JEAN-MARC TANGUY

Dix. Soixante-dix ans après, ils ne sont plus que dix vétérans LE COMMANDO sur les 177 Français qui ont débarqué le 6 juin 1944 en KIEFFER Normandie, aux côtés de… 75 000 Britanniques et Canadiens

et, plus à l’est, de 58 000 Américains. KIEFFER LES 177 FRANÇAIS DU D-DAY Ils étaient venus libérer la et l’Europe du joug nazi. Le périple de cette poignée de Français — qui estiment Ci-dessus, avril 2004, les vétérans du n’avoir rien fait d’exceptionnel — est une légende. Commando Kieff er reviennent au château d’Achnacarry, en Écosse, où ils avaient été Faite de courage, d’abnégation, de panache, de goût formés cinquante-huit ans plus tôt. de liberté et d’aventure.

Couverture : Le commando britannique Certains ont traversé la moitié de la terre pour en être et, débarque à La Brèche, à Colleville-sur-Orne pour tous, le chemin jusqu’à la constitution du Commando le 6 juin 1944, à la suite des Français du KIEFFER (1er Bataillon de commandos, Commando Kieff er (dont il n’existe pas d’image connue à ce jour prise au moment même du intégré au 4 Commando britannique) aura été long et semé JEAN-MARC TANGUY débarquement). Au premier plan, Bill Millin, d’embûches. joueur de cornemuse personnel de Lord Lovat, chef de la Brigade Commando britannique. Et puis, le 6 juin, il a fallu prendre d’assaut , LE COMMANDO ouvrir la route aux troupes britanniques, et protéger le fl anc de la tête de pont, au-delà de l’Orne… LES 177 FRANÇAIS

Ils l’ont fait, au prix de pertes terribles. COMMANDO LE LES 177 FRANÇAIS DU D-DAY KIEFFERDU D-DAY

Leur dévouement fut total, et pourtant… les Français les connaissent peu ou mal. Ils vous racontent ici leur histoire, grâce à Jean-Marc Tanguy qui, depuis dix ans, les suit et recueille leurs souvenirs. Un travail de mémoire inestimable, illustré de photographies d’archives familiales ou historiques, rares ou inédites.

6333352 -ISBN 9782226250681 MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ALBIN ALBIN MICHEL 9:HSMCMG=WZU[]V: MICHEL ALBIN MICHEL MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

DDDAY_Couv_BATcorrDAY_Couv_BATcorr DEFDEF 27-03.indd27-03.indd 1 227/03/147/03/14 13:5913:59 Sommaire Avant-propos Des héros discrets ...... 7 Chapitre 1 Les commandos ...... 19 L’idée de Dudley Clark ...... 20 Inspiré de la guerre des Boers ...... 23 Chez les Français libres ...... 24 Un Commando interallié ...... 28 Des unités d’élite incontournables chez les belligérants ...... 30 Plus au sud, d’autres commandos ...... 32 Chapitre 2 Avant de rallier le Commando ...... 35 Par bateau depuis la Bretagne ou via l’Espagne ...... 36 Beaucoup de Bretons ...... 39 En arrivant de France ...... 44 Les internements, avant de pouvoir rallier Londres ...... 45 Quelques-uns des 177 ...... 48 Jamais plus de 180 ...... 63

Chapitre 3 Formation commando à Achnacarry, premiers raids ...... 67 À marche forcée...... 70 Le système du « billet » ...... 74 Une formation empirique et effi cace ...... 82 Que reste-t-il d’Achnacarry ? ...... 85 Les raids de sondage ...... 86 Le compte à rebours ...... 98

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 4 24/03/14 14:12 Chapitre 4 Le jour le plus long ...... 113 De Pegasus Bridge à Amfreville ...... 135 Les pertes du 6 juin ...... 147

Chapitre 5 La mémoire de nos (grands-)pères ...... 149 Retour de mémoire ...... 155 Le fi lm de Zanuck ...... 160 « Qu’aurais-je fait à leur âge ? » ...... 162 Le livre de Denise Beau-Lofi ...... 169 Chez les Vourc’h, famille héroïque ...... 170 Les musées à voir ...... 172

Annexes 1. Chronologie simplifi ée ...... 174 2. Engagement des commandos français dans les raids, à partir de 1942 ...... 178 3. Les après 1944 ...... 180 4. Notes ...... 190 5. Références ...... 191 6. Crédits ...... 191 Remerciements ...... 192

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 5 24/03/14 14:12 Jean Couturier, porte-fanion des vétérans. Francis Guézennec devant le monument commando, à Ouistreham, le 6 juin 2004. Il a reçu, quelques dizaines de minutes plus tôt, la Légion d’honneur des mains du président Chirac.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 8 24/03/14 14:12 Parmi eux, 177 modestes héros, dont il ne reste plus que 10 depuis la mort, le 17 décembre 2013, de Marcel Riveau1. Ils n’étaient déjà plus que 70 environ en 1967, déjà plus qu’une vingtaine en 2004. Ce dernier carré du 1er Bataillon de fusiliers marins commandos (BFMC) attache à cet anniversaire une grande importance. Ils le savent : ce sera probablement la dernière occasion de se retrouver, avec leurs frères d’armes britanniques. Le plus jeune, René Rossey, aura 88 ans à la fi n août 2014 ; Hubert Faure, lui, a passé le cap des 100 ans. Le périple de cette poignée de Français est une légende comme l’Histoire et les médias en raff olent. Faite de courage, d’abnégation, de panache, de goût de liberté et d’aventure. De refus de la défaite et de la médiocrité.

