé. pour ses magouilles municipales. De Le premier traitait d’une étude sur la récentes allégations […] rappellent en dépression réalisée par un chercheur de partie ces vieux souvenirs. La police a l’Université Concordia. Le deuxième ouvert cinq enquêtes sur de possibles portait sur la corruption municipale. fraudes, pots-de-vin et avantages divers Bien sûr, il n’y a aucun rapport entre ces portant sur des montants de dizaines de deux phénomènes. Néanmoins, l’image millions de dollars. » de la métropole du Québec telle que Quelques jours plus tard, Bernard projetée dans la bible hebdomadaire de Descôteaux signait un éditorial dans Le l’élite mondiale était passablement Devoir sur l’affaire des compteurs d’eau. déprimante. « Dans toute l’histoire de Montréal, il 45 L’état du Québec 2010 n’y a probablement jamais eu de scan- sondages ont montré que la vaste majo- dale de l’ampleur de celui qui ébranle rité des Québécois souhaite une com- l’administration [du maire] Tremblay, mission d’enquête publique. mis à part celui sur la corruption du service de police dans les années 40. Des écoutes et des caméras cachées Depuis, c’était le calme plat, ou pres- Avant de déferler à la une des journaux, que. » Descôteaux titrait son éditorial les « affaires » ont commencé par une ainsi : « Appel à l’aide », à la façon de ces nouvelle en apparence anodine. Le 18 randonneurs perdus qui tracent un SOS septembre 2008, six membres de la dans le sable ou la neige. mafia ont plaidé coupable à diverses Depuis septembre 2008, Montréal est accusations portées à la suite d’une en effet loin du calme plat. La dernière longue enquête de la GRC sous le nom année a été une période faste pour les de code « Colisée ». Le résumé d’écoute journalistes d’enquête, qui aiment répé- électronique, déposé par les procureurs ter à la blague qu’une nouvelle, « c’est du gouvernement fédéral, devenait une information que quelqu’un, quelque public. Le document de quelque 400 part, pour une quelconque raison, ne pages montrait, entre autres choses, que veut pas voir dans le journal ». En revan- la mafia fait tout son possible pour che, cela a été une année horrible pour élargir son influence auprès de commer- certains entrepreneurs dont les revenus, çants et d’entrepreneurs. semblables aux champignons, croissent Le rapport d’écoute révélait par mieux dans l’ombre que dans la lumière exemple que les principaux dirigeants de la mafia montréalaise s’étaient coti- certains revenus, semblables sés pour offrir un cadeau de retraite au aux champignons, croissent promoteur immobilier Frank Catania. L’homme d’affaires avait été filmé à son mieux dans l’ombre que dans insu avec le parrain Nick Rizzuto au la lumière. café Consenza, le quartier général de la mafia à Saint-Léonard. Les caméras et une année dévastatrice pour des poli- cachées de la GRC ont croqué une scène ticiens et des hauts fonctionnaires qu’on dirait issue d’une série B : on y voit municipaux, qui ont dû vider leurs le vieux Rizzuto qui compte une liasse bureaux, parfois accompagnés par des d’argent et qui la glisse dans sa chaus- agents de sécurité. En 12 mois, l’opinion sette, pendant que Catania parle dans publique a changé de façon radicale : les son cellulaire. Montréalais, et tous les Québécois, sont Année après année, après des appels devenus beaucoup plus exigeants en d’offre en bonne et due forme, Construc- matière d’éthique. Par exemple, des tion Frank Catania et associés a raflé des 46 Éthique publique Le maire Gérald Tremblay, aux côtés de Frank Zampino. contrats de plusieurs millions de dollars avec la Société d’habitation et de déve- auprès de la Ville de Montréal et de loppement de Montréal (SHDM), une plusieurs municipalités de la Rive-Sud. espèce de créature bureaucratique qui Frank Catania est un homme d’affaires sert de bras immobilier à la Ville. L’en- respectable, qui contribue généreuse- treprise avait acheté un vaste terrain ment à des œuvres de charité. Com- appartenant à la Ville. L’évaluation ment, alors, expliquer des fréquenta- municipale était de 31 millions de dol- tions aussi curieuses ? Il n’a pas répondu lars mais, s’appuyant sur une évaluation aux questions de La Presse. Mais son fils marchande de 19 millions et invoquant Paolo, qui a pris sa succession à la tête un niveau prétendument élevé de conta- de son entreprise, a indiqué que Rizzuto mination, la SHDM le lui avait vendu et son père sont tous deux des paysanni pour 4,4 millions. De surcroît, la SHDM originaires de la petite ville sicilienne de a engagé la Ville à assumer une bonne Cattolica Eraclea, d’où les vieux senti- partie des frais pour les rues, les trot- ments d’amitié. toirs, les tuyaux d’eau et d’égout et a Le nom de Frank Catania est vite accordé un prêt d’une quinzaine de mil- revenu dans l’actualité, cette fois en rai- lions de dollars à l’acheteur. En vertu de son de transactions elles aussi insolites son programme Accès condos, elle a 47 L’état du Québec 2010 aussi promis d’acheter les condos que ne promoteurs. Eux aussi ont pu acheter réussirait pas à vendre l’entrepreneur. des terrains et des bâtiments de la Ville ou signer des contrats dans des condi- un monstre bureaucratique tions qui ont fait sourciller le véri- Frank Catania, son fils Paolo et leur ficateur général. Parmi eux : Vincent entreprise ont déposé une poursuite en Chiara, un avocat bien connu, qui a déjà libelle de 24 millions de dollars quand défendu la famille mafieuse Cuntrera- La Presse a qualifié ces conditions Caruana et qui s’est depuis recyclé dans d’ « avantageuses ». Le tribunal décidera les activités immobilières. si ce terme est exagéré et diffamatoire. Un autre nom a fait surface, celui de Quoi qu’il en soit, le reportage a mené à Tony Accurso. Certains soutiennent une enquête du vérificateur général de qu’il est le roi de la construction du la Ville, à la suspension du directeur Québec. Il dirige, possède et contrôle un général de la SHDM, Martial Fillion, nombre impressionnant d’entreprises puis au départ de son directeur adjoint, comme Construction Louisbourg, Jean-Guy Bertrand. Le vérificateur a Simard-Beaudry et la firme Gastier. trouvé tellement d’anomalies – par Avec le temps, il a établi des relations exemple la disparition des soumissions très étroites avec des hommes politiques déposées par d’autres entrepreneurs – et des dirigeants de la Fédération des qu’il a transmis son dossier à la Sûreté travailleurs du Québec (FTQ), plus par- du Québec (SQ).