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illusion Mise en scène de Giorgio Strehier Théâtre National de l'Odéon 1 place Paul Claudel - 75006 PARIS - direction Giorgio Strehler Equipe de Direction responsable pour l'organisation Elisabeth Hayes responsable des relations publiques et des publications Jean-Marie Amartin

ODEON

THEATRE NATIONAL direction François Barachin administrateur Michel Gudin directeur de la scène Christian Damman et les services techniques et administratifs du Théâtre National de l'Odéon Message du Président de la Commission des Communautés européennes

La France a eu le mérite de créer le Théâtre de l'Europe et l'Italie celui d'as- surer une extension notable à ses activités. Il m'est aussi agréable de rappeler une phrase du discours que le Président de la République française a adressé, en sa qualité de Président en exercice du Conseil européen, à notre Parlement : « J'ai été fier que s'installât en plein cœur de Paris le Théâtre de l'Europe qu'anime Giorgio Strehler. » En entendant cette phrase, j'ai pensé que la Communauté tout entière aurait lieu d'être fière à son tour si une initiative tellement européenne - et prestigieuse - de deux de ses pays venait se placer sous le signe de la coopération culturelle qui procédera bientôt de la Déclaration solennelle sur l'Union européenne que le Conseil européen a adoptée en 1983 à Stuttgart. Il restait à ouvrir au Théâtre de l'Europe le chemin de la coopération culturelle. Pour cela, la Commission a récemment décidé de lui offrir d'ores et déjà son appui moral et son soutien financier au titre d'une action globale qu'elle développe depuis une dizaine d'années : l'action communautaire dans le secteur culturel. Mais, ce qui intéresse surtout le public de ce soir et des autres soirs, c'est que les meilleurs spectacles européens, échappant enfin aux aléas de la traduction et de l'adaptation, soient maintenant présentés dans leur langue originale à Paris et à Milan. De ce point de vue purement culturel, le maître de maison, Giorgio Streh- ler, est plus qualifié que quiconque. Je lui laisse donc la parole. Gaston E. THORN L'illusion Giorgio Strehler

Nous voici en train de terminer notre essai L'iridescence de la poésie et le mystère de conscience, il a enlevé l'adjectif comique la plus suprême élégance de style, parole et de la représentation, qui fait voir critique sur L'illusion de , l'homme ne peuvent pas être approchés de pour laisser sa force au mot illusion. Je inventées à chaque page, et à chaque aux yeux du père spectateur, des faits, écrit pendant ces mois d'automne 1984 à trop près. Aussi suffirait-il de restituer un crois que le poète en revoyant son œuvre instant laissées toujours en suspens, dans passés et présents, au moment où ils se Paris, sur la scène, avec les hommes et les peu de cette non-couleur, de cette lumière- avec recul s'est rendu compte qu'il avait une incertitude où semble se réfléchir une vérifient sur la scène du théâtre, quand le moyens du théâtre. Certes il ne s'agit que ombre, de cette musique-silence du chef- écrit un poème dramatique sur l'illusion inquiétude invisible qui nous entoure et qui jeu, si jeu il y a eu, s'arrête. Et il les fait d'un spectacle parmi une centaine d'œuvre qui émanent de L'illusion de des êtres humains, et sur les rapports nous fait mieux reconnaître notre fragilité, voir aussi aux spectateurs qui assistent à d'autres, mais pour nous, c'est toujours Corneille pour accomplir pleinement notre entre la réalité (ou la vérité) et la fiction (ou au seuil du mystère de la vie. Alors pour ce spectacle total de la salle du théâtre. notre dernier délire d'amour, notre dernier devoir d'interprètes et d'artistes. Pour le le mensonge) et non seulement sur une que L'illusion soit encore plus illusoire, Nous avons tenté de tout rendre mobile, besoin jamais assouvi de connaissance, reste, avons-nous simplement réussi à illusion théâtrale, pour acteurs et nous avons, avec peu d'acteurs, représenté incertain, mais jamais incohérent : le notre ultime recherche qui voudrait donner aux gens au moins une étincelle de spectacles. beaucoup de personnages, et nous avons personnage, le sang, le poignard, l'amour, toujours être plus profonde. Le théâtre, ce que nous avons cru comprendre et voir Aussi ce qui nous a le plus touché dans donné une seule voix au magicien et au le ridicule et l'éclair de théâtre pour nous l'avons toujours pensé et fait ainsi, dans L'illusion? Rarement une entreprise L'illusion, n'est pas le retour d'un autre fantoche. raconter les incertitudes de l'aventure avec une sorte de geste total de l'affect, ne s'est révélée plus difficile, plus magicien, après Prospéra de La Tempête, humaine : sans donner à la fin une du goût et des idées, comme si le salut du Nous avons suivi l'aventure d'amour et de conclusion apaisante. tourmentée. Une, plus que les autres, me d'une autre grotte-théâtre, d'un drame sur culpabilité d'un père qui recherche son fils monde devait dépendre de lui. Rien n'est revient à l'esprit : La Tempête de le théâtre ou du théâtre, (nous avons Aussi dans un dernier acte de tragédie, resté hors de notre responsabilité, de notre perdu par sa faute et que maintenant, au (tragédie qui se déroule dans un théâtre Shakespeare. Dans cette œuvre, nous nous pratiqué ce jeu extrême dès notre jeunesse contraire, il aime désespérément; l'histoire histoire, pas même cette illusion de trouvions devant une tragédie cosmique; et même si nous sommes encore attachés imaginaire ou alors imaginé?) ou qui se Corneille, choisie pour inaugurer le théâtre d'un fils qui ne réussit pas à trouver son déroule plutôt sur la scène du théâtre dans nous sommes devant la profondeur à son enchaînement d'émerveillements, la identité et son destin. Ce fils, nous ne de l'Europe, et qui ouvre maintenant sa abyssale des sentiments des hommes, représentation de la comédie dans la lequel nous sommes en train de jouer seconde saison. Ce spectacle, lui aussi, savons pas jusqu'à quel point il est aujourd'hui L'illusion, les acteurs dans une devant l'ambiguité suprême de l'Amour comédie, le rapport théâtre-vie, fiction- infantile et rusé; un fils qui trahit l'amour, naît peut-être de l'illusion que le travail de humain. Dans l'île de La Tempête, nous réalité ne nous surprend plus). Non, dans Angleterre de rêve reproduisent leur nature théâtre puisse encore servir à quelque qui apparaît fragile et vulgaire, et qui de toujours, mais pas exactement comme découvrions l'histoire du monde, de L'illusion, nous avons été frappé trouve sa profondeur humaine, sa vérité, chose pour l'homme. l'esclavage, de la liberté avec celle du essentiellement par cette métaphore de la toujours. Clindor, désormais acteur de seulement devant la mort, elle aussi théâtre sera tué avec "l'inconnue", l'actrice L'intérêt pour l'œuvre que nous théâtre. Dans L'illusion on avance dans la vie de l'homme qui utilise le théâtre pour illusoire, et sa "vocation", justement dans pénombre des âmes, images de quelque une démonstration poétique et ultime, flamme délirante d'un amour représentons aujourd'hui jaillit en moi la mobilité, l'incertitude, la mutation du interdit; et l'assassinat par le noble Eraste, lorsque Jouvet, au cours d'une de ces chose d'autre, projetées sur les murs d'une bouleversante de la relativité des liens et métier d'acteur. Nous avons essayé de caverne (celle de Platon?); on parle plus des sentiments des protagonistes des rappelle par une suprême invention, un longues soirées après l'Athénée, au milieu raconter le tragique de l'amour, de l'amour passé désormais lointain, quand le même de discours volés au sommeil, nous parla à bas, et l'on murmure des choses scènes du monde où se joue l'aventure contradictoire de Lyse et celui linéaire grandissimes sur les hommes, les femmes, humaine. Par ce reflet de miroirs qui Clindor avait tué, par amour, le noble quelques uns du Piccolo, de L'illusion d'Isabelle, un amour qui unit ou divise, Adraste. Dans la nuit, le sang se répandra Comique, de ses expériences avec le la vie, l'être et le paraître, et l'on parle réfléchit éternellement la vie, qui pousse selon les cas, et quelquefois même finit aussi de l'histoire du théâtre, du théâtre les acteurs à s'aimer, à se trahir, à mourir sur la scène et une syllabe changée Cartel à la Comédie-Française (quelle par pousser au meurtre de façon absurde, marquera l'entrée du Fatum dans le occasion perdue!) et me fit comprendre comme instrument de connaissance et "comme au théâtre"; par la glorification de à cause de l'idée que l'on s'en fait, comme moyen "plus vrai" pour exister. nos contradictions et de nos incertitudes théâtre. Puis ce sera comme si rien ne dans sa maison pleine de meubles, de différente bien sûr d'un individu à l'autre. s'était passé. Les morts se relèveront (ils dessins, de décors, de costumes de Dans La Tempête, nous sommes devant le et du théâtre comme moyen de Nous avons suivi le continuel mystère de la lumière du premier jour de la connaissance ultime de l'homme. ressuscitent toujours au théâtre) et le théâtre, l'importance de cette œuvre qui renversement des sentiments de la groupe humain des acteurs partira pour l'avait laissé insatisfait justement parce création; dans L'illusion, devant le mystère, passion, de la vengeance à la haine, de la dans le brun violet d'un contre-jour, d'un Tout le reste, le contexte historique, la accomplir un autre travail. Nous ne qu'il en connaissait la valeur. Ce n'est que légitimation du théâtre, le plaidoyer sur le haine à la pitié. Et nous avons fait surgir la saurons jamais quel destin obscur ou plus tard, bien plus tard, que j'ai compris contre-monde, d'un ultime coucher de folie des coulisses avec les mouvements soleil, ou de quelques nuits illuminées par théâtre, sur sa moralité, sont pour nous heureux rencontreront les protagonistes de les raisons de l'amertume de Jouvet, le des thèmes et des accents secondaires presque mécaniques du fantoche; nous L'illusion. Nous saurons simplement que sens de ses paroles : "Il s'agit d'une œuvre une lune invisible. Ce n'est pas un hasard l'avons pensée comme la folie comique de pour nous, si Corneille a imaginé ou voulu eux aussi, peut-être, écrans illusoires pour c'est le signe du théâtre, de sa fraternité, mystérieuse. Peut-être hantée." En fait, attirer les plus ingénus, comme si dans l'acteur total, qui n'a besoin que de lui et de son destin qui nous révélera toujours la aujourd'hui seulement, je peux en mesurer son illusion comme un spectacle d'un public, peut-être d'un seul auditeur, à "nocturne" d'ombres. L'illusion tout n'était que là. Car en merveilleuse complexité de la vie, et nous la portée, après m'être aventuré dans ses définitive, L'illusion nous apparaît comme la fois compère et spectateur. Nous avons retournerons à notre réalité peut-être un sentiers, avoir cherché mon chemin dans Mais les deux œuvres contiennent la «ne œuvre profonde, obscure, tragique, vu, dans le "Masque de l'Arte", l'hyperbole peu plus émerveillés et remplis des cette grotte obscure, "n'ouvrant son voile même tension, on y trouve la même angoissante, pessimiste, même si elle est solitaire de celui qui s'invente différent à beautés fragiles et brèves qu'il nous a été épais qu'aux rayons d'un faux jour", et touche de génie, toujours imprévisible et auréolée d'une sorte de légèreté poétique, chaque moment, qui s'enivre de lui-même permis de contempler. m'être si souvent perdu dans ce brouillard bouleversante. Je crois vraiment que d'une apparente douceur et même d'une presque pour se dissoudre en une "misère- lumineux qui nimbe les chefs-d'œuvre du Corneille dans sa maturité, à la fin de son ivresse de l'amour. Qu'est-ce que L'illusion pitié", non illusoire cette fois-ci. Mais qui Traduit par Myriam Tanant génie humain. Je pense que dans les histoire, a regardé son "étrange monstre" sinon une passion d'amour, sinon une pourra un jour nous donner la signification grandes œuvres de théâtre, il y a quelque juvénile, comme il définit L'illusion, avec série continue d'histoires d'amour et ultime de ce Matamore, capitaine espagnol chose qui ne doit ni être touché, ni une sorte d'étonnement, peut-être avec de d'identités qui s'enchaînent les unes dans apporté par deux mille ans d'histoire, de représenté, ni joué, ni dit, et qu'il ne faut la peur ou de la nostalgie, sûrement avec les autres pour créer un univers de peur et d'ombres et qui les exorcise? Tout pas s'acharner à sa conquête. une lucidité extrême et qu'en toute passions subtilement variées, écrites avec cela à travers le travail d'un magicien, de la ■ Il ■ CORNEILLE

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i usion

mise en scène Giorgio Strehler costumes Luisa Spinatelli avec le concours de la Commission décors Ezio Frigerio musique Fiorenzo Carpi des Communautés Européennes Une vis sans fin ou le Vertige de « L'illusion » 10 Bernard Dort Acteurs Alcandre, Magicien Pierre Corneille son inscription sociale 18 Pridamant, père de Clindor Bernard Dort Dorante, ami de Pridamant La carrière de Corneille Matamore, Capitan Gascon, amoureux d'Isabelle auteur dramatique 24 Clindor, suivant du Capitan, amant d'Isabelle « L'illusion » de Corneille Adraste, Gentilhomme amoureux d'Isabelle et le baroque 26 Gérante, père d'Isabelle Annie Richard Isabelle, fille de Gérante Rhétorique et dramaturgie dans « L'illusion Comique » Lyse, servante d'Isabelle de Corneille 34 Geôlier, de Bordeaux Marc Fumaroli Page du Capitan Le rôle de l'argent dans Clindor représentant THEAGENE Seigneur Anglais « L'illusion Comique » 39 Isabelle représentant HIPPOLYTE femme de Théagène Ralph Albanese Jr. Lyse représentant CLARINE suivante d'Hippolyte Le sentiment de l'amour Rosine, Princesse d'Angleterre femme de Florilame dans « L'illusion » 46 Octave Nadal Eraste, Ecuyer de Florilame Principales représentations Troupe de Domestiques d'Adraste de « L'illusion » en France, Troupe de Domestiques de Florilame depuis sa création 52 Le décor original de « L'illusion Comique » 53 Robert Garapon Compagnie du théâtre de l'Europe « L'illusion Comique » Gérard Desarthe, Stéphane Freiss, Gérard Hérold, Nathalie Nell, et la scène 55 Maud Rayer, Didier Sandre, Henri Virlogeux Annie Richard et Olivier Deparis, Jean-Paul Galinski, Frédéric Girard, Noëlle Rech, Christophe Thiry.

assistants à la mise en scène Marise Flach, Christian Rist, Myriam Tanant assistant aux décors Alberto Andreis assistant pour les costumes Rudy Sabounghi masque Luc Laporte toiles peintes par Fulvio Lanza maquillages et coiffures Annie Marandin photographe Luigi Ciminaghi coordination pour la réalisation des décors Giorgio Ricchelli directeur de scène Christian Damman Publication dirigée par régie André Foumier, Claude Molinier, Giorgio Strehler Daniel Gaudin Réalisée par son René Soulivet Jean-Marie Amartin chef électricien Alain Banville Eveline Perloff sous-chef électricien Claude Salmeron Maquette et mise en page chef de plateau Maurice Germain Anne Boyer sous-chef de plateau Philippe Sire, Alain Cavé, Denis Baling Photographies de Luigi Ciminaghi peintres Gudrun von Maltzan, François Le Gai BEBA Editions chef habilleuse Monique Bonzon souffleuse Patricia Thibault

