Université de Montréal

Impacts de la réforme du réseau québécois de la santé et des services sociaux (2003) sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail

par François Bolduc

Département de sociologie Faculté des arts et des sciences

Thèse présentée à la Faculté des arts et des sciences en vue de l’obtention du grade de Ph.D en sociologie

Mai 2013

© François Bolduc, 2013

Université de Montréal Faculté des études supérieures et postdoctorales

Cette thèse intitulée :

Impacts de la réforme du réseau québécois de la santé et des services sociaux (2003) sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail.

Présentée par : François Bolduc

a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :

Jacques Hamel, président-rapporteur Mona-Josée Gagnon, directrice de recherche Pierre Noreau, membre du jury Mélanie Bourque, examinateur externe Gregor Murray, représentant du doyen de la FES

Résumé

Cette thèse porte sur le travail des gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux québécois suite à la réforme de ce secteur mise en œuvre à partir de 2003 par le ministre de l’époque, Philippe Couillard. Le projet de réingénierie de l’État dans lequel s’inscrit cette réforme se fonde sur une certaine représentation des organisations publiques découlant du Nouveau Management Public (NMP). Concrètement la réforme a profondément modifié le contexte dans lequel œuvre le personnel d’encadrement des établissements de ce secteur. En effet, celle-ci a entraîné une modification majeure des structures des établissements composant le système de santé et de services sociaux québécois, des règles encadrant les relations du travail dans ces établissements, des conditions d’exercice du travail du personnel d’encadrement, ainsi que des responsabilités qui leur sont dévolues.

Dans ce contexte, l’objectif de cette recherche était de saisir les impacts de cette réforme sur la nature du travail des gestionnaires œuvrant dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS). Privilégiant une approche microsociologique et adoptant une posture épistémologique compréhensive, nous nous sommes intéressés aux représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail. C’est donc dire que nous avons cherché à comprendre comment les gestionnaires définissent leur travail en terme du rôle qu’ils jouent dans l’organisation.

Sur le plan méthodologique, nous avons fait le choix de procéder à une étude de cas multiples. Nous avons sélectionné deux CSSS et y avons réalisé quarante-neuf entrevues semi-dirigées auprès de gestionnaires provenant de tous les secteurs et de tous les niveaux hiérarchiques.

De manière à accéder aux représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail, deux idéaux types représentant deux conceptions opposées du travail de gestion ont été créés. Ces idéaux types nous ont permis de constater que nous assistons actuellement à une homogénéisation de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Ainsi, suite à la réforme Couillard, les gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux sont de plus en plus nombreux à adhérer à une représentation managériale de leur rôle.

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Surtout, cette thèse montre comment se réalise cette évolution. Il appert que la structure des CSSS entraîne des conditions d’exercice qui favorisent une certaine représentation du travail de gestion et font obstacle à une autre. Qui plus est, cette nouvelle structure et les conditions d’exercice qui en découlent ont bousculé les rapports de pouvoir au sein même de la catégorie des gestionnaires. Ce faisant, certains sous-groupes voient leur représentation valorisée et sont en mesure d’imposer celle-ci à leurs collègues. Si certains gestionnaires émettent des doutes quant à ces changements, il appert que très peu d’entre eux ont les moyens d’y résister.

Mots-clés : Réforme du secteur de la santé et des services sociaux québécois, centre de santé et de services sociaux (CSSS), nouveau management public, gestionnaires, représentation, Province de Québec.

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Abstract

This thesis focuses on the work of health and social services centre (CSSS) managers following the implementation of this sector’s reform in 2003, by the Minister at that time, Philippe Couillard. The re-engineering of the state in which this reform occurred was based on a certain representation of public organizations inspired by the New Public Management (NPM). In concrete terms, the reform has profoundly changed the context in which manager’s work in these organisations.

In this context, the objective of this research was to understand the impact of this reform on the nature of the work being performed by health and social services centre (CSSS) managers. Using a micro-sociological approach and by adopting a comprehensive epistemological position, we were interested in examining how managers define their work in terms of the role they play within the organization. Moreover, we attempted to understand whether we are witnessing a change or a consolidation in their work representation following the reform.

Methodologically, we chose to conduct a multiple case study. We selected two CSSS’s and we conducted forty-nine semi-structured interviews with managers from these CSSS.

In order to identify the representation managers have of their work two ideal types representing two opposing work representation were created. These ideal types have allowed us to determine that we are witnessing a homogenization of managers’ representation of their work. In addition, following the Couillard reform, health and social services centre (CSSS) managers are more likely to adhere to a managerial representation of their role.

Above all, this thesis shows how this change takes place. It appears that the CSSS structure leads to working conditions that promote management work representation to some degree and impede others. Moreover, this new structure and the working conditions that accompany it have pushed the balance of power among managers. In doing so, certain sub-groups see their

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representations valued, and are able to impose them on their colleagues. If some managers are skeptical about these changes, it appears that very few of them have the means to resist.

Keywords: Reform, Quebec health care and social services, health and social services centre (CSSS), new public management, managers, Province of Quebec.

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Table des matières

Résumé ...... i Abstract ...... iii Table des matières...... v Liste des tableaux ...... viii Liste des abréviations ...... ix Remerciements ...... xi Introduction ...... 1 Chapitre 1. Mise en contexte ...... 6 1.1. Histoire du système de santé québécois et de sa gestion ...... 7 1.1.1 Avant 1960 ...... 8 1.1.2 Les années soixante ...... 12 1.1.3 Les années soixante-dix ...... 14 1.1.4 Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ...... 20 1.1.5 Les années deux mille ...... 27 1.2 La réforme Couillard...... 33 1.2.1 La Loi 25 ...... 33 1.2.2 La Loi 30 ...... 35 1.2.3 La Loi 83 ...... 38 1.3 Remarques finales ...... 40 Chapitre 2. Revue de la littérature ...... 42 2.1 Les fondements idéologiques de la réforme et son contexte politique ...... 43 2.1.1 Les fondements idéologiques de la réforme : le Nouveau Management Public ...... 43 2.1.2. La réforme dans son contexte politique : la réingénierie de l’État ...... 56 2.2 L’appréhension de leur travail par les gestionnaires...... 61 2.2.1 La sociologie du travail ...... 61 2.2.2 L’appréhension du travail des gestionnaires ...... 67 2.3 Les gestionnaires d’établissements de santé ...... 77 2.3.1 Quelques caractéristiques spécifiques...... 77 2.3.2 Les impacts des réformes du NMP ...... 79

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Chapitre 3. Problématique, questions de recherche et posture épistémologique ...... 90 3.1 Problématique et questions de recherche...... 91 3.2 Posture épistémologique ...... 96 Chapitre 4. Méthodologie ...... 99 4.1. L’étude de cas multiples ...... 100 4.1.1 Critères de sélection des cas ...... 102 4.1.2 Caractéristiques des cas ...... 104 4.2. Cueillette des données...... 105 4.2.1 Entrevues exploratoires ...... 105 4.2.2 Entrevues semi-dirigées ...... 107 4.3. Échantillon ...... 110 4.3.1 Construction de l’échantillon a priori ...... 110 4.3.2 Caractéristiques de l’échantillon final ...... 111 4.4. Règles d’éthique...... 114 4.5. Traitement et présentation des données ...... 115 Chapitre 5. Présentation des données...... 117 5.1 Le CSSS#1 ...... 118 5.1.1 Description des gestionnaires rencontrés et opinions à l’égard de la réforme ...... 118 5.1.2 Évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme ...... 122 5.1.3 L’élaboration de la structure organisationnelle du CSSS#1 ...... 132 5.1.4 Les conditions d’exercice influençant le travail des gestionnaires ...... 142 5.2 Le CSSS#2 ...... 174 5.2.1 Description des gestionnaires rencontrés et opinions à l’égard de la réforme ...... 174 5.2.2 Évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme ...... 177 5.2.3 L’élaboration de la structure organisationnelle du CSSS#2 ...... 187 5.2.4 Les conditions d’exercice influençant le travail des gestionnaires ...... 203 Chapitre 6. Analyse ...... 227 6.1 Définition d’idéaux types ...... 228 6.2 État des lieux ...... 234 6.2.1 Les représentations chez les gestionnaires du CSSS#1 ...... 234 6.2.2 Les représentations chez les gestionnaires du CSSS#2 ...... 236

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6.2.3 Comparaison des deux CSSS ...... 237 6.3 Liens entre la réforme et les représentations ...... 239 6.3.1 Le CSSS#1 ...... 239 6.3.2 Le CSSS#2 ...... 247 6.4 Comparaison des deux CSSS et réponses aux questions de recherche ...... 254 Conclusion ...... 263 Bibliographie...... 267 Annexe 1. Les missions définies par la Loi sur la santé et les services sociaux (LSSS) ...... xii Annexe 2. Le CSSS au cœur du RLS ...... xiii Annexe 3. Matières négociées et agréées à l’échelle locale ou régionale ...... xiv Annexe 4. Schéma d’entrevue ...... xv Annexe 5. Grille de codage ...... xvii Annexe 6. Formulaire de consentement...... xviii

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Liste des tableaux

Tableau 1. Nombre de CSSS et leurs missions (2008) ...... 35 Tableau 2. Caractéristiques des CSSS visités ...... 104 Tableau 3. Nombre de gestionnaires rencontrés par CSSS...... 113 Tableau 4. Idéal type du gestionnaire traditionnel ...... 233 Tableau 5. Idéal type du gestionnaire moderne ...... 233 Tableau 6. Représentations des directeurs_CSSS#1 ...... 234 Tableau 7. Représentations des cadres intermédiaires_CSSS#1 ...... 235 Tableau 8. Représentations des directeurs_CSSS#2 ...... 236 Tableau 9. Représentations des cadres intermédiaires_CSSS#2 ...... 237 Tableau 10. Représentations des cadres intermédiaires en fonction du moment de leur embauche_CSSS#1 ...... 244 Tableau 11. Cohérence ou incohérence avec la représentation valorisée par leur directeur_CSSS#1 ...... 246 Tableau 12. Représentations des cadres intermédiaires en fonction du moment de leur embauche_CSSS#2 ...... 250 Tableau 13. Cohérence ou incohérence avec la représentation valorisée par leur directeur_CSSS#2 ...... 252

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Liste des abréviations

AHQ Association des hôpitaux du Québec CESBES Commission d’enquête sur la santé et le bien-être social CH Centre hospitalier CHSLD Centre d’hébergement et de soins de longue durée CLSC Centre local de services communautaires CR Centre de réadaptation CSN Confédération des syndicaux nationaux CSSS Centre de santé et de services sociaux DG Directeur général DRH Directeur des ressources humaines DSI Directrice des soins infirmiers DSP Directeur des services professionnels DST Directeur des services techniques FEJ Programme famille, enfance, jeunesse FMOQ Fédération des médecins omnipraticiens du Québec FMSQ Fédération des médecins spécialistes du Québec GMF Groupe de médecine familiale LSSS Loi sur la santé et les services sociaux MSSS Ministère de la Santé et des Services sociaux NMP Nouveau management public PPALV Programme perte d’autonomie liée au vieillissement PLQ Parti Libéral du Québec PQ Parti québécois RLS Réseaux locaux de services

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À Karine, Émile et Juliette

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Remerciements

Ce fut un long trajet et je sais que je ne serais pas arrivé à destination sans le soutien de plusieurs personnes à qui je tiens à exprimer ma gratitude.

Je veux tout d’abord remercier ma directrice de recherche Mona-Josée Gagnon. Merci pour votre rigueur intellectuelle et votre grande disponibilité. Je suis reconnaissant de l’attention que vous avez porté à ma recherche, des nombreux commentaires que vous m’avez formulés, des nombreux conseils à propos de ma carrière, mais surtout du soutien constant que vous m’avez apporté. Ce fut un privilège et un grand plaisir de travailler avec vous.

Merci au Département de sociologie de l’Université de Montréal et au Fonds de recherche du Québec – Société et culture, pour leur appui financier. Un merci tout particulier au Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail, pour son appui financier et matériel, mais aussi, et surtout, de m’avoir permis de côtoyer des personnes exceptionnelles.

Merci à tous les gestionnaires qui ont accepté de participer à l’étude.

Un grand merci à mes parents pour le soutien que vous m’avez apporté sous toutes ses formes. Votre présence m’a donné le courage nécessaire pour passer à travers cette période. Le fait de vous savoir toujours prêt à m’aider, moi et ma famille, a été un facteur déterminant dans la réussite de ce projet.

Finalement, mes remerciements les plus profonds vont à ma conjointe Karine sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Merci d’avoir partagé ma décision de retourner aux études, d’avoir accepté de quitter « ta » ville, de t’éloigner de tes amis et de ta famille. Grâce à toi, je ne me suis jamais senti seul dans ce projet. Ta présence, ton support constant et tes encouragements m’ont permis de me rendre jusqu’au bout. Merci pour tout.

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Introduction

Les systèmes de santé des pays occidentaux ont été, depuis les années 1980-90, au centre de nombreux débats politiques ayant entraîné des changements importants au sein de ceux-ci. Ces changements, bien qu’ils aient pris des formes différentes dépendamment des pays, semblent avoir été le plus souvent orientés par une représentation commune de la gestion des institutions publiques s’inscrivant dans la mouvance du nouveau management public (NMP) (Rouillard et Bourque, 2011; Fortier, 2010; Bourque, 2007; Dubois, 2003). Le système de santé québécois ne fait pas exception à cette tendance. En effet, ce secteur connaît depuis quelques années une réforme importante s’inscrivant dans ce mouvement. Cette réforme, mise en œuvre à partir de 2003 par l’ex-ministre de la santé Philippe Couillard, représente une des composantes d’un projet politique de révision du rôle de l’État québécois, nommé d’abord « réingénierie de l’État » puis « modernisation de l’État » (Rouillard et coll., 2008). La réforme repose sur l’intégration des établissements d’un même territoire, la délégation de la responsabilité de la santé de la population de leur territoire à ces nouveaux établissements ainsi que la décentralisation de la prise de décision opérationnelle.

La mise en œuvre de cette réforme fut appuyée par une série de législations. Dans un premier temps, l’adoption de la Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux (Loi 25), en 2003, a entraîné une modification majeure des structures du système de la santé et des services sociaux québécois en créant les réseaux locaux de services (RLS). Au « cœur » de ces réseaux locaux se trouve un nouvel établissement, résultant de la fusion forcée de l’ensemble des établissements d’un même territoire, nommé centre de santé et de services sociaux (CSSS). C’est à ce nouvel établissement qu’est déléguée la responsabilité de la santé de la population du territoire.

Simultanément, le gouvernement a modifié les règles encadrant les relations du travail dans les établissements en adoptant la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales et modifiant la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives

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dans le secteur public et parapublic (Loi 30). Cette dernière a imposé le regroupement de l’ensemble des unités d’accréditation syndicales d’un même CSSS au sein de quatre catégories prédéterminées ainsi que la décentralisation de la négociation de vingt-six matières, touchant principalement l’organisation du travail, au niveau local.

Dans un deuxième temps, le gouvernement a confirmé, à l’aide de la Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d’autres dispositions législatives (Loi 83), la décentralisation de la responsabilité de la santé de la population au niveau local. Cette loi oblige les CSSS à mettre en place un projet clinique, dans lequel le CSSS doit présenter, entre autres, un diagnostic de la santé de la population de son territoire ainsi que son offre de services pour répondre aux besoins de la population.

Évidemment, ces changements ont des impacts sur l’ensemble des employés d’établissements de santé et de services sociaux québécois. Cependant, notre attention a été attirée par une catégorie d’acteurs en particulier : les gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux.

Notre intérêt pour cette catégorie d’acteurs n’est pas récent et nous avions déjà, avant de débuter cette recherche, certaines connaissances quant à la réalité quotidienne de leur travail. En effet, nous avons réalisé au début des années 2000 une recherche dans le cadre de notre MBA en management, dont l’objectif était de tracer un portrait des conditions d’exercice du travail des cadres de premier niveau hiérarchique d’un grand centre hospitalier québécois. Nous avions alors réalisé une douzaine de journées d’observation directe avec des cadres intermédiaires, provenant de plusieurs secteurs du centre hospitalier, en plus de réaliser des entrevues semi-dirigées avec ceux-ci. Le constat principal de cette recherche était que les conditions d’exercice du travail des cadres ne leur permettaient pas de jouer le rôle que la direction s’attendait à les voir jouer. La différence entre le travail prescrit et le travail réel ne semblait pas s’expliquer par des facteurs individuels, tels que les connaissances des cadres, leurs compétences ou encore leur volonté, mais plutôt par les caractéristiques des conditions d’exercice de leur travail (Bolduc et Baril-Gingras, 2010; 2006).

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Au-delà de ces résultats, cette expérience sur le terrain nous a fait réaliser la complexité de la morphologie de cette catégorie d’acteurs ainsi que de son travail. Nous avons pris conscience du poids de l’histoire, des décisions politiques et des luttes de pouvoir entre professions sur la nature du travail de ces acteurs, sur le rôle qu’ils jouent dans l’organisation, sur les relations qu’ils entretiennent entre eux, sur leur autonomie ainsi que sur le pouvoir dont ils disposent.

Notre réflexion à ce sujet s’est approfondie pendant les quelques années que nous avons passées, suite à l’obtention de notre diplôme de maîtrise, en tant qu’agent de gestion des ressources humaines dans un centre hospitalier québécois. C’est d’ailleurs au cours de ces années qu’a été élu le gouvernement libéral de Jean Charest. À ce moment, le projet de réforme qui était présenté par le ministre de la Santé Philippe Couillard, de par l’importance qu’il semblait vouloir accorder à la capacité de gérer des gestionnaires, nous interpellait autant qu’il nous rendait perplexes. En effet, au-delà des objectifs cliniques et des changements structurels qu’imposait la réforme, nous étions interpellés, non seulement par la volonté affichée du ministre d’augmenter les marges de manœuvre des gestionnaires, mais aussi par l’apparente homogénéisation de la figure du gestionnaire qui teintait la vision ministérielle ainsi que par le fait que le discours de présentation de la réforme semblait considérer que la nature du travail des gestionnaires était évidente, qu’elle allait de soi. Non seulement on ne faisait que peu de cas des différentes catégories de gestionnaires ainsi que de leurs caractéristiques spécifiques, mais surtout, les différentes représentations que pouvaient avoir les gestionnaires à propos des soins et des services à prioriser ou encore des modes d’organisation du travail à mettre en place semblaient s’expliquer par des intérêts corporatistes, par des « barrières » entre les organisations, qu’il suffisait d’éliminer en fusionnant les établissements.

C’est dans ce contexte que nous avons entrepris cette recherche. Précisons d’emblée que notre intention première était d’étudier les impacts des changements imposés par la Loi 30 (Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales et modifiant la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans le secteur public et parapublic) sur les gestionnaires. Une première série d’entrevues exploratoires menée en 2008 nous a permis de confirmer la pertinence de l’étude des impacts de la réforme sur le travail du

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personnel d’encadrement. En effet, nous avons alors constaté la complexité de la situation dans laquelle les gestionnaires d’établissements exercent leur travail, ces derniers étant à la fois responsables de la mise en œuvre de la réforme tout en « subissant », eux aussi, les impacts de celle-ci. Cependant, cette première série d’entrevues nous a aussi fait réaliser qu’il était difficile, à partir d’entrevues avec les gestionnaires, de tracer des liens de causalité entre l’évolution de leur situation de travail et cette loi en particulier. Il est vite devenu évident pour nous que les impacts des changements sur le travail des gestionnaires ne pouvaient se comprendre que lorsque ceux-ci étaient considérées comme faisant partie d’un projet global, celui de la réforme.

C’est donc à partir de l’hypothèse que la réforme Couillard représente un évènement déterminant sur l’évolution de la morphologie de cette catégorie d’acteurs ainsi que de ses pratiques que nous avons orienté notre recherche. Dit simplement, nous voulions comprendre les impacts de la réforme sur les acteurs composant ce groupe ainsi que sur leur travail.

Nous avons fait le choix de nous inscrire dans la tradition de la sociologie du travail. Ce choix découlait d’abord de notre volonté de prendre nos distances par rapports aux recherches menées dans une perspective normative visant à augmenter l’efficacité de cette catégorie d’acteurs. Nous ne cherchions pas à porter un jugement sur la performance des organisations suite aux changements imposés par la réforme. Surtout, nous voulions porter un regard sociologique sur cette catégorie d’acteurs. En bref, il ne s’agissait pas de vérifier si les gestionnaires appliquent correctement les directives provenant du MSSS, pas plus qu’il ne s’agissait d’identifier les pratiques managériales les plus efficaces. En droite ligne avec la tradition de la sociologie du travail, nous voulions plutôt étudier les acteurs en situation de travail. C’est-à-dire que nous voulions nous pencher sur le rapport que ces acteurs entretiennent avec leur travail et chercher dans la réalité sociale les facteurs explicatifs des phénomènes qu’ils vivent. Nous avons aussi fait le choix de nous inscrire dans une perspective épistémologique compréhensive. Ce faisant, nous nous proposions de saisir le sens que les gestionnaires donnent à leurs actions.

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Nous avons réalisé une étude de cas multiples et avons comparé deux CSSS. Au sein de chacune de ces organisations, nous avons réalisé des entretiens semi-dirigés auprès d’un échantillon de gestionnaires. En tout, ce sont quarante-neuf gestionnaires qui ont été rencontrés.

Ces entretiens nous ont permis de constater que la réforme est déterminante quant à la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Si les changements imposés par la réforme permettent à certaines catégories de gestionnaires de consolider la représentation qu’ils ont de leur travail, l’inverse est aussi vrai. Certaines catégories se sont vues imposer des conditions d’exercice faisant obstacle à la réalisation de leur travail comme elles le concevaient.

Pour rendre compte de cette recherche, la thèse est composée de six chapitres. Dans le premier, nous décrirons le contexte dans lequel s’inscrit notre recherche. Nous tracerons d’abord l’histoire du système de santé québécois et décrirons l’évolution du travail du personnel responsable de la gestion des établissements le composant. Par la suite, nous décrirons les composantes de la réforme Couillard. Le deuxième chapitre sera quant à lui l’occasion de présenter la revue de la littérature. Nous y décrirons d’abord le contexte politique et les fondements idéologiques de la réforme. Par la suite nous nous intéresserons à l’appréhension du travail des gestionnaires. La problématique au cœur de cette recherche, nos questions de recherche ainsi que notre positionnement épistémologique seront quant à eux présentés dans le chapitre trois. Dans le quatrième chapitre, nous décrirons la méthodologie utilisée. Nous justifierons le choix de notre méthode de cueillette des données en plus de décrire les caractéristiques de notre échantillon. Nous présenterons les données recueillies dans le chapitre cinq. Finalement, dans le chapitre six, nous présenterons l’analyse des données de manière à répondre à nos questions de recherche. Nous présenterons aussi les apports de notre recherche par rapport à la littérature.

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Chapitre 1. Mise en contexte

Dans ce premier chapitre, nous nous emploierons à décrire le contexte dans lequel notre recherche s’inscrit. Nous retracerons d’abord le processus historique de construction du système de santé québécois et de sa gestion. Ce faisant, nous éclairerons l’évolution historique des gestionnaires et nous situerons la réforme Couillard dans une trajectoire historique. Dans un deuxième temps, nous décrirons les diverses composantes de la réforme Couillard.

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1.1. Histoire du système de santé québécois et de sa gestion

De manière à identifier ce qui caractérise les gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux québécois et à replacer la réforme Couillard dans son contexte historique, nous nous proposons de remonter dans l’histoire de ce secteur et de sa gestion. Nous croyons, à l’instar de Desrosiers (1999), que les caractéristiques du système de santé québécois, telles que son architecture, les caractéristiques des établissements le composant, sa dynamique interne ainsi que les changements qui lui sont imposés ne peuvent se comprendre sans perspective historique.

Cet exercice nous amène inévitablement à identifier des périodes charnières, des points tournants, des moments forts où des décisions ont été prises, qui ont modifié l’évolution du système, lui ont donné une direction différente, ont modifié les rapports de pouvoir entre les acteurs qui le composent. Évidemment, l’identification de ces périodes charnières de l’évolution du système de santé ne fait pas consensus. En effet, il n’existe pas de découpage historique faisant l’unanimité.

Pour notre part, nous avons procédé en tenant compte de notre objectif qui est de mettre l’accent sur les contextes de création des établissements composant le système de santé québécois ainsi que sur l’évolution de la catégorie d’acteurs en charge de leur gestion. Ce faisant, nous avons structuré cette section en cinq sous-sections représentant chacune une certaine période historique. Dans les première et deuxième sous-sections nous présenterons, respectivement, l’état du système de santé avant 1960 et les changements imposés durant les premières années de la décennie soixante. Nous nous intéresserons par la suite à la décennie soixante-dix et aux premières années de la décennie quatre-vingt. Nous présenterons alors la réforme Castonguay-Nepveu, ainsi que la commission qui l’a précédée. La quatrième sous- section portera sur la fin de la décennie quatre-vingt et sur la décennie quatre-vingt-dix. Nous y traiterons de la commission Rochon ainsi que des changements qui en ont découlé. La cinquième sous-section portera sur la fin de la décennie quatre-vingt-dix et le début des années 2000.

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1.1.1 Avant 1960

En ce qui à trait à son secteur socio-sanitaire, le Québec d’avant 1960 est caractérisé par une très faible intervention de l’État québécois et son corollaire l’importance du rôle joué par les groupes privés. Les hôpitaux francophones sont en grande partie la propriété des communautés religieuses et les soins sont dispensés selon le principe de la charité privée. Le cadre d’exercice de la médecine est complètement libéral (Desrosiers et Gaumer, 2004), les médecins agissant en tant qu’entrepreneurs indépendants payés à l’acte (Facal, 2006).

Il faut rappeler que le Québec des années quarante et cinquante est gouverné par l’Union Nationale de Maurice Duplessis1. Le faible interventionnisme du gouvernement québécois de l’époque, sa proximité avec le clergé ainsi que sa volonté de maintenir une certaine autonomie face au gouvernement fédéral ont une incidence importante sur la structure du secteur de la santé québécois de l’époque. Ainsi, le gouvernement de l’Union Nationale refuse de s’investir dans le développement de programmes d’assurance sociale, préférant laisser ce secteur aux institutions religieuses (Rouillard, 1997).

Les années Duplessis sont marquées par une lutte entre le gouvernement québécois et celui d’Ottawa. Le fait que la santé soit, depuis l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867, une compétence exclusivement provinciale (Guérard, 1996), n’empêche pas le gouvernement fédéral d’essayer de s’y immiscer. Celui-ci tente à quelques reprises (1935, 1945) de mettre en place un régime public et universel de soins médicaux2. Ces tentatives, fortement contestées par les provinces, seront jugées inconstitutionnelles par les tribunaux, ce qui amènera le

1 Maurice Duplessis sera premier ministre du Québec de 1936 à 1939 puis de 1944 à 1959. 2 Plusieurs facteurs expliquent cet interventionnisme du gouvernement fédéral, parmi lesquels une forte tradition d’intervention dans l’économie ainsi que l’influence importante qu’exerce le modèle britannique, plus particulièrement les réformes impulsées par Beveridge. Cet interventionnisme s’explique aussi par la pression des syndicats, la situation financière de certains hôpitaux, les plateformes électorales des partis politiques fédéraux ainsi que la capacité fiscale du gouvernement fédéral (Desrosiers et Gaumer, 2004; Renaud, 1977). Il semble cependant que le gouvernement du Commonwealth Cooperative Federation (CCF), qui prend le pouvoir en Saskatchewan en 1944, ainsi que quelques initiatives des gouvernements des provinces de l’ouest en matière de financement et d’organisation des soins de santé aient exercé une influence déterminante sur la volonté du gouvernement fédéral d’intervenir dans le secteur de la santé (Renaud, 1977).

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gouvernement fédéral à adopter une stratégie étapiste (Desrosiers, 1999; Desrosiers et Gaumer, 2004). Cette stratégie consistera à adopter des programmes de subventions conditionnelles (Desrosiers, 1999) dans lesquels le gouvernement fédéral utilise son pouvoir de dépenser afin de proposer aux provinces d’avoir accès à des fonds en échange du respect de certaines conditions (Facal, 2006). Le gouvernement Duplessis va s’employer, jusqu’en 1960, à résister à ces actions du gouvernement fédéral. Les quelques interventions de l’État québécois dans ce secteur auront plutôt pour objectif de favoriser l’initiative privée (Renaud, 1977).

L’hôpital et sa gestion

Malgré le faible interventionnisme du gouvernement provincial qui caractérise cette période, le Québec des années quarante et cinquante va connaître un développement important de son secteur hospitalier (Deschênes, 1994; Guérard, 1996). Ce développement se réalise cependant sans planification ni coordination étatique. Il s’explique plutôt par la présence de conditions propices à l’initiative privée (Bergeron et Gagnon, 2003; Demers et coll., 1999). Les hôpitaux sont alors des établissements autonomes, souvent en situation concurrentielle (Desrosiers, 1999). Leur financement provient du paiement des usagers et de dons de l’Église, de la communauté propriétaire ou de particuliers (Laurin, 1996; Desrosiers, 1999). Une très faible part de leur financement provient de l’État3.

Le clergé représente un acteur très important du secteur hospitalier québécois. En 1960, 60% des hôpitaux sont la propriété de communautés religieuses féminines. Certaines congrégations religieuses mettent sur pied des réseaux d’établissements de grande ampleur. Cela fait dire à Petitat (1989) que « nous ne sommes plus en présence d’une petite organisation communautaire, mais bien d’une multinationale de la charité » (Petitat, 1989, p.51). De plus, parmi les hôpitaux qui sont la propriété de corporations laïques, 25% confient leur administration à des religieuses (Laurin, 1996).

3 En 1949, le gouvernement provincial contribue pour 8,9% des recettes totales des hôpitaux. Ce financement diminuera à 1,1% en 1958 (Rivard et coll., 1970).

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En ce qui à trait à son organisation interne, l’hôpital se caractérise par la présence de deux lignes d’autorité, d’un côté le pouvoir administratif, et de l’autre, le pouvoir médical. Le pouvoir administratif est centralisé dans les mains d’un faible nombre de religieuses, relevant de leur communauté, dans ce que Laurin (1996) nomme une « organisation matriarcale hiérarchique » (Laurin, 1996).

Le personnel d’encadrement des hôpitaux est composé principalement d’infirmières appartenant aux communautés religieuses. En effet, la quasi-totalité des infirmières chefs sont religieuses ainsi qu’une grande partie des infirmières (Dufresne, 1985). Ces deux éléments ne sont pas anodins. Petitat (1989) explique que le fait que le personnel d’encadrement soit composé d’infirmières s’explique par la volonté de cette profession d’augmenter son autonomie par rapport à la profession médicale. Pour ce faire, les infirmières se dotent, dès le début du 20e siècle, « d’une élite dédiée à leur propre enseignement et à leur encadrement » (Petitat, 1989).

La gestion des rapports entre les personnes et entre les groupes se fonde « sur des normes et des principes formels, mais une marge considérable est laissée à l’arbitraire de la direction. On oscille entre le despotisme et la sagesse, la bienveillance et la tyrannie » (Laurin, 1996, p.98). À ce sujet, Petitat (1989) qualifie l’organisation des hôpitaux de l’époque de bureaucratie maison, il écrit :

« Cette structure, avec ses « lignes d’autorité » bien définies, ses rapports de subordination typiques de la bureaucratie, possède encore un caractère maison; elle est habitée par un esprit de famille, lequel est entretenu par un personnel relativement stable ou dont la rotation, dans le cas des élèves infirmières, est réglée et fixée d’avance. Cette stabilité est surtout visible aux échelons supérieurs, et elle est évidemment accrue par la présence des communautés religieuses » (Petitat, 1989, p.127).

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Au courant des décennies quarante et cinquante, on commence à observer certaines modifications en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir administratif dans les hôpitaux québécois. Bien que la propriété privée des établissements ne soit pas remise en question, on assiste, entre autres, à l’arrivée d’employés laïcs.

Plusieurs facteurs contribueront à la laïcisation du personnel des hôpitaux québécois. D’abord, l’influence grandissante du corps médical amènera les hôpitaux à délaisser quelque peu le « salut des âmes » pour mettre l’accent sur les soins médicaux. Ce passage augmentera les besoins en personnel qualifié et, plus spécifiquement, en personnel infirmier provenant d’écoles d’infirmières. L’intégration de ces nouvelles infirmières contribuera à la laïcisation graduelle des employés (Guérard, 1996).

Un autre élément important contribuant à modifier le fonctionnement des centres hospitaliers est la syndicalisation croissante des employés. Malgré le désaccord des communautés religieuses, la représentation du travail et des relations du travail sur laquelle se fonde le syndicalisme étant en contradiction avec celle mise de l’avant par les religieuses (Laurin, 1996), on voit apparaître une tendance à la syndicalisation. Ainsi, vers 1960, c’est environ 50% des employés d’hôpitaux de la province de Québec qui est syndiqué (Bolduc, 1982).

Ces phénomènes, de syndicalisation et de laïcisation, seront à l’origine de l’arrivée, à partir des années quarante et cinquante, de quelques cadres laïcs masculins. Ces derniers seront embauchés par les religieuses afin d’assumer des fonctions de gestion du personnel ou de gestion budgétaire (Demers et coll., 1999). Ils ont cependant peu de pouvoir et sont soumis à l’autorité des religieuses. À ce propos, Demers et coll., (1999) écrivent :

« Au Québec, de l’après-guerre au début des années 60, les gestionnaires laïcs sont des acteurs de second plan. Nouveaux venus dans l’arène hospitalière, subordonnés à l’autorité dominante de religieuses ou d’un CA, confrontés à une organisation médicale puissante, hiérarchisée et en lien direct avec les autorités de l’établissement, les gestionnaires se chargent de l’intendance financière et administrative, mais guère plus » (Demers et coll., 1999, p.206).

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1.1.2 Les années soixante

La décennie soixante est marquante dans l’histoire du système de santé québécois. L’arrivée au pouvoir du Parti Libéral de Jean Lesage en 1960 se traduit par une certaine ouverture face à l’implication de l’État québécois, ainsi qu’aux initiatives du gouvernement fédéral dans le secteur de la santé. Rapidement après son élection, le gouvernement de Jean Lesage concrétise une de ses promesses électorales et fait adopter la Loi sur l’assurance hospitalisation. Cette dernière, qui permet aux Québécois d’avoir accès gratuitement aux services d’hospitalisation, entre en vigueur le 1er janvier 1961. Son adoption représente les premiers pas de l’État québécois vers une modification fondamentale de la régulation du système socio sanitaire. En prenant en charge le financement des hôpitaux, l’État québécois, qui était jusqu’alors peu impliqué, s’engage dans la régulation du système bousculant du même coup les acteurs qui y régnaient. À ce sujet, Petitat (1989) écrit :

« Du jour au lendemain, les hôpitaux qui auparavant survivaient grâce à des payeurs multiples (patients, assurances, donateurs, fondations, États…) se retrouvent devant un payeur quasi unique […] le nouveau système améliore l’accessibilité aux hôpitaux et dote ces derniers de ressources élargies, mais il les met en même temps sur la défensive. Car le payeur unique […] exercera peu à peu un droit de regard sur les affaires intérieures des hôpitaux. Conserver un peu de l’ancienne marge d’autonomie deviendra la hantise de tous les établissements, face aux fonctionnaires qui interrogent les orientations » (Petitat, 1989, p.79).

Les premières années de la décennie soixante voient donc le ministère de la Santé connaître un développement spectaculaire en termes de quantité de fonctionnaires y travaillant, de ressources financières y étant allouées et de programmes à gérer. Le ministère se voit donner un caractère central dans l’organisation et la régulation du secteur socio sanitaire (Gaumer et Fleury, 2007). Ce faisant, l’État, par le biais de son ministère de la Santé, se substituera progressivement à l’Église. Cette dernière ne s’oppose pas au financement étatique mais cherche plutôt à maintenir son pouvoir dans la gestion interne des hôpitaux québécois (Juteau et Laurin, 1989).

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Ainsi, l’État se butera à la résistance d’une certaine partie des religieuses et de leurs communautés, ces dernières refusant de céder leur place à la tête des hôpitaux (Laurin, 1996). Pour y faire face, le gouvernement de Jean Lesage adopte en 1962 la Loi des hôpitaux. Cette dernière a pour objectif de permettre à l’État de rationaliser la gestion des hôpitaux. Pour ce faire, elle oblige les propriétaires des hôpitaux à obtenir un permis du ministère de la Santé et à se doter d’un conseil d’administration, dont les membres sont indépendants de la communauté ou de la corporation propriétaire, ayant autorité complète sur la gestion de l’hôpital. Concrètement, l’application de cette loi aura pour effet d’exproprier les communautés religieuses et de donner à des administrateurs laïcs la responsabilité de la gestion des hôpitaux (Leseman, 1981).

Il est important de mentionner que ces nouveaux gestionnaires d’hôpitaux ne seront pas les seuls à récupérer le pouvoir autrefois détenu par les religieuses. Celui-ci sera aussi récupéré par les syndicats, les corporations ainsi que par les bureaucrates de l’État (Dufresne, 1985). Ainsi, les premières années de la décennie soixante verront l’ensemble des acteurs du secteur de la santé (médecins, autres professionnels de la santé, personnel para médical et employés de soutien) s’organiser en acteurs collectifs. On voit donc apparaître de nombreuses associations ayant pour objectif de représenter et défendre les intérêts de leurs membres.

On assiste aussi, entre 1961 et 1966, à une syndicalisation rapide et massive des employés des hôpitaux. Ces nouveaux syndiqués vont voir leur pouvoir augmenter de façon importante en 1964 avec l’adoption d’un nouveau Code du travail qui accorde le droit de grève à tous les salariés des secteurs de l’éducation et des affaires sociales (Boivin, 2003; Québec, 1988). Traditionnellement, les négociations entre les syndiqués et les employeurs se déroulaient localement, chaque hôpital négociant avec les représentants de ses employés. Cependant, en 1966, suite à une grève des syndiqués affiliés à la CSN, le gouvernement de l’Union Nationale, de retour au pouvoir, met en tutelle l’Association des hôpitaux de la province de Québec et centralise du même coup la négociation avec les employés du secteur de la santé. Si les établissements y voient une réduction de leur autonomie en tant qu’employeurs, ces derniers perdant tout contrôle sur le contenu des conventions collectives (Boivin, 2003), les employés verront augmenter de manière importante leurs salaires, jusqu’alors souvent très bas,

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diminuer les disparités régionales et uniformiser les conditions de travail d’un établissement à l’autre (Québec, 1988).

Au niveau de la gestion interne des établissements, la Loi des hôpitaux aura un effet déterminant sur la laïcisation du personnel administratif. Suite à son adoption, on assiste à « une relève de la garde sur une vaste échelle […] à la direction des hôpitaux » (Demers et Coll., 1999, p.207). Cette relève de la garde n’est cependant pas uniforme, l’arrivée des gestionnaires laïcs se faisant dans des conditions différentes d’un établissement à l’autre. De plus, il importe de préciser que les premiers gestionnaires qui prennent la place des religieuses, bien que laïcs, sont souvent des acteurs qui proviennent des établissements et qui y ont été formés (Laurin, 1989).

Bien qu’au niveau des unités de soins, ce soit encore des infirmières qui soient en charge de l’encadrement (Petitat, 1989), on assiste, tout au long des années soixante, à une masculinisation, à une laïcisation et à une modernisation de la gestion des établissements composant le secteur de la santé québécois. La standardisation comptable qu’impose le ministère de la Santé ainsi que la syndicalisation rapide des employés d’hôpitaux favorisent l’arrivée de jeunes comptables et de spécialistes en relations industrielles (Deschênes, 1994). L’arrivée de ces nouveaux acteurs aux postes de cadres supérieurs et intermédiaires introduit une nouvelle « représentation » de l’exercice du pouvoir, de l’organisation et de la division du travail dans les hôpitaux. Comme l’écrit Deschênes :

« Une nouvelle technicité pénétrait le milieu hospitalier, une technicité proprement managériale. La gestion se substituait à la charité et au bénévolat et implantait son approche rationaliste » (Deschênes, 1994, p.83).

1.1.3 Les années soixante-dix

L’ouverture face aux initiatives du gouvernement fédéral dont fait preuve l’État québécois durant les premières années de la décennie 1960 est remise en question avec le retour au

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pouvoir, en 1966, de l’Union Nationale de Daniel Johnson. Dès son arrivée, ce gouvernement refuse d’adopter le plan d’assurance maladie proposé par le gouvernement fédéral4 (Renaud, 1977). Le gouvernement Johnson n’est pas nécessairement contre l’idée de l’assurance maladie, cependant, adhérer à ce régime aurait pu être dommageable politiquement pour l’Union Nationale (Facal, 2006). À cela s’ajoute le fait que les coûts du programme d’assurance hospitalisation dépassent de beaucoup les prévisions. C’est dans ce contexte que le nouveau gouvernement de Daniel Johnson décide de mettre en place une commission d’enquête sur la santé et le bien-être social (CESBES).

Cette commission d’enquête est instituée en novembre 1966. Elle est composée de huit membres avec à leur tête Claude Castonguay5. Son mandat est extrêmement large6 et ses travaux durent plus de cinq ans. Durant ces années, des centaines de mémoires seront déposés, les commissaires effectueront plusieurs voyages à l’intérieur du pays et à l’étranger et feront appel à plus de 350 experts locaux et internationaux. La Commission publiera un rapport en sept volumes, dont certains comptent jusqu’à quatre tomes, et près d’une trentaine d’annexes. Des centaines de recommandations seront faites au gouvernement.

4En 1966, le gouvernement fédéral adopte la Loi sur les soins médicaux, laquelle assure le partage de 50 % de la prise en charge des frais médicaux dispensés à l’extérieur d’un hôpital. Pour être admissible à ces montants, les provinces adhérentes doivent respecter quatre modalités soit l’universalité, l’intégralité, la gestion publique et l’accessibilité. 5 Le choix des commissaires représente les différents groupes d’intérêts présents dans le domaine socio sanitaire à l’époque (le gouvernement, les milieux financiers, les assurances, le Collège des médecins, le syndicalisme médical, l’Église, les services sociaux et les œuvres charitables). Cependant, Leseman (1981) affirme que les commissaires peuvent être divisés en deux groupes, dont l’un domine l’autre, « le premier représentant les intérêts d’une fraction moderniste, économiste, technocratique […] l’autre une fraction traditionnelle, humaniste, morale et cléricale » (Leseman, 1981) 6 Il s’agit de « faire enquête sur tout le domaine de la santé et du bien-être social » et, sans que cela ne restreigne son mandat, de se pencher sur les questions relatives « à la propriété, à la gestion ainsi qu’à l’organisation médicale des institutions hospitalières et des institutions dites de bien-être social », sur les questions de l’assurance maladie et de l’assurance hospitalisation, « de l’acte médical ainsi que de l’évolution de l’activité médicale et paramédicale », ainsi qu’aux « mesures d’aide sociale et à leur développement ». La commission doit aussi se prononcer sur les questions relatives « à la structure et au rôle des divers organismes ou associations s’occupant de la santé et du bien-être social », « aux mesure d’hygiène et de prévention », aux « effectifs médicaux, paramédicaux ainsi qu’à l’équipement » et finalement, « à l’enseignement et à la recherche », le tout « en fonction des besoins de la famille et des individus » (CESBES, vol.1, p.X)

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Constats et propositions de la CESBES

Selon Noreau (2008), le rapport de la commission Castonguay-Nepveu doit être considéré comme le fruit de son époque. Il écrit :

« La Commission Castonguay Nepveu (1967-1972) conduit ses travaux à une époque marquée par la remise en question des disparités économiques et par le développement de l’État social québécois. Cette perspective suppose la prise en charge globale des inégalités et une nouvelle forme de partage de la richesse » (Noreau, 2008, p.212).

Ainsi, au cœur du rapport de la commission se trouvent des idéaux qui marquent cette époque, ceux d’égalité, d’universalité et de gratuité (Noreau, 2008).

Pour les commissaires de la CESBES, l’atteinte de ces idéaux doit passer par une réforme globale visant la mise en place d’un secteur de la santé cohérent et intégré (Desrosiers et Gaumer, 2004). La commission se fonde sur une approche structuro-fonctionnaliste des organisations (Bergeron et Gagnon, 2003, p.19) et va proposer une rationalisation bureaucratique (Renaud, 1977) du système de santé par une implication importante des autorités publiques. Cette rationalisation consiste à « coordonner, intégrer et planifier le personnel, les programmes et les établissements » (Renaud, 1977, p.20). Cette proposition de rationalisation des structures représente, pour les commissaires, la meilleure façon de favoriser une certaine égalité dans l’accès aux soins (Noreau, 2008).

Au niveau de l’organisation du secteur socio-sanitaire, les commissaires vont proposer la mise en place d’un système de santé composé d’un ensemble de « sous-systèmes de production de soins et de régulation technocratique » (Bergeron et Gagnon, 2003, p.18). Ce système serait composé de trois paliers - le palier central, régional et celui de la dispensation des soins - inter reliés et complémentaires.

Le premier palier du système, le palier central, est celui du ministère de la Santé. Celui-ci aurait une double responsabilité, soit, en premier lieu, celle de l’élaboration des objectifs

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généraux du régime de santé et, en second lieu, celle du contrôle des dépenses publiques (Québec, 1970).

Le deuxième palier devait résulter d’une certaine décentralisation des pouvoirs du ministère de la Santé vers une instance régionale. Cette volonté de régionalisation se concrétiserait par le découpage du territoire de la province en trois grandes régions dirigées par un office régional de santé (ORS) (Gaumer et Fleury, 2007).

En ce qui à trait au palier de la dispensation des soins, il convient de préciser que la CESBES trace un portrait plutôt négatif du fonctionnement des établissements de santé et de leur gestion. Selon les commissaires, les lois mises en œuvre par le gouvernement du Québec depuis le début de la décennie soixante n’ont pas modifié en profondeur la logique de fonctionnement propre aux hôpitaux québécois. Les hôpitaux se comporteraient toujours comme des entreprises privées et non comme des « centres d’administration de services publics » (Québec, 1970, p.99) À ce sujet, la Commission écrit :

« Les hôpitaux ont une longue tradition d’entreprises privées. […] les contributions provenant des deniers publics ne modifient pas le caractère essentiellement privé et parcellaire du processus de décision » (Idem, p.99).

Les commissaires constatent que cette logique d’entreprise privée a des répercussions importantes sur les relations entre les établissements et le ministère de la Santé ainsi qu’entre les établissements. Ceux-ci rapportent que les hôpitaux « fonctionnent de façon très indépendante sans relations précises avec les autres établissements hospitaliers de la ville ou de la région » (Idem, p.102).

En ce qui à trait à la structure interne des hôpitaux, les commissaires remarquent le maintien des anciens modes de fonctionnement. À ce sujet, ils constatent une « absence de hiérarchie structurée de l’autorité » (Idem, p.101). De plus, ils déplorent le peu d’utilisation de méthodes modernes de gestion. Afin de résoudre ces problèmes, la commission propose une décentralisation de la gestion des établissements de santé afin que ceux-ci soient gérés de manière rationnelle, par des équipes de gestionnaires compétents, en nombre suffisant,

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utilisant des méthodes de gestion modernes et possédant l’autorité nécessaire. Dans l’esprit des commissaires la fonction gestion doit avoir un rôle central afin d’assurer l’efficacité du système. Ceci implique que le rôle et l’autorité des gestionnaires soient reconnus par les professionnels de la santé, y compris les médecins. À ce sujet, ils écrivent :

« La reconnaissance du rôle des spécialistes en gestion dans les centres de santé est très récente et elle est loin d’être acquise à tous les niveaux de gestion, ou dans tous les services. Cela exige une modification de l’attitude des professionnels de la santé qui doivent se rendre compte de l’importance d’une gestion efficace. Les professionnels de la santé ne peuvent assurer eux-mêmes cette gestion parce qu’ils n’y sont pas préparés, et le statut professionnel n’entraîne pas automatiquement la compétence en ce domaine » (Québec, 1970, p.73).

Les commissaires proposent, entre autres, d’augmenter le pouvoir du directeur général. Ce faisant, la commission décide de s’attaquer à la présence de deux lignes d’autorité, une administrative et l’autre médicale. Pour ce faire, les commissaires proposent « d’étendre le principe de l’unité de direction » c'est-à-dire que l’autorité du directeur général soit clairement établie et que les autres directeurs de l’établissement « qu’ils soient médecins ou administrateurs [soient] appelés à collaborer étroitement avec le directeur général dans l’exercice de son autorité » (Idem, p.102). La réforme Castonguay

C’est dans un contexte exceptionnel que sera mise en œuvre la réforme qui suivra les travaux de la CESBES. En effet, le président de la commission, Claude Castonguay, démissionne peu avant la fin des travaux de la commission pour se présenter comme candidat lors des élections de 1970. Il est élu sous la bannière du Parti Libéral du Québec dirigé par .

Au sein du nouveau gouvernement, Castonguay est nommé ministre responsable de la Santé, de la Famille et du Bien-être social. Ce faisant, il sera responsable de la mise en œuvre de la réforme du secteur de la santé. On ne saurait trop insister sur le caractère exceptionnel de la situation. Cette accession au poste de ministre lui donne le pouvoir législatif nécessaire afin de procéder à une réforme dont la « matrice intellectuelle fondamentale » est la vision de la

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Commission (Renaud, 1977, p.23). Qui plus est, le contexte social est propice à la mise en œuvre d’une réforme d’envergure. À ce propos, Pierre Noreau écrit :

« La commission Castonguay-Nepveu bénéficie par ailleurs d’un contexte normatif favorable […] Ce contexte favorise d’ailleurs toute la Révolution tranquille au Québec. Les références à la gouvernance sont marquées par la confiance toute nouvelle des citoyens dans l’État québécois moderne, abordé à la fois comme véhicule de l’action collective, comme vecteur d’une plus grande autonomie politique et comme mécanisme de répartition de la richesse, en lieu et place de la charité privée et de l’entraide familiale et communautaire. Il s’agit par conséquent d’un contexte favorable à la centralisation des services, à l’unification du système et à l’intervention directe de l’État » (Noreau, 2008, p.213).

Malgré ce contexte, un écart s’introduit entre les propositions de la CESBES et les mesures adoptées (Renaud, 1977). En effet, la vision du ministre Castonguay et de son équipe va se confronter à la réalité d’un secteur composé d’une multitude d’acteurs et d’organisations situés dans des relations de pouvoir s’étant construites historiquement. À ce propos, Gaumer et Desrosiers (2004) écrivent :

« Tandis que le rapport [de la CESBES] résulte principalement d’universitaires et de technocrates, les lois et les règlements adoptés reflètent le jeu des rapports de force entre les principaux acteurs du système et aussi entre les groupes de pression dans la société elle-même » (Gaumer et Desrosiers, 2004, p.13).

À ce propos, le maintien de l’autonomie des médecins et la relative autonomie des hôpitaux, par rapport au nouveau palier régional, représentent les principaux compromis qui résultent de cette opposition (Bergeron et Gagnon, 2003; Bergeron, 1990).

La CESBES et la réforme qui va lui succéder vont tout de même modifier en profondeur le secteur de la santé et des services sociaux québécois. Le ministre Castonguay s’attaque d’abord à la mise en place d’un régime d’assurance maladie avec l’adoption, en novembre 70, de la Loi sur l’assurance maladie. Qui plus est, la Loi sur la santé et les services sociaux (LSSS), adoptée en 1971, constitue encore aujourd’hui le cadre juridique du système de santé et de services sociaux québécois (St-Pierre, 2009).

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Une autre modification importante mise en œuvre à l’époque est le regroupement, sous une même administration, des services de santé et des services sociaux. Il s’agit, encore aujourd’hui, d’une spécificité propre au système québécois (St-Pierre, 2009). C’est ce lien entre la santé et les services sociaux qui amènera la création d’un nouveau type d’établissement au niveau local, le centre local de services communautaires (CLSC). Contrairement à la vision de la CESBES, les CLSC devinrent une porte d’entrée de plus dans le système, mais non la principale (Gaumer et Desrosiers, 2004). L’encadrement de ce nouveau type d’établissement sera très différent de ce que l’on retrouve dans les hôpitaux québécois. Non seulement la structure administrative est beaucoup plus simple7, mais l’importance qui y est accordée au travail en équipe multidisciplinaire ouvre l’accès aux postes d’encadrement à d’autres catégories socioprofessionnelles que les infirmières.

1.1.4 Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix

Jusqu’au début des années quatre-vingt, les interventions de l’État québécois consisteront principalement à consolider la réforme mise en œuvre par Claude Castonguay (Bergeron, 1990). En dépit des écarts entre les propositions de la CESBES et les mesures réellement appliquées, ces dernières portent fruit. En effet, au début des années quatre-vingt, le système de santé québécois est considéré comme un des meilleurs au monde et ce, autant par la population québécoise que par les experts étrangers (Gaumer et Desrosiers, 2004).

Malgré ce bilan positif, le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, , s’inquiète d’éventuelles difficultés financières (Gaumer, 2008). Les ressources humaines, médecins et employés, exercent une pression importante sur les budgets. De plus, depuis 1972, le gouvernement a dû, à quelques reprises, absorber les déficits des hôpitaux. Un comité interministériel créé pour s’attaquer à cette question en vient à identifier le cadre légal encadrant le fonctionnement des hôpitaux comme une des causes à l’origine de ces déficits

7 Comeau et Girard (2000) précisent que l’équipe d’encadrement d’un CLSC est habituellement très simple. Ils écrivent : « Au plan de la coordination, on retrouve un directeur général de qui relèvent, selon les centres, un directeur ou chef de services administratifs et un directeur ou chef de services professionnels » (Comeau et Girard, 2000, p.331)

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(Bélanger, 1992). À cela s’ajoute la crise économique du début des années quatre-vingt ainsi que le retrait progressif du gouvernement fédéral du financement de la santé (Renaud, 1989).

Les problèmes financiers auxquels est confronté le secteur permettront surtout de lever le voile sur la dynamique interne du système mettant à l’avant-scène la question de sa régulation. À ce sujet, Renaud écrit :

« Cette crise économique a mis à jour l’incapacité de ce secteur d’effectuer des choix, autre que le statu quo, et rendit extrêmement visible les positions de force respectives des différents acteurs. La crise entraîna donc un questionnement du modèle de régulation de l’allocation des ressources dans le domaine de la santé. La gestion bureaucratique du système apparut soudain comme économiquement inefficace et inappropriée du point de vue des problèmes à résoudre » (Renaud, 1989, p.16).

Dans le même ordre d’idée, Demers et coll., (1999) décrivent la situation qui prévaut au milieu des années quatre-vingt dans ces termes :

« Malgré les contraintes budgétaires, malgré la rhétorique du réseau et les appels à la complémentarité, les directions d’établissements maintiennent leur individualisme, légitimés de le faire par la poursuite de leur mission. Chaque établissement se place dès lors en concurrence avec les autres pour l’obtention de budgets et de mandats additionnels. Le cloisonnement des services qui en résulte engendre duplications et discontinuités » (Demers et coll., 1999, p.212.)

C’est dans ce contexte que le ministre Chevrette décide de mettre en place une commission d’enquête. Le 18 juin 1985, le gouvernement donne le mandat à une commission, composée de douze membres, avec à sa tête Jean Rochon, « d’évaluer le fonctionnement et le financement du système de santé et des services sociaux connexes […] d’étudier les diverses solutions possibles aux différents problèmes que connaît le système et de faire au gouvernement les recommandations qui lui semblent les plus appropriées » (Québec, 1988, p.706-707). Le mandat de la Commission sera élargi en janvier 1986, à la suite de l’élection du Parti Libéral du Québec, sa composition réduite de douze à six membres et la durée de son mandat réduite, la date d’échéance étant fixée au 30 septembre 1987.

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Le rapport Rochon

Les suggestions contenues dans le rapport de la Commission Rochon sont en cohérence et en continuité avec les mesures proposées par la CESBES près de vingt ans plus tôt (Bergeron, 1990). Pour les commissaires, les problèmes du système ne découlent pas de la pertinence des mesures proposées par la CESBES mais plutôt de l’écart entre les propositions et ce qui a été réellement mis en œuvre. Ce ne sont donc pas les fondements du système de santé et de services sociaux qui posent problème mais plutôt son fonctionnement et sa gestion. En ce sens, Bourque et Leruste (2010) affirment que le rapport Rochon représente une étape charnière dans l’évolution du système de santé et de services sociaux québécois car s’il ne remet pas en question l’importance du système public, il propose tout de même une réorganisation s’appuyant sur des principes managériaux inspirés du nouveau management public (Bourque et Leruste, 2010, p.115).

Dans son rapport, la Commission trace le portrait d’un système de santé et de services sociaux sclérosé, aux prises avec d’innombrables conflits entre professionnels et entre établissements. Ces conflits étant à l’origine du caractère « discontinu, incomplet et impersonnel des services dispensés » (Québec, 1988, p.409). À ce sujet, les commissaires écrivent :

« Tout se passe comme si le système était devenu prisonnier des innombrables groupes d’intérêts qui le traversent : groupes de producteurs, groupes d’établissements, groupes de pressions issus de la communauté, syndicats, etc. ; que seule la loi du plus fort opérait et que les mécanismes démocratiques d’arbitrage ne suffisaient plus; que la personne à aider, la population à desservir, les besoins à combler, les problèmes à résoudre, bref le bien commun, avaient été oubliés au profit des intérêts propres à ces divers groupes » (Idem, p.407).

En ce qui a trait à l’administration des établissements du réseau, les commissaires constatent que ceux-ci semblent se livrer une compétition les uns à l’égard des autres. Les commissaires y voient la volonté des directions d’établissements de consolider et d’accroître leur « empire organisationnel » (Idem, p.419).

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À cela la Commission ajoute avoir constaté un manque de collaboration entre les gestionnaires des différents niveaux hiérarchiques d’un même établissement. L’information étant souvent retenue par les échelons supérieurs et ne se rendant que rarement aux cadres intermédiaires et aux employés. Ces derniers n’étant ni informés, ni consultés lors de la prises de décisions ayant des impacts sur l’organisation de leur travail ou encore sur les priorités et les orientations de leur établissement (Idem, p.417).

Ainsi, la Commission trace un portrait plutôt sombre de la gestion des établissements de santé et de services sociaux. Elle dénonce la présence d’un type de gestion traditionnel, appuyé sur l’autorité et le droit de la direction, dans lequel l’organisation du travail découle de principes tayloristes, réduisant les employés à des exécutants (Idem, p.417-418).

À propos des gestionnaires, la commission dénonce la faible mobilité des directeurs généraux et des cadres supérieurs, les promotions se faisant à l’intérieur du réseau. Quant aux cadres intermédiaires, les commissaires constatent que l’accès à ces postes suit la filière interne, ce qui entraîne que « la pratique de la gestion et, en particulier, de la GRH y est souvent improvisée » (Idem, p.532).

En fait, les commissaires ne dénoncent pas tant les gestionnaires eux-mêmes ou leurs compétences mais plutôt le « système de gestion » (Idem, p.413). Pour les commissaires, le problème est que les gestionnaires doivent se plier à un ensemble de règle et de normes qui ont pour conséquence de réduire leur marge de manœuvre organisationnelle et financière. Ils écrivent :

« Submergés par les directives sans cesse plus nombreuses du Ministère, impuissants à contrôler leurs finances, incapables de composer avec des conventions collectives négociées centralement, et obligés, dans le cas des hôpitaux, de gérer des médecins qui pour la plupart sont des entrepreneurs privés, les gestionnaires sont confrontés à un défi à peu près impossible à relever : administrer malgré les contraintes qui réduisent à presque rien leur marge de manœuvre financière et organisationnelle. Les administrateurs sont ainsi devenus au fil des ans, des gérants de conventions collectives et de directives plutôt que des gestionnaires de ressources humaines » (Idem, p.413).

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Suite à ce diagnostic, la Commission propose l’introduction d’une nouvelle dynamique décisionnelle découlant d’un nouveau partage des pouvoirs au sein du réseau. Ce nouveau partage passe par le recentrage de la mission du ministère, l’augmentation du pouvoir du palier régional et la décentralisation de certains pouvoirs au niveau local.

Ainsi, les commissaires suggèrent de resituer le ministère de la Santé « autour des fonctions que lui seul peut assumer » (Idem, p.508), c'est-à-dire la planification et l’évaluation de l’ensemble du système, la coordination interrégionale, la coordination des programmes de santé et de services sociaux de portée provinciale et la protection de la santé publique.

Quant au palier régional, la Commission propose d’augmenter son pouvoir et de transformer les CRSSS en régies régionales.

Au niveau de la gestion des établissements, la Commission propose une mise à jour des méthodes de gestion et favorise la gestion participative. Elle propose aussi une décentralisation au niveau local de la négociation des conventions collectives ainsi qu’une plus grande implication des cadres intermédiaires dans les questions touchant aux relations du travail.

De la commission Rochon à la réforme Côté

Le dépôt du rapport de la commission Rochon ne provoquera pas les réactions positives qu’espéraient les commissaires. La plupart des groupes organisés, à l’exception des centrales syndicales, s’y opposent, n’appréciant guère être pointés du doigt comme étant des preneurs d’otage du système (Desrosiers et Gaumer, 2004; Renaud, 1989).

Du côté politique aussi l’accueil du rapport est plutôt mitigé. Le gouvernement libéral n’y trouve pas, entre autres, l’appui à la privatisation qu’il espérait (Desrosiers et Gaumer, 2004). À la suite du dépôt du rapport, la ministre de la Santé de l’époque, Thérèse Lavoie-Roux, annonce qu’elle réalisera une nouvelle tournée de consultation au printemps 1988. Lors de cette tournée, la ministre rencontre essentiellement les mêmes personnes et les mêmes groupes

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ayant été consultés par la Commission Rochon, si bien que la position du gouvernement, présentée en avril 1989, sera, et ce malgré la réaction initiale du gouvernement, étonnamment « proche de l’esprit, voire de la lettre, des recommandations de la Commission » (Renaud, 1989, p.33)

En 1990, le nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, Marc-Yvan côté, présente un projet de réforme intitulé « Une réforme axée sur le citoyen » (Québec, 1990). Dans ce projet, le ministre se réapproprie en grande partie les critiques formulées par la Commission Rochon à propos du système de santé et de services sociaux (Gaumer, 2008).

Le changement le plus important de cette réforme touche à la régionalisation du système. Avec la création des régies régionales de la santé et des services sociaux, le palier régional voit son autonomie augmentée par rapport au ministère et son pouvoir sur les établissements renforcé (Gaumer, 2008; Demers et Turgeon, 2008). Il semble cependant que cette décentralisation régionale n’ait pas modifié le contexte dans lequel œuvrent les établissements locaux. En effet, selon Demers et coll., (1999) les régies régionales ont « perpétué la logique de surveillance des dépenses des établissements en maintenant en vigueur les règles bureaucratiques dont elles héritaient du MSSS » (Demers et coll., 1999, p.217). L’impact le plus important pour les chefs d’établissements étant que le réseau de contact que ceux-ci avaient développé depuis des années au ministère devenait caduc (Idem, p. 217).

Le virage ambulatoire

En 1994, le gouvernement du Parti Québécois est de retour au pouvoir. Le premier ministre nomme Jean Rochon au poste de ministre de la Santé. Celui-ci entreprend une réorganisation dont les grandes lignes proviennent du rapport qu’il a lui-même signé en 1988 (Côté, 1999). Cette situation n’est pas sans rappeler la nomination au poste de ministre ainsi que le mandat de réformer le système donné à Claude Castonguay au début des années soixante-dix. Cependant la comparaison entre les deux s’arrête là. En effet, le contexte dans lequel se trouve Jean Rochon est loin de lui être favorable. À partir de 1996, la priorité du gouvernement, et de son nouveau premier ministre , est d’assainir les

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finances publiques et d’atteindre le déficit zéro pour l’exercice 1999-2000, ce qui viendra bousculer la mise en œuvre de sa réforme (Boivin, 2003; Demer et coll., 1999).

Ainsi, les montants alloués à la santé diminueront à partir de l’exercice financier 1995-1996 et ce durant trois années financières consécutives. Ces diminutions amèneront le MSSS à mettre ses efforts sur le virage ambulatoire ainsi que sur la reconfiguration du réseau8. À propos du virage ambulatoire, Bourque et Leruste (2010) écrivent qu’il « constituera la première transformation significative du financement et de l’organisation du système de santé » depuis la réforme mise en œuvre par Castonguay (Bourque et Leruste, 2010, p.106).

Sur le terrain, cette reconfiguration aura des effets importants sur les établissements. Certains sont fermés alors que d’autres doivent changer de mission ou fusionner (Demers et Turgeon, 2008). Qui plus est, le gouvernement mettra en place un important programme de départ à la retraite volontaire. L’objectif, dans le secteur de la santé, est de réduire l’effectif total de l’équivalent de 7 325 postes à temps complet. Cependant, le caractère volontaire du programme rendra la planification du nombre de départs très complexe en plus d’enlever tout contrôle aux gestionnaires locaux sur les employés qui peuvent quitter. Au total, ce sera l’équivalent de 16 564 postes à temps complet qui disparaîtront (Boivin, 2003).

Selon Demers et coll., (1999), la pression politique et financière qui est imposée aux établissements à cette époque va contribuer à modifier le rôle joué par les gestionnaires d’établissement. Si ceux-ci étaient cantonnés depuis quelques années dans une position de gérants9, les nombreux changements qui leurs sont imposés ouvrent un espace de liberté qui amènera certains à endosser des rôles de rénovateurs10 ou de transformateurs11.

8 Le virage ambulatoire « vise à réduire la part des services donnés en milieu institutionnel » alors que la reconfiguration du réseau « vise à en accroître l’efficience administrative » (Demers et al, 1999, p.216). 9 Selon Demers et coll., (1999), le gérant « se consacre à appliquer les règles émanant des autorités du système de santé et à perpétuer les pratiques au sein de l’organisation. Dans les organisations menées par un gérant, on assiste fréquemment à une centralisation des pouvoirs entre les mains d’un groupe restreint de dirigeants […], la gestion budgétaire relève exclusivement de la haute direction, le rôle des cadres intermédiaires se limitant à mettre en application leur budget et à en faire le suivi […] la gestion des ressources humaines se limite à appliquer les conventions collectives en vigueur » (p.202-203) 10 « À la différence du gérant, le rénovateur cherche à moderniser son établissement […] ces progrès consistent depuis plusieurs années à rendre la production des services plus efficace et plus efficiente » (Idem, p.203)

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Il ne faut cependant pas croire que les gestionnaires des établissements de santé sont épargnés par les changements imposés par le gouvernement. En effet, les fusions d’établissements vont entraîner des coupures importantes dans les postes de gestionnaires, ceux-ci passeront de 10 969 en 1995-96 à 8 558 en 1999-2000 (Québec, 2009)12.

1.1.5 Les années deux mille

Le virage ambulatoire et la reconfiguration du réseau sont des mesures extrêmement impopulaires qui font pratiquement perdre le pouvoir au Parti Québécois lors des élections de 1998. La nouvelle ministre de la santé et des services sociaux, , hérite donc, en 1998, du défi de remettre le système sur ses rails. Contrairement à son prédécesseur la ministre bénéficiera d’un contexte budgétaire plus favorable. Ainsi, pour faire face aux problèmes du réseau, elle réinjectera de l’argent et décidera de nommer, en juin 2000, une nouvelle commission sur l’avenir du système de santé.

La Commission, présidée par Michel Clair, se verra confier le mandat de « tenir un débat public sur les enjeux auxquels fait face le système de santé et de services sociaux et proposer des avenues de solution pour l’avenir » (Québec, 2003, p.i). La commission remettra, six mois plus tard, un rapport comportant trente-six recommandations et cinquante-neuf propositions portant sur la finalité du système, son organisation, ses ressources humaines, son financement ainsi que sa gouverne.

La mission de la commission Clair se distingue de celles des autres commissions ayant façonné le système de santé québécois. Alors que la CESBES favorisait la « démocratisation de l’accès aux soins santé » (Noreau, 2008, p.217) et la Commission Rochon, « le maintien des acquis dans le domaine » (Idem, p.217), la commission Clair se penche plutôt sur « la

11 Le transformateur « contribue à la fois à moderniser son organisation et à tirer parti de la conjoncture externe » (Idem, p.204)

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fonctionnalité du système, son ajustement aux ressources disponibles et son adaptation aux réalités concrètes des praticiens et des établissements » (Idem, p.217).

Dans ce contexte, la commission Clair adopte un discours très pragmatique. Elle ne propose pas une modification radicale du système mais plutôt « un renouveau des objets et des méthodes de gouvernement à l’intérieur même du système » (Denis, 2008, p.61). Selon Villeneuve (2001) la réflexion de la commission Clair s’appuie sur une vision du réseau de la santé et des services sociaux perçu « comme une vaste entreprise qu’il convient de gérer comme telle » (Villeneuve, 2001, p.116).

En ce sens, Denis (2008) affirme que la commission Clair accorde une importance première à « l’idéologie managériale ». Selon Denis (2008), les principes organisateurs de cette « idéologie » s’articulent autour du « développement d’une instrumentation de gestion, la formation des gestionnaires et l’utilisation des données probantes au service d’une plus grande efficience et d’une plus grande efficacité dans l’utilisation des ressources » (Denis, 2008, p.61). Ainsi, dès l’introduction du rapport, les commissaires écrivent :

« Nous croyons que la gestion est une fonction essentielle qui a été trop longtemps dévalorisée dans le fonctionnement des services sociaux et de santé. Il faut réinjecter de fortes doses de management dans le système. Aucune organisation ne peut survivre et se développer sans chefs compétents, motivés par l’atteinte de résultats et disposant de marges de manœuvre suffisantes » (Québec, 2003, p.vii)

Cela ne veut pas dire que la commission met de côté la question des valeurs sur lesquelles doit s’appuyer le système de santé, cependant elle semble mettre l’accent sur la recherche des moyens concrets qui permettront à ces valeurs de se concrétiser. À ce sujet, Noreau (2008) écrit :

12 En proportion, la réduction du nombre de gestionnaires sera plus importante que celle du nombre d’employés syndiqués (Québec, 2009).

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« Les valeurs qui ont servi de référents lors de la mise en place du réseau sont évidemment rappelées, mais elles sont réinterprétées en fonction des finalités concrètes du système » (Noreau, 2008, p.218).

