quent pas tout. Mirapolis a déçu. « Arrêtons de parler argent et bilan, débattons d'abord en artistes et en poètes, s'irrite Marc Tombez ; tout dépend de la tendresse et de l'amour qu'on investit dans cet espace pour qu'il devienne synonyme de bonheur et de rêve. » Et de pester contre les journalistes pisse-vinaigre qui sem- blent prendre plaisir à mettre en doute la MIRAPOLIS, viabilité de Mirapolis. Produit pur-sang du Club Méd, dont il a fait sa religion depuis 1973, Marc Tombez veut bien concéder qu'en 1987 le parc, . encore en chantier après dix-huit mois de tra- LA VILLE DONT LE PRINCE vaux, ne correspondait pas à ses promesses. Il a essuyé des plâtres. Mais maintenant, on va voir ce qu'on va voir avec son équipe de pros, EST UN ENFANT spécialistes de l'espace-temps du bonheur. Milieu octobre 87, le Club, actionnaire à 5 % de Revu, corrigé, après une première année décevante le parc Paris-Parc, s'est engagé à gérer et animer l'en- d'attractions de - rouvre treprise. Gilbert Tiigano, un ami de Pharaon, qui est aussi un gros actionnaire du Club, au ses portes sous l'égide du Club Méd départ réticent à mouiller son image, a finale- ment accepté de relever le défi. Commandement numéro un de l'industrie de la fête : rien ne doit briser le rêve. Ce qui suppose au préalable une qualité de service à laquelle les Français ne sont pas habitués. Un millier de standards de qualité ont été alignés sur une bible. Esprit culture- club, les clients s'appellent dorénavant des « Miramis », à traiter comme des rois, et les 800 salariés, des « Mirapoliens », assujettis à savoir sourire et prendre leurs responsabilités. Malgré une formation intensive, le résultat n'est pas encore concluant : on ne transforme pas en quelques mois un peuple de grognards en Gentils Organisateurs. Le « produit », on l'a revu, corrigé, enrichi au prix de 60 millions de francs de réinvestisse- ment en 1988, portés à 90 grâce aux sponsors, Fuji, Gervais, Coca-Cola, Nestlé... Les huit villages, séparés par des interzones, commen- cent à prendre consistance. Des attractions plus spectaculaires ont été introduites : un roller-coaster d'enfer acheté à des Hollandais, un champ d'aventures de 5 000 mètres carrés, UNE HÉRÉSIE, LE CONCEPT GARGANTUA? un cinéma 3-D. Les méchants reliefs en béton gris ont été repeints en trompe tout ce qui I/C arlos, Carlos ! » Les minois s'écarquil- trop monstrueux. Scandale et jambon de pays, pouvait être couvert contre la pluie l'a été. La lent, des mains câlines se tendent vers le comme qui dirait Bébête-show. J'avais oublié restauration s'est diversifiée. Le fast-food co- gargantuesque Carlos juché sur le mar- que les enfants sont des paillards invétérés que habite avec des menus pour gourmets. Des chepied d'une abracadabrante limousine. Pas le « caca-boudin » fait hurler de rire. Merdre chars musicaux viennent distraire les queues. de doute, les enfants l'adorent, leur bonhomme alors, Gargantua, ils ont roulé dedans illico. Et les tarifs d'entrée, prix unique, est passé à Fête, et Carlos le leur rend bien. Depuis le C'est l'ogre », me signifie Jérémie, 10 ans. Avec 75 francs en semaine, à 90 francs le dimanche ; 12 mai, jour de la réouverture de Mirapolis, près son copain Stéphane, sitôt franchi le tourniquet 60 francs pour les groupes scolaires, déjeuner de Pontoise, son personnage jovial et truculent de la porte des Eléphants, ils ont foncé vers inclus. Sur les bases de quoi on attend pour sillonne les villages en distribuant ballons, l'immonde masse ventrue qui, du haut de ses cette saison 1,2 million de visiteurs. bisous, poignées de main et autographes. Le rôle 35 mètres, brandit sa fourchette et sa coupe de Ceux qui ont fréquenté Disneyland se senti- ravit ce grand garçon de 45 ans. « Je suis un pinard. Ils jappent de bonheur à bord de la ront assurément frustrés. Il reste encore beau- homme de loisirs », se classe-t-il. 11 s'est totale- nacelle qui les tire au tréfonds de l'estomac du coup à accomplir, avec des moyens somme ment impliqué dans Mirapolis, dont il fait partie géant. toute modestes — 400 millions de francs sur du comité de direction. C'est lui qui a voulu que « Une hérésie, le concept Gargantua ? Pour quatre ans. D'ores et déjà, les enfants et leurs les petits trains pouffent des bouffées de fumée, moi, l'hérésie consiste à raisonner trop intellec- parents découvrent qu'un parc de loisirs, c'est qu'une fanfare accueille les visiteurs, qu'une tuellement», s'exclame Marc Tombez, le nou- beaucoup mieux (et moins dispendieux) qu'une montgolfière les monte aux nues, et un tas veau directeur général de Mirapolis. Quand Foire du Trône ou une fête à Neu-Neu. C'est un d'autres détails qui régaleront les gosses. Disneyland, voilà trente-cinq ans, a choisi pays, un ailleurs chargé de symbole et d'émo- « Le passé est un présent fait au futur », disait comme effigie une souris, vous auriez pensé tions, un conte vivant et onirique. La ville d'Ys, Malraux. Celui-là a légué contes et légendes. qu'ils étaient barjots. » D'accord, j'oublie l'in- reconstituée fantasmatiquement à la Jules J'étais persuadé que les promoteurs, le financier tello. J'ose à peine évoquer le bide cuisant de Verne, ou les intestins de Gargantua attirent Ghaith Pharaon et ses associés (Caisse des l'année dernière. Du 21 mai au 18 octobre, ce autant la foule que les montagnes russes ou la Dépôts, Wagons-Lits, Club Méd, Générale des parc de loisirs, le premier du genre en , a descente en canoë. Sur ce registre, les Français Eaux, Jean Lefebvre, Sodex Parc) avaient reçu 600 000 visiteurs au lieu des deux millions ont tout à imaginer mais on peut faire confiance commis une monumentale bévue en attelant attendus. Les 70 millions d'affaires réalisés ont à des gens qui ont inventé Gargantua, Dame l'imaginaire de leurs 55 hectares d'attractions à été très inférieurs au montant espéré. La météo Tartine, les congés payés et le Club Méd. l'univers d'outre-table de Rabelais. Trop adulte, désastreuse et le saccage des forains n'expli- PHILIPPE GAVI

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