Une vis sans fin ou le Vertige de « L'illusion » Bernard Dort

Dans sa dédicace à une mystérieuse homonyme de Scudéry (1632). De ce des « fantômes vains » : Clindor et son « Mademoiselle M.F.D.R. » (1639), qui n'était qu'un matériau ou qu'un « Maître », Matamore. Tout au long de Corneille qualifie L'illusion Comique procédé (celui de « la pièce dans la trois actes, nous verrons donc d'« étrange monstre ». Pourtant, pièce »), il a fait le sujet même de son Alcandre et Pridamant assister à un quelques années auparavant (la pièce ouvrage. Ici, il ne s'agit pas seulement spectacle qui n'est autre que celui de est imprimée en 1639 mais elle a été de comédiens et de leurs aventures. la vie de Clindor. Corneille constate : créée - on ne connaît pas la date C'est le théâtre même qui est en « Les trois (actes) suivants forment une exacte - entre novembre 1635 et cause. C'est lui qui s'interroge Pièce que je ne sais comment nommer : Pâques 1636), son « succès » ne lui sur son rapport à la réalité. Et cette le succès en est Tragique; Adraste y « a point fait de honte sur le théâtre ». interrogation fait tache d'huile : si la est tué, et Clindor en péril de mort; Mais elle a « tant d'irrégularités » que réalité elle-même n'était qu'un théâtre? mais le style et les Personnages sont - c'est le Corneille de 1660, celui des S'il était impossible de faire le partage entièrement de la Comédie ». Au terme Examens et de l'édition révisée de son entre l'un et l'autre? Si tout n'était de chaque acte, Pridamant s'inquiète : Théâtre, qui parle - « elle ne vaut pas jamais qu'un « change » et que Clindor est menacé, ou se désespère : la peine de la considérer » : « Le « feinte »? C'est, sans doute, dans de Clindor « est mort! », et Alcandre le premier Acte n'est qu'un Prologue, telles questions que gît la rassure : Clindor sera « bientôt heureux les trois suivants font une Comédie « monstruosité » de L'illusion Comique, en ses amours ». Ce n'est qu'à la fin imparfaite, le dernier est une Tragédie, plus que dans sa conformation du quatrième acte que Pridamant dont et tout cela cousu ensemble fait une anormale. Corneille lui-même nous le le cœur a battu, en père et en Comédie. » L'auteur du Discours des laisse supposer : dans l'édition de son spectateur, peut s'écrier : « A la fin je trois unités ne pouvait que rougir qu'un Théâtre en 1660, il en modifie le titre respire » et, sans doute, sortir de la tel assemblage fût sorti de sa plume. et il la nomme, avec ce mélange grotte. Le spectacle de la vie de son L'illusion Comique est une œuvre de de hauteur et de modestie qui fils se termine bien. Le mariage du circonstance. Lié à Montdory (le lui était coutumier, L'illusion. théâtre et de la réalité n'est-il pas une créateur de Mélite) et à la troupe du En apparence, la fable de L'illusion est union heureuse? Mais nouveau Marais, Corneille l'a, sans doute, écrite relativement simple et la succession rebondissement : Alcandre et pour fournir un rôle à un nouveau venu, de ses épisodes, claire. Un père, Pridamant sont rentrés dans la grotte Bellemore, qui sera Matamore. Et il l'a Pridamant, dont la sévérité a, il y a dix « pour évoquer des fantômes composée de manière à mettre en ans, provoqué la fuite de son fils, nouveaux ». Cette fois, tout change. valeur les talents divers des principaux Clindor, recherche celui-ci. Il a voyagé Comme si Alcandre avait donné un comédiens de cette troupe qui venait partout. « Et ces longues erreurs ne tour d'écrou de plus à la machine. Ce d'être privée, par décision royale, de m'ont rien appris. » Alors, en désespoir qui se déroule devant Pridamant, de plusieurs de ses membres, au profit de de cause et sur le conseil de son ami nouveau sommé de ne pas sortir de l'Hôtel de Bourgogne. Peut-être jugea-t- Dorante, il est venu consulter un « ce lieu fatal », car « il y va de la vie », il aussi que c'était le moment de faire « grand Mage dont l'art commande à la ce n'est plus « une Comédie imparfaite », un éloge du théâtre et de la profession nature », Alcandre. Celui-ci ne se fait c'est « une Tragédie assez courte pour de comédien. Il y a peu, les « histrions » pas prier : il va « de ses amours n'avoir pas la juste grandeur que étaient encore « tenus pour infâmes ». Et de tous ses hasards (ceux de demande Aristote ». Là, Clindor Bientôt, en 1641, Louis XIII se Clindor) vous faire le discours ». succombe aux coups d'Eraste et prononcera solennellement en leur Il propose même plus : Isabelle « se meurt » (version de 1660) faveur : « Nous voulons que leur Toutefois si votre âme était assez hardie, ou souhaite expirer (1639-1657). « Après exercice qui peut innocemment divertir Sous une illusion vous pourriez voir sa vie, avoir vu (son fils) assasiné », Et tous ses accidents devant vous exprimés Pridamant veut faire une fin : nos peuples de diverses occupations Par des spectres pareils à des corps animés, mauvaises, ne puisse leur être imputé Il ne leur manquera ni geste ni parole, Adieu, je vais mourir, puisque mon fils est mort. à blâme, ni préjudicier à leur Mais, cette fois, théâtre et vie réputation dans le commerce public1. » Voilà pour le premier acte - celui qui, ne coïncidaient plus. Car, ce à quoi a Comme s'il avait entendu Alcandre selon Corneille, « ne semble qu'un assisté Pridamant, ce n'est pas à célébrer, au terme de L'illusion Prologue ». Tout, dans le discours l'histoire réelle de Clindor, c'est à une Comique, le théâtre : d'Alcandre, fait allusion au théâtre fiction. « Clindor et Isabelle, étant (...) A présent le Théâtre mais rien ne le dit expressément. devenus Comédiens sans qu'on le Est en un point si haut que chacun l'idolâtre, Seule, l'ouverture, sur un coup de sache, y représentent une histoire qui Et ce que votre temps voyait avec mépris Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits, baguette d'Alcandre, d'un « rideau a du rapport avec la leur, et semble en L'entretien de Paris, le souhait des provinces, derrière lequel sont en parade les plus être la suite. Quelques-uns ont attribué Le divertissement du plus doux de nosr princes, beaux habits des comédiens » Les délices du peuple, et le plaisir de '. rands; cette conformité à un manque Parmi leurs passe-temps il tient les premiers rangs », le désigne plus concrètement. Mais d'invention, mais c'est un trait d'Art pour Pridamant, en passe de devenir pour mieux abuser par une fausse mort et vanter le métier de comédien : spectateur, c'est seulement là le signe le père de Clindor qui les regardé, et Le Théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes, Et votre fils rencontre en un métier si doux que son fils est en vie et qu'il connaît rendre son retour de la douleur à la Plus de biens et d'honneur qu'il n'eût trouvé chez vous2 « un meilleur destin ». Nous étions, joie plus surprenant et plus agréable. » semble-t-il, devant la « grotte obscure » Il n'y a plus qu'à tirer un rideau et la Toutefois, Corneille n'a pas seulement d'Alcandre. Il faut maintenant y entrer. réalité apparaît : celle de « Comédiens repris un thème à la mode - à Alcandre va faire voir à Pridamant des qui partagent leur argent ». La tragédie l'imitation de la Comédie des « spectres parlants ». Dès le début du n'était qu'un spectacle fictif ; la comédiens de Gougenot et de la pièce deuxième acte, en effet, apparaissent comédie représentait peut-être la vie. 10 Seule la réalité de ces comédiens faisant leurs comptes est certaine. Mais cette réalité et celle du comédien Clindor et de ses compagnons que Pridamant, convaincu de « l'éclat, l'utilité, l'appas » du théâtre, décide d'aller rejoindre à Paris (car « la scène est en Touraine »), ne se recouvrent pas tout à fait. Un doute demeure : Alcandre n'aurait-il pas joué Pridamant? Comme le remarque Strehler : « Nous ne saurons jamais si à la fin le père retrouvera vivant son fils et si l'histoire représentée est la véritable ou son reflet. » Dans les deux Comédie des comédiens, Gougenot puis Scudéry se contentaient d'opposer « d'une manière simple et schématique le plan de la réalité, où les comédiens apparaissaient tels qu'ils sont hors de la scène, et le plan de la fiction, où les comédiens apparaissaient comme à l'ordinaire dans l'exercice de leur métier d'interprètes3 ». Corneille ajoute un rouage à cette machinerie du théâtre dans le théâtre. Ce sont des comédiens (recrutés, sans doute, par Alcandre) qui jouent la vie du comédien Clindor et qui nous le montrent, au cinquième acte, dans l'exercice de son art (et de la Tragédie). Le vrai Clindor reste hors d'atteinte. Pridamant le rejoindra peut- être - hors du spectacle. Le théâtre s'en trouve démultiplié et la réalité frappée de doute. Tout cela ne serait-il qu'un produit de la magie d'Alcandre? L'illusion est une vis sans fin. Le théâtre n'y est pas présent qu'au seul niveau de la fable. On l'a souvent remarqué : L'illusion est proprement un « habit d'Arlequin dramatique4 ». Elle puise à toutes les sources et constitue une sorte de récapitulatif de tous les genres de l'époque. Son Clindor vient, explicitement, du « picaro » espagnol : « Enfin jamais Buscon, Lazarille de Tormes / Sayavèdre et Gusman ne prirent tant de formes » et, une fois devenu comédien, c'est un « seigneur anglais », au nom singulier de Théagène, que nous le voyons jouer, tandis que Rosine est désignée comme « Princesse d'Angleterre. » Matamore, lui, est à la fois Italien et Espagnol et ses origines remontent à l'Antiquité. C'est le Capitan d'Aristophane et de Plaute, le Capitaine Epouvante des premières troupes de la « commedia dell'arte », des Gelosi, ou le « Capitano Matamoros » du napolitain Silvio Fiorillo, des Uniti. Ce Matamoros (son nom est espagnol et évoque la victoire sur les Maures) avait déjà été naturalisé français : c'est le Fanfaron du théâtre de tréteaux. Bellemore s'en était fait une spécialité. Corneille a taillé son Matamore à sa mesure. « Il y en a même un (Personnage) qui n'a d'être que dans l'imagination, inventé ■mm exprès pour faire rire, et dont il ne se trouve point d'original parmi les hommes. C'est un Capitan qui soutient assez son caractère de fanfaron pour me permettre de croire qu'on en trouvera peu, dans quelque langue que ce soit, qui s'en acquittent mieux. » Pour n'en être pas moins imaginaire, Alcandre relève, lui, d'un autre répertoire : il vient en droite ligne du 12 d'incertitude sa glorification, sociale et changer ou feignent de changer8 ». costumes de parade - les « plus dell'arte6 ». Mais les deux figures se joue pas seulement, en virtuose, avec esthétique, du théâtre. beaux habits des comédiens » genre dominant au début du siècle, la les figures de la pièce dans la pièce. Il A cet égard, la « tragédie » du pastorale. Mais le Mage, ici, n'est plus sont enrichies et elles commencent à C'est que les personnages ne cinquième acte prolonge et même découverts par le rideau d'Alcandre) de diverger. Isabelle n'est pas seulement y fait un feu de joie du théâtre de son la société de son temps, il avait seulement « un vieillard chenu et époque. Avant d'écrire (qui suit coïncident pas tout à fait avec leurs accomplit l'histoire de Clindor et grave, qui affirme avec majesté sa une amoureuse, fille d'un Géronte- stéréotypes et « bougent ». C'est aussi d'Isabelle - ou, pour parler comme exposé les feintes de la scène et la 5 Pantalon. Elle est déjà femme. Et elle immédiatement L'illusion) et de fonder fluidité de toute société humaine. Il prescience et sa puissance ». En fin la tragédie classique, il convoque tous que la dimension de la théâtralité Corneille, « a du rapport avec la leur et de compte, il se confond avec l'auteur le devient encore davantage sous les recoupe, dans L'illusion, celle du semble en être la suite ». Clindor avait magnifiquement glorifié le métier traits d'Hippolyte dans la tragédie les modes d'écriture dramatique de de comédien et le travail de l'auteur, lui-même. son temps, les confronte, les mêle, les mensonge et de l'inconstance. C'est « représentant Théagène, seigneur Servir les gens d'honneur est mon plus grand désir, jouée. Alors, elle va jusqu'à conseiller enfin que le temps s'infiltre dans cet anglais » et Isabelle « représentant mais n'aurait-il pas, du même coup, J'ai pris ma récompense en vous faisant plaisir. son époux Théagène-Clindor dans ses compromet l'un par l'autre et célèbre ouvert une brèche dans la vérité Adieu, je suis content, puisque je vous vois l'être. un théâtre dont il est en train, univers de reflets et de faux-semblants Hippolyte, femme de Théagène » sont amours extra-conjugales : « Dissimule, et en brouille l'ordre et la hiérarchie. donc en condition d'époux. Or, tragique, donc transhistorique, de son déguise et sois amant discret. /(...) subrepticement, de saper les bases. Il œuvre future? Aujourd'hui que nous Il est le double de Pierre Corneille. donne à son public, pour reprendre des Matamore, par exemple, dépasse le Théagène-Clindor est infidèle à Cours après tes plaisirs, mais assure 7 sommes loin et de celle-ci et de ceux- Un dramaturge moderne qui s'emploie, termes brechtiens , « une sorte de Fanfaron de la tradition. D'une part, il Hippolyte-lsabelle. Certes, lorsque précisément, à rompre avec la pastorale et ta vie. » Lyse a beau avoir la fonction n'est pas que grotesque. Il touche, par cette dernière le surprend à un rendez- là, L'illusion n'en resplendit que plus : à d'une soubrette traditionnelle (elle condensé de ce que le spectateur la manière du Don Quichotte, elle est avec ses mensonges. C'est là le souhaite voir de la vie au théâtre ». la parole, au héros. On l'a constaté vous qu'il avait donné à Rosine, mouvement même de L'illusion : épousera le geôlier pour permettre à souvent : Matamore est déjà une au seuil de l'ancien et du nouveau. Elle Mais en même temps, s'il n'essaie pas, « Princesse d'Angleterre, femme de déviées, les anciennes formules théâtrales Clindor de fuir sa prison), elle a déjà contre-épreuve du Cid. En tout cas, il Florilame » (dans l'obscurité, il confond joue, proprement, de leur collision. De y sont mises, ouvertement, au service d'un une tout autre stature et peut, à son aussi ouvertement que Brecht, de joue au héros. Et il y réussit, l'une avec l'autre et, ainsi, se trahit), là, notre vertige- théâtre nouveau. avantage, faire figure de rivale prendre à partie ce spectateur et de lui verbalement, avec une invention et une Hippolyte-lsabelle admoneste l'infidèle d'Isabelle. Elle frôle même, parfois, le montrer « ses désirs critiqués au maestria étourdissantes : et lui rappelle, avec une belle gravité, personnage tragique. Corneille le moment où ils sont réalisés - ainsi il Le foudre est mon canon, les deslins mes soldats, son amour : Une deuxième question : Isabelle et Lyse semblent, elles aussi, reconnaît : « Lyse, en la sixième Scène ne se perçoit plus comme sujet mais venir d'horizons dramaturgiques Je t'aime, et mon amour m'a fait tout hasarder, du troisième Acte, semble s'élever un comme objet », Corneille introduit, voire avec un rare bonheur poétique : Non pas pour tes grandeurs, mais pour te posséder. opposés. Sans doute, leur couple Le Soleil fut un jour sans se pouvoir lever, peu trop au-dessus du caractère de dans le fonctionnement de L'illusion, Cet argent que se partagent, à la fin, reprend-il celui « d'Isabella, fille de Servante ». comme une dérive qui jette le doute Et ce visible Dieu que tant de monde adore (là encore, il y a un écho de l'histoire Pantalon, suivie et secondée par la Pour marcher devant lui ne trouvait point d'Aurore; effective d'Isabelle et de Clindor). Mais tous les Comédiens et qui paraît L'illusion est un peu l'Opéra de sur son agencement et sur son (...) Et le dernier de Juin fut un jour de Décembre; établir le retour de L'illusion à la soubrette Colombine, qui figure dans dénouement heureux, et affecte Car enfin, supplié par le Dieu du Sommeil, elle n'en consent pas moins à tant de scénarios de la commedia quat'sous de Corneille. Celui-ci n'y Je la (l'Aurore) rendis au monde, et l'on vit le Soleil. l'inconstance de Théagène-Clindor. Elle réalité, quel est-il et d'où vient-il? Ou c'est un argent de théâtre et il fait D'autre part, il perce lui-même son jeu admet qu'il s'est passé du temps et que tout ne peut plus être comme encore partie de la représentation à jour. Ce fanfaron tyrannique (Clindor donnée à Pridamant par Alcandre : les parle du « caprice arrogant » et des autrefois : Puisque mon teint se fane et ma beauté se passe, comédiens de celui-ci qui jouent des « vaines humeurs d'un maître Il est bien juste aussi que ton amour se lasse; comédiens de la troupe de Clindor extravagant ») peut être lucide et il en Et même, je croirai que ce feu passager En l'amour conjugal ne pourra rien changer. mettent un point final à leur spectacle devient, parfois, émouvant. Un exemple : en se partageant une paye fictive. Matamore se vantait de s'être rassasié Mieux, elle consent à ce que Ainsi, on ne sort pas du théâtre. d'ambroisie, mais il reconnaît vite que Théagène-Clindor sacrifie à ces Ou c'est de l'argent pour de bon : une Cette Ambroisie est fade; « passe-temps », à condition qu'il n'y fois leur jeu terminé, les comédiens J'en eus au bout d'un jour l'estomac tout malade; risque pas sa vie : d'Alcandre se le répartissent entre eux. C'est un mets délicat et de peu de soutien; Sans aucun sentiment je te verrai changer, A moins que d'être un Dieu, l'on n'en vivrait pas bien. Pourvu qu'à tout le moins tu changes sans danger. Alors, il y a de fortes probabilités pour Il cause mille maux, et dès l'heure qu'il entre, que cet argent vienne de Pridamant : il Il allonge les dents et rétrécit le ventre. Rien de plus singulier qu'un tel est le spectateur, c'est lui qui a payé. Ainsi, Matamore dit la discours et une telle attitude chez des Il en a eu pour son argent. Mais peut- misère de son propre théâtre. personnages de tragédie - c'est-à-dire être ces comédiens d'Alcandre n'ont-ils Par ailleurs - ce n'est pas le moins au comble du jeu théâtral. Et à un joué que ce qu'il souhaitait voir? surprenant de L'illusion — l'amour y moment où la mort guette nos héros. Dans l'un et l'autre cas, Pridamant connaît d'étranges intermittences. Si C'est comme si la machine cornélienne risque fort d'avoir été floué. De toute Isabelle est ferme et déterminée dans se retournait de son propre façon, « l'illusion » reste complète. sa passion pour Clindor, au point d'en mouvement. Le jeu du paraître ouvre devenir tragique lorsqu'elle craint que sur le concret de l'existence. Le Clindor ne soit exécuté (« Je veux théâtre était une succession perdre la vie en perdant mon amour »), d'attitudes et de moments privilégiés. Clindor est loin d'avoir cette Voilà qu'il avoue autre chose : les constance. Il hésite entre Isabelle et dommages du temps et la vertu du 1. Cité par Colette SCHERER dans Comédie et Lyse, la servante accorte et piquante compromis. Différemment de Matamore société sous Louis XIII - Corneille, Rotrou et les de celle-ci qui expose l'héroïsme à la risée et en autres, Nizet, Paris 1983. P. 23. dit, expressément, la dérision, mais 2. Toutes les citations de L'illusion Comique sont L'esprit beau, prompt, accort, l'humeur un peu railleuse, empruntées au texte de l'édition originale (1639), L'embonpoint ravissant, la taille avantageuse, comme lui, la comédienne Isabelle tel qu'il est retranscrit par Georges COUTON dans Les yeux doux, le teint vif et les traits délicats, dénonce la vanité des grands les Œuvres complètes de Corneille, tome 1, Qui serait le brutal qui ne t'aimerait pas? sentiments au moment même où elle « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, Paris, 1980. Et il va jusqu'au cynisme : joue à la tragédienne. Un peu plus 3. Cf. la notice de Marc FUMAROLI dans l'édition Vous partagez vous deux mes inclinations : tard, du reste, l'illusion se dissipera. de L'illusion Comique dans la collection des J'adore sa fortune et tes perfections. Ceux qui ont été des princes9 et des « Nouveaux classiques Larousse », Librairie (...) Bien que pour l'épouser je lui donne ma foi, Larousse, Paris, 1970. P. 29. Penses-tu (Lyse) qu'en effet je l'aime plus que toi? princesses ne seront plus que des Dans Comédie et société sous Louis XIII, Colette L'amour et l'Hyménée ont diverse méthode : comédiens partageant leur argent. Et il SCHERER évoque aussi, à plusieurs reprises, ces L'un court au plus aimable, et l'autre au plus commode. ne restera pour tout garant de la deux Comédie des comédiens (op. cit.). réalité de l'illusion ainsi dissipée que 4. Cf. la notice de Marc FUMAROLI déjà citée, Mais ne voyons point là seulement le p. 21 et 27. portrait-charge d'un jeune homme la parole d'Alcandre et le plaisir de 5. Ibid., p. 21. volage. Corneille ne brocarde ni ne Pridamant - ou la folie de celui-ci, 6. Ibid., p. 25. contaminé par le théâtre, qui décide 7. Cf. « Remarques sur l'Opéra de quat'sous » condamne Clindor. Pas plus qu'il ne dans Écrits sur le théâtre, par Bertolt BRECHT, l'exalte. Une telle inconstance est d'abandonner « ces lieux » et de texte français de Jean Tailleur, Gérald Eudeline et constitutive du monde cornélien. Elle « vole(r) vers Paris » I Serge Lamare, l'Arche, Paris, 1963. P. 48. est l'âme même de ses personnages - 8. Cf. Jean ROUSSET : La Littérature de l'âge Devant une telle illusion, Corneille baroque - Circé et le paon, Librairie José Corti, du moins leur tentation essentielle. pouvait bien nourrir quelque, inquiétude Paris, 1954. Pp. 205-206. Comme l'a bien remarqué Jean et la conjurer en traitant sa pièce 9. Ces princes sont loin d'être tout admirables : le Rousset, « toutes les comédies de d'« étrange monstre ». C'est que, tout prince d'Angleterre, Florilame (un nom pourtant bien engageant), qui ne paraît pas sur la scène, Corneille tournent autour d'un thème en célébrant le théâtre, il en avait mis est, nous dit-on, tout prêt à se repaître central : l'inconstance, le change. Des en évidence non seulement les ficelles d'Hippolyte-lsabelle, une fois celle-ci veuve par âmes flottantes, des esprits fluides, mais encore, bel et bien, les faux- ses soins et son honneur prétendument vengé (par qui donnent le spectacle d'un la mort de Rosine, son épouse) : « Le Prince dès semblants. Juste avant d'essayer de longtemps amoureux de vos charmes, / Dans un incessant va-et-vient; fidèles ou fixer dans le noble miroir de la de ses châteaux veut essuyer vos larmes » (V-5, infidèles, tous changent ou rêvent de tragédie l'image (à l'antique... ou en dans la version originale de 1639). 15 14