La réflexion de la commission s’appuie sur le constat de la rareté des ressources et ce qui en découle : « l’obligation indéniable et indissociable [de] faire des choix et de performer » (Québec, 2003, p.v). C’est donc pour faire face à ces « obligations », que les commissaires proposent « des modèles concrets de réorganisation des services » (Idem, p.vi). Ces propositions sont présentées comme des moyens d’augmenter l’accès des citoyens aux services. On sent que pour les commissaires, l’heure n’est pas à l’affirmation de grands principes mais à la recherche des moyens concrets qui permettront au système d’honorer sa mission.

Constats et propositions

Cette volonté des commissaires de trouver des pistes d’action et des solutions pratiques et applicables qui permettront au système de répondre aux attentes des « clients » se reflète dans la présentation même du rapport. En effet, la préoccupation des commissaires n’est pas la cohérence de ces pistes d’actions mais leur efficacité. À ce sujet, Jacob (2001) écrit :

« Le produit reflète le processus suivi pour développer le rapport : un groupe de commissaires diversifié, un échéancier très court et, finalement, une démarche délibératoire essentiellement fondée sur des consultations ouvertes. Ceci donne un rapport où les problèmes et les solutions semblent résulter du tri et des arbitrages effectués par les commissaires […] En conséquence, les problèmes font l’objet de constats mais sont rarement documentés et les solutions semblent plus souvent des pistes d’action que des actions bien définies. La Commission a bien développé une vision globale des enjeux confrontant le système de santé, mais elle a eu peu de temps pour l’appliquer systématiquement à l’ensemble et pour articuler en un tout cohérent les propositions qu’elle présente sur les nombreux sujets abordés » (Jacob, 2001, p.61).

Dès lors, il est difficile de tracer un résumé des recommandations de la Commission Clair. On y retrouve cependant certaines propositions fortes, dont certaines seront, comme nous le verrons dans la prochaine section, au cœur de la réforme Couillard.

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D’abord, en ce qui a trait à l’organisation des services, la Commission déplore que celle-ci reflète la réalité des années soixante-dix. Pour les commissaires, la valorisation de la pratique professionnelle individuelle, l’autonomie juridique et budgétaire de chaque établissement et le fonctionnement en silo seraient les causes des problèmes d’accès et de continuité des services qui caractérisent le système de santé québécois. Pour y faire face, la Commission propose que des services intégrés de première ligne deviennent l’assise du système de santé. Le volet médical de ce réseau de première ligne reviendrait à une nouvelle organisation, les groupes de médecine de famille (GMF)13, alors que le volet social reviendrait aux CLSC.

Au niveau des ressources humaines du réseau, la Commission dépeint un portrait très sombre de la situation. Sentiment général d’insatisfaction, d’épuisement et de morosité, importance de l’absentéisme découlant de problèmes de détresse psychologique sont les termes utilisées par les commissaires pour décrire la situation. Selon eux, ces problèmes s’expliquent par le peu de pouvoir dont disposent les dirigeants d’établissements, par la culture d’affrontement qui caractérise les relations patronales-syndicales ainsi que par l’application d’une approche tayloriste du travail. A ce sujet, les commissaires écrivent :

« Pressés par des exigences de toutes sortes, les gestionnaires se retrouvent sans marge de manœuvre dans un domaine où la plus grande souplesse serait requise alors que les travailleurs, eux-mêmes dépouillés de responsabilité en matière d’organisation locale du travail, en viennent à perdre le sens de leur contribution, le sens de leur travail » (Québec, 2003, p.115).

Les commissaires déplorent que les façons de faire en ce qui a trait aux ressources humaines ne tiennent pas plus compte des grands principes de gestion. Ainsi, afin de remédier aux problèmes qu’ils constatent, ils proposent, entre autres, « que chaque organisation se donne un projet d’organisation de type projet d’entreprise » (Idem, p.119), de renforcer « la marge de

13 Au sein des GMF, « des médecins de famille se regrouperaient, par équipe de 6 à 10, soit en cabinets, soit en CLSC. Ces médecins travailleraient en étroite collaboration avec 2 à 3 infirmières participant à la prise en charge et à la coordination des services. Ce GMF serait responsable d’une population définie et lui offrirait une gamme de services définis. Chaque citoyen choisirait son médecin de famille à l’intérieur d’un GMF sur la base de son lieu de domicile, de son lieu de travail ou de tout autre critère » (Québec, 2003, p.52).

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manœuvre et l’imputabilité des directeurs généraux » (Idem, p.120) et qu’une partie de leur rémunération soit liée aux résultats de leur organisation. Ils proposent aussi que les processus de dotation tiennent compte du critère de compétence et finalement, que les questions relatives aux horaires de travail, au remplacement, à la gestion des postes et à la mobilité soient négociées localement.

Finalement, au niveau de la gouverne, les commissaires relèvent un malaise évident, découlant du fait que les équipes de gestion ainsi que les équipes cliniques sont tenues à l’écart des décisions qui les concernent. De plus, la Commission constate que les structures actuelles du réseau de la santé soutiennent le fonctionnement en « silo » des différents établissements. Pour faire face à cela, la Commission souhaite l’adhésion de l’ensemble des établissements à un ensemble de principes directeurs que sont : la responsabilité populationnelle14, l’imputabilité et la primauté aux résultats15, la subsidiarité16, l’importance de la gestion17 et la participation des citoyens18. Concrètement, la Commission propose que l’ensemble des établissements de première ligne d’un même territoire soient regroupés sous une gouverne unique.

Le rapport de la Commission Clair sera bien accueilli par le gouvernement de l’époque. Celui- ci applique rapidement certaines des solutions proposées par les commissaires (Gaumer, 2008). Il s’engage d’abord à donner suite aux recommandations concernant la réorganisation de la première ligne autour de la création de GMF (Rioux, 2008). De plus, dès 2001, le gouvernement modifie la Loi sur la santé et les services sociaux avec l’objectif d’augmenter

14 Selon la commission, la responsabilité populationnelle signifie que « le Ministère, les régies régionales, les établissements et les cabinets de médecins sont conjointement responsables de l’amélioration de la santé de la population et de l’organisation des services […] sur un territoire donné » (Québec, 2003, p.202). 15 « Le principe d’imputabilité correspond à l’obligation de rendre compte de ses interventions, du résultat de ses actions […] Gérer par résultats, c’est accepter de mesurer à partir d’indicateurs de performance modernes » (Idem, p.202). 16 « Selon le principe de subsidiarité, les décisions doivent être prises au palier le plus bas possible au sein d’une hiérarchie ou d’une organisation » (Idem, p.203). 17 Selon la commission, « la gestion n’est pas une activité accessoire mais essentielle. Elle sert à organiser les ressources en vue de passer à l’action » (Idem, p.203) 18 La participation des citoyens se « concrétise par le rôle des conseils d’administration, auxquels participent les citoyens [ainsi que] dans des comités consultatifs où la population est conviée à exprimer ses besoins, ses attentes et sa satisfaction à l’égard des services » (Idem, p.203)

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l’importance de la reddition de compte et de la gestion par résultats. Dès lors, le ministre de la Santé et des Services sociaux a la responsabilité d’identifier les objectifs que doivent atteindre les régies régionales, dans le cadre d’ententes de gestion et d’imputabilité, les régies faisant de même avec les établissements de leur territoire (Demers et Turgeon, 2008).

C’est cependant l’arrivée du Parti Libéral du Québec dirigé par Jean Charest qui provoquera les changements les plus importants dans le réseau comme nous le verrons dans la section suivante.

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1.2 La réforme Couillard

Rapidement après l’élection du Parti Libéral du Québec en 2003, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Philippe Couillard, se voit confier le mandat de réformer le système de santé et de services sociaux québécois (Voir section 2.1.2). Celui-ci met en branle la réforme à l’aide d’un imposant programme législatif à appliquer dans un temps très court (Rousseau et Cazale, 2007). En deux ans, trois lois viendront modifier de manière importante le fonctionnement du réseau. Il s’agit des lois 25, 30 et 83.

1.2.1 La Loi 25

La volonté du gouvernement d’augmenter l’intégration des services ainsi que la coordination entre les établissements se traduit par des changements structurels importants. Avec le projet de Loi 25 (Loi sur les agences de développement des réseaux locaux de services de santé et de services sociaux), adopté en décembre 2003, le ministre Couillard crée, en remplacement des régies régionales, les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux. Ces nouvelles organisations ont pour mission de mettre en place une organisation de services de santé et de services sociaux intégrés sur leur territoire. Pour ce faire, les agences ont la responsabilité de mettre en œuvre un nouveau mode d’organisation des services à travers la création de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux (RLS) au sein desquels on retrouve l’ensemble des dispensateurs de services de santé et de services sociaux du territoire.

Le mode d’organisation au sein des RLS s’appuie sur deux principes. Il s’agit d’abord de la responsabilité populationnelle, en vertu de laquelle « les différents intervenants offrant des services à la population d’un territoire local seront amenés à partager collectivement une responsabilité envers cette population » (MSSS, 2004, p.9). Le deuxième principe est la hiérarchisation des services. Avec ce principe, il s’agit d’assurer une meilleure

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complémentarité entre les services de manière à faciliter le cheminement de l’usager (MSSS, 2004, p.10).

Au cœur de chaque RLS se trouve un superétablissement (St-Pierre, 2009) nommé centre de santé et de services sociaux (CSSS). Ces nouvelles entités résultent de la fusion forcée d’un ou plusieurs centres locaux de services communautaires (CLSC), centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) et centres hospitaliers (CH) d’un même territoire. À terme, ce sont quatre-vingt-quinze RLS, et donc quatre-vingt-quinze CSSS, qui sont créés.

Cette vague de fusion a pour effet de faire passer le nombre d’établissements au sein du réseau socio sanitaire québécois de 458, au 31 mars 2004, à 294 au 31 mars 2009. Cette diminution du nombre d’établissements n’a cependant pas fait diminuer le nombre d’installations19. En effet, celles-ci sont passées de 1800 en 2002 à 1741 en 2009 (Québec, 2009, p.8). Le changement le plus important concerne donc le ratio du nombre moyen d’installations par établissements qui passe de 2,7 en 1990 à 8,4 en 2008 (St-Pierre, 2009, p.65)

Bien que tous les CSSS aient les mêmes responsabilités, leur composition diffère grandement. Ainsi, le nombre et le type d’établissements présent sur les différents territoires avant les fusions forcées déterminent la composition des différents CSSS. Si la majorité des CSSS se compose d’établissements regroupant les missions20 CLSC, CHSLD et CH, d’autres combinaisons sont aussi possible (Voir tableau 1).

19 « Alors que les établissements sont des entreprises qui gèrent des installations, celles-ci sont des lieux physiques où sont offerts des soins de santé et de services sociaux à la population du Québec » (St-Pierre, 2009, p.65) 20 Chaque établissement est titulaire d’un permis émis par le ministre de la Santé et des Services sociaux lui permettant d’offrir des services correspondant à une ou plusieurs des cinq missions définie par Loi sur la santé et les Services sociaux. Voir annexe 1 pour une description des missions.

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Tableau 1. Nombre de CSSS et leurs missions (2008)

Missions Nombre de CSSS CHSLD; CLSC; CH. 68 CHSLD; CLSC. 14 CHSLD; CLSC; CH; CR. 10 CLSC; CH. 1 CLSC; CHSLD; CR. 1 CLSC. 1 Total 95

Ces nouveaux établissements représentent l’assise du nouveau mode d’organisation des services. Ils se doivent d’assurer « l’accessibilité, la prise en charge, le suivi et la coordination des services destinés à la population du territoire local » (MSSS, 2004, p.12). Pour ce faire, les CSSS se voient confier la responsabilité de coordonner « les activités des producteurs de services qui sont destinées à la population de [leur] territoire, en créant des liens au moyens d’ententes ou d’autres modalités » (Idem, p.12). Bref, les CSSS se voient déléguer la responsabilité de l’organisation des services de santé sur leur territoire21.

1.2.2 La Loi 30

De manière à faciliter la modification de l’organisation du travail devant accompagner la création des CSSS, le gouvernement adopte, en décembre 2003, le projet de Loi 30 (Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales et modifiant la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans le secteur public et parapublic). Il s’agit d’un élément important du projet d’intégration du ministre Couillard. En effet, selon les documents officiels du MSSS, le projet d’intégration des services est tributaire du levier

21 La position du CSSS, au cœur du RLS, est représentée par le graphique de l’annexe 2.

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que représente la gestion et la mobilisation des ressources humaines (MSSS, 2004, p.21). Dans ce contexte, et toujours selon le MSSS, des actions structurantes doivent êtres mises en œuvre afin « d’accroître la disponibilité et la mobilisation des ressources humaines, pour faciliter leur répartition et leur rétention » (Idem, p.21).

Ainsi, la Loi 30 modifie deux éléments importants ayant une incidence sur la gestion des ressources humaines du réseau, sur les relations du travail ainsi que sur l’organisation du travail. Il s’agit, d’une part, de la limite du nombre d’unités de négociation pouvant être constitué et de la composition de ces unités et, d’autre part, de la décentralisation de certaines matières de négociation au niveau local.

Pour le ministre Couillard, la refonte des unités d’accréditation est une mesure nécessaire afin de permettre une gestion plus efficace des ressources humaines. Pour lui, le grand nombre d’unités d’accréditation est à l’origine de « complexités énormes et [de] rigidité […] dans la prestation des services » (Couillard, 2003a, p.7). Dans ce contexte, il est nécessaire, selon lui, de rationaliser les unités d’accréditation, c'est-à-dire de les « organiser de manière rationnelle, […] méthodique et subordonnée à l’organisation des soins et services, et non pas l’inverse » (Couillard, 2003e, p.4).

Ainsi, la Loi 30 limite à quatre le nombre d’unités d’accréditation pouvant être constituées par établissement du secteur de la santé et des services sociaux. Qui plus est, la Loi définit la composition de chacune des unités d’accréditation en terme de catégories de personnel. Même si le ministre énonce un certain nombre de critères ayant été utilisés afin de tracer les contours des nouvelles unités d’accréditation22, il rappelle que l’idée principale, au cœur du projet de loi, est de donner la possibilité de modifier l’organisation du travail de manière à l’adapter aux besoins de la clientèle. En ce sens, le ministre affirme :

22 Selon le ministre Couillard, les critères ayant été utilisés dans la définition des unités sont : la complémentarité, l’interdépendance des fonctions, le cheminement de carrière et le développement professionnel, la culture organisationnelle du travail et la faisabilité (Couillard, 2003e, p.5).

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« Il faut indiquer que le choix de ces critères n’a pas pour seul objectif uniquement d’améliorer le fonctionnement des établissements et d’en faciliter l’organisation du travail par le renforcement des liens naturels existants au niveau des équipes, mais également, encore une fois, d’ajuster l’organisation du travail aux besoins de soins et de services de notre population » (Couillard, 2003e, p.5).

Ainsi, ont été créées : la catégorie du personnel en soins infirmiers et cardio-respiratoires; la catégorie du personnel paratechnique, des services auxiliaires et des métiers; la catégorie du personnel de bureau, des techniciens et des professionnels de l’administration et finalement, la catégorie des techniciens et des professionnels de la santé et des services sociaux.

L’autre changement important apporté par la loi 30 est la décentralisation de la négociation de vingt-six matières de convention collective au niveau local. Ces matières touchent principalement l’organisation du travail23. Pour le ministre cette mesure a pour objectif d’optimiser l’utilisation du personnel et de valoriser le travail accompli. L’atteinte de ces objectifs passe, selon le ministre, par la capacité des acteurs locaux à modifier l’organisation du travail en fonction de caractéristiques qui leur sont spécifiques. Il s’agit donc de donner aux gestionnaires locaux les marges de manœuvre nécessaire à la modification de l’organisation du travail des employés sous leur supervision.

Cette décentralisation s’accompagne d’un ensemble de règles encadrant les négociations locales. Ainsi, à partir de la date d’accréditation des nouvelles unités d’accréditation, les parties disposent d’un délai de vingt-quatre mois pour arriver à une entente sur les matières à négocier. Si, à la suite de ce délai, aucune entente n’est conclue, un médiateur-arbitre est nommé. Celui-ci dispose alors de soixante jours pour amener les parties à trouver un terrain d’entente. Passé ce délai, un processus d’arbitrage des offres finales s’enclenche. À cela il est important d’ajouter que les éléments composant la nouvelle convention collective, qu’ils aient été négociés ou imposés par l’arbitre, ne doivent entraîner aucun coûts supplémentaires.

23 Voir annexe 4 pour la liste des matières décentralisées.

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1.2.3 La Loi 83

Suite à la mise en œuvre de la Loi 25, il devenait nécessaire d’harmoniser la Loi sur la santé et les services sociaux24, afin qu’elle tienne compte des changements structurels imposés au réseau de la santé et des services sociaux du Québec. Cette « mise à jour du cadre législatif en santé et services sociaux » (Richard, 2005, p.8) a été réalisée grâce à l’adoption, en novembre 2005, du projet de Loi 83 (Loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux et d’autres dispositions législatives).

Cette loi, dite d’harmonisation, a, entre autres, pour objectif de clarifier les responsabilités des différents paliers du système de santé et de services sociaux québécois suite aux modifications liées à la Loi 25.

Selon la loi, le ministère a la responsabilité d’élaborer une vision nationale des besoins socio- sanitaires, de déterminer les objectifs généraux d’amélioration de la santé ainsi que les mandats, les responsabilités des divers partenaires du réseau qui en découlent et, finalement, d’élaborer les mécanismes de coordination au niveau national (Couillard, 2005, p.16).

Quant aux agences, leurs responsabilités sont recentrées sur l’arbitrage régional, l’allocation des ressources financières et humaines ainsi que l’organisation des services spécialisés, tout cela en lien avec les objectifs régionaux (Idem, p.15).

Pour ce qui est du palier local, la Loi 83 confirme la responsabilité des CSSS quant à la coordination des activités et des services offerts par les intervenants du RLS. Cette coordination passe par l’obligation, pour chacun des CSSS, de définir un projet clinique et organisationnel.

24 Le réseau de la santé et des services sociaux est encadré principalement par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) (MSSS, 2006).

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Ainsi, la décentralisation de la responsabilité de l’organisation clinique au niveau local demeure tout de même encadrée par plusieurs balises. En effet, le contenu du projet clinique et organisationnel est déterminé par le MSSS. Le projet doit préciser les besoins socio-sanitaires de la population du territoire, les objectifs d’amélioration de la santé et du bien-être de cette population, l’offre de services requises pour satisfaire aux besoins socio-sanitaires et finalement, les modes d’organisation et les contributions des différents partenaires de ce réseau. Qui plus est, le nouveau mode d’organisation doit tenir compte d’un ensemble d’éléments imposés par le MSSS. Par exemple, il doit être en cohérence avec le découpage, mis en œuvre depuis 2004, des activités du RSSS en neuf programmes services et deux programmes soutien25 (MSSS, 2004, p.5). Qui plus est, le mode d’allocation des ressources financières est modifié en fonction de cette structure par programmes et services. Celui-ci passe du mode d’allocation historique26 à un mode d’allocation populationnel27.

25 Les programmes services, « désignent un ensemble de services ou d’activités organisés dans le but de répondre aux besoins de la population en matière de santé et de services sociaux ou, encore, aux besoins d’un groupe de personnes qui partagent une problématique commune. Ils poursuivent les buts d’orienter l’organisation des services, de fournir un cadre intégrateur pour préciser les politiques et orientations, l’allocation des ressources financières, les cible de résultats et la reddition de compte » (MSSS, 2004, p.13). Ce « découpage » des activités détermine l’allocation des ressources financières aux établissements depuis 2004-2005 (Rhéault, p.20). Il y a actuellement neuf programmes services (santé publique; services généraux; perte d’autonomie liée au vieillissement; etc.) deux programmes soutien (administration et soutien aux services et gestion des bâtiments et des équipements. (MSSS, 2004, p.10) 26 « Le mode d’allocation historique finançait les régions et les établissements en reconduisant les enveloppes budgétaires, en ajoutant un certain montant d’indexation et en distribuant certains budgets de développement » (Richard, 2005, p.49) 27 « Le mode d’allocation populationnel répartit des budgets par programme en fonction des besoins de la population et des caractéristiques des régions. En réalité, il s’agit d’établir le coût type pour chaque programme où la dépense de référence correspond au coût moyen au Québec pour un programme donné, et de financer les régions en multipliant les coûts des programmes par le nombre de personnes habitant chaque région » (Richard, 2005, p.50)

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1.3 Remarques finales

De cette mise en contexte retenons d’abord que la prise en compte de l’évolution historique du secteur de la santé permet de lier la morphologie de la catégorie des gestionnaires ainsi que le travail des individus qui la composent aux institutions qui structurent le secteur de la santé et des services sociaux québécois.

Ainsi, nous avons vu que le fait que la majorité des hôpitaux francophones ait été jusqu’au début des années soixante la propriété de communautés religieuses explique en partie la nature du travail d’encadrement de l’époque. De plus, à partir des années soixante, l’engagement de l’État dans la régulation du système entraîne une modification importante de la composition de la catégorie du personnel d’encadrement, avec l’arrivée de personnel laïc responsable des questions administratives.

À cela il faut ajouter que les commissions d’enquêtes, et les réformes qui s’ensuivent, ont marqué l’évolution historique du système de santé et de services sociaux québécois et ont joué un rôle marquant sur l’évolution du travail du personnel d’encadrement. En effet, en changeant les structures organisationnelles des établissements existants ou en créant de nouveaux types établissements, tels que les CLSC, les réformes ont modifié le travail des acteurs organisationnels ainsi que les rapports qu’ils entretiennent entre eux, y compris le personnel d’encadrement. Par exemple, dans les CLSC le personnel d’encadrement n’a que peu à voir avec celui des hôpitaux. La structure administrative de ces organisations est beaucoup plus simple et l’accent mis sur la multidisciplinarité ouvre la voie de l’encadrement à d’autres catégories socioprofessionnelles que celle d’infirmière.

Qui plus est, les réformes se sont toutes attaquées à la question du rapport entre les logiques professionnelles et la logique managériale. En effet, on retrouve dans toutes les commissions et les réformes qu’a connues le système de santé québécois la volonté de rationaliser le fonctionnement interne des établissements ainsi que les relations entre les divers établissements du système, à travers l’affirmation de l’importance de la mise en place d’une

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catégorie d’acteurs dédiés à la gestion et ayant le pouvoir nécessaire pour faire appliquer ses décisions. Ce dernier point soulève un facteur important à l’origine de la nature du travail du personnel d’encadrement des établissements de santé et de services sociaux québécois, soit la représentation importante de professionnels soignants dans ces postes.

Ainsi, on ne peut comprendre les caractéristiques de cette catégorie ainsi que les rationalités à l’œuvre chez les acteurs qui la composent si on ne tient pas compte des structures organisationnelles dans lesquelles ils œuvrent, de leur origine professionnelle ainsi que des rapports de pouvoir qu’ils entretiennent entre eux.

Plus spécifiquement, retenons de ce bref détour historique qu’il confirme la pertinence de s’intéresser aux impacts des réformes sur le travail du personnel d’encadrement car celles-ci modifient des facteurs ayant des impacts déterminants sur la morphologie de la catégorie ainsi sur la nature du travail des acteurs qui la composent. Surtout, ce survol historique nous amène à mettre en doute la représentation qui est faite par les promoteurs de la réforme de la catégorie du personnel d’encadrement. L’histoire du système de santé et de services sociaux québécois nous apprend que la nature du travail du personnel d’encadrement n’a pas toujours été la même, mais aussi que nous faisons face, à tout le moins avant la réforme, à une catégorie fortement hétérogène.

Ainsi, la compréhension des enjeux que soulève la réforme en ce qui a trait au travail des gestionnaires sera probablement facilitée par la prise en compte des fondements idéologiques sur lesquels s’appuie la réforme et du contexte politique dans lequel elle a été mise en œuvre. C’est ce à quoi nous nous attarderons dans la prochaine section.

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Chapitre 2. Revue de la littérature

Afin d’identifier les enjeux de la réforme en ce qui a trait au travail des gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux québécois, nous avons réalisé une revue de la littérature. Pour ce faire, nous nous sommes concentrés sur trois grands thèmes qui composent les trois sections de ce chapitre. Dans la première section, nous présenterons les fondements idéologiques de la réforme Couillard ainsi que le contexte politique ayant mené à sa mise en œuvre. Nous verrons que la réforme Couillard représente un des éléments d’un projet de modernisation de l’État s’inscrivant dans le courant du nouveau management public. Dans la deuxième section nous nous intéresserons à l’appréhension de leur travail par les gestionnaires. Ayant déjà affirmé notre volonté d’inscrire cette recherche dans la tradition de la sociologie du travail, nous débuterons par en tracer les spécificités. Par la suite, nous verrons de quelle manière la sociologie s’est intéressée au travail des gestionnaires. Dans la troisième section, nous décrirons brièvement les caractéristiques spécifiques des gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux. Nous terminerons par tracer un portrait des impacts des réformes du NMP sur cette catégorie d’acteurs.

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2.1 Les fondements idéologiques de la réforme et son contexte politique

La réforme Couillard ne se réduit pas à un projet de mise en œuvre des propositions contenues dans le rapport de la Commission Clair (Voir section 1.1.5). S’il est vrai qu’elle s’en inspire à bien des égards, il importe cependant de tenir compte du fait que la réorganisation du secteur de la santé et des services sociaux québécois représente une part importante du projet de réingénierie de l’État28 mis de l’avant par le gouvernement libéral de Jean Charest. Dans cette section nous présenterons les fondements idéologiques de cette réforme ainsi que le contexte politique dans lequel elle a été mise en œuvre.

2.1.1 Les fondements idéologiques de la réforme : le Nouveau Management Public

La réforme du système de santé québécois et le projet de réingénierie de l’État dans lequel elle s’inscrit se fondent sur une certaine représentation des organisations publiques, de leur gestion, de leur rôle dans la société ainsi que du rapport entre l’État et les citoyens. Comme le confirment Rouillard et Bourque (2011), Fortier (2010), Bourque (2007) et Rouillard et coll., (2004, 2008), cette représentation découle d’un courant nommé Nouveau Management Public29 (NMP). Dans cette section, nous présenterons les origines de ce mouvement et décrirons les propositions normatives qui en émanent. Par la suite, nous décrirons les principales critiques qui lui sont adressées et terminerons en traçant les origines de ce mouvement au Québec.

2.1.1.1 L’origine du NMP

L’expression nouveau management public apparaît dans la littérature scientifique au début des années quatre-vingt-dix pour caractériser le mode d’organisation et de gestion des

28 D’abord nommé réingénierie de l’État, le projet du gouvernement Charest fut par la suite rebaptisé modernisation de l’État (Rouillard et coll., 2008). 29 Certains auteurs utilisent aussi l’expression Nouvelle Gestion Publique (NGP). De manière à éviter la confusion, nous utiliserons uniquement le terme nouveau management public.

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organisations publiques qui résulte des réformes de l’État mises en œuvre dans plusieurs pays occidentaux depuis la fin des années soixante-dix. Si la Grande-Bretagne et les États-Unis sont habituellement désignés comme les premiers pays au sein desquels celles-ci apparaissent, ce type de réforme s’est par la suite rapidement répandu dans plusieurs pays de l’OCDE (Aucoin, 1995; Hood, 1991).

Dit simplement, le NMP désigne un mode d’organisation et de gestion des organisations publiques ayant pour caractéristique fondamentale de se définir en opposition à l’administration publique traditionnelle (Gow et Dufour, 2000). Alors que celle-ci se fonde sur une rationalité juridique (Rouillard et coll., 2004, p.50) ou politico-juridique (Gow et Dufour, 2000, Dubois, 2003) le NMP repose plutôt sur une rationalité managériale30. Gow et Dufour (2000) affirment que cette importance de la rationalité managériale signifie que le critère de décision devient l’utilisation optimale des ressources plutôt que le respect des règles (Gow et Dufour, 2000, p.687). Merrien abonde dans le même sens et affirme que le NMP fait le choix de « privilégier les résultats et la satisfaction du client au profit de la légalité et du respect des procédures » (Merrien, 1999, p.98). Le NMP remet donc en cause le modèle hiérarchique- wébérien au profit d’un modèle post-bureaucratique (Saint-Martin, 1999) ou contractuel de marché (Merrien, 1999, p.97).

Le NMP n’est pas le fruit d’une théorisation préalable. La communauté universitaire s’intéressant aux organisations du secteur public n’a ni prédit, ni encouragé ce type de réforme (Dawson et Dargie, 1999, p.463). Pour Gow et Dufour (2000), l’apparition de ce mode d’organisation et de gestion des organisations publiques à la fin des années soixante-dix s’explique par une crise de l’administration publique traditionnelle (Gow et Dufour, 2000, p.693). La façon dont ces auteurs décrivent cette crise, en trois étapes, nous paraît

30 « Ces rationalités se distinguent l’une de l’autre comme suit : la légitimité de la rationalité juridique renvoie à la régularité des procédures, alors que celle de la rationalité managériale renvoie à leur efficacité/efficience; la première privilégie les moyens et la stabilité, alors que la seconde privilégie les buts et les changements; le raisonnement de la première est analytique, linéaire et déductif, alors que celui de la seconde est synthétique, systémique et téléologique; la première conçoit l’appareil administratif comme un système fermé, alors que la seconde le conçoit comme un système ouvert; l’autorité de la première renvoie à un ordre hiérarchique unilatéral, alors que la seconde renvoie à la délégation, à l’incitation et à la négociation; et, enfin, la première exerce son contrôle sur les règles, alors que la seconde l’exerce sur les résultats » (Rouillard, 2003, p.22)

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extrêmement instructive car elle permet de saisir les fondements théoriques sur lesquels s’appuie le NMP, mais aussi de prendre en compte l’importance du contexte comme facteur explicatif de son émergence.

Gow et Dufour (2000) affirment d’abord qu’on retrouve à l’origine de cette crise un certain nombre de difficultés pratiques de l’administration publique traditionnelle. À ce propos, Charbonneau (2011) rappelle que la bureaucratie traditionnelle, en tant que mode d’organisation et de gestion des organisations du secteur public a fait, et fait toujours, l’objet de multiples critiques. Si plusieurs axes de critique de la bureaucratie traditionnelle peuvent être identifiés31, Charbonneau (2011) affirme que les principales critiques ayant ouvert la voie au NMP concernent la capacité de la bureaucratie à assurer l’efficacité de l’administration publique. Confirmant ces propos, Rouillard (2001) écrit qu’à l’origine du NMP se trouve :

« Une perception généralisée à l’effet que la bureaucratie gouvernementale opère une influence exagérée sur la gestion de l’État et que le recours aux multiples règles et procédures a créé graduellement un univers de rigidités bureaucratiques » (Rouillard, 2001, p.5).

Ce serait donc « l’accumulation normale d’anomalies, de problèmes irrésolus » (Gow et Dufour, p.693), qui aurait pavé la voie à la deuxième étape de cette crise, soit la remise en question intellectuelle de l’administration publique traditionnelle. Si Merrien (1999) soulève l’influence qu’ont pu avoir le néo-libéralisme de Von Hayek et de Milton Friedman32 ainsi que

31 Dans le champ de l’administration publique, Charbonneau (2011) identifie trois axes de critique de la bureaucratie traditionnelle. Alors que certains soulèvent l’influence des fonctionnaires sur la formulation et la mise en œuvre des politiques publiques et le risque d’établissement d’une technocratie qui y est associé, d’autres, s’intéressant à la relation entre la bureaucratie et les citoyens, pointent du doigt l’intimidation que pourraient ressentir ces derniers et l’impersonnalité des services rendus. Finalement, certains portent leurs analyses sur les individus travaillant au sein des bureaucraties et soulèvent les inégalités sociales que ce mode d’organisation reproduirait en son sein ainsi que l’aliénation des fonctionnaires qui découlerait de la nature de leur travail. 32 À propos du néo-libéralisme, Dostaler écrit : « C'est une idéologie qui met de l'avant l'idée de l'efficacité absolue du marché et du caractère naturel des lois économiques. Elle considère la société comme un regroupement d'individus identiques, agents hédonistes, rationnels et omniscients. Elle condamne toute interférence de l'État et juge en particulier que la liberté économique est le fondement de la liberté politique […] Cette position est exprimée de manière particulièrement éloquente dans le manifeste de Milton Friedman, Capitalisme et Liberté (1960) ». (Dostaler, 2000, p.12)

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la sociologie des organisations avec des auteurs tels que Merton ou Crozier33, plusieurs auteurs affirment que le nouveau management public est largement redevable à l’école du Public Choice34 (Hood, 1991; Rouillard et coll., 2008; Mercier, 2002; Merrien, 1999; Amar et Berthier, 2006). Mercier (2002) affirme d’ailleurs que le NMP peut être considéré comme « l’aboutissement opérationnel » de ce mouvement intellectuel. À travers les travaux des économistes de l’école du Public Choice, ce sont les fonctions même de l’État providence qui sont remises en question (Piron, 2003), ces derniers proposant de laisser une plus grande place aux lois du marché comme mode de régulation de l’économie et du social.

À l’influence de ces économistes s’ajoute celle exercée par différents courants managériaux en vogue dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. À ce propos, Charbonneau (2011), Gow et Dufour (2000) et Hood (1991) mentionnent l’influence d’auteurs s’adressant aux employeurs, tels que Ouchi, Peters et Waterman35 ainsi que Osborne et Gaebler36. Quant à Rouillard et coll., (2008), ils affirment que le NMP est largement redevable du mouvement de la qualité totale.

33 « De la sociologie des organisations, le NMP retient essentiellement la notion de « cercle vicieux bureaucratique », c’est-à-dire la tendance de chaque service à fonctionner pour et sur lui-même » (Merrien, 1999, p.98) 34 « L’école des choix publics (public choice) analyse l’intervention de l’État dans l’économie en utilisant les concepts de la théorie économique néoclassique. […] Elle ne considère pas que les défaillances du marché rendent nécessaire l’intervention de l’État. J. Buchanan, G. Tullock et W. Niskanen contestent l’idée selon laquelle l’État est le représentant de l’intérêt général. À travers la théorie du marché politique, ils montrent que les hommes politiques sont des agents économiques qui cherchent à maximiser leur satisfaction (élection) et que les décisions publiques sont le résultat de l’agrégation de décisions privées (promesses faites aux électeurs). De même, à travers la théorie économique de la bureaucratie, ils montrent que cette dernière n’est pas l’incarnation de la rationalité : les agents du système administratif cherchent à maximiser leurs revenus ou leur pouvoir. Il en résulte un accroissement injustifié des dépenses publiques. Rien ne garantit que les décisions du système politique et du système bureaucratiques soient efficientes et conformes aux intérêts de la collectivité. Par conséquent, l’intervention publique produit des effets pervers, en particulier une croissance illégitime de l’État » (Beitone et coll., 2010, p.145). 35 À ce propos, Hatch (2000) écrit : « Au début des années 1980, des ouvrages traitant de la culture d’entreprise sont apparus dans la liste des livres les plus vendus aux États-Unis. Parmi eux, les plus connus sont sans doute le livre de William Ouchi intitulé La théorie Z. […] et celui de Tom Peters et Robert Waterman La recherche de l’excellence. L’énorme attrait de ces ouvrages s’explique sans doute par les difficultés de l’époque à expliquer la compétitivité des entreprises japonaises sur le marché américain » (Hatch, 2000, p.216). 36 En 1993, Osborne et Gaebler publièrent un ouvrage clé du NMP Reinventing Governement. Les auteurs y « proposèrent de réinventer l’administration publique américaine en misant sur l’esprit entrepreneurial des gestionnaires qui y travaillaient » (Charbonneau, 2011, p.307).

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Les différentes réformes s’inscrivant dans le courant du NMP accorderont plus ou moins d’importance à l’un ou à l’autre de ces « courants ». Alors que certains gouvernements s’inspireront plutôt des préceptes du Public Choice, d’autres fonderont leurs actions sur les différents courants managériaux. En ce sens, Mercier (2002) explique qu’en Grande-Bretagne, les réformes du NMP se sont principalement appuyées sur les préceptes du Public Choice, alors qu’aux États-Unis elles furent influencées par le courant managérial. Évidemment, ces différences s’expliquent, entre autres, par les contextes institutionnels de ces pays. À ce propos Mercier (2002) écrit:

«En Grande-Bretagne, le NMP a souvent été vu sous l’angle de la privatisation et de la valorisation du secteur privé […] dans d’autres pays on a insisté davantage sur l’importation dans le secteur public de méthodes de gestion venant du secteur privé. Aux États-Unis, il y a traditionnellement moins d’entreprises publiques, donc moins d’entreprises à privatiser. C’est ce qui explique en partie, à tout le moins, pourquoi la bible américaine du NMP, Réinventing Government (1993) de Osborne et Gaebler, parle davantage de gestion que de propriété » (Mercier, 2002, p.372).

Malgré ces différences, retenons pour l’instant que ces deux sources de remise en question intellectuelle de l’administration publique traditionnelle, de la part du Public Choice et du management, sont à l’origine de deux idées maîtresses sur lesquelles s’appuient les réformes du NMP, à savoir 1) la séparation entre formulation et application de la politique et 2) l’importance du management inspiré du secteur privé (Charih et Rouillard, 1997).

Ces deux premières composantes de la crise de l’administration publique traditionnelle, n’expliquent pas à elles seules l’émergence du NMP. Surtout, elles n’expliquent pas pourquoi le NMP a émergé à ce moment précis (Hood, 1991; Dwivedi et Gow, 1998). À ce propos, Gow et Dufour (2000) affirment qu’un ensemble d’éléments contextuels doit être pris en compte afin d’expliquer l’émergence de ce type de réforme. Le premier de ces éléments est le défi qu’a représenté pour les États la crise financière ayant touché les pays de l’OCDE à la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt. Cette crise aurait été pointée du doigt par certains afin de démontrer les limites de l’État providence (Rouillard et coll., 2008; Gow et Dufour, 2000; Dwivedi et Gow, 1998; Charih et Rouillard, 1997; Merrien, 1999). Un

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deuxième élément est l’évolution des attentes des citoyens envers l’État depuis les années soixante-dix. L’augmentation de l’hétérogénéité sociale, du nombre d’emplois de cols blancs ainsi que du niveau de scolarisation de la population seraient à l’origine de cette évolution. Non seulement les citoyens seraient plus conscients de leur niveau de taxation, mais ils se satisferaient moins de politiques publiques uniformes (Rouillard et coll., 2008; Hood, 1991). L’émergence de gouvernements conservateurs à la fin des années soixante-dix en Grande- Bretagne et aux États-Unis, associés à la droite et défendant l’économie de marché, est aussi un facteur contextuel important, tout comme la politisation des politiques publiques, ces dernières étant utilisées par certains partis politiques comme des enjeux électoraux (Aucoin, 1995; Hood, 1991). Finalement, la présence de réseaux d’experts en management, offrant aux administrations publiques des solutions de gestion clé en main, que ce soit au travers de best- sellers (Gow et Dufour, 2000, p.694) ou que ce soit en offrant leurs services en tant que consultants (Saint-Martin, 1999), représente un dernier élément contextuel expliquant l’émergence des réformes du NMP.

Cette description de la crise de l’administration publique, à l’origine de l’émergence du NMP, soulève le fait que celui-ci s’est imposé de façon graduelle (Charbonneau, 2011). Si les réformes du NMP prendront plusieurs formes, nous verrons qu’il est possible d’identifier des fondements communs.

2.1.1.2 Les propositions du NMP

Les réformes s’inscrivant dans le courant du NMP ont pris plusieurs formes dépendamment des pays dans lesquels elles ont été mises en œuvre. Ces différences peuvent s’expliquer, entre autres, par l’accent mis soit sur la réduction de la taille de l’État, selon les préceptes du Public Choice, ou sur l’importation dans les organisations du secteur public de modes de gestion propres à l’entreprise privée. Au-delà de ces différences il est possible d’identifier un ensemble de principes communs à l’ensemble des réformes. Pour Hood (1991), ces principes sont souvent présentés par les tenants du NMP comme étant des solutions universelles, applicables dans des organisations de différents secteurs de l’administration publique, dans

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différents contextes ainsi que dans différents pays (Hood, 1991). En ce sens, le NMP est présenté par ses tenants comme étant pragmatique et apolitique (Rouillard et coll., 2008; Hood, 1991). Voici un résumé de ces propositions :

 Il faut créer une séparation entre les décisions politiques et leur mise en œuvre. Pour ce faire, le rapport entre le politique et l’administratif doit se faire par contrats. En ce sens, les organisations du secteur public doivent être fragmentées afin de créer des unités plus facilement gérables, vers lesquelles on décentralise les responsabilités de gestion et les budgets, selon le principe de subsidiarité. (Emery et Giauque, 2005)

 Le principe de la compétition doit être introduit, soit entre les organisations publiques, en créant des marchés ou des quasi marchés, soit entre les organisations publiques et privées en faisant, entre autres, des appels d’offres publics (Emery et Giauque, 2005; Merrien, 1999; Dwivedi et Gow, 1998; Hood, 1991).

 Il faut accorder de l’importance à la gestion en tant qu’activité professionnelle. Pour ce faire, il faut accorder le contrôle des organisations publiques à des gestionnaires ayant les marges de manœuvre nécessaires pour gérer (Fortier, 2010; Dwivedi et Gow, 1998; Hood, 1991; Merrien, 1999; Charih et Rouillard, 1997; Rouillard, 2001).

 Il faut introduire des méthodes de gestion provenant de l’entreprise privée. Il s’agit d’augmenter la flexibilité de la gestion, en ce qui à trait, entre autres, à la gestion des ressources humaines (Hood, 1991; Dwivedi et Gow, 1998; Merrien, 1999; Charih et Rouillard, 1997; Mercier, 2002).

 Les programmes et les gestionnaires responsables de leur mise en œuvre doivent être évalués, a posteriori, en fonction de leurs résultats. L’allocation des ressources se fait en fonction de cette évaluation de la performance (Hood, 1991; Dwivedi et Gow, 1998; Merrien, 1999; Rouillard, 2001; Mercier, 2002).

 Les citoyens doivent êtres considérés comme des clients dont les besoins doivent être satisfaits (Emery et Giauque, 2005; Piron, 2003; Hood, 1991; Dwivedi et Gow, 1998; Merrien, 1999; Charih et Rouillard, 1997).

Emery et Giauque soulèvent la ressemblance entre ces principes et les instruments et outils de gestion utilisés dans les entreprises privées, ce qui les amènent à affirmer :

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« De manière résumée, […] les expériences de NMP correspondent à l’introduction de méthodes et principes de gestion issus du secteur privé au sein des administrations publiques » (Emery et Giauque, 2005, p.89).

2.1.1.3 Les critiques du NMP

Le NMP a fait l’objet de plusieurs critiques que nous pouvons regrouper en deux grands axes (Charbonneau, 2011). Alors que le premier porte son attention sur les tensions entre les valeurs du NMP et celles de l’administration publique traditionnelle, le deuxième s’intéresse plutôt aux résultats effectifs des réformes du NMP ainsi qu’aux conséquences inattendues de leur mise en œuvre.

2.1.1.3.1 Les valeurs de l’administration publique traditionnelle et celles du NMP

Dans ce premier axe, certains auteurs critiquent le fait que les tenants des réformes du NMP les justifient comme étant inévitables et les décrivent comme un ensemble de mesures techniques et apolitiques. Pour les auteurs à l’origine de ces critiques, il importe de rappeler que les réformes du NMP reposent sur un certain nombre de valeurs remettant en question les fondements même de l’administration publique traditionnelle.

Par exemple, dans leur évaluation de la dernière réforme du système de santé québécois, Rouillard et Bourque (2011) et Bourque (2007) se demandent si celle-ci remet en cause la catégorisation du système de santé québécois en tant que système nationalisé. Ils affirment que la réforme s’attaque aux fondements du système de santé nationalisé que sont l’assurance publique universelle, le financement public ainsi que l’unicité de gestion (Bourque, 2007). À ce propos, Rouillard et Bourque (2011) écrivent :

« Le système nationalisé d’inspiration beveridgienne qui met l’accent sur l’universalisme ainsi que sur l’aspect public du financement et de la prestation des soins ne s’applique plus, selon nous, au système de santé du Québec » (Rouillard et Bourque, 2011, p.50).

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Ces chercheurs ne portent pas leur attention sur la gestion interne des organisations publiques, mais analysent plutôt les modifications que les réformes du NMP imposent aux fondements des modes d’interventions de l’État. Devant l’ampleur des changements imposés, certains en viennent même à questionner la légitimité démocratique des gouvernements de procéder à de tels projets de réforme (Rouillard et coll., 2008).

D’autres s’emploient plutôt à identifier les valeurs de l’administration publique traditionnelle qui sont bousculées par les réformes du NMP. Par exemple, Diefenbach (2009) affirme que le NMP remet en question l’idée des services publics en tant que « droits universels devant être fournis quels que soient la gravité des besoins, les coûts ou la capacité de payer des usagers37 » (Diefenbach, 2009, p.895). Il ajoute que les réformes du NMP remettent en question « l’ethos du service public traditionnel et son engagement à l’impartialité, à l’équité sociale et à l’intégrité38 » (Diefenbach, 2009, p.895).

Ce qui unit ces critiques, c’est qu’elles rappellent que les modes d’organisation et de gestion de l’administration publique traditionnelle et du NMP découlent d’une certaine représentation de l’intervention de l’État et s’appuient sur des valeurs qu’il convient de prendre en compte afin de saisir les impacts réels de ces réformes. Ces critiques sont d’autant plus importantes que, comme nous l’avons vu précédemment, les tenants du NMP s’emploient, dans certains cas, à masquer ces valeurs en soulignant le caractère pragmatique de leur projet de réforme ou, dans d’autres cas, à présenter les valeurs du NMP comme étant naturellement supérieure à celles liées à l’administration publique traditionnelle.

Une autre illustration éloquente de ce type de critique se trouve dans la remise en question de la valorisation de la figure du client abondamment utilisée dans les réformes du NMP. Pour plusieurs auteurs (Savoie, 1995; Piron, 2003; Diefenbach, 2009; Dwivedi et Gow, 1998; Rouillard et coll., 2008) cette valorisation de la figure du client remet en question les

37 Notre traduction 38 Notre traduction

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fondements même de la citoyenneté (Piron, 2003; Diefenbach, 2009). À ce sujet, Piron (2003) écrit :

«Est-ce que cette formulation ne laisse pas sous-entendre que l’essentiel des droits des citoyens, c’est le « droit à des services de qualité », c’est-à-dire qui « satisfont ses besoins »? Est-ce que ce n’est pas oublier que les droits, libertés et responsabilités des citoyens vont bien au-delà de leur statut de clients de certains services publics? » (Piron, 2003, p.52).

Selon ces critiques, la valorisation de la figure du client s’appuie sur une conception des individus comme étant préoccupés uniquement par leurs intérêts individuels. Ceci fait dire à Piron (2003) que le NMP conduit à « l’indifférence politique à autrui » (Piron, 2003, p.49). Elle écrit :

« Au cœur de cette figure symbolique se trouve une valorisation explicite de l’indifférence politique à autrui : le citoyen-client est un citoyen obnubilé par son monde privé et aveugle à tout ce qui ne le concerne pas directement » (Piron, 2003, p.49).

Dans le même sens, d’autres auteurs (Fortier, 2010; Rouillard et coll., 2008; Dwivedi et Gow, 1999) ajoutent que cette importance accordée à la figure du client conduit à une atomisation du rapport entre les citoyens et l’État. Qui plus est, la notion de service à la clientèle ignore l’immense différence de pouvoir d’influence qui existe entre les différents clients (Dwivedi et Gow, 1999). Tout cela ouvre la porte à l’inégalité d’accès aux services publics. À ce propos, Rouillard et coll., (2008) écrivent : « En tant que citoyens, nous sommes tous égaux devant l’État. En tant que clients, nous l’invitons, sinon le contraignons, à nous hiérarchiser les uns les autres » (Rouillard et coll., 2008, p.68).

2.1.1.3.2 Les résultats effectifs du NMP

Dans ce deuxième « axe », certains auteurs critiquent les résultats effectifs des réformes du NMP. À ce propos, Merrien (1999) affirme que les évaluations des résultats effectifs des réformes du NMP produisent des résultats nuancés. D’abord, l’évaluation globale des

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réformes semble difficile à réaliser, ces dernières étant complexes et ayant souvent été mises en œuvre en même temps que d’autres changements importants. À ce sujet, Mercier (2002) écrit :

« Paradoxalement, malgré le fait que le NMP propose d’évaluer plus rigoureusement les activités du secteur public, il y a peu de réelles évaluations du NMP lui-même. Elles seraient, de toute façon, difficiles à réaliser puisque le NMP a été appliqué en même temps que plusieurs autres réformes, notamment la lutte contre le déficit et le développement de l’informatisation, pour ne nommer que les plus importantes » (Mercier, 2002, p.376).

Ceci explique que plusieurs chercheurs aient plutôt mis l’accent sur l’évaluation des impacts de certaines mesures spécifiques contenues dans les réformes du NMP.

Ainsi, certains auteurs s’intéressent aux structures organisationnelles mises en œuvre par les réformes du NMP et à leur efficacité. Par exemple, dans le contexte québécois, Dupuis et Farinas se sont intéressés à la structure organisationnelle des CSSS et à son efficacité. Ils écrivent :

« Dans ce type de configuration organisationnelle, les divisions sont poussées vers l’organisation mécaniste centralisée pour satisfaire aux exigences chiffrées imposées par le siège. Comme les organisations deviennent également plus grosses à la suite des fusions, […] on y a toujours plus recours à la supervision hiérarchique, à la normalisation des processus de travail et à celle des résultats. […]La pression sur les établissements de santé et de services sociaux en direction de l’organisation hiérarchique et mécaniste les éloigne toujours plus des modèles d’organisation professionnelle et collégiale plus appropriés pour assurer leur bon fonctionnement » (Dupuis et Farinas, 2010, p.56).

D’autres auteurs, tels que Dwivedi et Gow (1999), se sont intéressés aux impacts de la gestion par résultats. Ceux-ci affirment qu’il est naïf de penser pouvoir juger de la pertinence d’un programme public en l’évaluant uniquement en fonction de ses résultats. Ils expliquent que les politiques publiques ont souvent plusieurs objectifs et que certains peuvent être en contradiction les uns avec les autres. D’autres critiques de la gestion par résultats mettent en lumière ses effets inattendus. Par exemple, Emery et Giauque (2005) mentionnent que ce

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mode de gestion entraîne une « augmentation importante des actes administratifs improductifs liées aux saisies d’information, élaboration de rapports et relevés d’indicateurs » (Emery et Giauque, 2005, p.143). Pour ces auteurs, ceci revient pratiquement à introduire une nouvelle bureaucratie dans les organisations publiques (Emery et Giauque, 2005, p.143).

Quant à Diefenbach (2003), il rappelle que, peu importe les techniques utilisées, la mesure de la performance demeure toujours limitée. Dans le même ordre d’idée, Emery et Giauque (2005) affirment que l’importance accordée à la mesure des résultats en vient à orienter l’attention sur les éléments mesurables sans égard à leur réelle importance. Ils écrivent qu’on en vient à accorder de l’importance à « ce qui est mesurable, délaissant ainsi les éléments difficiles à apprécier mais néanmoins essentiels à la qualité de l’action publique » (Emery et Giauque, 2005, p.127). Cette « dérive vers les indicateurs mesurables » (Mercier, 2002) fait d’ailleurs l’objet de plusieurs critiques dans la littérature. À ce propos, Mercier (2002) écrit :

« Cette évaluation quantitative des résultats a parfois été critiquée : on a dit qu’elle mesurait trop souvent les activités, sans pouvoir réellement mesurer les effets sur la population ou la clientèle, et que le nombre de personnes traitées dans un hôpital, par exemple, ne donnait pas toujours une idée juste du succès des programmes de santé publique » (Mercier, 2002, p.376).

D’autres se sont intéressée aux impacts de la contractualisation de certains services au secteur privé. Contrairement à son objectif de réduction des coûts, la contractualisation aurait pour effet une augmentation des coûts d’opération des organisations du secteur public (Mercier, 2002).

Finalement, d’autres chercheurs soulèvent les difficultés à introduire un esprit d’entreprise ainsi que des pratiques de gestion propres au secteur privé dans les organisations du secteur public (Emery et Giauque, 2005).

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2.1.1.4 Le NMP au Québec

Si le projet de réingénierie de l’État mis de l’avant par le gouvernement Charest, dont la réforme Couillard est une composante fondamentale, s’inscrit résolument dans le courant du NMP (Rouillard et Bourque, 2011; Fortier, 2010; Bourque, 2007), il convient de préciser qu’il ne s’agit pas de la première initiative du gouvernement du Québec en ce sens.

Fortier (2010) explique que la montée du NMP au Québec fut progressive. Jusqu’à la fin des années quatre-vingt-dix, l’approche des gouvernements ne remettait pas en question radicalement le rôle de l’État. En ce sens, Rouillard et Hudon (2007) écrivent :

« Jusqu’au début du troisième millénaire, les réformes administratives de l’État québécois ont d’abord visé à développer, puis à consolider, la capacité des organisations publiques, incluant une fonction publique professionnelle, permanente et non partisane, pour mieux soutenir l’interventionnisme propre à l’État providence » (Rouillard et Hudon, 2007, p.12).

Rouillard et Hudon (2007) identifient l’adoption de la Loi sur l’élimination du déficit et l’équilibre budgétaire39 en 1996, par le gouvernement du Parti Québécois de Lucien Bouchard, comme un premier pas vers l’adoption du NMP au Québec. Plusieurs (Beauregard et Bernier, 2005; Rouillard et Hudon, 2007; Fortier; 2010; Rouillard et Bourque, 2011) considèrent cependant que c’est l’adoption, par ce même gouvernement, de la Loi sur l’administration publique40 en 2000, qui marquera un tournant vers l’inscription de la fonction

39 « La Loi sur la réduction du déficit et l’équilibre budgétaire [est] adoptée à l’unanimité le 19 décembre 1996. Cette Loi prévoyait que, conformément au plan financier du gouvernement […] à compter de 1999-2000, aucun déficit ne pourrait dorénavant être encouru sauf à certaines conditions » (Imbeau et Leclerc, 2002, p.73). 40 Rouillard et Bourque (2011) expliquent comme suit les principales caractéristiques de cette loi : « un allégement du contexte normatif et réglementaire de l’administration publique québécoise (débureaucratisation); la généralisation des contrats de performance et d’imputabilité dans chaque unité organisationnelle (gestion par résultats); et le renforcement de la reddition de comptes (gestion du rendement). Les moyens et les stratégies privilégiés pour appliquer cette loi se résument pour l’essentiel à un engagement public sur la qualité des services, à l’élaboration d’un plan stratégique pluriannuel, à la publication d’un plan annuel de gestion des dépenses et, enfin, à la reformulation du rapport annuel d’activité en rapport de gestion des résultats » (2011, p.39).

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publique québécoise « dans le processus de transition vers le managérialisme41, commun à presque toutes les bureaucraties occidentales » (Rouillard et Hudon, 2007, p.10).

Plusieurs auteurs affirment que si ces mesures ont été mises en œuvre par un gouvernement du PQ, elles ont pavé la voie aux réformes du gouvernement Charest (Fortier, 2010; Rouillard et coll., 2008; Rouillard et Hudon, 2007). À ce propos, Fortier (2010) écrit : « c’est donc sur une systématisation et une intensification de ce mouvement de réforme amorcé par le gouvernement précédent que la réforme libérale de 2003 prendra son élan » (Fortier, 2010, p.42).

2.1.2. La réforme dans son contexte politique : la réingénierie de l’État

Le Parti Libéral du Québec, dirigé par Jean Charest, est porté au pouvoir, le 14 avril 2003, suite à une campagne électorale s’appuyant en grande partie sur le thème de l’amélioration du système de santé et de services sociaux québécois. Une fois au pouvoir, le gouvernement annonce son intention de mettre en branle un projet d’envergure visant à moderniser l’État québécois. Dans son discours d’inauguration, le premier ministre expose les problèmes auxquels il désire s’attaquer. Selon lui, l’État québécois n’est plus en mesure de répondre adéquatement aux besoins des citoyens. Jean Charest trace le portrait d’un État sous pression et mal adapté à la réalité du 21e siècle. Il demande : « Pendant combien de temps l’État québécois peut-il continuer à tout taxer et à se mêler de tout avec, pour résultat, de souvent faire les choses à moitié ? » (Charest, 2003, p.3). En ce sens, le premier ministre Charest est en cohérence avec la plateforme électorale du PLQ de 2002, dans laquelle l’État québécois était qualifié de lourd, tentaculaire et incapable de se centrer sur ses missions premières (PLQ, 2002).

41 Rouillard et Hudon (2007) considèrent managérialisme et NMP comme des synonymes. Ils écrivent : « le managérialisme ou nouveau management public est un mouvement de réforme politico-administrative qui prend forme durant les années 1970, pour s’articuler concrètement au début des années 1980 dans plusieurs pays anglo- saxons, notamment l’Angleterre, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada. Il s’inspire de la gestion des grandes firmes privées, dont il vise à relever les pratiques considérées comme exemplaires, pour les mettre en œuvre au sein des organisations publiques, afin d’en accroître l’efficacité, l’efficience et l’économie » (Rouillard et Hudon, 2007, p.23).

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Pour faire face à ces problèmes, le premier ministre annonce la mise en œuvre d’un projet d’envergure de révision des structures et du fonctionnement de l’État québécois : la réingénierie de l’État. Pour mener à bien ce projet de modernisation, Jean Charest identifie une série de principes de gestion qui orientera les actions de son gouvernement. Il s’agit d’abord de recentrer l’État sur ses missions essentielles que sont la santé, le savoir, la prospérité et la sécurité. Deuxièmement, ces missions doivent avoir comme premier souci la qualité des services aux citoyens. Il est à noter que pour le premier ministre, ce souci de la qualité des services passe par une diminution des structures de l’État. À ce propos il affirme : « moins de structures, plus de services » (Charest, 2003). Le troisième principe est la transparence et l’efficacité. Jean Charest affirme que les Québécois doivent savoir où va leur argent et doivent en avoir pour leur argent. Finalement, le dernier principe est la décentralisation, le partenariat et l’imputabilité. Il explique :

« Nous ouvrirons l'État québécois au partenariat, que ce soit avec les municipalités, des organismes communautaires ou des entreprises privées. Chaque partenaire identifié sera imputable des responsabilités qui lui seront confiées et des ressources afférentes devant les élus de l'Assemblée nationale » (Charest, 2003).

Ces principes de gestion seront mis en pratique dans six grands travaux qui composent le cœur de la réingénierie de l’État québécois42. La réorganisation du secteur de la santé constitue non seulement un de ces six grands travaux, mais elle est identifiée comme la priorité.

Toujours dans son discours d’inauguration, Jean Charest énonce les grands principes qui guideront la réforme du secteur de la santé et des services sociaux. Il annonce :

« Nous allons rebâtir le réseau de la santé et des services sociaux. Nous allons décentraliser son administration afin que les directeurs d'établissement, notamment, puissent pleinement exercer leurs compétences et trouver des solutions adaptées à leur propre situation » (Charest, 2003).

42 Les six grands travaux sont les suivants : révision des structures de l’État et des programmes gouvernementaux; revue des modes d’intervention du gouvernement dans l’économie; réorganisation des services de santé; examen des perspectives de décentralisation et de déconcentration; recentrage du réseau de l’éducation sur l’élève et l’étudiant; simplification et allégement du fardeau fiscal (Charest, 2003).

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Il ajoute que la réforme passera, entre autres, par une modification de l’organisation du travail qu’il convient de rendre plus humain et plus flexible. Pour ce faire, il annonce que son gouvernement s’attaquera au problème de fonctionnement que représente le nombre d’unités d’accréditation syndicales. Du même souffle, il annonce que le système s’ouvrira aux partenariats avec le privé. Il affirme : « Je refuse de voir notre système public de santé comme une chapelle qui proscrit toute relation avec le secteur privé comme s'il s'agissait là d'un sacrilège » (Charest, 2003). Finalement, il annonce l’abolition des régies régionales et leur remplacement par des organisations moins lourdes.

La responsabilité de mener à bien ce chantier est attribué au nouveau ministre de la Santé et des Services sociaux, le Dr Philippe Couillard. Celui-ci a, dès mai 2003, annoncé son intention de réformer en profondeur le système de la santé et des services sociaux. À ce sujet, il affirme :

« Notre gouvernement a été élu parce que la population a cru en notre capacité d’incarner le changement nécessaire dans l’action gouvernementale en général et, plus spécifiquement, dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ce changement va se produire tôt dans notre mandat » (Couillard, 2003c, p.4).

Enfin, le ministre identifie le mal dont le système est affublé : « lourdeur excessive, manque d’intégration, de cohérence et d’information, retour […] à une gestion plus centralisée et imputabilité mal définie » (Couillard, 2003c, p.6). Pour faire face à ces problèmes, le ministre affirme que la seule injection de fonds ne peut suffire, le système a plutôt besoin d’une profonde réorganisation.

2.1.2.1 La présentation de la réforme aux gestionnaires d’établissement de santé

La façon dont le premier ministre Jean Charest et son ministre de la Santé, Philippe Couillard, vont présenter la réforme aux gestionnaires d’établissements de santé nous paraît révélatrice de la vision qu’ils ont de la réforme et des valeurs du projet de réingénierie de l’État.

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À première vue, leur présentation prend la forme d’une promesse aux gestionnaires de les libérer du carcan qui limite l’exercice de leur fonction. L’image qui ressort des discours effectués par Jean Charest et Philippe Couillard est celle de gestionnaires étouffés par les contraintes du système, incapables d’effectuer ce pour quoi ils sont engagés et pour qui la réforme représentera un événement libérateur. Avant même son élection, cette image est utilisée par Jean Charest. En novembre 2002, il s’adresse en ces termes aux directeurs généraux d’établissements de santé réunis dans le cadre de leur colloque annuel :

« En tant que directeurs généraux d’établissements, vous êtes tenus dans un étau si serré que vos compétences de gestionnaires sont gaspillées. Moi je veux pouvoir compter sur vos compétences. Nous allons redonner une marge de manœuvre aux établissements et à leurs directeurs généraux. […] Vous allez retrouver votre pouvoir de gérance » (Charest, 2002, p.3-4)

Une fois le PLQ au pouvoir, cette image est reprise par le ministre Couillard. S’adressant à des gestionnaires d’hôpitaux participant au congrès de l’Association des Hôpitaux du Québec (AHD), il affirme :

« Nous sommes convaincus que le talent et l’expertise nécessaires à la mise en place de ces nouvelles façons d’agir se trouvent dans cette salle […]. Loin de le réprimer, nous allons libérer ce talent et vous permettre de donner votre pleine mesure en vous offrant tous les moyens, l’autonomie, de même que l’imputabilité qui l’accompagne » (Couillard, 2003c, p.5).

Cette augmentation des marges de manœuvre managériales va de pair avec une décentralisation du pouvoir décisionnel. À plusieurs reprises, le premier ministre Jean Charest ainsi que son ministre de la Santé et des Services Sociaux affirment leur conviction quant à l’efficacité de cette décentralisation. À ce propos, le ministre Couillard affirme :

« Nous avons la conviction que le réseau sera mieux géré si nous laissons les bonnes personnes prendre les décisions là où elles doivent être prises, c’est-à- dire le plus près possible de l’endroit où se donnent les services » (Couillard, 2003c; p.8)

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Les discours de présentation de la réforme sont aussi l’occasion, pour le ministre Couillard, de présenter les attentes qu’il entretient envers les gestionnaires d’établissements. S’adressant aux directeurs généraux d’établissements, le ministre leur demande « d’être les principaux artisans de la nouvelle culture organisationnelle » (Couillard, 2003e, p.5). Ceux-ci doivent exercer un nouveau leadership et le ministre s’attend à ce qu’ils deviennent, dans chacune de leur organisation, les animateurs d’une nouvelle dynamique. Dans ce contexte, l’implication des gestionnaires dans la mise en œuvre des changements, ainsi que leur adhésion aux objectifs de la réforme, sont identifiées comme des conditions incontournables à la réussite du projet. À ce sujet, le ministre Couillard affirme :

« Une transformation aussi importante ne peut s’opérer que de l’intérieur. Elle ne peut pas être menée à bien sans l’implication et l’engagement total des administrateurs et des gestionnaires des établissements en cause. » (Couillard, 2003e, p.2)

À cette adhésion et à cette implication, le ministre ajoute que les gestionnaires seront évalués en fonction des résultats auxquels ils arriveront. Pour le ministre, cette question de l’imputabilité des gestionnaires est très importante. Elle représente l’autre versant de la médaille de l’augmentation des marges de manœuvre. À ce sujet il déclare :

« Vous serez donc responsables des résultats; c’est important de le rappeler. Vous aurez une marge de manœuvre suffisante pour déterminer les besoins, favoriser une organisation des soins et des services basée sur une coordination étroite et, si nécessaire, allouer l’argent vers les besoins que vous jugez prioritaires. Mais vous serez surtout responsables des moyens que vous jugerez pertinents d’adopter. […] Plus responsables qu’auparavant de la programmation et de l’organisation clinique de vos établissements, vous disposerez d’une plus grande liberté d’action, en échange de quoi vous aurez aussi à démontrer mieux qu’auparavant que vous assumez les responsabilités qui vous sont confiées et que vous avez atteint les résultats attendus tout en vous préoccupant de faire le meilleur usage possible des ressources financières à votre disposition » (Couillard, 2003e, p.13).

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2.2 L’appréhension de leur travail par les gestionnaires

Dans cette deuxième section de la revue de la littérature, nous nous intéresserons à l’appréhension de leur travail par les gestionnaires. Plusieurs disciplines ont étudié le travail salarié, mais pour notre part nous avons fait le choix de nous inscrire dans la tradition de la sociologie du travail. Nous estimons que les particularités de cette tradition, en termes de définition de son objet de recherche ainsi que des épistémologies, théories et méthodologies mobilisées, sont plus à même de répondre à nos interrogations. Pour ce faire, nous dresserons un bref aperçu de la construction disciplinaire et institutionnelle de la sociologie du travail, avant de voir de quelle manière celle-ci s’est intéressée au personnel d’encadrement en tant que catégorie socioprofessionnelle.

2.2.1 La sociologie du travail

Marx, Weber et Durkheim, fondateurs de la sociologie, avaient tous bien vu, à partir de leurs observatoires situés et datés ainsi que de leurs cadres théoriques respectifs, que la révolution industrielle coïncidait avec la naissance du capitalisme ainsi qu’avec une révolution sociale. Tous les aspects de la vie en société étaient bouleversés : structure de classe, ébranlement et transformation des liens sociaux, éclatement des unités familiales, modification des temps sociaux (Stroobants, 2004, Gagnon 1996). Marx a insisté sur les aspects politiques et économiques, Durkheim s’est préoccupé de la cohésion sociale et Weber s’est penché sur la régulation bureaucratique associée au capitalisme. Si ces premiers travaux représentent le terreau dans lequel s’est enracinée la sociologie du travail, il faut préciser que le travail n’est pas, chez les pères fondateurs de la sociologie, l’objet central de leur recherche, comme l’écrit Tripier :

« Ces auteurs mettent en scène le travail et le travailleur, mais ne l’étudient pas; ils l’exaltent, lui attribuent des qualités, indiquent son rôle primordial dans l’évolution de l’humanité, mais n’en font pas un objet de recherche » (Tripier, 2006, p.473).

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Tout de même, retenons que la sociologie du travail était appelée à jouer un rôle prédominant au sein de la discipline sociologique, voire à en être la matrice fondatrice. Ajoutons que ce champ de la sociologie s’est logiquement développé selon les cycles qui ont marqué la révolution industrielle dans les différents pays, sans que l’on puisse faire l’impasse sur des facteurs culturels et notamment le facteur religieux. Aux fins de cette section, nous ferons appel à des auteurs britanniques, états-uniens, français et québécois, en privilégiant une présentation thématique, sans trop faire offense à la chronologie, même si les thèmes évoqués ne se présentent pas selon des séquences uniformes.

Il y a un consensus chez les historiens de ce champ disciplinaire (Desmarez, 1986, Rose, 1979) que l’acte de naissance de la sociologie du travail furent les expériences menées dans les années trente aux usines de Hawthorne (États-Unis). Réalisées par une équipe multidisciplinaire, ces expériences étaient menées dans le cadre de recherches plus larges sur l’urbanisation, les conflits sociaux, les structures de classe. En pratique, au lendemain de la première guerre mondiale, tant la Grande-Bretagne (Tavistock Institute) que les États-Unis se préoccupèrent du « facteur humain » dans la productivité des secteurs primaire et secondaire, et cela dans le prolongement des études menées sur les soldats (Baritz, 1960, Rose, 1979). Pour Tripier (2006), les recherches menées à Hawthorne fixèrent les principaux éléments de la sociologie du travail, en termes de définition de l’objet de recherche ainsi que de méthodes de cueillette des données. Surtout, ces recherches mirent en relief l’importance des facteurs affectifs et l’existence de groupes informels d’appartenance développant des normes (Stroobants, 2004, De Coster et Pichaud, 1994).

Les recherches de Hawthorne et dans une moindre mesure celles du Tavistock Institute, furent à juste titre critiquées à l’époque et bien après : main-d’œuvre féminine de première immigration, contexte de crise socioéconomique, problèmes éthiques et méthodologiques (H.A Landsberger 1958, Wilenski 1952, Carey 1967). Ces recherches, qui ont culminé dans des opérations de conseil managérial, furent aussi et pour cela même à l’origine d’un clivage politique auquel durent s’affronter les premières cohortes de sociologues du travail. Au nom de positions néo-marxistes ou simplement humanistes, nombreux furent ceux qui dénoncèrent

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le taylorisme, le « travail en miettes » (Friedman, 1964), la dureté des conditions de travail, condamnant leurs collègues tentés par le conseil managérial de traîtres à la discipline sociologique. Cette opposition gauche-droite fut longtemps prégnante mais elle s’est depuis émoussée sans toutefois cesser d’exister43.

La sociologie du travail a évolué, tout au cours du XXe siècle en parallèle avec les diverses théories managériales : relations humaines, néo-relations humaines, ère des gourous de la réorganisation du travail (Huczynski, 1993, Gagnon, 1998). Tant aux États-Unis qu’en Grande-Bretagne, des sociologues ont tenté de trouver des voies de contournement à la dureté de la condition ouvrière. Le facteur technologique fut à l’origine d’un courant optimiste, selon lequel les nouvelles technologies avaient un potentiel libérateur (R. Blauner 1964, J. Woodward 1958), courant rapidement critiqué par d’autres qui mirent en relief l’augmentation des contrôles permis par le progrès technique (Edwards, 1994) voire des opérations de vol du savoir ouvrier (Coriat, 1976).