Certains auront mis presque plus de temps à tenter de rejoindre la France libre… qu’ils auront passé de temps sous les drapeaux. À l’époque, le chemin le plus court, de la France à la Grande-Bretagne, était diffi cilement praticable. Il était préférable de faire le détour par l’Espagne, avec la perspective d’être possiblement arrêté en route par les autorités locales et retenu à la sinistre prison de Miranda. Certains ont traversé la moitié de la terre pour en être. D’autres encore étaient déjà militaires, dans l’Armée de terre ou la Marine, à la déclaration de la guerre. Mais leur parcours n’aura pas forcément été plus simple pour autant. Ils ont combattu dès 1940, ou risqué leur vie sur des cargos, dans l’Atlantique, menacés par les sous-marins allemands ! Pour tous, le chemin jusqu’à la constitution du 1er BFMC aura été long, semé d’embûches. Le 6 juin, Il fallait prendre d’assaut Ouistreham, ouvrir la route aux troupes britanniques, et protéger le fl anc de la tête de pont, au-delà de l’Orne : ils l’ont fait, au prix de pertes terribles. Leur courage est légendaire, leur abnégation fut totale, et pourtant… les Français ne les connaissent pas ! La France elle-même les a récompensés fort tard. Il a fallu, en 2004, un 60e anniversaire du Jour J pour que tous ceux qui ne l’avaient pas encore reçoivent la Légion d’honneur. Sans doute les Britanniques en savent-ils davantage sur eux. Car leur « tort principal », comme ils ont fi ni par le comprendre et l’expliquer eux-mêmes, est d’avoir été formés et, en partie, d’avoir combattu, en unité constituée, sous commandement anglais. On dit qu’à l’époque, cela fâcha le général de Gaulle, le chef de la France libre. À la Libération, ce dernier fi t néanmoins compagnons de la Libération quatre commandos : trois offi ciers, Philippe Kieff er, Paul Chausse, Alexandre Lofi , et l’aumônier, l’abbé René de Naurois. Mais la Marine d’après-guerre ne laissa pas survivre le 1er BFMC. Quelques vétérans y voient le fait qu’elle ne pardonnait pas à leur unité d’avoir rejoint la France libre dès 1940… C’est donc le paradoxe : ceux qui furent les premiers à poser le pied sur la France métropolitaine2 sont fi nalement aujourd’hui en partie ignorés des cours d’Histoire3.

En 2004, enfi n, la Marine a décidé de donner la possibilité à une dizaine de vétérans, accompagnés de commandos marine d’active, de revenir dans le camp où ils avaient été formés, en Écosse, à partir de 1942. Dominique Kieff er, la propre fi lle du fondateur des commandos français, les accompagnait. Ce moment de recueil et de mémoire vivante, auquel j’ai eu la chance de participer comme reporter à France Soir, est le point de départ de ce livre. À l’époque, j’ai pu recueillir les souvenirs de plusieurs d’entre eux, notamment Léon Gautier, Francis Guézennec, Jean Couturier ou Maurice Chauvet qui m’a notamment raconté comment il avait dessiné le badge des commandos, encore porté aujourd’hui par les forces spéciales de la Marine, sur un béret vert dont les origines remontent à cette époque.

Les vétérans lors de leur déplacement historique à Achnacarry (Écosse), en 2004. On les voit ici devant le monument commando de Spean Bridge, réunissant les statues massives de trois combattants alliés et leur devise : « United We Conquer. »

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 9 24/03/14 14:12 Ce même béret vert sous lequel certains d’entre eux ont mené des raids en Europe occupée avant le débarquement, puis ont servi en Normandie, dans des combats farouches, avant de récidiver, en Hollande, en novembre 1944. Depuis, j’ai retrouvé ces vétérans, année après année, en Normandie. J’ai revu Léon Gautier, René Rossey, retrouvé Hubert Faure, je me suis replongé dans les écrits des commandos, ai découvert sur internet le témoignage surprenant de Pierre Ernault, désormais trop fatigué4. J’ai interviewé des enfants et petits- enfants pour comprendre comment les commandos avaient transmis cette mémoire que les vétérans gardaient désormais en eux-mêmes. Car ils avaient tourné la page, estimaient qu’ils n’avaient rien fait d’extraordinaire. Et la plupart considéraient que, étant devenus des Français lambda, ils n’avaient pas à témoigner. Même au sein de leur famille5. On peut s’étonner, néanmoins, que cette mémoire n’ait pas inspiré le cinéma, lui qui cherche souvent de belles histoires. Que le public attend.

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 16 24/03/14 14:12 Ce serait la reconnaissance, pour le courage de ces combattants français, si peu nombreux, en Normandie, le 6 juin 1944. Il a donc fallu attendre le 6 juin 2004, pour que ceux qui n’avaient pas encore reçu la Légion d’honneur soient – enfi n – distingués. Francis Guézennec a même été décoré par le président Chirac à Omaha, à la cérémonie internationale6. Si elle a changé quelque chose pour ces vétérans, dont la famille elle-même, soixante ans plus tôt, ignorait parfois les exploits, cette tardive manifestation de gratitude n’a en fait rien changé pour le reste : aussi les vétérans ont-ils pris leur bâton de pèlerin pour livrer leur dernier combat, celui de la mémoire. Car les commandos le savent, ils sont condamnés par le temps. Et, avant d’aller rejoindre leurs camarades, ils veulent transmettre la mémoire de leurs actions. Celles qu’ils ont d’abord menées dans les commandos d’active, aujourd’hui à la pointe des forces spéciales, en Afghanistan, au Mali, dans le contre-terrorisme maritime, ou la lutte contre le narcotrafi c en haute mer. Ces combattants d’exception portent le même béret vert que leurs anciens, et le portent « à l’anglaise ». Sur la gauche de leur béret, on trouve le badge commando dessiné par Maurice Chauvet, frappé d’un brick et d’une dague commando. Leur vrai combat est avec la société civile. Les vétérans ont commencé par les jeunes qui assureront, demain, la pérennité de cette mémoire. Ainsi, chaque année, des scolaires – essentiellement issus des établissements proches d’Ouistreham – refont, avec les vétérans et des commandos d’active le chemin suivi ce 6 juin 1944 – les balles et éclats d’obus en moins. Ils repassent là où les « Kieff er boys » ont posé les pieds – certains voyaient la France pour la première fois de leur vie, en 1944 ! –, là où ils ont perdu un, voire plusieurs copains, là où ils ont combattu. Là où ils ont eu peur. Cela, ils l’expliquent à ces adolescents, et ils le rappellent à leurs descendants bérets verts : l’humilité est source de bien des choses. Et, comme ils l’expliquent souvent, ils estiment n’avoir rien fait d’exceptionnel. Mais ils l’ont fait. Ce livre représente quelques bribes de leur histoire personnelle, racontée sur l’Histoire, celle que tout le monde connaît. Des jours critiques, qui ont fait basculer celle de notre pays. Il s’inscrit dans la lignée des ouvrages déjà édités par Albin Michel sur la résistance intérieure, d’autres hommes et femmes courageuses – dont une bonne partie ont perdu la vie à l’époque. C’est une contribution au devoir de mémoire.