Pierre Corneille, son inscription sociale Bernard Dort

(deux ans avant la naissance de Pierre Un statut parce que ses héros se sont vite figés, L'« officier » Corneille pour une postérité inattentive, en un Corneille, l'aîné), son père, Pierre lui type : le héros cornélien, on a cru aussi, a fait l'acquisition du domaine Que l'on ne sous-estime pas l'influence de Petit-Couronne : une maison de Pierre Corneille n'aurait-il pas vécu? possible d'oublier Pierre Corneille, décisive qu'eurent sur le dramaturge d'oublier son inscription sociale, maître, avec seize hectares de bonne Pierre Corneille ses origines, ce qui fut Ou n'aurait-il été qu'un prête-nom, un terre. masque? A lire certains exégètes, on volontaire, obstinée, d'oublier que son longtemps son métier et, surtout, son oeuvre elle-même était profondément Voilà la famille Corneille établie. Pierre appartenance à un groupe social le croirait presque, puisque l'un d'entre Corneille n'aura qu'à suivre l'exemple eux va jusqu'à écrire : « Par un dépendante de l'histoire, et que, loin cohérent : celui des officiers. de former un bloc, elle pouvait, elle de son père et de son grand-père. Telle Jamais, en effet, Corneille ne s'est bonheur qu'on peut apprécier, la vie de est sa première certitude, et il n'en Pierre Corneille est à peu près devait être considérée comme un considéré autrement que comme système en évolution, comme une démordra pas. officier. Jamais il n'a dérogé à cette inconnue. » Des études chez les jésuites; quelques Certes, si l'on entend par vie un dramaturgie dont le principal objet sorte de cléricature sociale. Jamais était cette histoire : une histoire en prix de vers latins et, à dix-huit ans, même il n'a tenu la littérature et le ramassis d'anecdotes, nous ne Pierre Corneille prête serment comme connaissons guère celle de Corneille. mouvement. théâtre pour une façon de se hisser, avocat stagiaire au Parlement de subrepticement, jusqu'au monde de la Mais une vie, c'est plus que ce Rouen. Y plaida-t-il? On ne sait. chapelet de petits faits patriotiques ou féodalité. Non, pour lui, la littérature Pierre Corneille Toujours est-il que, quatre ans plus - le théâtre comme l'édition - n'a graveleux, c'est aussi une situation tard, en 1628, son père lui achète un dans une société donnée et sa lente, bourgeois de Rouen été qu'un moyen de poursuivre double office : Pierre Corneille devient l'ascension sociale de sa famille, de sa profonde transformation au cours avocat du roi au siège des Eaux et des années. Ainsi, la vie de Corneille A la différence de beaucoup d'auteurs toute la famille Corneille, grossie, des débuts du xvne siècle, seigneurs de Forêts, c'est-à-dire à la Table de enrichie par une habile politique de nous intéresse sans souci d'histoire Marbre de Rouen, et à l'amirauté de littéraire. Je crois même qu'aucune peu de biens ou cadets de bonnes mariages, d'accélérer ce processus si familles, souvent pourvus de bénéfices France. Il a en principe trois audiences fréquent au xvu® siècle : l'accession, analyse de l'œuvre de Corneille ne par semaine. Pendant vingt-deux ans il peut aboutir, si elle ne s'applique ecclésiastiques, Corneille est un par le service direct du roi, des bourgeois. Il appartient à la remplira scrupuleusement les fonctions officiers à la noblesse, la conversion d'abord à définir sa situation, la de sa double charge, rédigeant de singularité et l'unité de cette situation bourgeoisie aisée, enrichie par le de la bourgeoisie en noblesse de robe négoce, d'une des provinces les plus longs rapports pour défendre les dans la dépendance du roi et de lui au long de presque tout un siècle. intérêts du roi. Il est de fait que peu d'exégètes ont proches de Paris. Depuis deux seul. générations au moins, sa famille est On le voit : dès le début de sa vie, les Il y parvient vite : en 1637, après Le cru bon de commencer par là. Parce jeux sont faits. Corneille l'aîné va que Corneille paraissait monolithique, entrée dans la bourgeoisie de robe Cid, le roi accorde des lettres de rouennaise et y a fait lentement son continuer son père, Maître des Eaux et noblesse au père de Pierre Corneille. parce qu'il n'offrait aucune prise aux Forêts en le vicomté de Rouen, et son commérages - les seules anecdotes chemin, progressant d'office en office Et, presque trente ans après, quand et se constituant, à Rouen et dans les grand-père, conseiller référendaire à la Louis XIV prend un édit révoquant que nous en connaissions sont chancellerie du Parlement de fausses (celle du soulier et de la environs, un patrimoine immobilier qui toutes les lettres de noblesse pût l'égaler à la noblesse. Normandie. Autour de lui, oncles, expédiées depuis 1630 - édit pauvreté du vieux Corneille) ou trop grands-oncles travaillent dans le même allusives pour que l'on puisse s'en En 1584, le grand-père dè Pierre enregistré, non sans mauvaise volonté, Corneille a acheté, rue de la Pie, près sens : il s'agit pour tous de constituer on s'en doute, par la Cour des Aides contenter (celle de ses « amours » avec une grande famille de la bourgeoisie la Du Parc) - , parce que son règne du Vieux-Marché de Rouen, la maison, de Normandie - Pierre Corneille qui presque un hôtel, qui sera celle de la de robe qui puisse balancer les castes est encore, mais plus pour longtemps, sur le théâtre parisien semble sans de féodaux normands. fissure pendant plus de trente ans, famille Corneille. Et quatorze ans après le « Grand Corneille », obtient qu'une 18 19 exception soit faite en sa faveur. Corneille rêvait, avait rêvé d'un Etat la politique royale, de ce roi dont il a Cette révocation des lettres de organisé autour du roi et selon lui. pourtant fait le principe même de son noblesse - mesure qui touchait Toute une partie de son oeuvre - celle œuvre dramatique et dont il n'a cessé presque exclusivement les officiers - des classiques « chefs-d'œuvre d'être, de se vouloir le serviteur. témoigne d'ailleurs d'un cornéliens » - nous propose même Certes, il continuera à affirmer sa bouleversement de la politique royale l'image d'un monde unifié sous le fidélité au principe de l'absolutisme au xvii® siècle. pouvoir du roi et par l'entremise du royal, à servir et à célébrer le roi; cette Nous touchons ici à un phénomène de juge. Or voilà que l'instauration de affaire ne modifiera en rien son révolution sociale dont Lucien l'absolutisme nie cette construction comportement (à peine peut-on y voir Goldmann a bien mis en lumière les idéale. Le roi ne règne plus par les l'une des causes de sa traduction de conséquences idéologiques dans son officiers. Il règne seul. Il règne selon L'Imitation), ni ses « idées » politiques. Dieu caché et dans son Racine. son bon plaisir, et commissaires, Mais elle n'en est pas moins Rappelons-en les grandes lignes. intendants, conseillers ne font que révélatrice : la fidélité, l'attachement Le jansénisme, remarque Goldmann, veiller à l'exécution de ses ordres. de l'officier Pierre Corneille au roi, au s'est développé et a rencontré le Ultime paradoxe, le roi a maintenant principe du pouvoir royal (même maximum de sympathies parmi les rassemblé autour de lui sa vieille représenté par Mazarin que Corneille gens de robe et les membres des noblesse féodale, enfin domestiquée : n'aimait pas), le roi et l'histoire les ont cours souveraines, c'est-à-dire dans le la cour. Les officiers sont condamnés trahis. groupe social des officiers. Il à la province, à l'obscurité. Leur grand constituerait ainsi la réaction rêve d'une monarchie parlementaire a idéologique de ce groupe qui a avorté. Il ne se perpétuera que ressenti comme une frustration souterrainement, jusqu'à ce que L'écrivain Pierre Corneille politique et sociale le changement Montesquieu lui donne une forme d'orientation de la politique royale doctrinale et qu'il finisse par se perdre Mais l'officier Pierre Corneille fut aussi sous Louis XIV. dans le grand courant libéral du un écrivain. Cela est l'expression d'une xviii6 siècle. profonde nouveauté pour l'époque et Depuis longtemps, en effet, le roi non un truisme. Car Pierre Corneille ne s'appuyait sur cette bourgeoisie de robe, Rien n'illustre mieux cette brusque se contenta pas d'écrire. Il entendit sur les officiers, contre les nobles, mutation de la politique royale et les exploiter ses œuvres, en vivre, en faire contre les féodaux. Ainsi, au début du conséquences qu'elle entraîna pour e commerce. Officier, il se voulut xvn siècle, l'administration des tout le groupe des officiers, pour également écrivain : un écrivain d'État, provinces était encore assurée par les l'officier Pierre Corneille lui-même, honorant un roi qui l'honore. pouvoirs locaux, notamment par les qu'un épisode, le plus sinon le seul La chose fit d'ailleurs scandale à cours, et les conseils du roi n'y spectaculaire de la vie de Corneille. l'époque. Quoi! dans les belles-lettres, exerçaient qu'une fonction de contrôle. En janvier 1650, le duc et la duchesse Corneille transposait, imposait les Mais peu à peu ces derniers passèrent de Longueville (celle-ci était la sœur du ûsages bourgeois! Ainsi que le notait du contrôle à l'administration directe, Grand Condé qui vient de se déclarer d'Aubignac, Corneille ne sort de ses en même temps que se constituait une contre la reine et Mazarin) tentent de ténèbres que « pour faire des courses « bureaucratie dépendant du pouvoir soulever la Normandie. Le 19 janvier, avantageuses dans le pays des central et intimement liée à celui-ci, la Condé, Conti et Longueville sont 1 histrions et des libraires. Il a vendu ses bureaucratie des commissaires » . arrêtés. La duchesse se voit contrainte œuvres aux histrions, il les a vendues D'autre part, le roi multipliant pour des de gagner les Pays-Bas. La régente, le aux libraires, il les a vendues à ceux raisons financières la création jeune roi et Mazarin se rendent alors à auxquels il les a séparément dédiées. d'offices (en 1638, un second office Rouen pour y rétablir l'ordre - l'ordre Il faudrait qu'il soit d'une humeur d'avocat à la Table de Marbre de royal contre l'ordre féodal de insatiable s'il n'était pas content de Rouen est créé : Corneille, voyant le Longueville - et procéder à une son bon ménage après avoir vendu prix du sien diminuer, proteste mais en vigoureuse épuration. Les lieutenants- trois fois une même marchandise ». vain), ceux-ci se dévaluent et leurs généraux du royaume, le procureur de Corneille instaura littéralement un titulaires se détachent du roi, allant Normandie et le procureur syndic des nouveau statut de l'auteur dramatique. jusqu'à faire cause commune avec la États de Normandie (Baudry, un Le statut traditionnel de l'auteur de noblesse contre lui. protégé des Longueville, frondeur théâtre est en effet d'appartenir à un Dans cette perspective, les années enragé) sont destitués. Et c'est Pierre seigneur, et de payer ce « maître » en 1638-1640 marquent le tournant de la Corneille, « dont la fidélité et divertissements, ou de dépendre politique royale - tournant que le l'affection nous sont connues », qui entièrement d'une troupe, d'en être le double échec de la Fronde, la est chargé des fonctions de procureur fournisseur et presque le valet de parlementaire comme la féodale syndic des États de Normandie. Poste plume. Dans le premier cas, nous (1648-1653), et le début du règne considérable, qui vaut à Corneille, avons affaire à de petits aristocrates, personnel de Louis XIV vont jusqu'alors très indépendant et de par souvent libertins (tel Théophile de transformer en un renversement sa charge éloigné de tout remous Viau), qui alimentent les troupes selon politique et social dont on ne saurait politique, d'être traité, dans L'Apologie leurs besoins passagers et les caprices surestimer l'importance : à l'autorité Particulière, écrite par un protégé des de leur « Maître »; dans le second, plus des officiers, le roi substitue de plus Longueville, « d'ennemi du peuple fréquent, à de véritables « nègres », tel en plus celle de ses commissaires, de puisqu'il est pensionnaire du Mazarin... Hardy, le grand prédécesseur de ses conseils qui administrent alors qui sait fort bien faire les vers mais Corneille, qui travaillait avec et pour directement. qu'on dit assez malhabile pour manier les Comédiens du Roy, qui les suivait Auparavant, nous avions affaire à une les grandes affaires ». De plus, cette même dans leurs pérégrinations, monarchie tempérée d'Ancien Régime nouvelle situation oblige Corneille à auteur de près de six cents pièces où le roi s'appuie, pour faire contre- vendre sa charge, mais, dans ces dont la plupart ont disparu, et qui poids aux seigneurs, sur le tiers-état temps de désordre et de baisse bénéficiait de la protection épisodique et, particulièrement, sur le corps des générale du prix des offices, il n'en de quelques seigneurs (dont ceux qui officiers et des légistes... Maintenant, peut tirer que six mille livres alors qu'il avaient protégé Théophile). Mais dans voici une monarchie absolue, l'avait achetée onze mille cinq cents. les deux cas, l'auteur est dépendant. indépendante de la noblesse, d'une Or, dès mars 1651, la conjoncture était Cette situation fera même le drame de noblesse réduite à une fonction renversée : les princes relâchés (en Rotrou (1609-1650) qui, appartenant décorative, mais indépendante aussi février), Baudry est rétabli dans sa d'abord au comte de Soissons, puis au du tiers-état, et qui gouverne à l'aide charge de procureur syndic des États comte de Fiesque et par la suite d'un corps qui n'existe que par elle : la de Normandie, et Corneille remercié, attaché à la troupe des Comédiens du bureaucratie des commissaires. sans que personne n'ait songé à le Roy, fut condamné à produire L'officier Pierre Corneille, absolutiste dédommager du préjudice subi. précipitamment, à la demande d'un par vocation sociale autant que par Pierre Corneille a donc perdu sur les public extrêmement versatile, avant de conviction personnelle, va donc se deux tableaux : vis-à-vis des princes, parvenir à se retirer comme lieutenant trouver en porte-à-faux. vis-à-vis du roi surtout. Il est victime de civil, peut-être pour commencer pas d'écrire ses pièces, ni même de est certes inconditionnelle, mais elle les exploiter financièrement. Il les ne se traduit que par des dithyrambes suivait. Il s'occupait activement de habilement disséminés dans ses leurs représentations. Et même, il ne dernières pièces. En fait, l'ordre de dédaignait pas - des témoignages Louis XIV n'est pas l'ordre de contemporains en font foi - de Corneille. régenter l'activité théâtrale parisienne : La situation de l'écrivain-Corneille nous ayant intérêt à ce que les deux troupes l'apprend aussi. Refusant le statut de de Paris (le Marais et l'Hôtel de l'écrivain de la féodalité (qui est un Bourgogne) se disputent ses pièces, il valet et un chantre du seigneur), s'employait à soutenir tantôt l'une, Corneille avait ébauché le statut de tantôt l'autre. Aussi reste-t-il, même l'écrivain d'État : écrivain libre, qui ne après 1660, l'auteur le plus joué. dépendrait que de lui-même mais qui Pourtant, c'est à cette époque que se s'engagerait tout entier à servir l'État, produit le retournement : Corneille en citoyen (ou, pour reprendre le demeure le roi des scènes parisiennes, vocabulaire de l'époque, en sujet). mais Louis XIV ne le reconnaît plus. Cependant, l'écrivain féodal disparu, ce Dans le cadre du nouveau plan de n'est pas l'écrivain d'État qui lui nationalisation des lettres établi par succéda, mais l'écrivain de cour. Colbert, sous l'égide du roi et avec les Or, Corneille fréquenta peu la cour : bons services de Chapelain, une « Dieu m'a fait naître mauvais pension de deux mille livres de rente courtisan. » Et cette cour ne se lui est bien attribuée. Mais, tout en retrouvait plus dans son œuvre. Elle reconnaissant en lui un « prodige demandait des divertissements, d'esprit et d'ornement du théâtre fussent-ils tragiques ; Corneille ne lui français », une inspiration « géniale » proposait qu'une longue réflexion sur avec des défauts de « dessein » et le pouvoir, ses fondements et ses « d'art général », les nouveaux maîtres, effets. ces desservants du pouvoir absolu, ces Aussi, écrivain d'État, poète de la commissaires, doutent de l'utilité de légitimité, sujet convaincu des vertus l'écrivain Corneille : « Hors du théâtre, de l'absolutisme, Corneille se voit-il on ne sait s'il réussirait en prose ou en condamné et négligé par un roi absolu, vers, agissant de son chef, car il a peu des ministres tout-puissants, une cour d'expérience du monde et ne voit guère et un public qui ne veulent plus rien hors de son métier. » s'interroger, mais oublier, accepter et En 1674, Corneille est « oublié » sur la se regarder jouir de la vie. Quand il liste des pensions royales. Il mettra meurt, en 1684, c'est en exclu d'un huit ans à obtenir réparation de cet ordre qu'il avait annoncé et appelé de oubli. Son temps est définitivement tous ses vœux : autour de lui, le siècle passé. Son indépendance, sa royauté avait basculé, et les mots, changé de littéraire lui ont interdit de devenir un sens. écrivain de cour. Loujs XIV n'a que faire d'un écrivain d'État. Corneille est Extraits de : Corneille dramaturge. maintenant hors-jeu. L'Arche. Travaux.

