Une Fenêtre Ouverte
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LE DEVOIR, LES SAMEDI 6 ET DIMANCHE 7 NOVEMBRE 2010 CAHIER G Le Québecse construit CULTURE Une fenêtre ouverte À ses origines, Le Devoir se structure autour d’un combat de tous les instants pour la défense du droit des francophones d’Amérique à vivre une existence politique et culturelle plei- ne et entière. Cette lutte, conduite au nom d’un enracinement historique et religieux, mène bien sûr le journal, par la force des choses, à consacrer une part de son attention à l’univers culturel. Ce qui ne constituait au départ que de vagues «notes artistiques» occupe, un siècle plus tard, une part sub- stantielle du journal lancé le lundi 10 janvier 1910 par Henri Bourassa. JEAN-FRANÇOIS NADEAU es Canadiens français méritent mieux que de simple- ment survivre, estime à raison Henri Bourassa. Dans cette perspective, le journal consacre bientôt au moins un œil à diverses manifestations culturelles — théâtre, cinéma, littérature, musique — mais presque toujours Lavec une certaine méfiance, qui s’inspire de celle manifestée par l’Église. Ainsi, Le Devoir en voudra-t-il longtemps à l’industrie du cinéma de corrompre la jeunesse... avant que les équipes qui lui Au fil succèdent n’admettent qu’il s’agit là d’un formidable média aux possibilités grandioses. Dès ses débuts, malgré ses réserves morales, Le Devoir devient tout de même un important éditeur de livres. Il offre aussi à ses du temps, lecteurs, par l’entremise de sa librairie ou par son agence de voyages, des possibilités de s’ouvrir à certaines facettes du monde. Au fil du temps, la culture se retrouve la culture ainsi peu à peu au cœur même de la mission du Devoir. C’est à compter des années 1940 se retrouve surtout, à l’initiative de Roger Du- hamel, que paraissent sur une base régulière des critiques littéraires et théâtrales. La place accordée à la peu à peu culture ne reculera plus, sous l’impulsion donnée notamment par la présence au journal de personnalités comme André Lauren- deau. À titre de rédacteur en chef et tout au long des années 1950, Laurendeau se montre très sensible à la littéra- au cœur même ture et à la musique. Une nouvelle génération Cette de critiques fait à cette époque son apparition énergie dans les pages du journal. Mais c’est l’effervescence des années 1960 de la mission énorme qui bouscule le plus les habitudes de ce journal quotidien. Aux formes plus classiques de la cul- consentie ture s’ajoute désormais le caractère débridé d’une nouvelle scène qu’illustrent, par exemple, du Devoir par le les phénomènes de l’Ostidcho ou du théâtre ex- journal à périmental. Nous sommes de plus à l’ère d’une littérature et d’un cinéma nouveaux. Tout bou- l’univers ge plus vite, pour un temps. Le Devoir ne précède pas ces mouvements culturel lui mais les accompagne. Il change donc forcé- ment lui-même à mesure que les acteurs de la assure, scène culturelle se transforment. D’une époque encore où il se dressait au nom de la moralité contre certaines manifestations culturelles, voici donc aujourd’hui, Le Devoir, moins d’un siècle plus tard, qui s’in- téresse de près à des formes nouvelles propo- de tenir une sées par certaines avant-gardes! C’est sous la direction de Jean Basile que pa- des toutes raît un premier cahier «Culture», le 3 sep- premières tembre 1966. Romancier, dramaturge, anima- teur de mouvements alternatifs, Basile illustre places dans bien, à lui seul, toute l’énergie qui se canalise alors dans la scène culturelle. Cette énergie ses pages énorme consentie par le journal à l’univers cul- turel lui assure, encore aujourd’hui, de tenir une des toutes premières places dans ses pages. Le cahier spécial que vous tenez entre les mains présente, dans le cadre des fêtes du centenaire du journal, un vaste panorama de cette étonnante évolution de divers secteurs culturels. Si vous re- marquez que nous avons fait l’impasse sur l’univers de la chanson dans ce cahier, bien qu’elle ait été sans conteste un champ majeur de l’expérience culturelle québécoise au cours du siècle passé, ce n’est pas un oubli. Bien au contraire. Sylvain Cormier publiera dans deux semaines, en marge d’une grande soirée du Devoir tou- te tissée de chansons et présentée le 25 novembre au Métropolis à guichets fermés, un long texte consacré à cette question. Pendant tout un siècle, Le Devoir a représenté, pour nombre de lecteurs, une fenêtre unique sur la culture. Cette fenêtre vous est ouverte, plus grand ouverte que jamais. Le Devoir SOURCES: TÉLÉ-QUÉBEC, JACQUES GRENIER ET PEDRO RUIZ G 2 LE DEVOIR, LES SAMEDI 6 ET DIMANCHE 7 NOVEMBRE 2010 CULTURE 1903 Bibliothèque municipale de Montréal 1912 Art Association de Montréal 1913 