Jean-Marc Tanguy

René Rossey, le benjamin des vétérans, entouré des comédiens et fi gurants du téléfi lm consacré au Commando Kieff er, lors du tournage, en octobre 2013. Cette photo a été prise devant l’authentique Pegasus Bridge, conservé au Mémorial Pegasus de Ranville.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 18 24/03/14 14:12 CHAPITRE 1 Les commandos

Les commandos sont vieux comme le monde. Toutes les guerres ont vu des combattants mettre en œuvre des modes opératoires et des équipements différents de la masse des autres. Ils étaient équipés plus léger, pour pouvoir mieux s’infiltrer, capturer ou tuer un chef ennemi, ouvrir une porte dérobée dans une place forte… En France, on parlait de corps-francs. Les commandos modernes, eux, ont été créés par les Britanniques en 1940. C’est une arme d’élite : seulement 9 000 ont été brevetés pendant la seconde guerre mondiale. Des Britanniques, mais aussi des alliés, et parmi eux, environ 250 Français : 1 706 d’entre eux ont perdu la vie.

Le commando français Marcel Riveau, vraisemblablement photographié pendant son stage à Achnacarry.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 19 24/03/14 14:12 Chez les Britanniques, les commandos sont en Afrique du Nord, des unités chargées de essentiellement des ressortissants de l’Army longues patrouilles dans le désert nord-africain. (Armée de terre), même si les Royal Marines L’armée allemande dispose également (équivalents des fusiliers marins français) forment de commandos. Skorzeny, un SS qui mènera également des unités dédiées de ce type. Côté une de ces unités d’élite, libérera Mussolini, français, l’évolution est diff érente. L’unité commando en septembre 1943, lors d’un coup de main naît au sein des Forces navales françaises libres audacieux qui verra l’atterrissage de planeurs (FNFL), même si elle a déjà intégré des éléments sur un petit plateau, dans les Abruzzes italiennes, issus de l’armée de terre, comme Pinelli, et son évasion par un petit avion léger Fieseler Boccador, Nasseau de Warigny, puis en Storch… Ses hommes sont aussi chargés de semer accueillera d’autres par la suite : Trépel, Amaury, le désordre dans les troupes américaines, pendant Wallerand, Guézennec. Car, dans l’immédiat, l’off ensive des Ardennes (décembre 1944). le chef des commandos français n’a qu’une préoccupation : étoff er son unité, et être utilisé. Des Royal Marines du 45 RM Commando le 3 juin 1944 : le moral semble au plus haut. L’arme cylindrique tenue par le commando de gauche est le projecteur antichar PIAT, qui sera utilisé, trois Des unités d’élite incontournables jours plus tard, en Normandie, contre les Panzer allemands. chez les belligérants

Les Britanniques créent des commandos d’abord au sein de l’Army puis des Royal Marines – les fantassins de la Royal Navy. Parallèlement, des unités spéciales sont aussi mises sur pied au sein de la Royal Air Force (RAF) : ce sont les Special Air Service (SAS) qui sont prioritairement chargés de l’attaque des aérodromes allemands en Afrique du Nord. Ils seront ensuite engagés dans les opérations en Italie, puis en France occupée. Comme chez les commandos, les SAS formeront aussi des Français (deux bataillons) et des Belges. Dans la même veine, la Marine crée le Special Boat Service (SBS), unité employant des embarcations et des plongeurs, pour des reconnaissances de plage ou des sabotages de navires. Les Royal Marines mettent de leur côté sur pied une unité atypique, le Royal Marine Boom Patrol Detachement (PRBPD). Une de ses premières opérations sera l’opération Frankton ou « coques de noix » (car employant de frêles kayaks), visant à saboter des navires allemands à Bordeaux. Elle s’étale du 7 au 12 décembre 1942 : couronnée de succès (5 navires allemands coulés), elle verra néanmoins la perte de 8 des 10 marins engagés. SAS et SBS existent encore aujourd’hui. Ils ont été aussi bien déployés en Afghanistan qu’en Irak ou en Libye (2011). L’armée britannique développe aussi les LRDG

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 30 24/03/14 14:12 Les États-Unis développent également des unités Service Brigade est créée, à l’origine, dans l’optique de commando, même si le terme n’existe pas d’un débarquement en Norvège qui n’interviendra sous cette forme dans leurs armées. Des raiders pas. Elle est essentiellement utilisée pendant la eff ectuent des opérations commandos sur le campagne d’Italie où elle se révèle très utile pour théâtre Pacifi que. On parle aussi de rangers, qui percer les lignes allemandes, mais est dissoute reprennent une tradition militaire américaine en 1944. Les principales unités de forces spéciales ancestrale : certains d’entre eux sont chargés américaines ne seront créées qu’après la guerre : de l’attaque sur la pointe du Hoc, en Normandie, ce sont les bérets verts, opérant avec la CIA, le 6 juin 1944. Les Américains mettent sur pied puis les SEAL (1962) et, enfi n, une brigade entière de forces spéciales, à parité la Delta Force (1976). avec les Canadiens – chacun combat néanmoins dans sa propre unité nationale. Cette 1st Special

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 31 24/03/14 14:12 Le jour de gloire des commandos : ils ouvrent la voie sur le secteur Sword (ici les alentours de Ouistreham), le 6 juin 1944.