Comme officier, Corneille avait parié sur l'absolutisme : celui d'un roi qui unifierait l'État et qui, appuyé sur la bourgeoisie (et la noblesse) de robe, « récupérerait » les énergies de la noblesse féodale pour les inscrire dans un ordre dont ce roi serait le principe, les féodaux l'énergie et cette bourgeoisie la raison. L'absolutisme a vraiment son œuvre, à Dreux, où il A cet égard, certains épisodes de sa dans le domaine de l'édition : Corneille bien triomphé, mais pas de la façon mourut « en service », de la peste, à vie littéraire sont caractéristiques. Je fait établir à son propre nom et non à dont l'espérait l'officier-Corneille. Il a l'âge de quarante-et-un ans. ne puis ici que les énumérer : celui de son libraire, comme il était triomphé seul. Voici que le roi se Or, dès le début de sa carrière, sa - c'est d'abord l'affaire du Cid, les d'usage, le privilège de ; faisant prévaut maintenant d'un droit divin, situation d'officier, ses revenus Observations de Scudéry, Les imprimer ses livres à ses frais, à qu'il gouverne non plus par immobiliers (on les estime à près de Sentiments de l'Académie sur le Cid, la Rouen, il les revend ensuite, avec intermédiaires, mais directement, par deux mille livres par an) gardaient non-soumission de Corneille et son bénéfice, au libraire parisien; la seule entremise d'hommes à ses Corneille de tomber dans une pareille premier silence : déjà, Corneille se - ce sont les nombreuses éditions de gages : les conseillers et les dépendance. Ensuite, le succès sent une puissance; son œuvre, le premier recueil collectif commissaires. Voici même que, loin de triomphal du Cid consacra l'autonomie - c'est surtout cette tentative de de 1644, le Théâtre de 1660 avec les reconnaître la bourgeoisie comme (spirituelle mais aussi financière) de « nationalisation » des lettres par le Trois discours et les Examens, enfin, groupe social dirigeant, il l'écarté de l'écrivain. D'un seul coup Corneille cardinal de Richelieu et ce « brain fait unique dans le xvne siècle son trône, la nie et s'entoure d'un avait conquis son indépendance : trust » des Cinq auteurs2, dont littéraire, la grande édition de 1664 en écran protecteur : les nobles, les indépendance vis-à-vis des Grands Corneille se retire vite, au risque de deux volumes in-folio, format réservé anciens féodaux, ramenés à ( était dédié au cardinal duc de déplaire au Cardinal auquel il doit aux grands Anciens; l'obéissance, châtrés, réduits à l'état Richelieu); indépendance même vis-à- pourtant sa récente noblesse; - ce sont les querelles : celle avec de cour. Et si Corneille, qui est un vis des troupes. Car - ce point me - ce sont les relations littéraires de Molière (cf. La Critique de l'École des produit de l'éducation jésuite, ne se paraît essentiel - Corneille exerça Corneille et du Cardinal, empreintes femmes), celle, surtout, avec l'abbé tourne pas vers le jansénisme, s'il ne pendant une trentaine d'années, moins, comme on l'a prétendu, d'Aubignac; les silences de Corneille, paraît même pas tenté par cette exactement de 1637 à 1666 (date de la d'animosité ou de jalousie en ce qui ses mépris; les écrits de toute une rupture avec le monde que constitue le création ô'Andromaque), une véritable concerne le Cardinal, que de respect et troupe de folliculaires, sinon à ses jansénisme - solution qu'adoptent à royauté sur le théâtre : royauté qui lui d'indépendance du côté de Corneille; gages, du moins à sa dévotion... partir de 1640 certaines familles valut des revenus (c'est aussi à près et c'est, sitôt la mort de Richelieu, la Bref, l'exercice effectif d'un pouvoir d'officiers et non des moindres - il ne de deux mille livres par an qu'il faut suppression de la pension de mille littéraire et la mise en pratique de ce s'en tient pas moins, et il est tenu, à estimer la rente que Corneille tira de cinq cents livres qui était versée à qu'il faut bien appeler une politique du l'écart du nouveau régime. Son 1. Lucien Goldmann - Le Dieu caché. son œuvre) et une suprématie littéraire Corneille; théâtre. Car, contrairement à ce qu'on adhésion à Louis XIV, à sa personne 2. Rotrou, L'Estoille, Boisrobert, Colletet et à peu près absolue. - c'est, en 1642, ce coup de force a pu dire, Corneille ne se contentait comme au principe royal qu'il incarne, Corneille. 22 La carrière de Corneille auteur dramatique

1627-28 (?) Mélite. 1630-31 . 1631-32 La Veuve. 1632-33 . 1633-34 La Suivante; La Place Royale. 1634-35 Médée. 1635-36 L'Illusion Comique. 1636-37 Le Cid. 1639-40 Horace. 1640-41 Cinna. 1642-43 . 1643-44 Pompée; le Menteur. 1644-45 La suite du Menteur; . 1645-46 Théodore. 1646-47 Héraclius. 1649-50 Andromède; Don Sanche. 1650-51 Nicomède. 1651-52 Pertharite. 1658-59 Œdipe. 1660-61 La Toison d'Or. 1661-62 (fév. 62). 1662-63 Sophonisbe (janv. 63). 1664-65 Othon (août 64). 1665-66 Agésilas (fév. 66). 1666-67 (mars 67). 1670-71 Tite et Bérénice (28 nov. 70). 1672-73 Pulchérie (nov. 72). 1673-74 Suréna (nov. 74).