Théâtre Impérial 1915 Bibliothèque de Saint-Sulpice de Montréal 1930 Oratoire Saint-Joseph 1931 Palais Montcalm 1933 Musée du Québec 1963 Place des Arts 1964 Musée d’art contemporain 1966 Grand Théâtre de Québec 1967 Expo 67 1982 Musée des beaux-arts de Sherbrooke 1985 Québec, ville du Patrimoine mondial 1988 Musée des beaux-arts du Canada. Musée de la civilisation 1989 Centre canadien d’architecture 1991 Nouveau Musée des beaux-arts de Montréal. Théâtre d’Aujourd’hui 1992 Pointe-à-Callière 1992 Biodôme 1999 ExCentris 2005 Bibliothèque nationale du Québec 2010 Place des festivals ARCHIVES LE DEVOIR Le Grand Hall du Musée des beaux-arts du Québec a été annexé en 1991 à l’édifice original de 1933, dessiné par le Québécois Wilfrid Lacroix. Du Ouimetoscope aux musées L’architecture comme métaphore culturelle Un siècle de constructions au service de la projection identitaire Des cinémas, des salles des spectacles en des concurrents, alterne les spectacles bur- tous genres, des bibliothèques (et même une lesques et les projections de films muets. Un fil très grande), plusieurs musées: les édifices rouge mène de ces lieux pionniers jusqu’au ré- e cent complexe Ex-Centris, le «Langloiscope» du culturels accumulés au XX siècle, jusqu’à mécène Daniel Langlois, lui aussi consacré au ci- nos jours, proposent une façon bien spéci- néma et aux arts de la scène. fique d’extérioriser le Québec. Une idée en 3D «L’univers du cinéma est un peu particulier par- STÉPHANE BAILLARGEON ce qu’il se joue à l’intérieur», observe Lucie K. Morisset, spécialiste du patrimoine et professeu- uand naît Le Devoir, il y a tout juste cent ans, re à l’UQAM. «Contrairement aux musées, par Q le Québec compte déjà plusieurs lieux cultu- exemple, les salles cinématographiques cherchent rels majeurs. Le Musée des beaux-arts de Mont- rarement à s’imposer comme monument dans le réal, la salle Pollack, le Monument-National, plu- paysage construit. Ce qui compte, c’est le décor, le sieurs autres théâtres et, bien sûr, le tout récent tape-à-l’œil et surtout ce qui s’y passe.» Ouimetoscope, consacré au cinéma. Elle revient alors sur cette idée de l’architectu- Léo-Ernest Ouimet inaugure en fait, coup sur re comme métaphore de la culture chère à Clau- coup, deux salles consacrées à cet art très mo- de Bergeron, de l’Université Laval. Pour ce spé- derne de l’image en mouvement. Le premier cialiste de la production québécoise des XIXe et Ouimetoscope voit le jour en 1906 rue Sainte- XXe siècles, le bâti devient une manière de s’exté- Catherine. Comme Le Nationalscope, un féroce rioriser, de projeter une identité. Comme Victor concurrent, s’est installé juste en face, l’entre- Hugo, il pense qu’un immeuble, une cathédrale preneur culturel rase son cinéma et le vieil hô- par exemple, c’est d’abord une idée, du sens et tel Klondike adjacent pour en éri- de l’ordre aussi, du moins dans les ger un autre, immense, comptant rapports au monde d’une culture 1200 places, un palace à l’architec- donnée. ture vaguement rococo, où abon- «Une idée est née très tôt ici, au e e dent la porcelaine et la dorure. XX siècle et même à la fin du XIX SYLVIE TRÉPANIER Il s’agit de la première grande sal- siècle au Monument-National, cel- Le bassin de l’espanade de la Place des Arts accueille des œuvres, ici Alvéoles, de l’artiste Marc le de cinéma luxueuse en Amérique. le d’utiliser l’architecture publique Delude. En arrière-plan, la salle Wilfrid-Pelletier. La soirée inaugurale se déroule au et l’architecture culturelle pour af- son de la musique tzigane, «le firmer le Canada français et la XIXe siècle. La réalisation du Capitole de Qué- se jusqu’à la production autonome, explique la comble du modernisme en matière musicale pour destinée francophone en Amérique dans le paysa- bec (inauguré en 1903) en témoigne. La concep- professeure liée à la Chaire du Canada en patri- l’époque», explique le site Le bilan du siècle, de ge construit, poursuit la professeure Morisset. tion de l’édifice opulent revient à l’architecte moine urbain. Le bâti résidentiel québécois est l’Université de Sherbrooke. Cette volonté a entraîné une multiplication des américain Walter S. Painter, qui s’y connaît dans constitué de petites maisons. Il n’y a pas de Les grands palaces cinématographiques et monuments, une recherche particulière et une ce créneau très spécialisé, mais qui possède grands alignements monumentaux comme à Pa- théâtraux vont ensuite pousser comme des tu- originalité intéressante.» aussi une formation en beaux-arts de Paris pour ris, ici. Au fil du XXe siècle, le paysage bâti du lipes de mai. Le Théâtre impérial apparaît en Encore faut-il avoir des moyens à la hauteur plaire encore davantage au donneur du contrat.