La France fut tardive en matière de sociologie du travail, mais cette dernière devint vite le centre du champ sociologique. Inévitable compagne des efforts de réindustrialisation et bénéficiaire de fonds publics qui y étaient associés, la période suivant la deuxième guerre mondiale fut fertile pour la sociologie du travail. Les fondateurs reconnus et institutionnels de la sociologie du travail en France furent Pierre Naville et Georges Friedman, qui s’intéressèrent aux conditions de travail ainsi qu’aux destins ouvriers. Ils formèrent dans les années cinquante et soixante la cohorte suivante de sociologues du travail, principalement Jean-Daniel Reynaud, Michel Crozier et Alain Touraine, qui à leur tour firent école.

Au Québec, c’est dans les années cinquante que l’on assiste à l’institutionnalisation de la discipline sociologique. C’est aussi à cette époque que remonte l’origine de la sociologie du travail dans les universités francophones québécoises (Legendre, 1997). Ce champ se développa d’abord autour des professeurs Gérald Fortin à l’Université Laval et Jacques Dofny

43 L’école du Labour Process, qui découle des travaux de H. Braverman, est encore très active et de nombreux groupes de l’Association internationale de sociologie s’y identifient.

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à l’Université de Montréal. Si le premier délaissera la sociologie du travail pour la sociologie urbaine, il exercera tout de même une influence, entre autres par sa contribution à la formation de certains étudiants, tels que Paul R. Bélanger, qui prendra sa relève à l’Université Laval. En dehors du milieu universitaire, l’institutionnalisation de la sociologie du travail se fit par l’embauche de sociologue du travail dans la fonction publique, ainsi que dans les services de recherche des centrales syndicales. La sociologie du travail québécoise bénéficia aussi, comme ailleurs, des contributions de l’État entre autres dans le contexte de commissions d’enquêtes (Legendre, 1997). Outre l’Institut de recherche appliquée sur le travail (de 1973 à 1990), qui fut rapidement privé de financement (Gagnon, 1994), on ne retrouva pas au Québec de laboratoire dédié à la sociologie du travail. Ceci explique probablement en partie qu’on ne puisse identifier de tradition bien établie en sociologie du travail. S’il est possible d’identifier de nombreuses recherches québécoises en sociologie du travail, celles-ci sont bien souvent le fait d’initiatives individuelles de professeurs, d’étudiants ou de chercheurs.

Dans les années cinquante, les préoccupations économiques partagées tant par les gouvernements que par les employeurs entraînèrent, comme il a déjà été mentionné, un regain d’études, particulièrement aux États-Unis. Divers courants se succédèrent, cependant, la psychologie du travail s’imposa souvent aux démarches plus sociologiques. La sociologie du travail américaine de l’époque concentra principalement ses recherches dans l’atelier ou dans l’usine. On voit cependant apparaître certaines positions alternatives, telle que celle prônée par certains sociologues de l’École de Chicago avec à leur tête Everett Hughes. Ce dernier, et ses étudiants, menèrent des recherches, entre autres, sur le travail des concierges, des ferrailleurs, des entrepreneurs de pompes funèbres, des chauffeurs de taxi ou encore des musiciens de jazz (Hughes, 1970). Si le choix de certains métiers s’explique par les connaissances et les préférences des étudiants de Hughes, le choix de ces métiers résulte aussi d’un positionnement théorique (Desmarez, 1986). Surtout, Hughes et ses collègues interactionnistes rejettent l’approche fonctionnaliste dominante à l’époque et proposent une microsociologie dans laquelle le travail de terrain occupe une grande place et où le travail est envisagé sous l’angle des interactions.

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Puis vint l’ouvrage de Harry Braverman (1974) qui, rompant avec l’approche dominante jusque-là, prolongeait et mettait à jour les théories marxiennes. Objet de polémiques, cet ouvrage remit à l’ordre du jour la question des classes sociales, de la déqualification du travail et du contrôle sur le travail et, d’abord dans le monde anglo-saxon, contribua à mettre la sociologie du travail à l’avant-scène. À la fin des années soixante-dix, les États-Unis voient leur productivité marquer le pas face à celle du Japon. Les enquêtes sur la satisfaction individuelle, jusqu’alors assez rudimentaires, reprennent du galon. Entretemps, l’évolution des technologies et le raffinement des méthodes de direction des ressources humaines avaient suscité une foule d’interrogations chez les sociologues du travail

Dans les années quatre-vingt, de nouveaux modes de gestion firent fureur, emportés par des gourous souvent inspirés par les méthodes japonaises (Huckzinski, 1993). Les réorganisations du travail devinrent répandues et prirent toutes sortes de nom. Dans tous les cas, il s’agissait de susciter l’implication des salariés, de reconnaître leur contribution et de suggérer l’inculcation d’une culture d’entreprise (Gagnon, 1998). Entre temps, dans l’élan donné par Braverman, certains sociologues cherchèrent à identifier la classe potentiellement porteuse d’un projet révolutionnaire (Gallie, 1978; Mallet, 1963). De son côté, le britannique John H. Godthorpe, après une enquête extensive, conclut que les ouvriers n’avaient plus de conscience de classe au sens marxiste du terme mais qu’ils maintenaient un sentiment identitaire (Goldthorpe, 1968).

À partir des années soixante-dix et quatre-vingt, les objets ainsi que les courants théoriques de la sociologie du travail se diversifient fortement. Cette diversification trouve son origine dans la combinaison de plusieurs phénomènes. D’abord, de nouveaux courants théoriques furent mobilisés (courant discursif, (re) découverte de l’interactionnisme) et conduirent à élargir les catégories socio professionnelles étudiées. À force de mettre l’accent sur les secteurs moteurs des économies (les ouvriers), la sociologie du travail avait négligé femmes, immigrants, employés de bureau, techniciens, etc. S’il y avait eu des prédécesseurs (Sayles, 1964; Lockwood, 1966, Crozier, 1963), c’est à ce moment que se développèrent pleinement les études sur plusieurs catégories socio-professionnelles, sur les femmes et sur les travailleurs immigrants (Segrestin, 1985; Sainsaulieu, 1985). De plus, les mutations socio-économiques

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des années soixante-dix et quatre-vingt font apparaître de nouveaux objets d’étude tels que la question de l’emploi.

À l’occasion de ce réalignement, on jeta un œil nouveau sur les stratégies managériales axées sur les subjectivités (Enriquez, 1997; Aubert et De Gaulejac, 1992; De Gauléjac, 2005; Gagnon, 1998). Le patriotisme d’entreprise faisait recette, et les employeurs étaient submergés par des consultants qui se bousculaient à leurs portes (Gagnon, 1998).

Pendant les années quatre-vingt-dix, d’autres sociologues du travail se reportèrent sur la segmentation du marché du travail qui s’accentuait, non seulement dans les marchés du travail nationaux, mais aussi dans les entreprises voire dans les établissements. La montée de la précarité fut au centre de nombre d’études (Castel, 1995; Supiot, 1994).

Au vu de l’évolution du champ de la sociologie du travail, on peut se demander s’il y a encore des différences entre les sociologies du travail nationales, en raison de la mondialisation et de la domination de l’anglais dans la littérature scientifique. Subsiste une très forte tendance aux recherches comparatives, particulièrement Nord-Sud. De plus, dans ce champ comme dans d’autres, les pouvoirs publics induisent des thèmes de recherche facilement « instrumentalisables » et conformes aux préoccupations des élites politiques et économiques. Partout aussi abondent des recherches très empiriques sur des groupes ciblés, qui relèvent de la microsociologie. Globalement, la sociologie du travail a vécu depuis sa naissance un éclatement disciplinaire. D’abord du côté des relations industrielles et de la psychologie du travail, surtout dans le monde anglo-saxon. Puis du côté des études managériales. Une sociologie de l’économie s’est également développée. En même temps s’est construit un corpus en sociologie des organisations dans les années soixante-dix et finalement une sociologie de l’emploi ou du marché du travail a répondu aux mutations du marché du travail (précarité, discrimination, etc.). Le droit est aussi devenu un partenaire régulier de nombreuses études en sociologie du travail. La conflictualité patronale-syndicale en milieu de travail et dans la société a été graduellement appropriée par l’interdisciplinarité des relations industrielles de même que par la sociologie et la politologie, notamment par des études sur le

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syndicalisme. Dans pareil contexte, que deviennent les postures théoriques et méthodologiques ainsi que la sociologie des cadres? C’est ce que nous verrons maintenant.

2.2.2 L’appréhension du travail des gestionnaires

Les gestionnaires ont été l’objet de certaines études sociologiques mais ils représentent une catégorie ayant été faiblement étudiée. Dans cette section, nous tracerons un portrait de la recherche s’étant intéressée à cette catégorie. Notre objectif n’est pas de faire une recension exhaustive de ces recherches. Il s’agira plutôt d’identifier les principaux courants théoriques qui y ont été mobilisés ainsi que les principales connaissances qu’elles ont produites. Pour ce faire, nous débuterons en présentant quelques remarques préliminaires sur l’état de la recherche. Par la suite, nous présenterons les trois principales perspectives de recherche que nous avons identifiées à partir de la littérature. La première perspective regroupe les recherches s’étant concentrées sur le positionnement des gestionnaires dans les rapports sociaux. La deuxième perspective regroupe des recherches empruntant à la sociologie des professions et mettant l’accent sur l’accès aux postes de gestion ainsi que sur l’orientation des gestionnaires envers l’organisation ou la profession. Finalement, la troisième perspective regroupe les recherches s’étant intéressées aux activités de travail des gestionnaires.

2.2.2.1 Quelques remarques préliminaires

Le travail de recension des connaissances produites en sociologie à propos des gestionnaires n’est pas simple et se heurte à la nécessité de définir adéquatement l’objet de recherche. En effet, lors de la recension des écrits nous avons d’abord été amenés à faire une distinction entre les recherches ayant pour objets « la gestion » et « les gestionnaires ». En effet, plusieurs sociologues s’intéressent à la gestion, c’est-à-dire aux techniques et stratégies managériales44. Dans cette perspective, l’objet de la recherche n’est pas le gestionnaire en tant que travailleur

44 Mentionnons, à titre d’exemple, qu’un des réseaux thématiques de l’Association Française de Sociologie est consacré à la sociologie de la gestion.

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mais bien les « pratiques gestionnaires ». Notre questionnement ne portant pas sur ce thème, nous avons laissé de côté cette littérature.

Une deuxième difficulté réside dans la grande quantité de termes utilisés afin de désigner cette catégorie d’acteurs : gestionnaire, manager, directeur, personnel d’encadrement, cadre, coordonnateur, administrateurs, etc45. Ce qui ressort de cette grande quantité de termes c’est d’abord que la catégorisation socioprofessionnelle n’a rien d’universelle et que les titres utilisés afin de désigner les catégories d’acteurs n’ont pas la même signification selon les époques et les contextes nationaux (Bouffartigue et Gadéa, 2000). Une conséquence de cette diversité est qu’on ne peut présumer de la fonction et des activités de travail des acteurs uniquement à partir de leur titre officiel. D’ailleurs, une des recherches fondatrices sur le personnel d’encadrement français (Benguigui, Griset et Monjardet, 1978) démontrait que certaines fonctions d’encadrement sont exercées par du personnel n’ayant ni de position hiérarchique supérieure dans les organisations, ni de titre les distinguant du personnel d’exécution. Dans ce contexte, nous avons agi avec vigilance et avons orienté nos lectures, lorsque cela était possible, vers la littérature à propos du personnel exerçant des activités d’encadrement, et ce peu importe le titre officiel de leur fonction.

Un dernier obstacle a trait à la faible quantité de littérature en sociologie à propos de cette catégorie d’acteurs. Il faut dire que les travaux menés dans une perspective sociologique et s’intéressant aux gestionnaires sont relativement récents. Dans la littérature anglo-saxonne nous retrouvons quelques recherches à partir des années cinquante, alors qu’en France les premières recherches sont réalisées dans les années soixante. L’accent mis sur le travail ouvrier en sociologie du travail a longtemps éclipsé l’étude d’autres catégories d’acteurs. À ce propos, Bouffartigue (2006) écrit :

« La sociologie du travail, en France sans doute plus qu’ailleurs, a longtemps résisté à l’étude du travail des cadres. […] Les raisons en sont nombreuses, au premier rang desquelles figure l’ouvriérisme qui a marqué longtemps notre

45 La liste s’allonge si nous ajoutons les termes utilisés dans la littérature anglo-saxonne : Manager, top manager, middle manager, executive, foreman, administrator, etc.

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discipline […]. Implicitement, les cadres n’étaient pas de vrais travailleurs » (Bouffartigue, 2006, p.235).

Dans ce contexte, ils convient de préciser que nous avons puisé les connaissances recensées à deux sources principales. Premièrement, nous nous sommes largement référé à la sociologie des cadres française. Comme nous le verrons, ce champ de la sociologie se développe à partir des années soixante, d’abord autour de la question de la définition et de la position de cette catégorie dans l’échelle des classes sociales, puis en empruntant certaines notions à la sociologie des professions. Évidemment, la catégorie « cadre » est une notion propre à la France. Il s’agit d’une catégorie large, aux frontières floues, qui inclut plusieurs professions qui ont en commun d’êtres salariées et de se distinguer du personnel d’exécution du fait que «leurs employeurs leur délègue une parcelle d’autorité et leur reconnaît certaines formes d’autonomie associés à des espérances de carrières » (Bouffartigue et Gadéa, 2000, p.5). Au- delà de cette distinction, la particularité des cadres français réside surtout dans l’institutionnalisation de leur statut. Comme nous retrouvons dans ce groupe, entre autres, le personnel d’encadrement des organisations, les recherches qui y sont menées nous paraissent avoir une valeur heuristique importante et ce malgré certaines particularités nationales46.

Nous avons aussi puisé dans le vaste champ de la littérature sociologique anglo-saxonne. Nous ne trouvons pas dans cette littérature de courant équivalent à celui de la sociologie des cadres française. Cependant, quelques auteurs clés (Hales, 1986, 1999; Reed, 1989) ont réalisé des synthèses des recherches sociologiques à propos des gestionnaires. Ces écrits ont été nos points de départ et nos guides afin de nous orienter. Comme nous le verrons, la littérature anglo-saxonne rejoint celle sur les cadres français dans son questionnement sur le positionnement des gestionnaires dans l’échelle des classes sociales, mais elle s’en distingue du fait de la présence de nombreuses recherches empiriques ayant pris pour objet les activités de travail des gestionnaires.

46 Par exemple, au Québec, contrairement à la France, les cadres n’ont pas le droit de se syndiquer.

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2.2.2.2 Première perspective: positionnement dans les rapports sociaux.

Dans le sous-champ de la sociologie des cadres, Gadéa (2003) affirme que la perspective théorique à partir de laquelle les cadres ont été le plus fréquemment étudiés est « celle qui postule qu’une connaissance adéquate et légitime des cadres ne peut provenir que de la détermination de leur position de classe » (Gadéa, 2003, p.8). Cette sociologie s’inscrit résolument, à partir des années soixante, dans une sociologie des classes sociales. L’importance que prend alors le groupe des cadres n’est pas sans poser problème aux sociologues de l’époque, la position « intermédiaire » de celui-ci remettant en question le modèle théorique marxiste reposant sur la présence de deux classes antagonistes.

En France, plusieurs sociologues s’inscriront dans cette perspective et étudieront les cadres à partir de leur position dans l’échelle des classes sociales. Gadéa (2003) mentionne que certains soulèveront la question de l’aliénation de cette catégorie d’acteur, d’autres celle de leur prolétarisation. D’autres encore s’intéresseront à la conscience de classe de cette catégorie et chercheront à partir de recherches empiriques les éléments permettant de les situer dans l’échelle des classes sociales, par exemple en sondant leur sentiment de proximité envers la direction ou les employés. Gadéa (2003) rappelle aussi qu’à cette époque la sociologie du travail reprend les thèses de Braverman à propos de la déqualification. Ceci amène certains sociologues du travail à imputer aux cadres la responsabilité de la déqualification des travailleurs, alors que d’autres avancent l’idée que les cadres sont eux aussi soumis aux mesures de contrôle et à la division du travail et menacé de déqualification.

À partir de la fin des années soixante-dix, certains sociologues prennent leurs distances du marxisme sans nier pour autant que l’espace social soit structuré par des oppositions de classes. Cette façon de rechercher les origines de la distinction de ce groupe d’acteur sera reprise dans un ouvrage important de la sociologie des cadres, Les cadres, la formation d’un groupe social de Bolstanki (1982). Sans renoncer à une perspective de sociologie des classes, Boltanski (1982) propose de mettre à jour la construction historique de ce groupe social. S’il en identifie la genèse dans les années trente, cette période ayant vu, dans un contexte de

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tension entre ouvrier et patron, se dessiner une tentative de donner de l’importance à la classe moyenne, il précise que le groupe des cadres n’apparaîtra vraiment que dans les années soixante, avec l’importation en France de techniques de gestion provenant des États-Unis. Avec ces techniques, est aussi importé tout un système de valeurs qui sera adopté par cette catégorie. C’est donc autour de valeurs de productivité « à l’américaine » que s’institutionnalise un groupe, dont la capacité de consommation, découlant d’une rationalisation de leur carrière, fondée sur l’ascension dans la hiérarchie, associée à des augmentations salariales, devient un des signes distinctifs. Pour Boltanski (1982), ce groupe « a réussi » dans le sens où « il est parvenu à accumuler les preuves objectives de son existence » (Boltanski, 1982, p.233).

Un autre apport majeur de l’époque provient des travaux de Benguigui, Griset et Monjardet (1978). À partir de l’étude de leurs activités de travail Benguigui, Griset et Monjardet (1978) vont avancer que les membres de la fonction d’encadrement des entreprises sont unis par leur commune appartenance à « une unité fonctionnelle assurant la gestion et l’encadrement » (Benguigui, Griset et Monjardet, 1978, p.200). Ainsi, malgré les clivages, l’appartenance des agents à cette même « fonction d’encadrement » les unit. Pour Benguigui, Griset et Monjardet (1978) cette appartenance à la fonction permet d'expliquer leurs comportements face aux autres groupes sociaux.

Gadéa (2003) explique que l’essoufflement de la perspective des classes sociales et la remise en question de la pertinence du marxisme vont entraîner, à partir des années 80, une diminution importante des recherches sur les cadres. Il écrit :

« Il faut noter qu’il [le paradigme de classe] créé d’ailleurs un vide autour de lui : à partir du milieu des années 80, la production de travaux sur les cadres sui generis va se raréfier pendant une quinzaine d’année » (Gadéa, 2003, p.140).

La perspective des classes sociales refait son apparition à la fin des années quatre-vingt-dix avec la notion de « salariat de confiance » mise de l’avant par Bouffartigue (1999, 2001, 2004). Celui-ci affirme que la notion de salariat rappelle d’abord que si les cadres ne sont pas

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tout à fait des employés comme les autres, ils sont aussi dans une position de subordination. Il écrit :

« La singularité et l’ambivalence de leur position professionnelle est d’emprunter à la fois à la notion de subordination – tout salarié met à la disposition d’un employeur ses capacités, il n’en maîtrise ni les conditions d’usage ni les finalités – et à celle de confiance, c’est-à-dire de délégation qui leur est faite d’une part d’autonomie et de responsabilité. Ces notions accompagnent nécessairement une délégation d’autorité hiérarchique ou l’exercice d’une expertise technique complexe. L’employeur s’assure donc d’un minimum de loyauté, d’adhésion à ses objectifs en concédant à ces agents des avantages spécifiques, notamment une garantie d’emploi et des perspectives de carrière » (Bouffartigue, 2004, p.117).

Or, Bouffartigue (2004) émet l’hypothèse d’une déstabilisation de cette catégorie qui découlerait de l’évolution des conditions mêmes sur lesquelles repose le salariat de confiance. C’est donc cette « spécificité de la relation de confiance » (Bouffartigue, 1999, p.24) qui liait les cadres aux organisations qui serait déstabilisée par une série de modifications telles que l’expansion du groupe des cadres dans une économie ralentie, le développement du chômage et l’augmentation de l’incertitude liée à la carrière, la montée des professions centrées sur l’expertise, la féminisation et des tensions dans la relation contribution/rétribution (Bouffartigue, 1999).

2.2.2.3 Deuxième perspective : l’étude des professions

En France, la sociologie des cadres s’est aussi inscrite dans une perspective de sociologie des professions. Cette dernière emprunte d’abord, dans les années soixante, au courant fonctionnaliste. La question principale autour de laquelle s’articulent ces recherches est celle de « l’orientation » de cette catégorie. Gadéa explique :

« C’est, semble-t-il, plutôt du bord du fonctionnalisme que viennent les concepts qui ont servi à établir la connexion entre la sociologie des professions et celle des cadres. Une des principales questions qui sont transférées en France à cette occasion est celle de l’orientation des salariés vers le « cosmopolitisme » versus le « localisme » » (Gadéa, 2003, p.200).

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Derrière cette question il s’agissait de saisir « l’orientation » des cadres envers l’organisation ou envers la profession. Pour le dire autrement, les cadres agissent-ils en tant « qu’homme de l’organisation » ou « homme de la profession » (Divay et Gadéa, 2008).

Dans les années soixante-dix, la sociologie des professions est éclipsée par la question de la position de classes des cadres. Elle revient cependant en force dans les années quatre-vingt- dix, s’inscrivant cette fois dans le courant interactionniste. Gadéa (2003) précise que dans cette perspective, on ne considère pas les professions comme un regroupement homogène partageant une même représentation de ses intérêts. Les interactionnistes soulignent plutôt « l’existence de segments en mouvement perpétuel, voire en lutte incessante pour le contrôle de la profession » (Gadéa, 2003, p.217).

Dans ce contexte, il ne s’agit plus d’étudier les cadres en tant que catégorie sociale mais plutôt de s’intéresser aux dynamiques internes propres aux diverses professions qui la composent. Dans cette deuxième vague de recherche l’accent est mis sur des mondes sociaux et professionnels limités, souvent dans une approche ethnographique ou interactionniste et souvent dans le secteur public (Bouffartigue, 2001). La question de l’identité y occupe une place importante. Dubar (1991) utilise la notion de socialisation afin de questionner le processus de construction identitaire. D’ailleurs Gadéa (2003) y voit en quelque sorte un retour de la question du dilemme « profession » vs « organisation », l’idée étant là aussi, de saisir « l’orientation » des acteurs.

2.2.2.4 Troisième perspective : l’activité de travail

La sociologie française a axé son étude des cadres principalement dans une perspective de classes sociales, en posant la question de leur position dans les rapports sociaux, et, de manière secondaire, dans une perspective de sociologie des professions. Dans ce contexte, la question des activités de travail des cadres ainsi que des conditions de leur réalisation n’a été que peu analysée. À ce propos, Mispelblom-Beyer écrit :

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« À une remarquable exception près (Monjardet et Benguigui, 1977), […] l’encadrement comme activité n’a pas été analysé ni par la sociologie du travail, ni par d’autres sociologies » (Mispelblom-Beyer, 2003, p.7).

Cette question a été traitée davantage dans le monde anglo-saxon. Il faut tout de même préciser qu’encore là, peu d’écrits existent. À ce propos, Livian écrit :

« Les réflexions et travaux de recherche sur l’activité des cadres, sur « ce que font les cadres » sont rares. […] même dans le vaste champ anglo-américain, il semble qu’il n’y ait pas de courant de recherche stable sur ce sujet » (Livian, 2003).

À l’instar de Livian (2003), nous n’avons pas identifié de courant de recherche stable dans la littérature anglo-saxonne à propos des activités des gestionnaires. Cependant, nous nous sommes appuyé en partie sur les écrits de Reed (1989) qui recense une série de recherches empiriques ayant été mené à partir des années cinquante, visant à décrire les activités réalisées par les gestionnaires dans le cadre de leur travail. Les recherches recensées par Reed (1989) sont toutes des recherches empiriques, souvent purement descriptives, ayant en commun de bousculer l’image répandue jusque-là du travail de gestion en tant « qu’activité scientifique et objective consistant à utiliser la rationalité scientifique afin de trouver les « meilleurs » moyens d’atteindre les objectifs organisationnels47 » (Reed, 1989, p.74).

Reed (1989) structure ces recherches en trois vagues. La première est composée de recherches dans lesquels les auteurs vont s’employer à décrire les activités quotidiennes des gestionnaires. Ces recherches vont démontrer la grande diversité de formes et de contextes du travail managérial. La deuxième vague se compose de recherches qui vont mettre en lumière le caractère politique des activités de gestion et souligner l’importance que prennent le pouvoir et les aspects relationnels dans la réalisation des activités de travail. Ces recherches vont lever le voile sur les dimensions politiques de ces activités. Comme l’écrit Reed (1989) :

47 Notre traduction

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« Ces recherches ont documenté les alliances que doivent réaliser les gestionnaires avec d’autres individus ou avec des groupes d’intérêts, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur organisation, de manière à négocier des compromis viables entre les nombreuses pressions conflictuelles et incertitudes qui sont au cœur des organisations » (Reed, p.76).

Reed (1989) mentionne qu’une troisième vague de recherches empiriques s’est intéressé aux aspects symboliques du travail des gestionnaires. Ces recherches présentent les gestionnaires comme faisant partie d’une sous-culture au sein de laquelle des « significations partagées » sont construites, préservées et transmises d’une génération à l’autre afin de maintenir leur légitimité. Comme le précise Reed (1989), une grande part de ces recherches s’intéresse à la façon dont les mythes et « significations partagées » sont utilisées afin de légitimer l’ordre existant.

Reed (1989) identifie aussi certaines caractéristiques spécifiques aux membres de haute direction ainsi qu’aux cadres intermédiaires. Les recherches à propos des membres de la haute direction laissent voir un groupe fortement segmenté, dont une grande part des activités consiste à réconcilier des intérêts conflictuels. En ce sens, leurs activités revêtent une dimension politique importante. Reed (1989) ajoute qu’au-delà de leur autorité formelle, une grande part du pouvoir de ces gestionnaires découle des jeux politiques dans lesquels ils se trouvent. Il ajoute que ceux-ci sont au cœur des compétitions et des conflits entre sous-cultures managériales et entre les différents groupes composant l’organisation.

En ce qui a trait aux cadres intermédiaires, Reed (1989) écrit que leur situation s’apparente à celle des membres de la haute direction du fait de la segmentation du groupe et de l’importance qu’y prennent les dimensions politiques. En ce sens, une grande part de leurs activités de travail doit être comprise comme des tentatives de régulation des conflits. À ce propos, Reed écrit :

« Une grande partie de la recherche empirique à propos des activités de travail des cadres intermédiaires suggère que la régulation de conflit intergroupes, à l’aide d’activités de négociation et de jeux politiques, est la composante centrale de leur rôle » (Reed, p.85).

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Les cadres intermédiaires se distinguent cependant de la haute direction par leur position, à la fois subordonnée, et donc soumis aux pressions descendant du haut de la hiérarchie organisationnelle, et près du terrain et donc soumis aussi à des pressions montant du bas de la hiérarchie organisationnelle. À ce propos, Reed (1989) cite Fox (1971) qui écrit :

« Ces deux facteurs [leur subordination ainsi que le fait qu’ils soient exposés aux pressions du terrain] expliquent que les buts poursuivis par les cadres intermédiaires ne soient pas nécessairement d’atteindre les objectifs identifiés par la haute direction mais plutôt de trouver des compromis qui leur paraissent satisfaisants, entre les pressions de la direction et celle des travailleurs supervisés48 » (Fox, 1971, dans Reed, 1989, p.86).

Reprenant sensiblement les mêmes recherches que celles identifiées par Reed (1986), Hales (1986) identifie cinq apports principaux découlant de celles-ci. D’abord ces recherches mettent de l’avant le caractère éminemment diversifié et contingent du travail de gestion. La contingence des activités de travail managérial est exacerbée par un deuxième élément mis de l’avant par ces recherches, soit le fait que ce type de travail soit habituellement assez vaguement défini. Ce flou dans la prescription du travail à réaliser a pour effet de donner une certaine autonomie aux gestionnaires quant aux activités à réaliser et à la façon de les réaliser. Le troisième élément que ces recherches mettent en lumière est que les différentes activités réalisées par les gestionnaires ne sont pas indépendantes les unes des autres. En fait, la position qu’occupe le gestionnaire dans l’organisation le place au cœur de multiples pressions qui l’obligent à réaliser un travail de négociation et de compromis. En ce sens, il faut regarder les multiples activités réalisées par les gestionnaires comme des tentatives de réconcilier une multitude de demandes contradictoires. Le quatrième élément qui est mis de l’avant par ces recherches empiriques sur le travail des gestionnaires est qu’une grande partie de leurs activités consistent à réagir aux circonstances plutôt qu’à prendre des décisions réfléchies. Finalement, Hales (1986) affirme qu’une conclusion que l’on retrouve dans toutes les recherches de cette première vague est qu’en pratique, le travail managérial est très différent de l’image qu’en fait la théorie en science de la gestion.

48 Notre traduction

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2.3 Les gestionnaires d’établissements de santé

Dans cette troisième section, nous nous intéresserons aux caractéristiques des gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux ainsi qu’aux impacts des réformes du NMP sur le travail de cette catégorie d’acteurs.

2.3.1 Quelques caractéristiques spécifiques

Le groupe des cadres de santé se caractérise d’abord par sa grande hétérogénéité. Divay et Gadéa (2008) considèrent ce groupe comme un conglomérat de professions qui peut être divisé en trois sous-ensembles. Le premier, et le plus important numériquement, est celui des cadres soignants. Il est composé des gestionnaires en charge des unités offrant des services et des soins directs aux patients. Le deuxième sous-groupe est celui des cadres administratifs. Divay et Gadéa (2008) affirment que ce sous-groupe est celui qui s’apparente le plus « à la figure classique des cadres » (Divay et Gadéa, 2008, p.680). Il se compose là encore d’une multitude de professions, ayant en commun d’exercer un métier en lien avec les différentes fonctions managériales. On y retrouve donc des comptables, financiers, responsables des ressources humaines, responsables des communications, etc. Le troisième sous-groupe est celui des cadres de la filière logistique et technique.

Chacun de ces sous-groupes se caractérise aussi par une certaine hétérogénéité en termes d’activités de travail. Ainsi, les responsabilités, les rôles et les fonctions de chacun de ces gestionnaires varient en fonction d’une multiplicité de facteurs tels que le type d’établissements, son historique, son emplacement géographique, les rapports de force entre les catégories socio-professionnelles, les spécialités cliniques des unités de soins ou encore les caractéristiques des équipes qu’ils doivent superviser (Divay et Gadéa, 2008).

Malheureusement, peu de recherches ont été menées sur les cadres administratifs et les cadres de la filière logistique et technique. Les quelques recherches s’étant intéressées aux

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gestionnaires d’établissements de santé ont plutôt porté sur les cadres soignants. Divay et Gadéa (2008) expliquent cette situation par le fait que ceux-ci sont numériquement majoritaires par rapport aux deux autres sous-catégories et donc plus visibles.

Les cadres soignants ont quelques caractéristiques spécifiques qu’il convient d’expliciter. D’abord, le recrutement de ces cadres se fait essentiellement parmi les rangs des professions soignantes, majoritairement les infirmières, ce qui explique la forte féminisation de cette catégorie. En France, l’accès à l’encadrement se fait par une certification spécialisée (Feroni et Kober-Smith, 2005). Le système québécois s’apparente plutôt à celui de la Grande-Bretagne dans lequel le profil et l’expérience des candidats sont les éléments principaux pris en compte (Feroni et Kober-Smith, 2005).

L’accès à l’encadrement représente non seulement, pour le personnel soignant, une voie de mobilité ascendante (Gadéa, 2011), mais il semble que la possibilité d’accéder à un poste cadre soit perçue comme faisant partie de la trajectoire normale de ces professions. À ce propos, Féroni et Kober-Smith (2005) écrivent que la position d’encadrement est « intégrée dans le développement normal de carrière » (Féroni et Kober-Smith, 2005, p.473) des membres de la profession infirmière.

Selon Preston et Loan Clarke (2000) un grand nombre de gestionnaires ayant une expérience professionnelle justifient leur choix de devenir gestionnaire par une volonté « de faire une différence » (Preston et Loan Clarke, 2000, p.106). Ces individus ne seraient donc pas poussés par une adhésion, a priori, aux valeurs managériales mais plutôt par un désir d’accéder à une position de pouvoir leur permettant de modifier les façons de faire de l’organisation.

Cette voie d’accès à l’encadrement, qui fait suite à un certains nombres d’années en tant que professionnel soignant, exacerbe une caractéristique propre à l’ensemble des cadres, soit la position paradoxale qu’ils occupent entre les exécutants et les dirigeants. Ces acteurs ne sont plus tout à fait membres de la profession, ni tout à fait gestionnaire. Ceci a évidemment des impacts sur leur identité mais aussi sur leur autorité. En effet, Gadéa (2011) affirme que leur autorité repose bien souvent sur des bases fragiles. Il écrit :

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« Ils [les cadres] se trouvent confrontés à la fois à l’incertitude et au doute sur leur propre statut, à leur manque de formation et d’expérience des situations d’encadrement, à la faible légitimité qui leur est accordée par l’équipe, elle- même parfois déstabilisée par la difficulté éprouvée par le cadre à définir le travail prescrit et à effectuer les régulations nécessaires. À l’autre extrême, certains cadres de santé qui passent pour s’être convertis à la cause managériale peuvent se voir reprocher leur autoritarisme et leur distance envers le terrain, dont ils sont pourtant issus » (Gadéa, 2011, p.62).

Leur position est d’autant plus complexe que les cadres agissent dans les organisations de santé comme interface entre les logiques médicales, soignantes et économiques (Strauss, 1963). En effet, pour Bouret (2008), le travail des cadres soignants consiste en grande partie à faire des liens entre des logiques, des personnes ou des groupes (Bourret, 2008, p.733). En ce sens, ce qui représente, aux yeux de Coulon (2010), l’élément distinctif le plus important de cette catégorie d’acteurs, est la présence de plusieurs logiques auxquelles le cadre doit se référer lorsqu’il prend des décisions. Coulon (2010) affirme que le cadre de santé ne peut organiser le travail de ses subordonnés en se fondant uniquement sur « un système de logique basé sur l’utilité » (Coulon, 2010, p.14), il doit plutôt « arbitrer » entre cette dernière et un « système de logiques liées aux soins hospitaliers » (Coulon, 2010, p.14).

2.3.2 Les impacts des réformes du NMP

Nous tracerons maintenant un portrait des connaissances à propos des impacts des réformes des systèmes de santé, s’inscrivant dans le mouvement du NMP, sur les gestionnaires d’établissements de santé.

2.3.2.1 Une fonction de plus en plus managériale

Il y a un consensus dans la littérature consultée sur le fait que le rôle des gestionnaires d’établissements de santé connaît, depuis quelques années, et sous la pression du nouveau management public et des réformes qui en découlent, une transformation importante. Au cœur de cette transformation se trouve un processus de modification de l’ethos de ce groupe, celui-

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ci passant d’un éthos fondée essentiellement sur des valeurs administratives et professionnelles à un éthos fondé sur des valeurs managériales.

Ainsi, s’intéressant aux cadres infirmiers britanniques, Bolton (2003) constate un déplacement du rôle de cadre infirmier, passant de l’exercice d’un leadership clinique et de support aux infirmières soignantes vers un rôle dans lequel les enjeux budgétaires, de mesure de la qualité et de gestion des ressources humaines prennent une grande place. Dans une autre recherche, Bolton (2005) précise que les attentes envers les cadres infirmiers ne se limitent plus à ce que ceux-ci s’assurent de la dispensation des meilleurs soins possibles aux patients, mais qu’à cela s’ajoute la nécessité d’y arriver en respectant les cibles budgétaires.

Pour Willmot (1998) un élément central de cette évolution de la gestion des unités de soins est l’éloignement du cadre infirmier des soins directs aux patients. Cet éloignement se fait, selon Willmot (1998), au profit d’une plus grande importance accordée à la gestion du personnel de l’unité de soins.

Dans le même sens, Wise (2007) constate que les réformes du NMP ont entrainé une délégation des responsabilités managériales et administratives vers les cadres infirmiers. Elle écrit : « Les chefs d’unité sont incités à devenir des leaders transformationnels, innovants, inspirants, créatifs et proactifs avec la capacité de motiver les autres vers l’atteinte de normes élevées et d’objectifs à long terme49 » (Wise, 2007, p.474).

Ce processus n’est pas propre au système de santé britannique, Newman et Lawler (2009) rapportent une évolution du même type chez les gestionnaires infirmiers australiens. Le rôle fondamental de ces gestionnaires était, traditionnellement, de s’assurer que les patients bénéficient de soins de qualité, selon les standards de la profession. Newman et Lawler (2009) rapportent une reconstruction du travail des gestionnaires infirmiers autour de la gestion des budgets et de la performance, de la planification stratégique, de la satisfaction des clients et de

49 Notre traduction.

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la gestion des plaintes. Ceci fait dire à Newman et Lawler que « les impératifs gestionnaires ont supplanté les aspects cliniques50 » (Newman et Lawler, 2009, p.426).

Un phénomène similaire est observé en France. En effet, suite à une étude comparative sur la France et la Grande-Bretagne, Féroni et Kober-Smith (2005) écrivent :

« Pour les cadres intermédiaires, les fonctions managériales déléguées au niveau des services ou des pôles d’activités remplacent progressivement les tâches d’encadrement de type bureaucratiques » (Féroni et Kober-Smith, 2005, p.478).

Bien que la majorité des recherches s’étant intéressées à cette évolution aient été réalisées dans des unités de soins, Chéronnet et Gadéa (2009) affirment qu’elle est aussi présente dans les organisations de service social. À ce sujet, ils écrivent :

« La logique de métier qui a longtemps régi et donné sens à l’accès aux postes de chef de service et directeur d’établissement reposait davantage sur l’idée d’une prise de responsabilités à l’intérieur de la mission d’éducation et d’assistance aux démunis dont se sentent investis les travailleurs sociaux que sur l’exercice de fonctions hiérarchiques ou d’expertise articulées à une place donnée dans l’organigramme, telles que peuvent les concevoir les cadres d’entreprise » (Chéronnet et Gadéa, 2009, p.75).

2.3.2.2 Les facteurs explicatifs de cette évolution

À partir de la littérature, nous avons identifié trois éléments en lien avec le travail des gestionnaires sur lesquels les réformes du NMP ont une influence déterminante. Nous présenterons d’abord les impacts des réformes sur les conditions d’exercice du travail des gestionnaires. Par la suite, nous nous intéresserons à la dynamique interne de la catégorie en mettant l’accent sur les modifications dans les rapports de pouvoir des différents sous-groupes de gestionnaires. Finalement, nous nous intéresserons à l’appellation de ces acteurs ainsi qu’aux facteurs sur lesquels s’appuie leur légitimité.

50 Notre traduction.

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2.3.2.2.1 Les conditions de réalisation du travail des gestionnaires.

Certains auteurs mentionnent que le type de configuration organisationnelle que les réformes s’inscrivant dans le mouvement du NMP tentent de mettre en place s’apparente à celle d’une grande entreprise divisionnalisée (Dupuis et Farinas, 2010; Dupuis, Farinas et Demers, 2004). Dans ce type d’organisation, une grande importance est accordée « à la supervision hiérarchique, à la normalisation des processus de travail et à celle des résultats » (Dupuis et Farinas, 2010, p.56).

Ainsi, un des impacts de l’adoption de ce modèle organisationnel est la bureaucratisation et la formalisation des processus de travail et des résultats à atteindre. À ce sujet, Hoque et al., (2004) rapportent une impression, chez les gestionnaires supérieurs anglais, d’une augmentation de la bureaucratie. Ceci est particulièrement important lors de fusions d’établissements et est lié à la nécessité de coordonner et de standardiser les modes de fonctionnement de plusieurs établissements. Dupuis et Farinas (2010) rapportent que ces changements ont des impacts importants sur le sens que les membres de ces organisations, employés comme gestionnaires, accordent à leur travail. À ce sujet, ils écrivent :

« Sous l’effet de ce modèle, nos organisations risquent de devenir toujours plus grosses, plus formelles, plus abstraites, plus impersonnelles, vides d’engagements et de jugements éclairés, moins aptes à accomplir réellement leur mission » (Dupuis et Farinas, 2010, p.62).

Pour les cadres intermédiaires, ce type d’organisation, et la formalisation qui y est associée, entraînent une diminution de leur autonomie ainsi que de la possibilité qu’ils ont de prendre des décisions à leur niveau (Fulop et coll., 2002). En fait, plusieurs chercheurs précisent que les gestionnaires intermédiaires seraient exclus du processus de prise de décisions organisationnelle à la suite des restructurations découlant du NMP (Newman et Lawler, 2009; McConville et Holden, 1999).

À cela s’ajoute un éloignement entre le gestionnaire et l’unité dont il a la charge. Ainsi, Fulop et coll., (2002) rapportent que les gestionnaires se sentent coupés de l’unité sous leur

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supervision. McConville et Holden (1999) rapportent aussi cet éloignement chez les cadres intermédiaires anglais. Ceux-ci se trouvent, à la fois éloignés de la strate des cadres supérieurs ainsi que de l’équipe sous leur supervision.

Un élément pouvant ajouter à cette impression de distance est que certains gestionnaires se retrouvent, suite à des fusions d’établissements, en charge de plusieurs unités dispersées géographiquement. Ceci a pour conséquence qu’une partie du temps de travail des gestionnaires est investi en déplacement entre les sites (Fulop et coll., 2002).

Cet éloignement des équipes sous leur supervision additionné à l’évolution de leur rôle entraînent une modification de la perception qu’ont les subordonnés de leur gestionnaire. Si les gestionnaires ont traditionnellement été considérés comme des membres de la profession il semble qu’ils soient maintenant perçus comme des représentants de l’organisation. À ce propos, Gadéa écrit :

« Alors que les cadres de santé étaient déjà absorbés par des tâches administratives, relevant de la gestion du personnel et des plannings, ils sont de plus en plus considérés par les soignantes comme des « envoyés » de la direction coupés du terrain, des soins et des patients » (Gadéa, 2011, p.61).

Il ajoute, à propos des membres du personnel d’encadrement :

« [Ils] se voient souvent accusés d’avoir trahi leur groupe professionnel d’origine et d’être « passés de l’autre côté », celui de la hiérarchie hospitalière et des politiques gouvernementales qui mettent à mal le service public de santé » (Gadéa, 2011, p.61).

Un autre élément associé aux réformes du NMP est la grande quantité de mesures de contrôle mises en place pour évaluer l’intensité du travail des gestionnaires ainsi que leur performance. Celles-ci ont plusieurs effets sur le travail des gestionnaires. D’abord, ces contrôles reposent sur des données qui doivent, bien souvent, être fournies par les gestionnaires eux-mêmes. Ceci a pour effet d’augmenter le temps de travail passé à fournir des données à propos du travail effectué (Allsop et May, 1993; Hoque, 2004). De plus, ces mesures de contrôle ajoutent à la

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bureaucratisation et à la diminution de l’autonomie des gestionnaires. À ce sujet, Newman et Lawler (2009) écrivent :

« La rhétorique du NMP réclame une libération des gestionnaires des inconvénients qu’entraîne la bureaucratie, en décentralisant l’autorité aux gestionnaires de manière à leur permettre de faire leur travail (de gérer). En pratique, la volonté d’améliorer l’efficience, la coordination et le contrôle des coûts résulte en une augmentation de la surveillance, une centralisation du contrôle et une imputabilité managériale à travers des cibles de performance51 » (Newman et Lawler, 2009, p.430).

2.3.2.2.2 Modifications des rapports de pouvoir

Les modifications structurelles entraînent aussi un déplacement du pouvoir des cadres soignants vers ceux œuvrant dans les directions soutien administratif et technique. Ainsi, il semble que lorsque les tenants du NMP affirment vouloir augmenter les marges de manœuvre des gestionnaires afin que ceux-ci soient en mesure de gérer, ils ne visent pas le personnel d’encadrement en charge de la supervision d’unités dans lesquelles sont dispensés les soins et les services, mais plutôt les cadres de la technostructure, responsables de la normalisation des processus de travail et de l’évaluation des résultats. Dans ce contexte, Feroni et Kober-Smith (2005) écrivent :

« Le modèle traditionnel de la bureaucratie professionnalisée, caractérisé par la domination de la profession médicale et l’organisation hiérarchisée des professions soignantes dans le cadre d’une administration faible, est remis en cause par de nouveaux modes de gestion centrés sur le pouvoir des managers » (Feroni et Kober-Smith, 2005, p.484).

La normalisation du travail a des impacts sur l’autonomie du personnel d’encadrement mais aussi sur le rôle que jouent les cadres soignants dans l’organisation. Ceux-ci sont maintenant en charge de s’assurer du respect des règles émises par la technostructure. Cette évolution

51 Notre traduction.

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importante du travail du personnel d’encadrement soignant est décrite en ces mots par Bouret (2008) :

« Les cadres de santé ne travaillent plus pour la médecine ni pour les malades : ils travaillent pour un système abstrait qui fait entrer de plain-pied les collectifs et le travail médical et soignant dans la rationalité de l’hôpital. Leur chef n’est pas un donneur d’ordre, les contraintes viennent de la technostructure. Ils [les cadres] font tenir un système sans trop savoir d’où tombent les règles » (Bouret, 2008. p.738).

2.3.2.2.3 Changement d’appellation et des facteurs de légitimité

Certains auteurs (Feroni et Kober-Smith, 2005; Chéronnet et Gadéa, 2009) mentionnent que l’évolution de la fonction du personnel d’encadrement est aussi perceptible dans les modifications des appellations officielles de cette catégorie d’acteurs. Pour ces auteurs, ces changements ne sont pas neutres, ils illustrent et consacrent l’évolution de la fonction de cette catégorie. Comme l’écrivent Feroni et Kober-Smith (2005):

« Le remplacement des désignations catégorielles antérieures (cadre infirmier) par des appellations plus génériques (manager) permet d’opérer une rupture symbolique avec la hiérarchie traditionnelle de la profession et signale un rapprochement avec les activités de l’entreprise » (Feroni et Kober-Smith, 2005, p.478).

Dans le même ordre d’idée, Chéronnet et Gadéa (2009) affirment que l’on peut considérer ce glissement sémantique comme une clarification statutaire qui serait accordée à ce groupe en échange de sa contribution aux gains de productivité des organisations.

Un autre facteur influençant l’évolution des fonctions du personnel d’encadrement réside dans les caractéristiques sur lesquelles repose leur légitimité. Pour Divay et Gadéa (2008), la valorisation de la rationalité managériale qui est au cœur des réformes du nouveau management public modifie les caractéristiques qui légitiment l’exercice de l’encadrement ainsi que l’accès à cette position. Plus spécifiquement, ce seraient les formes de « savoirs et

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d’expertises légitimes » (Divay et Gadéa, 2008, p.679) qui évolueraient. Ce ne serait donc plus l’expérience, les habiletés et connaissances cliniques qui légitimeraient l’exercice de l’encadrement, mais plutôt les connaissances managériales.

Pour Bourret (2008), ceci ne signifie pas que les connaissances cliniques des cadres soient devenues inutiles. Cependant, les nouvelles réalités organisationnelles dans lesquelles doivent travailler le personnel d’encadrement exige de ceux-ci de nouvelles connaissances. Par exemple, un des changements dans le fonctionnement des organisations de santé réside dans le fait de réfléchir à la dispensation des soins en termes de trajectoire des patients. Face à cette façon de structurer les soins en continuum, empruntée aux industries de process, les connaissances que doit mobiliser le cadre ne sont pas les mêmes qu’anciennement. À ce propos, Bouret (2008) écrit :

« La relation aux malades est centrée sur le déroulement de la trajectoire telle qu’elle a été programmée. Le but devient celui de s’assurer que les soins sont réalisés, mais aussi que le patient a bien intégré sa date de départ de l’hôpital et des possibilités de prise en charge à la sortie […] Les connaissances des cadres de santé sur les malades, y compris leurs connaissances médicales, sont orientées afin de faire rentrer les patients dans des trajectoires et dans des prises en charge types définies par l’institution » (Bouret, 2008, p.737).

Non seulement cette modification des savoirs et expertises légitimes contribue à l’évolution du rôle du personnel d’encadrement, poussant ceux-ci à acquérir ces nouvelles sources de légitimité, mais elle contribue au deuxième phénomène identifié à partir de la littérature : le déplacement du pouvoir des cadres de soins vers les cadres de la technostructure.

2.3.2.3 Porteurs du changement ?

Pour les tenants du NMP, il semble aller de soi que le personnel d’encadrement soit l’acteur qui porte la logique managériale dans les organisations. Les résultats des recherches à propos des cadres d’établissements de santé laissent plutôt entrevoir une réalité plus complexe. La situation du personnel d’encadrement est particulière du fait que ceux-ci doivent

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opérationnaliser les orientations prises à des niveaux hiérarchiques supérieurs, dans la technostructure ou même en dehors de l’organisation, et ce, sans nécessairement être en accord avec celles-ci. Ainsi, dans le contexte des modifications s’inscrivant dans le mouvement du NMP, les cadres se voient donner le mandat d’être les porteurs d’une nouvelle vision de leur organisation. Comme l’écrivent Divay et Gadéa :

« Il [le groupe des cadres] lui revient non seulement de mobiliser et fédérer des salariés, mais également de leur transmettre les principes et une vision du monde hospitalier qui sous-tendent la rationalisation de l’hôpital public » (Divay et Gadéa, 2008, p.680).

Or ces auteurs ajoutent que si les cadres sont investis de la mission de porter cette rationalisation managériale, ils n’en sont pas nécessairement les promoteurs. Ils écrivent :

« Les cadres de santé ne sont généralement pas les promoteurs de cette évolution, qu’ils subissent autant que les autres professionnels et que nombre d’entre eux déplorent, mais ils en sont certainement les porteurs au sein des équipes de travail, et les garants de sa mise en œuvre aux yeux de la direction, ce qui tend aussi à les charger d’une mission délicate et à les doter d’une visibilité nouvelle » (Divay et Gadéa, 2008, p.678).

Ainsi, l’évolution du rôle qui découle des réformes du NMP n’est pas intégrée de manière identique par tous. À ce propos, Divay et Gadéa écrivent :

« Certains investissent avec plus ou moins d’hésitation les nouveaux espaces qui leur sont ouverts, d’autres rechignent à assumer le rôle qui leur est dévolu, en particulier parmi les cadres de soins qui restent proches d’une défense des valeurs du service public et du métier d’infirmière » (Divay et Gadéa, 2008, p.678).

S’il hésite à adhérer à la logique managériale, le personnel d’encadrement ne semble pas avoir de nombreux moyens de résistance à sa disposition. Certains chercheurs (Zhan et coll., 2005; Worral et coll., 1998) rapportent des augmentations du taux de roulement des gestionnaires suite aux restructurations découlant du NMP. Worral et coll., (1998) mentionnent que ces départs pourraient être considérés comme une conséquence inévitable des changements organisationnels. Ils écrivent :

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« Suite aux réformes, il pourrait être considéré comme inévitable et dans l'intérêt à long terme du « nouveau » secteur public, que les gestionnaires ayant une façon de voir les choses déterminée par leurs expériences passées dans le secteur public soient remplacés par une nouvelle génération de gestionnaires avec une vision du monde plus appropriée au nouveau contexte52 » (Worral et coll., 1998, p.621).

Certains chercheurs (Van Der Scheer, 2007; Kowalczyk, 2002) ont démontré que l’influence des réformes du NMP sur le personnel d’encadrement est nuancé par les structures organisationnelles. Ainsi, Kowalczyk (2002) a démontré que les caractéristiques propres à une unité de soins intensifs ont eu pour effet d’y limiter les impacts de l’introduction de mesures découlant du NMP.

Dans la même veine, Bolton (2005) affirme que certains cadres soignants agissent comme tampon afin de nuancer les effets des réformes. Bolton (2005) affirme que ces cadres utilisent leur position de manière à trouver des façons innovatrices d’introduire de nouvelles politiques. Il écrit : « ils peuvent considérer leurs actions comme des moyens de limiter les excès des nouvelles politiques de gestion »53 (Bolton, 2005, p.19). Dans le même sens, Greener (2008) affirme que certains gestionnaires se considèrent comme des remparts face aux réformes imposées par le gouvernement.

McConville et Holden (1999) proposent d’ailleurs de considérer les agissements des gestionnaires de premier niveau comme un moyen de se protéger et de protéger leurs employés. Ils écrivent « les résultats de notre étude suggèrent que les gestionnaires d’hôpitaux cherchent à se protéger et à protéger leur personnel contre les effets néfastes des changements » (McConville et Holden, 1999, p.410).

52 Notre traduction. 53 Notre traduction

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Malgré ces stratégies, Chéronnet et Gadéa (2009) affirment qu’on assiste bien, dans la réalité, à une évolution des pratiques d’encadrement vers des fonctions véritablement managériales. Ils écrivent :

« À moyen terme, quoi qu’il en soit, la greffe prend […] des procédés organisationnels et langagiers divers mais convergents, aboutissent au fil du temps à une redéfinition des pratiques et de la conscience de soi de cette catégorie spécifique d’acteurs, qui prend peu à peu de la distance envers les professionnels de terrain et assume davantage la posture gestionnaire qui est attendue d’elle » (Chéronnet et Gadéa, 2009, p.83).

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Chapitre 3. Problématique, questions de recherche et posture épistémologique

Dans ce chapitre, nous présenterons la problématique au cœur de notre recherche. Pour définir cette dernière, nous nous sommes appuyé sur les éléments présentés dans les chapitres précédents ainsi que sur nos connaissances du terrain. Ceci nous a amené à identifier des pistes de recherche et des interrogations que le terrain nous permettra de valider.

Nous avons divisé le chapitre en deux sections. Dans la première, nous décrirons la problématique ainsi que les questions de recherche. Dans la deuxième section, nous préciserons le positionnement épistémologique que nous avons adopté afin de répondre à ces questions.

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3.1 Problématique et questions de recherche.

Nous avons vu précédemment que les discours de présentation de la réforme Couillard prétendent vouloir libérer les gestionnaires des entraves les empêchant d’exercer adéquatement leur travail. Plus spécifiquement, cette libération passerait par la modification des structures des organisations, la révision des règles encadrant les relations du travail ainsi que l’augmentation de l’imputabilité des gestionnaires.

Face à ces mesures, nous croyons que la position des gestionnaires est paradoxale. Si l’hétérogénéité de la catégorie nous amène à supposer que tous ne considèrent pas la réforme de la même manière, il n’en demeure pas moins que leur fonction les oblige à mettre en œuvre les changements.

En ce sens, il nous paraît pertinent de nous pencher sur les impacts de la réforme Couillard sur le travail des gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux. Nous avons vu précédemment que la recherche à ce propos s’est surtout concentrée sur l’évolution des activités réalisées par les gestionnaires suite aux réformes ainsi que sur la description des modifications des conditions d’exercice de leur travail.

Pour notre part, nous voudrions dépasser la description de l’évolution des activités réalisées par les gestionnaires pour mettre l’accent sur la compréhension de ce qui amène les gestionnaires à modifier, ou pas, la façon dont ils réalisent leur travail suite aux réformes. Ainsi, nous voulons accéder à la façon dont les gestionnaires définissent leur travail et comprendre les impacts de la réforme sur ces définitions.

Peu de recherches ont abordé les impacts des réformes sous cet angle. En effet, on ne sait que peu de chose à propos des impacts des réformes du NMP sur la redéfinition de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Qui plus est, les recherches pouvant nous instruire à ce sujet se sont principalement concentrées sur les gestionnaires responsables

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de secteurs cliniques, ce qui fait qu’on ne sait à peu près rien des autres sous-catégories de gestionnaires.

Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte québécois où aucune recherche n’a, à notre connaissance, cherché à comprendre les impacts de la réforme Couillard sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. En bref, on ne sait pas si les gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux québécois ont redéfini la façon dont ils conçoivent leur travail à la suite de la réforme Couillard.

C’est cette lacune que nous voulons combler avec notre recherche. Pour ce faire, nous voulons analyser les impacts de la réforme Couillard sous l’angle de l’influence qu’elle exerce sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Précisons que notre volonté d’aborder les gestionnaires sous cet angle a été influencée par les propos de Chéronnet et Gadéa (2009) qui affirment que les réformes entraînent la mise en œuvre d’un ensemble de procédés qui amènent les gestionnaires à redéfinir la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes. C’est précisément sur ce processus de redéfinition, et sur ses résultats, que nous voulons mettre l’accent. Nous croyons qu’il s’agit là d’une façon originale et pertinente d’analyser les impacts des réformes du NMP.

En effet, le fait que cette catégorie d’acteur soit investie de la responsabilité de mettre en œuvre les changements augmente la pertinence de ce questionnement. Nous croyons que la compréhension de l’influence qu’exerce la réforme sur la façon dont les gestionnaires réfléchissent à leur rôle dans l’organisation nous permettra d’approfondir la compréhension que nous avons de leurs actions.

Précisons que le moment choisi pour réaliser cette recherche nous semble particulièrement adéquat pour analyser les impacts de cette réforme sous cet angle. En effet, nous débuterons notre processus de cueillette des données environ cinq ans après la mise en œuvre de la réforme. Nous croyons que cette période de quelques années est assez longue pour que les gestionnaires aient pu constater les impacts de la réforme sur la représentation qu’ils ont de leur travail.

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Afin de préciser en quoi l’étude de la réforme sous cet angle nous permettra d’apporter des connaissances pertinentes à celles que nous avons à propos des gestionnaires d’établissements de santé et des impacts des réformes du NMP, il convient de préciser ce que nous entendons par la notion « représentation de leur travail ».

Nous définissons la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail comme étant un processus, fondé sur l’expérience personnelle et l’expérience de travail, qui amène les répondants à décrire leur travail actuel en termes de rôle dans l’organisation. C’est donc dire que nous croyons que les gestionnaires développent, dans les interactions qu’ils vivent au travers de leurs expériences personnelles et de travail, une image de ce qu’est, ou devrait être, leur rôle dans l’organisation.

Précisons que nous ne cherchons pas à définir le rôle officiel des gestionnaires, tel que défini par leurs supérieurs ou le ministère, mais plutôt à saisir le rôle que le gestionnaire croit qu’il doit, ou devrait, jouer dans l’organisation. En ce sens, nous affirmons notre volonté d’aller au- delà des descriptions officielles de fonctions. Nous cherchons plutôt à accéder au travail réel des gestionnaires.

Si nous voulons mettre l’accent sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail, il convient de préciser que nous ne cherchons pas à nous inscrire dans l’ensemble des recherches à propos des représentations sociales54. En effet, nous ne cherchons pas à décrire la façon dont est perçu le travail des gestionnaires d’établissements de santé. Ajoutons qu’il ne s’agit pas non plus d’éclairer le rapport à l’emploi de ces gestionnaires tel que défini par Paugam55. Nous voulons plutôt savoir comment les acteurs définissent leur propre rôle dans l’organisation.

54 Jodelet définit ainsi les représentations sociales : « une forme de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1994, p. 36) 55 Paugam définit le rapport en l’emploi en ces termes : « [il s’agit de la] position de l’individu par rapport à l’emploi […] selon l’écart par rapport à la norme de l’emploi stable » (p.14).

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En choisissant de nous concentrer sur les représentations que les gestionnaires ont de leur travail, nous affirmons notre volonté d’étudier cette catégorie d’acteurs en allant au-delà des modifications apportées à leurs prescriptions de travail. Nous voulons plutôt accéder au regard que portent les gestionnaires sur leur travail en contexte de changement. Nous croyons qu’en abordant le travail des gestionnaires sous cet angle, nous serons en mesure d’approfondir notre connaissance des impacts réels des mesures imposées par la réforme.

Tout ceci nous amène à formuler une première question de recherche qui s’énonce comme suit :

 Les changements imposés par la réforme Couillard ont-ils entraîné une modification de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail ?

Plus spécifiquement, il s’agira d’identifier si nous assistons à la consolidation des représentations qu’ont les gestionnaire de leur travail ou encore à l’émergence de nouvelles représentations du travail de gestion. Dans un cas ou l’autre, il s’agira aussi d’identifier les caractéristiques de ces représentations.

Il convient de préciser que notre objectif n’est pas seulement de constater l’évolution ou la consolidation des représentations mais surtout d’en identifier les causes. Ce faisant, nous chercherons à saisir les éléments découlant de la réforme ayant de l’importance pour les gestionnaires du fait qu’ils bousculent ou consolident la façon dont ils se représentent leur travail. Ceci nous amène à formuler une question complémentaire qui s’énonce comme suit :

 Quels sont les facteurs à l’origine de la consolidation ou de l’évolution de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail ?

Avec cette question nous ne présumons pas de l’importance des différentes composantes de la réforme. Nous voulons plutôt identifier les facteurs qui ont de l’importance pour les gestionnaires du fait qu’ils les amènent à modifier la représentation qu’ils ont de leur travail.

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Nous croyons tout de même que le fait de chercher à comprendre les impacts de la réforme sur les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail nous amènera à considérer la dynamique interne de la catégorie. En effet, l’hétérogénéité de la catégorie nous amène à penser qu’il est fort probable que plusieurs représentations du travail de gestion se côtoient. Qui plus est, la nature même des CSSS, qui résultent de la fusion de plusieurs organisations, à l’histoire, à la culture et aux missions différentes, exacerbent cette probabilité. Dans ce contexte, il sera intéressant de vérifier si l’homogénéisation de la catégorie, opérée dans les discours officiels de la réforme, se reflète sur le terrain et, si oui, d’identifier les contours de la représentation qui s’impose, d’identifier les acteurs qui en sont à l’origine et les stratégies mises en œuvre pour y arriver. Il s’agira aussi de vérifier si subsistent, dans les CSSS, des représentations du travail de gestion spécifiques aux anciennes organisations. Plus spécifiquement ceci nous amène à énoncer les questions complémentaires suivantes :

 Assiste-t-on à une homogénéisation de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail ou faisons-nous face à un clivage?

 Dans le cas d’une homogénéisation, quelles sont les caractéristiques des représentations qui s’imposent ? Quels sont les facteurs à l’origine de cette évolution ?

 Dans le cas d’un clivage, quelles sont les caractéristiques des représentations qui subsistent ? Qu’est-ce qui explique cette rémanence ?

 Est-il possible d’identifier des logiques d’acteurs qui sous-tendent des représentations différentes ? Qui sont les porteurs de ces logiques ?

 Quels sont les rapports de pouvoir entre les différents sous-groupes de gestionnaires partageant une même représentation de leur travail ? Certains sont-ils en mesure d’imposer leur représentation ? Si oui, comment ?

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3.2 Posture épistémologique

Afin de répondre aux questions énoncées précédemment, nous avons déjà affirmé notre choix d’inscrire cette recherche dans la tradition de la sociologie du travail. Ce faisant, nous cherchons à nous éloigner de l’approche généralement utilisée afin d’étudier les gestionnaires et leurs pratiques. Dans cette approche, qualifiée par Alvesson et Willmott (1996) de « mainstream management theory » (Alvesson et Willmott, 1996, p.37), la gestion est considérée comme « un ensemble de techniques neutres et de processus fonctionnels utilisés afin de maximiser l’utilisation productive des humains et des ressources naturelles pour notre bénéfice mutuel » (Idem, p.37). Cette approche nous paraît insuffisante afin de saisir la réalité des acteurs auxquels nous nous intéressons dans le cadre de cette recherche. Nous croyons que la tradition de la sociologie du travail nous permettra de pallier ces limites.

En premier lieu, l’approche mainstream management ne tient pas compte du contexte social, historique et politique dans lequel se situent les organisations. Ce contexte y est réduit à un environnement auxquels les organisations doivent adapter leurs structures et modes de fonctionnement afin de survivre (Reed, 1989). Ainsi, dans cette approche, la réforme serait présentée comme un projet neutre, c’est-à-dire comme une réponse purement technique répondant à des besoins. Ce faisant, les dimensions idéologiques et politiques de la réforme sont passées sous silence. Dans ce contexte, la sociologie du travail nous permet d’éviter cet écueil et de considérer les fondements politiques et idéologiques de la réforme.

Deuxièmement, dans cette approche aucune distinction n’est faite entre les structures organisationnelles officielles et l’organisation sociale au sein de laquelle les individus réalisent leur travail. Qui plus est, la division du travail au sein du groupe des gestionnaires est considérée sous l’angle de la complémentarité des fonctions managériales (Reed, 1989). Pour la sociologie du travail, il s’agit d’une représentation réductrice de la réalité laissant de côté un ensemble d’éléments tels que la possibilité de retrouver des sous-groupes inscrits dans des rapports de pouvoir et partageant certaines normes sociales ainsi qu’une certaine représentation de leur travail.

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Finalement, et c’est là un élément majeur, les gestionnaires sont considérés, dans le mainstream management, comme des acteurs rationnels agissant selon une logique instrumentale. Ce faisant, l’action de ces derniers est considérée comme le résultat de choix rationnels effectués par des individus dont l’objectif est de maximiser leurs gains (Reed, 1989). Encore une fois, cette représentation nous paraît réductrice. D’abord, elle considère l’action des gestionnaires comme les résultats de la réflexion d’individus isolés. Au contraire, la perspective sociologique nous permettra de considérer ces individus comme faisant partie d’un collectif de travail. Comme l’écrit Coenen-Huther, cette perspective sociologique nous permettra d’introduire « du collectif là où tout paraît s’expliquer par le choc des individualités » (Coenen-Huther, 2012, p.6).

Le fait d’avoir mis au cœur de notre recherche la question de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail implique que nous nous intéressions au sens que ces acteurs donnent à leurs actions. Pour ce faire, nous nous inscrivons dans une perspective compréhensive. Rappelons que cette perspective sociologique prend racine dans l’œuvre de Max Weber pour qui la sociologie est : « une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets» (Weber, 1995 [1921]). Appliqué à notre recherche, cela signifie que nous nous proposons de saisir le sens que les gestionnaires donnent à leurs actions, de l’interpréter, c’est- à-dire de l’organiser en concepts qui en permettent l’analyse et de l’expliquer, c’est-à-dire d’en identifier les causes et les régularités.

Précisons que dans cette approche, le sens fait référence au fait que l’action est le produit d’une certaine rationalité, c’est-à-dire que l’acteur est en mesure d’expliquer les raisons pour lesquelles il agit d’une manière plutôt que d’une autre. Ainsi, bien que nous soyons conscients que les acteurs auxquels nous nous intéressons sont définis officiellement par leur position dans la hiérarchie organisationnelle, nous les aborderons sans a priori sur la rationalité qu’ils mobilisent dans le cadre de leur travail. Ainsi, nous ne considérons pas que l’unique prise en compte de la position qu’ils occupent nous permette de définir la rationalité qu’ils mobilisent

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dans le cadre de leur travail. Ce sont plutôt les acteurs eux-mêmes qui sont en mesure de nous préciser le sens de leurs actions.

En ce sens, nous nous inspirons fortement de l’interactionnisme symbolique (Hughes, 1951; 1957; 1970). Nous privilégions une approche microsociologique et donnerons une grande place au terrain (Voir chapitre 4.). Nous abordons les gestionnaires comme des acteurs sociaux qui construisent le sens qu’ils donnent à leur travail au travers de leurs interactions. Nous nous démarquons cependant quelque peu de l’interactionnisme par notre volonté de tenir compte des structures organisationnelle dans lesquelles sont insérés les acteurs ainsi que des impacts de ces structures.

En cohérence avec cette posture épistémologique, nous considérons la réforme comme un événement qui bouscule les acteurs auxquels nous nous intéressons, et ce même s’ils sont officiellement responsables de la mise en œuvre de celle-ci. Ainsi, il s’agit pour nous de saisir le sens que les acteurs donnent à leur travail dans ce contexte et surtout de comprendre la manière dont ils (re)définissent leur rôle, au travers de leurs interactions.

Évidemment, le sens est produit subjectivement, cependant, précisons que nous ne cherchons pas à appréhender les caractéristiques psychologiques des individus, ni à expliquer l’ensemble de leur réactions. À ce propos, il nous paraît utile de rappeler que pour Weber, l’action ne réfère pas à tous les comportements individuels. L’action se distingue du comportement par le fait que l’acteur qui en est à l’origine lui donne un sens. Qui plus est, Weber précise que le sociologue doit s’intéresser à « l’activité sociale », c’est-à-dire l’action qui se rapporte à autrui. Comme l’explique Aron (1967):

« L’action sociale est un comportement humain, autrement dit une attitude intérieur ou extérieure, orientée vers l’action ou l’abstention. Ce comportement est action lorsque l’acteur lie à sa conduite une certaine signification. L’action est sociale lorsque, d’après le sens que lui donne l’acteur, elle se rapporte au comportement d’autres personnes » (Aron, 1967, p.551).

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Chapitre 4. Méthodologie

Dans ce chapitre, nous présenterons la stratégie de recherche que nous avons utilisée. Précisons d’abord qu’en cohérence avec nos questions de recherche et avec notre cadre théorique, nous avons privilégié l’usage de méthodes qualitatives. Celles-ci étant plus à même de nous permettre d’accéder au vécu des acteurs auxquels nous nous intéressons, au sens qu’ils donnent à leurs actions ainsi qu’au contexte dans lequel ils œuvrent (Jodelet, 2003). Il nous paraît important de préciser que la démarche de recherche que nous présentons ici doit être vue comme le résultat d’un processus itératif. Les nombreux « allers-retours » entre le terrain et la littérature nous ont permis d’affiner nos choix méthodologiques de manière à nous assurer de répondre aux questions de recherche tout en nous ajustant aux réalités du terrain.

Le chapitre se divise en cinq sections. Dans la première, nous exposerons notre approche de recherche, à savoir l’étude de cas. La deuxième section portera sur la technique de collecte de données. Nous y justifierons alors l’emploi de l’entretien semi-dirigé. Nous expliciterons les caractéristiques de notre échantillon dans la troisième section et traiterons des enjeux éthiques dans la quatrième. Finalement, dans la cinquième section, nous présenterons la méthode utilisée pour le traitement et la présentation de nos données.

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4.1. L’étude de cas multiples

L’étude de cas nous est apparue une approche de recherche particulièrement pertinente et adaptée à notre objet d’étude et ce pour deux raisons principales.

D’abord, nous voulions être en mesure d’identifier et de comprendre l’impact des nombreuses variables ayant une influence sur la nature du travail des gestionnaires ainsi que sur la représentation qu’ils ont de leur travail. Pour ce faire, l’étude de cas se révélait particulièrement adaptée. À ce sujet, nous référons à Roy qui écrit:

«L’étude de cas permet d’observer une multitude de variables d’un nombre réduit d’individus. Cela permet au chercheur de prendre en compte plusieurs facteurs de causalité et souvent, de les observer in situ » (Roy, 2006, p.171).