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f | * - pp « L'illusion » de Corneille et le baroque Annie Richard

Le thème de l'illusion dans la pièce, pas seulement au niveau « Ce qu'il y a de plus réel en moi, ce sont de l'intrigue. les illusions que je crée avec ma peinture. Le décor lui-même est inquiétant : il Le reste est un sable mouvant. » n'est pas ce qu'il paraît être. Il recèle DELACROIX des mystères : N'avancez pas : son art au pied de ce rocher A mis de quoi punir qui s'en ose approcher; Et cette large bouche est un mur invisible, L'illusion du spectacle Où l'air en sa faveur devient inaccessible,... (1.1) Il y a dans le décor une partie Le thème de l'illusion est celui que importante que le spectateur ne voit nous aborderons le premier, pour pas, mais dont on lui fait savoir l'évidente raison qu'il nous est suggéré l'existence redoutable. Il ne voit pas par le titre même de la pièce, qui davantage le matériel du magicien, d'ailleurs, à partir de 1660, ne sera plus l'arsenal de philtres et de potions appelée L'illusion Comique, mais qu'on peut imaginer, mais il en voit les seulement L'illusion. merveilleux effets par la présence des Bien entendu, la signification comédiens. De même, plus loin, c'est immédiate de ce titre est très claire : seulement par la description horrifiée c'est la vision que le magicien qu'en fait Clindor que le spectateur Alcandre fait surgir pour permettre à prend conscience de l'hallucination Pridamant de voir les aventures macabre qui hante le condamné : arrivées à son fils Clindor, depuis que Au milieu de la nuit, et du temps du sommeil, celui-ci a quitté la maison paternelle : Je vois de mon trépas le honteux appareil; Commencez d'espérer : vous saurez par mes charmes J'en ai devant les yeux les funestes ministres; Ce que le ciel vengeur refusait à vos larmes. On me lit du sénat les mandements sinistres; Vous reverrez ce fils plein de vie et d'honneur : Je sors les fers aux pieds; j'entends déjà le bruit De son bannissement il tire son bonheur. De l'amas insolent d'un peuple qui me suit; C'est peu de vous le dire : en faveur de Dorante Je vois le lieu fatal où ma mort se prépare... (IV.7) Je vous veux faire voir sa fortune éclatante. (I.2) 1 - Giulio Romano, Sala dei Giganti, Palazzo del Te, Mantua. Gravure de P.S. Bartoli. 2 - G. Torelli, Décor pour les Noces de Pelée et de Thetis (1,1), Paris 1654. Gravure de I. Silvestre Il existe dans les tragédies sanglantes Ces paroles d'Alcandre sont très J Iivr/li de l'époque des guerres de religion importantes, car elles nous une tradition de la vision d'horreur, des recours aux services d'un mage très spectacle en deux parties, que personnages, il évoque aussi tout ce et Alcandre ne perd aucune occasion spectres. Ces visions sont parfois introduisent au cœur du monde puissant. Mais il n'y a pas de tricherie : Pridamant est convié à regarder dans baroque, qui est le spectacle. En qui les entoure : demeure de Géronte, de souligner la nouveauté de matérialisées sur scène, parfois non. Pridamant est conscient d'assister à le plus grand silence. prison de Clindor, enfin jardin du l'expérience : Elles sont alors décrites par leur prononçant ces mots, Alcandre se une manifestation de magie. Il est le Ces deux moments du spectacle sont révèle un personnage de premier plan. prince Florilame. Il faut disposer d'un Entrons dedans ma grotte, afin que j'y prépare victime. C'est à cette tradition que se jouet consentant, et reconnaissant, séparés par deux ans. C'est Alcandre espace que la grotte du magicien Quelques charmes nouveaux pour un effet si rare. (I.3) réfère la vision macabre de Clindor. A Il n'est pas à proprement parler le bien qu'un peu décontenancé, des qui nous l'explique : créateur de l'illusion, puisqu'il s'agit n'offre sans doute pas. l'inverse de la première illusion - sortilèges d'Alcandre. L'illusion est ici ... Après un tel bonheur, celle qui permet au père de voir son d'images réelles, mais en choisissant un spectacle consenti. D'ailleurs, plus Deux ans les ont montés en haut degré d'honneur. Avant même de montrer ces « spectres de montrer au lieu de raconter, il Je ne vous dirai point le cours de leurs voyages, animés », Alcandre va faire surgir d'un Illusion noire fils vivant - , celle-ci n'est pas perçue que d'une illusion, il s'agit d'un vision S'ils ont trouvé le calme ou vaincu les orages coup de baguette la vision des et illusion blanche par le spectateur. Elle est cependant introduit le théâtre. Cette idée sera rétrospective de la vie de Clindor, à la Ni par quel art non plus ils se sont élevés : reprise plusieurs fois dans les Il suffit d'avoir vu comme ils se sont sauvés rutilants habits des comédiens devant donnée comme réelle, par l'intensité de manière d'un flash-back lesquels Pridamant va naïvement se la description qu'en fait Clindor. Nous premières scènes : cinématographique. Cette vision est au Et que, sans vous en faire une histoire importune, L'illusion annoncée par le titre de la Je vous les vais montrer en leur haute fortune. (IV. 10) récrier d'admiration. pièce existe donc de façon visuelle, ne la voyons pas, mais nous ne Je vais de ses amours reste limitée à un épisode très précis pouvons douter qu'elle est sur scène. Et de tous ses hasards vous faire le discours. du passé de Clindor : son service D'autre part, ce spectacle offrira une Mon fils n'est point de rang à porter ces richesses, grâce à la magie d'Alcandre, pour Toutefois si votre âme était assez hardie, Et sa condition ne saurait consentir permettre de voir des épisodes de la L'atmosphère de la pièce en devient Sous une illusion vous pourriez voir sa vie... (I.2) auprès de Matamore, ses amours avec représentation de la vie de Clindor, Que d'une telle pompe il s'ose revêtir. (I.2) encore plus inquiétante. Isabelle, et son évasion. Alcandre Par des spectres pareils à des corps animés : vie de Clindor. C'est cette illusion Le mot essentiel a été prononcé, et Il ne leur manquera ni geste ni parole. (I.2) Cette vision qui précède la visuelle, consentie par Pridamant et Il faut dire d'ailleurs que le peu de déclare avoir censuré les aventures lumière qui éclaire la scène est propice nous savons maintenant que nous dont Pridamant pourrait avoir à rougir : Plus tard, Alcandre aura recours à de représentation simule en quelque sorte par le spectateur, qui va fournir son allons être spectateurs d'une illusion, la parade qui précède le spectacle. Ces canevas à la pièce. Alcandre explique à cette atmosphère hallucinatoire : la Sans vous faire rien voir, je vous en fais un conte, nouveaux spectres pour évoquer la grotte baigne dans l'obscurité : qui est présentée comme un effet Dont le peu de longueur épargne votre honte. (1.3) seconde partie de la vie de Clindor : habits somptueux sont pour Pridamant très clairement ce qui va se passer, si magique, obtenu par de difficiles une vision à la fois alléchante et clairement que le père éploré et le Ce mage, qui d'un mot renverse la nature, Voilà pour la première partie du Mais, puisqu'il faut passer à des effets plus beaux, N'a choisi pour palais que cette grotte obscure. sortilèges, dans une étrange Rentrons pour évoquer des fantômes nouveaux. inquiétante, qui doit l'inciter à regarder spectateur croient conserver toute leur La nuit qu'il entretient sur cet affreux séjour, atmosphère. Toutefois. Alcandre se spectacle promis par le mage au père Ceux que vous avez vus représenter de suite le spectacle avec une attention accrue. raison et assister en toute lucidité à N'ouvrant son voile épais qu'aux rayons d'un faux jour, réserve le droit d'intervenir, et de du jeune homme. La seconde partie se A vos yeux étonnés leur amour et leur fuite, une représentation théâtrale. Ce n'est De leur éclat douteux n'admet en ces lieux sombres N'étant pas destinés aux hautes fonctions Alcandre est le metteur en scène, et Que ce qu'en peut souffrir le commerce des ombres. (1.1) diriger le spectacle : composera de « la même action qu'il l'illusion qui donne son titre à la pièce qu'une idée fausse, et la dernière pratique aujourd'hui » (I. 3). Nous N'ont point assez d'éclat pour leur conditions. (IV. 10) Toutes ses actions ne vous font pas honneur, est donc conçue comme un spectacle scène leur montrera comment ils se Ce sont les premiers vers de la pièce, Et je serais marri d'exposer sa misère verrons alors le présent immédiat, et Quant au lieu où se déroule cette théâtral organisé, et avec quelle seront laissés prendre au piège de et on est donc introduit, dès le lever du En spectacle à des yeux autres que ceux d'un père... cette fois, la magie, au lieu d'agir sur projection, on peut penser que c'est Lorsque de ses amours vous aurez vu l'histoire, précision et quel luxe de moyens! par l'apparente simplicité du jeu. L'illusion rideau, dans un monde crépusculaire, Je vous le veux montrer plein d'éclat et de gloire. (I.3) le temps, en montrant le passé, agira devant la grotte, puisque le magicien un bienveillant magicien. Ce que la recélait un piège, et n'était elle-même plein de mystère. On pourrait penser sur l'espace, en montrant Clindor là où doit rentrer quand il a à préparer de vision perd en mystère, elle le gagne que fiction. qu'il s'agit d'un détail naturel quand on L'illusion apparaît donc d'abord il se trouve, à plusieurs centaines de nouveaux sortilèges : c'est donc qu'ils en précision, en ressemblance avec la Cependant, avant d'arriver au coup de veut montrer la grotte d'un magicien, comme un spectacle offert par kilomètres de la grotte de Touraine qui étaient sortis pour assister à la vie. Il est en effet tout à fait théâtre final, qui lui révèle la vérité, le mais la nuit ne se dissipe pas quand Alcandre à Pridamant et aux est le refuge d'Alcandre. L'illusion représentation. D'ailleurs, Alcandre ne exceptionnel de pouvoir évoquer spectateur aura pu voir que, consentie on quitte la grotte d'Alcandre. Sans spectateurs. Il faut pour cela avoir annoncée par Alcandre est donc un se contente pas d'évoquer des d'aussi longues tranches de vie, ou non, l'illusion est partout présente nécessité dramatique absolue, 26 Corneille choisit la nuit comme Rousset, nous pourrions dire : illusion deux plans se superposent comme par moment de l'action. Matamore nous le noire, illusion blanche. L'alternance de glissement. dit : « Marchons sous la faveur des lumière et d'ombre va rythmer la pièce On échappe d'autant moins à la ombres de la nuit. » (III.7) Toute la fin à la manière des tableaux baroques où tromperie des apparences que les de l'acte III se passe la nuit, ainsi que un faisceau de lumière crée des zones spectres nouveaux évoqués par le l'acte IV, et l'acte V, exception faite d'éclairage différent. Cependant, cette magicien portent fidèlement les traits des courtes scènes où Alcandre et alternance n'a pas de signification de Clindor, Lyse et Isabelle. Ils ne sont Pridamant commentent l'action dont ils seulement plastique, elle jette le doute nouveaux que par les habits : viennent d'être témoins, et sans doute sur la réalité de la vision proposée. Qu'Isabelle est changée et qu'elle est éclatante! (V.1) de la scène finale, car encore Nous sommes alternativement Pour parachever l'ambiguïté de la qu'aucune indication précise de temps complices de l'illusion créée par le situation, les propos que tiennent ces ne soit donnée, la célébration du mage, et victimes de cette illusion, théâtre s'accommoderait mal de la mais elle est partout maîtresse. nouveaux personnages peuvent à pénombre qui régnait jusqu'ici sur la merveille convenir à Clindor et à scène et qui ne contribue pas peu à Isabelle, mariés après s'être enfuis Illusion objective ensemble, comme on a pu le voir au accroître la tension dramatique. Au quatrième acte : moment même où cette tension se et illusion subjective défait, et où la vérité apparaît de façon Qu'as-tu fait de ton cœur? qu'as-tu fait de ta toi? Lorsque je la reçus, ingrat, qu'il te souvienne éclatante, le demi-jour doit faire place Dès maintenant, le thème de l'illusion De combien différaient ta fortune et la mienne, à la lumière la plus vive. se développe donc sur plusieurs plans : De combien de rivaux je dédaignai les vœux; Ce qu'un simple soldat pouvait être auprès d'eux; Néanmoins, le caractère dominant de il forme tout d'abord le canevas de la Quelle tendre amitié je recevais d'un père! la pièce est bien celui d'un monde pièce, et l'illusion est alors l'œuvre Je le quittai pourtant pour suivre ta misère; crépusculaire propre aux méprises, et d'Alcandre. Pridamant le sait, les Et je tendis les bras à mon enlèvement, au « commerce des ombres ». Dans spectateurs aussi. Cependant, ce que Pour soustraire ma main à son commandement. (V.3) une lumière aussi trouble, comment ni Pridamant, ni les spectateurs ne Le spectateur qui entend ces vers ne être sûr de ce qu'on voit? Quant au savent, c'est que cette illusion qu'ils saurait hésiter sur le sens à leur seul acte placé en pleine lumière, croient être l'image fidèle de la vie de attribuer : c'est tout naturellement le l'acte II, il est en même temps placé Clindor, l'est en effet, mais de façon rappel de la fuite échevelée de Clindor sous l'égide de ce prince des fous trompeuse, car Clindor a mis sa vie au et d'Isabelle, grâce à la complicité de qu'est Matamore. Ce n'est certes pas service du théâtre, art de l'illusion. Lyse et du geôlier. Le texte décrit Midi-le-Juste, cher à Valéry, qui éclaire L'illusion, pourrions-nous dire, cesse parfaitement la réalité que nous cet acte, mais bien plutôt un soleil de d'être objective pour devenir venons de voir, comment penser qu'il fantaisie, complice de l'imagination de subjective. Elle n'est plus reconnue par s'agit d'autre chose? Corneille donne Matamore. Paradoxalement, le soleil le spectateur, qui en devient le jouet. A bien des noms différents aux éclaire le monde de la folie, tandis que partir du cinquième acte, le thème de personnages : Clindor incarne le monde réel est plongé dans l'illusion prend une dimension Théagène, Isabelle, Hippolyte, et Lyse, l'obscurité. Nous voyons donc L'illusion nouvelle. Elle était seulement Clarine, mais à aucun moment on ne Comique se composer d'actes évocation d'une certaine réalité, les entend user de ces noms-là. Aucun 1 - 2 Perspective, Jan Vredeman de Vries, éditions René Baudouin. nocturnes propices aux hallucinations, appartenant d'abord au passé, puis au élément n'est donc fourni au 3 • G. Torelli, décor pour La Finta pazza (II, 8), Paris 1645- Gravure de N. Cochin. aux méprises, à la vengeance, et d'un présent immédiat; elle devient spectateur pour dissiper l'ambiguïté du acte solaire où règne un personnage maintenant représentation d'une réalité texte. Tout, au contraire, tend à extravagant, hanté de folie fictive. De surcroît, au cinquième acte, l'égarer. D'autre part, comment mythologique. A la manière de Jean Clindor et Isabelle étant acteurs, ces s'étonner de voir Clindor oublier les serments de fidélité faits à Isabelle, lui dont la pièce a longtemps souffert. fiction. Nous reconnaissons dans cette qui, à l'acte III, courtisait Lyse sans Sa première apparition sur scène est pièce le monde renversé si vergogne? Le profil psychologique de saluée par ces mots de Clindor : fréquemment représenté dans les Clindor est donc le même que celui de Quoi ! Monsieur, vous rêvez!... (II. 2) ballets et les fêtes de l'époque. Ici, ce Théagène. Quant aux deux jeunes A quoi Matamore répond : qui semble insensé est vrai, et ce qui femmes, nous retrouvons les mêmes Il est vrai que je rêve, et ne saurais résoudre paraît logique, absurde. Nous entrons traits de caractère chez Lyse que chez Lequel je dois des deux le premier mettre en poudre Du grand Sophi de Perse ou bien du Grand Mogor. (11.2) dans un monde qui a fait du paradoxe Clarine, chez Isabelle que chez une loi fondamentale. Quand nous Hippolyte. C'est donc à dessein que Cet échange de répliques situe cherchons à connaître la réalité, ce tout, dans ce fragment de drame, prête immédiatement le personnage dans sa sont d'abord les traits et les discours à équivoque, une équivoque que rien vraie fonction : Matamore est un d'un fou qui nous apparaissent, et ce ne permet de lever et que même le personnage de la lignée des fous, des dernier, par des récits de haute mage fait durer à plaisir, sans tenir extravagants de tradition dans un fantaisie et une mise en scène, nous compte, semble-t-il, de la juste douleur certain théâtre qui s'épanouit vers entraîne encore dans le domaine du de Pridamant, qui croit qu'il vient 1630, donc peu avant L'illusion rêve. La réalité que nous propose d'assister à la mort de son fils et Comique. La pastorale et la tragi- Matamore n'est faite que de envisage de le suivre dans la mort. comédie font volontiers place au fou, mensonge. Pas plus que les visions D'un juste désespoir l'effort est légitime, dont la folie engendre des visions macabres que la peur de la mort fait Et de le détourner je croirais faire un crime. fantastiques, tristes ou gaies, selon les Oui, suivez ce cher fils sans attendre à demain; surgir devant les yeux de Clindor, le Mais épargnez du moins ce coup à votre main; cas. Dans sa première pièce : Mélite, monde imaginaire de Matamore Laissez faire aux douleurs qui rongent vos entrailles, Corneille nous montre un jeune n'échappe au domaine de l'illusion. Et pour les redoubler voyez ses funérailles. (V.5) amoureux de Mélite, Éraste, qui Dans L'illusion Comique, la réalité est Ces propos d'Alcandre sont choquants, devient fou, saisi d'hallucinations insaisissable. Matamore ne songe qu'à car ils jouent sur la douleur d'un père, infernales. Matamore appartient, lui, au la fuir, Clindor porte un nom mais ils prolongent jusqu'au bout le monde des burlesques, uniquement d'emprunt, et occupe un rang qui ne jeu de la fausse mort. C'est seulement destinés à faire rire, ainsi que Corneille devrait pas être le sien. Pridamant avec l'apparition de la troupe des le précise dans l'Examen de 1660. Ici, il cherche un jeune bourgeois du nom de comédiens que les spectateurs et est en proie à un délire mythologique, Clindor, et il trouve un valet du nom de Pridamant s'aperçoivent qu'ils ont été dans lequel il entraîne bon gré mal gré La Montagne, faisant le jeu d'un fou. dupes des apparences, trompés par le les autres personnages : Clindor, Quant à Lyse, qui est réellement une mage, et que l'illusion a été double. d'abord, qui se trouve à son service, servante, elle n'en a ni le caractère ni Cependant, il ne faut pas s'en tenir là. Isabelle, ensuite, qui tient à son le langage, comme Corneille le En effet, les personnages que nous commerce pour pouvoir approcher souligne dans l'Examen de 1660. pourrions dire inclus dans l'illusion Clindor. Géronte lui-même commence Dans un univers aussi incertain, les première, sont eux-mêmes le jouet des par adopter le ton extravagant de la apparences ne sont décidément pas apparences. Nous avons déjà parlé de conversation de Matamore, au moins sûres et on s'étonne à peine de voir l'hallucination dont Clindor est victime tant qu'il contient sa colère. Le les morts du cinquième acte, pourtant dans sa prison. Cette fois, les Capitan apparaît comme une sorte de assassinés sous nos yeux, se relever spectateurs ne sont plus directement fou auquel les gens sensés auraient pour compter leur argent. Seul, dans concernés : ils ne voient rien, mais le renoncé à parler le langage de la cette pièce, le titre dit vrai : l'illusion la personnage qui, seul sur scène, et de raison. Il crée ainsi autour de lui une pénètre en tous sens et jette sur tous plus héros de la quête de Pridamant, sorte de comédie spontanée, où ses aspects une ambiguïté accapare leur attention, est lui-même Clindor est chargé de lui donner la fondamentale. le jouet de fantasmes horribles; il réplique : réagit et frémit devant des visions de Contemple, mon ami, contemple ce visage : cauchemar qui le mettent au bord de Tu vois un abrégé de toutes les vertus. (II.2) l'évanouissement : Dans cette comédie, Clindor est à la Je ne découvre rien qui m'ose secourir fois partenaire et public. D'ailleurs, pas Et la peur de la mort me fait déjà mourir. (IV.7) plus qu'Alcandre, Matamore ne lésine La mort s'annonce ici par des sur les moyens de donner le change au fantômes vides de réalité, créés par la spectateur. On sait qu'il a imaginé de peur, tandis que devant nous la mort se faire envoyer un page qui vient de Clindor n'est que feinte. Nous toutes les heures avertir Matamore sommes donc dans un art où les qu'un message galant l'attend. Il y a angoisses se matérialisent en donc plus que des paroles dans la apparences, et où la réalité est tentative de Matamore pour donner masquée. C'est un monde qui suscite l'illusion d'un monde héroïque et le vertige, et qui engendre une galant dont il serait le héros. L'arrivée incertitude fondamentale sur la vision sur scène du page, soi-disant envoyé qu'on a du monde extérieur. L'homme par le courrier de la reine d'Islande, baroque sait qu'il est toujours dupe prouve que Matamore se livre à une des apparences, et que ce qu'il croit véritable mise en scène. Il est le maître voir et comprendre n'est qu'un leurre. d'un jeu dans lequel ceux qui approchent entrent nécessairement. A l'intérieur de la pièce, Matamore est le roi d'un monde de fantaisie, vide de La vie est une illusion réalité. Ainsi, paradoxalement, au moment où Pridamant croit qu'il va En revanche, il est dans la pièce un voir la réalité, on lui montre un héros personnage qui échappe à cette de fiction, et il écoute son fils débiter tromperie : c'est Matamore. Il ne des fariboles : regarde pas le monde qui l'entoure, il Cet étrange accident me revient en mémoire; le recrée à sa fantaisie. Sa fonction J'étais lors en Mexique, où j'en appris l'histoire, Et j'entendis conter que la Perse en courroux essentielle est de créer l'illusion. Ce De l'affront de son Dieu murmurait contre vous. (II.2) personnage est d'autant plus insolite qu'il n'intervient guère dans l'action, et Ainsi, les scènes extravagantes où qu'on peut y voir un personnage apparaît Matamore sont données parasite. Il déconcerte généralement comme appartenant à la réalité, tandis beaucoup le spectateur, et sa présence que la scène tragique de la fin, qui n'a dans L'illusion Comique n'est sans rien d'invraisemblable dans le doute pas étrangère à la désaffection déroulement dramatique, n'est que 32 33 Un monde régi par la magie possible : les spectres représentent la galant dont il est le héros, séduisant noblesse. C'est donc pour cette raison que Pridamant saura ce qu'il voulait bourgeoisie. Au cours de L'illusion vie de Clindor, celui-ci est hanté de les déesses, il agit dans le même sens historique que le théâtre et les savoir. Bien plus, en regardant le Comique, Pridamant a fait un véritable L'illusion Comique nous présente donc visions lugubres, les morts se relèvent. qu'un Vélasquez, qui, dans le Triomphe comédiens vont fournir un sujet spectacle organisé par Alcandre, il voyage initiatique, qui le laissera un monde où la réalité fuit celui qui la Toute assise logique est refusée au de Bacchus, rapproche, sans aucun d'inspiration très fécond aux auteurs. trouvera davantage que ce qu'il transformé : cherche, disparaît, sans cesse monde, de même qu'en architecture les souci de vraisemblance, le jeune dieu Néanmoins, pour une époque qui a pris espérait. Il voulait avoir des nouvelles Je n'ose plus m'en plaindre, et vois trop de combien masquée par le rêve ou la fiction. Or, lignes droites disparaîtront au profit couronné de pampres, dans la plus une conscience aiguë de la vanité des de son fils, il en a, et de bien Le métier qu'il a pris est meilleur que le mien. des courbes et des volutes et que les pure tradition mythologique, et des Il est vrai que d'abord mon âme s'est émue : précisément, cette conscience que le apparences au point de célébrer le meilleures que ce qu'il pouvait J'ai cru la comédie au point où je l'ai vue; monde n'est fait que d'illusion est un façades des monuments deviendront paysans flamands représentés de songe et la rêverie autant, voire plus attendre; il avait perdu un fils mauvais J'en ignorais l'éclat, l'utilité, l'appas, des postulats de la pensée baroque. Il plus importantes que la structure façon très réaliste, et venus Et la blâmais ainsi, ne la connaissant pas. que la réalité, on comprend que le sujet, il le retrouve marié à une jeune Mais depuis vos discours mon cœur plein d'allégresse s'exprime dans de nombreux poèmes, architecturale... manifestement d'un tout autre théâtre fournisse un moyen fille noble, nanti d'un métier lucratif, A banni cette erreur avecque sa tristesse. (V.5) dont nous citons quelques-uns, dans univers... d'expression privilégié. Comme le protégé par les plus hauts Le goût qu'a le théâtre de cette La pièce se termine sur une conversion de nombreuses pièces de théâtre Transfiguration du réel et jeu de reflets songe, le théâtre donne corps à des personnages de l'État. Mais il a appris de Pridamant, désormais tout acquis aussi, tant en France qu'à l'étranger, et époque de montrer les comédiens et le êtres nés de l'imagination, et il n'y a bien plus encore, et le spectateur avec théâtre correspond sans doute à un au théâtre, ce qui n'est pas peu tout spécialement en Espagne, avec e pas lieu de s'étonner que ces deux lui : que, pour connaître la vie, il faut Calderon. Si Pridamant a recours aux Cependant, le monde baroque ne se regain de faveur de cet art. Le xvn surprenant, quand on songe à la thèmes se rejoignent... quitter les chemins de la connaissance suspicion qui planait sur cet art, et à offices d'un magicien pour retrouver contente pas de la vie quotidienne. Ce siècle voit une seconde naissance du Cette époque fait donc confiance à commune, qu'il faut s'aventurer dans son fils, c'est qu'il a pu constater leur n'est pas un art réaliste au sens strict. théâtre, avec la protection officielle de la situation sociale délicate des l'irrationnel, et la leçon de L'illusion la grotte, c'est-à-dire au théâtre, où les comédiens, protégés par les grands, action dans les romans, les pastorales, Il fait volontiers appel au monde personnages importants accordée aux Comique, c'est peut-être que la réalité masques nous instruiront plus que la les ballets, où le mage est un surnaturel, ou aux créatures troupes, et la création de théâtres fixes mais rejetés par l'Église. La Bretagne ne s'atteint que par le rêve et que la vie; qu'il faut pénétrer dans le royaume dont Pridamant arrive n'est sans doute personnage de première importance; fantaisistes de l'imaginaire. Il est à Paris. Peut-être pour la première fois, vie ne se comprend que par l'illusion de Matamore, dont la seule réalité est souvent composite. Quand Matamore on sent que le théâtre profane est pas aussi tolérante que Paris à l'égard par exemple le mage Ismen, emprunté de la vie. C'est seulement après avoir celle des mots, et qu'on peut se faire du théâtre et des comédiens, et cette à la Fable de la Forêt enchantée, essaie de faire vivre, à force de mise riche de promesses, et que le métier abandonné les chemins de la sagesse une situation enviable loin de la en scène et de rhétorique, un monde de comédien peut avoir quelque profession de foi de Pridamant doit d'après Le Tasse, tel qu'il apparût au et de la raison pour recourir à la magie province paternelle, et de la nous surprendre. Toutefois, la fin de la Louvre, en 1619, à l'occasion d'une pièce, illuminée par la gloire du théâtre fête donnée en l'honneur du Prince de naissant, et l'enchantement de Piémont : « affreux en son aspect, la Pridamant que rien ne laissait prévoir, tête en feu, un livre en la main gauche, est caractéristique de l'art cornélien. et une verge en la droite... Vêtu d'une Cette illumination qui enveloppe la fin soutane de satin noir, ayant par-dessus de L'illusion Comique, est venue au une robe courte de même étoffe avec terme d'un chemin obscur. Les lambrequins au bout des manches, le peintres baroques avaient volontiers tout chamarré de passements d'or. Et, recours au clair-obscur, les à la tête, une toque en forme de dramaturges baroques proposeront un chaperon avec une queue ». monde crépusculaire pour mieux voir la La pastorale, qui nous vient d'Italie et réalité. d'Espagne, aura une vogue d'autant plus grande que les reines Marie de Médicis d'abord, Anne d'Autriche ensuite, aimeront à y retrouver le Extrait de : L'illusion de Corneille souvenir de leur pays. Dans les et le baroque. intrigues très embrouillées de ces pièces, les magiciens jouent un rôle important, nouent et dénouent les intrigues, font surgir ou disparaître les éléments du décor, quand ce ne sont pas les personnages eux-mêmes. Ils vont jusqu'à ressusciter les morts, et Pridamant montre qu'il est familier de cet univers en suppliant Alcandre de secourir Clindor attaqué par les hommes de Géronte : Hélas! mon fils est mort. ... Ne lui refusez point le secours de vos charmes. (111.12) La présence d'Alcandre dans la pièce signifie que nous entrons dans un monde où le surnaturel a droit de cité. Nous ne devons pas nous étonner si la calme campagne de Touraine recèle une grotte défendue par des remparts aussi redoutables qu'invisibles. D'ailleurs, les bocages des Bergeries de Racan abritent l'antre du magicien Polysthène. Le premier vers de la pièce, qui nous présente « ce mage, qui d'un mot renverse la nature », indique de façon définitive que les lois logiques n'existent plus. La nature est toute soumise aux pouvoirs surnaturels. Ce monde instable, qui se « renverse », c'est bien le monde qu'expriment l'envol des anges au-dessus des frontons des églises, la recherche d'un savant déséquilibre dans certains tableaux, les plafonds peints en trompe-l'œil, soit le monde baroque. Pour Pridamant qui, dit-il, n'attend plus rien « de la prudence humaine », c'est- à-dire du raisonnement logique, le recours à l'irrationnel s'impose. A partir de ce moment, tout devient 34 35 Rhétorique et dramaturgie dans « L'illusion Comique » de Corneille Marc Fumaroli