Plus au sud, d’autres commandos comprenant aussi deux offi ciers, américain et britannique, seront ainsi larguées dans l’arrière- Pendant que Kieff er consolide l’eff ectif de son pays varois et le Lubéron dans la nuit du unité, en Afrique du Nord, la marine française 13 au 14 juin 1944. Leur seule perte sera celle développe aussi un groupe bien plus réduit, de l’enseigne de vaisseau Ayral, le 21 août. le groupe de parachutistes de la marine (GPM). Le GPM sera dissous en novembre 1944, Cette unité restera néanmoins de taille et mais il constituera l’épine dorsale du Commando d’ambitions plus réduites, en ne puisant ses parachutiste de l’aéronavale, souvent évoqué eff ectifs qu’au sein de l’aéronautique navale. comme Commando Ponchardier – du nom De sa création à Alger le 2 novembre 1943 à de son chef –, créé en janvier 1945 et destiné sa dissolution en novembre 1944, le GPM reste à l’action en Extrême-Orient. commandé par le même chef, le lieutenant de Dès mai 1943, l’Armée de terre a formé à Staoueli vaisseau puis capitaine de corvette Pierre Allain. (Algérie) un 1er bataillon de choc, constitué pour Il comprend 6 offi ciers, 17 offi ciers mariniers, porter le fer derrière les lignes ennemies par ainsi que 5 quartiers maîtres et marins, soit des opérations de harcèlement et de destruction. 28 personnels au total. Ils sont brevetés À ce titre, c’est l’ancêtre de l’actuel service action parachutistes au camp de Staoueli où ils de la DGSE, même si ces combattants opèrent reçoivent aussi une formation commando sous l’uniforme. Ses 109 chasseurs transportés dont on ne connaît pas précisément la nature8. par le sous-marin Casabianca sont les premiers Leur vocation est un peu diff érente des à débarquer en Corse en septembre 1943, commandos de Kieff er, même si, comme eux, puis mènent de durs combats, dans l’est ils sont formés en vue du débarquement – mais de la France, fi n 1944. en Provence, en août 1944 – et réservés à fi n de Le Commando de France est, lui, créé en mai cette action. Certains seront chargés d’encadrer 1944 à Staoueli et participe en août suivant au les , une mission donc assez similaire débarquement de Provence, puis à la libération à ce que fut celle des Jedburghs – et, par sens de de la France, notamment à la dure campagne l’adaptation, celle du 2e RCP/4 SAS en Bretagne. des Vosges. D’autres doivent éviter des actions de sabotage allemandes portuaires qui pourraient freiner Un binôme de commandos traverse un pont de singe, sous un feu le débarquement allié, du Var (zone ciblée dès d’artillerie simulé, à Achnacarry, en janvier 1942. Dans quelques l’origine) aux Bouches-du-Rhône. Cinq équipes semaines, ce sera au tour des Français…

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 32 24/03/14 14:12 COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 33 24/03/14 14:12 34

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 34 24/03/14 14:12 CHAPITRE 2 Avant de rallier le commando

Quels que soient leurs horizons, leurs convictions et leur région d’origine, les futurs commandos ont été attirés à Londres par le goût de l’aventure et le patriotisme. Ils avaient une certaine idée de la France, et l’arrivée des Allemands en 1940 ainsi que l’installation du régime de Pétain à Vichy leur étaient insupportables.

Alexandre Lofi (premier à gauche) à Toulon, en 1939.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 35 24/03/14 14:12 Il mourra en allant au bout de son engagement militaire, mais bien après le débarquement, en combattant en Indochine. Quelques-uns sont arrivés des territoires sous protectorat ou administration française. Jean Mazéas était postier à Pointe-Noire (Gabon). Un autre, inspecteur de police à Alger… Le jeune René Rossey, le benjamin du Commando (17 ans) arrive, lui, d’une exploitation viticole de Tunisie, propriété de ses parents. Certains sont même étrangers, comme l’Autrichien Zivohlava, ou le Québecquois Georges Briand, intégré d’abord à la Royal Canadien Air Force, qu’il a désertée. Ceux-ci, il faut prendre des précautions pour les protéger de leurs États d’origine. Espagnol, Roger Cabanella s’était engagé dans la Marine, et a tenté de rejoindre les Forces françaises libres depuis les Antilles, où il était Pierre Ernault en matelot de la France libre, en 1943, à Londres. aff ecté. Mais, à la place, il a écopé de 18 mois

Jean-Baptiste Secondi avec ses camarades (photo non datée). Le commando corse est le deuxième à partir de la gauche, avec le tube de mortier.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 40 24/03/14 14:12 Le livret militaire du fusilier marin Secondi fait état de son engagement le 14 janvier 1942 à Ajaccio. Il sert ensuite à Casablanca, sur le croiseur Jean Bart puis à terre. Il est ensuite en avril 1944 à la caserne Bir Hacheim. D’après ce livret, il ne rejoint le front de Hollande que le 1er février 1945. Il sera démobilisé en décembre 1945.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 41 24/03/14 14:12 Alexandre Lofi après-guerre (photo non datée). Paul Chausse, un des commandos les plus décorés du 1er BFMC.

Quelques-uns des 177

Alexandre Lofi (1917-1992) et son épouse vont donc prendre un transport pour la Grande-Bretagne, d’où se poursuit le combat. Ce futur compagnon de la Libération est né dans Arrivé à Londres, le fusilier marin trouve une famille modeste, le 21 février 1917, en Sarre naturellement sa voie chez les commandos (alors située en Allemagne), d’un père mineur. en formation, en juin 1943. Il devient le chef En 1930, il intègre l’école des pupilles de la Marine, de la deuxième troop, la n° 8, après la mort de son puis la Marine, trois ans plus tard. Il est promu chef, le capitaine Charles Trépel. Il est père avant quartier-maître fusilier en octobre 1935. de débarquer en France. Le début de la guerre le voit encore instructeur Les blessures de Kieffer, lors du débarquement, à l’école navale de Brest. Passé second maître, l’amènent à prendre la responsabilité du Commando il refuse la défaite et s’engage dans les FNFL le pendant près d’un mois. Il est à nouveau à sa tête 27 juin 1940. Sa spécialité le destine naturellement pour un assaut de nuit le 20 août 1944 à L’Épine, au 1er Bataillon de fusiliers marins (BFM), constitué avec les derniers survivants de l’unité, réduite avec les premiers engagés de la France libre. à une vingtaine de commandos. Il est alors Il est ensuite muté au 2e BFM avec lequel il part lui-même blessé. Il est encore à la tête de sécuriser le Cameroun jusqu’en octobre 1941. C’est ses hommes à , et reçoit l’arme là qu’il rencontre sa future épouse, alors même qu’il du commandant allemand qui se rend à lui. doit partir avec le 2e BFM au Levant (actuel Liban) Après-guerre, la Marine le conserve dans ses rangs, où la France libre et les Britanniques entendent lui confi ant d’abord le cours commando à Alger, déloger les forces vichystes. Il demeure sur place le centre d’éducation physique de la marine de novembre 1941 à décembre 1942. Il est promu (1948-1952), puis le commandement du QG offi cier des équipages. Sa jeune épouse de 17 ans de préfecture maritime Méditerranée, à Toulon. l’a rejoint en traversant l’Afrique – ils se retrouvent Offi cier en chef des équipages, il est rendu à la vie à mi-course. civile en 1970. La victoire au Levant a une conséquence inattendue : Alexandre Lofi est donc un des quatre compagnons le 2e BFM est dissous, ses personnels dispersés. Lofi de la Libération que comptent les commandos.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 48 24/03/14 14:12 Il était également offi cier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre national du Mérite, et aligne trois citations sur sa croix de guerre, ainsi qu’une Military Cross britannique.