Ainsi, derrière le choix de cette approche se trouvait notre désir d’aborder notre objet de recherche sans nous limiter à un nombre restreint de variables identifiées a priori.

Surtout, le choix de l’étude de cas se fonde sur la nature même de notre objet de recherche. En effet, les acteurs auxquels nous nous intéressons agissent dans un contexte dont les frontières sont clairement identifiables, à savoir les frontières organisationnelles des CSSS. Ceci ne signifie pas que les connaissances produites ne soient pas généralisables au-delà de ce contexte. À ce sujet, nous croyons plutôt, à l’instar de Hamel (1997, 2000), que la prise en compte du contexte permet au phénomène étudié d’acquérir le statut d’objet de recherche. Comme l’écrit Hamel, « l’étude de cas est effectuée dans le but de saisir un phénomène dans son contexte afin que son étude in situ puisse l’en dégager pour qu’il devienne un objet expressément destiné à être livré à l’étude » (1997, p.11).

Malgré l’importance que prend le contexte dans la compréhension du phénomène observé, Hamel (1997) rappelle qu’il importe de faire la distinction entre le cas et l’objet d’étude. Le cas n’est pas l’objet d’étude, mais bien « l’observatoire » par lequel nous accédons à cet objet (Hamel, 1997). À ce sujet Hamel écrit : « la notion de cas doit s’entendre en faisant

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directement écho à l’office qu’on lui rattache : être l’intermédiaire en vertu duquel on peut circonscrire l’objet d’étude » (Hamel, 2000, p.9). Pour notre part, nous pouvons dire que notre objet d’étude est la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail, le CSSS étant « l’observatoire » à travers lequel nous l’abordons.

Ainsi, nous avons fait le choix d’identifier deux cas similaires et, suivant les conseils de Jodelet (2003), nous sommes concentrés sur « chacun des cas, pris dans sa singularité, avant de procéder à leur comparaison » (p.159). Nous avons fait l’hypothèse que cette comparaison nous aiderait à identifier les phénomènes qui découlent des spécificités organisationnelles et ceux qui s’expliquent par les changements communs imposés dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme (Roy, 2006). Bref, il s’agissait d’un moyen de s’assurer que les résultats de notre étude ne se limitent pas à un contexte organisationnel bien précis. Pour le dire autrement, nous cherchions à augmenter la validité externe de nos résultats (Gagnon, 2005).

La question de la représentativité des résultats constitue d’ailleurs une critique souvent formulée à l’égard de l’étude de cas. Cette critique découle cependant de l’utilisation de critères devant assurer la représentativité et n’ayant que peu à voir avec l’utilisation de méthodes qualitatives. À ce sujet, la distinction faite par Hamel (2000) entre la représentativité théorique ou sociologique et la représentativité statistique est fondamentale. À ce sujet, il convient de rappeler que notre objet d’étude est la représentation qu’ont les gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux de leur travail, le CSSS étant l’observatoire par lequel on y accède. Ainsi, ce n’est pas le nombre de cas à l’étude qui assure la représentativité, mais plutôt la pertinence des critères ayant été utilisés dans le choix des cas. À ce sujet, Hamel écrit :

« Cette représentativité [du cas] ne relève pas de la statistique à laquelle elle est souvent réduite en sociologie, mais d’une représentativité qu’on peut qualifier de théorique ou sociologique. […] Le cas comporte les qualités voulues dans la mesure où il constitue le moyen par excellence pour expliquer l’objet à l’étude, leur mise en évidence en faisant foi » (Hamel, 1997, p.100).

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Dans ce contexte, les critères de sélection des cas prennent une grande importance car c’est sur eux que repose la prétention de représentativité des résultats. Il convient donc d’expliciter les critères d’admissibilité que nous avons retenus lors de la sélection des cas au cœur de notre recherche.

4.1.1 Critères de sélection des cas

Rappelons que suite à la réforme Couillard, ce sont quatre-vingt-quinze CSSS qui furent créés. Ceux-ci représentaient, a priori, autant de cas pouvant potentiellement faire partie de notre étude. De manière à effectuer une sélection, nous avons identifié trois critères.

Le premier critère est la composition des CSSS en termes de missions. Dans la vision ministérielle de la réforme, les CSSS devaient théoriquement regrouper les missions CLSC, CHSLD et CH. Dans la réalité, on retrouve ces trois missions dans une majorité de CSSS, à savoir soixante-huit sur quatre-vingt-quinze (St-Pierre, 2009). La présence, ou non, de ces missions ayant possiblement un impact sur la structure d’encadrement ainsi que sur la dynamique interne à la catégorie d’acteurs à l’étude, nous avons donc fait le choix de nous limiter aux CSSS formés de ces trois missions.

Le deuxième critère est la taille du CSSS. Ce critère varie énormément d’une organisation à l’autre. Par exemple, le plus gros des CSSS ayant été créé, le CSSS de Laval, a un budget de plus de 390 millions de dollars et compte plus de 6 000 employés répartis sur dix-sept sites. À l’opposé, un des plus petits, le CSSS du Haut-St-Laurent, a un budget de vingt-six millions de dollars et compte cinq cents employés répartis sur cinq sites. Ces variations ayant probablement un impact sur la structure d’encadrement. Nous avons donc cherché à éliminer les extrêmes, soit les très petits et très grands CSSS, en termes de nombre de sites, d’employés et de budget, pour nous concentrer sur des CSSS de taille moyenne.

Finalement, le dernier critère est la situation géographique des CSSS. Il nous semblait important de faire la distinction entre les CSSS situés en milieu urbain, couvrant un territoire

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plus petit avec une population plus dense et ceux situés en milieu urbain et rural couvrant un territoire plus grand avec une population dispersée. Il s’agit du seul critère que nous avons fait varier dans le choix de nos cas. Nous voulions avoir au moins un CSSS en milieu urbain et rural et au moins un en milieu urbain. Nous cherchions ainsi à éviter que les résultats auxquels nous allions arriver soient discrédités du fait de la localisation géographique des organisations.

Ce qu’il faut retenir ici, c’est que nous cherchions, avec les deux premiers critères, à identifier une sorte d’idéal type des CSSS. En ce sens, nous pourrions dire que nous cherchions à éliminer les exceptions reliées à la composition, en termes de missions, ainsi qu’à la taille. Pour ce qui est du troisième critère, la logique sous-jacente est autre. La situation géographique ne constitue pas une exception, les CSSS sont tous, soit en milieu urbain et rural, soit en milieu urbain. Ne sachant pas, a priori, si cette caractéristique aurait des impacts sur l’objet d’étude, nous avons fait le choix de sélectionner au moins un de chaque.

À l’aide de ces trois critères, nous avons créé une liste de CSSS pouvant potentiellement constituer nos cas et avons débuté la prise de contacts. Nous avons procédé en faisant parvenir des courriels, adressés aux directeurs généraux des différents CSSS, dans lesquels nous leur demandions, après avoir présenté notre recherche, ses objectifs et ce que cela impliquait d’y participer, s’il nous serait possible de faire une partie de notre cueillette des données dans leur organisation. Nous leur proposions aussi de rencontrer le comité de direction afin de nous présenter et de présenter notre recherche. En tout, nous avons dû contacter une dizaine d’organisations avant de trouver celles qui constituent nos cas.

À l’origine, nous avions prévu sélectionner trois CSSS. Cependant, deux éléments sont apparus pendant notre processus de collecte des données et nous ont amené à réduire ce nombre à deux. D’abord, il fut plus difficile de trouver des CSSS acceptant de participer à notre recherche que ce que nous avions prévu. De plus, lorsque nous avons commencé nos entrevues, nous avons pris conscience de l’ampleur des données auxquels un cas nous donnait accès. Ainsi, plus le processus de cueillette des données avançait et moins il nous apparaissait faisable de réaliser une recherche de qualité en analysant trois cas.

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4.1.2 Caractéristiques des cas

Le premier CSSS (CSSS#1) dans lequel nous avons réalisé des entrevues regroupe un hôpital, cinq CLSC, quatre centres d’hébergement et deux maisons d’hébergement. Ces installations desservent une population répartie sur un territoire de près de 4 000 kilomètres carrés situé à la fois en milieu urbain et rural. L’hôpital, un CLSC et un CHSLD sont situés en milieu urbain alors que les autres installations sont situées en milieu rural. Le budget de l’organisation est d’environ 85 millions de dollars et près de 1 400 employés y travaillent (Voir tableau 2).

Le deuxième CSSS (CSSS#2) dans lequel nous avons réalisé des entrevues regroupe un hôpital, deux CLSC et quatre centres d’hébergement. Ces installations desservent une population répartie sur un territoire de près de 450 kilomètres carrés situé en milieu urbain. Le budget de l’organisation est d’environ 140 millions de dollars et près de 2 000 employés y travaillent (Voir tableau 2).

Tableau 2. Caractéristiques des CSSS visités

CSSS Étendue du Budget Nombre Type d’établissements territoire d’employés CH CLSC CHSLD CSSS#1 ± 4000 km2 ± 85 millions ± 1500 1 5 6

CSSS#2 ± 450 km2 ± 140 millions ± 2000 1 2 4

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4.2. Cueillette des données

Le processus de cueillette des données a été réalisé en deux temps. Nous avons d’abord procédé à deux séries d’entrevues exploratoires avant d’effectuer des entrevues semi-dirigées.

4.2.1 Entrevues exploratoires

Lors de la première étape de notre processus de cueillette des données, nous avons effectué deux séries d’entrevues exploratoires. La première a été réalisée au début de l’année 2008. Nous y avons rencontré près d’une dizaine d’acteurs du milieu de la santé et des services sociaux québécois. À ce moment nous croyions que l’objet de notre recherche allait se limiter à l’évolution de la nature du travail des gestionnaires à la suite de la mise en œuvre de la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales et modifiant la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans le secteur public et parapublic (Loi 30). Comme l’objectif de ces rencontres était d’avoir une première idée des impacts concrets de l’application de cette loi, nous ne nous sommes pas limité à rencontrer des gestionnaires de CSSS. Nous avons aussi rencontré des membres d’associations représentant cette catégorie d’acteurs ainsi que des dirigeants syndicaux. Les entrevues n’étaient pas enregistrées, mais des résumés des points importants ont été réalisés.

Si nous abordions ces entrevues avec une grande connaissance théorique de la réforme et des lois la composant, nous ne cherchions pas à mettre à l’épreuve des hypothèses. Il s’agissait d’approfondir notre connaissance de l’application concrète de la Loi 30 et d’identifier certains enjeux y étant reliés. Nos questions étaient donc très larges. Essentiellement, nous demandions aux personnes rencontrés de nous parler de leur perception de la Loi 30, de ses objectifs, de sa mise en œuvre et de nous raconter leur expérience en lien avec cette loi.

Cette première série d’entrevues représente une étape importante de notre processus de recherche, car elle nous a amené à faire le constat qu’il serait difficile d’étudier uniquement les impacts de la Loi 30. En effet, il était difficile, pour les personnes rencontrées, d’isoler la

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Loi 30 de la réforme dont elle est une composante. Cependant, tous les répondants étaient d’avis que la réforme avait modifié de manière importante le travail des gestionnaires d’établissement de santé et de services sociaux. Les entrevues nous ont donc permis de valider la pertinence d’étudier l’évolution du travail des gestionnaires, mais surtout, elles nous ont amené à considérer les impacts de la réforme dans son ensemble et non uniquement la Loi 30.

Précisons que ces entrevues ne sont pas considérées dans notre étude de cas. Cependant, elles ont tout de même fait l’objet d’une analyse ayant mené à une communication (Bolduc, 2008).

La deuxième série d’entrevues exploratoire a été réalisée en 2009. Nous y avons rencontré quatre gestionnaires faisant partie d’un même CSSS. Plus précisément, nous avons rencontré le directeur général, le directeur des ressources humaines, le directeur des soins infirmiers et du programme de santé physique et un cadre intermédiaire responsable du secteur alimentation. Le CSSS dans lequel nous avons effectuée les entrevues ne se qualifiait pas selon les critères de sélection que nous avions identifiés et que nous avons présentés précédemment. Il s’agissait d’une organisation qui, bien qu’elle soit composée des trois missions (CH, CLSC et CHSLD), était de très petite taille. La sélection de ce CSSS pour réaliser les entrevues exploratoires s’explique par le fait que nous connaissions un membre de l’équipe de direction qui était prêt à nous aider et à participer à notre étude.

Ces entrevues représentaient la première occasion que nous avions de discuter de la réforme avec plusieurs gestionnaires d’un même CSSS. Nous avons réalisé ces premières entrevues avec beaucoup d’ouverture, cependant notre objectif était plus précis que lors de la première série d’entrevues exploratoires. En effet, nous savions, à ce moment, que notre recherche allait porter sur l’évolution de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme, et non uniquement suite à la mise en œuvre de la Loi 30. Essentiellement, nous cherchions à nous assurer de la pertinence des thèmes à partir desquels nous souhaitions construire notre schéma d’entrevue (voir section 4.2.2.1).

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Les entrevues étaient enregistrées et elles ont fait l’objet de verbatim. Elles ne sont pas considérées dans notre étude de cas mais ont tout de même fait l’objet d’une analyse qui a été utilisée en partie dans l’écriture d’un article (Bolduc, 2010).

4.2.2 Entrevues semi-dirigées

Comme nous voulions étudier la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail, et donc accéder au sens qu’ils y donnent, la réalisation d’entrevues semi-dirigées nous est apparue la méthode de cueillette de données la plus pertinente. En effet, pour Savoie-Zajc (2006), une des forces de l’entrevue semi-dirigée est qu’elle permet d’accéder à l’univers de l’autre. Elle écrit :

« Le participant à la recherche est en mesure de décrire, de façon détaillée et nuancée, son expérience, son savoir, son expertise […] La situation de l’entrevue permet de révéler ce que l’autre pense et qui ne peut être observé : des sentiments, des pensées, des intentions, des motifs, des craintes, des espoirs; elle rend aussi possible l’identification de liens entre des comportements antérieurs et le présent […] l’entrevue donne un accès privilégié à l’expérience humaine » (Savoie-Zajc, 2006, p.299).

Il nous semble exister un large consensus quant à la définition de l’entrevue semi-dirigée dans la littérature à propos des méthodes qualitatives de cueillette des données. Pour notre part, nous nous sommes fortement inspirés de celle qu’en fait Savoie-Zajc :

« L’entrevue semi-dirigée consiste en une interaction verbale animée de façon souple par le chercheur. Celui-ci se laissera guider par le rythme et le contenu unique de l’échange dans le but d’aborder, sur un mode qui ressemble à celui de la conversation, les thèmes généraux qu’il souhaite explorer avec le participant à la recherche. Grâce à cette interaction, une compréhension riche du phénomène à l’étude sera construite conjointement avec l’interviewé » (Savoie-Zajc, 2006, p.296).

4.2.2.1 Création d’un schéma d’entrevue

En préparation des entrevues nous avons identifié une série de thèmes que nous voulions aborder avec les interviewés. Nous avons structuré ces thèmes de manière à construire un

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schéma d’entrevue qui fut testé lors des entrevues exploratoires. Il importe de préciser que ce schéma d’entrevue était un outil flexible dont la fonction principale était de nous assurer de ne pas oublier de thèmes importants (voir Annexe 4). Il convient aussi de mentionner que l’utilisation que nous en avons faite a évolué au cours du processus de cueillette des données. En effet, avec le temps, nous en sommes venus à maîtriser notre schéma d’entrevue de sorte que nous étions en mesure de mener l’entrevue sous forme de discussion, passant d’un thème à l’autre sans qu’il y ait de coupure dans la conversation.

4.2.2.2 Recrutement des participants et réalisation des entrevues semi-dirigées

Le processus de recrutement des participants s’est effectué de la même manière dans les deux organisations étudiées. Après avoir obtenu l’accord du comité de direction quant à la réalisation de la recherche, le directeur des ressources humaines de l’organisation envoyait un courriel à l’ensemble des gestionnaires pour les informer de notre présence. Ce courriel précisait aussi que notre recherche avait été approuvée par le comité de direction du CSSS. De manière à préserver leur confidentialité, les gestionnaires désireux de participer à la recherche étaient invités à nous contacter directement. Quelques jours après cet envoi, le chercheur écrivait directement aux gestionnaires afin de les inviter à nouveau à participer à l’étude. La direction de l’organisation nous avait préalablement fourni une liste des noms et des adresses courriels des gestionnaires. Lorsqu’un gestionnaire nous signifiait son intérêt à participer à la recherche, nous convenions, par courriel ou par téléphone, de la date et du lieu de l’entrevue.

Toutes les entrevues ont été réalisées sur les lieux de travail des gestionnaires, la plupart du temps dans le bureau de l’interviewé. Nous débutions les entrevues en nous présentant. Nous informions l’interviewé de notre parcours académique et professionnel, de nos intérêts de recherche ainsi que des objectifs de la recherche. Par la suite nous lisions, avec l’interviewé, un formulaire de consentement sur lequel étaient indiqués les objectifs spécifique de la recherche et demandions à l’interviewé s’il avait des questions.

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Nous débutions l’entrevue à proprement parler à l’aide d’une question très générale. Nous demandions à l’interviewé de nous raconter son cheminement professionnel et académique jusqu’à aujourd’hui. Dans une majorité d’entrevues, cette question suffisait à lancer la conversation, notre rôle se limitant par la suite à relancer l’interviewé, en nous basant sur ses propos, de manière à nous assurer de toucher aux thèmes que nous voulions éclairer. Une fois l’ensemble des thèmes abordés, nous demandions à l’interviewé s’il considérait que des éléments, en lien avec notre objet de recherche, avaient été ignorés pendant l’entrevue. Dans certains cas, cette question finale très générale amenait des répondants à préciser des propos ou à ajouter de nouveaux éléments.

Les entrevues étaient enregistrées et leur durée variait entre une heure et deux heures trente. Cette variation s’explique principalement par la personnalité des gestionnaires rencontrés, certains étant tout simplement plus prolixes que d’autres. Ajoutons que la conversation s’est quelque fois continuée une fois l’enregistreuse éteinte. Dans ce cas, nous nous empressions, une fois seul, de retranscrire les points importants ayant été discutés.

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4.3. Échantillon

L’échantillon que nous avions construit a priori a connu une évolution importante au cours de notre processus de cueillette des données. Il nous paraît pertinent de retracer cette évolution.

4.3.1 Construction de l’échantillon a priori

Il faut rappeler qu’à l’origine nous avions fait le choix de réaliser une étude de cas multiple composée de trois cas. À ce moment, il nous était difficile de déterminer un nombre précis de personnes à rencontrer. Nous savions cependant que notre échantillon final serait grandement déterminé par la volonté des gestionnaires de participer à notre étude. En conséquence, et en cohérence avec notre approche, nous ne cherchions pas à créer un échantillon représentatif statistiquement, mais bien à identifier les caractéristiques de l’acteur social compétent (Savoie- Zajc, 2007) qui nous permettrait de répondre à nos questions de recherche. Pour ce faire, nous avions identifié un certain nombre de critères auxquels notre échantillon devait répondre.

Pour chaque cas, nous désirions rencontrer des gestionnaires provenant des deux niveaux hiérarchiques qui composent les CSSS (direction et encadrement intermédiaire). Qui plus est, nous voulions rencontrer des gestionnaires provenant du secteur administratif, du secteur soutien technique et du secteur clinique. De plus, nous voulions rencontrer des gestionnaires qui étaient en poste avant, pendant et après la réforme. Finalement, nous nous donnions comme exigence d’atteindre la saturation des données. Nous pensions qu’une dizaine de personnes rencontrées par CSSS suffirait à atteindre ce stade et nous permettrait de faire une analyse de qualité. Ceci nous aurait amené à rencontrer une trentaine de gestionnaires en tout.

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4.3.2 Caractéristiques de l’échantillon final

L’échantillon que nous avions défini a priori a subi des modifications à plusieurs reprises lors du processus de cueillette des données. Ceci ne signifie pas qu’il doit être considéré comme étant déterminé uniquement par les contraintes du terrain, mais bien que ces dernières nous ont obligé, tout au long du processus, à nous questionner sur sa composition.

Notre échantillon original a d’abord été remis en question lorsque nous avons diminué le nombre de cas à l’étude à deux. Ce changement, bien qu’important, ne modifiait pas les critères que nous avions formulés pour baliser la construction de notre échantillon.

Cependant, un des critères a été remis en question lorsque nous avons débuté l’étape des entrevues semi-dirigées. En effet, nous avons rapidement réalisé qu’il serait impossible de rencontrer uniquement des gestionnaires ayant été en poste avant, pendant et après la réforme. Ceci s’explique du fait que le processus de création des CSSS a entraîné, dans les organisations que nous avons visitées, un mouvement du personnel de gestion d’une grande ampleur. Malheureusement, il est difficile de chiffrer ce mouvement. Cependant, parmi ceux qui ont accepté de participer à la recherche, plusieurs ont obtenu leur poste pendant ou suite à la création du CSSS. De plus, parmi ceux qui avaient une expérience de gestion préalable à la réforme, un grand nombre avaient depuis changé de poste et même, pour certains, d’organisation. La question qui se posait alors était de savoir si ce critère était nécessaire afin de répondre à nos questions de recherche. Dit autrement, nous devions juger si l’expérience de gestionnaires ayant obtenu un poste pendant ou suite à la création du CSSS, ou qui avaient changé d’organisation depuis, était pertinente pour comprendre l’évolution de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail.

Plusieurs facteurs nous ont amené à considérer ces acteurs comme étant des participants pertinents à notre recherche. Le premier élément est que, même si les fusions ont été réalisées sur papier en 2004 et en 2005, les impacts sur le terrain ne se sont pas limités à ces années. Ainsi, les impacts de la création des CSSS ne doivent pas faire l’objet d’une analyse

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avant/après limitée à la date de la fusion officielle, mais doivent être considérés comme un processus s’échelonnant dans le temps. En conséquence, les gestionnaires arrivés en poste après 2004/2005 sont des témoins et des acteurs de ces changements. Ils participent à la reconstruction de la dynamique interne de cette catégorie d’acteurs et sont en mesure de nous en parler. De plus, ils sont en mesure de faire des liens entre ce qu’ils vivent au quotidien et les changements objectifs mis en œuvre avec la réforme. Qui plus est, certains de ces gestionnaires avaient, avant la fusion, des postes de syndiqués dans les organisations composant aujourd’hui le CSSS. Même s’ils n’ont pas vécu les premiers pas de la fusion en tant que gestionnaire, ils sont des témoins pertinents en ce sens qu’ils sont en mesure de lier leur vécu à la réforme et aux changements que celle-ci a imposés. En conséquence, nous avons jugé que le regard que portent ces gestionnaires sur la réforme ainsi que sur ses impacts sur l’évolution de la représentation qu’ils ont de leur travail demeure pertinent pour nous.

Un dernier élément qui a joué un rôle important dans la création de notre échantillon final est la question de la saturation des données. Alors que nous pensions, à l’origine, qu’une dizaine d’entrevues par CSSS serait suffisante pour atteindre ce critère, nous avons pris conscience en cours de route que ce nombre n’était pas suffisant.

Il nous semble pertinent de décrire plus en détail comment nous en sommes venu à faire ce constat ainsi que ses conséquences sur notre échantillon final. Nous avons, à l’automne 2009 et à l’hiver 2010, débuté les entrevues semi-dirigées dans le CSSS#1. Au terme de ce processus, une dizaine de gestionnaires provenant de ce CSSS avait manifesté leur intérêt à participer à la recherche et avaient été rencontrés en entrevue. Nous pensions alors avoir suffisamment de données pour mener notre étude de cas dans cette organisation.

Nous avons répété le même processus de prise de contacts dans le CSSS#2 au printemps 2010. Cependant, la réponse des gestionnaires de ce CSSS a largement dépassé ce à quoi nous nous attendions. Rapidement, plus d’une vingtaine de gestionnaires, dont le directeur général et l’ensemble des directeurs, se sont montrés intéressés à participer. Ainsi, au printemps 2010, nous avons mené vingt-six entrevues au CSSS#2.

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Cette forte participation des gestionnaires du CSSS#2 est marquante dans la création de notre échantillon car elle nous a permis de prendre conscience de ce que signifiait réellement la saturation des données. En effet, après avoir réalisé une vingtaine d’entrevues dans le même CSSS, nous avions l’impression d’avoir une compréhension riche du contexte et de notre objet d’étude. Surtout, à partir de ce stade, les entrevues qui s’ajoutaient n’apportaient plus d’éléments nouveaux. Bref, nous pouvions affirmer que nous avions atteint la saturation des données dans ce CSSS. L’autre côté de la médaille est que nous devions nous rendre à l’évidence que nous n’avions pas atteint la saturation dans le cas du CSSS#1. Nous avons donc recontacté le directeur des ressources humaines de cette organisation à l’automne 2010 pour lui expliquer la situation et lui demander s’il était possible de solliciter à nouveau les gestionnaires n’ayant pas déjà participé. La réponse de la direction ayant été positive, nous avons effectué une deuxième vague d’entrevues à l’hiver 2011 qui nous a permis de rencontrer douze gestionnaires de plus. Ce sont donc vingt-trois gestionnaires qui furent rencontrés au CSSS #1. Au total, notre échantillon est composé de quarante-neuf gestionnaires, réparti dans les deux CSSS.

Tableau 3. Nombre de gestionnaires rencontrés par CSSS

Niveaux hiérarchiques CSSS#1 CSSS#2 Directeurs 8 8 Cadres intermédiaires 15 18 Total 23 26

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4.4. Règles d’éthique

Les gestionnaires rencontrés nous ont clairement fait savoir que notre objet de recherche représentait pour eux une question sensible. En conséquence, une attention particulière a été portée aux questions éthiques. Les gestionnaires participants étaient informés de l’objectif de la recherche ainsi que de l’utilisation qui serait faite des données qu’ils nous fourniraient.

Avant la réalisation de chaque entrevue, un formulaire de consentement était lu et signé par le chercheur et l’interviewé. Une copie était remise au participant (Annexe 6).

La participation était volontaire, les personnes acceptant de participer aux entrevues avaient le droit de refuser de répondre aux questions et pouvaient se retirer de la recherche en tout temps. Ces éléments étaient d’ailleurs rappelés aux participants au début de l’entrevue.

Surtout, nous avons mis un accent particulier sur la question de la confidentialité. Les participants étaient assurés qu’aucune information ne serait divulguée qui permettrait de les identifier, ni d’identifier leur organisation.

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4.5. Traitement et présentation des données

Suite à la réalisation des entrevues, des transcriptions intégrales ont été réalisées. Le principe nous ayant guidé lors de cette étape était le respect du sens des propos des interviewés. Il ne s’agissait donc pas de transcrire les hésitations ou les erreurs de prononciation, à moins que celles-ci ne soient significatives. En ce sens, nous avons suivis les conseils suivants, énoncés par Deslauriers (1991):

« Il faut transcrire en respectant la pensée de l’interlocuteur, faire usage de ponctuation pour faciliter la lecture, préciser la pensée lorsqu’il le faut mais sans la transformer, respecter la concordance des verbes, bref, écrire dans une langue simple et correcte. […] on transcrit donc en essayant de respecter la logique du discours » (Deslauriers, 1991, p.69).

Dans un deuxième temps, chacune des transcriptions a fait l’objet d’un codage individuel. Pour ce faire, nous avons d’abord élaboré une grille de codage. À partir d’un échantillon de transcriptions, nous avons identifié des thèmes génériques en lien avec les impacts de la réforme sur le travail des gestionnaires. Ce faisant, une série de thèmes a été identifiée avant de débuter le codage à proprement parler. C’est à partir de ces thèmes que nous avons élaboré une grille de codage finale (Voir Annexe 5).

Par la suite, toutes les transcriptions ont été découpées en séquences. Ces séquences correspondaient aux passages se rapportant aux thèmes composant notre grille de codage. Certaines séquences correspondaient à un paragraphe alors que d’autres correspondaient à quelques pages. Il s’agissait pour nous d’identifier les « noyaux de sens », c’est-à-dire les « énoncés possédant un sens complet en eux-mêmes et qui serviront à toute la classification ou codification ultérieure » (L’écuyer dans Deslauriers, 1991, p.70). Précisons que nous ne cherchions pas à créer des catégories exclusives. Une séquence pouvait se trouver dans deux catégories. Comme l’écrit Deslauriers : « il ne faut pas se surprendre que le même élément d’information se retrouve sous deux codes différents, mais y voir simplement le signe que la réalité est diverse et qu’il n’est pas facile de lui donner un seul sens » (Deslaurier, 1991, p.73).

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Par la suite, l’ensemble des séquences de chacune des entrevues, se rapportant à un même thème ont été regroupées dans un même document. Nous avions, par exemple, un document dans lequel étaient regroupées toutes les séquences de toutes les entrevues d’un même CSSS se rapportant à un même thème.

À partir de ces documents, nous avons réalisé un deuxième codage. À ce moment, il s’agissait pour nous de saisir le rapport entre les gestionnaires et les éléments composant chacun des thèmes. Par exemple, lors du deuxième codage des séquences regroupées sous la catégorie « relations avec les subordonnés », nous avons cherché à identifier les différents impacts de la réforme sur la relation qu’entretiennent les gestionnaires avec leurs subordonnés mais aussi à identifier l’opinion qu’ont les gestionnaires par rapport à ces changements.

C’est à partir de ce deuxième codage que nous avons écrit le chapitre de présentation des données.

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Chapitre 5. Présentation des données

Dans ce chapitre, nous présenterons les données amassées auprès des gestionnaires des deux CSSS à l’étude. Malgré les spécificités des discours recueillis dans chacune de ces organisations, ils s’articulent autour de thèmes similaires. Nous avons donc, dans un souci de faciliter la lecture et l’analyse, structuré la présentation des données de la même manière pour les deux CSSS.

Pour chacun, nous débuterons par décrire certaines caractéristiques des gestionnaires rencontrés. Par la suite nous présenterons la perception qu’ont les gestionnaires de la nature de leur travail. Nous verrons que celle-ci semble fortement influencée par la structure organisationnelle des CSSS ainsi que par les conditions d’exercice dans lesquelles agissent ces acteurs. En ce sens, une partie importante de ce chapitre portera sur ce que disent les gestionnaires de ces éléments.

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5.1 Le CSSS#1

5.1.1 Description des gestionnaires rencontrés et opinions à l’égard de la réforme

Parmi les vingt-trois gestionnaires que nous avons rencontrés dans le CSSS#1, treize travaillaient, avant la réforme, dans les anciennes organisations composant aujourd’hui le CSSS#1. Plus spécifiquement, cinq des huit directeurs rencontrés proviennent de ces anciennes organisations. Quatre y occupaient des postes de direction et un y travaillait en tant qu’employé. Les trois autres proviennent d’autres organisations du secteur de la santé. Ils y occupaient tous des postes de directeurs.

En ce qui à trait aux cadres intermédiaires, huit sur quinze proviennent des anciennes organisations. Quatre y œuvraient en tant que gestionnaires et quatre en tant qu’employés. Parmi les sept autres, trois occupaient des postes de gestion dans d’autres organisations de santé et de services sociaux, trois occupaient des postes de gestion dans des entreprises privées et un était employé dans une organisation de santé.

Les formations académiques des gestionnaires rencontrés sont multiples. Nous avons cependant remarqué un lien entre les secteurs sous la responsabilité des gestionnaires et la formation de ces derniers. Ainsi, pour ce qui est des directeurs, les trois responsables de directions cliniques et les deux responsables de direction soutien clinique56 ont des formations de professionnels soignants auxquels se sont ajoutés, pour quatre d’entre eux, des formations en administration des affaires, principalement des maîtrises. En ce qui a trait aux trois autres directeurs, qui sont à la tête de directions soutien administratif et technique, deux ont des formations universitaires de premier cycle en administration des affaires et un en communication organisationnelle. Ces trois directeurs ont aussi obtenu des diplômes de deuxième cycle en administration des affaires. Il en est de même pour les cadres

56 Nous avons catégorisé les directions à partir de deux variables. La première variable fait référence au contenu des directions. Les directions peuvent être cliniques, administratives ou techniques. La deuxième variable fait référence à la fonction de la direction. Les directions peuvent être conseil ou non. Ainsi, on retrouve des directions cliniques, des directions conseil clinique et des directions conseil administratif et technique.

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intermédiaires. Les neuf qui œuvrent dans des secteurs cliniques ont tous des formations de professionnels soignants. Ajoutons que cinq d’entre eux suivent actuellement ou ont suivi des formations en gestion.

Les raisons mises de l’avant pour accéder aux postes qu’occupent les gestionnaires au moment des entrevues sont multiples. Cependant, il ressort quasi unanimement que l’accès aux postes de gestion ne représentait pas un objectif de carrière.

Certains expliquent avoir été incités par des collègues ou des supérieurs à postuler des postes de gestion. Par exemple, un directeur explique : « ce n’est pas quelque chose [accéder à un poste de directeur] que je souhaitais ou que j’aurais voulu faire, il y avait un besoin, ils m’ont demandé de l’aide, j’ai répondu, ça a été aussi banal que ça ». De la même manière un cadre intermédiaire raconte : « j’avais un poste qui était [professionnel sur le terrain] […] et j’ai eu à un moment donné un mandat qui impliquait des tâches de gestion, à ce moment-là il y a des collègues qui m’ont un peu poussé, ils me disaient «tu ne vas pas rester dans ce poste-là, à faire ça, tu as des habiletés de gestion », alors on m’a un peu poussé vers la gestion ».

D’autres mentionnent avoir accédé à ce type de poste par hasard. Par exemple, un directeur explique que, suite à l’obtention de son diplôme d’infirmier, son premier emploi en a été un de cadre intermédiaire dans un CLSC faisant aujourd’hui partie du CSSS#1. Il explique qu’à cette époque, il n’y avait pas beaucoup de poste d’infirmier disponible sur le marché de l’emploi, et que seul ce poste de coordination était disponible. À partir de ce moment, il a toujours occupé des postes de gestion.

D’autres expliquent avoir vu la possibilité d’accéder à un poste de gestion comme une opportunité de carrière, un défi qu’ils avaient le goût de relever. Par exemple, un cadre explique qu’après vingt-cinq ans comme infirmier, il avait l’impression d’avoir fait le tour des défis qu’offre ce poste. C’est ce qui explique qu’il ait accepté de devenir gestionnaire lorsqu’on lui a proposé un poste de gestion.

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Les directeurs affirment à l’unanimité qu’ils approuvent les objectifs cliniques officiels de la réforme. En comparaison, seulement quatre cadres intermédiaires ont une opinion à ce sujet. L’adhésion unanime des directeurs à l’égard des objectifs de continuité de services est importante car nous verrons qu’elle explique en grande partie le fait que les directeurs soient en accord avec la réforme et ce malgré le fait que certains entretiennent des doutes quant à la pertinence des changements imposés. Par exemple, un des directeurs croit que les fusions forcées ont des effets négatifs importants. Selon lui, d’autres moyens auraient pu être envisagés afin d’atteindre l’objectif de continuité des services. Il explique :

« Moi je pense que l’objectif de la réforme était correct, le moyen je ne suis pas sûr qu’on n’aurait pas pu faire autrement. L’objectif, c’est clair qu’il fallait que les organisations travaillent en concertation pour éviter de se tirailler et de dédoubler des services. Alors cet objectif-là, pour assurer la continuité, je pense que l’objectif est valable et il l’est encore. Cependant, le moyen, est-ce qu’on est obligé de fusionner les directions pour mettre un seul directeur général ? Ça je ne suis pas sûr, il me semble qu’on aurait pu faire autrement, par des obligations d’ententes, par des obligations de résultats communs. Était- on obligé de fusionner tout ça, je n’en suis pas certain. Parce que dans les fusions, […] peu importe les fusions, après c’est toujours les mêmes affaires qui se passent, c’est de savoir qui va être gagnant et qui va perdre ». (DIR_2)

Retenons pour l’instant que les directeurs mentionnent tous que vu sous l’angle des services aux patients, les changements imposés font du sens.

« Pour faire une réponse courte, j’étais favorable à ce changement-là, je trouvais qu’il faisait beaucoup de sens, je pense qu’il nous a rejoint les directeurs qui étaient en place parce que ça faisait du sens pour le citoyen ». (DIR_4)

Certains directeurs ajoutent qu’au moment de l’annonce de la réforme ils regardaient les changements à venir avec une certaine appréhension. Pour certains, cette période en a été une d’insécurité personnelle. Par exemple, un des directeurs mentionne qu’à cette époque, une des inquiétudes concernait l’identité du directeur général qui serait nommé. Un de ceux-ci explique :

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« Comme on fusionnait trois organisations, il y avait aussi trois directeurs généraux. Alors la question c’était de savoir qui deviendrait notre directeur général. Moi je me souviens de m’être dit « si c’est untel, alors moi je pars et je m’en vais, je ne travaillerai pas avec cette personne-là ». Alors on était tous un peu dans l’instabilité ». (DIR_7)

Si ce type d’appréhension paraît secondaire chez les directeurs, il en est tout autrement chez les cadres intermédiaires. Plusieurs cadres expliquent qu’ils étaient plutôt craintifs à l’approche de la réforme. Leurs inquiétudes concernaient principalement la possibilité de perdre leur emploi mais aussi de voir les conditions d’exercice de leur travail modifiées. Un de ces cadres raconte :

« C’était la crainte. À mon souvenir, c’était la crainte de ne pas savoir où j’allais me ramasser […] c’était de ne pas savoir, est-ce que je vais avoir ma place là-dedans ? Ça va être quoi ma place ? Je me disais, les affichages de postes, il faut que tu appliques dessus, il faut que tu passes des entrevues, il y a des gens de l’externe qui arrivent, est-ce qu’ils vont passer avant moi ? C’était une insécurité qui était beaucoup liée à moi comme personne, pour mon poste, c’était plus personnel, je me disais, je suis en train de me faire organiser là, moi ce n’est pas ça que j’ai choisi dans la vie ». (CI_4)

Il est intéressant de mentionner qu’on retrouvait aussi ce sentiment de crainte chez des cadres qui jugeaient positivement les objectifs de la réforme. Un de ces cadres explique que s’il considérait positivement l’objectif d’augmenter la continuité entre les sites et les missions, il ajoute qu’il ressentait, simultanément, des inquiétudes importantes quant à l’évolution des conditions d’exercice de son travail. Il raconte :

« Moi j’aimais beaucoup l’équipe dans laquelle j’étais, […] j’avais fait le choix de m’en venir à [ancienne organisation] j’avais choisi cette place-là, je m’étais installé là, […] moi j’aime ça travailler avec les communautés rurales, alors j’avais choisi cette organisation et je trouve que ça m’allait bien, je trouve qu’on avait une belle équipe […] C’était vraiment très intéressant. Quand on nous a annoncé la fusion, je savais, et je n’étais pas la seule à le savoir, je savais que ça ne serait plus jamais pareil, et ça se confirme là ». (CI_13).

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Il est intéressant de mentionner qu’un des cadres a exprimé à ce sujet une position diamétralement opposée. Ce cadre, qui travaille dans une direction soutien, explique qu’il jugeait positivement la réforme à venir car il espérait que la création du CSSS lui permettrait d’améliorer ses conditions d’exercice. Il explique que depuis plusieurs années il demandait à avoir des adjoints pour le supporter dans l’exercice de son travail. Lors de l’annonce de la création du CSSS#1, son patron de l’époque l’a informé qu’il s’agissait là d’une opportunité pour aller chercher plus de ressources pour la direction.

Finalement, un directeur explique que l’ampleur de la réforme et la rapidité avec laquelle elle a été implantée ont fait qu’il était difficile, au moment de son implantation, d’avoir une opinion de celle-ci. Selon ce directeur, même si on ne comprenait pas nécessairement parfaitement les objectifs, il fallait faire le travail. Il dit :

« Je nageais avec la vague, à ce moment-là je ne peux pas dire que j’étais préparée et que je connaissais les enjeux, et je pense que c’est un petit peu comme ça, en tout cas pour les gens dans mon organisation, on avait des gros chantiers, on était dans ça […] Alors on était tous un peu dans l’instabilité et c’était des règles spécifiques, telle date il va se passer ça, alors c’était, on vivait les choses étape par étape, tel que prévu dans la loi, alors on avait comme pas le choix, on marchait comme ça et c’est ça. Et c’était ça notre job, c’est juste ça, c’est de faire que les choses arrivent au niveau administratif ». (DIR_7).

Ceci rejoint les propos de quelques cadres intermédiaires qui affirment qu’ils n’avaient pas d’opinion précise quant à la réforme lors de son annonce. Pour certains, il était difficile de prévoir ce qui allait arriver et ils se disaient qu’il fallait attendre les développements futurs avant de se faire une idée.

5.1.2 Évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme

Lors des entrevues nous avons demandé aux gestionnaires de nous parler de l’évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme. À partir de leurs réponses, le premier constat que nous faisons est que la réalité des directeurs et celle des cadres intermédiaires est

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très différente. Comme nous le verrons, suite à la réforme, les directeurs se sont vu confier la responsabilité d’élaborer la structure de leur CSSS. Ceci implique qu’ils ont dû réfléchir au rôle qu’ils devraient jouer dans cette nouvelle organisation ainsi qu’à celui que devraient jouer les cadres intermédiaires sous leur supervision. A contrario, les cadres intermédiaires n’ont pas été impliqués dans la redéfinition de leur rôle, encore moins dans celui de leur directeur. Pour cette raison, nous présenterons les propos des directeurs et des cadres intermédiaires séparément.

5.1.2.1 Redéfinition du travail des directeurs

Les directeurs affirment qu’au moment de la mise en œuvre de la réforme, il n’était pas évident de savoir ce que serait la nature du travail d’un directeur de CSSS. C’est donc dire qu’à la suite de la création du CSSS#1, les directeurs ont dû réfléchir, collectivement et individuellement, à leur rôle dans la nouvelle organisation. Cette réponse, d’un des directeurs à qui nous demandions de nous expliquer le rôle qu’il joue dans l’organisation, nous paraît révélatrice en ce sens.

« Mon rôle c’est : « Et toutes autres tâches connexes » (rire). Sérieusement, je dirais qu’il se précise avec le temps, mais quand je me suis assis sur cette chaise là c’était un peu n’importe quoi, […] mais de plus en plus avec le temps, il se précise ». (DIR_7)

En cherchant à comprendre de quelle manière les directeurs ont défini leur rôle dans le CSSS#1, nous avons été frappés par l’importance qu’ils accordent à leur formation en gestion. En effet, tel que décrit dans la section précédente (Voir section 5.1.1), pratiquement tous les directeurs rencontrés ont une formation en gestion, majoritairement des diplômes de deuxième cycle universitaire. Cette formation est pointée du doigt par les directeurs comme un élément leur ayant permis de comprendre et de définir ce qu’est le rôle d’un directeur de CSSS. Par exemple, un des directeurs, ayant déjà travaillé comme professionnel clinique, explique qu’il a « découvert » ce qu’est le rôle de gestionnaire en faisant sa maîtrise en gestion. Il explique :

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« J’ai vraiment découvert une nouvelle profession en faisant ma maîtrise en gestion, j’ai appris le rôle du gestionnaire […] et ce n’est pas facile de vraiment voir le rôle que tu as comme gestionnaire ». (DIR_8)

La formation en gestion est apparue comme un élément déterminant dans la manière dont les directeurs réfléchissent leur travail. Ceci est vrai autant pour les directeurs qui ont une formation en gestion que pour ceux qui n’en ont pas. Ainsi, un des directeurs impute à son absence de formation en gestion le fait qu’il lui était difficile, dans les premiers moments du CSSS, de saisir la pertinence des agissements de ses collègues directeurs.

« Au début, pour moi là, il y avait beaucoup de rencontres où je me disais, ouf, je trouvais qu’il y avait du pelletage de nuages, mais moi je n’avais pas de formation de gestionnaire donc je n’étais pas capable de voir tous les enjeux, mais j’ai compris, avec le temps, que ça faisait du sens ». (DIR_7)

Un élément important à prendre en compte pour saisir la nature du travail des directeurs dans le CSSS est qu’à la suite de la mise en œuvre de la réforme, ils se sont vus confier la responsabilité de l’intégration des soins et des services des établissements composant le CSSS. Cette responsabilité est déterminante car le fait de devoir réfléchir, remettre en question et prendre des décisions quant à la morphologie de l’organisation ainsi qu’aux pratiques qu’on y retrouve, de manière à « améliorer » l’intégration de celle-ci, est au cœur de leur fonction. Ces responsabilités, qui sont nouvelles pour les directeurs, représentent, en soi, une modification importante de la nature de leur travail. Dans l’extrait suivant, un directeur, qui était déjà en poste avant la création du CSSS#1, explique la différence entre le travail qu’il effectuait avant la création du CSSS#1 et aujourd’hui.

« D’abord, au début, avant la création du CSSS, j’étais tout seul dans ma direction. Suite à la création du CSSS j’ai eu une adjointe, donc, premier changement, j’ai eu à gérer du personnel. Ce qui veut dire donner des tâches et travailler en équipe avec elle. Ensuite il y a un secteur qui s’est ajouté à ma direction et avec lui venaient des attentes, il fallait organiser les services, […] Alors maintenant il y a de la gestion de personnel, il y a de l’évaluation, il y a tout ce qui est lié à la supervision de personnel, puis il y a aussi, tout le positionnement stratégique de chacun des services qui composent le CSSS. Il

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s’agit de se demander comment, avec mes services, je peux améliorer l’organisation ? […] Alors avant la création du CSSS, tous les dossiers de planification stratégique je n’étais pas impliqué dans ça […] je n’étais pas interpellé par ce type de dossiers, aujourd’hui oui ». (DIR_7)

De cet extrait, retenons que la responsabilité de réfléchir à ce que ce directeur nomme le « positionnement stratégique de chacun des services du CSSS » a pris, suite à la création du CSSS#1, une grande place dans le travail des directeurs. De plus, cet extrait est intéressant car il soulève un deuxième élément que les directeurs ont identifié comme étant déterminant quant à l’évolution de la nature de leur travail, soit l’importance qu’ont prises les préoccupations administratives.

Ce deuxième élément a été mis de l’avant par pratiquement tous les directeurs rencontrés. Selon ceux qui étaient présents avant la fusion, cette importance des questions administratives est nouvelle et est liée directement à la création du CSSS. Qui plus est, il semble que l’importance qu’ont prise les enjeux administratifs s’est fait au détriment des enjeux cliniques. Dans l’extrait qui suit, un directeur illustre cette nouvelle réalité qui a entraîné, dans son cas, la nécessité de devoir choisir entre demeurer directeur et mettre de côté les aspects cliniques pour se concentrer sur les aspects administratifs ou changer d’emploi pour continuer à s’occuper de questions cliniques.

« À la création du CSSS je me suis retrouvé avec plusieurs équipes composées de services fusionnés, réparties sur plusieurs sites. Là c’est devenu de plus en plus difficile de continuer à faire des tâches cliniques. Les problèmes administratifs revêtaient un caractère plus urgents […] je ne sais pas pourquoi, en tout cas, probablement à cause de la taille de la nouvelle organisation […] donc c’est devenu de plus en plus difficile pour moi de faire le cumul de toutes les tâches et j’ai eu à prendre une décision. Je me suis même retirée, entre guillemets, de la position de directeur en me disant, je suis en réflexion, je me donne six mois pour savoir c’est quoi mon orientation, est-ce que je prends vraiment une orientation clinique ou administrative? […] et j’ai choisi d’arrêter le clinique» (DIR_7).

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Cette importance qu’ont prise les préoccupations administratives est un changement majeur qui ne s’explique pas par une « préférence » des directeurs, mais qui semble plutôt déterminée par le contexte organisationnel. D’ailleurs, on sent dans le discours de certains directeurs un doute quant à la pertinence des changements qu’ils mettent en œuvre. Un de ceux-ci explique :

« Suite à la création du CSSS ça a été tout un exercice, tout un virage sur les modes de gestion, […] mais je m’interroge là-dessus, je me dis, on est plus loin de nos équipes, on a changé vraiment la gestion, le style de gestion qu’on avait. Tantôt je vous disais, avant on était clinique avec une petite partie administrative, là on a une grosse partie administrative et une petite partie clinique ». (DIR_3)

5.1.2.2 Le rôle des cadres intermédiaires selon les directeurs

Les directeurs ont une représentation très claire du rôle que devraient jouer les cadres intermédiaires dans le CSSS#1. Selon leurs dires, la création du CSSS#1 a entraîné la nécessité de faire évoluer le rôle des cadres intermédiaires et ce spécialement en ce qui a trait aux cadres intermédiaires œuvrant dans les directions cliniques. La situation est différente pour les cadres intermédiaires œuvrant dans les directions soutien administratif et technique. Selon les directeurs, le rôle de ces derniers ne semble pas nécessiter une évolution importante.

Au cœur du changement dans le rôle joué par les cadres intermédiaires œuvrant dans des directions cliniques se trouve la question de l’importance à accorder aux enjeux administratifs par rapport aux enjeux cliniques. Dit simplement, les directeurs rencontrés expliquent qu’ils cherchent à mettre en place une structure organisationnelle dans laquelle les cadres intermédiaires prennent du recul par rapport aux questions cliniques. Ceci ne signifie pas que les cadres intermédiaires n’auraient plus à se préoccuper des soins et services, c’est plutôt la manière d’appréhender ces derniers qui doit être modifiée. On voudrait que les cadres intermédiaires réfléchissent aux moyens d’organiser les soins et les services de manière rationnelle et efficace, c'est-à-dire en atteignant les cibles de l’organisation.

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Les extraits suivants sont tirés des entrevues que nous avons réalisées avec les directeurs en charge des directions cliniques du CSSS#1. Ils illustrent bien cette volonté d’amener les cadres intermédiaires sous leur supervision à s’éloigner des actes cliniques. Dans le premier extrait, un directeur explique avoir procédé à des modifications dans la structure de sa direction de manière à « monter » les cadres intermédiaires pour que ceux-ci soient un peu plus détachés des préoccupations terrains.

« Les changements que j’ai apportés à la structure de ma direction découlent du fait que mes chefs me disent qu’ils sont débordés. Moi je veux leur donner des dossiers plus « touchy » mais là je ne suis pas capable parce qu’ils en ont plein leurs baskets. Et je veux les développer aussi pour qu’ils deviennent un petit peu plus gestionnaires, là je sens qu’ils sont bien, bien cliniques, très, très cliniques, très, très terrains, peut-être un peu trop terrains, alors j’essaie de les monter ». (DIR_5)

Ce deuxième extrait va dans le même sens, un autre directeur explique avoir ajouté du personnel responsable des aspects cliniques de manière à augmenter les « marges de manœuvre » des gestionnaires.

« Moi depuis que je suis en place, j’ai revu la structure organisationnelle de ma direction au complet. J’ai dit qui fait quoi ? Comment ? Pourquoi ? […] Et là je suis en train de mettre en place des coordonnateurs cliniques ou des assistants de supérieur immédiat, qui vont venir aider sur la partie plus clinique, ce sont des travailleurs sociaux, des ergo ou des infirmières qui vont prendre en charge la partie clinique et qui vont se coller aux équipes pour les faire avancer dans les plans d’intervention, dans les questions beaucoup plus cliniques, les charges de cas, la supervision, le mentorat, etc. Ceci va permettre aux cadres intermédiaires de gérer beaucoup plus la partie gestion du changement, appréciation du personnel, d’amener les cadres intermédiaires à être plus stratégiques ». (DIR_3)

Ce qui ressort du discours des directeurs c’est donc une volonté de mettre les préoccupations administratives au cœur du travail des cadres intermédiaires sous leur supervision. Les directeurs ne cherchent pas à éliminer les préoccupations cliniques du travail des cadres intermédiaires. Cependant, on sent qu’au final on cherche à ce que ce soient les enjeux administratifs qui déterminent ce qui se fait au niveau clinique et non l’inverse.

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« Mais ça n’empêche pas qu’ils vont faire du clinique pareil, mais je veux qu’ils en fassent à un autre niveau, ils vont monter des dossiers, mesurer c’est quoi les impacts des changements, réfléchir aux enjeux sous-jacents, c’est plus vers ça que je veux les amener. Parce que tu en as besoin du clinique pour comprendre les impacts que tes actions peuvent avoir sur les clients et sur les équipes, mais je veux les amener à un autre niveau. Qu’ils essaient de comprendre un peu plus c’est quoi les enjeux, pourquoi on fait ça, c’est quoi les impacts si on fait ça comme ça. Je ne veux pas qu’ils perdent leur clinique, mais je veux qu’ils le fassent autrement. Qu’ils regardent le clinique en se demandant c’est quoi la plus-value pour le patient ? C’est quoi la plus-value si je prends cette direction là pour mon patient et sur mon équipe et comment je pourrais faire autrement ? Qu’ils se demandent est-ce que c’est la bonne personne qui donne le bon soin ?». (DIR_5)

Les directeurs sont tout à fait conscients que ce « modèle » représente un changement important dans la nature du travail des cadres intermédiaires. En ce sens, les directeurs réfléchissent aux stratégies à mettre en place pour faire évoluer les cadres intermédiaires.

« Q. J’aimerais revenir au niveau des cadres intermédiaires, vous me disiez que vous avez une vision très claire de ce vers quoi vous voulez les amener et c’est un rôle beaucoup plus de gestion que d’expert clinique…. R. D’ailleurs on les appelle les gestionnaires maintenant nous autres. Q. Ah oui ? Ce ne sont plus les cadres intermédiaires ? R. Non. C’est gestionnaire ». (DIR_6)

Ainsi, l’utilisation du terme « gestionnaire » découle d’un choix organisationnel. Derrière ce choix on sent une volonté de rompre avec une figure plus traditionnelle, celle qui était désignée jusqu’à récemment par l’expression « cadre intermédiaire ».

Ajoutons que certains directeurs mentionnent que la nouvelle « génération » de gestionnaires semble s’approprier plus facilement ce nouveau modèle qu’ils essaient de mettre en place. Pour expliquer cela, certains directeurs pointent du doigt la formation en gestion de certains cadres intermédiaires. À ce sujet, un des directeurs affirme :

« La nouvelle garde des gestionnaires, c’est ceux qui ont une formation, pas tous là, mais la plupart ont une formation en gestion, parce que souvent ce sont des cliniciens de base, tu vois qu’ils ont une formation en gestion, ça les aide beaucoup dans leur gestion ». (DIR_1)

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Il est intéressant de souligner qu’on retrouve cette volonté de faire évoluer le rôle des cadres intermédiaires chez certains cadres intermédiaires qui œuvrent dans des directions soutien administratif et technique. Un de ceux-ci explique :

« Un gestionnaire il faut que ça fasse de la gestion. Ce qu’on se rend compte nous autres, c’est que les gens qui sont très cliniques ont beaucoup de difficultés, quand on arrive avec les budgets, quand on arrive avec les suivis budgétaires et tout ça, ils n’ont pas le temps, ils mettaient ça de côté, c’est une déformation professionnelle probablement, d’être près de l’intervenant, de le soutenir, c’est pour ça qu’il y a une autre couche qui est en train de se mettre en place, ce sont les assistants qui sont plus cliniques, qui sont plus support clinique, parce que les gestionnaires doivent faire plus de gestion parce qu’à plus grande échelle ils doivent s’élever un peu, ils ne peuvent pas être partout là, c’est impossible avec l’ampleur de l’organisation, avant quand c’était petit on faisait de tout, c’était possible mais plus maintenant ». (CI_15)

Il faut apporter ici une nuance importante. La volonté de modifier le travail des cadres intermédiaires, que nous avons décrit précédemment, semble avoir moins de prise chez les gestionnaires œuvrant en centre hospitalier. Les caractéristiques de ce milieu semble les « protéger » de cette « managérialisation ». Cette observation est validée par un directeur en charge d’une direction clinique. Pour ce directeur, il est vrai que la nature des soins donnés à l’hôpital y rend plus difficile la modification de la nature du travail des cadres intermédiaires qui y œuvrent. Ce qui ne veut pas dire qu’on n’essaie pas de modifier la nature de leur travail.

« Avant, il y en avait pas de contrôle à l’hôpital, c’était le débordement, et c’était toujours correct que ça déborde, mais là c’est en train de changer, […] là maintenant on est en train de regarder avec le nouveau modèle qu’on veut mettre en place là, l’infirmière chef doit avoir la capacité de s’assurer que les ressources utilisées sont en fonction de son achalandage […] mais c’est un changement de pratiques et un changement de culture ». (DIR_6)

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5.1.2.3 Redéfinition du travail des cadres intermédiaires

Le discours des cadres intermédiaires œuvrant dans les directions cliniques, à propos de leur rôle, confirme la description qui en est faite par les directeurs. Dans l’extrait qui suit, un cadre intermédiaire décrit certains changements ayant été apportés à la structure organisationnelle et l’influence de ces changements sur son rôle. Il explique :

« Moi j’essaie d’être, je fais la gestion de l’offre de service dans [nomme son secteur], donc ça veut dire que j’ai à gérer des ressources humaines, des ressources financières, matérielles, je vois à toute la coordination des activités au niveau de mes services. […] au niveau clinique, là je me suis doté, il y a peut-être quelques mois passés, de ce qu’on appelle un assistant de supérieur immédiat. Il s’agit d’un conseiller clinique, lui il va plus toucher au volet clinique, être sur le terrain avec les intervenants, auparavant je le faisais et je pourrais reprendre aussi ce mandat là mais ce serait beaucoup là ». (CI_13)

Pour certains, il semble que la formation en gestion aide à se conformer à ce nouveau rôle.

« J’ai suivi un cours à [nomme une université], pour les gestionnaires de la santé, et on nous a appris, c’est là que j’ai appris à mieux connaître c’est quoi le poste que j’occupe, on m’a expliqué vraiment c’était quoi le rôle du gestionnaire et suite à ça j’ai compris beaucoup de choses. J’ai pu comparer avec la réalité d’aujourd’hui, […] puis je comprends que les postes qui ont été créés c’est justifié ». (CI_9)

Dans le même sens un cadre intermédiaire explique qu’il est très à l’aise avec son travail en CSSS, du fait qu’il est jeune et de sa formation en gestion.

« Ce qui a été difficile, je pense, avec la création des CSSS, c’est vraiment pour les gestionnaires qui étaient là de longue date et qui avaient une culture hospitalière ou communautaire. Moi c’est facile j’ai commencé ma maîtrise en gestion, je suis devenu gestionnaire et il y a eu la fondation du CSSS tout en même temps, je suis arrivé juste dans le bon timing pour que je « fit » dedans ». (CI_4)

Il nous semble important de préciser que l’évolution de la nature de leur travail ne s’explique pas uniquement par la volonté des cadres intermédiaires. À ce propos, les caractéristiques de l’organisation semblent déterminantes. L’extrait suivant nous paraît significatif en ce sens. Un

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cadre intermédiaire y explique qu’il aimerait être plus impliqué dans les actes cliniques et, ce faisant, fournir plus de support à ses subordonnés. Cependant, les caractéristiques de l’organisation ne le lui permettent pas.

« Je ne peux pas être une référence clinique pour mes employés. Avant la création du CSSS c’était possible mais plus aujourd’hui. Par exemple, s’il y a un problème avec une prise de sang, admettons que l’infirmière a de la misère et que l’infirmière auxiliaire ne se sent pas à l’aise pour le faire, moi ça me ferait plaisir d’y aller, moi je n’ai aucun problème avec ça, mais quand je ne suis pas là, parce que je suis sur un autre site, les filles il faut qu’elles fassent pareil la prise de sang ». (CI_9)

Si la plupart des cadres intermédiaires semblent à l’aise avec ce nouveau rôle, il faut souligner que celui-ci n’est pas apprécié de tous. Un des cadres intermédiaires que nous avons rencontrés raconte :

« Je m’attendais, quand j’ai postulé moi, le poste ça m’a été présenté quasiment comme une infirmière responsable, une chef d’unité. Si j’avais su ce que c’était pour vrai je ne pense pas que j’aurais postulé, moi je me voyais comme un support à mon équipe, quelqu’un qui amène ses connaissances, son expertise, qui est pivot dans tout ça et quand j’ai commencé ici c’est ce que j’ai fait, je me suis mis le cœur, le cœur au travail et je me suis aperçu finalement que je ne pouvais pas atteindre les deux bouts ». (CI_9)

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5.1.3 L’élaboration de la structure organisationnelle du CSSS#1

Les discours présentés précédemment, soulignent l’importance de l’influence exercée par les caractéristiques de la structure organisationnelle du CSSS ainsi que par les conditions d’exercice qui y sont propres. Dans ce contexte, nous présenterons maintenant le point de vue des gestionnaires sur la mise en place de la structure du CSSS#1.

Suite à la création officielle du CSSS#1, la responsabilité de l’élaboration de la structure de la nouvelle organisation a été confiée à un nombre très restreint d’acteurs. Le premier poste de gestion ayant été comblé a été celui du directeur général. C’est d’abord lui qui s’est vu confier la responsabilité d’élaborer la nouvelle structure organisationnelle à partir des organisations fusionnées.

Précisons qu’à la suite de la fusion, l’ensemble des postes cadres, directeurs comme cadres intermédiaires, ont été abolis. On demandait alors aux détenteurs de ces postes, qui étaient considérés comme détenteurs du poste par intérim, de continuer à réaliser leur travail comme avant, le temps que la nouvelle structure, ainsi que les postes cadres qui en feraient partie, soient annoncés.

Après sa nomination, une des premières actions que posera le directeur général sera d’embaucher le directeur des ressources humaines. En entrevue, le directeur général explique que l’objectif de cette nomination était d’avoir du soutien pour les aspects techniques de l’élaboration de la structure organisationnelle et de la dotation des postes. C’est donc le tandem directeur général / directeur des ressources humaines qui a jeté les bases de la nouvelle structure organisationnelle.

À ce stade, il s’agissait pour ces acteurs de décider du nombre de directions que compterait le nouveau CSSS ainsi que de la composition de chacune d’elles. Il semble que la réflexion ait d’abord été déterminée par l’obligation de créer des continuums de soins. C'est-à-dire que l’enjeu principal était d’en arriver à briser les barrières que représentaient les frontières des

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anciennes organisations afin de créer des liens entre des sites donnant des soins et des services complémentaires. Rappelons que la réforme imposait aux nouvelles organisations l’adoption d’une structure par programmes (Voir section 1.2.3).

« C’est sûr qu’on avait quand même un signal qu’il fallait refaire la structure organisationnelle à partir des programmes et non par clientèle. Alors on a pensé nos directions comme ça ». (DIR_4)

Malgré l’importance de cet objectif, il n’a pas été décidé de mettre en place une structure par programme « rigide ». Ainsi, comme nous le verrons, les frontières des secteurs n’ont pas été définies uniquement à partir des programmes. C’est-à-dire que la responsabilité de la gestion de certains sites a été confiée en totalité à un gestionnaire plutôt que de découper cette responsabilité en fonction des programmes qu’on y retrouve. Par exemple, certains CHSLD sont gérés par un gestionnaire, responsable du programme clinique, mais aussi des programmes soutien (cuisine, entretien, hygiène et salubrité). Aux dires des gestionnaires rencontrés, cette caractéristique de la structure du CSSS#1 s’explique entre autre par l’ampleur du territoire et par une volonté de développer, ou de maintenir, le sentiment d’appartenance des employés. Dans l’extrait qui suit, un directeur explique que cette question fait toujours l’objet de réflexions et de discussions entre les directeurs du CSSS#1.

« Moi je pense qu’il faut garder ça comme ça. On a eu quelques discussions au courant de la dernière année dans lesquelles on se demandait si on devrait faire, par exemple, une grande équipe hygiène et salubrité, qui serait responsable de l’entretien de tous les sites du CSSS. On en est venu à la conclusion que concrètement, pour les employés, pour le sentiment d’appartenance de ces gens-là, c’est mieux qu’on les réfère à leur coordonnateur de site parce qu’ils vont être rapidement plus près de la réponse. Il faut dire aussi que c’est grand le territoire, alors ça aussi ça a été pris en compte ». (DIR_8)

Au-delà de l’importance accordée à l’objectif d’intégration des soins et des services, les acteurs rencontrés ont rapporté plusieurs autres éléments ayant influencé l’élaboration de la nouvelle structure. Un des directeurs, qui a été témoin de ce processus, explique que certains choix, quant à la structure organisationnelle, ont été faits en comparant ce qui se faisait dans d’autres CSSS. Il explique :

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« Si je me rapporte à cette époque-là, ils [les directeurs en charge de l’élaboration de l’organisation] se sont beaucoup regardés, pour voir comment ça se passait ailleurs, pour ne pas être déconnectés de ce qui se faisait ailleurs, pour que ça fasse un certain sens. Donc ils regardaient ailleurs, pour voir comment les directions des autres CSSS étaient organisées […] et ça tournait toujours autour de la même chose. D’abord les secteurs soutien, bon, une direction des ressources humaines, une direction des finances, une direction des services techniques, ça, ça va d’emblée. Quand on arrivait dans le choix des directions cliniques c’était clair qu’il fallait prendre en compte la grosseur de l’organisation […] dans notre cas, on avait trois directions cliniques majeures ». (DIR_2)

Un autre élément qui semble avoir eu une influence importante sur la façon dont les directions ont été structurées est le rapport entre les différentes missions de l’organisation. Non seulement les directeurs rapportent avoir essayé de ne pas favoriser une mission au détriment des autres, par exemple en évitant que la majorité des gestionnaires du CSSS#1 proviennent du centre hospitalier, mais il semble aussi qu’il n’était pas évident de demander à un cadre provenant du centre hospitalier de gérer des employés en CLSC ou en CHSLD et vice versa.

« Je pense que ça aurait été plus difficile si on avait fait superviser une unité de l’hôpital par un gestionnaire du communautaire. Et c’est aussi que pour les gens du communautaire de, comment je dirais, de venir gérer des services à l’hôpital, ce n’était pas évident. On l’a fait avec un secteur, c’est une cadre du communautaire qui a été nommée pour gérer le département de l’hôpital, mais ça a été quand même une petite révolution, ce n’était pas habituel ». (DIR_4)

Au bout du compte, il a été décidé que la nouvelle organisation compterait neuf directions et tout autant de directeurs. Outre la direction générale, on y retrouve trois directions cliniques à savoir une direction responsable du programme santé physique, une direction responsable du programme personnes en perte d’autonomie liée au vieillissement et une direction responsable du programme services dans la communauté. Il y a aussi trois directions soutien administratif et technique, c'est-à-dire une direction des ressources humaines, une direction des services financiers et une direction des services techniques. Finalement, on y retrouve deux directions soutien clinique, à savoir une direction des soins infirmiers et une direction des services professionnels.

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Une continuelle remise en question des structures ?

Une fois le nombre de directions décidé et les postes de directeurs comblés, ces derniers ont été inclus dans la réflexion quant à la composition des directions.

« On a eu des, ce qu’on appelle des « Lac à l’épaule57 », des journées de réflexion justement sur notre panier de services, sur les regroupements possibles, sur les gestionnaires disponibles ». (DIR_7)

Ce type de réflexion ne s’est pas limité aux premiers moments de la création du CSSS#1. Encore au moment des entrevues, ces questions sont toujours aussi importantes pour les directeurs. En effet, depuis la création du CSSS#1, plusieurs modifications ont été apportées à la structure organisationnelle originale. Les cadres intermédiaires ne sont que peu impliqués dans le processus décisionnel menant à ces modifications. Il est clair qu’il s’agit-là d’une responsabilité dévolue aux directeurs et que les décisions finales à ce sujet sont prises en comité de direction.

Les changements qui ont été apportés depuis la création du CSSS#1 n’ont pas modifié le nombre de directions, cependant, la composition de certaines directions a été modifiée, certains services ayant changé de direction. De plus, certaines caractéristiques de la structure interne de quelques directions, telles que le nombre de gestionnaires, ont été modifiées. Ce qui est frappant, c’est qu’au moment des entrevues, cinq ans après la création du CSSS#1, les réflexions sur les caractéristiques organisationnelles semblent être toujours aussi importantes pour les directeurs rencontrés. Qui plus est, on trouve, au fondement de cette réflexion, comme aux premiers moments du CSSS#1, une recherche d’intégration des soins, des services et des sites.

« Moi je trouve qu’on est dans une démarche intéressante actuellement parce qu’on remet en cause, on se questionne principalement sur nos directions

57 « Un lac-à-l'épaule est une réunion de planification stratégique, en particulier lorsqu'elle se tient dans un endroit retiré. Ce terme est né de la réunion du conseil des ministres de Jean Lesage, qui a eu lieu les 4 et 5 septembre 1962 au camp de pêche du Lac à l'Épaule, situé aujourd'hui dans le Parc National de la Jacques Cartier » (Wikipédia).

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programmes, sur la structure qu’on a, sur notre organisation des programmes […] Actuellement, on est comme trop en silo, on est comme trop en silo avec nos directions ». (DIR_5)

L’importance accordée à l’intégration des sites et des soins ne semble pas être une caractéristique ponctuelle. Les directeurs semblent plutôt considérer l’intégration comme un processus de longue haleine. Ainsi, les entretiens que nous avons menés ont mis en lumière un élément fondamental qui oriente la manière dont les directeurs réfléchissent aux structures de l’organisation. Ils essaient d’identifier des trajectoires de soins et de services, c’est-à-dire qu’ils cherchent à identifier les différentes étapes de soins et de services que suit un patient type. En théorie, c’est à partir de ces trajectoires que sont décidées les caractéristiques structurelles de l’organisation. S’il s’agit d’un modèle intéressant sur papier, ce que les propos des directeurs soulèvent c’est toute la complexité liée à cette façon de procéder. Le fait que les trajectoires possibles soient multiples et complexes explique, entre autre, que cinq ans après la réforme le CSSS#1 connaisse encore des modifications importantes. Comme le dit un directeur :

« C’est un très, très beau modèle les CSSS, moi je trouve que c’est un très, très beau modèle. Cependant on en a pour des années et des années à mettre en place ces systèmes-là [...] Ici je trouve qu’on a fait un grand bout de chemin là- dessus mais est-ce que ça se concrétise très concrètement ? Oui, il y a des réalisations, des résultats, mais ce n’est pas à la hauteur de ce qu’on voudrait avoir ». (DIR_1)

5.1.3.1 Redéfinition des unités d’accréditation syndicale et négociation des conventions collectives locales

Une des mesures contenue dans la réforme et qui devait faciliter la mise en place des CSSS est la redéfinition des unités d’accréditation syndicale et la décentralisation de la négociation des conventions collectives (Voir section 1.2.2). Dans le CSSS#1, la responsabilité de mener à bien ces dernières a été confiée au directeur des ressources humaines. Celui-ci a sollicité la participation de cadres intermédiaires provenant de plusieurs directions. Comme l’explique un de ceux ayant participé aux négociations :

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« C’était une invitation ouverte, les cadres qui le voulaient, la direction des ressources humaines voulait d’abord des intervenants de ces secteurs-là […] c’était une invitation ouverte. Mais c’est sûr qu’il y avait pas beaucoup de gens parce que les gens sont tous débordés ». (CI_5)

On retrouvait donc, aux tables de négociations du côté patronal, un ou deux représentants de la direction des ressources humaines ainsi qu’un ou deux cadres intermédiaires. Ces derniers étant sélectionnés du fait qu’ils supervisaient des employés régis par la convention collective faisant l’objet de la négociation.