... « Le bonheur d'un être exige qu'il dernière scène de l'Acte V, les adolescence ne lui aura d'ailleurs pas Sitôt que Clindor lui manque, et que réalise sa vocation; or un père ne peut avantages matériels et sociaux de ce été inutile. Dans le fragment tragique Matamore n'a plus en face de lui un que vouloir le bonheur de son fils; la choix. Mais, sous le masque du Ve Acte, il peut transposer au miroir qui lui renvoie sa propre image, vocation de Clindor est celle d'un d'Alcandre, Corneille s'adresse aussi à service du texte qu'il interprète les magnifiée par une rhétorique comédien. Donc Pridamant doit des spectateurs et à des lecteurs que émotions et les passions qu'il a pompeuse et vide, il n'est plus qu'un approuver la condition choisie par son la passion paternelle ne dispose pas connues autrefois, si bien que son pleutre en proie à la peur de mourir. fils, condition de son bonheur. » aussi favorablement que Pridamant à père et les spectateurs s'y trompent. Mais il retrouve toute sa faconde sitôt L'école de la vie a été en effet pour l'égard de Clindor, et de l'art dont il Telle est la vérité de son jeu, qu'ils que Clindor, de nouveau, consent à se Clindor une école de théâtre et sa s'est fait le serviteur. La « probatio » n'aperçoivent pas le passage de la faire l'écho de ses mensonges, et à lui mutabilité naturelle s'est épanouie peu d'Alcandre visant Pridamant se double réalité à la fiction. Le métier d'acteur masquer la vérité. Lorsqu'il aura à peu en un véritable art de feindre d'une « probatio » de Corneille sous le en la personne de Clindor nous est découvert la « trahison » de Clindor et dont il nous donne un premier récital masque d'Alcandre, et qui vise le donc présenté par Corneille comme d'Isabelle (en assistant à leur entretien auprès de son maître Matamore, puis spectateur ou le lecteur de L'illusion l'épanouissement normal d'un certain comme un spectateur qui voit sans auprès de ses deux amoureuses, Comique. Dans ce second registre, type de tempérament - qui est ainsi être vu, - comme Pridamant qui Isabelle et Lyse - qu'il courtise en Pridamant sert lui-même d'exemple et « récupéré » pour le plus grand assiste lui-même à tout ce manège), même temps, avec, semble-t-il, autant de preuve de la valeur morale de la bénéfice de la société. Sans le théâtre, une conversion profonde se fait en lui. de sincérité que de duplicité dans les comédie, et de ses vertus cathartiques : Clindor serait devenu sans doute un Il se replie sur des positions qui deux cas! Scènes de comédie, mais le spectacle organisé par Alcandre parfait « picaro », un hors-la-loi, vivant correspondent mieux à sa véritable pleines de sens pour Pridamant qui aura surmonté les dernières difficultés en marge des normes sociales, et nature : il conserve sans doute le apprend à reconnaître sur le vif la qui s'opposaient à la réconciliation du usant de la virtuosité verbale à des même langage, mais en toute nature de son fils, et à admettre peu à père et du fils, et à leur bonheur. I fins de tromperie purement égoïstes. conscience, maintenant, de bouffonner. peu ce qui est la meilleure solution Quant à la valeur morale de la Grâce au théâtre, il peut exercer l'art Il parvient même, dans la scène 4 de pour celui-ci. C'est pour ainsi dire un profession d'acteur, quant aux vertus de feindre sans pour autant duper les l'Acte IV, à se moquer de lui-même « jeune acteur » à l'état sauvage, qui cathartiques du théâtre sur ceux-là j autres. Il est probable que la avec un savoureux humour. Le exerce ses talents dans la vie elle- même qui ont choisi de l'exercer I représentation terminée, et la recette personnage héroïque qu'il croyait être même, sans aucune préoccupation comme un métier, Corneille les partagée, Clindor et Isabelle forment se métamorphose en un excellent morale, sans se soucier de savoir si « prouve » dans le miroir des aventures un couple très uni, peut-être clown, usant avec esprit du langage de son « jeu » perpétuel, en particulier de Clindor et de ses compagnons. Si la exemplaire - comme il y en eut la tragédie pour le parodier, pour rire auprès d'Isabelle et de Lyse, risque de « modification » de Pridamant a servi beaucoup parmi les comédiens du et faire rire de lui-même. Clindor briser un cœur. Sa duplicité constante, de preuve à l'efficacité du théâtre dans 1 xviie siècle, par exemple Floridor et sa l'engagera probablement dans sa face à son maître Matamore comme à l'ordre éthique, la « modification » de femme, amis de Corneille. troupe, le moment venu. Mais jusqu'à ses deux « maîtresses », Isabelle et Clindor, d'Isabelle, de Lyse, et même L'ascension morale de Clindor va donc cette épreuve, qui lui a permis de se Lyse, nous incite à le qualifier de Matamore, sert de témoignage en de pair avec l'excellence acquise dans voir tel qu'il est dans le regard des d'« hypocrite », mot qui en grec signifie faveur d'une signification éthique du I le métier de comédien, dont la preuve autres, Matamore est le type même du tout simplement « acteur ». Entre l'art métier de comédien. I nous est fournie par le fragment mauvais acteur, qui se trompe de de déguiser ses sentiments véritables, Au début de l'Acte IV, la séduisante (et I tragique dont il est le parfait registre. Lui qui parle sans cesse de et celui d'interpréter des sentiments inquiétante) fantaisie de Clindor, dont interprète. L'analogie entre le bon mort et d'amour comme un héros de fictifs avec assez de vraisemblance rien n'a encore interrompu le cours, orateur et le bon comédien s'impose tragédie, est en fait un lâche que la pour prendre au piège l'Autre débouche tout à coup sur la prison et ici à l'esprit : dans les deux cas, la moindre menace de mort fait se (spectateur, partenaire, adversaire) il sur la condamnation à mort. Jusque là, maîtrise de la parole est inséparable réfugier quatre jours durant dans le n'y a qu'un pas : celui qui sépare Clindor, âme ductile et versatile, n'a de la maîtrise de soi, et la maturité grenier de la maison d'Isabelle. Il a fui l'acteur qui ne se fait pas connaître, de connu que des métamorphoses : intérieure est la condition nécessaire devant la menace, et tout son langage l'acteur qui se donne pour tel. Dans la l'épreuve de la mort le soumet à une d'un bon usage de la parole. Cette supposait cette fuite et ce vide à mesure où Clindor, encore inconscient véritable conversion. Dans le long et modification de Clindor qui, de la l'intérieur de lui-même, où la peur de sa vocation, use de ses talents pathétique monologue de l'Acte IV, sphère de la fantaisie picaresque, se règne en maîtresse. Là est la pierre de d'« hypocrite » à même la vie, il est scène 7, prononcé dans l'imminence hausse à travers l'épreuve de la prison touche qui sépare la parole justiciable de toutes les accusations de la venue du bourreau, Clindor et de la mort jusqu'à la sphère du authentique, la parole héroïque, de la dont les comédiens (et les rhéteurs) découvre le sérieux de l'existence, et sérieux et du tragique, prend tout son grandiloquence : seul a le droit de sont généralement accablés, et de la dans l'épreuve, son amour, jusque là sens si on l'oppose à la modification parler en héros, et même de jouer les plus grave d'entre elles, l'amoralité. soumis aux fluctuations du désir et de I inverse subie par Matamore. Celui-ci héros, celui qui a traversé L'apologie du métier de comédien - l'ambition, se fixe sur Isabelle, car son entre en scène en déclamant dans un victorieusement l'épreuve de la mort, sans céder au vertige, soutenu en cela et celle du théâtre en général - serait image est la seule à pouvoir conjurer : style extrêmement soutenu ses impossible si la « quaestio » de la l'angoisse de mourir qui l'étreint : exploits guerriers. Dans ce même par l'amour. Le futur Rodrigue, ce n'est moralité, à la fois de cet art et de ses Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme, I langage superbe, il évoque les pas Matamore, mais Clindor, interprètes, n'était pas traitée. Sans Dissipes ces terreurs et rassures mon Ême. HV.7) passions amoureuses qu'il suscite et murmurant dans la solitude de sa doute, dans le cas particulier de Désormais Clindor est un adulte. La celle qui l'embrase pour Isabelle. Il prison : Pridamant, cet aspect du plaidoyer est joue les héros, c'est un acteur qui Isabelle, toi seule, en réveillant ma flamme, tragédie dont il a failli être le héros lui Dissipes ces terreurs et rassures mon âme. (IV.7) presque superflu. Il suffirait à a forgé un caractère. Il est maintenant interprète avec enflure un rôle tragique, Alcandre, pour rallier à la cause du en mesure de faire la distinction entre et Clindor est le seul public (d'ailleurs Clindor, comme Rodrigue, soutenu par théâtre ce père endolori, de lui montrer le théâtre et la vie, et donc d'exercer le stipendié pour cela) qui consente à se l'image d'une femme aimée, a affronté que le bonheur de son fils est lié au théâtre comme un métier, comme une faire le miroir complaisant de ce la mort sans fléchir. A partir de ce choix d'une profession « non discipline utile et reconnue par la Narcisse grotesque. - Grotesque, moment, son langage gagne en conformiste », et de lui expliquer société, et non plus comme un jeu parce qu'aucune vérité intérieure ne plénitude. Il est soutenu et comme ensuite, comme il le fera dans la égoïste et cruel. L'expérience de son soutient la véhémence de ce langage. vérifié par cette victoire remportée sur 37 la plus puissante des passions un parasite sans scrupules et un considère les « fragments humaines, la peur de la mort. séducteur peu loyal, se libère de sa dramatiques » comme les éléments A travers l'évolution contraire de condition servile et choisit d'aimer d'une unique plaidoirie d'Alcandre se Matamore et de Clindor, Alcandre (et Isabelle pour elle-même, en dépit de déployant librement avec toutes les Corneille) soulignent donc les rapports tous les obstacles. Il accède à une ressources de l'art, mais à partir d'un intimes qui relient l'éthique et la sphère morale supérieure à celle où lieu unique : la grotte; d'un temps rhétorique, l'éthique et l'élocution semblent se tenir Pridamant et Géronte unique : le temps nécessaire pour dramatique : la qualité du langage - qui sert à Pridamant de « miroir » persuader Pridamant; et selon une suppose la qualité de l'homme qui le dans la « pièce intérieure » ménagée action unique : celle qui vise à faire prononce. Il doit y avoir « convenientia » par Alcandre. Cette ascension dans coïncider dans l'avenir l'itinéraire du entre la valeur morale de l'homme, et l'ordre du langage et des sentiments père et celui du fils. Dans L'illusion le genre de style qui la rend visible, est-elle aussi une ascension sociale? Comique, la violence faite aux règles audible et communicable aux autres. La splendeur des vêtements, le est elle-même une illusion d'optique : Clindor est bien vivant. Le choix du tragique des situations, la noblesse du plus encore que dans Clitandre, métier de comédien a été pour lui une ton et des passions mises en oeuvre Corneille déploie ici une virtuosité qui ascension morale vers une conscience dans le Ve Acte - tout cela n'est-il fait des règles celles d'un jeu adulte de soi. Ces deux séries que vaine apparence, démentie par la supérieur, où la liberté du créateur d'arguments devraient suffire, semble-t- révélation décevante que Clindor a s'exalte d'une discipline acceptée non il, à forcer la conviction de Pridamant. choisi le vil métier de comédien? sans défi. Mais Alcandre, en orateur-dramaturge Alcandre, dans sa péroraison, Mais cette unité immanente à l'œuvre consciencieux, veut mettre toutes les s'emploie à montrer que la comédie et à son apparent maître d'œuvre, chances de son côté et ne laisser dans est aujourd'hui un « fief » - c'est-à- Alcandre, renvoie à une autre unité l'ombre aucune équivoque susceptible dire un moyen d'accès à l'aristocratie. moins visible dont le centre et la de troubler plus tard les retrouvailles Ses « bonnes rentes » sont un signe source sont l'esprit de l'auteur lui- du père et du fils. Tout au long de non de richesse bourgeoise, mais même. Car la « suasoria » d'Alcandre L'illusion Comique court une autre série d'« éclat » proprement aristocratique. est elle-même contenue dans un plus d'allusions qui, rapprochées les unes La comédie aujourd'hui est devenue vaste éloge du théâtre dont Alcandre à des autres, concourent à suggérer à l'affaire de la noblesse et du Roi à sa son tour n'est plus qu'une « figure ». Pridamant un motif supplémentaire de tête. Par la comédie, il est possible de Le magicien vise à justifier pour se réjouir du choix fait par son fils. vivre dans la faveur et la proximité des Pridamant le théâtre et les comédiens, Dans son premier coup de baguette, grands, dans leur sphère morale et sa plaidoirie vise avant tout le statut suscitant la vision des somptueux sociale. Ce qui était impossible à social et moral du théâtre. Mais à habits des comédiens, Alcandre a Pridamant, que sa condition fût celle travers la personne et la pratique orienté l'esprit de Pridamant dans une d'un riche bourgeois ou d'un nobliau d'Alcandre, Corneille vise à fixer le direction qui, pour être moins évidente provincial, est devenu possible à statut esthétique de la dramaturgie que les précédentes, a sur lui peut-être Clindor - par le biais de la comédie. dans l'esprit de son public et en autant sinon davantage de pouvoir Et Pridamant se laisse convaincre non particulier de son public « docte ». contraignant. Ce qui étonne et fascine seulement par l'« appas » des bonnes Quel meilleur point de départ pour une Pridamant dans les vêtements rentes, mais également par l'« éclat » telle entreprise que le parallèle qu'Alcandre lui présente comme ceux d'un métier qui s'est révélé pour implicite tout au long de L'illusion de son fils, ce n'est pas tant leur luxe, Clindor la voie d'accès à une vie Comique entre rhétorique et que le rang social dont ce luxe est le supérieure. (...) dramaturgie? Entre les deux magies du signe : Corneille, par le mouvement même de verbe, dont l'une, la rhétorique, est Mon fils n'est point de rang à porter ces richesses, sa comédie, nous offre donc ici encore incontestée, tandis que l'autre doit Et sa condition ne saurait consentir des vues profondes sur la psychologie encore affirmer sa suprématie? En Que d'une telle pompe il s'ose revêtir. (1.2) de l'acteur : c'est la plasticité de leur organisant un jeu savamment ambigu Quelle est exactement la condition de nature qui fait de certains êtres des où rhétorique et dramaturgie Pridamant et de Clindor? Petite comédiens. La discipline du théâtre s'entrelacent et se soutiennent, noblesse de campagne ou bonne leur permet d'éviter que cette plasticité Corneille crée dans l'esprit de son bourgeoisie? Question irritante que intérieure ne s'épanche dans leur vie spectateur les conditions d'une Corneille... semble s'être plu à laisser quotidienne au point de leur faire reconnaissance du théâtre comme d'un en suspens. Et les vantardises de perdre le sens du possible et celui du art de la parole pleine, plus efficace Clindor qui s'est paré aux yeux de bonheur. En même temps, cette encore que l'art oratoire puisqu'il peut Lyse et d'Isabelle du titre de description de la psychologie de se permettre de le contenir. Montrer gentilhomme, accroîtraient plutôt notre l'acteur nous ouvre au sentiment de la que la dramaturgie peut rassembler en incertitude. Car ce jeune Protée qui nécessité supérieure du théâtre : en elle le meilleur des vertus rhétoriques, n'est pas à un mensonge près, pourrait transposant dans l'expression théâtrale et les porter par ses moyens propres à bien nous révéler par cette prétention à les diverses possibilités de la nature un degré de perfection impossible la noblesse, son désir profond plutôt humaine, et particulièrement la pente dans le discours linéaire, c'est bien là que la réalité de sa condition aux attitudes et au langage tragiques, pour l'ancien élève des Jésuites, et originelle. Devant Adraste qui, lui, est lé comédien purifie la réalité aussi pour son temps qui voit s'annoncer qualifié explicitement de gentilhomme, bien que lui-même d'une part non l'âge d'or de la rhétorique classique, le Clindor se borne à revendiquer une négligeable d'ombres néfastes et de plus bel éloge du théâtre, et la preuve aptitude morale à la noblesse : violences inutiles - celles du moins de sa noblesse. Si le ciel en naissant ne m'a fait grand seigneur, qu'il dépend de l'homme d'éviter. Le Il m'a fait le cœur ferme et sensible à l'honneur; (11.7) théâtre est une école d'humanisme et Extrait d'une étude parue dans la Revue du xvne siècle. Point de vue sur la d'humour. C'est là que l'hédonisme s Et de fait, la progression dramatique « comique » et le sens du sublime rhétorique n° 81-82. des évocations magiques suscitées par propre à la tragédie peuvent se Alcandre s'accompagne d'une rencontrer et se corriger l'un l'autre. évolution insensible du réalisme quotidien et des sentiments presque Au terme de cette analyse, une vulgaires, à la dignité aristocratique et conclusion semble s'imposer : l'unité aux sentiments les plus nobles. On profonde de L'illusion Comique — passe successivement à travers les chacune des facettes de ce château de trois styles de la classification miroirs renvoyant à un point focal rhétorique traditionnelle : style bas, unique et central, l'esprit souverain style tempéré, grand style. Ce voyage à d'Alcandre qui a organisé ce piège travers les styles commente pour y prendre Pridamant et le parfaitement l'évolution morale de conduire au bonheur en compagnie de Clindor. Celui qui nous était d'abord son fils. Unité de lieu, de temps et apparu aux côtés de Matamore comme d'action, dans la mesure où l'on Le rôle de l'argent dans « L'illusion Comique » Ralph Albanese Jr.