Paul Chausse (1915-2005)

Paul Chausse est un des commandos les plus décorés. Il est né le 22 janvier 1915 à Chanteloup (Manche), d’un père garde républicain puis garde champêtre. À 17 ans, il s’engage dans la Marine pour un premier contrat de cinq ans, et est orienté vers les fusiliers marins. À l’issue, il intègre à Évreux le service des fabrications, une administration du ministère de la Guerre. Il y sert comme auxiliaire de contrôle puis contrôleur adjoint. Bien que sa spécialité lui permette d’échapper à la mobilisation de 1939, Paul Chausse demande à retrouver l’uniforme des fusiliers marins : il est quartier-maître sur le patrouilleur Léoville de novembre 1939 à avril 1940. Ce bâtiment assure des escortes de convois entre Brest et Casablanca. À l’issue de ce premier embarquement, il est envoyé René de Naurois sur le front de Normandie. sur le Léopold Néra, un chalutier belge qui sert à l’évacuation des réfugiés des ports de la Manche. C’est ce qui lui permet d’être à Plymouth (sud de la Une seule encoche dans sa progression Grande-Bretagne) en juin 1940. Il est aux premières chez Cinzano : la Marine le rappelle en Algérie loges pour faire partie des premiers engagés des de mai à décembre 1956. Il opère alors au sein toutes nouvelles forces françaises libres (FNFL), de la demi-brigade des fusiliers marins de Nemours. le 19 juillet 1940. Du fait de sa spécialité, il intègre Paul Chausse est un des quatre commandos à avoir le 2e BFM et y est chargé de l’instruction des recrues. été distingués compagnons de la Libération (décret Sa première mission intervient en octobre 1940, du 17 novembre 1945). Il est commandeur de la quand son unité rejoint le Cameroun pour assurer Légion d’honneur, titulaire de la croix de guerre la défense côtière. Puis, entre janvier 1942 et 1939-1945 avec trois citations, croix de la valeur avril 1943, il assure la même mission, cette fois militaire avec deux citations et croix de guerre belge. au Levant (le nom de l’actuelle Syrie et Liban). Il est alors promu second maître et maître fusilier. René de Naurois (1906-2006) En mai 1943, il intègre le 1er BFMC et dirige le raid sur Middelkerke (Belgique) en janvier 1944, Il a traversé les combats de Normandie, et a puis il participe au débarquement de Normandie, tenu à s’y faire inhumer, une fois rappelé à Dieu : avec le grade de premier maître. Il mène le René de Naurois est aujourd’hui enterré dans 17 août 1944 une attaque à la baïonnette près le petit cimetière de Ranville, à côté de ses camarades de , à la Ferme de l’Épine. Il est aussi français et britanniques. L’aumônier du Commando de l’opération de Flessingue, en octobre 1944. Kieffer est une fi gure, né le 24 novembre 1906 Il termine la guerre comme offi cier des équipages à Paris, d’une famille de propriétaires agricoles de la fl otte de 2e classe, puis il est promu 1re classe en Haute-Garonne. en 1953. Cet étudiant brillant (deux licences, sciences- Entre-temps, il intègre en avril 1947 la société mathématiques et lettres et théologie à Toulouse) Dubonnet Cinzano, comme agent de maîtrise, a aussi très tôt le goût des armes. Il effectue une puis monte les échelons jusqu’à celui de chef préparation militaire supérieure dans l’Armée de du personnel. Il quittera la société en mars 1976. terre, dans l’arme de l’artillerie, entre 1926 et 1928,

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 49 24/03/14 14:12 Les commandos de la troop 8. 1. Neven, 2. Causse, 3. Bolzer, 4. Bascoulergue, 5. Prevost, 6. Caille, 7. Troyard, 8. Ballaro, 9. Gachard (ou Guidicelli ?), 10. Maillet, 11. Riviere, 12. Rouelandt, 13. Gannat, 14. Guilcher, 15. Fourer, 16. Coppin, 17. Fougere, 18. Pinel , 19. Briand, 20. Galton, 21. Strina , 22. Massin, 23. Le Rigoleur , 24. Le Chaponier , 25. Paillet, 26. Laot, 27. Maud, 28. Messanot, 29. Cabanella, 30. Allain, 31. Guy, 32. Hourcourigaray, 33. Guimbault, 34. Rougier, 35. Le Halper, 36. Guillou, 37. Frejavise, 38. Letang, 39. Chausse, 40. Le Gall , 41. Horny,

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 64 24/03/14 14:13 42. Scherer, 43. Klopfenstein, 44. Lt. Hulot, 45. Lt. Lofi , 46. Lavezzi, 47. Vinat, 48. Lesca, 49. Grossi, 50. Gautier , 51. Boulanger, 52. Paoli, 53. Riveau, 54. Folliot, 55. Le Reste, 56. Ducasse, 57. Marjaccia, 58. Logeais, 59. Briand G., 60. Le Gac, 61. Ernault, 62. Archieri , 63. Agnerre, 64. Jung, 65. Cevos-Mami, 66. Devillers, 67. Chauvet , 68. Moal (ou Chapelain ?), 69. Croizer, 70. Plancher

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 66 24/03/14 14:13 CHAPITRE 3 Formation commando à Achnacarry, premiers raids

Une fois parvenus en Grande-Bretagne, les futurs commandos ont encore un long chemin devant eux, avant de combattre sous le béret vert. Les candidats reçoivent d’abord une instruction basique, la plupart du temps assurée par les Français eux- mêmes, avant le passage au centre de formation commando, où leur est décernée leur « banane » de spécialité (morceau de tissu recourbé d’où le nom) portant cette mention.

Un instructeur britannique (béret, pull de laine) eff ectue une présentation à de futurs commandos américains, à Achnacarry. Ce centre installé en Écosse va voir passer la majorité des commandos britanniques, mais aussi, donc, américains, français, hollandais, polonais.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 67 24/03/14 14:13 Comme l’ont montré les premiers raids, les commandos doivent pouvoir savoir progresser sur des échelles de corde, dans des milieux escarpés, ou, comme ici, sur un simple fi l tendu. Une technique qui ne s’improvise pas.