Enjeux et déroulement des négociations locales

Bien que la Loi 30 imposait un délai relativement court pour négocier et signer les conventions collectives locales (Voir section 1.2.2), il n’y a pas eu de négociation pendant la première année suivant les fusions des unités d’accréditation. La négociation s’est plutôt effectuée lors de la deuxième année.

« La première année il ne s’est pas passé grand-chose, il ne s’est pas passé grand-chose dans le réseau non plus, parce que personne ne savait trop par où prendre ça, parce que personne n’avait jamais fait ça au local. Donc c’est la deuxième année que s’est vraiment passée la négociation ». (DIR_1)

Les cadres intermédiaires, ayant agi en tant que représentants patronaux, identifient plusieurs enjeux ayant orienté leurs actions lors des négociations. Le premier est celui de la flexibilisation des ressources humaines de l’organisation. Concrètement, il s’agissait d’en arriver à négocier des conventions collectives qui permettraient d’augmenter la capacité des gestionnaires à déplacer les employés d’un site à l’autre en fonction des besoins de main d’œuvre de l’organisation.

« Notre but, le but principal au niveau des conventions collectives locales c’était d’assurer une flexibilité au niveau de la main-d’œuvre, flexibilité mais aussi polyvalence […]. Par exemple, nous aurions voulu ouvrir encore plus la

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notion de centre d’activités58 pour être capable d’avoir des gens qui se déplacent, parce qu’on s’entend qu’en fusionnant, ces gens-là on aurait aimé ça pouvoir les utiliser un peu plus un peu partout, pas juste hôpital, pas juste CLSC ou CHSLD, alors on a réussi à en faire un petit bout, […] mais le but, dans le fond, c’était de réussir à garder notre main-d’œuvre, donc attraction et rétention et en étant capable de les faire bouger beaucoup là, par exemple d’avoir quelqu’un à l’entretien ménager que l’on peut mettre à la buanderie sans que ce soit une notion de déplacement et tout ça, de les faire promener pour qu’ils aient le plus possible de travail aussi, et polyvalents, donc une fois qu’ils sont orientés ils vont partout, alors c’était ça le grand enjeu ». (CI_14)

Un autre enjeu important était l’harmonisation des conventions collectives des différentes unités d’accréditation. Il s’agissait, pour l’acteur patronal, d’éviter d’arriver à la fin des négociations avec une trop grande disparité entre les conventions collectives.

« J’ai fait partie justement des négociations locales. Notre devoir c’était d’harmoniser au maximum entre les conventions pour que comme gestionnaire ont ait pas toujours à se casser la tête. Alors je dirais que les pratiques de base on les a harmonisées […]. Pour y arriver on essayait de, on se parlait, on essayait, les quatre tables de négociation, on essayait de s’enligner toujours dans la même direction, on s’était comme fait un plan de match commun et on se suivait dans ce sens-là pour avancer de la même façon ». (CI_11)

Au-delà des objectifs de flexibilisation des ressources humaines et d’harmonisation des conventions collectives, le maintien de la relation avec l’acteur syndical est aussi identifié comme un objectif important ayant guidé les négociations. À ce propos, un directeur ayant participé aux négociations affirme: « l’autre défi également qu’on avait c’était de garder un climat de travail », un peu plus loin dans l’entrevue, il ajoute : « [on] avait quand même un bon climat de travail, il a fallu le faire perdurer ». (DIR_1)

58 La notion de centre d’activités fait généralement référence à la structure organisationnelle de l’établissement. Il s’agissait d’un point important des négociations locales car les activités d’un même centre d’activités pourraient être éclatées sur plusieurs lieux physiques. L’employeur pourrait ainsi affecter les personnes salariées associées à ce centre d’activités en fonction des besoins dans chacun de ces lieux physiques. Par exemple, dans un CSSS, l’ensemble des secteurs soutien (alimentation, buanderie, hygiène et salubrité, etc.) pourraient être regroupés dans un seul centre d’activités. La notion de centre d’activités est donc au cœur de l’organisation du travail car plusieurs dispositions de la convention collective gravitent autour de cette notion. Pensons notamment aux déplacements, à la détermination des horaires de travail, des congés annuels, des congés fériés, aux modalités applicables lors de l’abolition de postes ou dans le cadre de la procédure de supplantation. (AHQ).

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Il nous semble important de souligner que certains cadres intermédiaires ayant pris part aux négociations avaient aussi des objectifs qui étaient liés à la réalité du secteur dont ils ont la charge. Par exemple, un des cadres intermédiaires, provenant d’une direction clinique, explique que sa présence à la table de négociation découle de sa volonté de défendre une certaine vision de l’organisation du travail, propre à la mission CLSC. Ce dernier craignait que des clauses, pertinentes en milieu hospitalier mais non adaptées aux CLSC, soient inscrites dans la convention collective. Cette crainte découlait entre autre du fait que les représentants de la direction des ressources humaines, ainsi que les représentants syndicaux, provenaient du centre hospitalier. Ainsi, à propos du syndicat, il explique : « il fallait préserver cela [l’organisation du travail propre à la mission CLSC], parce que les représentants syndicaux étaient plus forts du côté hôpital, alors eux ils n’ont pas la réalité des services communautaires »; un peu plus loin dans l’entrevue il ajoute, à propos du directeur des ressources humaines :

« C’était aussi pour que lui [le DRH] entende c’est quoi notre réalité en CLSC, parce qu’il vient aussi d’un milieu hospitalier. Donc moi j’avais deux objectifs, autant défendre certains points, mais de rendre plus concret c’est quoi le travail en CLSC au niveau des ressources humaines » (CI_5).

Ce dernier point nous semble fondamental car il soulève le fait qu’il n’y avait pas d’unanimité, du côté patronal, quant aux modes d’organisation du travail qui devaient prévaloir dans la nouvelle organisation.

Des résultats mitigés

Selon les dires des gestionnaires ayant participé aux négociations, le fait que les conventions collectives aient été négociées localement n’a pas entraîné de grands changements ou, à tout le moins, n’a pas entraîné les changements voulus. À ce propos, un des gestionnaires ayant participé aux négociations affirme : « comme je l’ai dit tantôt, on a rénové nos conventions collectives, on n’a pas mis la maison à terre, mais on avait la liberté de le faire ». (DIR_1)

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Selon les gestionnaires ayant participé aux négociations, les clauses des conventions collectives locales sont, au final, en grande partie similaires à celles qui étaient en vigueur avant la Loi 30 et qui étaient négociées au niveau national.

« L’autre volet, […] le fait de négocier localement, de dire « on va mettre ça à notre couleur », en tout cas, moi, chez nous, on n’a pas mis ça à notre couleur, on a gardé, on a fait beaucoup de copier / coller à partir des conventions nationales, tout ce qui a été décentralisé au local, on a repris les mêmes textes, on a changé quelques petites affaires mais moi je trouve qu’on n’ y a pas gagné énormément ». (CI_14)

Ce diagnostic est partagé par les gestionnaires n’ayant pas pris part aux négociations. Lorsque l’on aborde ce point avec eux, et que l’on cherche à comprendre les impacts de la décentralisation de la négociation des conventions collectives sur leur gestion quotidienne, les réponses sont plutôt mitigées, comme le démontre cet extrait d’une entrevue avec un directeur responsable d’une direction programme services :

« Je ne suis pas sûr qu’on a fait des avancées tant que ça là-dedans, […] moi avant quand je négociais avec les représentants syndicaux, ça négociait aussi bien que maintenant ». (DIR_3)

Pour les gestionnaires ayant pris part à la négociation locale, la complexité de la nouvelle organisation explique en grande partie ces résultats. Qui plus est, les gestionnaires soulèvent le fait qu’ils avaient l’obligation de signer les conventions collectives dans les deux années suivant les fusions des unités d’accréditation. Cette courte période ne leur aurait pas permis d’identifier les enjeux, relatifs à la gestion des ressources humaines, spécifiques à la nouvelle organisation. Comme l’affirme un gestionnaire : « quand on a négocié c’était beaucoup trop tôt on n’avait pas trop de vécu ». (DIR_1)

Dans le même ordre d’idée, les gestionnaires soulèvent le fait que les processus administratifs et cliniques de la nouvelle organisation n’étaient pas encore connus et, surtout, pas encore harmonisés. C’est donc dire que l’on retrouvait des écarts importants entre les différents sites composant la nouvelle organisation, autant en ce qui à trait aux pratiques administratives

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qu’aux pratiques cliniques. Dans l’extrait qui suit, un cadre intermédiaire, ayant pris part aux négociations locales, affirme qu’il ne connaissait pas la réalité des autres sites. Il explique :

« Il y a bien des choses-là que je ne connaissais pas. Moi la réalité des autres sites, par exemple dans les CHSLD, je ne la connaissais pas. Là tu dois négocier une convention collective pour tout ce monde-là. La situation était la même pour le syndicat et pour nous les gestionnaires, c’est-à-dire que nous ne connaissions pas les caractéristiques spécifiques de ces sites-là ». (CI_10)

Dans ce contexte, il était difficile pour les gestionnaires ayant la responsabilité de négocier les conventions collectives d’identifier les enjeux transcendant l’ensemble des sites du CSSS#1.

Et l’avenir…

Un directeur ayant participé aux négociations locales explique que depuis la signature des conventions collectives locales, plusieurs clauses ont fait l’objet de discussions entre les parties patronale et syndicale. Ces discussions ont souvent débouché sur la signature d’ententes ne faisant pas partie des conventions collectives. Ce directeur est tout à fait conscient que la décentralisation des négociations avait pour but, entre autres, d’éliminer ce type d’entente locale. Il explique :

« Il va falloir que les négociations soient reprises, je ne sais pas sous quelle forme, mais elles vont devoir être reprises pour tenir compte de l’évolution de l’organisation du travail, là, actuellement, c’est comme si on avait beaucoup plus réfléchi à cette question, depuis quatre, cinq ans. Et c’est plus normal au bout de quatre, cinq ans d’avoir une bonne vision. […] Et entre temps on a signé plusieurs ententes en plus de la convention. Normalement on ne devrait pas faire ça parce que ça devrait être dans la convention collective ». (DIR_1)

S’il juge que la réouverture et la renégociation des conventions collectives locales sont incontournables dans le futur, ce directeur explique qu’il préfère, pour l’instant, négocier des ententes à la pièce, afin de régler les problèmes concrets, en espérant éventuellement inclure ces ententes dans les conventions collectives locales. Il explique :

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« Actuellement on est en train de signer un paquet d’ententes […] l’idée pour nous c’est de régler les problèmes qu’on a, mais moi le but à quelque part, c’est un jour de refaire ces négociations-là, avec la vision qu’on va avoir et de prendre toutes nos ententes et d’essayer de les coucher dans nos conventions, parce que ce serait comme logique ». (DIR_1)

5.1.4 Les conditions d’exercice influençant le travail des gestionnaires

Nous présenterons maintenant ce que disent les gestionnaires des conditions d’exercice de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme. De manière à faciliter l’analyse nous présenterons les conditions d’exercice du travail des directeurs et des cadres intermédiaires séparément.

5.1.4.1 Les conditions d’exercice des directeurs

5.1.4.1.1 Le nombre de sites

Une première caractéristique propre au CSSS#1 ayant, selon les directeurs rencontrés, une incidence importante sur la réalisation de leur travail est le grand nombre de sites du CSSS#1. Dans l’extrait qui suit, un directeur responsable d’une direction clinique, ayant connu « l’avant-CSSS », affirme que le fait d’être responsable de plusieurs sites l’a obligé à modifier sa façon de travailler. Il dit :

« Les impacts de la fusion sur le rôle des gestionnaires, dans la réalité quotidienne des gestionnaires, c’est vraiment qu’il faut comme inventer une nouvelle façon de gérer, tu voudrais pouvoir voir ton monde mais en même temps tu es éclaté sur plusieurs sites, à cause des multi sites et des distances. Donc tu ne peux plus gérer de la même façon ». (DIR_2)

Il faut préciser que dans le CSSS#1, le comité de direction a décidé de ne pas localiser tous les bureaux des directeurs dans un même site. L’objectif de cette mesure était de créer un sentiment d’appartenance envers l’organisation et d’éviter que les employés de certains sites ne se sentent trop isolés.

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« Il y a des directeurs un petit peu partout, ça ce choix-là, je vous dirais, je trouve que c’est important d’en laisser dans les sites, c’est important, les employés ont besoin de ça». (DIR_2)

Les directeurs affirment que le fait d’avoir des employés répartis sur plusieurs sites a des impacts importants sur les relations qu’ils entretiennent avec eux. Ils mentionnent d’abord qu’ils ne sont plus en mesure d’entretenir des relations de proximité avec leurs subordonnés. À ce sujet, un directeur ayant connu « l’avant-CSSS » explique :

« Il faut être présent, mais en même temps, ça c’est le multi sites, ça, ça nous a compliqué la vie, ça c’est clair, le multi sites, si tu n’y vas pas tes équipes de travail ont l’impression que tu n’es pas présent, que tu ne les apprécies pas, alors toute la reconnaissance c’est beaucoup plus difficile ». (DIR_7)

Les directeurs responsables de directions dont les programmes sont disséminés à plusieurs endroits sur le territoire du CSSS#1 mentionnent que cet « éparpillement » de leurs responsabilités les a obligés à revoir leur façon de gérer. Comme l’explique un de ces directeurs, responsable d’une direction clinique :

« Les premières années de la fusion […], j’avais tout ça là, je me promenais, j’allais à [CLSC#1], j’allais à l’hôpital, j’allais à [CLSC#2], j’allais à [CLSC#3], ça se peut pas, c’est fou parce que tu veux garder ton style de gestion d’avant la fusion, tu veux être proche de tes employés, tu veux voir si ton intervenant il va bien. Avant ça tu étais à la porte d’à côté, tu croisais ton intervenant, tu le voyais et tu savais s’il allait bien ou pas. Tandis que là on ne le voit plus, on ne le voit plus. Moi je me suis viré assez vite dans tout ça, j’ai changé mes façons de faire, malgré le fait que j’aime beaucoup les ressources humaines, les relations humaines, mais c’était une question de survie, c’était une question de survie. […] Il faut que tu fasses le deuil de ce type de relation avec tes subordonnés, si tu ne te donnes pas les moyens tu vas y laisser ta peau, tu vas carrément y laisser ta peau, et ça, non, je ne voulais pas y laisser ma peau. Alors j’ai développé le courriel, tu y vas un peu moins souvent, au lieu d’aller une fois par semaine dans chacun des sites tu y vas une fois par mois. C’est peut-être un peu plus réaliste, mais ça fait une distance, ça a comme impact que nos intervenants disent « on ne voit plus nos gestionnaires, on ne les voit plus ». Et ils ont raison, ils ont raison ». (DIR_3)

Non seulement le grand nombre de sites remet en question le type de relations qu’entretiennent les directeurs avec leurs employés, mais il remet aussi en question le type de

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relation que les directeurs entretiennent entre eux. Ainsi, le fait que les directeurs ne soient pas tous situés dans le même site entraîne des difficultés importantes de coordination. Les directeurs soulèvent le fait qu’avant la fusion plusieurs dossiers étaient réglés de manière informelle, ce qui n’est plus possible aujourd’hui.

« Pour nous, pour les gestionnaires, on n’a plus de liens nécessairement avec les autres gestionnaires. Quand tu étais dans la même bâtisse, tu as un petit problème ou un petit quelque chose, tu passes en avant de la porte d’un collègue et tu dis « hey, regarde, comment tu vois ça toi ? » Là non, ce n’est plus possible […] ça je trouve qu’on a perdu ». (DIR_3)

Une des conséquences de la diminution des rencontres et des discussions informelles est l’augmentation importante des rencontres formelles de coordination. Tous les directeurs font état du temps qu’ils doivent passer en réunion afin de coordonner leurs actions.

« Parce que là les rencontres, j’ai vu des journées, les lundis là, six réunions ! Tu en fais une avant ton comité de direction, tu as un comité de direction en avant-midi, tu en fais une sur l’heure du dîner, etc. tu arrives chez vous tu es à moitié fou là. Fait que là on essaie de trouver des façons de se coordonner […] et ça s’explique par le fait qu’on a de la difficulté à se rencontrer, on a de la difficulté à échanger, parce que tu peux échanger par courriel mais quand tu as besoin de te rencontrer à plusieurs parce qu’il faut que des gens de différents programmes soient là, il faut se trouver des moments de rencontre, et ce n’est pas facile. Ça c’est une difficulté des multi sites, c’est plus difficile ». (DIR_2)

5.1.4.1.2 Hétérogénéité de l’organisation et nouveaux rapports de pouvoir

Un deuxième élément ayant des impacts sur la nature du travail des directeurs est la complexité de la nouvelle organisation. Les directeurs rencontrés expliquent que non seulement la nouvelle organisation est composée d’un grand nombre de sites, dispersés sur un grand territoire, mais chacun de ces sites dispense des soins et des services particuliers. Qui plus est, les différents sites de l’organisation ont chacun une histoire qui leur est propre et une culture spécifique. Une anecdote rapportée par un directeur nous semble révélatrice à ce sujet. Celui-ci nous a fait part de son étonnement, suite à la fusion, quant à la variabilité des règles administratives dans les différents sites. Il raconte :

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« Au début là, ça arrivait assez régulièrement, moi la plus belle expression que j’ai pu utiliser, à tous les jours, au début, dans les deux premières années, j’en apprenais et je disais « ah oui, on fait ça ici nous autres ? Ah bon, ok ». (DIR_1)

Aux dires des directeurs, le fait que le CSSS#1 soit composé d’organisations ayant des missions différentes influence les rapports de pouvoir entre ceux-ci. Certains directeurs mentionnent devoir maintenant défendre, ou promouvoir, la mission à laquelle est associée leur direction.

« Moi je vous dirais qu’il faut défendre continuellement, il faut se défendre continuellement parce que la culture de base, la culture est pas la même d’un établissement à l’autre ».

Cette confrontation entre des façons de faire différentes est un élément fondamental à prendre en compte afin de comprendre l’évolution de la nature du travail des directeurs. Certains de ceux-ci, bien qu’ils affirment œuvrer au bon fonctionnement de l’organisation dans son ensemble, se perçoivent aussi comme les représentants de leurs directions, des services qui s’y donnent, des gens qui y travaillent et surtout, des missions qu’on y retrouve. Ils se retrouvent donc dans une situation délicate où ils doivent défendre leur direction sans pour autant aller à l’encontre du bon fonctionnement de l’organisation.

Pour les directeurs rencontrés, cette défense de leur direction touche à des éléments très concrets. Ainsi, ils sont très conscients que, dans un contexte de ressources limitées, ce qui est alloué à une autre direction ne l’est pas à la leur. En ce sens, la citation qui suit nous semble particulièrement intéressante. Le gestionnaire cité débute l’extrait en expliquant qu’il faut mettre l’accent sur la complémentarité. Cependant, plus son discours avance, et plus on sent que les ressources limitées du CSSS entraînent une certaine compétition entre les directeurs.

« Moi je pense que c’est de la complémentarité qu’il faut vraiment aller chercher, il faut surtout éviter d’être en compétition, parce que, on ne peut pas

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être en compétition quand le client, pour moi, le client il circule, il va à l’hôpital de temps en temps, quand il sort de là il a un besoin que l’équipe dans la communauté le reprenne en main et qu’elle s’en occupe […] une fois qu’on a dit ça, ça c’est bien beau, ça fait un beau dessin, et on pourrait se dire c’est ça la beauté du CSSS, mais ce n’est pas toujours évident de réussir à faire ça. Il y a vraiment des fois, par exemple, si je décide que moi tel objectif est important, que je veux l’atteindre avec mon équipe mais que l’autre directeur dit moi je ne travaillerai pas là-dessus parce que j’ai d’autres priorités, c’est là souvent, des fois c’est plus difficile, en plus on est confronté à des ressources limitées, bon, par exemple, les ressources humaines sont limitées […] alors des fois on se tiraille un peu entre directeurs pour dire, là c’est à mon tour là…». (DIR_8)

Cette question de l’allocation des ressources représente un point fondamental autour duquel se structurent les rapports entre directeurs. Dans l’extrait qui suit, un directeur précise que ces rapports de pouvoir ne découlent pas d’une mauvaise volonté, mais de la nature même du CSSS#1.

« Moi je regarde au niveau du comité de direction, on est, je dirais que, on est vraiment axé sur la continuité et tout le monde est rempli de bonne volonté là. Notre réflexion est vraiment axée sur le client, mais c’est plus tatillon un peu quand vient le temps de mettre de l’argent dans un pot central, parce que là tu dis bon ok, ça va nous amener où ? Mais, en même temps, c’est ça un CSSS ». (DIR_3)

Les directeurs insistent sur le fait qu’ils entretiennent de très bonnes relations entre eux, que tous sont bien intentionnés et que les relations sont cordiales. Il n’en demeure pas moins que le comité de direction doit prioriser les besoins auxquels l’organisation doit répondre ainsi que l’allocation des ressources qui en découle. En ce sens, la façon dont les directeurs s’y prennent, en comité de direction, afin de promouvoir leurs projets nous semble particulièrement révélatrice des rapports de pouvoir à l’œuvre. Ce que l’extrait suivant soulève, c’est que la présence d’alliés semble être un incontournable. Le directeur cité y explique de quelle manière il s’y est pris afin de faire approuver l’ajout de ressources dans sa direction.

« J’ai commencé par aller parler de mon projet au [nomme un directeur], tu sais en parler avec des directeurs qui sont ici depuis des années et qui connaissent l’historique de l’organisation, qui ont connu la fusion […] je suis

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allé voir [nomme un autre directeur], je suis allé voir [nomme un autre directeur], je me suis allié le [nomme un autre directeur], […] Quand on est arrivé en comité de direction, les autres directions cliniques, hey que ça ne faisait pas leur affaire. Mais, là, ça a réussi, j’ai obtenu ce que je voulais ».

La question des alliés nous est apparue extrêmement importante car elle éclaire les intérêts spécifiques de chacune des directions. En effet, les alliances nous paraissent des éléments révélateurs des convergences et divergences d’intérêts entre les directeurs. Dans l’extrait suivant, un directeur explique avec qui il doit faire alliance lors du comité de direction. Il explique :

« Les directeurs vont utiliser le vocable de la hiérarchisation des soins, ça c’est le vocable que l’on a, certains directeurs, ce n’est pas méchant, mais ils vont dire, par exemple, que le curatif est tellement important. Ils vont dire « qu’est- ce qu’on va faire avec notre urgence, il nous manque des ressources humaines ». […] Alors pour eux, leur besoin devrait passer avant. Alors ça, il faut toujours être très, très vigilant et c’est pour ça que je dois faire alliance avec [nomme un autre secteur], alors il faut travailler ensemble nous autres, nous autres si on ne fait pas alliance, je ne dis pas qu’il faut manger dans la même assiette là, mais si on ne fait pas alliance, on vient de perdre un énorme pouvoir ».

La citation précédente est importante car, au-delà de la stratégie utilisée, le gestionnaire identifie ce qui semble être une opposition fondamentale dans le CSSS#1, celle entre les missions CLSC et CHSLD d’un côté et CH de l’autre côté. Derrière cette confrontation se trouve ce qui semble être des oppositions fondamentales entre des conceptions des soins et des services. À ce propos, un des directeurs explique :

« Le secteur hospitalier est beaucoup plus un milieu dans lequel ils ont une connaissance de ce qui se passe dans l’hôpital et ils n’ont pas la connaissance de ce qui se passe à l’extérieur. On est vraiment dans le curatif versus préventif. Le curatif c’est quand ça saigne, quand c’est urgent, c’est prioritaire et il faut que ça passe par là. Le préventif c’est difficilement mesurable. […] Alors cette dualité-là entre le préventif et le curatif c’est jamais évident dans des fusions et des regroupements parce que les gens sont beaucoup sur l’impression que le curatif va passer en premier ».

Il ajoute :

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« Quand tu es dans un CLSC ou dans une organisation qui ne comprend que des CLSC et des CHSLD […] tu n’as pas à défendre la prévention parce que ça fait partie de la mission. Quand tu es dans un multi missions je trouve que c’est plus difficile de donner toute la place aux services qui doivent être dans la communauté en prévention et promotion et en soutien. Parce qu’on n’est pas en situation d’urgence, de bloc opératoire ou de services d’urgence ».

Cet extrait soulève le fait que les directions, de par leurs missions respectives, ne sont pas sur un pied d’égalité en ce qui à trait à leur capacité à faire reconnaître l’importance de leur contribution dans l’organisation et, ce qui en découle, dans leur capacité à conserver ou augmenter les ressources qui leur sont accordées. En effet, il semble beaucoup plus facile de faire reconnaître l’importance des soins donnés dans le centre hospitalier que de faire reconnaître l’importance des soins et services liés aux missions CLSC et CHSLD. En ce sens, la citation qui suit nous paraît extrêmement révélatrice. Le directeur cité y raconte de quelle manière l’allocation des budgets s’est faite dans les premiers moments suivant la création du CSSS#1. Il explique :

« C’est sûr que quand on parle des budgets […] on a eu des gros travaux de rationalisation à faire pour arriver en équilibre, on s’est assis tout le monde ensemble, il y avait une volonté de préserver la première ligne mais en même temps, à l’hôpital, on ne peut pas toucher à l’hôpital, ce sont des médecins et des spécialistes, alors la tendance c’était vraiment d’aller voir qu’est-ce qu’on peut couper dans les services dans la communauté, dans la prévention, alors en même temps qu’on avait un discours qui disait qu’il fallait pas toucher à ça, on y allait beaucoup plus facilement que du côté de l’hôpital ».

Un peu plus loin dans l’entrevue, nous revenons sur le sujet et lui demandons s’il est encore aujourd’hui plus facile de couper dans les programmes de prévention, liés principalement au CSLC, que dans les programmes liés au centre hospitalier. Il répond :

« Oui parce que ça a moins d’impact. […]En fait, on y croit à la prévention et on pense que cela a de l’impact, mais on n’est pas capable de l’évaluer, c’est ça la faiblesse du communautaire. Parce que dans le fond, quand un directeur demande « le programme de prévention cardio vasculaire, ça donnes-tu vraiment des résultats ? » Comment on peut juger ça ? […] alors que l’hôpital, la personne vient, tu la soignes, elle retourne chez elle. C’est facile de voir les résultats».

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Les propos de cet autre directeur vont dans le même sens. Celui-ci raconte la difficulté que rencontrent les directeurs en charge de directions programme services liés aux missions CLSC et CHSLD lorsqu’ils tentent de démontrer l’importance de leurs besoins. Il explique :

« L’hôpital c’est tout le volet curatif et quand tu viens pour parler de la prévention, par exemple, si on parle du programme 0-5-30, qui est zéro cigarette, 5 fruits et légumes et 30 minutes d’exercice […] c’est sûr que quand on compare ça à un besoin aux soins intensifs (rire). Ça, ça ne passe pas. […] Au comité de direction si on dit qu’il y a des besoins aux soins intensifs et qu’il faut mettre une salle de plus et qu’il faut ajouter des infirmières […] il faut hiérarchiser nos façons de faire alors là il va falloir couper, mais c’est parce que quand on veut couper c’est sûr que c’est sur les volets préventifs ».

Il nous paraît important de préciser que les directeurs à la tête des directions cliniques sont tout à fait conscients de cette dynamique. Lors des entrevues, ils précisent qu’il ne faut pas y voir une confrontation liée aux intérêts personnels ou aux caractéristiques des individus qui occupent ces postes. Il s’agit plutôt de la confrontation de types de soins et de services complètement différents. En ce sens, cette confrontation découle directement de la nature du CSSS. Sur papier, les différentes missions sont tout à fait complémentaires, cependant, c’est lorsque vient le temps de prioriser l’allocation des ressources ou encore d’identifier les priorités organisationnelles que l’on prend conscience de leurs différences fondamentales.

5.1.4.1.3 Les mesures de contrôle du travail des directeurs

Un autre élément identifié par les directeurs comme ayant un impact sur l’évolution de leur travail est la présence de mesures d’évaluation et de contrôle de leur travail. À ce propos, les directeurs identifient l’importance qu’ont prise les ententes de gestion à la suite de la création du CSSS#1. Ainsi, à chaque année, le CSSS#1 doit s’engager à atteindre un certain nombre de cibles fixé par l’Agence de santé et de services sociaux de sa région. Ces ententes de gestion visent autant des aspects administratifs, tels que le niveau d’assurance salaire, le ratio d’employés détenteurs de poste ou le ratio d’attraction et de rétention des ressources humaines, que des aspects cliniques, tels que le nombre de chirurgies réalisées ou le nombre

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de patients rencontrés en soins palliatifs. Comme l’explique un directeur en charge d’une direction clinique :

« Il y a un gros cahier là avec tous les indicateurs, on a plusieurs indicateurs qui relèvent de ma direction entre autres, par exemple, l’intensité de suivi pour un certain type de clientèle, c’est moi qui est responsable d’offrir ces services, donc c’est moi qui est responsable de cet indicateur-là, alors je dois m’assurer d’atteindre la cible. C’est un catalogue que l’on signe en début d’année avec l’Agence, c’est vraiment une entente écrite ». (DIR_8)

Il convient de préciser que les ententes de gestion ne sont pas une nouvelle mesure découlant de la réforme. Cependant, il appert que la création du CSSS#1 a permis de dédier des ressources pour l’évaluation et le suivi des résultats, ce qui était plus difficile dans les anciennes organisations. Par exemple, une des particularités du CSSS#1 est qu’on y retrouve un secteur, responsable de la mesure et du suivi des résultats. Nous décrirons brièvement le fonctionnement de ce secteur avant de nous pencher sur les impacts de l’importance accordée à la mesure des résultats sur la nature du travail des directeurs.

Un secteur responsable de l’évaluation et du suivi des résultats

Le CSSS#1 a mis en place un secteur, faisant partie d’une direction soutien administratif et technique, dont le rôle est d’effectuer le suivi des résultats de tous les autres secteurs de l’organisation.

« La priorité c’est le suivi des ententes de gestion. C’est vraiment de mettre en place un processus de suivi avec les gestionnaires, donc aux 6 à 8 semaines on fait des rencontres avec les directions et les gestionnaires, les gestionnaires plus opérationnels, pour regarder les résultats, voir les écarts par rapports à la cible et les probabilités d’atteindre, ou de ne pas atteindre, les cibles et pour mettre en place des plans d’action pour déterminer ce qu’on va faire pour corriger le tir avant d’arriver à la fin de l’année ».

Tel que mentionné précédemment, le fait de mesurer les résultats de l’organisation n’est pas, en soi, une nouveauté provenant de la réforme. Cependant, ce qui est nouveau, c’est

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l’importance que prennent ces ententes. De plus, avec la création du CSSS#1, l’organisation est maintenant en mesure de dédier des ressources pour mesurer les résultats et faire un suivi auprès des gestionnaires de l’organisation. Comme l’explique un directeur :

« Moi je pense qu’avant la fusion, les petits centres n’avaient pas les ressources pour faire ces analyses-là. Les ressources étaient plus limitées, dans certains cas ils prenaient une personne et ils la spécialisaient dans un système de mesure et d’analyse des données mais cette personne-là n’avait pas assez une vision globale de l’organisation pour être capable d’utiliser le système de façon à faire des analyses ». (DIR_6)

La mesure et l’évaluation des résultats joue un rôle important dans le fonctionnement du CSSS#1. Ce nouveau secteur permettrait d’assurer la meilleure utilisation possible des ressources humaines, financières et matérielles du CSSS#1.

« Moi je dis aux gestionnaires si vous aviez une entreprise, vous aimeriez savoir ce que l’on fait avec votre argent, il faut que ça rapporte, bien nous, le ministère il nous donne des budgets et il veut savoir ce que l’on fait avec, c’est un peu ça dans le fond, c’est une bonne utilisation des ressources, autant financières que RH, c’est un peu ça le rôle de ce secteur ».

Un des rôles joués par le secteur responsable de l’évaluation des résultats consiste à faire le suivi de ces résultats auprès des gestionnaires. Il s’agit alors d’amener ces derniers à prendre connaissance des résultats du secteur dont ils ont la charge, à évaluer s’ils atteignent leurs cibles et à ajuster leurs activités si nécessaire. Évidemment cette façon de faire a des impacts importants sur la nature du travail des gestionnaires, nous en traiterons plus abondamment dans la section consacrée aux cadres intermédiaires.

Pour revenir aux directeurs, mentionnons qu’une grande place est accordée, dans leurs discours, à la question de la performance de l’organisation. Ceux-ci mettent l’accent sur l’importance de la mesure et de l’évaluation des résultats associés aux programmes que l’on retrouve dans le CSSS#1. Tous les directeurs mentionnent que le fait d’avoir accès à des indicateurs précis amène à questionner les pratiques cliniques dans l’objectif d’en améliorer la performance. Par exemple, un des directeurs nous explique que les indicateurs utilisés dans sa

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direction ont permis de constater une différence dans les pratiques professionnelles de deux régions composant le territoire du CSSS#1. Ces deux régions étaient anciennement desservies par deux anciennes organisations maintenant fusionnées dans le CSSS#1. Il explique :

« Nous on avait des écarts, on avait des écarts entre les populations de deux régions composant notre territoire de CSSS, ça nous a amené à aller chercher dans nos pratiques professionnelles, on a regardé comment travaillent les infirmières dans ces deux régions. Nous voulions comprendre ce qui fait qu’on donne plus de services dans un secteur par rapport à l’autre. On a commencé à questionner nos pratiques, c’est un processus de longue haleine là ». (DIR_8)

Non seulement les résultats amènent les directeurs à questionner les pratiques, mais ils sont aussi utilisés afin de justifier les changements mis en œuvre.

« Ça nous a donné le signal de revoir nos façons de faire. Alors ça nous a permis d’aider aux changements de pratiques chez les professionnels, parce que ce n’était pas évident, quand tu as une travailleuse sociale qui travaille comme ça depuis 20 ans, elle ne voit pas pourquoi il faut qu’elle change et qu’est-ce qui fait qu’elle va laisser tomber une patiente plutôt qu’une autre. Alors dans ce cas, les cibles de gestion, ça permet de donner du sens au changement ». (DIR_4)

Il faut préciser que pour la plupart des directeurs, l’accès à ces indicateurs, et le questionnement des pratiques qui en découlent, sont perçus comme des éléments positifs. Pour eux, ces mesures ne représentent pas des moyens de contrôle de leur travail mais bien des outils d’aide à la décision.

« Moi je trouve que ce sont des outils, moi je pense que ce sont des outils pour prendre des décisions. Moi mes tableaux de bord je les connais par cœur, je sais comment c’est dans les différents secteurs qui composent ma direction et je connais ma performance, dans ma direction, moi je vais te dire qu’ici c’est parfait là, j’atteins toutes mes cibles. Mais comment on peut faire encore mieux ? C’est à ça que ça sert. Comme dans un de mes secteurs on a découvert qu’on n’arrivait pas dans une de nos cibles. Alors on a fait un comité spécial et on a trouvé 15 délais. Ben là on est en train de raccourcir nos délais, c’est à ça que ça sert ». (DIR_5)

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Dans l’extrait suivant, un autre directeur va dans le même sens et explique que le fait de devoir réfléchir à la productivité des processus est une bonne chose car cela permet d’améliorer la performance de l’organisation.

« On a amélioré beaucoup notre performance en changeant nos méthodes de travail. Quand tu es forcé, ça t’amène à penser différemment, […] Quand plus personne ne te questionne et que tout le monde te laisse faire juste comme tu veux et qu’il n’y a pas personne qui te pousse juste un petit peu, tu gardes tes mêmes procédures d’il y a 20 ans et tu as l’impression que tu es encore correct ». (DIR_7)

Un dernier élément, en lien avec les cibles de gestion, a été soulevé par certains directeurs. Il s’agit de la nécessité de négocier certaines cibles avec l’Agence. Il faut rappeler que c’est l’Agence de santé et de services sociaux de la région dans laquelle est situé le CSSS qui impose les ententes de gestion. Aux dires des gestionnaires rencontrés, il arrive que certaines cibles ne soient pas réalisables ou ne représentent pas, selon eux, une priorité. Dans ce cas, les directeurs doivent négocier les cibles à atteindre avec les responsables de l’Agence. Pour les directeurs il est clair que cette façon de faire diminue leur autonomie et donne beaucoup de pouvoir à l’Agence. Un des directeurs explique :

« Le ministre avait annoncé qu’il devait y avoir une déconcentration des pouvoirs de l’Agence vers les établissements, vers les CSSS, pour qu’on puisse vraiment jouer notre rôle de responsable populationnel, bon ça c’était tout le discours sur lequel s’appuyait la création du CSSS. […] Nous, en 2008, on se disait les agences n’ont jamais eu autant de pouvoir qu’elles en ont là. Pendant les quatre premières années, l’agence a vraiment été le bras du MSSS pis ça descendait, la commande descendait du MSSS, passait par l’agence et vous devez faire ça ! On avait à peine le choix des moyens. » (DIR_4)

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5.1.4.2 Les conditions d’exercice des cadres intermédiaires

5.1.4.2.1 Le nombre de sites

Lors des entrevues, tous les cadres intermédiaires ayant à intervenir sur plusieurs sites, ont identifié cette condition comme étant un élément ayant des impacts déterminants sur la nature de leur travail. Il convient cependant de préciser que cette condition d’exercice ne touche pas tous les cadres intermédiaires de l’organisation. À partir des entrevues, nous avons identifié, à ce sujet, trois cas de figure.

D’abord, les cadres intermédiaires associés aux missions CLSC et CHSLD sont ceux dont les employés sont le plus souvent dispersés à travers différents sites de l’organisation. Le deuxième cas de figure a trait à la situation des gestionnaires œuvrant dans les directions conseil. Ceux-ci sont habituellement responsables de la supervision d’employés situés dans un seul lieu physique. Cependant, ces gestionnaires agissent aussi comme conseillers pour les autres sites du CSSS#1. Cette dernière responsabilité fait que leur situation s’apparente à celle des cadres intermédiaires responsables de superviser des employés sur plusieurs sites. Finalement, pour les cadres intermédiaires œuvrant au centre hospitalier, le grand nombre de sites de l’organisation semble avoir des conséquences moins importantes. Bien que ces derniers soient souvent en charge de plusieurs unités de soins, celles-ci sont habituellement situées dans un même lieu physique, à savoir, l’hôpital.

Les cadres ayant à superviser plusieurs sites expliquent que l’étendue du territoire du CSSS#1 les amène à devoir dédier beaucoup de temps et d’énergie au transport. Un des cadres rencontrés affirme :

« Moi la première année, j’ai fait 16000 km dans mon année. 16000 km lorsqu’on calcule ça à 100km/h, c’est 1600 heures ». (CI_5)

Ce qui est intéressant c’est que pour certains de ces cadres, ce temps investi en transport est nécessaire car ils considèrent qu’ils doivent entretenir de bonnes relations avec leurs employés et que ceci implique d’être présent auprès d’eux. Cette vision du travail des gestionnaires ne

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semble pas, aux dires des cadres intermédiaires, partagée par la direction du CSSS#1. Celle-ci demande plutôt à ses cadres intermédiaires de limiter leurs déplacements.

« Maintenant, […] la direction nous a demandé d’utiliser davantage, pour diminuer les frais de déplacement, les web conférences et tout ça ». (CI_7)

Les solutions proposées pour diminuer les frais de déplacement soulèvent un point important. Au-delà de la question du temps et de l’énergie dédiés au transport, la responsabilité de gérer plusieurs sites a des impacts sur les relations qu’entretiennent les cadres intermédiaires avec leurs subordonnés ainsi qu’avec leurs collègues. À ce sujet, un des cadres intermédiaires rencontrés souligne que le fait de devoir gérer plusieurs équipes, situées dans plusieurs lieux physiques différents, lui donne l’impression de ne jamais être au bon endroit au bon moment. Pour ce cadre intermédiaire, l’impact le plus important de cette « absence » concerne la relation qu’il entretient avec ses subordonnés. Il explique :

« Moi je suis une personne qui a toujours été proche de ses équipes, proche de son monde, et là il y a des personnes dont je suis le supérieur depuis un an et je les ai peut-être vu l’équivalent de 10 minutes ». (CI_9)

On sent, lors de l’entrevue avec ce gestionnaire que celui-ci aimerait avoir une relation de proximité avec ses subordonnés, ce qui n’est pas possible dans les conditions actuelles. Cet extrait, tiré de l’entrevue que nous avons réalisée avec lui, illustre bien cette situation.

« Moi là quand j’arrivais le matin, mon ancienne équipe, j’arrivais le matin et je faisais le tour de tout le monde, j’amenais un café et je disais « regardez gang, hier on a fait un bon coup et à midi là on prend une demi-heure ensemble et on va tous diner ». Ici je ne peux pas faire ça ». (CI_9)

Ce cadre intermédiaire n’est pas le seul à identifier les impacts du nombre de sites à superviser sur la relation entre le supérieur et ses subordonnés, en fait, il s’agit d’un élément qui revient dans plusieurs entrevues.

« Comme la semaine prochaine il faut que j’aille à [CLSC#1], ensuite je vais aller à [CLSC#2] deux jours, je suis allé faire un focus group à [CLSC#3], ça fait que les conditions de travail ça a changé royalement, parce que des fois je peux passer juste deux jours ici à gérer mon personnel ». (CI_3)

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Dans ce contexte, une des solutions mises de l’avant par les directeurs est d’ajouter un palier entre les cadres intermédiaires et leurs subordonnés (voir section 5.1.3). Pour certains cadres intermédiaires, l’ajout d’assistant ne représente pas une solution idéale. Celle-ci découle de l’impossibilité d’être présent auprès de leurs subordonnés et de la nécessité de diminuer un peu la charge de travail associée à la supervision de plusieurs sites. Ainsi, certains cadres intermédiaires émettent des doutes quant à l’ajout de cette strate.

« Et on essaie aussi d’ajouter des chefs d’équipes qui vont pouvoir être présents plus que nous on peut l’être. Mais est-ce que c’était l’objectif du début? C’est comme si la fusion fait en sorte qu’on ajoute beaucoup de paliers, les doléances des intervenants c’est « on ne voit jamais nos cadres intermédiaires, on ne voit jamais nos supérieurs immédiats, on ne les voit pas assez souvent ». Et pour pallier à ça, on ajoute encore une autre strate ». (CI_5)

Il faut cependant mentionner que pour certains, la présence de ces adjoints est une modification fort appréciée. Ainsi, certains cadres intermédiaires apprécient le fait de prendre du recul par rapport à la gestion quotidienne des subordonnés.

« Donc moi je n’ai plus à superviser les employés directement sur le plancher, ce sont mes adjoints qui s’en occupent. J’en ai un de jour et un de soir. […] Ça soulage beaucoup, parce que tu vas demander à n’importe quel gestionnaire c’est quoi qui est le plus pénible dans son travail, il va te dire que ce sont les relations humaines, c’est de gérer des employés. C’est ça qui demande le plus ». (CI_10)

Ce qui nous semble important ici ce n’est pas tant que les gestionnaires apprécient ou non la présence de ces adjoints ou qu’ils apprécient ou non le fait de superviser des employés sur plusieurs sites. Ce que nous voulons souligner c’est plutôt les raisons sur lesquelles se fondent cette appréciation. Ainsi, un des cadres rencontrés considère qu’il y a de grands avantages au fait de superviser plusieurs sites. Celui-ci mentionne d’abord le fait que la gestion à distance lui permet d’avoir une vision plus globale des besoins du territoire. Il dit : Je pense aussi que ça me donne une meilleure vue d’ensemble de notre territoire, des besoins de notre population, ce qui n’était pas possible avant parce qu’on était tous par petite mission ». (CI_4)

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Ce cadre intermédiaire ne contredit pas les propos de ses collègues à propos des impacts du grand nombre de sites sur la relation entre supérieur et subordonnés. Il constate, lui aussi, la distance qui existe entre lui et ses subordonnés. Cependant, là où il se démarque, c’est dans le jugement qu’il porte sur cette situation. Pour ce cadre, les subordonnés doivent se responsabiliser, il ne considère pas que le rôle du cadre intermédiaire consiste à entretenir une relation de proximité avec ses employés, ni à donner son opinion sur les actes cliniques posés par ces derniers. Il explique :

« Moi je vous dirais que la gestion à distance, […] moi j’aime ça parce que ça me permet de responsabiliser les intervenants. Quand je suis devenu cadre mon paget pouvait sonner 5-6 fois par jour, maintenant il ne sonne plus jamais. Les intervenants savent que lorsqu’il y a une situation où ils ne sont pas sûrs d’eux ils vont prendre la décision et je me fie à la décision qu’ils vont prendre et on s’en reparle après et je ne leur taperai pas sur la tête parce que ce n’est pas tout à fait ce que j’aurais fait. […] Alors moi j’aime ça cette gestion là parce que justement les gens apprennent à se responsabiliser, c’est tous des professionnels, ils n’ont pas besoin d’avoir une maman qui les suit à la trace en arrière ». (CI_4)

Certains gestionnaires ont souligné que le grand nombre de sites du CSSS#1 a aussi des impacts sur les relations qu’ils entretiennent avec leurs collègues. Ce qui est mis de l’avant par ces gestionnaires c’est l’isolement que provoque la dispersion des gestionnaires sur les nombreux sites du CSSS#1. Cet extrait d’une entrevue réalisée avec un cadre intermédiaire devant superviser des employés sur plusieurs sites nous paraît représentatif de cette situation.

« Moi je trouve que pour les cadres intermédiaires ce que ça a créé c’est de l’isolement. […] Isolement des autres cadres, d’autres gestionnaires. Quand tu fais plusieurs sites là, […] ça, ça veut dire que moi je pars le matin et je m’en vais, par exemple, je suis au [CLSC], si j’ai une réunion à 13h30 dans un autre CLSC, je ne suis pas là pour diner avec des collègues, alors moi pendant mon heure de diner ce que je fais c’est que je me déplace. C’est la même chose en fin de journée, je ne suis pas à mon bureau et je ne peux pas jaser avec des collègues, tu sais, après les réunions, à 16h30, tu jases, c’est agréable. Ce genre de situation, il y en a plus là, pour les cadres comme moi ou comme d’autres qui doivent se déplacer, alors ça fait en sorte qu’on a plus de rencontres de fin de journée ou des rencontres sur l’heure du dîner ou quand tu entres le matin ». (CI_13)

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Nous avons rencontré un seul cadre intermédiaire dont les secteurs sous sa responsabilité sont concentrés dans un seul site. Il s’agit d’un cadre intermédiaire en charge de plusieurs unités de soins situées à l’hôpital. Le discours de celui-ci nous paraît important car il se démarque fortement de ce qui a été présenté précédemment. En effet, ce gestionnaire se définit comme étant près des patients, impliqués dans les actes cliniques et près de ses employés.

« Mais moi au moins en étant [nomme son secteur] mon bureau est près de l’unité, alors souvent je vais aller voir ce qui se passe sur l’unité de soins, je vais aller des fois donner des conseils parce que j’ai quand même plusieurs années d’expérience comme [nomme sa profession]. Je ne suis plus en contact direct avec le patient en tant que tel mais ça, ça me manque moins parce que j’ai encore le contact pareil avec les employées et les patients un peu pareil ».

5.1.4.2.2 La composition de l’organisation

La création du CSSS#1, en regroupant des organisations aux missions, à l’histoire et à la culture différente, a entraîné une redéfinition du rôle des acteurs qui y travaillent et des relations entre ceux-ci. Ceci est particulièrement important pour les cadres intermédiaires. Lors des entretiens que nous avons effectués avec ceux-ci, deux éléments ont été mis de l’avant à ce propos. Premièrement, les directions administratives et techniques ont pris une grande importance dans la nouvelle organisation et, deuxièmement, les rapports de pouvoir entre les secteurs ont été redéfinis.

L’importance des directions soutien administratif et technique

Les directions soutien administratif et technique jouent un rôle important à la suite de la création du CSSS#1. Rappelons qu’avant la création du CSSS#1, il n’y a qu’à l’hôpital que nous retrouvions une direction des ressources humaines, une direction des finances et une direction des services techniques. Si la présence de ces directions dans la nouvelle organisation ne semble pas avoir eu de conséquences majeures sur la nature du travail des cadres intermédiaires œuvrant à l’hôpital, il en est autrement pour les autres cadres

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intermédiaires de l’organisation. En effet, suite à la fusion, ces directions se sont vues octroyer le mandat d’harmoniser les procédures administratives et techniques pour l’ensemble des secteurs du CSSS#1. Comme l’explique un gestionnaire œuvrant dans une de ces directions : « mon rôle c’était d’harmoniser toutes ces pratiques là pour qu’on ait juste une façon de faire avec tous les employés du CSSS ».

Aux dires des gestionnaires œuvrant dans les directions conseil, l’harmonisation visait plusieurs objectifs. D’abord, on cherchait à faciliter la mobilité du personnel. Le fait que les employés du CSSS#1 puissent maintenant travailler sur plusieurs sites exige que les pratiques soient les mêmes d’un site à l’autre.

« Parce que maintenant, les employés peuvent travailler dans différents centres, il y avait ça qu’on voulait aussi, alors quand tu travailles en CHSLD et que la semaine d’après tu es rendu dans un autre centre, il faut que ce soit les mêmes méthodes de travail, il faut que ce soit les mêmes produits, si tu ne te retrouves pas là, quelle continuité on va avoir ?». (CI_10)

De plus, ces gestionnaires affirment qu’à travers l’harmonisation ils cherchaient aussi à rationaliser les procédures de manière à augmenter l’efficacité de l’organisation et à réduire les coûts. En ce sens, les gestionnaires œuvrant dans les directions soutien se définissent comme des experts dans les domaines techniques et administratifs, ce que ne seraient pas les gestionnaires œuvrant dans les directions cliniques.

« Les gestionnaires en charge d’un secteur clinique ce sont des personnes qui sont engagées principalement pour offrir des soins, tout le côté technique, ce n’est pas vraiment leur dada et ils ne voyaient pas, je suis sûr qu’ils trouvaient ça bien important que ce soit fait, mais ils ne voyaient pas vraiment ce qu’il y avait à faire et comment ça devait être fait pour être mené à bon port ». (CI_10)

Les gestionnaires œuvrant dans les directions soutien se présentent donc comme ceux étant en mesure de choisir les façons de faire les plus efficaces. À ce propos, un cadre intermédiaire œuvrant dans une de ces directions soulève le fait que le budget ne semblait pas représenter, pour les cadres intermédiaires des directions cliniques, un enjeu important dans le choix de leurs actions. A contrario, celui-ci affirme que maintenant qu’il est responsable de certaines

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tâches techniques, il est en mesure de prioriser les actions à réaliser en fonction des budgets disponibles. Il explique :

« Dans le CSSS on dirait que l’argent, les sommes à mettre pour faire les choses, des fois, ça a plus ou moins d’importance, nous autres au niveau technique on ne voit pas ça de cette façon-là, c’est sûr qu’on considère que chaque chose à un coût ». (CI_8)

Il ajoute :

« Alors il faut faire avec les budgets qu’on a, c’est sûr que des fois ça fait qu’il y a des gestionnaires qui sont plus ou moins satisfaits du travail qui est fait mais on y va en fonction du budget et en fonction des priorités et en fonction aussi justement de l’ampleur des choses à faire dans l’ensemble de l’organisation ». (CI_8)

Les gestionnaires œuvrant dans les directions soutien sont tout à fait conscients que leurs actions sont à l’origine d’une modification de la façon dont certains gestionnaires œuvrant dans les directions cliniques exercent leur travail.

« Il y a des CLSC là, où, avant la fusion, les gestionnaires étaient hyper autonomes. C’était une espèce de petite PME. Alors chaque gestionnaire gérait ses employés du début à la fin. C’était eux autres qui décidaient de A à Z, alors ces gens-là ils sont restés encore, même après 6-7 ans, dans cette mentalité-là, et c’est difficile des fois de leur imposer des choses. Tu t’obstines, moi je leur parle de la possibilité qu’on ait des griefs s’ils ne font pas les choses comme il le faut mais ce qui arrive c’est qu’ils le font par en dessous ».

Les propos de cet autre gestionnaire, travaillant aussi dans une direction conseil, vont dans le même sens et nous permettent de comprendre un peu mieux la modification de la nature du travail des gestionnaires suite à la création du CSSS#1.

« Il y a certains établissements où les gestionnaires faisaient toutes leurs affaires au complet, quand il y a eu la fusion ils se sont fait dire, à partir de telle date tu ne t’occupes plus de ça. Par exemple, les finances tu t’en occupes plus, on a un service des finances maintenant, les ressources humaines, ce n’est plus toi, on a une direction des ressources humaines maintenant, les services techniques tu t’en occupes plus, c’est un autre qui s’occupe de ça. Alors là, c’est nous autres, les gestionnaires des directions soutiens, des étrangers, qui arrivons et qui leur disons, « maintenant on fait ça comme ça, chez vous, on va faire ça de telle façon ». Alors là les vieux gestionnaires qui travaillaient dans

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ces établissements-là, ils ont tout perdu, les vieux qui étaient habitués de tout gérer ils ont tout perdu leur pouvoir ». (CI_10)

Les réactions auxquelles font face les gestionnaires des directions soutien dans leur volonté d’harmoniser les pratiques nous semblent révélatrices du changement qu’a connu le travail des cadres intermédiaires. Soulignons que ces changements ne font pas que des mécontents. Certains gestionnaires sont très heureux de se voir « débarrassés » de certaines tâches.

« Il y en a qui étaient super contents parce qu’il y avait des gestionnaires plus jeunes qui eux autres trouvaient ça épouvantable de faire ça et là il y en a une qui m’a dit regarde je te donne ça avec plaisir, je suis assez contente, tu vas m’aider ». (CI_14)

A contrario, d’autres cadres intermédiaires remettent en question les changements apportés à leur travail suite aux actions des directions soutien. Par exemple, un gestionnaire œuvrant dans une direction soutien explique que certains gestionnaires avaient, anciennement, des pratiques de gestion des ressources humaines qui vont à l’encontre de la convention collective actuelle. Il raconte :

« Il y a des gestionnaires qui me disaient « on s’arrangeait bien là, comment ça se fait que tout d’un coup vous changez ça ? ». […] moi j’allais dire aux gestionnaires « écoute ce n’est pas correct ce que tu as fait », eux ils me disaient « on l’a fait pendant des années et je ne comprends pas comment ça que ça change ». Et là on expliquait oui mais ce n’est pas parce que tu l’as fait que tu avais le droit de le faire, tant mieux, il n’y a personne qui a chialé, personne a fait de grief, tant mieux si ce n’est pas arrivé pendant plusieurs années mais maintenant c’est une autre dynamique. Donc c’est sûr que oui ce volet là ça a été un gros choc culturel. On se faisait dire « ah c’est le syndicat qui mène, nous-autres anciennement ce n’était pas de même ». Alors ils ne m’aiment pas, mais la convention est là, là, il faut que je la suive là ».

L’extrait précédent soulève un point important, que nous tenons à souligner, il s’agit du fait que certains gestionnaires qui œuvrent dans les directions soutien ont aussi une tâche de contrôle des agissements de leurs collègues gestionnaires. Ce contrôle ne s’appuie pas sur le pouvoir hiérarchique, mais bien sur le fait que certains gestionnaires soient identifiés comme étant ceux qui ont la responsabilité d’identifier les « bonnes pratiques » devant être mises en

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œuvre dans la nouvelle organisation. L’extrait qui suit illustre bien ce fait, un de ces gestionnaires affirme :

« Mon rôle c’est aussi de faire tout le suivi auprès des gestionnaires pour qu’ils respectent les règles, je suis le gardien de ces règles, c’est moi qui fais le rappel auprès des gestionnaires en leur disant ça tu ne peux pas faire ça, alors que ça tu peux ».

En ce sens, il nous paraît important de rappeler que les gestionnaires qui font partie des directions conseil, que nous avons rencontrés en entrevue, proviennent tous de l’hôpital. Qui plus est, plusieurs des pratiques « harmonisées » semblent être celles qui avaient cours anciennement à l’hôpital.

« On s’est retrouvés avec une [direction soutien] très loin de la connaissance, à mon avis, des CLSC, avec vraiment une structure hôpital, vraiment depuis la fusion, plein de choses ont pris le modèle hôpital. Par exemple les formulaires, quand il y avait un formulaire à choisir, lequel tu penses qui était choisi ? Celui de l’hôpital. Ça ne convient pas pantoute à la réalité CLSC, pas grave, hôpital, tout ce qui est formulaire, le matériel, la façon de commander, il y a pas eu juste du mal dans ça, mais ça a pris la couleur de l’hôpital, et je dis ça, et c’est correct là, ça va pour le modèle hôpital, mais on est plus dans un hôpital on est dans un CSSS ».

Ce qui nous semble important à retenir ici c’est le fait que l’harmonisation des pratiques administratives et techniques a eu une influence importante sur la nature du travail des gestionnaires. En ce sens, les propos des gestionnaires soulèvent une diminution de l’autonomie des cadres intermédiaires responsables des secteurs cliniques, résultant de l’imposition de pratiques « harmonisées ».

Des rapports de pouvoir inter missions

Un des éléments fondamentaux qui découle de la création du CSSS#1 est la redéfinition du pouvoir des différents acteurs de l’organisation et des rapports qu’ils entretiennent entre eux. À ce propos, la situation des cadres intermédiaires du CSSS#1 semble bien différente de celle qui prévalait dans les anciennes organisations.

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Ainsi, certains cadres intermédiaires, qui avaient des postes cadres dans les anciennes organisations, soulèvent le fait que la création du CSSS#1 a eu pour conséquence de les éloigner des lieux de prises de décisions. La création de la nouvelle organisation aurait entraîné un déplacement du pouvoir vers le haut de la hiérarchie organisationnelle.

« Maintenant dans l’organisation, et ça se comprend là, il n’y a pas de blâme dans ça là, c’est comme ça, tu sais, le directeur général fait ses rencontres de gestion avec ses directeurs, alors chacun des directeurs retourne ensuite à son équipe et là il y a des rencontres de direction, mais en tant que cadre intermédiaire moi je ne suis plus là où il y a des échanges, des décisions, je suis éloigné de la décision. […] les cadres intermédiaires on n’y est pas au comité de direction, il y a un intermédiaire entre le cadre intermédiaire et la direction générale, et cet intermédiaire c’est le directeur, alors on n’est pas dans le processus de prise de décisions, on ne participe pas aux échanges au comité de direction, on n’est pas dans la dynamique, on n’est pas là ».

Ce que ce gestionnaire exprime c’est que les cadres intermédiaires ne sont pas des acteurs au cœur des rapports de pouvoir inter sites et inter missions. Ces acteurs sont les directeurs. En ce sens, il nous paraît important de souligner que si les cadres intermédiaires ne semblent pas à l’aise avec la question des rapports de pouvoir, il en est tout autrement lorsqu’on discute avec eux du rôle que devrait jouer leur directeur. Ainsi, les cadres intermédiaires ne semblent pas considérer qu’il est de leur rôle de tenter de promouvoir leur secteur dans l’accès aux ressources. Paradoxalement, un des éléments qui est très présent dans le discours des cadres intermédiaires est l’importance qu’ils accordent à leur directeur dans la promotion et la défense de leur secteur d’activités.

« Oui, c’est ça, notre directeur nous défend par rapport aux autres directions, si on a des points ou des demandes, il va les amener à l’ordre du jour du comité de direction et ça va être écouté et débattu, on reçoit les comptes rendus, ils nous font un compte rendu des comités de direction donc on voit que tout est discuté ». (CI_11)

En bref, la majorité des cadres intermédiaires ne semblent pas à l’aise avec la question des rapports de pouvoir. Bien qu’ils en constatent la présence, ils ne semblent pas considérer que leur rôle puisse consister à défendre le secteur sous leur supervision. Il en est tout autre pour

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leur directeur, qu’ils identifient comme responsable de cette question. Les entrevues ont tout de même mis de l’avant la distribution inégale du pouvoir entre les secteurs du CSSS#1. Pour illustrer ce fait, nous présenterons deux exemples. Nous verrons d’abord quels secteurs sont en mesure de décider des priorités organisationnelles. Par la suite, nous verrons que certains secteurs sont avantagés dans leur accès aux ressources.

Première illustration des conséquences des nouveaux rapports de pouvoir: qui met de la pression sur qui ?

Lors des entrevues avec les cadres intermédiaires nous nous sommes aperçu que certains sites ou certains secteurs semblaient plus en mesure d’imposer leurs priorités et leurs façons de faire que d’autres. Ainsi, il est apparu que les cadres intermédiaires de l’hôpital semblaient en mesure de mettre de la pression sur ceux œuvrant en CLSC et en CHSLD alors que l’inverse semblait plus difficile.

Il convient ici de faire une brève mise en contexte. Il faut savoir qu’une des raisons qui expliquent les débordements dans les centres hospitaliers est le fait que des patients, ayant obtenu leur congé de l’hôpital, ne peuvent quitter celui-ci du fait qu’ils sont en attente de services de soutien à domicile ou d’une place en hébergement. À ce propos, il semble qu’un des effets de la création du CSSS est que les gestionnaires hospitaliers sont maintenant en mesure de mettre de la pression sur les gestionnaires responsables de ces secteurs afin que ceux-ci prennent en charge les patients plus rapidement.

Ainsi, un des gestionnaires rencontrés, œuvrant dans un CHSLD mentionne que depuis la création du CSSS#1, il y a une grande pression pour que les patients en attente d’hébergement soient admis rapidement. Il explique :

« C’est tout le temps vite, vite, vite, vite, il faut que ça sorte de l’hôpital, il faut libérer des lits, alors la priorité c’est la question lit, lit, lit, bien plus que patients, patients, patients ».

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Ce gestionnaire explique qu’il comprend le problème que représente la présence à l’hôpital de patients en attente d’hébergement. Cependant, la pression qu’il subit bouscule les valeurs et les façons de faire propres aux CHSLD. Il explique :

« à l’hébergement, quand on appelle pour dire qu’on a un lit de libre, à la suite d’un décès, il nous faut du temps pour faire la chambre. Mais là on a le téléphone tout de suite là, pour nous dire qu’il y a une admission pour nous. Oui mais attend un peu là, le mort est même pas refroidi, tu comprends ? Là on ne pense plus humain là, là on pense lit. […] Après on en revient toujours à la base pour dire que c’est le patient en premier et gnagnagna, mais quand tu es rendu à bousculer une famille pour sortir le stock de la chambre du défunt parce qu’il y a quelqu’un qui pousse pour entrer, moi en tant que gestionnaire je crie : on se calme! ».

De leur côté, les gestionnaires œuvrant à l’hôpital considèrent cette pression tout à fait justifiée. Il s’agit d’ailleurs, selon eux, d’un des avantages indéniables de la création du CSSS#1. Comme le dit un gestionnaire œuvrant à l’hôpital :

« Je suis responsable de la gestion des lits aussi, donc les patients quand ils ont leur congé, il faut qu’ils sortent, et il ne faut pas qu’ils sortent dans trois semaines, il faut qu’ils sortent tout de suite. Quand l’hôpital est plein, moi les patients ils entrent et il faut qu’ils sortent aussi, alors ça m’arrive d’interpeller ma collègue de [autre direction services] et de lui dire, heille ta gang il faut qu’ils me sortent ce patient-là rapidement ».

Cet extrait, d’un cadre intermédiaire en charge d’unités de soins situées à l’hôpital va dans le même sens.

« La création du CSSS ça permet aussi que si on a un problème avec un CLSC, je peux appeler la gestionnaire de ce CLSC, et comme on est dans le même CSSS, elle a intérêt à corriger le problème. Si elle ne le corrige pas, elle nuit à l’organisation, alors ça, on peut avoir un peu plus de pouvoir par rapport aux autres sites, tandis que quand ce n’était pas un CSSS même si j’avais appelé la gestionnaire, elle m’aurait envoyé promener ».

Ce qu’il nous faut retenir ici c’est qu’un des sites, en l’occurrence l’hôpital, est en mesure de faire pression sur les autres sites en identifiant les priorités de son secteur comme celles de l’organisation. En ce sens, un gestionnaire qui remettrait en question ces priorités est dans la position où il remet en question les priorités organisationnelles.

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Deuxième illustration des rapports de pouvoir : l’accès aux ressources humaines

Il convient d’abord de rappeler que, parallèlement à la création du CSSS, la réforme imposait une redéfinition des unités d’accréditations syndicales de manière à ce que celles-ci ne soient plus limitées à un établissement. Ce faisant, les employés peuvent maintenant postuler des postes dans l’ensemble des sites de l’organisation. Une des conséquences importantes de ce changement est qu’il entraîne des mouvements de main-d’œuvre importants entre les différents sites du CSSS#1.

Plusieurs gestionnaires ont exprimé que les opportunités qu’ont les employés de changer de poste ont pour effet de mettre en compétition les différents sites pour l’attraction des ressources humaines. En effet, en contexte de pénurie de main-d’œuvre, les gestionnaires sont toujours devant la possibilité de voir leurs subordonnés postuler ailleurs, sur des postes considérés plus intéressants. Les propos de cette gestionnaire œuvrant en CHLSD vont en ce sens. Elle affirme :

« On le sent encore qu’il y a une compétition. Depuis la fusion oui, oui, oui […] Maintenant les personnes ils s’en vont du communautaire et s’en vont travailler à l’hôpital pour avoir une meilleure garantie d’emploi. Alors on sent que les gens s’en vont plus vers l’hôpital, tout à fait ». (CI_6)

Ce qui nous semble particulièrement important ici, et qui ressort clairement de nos entrevues, c’est que dans cette compétition pour attirer des ressources humaines, les différents sites du CSSS#1 ne sont pas sur un pied d’égalité. Plusieurs éléments, n’ayant rien à voir avec les gestionnaires en place, favorisent certains sites au détriment d’autres.

Le premier élément qui est soulevé est la localisation géographique des établissements. Rappelons que le territoire du CSSS#1 est très étendu. Alors que certains établissements sont localisés en milieu urbain (l’hôpital, un CLSC et un CHSLD), les autres sont en milieu rural. Qui plus est, ces derniers sont parfois situés dans des villages relativement éloignés de la ville. Certains gestionnaires œuvrant dans ces établissements affirment avoir vu plusieurs employés changer de poste pour s’approcher de leur lieu de résidence, souvent plus près de la ville. De

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plus, il est difficile d’attirer des jeunes employés vers ces sites, ceux-ci ayant plutôt tendance à chercher un poste dans un site localisé en milieu urbain.

« Il y a une difficulté de recrutement parce que c’est un peu éloigné, le bassin de population est moins gros, donc, ce qu’on voit en général c’est que les gens qui habitent dans le milieu ils ont tendance à aller travailler là mais on ne verra pas quelqu’un qui habite en ville aller travailler dans un site éloigné ». (CI_7)

Un deuxième élément mis de l’avant en lien avec l’attraction des ressources humaines concerne les caractéristiques des postes offerts dans les différents sites. Ici deux éléments sont identifiés, le fait que les postes soient de jour, de soir ou de nuit, et le fait que les postes soient à temps plein ou à temps partiel. À ce sujet, les entrevues soulèvent le fait que les petits sites sont défavorisés, du fait de leur taille et de leur mission, lorsqu’ils tentent d’offrir des postes attrayants pour les employés. A contrario, plusieurs gestionnaires affirment que l’hôpital est fortement avantagé du fait qu’il soit plus facile d’y obtenir un poste à temps plein. Dans l’extrait suivant, une directrice explique bien cette situation :

« Il y a une migration de personnel qui était dans les CLSC qui sont allés appliquer sur des postes à l’hôpital parce que, moi je pense, dans un hôpital c’est plus facile d’ouvrir des postes à temps complet, même sur l’équipe volante, parce que tu dis si une journée elle est de trop sur un département je la prends et je l’envoie à l’autre. Dans la communauté, si tu ouvres un poste à temps complet à [village] et qu’on est en surplus, tu n’as pas la même mobilité, tu ne peux pas dire à ton employé, ce matin tu ne travailleras pas ici tu vas aller travailler 25km plus loin ». (DIR_2)

Ainsi, plusieurs gestionnaires font face à des mouvements de main-d’œuvre sur lesquels ils n’ont que peu d’emprise, ces derniers n’étant, dans bien des cas, pas en mesure de modifier les caractéristiques des postes de leurs subordonnés. Encore une fois, ce qu’il faut retenir de cette situation, c’est qu’un des sites de l’organisation est en mesure, de par ses caractéristiques, d’accéder plus facilement aux ressources de l’organisation.

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5.1.4.2.3 Les mesures de contrôle de leur travail

La majorité des cadres intermédiaires rencontrés soulèvent l’importance qu’ont prise les cibles de gestion ainsi que les mesures d’évaluation des résultats. Il convient de rappeler que les ententes de gestion n’ont pas été mises en œuvre avec la réforme. Cependant, la création du CSSS#1 a permis de dédier des ressources spécifiquement pour l’évaluation et le suivi des résultats. Rappelons aussi qu’une des particularités du CSSS #1 est qu’on y retrouve un secteur responsable des mesures et du suivi des résultats.

Nous avons déjà présenté le fonctionnement du secteur responsable de l’évaluation et du suivi des résultats (voir section 5.1.4.1.3). La manière dont ces évaluations des résultats sont présentées aux gestionnaires de l’organisation nous est apparue extrêmement révélatrice quant à l’évolution des conditions dans lesquelles les cadres intermédiaires exercent leur travail. Dans l’extrait suivant, on constate que les indicateurs et les résultats prennent de plus en plus d’importance lorsque vient le temps de démontrer la pertinence, ou la non-pertinence, de certains services ou de certains secteurs.