... Si Clindor prend l'option de devenir à la fois psychique (il n'éprouve plus est, comme on l'a vu, parfaitement des comédiens à l'intérieur des comédien - il s'agit en fait d'un d'angoisse devant le sort de son fils) révélatrice de ce préjugé culturel qui sociétés monarchiques. A une époque « noble métier » (v. 1635) - c'est que at culturelle (il se délivre de son dénonce la vocation de comédien qui se caractérise par l'instauration cette vocation représente une des attitude rétrograde à l'égard du comme une forme illusoire de réussite progressive du pouvoir étatique, liée à voies de la sécurité matérielle. Par ce théâtre). Afin de mesurer l'ampleur de sociale. Alcandre ne parvient-il pas à l'ascension de la bourgeoisie sous biais, il cherche littéralement sa l'illusion « sociologique » de tirer Pridamant de « cette erreur forme d'élites bureaucratiques, les « fortune » (v. 843), et Alcandre Pridamant, il est nécessaire de recourir commune » qui fait de comédiens exercent une « fonction entreprend de monter le spectacle de brièvement ici à une socio-critique de l'activité théâtrale un objet de mépris? d'intégration des mentalités et des sa « fortune éclatante » (v. 126; voir I l'institution théâtrale en France au xvn® D'autre part, il est significatif que ce valeurs »; ils incarnent des conduites aussi vv. 1413-18). Il convient de se siècle. Objet d'une réprobation morale, bourgeois rétrograde, qui croit à la imaginaires qui permettent un rappeler, à ce propos, que Clindor s'est I la profession de comédien était perçue fixité des rapports sociaux au sein « transfert de classe et (une) imitation mis au service de Matamore faute comme suspecte, infamante, voire d'une hiérarchie immuable, rejette au des modèles nobles ». On a affaire à d'argent, et sa pénurie monétaire lui maudite par l'Eglise. Faisant partie des préalable cette « illusion » d'une une société de représentation permet de justifier son cynisme auprès troupes circulantes, les comédiens mobilité sociale entreprise par un fils tellement éprise d'ostentation qu'elle de Lyse (III, 5). Sans pour autant entrer constituaient un groupe nettement qui aurait changé de condition par est obligée de se voir agir, bref, de se dans tous les détails ici, force est de marginal qui, à la manière des l'intermédiaire de son métier de théâtraliser : la noblesse se re-présente mettre en valeur l'importance du rôle usuriers, des vagabonds et des comédien : afin de s'assurer de son existence; la de l'argent dans L'illusion Comique. prostituées, manquaient de Alcandre: bourgeoisie, elle, par le biais du Tout se passe en effet comme théâtre, vise à se libérer. Clindor fait respectabilité aux yeux d'une société Sous un meilleur destin sa fortune rangée, si la dernière péripétie de la pièce, bien-pensante. Une telle condamnation Et sa condition avec le temps changée, figure de bourgeois déraciné qui se à savoir la dramatisation de la reflète les rigueurs d'une moralité Personne maintenant n'a de quoi murmurer projette dans l'univers imaginaire de la vie réelle dans les coulisses, survenue bourgeoise que des clercs ont tâché Qu'en public de la sorte il aime à se parer. (I.2) représentation aristocratique. Cet au terme d'une cascade vertigineuse de transmettre dans toutes les Dans cet ordre d'idées, le rôle de univers de fausses perspectives, ce de surprises, était destinée à arracher couches sociales, ayant leur plus Clindor ne pourrait-il être considéré lieu d'égarement, qui du coup fait d'un une fois pour toutes le spectateur au grande efficacité auprès de la comme un médiateur entre deux roturier l'égal d'un prince, Clindor le domaine de l'illusion (V, 5). Dans cette bourgeoisie. Selon cette perspective, si modes de comportement, l'imaginaire dépasse en s'installant dans l'univers scène prise sur le vif, on assiste à la les bourgeois condamnent dans nobiliaire et le réel bourgeois? Ne sert- de la praxis : le fait qu'il s'enrichisse résurrection théâtrale de Clindor et de l'acteur « l'hypocrite », « le joueur », il pas à intégrer des valeurs fait ressortir l'aspect lucratif de sa ses collègues, qui se relèvent, semble- c'est que, dans la mesure où ils bourgeoises, à les faire intérioriser par profession. La théâtralité de son jeu t-il, pour compter leur argent. On sait perçoivent leur propre existence à les différentes couches sociales? Il consiste à mettre en évidence que le partage de la recette, la travers l'idéal nobiliaire, le sentiment convient de rattacher ce rôle à l'enracinement de l'imaginaire dans la répartition immédiate du profit après de dépassement de soi leur est l'analyse plus globale que fait Jean réalité bourgeoise de l'argent. les représentations dramatiques était étranger. Or l'attitude de Pridamant Duvignaud de la place et de la fonction Liée à cette réhabilitation du métier de monnaie courante en France au xvii® siècle. Mais l'ultime coup de baguette d'Alcandre montre, de manière plus profonde, que le gain matériel des comédiens constitue la seule action réelle, concrète, voire vérifiable de la pièce. Ayant éprouvé la fausseté des valeurs nobiliaires - la rhétorique creuse du code de l'honneur, du sentiment de la gloire, de l'importance du rang - Clindor se démasque enfin pour se réintégrer dans l'éthique bourgeoise, ou bien, d'après Bernard Dort, dans « la réalité bourgeoise de la possession ». Tous les prolongements qui, au niveau de l'imaginaire, restent essentiellement illusoires, se plient à la toute- puissance des structures de l'échange qui régissent l'univers « réel ». La valorisation de l'éthique bourgeoise s'illustre aussi par la démystification finale de Pridamant, dont L'illusion Comique la plus grave consistait à ne pas reconnaître la rentabilité du fait théâtral : « Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes... » (v. 1668). La « conversion » que subit le père au terme de l'expérience illusoire prend une valeur cathartique en ce sens qu'elle entraîne chez lui une libération