Arrivant de nuit, les commandos doivent maîtriser la mort donnée en silence. Pour cela, il reste possible d’utiliser des réducteurs de son sur leurs armes à feu, mais il reste toujours le son produit par le mouvement mécanique. La meilleure solution, c’est donc d’employer la dague commando comme démontré ici.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 78 24/03/14 14:13 Les commandos sont animés d’une culture d’assaut : agir par surprise, faire le coup de main, puis disparaître. Un mode d’action qui recourt à des techniques simples du combattant, mais qui doivent être parfaitement maîtrisées, de nuit, et dans un milieu non reconnu qui, souvent, complique les mouvements.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 79 24/03/14 14:13 de souvenirs relatifs aux commandos, un cadre Les raids de sondage étant consacré à chacun d’eux. Le manoir d’Achnacarry est aussi resté dans l’état Dès le mois de septembre, deux commandos, dans lequel il était à l’époque, selon les vétérans, Boccador et Casalonga, sont intégrés à la même si le parc est redevenu un parc, très arboré. planifi cation des missions des Britanniques en Le manoir héberge une maison d’hôtes dont le site Europe occupée. Dans la foulée, l’état-major des internet évoque le séjour des commandos. opérations combinées propose de généraliser Le mémorial commando est un incontournable, l’intégration des Français dans le programme particulièrement quand s’y déroule, comme ce des raids menés en Europe, en face des côtes fut le cas, des cérémonies mémorielles avec des anglaises. Le niveau atteint ainsi que le nombre vétérans. Battu par un vent à décorner les bœufs, de combattants deviennent appréciables, et par chance, sous le soleil d’Écosse, il se compose d’autant plus que la plupart de ces missions vont d’un monument massif de statues de commandos les mener… en France. Disposer de commandos sur un piédestal portant la mention « United We parlant français, voire connaissant les lieux Conquer » qui était la devise des commandos. explorés, constitue un atout qui ne se néglige pas. Cette dernière fait référence aux diff érents Fin 1943, les commandos français migrent horizons de nationalités et de spécialités donc vers Brighton, et les éléments se trouvent des commandos. éparpillés autour de cette ville : la troop 1 est

Les commandos démontrent leur capacité lors d¹une inspection de l¹amiral Auboyneau. Celui de droite est probablement un instructeur, vu son kilt. Son arme est le fusil-mitrailleur Bren.

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 86 24/03/14 14:13 envoyée à Seafort, la troop 8 à Peacehaven, le mur de l’Atlantique, en cours d’érection par et l’état-major à Newhaven. Soixante-dix l’organisation Todt, rend diffi cile l’appréciation à 80 Français sont prélevés pour constituer de sa réelle effi cacité. Cette ligne de défense, des équipes devant servir aux « raids de sondage ». en fait une suite discontinue de fortifi cations, Ce sont des missions ponctuelles menées par de s’étire de la Norvège à la frontière espagnole, mais petits groupes de moins d’une dizaine de combattants on la sait inégale. Dans certaines zones, il semble (une escouade), en vue du débarquement. qu’il y ait peu de chose, voire rien : les Allemands Un grand secret entoure cette mobilisation, ont privilégié, logiquement, celles qui paraissent qui amène à conférer un statut particulier aux off rir le plus d’atouts aux Alliés. Dans celles-ci, commandos français, encore un peu plus éloignés les fortifi cations sont très denses, animées de pièces de leur commandement d’origine français. d’artillerie, plusieurs réseaux de défense sont même À l’époque, les défenses allemandes, sur superposés, mêlant des pièges en surface, sous le continent, apparaissent de plus en plus la plage, et même en mer, des barbelés, des nids infranchissables. Chez les Alliés, on sait encore de mitrailleuses et des mortiers qui doivent faucher peu de chose, par-delà les photographies les Alliés, une fois débarqués de leurs navires. aériennes et le renseignement humain qui revient d’Europe occupée. La propagande entourant

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 87 24/03/14 14:13 Les commandos comprennent mieux leur Le simple soldat William Stack mission le 27 mai, lors du briefi ng qui leur est opérait en Italie avec le 9 Commando. On le voit ici fait par les spécialistes du renseignement de la après le débarquement d’Anzio, 1 Special Service Brigade. Ils ont sous les yeux le 5 mars 1944. Son pistolet une carte en relief, et plusieurs autres éléments est un Browning. cartographiques et photographiques à leur disposition. Pour ne pas donner l’éveil aux Allemands, ces missions photographiques ont été réalisées de façon anodine, les avions étant peut-être même noyés dans des raids importants. Le cliché principal distribué dans l’optique du D-Day remonte au 30 avril 1944, et l’actualisation des défenses allemandes – à Colleville, mais ils ne le sauront que plus tard – a été faite au 14 mai. Les combattants du premier jour peuvent y découvrir, vues du ciel, les défenses qu’ils trouveront face à eux : une série de fortifi cations dont les mitrailleuses battent une petite plage, des réseaux de barbelés, de chevaux de frises, des « asperges de Rommel » destinées à empêcher l’atterrissage de planeurs… Le plan en relief, long d’une dizaine de mètres, fait comprendre aux Normands où ils vont débarquer. La côte est en eff et caractéristique. Mais on impose le silence à tous ceux qui savent ou devinent désormais où l’aff aire sera conclue. Comme pour essayer encore de tromper l’évidence, aucune ville n’a été inscrite en clair : les noms d’agglomérations renvoient pour la plupart à des villes anglaises. Une d’entre elles est plus énigmatique : Singapour (Caen). De quoi s’inquiéter, si on se rappelle que cette ville forteresse fut perdue contre les Japonais, en février 1942.

Léon Gautier « En fait, on a compris au dernier moment que c’était la Normandie. Nos offi ciers nous ont mon- tré des photos et des cartes dépourvues de noms. Ceux parmi nous qui étaient originaires de la région ont tout de suite reconnu la Normandie. On nous a demandé de rester discrets et le secret a été tenu jusqu’au D-Day. »35

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 106 24/03/14 14:13 Le lieutenant-colonel Dawson, chef du 4 Commando, transmet ses instructions à ses hommes en juin 1944, sans doute le 4 ou le 5 : pour ce qu’on peut en voir, pas de Français parmi ceux-ci.