« C’est un outil de gestion, si on veut développer, si on n’a pas de chiffres là, vous avez beau demander des ressources, si selon les chiffres vous avez moins d’interventions et que vous dites que vous êtes débordé, on ne vous croira pas là. Ce n’est pas un outil de contrôle c’est un outil pour s’en servir pour faire du développement ou revoir nos façons de faire ».

En ce sens, ces mesures ont un impact sur la nature du travail des gestionnaires. Si elles ne sont pas présentées comme des moyens de contrôle, il n’en demeure pas moins qu’elles orientent le travail des gestionnaires.

« Dans le fond ça donne du sens aux actions des gestionnaires et ça cible les résultats à atteindre aussi, les gestionnaires ne partent plus des projets tout azimut. Si on fait quelque chose, on sait pourquoi on le fait. Il faudrait que les gestionnaires puissent répondre aux questions suivantes : pourquoi tu fais ça ? Comment tu vas le faire ? C’est quoi l’impact que tu vas avoir dans l’organisation ? Comment tu vas le mesurer ? Tout le monde est obligé de faire ça ».

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Au travers des rencontres avec les gestionnaires, à propos de leurs résultats, on cherche à faire évoluer le rôle joué par ceux-ci dans le CSSS#1. L’extrait suivant est révélateur en ce sens.

« Jamais on ne posait la question de la pertinence des services avant la création du CSSS. Par exemple, dans tel secteur, ces services-là, est-ce qu’ils sont encore pertinents ? Là on commence à se poser des questions. Par exemple, ces services-là, est-ce qu’on va les garder ? On regarde par les chiffres et on est en mesure de dire que ce n’est pas très rentable ce secteur là parce qu’on n’a pas beaucoup de clientèle. Est-ce que, pour les coûts que ça demande, on continue à donner le service ? Il va y avoir des décisions à un moment donné qu’il va falloir prendre et jamais auparavant on aurait osé faire ça, jamais, toute demande de la part de la clientèle on devait y répondre, parce qu’on avait les moyens, on avait les ressources et on avait les moyens mais là il faut vraiment cibler ».

Les cadres intermédiaires que nous avons rencontrés observent une augmentation de l’importance accordée à l’évaluation des résultats de leur secteur. Entre autres, les cadres intermédiaires rapportent que de plus en plus de statistiques à propos du secteur dont ils ont la charge sont disponibles et leur sont communiquées. Ces informations sont souvent en lien avec des cibles à atteindre. Bien souvent ces cibles découlent des ententes de gestion, mais elles peuvent aussi être en lien avec des objectifs organisationnels. Les cadres intermédiaires sont conscients du fait que ces informations peuvent être utilisées afin de valider la « qualité » de leur travail. Par exemple, ce gestionnaire explique devoir justifier certaines mesures à son directeur. Il explique :

« On nous a donné accès à des choses dernièrement, là je vais avoir accès à tout ce qui est le kilométrage fait par mon personnel, toutes mes heures supplémentaires, les heures accumulées, je vais avoir accès à plein d’information que je n’avais pas avant […] En bout de ligne toutes les informations sont cumulées et après j’ai un rapport qui sort, que ma directrice voit, et là elle va me dire : « tu as un débordement de kilométrage ce mois-ci », par exemple, alors là elle va me demander de le justifier probablement. Il faut que j’aie les réponses ». (CI_9)

Il nous paraît cependant important de préciser que les cadres intermédiaires rencontrés ne remettent pas en question ces façons de procéder. Ils considèrent que le fait de devoir justifier l’atteinte ou non de cibles et le fait que leurs résultats soient évalués fait partie du rôle de gestionnaire. À ce propos, un des cadres intermédiaires dit : « Moi l’imputabilité je n’ai pas de

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problème avec ça ». (CI_4) Un autre affirme : « moi ça ne me fait pas peur, je suis à l’aise avec ça ». (CI_9)

Certains cadres intermédiaires soulèvent cependant le fait que les conditions dans lesquelles ils exercent leur travail ne leur permettent pas nécessairement d’être en mesure d’atteindre les cibles fixées. Par exemple, un des gestionnaires que nous avons rencontrés explique que le fait de devoir superviser des employés sur plusieurs sites rend difficile la justification du temps supplémentaire effectué par ces derniers. Il explique :

« Alors là, la direction a commencé avec des indicateurs tels que les heures supplémentaires, mais encore là quand tu entres dans les heures supplémentaires, est-ce que ce sont des heures supplémentaires nécessaires ? Ce n’est pas toujours évident à justifier. Par exemple, présentement nous sommes dans une période où il y a beaucoup de travail, nous avons des patients qui demandent beaucoup d’assistance alors mes infirmières elles ne peuvent pas dire « il est 3 heures on ferme et je m’en vais ». Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Si l’infirmière fait une heure de plus, c’est justifié, bon ça c’est correct. Mais la direction, ils veulent vraiment aller en profondeur là. Si j’ai 300 heures supplémentaires dans le mois, je dois justifier les 300 heures. Moi je ne suis pas toujours ici parce que j’ai plusieurs sites. Alors il y a des semaines où mes heures je les gère à distance, je ne parle pas à mon monde […] Alors si on me demande des comptes à rendre et des indicateurs et des ci et des ça, moi je vais pédaler, à un moment donné je vais trouver ça difficile ». (CI_9)

Dans le même sens, un autre cadre intermédiaire soulève le fait que le grand nombre d’employés supervisés rend difficile l’atteinte de certains objectifs.

« Présentement on a des cibles qui disent que l’on doit évaluer notre personnel, la cible précise qu’on doit évaluer tant d’employés par année, mais quand tu en a un grand nombre à évaluer, en théorie ça se peut, mais le problème c’est qu’il faut que tu aies du temps pour commencer à les évaluer, présentement j’ai assez d’affaires à faire que je n’ai même pas le temps de faire le basique, comment je pourrais, en plus, évaluer mes employés ? ». (CI_12)

Certains cadres intermédiaires soulèvent le fait que ce ne sont pas eux qui identifient les cibles qu’ils doivent atteindre. Ces cibles proviennent de la direction du CSSS ou encore de l’Agence de santé et de services sociaux de la région. Ces cadres intermédiaires mettent de l’avant le fait que les cibles provenant de cette dernière peuvent être irréalistes ou en contradiction avec d’autres cibles.

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Un autre élément important que nous avons remarqué lors des entrevues est que les cibles à atteindre ne semblent pas avoir le même effet coercitif sur tous les cadres intermédiaires. Ceci est particulièrement vrai pour les cibles organisationnelles, telles que le nombre d’heures supplémentaires ou l’équilibre budgétaire. Alors que les gestionnaires œuvrant dans les missions CLSC et CHSLD semblent n’avoir que très peu de marge de manœuvre, ceux du centre hospitalier semblent en mesure de relativiser l’importance des objectifs à atteindre. L’extrait suivant représente bien le discours des gestionnaires œuvrant à l’hôpital.

« Les cibles, c’est sûr qu’il y a des cibles qui sont réalisables, mais il y a aussi des cibles que l’on n’est pas capable d’atteindre. Moi j’ai des cibles, par exemple, on me dit il faut que mon budget balance à la fin de l’année, mais là regarde, moi le temps supplémentaire je ne peux rien faire là-dessus, si ça me prend six infirmières et qu’il m’en manque trois, j’en paie trois en temps supplémentaire, qu’est-ce que tu veux que je fasse de plus que ça ? ». (CI_12)

Plus loin dans l’entrevue il ajoute :

« À la limite si vous pensez que quelqu’un pourrait faire mieux que moi, mettez en un autre. Moi si j’ai besoin de cinq infirmières en supplémentaire j’en ai besoin de cinq, qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je n’irai pas travailler sur le plancher à leur place ». (CI_12)

Malgré la possibilité que l’effet coercitif des cibles ne soit pas le même pour tous les secteurs, il n’en demeure pas moins que l’importance donnée à la mesure et à l’évaluation des résultats a une influence certaine sur la nature du travail des cadres intermédiaires.

Plusieurs cadres intermédiaires soulignent que beaucoup d’énergie et d’efforts sont mobilisés afin de trouver les moyens d’atteindre les cibles. En ce sens, la communication des résultats n’est qu’une étape d’un processus beaucoup plus complexe. Une fois les résultats communiqués, les gestionnaires doivent chercher à comprendre ce qui explique qu’ils atteignent ou non leurs cibles.

« Moi juste pour prendre un exemple, ma cible, dans un certain programme c’est de donner des services à 555 personnes par année et là j’en dessers 1000. Alors selon l’Agence, j’en ai 445 en trop. À partir de là, moi je dois essayer de savoir pourquoi j’en dessers 1000. Alors là je reprends toutes les demandes de services et je regarde, est-ce qu’on les a mal évaluées? Est-ce que les patients

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dont on s’occupe devraient être rencontrés par des intervenants dans un autre programme ou est-ce qu’ils sont vraiment dans le bon programme? Alors ça c’est ardu comme travail de reprendre les 1000 demandes de service ». (CI_5)

Cette analyse peut évidemment amener les gestionnaires à essayer de modifier les façons de faire de leurs subordonnés. En ce sens, les gestionnaires doivent jouer le rôle « d’analyste » de l’efficience des pratiques cliniques de leurs subordonnés.

« Moi au début, quand j’ai eu mes chiffres, je me disais ça n’a pas de bon sens. Et c’est là que je me suis mis en mode analyse. J’ai dit ok, on a tel type de service sur notre territoire, j’ai tant de clients dans la dernière année qui ne sont plus dans mon programme, ensuite de ça j’ai analysé les pratiques, je me suis rendu compte aussi que la définition des soins avait changé, avant on codait tel profil de telle manière et là on le code différemment et les intervenants ne savaient pas cette donnée-là, donc ce qui faisait qu’on perdait ces informations-là, parce qu’ils ne codaient pas bien. Alors je vous dirais que ça nous a amené à faire du ménage ». (CI_11)

Ce dernier extrait soulève le fait que l’importance donnée à la mesure et à l’évaluation des résultats a aussi des impacts sur le rapport qu’ont les gestionnaires avec les employés sous leur supervision. En effet, cela amène les gestionnaires à adopter un rôle d’éducation de leurs subordonnés quant à l’importance d’atteindre les cibles.

« Ce qui aide c’est de sensibiliser nos équipes à ça, parce que ce sont nos meilleurs, je dirais, nos meilleurs partenaires pour arriver à un équilibre budgétaire […] ce qui fait qu’une fille quand elle me demande congé, on les a éduqués. Je leur demande est-ce que j’ai besoin de te remplacer ou on est capable de répartir le travail sur tes collègues ? Alors je vous dirais 90 % du temps, quand ce sont des journées à la pièce comme ça, je ne les remplace pas, alors je fais une économie là, alors je dis aux filles le jour où vous allez être dans le rush et que ça va vous prendre une personne de plus je vais avoir les sous pour vous dépanner ». (CI_11).

L’extrait précédent nous paraît intéressant, car il illustre à la fois le rôle de « gardien des ressources » joué par le cadre intermédiaire afin d’arriver à atteindre leurs cibles, mais aussi l’impact de ces cibles sur le terrain.

En terminant, nous tenons à souligner que les gestionnaires rencontrés considèrent que l’évaluation et le suivi de leurs résultats font partie de leur rôle. Certains y voient d’ailleurs

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une augmentation des informations nécessaires à la « saine gestion » de leur secteur. Qui plus est, ces gestionnaires n’y voient pas une priorisation des aspects managériaux au détriment des aspects cliniques. L’extrait suivant est représentatif en ce sens.

« Moi je pense que ça fait partie de mon travail, oui j’ai à cœur mon côté clinique, j’ai d’abord une offre de services à donner, ça c’est ce qui est prioritaire pour moi […] j’ai à cœur de garder mes soins, de qualité, sécuritaires, mais en même je pense que, oui on a peut-être plus à cœur de, je ne pense pas qu’on néglige l’aspect clinique mais on est plus soucieux quand on le fait, on sait comment on le fait, dans le sens que, du fait qu’on a nos données budgétaires, qu’on est à jour dans nos chiffres, on connaît notre marge de manœuvre, donc on reste imputable de notre budget et en même temps on est capable de répondre aux besoins qui sont sur le plancher ». (CI_11)

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5.2 Le CSSS#2

5.2.1 Description des gestionnaires rencontrés et opinions à l’égard de la réforme

Parmi les vingt-six gestionnaires que nous avons rencontrés dans le CSSS#2, douze travaillaient, avant la réforme, dans les anciennes organisations composant aujourd’hui le CSSS#2. Plus spécifiquement, quatre des huit directeurs rencontrés proviennent de ces anciennes organisations. Deux y occupaient des postes de direction, un y occupait un poste de cadre intermédiaire et un y travaillait en tant que professionnel soignant. Les quatre autres directeurs proviennent de l’extérieur du CSSS#2 et ont accédé à leur poste dans la période ayant suivi la défusion d’un des sites du CSSS#2 (voir 5.2.3). Avant d’accéder à leurs postes dans le CSSS#2, ils occupaient tous des postes de direction dans d’autres organisations du réseau de la santé et des services sociaux.

En ce qui à trait aux cadres intermédiaires, huit proviennent des anciennes organisations. Six avaient des postes de cadre intermédiaire et deux travaillaient, jusqu’à récemment, en tant que professionnels cliniques. Quatre occupaient avant la réforme des postes de gestion dans d’autres organisations du secteur de la santé et des services sociaux que celles composant aujourd’hui le CSSS#2.

Les formations académiques des gestionnaires rencontrés sont multiples. Nous avons cependant remarqué, comme dans le cas du CSSS#1, un lien entre les secteurs sous la responsabilité des gestionnaires et la formation de ces derniers. Ainsi, pour ce qui est des directeurs, ceux ayant la responsabilité de directions cliniques ont tous des formations de professionnels soignants auxquels se sont ajoutés, sauf pour un directeur, des formations en administration des affaires, principalement des maîtrises. En ce qui a trait aux quatre directeurs qui sont à la tête de directions conseil, trois ont des formations universitaires de premier cycle en administration des affaires auxquels s’ajoute, pour un directeur, une formation en relations industrielles. Le dernier directeur a une formation d’ingénieur à laquelle s’est ajoutée une formation de deuxième cycle universitaire en administration des affaires.

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Il en est de même pour les cadres intermédiaires. Les neuf qui œuvrent dans des secteurs cliniques ont tous des formations de professionnels soignants. Ajoutons que quatre d’entre eux ont suivi des formations en gestion.

Tous les directeurs du CSSS#2 disent avoir vu arriver la réforme d’un bon œil. Pour les directeurs responsables de directions cliniques, la réforme était perçue comme une bonne chose car elle allait permettre de créer des liens entre les organisations et, ce faisant, améliorer la qualité des services. Lors de son annonce, le jugement que portaient ces directeurs sur la réforme à venir n’était pas lié à une éventuelle modification de la nature de leur travail. Ils évaluaient le projet de réforme sous l’angle de la qualité des services aux patients.

« Je voyais ça positif, c’est pour ça que je suis resté dans le système et je me suis dit oui j’y crois. Je trouve que c’est bien intéressant parce qu’on va sortir des silos. La personne elle va avoir un service à un endroit et elle ne sera pas laissée à elle-même si elle doit aller dans un autre endroit, il y a quelqu’un qui va l’accompagner. On appelle ça la continuité des services, alors moi je trouvais ça bien intéressant cette façon-là de concevoir des services de santé ». (DIR_2)

De tous les cadres intermédiaires, seulement quatre affirment qu’ils regardaient le projet de réforme avec optimisme et enthousiasme. Ils affirment qu’ils partageaient totalement l’objectif de continuité des soins et qu’ils voyaient d’un bon œil l’obligation des créer des liens entre les CLSC, les CHSLD et les CH. Un de ceux-ci affirme :

« Au début j’étais contente, j’étais d’accord pour qu’il y ait un changement parce que je pensais qu’il fallait vraiment faire des choses par rapport à la clientèle, je me disais en créant cette réforme on va assurer un continuum pour les personnes ». (CI_8)

Cette opinion positive était accompagnée, pour certains, de quelques craintes. Par exemple, un cadre intermédiaire qui travaillait en CHSLD affirme qu’il trouvait que peu de place était laissée aux spécificités de chacun des sites. Un autre cadre, qui travaillait en CHSLD, raconte que s’il était totalement d’accord avec l’objectif de créer des liens entre les organisations, il

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était cependant inquiet quant à la possibilité que les budgets des CLSC et des CHSLD soient accaparés par le CH.

Si les directeurs responsables de directions soutien adhèrent à cette évaluation de la réforme en fonction de la qualité des services aux patients, ils mentionnent qu’ils évaluaient aussi le projet de réforme sous l’angle des possibilités administratives. Par exemple, un de ces directeurs mentionne qu’il considérait à l’époque que la réduction des unités d’accréditation syndicale et la décentralisation des négociations faisaient de la réforme un « moment historique » auquel il voulait prendre part. Un autre mentionne qu’au-delà de la qualité des services, la réforme permettrait de donner « le meilleur service, au meilleur endroit, au meilleur coût ». (DIR_6)

Malgré ce regard positif sur les changements à venir, deux directeurs mentionnent avoir vécu une certaine angoisse liée à l’incertitude quant à l’avenir. Un de ces directeurs explique :

« Là tu avais une nouvelle organisation qui arrivait, alors là tu te dis, je fais quoi ? Je m’en vais où ? Je vais finir comment ? Ça va être qui mon boss ? Moi j’étais habitué avec mon boss et ça allait bien. Là je vais avoir un nouveau boss, alors là tu te dis je m’en vais où avec ça ? ». (DIR_5)

Cette incertitude liée à la possibilité d’avoir un nouveau patron est partagée par un autre directeur. Ce dernier explique que la vision du nouveau directeur général aurait pu, dans un contexte de fusion, avantager une mission au détriment d’une autre. Il explique :

« Les inquiétudes elles étaient liées aux questions : ça va être qui le directeur général et ça va être quoi ses orientations et il va être comment ? Parce que, quand tu regroupes des établissements comme les nôtres, que tu as un hôpital, des CLSC et des CHSLD. Si tu as quelqu’un qui est «hospitalo-centriste» bien regarde, c’est bien de valeur mais les autres programmes vont passer en deuxième, même chose si tu as quelqu’un qui vient juste des CLSC et qui n’a pas plus d’ouverture sur les autres missions ». (DIR_3)

On retrouve ce type d’inquiétudes chez les cadres intermédiaires. Ainsi, l’inquiétude quant à la possibilité de voir les budgets de CLSC et de CHSLD être accaparés par le CH est à l’origine

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de l’opinion négative qu’avait un cadre œuvrant dans un CHSLD composant aujourd’hui le CSSS#2. Celui-ci mentionne qu’il était absolument contre la création du CSSS. Il explique :

« Nous, au CHSLD, on était contre. Et ça nous a été présenté comme une obligation et personne n’était pour ça à ce moment-là, y compris la direction […] Quand on nous a annoncé qu’on se fusionnait, là on nous a dit, « ça va être épouvantable, là vous allez voir ça va être différent, parce que là on va ramasser les dettes des hôpitaux » alors on ne voyait pas ça d’un bon œil du tout et là on se disait ça a pas d’allure parce que l’hôpital ça a rien à voir avec nous là, on ne pense pas pareil ».

5.2.2 Évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme

Lors des entrevues nous avons demandé aux gestionnaires de nous parler de l’évolution de leur travail suite à la mise en œuvre de la réforme. Tout comme dans le cas du CSSS#1, les réponses mises de l’avant par les directeurs et les cadres intermédiaires sont très différentes. Pour cette raison, nous présenterons les propos des directeurs et des cadres intermédiaires séparément.

5.2.2.1 Redéfinition du travail des directeurs

Lors des entrevues, il a été difficile pour les directeurs de définir clairement leur rôle et son évolution depuis la création du CSSS#2. Pourtant, il est clair pour les directeurs que leur rôle a connu une évolution importante. Cette évolution est liée à un période spécifique de l’élaboration du CSSS#2, période pendant laquelle plusieurs anciens directeurs ont quitté pour être remplacés par des directeurs provenant de l’extérieur (Voir section 5.2.3).

Il convient d’ailleurs de mentionner que le discours des nouveaux directeurs ayant accédé à leur poste après la création du CSSS nous est apparu particulièrement révélateur à ce sujet. Ceux-ci ont une perception négative des directeurs qu’ils ont remplacés et de leurs pratiques

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de gestion. Par exemple, lorsque l’on questionne un de ces directeurs sur la raison pour laquelle certains anciens directeurs ont quitté la nouvelle organisation, il répond :

« D’une part je pense que le changement de vision, l’augmentation de la rigueur dans la façon de gérer, de gérer les dossiers. Ça n’explique pas tout le monde non plus. Je pense qu’il y en a que ça a été des opportunités d’aller voir ailleurs. Mais je vais prendre l’ancien directeur [nomme un directeur] et son adjoint, je pense que ça ne cadrait pas dans notre vision, il n’y avait pas la rigueur souhaitée pour ce poste-là ». (DIR_7)

Un autre élément caractéristique du discours de ces « nouveaux » directeurs est que certains semblent considérer que leur rôle consistait, suite à leur embauche, à améliorer la performance de l’organisation.

« Quand je suis rentré moi je disais l’objectif c’est d’amener le CSSS à un autre niveau. C’est d’essayer d’être leader de quelque chose, d’essayer d’arrêter de jouer du hockey de rattrapage tout le temps et puis de se positionner sur notre territoire comme un joueur significatif et incontournable ». (DIR_7)

Plus précisément les nouveaux directeurs mentionnent qu’à leur arrivée, leur volonté était d’augmenter la rigueur de la gestion et de prendre un virage CSSS. Une grande importance est d’ailleurs accordée, dans le discours de tous les directeurs, à ce virage CSSS, ou pour reprendre une autre expression utilisée par les directeurs, à la vision CSSS. Cette dernière semble liée à l’intégration des anciennes organisations, et de leurs missions respectives, de manière à former une nouvelle organisation n’étant pas que la somme de ses parties.

Aux dires des directeurs, cette volonté d’intégration a d’abord donné une grande importance aux tâches administratives. En effet, l’intégration des anciennes organisations a nécessité, et nécessitait toujours au moment des entrevues, de questionner et de réfléchir aux pratiques des différents secteurs et de repenser les modes de coordination entre ces secteurs. Selon les directeurs, il s’agit là d’une facette importante de leur rôle dans le CSSS#2. Comme l’explique un nouveau directeur :

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« C’est qu’on a un rôle d’harmonisation, d’élaboration des politiques, des règles de gestion, pour que ce soit en cohérence et en équité dans l’ensemble de l’organisation ». (DIR_6)

Si la majorité des directeurs semblent à l’aise avec ce « nouveau » rôle, ou, à tout le moins, avec l’importance qui lui est donnée dans le CSSS#2, un directeur, en charge d’une direction clinique, qui était présent avant la création du CSSS#2, critique l’importance que prennent aujourd’hui les enjeux administratifs. Dans l’extrait suivant il exprime sa perception d’être loin de ce qu’il considère être la « vraie » raison d’être de l’organisation. Il dit :

« Il faut que je vous dise qu’en comité de direction, je trouve qu’on parle de beaucoup de choses, mais peu de la « vraie business » qui est notre clientèle. On est souvent dans les protocoles, dans les budgets, dans les équipements, dans les politiques, dans les façons de faire, mais la clientèle comme telle, je trouve qu’on est loin de notre clientèle ». (DIR_2)

L’entrevue menée avec ce directeur soulève une contradiction entre le rôle que voudrait jouer ce directeur et ce qu’il doit faire dans le CSSS#2. Dans l’extrait qui suit, il se définit avant d’affirmer qu’il ne peut, dans le CSSS#2, être le directeur qu’il voudrait être.

«Moi je suis une personne de [nomme une mission]. Je veux travailler avec les communautés, mais je n’ai pas le temps, je n’ai pas le temps de faire ce que j’aime faire. Et je suis pris dans la business de plein d’affaires, dans le fond, ce qui fait que je suis loin de ce que je voudrais faire vraiment ». (DIR_2)

L’extrait précédent ouvre la porte à un élément important caractérisant l’évolution de la nature du travail des directeurs, celui de la redéfinition de la culture de la nouvelle organisation. En effet, les directeurs se perçoivent aujourd’hui comme étant ceux qui doivent faciliter le changement de culture. Aux dires des directeurs, il s’agit d’amener tous les sites de l’organisation à adopter une culture commune, une culture CSSS.

« Mon rôle c’est aussi de faire en sorte qu’il y ait une transformation de culture. Parce qu’il faut comprendre aussi qu’il y a tout un changement de culture, on part d’installations qui fonctionnaient en silo, chacun était fonctionnel, chacun avait ses façons de faire, alors comment intégrer tout ça dans un CSSS ? […] je vois beaucoup mon rôle comme ça ». (DIR_5)

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La façon de réaliser ce changement de culture nous paraît significatif en ce qui à trait à la nature du travail des directeurs. Les nouveaux directeurs semblent avoir adopté des façons de faire propres à l’entreprise privée. Par exemple, dans l’extrait suivant, un des nouveaux directeurs nous parle de l’importance de l’élaboration de la mission du CSSS#2.

« Moi quand je suis arrivé, on a dit oui on a un CSSS mais il faut vraiment prendre notre virage CSSS et que l’intégration entre l’hôpital et l’hébergement et la communauté se fasse. À preuve que l’intégration ne s’était pas faite, quand je suis arrivé, notre mission, notre vision et nos valeurs n’avait pas été élaborés. Depuis 6 ans que le CSSS existait, il n’y avait pas de mission, de vision, ni de valeurs. Qui plus est, les principes de gestion n’existaient pas. Alors on créé tout ça. C’est plate que ça n’existe pas mais d’un autre côté moi j’avais une opportunité de le faire, de le « driver », de l’influencer directement parce que c’est nous autres qui « drivaient » le processus ». (DIR_7)

Ce qui nous semble particulièrement important à retenir ici, c’est que ce changement de culture implique aussi de changer la vision qu’ont les « anciens » directeurs de leur rôle et de l’organisation. Un des directeurs explique ce que doit être cette nouvelle « vision CSSS »:

« Il ne faut pas avoir juste une vision de notre direction, il faut vraiment avoir une vision CSSS et être capable de dire c’est toute notre clientèle […] il faut les voir comme notre population et tous nos programmes desservent notre population, alors il ne faut pas que je le vois juste comme mon programme ou son programme. Et c’est ça qu’il faut arriver à faire ». (DIR_3)

D’ailleurs, un des nouveaux directeurs mentionne que les distinctions identitaires entre directeurs s’atténuent avec le temps et avec l’arrivée de nouveaux directeurs. Selon lui, il y aurait de moins en moins de directeurs qui « représentent » une mission ou une direction. Dans l’extrait qui suit, un de ces nouveaux directeur, responsable d’une direction conseil, explique cette évolution. Pour ce faire, il raconte une anecdote dans laquelle il rappelle, lors d’une réunion, à un directeur clinique, qui était directeur avant la création du CSSS, qu’il doit se sentir responsable du budget de l’ensemble de l’organisation.

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« Au fur et à mesure que le comité de direction change ou évolue, je dirais que les différenciations entre missions s’atténuent. […] Comme le directeur [nomme une direction] des fois il va avoir un réflexe [nomme une mission]. Par exemple, l’autre fois, il dit en réunion « votre budget ». J’ai dit wo, c’est notre budget. Si toi tu es en équilibre dans ton budget, il faut que tu aides tes collègues car peut-être que l’an prochain ce sera l’inverse ». (DIR_7)

5.2.2.2 Le rôle des cadres intermédiaires selon les directeurs

Il convient de souligner que la réflexion des directeurs à propos du travail des cadres intermédiaires suite à la création du CSSS#2 porte principalement sur ceux faisant partie des directions cliniques. En effet, il semble que la nature du travail des cadres œuvrant dans les directions soutien n’ait pas été l’objet d’une évolution importante.

Si tous les directeurs affirment que le rôle des cadres intermédiaires est appelé à évoluer suite à la création du CSSS, ceux-ci ne partagent cependant pas la même vision de ce rôle. Certains admettent même que leur opinion sur le sujet n’est pas encore bien précise. Par exemple, lorsque questionné sur la signification des titres d’emploi des cadres intermédiaires de sa direction, un directeur en charge d’une direction clinique affirme, après réflexion, « je dois vous dire que les rôles de mes cadres intermédiaires ne sont pas si clairs que ça ». (DIR_2)

Un directeur en charge d’une direction programme soutien explique que cette ambiguïté s’explique par le fait que les attentes de l’organisation envers les cadres intermédiaires n’ont pas été définies depuis la création du CSSS#2. Il explique :

« On n’a pas nécessairement défini quelles étaient nos attentes par rapport aux gestionnaires. Par exemple, lorsqu’on va embaucher un gestionnaire, on sait qu’il va travailler dans un programme et qu’il va être responsable d’une équipe. Mais on ne définit pas c’est quoi nos attentes comme organisation. Et là tu as la direction financière qui va lui demander de gérer son budget et de faire des suivis, tu as la direction des ressources humaines qui va lui demander de faire des suivis sur l’absentéisme, sur le temps supplémentaire, sur les horaires de travail, et tout le monde va lui demander quelque chose, en plus des attentes que va avoir le directeur envers son cadre, alors au bout du compte il ne fait que répondre aux priorités de chacun ». (DIR_4)

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Pour un des directeurs, la redéfinition du rôle des cadres intermédiaires doit se faire avec les cadres intermédiaires. Pour lui, cette redéfinition est nécessaire et découle de la « détresse » des cadres intermédiaires.

« Je trouve ça difficile pour mes cadres intermédiaires. Là je vais faire une journée avec eux-autres au mois de juillet, parce que je ne veux pas non plus qu’ils y laissent leur peau et je sens que ça s’en va vers ça là. Ils sont vraiment à bout de souffle et là je veux qu’on passe une journée ensemble et qu’on voit comment, dans le fond, dans les rôles qui leurs sont désignés et qui sont attendus d’eux, comment ils voient ça. Et comment ils voient, dans le fond, les rôles qui peuvent être délégués à d’autres personnes, qu’est-ce qui est prioritaire, […] dans le fond, je veux les protéger d’une certaine façon parce que je vois qu’eux autres aussi trouvent ça très difficile et ils ne voient pas le moyen de s’en sortir ». (DIR_2)

Certains directeurs, principalement responsables de directions conseil, mentionnent clairement que les cadres intermédiaires doivent développer leurs compétences administratives. Un de ces directeurs affirme :

« Un poste de gestion ça n’a pas juste un volet, ça a pas juste le volet contenu, ça a le volet administratif, et il faut que ces gestionnaires-là s’approprient le volet administratif ». (DIR_6)

Il ajoute :

« C’est certain que les gestionnaires, ce que je constate, c’est qu’on prend beaucoup des gens de contenu, qu’on amène gestionnaires dans des postes de gestion, donc, ce qui est leur contenu là, le clinique, ça elle va se sentir bonne gestionnaire là-dedans, mais pour tout ce qui est GRH, finance et tout ça, c’est des gens qu’il faut supporter et aider à développer des habiletés et des fois, ils veulent et des fois ils se sentent moins habiles là-dedans ». (DIR_6).

On retrouve aussi cette opinion chez les directeurs responsables de directions cliniques. Un de ceux-ci explique que les cadres intermédiaires, doivent se distancer des préoccupations cliniques, du terrain. Il affirme : « on dirait qu’ils [les cadres intermédiaires] ont de la misère à s’élever au-dessus de la mêlée, ça leur tente encore de jouer ce rôle-là, d’être près de la clientèle, du terrain ». (DIR_2) Pour ce directeur, le cadre intermédiaire doit maintenant se

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distancier du terrain pour avoir une vision complète du programme dont il a la responsabilité et pour administrer celui-ci.

Plusieurs directeurs ont mentionné qu’il existe une différence dans les réactions et l’attitude des cadres intermédiaires qui étaient en poste avant la création du CSSS#2 et des nouveaux cadres intermédiaires. Selon ces directeurs, l’évolution de la nature du travail des cadres intermédiaires, à la suite de la création du CSSS#2, semble tellement importante qu’une nouvelle génération de cadres intermédiaires sera nécessaire afin d’y être à l’aise. À ce sujet, un des directeurs affirme :

« Il y a des gestionnaires qui étaient là avant la fusion et qui ont de la misère à s’adapter et qui « toughe la ride » mais d’un autre côté si on pose la question aux nouveaux gestionnaires qui les ont remplacés, je pense que la dynamique est différente ».

Ceci amène ce directeur à poser le constat que les cadres intermédiaires qui résistent à l’adoption d’un nouveau rôle ou qui ne sont pas satisfaits dans la nouvelle organisation, ne sont peut-être tout simplement pas à leur place et que de nouveaux cadres rempliront ce rôle. Il dit :

« C’est peut-être des gens qui ne sont pas nécessairement à leur place. Parce qu’effectivement, ça va peut-être prendre une génération de gestionnaire, le temps qu’il y ait un pivot complet. Parce que si on parle aux nouveaux cadres, je pense qu’ils trouvent ça intéressant et ils veulent que ça bouge et ils voient grand ».

5.2.2.3 Redéfinition du travail des cadres intermédiaires

La difficulté qu’ont les directeurs à préciser ce qu’est le rôle des cadres intermédiaires dans le CSSS se retrouve aussi dans le discours de certains cadres intermédiaires. Par exemple, un de ceux-ci avoue que la nature de son poste n’est pas très claire. Il explique :

« La fonction, le poste de coordonnateur, il n’est pas très, très bien défini non plus, est-ce clinique ou administratif ? C’est parce que la façon dont on

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présente le job, ce n’est pas purement clinique, c’est comme clinico- administratif, mais ce n’est pas clair ». (CI_1)

L’extrait précédent souligne que la réflexion des cadres intermédiaires quant à leur rôle s’articule autour du rapport « clinique vs administratif ». Les cadres intermédiaires constatent la prépondérance des préoccupations administratives sur les préoccupations cliniques depuis la création du CSSS#2. Dans l’extrait qui suit, un cadre intermédiaire, ayant connu l’avant-CSSS explique que la démarcation administratif/clinique n’était pas aussi importante dans les anciennes organisations.

«C’était plus facile à l’époque, je trouve qu’on n’avait pas à faire cette démarcation aussi radicale que ça entre la gestion et le clinique. Avant je pensais à ma clientèle, mais là en tant que gestionnaire il faut que je regarde mes finances là je ne peux pas… Mon cœur d’intervenante fait que j’ai envie de dire aux patients je vais aller te le faire ton souper… C’était beaucoup plus facile avant, mais maintenant c’est comme, je ne sais pas, je trouve, on s’éloigne, […] le sens du travail n’est pas le même. […] C’est très contradictoire parce que dans nos valeurs on dit de mettre les clients dans le centre de nos décisions et ce peu importe où je me trouve, que je sois directrice ou que je sois cadre intermédiaire, il ne faut pas que j’oublie mon client, mais ce n’est pas vrai que c’est ça qui se fait, le client c’est la dernière chose... ». (CI_8)

L’extrait précédent souligne le fait que si certains cadres intermédiaires sont à l’aise avec l’augmentation des aspects administratifs, cela est loin d’être le cas de la majorité. Plusieurs cadres intermédiaires affirment l’importance d’être près du terrain, près des employés et près des patients.

« Moi j’essaie de ne pas m’éloigner trop du terrain. Je sais que les attentes de ma directrice c’est vraiment que je m’occupe plus de l’administration, de l’analyse de la situation, des rapports et de ci et de ça, mais […] je trouve que je ferais une erreur de m’éloigner des ressources cliniques. Ce n’est pas moi qui va signer les dossiers des patients mais j’aime être au courant des situations qui se vivent sur le terrain, il me semble que ça me sert quand j’en parle dans les réunions de gestion, […] Ma directrice me disait à un moment donné « ah vous pouvez gérer à distance, ça ne demande pas absolument que vous voyez le personnel ». Non, non, et non, on ne gère pas de la même manière à distance ».

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Plusieurs cadres expriment trouver difficile de devoir s’éloigner des préoccupations cliniques. À ce propos, un cadre explique :

« Ici je ne suis pas proche des gens, je ne suis pas proche des résidents, je veux l’être mais je n’ai pas le temps, c’est gros, c’est trop vite, on est dans les bureaux, je ne suis pas sur les étages, ça, ça me manque. Les employés, je connais ceux qui étaient là il y a 10 ans mais les nouveaux je ne sais pas c’est qui, ça je trouve ça difficile ». (CI_10)

Dans l’entrevue il ajoute :

« Là je suis en train de devenir un vrai gestionnaire, [...] anciennement, même si j’avais le même titre d’emploi qu’aujourd’hui, j’allais encore faire des prises de sang, j’allais encore dépanner, j’étais une personne ressource, lorsque les employés n’étaient pas capables de faire un soin ils disaient « on va appeler [se nomme] ». J’étais plus une référence, mais j’étais encore pas mal sur le terrain. Là ici on ne me demande pas ben, ben.[…] c’est la partie difficile ». (CI_10)

Il est apparu clairement, lors des entrevues, que les cadres intermédiaires ont peu de moyens de remettre en cause l’évolution de leur rôle. Un seul cadre a mentionné avoir réussi à se créer une certaine « zone d’autonomie » dans laquelle il est en mesure de prendre ses distances avec les exigences venant de la direction. Il explique :

« J’aime la gestion, j’aime la relation avec les employés, j’aime leurs conflits, j’aime les régler, j’aime ça. J’aime ça ce que je peux leur apporter et les changements qu’on peut amener sur le département. Et c’est sûr que j’ai encore des difficultés avec la vision organisationnelle, mais je m’en tiens à mon département. Je suis un petit peu le marginal dans les façons de faire comparé aux autres. Souvent, moi je m’arrange bien avec ma gang et on fait des choses ensemble que des fois au niveau organisationnel ça passerait pas ».

Comme le dit le cadre intermédiaire de l’extrait précédent, sa situation est marginale si on la compare à celle de ses collègues. Il convient de préciser que ce gestionnaire est en charge d’une unité de soins, située à l’hôpital, ayant la réputation d’être un secteur difficile à gérer. Le fait que le secteur fonctionne bien depuis que ce gestionnaire est en place semble lui donner un certain pouvoir. Ce qui est loin d’être la situation de tous. En effet, ce qui ressort des entrevues, c’est que les cadres intermédiaires ont peu de moyens de résister à cette

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évolution de leur rôle. Une des options qui s’offre à eux est de redevenir des professionnels cliniques, de retourner sur le terrain. Cette option est soulevée par un cadre ayant accédé récemment, et par intérim, à un poste de cadre. Il dit :

« Au moins j’ai une opportunité, je peux toujours retourner sur mon poste parce que je suis là par intérim, je peux toujours décider la semaine prochaine de retourner sur mon poste. Mais, écoutez je continue, je vais trouver une façon de faire rouler un peu la boîte, du mieux que je peux, mais si à un moment donné, si tous mes efforts ne donnent rien, si ça continue de la même façon, je préfère retourner sur ma chaise ». (CI_1)

Cependant, cette option est difficilement réalisable pour les cadres en poste depuis plusieurs années. Les coûts associés à ce changement étant élevés. Un cadre, en poste depuis plusieurs années, explique :

«Ah oui j’y ai repensé à un moment donné là, de retourner sur le plancher […] Cependant, de revenir personnel soignant c’est très difficile, ceux que j’ai connus qui l’on fait ils n’avaient pas été cadres longtemps, ils ont postulé sur un poste cadre, 6 mois, un an, plus tard, maximum, ils revenaient. Mais ceux qui ont passé plusieurs années dans un poste cadre, c’est plus difficile parce que tu te sens moins compétent, je ne suis pas sûr que ça me tente de recommencer et c’est sûr aussi qu’il y a une réalité qui est que moi je travaille toujours de jour, si je retourne sur une unité de soins, je n’ai pas d’ancienneté, ça veut dire que je dois commencer de soir et de nuit, demain matin prendre un poste de soir à temps complet ou de nuit à temps complet, je ne suis pas sûr là ». (CI_7)

Une autre option est de chercher un emploi dans une autre organisation. C’est d’ailleurs l’option qu’a choisie un des cadres que nous avons rencontrés. Il explique :

« Moi je suis en recherche d’emploi. Mon patron le sait, je suis en recherche d’emploi active. Parce que c’est difficile ». (CI_11)

Dans le même sens, un cadre intermédiaire explique que les difficultés que lui et ses collègues vivent actuellement s’expliquent peut-être par le fait qu’ils ont connu « l’avant CSSS ». En ce sens, ce cadre émet l’hypothèse que les nouveaux gestionnaires seront peut-être à l’aise dans

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le rôle qu’ils doivent jouer en CSSS ainsi que dans les conditions d’exercice spécifiques à cette organisation. Il dit :

« Quand ça va être tous de nouveaux gestionnaires qui vont entrer dans cette façon de gérer qui est celle des CSSS, ils n’auront pas connu ce que nous on a connu dans le passé, alors je pense que ça va être plus facile pour les nouveaux gestionnaires qui vont entrer dans ce tourbillon-là. Moi personnellement ce qui me tue souvent, c’est qu’on est des gestionnaires mais la raison pour laquelle on entre dans le réseau de la santé c’est pour la clientèle. Et là je me dis quand les nouveaux gestionnaires vont arriver, est-ce qu’ils vont arriver dans cette perspective-là ? Est-ce qu’ils vont dire « regarde je suis gestionnaire et s’il y a un client qui est en train de mourir dans son lit là, ben regarde, s’il n’y a pas de place, il n’y a pas de place, et c’est tout ».

5.2.3 L’élaboration de la structure organisationnelle du CSSS#2

Les discours présentés précédemment soulignent l’importance de l’influence exercée par les caractéristiques de la structure organisationnelle du CSSS ainsi que par les conditions d’exercice qui y sont propres. Dans ce contexte, nous présenterons maintenant le point de vue des gestionnaires sur la mise en place de la structure du CSSS#2.

Suite à la création du CSSS#2, la responsabilité de l’élaboration de la nouvelle structure organisationnelle a été confiée au directeur général de l’époque. Les cadres intermédiaires n’ont été que peu, sinon pas du tout impliqués dans ce processus. Aux dires de ceux-ci, ce sont les directeurs qui sont à l’origine des choix qui ont été effectués.

Les directeurs qui étaient présents à ce moment considèrent qu’un des objectifs du directeur général était alors de ne pas bouleverser le fonctionnement des anciennes organisations. Les premiers changements structurels ne remettaient donc pas en question de manière radicale les structures existantes. Comme l’explique un de ces directeurs :

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«Je pense qu’à l’époque, il y avait un souci de préserver une qualité de service et en ce sens le directeur général a essayé de s’assurer que les gens restent à leur place pour ne pas les déranger d’endroit. Par exemple, moi, je suis resté avec un poste similaire sauf que dans le nouveau CSSS j’étais responsable des plusieurs sites au lieu d’un ». (DIR_2)

Il convient de préciser que les directeurs disent avoir été peu impliqués dans les réflexions ayant mené au premier organigramme de la nouvelle organisation. Selon les propos des directeurs ayant obtenu leur poste à ce moment, l’accès aux postes s’est fait suite à des demandes en ce sens de la part du directeur général. Dans l’extrait suivant un directeur raconte de quelle manière ont été attribués les nouveaux postes de direction suite à la création du CSSS#2.

« L’organigramme, ça s’est fait à ce moment-là, en fait c’est le directeur général, le directeur général de l’époque, il nous a proposé un organigramme et puis, dans le fond, il ne voulait pas bousculer les choses. Il nous disait « toi tu es confortable avec le type de poste que tu occupes, veux-tu continuer ? » Et c’est la même chose pour les autres postes de directeurs ». (DIR_2)

Une fois les postes de direction comblés, les directeurs se sont vus confier la responsabilité de l’élaboration de la structure de leur direction. Encore une fois, il semble que les cadres intermédiaires n’aient été que peu, sinon pas du tout, impliqués dans ce processus. Aux dires des directeurs, l’élaboration de la structure de leur direction représentait une responsabilité importante.

« C’est qu’à ce moment-là la direction n’existait pas. Tu avais des gens qui provenaient de toutes sortes de directions et de toutes sortes de sites et qui étaient regroupés dans une nouvelle direction. Et là, toi comme directeur, il faut que tu ramasses ça et que tu essaies de faire une structure, […] Là c’est toi qui mène la barque dans ce secteur là et tu n’as pas vraiment de support. Tu pars, tu es directeur et tout le monde t’attend au bout de la table. Alors moi je suis partie avec la notion de services à la clientèle et j’ai essayé de définir une couple d’attentes et de définir une structure ». (DIR_5)

Aux dires des directeurs qui ont obtenu leur poste à ce moment, il appert que l’enjeu principal orientant l’élaboration de la nouvelle structure était d’en arriver à augmenter les liens entre les

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établissements. Plus spécifiquement, pour les directeurs à la tête de directions cliniques, il s’agissait de réfléchir à la possibilité de créer des continuums de soins.

« Alors à ce moment-là la question c’était : qu’est-ce que moi je veux pour mon programme […] Pour être capable de faire le lien avec les autres et d’avoir un continuum ». (DIR_3)

Un évènement marquant : la défusion d’un des sites

Tous les gestionnaires rencontrés ont pointé du doigt un évènement ayant eu une influence déterminante dans l’évolution de la structure du CSSS#2. Il s’agit de la défusion d’un des sites. Il convient de préciser que dans sa première version, le CSSS#2 devait compter un site de plus, cependant, il est apparu que la cohabitation entre les sites fusionnés était impossible et, suite à une période de tension importante, ce site a retrouvé son autonomie59. Aux dires de tous les directeurs, le départ de ce site représente un moment charnière devant être pris en compte afin de comprendre les caractéristiques spécifiques de la structure du CSSS#2.

D’abord, cet événement a entraîné des mouvements de main-d’œuvre importants au niveau des directeurs. Une des caractéristiques des directeurs actuels du CSSS#2 est que peu de ceux- ci avaient des postes de direction dans les anciennes organisations composant aujourd’hui le CSSS#2.

Qui plus est, cette période se caractérise par une réflexion en profondeur à propos des modes de fonctionnement et de la structure organisationnelle. Selon les directeurs, un des constats importants fait à ce moment est que l’organisation ne fonctionnait pas par programmes. C’est à dire que le fonctionnement de l’organisation se faisait encore par site et donc, qu’il y avait peu de transversalité.

59 De manière à conserver la confidentialité de l’organisation, nous tairons le type d’établissement ayant quitté le CSSS#2. Pour les mêmes raisons, nous ne présenterons pas les raisons précises ayant mené au départ de cet établissement.

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« On s’est consultés là-dedans, et on a réfléchi et on s’est dit, dans le fond on ne travaille pas vraiment par programmes nous autres, il faut vraiment fonctionner par programmes ». (DIR_2)

Concrètement, la volonté de structurer l’organisation par programmes signifie que chacune des directions a vu ses responsabilités être recentrées vers son champ d’expertise. Ceci est vrai pour les directions cliniques, dont la responsabilité est limitée à l’organisation des soins de santé et des services sociaux, ainsi que pour les directions conseil, ces dernières étant maintenant responsables de toutes les questions autres que cliniques.

Un des changements qui permet d’illustrer la volonté de l’équipe de direction de structurer l’organisation par programmes est la redistribution de la responsabilité des cuisines du CSSS#2. Lors de la création du CSSS#2, les cuisines des centres d’hébergement étaient sous la responsabilité des gestionnaires en charge de chacun des CHSLD. Ces derniers faisaient partie d’une direction clinique. Il a alors été décidé de redistribuer la responsabilité des cuisines en fonction d’une structure par programmes. Ainsi, la responsabilité de l’ensemble des cuisines a été transférée à une direction conseil. Un des directeurs ayant été impliqués dans ce changement explique sa réflexion de l’époque.

« Moi dans ma direction, à l’origine, on avait tous les services alimentaires, production, distribution, nutrition. Quand on a décidé de fonctionner par programmes, on s’est dit moi je suis un programme clinique, donc je ne devrais pas faire de la production et de la distribution de nourriture […] la production des recettes et la distribution des chariots ce n’est pas du clinique, alors ça ne devrait pas faire partie d’une direction programme clinique, alors ça va s’en aller dans une direction soutien ».

Cet exemple illustre bien une des caractéristiques importantes du CSSS#2, le fait qu’il y ait une grande rigidité dans l’élaboration de la structure par programmes.

Au-delà de la volonté de structurer l’organisation par programmes, plusieurs autres facteurs ont été identifiés comme ayant influencé la réflexion des directeurs quant à la structure. En ce sens, le budget disponible a été pointé du doigt par plusieurs directeurs. Le choix du nombre de directions composant le CSSS#2 et donc du nombre de directeurs, semble avoir été

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influencé par la nécessité d’améliorer l’état des finances de l’organisation. Comme l’explique un directeur :

«En 2007 on a procédé à un exercice de redressement budgétaire et ça a occasionné une diminution du nombre de directeurs, alors c’est pour ça que j’ai autant de programmes dans ma direction ». (DIR_2)

Ainsi, la volonté de diminuer les dépenses du CSSS#2 est à l’origine d’une diminution du nombre de directions. Un directeur explique que dans la première version du CSSS#2 on retrouvait une direction des communications. Suite à la révision de la structure organisationnelle cette dernière a été intégrée à la direction générale. De même, la direction de la santé physique et celle des soins infirmiers ont été fusionnées pour former une seule direction. Cette volonté de diminuer les coûts explique aussi, en partie, certaines caractéristiques de la structure d’encadrement intermédiaire. Dans l’extrait suivant, un directeur explique que les caractéristiques des postes occupés par les cadres intermédiaires de sa direction sont déterminées en partie par le budget disponible. Il dit :

« La raison pour laquelle il y a différents titres d’emplois au niveau des cadres intermédiaires c’est que je n’ai pas l’argent pour me payer des coordonnateurs de programme partout, c’est pour ça qu’il y en a pas. C’est aussi simple que ça, parce que sinon, si j’avais l’argent, je me paierais des postes de coordonnateur ». (DIR_2)

Un autre facteur expliquant la structure organisationnelle est la capacité d’attirer des candidats. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des directeurs. L’enjeu était de créer des postes attrayants, c'est-à-dire des postes offrant des salaires intéressants60. Dit autrement, les caractéristiques des directions du CSSS#2 découlent, entre autres d’une volonté d’augmenter les classes salariales des directeurs en charge de celles-ci. Dans l’extrait suivant, un directeur explicite sa réflexion à ce sujet :

60 Dans le réseau québécois de la santé et des services sociaux, le salaire versé au personnel cadre est réglementé et déterminé en fonction d’une série de caractéristiques telles que le nombre de programmes supervisés, le nombre d’employés supervisés, etc.

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« Moi je me dis que pour attirer des gens de calibre, si tu ne les paies pas, c’est plus difficile d’aller chercher des gens de calibre. Et dans notre cas, nous n’avons pas de levier sur le salaire qu’on donne aux individus parce que tout est réglementé, notre seul levier c’est de modifier le contenu des postes, c’est-à- dire de modifier le nombre de programmes composant les différentes directions, afin de démontrer au ministère que le poste vaut un certain salaire. Parce que les classes salariales sont attribuées par le ministère. Le ministère il regarde le contenu, le nombre de personnes qui s’y rapportent, la complexité de la tâche et ils disent c’est telle classe salariale. […] Par exemple, c’est clair que le « core business » de la directrice du PPALV61 ce sont les CHSLD, mais une fois que tu as dit ça, est-ce qu’il y a d’autres programmes qu’on pourrait inclure dans sa direction pour bonifier sa classe salariale ? Dans le cas qui nous occupe, dans notre CSSS, on a beaucoup d’hébergement, alors il n’était pas nécessaire d’ajouter d’autres affaires. Mais c’est sûr que le programme de santé physique ce n’est pas très gros, et quand je suis arrivé, il y avait deux postes, directrice des soins infirmiers et directrice de la santé physique. L’opportunité s’est faite, on s’est assis et on a dit on va essayer de les combiner les deux ensemble et c’est ce qu’on a fait ».

Une structure toujours en évolution

La structure organisationnelle qui résultera des modifications suivant la défusion d’un des sites est composée de huit directions. C’est cette structure qui était en place au moment des entrevues. On y trouve, outre la direction générale, trois directions cliniques, soit une direction responsable du programme perte d’autonomie liée au vieillissement, une direction responsable du programme santé dans la communauté et une direction responsable à la fois des soins infirmiers et du programme santé physique. On y retrouve aussi trois directions soutien administratif et technique, à savoir une direction des ressources humaines, une direction des services financiers et une direction des services techniques. Finalement, on y retrouve une direction des services professionnels.

Il faut dire que si plusieurs changements ont depuis été apportés à la structure du CSSS#2, ceux-ci n’ont pas modifié le nombre de directions mais plutôt la composition de ces dernières. Face à ces changements, les cadres intermédiaires semblent être dans une position de

61 Programme Perte d’Autonomie Liée au Vieillissement

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spectateurs. Ils ne sont pas à l’origine de ces changements, pas plus qu’ils ne sont impliqués dans le processus décisionnel.

La volonté de diminuer les coûts représente une préoccupation importante influençant les décisions prises par les directeurs quant à la structure de leur direction. C’est donc dire que les directeurs essaient de modifier la structure de leur direction et l’organisation du travail qui en découle, de manière à maximiser l’utilisation des ressources financières à leur disponibilité.

« Les modifications viennent souvent via des enjeux financiers. On fait des comparaisons avec d’autres sites, on compare les coûts, et on regarde la vétusté des équipements, et on se dit est-ce qu’il y aurait pas moyen de faire autrement ? ». (DIR_5)

Cependant, aux dires des directeurs, la préoccupation première est toujours la recherche de transversalité entre les sites et les soins. Un des directeurs nous explique que les obstacles actuels à la transversalité ne sont plus les frontières des sites mais bien les frontières des différents programmes.

« Maintenant, c’est drôle, c’est comme le contraire, on travaille trop par programmes, on s’est fait des silos par programmes. […] C’est parce qu’on n’a pas créé assez d’arrimages entre les programmes. Chacun travaille dans ses programmes alors on travaille beaucoup par silo ». (DIR_2)

Le regard que portent les cadres intermédiaires sur ces changements nous paraît représentatif de leur faible implication dans le processus décisionnel. Ceux-ci soulèvent plusieurs critiques et suggestions à l’égard de la structure organisationnelle. Cependant, ils affirment que dans la majorité des cas leurs doléances ne trouvent pas écho auprès des directeurs. Parmi les cadres intermédiaires que nous avons rencontrés, un seul explique avoir réussi à faire modifier la structure de postes du secteur sous sa responsabilité. Ce dernier a été en mesure de faire ajouter un poste d’adjoint pour le soutenir dans l’exercice de ses fonctions. Cependant, pour arriver à faire accepter cet ajout, ce cadre a dû menacer de démissionner. Il raconte :

« Finalement j’ai dit à la direction, écoutez, je m’en vais et je me suis trouvé un autre travail ailleurs, dans un autre CSSS et c’est fini, moi je ne peux plus

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aller voir mes filles et endosser des choses qui n’ont pas de bon sens […] je sais qu’il y aurait des façons de faire et vous ne voulez juste pas alors moi je ne suis plus capable, je m’en vais. […] et là, la direction générale a demandé à me rencontrer, j’ai rencontré le directeur général en face à face et il m’a dit « qu’est-ce qui se passe? ». Alors j’ai tout expliqué, j’avais bien préparé mes affaires et il m’a dit « c’est quoi les moyens que tu vois ? » J’ai dit c’est ça, ça, ça, et je pense que c’est ça qu’il faut faire. Alors, ils ont accepté. Ils ont fini par accepter […] ça a été quand même long avant que le changement soit réalisé mais je savais que ça s’en venait. J’ai dit si je ne l’ai pas, c’est sûr là que je m’en vais ».

La réflexion des cadres intermédiaires à propos de la création des continuums est aussi extrêmement intéressante et démontre leur faible implication dans le processus décisionnel à propos de la structure organisationnelle. Selon certains, l’objectif de créer des continuums est tellement important pour les directeurs qu’il est quasi impossible de remettre en question les décisions qui sont prises en son nom. Par exemple, un des cadres intermédiaires que nous avons rencontrés questionne la pertinence de faire partie d’une certaine direction clinique. Ce cadre, qui est en charge d’une unité située à l’hôpital, fait maintenant partie d’une direction composée majoritairement de services associés au CLSC. Ce cadre mentionne qu’il comprend que la logique derrière ce choix est qu’il devrait, en théorie, faire des liens avec ses collègues en CLSC, cependant, il affirme que sur le terrain, la réalité est plus complexe. Surtout, il explique entrevoir très peu d’ouverture face à ses demandes car celles-ci remettent en question un continuum de soins. Il explique :

« Il y avait un désir, de la part de la direction, d’enlever les frontières, les directeurs disaient qu’on travaillait trop par silo, par installation. Le désir était tellement grand de défaire ça, et c’était tellement un objectif important, que c’est devenu comme une idéologie, le fait de dire « il faut briser toutes les barrières, alors on va briser même les frontières des sites, heille c’est astucieux on va même briser les frontières de l’hôpital ». […] Mais la direction, eux autres, ils ont tellement pensé à ce qu’ils pourraient faire pour créer des continuums, ils sont tellement fiers de leur nouvelle structure, que je ne suis pas capable d’argumenter là-dessus ».

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5.2.3.1 Redéfinition des unités d’accréditation syndicale et négociation des conventions collectives locales

Une des mesures qui était imposée par la réforme et qui devait faciliter la mise en place du CSSS est la redéfinition des unités d’accréditation et la décentralisation de la négociation des conventions collectives (Voir section 1.2.2). La responsabilité de mener à bien ces dernières a été confiée au directeur des ressources humaines du CSSS#2. Les autres membres de l’équipe de direction qui étaient en poste à l’époque affirment qu’ils étaient informés du déroulement des négociations par le directeur des ressources humaines lors des réunions du comité de direction. Il semble aussi que ces réunions aient été l’occasion pour les directeurs de commenter le contenu des négociations et de donner leur opinion.

« Oui, j’ai donné mon opinion au directeur des ressources humaines de l’époque, oui, oui. Il [le directeur des ressources humaines] revenait tout le temps en comité de direction et on était informé du déroulement des négociations et on donnait nos commentaires et lui il repartait avec ça ». (DIR_3)

Aux dires des directeurs en charge de direction cliniques, les préoccupations en ce qui a trait au contenu des futures conventions collectives portaient principalement sur l’organisation du travail qu’elles permettraient de mettre en place. Un de ces directeurs affirme :

« Oui, on a eu des rencontres là-dessus, nous on disait que ce serait bien qu’il y ait une flexibilité au niveau des ressources humaines. À l’époque on était en train de former des programmes alors on se disait que ce serait bien qu’il y ait une flexibilité à l’intérieur des programmes. Il y avait aussi des enjeux en lien avec les employés sur appel. Oui, on a pu s’exprimer là-dessus ». (DIR_2)

Il nous paraît intéressant de souligner que les préoccupations, en ce qui a trait au contenu des futures conventions collectives, n’étaient pas les mêmes pour tous les directeurs. Un directeur responsable d’une direction soutien mentionne qu’il considérait que sa responsabilité, lors des

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discussions avec le directeur des ressources humaines, consistait à s’assurer que les mesures négociées soient à coût nul62.

« Ce qui était négocié était ramené au comité de direction et si jamais ils n’étaient pas venus me voir avant, pour que je confirme qu’il n’y a pas d’impact financier à ces mesures, eh bien au comité de direction j’aurais dû lever la main et dire attendez on va juste vérifier s’il y a des impacts financiers».

Outre le personnel cadre de la direction des ressources humaines, certains cadres intermédiaires ont été appelés à faire partie du groupe des représentants patronaux aux tables de négociations locales. Il nous paraît important de souligner que ces cadres intermédiaires étaient désignés, entre autres, afin de représenter et de mettre de l’avant la réalité d’une mission. C’est donc dire qu’à chacune des tables de négociation, on cherchait à avoir des cadres intermédiaires représentant les trois missions du CSSS#2. Dans l’extrait suivant, un des cadres intermédiaires explique comment il en est venu à participer aux négociations locales.

« Moi j’ai participé aux négociations locales, j’étais à la table des infirmières. […] En fait, on m’avait demandé de participer. Le principe était qu’ils essayaient de mettre un représentant de chaque mission à la table. Autant du côté patronal que du côté syndical. Moi je représentais, à ce moment-là, l’hébergement, c’est ma directrice qui m’avait choisie ».

Lors des négociations, il semble que l’enjeu principal ait été celui de la mobilité du personnel. Il s’agissait, entre autre, d’essayer de redéfinir les notions de centre d’activités de manière à permettre aux gestionnaires de déplacer les employés en fonction des besoins de l’organisation. Un des cadres intermédiaires ayant participé à la négociation affirme :

« Un des gros enjeux c’était la mobilité du personnel. Ça c’était gros ça. Ça a été une part importante de la négociation ». (CI_4)

62 Rappelons que parmi les règles encadrant le déroulement des négociations locales, il y avait l’obligation que les mesures contenues dans les conventions collectives n’entraînent aucun coût supplémentaire. (Voir section 1.2.2).

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Au-delà de l’objectif d’augmenter la mobilité, ce gestionnaire mentionne que la négociation a principalement consisté à harmoniser ou, selon ses termes, à « fusionner » les différentes conventions collectives existantes, ainsi que les diverses ententes locales, tout en essayant de maintenir des articles spécifiques aux différentes missions. Il explique :

« J’étais sur la table de négociation quand on a fait les nouvelles négociations locales […] on a essayé de fusionner les conventions qui existaient, autant celles de CHSLD, de CLSC et de l’hôpital, on a essayé de garder les éléments spécifiques et il y avait des éléments qui se ressemblaient d’un endroit à l’autre alors on a essayé de les garder ». (CI_4)

Des résultats décevants

La majorité des gestionnaires rencontrés ne considèrent pas que la redéfinition des unités d’accréditations et la décentralisation des négociations soient des éléments ayant des incidences positives sur leur travail quotidien. À propos de la redéfinition des unités d’accréditation syndicale, un des cadres intermédiaires rencontrés affirme :

« Moi je ne peux pas dire que j’ai vu de grosses différences avec ça. Parce que de toute façon, qu’ils soient quatre ou dix-huit, il faut quand même que tu ailles leur parler, […] je veux dire, s’il faut que tu les rencontres, que ce soit pour discuter d’un préposé aux bénéficiaires ou d’une infirmière, il faut que tu les rencontres pareil. Même si c’est une autre accréditation, il faut que tu lui parles pareil aux représentants » (CI_2).

Plusieurs semblent considérer qu’il s’agit d’une mesure qui touche principalement la direction des ressources humaines. Cet extrait d’une entrevue avec un cadre intermédiaire œuvrant dans une direction programme services nous paraît représentatif de cette perception.

« Écoute, le fait d’avoir juste, je pense que c’est quatre catégories qu’il y a là, c’est sûr que ça simplifie beaucoup les choses mais plus pour les gens des ressources humaines parce qu’ils gèrent, c’est plus eux autres qui les gèrent directement, nous autres on est rarement impliqués directement avec quelqu’un du syndicat, est-ce que ça simplifie ? Je ne suis pas sûr ». (CI_7)

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Ainsi, s’ils regardent cette mesure d’un bon œil, c’est que les cadres intermédiaires font l’hypothèse qu’elle facilite le travail de la direction des ressources humaines. Cette perception est d’ailleurs partagée par certains directeurs. Un de ceux-ci affirme :

« C’est plus facile dans un sens parce que tu as seulement quatre interlocuteurs. Pour l’équipe des ressources humaines c’est bien moins exigeant d’en avoir moins ». (DIR_7)

En ce qui a trait à la perception des gestionnaires du CSSS#2 quant aux retombées des négociations locales, celle-ci est plutôt négative. Par exemple, un des directeurs en charge d’une direction conseil, qui n’était pas à l’emploi de l’organisation lors des négociations, porte un jugement très dur à propos du contenu des conventions collectives locales. Il affirme :

« Ici je n’ai pas l’impression qu’ils avaient des objectifs précis lors de la négociation et le résultat de ça c’est qu’on est pas mal sur le statu quo du statu quo. Ça veut donc dire qu’on a intégré dans notre convention collective les arrangements locaux qu’on avait avant et c’est tout, on n’est pas allé plus loin que ça. […] moi je pense que la direction des ressources humaines a manqué de courage, ou alors on n’avait pas d’idée où on voulait aller, je ne pourrais pas te dire ». (DIR_4)

Ce jugement négatif à propos du contenu des conventions collectives locales est partagé par plusieurs gestionnaires du CSSS#2. À ce propos, un cadre intermédiaire œuvrant dans une direction clinique affirme :

« Dans les nouvelles conventions collectives, ce qu’ils ont fait, c’est qu’ils ont fait du copier-coller avec avant. Il y avait une opportunité pour faire du changement mais l’opportunité elle n’a pas décollé à nulle part […] alors on vit dans du copier-coller, c’est comme les conventions collectives et les arrangements locaux qu’on avait avant, sans plus ». (CI_6)

Plusieurs explications sont mises de l’avant par les gestionnaires du CSSS#2 pour expliquer les résultats des négociations locales. Un cadre intermédiaire œuvrant dans une direction clinique et ayant participé aux négociations mentionne qu’il a été difficile d’élaborer des articles de conventions collectives s’appliquant également dans toutes les missions du CSSS.

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« Je pense qu’on a quand même fait quelque chose de bien mais je crois qu’il faut encore aujourd’hui pouvoir faire des ententes particulières parce que ce n’est pas la même réalité partout, dans toutes les missions ». (CI_4)

D’autres gestionnaires mettent en doute l’influence réelle des acteurs locaux, syndicaux et patronaux, lors du processus de négociation. À ce propos, il est clair, pour un des directeurs rencontrés, que ce sont les organisations syndicales nationales qui décidaient des positions défendues par les comités de négociation des syndicats locaux. Il affirme :

« Décentraliser la négociation c’est une illusion ça Monsieur ! Il n’y a rien de décentralisé, tout se décide pareil au provincial, là ce qu’on a fait c’est qu’on est parti de, je ne sais pas moi, 25 conventions collectives et on a réduit ça à quatre groupes, mais le niveau local là, moi je regarde pour les infirmières, ils ne décident rien, ça se négocie à la FIQ provinciale, il y a personne qui bouge au local tant qu’ils ne se font pas dire « allez-y » par le provincial ». (DIR_1)

Cet autre directeur va dans le même sens mais précise que ce phénomène n’était pas propre à la partie syndicale. Selon lui, les équipes de direction des CSSS se partageaient des informations, étaient tous à l’affut de ce qui se passait dans les autres CSSS et avaient des liens avec le ministère.

« On a 26 items qui sont négociés localement, en fait, négociés localement, je dirais que le mot est peut-être un peu grand. C’était négocié localement mais il y avait beaucoup d’échanges qui se faisaient d’un CSSS à l’autre et avec Québec aussi, alors ce n’était pas totalement déconnecté, totalement indépendant ». (DIR_7)

Un des cadres intermédiaires rencontrés va encore plus loin dans la remise en question du pouvoir des acteurs locaux de la négociation et affirme croire que les résultats des négociations ont été décidés à l’extérieur des CSSS. Il affirme :

« Moi je n’ai pas été sur la table, je sais qu’il y en a qui sont allés là, mais moi je pense que ça c’est toujours pipé ces affaires-là ». (CI_7)

Dans un autre ordre d’idée, plusieurs gestionnaires ont mentionné qu’il est difficile d’évaluer les conséquences des négociations locales en tenant compte uniquement du contenu des conventions collectives qui en ont résulté. Pour ces gestionnaires, l’attitude des représentants

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syndicaux et la relation qu’ils entretiennent avec ceux-ci sont des éléments tout aussi déterminants, en ce qui à trait à leur capacité à modifier l’organisation du travail de leurs subordonnés, que les articles des différentes conventions collectives. Selon ces gestionnaires, la redéfinition des unités d’accréditations et la décentralisation des négociations ont entraîné une formalisation des relations du travail et une rigidité dans l’application des conventions collectives, ce qui diminue leur capacité à modifier l’organisation du travail. À ce propos, un cadre intermédiaire explique :

« À propos des ressources humaines et des conventions collectives, avant là, dans le secteur dont j’avais la responsabilité, on était comme dans une gestion familiale si tu veux, on avait une tonne d’accréditations syndicales mais on s’entendait bien, il y avait une courtoisie et un savoir-vivre, on s’entraidait. Par exemple, à un moment donné, les conventions collectives disaient qu’il ne pouvait pas y avoir plus d’un ergothérapeute à la fois qui pouvait partir en vacances. Mais on avait quatre ergothérapeutes qui avaient des enfants, et les vacances des enfants c’est juste juillet et août. Alors je me suis dit, on va essayer d’arranger ça pour qu’il n’y ait jamais plus de deux filles en vacances en même temps et j’ai dit aux ergo « quand vous êtes en vacances, vous vous couvrez ». On a fait une entente à l’amiable, ce n’était pas écrit nulle part mais elles étaient d’accord avec ça et elles étaient contentes d’avoir leurs vacances et elles se couvraient et ça fonctionnait. Mais là, aujourd’hui ils sont tellement stricts avec les conventions collectives que si on fait un arrangement pour quelqu’un il faut le faire à l’autre, il faut le faire à l’autre et à l’autre, alors ce n’est plus convivial, c’est devenu rigide, c’est devenu que je ne peux pas te faire une faveur parce que si je t’en fais une à toi je suis obligé de le faire à tout le monde. Alors maintenant on a juste quatre unités d’accréditation, mais c’est rigide alors je trouve qu’on est pogné ».

Dans le même sens, un directeur explique :

« Il y a aussi la question de savoir c’est qui le gestionnaire qui est là. Regarde là, il y a des lois mais le gestionnaire qui est là a une influence aussi. Et ça dépend aussi des gens du syndicat. Par exemple, avant le CSSS, on pouvait faire des projets pilotes sans problème […] moi je dis quand il y a eu le CSSS, écoutez ça a été difficile dernièrement de partir des projets pilotes, par exemple, on voulait essayer de mettre en place des quarts de 12 heures pour les infirmières, implanter les fins de semaine aux trois semaines, on a eu de la difficulté à faire des projets pilotes parce que le syndicat était peut-être pas aussi ouvert qu’il le disait. On a fini par le faire, mais ça a été long, moi je te dirais qu’avant, dans les sites où j’étais gestionnaire, on l’aurait fait facilement, alors je ne peux pas te dire si c’est plus facile aujourd’hui ou pas,

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moi je pense qu’il faut prendre en compte les gens qui sont là de part et d’autre aussi ». (DIR_3)

Un autre directeur ajoute qu’il ne faut pas croire qu’il n’y avait aucune marge de manœuvre avant que les négociations des conventions collectives soient décentralisées.