Francis Guézennec « Nous avons été regroupés avec d’autres unités dans le camp de Titch- fi eld. Là, on nous a montré des photos aériennes, des cartes muettes, des plans pour les assauts. Certains ont très vite compris qu’il s’agissait de la Normandie. Pour nous faire attendre, on nous passait des fi lms de cinéma et, évidemment, de propagande. C’était dur d’attendre, d’attendre encore, d’attendre toujours. On avait une certaine pression parce qu’on savait qu’on n’allait pas à la noce. On savait de la même manière qu’il y aurait forcément des pertes. On envisageait jusqu’à 50 % de pertes, cha- cun pensant évidemment que lui s’en sortirait, et que ça tomberait mal- heureusement sur les copains. » 36

René Rossey « Le 4 juin au soir, on entendait de la musique écossaise… on était presque plus sensibles à la cornemuse qu’à la Marseillaise. Là on apprend que, demain matin, on va débarquer. C’est le 5 au matin qu’on est partis, qu’on a pris les camions, embarquant dans l’après-midi. On savait seulement qu’on allait quelque part. Des Normands avaient reconnu les cartes sans noms de lieu qu’on nous avait montrées. Pour moi c’était de l’hébreu. »37

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 112 24/03/14 14:13 CHAPITRE 4 Le jour le plus long

7 h 25, 6 juin 1944. Dernier symbole de la confiance qu’ils ont dans les hommes de Kieffer, les Britanniques laissent ostensiblement les deux barges françaises arriver en tête de la première vague d’assaut vers la plage normande de Colleville-sur-Orne, au lieu-dit La Brèche. Ce petit village qui jouxte Ouistreham est situé à l’est de la zone SWORD où ont déjà débarqué les Britanniques du 2 East Yorkshire, vingt minutes plus tôt. Outre les mitrailleuses, la plage est battue par deux positions d’artillerie allemande, totalisant un canon de 88 mm, un de 75 mm, et quatre canons de 50 mm.

Sans doute une des photos les plus connues du secteur britannique, le 6 juin 1944 : Bill Millin, reconnaissable à sa cornemuse, débarque de sa barge. Lord Lovat, son chef, est visible dans l’eau à droite, et commence déjà à le semer…

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 113 24/03/14 14:13 gresser vers la plage, il y avait environ 50 mètres Photo peu connue montrant des commandos britanniques jusqu’à la plage. Là j’ai demandé à Lardenois de progressant sur les dunes tout juste passer la main dans le dos, sous le sac, là où je débarqués de leurs barges, sur la plage pensais avoir été touché mais je n’avais rien. codifi ée « Queen Red ». Un char Churchill Avre, modifi é pour le débarquement, J’avais juste une déchirure de la plèvre qui a été est visible au second plan. soignée ensuite. On a laissé nos sacs dans une colonie de vacances à l’ouest de Ouistreham et on a progressé vers le casino. Outre les blessés et les morts, le seul qui restait sur la plage était l’abbé de Naurois qui donnait la communion à tout le monde, croyants ou pas, car la plupart des aumôniers avaient été également tués ou blessés. Moi, il a dû me la don- ner cinq fois ce jour-là ! Comme il avait été à Ber- lin avant-guerre, il n’avait pas de problème non plus pour parler aux Allemands. »42

Léon Gautier « La troop 1 dont j’étais a débarqué précisément à Colleville-Montgomery, j’avais une Tommy gun, avec chargeurs de 30 cartouches. Le premier a été vidé en une trentaine de secondes. Chaque équipement, havresac, armes, etc., pesait entre 30 et 40 kilos. Tout dépendait des armes qu’on avait. Ce n’était pas simple forcément, quand on a débarqué, d’être très mobiles avec tout ça sur nous. Il y avait une petite dune à monter. La mer était assez retirée, car il fallait profi ter de la marée basse. On a d’abord laissé nos havre- sacs dans une colonie de vacances, puis on a pro- gressé par les dunes jusqu’au centre de la ville. Ensuite, vers Ouistreham, pour prendre les Alle- mands à revers, et ne pas subir le feu frontal des armes automatiques et des canons, pour ne pas percuter les obstacles posés par les Allemands et, évidemment, d’éventuelles mines. »43

Les commandos laissent leurs sacs pesant entre 20 et 40 kilogrammes dans une colonie de vacances vierge d’occupants, afi n de pouvoir progresser plus vite vers leur objectif. Ils remontent vers l’ouest, vers le centre-ville d’Ouistreham. Sur leur chemin, ils réduisent plusieurs nids de résistance allemande, ce qui soulagera les vagues de débarquement qui doivent suivre.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 118 24/03/14 14:13 COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 119 24/03/14 14:13 124

COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 124 24/03/14 14:13 Au matin du 6 juin, les éléments mêlés de la 1 Special Service Brigade et des régiments conventionnels de l’armée anglaise. Il faut éviter le bouchon sur la plage, et soigner les blessés.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 148 24/03/14 14:14 CHAPITRE 5 La mémoire de nos (grands-)pères

C’est assez courant chez les vétérans : la transmission de la mémoire ne s’est pas faite de manière linéaire au sein de leur famille. Souvent, elle a même sauté une génération. Mais aujourd’hui, plusieurs enfants, petits-enfants et arrière-petits- enfants les accompagnent régulièrement, chaque 6 juin, pour commémorer leur exploit, découvrir les lieux où ils ont combattu. Certains ont souhaité rendre hommage à leur père ou grand-père : avec un livre, comme la fille d’Alexandre Lofi ; avec un documentaire, en 2004, puis un téléfilm, en 2014 pour Cédric Condon, petit-fils de René Rossey…

Des commandos du Royal Marines traversent Colleville-sur-Orne (Colleville-Montgomery aujourd’hui) pour rallier le plus rapidement possible Pegasus Bridge, où les attendent les paras du major Howard.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 149 24/03/14 14:14 Léon et son petit-fi ls, Gérard, deux personnalités fortes, deux Gérard, le petit-fi ls de Léon Gautier, a récupéré un des bérets parcours militaires. de son grand-père. Le béret vert fut attribué dès le départ aux commandos, mais le badge ne fut décerné qu’au printemps 1944.

La Brèche est le lieu de recueil de tous les commandos : ici le trio de Britanniques, Roy Cadman, Bert Beddows et Fred Walker du 3 Commando qui accompagnèrent les Français dans toute leur journée du 6 juin 1944 et… 2013.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 156 24/03/14 14:14 Léon Gautier à la dédicace pour les commandos marine d’active Léon Gautier est une légende à Ouistreham : le syndicat qui ont accompagné les vétérans en Écosse, en 2004. d’initiative a mis sur pied une... appli pour iPhone et iPad pour bénéfi cier, en réalité augmentée, des souvenirs du vétéran.