« Il y en avait déjà des négociations locales. Est-ce que ça a donné de la marge de manœuvre ? Moi je pense que ça dépend des relations avec le syndicat, plus que ce qui est écrit dans la convention. Ça dépend de la volonté de chacun d’aller vers une recherche de solutions ». (DIR_6)

Finalement, quelques gestionnaires soulèvent un autre élément pouvant expliquer le jugement sévère porté à l’endroit des conventions collectives locales. Ceux-ci soulignent que l’objectif qui était au cœur des négociations, à savoir l’augmentation de la mobilité des ressources humaines, est plus complexe qu’il n’y paraît. Ces derniers nuancent le discours mettant uniquement de l’avant les aspects positifs de l’augmentation de la mobilité. À ce propos, un directeur explique :

« Si tu brasses trop ton monde, en les déplaçant d’un site à l’autre, ils vont aller voir ailleurs. Il ne faut pas oublier qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre, si tu ne mets pas des conditions intéressantes pour le personnel ils vont s’en aller, et on le sait, un faible pourcentage d’individus veulent se promener sur différentes unités, les gens aiment la stabilité, alors si tu joues trop « heavy » sur ça, même si tu as le droit, le climat de travail devient moyennement intéressant ». (DIR_7)

Cette position est d’ailleurs partagée par un des cadres intermédiaires ayant participé aux négociations. Il explique :

« moi je n’étais pas nécessairement d’accord avec la mobilité à tout prix, effectivement, je trouve que c’est démobilisant de ne pas savoir où tu vas travailler. Le port d’attache il est très important. Et pour le sentiment d’appartenance, quand on veut retenir notre personnel il faut développer le sentiment d’appartenance, si je les envoie partout, je ne développe pas un sentiment d’appartenance. Mais la direction tenait à ce que les infirmières bougent, elle tenait à avoir cette latitude-là. Alors il fallait faire avaler ça au syndicat ». (CI_4)

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Des modifications à venir ?

Malgré le fait que les résultats des négociations locales ne soient pas, selon certains gestionnaires, à la hauteur de ce qu’elles auraient pu être, cela ne signifie pas pour autant qu’elles soient considérées comme inutiles. Pour certains, cette mesure permettra d’apporter des modifications dans le futur. Un cadre intermédiaire explique :

« Est-ce qu’on a vraiment utilisé au maximum l’entente locale ? Ça je pense qu’on n’est pas rendu là encore. Ça ne fait pas assez longtemps, […] avant on était très encadré avec des normes, là on sait qu’on peut avoir un peu plus de latitude et là on commence à oser. Par exemple ici, on vient de commencer des quarts de 12 heures. On commence à utiliser ces ententes locales-là qui vont appartenir à chaque CSSS et non à l’ensemble du Québec, je pense qu’il faut nous laisser le temps. Moi je pense que ça va être positif […] Ce qui arrivait avant c’est qu’on n’était pas capable de se créer des particularités propres à chaque établissement. Ici on fait des arrangements d’horaires. Par l’entente locale on est capable de faire ça ici. Avant on n’aurait pas pu faire ça. Maintenant on est capable de s’adapter à ce que les employés veulent le plus ». (CI_13)

Dans le même ordre d’idée, un directeur, à la tête d’une direction conseil, explique qu’avec la décentralisation des conventions collectives, les organisations ont maintenant le pouvoir d’en modifier le contenu. Pour y arriver, il s’agit de démontrer au syndicat, ou de convaincre les employés, du bienfait des mesures proposées. Pour ce directeur, il est clair que cette situation modifie la relation patronale/syndicale. Dans l’extrait suivant, il explique qu’il est prêt, dans le futur, à apporter des modifications à l’organisation du travail qui permettraient de répondre à des demandes de certains employés, ou à des besoins de l’organisation, mais qui iraient à l’encontre de la volonté des syndicats locaux et des conventions collectives. L’objectif de cette stratégie étant d’amener les employés bénéficiant de ces mesures à mettre de la pression sur le syndicat pour que celui accepte de modifier les conventions collectives locales.

« Ah oui, la décentralisation est une bonne chose. […] Pour moi ça va avoir des impacts dans le futur. Si on regarde l’organisation ici, je suis pris un petit peu avec le statu quo. C’est sûr que moi ce que je souhaite faire c’est qu’à toute les fois que j’ai l’occasion d’ouvrir une brèche et de revoir des choses je vais le faire et on a plein, plein, plein d’exemples ». (DIR_4)

202

5.2.4 Les conditions d’exercice influençant le travail des gestionnaires

5.2.4.1 Les conditions d’exercice des directeurs

5.2.4.1.1 La taille de l’organisation

Pour les directeurs rencontrés, le fait de travailler dans un CSSS signifie devoir travailler dans une organisation imposante, en terme de nombre de sites, d’employés et de programmes. Il s’agit là, surtout pour les directeurs ayant connu « l’avant-CSSS », d’un changement important. Comme l’explique un de ces directeurs :

« Avant la création du CSSS le service dont j’étais responsable rentrait au complet au deuxième étage de [nomme un site], j’avais le deuxième étage et ça finissait là. Alors c’est un méchant changement aujourd’hui de me retrouver sur plusieurs sites ». (DIR_2)

Un deuxième directeur ayant connu « l’avant CSSS » explique :

« Tout a changé dans la façon de faire. Tout est plus gros, tout est plus lent, tu ne peux plus faire comme avant, il faut toujours que tu te poses la question quand tu fais un « move » ou quand tu fais quelque chose. Tu dois toujours te demander lequel de mes collègues ça va toucher, lequel de ses services ça va influencer. […] avant tu avais deux établissements, tu prenais ta décision, tu la mettais en application, il y avait pas tant de monde à rencontrer et ça allait vite ». (DIR_3)

Aux dires des directeurs qui travaillaient dans les anciennes organisations, la taille de la nouvelle organisation a des impacts directs sur leur charge de travail. Ces directeurs soulèvent la « lourdeur » de leur travail dans le CSSS#2. Un de ceux-ci affirme: « C’est clair que c’est lourd, c’est énormément plus lourd que c’était ». (DIR_3) Un autre mentionne : « c’est cette lourdeur-là, cette charge de travail-là qui est excessive ». (DIR_2).

Un autre élément ayant une incidence sur le temps de travail des directeurs est la nécessité de se déplacer entre les sites du CSSS#2. Un des directeurs explique :

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« Dans le fond on a grossi nos programmes, on a grossi nos responsabilités, et aussi le fait de se déplacer entre les sites ça a des conséquences. Moi il faut que je me déplace d’un CLSC à l’autre, il faut aussi que je me déplace dans le réseau parce que j’ai des rencontres partout. Alors dans le fond ça fait que je me déplace beaucoup, beaucoup, et ça amène une lourdeur ». (DIR_2)

Un des directeurs qui était présent avant la création du CSSS mentionne que la taille de l’organisation a imposé la mise en place d’une structure organisationnelle qui contribue à alourdir la tâche des gestionnaires. Dans l’extrait suivant, ce directeur soulève l’hypothèse selon laquelle le nombre de niveaux hiérarchiques du CSSS#2 aurait pour effet de ralentir le fonctionnement de l’organisation.

« On met énormément de temps juste à attendre des réponses et à courir après quelque chose qui allait de soi anciennement ou qui devrait aller de soi, et sûrement que vous l’entendez dans d’autres CSSS aussi, je pense que c’est le mal des CSSS, c’est, je ne sais pas c’est quoi qui ralentit la machine de même, je ne sais pas. Trop de paliers ? Je ne sais pas ». (DIR_3)

Au-delà de l’augmentation de la charge de travail, les directeurs mentionnent que ces caractéristiques, propres à la nouvelle organisation, ont des impacts directs sur la nature de leur travail.

D’abord, le nombre de sites supervisés ainsi que l’éloignement entre ces sites modifient la relation qu’entretiennent les directeurs avec leurs subordonnés. Un directeur soulève le fait que la création du CSSS a entraîné un éloignement de ses subordonnés.

« Avant la création du CSSS c’était, mon Dieu, c’était plus simple je pense. C’était plus simple parce que pour les intervenants, ils voyaient leur patron, avant la création du CSSS, je partais avec mon sac de réglisse et j’allais m’assoir dans les bureaux pour manger une réglisse avec un intervenant et un autre. J’avais l’impression qu’on formait une famille, que c’était encore possible de contenir tout ça, et on n’a plus ça maintenant et je trouve qu’on perd un peu l’essence, on perd un peu l’âme, et c’est ce que les intervenants vont vous dire, c’est qu’on ne sait plus qui est notre boss, on les voit pas nos boss, ça je trouve ça difficile de pas pouvoir avoir un rapport un peu plus près avec eux ». (DIR_2)

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Cet éloignement est aussi mentionné par un directeur n’ayant pas connu l’avant CSSS. Celui- ci soulève les efforts qu’il doit faire afin de garder contact avec les employés sous sa direction œuvrant dans d’autres sites que le sien.

« Je pense que c’est plus facile de donner du support aux employés qui sont à proximité, donc il faut faire attention lorsque des employés sont dans des sites éloignés de nous, pour qu’ils sentent qu’ils ne sont pas tous seuls, qu’ils ne sont pas pris tous seuls avec leurs affaires. Parce que les employés qui sont sur le même site que moi, ils viennent souvent dans mon bureau, ça ne me dérange pas, mais à un moment donné, moi, il faut que je prenne le téléphone, il faut que je fasse les efforts pour contacter les employés sur les autre sites pour ne pas qu’ils se sentent tous seuls ». (DIR_1)

Dans le même ordre d’idée, un directeur ayant connu l’avant-CSSS mentionne que la taille de la nouvelle organisation amène les directeurs à s’éloigner des préoccupations terrains. Cet éloignement ne découle pas d’un choix des directeurs mais de la taille du CSSS#2.

« C’est plus loin du terrain, tu ne peux plus faire les choses de la même façon parce que tu ne survivras pas, même si on fait des cinquante ou soixante heures par semaine, ou presque là, il faut se détacher un peu […] Regarde là, moi dans le temps, avant la création du CSSS, je connaissais le nom des 200 résidents du CHSLD ou à peu près. Aujourd’hui, dans le CSSS, il y a cinq centres d’hébergement, je ne connais même plus le nom des employés ».

5.2.4.1.2 La composition de l’organisation

Les directeurs rencontrés soulèvent le fait que la composition de l’organisation a des incidences sur l’exercice de leur travail. Pour le dire simplement, la fusion de plusieurs sites ayant des missions différentes a entraîné une redéfinition des rapports de pouvoir entre les acteurs associés à ces sites ou à ces missions. À ce propos, deux éléments ont été soulevés par les directeurs. D’abord, l’obligation de mettre en place une structure par programmes a redéfini la nature du travail des directeurs. Deuxièmement, il semble que les différentes missions, bien qu’elles fassent maintenant toutes partie de la même organisation, ne soient pas égales lorsque vient le temps de prioriser l’allocation des ressources.

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La structure par programme : à chacun sa spécialité !

Nous avons déjà mentionné que la composition des directions du CSSS#2 découle d’une application que nous qualifions de « rigide » de l’organisation par programmes. Il s’agit là d’une caractéristique importante afin de comprendre la dynamique entre les directeurs du CSSS#2. En effet, la structure par programme entraîne une spécialisation des directions, ces dernières étant appelées à se concentrer sur leur champ d’expertise. Les impacts de cette spécialisation ne sont pas les mêmes pour toutes les directions. Si certaines voient leurs responsabilités augmenter, d’autres voient des responsabilités qui leur étaient anciennement dévolues être fragmentées et redistribuées à d’autres directions. Pour certains directeurs, cette situation est dans l’ordre des choses. Il est normal, dans une grande organisation, que les responsabilités soient redistribuées en fonction de « champs d’expertise ». C’est ce qu’exprime un directeur en charge d’une direction conseil, n’ayant pas connu « l’avant- CSSS », dans l’extrait suivant :

« C’est sûr qu’en fusionnant tu as une organisation de taille plus grande. Règle générale quand tu as une organisation plus grande tu segmentes davantage les rôles et les responsabilités. Tu fragmentes les responsabilités en fonction des champs d’expertise. Si la personne qui est responsable des soins a cinq ou même huit fois plus de soins à s’occuper, elle en a déjà plein son casque de s’occuper juste des soins, donc les questions d’ordre technique elles n’ont pas à monter jusqu’aux directeurs cliniques. Les cadres intermédiaires, ils vont faire monter ces préoccupations-là dans l’autre canal, vers la direction des services techniques par exemple, là où ils ont l’expertise ». (DIR_7)

Cette spécialisation des directions représente pour plusieurs un changement important, principalement pour les directeurs qui œuvraient, avant la création du CSSS#2, dans les CLSC et les CHSLD. Au sein de ces organisations on ne retrouvait pas nécessairement de frontières aussi strictes en fonction de l’expertise de chacun. Rappelons que pour illustrer ce changement, nous avons présenté précédemment l’exemple des services alimentaires du CSSS#2. Suite au transfert de la responsabilité des services alimentaires d’une direction clinique à une direction conseil, un directeur :

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« Moi j’ai une augmentation des plaintes à propos de la nourriture, c’est sûr, c’est sûr, mais je n’en veux pas au gestionnaire qui est à la cuisine là, lui là, il fait partie d’une autre direction maintenant et cette direction-là elle lui dit qu’il doit arriver avec un certain budget. Alors lui quand il regarde le menu, il va couper. Alors qu’anciennement le directeur du CHSLD pouvait dire, pour améliorer le milieu de vie, je décide de mettre plus d’argent dans les cuisines. C’est ça. C’était ça dans plusieurs sites d’hébergement, c’était ça ».

L’exemple précédent est intéressant car il illustre bien ce que vivent les directeurs qui étaient anciennement en CLSC et en CHSLD. Ceux-ci ont vu plusieurs éléments, qui étaient anciennement sous leurs responsabilités, leur être enlevés et être redistribués aux directions conseil. Cette situation ne touche pas les directeurs qui étaient anciennement au centre hospitalier. En effet, on y retrouvait déjà, avant la création du CSSS#2, des directions soutien importantes.

La façon dont les directeurs en charge des directions soutien conçoivent leurs responsabilités nous permet d’approfondir notre compréhension de l’impact de cette spécialisation sur la dynamique qui existe entre les directeurs.

Les directeurs en charge de direction soutien considèrent que leur rôle est d’aider les autres gestionnaires du CSSS#2 à prendre les « bonnes » décisions. Il s’agit donc de leur donner la « bonne » information ou encore de les aider à définir leurs besoins « réels ». Ceci signifie que les directeurs responsables de direction soutien participent à la définition, mais aussi à la priorisation des besoins des autres gestionnaires du CSSS#2. Par exemple, dans l’extrait suivant, un directeur en charge d’une direction soutien explique ce qu’il fait lorsque sa direction reçoit une demande. Il explique :

« Nous on va demander au gestionnaire qui nous fait une demande, c’est quoi tes besoins ? […]. Si ça se tient comme c’est actuellement, pourquoi on investirait de l’argent là ? Justifie-moi pourquoi. […] Souvent, ils vont dire « je veux développer un programme », ok mais moi je vais demander as-tu de l’argent, as-tu ton budget de fonctionnement pour ton programme ? Moi comme directeur j’ai le droit de questionner ». (DIR_5)

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Retenons de cet extrait que le traitement des demandes provenant des clients, par les directions conseil, contribue à orienter l’allocation des ressources entre les secteurs du CSSS#2. Il en est de même avec un autre rôle joué par les directeurs conseil, celui de participer à l’uniformisation des pratiques dans le CSSS#2. Cette uniformisation a aussi un impact important sur l’allocation des ressources dans le CSSS#2. Par exemple, dans l’extrait suivant, un directeur explique sa vision de l’uniformisation des services d’hygiène et de salubrité, il dit :

« L’uniformisation de la notion de services ou du niveau de service, c’est qu’avant il y avait des niveaux de services, admettons en hygiène et salubrité, très haut à certains endroits et très bas à d’autres, alors là il faut qu’on « rebalance ça ». Il faut que les gens comprennent que l’hygiène et la salubrité à l’hôpital c’est peut-être un petit peu plus important qu’au CLSC ».

Encore une fois, cet extrait soulève le fait que l’action des directions soutien contribue à la priorisation des besoins dans le CSSS#2. Dans ce cas-ci, il ne s’agit pas uniquement d’uniformiser les pratiques liées à l’hygiène et à la salubrité mais de souligner l’importance de ces pratiques dans un site par rapport aux autres.

Redéfinition des rapports de pouvoir entre missions

La dynamique entre les directeurs du CSSS#2 s’articule, en partie, autour de la nécessité de prioriser l’allocation des ressources en fonction des besoins de chacune des directions dans un contexte de contraintes budgétaires. La majorité des directeurs du CSSS#2 ne considèrent pas cette priorisation sous l’angle du pouvoir des directeurs mais semblent plutôt chercher à réaliser une priorisation « objective » en fonction des besoins auxquels l’organisation doit répondre. En ce sens, ces directeurs ne se considèrent pas comme des représentants des missions que l’on retrouve dans leur direction.

« Ce que j’essaie de créer comme dynamique au comité de direction, c’est de considérer que ce sont nos intérêts, et que nous avons tous une responsabilité par rapport à ces intérêts. […] Au comité de direction, j’essaie de développer une dynamique dans laquelle les directeurs ne sont pas dans un mode

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« représentation » mais dans un mode « contribution », il ne s’agit pas de défendre sa mission mais de contribuer au succès du CSSS ». (DIR_7)

Un seul des directeurs rencontrés, à la tête d’une direction clinique, dont les programmes sont majoritairement associés à la mission CLSC, affirme que son rôle consiste, entre autres, à défendre sa direction et, plus spécifiquement, la mission CLSC. Pour ce directeur, cette défense signifie de mettre des efforts afin d’empêcher l’organisation de couper dans ses programmes. Il explique :

« Moi j’essaie de défendre mes programmes, j’essaie de les défendre parce que c’est justement ça qui est arrivé dans le passé, dans un de mes programmes on a coupé, on a coupé, on a coupé et à un moment donné, là j’ai comme compris que oups, ça ne marchait plus ».

Pour ce directeur, le besoin de défendre sa direction, et la mission CLSC, découle de la nécessité, dans le CSSS, de prioriser l’allocation des ressources. Cette priorisation implique de comparer des besoins dont la nature est différente. À ce propos, ce directeur souligne la difficulté de justifier l’importance des programmes liés à la mission CLSC par rapport aux programmes liés à la mission CH.

« Moi, dans ma direction, on ne répare pas. Donc c’est sûr que c’est plus difficile de démontrer les impacts de ce que l’on fait, quand je rencontre des collègues, les collègues qui sont comme moi, dans un CSSS dans lequel il y a un hôpital, on réalise que l’aspect médical, l’aspect curatif, ça prend beaucoup de place. […] Alors ça, je n’ai pas trouvé ça facile et je ne trouve pas ça facile encore, c’est aussi des chocs de culture, à savoir, les programmes de prévention, je pense qu’il faut en parler beaucoup pour qu’on en tienne compte dans nos décisions ».

Ce directeur ne remet pas en question la pertinence ou l’importance des besoins liés au centre hospitalier, le problème vient plutôt du fait de devoir choisir entre le curatif et le préventif.

« Je dirais que les comités de direction, ils sont beaucoup axés sur le curatif, effectivement, et ça ne peut pas être autrement, et je le comprends là, je ne le conteste pas, il y a une réalité qui est là. Par exemple, s’il y a de la moisissure dans les tuyaux de ventilation de la salle d’opération il faut toujours bien s’en occuper, et s’il manque tel instrument qui se trouve seulement à l’hôpital et qui coûte une fortune, comment on va faire ça ? Il y a beaucoup de ces préoccupations-là au comité de direction ».

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Il est important de souligner que la majorité des directeurs du CSSS#2 admettent que les aspects curatifs, liés au centre hospitalier, sont souvent plus faciles à prioriser. D’ailleurs, les directeurs ne voient pas comment il pourrait en être autrement.

« La question ce n’est pas de savoir s’il faut défendre notre direction par rapport aux autres, c’est que la priorité, c’est sûr, c’est sûr qu’il y a des éléments qui sont toujours prioritaires. Il n’y a pas de questions là-dessus. Regarde, s’il y a un scan qui brise à l’hôpital, ça va être la priorité là, même si tu attends des gants en hébergement, l’argent va aller au scan. Ils vont aller à la priorité, c’est clair ». (DIR_3)

Au-delà du caractère déchirant des décisions, il demeure que la majorité des directeurs affirment que dans le jeu de la priorisation tous les services du CSSS#2 ne sont pas égaux. Pour le dire simplement, les programmes associés à la mission CH sont souvent prioritaires.

« Effectivement, on reconnaît que le volet hospitalier est beaucoup plus demandant. […] Il est vrai que les aspects hospitaliers sont souvent plus urgents » (DIR_7).

5.2.4.1.3 L’importance des contraintes budgétaires

Un élément omniprésent dans le discours des directeurs est le caractère déterminant de la situation financière du CSSS#2. Il semble que celle-ci influence directement la nature du travail des directeurs.

À l’origine de cette situation financière contraignante, certains directeurs soulèvent d’abord la manière dont les budgets sont distribués par l’Agence de santé et de services sociaux de la région du CSSS#2. Ceux-ci affirment avoir peu de marge de manœuvre avec les budgets qu’ils reçoivent. Ils expliquent que l’Agence fait un suivi serré de la manière dont est dépensé l’argent.

« Il faut faire des statistiques pour démontrer qu’on fait des interventions pour l’argent qu’on reçoit, pour les intervenants qu’on paie ». (DIR_2)

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Un des directeurs affirme que ce contrôle de l’utilisation des fonds versés aux organisations est beaucoup plus important depuis la création du CSSS. Il affirme :

« Je dirais que les redditions de compte, depuis les CSSS, sont très serrées, avec l’Agence […] certains des budgets qui nous sont alloués sont dédiés, très, très dédiés ». (DIR_3)

D’ailleurs un des directeurs mentionne que le contrôle qu’exerce l’Agence sur le CSSS est une des modifications les plus importantes découlant de la réforme.

« Ce que ça a apporté cette réforme-là, moi je vais vous le dire, c’est plus de contrôle du MSSS et de l’Agence ». (DIR_1)

Parmi les mesures de contrôle imposées au CSSS#2, l’interdiction de faire des déficits semble aussi avoir des impacts importants. Il faut préciser que la situation financière du CSSS#2, pour des raisons difficiles à identifier à partir des discours des gestionnaires, est particulièrement difficile. À ce sujet, un des directeurs responsable d’une direction soutien ayant accédé à son poste suite à la création du CSSS explique :

« Quand je suis arrivé ici c’était un établissement qui avait X millions de déficit et il fallait ramener à l’équilibre budgétaire alors il a fallu travailler à retrouver de l’efficience dans certains secteurs d’activités […] alors le budget que les gestionnaires ont, il correspond à une efficience recherchée, c’est-à- dire qu’il est en lien avec des services à donner, en terme de nombre d’usagers, en terme de nombres d’interventions ». (DIR_6)

Cette nécessité de ne pas dépasser les budgets alloués a des impacts sur la dynamique interne. Par exemple, un directeur en charge d’une direction soutien explique que le budget d’entretien de l’ensemble des sites du CSSS#2 est alloué suite à une priorisation des besoins de tous les secteurs. Ceci implique que le comité de direction évalue et compare les besoins de chacun. Il explique :

« On essaie de dire aux gens, c’est quoi votre priorisation, c’est quoi la priorisation de vos besoins de 1 à 10. Avant ça allait bien, chaque CHSLD faisait sa propre liste, alors il disait moi j’ai un numéro 1 là, l’autre avait un

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autre numéro 1, là maintenant pour tout le CSSS tu as un seul numéro 1 pour l’ensemble, alors il faut comparer entre les sites » (DIR_5)

Ce que l’extrait précédent soulève, c’est que les conséquences des contraintes financières découlent aussi de la composition du CSSS#2 et que ces dernières influencent la dynamique inter directions. À ce sujet, un des directeurs à la tête d’une direction clinique, ayant connu « l’avant-CSSS », fait un lien direct entre la présence de l’hôpital et la situation financière précaire du CSSS#2. Lorsque nous lui demandons si la question budgétaire était aussi préoccupante avant la création du CSSS#2 il répond :

« Non, non, je suis obligé de parler de l’hôpital, c’est les hôpitaux qui coûtent cher, dans le fond, avant la réforme, les hôpitaux ils étaient en déficit, les CLSC n’étaient pas en déficit, les CHSLD non plus, mais là, vu qu’on est tous ensemble, les gens au début de la fusion ils disaient on se fait embarquer dans une affaire, il va falloir payer les déficits des hôpitaux, et c’est ça qui arrive ».

Pour ce directeur, la différence entre les établissements s’explique par la présence des médecins à l’hôpital mais aussi par des « façons de fonctionner » différentes entre les gestionnaires de CLSC et ceux de l’hôpital.

« Dans les CLSC on faisait très, très attention aux dépenses là, mon Dieu qu’on faisait attention aux dépenses. Et je le vois moi, dans les unités de soins, le matériel coûte cher et les médecins eux autres ils disent « tu me fournis le matériel que je veux ou je m’en vais ». Mais c’est ça qui coûte cher dans les hôpitaux. C’est le matériel, les équipements médicaux ça coûte une fortune. Et je le vois avec mes collègues gestionnaires, par exemple, pour le remplacement du personnel, si c’est tranquille sur l’unité, as-tu besoin de remplacer à tout prix ? On peut s’ajuster, si tu ne remplaces pas, tu fais des économies […] Mais il faut dire aussi que dans l’hôpital […] on dirait qu’il y a pas ce réflexe- là, de s’ajuster ».

Cette explication n’est pas partagée par tous. Bien qu’il ne remette pas en question le fait que les hôpitaux aient pu être en déficit avant la création du CSSS, un directeur conseil, n’ayant pas connu « l’avant-CSSS », explique cette situation par le fait que des patients qui auraient dû être traités par le CLSC se retrouvaient à l’hôpital. Il explique :

« Parce que le CLSC quand il avait son surplus là, l’hôpital faisait un déficit parce que le CLSC il ne prenait pas la clientèle qu’il aurait dû prendre. La

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clientèle était donc prise en charge à l’urgence de l’hôpital parce qu’elle aurait dû avoir des services à domicile dispensés par le CLSC plutôt que de se retrouver à l’urgence de l’hôpital, mais pour une raison ou une autre le lien était pas là entre les professionnels de l’hôpital et du CLSC alors la personne était pas signalée et les gens se retrouvaient à l’urgence de l’hôpital ». (DIR_6)

Au-delà des causes de cette situation financière, l’ensemble des directeurs affirment que celle- ci a des impacts concrets sur la manière dont ils exercent leur travail. Un des directeurs affirme d’abord qu’il s’agit d’un sujet qui prend une grande place dans les discussions du comité de direction.

« En comité de direction il y a beaucoup de préoccupations budgétaires aussi, on sait ce que c’est, si on n’arrive pas en équilibre budgétaire c’est grave, alors on parle souvent du budget ». (DIR_2)

Qui plus est, le manque de ressources financières oriente la réflexion des gestionnaires quant au fonctionnement des secteurs dont ils ont la responsabilité. Un des directeurs explique qu’on lui demande d’optimiser le fonctionnement de son secteur, c'est-à-dire de s’assurer que son fonctionnement soit le plus efficace possible au plus bas coût. Il explique :

« Par exemple, à propos d’un certain dossier, pour être en conformité avec les normes ministérielles, j’ai fait un plan, tout est prêt, mais je n’ai pas d’argent pour l’actualiser, il me manque entre 10 et 15 ressources humaines à temps plein, il me manque 15 ressources humaine […] alors je soumets ce besoin au comité de direction mais on ne l’a pas l’argent. Alors le comité de directions ils me disent, est-ce que tu as optimisé ? As-tu tout fait ce que tu as à faire ? ». (DIR_5).

Les contraintes budgétaires ont aussi influencé la mise en œuvre de la réforme. Un des directeurs explique que celles-ci ont influencé le processus d’harmonisation des pratiques, la réduction des coûts étant devenue un critère déterminant dans le choix des pratiques à conserver.

« Avec l’harmonisation des pratiques on fait en sorte que la qualité des pratiques dans le CHSLD X et dans le CHSLD Y va être la même. En théorie on devrait rehausser les pratiques, […] le problème c’est qu’on n’est pas là- dedans, dans la réalité, c’est parce qu’en même temps qu’on devait harmoniser

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les pratiques on a eu des situations financières pas évidentes. Il fallait compresser, souvent on a harmonisé, mais est-ce qu’on a harmonisé vers le haut ou vers le bas ? On aurait pu harmoniser vers le haut. Mais c’est parce que les paramètres financiers faisaient qu’on ne pouvait pas. Par exemple, dans le cas des cuisines, il faut descendre notre coût repas parce qu’on a des compressions à gauche et des compressions à droite. […] mais au bout du compte, les changements que l’on fait, ce n’est pas pour diminuer le coût, on fait ça pour voir, économiquement, est-ce que c’est plus rentable ».

Un des directeurs mentionne que cette situation se répercute sur le travail des cadres intermédiaires, ces derniers ayant peu de marges de manœuvre. Il ajoute qu’il est faux de dire que les gestionnaires sont maintenant, dans le CSSS, responsables d’un budget et qu’il serait plutôt approprié de dire qu’ils sont responsables de rendre des comptes à propos du budget. Il affirme :

« Et c’est ça qui est difficile, c’est parce que les gestionnaires ne sont pas responsables du budget, ils sont responsables d’une reddition de compte, mais ils n’ont pas la liberté de gérer un budget ». (DIR_2)

5.2.4.2 Les conditions d’exercice des cadres intermédiaires

5.2.4.2.1 Le nombre de sites

Une première caractéristique mise de l’avant par les cadres intermédiaires pour expliquer la nature de leur travail est la taille imposante de la nouvelle organisation. Plusieurs cadres intermédiaires évoquent une impression de bureaucratisation et de dépersonnalisation liée à l’ampleur de l’organisation et, plus spécifiquement, au nombre de sites que comprend aujourd’hui le CSSS#2. Un cadre ayant connu « l’avant-CSSS » explique :

« Sur le terrain je te dirais qu’il y a une très, très grande dépersonnalisation. Parce qu’on est quand même 2000 employés […] c’est très dépersonnalisé. Et ça démotive beaucoup le personnel, ils ont beaucoup de difficultés à avoir un sentiment d’appartenance au CSSS, les gens gardent un sentiment d’appartenance à leur petite boîte ». (CI_7)

Dans le même sens, un autre gestionnaire ayant connu l’avant-CSSS explique :

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« Moi je dirais que le gros manque dans tout ça c’est qu’à force de faire des grosses boîtes on dénature les choses et on dépersonnalise beaucoup. Ça enlève beaucoup le sentiment d’appartenance et on est, je pense, dans une ère où le sentiment d’appartenance il faudrait qu’il soit beaucoup plus fort. J’ai l’impression que c’est ça la plus grosse perte de la fusion, c’est la perte du sentiment d’appartenance. En tout cas moi je le vis comme ça, j’ai un grand sentiment d’appartenance à mon département mais pas un grand sentiment d’appartenance à mon organisation, ou à ma direction ». (CI_4)

Afin de favoriser la transversalité entre les nombreux sites du CSSS#2, plusieurs cadres intermédiaires sont maintenant responsables de superviser des employés répartis sur plusieurs sites. Si les gestionnaires que nous avons rencontrés partagent l’objectif de transversalité au fondement de cet étalement de leurs responsabilités, ils soulignent cependant que celui-ci a de nombreuses conséquences négatives sur l’exercice de leur travail quotidien. Les propos suivants, tirée d’une entrevue avec un cadre intermédiaire responsable de plusieurs secteurs cliniques, illustre bien cette position d’adhésion au principe et de critique de sa mise en œuvre. Il explique :

« Moi mon poste regroupe des secteurs de l’hôpital mais j’ai aussi des secteurs dans les CLSC […] Comme logique pour créer un poste, c’est fantastique, je peux vraiment être capable d’aligner la première ligne à la deuxième ligne, je vois les impacts des choix de la deuxième ligne vers la première ligne et vice versa. Au niveau théorique, c’est extraordinaire. Au niveau opérationnel, c’est très difficile ». (CI_3)

Ces propos sont partagés par plusieurs gestionnaires. Dans l’extrait suivant, un autre cadre intermédiaire va dans le même sens lorsqu’il affirme :

« Je trouve que c’est bien de penser à faire des liens pour qu’il y ait une continuité, de l’hôpital jusqu’au CLSC, c’est bien de penser comme ça, dans le sens de la continuité, mais c’est tellement gros que c’est pas gérable, tu peux pas faire tout en même temps, un peu comme moi, j’ai plusieurs secteurs à superviser, c’est loin d’être fou de me dire de coordonner tout ça […] ce sont tous des départements qui doivent être en lien pour faire fonctionner le programme, mais moi, mon indice de difficulté augmente […] alors je comprends l’objectif de la continuité, la logique de ça, et peut-être même l’efficacité de ça, mais en même temps c’est très difficilement gérable ». (CI_2)

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Pour certains cadres, un des impacts importants du grand nombre de sites est l’éloignement de leur supérieur. Cet éloignement s’explique d’abord, selon les gestionnaires, par le fait que le supérieur n’a plus nécessairement son bureau dans le même site que ses subordonnés.

« Moi c’est la proximité, ou plutôt l’éloignement qui est difficile, tu sais quand ça ne va pas, ou que tu as besoin de budget, tu t’en vas cogner à la porte de ton boss. Moi je ne cogne pas à la porte de mon boss, elle n’est pas là mon boss. Et quand je la vois j’ai bien beau dire que je demande des rencontres mais à un moment donné, le temps que la rencontre arrive, c’est déjà réglé ». (CI_3)

Au final, pour certains cadres intermédiaires, l’éloignement des supérieurs va de pair avec une certaine déconnection de ceux-ci des réalités terrains.

« Les directeurs on les voit pas, mais ils sont déconnectés un peu de la réalité de ce qui se passe sur le terrain, et c’est tellement lourd la structure, c’est tellement lourd ».

Cette impression que les directeurs sont déconnectés des réalités du terrain est partagée par plusieurs cadres intermédiaires. Un de ceux-ci explique :

« C’est parce que nos directeurs ils sont tellement en haut qu’à un moment donné ils sont, on dirait qu’ils ne partagent pas le même monde. On n’est pas sur le même, on n’est pas sur la même planète, eux c’est dans les chiffres, c’est dans les programmes, c’est dans le budget, et nous les cadres intermédiaires, c’est le terrain, nous on monte le problème mais ils ne comprennent pas. Ils disent tu ne fais pas bien ta job ».

Il semble que ce soit surtout dans la relation avec les employés que le nombre de sites de l’organisation se fasse sentir. Plusieurs cadres intermédiaires affirment que leurs subordonnés se plaignent de ne pas avoir suffisamment accès à leur supérieur.

« Moi, souvent les filles vont me dire, en fait les première fois les filles me disaient « on te voit pas souvent », ça, ça a été un premier deuil à faire pour moi, de ne pas pouvoir les voir aussi souvent que je le voudrais. J’ai dû me dire « c’est quoi la meilleure façon d’opérationnaliser ce poste-là ? », mais honnêtement, il y en a pas de meilleure façon, c’est juste que j’ai des unités

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partout. Je me sens responsable d’aller voir partout et je crois que je me dois de voir partout parce que c’est ça un chef, mais je ne peux pas être partout ». (CI_3)

Ce dernier extrait souligne un élément important, le fait que certains gestionnaires voudraient pouvoir être plus près de leurs subordonnés, cependant, ce sont les caractéristiques de leur poste qui ne le permettent pas. Comme l’explique un cadre intermédiaire :

« la présence auprès de ses équipes c’est quelque chose qui est très important mais moi je n’assume pas la présence, je ne peux pas détecter tout ce qui ne marche pas là-bas, et mes employés ils me voient comme, je dirais, pas comme un intrus mais comme une absence, c’est comme un parent, vous avez un père mais il n’est jamais là, bien sûr vous savez que vous pouvez le rejoindre, il vous donne son numéro de téléphone, mais quand il n’est pas là c’est sûr que vous avez moins tendance à l’appeler». (CI_1)

Un peu plus tard dans l’entrevue, ce gestionnaire ajoute :

« À un moment donné, les employés ils s’arrangent avec leurs propres problèmes et ils vont vous dire mon boss est jamais là et ils ont raison. Moi je veux être là mais je ne peux pas, j’ai plusieurs sites […] Comment voulez-vous que je sois partout ? » (CI_1).

La taille de l’organisation a aussi des impacts sur la coordination entre les gestionnaires. Ainsi, plusieurs gestionnaires font état de la complexité à obtenir des informations ou à se coordonner avec les gestionnaires d’autres secteurs. À ce propos, un gestionnaire explique :

« Étant donné que c’est un CSSS, il faut s’amuser à téléphoner, envoyer des courriels, chercher de l’information et c’est rendu tellement gros qu’on ne sait pas avec qui on fait affaire, est-ce que c’est vraiment la bonne personne ? Tu laisses un message, un mail, on ne te rappelle que deux jours après, alors le temps de communication est très long ». (CI_11)

Cette difficulté de coordination se reflète aussi par le nombre de réunions auxquels doivent participer les cadres intermédiaires. Ceux-ci mentionnent devoir passer une grande partie de leur temps de travail en réunion, ce qui ampute le temps disponible pour la supervision des subordonnés. Comme l’explique un cadre intermédiaire :

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« Je suis en réunion tout le temps, tout le temps, tout le temps. […] Des réunions de coordination avec ma directrice, avec l’hôpital, avec l’Agence, avec l’hébergement ». (CI_8)

5.2.4.2.2 La redéfinition des rapports de pouvoir

Une deuxième caractéristique mise de l’avant par les cadres intermédiaires, concerne la composition de l’organisation. La création du CSSS#2, en regroupant des organisations aux missions différentes et en adoptant une structure par programmes, a entraîné, aux dires des cadres intermédiaires, une redéfinition des rapports entre eux. Trois éléments ont été mis de l’avant à ce propos : l’impact important du rôle joué par les directions programmes soutien dans une structure par programmes, l’inégalité de la capacité de chacun d’accéder aux ressources de l’organisation et la difficulté, pour des cadres intermédiaires ayant des représentations différentes de leur travail, de collaborer ensemble.

Certains cadres intermédiaires œuvrant dans des directions cliniques ont soulevé l’importance qu’ont prise les directions soutien dans le CSSS#2. Il faut rappeler qu’avec l’adoption d’une structure par programmes, la responsabilité de plusieurs éléments non-cliniques a été transférée aux directions conseil. Pour les cadres intermédiaires qui œuvraient, avant la création du CSSS#2, dans les CLSC et CHSLD, cela signifie bien souvent une diminution de leur marge de manœuvre. Ceux-ci affirment ne plus avoir le contrôle sur un ensemble d’éléments qui, bien qu’ils ne soient pas cliniques, influencent la qualité des soins et des services.

« On a perdu le contrôle sur des choses qui n’ont pas nécessairement, théoriquement, un impact sur la qualité des soins mais, dans la réalité, ce sont des choses qui ont un impact. Par exemple, en CHSLD, ce sont des éléments qui ont des impacts sur la qualité du milieu de vie ».

À ce sujet, lors des entrevues avec les cadres intermédiaires du CSSS#2, l’exemple des cuisines, dont la responsabilité a été transférée à une direction conseil, a été soulevé par quelques cadres intermédiaires afin d’illustrer cette diminution de leur marge de manœuvre.

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Pour certains, ce transfert de responsabilité implique une modification de la façon de concevoir les cuisines et donc, des critères pris en compte dans les décisions s’y rapportant. Un cadre intermédiaire explique :

« Oui on dit que le client est au centre de nos préoccupations, que le client c’est important, le client, le client, mais ce n’est pas ça qu’on fait dans la réalité, ce n’est pas vrai là. Je te donne un exemple, quand on a fusionné, dans notre CHSLD le coût par repas était le plus haut de tous les CHSLD du CSSS#2. Mais ce n’était pas pour rien que c’était haut, les résidents avaient deux choix de repas à tous les repas et il y avait aussi des choix en dehors du menu qu’ils pouvaient demander […] Et c’était bon la bouffe, c’était une nourriture de qualité. […] J’ai mangé là pendant des années et c’était excellent et la majorité du personnel mangeait là et on s’est battu au début pour dire non, non, non on va garder ces coûts là parce que les repas c’est l’activité principale des résidents. Là maintenant c’est passé à [direction soutien] c’est eux qui sont responsables du budget donc ils se sont ajusté, ils ont diminué les coûts au niveau de autres CHSLD, mais là on me dit que ce n’est pas mangeable, ça a aucun bon sens. […] Et le coordonnateur du CHSLD lui, il n’a plus de pouvoir sur ça, ce n’est plus sa responsabilité, c’est la responsabilité de [direction soutien] ».

Cet exemple soulève la question du rôle joué par les directions soutien dans le CSSS#2. Pour les cadres intermédiaires que nous avons rencontrés, et qui font partie de ces directions, il est clair que leur rôle consiste à exercer un certain contrôle sur l’utilisation des ressources du CSSS#2. Un cadre intermédiaire, faisant partie d’une direction soutien explique qu’il contribue à diminuer le gaspillage. Il explique :

« Moi, j’ai vu des aberrations. Dans tous les sites, c’est évident qu’il y avait du gaspillage. Il y en a encore, je ne me mettrai pas à faire le jugement du système là il y en a encore mais beaucoup moins. […] jusqu’à maintenant je peux vous dire, ce n’est pas pour me lancer des fleurs mais tous les projets que j’ai entrepris avec les budgets que j’ai, je les ai tous fait sans dépasser le budget ».

Dans le même sens, un autre cadre intermédiaire œuvrant dans une direction soutien explique :

« Notre secteur, dans le fond on est un contrôle. […] on n’a pas le choix de contrôler parce que nos clients cliniques ils ne sont pas toujours conscients de

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ce qui leur reste dans leurs budgets, je peux comprendre qu’ils ont d’autres priorités. Mais en même temps ils n’ont pas le choix de le gérer leur budget, il faut qu’ils apprennent à le faire ».

Le rapport entre les cadres intermédiaires du CSSS#2 s’est aussi structuré autour du pouvoir des différentes missions. Ainsi, la majorité des cadres intermédiaires affirme ne pas se considérer en compétition directe avec les collègues. Cependant, ils sont conscients que certaines missions accaparent une plus grande partie des ressources.

« Je ne crois pas qu’on travaille en compétition mais c’est sûr que nous, pour les développements, dans notre secteur, on en n’a pas tellement. Il y a beaucoup de développement en soins infirmiers, c’est plus ce côté-là que ça s’est développé […] C’est sûr et certain que c’est l’hôpital qui a le plus gros morceau de tout le budget et c’est eux aussi qui ont le plus gros déficit. Donc des fois nous en CLSC on éponge le déficit de l’hôpital, mais ont fait partie du même CSSS donc l’hôpital il vient chercher l’argent de tout le monde. L’hôpital c’est le plus gros morceau du CSSS. Mais je n’en veux pas à l’hôpital […] Comment vous dire ça ? Moi j’essaie de ne pas trop regarder les voisins et de me concentrer à défendre les intérêts de mes intervenants ». (CI_1)

Malgré le fait qu’ils ne se considèrent pas en compétition, certains cadres intermédiaires affirment que la défense du budget est tout de même un élément déterminant dans les rapports avec leurs collègues. Ceci est d’autant plus vrai dans le contexte où la structure par programmes exige une grande coordination entre les gestionnaires afin de s’entendre sur l’organisation du travail des subordonnés. Rappelons qu’avec la structure par programmes, certains gestionnaires sont maintenant responsables d’employés dont le travail est réalisé dans des sites sous la responsabilité d’autres gestionnaires. C’est dans ce contexte, où la modification de l’organisation du travail a des implications sur le budget de plusieurs secteurs, que la défense du budget est déterminante. À ce propos, un gestionnaire explique :

« Admettons que je veux modifier les tâches d’une de mes professionnelles dans un CHSLD, je vais en parler avec le responsable du CHSLD. Lui il va me dire, si tu enlèves certaines tâches à tes professionnels, moi je dois les redistribuer à d’autres, mais je n’ai pas de personnel pour ça […] Alors même si j’aimerais modifier les fonctions de mes employés, je dois en discuter avec les gestionnaires responsables des secteurs où travaillent mes employés, et ces gestionnaires là, ce qu’ils vont me répondre, c’est, je veux bien t’aider mais je

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ne peux pas, je n’ai pas de budget. […] donc chacun on reste de notre côté parce qu’on va protéger notre budget ».

À travers leurs discours, on sent que les gestionnaires sont conscients que certaines des ressources qui leur sont allouées le sont suite à une évaluation et à une priorisation des besoins de l’ensemble de secteurs du CSSS#2. Ils acceptent ce fait et considèrent que dans ce contexte, leur responsabilité n’est pas de se concentrer sur ce que reçoivent les autres gestionnaires mais bien de démontrer l’importance des besoins spécifiques de leur secteur.

« Je n’ai pas à « squatter » l’argent des autres gestionnaires. Je pense plutôt que j’ai comme responsabilité de faire valoir pourquoi le besoin que je soumets est si important et si je ne l’ai pas, c’est peut-être que je n’ai pas réussi à le faire valoir comme il faut ». (CI_3)

Cette perception, qu’il est de la responsabilité du cadre intermédiaire de « faire valoir » les besoins de son secteur, est partagée par plusieurs. À ce propos, un autre cadre intermédiaire affirme :

« Moi ce que je me dis c’est qu’il faut que je trouve le moyen de faire valoir mes demandes, alors je tape sur le clou et je rappelle et je rappelle […] Alors il faut que tu fasses comprendre que ton besoin est important » (CI_6).

Si certains gestionnaires semblent considérer la situation décrite précédemment avec résignation, d’autres soulèvent avec indignation le fait que certains secteurs du CSSS#2 soient priorisés dans l’allocation des ressources. Selon plusieurs gestionnaires, les secteurs appartenant à la mission CH ont une longueur d’avance lorsque vient de temps de prioriser les besoins. Un cadre intermédiaire, travaillant dans un secteur associé à la mission CLSC explique :

« Il y a beaucoup d’argent qui est pompé par la courte durée, ça c’est les urgences, les soins intensifs, l’hôpital au complet en fait, c’est ça qui est « glamour », qui sort dans les journaux. […] les CLSC vont éponger des déficits de l’hôpital, c’est sûr. […] et je ne suis pas dans le secret des dieux des finances mais ça fait assez longtemps que je suis ici pour le savoir, c’est sûr que ça va éponger des déficits de courte durée ».

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Les gestionnaires soulèvent plusieurs exemples afin d’illustrer cette priorité accordée aux besoins de l’hôpital. Par exemple, dans l’extrait qui suit, un gestionnaire affirme que les ressources dédiées à l’entretien de l’hôpital seraient plus importantes que dans les autres sites du CSSS. Il raconte :

« Mais quand on arrive dans le CSSS oui, effectivement, on se rend compte que l’hôpital accapare beaucoup de ressources. Et effectivement, ça se voit, si on se promène dans l’hôpital, la peinture est pas mal plus fraîche, ce sont des choses très simples comme ça. Ici, il y a des trous dans le mur de la salle à manger, il y a aussi un bout de comptoir arraché, tu ne vois pas ça à l’hôpital, un bout de comptoir arraché ».

Les cadres intermédiaires œuvrant à l’hôpital sont conscients de la priorité de leurs demandes. Ils sont aussi conscients du fait que les ressources qui leurs sont allouées ne le sont pas aux autres secteurs du CSSS#2. Dans l’extrait suivant, un gestionnaire, en charge d’une unité de soins située à l’hôpital, illustre bien cette situation.

« On a un budget d’achat qui nous est donné. Quand il arrive des imprévus, admettons que c’est un équipement obligatoire, on fait des achats d’urgence. Et là ce que j’ai vu que la direction a fait, c’est qu’ils ont passé les coûts de l’achat sur le plan triennal du CSSS. Alors quand ils le passent sur le plan triennal, c’est comme tout le CSSS qui paie, alors ce que ça veut dire c’est qu’il y a un quelqu’un d’autre dans le CSSS qui n’aura pas ce qu’il voulait ».

Certains gestionnaires soulèvent aussi le fait que les rapports entre cadres intermédiaires sont influencés par des représentations différentes du travail de gestion, déterminées par les missions dans lesquelles travaillent les gestionnaires. Pour le dire simplement, les gestionnaires en charges d’unités de soins situées à l’hôpital n’auraient que peu à voir avec les gestionnaires provenant de CLSC et de CHSLD. Ces différences complexifieraient la collaboration entre les gestionnaires. Un gestionnaire d’une unité de soins située à l’hôpital raconte :

« Lorsqu’on a des rencontres de travail avec des collègues du CLSC, c’est pénible. On a vraiment l’impression de perdre notre temps-là. Parce que ce n’est pas les mêmes problèmes. Et ils ne sont pas sur le même beat, ils ne sont pas sur le même rythme de travail. Nous, à l’hôpital, on est toujours à la

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course, toujours les pattes aux fesses toute la journée, dans mon unité c’est le feu roulant, tandis que eux c’est une autre réalité complètement différente. Alors eux s’asseoir toute une journée en comité de gestion, il n’y a pas de problème, nous autres là, pendant qu’on est en rencontre, je sais qu’il manque du monde sur mon unité, et là je reçois des appels pour me dire qu’on nous transfère des cas d’un autre hôpital […] Les gestionnaires de CLSC, ce ne sont pas des gens express comme nous ».

Au final, certains cadres affirment qu’il est difficile de fonctionner dans une organisation dans laquelle on retrouve les missions CLSC, CHSLD et CH. Dans l’extrait suivant, un cadre intermédiaire, travaillant en CLSC et ayant connu « l’avant-CSSS » exprime cette opinion.

« Moi, a posteriori, je ne créerais pas les CSSS, ou si je créais des CSSS, j’enlèverais les hôpitaux, je ne mettrais que les CLSC et les CHSLD. Je me dis, avant la création des CSSS, nous autre [CLSC] on avait des rencontres régulièrement avec l’hôpital pour savoir comment ça fonctionne. On avait des rencontres à tous les deux mois. Alors on n’a pas besoin d’être dans un CSSS pour qu’il y ait une collaboration […] je trouve que l’hôpital c’est une entité complètement différente, une façon de faire complètement différente, et je suis d’accord pour avoir un partenariat, une ouverture, une table pour parler mais je ne trouve pas que l’hôpital devrait faire partie du CSSS parce qu’il gobe tout notre argent. Et à l’hôpital, ils disent « on n’a pas le choix, notre urgence va déborder ». Mais moi là, mon département c’est tout le territoire du CSSS, moi j’ai toute la population du territoire, c’est ça moi mon département. Je ne suis pas limité dans des murs. Alors ce n’est pas du tout la même réalité, et eux autres les urgences ça coûte une fortune, alors moi je crois qu’il devrait y avoir un partenariat, c’est certain qu’il faut faire des liens, mais je ne vois pas la pertinence que l’hôpital soit dans le CSSS ».

5.2.4.2.3 Les mesures de contrôle de leur travail

La majorité des cadres intermédiaires que nous avons rencontrés, et qui œuvrent dans les directions programmes services, considère avoir peu de pouvoir dans l’exercice de leurs fonctions. Lors des entrevues, plusieurs ont fait des affirmations telles que : « Théoriquement, j’ai le droit de gérance, mais pratiquement […] j’ai très peu de pouvoir » (CI_1), ou encore : « je suis capable de prendre des décisions mais je n’ai pas le droit de les prendre sans aviser et il faut que j’attende l’autorisation, c’est ça que j’ai l’impression, tout le temps, il faut que je demande à maman ». (CI_9)

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Afin d’expliquer le peu de pouvoir dont ils jouiraient, certains cadres intermédiaires ont soulevé le rôle joué par l’Agence de santé et de services sociaux de la région ainsi que la présence d’ententes de gestion dans lesquelles sont identifiées des cibles à atteindre. Il faut toutefois préciser que les cadres intermédiaires que nous avons rencontrés relativisent la contrainte qu’exercent ces cibles. En fait, les cadres intermédiaires soulèvent surtout l’influence qu’exercent les contraintes budgétaires sur leur travail. Ceux-ci expriment avoir peu de marge de manœuvre dû à la difficulté à obtenir les budgets qu’ils considèrent nécessaires. Par exemple, dans l’extrait qui suit, un gestionnaire explique que la difficulté à obtenir des budgets supplémentaires est à l’origine de l’impossibilité pour lui de répondre aux demandes de ses subordonnés.

« C’est extrêmement difficile actuellement de fonctionner, je vois qu’il y a des professionnels sous ma responsabilité qui sont débordés mais je me sens impuissant parce qu’à chaque fois que j’achemine la demande plus haut, à mes patrons et au-dessus de mes patrons, je me fais répondre « je n’ai pas d’argent ». Alors je fais quoi ? ». (CI_1)

Concrètement, les cadres intermédiaires œuvrant dans les directions programmes services expliquent que les budgets qui leur sont alloués font l’objet d’un suivi très étroit de la part de la direction des finances du CSSS#2. Non seulement ils rapportent qu’il est difficile de faire augmenter les budgets qui leur sont alloués mais surtout, ils expliquent qu’à chaque période financière, les montants qu’ils n’ont pas dépensés leur sont enlevés. Dans l’extrait suivant, un cadre intermédiaire explique cette situation.

« Ici, moi, si j’économise au niveau de mes ressources, avant je pouvais faire un party aux employés pour les motiver, maintenant les finances me l’arrachent et ça va éponger un déficit ailleurs. […] ce sont les finances qui font ça, les finances ils doivent livrer le budget à la fin de l’année […] Ce n’est même plus à la fin de l’année, c’est à chaque période financière ». (CI_6)

Les cadres intermédiaires expliquent que la difficulté à obtenir du budget supplémentaire ainsi que l’impossibilité « d’épargner » durant certaines périodes les prive d’une grande marge de manœuvre. Un de ceux-ci explique qu’il est difficile d’innover dans ces conditions.

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« C’est parce que la direction ils disent on a pas d’argent, on va essayer d’innover, on va être créatif, mais il faut que ça coûte zéro. Tu mets une maudite bonne limite en partant, je veux ben être créatif mais à un moment donné ce n’est pas de la magie qu’on fait ». (CI_7)

Ces contraintes financières sont perçues par les cadres intermédiaires comme un obstacle important à la qualité des soins données aux patients.

« Tu sais, dans notre organisation, on a fait un beau document, vision, mission, valeurs, et on met l’accent sur la conciliation travail/famille, je ne sais même plus c’est quoi tellement on ne l’utilise pas. Mais, en même temps, on prend des décisions tranchantes, je sais qu’en hébergement maintenant on ne remplace plus, s’il manque du personnel on vit avec, on ne remplace pas parce qu’il faut l’équilibre budgétaire. Ah oui, on peut bien dire que le client est au centre de nos préoccupations quant on fait des affaires de même…. C’est vraiment de la gestion comptable qu’on fait actuellement au comité de direction et moi je suis anti gestion comptable ».

Parmi les cadres intermédiaires que nous avons rencontrés, un seul affirme être en mesure de conserver ses montants non dépensés. Ce cadre affirme cependant avoir dû « se battre » afin d’y arriver.

« C’est sûr que ça a été long avant de faire accepter que cet argent-là s’en allait pas dans le déficit, c’est là que moi je dis que suis un peu marginal là […] Oui mais moi je suis un peu obstinée et je défends vraiment mes dossiers alors je me suis battue jusqu’à ce qu’ils me disent oui ».

Il semble cependant que les impacts des suivis financiers ne soient pas les mêmes pour tous les secteurs. Comme la plupart des secteurs soutien ne sont pas en contact direct avec les patients, il semble que les coupures budgétaires soient relativement moins difficiles à accepter. Un gestionnaire travaillant dans une direction programme soutien explique cette situation :

« La différence de mon côté c’est que, moi je n’ai pas 400 clients qui entrent par jour dans mon CLSC et que je dois voir et traiter. Eux [les cadres cliniques] ils sont devant les clients, eux si on leur demande de couper, et ils sont déjà sur la corde raide, c’est sûr qu’ils vont avoir de la misère, moi je peux dire, cette poignée de porte là au lieu de la remplacer on va trouver des

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pièces et on va la réparer. C’est ça la différence moi je ne fais pas affaire aux patients directement, je peux couper, jusqu’à une certaine limite évidemment ». (CI)

Au-delà de la différence entre les secteurs soutien et services, il semble que la mission a aussi une influence sur la rigidité avec laquelle les suivis budgétaires sont réalisés. À ce sujet, un cadre intermédiaire faisant partie de la direction des finances explique que les suivis budgétaires ne sont pas les mêmes dépendamment des missions. Alors que les unités de soins situées à l’hôpital peuvent dépasser les budgets qui leur sont alloués, les secteurs situés en CLSC et CHSLD font l’objet d’un suivi très strict.

« Q. Qu’est-ce qui arriverait si un gestionnaire dépensait tout son budget en 6 mois, par exemple ? Je ne sais pas si ça se peut ? R. Oui des fois à l’urgence ça arrive. Q. Alors qu’est-ce que vous faites ? R. On ne peut pas dire qu’on va fermer l’urgence. Alors on augmente les sommes qui leur sont allouées. Q. Ok, l’urgence je comprends mais admettons le soutien à domicile ? R. Lui il va être suivi, ah non, non. On va se rendre compte rapidement qu’ils dépensent trop. Tous les services de soins critiques on ne peut pas fermer ça, mais le soutien à domicile ils peuvent augmenter leur liste d’attente. Ce n’est pas logique hein ? ».

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Chapitre 6. Analyse

Ce dernier chapitre sera consacré à l’analyse de nos résultats. Dans un premier temps, nous analyserons nos données de manière à vérifier si nous assistons, suite à la mise en œuvre de la réforme, à une évolution, ou à une consolidation, de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Pour ce faire, nous débuterons par définir deux idéaux types qui nous permettront de tracer un portrait des représentations du travail de gestion que l’on retrouve dans les CSSS à l’étude. Par la suite, nous identifierons les causes de la présence de ces représentations. Finalement, nous comparerons nos résultats avec la littérature.

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6.1 Définition d’idéaux types

Lors des entrevues, il nous est rapidement apparu qu’il serait difficile d’amener les gestionnaires à parler directement et précisément de la représentation qu’ils ont de leur travail. Pourtant, le fait que ceux-ci portent des jugements différents sur les changements imposés par la réforme nous paraissait démontrer clairement que tous les gestionnaires n’avaient pas la même représentation de leur travail. Il importe de préciser que ces jugements ne s’appliquaient pas aux objectifs cliniques de la réforme. En effet, tous étaient d’accord avec l’idée d’augmenter l’intégration entre les soins. En fait, les différences portaient plutôt sur la nature de leur travail à la suite de la mise en œuvre des changements. Certains percevaient les changements imposés par la réforme comme un nouveau contexte leur permettant de jouer le rôle qu’ils voulaient jouer alors que d’autres y voyaient des obstacles à la réalisation de leur travail tel qu’ils le concevaient. En bref, ces jugements découlaient de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail.

C’est donc à partir de ces jugements que nous avons cherché à accéder aux représentations qu’ils ont de leur travail suite à la création du CSSS. Pour ce faire, il nous est apparu utile de construire deux idéaux-types représentant deux conceptions opposées du travail de gestion. Pour créer ces idéaux-types, nous avons divisé les gestionnaires, directeurs et cadres intermédiaires, en deux catégories. D’un côté, nous avons identifié ceux qui paraissaient en faveur des modifications qui ont été imposées par la réforme car elles leur permettent de jouer le rôle qu’ils considèrent être celui qu’un gestionnaire doit jouer, de l’autre, nous avons identifié ceux qui paraissaient réfractaires à ces modifications car elles leur imposent un rôle allant à l’encontre de ce qu’ils considèrent être le rôle d’un gestionnaire. Une fois ce classement effectué, nous avons identifié des directeurs et des cadres intermédiaires qui étaient les plus représentatifs de ces deux catégories du fait qu’ils exprimaient clairement ce que la mise en œuvre de la réforme leur permettait, ou les empêchait, de réaliser comme travail. Nous avons ensuite effectué une analyse serrée des entrevues de ces gestionnaires de manière à identifier les caractéristiques des représentations de leur travail qui les différencie.

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À partir de ces analyses nous avons identifié trois éléments qui différencient les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail. Précisons que nous retrouvons ces trois éléments autant dans les discours des directeurs que dans ceux des cadres intermédiaires. Il s’agit de l’identité professionnelle des gestionnaires, de la relation entre le gestionnaire et ses subordonnés et finalement la logique que mobilise le gestionnaire lors de la prise de décision. Nous avons accentué les traits de chacun de ces éléments de manière à créer des idéaux types nous permettant de distinguer les représentations du travail de gestion.

L’identité professionnelle

Une première caractéristique qui permet de distinguer les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail concerne la manière dont ils se définissent professionnellement. À ce propos, nous avons identifié deux éléments importants : le rapport que les gestionnaires entretiennent avec leur profession d’origine et les composantes du CSSS auxquels les gestionnaires s’identifient.

En ce qui a trait au rapport qu’ils entretiennent avec leur profession d’origine, certains gestionnaires considèrent que l’accès à un poste de gestion représente une étape qui est en continuité avec l’exercice de leur profession. Pour le dire simplement, ils se considèrent comme des professionnels remplissant une fonction administrative. Ils ne voient pas de rupture entre le travail de professionnels sur le terrain et celui de gestion. C’est ce qui fait dire à certains directeurs et cadres intermédiaires : « je suis avant tout une infirmière ! ».

A contrario, d’autres gestionnaires affirment que la fonction de gestion qu’ils occupent maintenant n’a que peu, sinon pas du tout, à voir avec le fait d’avoir déjà occupé un poste de professionnel sur le « terrain ». Pour eux, l’accès à la gestion représente une rupture dans la trajectoire de carrière.

Ce rapport à la profession d’origine a un impact sur les savoirs que les gestionnaires veulent mobiliser dans le cadre de leur travail. Dans le premier cas, les gestionnaires considèrent devoir mobiliser des connaissances administratives mais aussi des connaissances propres à

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leur profession d’origine. A contrario, dans le deuxième cas, les gestionnaires considèrent avoir surtout besoin de connaissances administratives. Ils affirment ne mobiliser que rarement les connaissances propres à leur profession d’origine.

Le deuxième élément concerne les composantes de l’organisation auxquelles les gestionnaires s’identifient. Dans le premier cas les gestionnaires s’identifient souvent au secteur dont ils ont la charge ou encore à une certaine mission. Ainsi, ces gestionnaires affirment ressentir un sentiment d’appartenance à un site en particulier, par exemple, un CLSC ou CHSLD, ou envers une mission spécifique. Cela fait dire à certains gestionnaires, lorsqu’ils se définissent, « je suis une fille de communautaire » ou encore « je suis une fille de CLSC ». A contrario, certains gestionnaires affirment s’identifier au CSSS, à l’organisation. Ils se décrivent comme des gestionnaires de CSSS.

Relations entre le gestionnaire et ses subordonnés

Une deuxième caractéristique qui permet de distinguer les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail concerne la relation qu’ils entretiennent avec leurs subordonnés. Certains gestionnaires considèrent qu’ils devraient être près de leurs subordonnés, qu’ils doivent être pratiquement présents quotidiennement auprès de ceux-ci.

Ainsi, certains cadres intermédiaires considèrent que leur travail consiste, entre autres, à être une source d’expertise pour leurs subordonnés, une référence au quotidien pour les activités réalisées par ceux-ci. Si les directeurs se différencient quelque peu du fait qu’ils ne considèrent pas devoir être une référence quotidienne auprès de leurs subordonnés, ils rejoignent les cadres intermédiaires dans le fait qu’ils considèrent devoir connaître leurs subordonnés, discuter avec eux et être au courant de ce qu’ils vivent. Ils considèrent qu’une partie de leur rôle consiste à s’assurer que leurs subordonnés ont les conditions et les ressources nécessaires pour réaliser leur travail.

A contrario, certains gestionnaires, directeurs comme cadres intermédiaires, considèrent qu’ils n’ont pas à être près de leurs subordonnés. Ces gestionnaires mettent l’accent sur le fait que

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leurs subordonnés sont bien souvent des professionnels et qu’en ce sens ils doivent être responsabilisés. Ils considèrent que leur rôle consiste plutôt à s’assurer de l’utilisation rationnelle des ressources humaines sous leur responsabilité.

Logique mobilisée lors de la prise de décision

Une dernière caractéristique concerne les critères à partir desquels les gestionnaires veulent prendre leurs décisions. Certains gestionnaires mobilisent une logique que l’on pourrait qualifier de professionnelle. Pour eux, ce qui importe c’est la qualité des soins et des services dispensés. Ces critères ont priorité sur le respect des règles administratives. Ces gestionnaires évaluent la justesse de leurs décisions en fonction de leurs impacts sur le fonctionnement du ou des secteurs sous leur responsabilité et non en fonction du respect des règles administratives.

A contrario, certains gestionnaires mobilisent une logique que l’on pourrait qualifier d’administrative. La priorité est donnée à l’utilisation efficace et rationnelle des ressources matérielles, humaines et financières. Ces gestionnaires considèrent que leur rôle est de s’assurer de l’efficacité et de la rationalité de l’organisation des services sous leur responsabilité. Ils se considèrent aussi comme étant responsables de l’application et du respect des règles administratives.

Les idéaux-types

Nous avons regroupé les trois éléments présentés précédemment de manière à construire deux idéaux-types décrivant deux représentations opposées du travail de gestion. Nous avons nommé le premier idéal-type le « gestionnaire traditionnel » et le second le « gestionnaire moderne »6364 (voir tableaux 4 et 5). Ces idéaux-types s’appliquent autant pour les directeurs que pour les cadres intermédiaires.

63 Il importe de souligner que ces termes n’ont aucune connotation positive ou négative. Nous ne portons aucun jugement sur la valeur de ces idéaux-types.

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Pour le dire simplement, le « gestionnaire traditionnel » considère qu’il n’y a pas de rupture entre l’exercice de la profession d’origine et la gestion. Il se considère comme un professionnel ayant une fonction administrative. Il s’identifie à un site particulier ou encore à une mission particulière. Il cherche à être près de ses subordonnés et s’appuie sur une logique professionnelle lors de la prise de décision. Quant au « gestionnaire moderne », il considère qu’il y a une rupture entre la profession d’origine et la gestion. Il se définit comme un gestionnaire devant mobiliser une logique managériale. Il considère que ses fonctions n’impliquent pas d’être près de ses subordonnés et considère que son rôle est de s’assurer de l’efficacité et de la rationalité de l’organisation des services sous sa responsabilité.

64 Dans une publication récente, Boussard (2013) identifie aussi deux représentations idéales typiques de cadres qu’elle nomme le cadre de métier et le cadre manager. L’utilisation qu’elle fait de ces idéaux types est cependant différente de la nôtre, Boussard (2013) s’intéressant au rôle des cadres français dans la transformation des organisations publiques françaises.

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Tableau 4. Idéal type du gestionnaire traditionnel

Éléments composant l’idéal- type Identité professionnelle Le gestionnaire traditionnel considère qu’il ne doit pas y avoir de rupture entre l’exercice de la profession d’origine et la fonction de gestion. Cette dernière est une extension de la profession d’origine. Le gestionnaire traditionnel affirme être un professionnel avant d’être un gestionnaire. Il se perçoit comme un professionnel ayant une fonction de gestion. Il s’identifie à la mission ou au secteur qu’il supervise (exemple, je suis avant tout une infirmière de CLSC, de soutien à domicile, je suis une fille d’urgence, de comptabilité, etc.) Relations entre le Le gestionnaire traditionnel considère qu’il doit être une référence au quotidien gestionnaire et ses pour les activités réalisées par ses subordonnés. En ce sens, il veut être près de subordonnés. ses subordonnés de manière à partager ses connaissances et son expérience avec eux. Il veut les soutenir et s’assurer qu’ils ont les ressources nécessaires pour réaliser leur travail.

Logique mobilisée lors de la Le gestionnaire traditionnel s’appuie sur une logique professionnelle. La qualité prise de décision des soins et des services dispensées ainsi que le bien-être de ses subordonnés ont priorité sur le suivi des règles administratives. Le gestionnaire traditionnel considère que ses décisions doivent permettre le bon fonctionnement du secteur sous sa responsabilité.

Tableau 5. Idéal type du gestionnaire moderne

Éléments composant l’idéal- type Identité professionnelle Le gestionnaire moderne considère qu’il doit y avoir une distinction claire entre la profession d’origine et la fonction de gestion. Il considère que le travail de gestion exige des connaissances et des compétences différentes de celles de la profession d’origine. Le gestionnaire traditionnel affirme être un gestionnaire avant tout. Il s’identifie au CSSS. Relations entre le Le gestionnaire moderne considère qu’il n’a pas à être impliqué dans les gestionnaire et ses décisions quotidiennes de ses subordonnés, qu’il n’a pas à être une référence au subordonnés. quotidien pour ses subordonnés. Il considère que ceux-ci sont des professionnels et qu’ils doivent être responsabilisés. Le rôle du gestionnaire est plutôt de s’assurer de la bonne utilisation de ses ressources humaines.

Logique mobilisée lors de la Le gestionnaire moderne s’appuie sur une logique administrative. La priorité est prise de décision donnée à l’utilisation efficace et rationnelle des ressources matérielles, budgétaires et humaines. Le gestionnaire moderne considère que son rôle est de s’assurer de l’efficacité et de la rationalité de l’organisation des services sous sa responsabilité.

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6.2 État des lieux

Dans cette sous-section, nous identifierons, à l’aide des idéaux-types décrit précédemment, les représentations de leur travail qu’ont les gestionnaires des deux CSSS.

6.2.1 Les représentations chez les gestionnaires du CSSS#1

6.2.1.1 Les directeurs du CSSS#1

Au moment des entrevues, la majorité des directeurs du CSSS#1 ont une représentation de leur travail qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne. Une très faible minorité a une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire traditionnel.

On retrouve des directeurs dont la représentation s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne à la fois dans les directions cliniques, les directions soutien administratifs et techniques et les directions soutien clinique (voir tableau 6). En fait, le seul directeur qui a une représentation qui s’apparente à celle du gestionnaire traditionnel est à la tête de la direction responsable des unités de soins situées à l’hôpital.