Lui a opéré dans un contexte de guerre, qui n’est pas le nôtre aujourd’hui. » Époque diff érente, environnement militaire français radicalement diff érent. Même s’il ne plastronne pas, son investissement l’a fait progresser, d’offi cier marinier à offi cier, et il a notamment servi au Commando Kieff er, créé en 2008 pour appuyer les cinq autres. Depuis, ce moniteur para est en charge de l’entraînement des commandos, et intègre régulièrement, dans les scénarios sur lesquels il les fait plancher, des situations et des décors qu’ont rencontrés les vétérans entre 1942 et 1945.

Dans un autre domaine, Cédric a lui aussi voulu transmettre. Lui n’a pas choisi la voie militaire, mais la voie artistique : réalisateur de fi lms, il a travaillé pour pouvoir imposer plusieurs sujets sur l’épopée de son grand-père, le pied- noir René Rossey. En 2004, il réalise pour France Télévisions un documentaire sur celui qui était alors le benjamin des 177 de Kieff er. Puis, dix ans plus tard, après un parcours semé d’embûches, Francis Guézennec avec une de ses deux fi lles en 2004, quelques dizaines de minutes après avoir été décoré de la Légion d’honneur il réussit à tourner un téléfi lm, encore pour par le président de la République.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 157 24/03/14 14:14 Les défenses que les Allemands avaient dressées dans le secteur de La Brèche et d’Ouistreham. Un peu de béton, des « dents de requin » pour bloquer les chars, et beaucoup de barbelés.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 165 24/03/14 14:14 Au cimetière d’Hermanville, pour une cérémonie du souvenir, le 5 juin 2013 : le contre-amiral Olivier Coupry, actuel patron des fusiliers et commandos marine, Léon Gautier, Jean Morel, le vétéran britannique Burt Beddows et le commandant de l’école des fusiliers marins, le capitaine de frégate Sébastien Houël.

Les musées à voir d’histoire des fusiliers marins, créés en 1622 comme « compagnies de la mer », par Richelieu. Le musée Commando de Ouistreham () Ces fusiliers s’illustrent dans les guerres dispose de collections très importantes sur le coloniales, en Chine, en Indochine, avant de Commando Kieff er. Il est situé en face de la plage devenir les héros de la bataille de Dixmude (1914). de Riva Bella. De nombreux commandos On les retrouve ensuite en Afrique du Nord, puis y ont laissé des objets et souvenirs personnels. dans la 2e division blindée du général Leclerc, Plusieurs tableaux permettent de reconstituer qui débarque en août 1944 en France, les diff érentes phases du débarquement, mais avant d’aller jusqu’au cœur de l’Allemagne. aussi l’entraînement des commandos en Écosse. Les commandos constituent, à partir de 1942, Un fi lm retrace aussi l’épopée des commandos, l’essentiel des collections du musée, avec un avec des images d’archives entrecoupées des grand nombre d’objets d’époque. L’opération souvenirs des vétérans. Le musée Commando de Flessingue, puis la guerre d’Indochine de Lorient (Morbihan) rassemble lui aussi et d’Algérie sont également très largement traitées. de collections très riches. Son accès est Enfi n le Mémorial Pegasus de Ranville recèle néanmoins plus diffi cile, puisqu’il est pour de très belles pièces sur l’engagement de l’instant situé dans une ancienne chapelle, la 6 Airborne, permettant de comprendre dans la base des fusiliers et commandos. les opérations aéroportées en Normandie. Les visites se font dans des créneaux fi xes, et le commentaire est assuré par des réservistes Des commandos, vraisemblablement à l’entraînement, de la marine. Ce musée retrace quatre siècles progressent dans une zone marécageuse.

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COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 172 24/03/14 14:14 COMMANDO KIEFFER_BAT20_3.indd 173 24/03/14 14:14 JEAN-MARC TANGUY

Dix. Soixante-dix ans après, ils ne sont plus que dix vétérans LE COMMANDO sur les 177 Français qui ont débarqué le 6 juin 1944 en KIEFFER Normandie, aux côtés de… 75 000 Britanniques et Canadiens et, plus à l’est, de 58 000 Américains. LES 177 FRANÇAIS DU D-DAY Ils étaient venus libérer la France et l’Europe du joug nazi. Le périple de cette poignée de Français — qui estiment Ci-dessus, avril 2004, les vétérans du n’avoir rien fait d’exceptionnel — est une légende. Commando Kieff er reviennent au château Faite de courage, d’abnégation, de panache, de goût d’Achnacarry, en Écosse, où ils avaient été formés cinquante-huit ans plus tôt. de liberté et d’aventure.

Couverture : Le commando britannique Certains ont traversé la moitié de la terre pour en être et, débarque à La Brèche, à Colleville-sur-Orne pour tous, le chemin jusqu’à la constitution du Commando le 6 juin 1944, à la suite des Français du KIEFFER (1er Bataillon de fusiliers marins commandos, Commando Kieff er (dont il n’existe pas d’image connue à ce jour prise au moment même du intégré au 4 Commando britannique) aura été long et semé JEAN-MARC TANGUY débarquement). Au premier plan, Bill Millin, d’embûches. joueur de cornemuse personnel de Lord Lovat, chef de la Brigade Commando britannique. Et puis, le 6 juin, il a fallu prendre d’assaut Ouistreham, LE COMMANDO ouvrir la route aux troupes britanniques, et protéger le fl anc de la tête de pont, au-delà de l’Orne… LES 177 FRANÇAIS

Ils l’ont fait, au prix de pertes terribles. KIEFFER COMMANDO LE LES 177 FRANÇAIS DU D-DAY KIEFFERDU D-DAY

Leur dévouement fut total, et pourtant… les Français les connaissent peu ou mal. Ils vous racontent ici leur histoire, grâce à Jean-Marc Tanguy qui, depuis dix ans, les suit et recueille leurs souvenirs. Un travail de mémoire inestimable, illustré de photographies d’archives familiales ou historiques, rares ou inédites.

6333352 -ISBN 9782226250681 MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ALBIN ALBIN MICHEL 9:HSMCMG=WZU[]V: MICHEL ALBIN MICHEL MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

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