Tableau 6. Représentations des directeurs_CSSS#1

Fonctions Idéal type Directeurs cliniques Moderne (majorité) Traditionnel (minorité) Directeurs soutien Administratif et technique Moderne Clinique Moderne

Pour bien saisir la situation, il nous paraît aussi nécessaire de prendre en compte la représentation qu’avaient ces directeurs avant la création du CSSS. Parmi les directeurs du CSSS#1 qui avaient un poste de direction avant la création du CSSS, tous les directeurs

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soutien administratif et technique avaient une représentation moderne. Parmi les autres directeurs, deux affirment être passés d’une représentation traditionnelle à moderne. Nous reviendrons sur les causes de cette évolution dans la section suivante.

6.2.1.2 Les cadres intermédiaires du CSSS#1

En ce qui concerne les cadres intermédiaires, au moment des entrevues, la majorité de ceux-ci ont une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal-type du gestionnaire moderne. Une faible minorité a une représentation qui s’apparente à l’idéal-type du gestionnaire traditionnel.

Tous les gestionnaires ayant une représentation de leur travail qui s’apparente à celle du gestionnaire traditionnel sont en charge de secteurs cliniques. On retrouve, parmi cette minorité, tous les gestionnaires que nous avons rencontrés et qui travaillent en CHSLD. On retrouve aussi un gestionnaire en charge de secteurs situés à l’hôpital. En ce qui a trait aux gestionnaires ayant une représentation qui s’apparente à celle du gestionnaire moderne, on en retrouve autant dans les directions cliniques que dans les directions soutien (voir tableau 7).

Tableau 7. Représentations des cadres intermédiaires_CSSS#1

Fonctions Représentations de leur travail Cadres intermédiaires cliniques Mission CH Traditionnel Mission CLSC Moderne Mission CHSLD Traditionnel Cadres intermédiaires administratifs et technique Moderne

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6.2.2 Les représentations chez les gestionnaires du CSSS#2

6.2.2.1 Les directeurs du CSSS#2

Au moment des entrevues, la majorité des directeurs du CSSS#2 ont une représentation de leur travail qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne. Une très faible minorité a une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire traditionnel.

On retrouve des directeurs dont la représentation s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne à la fois dans les directions cliniques, de soutien clinique et de soutien administratif et technique (voir tableau 8). En fait, un seul directeur clinique a une représentation traditionnelle. Ce directeur est à la tête d’une direction en charge de secteurs liés majoritairement à la mission CLSC ainsi qu’à la mission CH.

Tableau 8. Représentations des directeurs_CSSS#2

Fonctions Idéal type Directeurs cliniques Moderne (majorité) Traditionnel (minorité) Directeurs soutien Administratif et technique Moderne Clinique Moderne

Pour bien saisir la situation, il nous paraît aussi nécessaire de prendre en compte la représentation qu’avaient ces directeurs avant la création du CSSS. À ce propos, il convient de rappeler que parmi les directeurs rencontrés, peu avaient un poste de direction avant la création du CSSS. Ajoutons que tous les nouveaux directeurs ont une représentation moderne. En fait, seuls deux directeurs cliniques avaient des postes de direction avant la création du CSSS. De ces deux, un affirme être passé d’une représentation traditionnelle à moderne, l’autre a maintenu une représentation traditionnelle.

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6.2.2.2 Les cadres intermédiaires du CSSS#2

Au moment des entrevues, environ la moitié des cadres intermédiaires du CSSS#2 ont une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal-type du gestionnaire moderne et l’autre moitié à celle de l’idéal-type du gestionnaire traditionnel.

On retrouve parmi les gestionnaires dont la représentation du travail s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne des gestionnaires cliniques et administratifs/techniques (Voir tableau 9). Il faut cependant préciser que la grande majorité des gestionnaires ayant cette représentation sont des gestionnaires cliniques. Un seul gestionnaire administratif/technique a cette représentation.

Tableau 9. Représentations des cadres intermédiaires_CSSS#2

Fonctions Représentations de leur travail Cadres intermédiaires cliniques Moderne (minorité) Traditionnel (majorité) Cadres intermédiaires administratifs Moderne (majorité) Traditionnel (minorité)

6.2.3 Comparaison des deux CSSS

À partir de ce bref état des lieux, et après avoir comparé les deux CSSS, nous constatons que la quasi-totalité des directeurs ont une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne. Les deux CSSS se distinguent cependant en ce qui à trait aux représentations qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail. Dans le CSSS#2, ce sont environ la moitié des cadres intermédiaires qui ont une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne, l’autre moitié ayant une représentation qui s’apparente à l’idéal type du gestionnaire traditionnel. Dans le CSSS#1 on retrouve plutôt une majorité de cadres intermédiaires dont la représentation s’apparente à l’idéal type du gestionnaire moderne. Malgré cette distinction, nous constatons que dans les deux CSSS, la

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quasi-totalité des gestionnaires œuvrant dans les secteurs administratifs et techniques ont une représentation moderne alors que l’on retrouve dans les secteurs cliniques les gestionnaires ayant une représentation traditionnelle.

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6.3 Liens entre la réforme et les représentations

Pour chacun des CSSS, nous identifierons maintenant les facteurs expliquant les représentations que nous avons identifiées précédemment.

6.3.1 Le CSSS#1

6.3.1.1 Facteurs explicatifs des représentations des directeurs du CSSS#1

Dans la section précédente, nous avons indiqué qu’au moment des entrevues, une majorité de directeurs ont une représentation allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne. Plus précisément, un seul directeur a une représentation s’apparentant à l’idéal type du gestionnaire traditionnel. Nous avons aussi indiqué que ces gestionnaires n’ont pas toujours eu cette représentation. Au moins deux d’entre eux sont passés, suite à la mise en œuvre de la réforme, d’une représentation traditionnelle à moderne. À partir des donnés amassées, nous avons identifié deux éléments qui découlent de la réforme et qui expliquent l’importance qu’a pris la représentation moderne chez les directeurs. Il s’agit des caractéristiques de la structure du CSSS et des conditions d’exercice qui en découlent ainsi que de la nature des rapports de pouvoir entre directeurs.

La structure et les conditions d’exercice qui en découlent

La structure du CSSS représente un élément fondamental à prendre en compte afin de comprendre l’évolution de la représentation qu’ont les directeurs de leur travail. Afin d’expliciter le processus par lequel la structure organisationnelle a influencé l’évolution des représentations des directeurs du CSSS#1, nous l’avons divisé en trois périodes

Dans la période qui suit la création du CSSS, les directeurs n’ont pas une vision claire et bien définie de l’organisation à créer, pas plus qu’une représentation différente de leur travail par

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rapport à ce qu’elle était dans les anciennes organisations. Dans cette première période, les directeurs réagissent aux changements qui leurs sont imposés. Ils essaient de s’adapter et de s’assurer que la nouvelle organisation fonctionne. À cette étape, c’est surtout l’obligation de créer une structure par programme, et l’objectif d’intégration des soins et des sites qui y est associé, et auquel tous les directeurs adhèrent fortement, qui influence les décisions qui sont prises.

Dans une deuxième période, il devient évident pour les directeurs que les nouvelles conditions d’exercice dans lesquelles ils doivent travailler ne leur permettent pas de travailler de la même manière que dans les anciennes organisations. C’est à ce moment que les directeurs remettent en question la représentation qu’ils ont de leur travail. Précisons que si les directeurs ne sont pas nécessairement très enthousiastes par rapport aux nouvelles conditions d’exercice de leur travail, leur forte adhésion aux objectifs d’intégration des soins et services explique qu’ils soient tout de même prêts à les accepter.

À ce moment, la plupart des directeurs adoptent une représentation de leur travail qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire moderne. Il est important de préciser que cette évolution ne résulte pas d’une croyance, a priori, dans la supériorité de cette représentation du travail de gestion mais bien du constat que les nouvelles conditions d’exercice du travail imposent d’adopter ce modèle. Bref, s’ils n’étaient pas, à l’origine, des porteurs de cette représentation du travail de gestion, ils considèrent que le nouveau contexte ne laisse guère d’autre choix.

Il faut cependant préciser que l’adoption de cette nouvelle représentation ne constitue pas un changement d’égale importance pour tous. En fait, quelques directeurs avaient déjà, avant la création du CSSS, une représentation de leur travail allant dans le sens du gestionnaire moderne. C’est le cas pour les directeurs en charge de directions soutien administratif et technique. D’ailleurs, cette nouvelle représentation semble particulièrement valorisée par ceux-ci. En ce qui a trait aux directeurs cliniques, certains soulèvent des doutes quant à la

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pertinence de cette nouvelle représentation, mais la plupart se rallient65. Un seul directeur valorise une représentation différente et semble en mesure de défendre cette représentation. Il s’agit du directeur en charge des secteurs situés à l’hôpital. Selon lui, la création des CSSS ainsi que la volonté d’intégration des soins n’entraînent pas de remise en question du travail des gestionnaires œuvrant à l’hôpital.

Au moment des entrevues, la nouvelle représentation qu’ont les directeurs de leur travail est bien définie. Il s’agit de la troisième période que nous avons identifiée. Lors de cette période, non seulement la majorité des directeurs a adopté une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne, mais ils valorisent l’adoption de cette nouvelle représentation auprès des cadres intermédiaires sous leur supervision. Pour amener les cadres intermédiaires à adopter cette représentation, les directeurs apportent des modifications à la structure organisationnelle. Certaines de ces modifications sont le résultat d’initiatives individuelles s’appliquant à une seule direction. Par exemple, dans certaines directions, le directeur procède à l’ajout d’une strate entre les cadres intermédiaires et les employés. Les employés composant cette nouvelle strate se voient déléguer la responsabilité des questions cliniques ou techniques anciennement dévolues au gestionnaire. Le pari que font ces directeurs est qu’en allégeant les cadres intermédiaires de ces responsabilités, ils devraient être en mesure d’adopter plus facilement la nouvelle représentation de leur travail. D’autres modifications structurelles touchent l’ensemble des cadres intermédiaires. C’est le cas de la création d’un secteur dédié au suivi et au contrôle des ententes de gestion. Il est aussi décidé par les directeurs de modifier l’appellation des cadres intermédiaires. Ceux-ci ne sont plus désigné par le terme « cadre » mais par le terme « gestionnaire ». Qui plus est, le profil des cadres intermédiaires embauchés évolue, la formation en gestion y occupant une place plus importante.

Précisons que le seul directeur défendant une représentation de son travail et de celui de ses subordonnés allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel apporte lui aussi des modifications à la structure de sa direction. Ces modifications sont cependant différentes

65 La question des rapports de pouvoir entre directeurs joue ici un rôle important. Nous y reviendrons.

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de celles qui touchent les autres cadres de l’organisation. Ainsi, plutôt que d’ajouter une strate entre le cadre intermédiaires et ses subordonnés, il ajoute un cadre intermédiaire dans sa direction ce qui a pour effet de consolider la représentation traditionnelle de ces derniers.

Les rapports de pouvoir

L’adoption ou la consolidation des représentations qu’ont les directeurs de leur travail s’explique aussi par le pouvoir relatif de chacun de ces directeurs suite à la création du CSSS. En effet, le pouvoir relatif de chacun des directeurs a un impact important sur sa capacité à défendre la représentation qu’il a de son travail et de celui de ses subordonnés mais aussi sur sa capacité à accéder aux ressources de l’organisation et à imposer ses priorités. Plus spécifiquement, la défense de sa représentation passe par le maintien ou la modification de certaines conditions d’exercice du travail, ce qui nécessite que le directeur ait la capacité d’avoir accès à des ressources humaines, matérielles et financières.

Dans le CSSS#1, deux types de rapport de pouvoir nous paraissent important à prendre à compte. Le premier concerne les rapports entre les directeurs cliniques. Nous avons déjà mentionné qu’on retrouve dans le CSSS#1 une structure par programme « souple ». Ceci signifie, entre autre, qu’il existe des liens entre les missions (CLSC, CHSLD et CH) et les contours des directions cliniques. Ce faisant, les directeurs à la tête de ces directions défendent les spécificités de leurs missions. Dans le CSSS#1 on retrouve d’un côté une coalition entre les directeurs en charge de programmes liés aux missions CLSC et CHSLD et de l’autre côté, le directeur en charge de la mission CH.

Les sources de pouvoir mobilisées par les directeurs cliniques sont liées à la nature des actes réalisés dans les services dont ils ont la charge. C’est la capacité du directeur à démontrer le caractère prioritaire des secteurs sous sa supervision qui leur permet d’imposer leurs priorités et d’obtenir des ressources. À ce jeu, dans le CSSS#1, les secteurs liés à la mission hôpital semblent avantagés par rapport à ceux liés aux missions CHSLD et CLSC. En effet, les soins dispensés à l’hôpital revêtent un caractère prioritaire, ce qui donne un pouvoir important aux gestionnaires responsables de ces secteurs.

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C’est donc le pouvoir relatif du directeur à la tête de la direction liée à la mission CH qui explique que celui-ci soit en mesure de défendre une représentation de son travail et de celui de ses subordonnés allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel. De plus, cela apporte un éclairage nouveau sur la réaction des autres directeurs cliniques. Nous avons déjà indiqué que certains émettent des doutes quant à la pertinence de la représentation liée à l’idéal type du gestionnaire moderne mais qu’ils s’y rallient. Leur position dans les rapports de pouvoir permet de comprendre ce ralliement. Ils sont conscients qu’ils ne pourraient convaincre leurs collègues de leur donner les ressources nécessaires pour maintenir une représentation du travail traditionnel. Ils prennent acte de la situation et s’y soumettent.

Le deuxième type de rapport met aux prises les directeurs administratifs et les directeurs cliniques. Nous avons indiqué plus tôt que les directeurs administratifs valorisent fortement la représentation du travail de gestion qui s’apparente à l’idéal type du gestionnaire moderne. Suite à la création du CSSS, ces directeurs administratifs se sont vus confier des responsabilités importantes liées à l’harmonisation des règles administratives de l’organisation (négociation des conventions collectives, harmonisation des processus budgétaires, harmonisation des critères d’accès aux ressources matérielles, etc.). C’est par cette harmonisation que les directeurs administratifs influent sur la représentation qu’ont les directeurs de leur travail et de celui de leurs subordonné car ces nouvelles règles modifient la capacité de ceux-ci d’avoir accès aux ressources de l’organisation.

Encore ici, le seul directeur clinique en mesure de s’imposer face aux directeurs administratifs est le directeur en charge des secteurs situés à l’hôpital. Celui-ci est en mesure de défendre la priorité des actes cliniques sur le suivi des règles administratives. Qui plus est, il est en mesure d’avoir accès à des ressources financières, humaines et matérielles difficilement accessibles aux autres directeurs.

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6.3.1.2 Facteurs explicatifs des représentations des cadres intermédiaires du CSSS#1

Au moment des entrevues, la majorité des cadres intermédiaires du CSSS#1 ont une représentation qui s’apparente à l’idéal type du gestionnaire moderne. La minorité dont la représentation s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire traditionnel est composée de gestionnaires œuvrant dans des secteurs cliniques. Nous avons identifié trois éléments qui expliquent l’importance qu’a pris la représentation moderne chez les cadres intermédiaires. Il s’agit d’abord du moment de leur embauche, des impacts de la structures du CSSS et des conditions d’exercice qui en découlent et finalement des rapports de pouvoir dans lesquels ils sont insérés.

Moment de l’embauche

Une majorité des gestionnaires ayant une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne ont accédé à leur poste après la création du CSSS (voir tableau 10). Ceci semble un facteur explicatif important de leur représentation car ils mentionnent ne pas avoir changé la représentation qu’ils ont de leur travail depuis leur embauche et être enthousiastes vis-à-vis de ce nouveau type d’organisation. A contrario, la majorité des gestionnaires ayant une représentation allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel ont accédé à leur poste avant la création du CSSS. Cette situation semble confirmer le fait que les directeurs aient modifié les critères utilisés lors de l’embauche des cadres intermédiaires.

Tableau 10. Représentations des cadres intermédiaires en fonction du moment de leur embauche_CSSS#1 Moment de Fonctions Fonctions Total l’embauche Clinique Administratif / technique Avant CSSS Moderne 3 1 4 Traditionnel 1 0 1 Après CSSS Moderne 2 6 8 Traditionnel 2 0 2 Total 8 7 15

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Structure et conditions d’exercice

Les conditions d’exercice liées au poste occupé par les cadres intermédiaires représentent un élément fondamental pour saisir l’évolution des représentations qu’ils ont de leur travail. Il faut d’abord rappeler que les cadres intermédiaires ne sont pas impliqués dans la réflexion à propos de ces caractéristiques. Les choix quant aux caractéristiques de la structure organisationnelle sont effectués par les directeurs de l’organisation. Les cadres intermédiaires ont donc très peu de pouvoir pour modifier les conditions d’exercice de leur travail.

À ce propos, le fait que certains cadres intermédiaires soient maintenant responsables de la supervision d’employés répartis sur plusieurs sites influence fortement la représentation qu’ils ont de leur travail. Devant l’impossibilité d’être présents sur tous les sites, les cadres intermédiaires doivent réfléchir à de nouveaux moyens d’encadrer leurs subordonnés. Évidemment, pour les cadres n’ayant pas à superviser d’employés sur plusieurs sites, la situation est différente. D’ailleurs, il s’agit là d’un facteur explicatif important du fait que le cadre intermédiaire œuvrant à l’hôpital ait une représentation traditionnelle. Sa proximité des unités de soins sous sa supervision explique en partie qu’il soit en mesure de maintenir cette représentation.

Rapports de pouvoir

L’évolution des représentations qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail s’explique aussi par les rapports qu’ils entretiennent avec les autres acteurs de l’organisation. À ce propos, deux types de rapports sont à prendre en compte, les rapports entre le supérieur hiérarchique et les cadres intermédiaires sous sa supervision et ceux entre les cadres intermédiaires cliniques et les cadres intermédiaires administratifs et techniques.

En ce qui à trait à la relation avec le supérieur hiérarchique, il convient de préciser que la majorité des gestionnaires ont une représentation de leur travail qui est en cohérence avec la représentation valorisée par leur directeur (Voir tableau 11). Seuls les gestionnaires cliniques œuvrant en CHSLD ont une représentation différente de celle valorisée par leur directeur.

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Ceux-ci sentent d’ailleurs une forte pression pour modifier la représentation qu’ils ont de leur travail. Cette pression provient de leur supérieur mais aussi, et surtout, de l’impossibilité de faire leur travail comme ils le voudraient dans les conditions d’exercice qui résultent de la création du CSSS.

Ces gestionnaires expliquent être en désaccord avec la nouvelle représentation qu’on leur demande d’adopter car celle-ci est en opposition avec ce qu’ils croient être un « bon gestionnaire de CHSLD ». S’ils affirment comprendre la logique derrière ces nouvelles conditions, ils ne veulent pas adopter la nouvelle représentation de leur travail qui est valorisée. Pourtant, ces gestionnaires n’ont que peu de moyens de résister à ces pressions. Ils expriment à leur supérieur les difficultés qu’ils vivent au quotidien et lui demandent de modifier les conditions d’exercice de leur travail. Cependant, ils ne sont pas très optimistes quant à la possibilité de voir les conditions d’exercice de leur travail être modifiées. La seule autre option que ces gestionnaires semblent considérer est de changer de poste. C’est d’ailleurs ce que venait tout juste de faire un des gestionnaires que nous avons rencontrés.

Tableau 11. Cohérence ou incohérence avec la représentation valorisée par leur directeur_CSSS#1 Division formelle du travail Représentations des Représentations cadres des directeurs intermédiaires Gestionnaires Mission CH Traditionnel Traditionnel cliniques Mission CLSC Moderne Moderne Mission CHSLD Traditionnel Moderne Gestionnaires administratifs Moderne Moderne

À propos de la relation avec les gestionnaires des secteurs administratif et technique, il faut considérer le fait que la totalité de ces derniers ont une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne comme un facteur influençant fortement l’évolution des représentations dans le CSSS. Avec la fusion, les directions administratives se sont vues confier le mandat d’harmoniser les règles administratives. Ce faisant, les gestionnaires œuvrant dans ces directions se sont aussi vus confier une fonction de contrôle

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des actions des gestionnaires cliniques. En effet, les gestionnaires administratifs doivent non seulement élaborer les nouvelles règles administratives mais aussi s’assurer de leur application. Ce faisant, ces gestionnaires participent à l’adoption de cette nouvelle représentation par leurs collègues cliniques. À ce propos, il convient de préciser que très peu de gestionnaires cliniques sont en mesure de tenir tête aux règles élaborées par les gestionnaires administratifs. Encore une fois, le gestionnaire œuvrant à l’hôpital est le seul en mesure d’imposer ses priorités et en mesure d’outrepasser, ou d’influencer, certaines règles administratives.

6.3.2 Le CSSS#2

6.3.2.1 Facteurs explicatifs des représentations des directeurs du CSSS#2

Dans la section précédente, nous avons indiqué qu’au moment des entrevues, une majorité de directeurs ont une représentation allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne. Plus précisément, un seul directeur a une représentation s’apparentant à l’idéal type du gestionnaire traditionnel. Nous avons identifié trois éléments qui découlent de la réforme et qui expliquent l’importance qu’a pris la représentation moderne chez les directeurs. Il s’agit de l’arrivée massive de nouveaux directeurs provenant de l’extérieur, de l’influence de la structure organisationnelle et des conditions d’exercice qui en découlent et finalement des rapports de pouvoir entre directeurs.

Arrivée massive de nouveaux directeurs et modifications de la structure organisationnelle

Nous avons indiqué précédemment que le CSSS#2 a connu une période de tension importante ayant mené au départ d’un des sites ainsi qu’au départ de plusieurs anciens directeurs. Durant cette période ce sont, en plus du directeur général, deux des trois directeurs administratifs qui quittent le CSSS#2. Ces derniers sont remplacés par des directeurs qui proviennent de l’extérieur des anciennes organisations et qui arrivent au CSSS#2 avec une vision en rupture avec celle de l’ancienne équipe de direction. Pour le dire clairement, ces nouveaux directeurs

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valorisent fortement une représentation du travail de gestion allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne.

Ainsi, durant la période qui suit l’arrivée de ces nouveaux acteurs, des changements importants sont apportés à la structure du CSSS#2 de manière à augmenter l’intégration des sites mais aussi de manière à modifier le travail des directeurs. Ainsi, on adopte une structure par programme rigide. C’est-à-dire que les directions se concentrent sur les programmes dont elles ont la responsabilité. De plus, on réduit le nombre de directions, non seulement pour diminuer les coûts et augmenter l’intégration des sites, mais aussi de manière à augmenter la classe salariale des postes de direction et ainsi les rendre plus attrayants pour de futurs candidats. Il convient d’ajouter que le contexte budgétaire difficile dans lequel se trouve le CSSS#2 à ce moment, donne de la valeur aux propositions de changement préconisées par les nouveaux directeurs. Devant la crise que vit le CSSS#2 il est difficile pour les « anciens » directeurs de défendre le statu quo. C’est à cette étape que s’impose la représentation moderne du travail des directeurs.

Au moment des entrevues, la nouvelle représentation qu’ont les directeurs de leur travail est bien définie. Lors de cette période, la majorité des directeurs a adopté une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne. Cette période se caractérise aussi par le fait que les directeurs du CSSS#2 constatent que les modifications apportées à la structure organisationnelle entraînent des modifications importantes aux conditions d’exercice du travail des gestionnaires sous leur responsabilité et que celles-ci exigent de repenser leur travail. Si ce constat est partagé par tous les directeurs, il ne débouche cependant pas sur une nouvelle représentation partagée par tous de ce que devrait être le travail des gestionnaires sous leur supervision.

Rapports de pouvoir

L’adoption ou la consolidation des représentations qu’ont les directeurs de leur travail s’explique aussi par le pouvoir relatif de chacun des directeurs suite à la création du CSSS. Les rapports de pouvoir que l’on retrouve entre les directeurs du CSSS#2 se structurent autour

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de la question de l’identification des priorités de l’organisation ainsi que de l’allocation des ressources de l’organisation.

En fait, les rapports de pouvoir qui ont le plus d’impacts sont ceux qui concernent les directeurs administratifs et techniques et les directeurs cliniques. Ces rapports semblent avoir pris une grande importance lors de l’arrivée des nouveaux directeurs. À leur arrivée, ceux-ci ont été en mesure d’imposer certains éléments influençant la représentation qu’ont les directeurs de leur travail. Il faut préciser que le contexte de crise dans lequel était le CSSS à ce moment donnait du poids aux propositions de changements portées par ces acteurs.

Il faut ajouter à cela le fait que la responsabilité qui est dévolue aux directions administratives et techniques d’harmoniser les règles administratives leur donnent un pouvoir important en ce qui a trait à l’évolution des représentations du travail de gestion. Ceci est d’autant plus important dans le CSSS#2 du fait qu’avec la structure par programme « rigide » toutes les questions qui ne sont pas strictement cliniques sont sous la responsabilité de ces directions.

6.3.2.2 Facteurs explicatifs des représentations des cadres intermédiaires du CSSS#2

Au moment des entrevues, environ la moitié des cadres intermédiaires du CSSS#2 a une représentation qui s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire traditionnel et une autre moitié a une représentation qui s’apparente à l’idéal type du gestionnaire moderne. Trois éléments nous paraissent expliquer cette proportion. Il s’agit de la proportion d’anciens cadres intermédiaires par rapport aux nouveaux cadres intermédiaires, des caractéristiques de la structure du CSSS#2 et des conditions d’exercice qui en découlent et finalement des rapports de pouvoir dans lesquels sont insérés les cadres intermédiaires.

Moment de l’embauche

La période d’embauche semble être un facteur explicatif de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. En effet, la majorité des gestionnaires ayant une représentation de

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leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel avait un poste de gestion dans les anciennes organisations. A contrario, la majorité des gestionnaires ayant une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire moderne a été embauché après la création du CSSS (voir tableau 12).

Tableau 12. Représentations des cadres intermédiaires en fonction du moment de leur embauche_CSSS#2 Moment de Fonctions Fonctions Total l’embauche Clinique Administratif / technique Avant CSSS Moderne 1 0 1 Traditionnel 5 1 6 Après CSSS Moderne 3 4 7 Traditionnel 2 0 2 Total 11 5 16

Surtout, plusieurs gestionnaires qui étaient présents dans les anciennes organisations occupent toujours, au moment des entrevues, des postes de cadres intermédiaires. Ceci explique en partie le nombre important de gestionnaires ayant une représentation traditionnelle de leur travail.

Structure et conditions d’exercice qui en découlent

Un élément fondamental afin d’expliquer les représentations qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail est les conditions dans lesquelles ils exercent leur travail. À ce propos, trois éléments sont mis de l’avant par les gestionnaires. Le premier concerne le nombre de sites à superviser. L’impossibilité d’être présent en tout temps dans les sites supervisés et d’être près des subordonnés exerce une grande influence sur la représentation qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail. Ce que ces gestionnaires soulèvent, c’est la difficulté d’entretenir la relation qu’ils voudraient entretenir avec leurs employés. Le deuxième élément concerne la redéfinition des responsabilités de chacun des cadres intermédiaires en fonction de la structure par programme. Ce type de structure incite les gestionnaires à se concentrer sur leurs champs d’expertise et, ce faisant, à modifier fortement la nature de leur travail. Cette

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caractéristique touche plus particulièrement les cadres intermédiaires œuvrant dans les missions CLSC et CHSLD. En effet, ceux-ci ont vu plusieurs éléments qui étaient sous leur responsabilité leur être enlevés pour être redistribués aux gestionnaires des directions soutien. Finalement, la situation financière du CSSS#2 entraîne une forte pression pour que les cadres intermédiaires priorise l’atteinte de leurs cibles de gestion et mettent l’accent sur la rationalisation des modes de fonctionnement des secteurs sous leur responsabilité.

Rapports de pouvoir

L’évolution des représentations qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail s’explique aussi par les rapports qu’ils entretiennent avec d’autres acteurs de l’organisation. À ce propos, deux types de rapports nous paraissent importants, ceux entre le supérieur hiérarchique et le cadre intermédiaire sous sa supervision et ceux entre les cadres intermédiaires cliniques et les cadres intermédiaires administratifs et techniques.

La majorité des gestionnaires ont une représentation de leur travail qui est en cohérence avec la représentation valorisée par leur directeur (Voir tableau 13).

Le gestionnaire ayant une représentation traditionnelle, en cohérence avec celle de son supérieur, est en charge d’un secteur situé à l’hôpital. Ce dernier est très critique des changements qui découlent de la création du CSSS. Il est très conscient des pressions qui s’exercent sur lui afin de changer la représentation qu’il a de son travail. Ces pressions ne proviennent pas de son directeur mais des conditions d’exercice de son travail ainsi que des directions administratives. La nature du secteur qu’il supervise lui donne cependant le pouvoir nécessaire pour se défendre face à ces pressions. À ce propos, il a été en mesure d’augmenter les ressources qui lui sont consenties. Qui plus est, il n’hésite pas à affirmer qu’il fait les choses comme il considère qu’elles doivent être faites, même s’il ne respecte pas les règles administratives

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Tableau 13. Cohérence ou incohérence avec la représentation valorisée par leur directeur_CSSS#2 Division formelle du travail Représentation des Représentations des cadres intermédiaires directeurs Gestionnaires cliniques Direction Traditionnel (5) Moderne clinique 166 Moderne (2)

Direction Moderne Moderne clinique 2

Direction Traditionnel Traditionnel clinique 3

Gestionnaires Moderne (3) Moderne administratifs et Traditionnel (1) techniques

La situation est bien différente pour les autres gestionnaires ayant une représentation de leur travail allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel. Certains de ces gestionnaires sont conscients des attentes de leur directeur et expriment subir de fortes pressions pour changer.

Il s’avère cependant que les gestionnaires ont peu de moyens pour faire face à ces pressions et défendre leur représentation de leur travail. D’ailleurs, un des gestionnaires rencontrés cherchait, au moment des entrevues, un emploi dans une autre organisation en dehors du secteur de la santé. Il justifie cette réaction par le fait que les conditions d’exercice du travail actuelles l’empêchent d’être le gestionnaire qu’il voudrait être.

Un autre gestionnaire affirme réfléchir à la possibilité de redevenir professionnel soignant. Il explique comprendre les attentes que l’organisation a envers lui mais ajoute qu’il est mal à l’aise car il n’a pas l’impression que la représentation de son travail qu’on lui demande d’adopter constitue la meilleure façon de faire son travail. L’option de redevenir professionnel

66 En raison des caractéristiques de la structure organisationnelle du CSSS#2, il est impossible de lier les directions cliniques aux missions CH, CLSC et CHSLD. Qui plus est, pour des raisons de confidentialité, nous ne pouvons indiquer les noms des directions, c’est pourquoi les trois directions cliniques sont identifiées comme telles.

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soignant n’est cependant pas possible pour tous. Deux gestionnaires expliquent qu’ils ne pourraient redevenir professionnels soignants car cela fait trop longtemps qu’ils sont gestionnaires. Ceci impliquerait d’abord une remise à niveau de leurs compétences cliniques, mais aussi de recommencer à travailler sans ancienneté, et donc, de soir ou de nuit. Ces deux gestionnaires expliquent faire ce qu’on leur demande, même s’ils sont très critiques. Ils demeurent à leur poste car il ne leur reste que quelques années avant leur retraite, qu’ils attendent avec impatience.

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6.4 Comparaison des deux CSSS et réponses aux questions de recherche

Nous avons déjà mentionné que nos premiers contacts avec la réforme nous avaient laissé perplexe. Nous avions été surpris par l’homogénéisation de la catégorie gestionnaire, opérée dans les discours du ministre Couillard ainsi que par la volonté exprimée par ce dernier de « libérer » les gestionnaires des entraves les empêchant de jouer le rôle qu’ils voudraient jouer. À la suite de nos analyses, nous émettons des doutes à l’effet que les changements mis en œuvre dans le cadre de la réforme Couillard aient réellement pour objectif de « libérer » les gestionnaires des entraves qui les empêcheraient de jouer leur rôle. Il nous paraît plus exact de dire que les changements mis en œuvre avaient pour objet d’amener les gestionnaires à adopter une représentation précise du rôle qu’ils doivent jouer dans leur organisation, cette représentation découlant des fondements idéologiques de la réforme.

En effet, dans les deux CSSS, nous constatons que la représentation moderne du travail de gestion prend une importance grandissante suite à la réforme. En ce sens, nos résultats nous permettent d’affirmer que nous assistons à une homogénéisation de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Nous appuyons ce constat sur plusieurs éléments.

D’abord, dans les deux CSSS, les gestionnaires dont la représentation s’apparente à celle de l’idéal type du gestionnaire traditionnel affirment que les caractéristiques du CSSS les empêchent d’être les gestionnaires qu’ils voudraient être. A contrario, dans les deux CSSS, les gestionnaires qui sont les plus enthousiastes par rapport aux changements ont une représentation moderne. Ceux-ci affirment être en mesure d’exercer leur travail comme ils le conçoivent.

De plus, dans les deux CSSS, on constate que la majorité des gestionnaires ayant une représentation allant dans le sens de l’idéal type du gestionnaire traditionnel ont accédé à leur poste avant la création du CSSS. On peut supposer que la représentation traditionnelle était en cohérence avec les caractéristiques des anciennes organisations. A contrario, la majorité des

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gestionnaires ayant accédé à leur poste à la suite de la création des CSSS ont une représentation moderne.

Qui plus est, dans les deux CSSS, aucun des gestionnaires rencontrés n’a affirmé être passé d’une représentation moderne du travail de gestion à une représentation traditionnelle suite à la mise en œuvre de la réforme. A contrario, nous avons rencontré dans les deux CSSS des gestionnaires étant passés d’une représentation traditionnelle à moderne.

Au-delà de ce constat, ajoutons que la nature de l’homogénéisation observée nous paraît particulièrement intéressante. Nous pouvons dire que nous faisons face à une managérisalisation du travail des gestionnaires d’établissements de santé et de services sociaux. D’ailleurs, ces résultats sont en cohérence avec les observations de plusieurs auteurs à propos de l’évolution de la fonction des gestionnaires d’établissements de santé, de premier niveau hiérarchique, en charge de secteurs cliniques. Ces auteurs soulignent le caractère de plus en plus managérial des activités réalisées par ces gestionnaires à la suite de réformes du NMP et ce autant en Grande-Bretagne (Bolton, 2003, 2005; Willmott, 1998; Wise, 2007), en Australie (Newman et Lawler, 2009) qu’en France (Féroni et Kober-Smith, 2005; Chéronnet et Gadéa, 2009).

Par rapport à ces auteurs, nos résultats se distinguent du fait que nous n’avons pas cherché à analyser la nature des activités réalisées par les gestionnaires mais plutôt à saisir la façon dont les gestionnaires se représentent leur travail. À ce propos, nos résultats confortent le constat effectué par Chéronnet et Gadéa (2009) à l’effet que les réformes du NMP amènent les gestionnaires à redéfinir la conscience qu’ils ont d’eux-mêmes. Nous allons cependant plus loin et affirmons que les changements mis en œuvre dans le cadre de la réforme Couillard ont effectivement entraîné une évolution de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur rôle. Ceci est particulièrement vrai dans le cas des gestionnaires cliniques. Pour reprendre une opposition classique en sociologie des cadres, nous pourrions dire que ceux-ci se perçoivent et agissent de plus en plus en tant que représentant de l’organisation et non plus en tant que représentant de leur profession. En ce sens, nous constatons, comme le font Féroni et Kober- Smith (2005) et Gadéa (2011), une rupture importante entre la fonction d’encadrement et la

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profession soignante. Il nous paraît important de souligner cette rupture. En effet, il n’est pas insignifiant que des membres de la profession soignante aient toujours été impliqués dans l’administration des établissements de santé et de services sociaux québécois. Cette appartenance à la profession influence nécessairement la façon dont les acteurs perçoivent leur rôle dans l’organisation. Or, ce que nous observons suite à la création des CSSS, c’est qu’un ensemble de facteurs découlant de la réforme minimise l’influence de cette caractéristique.

Par rapport à la littérature, il convient de souligner que notre étude se distingue par le fait que nous avons décrit les impacts de la réforme sur l’ensemble des acteurs composant la catégorie gestionnaire et non pas uniquement sur les gestionnaires en charge de secteurs cliniques. Il s’agit-là d’un apport important. Nous savons depuis longtemps que la dynamique interne de cette catégorie d’acteurs est complexe et que ce groupe se caractérise par son hétérogénéité. Cependant, dans le cadre de notre recherche, nous avons constaté que la dynamique interne nuance les impacts de la réforme. À ce propos, nous avons identifié trois lignes de démarcation à l’intérieur du groupe des gestionnaires.

La première ligne de démarcation concerne la différence entre les gestionnaires responsables de secteurs administratifs et techniques et ceux responsables de secteurs cliniques. Précisons que cette ligne de démarcation transcende les niveaux hiérarchiques. Notre recherche nous a permis de constater que la réforme a consolidé la représentation qu’ont les gestionnaires administratifs et technique de leur travail. Pour la grande majorité de ces gestionnaires, la réforme n’entraîne pas une redéfinition de la représentation qu’ils ont de leur travail, elle leur permet plutôt de l’exercer comme ils l’entendent. Ceci n’est pas le cas pour les gestionnaires cliniques. C’est sur les gestionnaires de ce sous-groupe que la réforme exerce le plus de pression.

À cela il faut ajouter que le rapport qu’entretiennent les gestionnaires administratifs et techniques avec les gestionnaires cliniques contribue à l’évolution de la représentation de ces derniers. En effet, nous avons démontré que la réforme a entraîné un transfert du pouvoir des gestionnaires cliniques vers les gestionnaires responsables des secteurs administratifs et techniques. Non seulement ces derniers se sont vus confier le mandat d’harmoniser les

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pratiques administratives et techniques mais plusieurs responsabilités qui étaient anciennement dévolues aux gestionnaires cliniques leurs ont été transférées. Par exemple, certains gestionnaires administratifs et techniques ont maintenant la responsabilité de prioriser les besoins identifiés par les secteurs cliniques. À ce propos, nos constats vont dans le même sens que ceux de Feroni et Kober-Smith (2005) ainsi que de Bouret (2008), qui identifient l’importance des contraintes provenant de la technostructure sur les gestionnaires cliniques à la suite de réformes. Nous y ajoutons que très peu de gestionnaires cliniques sont en mesure de résister aux règles émises par les gestionnaires administratifs et techniques. À ce propos, les seuls qui sont en mesure d’y faire face sont ceux œuvrant en centre hospitalier. Ceci nous amène à traiter de la deuxième ligne de démarcation.

Cette deuxième ligne de démarcation se situe à l’intérieur même du sous-groupe des gestionnaires cliniques et concerne la différence entre les gestionnaires associés aux différentes missions. Nous avons constaté une différence importante entre, d’un côté, les gestionnaires appartenant aux missions CLSC et CHSLD et, de l’autre côté, ceux appartenant à la mission CH. Encore une fois, cette ligne de démarcation transcende les niveaux hiérarchiques.

L’identification de cette ligne de démarcation constitue un autre apport important de notre recherche. En effet, il convient de rappeler que la création des CSSS visait à amener des organisations dispensant des soins et services complémentaires à augmenter leur collaboration. Pour le ministre Couillard il semble que le manque de collaboration entre les établissements s’expliquait par le fait que ces organisations étaient indépendantes les unes des autres. Dit autrement, pour le ministre, c’est la présence de frontières organisationnelles qui expliquait que les gestionnaires priorisent leur organisation au détriment des autres. En ce sens, il suffisait de fusionner ces organisations et d’éliminer les frontières organisationnelles, pour qu’elles augmentent leur collaboration. Notre recherche lève le voile sur une réalité plus complexe que cela. Plutôt que d’expliquer l’action des gestionnaires par une simple priorisation égoïste de leur organisation, notre recherche met plutôt de l’avant le fait que les gestionnaires ont des représentations différentes ce que devraient être les priorités du système de santé et de services sociaux et que ces représentations sont en lien avec la mission dans

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laquelle ils œuvrent. En ce sens, nous avons constaté des différences importantes entre les cultures des gestionnaires œuvrant en centre hospitalier et ceux œuvrant en CHSLD ou en CLSC.

De plus, nous avons observé qu’à la suite de la création du CSSS, ces différences culturelles ne sont pas disparues. Plusieurs des gestionnaires rencontrés continuent à défendre la représentation qu’ils ont de ce que devrait être le fonctionnement et les priorités du système de santé et de services sociaux québécois. En fait, ce que nous constatons, c’est que la création des CSSS a entraîné une mise en compétition des gestionnaires pour l’accès aux ressources de l’organisation ainsi que pour l’établissement des priorités de celles-ci. Qui plus est, nous sommes en mesure d’affirmer qu’à ce jeu, ce sont les gestionnaires œuvrant à l’hôpital qui sont en mesure d’imposer leurs priorités à ceux œuvrant en CLSC et en CHSLD. Mentionnons que ce constat conforte l’observation de Kowalczyk (2002) qui a identifié la nature des soins que l’on retrouve à l’hôpital comme un obstacle à l’imposition de modes de fonctionnement propre au NMP.

Ce pouvoir des gestionnaires œuvrant à l’hôpital a un impact important sur l’évolution des représentations que les gestionnaires ont de leur travail. Ainsi, rappelons que seuls les gestionnaires œuvrant en centre hospitalier sont en mesure de faire face aux pressions provenant des gestionnaires administratifs et techniques. À cela s’ajoute que ces mêmes gestionnaires œuvrant en centre hospitalier sont aussi en mesure d’imposer leurs priorités face aux autres gestionnaires cliniques. Ce faisant, ils sont en mesure de défendre et de maintenir la représentation qu’ils ont de leur travail. A contrario, les gestionnaires associés aux missions CLSC et CHSLD semblent ne disposer que de très peu de pouvoir pour faire face aux pressions provenant des gestionnaires de l’hôpital et des secteurs administratifs et techniques.

C’est donc leur pouvoir relatif qui explique que nous retrouvions beaucoup plus de gestionnaire ayant une représentation traditionnelle de leur travail à l’hôpital. Surtout, cela nous permet de comprendre la situation des gestionnaires cliniques œuvrant en CLSC et en CHSLD. Rappelons que c’est dans ce sous-groupe que nous avons rencontré le plus

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d’insatisfaction. Ceci s’explique par le fait que pour ces gestionnaires il n’y a que peu d’options pour faire face aux changements, soit ils se conforment, soit ils quittent.

La troisième ligne de démarcation concerne les différents niveaux hiérarchiques. La réforme n’a pas les mêmes impacts pour les directeurs que pour les cadres intermédiaires. Une grande majorité de directeurs, pour ne pas dire la quasi-totalité, ont une représentation moderne de leur travail. Ceci s’explique d’abord par le fait que les directeurs se sont vus confier la responsabilité de l’élaboration du CSSS. Contrairement aux cadres intermédiaires, les directeurs sont impliqués dans les réflexions et les décisions à propos des structures de la nouvelle organisation. À cette implication s’ajoute le fait que les directeurs adhèrent aux objectifs cliniques de la réforme. Pour eux, les changements font du sens car ils ont pour objectifs d’améliorer les soins et les services aux patients. En ce sens, les directeurs considèrent qu’une de leurs responsabilités est de s’assurer que le CSSS atteigne ses objectifs.

À cela s’ajoute le fait qu’avec la création des CSSS les directeurs se sont éloignés du terrain et de leurs subordonnés. Ceci a un impact important sur le regard qu’ils portent sur le CSSS. Cet éloignement fait en sorte que les critères qu’ils utilisent pour réfléchir à l’avenir du CSSS, et pour évaluer son fonctionnement, sont les objectifs officiels de la réforme ainsi que ceux contenus dans les ententes de gestion.

Il faut préciser que si la grande majorité des directeurs a une représentation moderne de son travail cela ne signifie pas que nous faisions face à un groupe homogène. Notre recherche démontre la complexité de la dynamique interne de ce sous-groupe de gestionnaires. Ainsi, le sous-groupe des directeurs est traversé par les deux lignes de démarcations présentées précédemment. Ceci signifie que les directeurs ne disposent pas tous du même pouvoir pour faire face à la réforme. Nous avons démontré que ces rapports de pouvoir déterminent la capacité des directeurs à défendre une certaine représentation de leur rôle et de celui de leurs subordonnés.

Qui plus est, l’ampleur de la représentation moderne de leur travail que l’on retrouve chez les directeurs est importante car elle influence la représentation qu’ils ont du travail de leurs

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subordonnés. Nous touchons là à une distinction importante entre les niveaux hiérarchiques, à savoir le fait que les directeurs aient la responsabilité de définir le travail des cadres intermédiaires sous leur supervision. À cette responsabilité s’ajoute le pouvoir de modifier les structures de leur direction ainsi que les conditions d’exercice du travail de leurs subordonnés. C’est donc dire que les directeurs jouent un rôle fondamental dans l’évolution de la représentation qu’ont les cadres intermédiaires de leur travail.

Au-delà de l’identification des trois lignes de démarcation présentées précédemment et de leurs impacts sur l’évolution des représentations que les gestionnaires ont de leur travail, nous avons aussi été en mesure d’identifier plusieurs facteurs découlant de la réforme et influençant la représentation que les gestionnaires ont de leur travail. En fait nous pourrions regrouper ces facteurs en deux groupes : ceux imposés par la réforme, sur lesquels les gestionnaires locaux n’avaient aucun pouvoir, et ceux instaurés par les gestionnaires locaux eux-mêmes, en réponse à ceux imposés par la réforme.

Dans les deux CSSS nous pouvons identifier des éléments imposés par la réforme, sur lesquels les gestionnaires locaux n’ont que peu de pouvoir et qui exercent une pression importante sur les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail. À ce propos, la fusion de plusieurs établissements mais surtout l’obligation de structurer la nouvelle organisation par programme est à l’origine de nouvelles conditions d’exercice du travail qui amènent les gestionnaires à redéfinir leur rôle dans l’organisation.

À ce propos, les conditions d’exercice identifiées dans notre recherche sont en cohérence avec celles rapportées dans la littérature. Ainsi, les gestionnaires nous ont mentionné l’importance de la normalisation de leurs processus de travail. Cet élément a été décrit par Dupuis et Farinas (2010) et Dupuis, Farinas et Demers (2004). Les gestionnaires ont aussi soulevé leur éloignement de l’unité sous leur supervision, ce qui avait été décrit par Fulop et al. (2002) et McConville et Holden (1999). Les gestionnaires ont aussi mis de l’avant l’importance qui est maintenant accordée aux mesures de contrôle de la performance. Cet élément avait préalablement été observé par Allsop et May (1993), Hoque (2004) et Newman et Lawler (2009).

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Ce que nous tenons à souligner c’est que ces conditions d’exercice découlent de la nature même des CSSS. C’est la fusion ainsi que de l’obligation de mettre en œuvre des continuums de soins qui déterminent ces conditions d’exercice. En ce sens, même les gestionnaires qui critiquent fortement ces nouvelles conditions d’exercice peinent à identifier des alternatives qui ne remettent pas en question le modèle même du CSSS.

À cela il faut ajouter que les gestionnaires locaux ont aussi contribué à l’évolution des représentations. Ainsi, notre recherche a permis d’identifier des stratégies, mises en place par les acteurs eux-mêmes, qui avaient pour objectif de faire évoluer les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail. À ce jeu les directeurs jouent un rôle particulièrement important. Ainsi, dans le cas du CSSS#1, et contrairement au CSSS#2, les directeurs avaient une image claire de ce qu’ils voulaient que devienne le travail des cadres intermédiaires. Ceux-ci ont donc mis en place une série de mesures visant à modifier le travail des gestionnaires et la représentation que ceux-ci en ont.

Rappelons que certains directeurs du CSSS#1 ont procédé à des modifications aux structures de leur direction. Ce qui est intéressant c’est que ces modifications, sauf dans le cas des gestionnaires œuvrant à l’hôpital, exacerbaient certaines conditions d’exercices qui découlent de la création du CSSS. Par exemple, ces modifications ont pour effet d’éloigner encore plus le gestionnaire de ses subordonnés et des patients. Les directeurs du CSSS#1 ont aussi mis en place un secteur dédié à l’évaluation de l’atteinte des cibles déterminées par les ententes de gestion confirmant l’importance de cette façon d’évaluer la performance de l’organisation.

Si ces stratégies s’attaquaient aux conditions d’exercice du travail des cadres intermédiaires, d’autres s’attaquaient directement à la définition du rôle du gestionnaire. Ainsi, les directeurs du CSSS#1 ont décidé de modifier l’appellation de leurs subordonnés. Ceux-ci ne sont plus des cadres intermédiaires mais bien des gestionnaires. Mentionnons que cette stratégie a été identifiée par Feroni et Kober-Smith, 2005 et Chéronnet et Gadéa, 2009 comme un moyen de consacrer l’évolution de la fonction de ces acteurs. Nous ajoutons que ce changement d’appellation ne fait pas que consacrer l’évolution, il participe au processus d’évolution.

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Dans la même veine, le profil des nouveaux cadres intermédiaires a aussi été revu. Un des éléments qui a maintenant une grande importance est la formation en gestion. Nous croyons, à l’instar de Divay et Gadéa (2008), que l’importance donnée à ce type de formation doit être perçu comme une volonté de modifier les savoirs et expertises qui légitiment l’accès à un poste de gestion. Nous ajoutons cependant que la formation a une réelle influence sur la manière dont les gestionnaires définissent leur rôle dans l’organisation. C’est ce qui explique que certains cadres intermédiaires affirment avoir compris ce qu’est leur rôle dans l’organisation grâce à ce type de formation.

Le fait que ce type de stratégie se retrouve uniquement dans le CSSS#1 est intéressant. Nous pouvons dire que les directeurs du CSSS#1 ont décidé de jouer le jeu du CSSS. À l’aune du nombre de gestionnaires ayant une représentation moderne de leur travail dans le CSSS#1, ces stratégies semblent fonctionner.

Pour terminer, il convient de rappeler que plusieurs recherches identifient la valorisation de la figure du gestionnaire comme une des composantes fondamentale du NMP (Fortier, 2010; Dwivedi et Gow, 1998; Hood, 1991; Merrien, 1999; Charih et Rouillard, 1997; Rouillard, 2001; Mercier, 2002). Malgré cette importance accordée au gestionnaire, on ne fait que peu de cas des rationalités mobilisées par ceux-ci. On semble considérer que le gestionnaire adhère nécessairement à une logique managériale. À ce propos, un apport important de notre recherche est que celle-ci souligne la complexité de l’action des gestionnaires. Si notre recherche permet d’affirmer que nous assistons à une managérialisation des gestionnaires, il convient de préciser que celle-ci résulte d’un ensemble de facteurs découlant de la réforme. En ce sens, on ne peut présupposer de l’action de cette catégorie d’acteurs uniquement en s’appuyant sur sa position hiérarchique. De plus, notre recherche soulève le fait que cette représentation peut devenir un enjeu important pour les réformateurs, du fait qu’elle détermine l’action de ceux à qui est déléguée la responsabilité de la mise en œuvre de la réforme. Ceci expliquerait qu’autant d’attention ait été portée à cette catégorie d’acteurs dans la réforme Couillard.

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Conclusion

Nous avons entrepris cette recherche avec l’objectif très large de saisir les impacts de la réforme du réseau québécois de la santé et des services sociaux, mise en œuvre à partir de 2003 par le ministre Couillard, sur les gestionnaires des CSSS. Il faut dire que l’image des gestionnaires que renvoyaient les discours de présentation de la réforme nous intriguait. Le ministre Couillard semblait considérer les gestionnaires comme un groupe homogène composé d’acteurs partageant une même rationalité. Qui plus est, ce groupe était fortement valorisé. Non seulement le ministre identifiait les gestionnaires comme ceux à qui la responsabilité de la mise en œuvre de la réforme incombait mais il leur promettait d’augmenter leur pouvoir et de les libérer des entraves les empêchant de réaliser leur travail. Paradoxalement, il leur annonçait simultanément l’augmentation de leur imputabilité et la mise en place de mesure de contrôle des résultats de leur travail.

Dès le début de notre recherche, nous avons fait le choix de ne pas aborder les gestionnaires avec l’objectif d’évaluer l’efficacité de leurs pratiques. Nous ne cherchions pas à porter un jugement sur leurs compétences, ni leur performance. Qui plus est, nous n’étions pas intéressés à savoir si les gestionnaires atteignent les objectifs qui leur sont fixés par le ministère. Nous voulions plutôt comprendre en quoi les changements imposés par la réforme influencent la nature de leur travail. Plus spécifiquement, nous voulions nous intéresser au rôle qu’ils jouent dans l’organisation. C’est ce questionnement qui nous a amené à porter notre attention sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Ce faisant, nous avons cherché à décrire la perception que les gestionnaires ont de leur travail et à comprendre les facteurs influençant cette perception.

Pour accéder à ces représentations, nous avons fait le choix de privilégier une méthodologie qualitative et de procéder à une étude de cas multiples. A posteriori, nous pouvons affirmer que ces choix nous ont permis d’accéder à des données riches auxquelles nous n’aurions pu accéder autrement. Ainsi, le fait d’avoir adopté une approche qualitative nous a permis d’avoir

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une profonde compréhension du sens que les individus accordent à leur travail. En effet, les entrevues semi-dirigées nous ont permis d’accéder aux représentations que les gestionnaires ont de leur travail ainsi qu’aux facteurs influençant ces dernières.

Qui plus est, notre choix de procéder à une étude de cas multiples nous a permis d’augmenter la validité externe de nos résultats. Ainsi, le fait que les discours des gestionnaires aient été similaires dans les deux CSSS étudiés, et ce malgré les différences objectives des deux organisations, consolide nos résultats.

A posteriori nous pouvons affirmer que l’originalité de notre recherche nous paraît être la construction d’idéaux types représentant deux conceptions opposées du travail de gestion. Ces idéaux types nous ont non seulement permis de décrire les représentations qu’ont les gestionnaires de leur travail, mais surtout d’identifier les facteurs influençant ces représentations. Ce faisant, nous avons été en mesure de comprendre le sens que les gestionnaires donnent à leur travail et de décrire les impacts de la réforme sur celui-ci.

Ainsi, ces idéaux types nous ont permis de constater que nous assistons actuellement à une homogénéisation de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail allant dans le sens d’une adhésion de plus en plus grande à une représentation managériale de leur rôle. Surtout, c’est à partir de ces idéaux types que nous avons été en mesure d’identifier les facteurs ayant une influence sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail. Ainsi, un apport important de notre thèse est de démontrer comment se réalise l’évolution de la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail à la suite de la réforme. À ce propos, nous avons constaté que la structure des CSSS entraîne des conditions d’exercice qui favorisent une certaine représentation du travail de gestion et font obstacle à une autre. Qui plus est, la réforme a bousculé les rapports de pouvoir au sein même de la catégorie des gestionnaires. Ce faisant, certains sous-groupes ont vu leur représentation valorisée et sont en mesure d’imposer celle-ci à leurs collègues.

Cette question des rapports de pouvoir au sein de la catégorie gestionnaire nous paraît représenter un autre apport important de notre thèse. Qui plus est, elle nous amène à identifier

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une piste de recherche future. En effet, dans le cadre de cette recherche, nous avons fait le choix de nous concentrer uniquement sur les gestionnaires et de porter notre attention sur les rapports qu’ils entretiennent entre eux. Ce faisant nous avons laissé de côté plusieurs acteurs avec qui les gestionnaires sont en relation. Ainsi, il serait intéressant de chercher à comprendre en quoi la réforme a modifié les rapports qu’entretiennent les différents sous-groupes de gestionnaires avec d’autres acteurs importants des CSSS, tels que les médecins, les syndicats ou encore les professionnels soignants, et d’identifier les impacts de ces rapports sur la représentation qu’ont les gestionnaires de leur travail.

Bien que nous ne l’ayons pas abordé directement, nous croyons que nos résultats de recherche soulèvent aussi la question du rapport entre l’État et les gestionnaires d’établissements dispensateurs de soins de santé et de services sociaux. À ce propos, rappelons que la réforme n’est pas qu’une solution technique visant à résoudre des problèmes de fonctionnement organisationnel. Elle s’appuie sur une certaine représentation des organisations publiques, de leur gestion ainsi que de leur rôle dans la société, qui s’inscrit dans le courant du nouveau management public.

En ce sens, le fait que la réforme ait amené les acteurs que nous avons étudiés à adopter certaines valeurs, à modifier le sens qu’ils donnent à leur travail et à la définition qu’ils ont de leur rôle ne doit pas être interprété comme une conséquence inattendue de la réforme. Au contraire, la managérialisation observée est en cohérence avec les fondements idéologiques de la réforme. À ce propos, ce que notre thèse apporte c’est une compréhension de la manière dont s’impose cette managérialisation dans les organisations publiques.

Ainsi, il nous paraît intéressant d’interpréter nos résultats sous l’angle du contrôle qu’exerce le ministère de la Santé sur le travail des acteurs en charge de la gestion des établissements de santé et de services sociaux québécois. Les caractéristiques des acteurs à qui revient la responsabilité de la gestion des établissements ainsi que la définition de cette responsabilité ont toujours représenté des enjeux importants pour les différents groupes d’acteurs impliqués dans le système de santé et de services sociaux. Cette importance tient au fait que les acteurs responsables de la gestion des établissements sont ceux qui font les choix d’allocations des

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ressources et qui établissent les priorités organisationnelles. Or ces choix ne font pas nécessairement l’affaire de tous.

En ce sens, dans le secteur de la santé, la possibilité que leurs membres accèdent à des postes de gestion a toujours représenté un enjeu pour les professions soignantes. À ce propos, rappelons que le fait que les infirmières se dotent, dès le début du 20e siècle, d’une élite afin de les encadrer s’explique par leur volonté d’augmenter l’autonomie de leur profession face aux médecins. C’est donc dire que le fait d’accéder aux postes de gestion représente un moyen de défendre des priorités, des valeurs et une certaine vision de l’organisation liée à la profession.

Ceci explique que depuis que l’État québécois a pris en charge le financement des établissements de santé et de services sociaux, au début des années soixante, il a toujours cherché à obtenir un certain contrôle sur les acteurs en charge de la gestion des établissements. Vu sous cet angle, nous pouvons affirmer que la réforme Couillard a réussi à augmenter le contrôle qu’exerce le ministère sur les établissements. En effet, on retrouve aujourd’hui dans les établissements de santé et de services sociaux, des gestionnaires pour qui la priorité consiste avant tout à atteindre les objectifs fixés par le ministère, des gestionnaires qui évaluent la performance de leur organisation à l’aune de l’atteinte des cibles de gestion qui leur sont imposées.

Finalement, nous croyons que nos résultats de recherche approfondissent un débat ayant cours depuis quelques années au Québec. En effet, parmi les nombreuses critiques adressées au système de santé québécois, on en retrouve certaines qui contestent le nombre de gestionnaires. Pour ces critiques, il y aurait aujourd’hui beaucoup trop de gestionnaires dans les organisations de santé et de services sociaux. Ce débat nous paraît tout à fait légitime. Cependant, il omet une dimension fondamentale, que notre recherche met en lumière, soit celle de la nature du travail des gestionnaires. En ce sens, la question ne se limite pas à la quantité de gestionnaires que l’on retrouve dans les établissements de santé et de services sociaux mais aussi, et surtout, au rôle qu’ils y jouent.

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Annexe 1. Les missions définies par la Loi sur la santé et les services sociaux (LSSS)

Missions Descriptions Centre local de La mission d'un CLSC est d'offrir en première ligne des services services de santé et des services sociaux courants et, à la population du communautaires territoire qu'il dessert, des services de santé et des services sociaux (CLSC) de nature préventive ou curative, de réadaptation ou de réinsertion. Centre hospitalier La mission d'un CH est d'offrir des services diagnostiques et des (CH) soins médicaux généraux et spécialisés. Centre de La mission d'un CPEJ est d'offrir dans la région des services de protection de nature psychosociale, y compris des services d'urgence sociale, l’enfance et de la requis par la situation d'un jeune en vertu de la Loi sur la jeunesse (CPEJ) protection de la jeunesse (chapitre P-34.1) et de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (Lois du Canada, 2002, chapitre 1) ainsi qu'en matière de placement d'enfants, de médiation familiale, d'expertise à la Cour supérieure sur la garde d'enfants, d'adoption et de recherche des antécédents biologiques. Centre La mission d'un CHSLD est d'offrir de façon temporaire ou d’hébergement et permanente un milieu de vie substitut, des services d'hébergement, de soins de longue d'assistance, de soutien et de surveillance ainsi que des services de durée (CHSLD) réadaptation, psychosociaux, infirmiers, pharmaceutiques et médicaux aux adultes qui, en raison de leur perte d'autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage. Centre de La mission d'un CR est d'offrir des services d'adaptation ou de réadaptation (CR) réadaptation et d'intégration sociale à des personnes qui, en raison de leurs déficiences physiques ou intellectuelles, de leurs difficultés d'ordre comportemental, psychosocial ou familial ou à cause de leur alcoolisme ou autre toxicomanie, requièrent de tels services de même que des services d'accompagnement et de support à l'entourage de ces personnes.

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Annexe 2. Le CSSS au cœur du RLS

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Annexe 3. Matières négociées et agréées à l’échelle locale ou régionale 1- Notion de postes, à l’exclusion du poste réservé, et leurs modalités d’application 2- Notion de service et de centre d’activités 3- Durée et modalités de la période de probation 4- Poste temporairement dépourvu de son titulaire 5- Notion de déplacement et ses modalités d’application, à l’exclusion de la rémunération 6- Règles applicables aux salariées lors d’affectations temporaires, à l’exclusion de celles relatives aux salariées bénéficiant de la sécurité d’emploi, aux salariés en invalidité et aux salariés bénéficiant du régime de droits parentaux 7- Règles de mutations volontaires à l’intérieur des installations maintenues par l’établissement, à l’exclusion de celles relatives aux salariés bénéficiant de la sécurité d’emploi et aux salariés en invalidité et de celles relatives à la rémunération 8- Procédure de supplantation (modalités d’application des principes généraux négociés et agréés à l’échelle nationale), à l’exclusion de la rémunération 9- Aménagement des heures et de la semaine de travail, à l’exclusion de la rémunération 10- Modalité relatives à la prise du temps supplémentaire, au rappel au travail et à la disponibilité et ce, à l’exclusion des taux et de la rémunération 11- Congés fériés et congés mobiles et vacances annuelles, à l’exclusion des quanta et de la rémunération 12- Octroi et conditions applicables lors de congés sans solde, à l’exclusion de ceux prévus au régime de droits parentaux et de celui pour œuvrer au sein d’un établissement nordique 13- Développement des ressources humaines, à l’exclusion des montants alloués et du recyclage des salariés bénéficiant de la sécurité d’emploi 14- Activités à l’extérieur des installations maintenues par un établissement visé par la LSSS avec les usagers visé par cette loi ou à l’extérieur de l’établissement visé par la LSSS pour les autochtones cris avec les bénéficiaires visés par cette loi 15- Mandats et modalités de fonctionnement des comités locaux en regard des matières prévues à la présente annexe, à l’exception des libérations syndicales requises aux fins de la négociation de ces matières 16- Règles d’éthiques entre les parties 17- Affichage d’avis 18- Ordres professionnels 19- Pratique et responsabilité professionnelle 20- Conditions particulières lors du transport des usagers 21- Perte et destruction de biens personnels 22- Règles à suivre lorsque l’employeur requiert le port d’uniforme 23- Vestiaire et salle d’habillage 24- Modalités de paiement des salaires 25- Établissement d’une caisse d’économie 26- Allocations de déplacement, à l’exception des quanta

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Annexe 4. Schéma d’entrevue

Schéma d’entrevue

1- Me présenter 2- Présenter les objectifs de la recherche 3- Expliquer le déroulement de l’entretien 4- Lire et signer le formulaire de consentement

Thème 1. Cheminement professionnel

 Exemples de questions : o Pourriez-vous me raconter votre cheminement professionnel ? o Pourriez-vous me raconter comment/ pourquoi vous êtes devenu gestionnaire ?

Thème 2. Caractéristiques du poste actuel

 Exemples de questions : o Pourriez-vous me décrire votre poste actuel ?

Thème 3. Premier « contact » avec la réforme et opinion de la réforme

 Exemples de questions : o Lors de l’annonce de la réforme en 2003, quelle était votre opinion des changements à venir ? o Comment avez-vous été informé des changements à venir ?

Thème 4. Structure du CSSS

 Exemples de questions : o Pourriez-vous me décrire la structure du CSSS et m’expliquer comment celle-ci s’est mise en place ?

Thème 5. Modifications de votre travail à la suite de la réforme

 Exemples de questions : o Considérez-vous que votre rôle se soit modifié avec la réforme ? Pourquoi ? Comment ?

Thème 6. Organisation du travail

 Exemples de questions : o Quel est votre rôle dans l’organisation du travail des employés sous votre supervision ? Ce rôle s’est-il modifié avec la réforme ? o Quelle serait l’organisation du travail idéale selon vous ? Quel y serait votre rôle? Qu’est-ce qui l’empêche ?

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Thème 7. Rapports de pouvoir

 Exemples de questions : o Votre unités / services / direction est-elle plus stratégique qu’avant la réforme ? A-t- elle plus de pouvoir, moins de pouvoir par rapport aux autres ?

Thème 8. Relations avec subalternes / supérieurs

 Exemples de questions : o La réforme a-t-elle eu des impacts sur les relations que vous entretenez avec vos subalternes ? Avec vos supérieurs ?

Thème 9. Imputabilité

 Exemples de questions : o Y a-t-il des mesures d’évaluation de votre travail qui ont été mise en place ? Lesquelles ? Quels sont les impacts de ces mesures ?

Thème 10. Marges de manœuvre

 Exemples de questions : o Considérez-vous que la réforme ait modifiée vos marges de manœuvre ? Comment ?

Thème 11. Loi 30

 Exemples de questions : o Pourriez-vous me raconter comment se sont déroulées les négociations locales dans votre CSSS ? Quels sont les impacts de ces négociations et de la redéfinition des unités d’accréditation sur votre travail ?

Thème 12. Conditions d’exercice du travail

 Exemples de questions : o Quels sont les impacts de la réforme sur les conditions d’exercice de votre travail ?

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Annexe 5. Grille de codage Code de l’entrevue Thèmes Séquences Opinion – comment a vécu la réforme Parcours professionnel Structure Relations entre missions / entre sites Relations avec l’extérieur du CSSS Relations avec supérieur Relations avec collègues Relations avec subordonnés Conditions d’exercices Rôle Mesures de contrôle Marge de manœuvre Loi 30

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Annexe 6. Formulaire de consentement

FORMULAIRE DE CONSENTEMENT

Titre de la recherche : Impacts des mesures liées à la mise en œuvre de la réforme du système de santé et de services sociaux québécois (2003) sur les acteurs patronaux ainsi que sur les relations qu’ils entretiennent.

Chercheur : François Bolduc, doctorant, sociologie, Université de Montréal

Directeur de recherche : Mona-Josée Gagnon, professeure titulaire, département de sociologie, Université de Montréal

1. Objectifs de la recherche.

Ce projet de recherche vise à :

1- Faire un état des lieux quant aux impacts de la réforme du secteur de la santé et des services sociaux québécois (2003) et, plus spécifiquement, des lois 25 et 30, sur les gestionnaires des établissements du réseau; 2- Recueillir leurs réflexions quant aux impacts de ces lois sur les relations entre les gestionnaires des divers niveaux hiérarchiques et des différentes fonctions managériales de leur CSSS; 3- Saisir de quelle manière les gestionnaires se sont appropriés les mesures les concernant, contenues dans les lois 25 et 30; 4- Identifier les impacts de ces lois sur les relations que les gestionnaires entretiennent avec leurs employés et les acteurs syndicaux; 5- Identifier les impacts de ces lois sur les marges de manœuvre des gestionnaires, leur imputabilité ainsi que les conditions d’exercice de leur travail.

2. Participation à la recherche

Votre collaboration à cette recherche consiste à participer à une entrevue, enregistrée, dans laquelle vous serez appelé à nous faire part de vos réflexions à propos de la réforme du système de santé québécois et, plus spécifiquement, des mesures découlant de l’application des lois 25 et 30 dans votre établissement.

3. Confidentialité

Les renseignements que vous nous donnerez demeureront confidentiels. Chaque participant à la recherche se verra attribuer un numéro et seul le doctorant aura la liste des participants et des numéros qui leur auront été attribués. De plus, les renseignements seront conservés dans un classeur sous clé situé dans un bureau fermé. Aucune information permettant de vous identifier d’une façon ou d’une autre ne sera publiée. Ces renseignements personnels seront détruits 7 ans après la fin du projet. Seules les données ne permettant pas de vous identifier seront conservées après cette date.

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4. Avantages et inconvénients

En participant à cette recherche, vous pourrez contribuer à l’avancement des connaissances sur les impacts des réformes des systèmes de santé et de services sociaux ainsi que sur l’application des lois 25 et 30 sur les gestionnaires du RQSSS.

5. Droit de retrait

Votre participation est entièrement volontaire. Vous êtes libre de vous retirer en tout temps par avis verbal, sans préjudice et sans devoir justifier votre décision. Si vous décidez de vous retirer de la recherche, vous pouvez communiquer avec le chercheur, au numéro de téléphone indiqué à la dernière page de ce document. Si vous vous retirez de la recherche, les renseignements qui auront été recueillis au moment de votre retrait seront détruits.

B) CONSENTEMENT

Je déclare avoir pris connaissance des informations ci-dessus, avoir obtenu les réponses à mes questions sur ma participation à la recherche et comprendre le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients de cette recherche.

Après réflexion, je consens librement à prendre part à cette recherche. Je sais que je peux me retirer en tout temps sans préjudice et sans devoir justifier ma décision.

Signature : ______Date : ______

Nom : ______Prénom : ______

Je déclare avoir expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients de l'étude et avoir répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées.

Signature du chercheur______Date : ______(ou de son représentant)

Nom : ______Prénom : ______

Pour toute question relative à la recherche, ou pour vous retirer de la recherche, vous pouvez communiquer avec François Bolduc, au numéro de téléphone suivant : (xxx) xxx-xxxx poste xxx ou à l’adresse courriel suivante : adresse courriel. Vous pouvez aussi contacter Mona-Josée Gagnon, (professeure titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal), au numéro de téléphone suivant : (xxx) xxx-xxxx ou à l’adresse courriel suivante : adresse courriel.

Toute plainte relative à votre participation à cette recherche peut être adressée à l’ombudsman de l’Université de Montréal, au numéro de téléphone (xxx) xxx-xxxx ou à l’adresse courriel suivante : adresse courriel. (L’ombudsman accepte les appels à frais virés).

Un exemplaire du formulaire de consentement signé doit être remis au participant

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