comédien, dont la situation matérielle Ce plaidoyer pro domo n'est pas ultime du fait qu'il offre - « grand son existence double comme rêveur et même celles qui naissent de la tension (v. 126) - envisagée par Alcandre (et s'améliore au cours du siècle, est dépourvu de spécificité historique, car Alcandre », « grand mage » (vv. 1681, être/avoir. Toutefois, l'esprit ludique réalisée par Corneille) : n'oublions pas l'apologie officielle du théâtre en tant comme individu qui veille. L'apothéose Alcandre insiste sur l'aspect démodé 1687) - « du plaisir théâtral aux de l'illusion « comique » au est si profondément enraciné chez le enfin que Clindor ne fait que jouer un qu'institution, aboutissant à une prise des plaintes de Pridamant, qui sont honnêtes gens » (vv. 1683-85). dramaturge que l'on est tenté de voir, prince sur les tréteaux. L'engouement de conscience de sa validité même dénouement, supposant le triomphe décidément hors de saison à cette On pourrait se demander, au terme de spectaculaire de la comédie sur la derrière le ton dithyrambique marquant pour le théâtre qu'éprouve le jeune (V, 5). L'illusion Comique véhicule époque où le théâtre a atteint un statut cette analyse, dans quelle mesure la l'éloge volontairement « publicitaire » Corneille au seuil de sa carrière ne en effet une nouvelle image du théâtre, mort (réconciliation entre père et fils) idolâtre (v. 1646) : double exaltation du métier de et l'émergence définitive du réel d'un théâtre qui cherche sa voie, un doit pas nous induire dans l'erreur de et il est révélateur que ce soit le ... ce que votre temps voyait avec mépris comédien et du théâtre en tant que prendre l'exception pour la règle Est aujourd'hui l'amour de tous les bons esprits,... (V.5) (monétaire) au sein de l'illusoire, leurre ultime, un songe éblouissant qui dramaturge « en résidence » qui s'érige voie d'avancement social et matériel se surajoute à l'ensemble d'illusions commune. Ainsi, entre hyperbole un thuriféraire de l'art théâtral pour En légitimant la vocation de Clindor, débouche sur la démystification sinon correspond aux réalités socio- sur le dépassement de soi propre à un constituant la structure même de théâtrale et réalités socio-historiques à communiquer cette image. Alcandre en entourant les pratiquants de cette historiques du xvne siècle. On a vu L'illusion Comique. Rien n'autorise cette époque, la distance a dû être esquisse en quelque sorte une théorie Pridamant. Or, en engageant le vocation d'une auréole d'admiration, le en effet que Corneille a mis en relief, spectateur dans la vie réelle des à croire en fait que l'intervention de la grande. Mais, selon nous, c'est sociologique du fait théâtral. Objet de mage laisse entendre qu'ils rendent un dans L'illusion Comique, les comédiens, en valorisant de la sorte praxis à la fin de la pièce, sous forme précisément à cette distance que divertissement suprême des honnêtes service public auprès de la tenants et les aboutissants de d'une chasse professionnelle aux écus, devrait s'attacher une sociocritique de gens des années 1630, le théâtre une conception mercantile de l'art communauté des honnêtes gens. Ils l'expérience théâtrale, privilégiant, en théâtral, Corneille contribue à renforcer réussit à rompre l'emprise de l'illusion, l'imaginaire capable de mettre en exerce une fonction de détente accomplissent, du reste, une fonction l'occurence, les modes visuel et malgré la nouvelle proximité qui existe lumière le besoin permanent de (vv. 1655-56) en s'adressant aux dans l'opinion publique l'image étatique en servant le Prince, qui offre discursif de la théâtralité afin de mieux positive que l'institution théâtrale entre acteurs et spectateurs. fantaisie qui caractérise le rêveur besoins de délassement propres aux non seulement son soutien financier et mystifier son spectateur : cette Nombreux sont les comédiens et éveillé qui loge en nous tous, ce que non-privilégiés tout aussi bien qu'aux tâche de projeter d'elle-même. Tout moral à l'institution théâtrale, mais y mystification s'explique par le fait que porte à croire en effet que la magie dramaturges, notamment ceux des Pascal a si justement appelé les grands; il constitue e participe de manière active en tant que ce dernier est pris dans l'engrenage de d'Alcandre finit par résoudre les provinces, qui, au xvn siècle, n'ont pas « vaines fantaisies de nos songes ». Le divertissement le plus doux ae nos princes, maître-spectateur. Et Alcandre ne l'illusion, zone ambiguë qui filtre à la Les délices du peuple, et le plaisir des grands... (V.5) contradictions inhérentes à la connu la réussite matérielle et sociale Extrait de « Modes de théâtralité dans manque pas de tirer une satisfaction fois le réel et le rêve, lui faisant sentir dialectique de l'être et du paraître, et - la « fortune éclatante » de Clindor L'illusion Comique » 44 45 Le sentiment de l'amour dans « L'illusion » Octave Nadal

... Corneille est encore timide et le font évader. Le trio, après bien des cornélien, cette bravoure sans brave, hésitant; ses premières œuvres tribulations, entre dans une troupe de ces éclats de voix, cette pièce du comiques s'achèvent sur une comédiens. Au dernier acte de Verbe et de l'Acteur, ils sont pourtant interrogation; avant la tragédie du Cid, L'illusion on les voit jouer une scène de là, à l'instant décisif où le poète L'illusion Comique est cette ultime tragédie qu'on pourrait prendre pour découvre son univers tragique. interrogation. Une sorte d'angoisse une suite de leur propre aventure. C'est L'illusion serait-elle une préface à toute donne à cette pièce des couleurs et la nuit, dans un jardin. Isabelle l'œuvre, une de ces révélations qui des éclats de fête foraine, projette sur représente la femme d'un seigneur éclairerait la singularité de la morale l'écran de la grotte magique une anglais; elle est venue y surprendre politique et du tragique cornéliens? humanité de songe, des attitudes et son mari qu'elle soupçonne d'être Car enfin Matamore c'est Rodrigue ou des voix de marionnettes curieusement infidèle. Clindor tient ce dernier rôle; il Horace sans les actes. Le langage, le déformées. Le montreur d'images arrive au rendez-vous pensant trouver ton de ces héros sont communs; leurs annonce le spectacle, les spectres la Reine et c'est sa femme qui élans, leur exaltation, leurs maximes parlants, la fantasmagorie. Sous nos l'accueille. Il meurt enfin poignardé par les mêmes. Et l'amour? Qui ne yeux tremblent des habits de un envoyé du Roi. Le rideau se relève s'étonnerait de cet intrigant qui débute comédiens, pourpre et or, un équipage sur cet assassinat. On voit alors les lui aussi par le mensonge et finit par somptueux et princier; ces tissus comédiens et leur portier autour d'une ressembler à son mensonge, par être éclatants, ces couronnes et ces bijoux, table en train de se partager la recette. sincèrement celui-là même qui n'était cette toilette de femme nous les Ainsi s'achève L'illusion par la pièce qu'un langage? Si l'on tient que la retrouverons un peu plus tard : des dans la pièce, « the play within the scène tragique est une suite de son corps vivants les rempliront pour une play » du théâtre élisabethain. Aux aventure (Corneille s'est trop appliqué tragique journée. Mais on n'est pas premières images d'un monde réel à les joindre l'une à l'autre pour qu'on encore à ce rêve dans un rêve, à cette succèdent les images de la magie, ne se laisse pas volontiers abuser) illusion dans L'illusion. Avant que les puis les images pures du théâtre; quelle lumière sur l'amour! Ne serait-il images de la vie paraissent, pourquoi apparences d'apparences et illusion qu'une illusion comme cette bulle soudain ces objets de merveille, ces d'une illusion. Tous les personnages d'héroïsme? Est-ce lui cette comédie artifices, ces instruments et ces de la comédie, déjà irréels et lointains répercutée dans ces miroirs sans fin? accessoires de la parade scénique? (l'un d'entre eux, Matamore, est dans ces images qui explosent comme Est-ce le théâtre de la vie qui est ainsi d'imagination pure), ces amours des songes? L'amoureux est-il cet annoncé? Ou bien la vie du théâtre? traversés par un duel sanglant, cette acteur qui joue son âme, l'amour cet Qui joue ici, l'acteur ou l'homme? Et prison et cette rocambolesque évasion, artifice? Comparses d'un jeu de quelle que projette-t-on : le réel ou cette tragédie enfin que jouent les baraque foraine? L'amour de Clindor, l'apparence, la vérité ou le mensonge, personnages de la comédie, gardent mensonge ou vérité? Qui croire? le commerce des vivants ou celui des - c'est évident - quelque Clindor auprès de Lyse, ou Clindor ombres? signification cachée. auprès d'Isabelle? Clindor en prison, On venait à peine de quitter ces deux Touche-t-on ici le lieu commun d'un ou dans le jardin tragique? Le même amis, l'un breton, l'autre tourangeau; art? une formule scénique? ou plus homme et plusieurs langages, le même de suivre leur conversation, et leur profondément le goût secret et la homme et des actions contradictoires. promenade à travers la campagne de pensée d'un créateur? A la première Quand le rideau tombe sur la tragédie Touraine jusqu'à cette grotte du question la réponse est facile : sans et se relève sur les comédiens magicien Alcandre où règne une nuit doute il s'agit bien d'une esthétique l'interrogation du vieillard retentit de qui « n'ouvre son voile épais qu'aux théâtrale, mais singulière et étrangère façon mystérieuse : rayons d'un faux jour ». Le théâtre! La à l'ensemble du répertoire cornélien. Quel charme en un moment étouffe leurs discords, rampe entre le spectateur et le Une série de miroirs y recule au delà Pour assembler ainsi les vivants et les morts? spectacle, cette large bouche comme du réel une humanité romanesque et La réponse du magicien ne laisse un mur invisible où l'air devient baroque qui finit par s'effacer sous le guère de doute sur l'analogie que inaccessible, le cercle magique qui fard et le masque tragiques. Théâtre de Corneille entendait suggérer entre la sépare le monde des vivants de la fiction et de transposition dont vie et le songe, la condition humaine féerie heureuse ou sanglante. Cela Corneille garda toujours un regret mal et la comédie : avoué, qu'il chercha à reprendre à pourtant semblait commencer comme Leurs vers font leurs combats, leur mort suit leurs paroles, la vie même, ce père qui par trop de travers le fabuleux et le merveilleux de Et sans prendre intérêt en pas un de leurs rôles, sévérité a chassé son fils Clindor, et, l'Histoire, les machineries Le traître et le trahi, le mort et le vivant, désolé maintenant de l'avoir perdu, mythologiques, et qu'on retrouverait Se trouvent à la fin amis comme devant. s'est mis à sa recherche par tous les même au cœur de ses tragédies les Pourtant son théâtre tragique allait pays. Bien vainement. Auprès du plus sévèrement architecturées selon répondre sans ambiguïté à cette Magicien il regarde la toile aux le goût classique. Toutefois, il ne s'agit émouvante interrogation. C'est que illusions. Mais la vie de ce Clindor encore que de structure. L'autre point Corneille aura décidément trouvé ce depuis qu'il quitta le toit paternel, fut- plus délicat est de dégager dans qui lui valut le surnom de grand : elle différente d'un songe? Après cent L'illusion l'attitude même de Corneille l'assise royale de l'homme. Elle n'est métiers le voici devenu une sorte de devant l'héroïsme et l'amour. ni son tempérament, ni les aveugles chevalier d'amour et d'industrie auprès L'héroïsme serait-il ce gonflement poussées de la chair et du sang, ni d'Isabelle et de Matamore. démesuré, ou du moins commencerait- l'esprit seul et sa nostalgie, ni la vie Tel est le prologue de la pièce qui il par là? par cette exagération, par même, mais toutes ces choses s'ouvre maintenant sur une comédie- cette ubris verbale? Faudrait-il toujours ensemble sous la condition d'un roman. On y reconnaît l'intrigue si supposer ce mensonge à soi dans les mouvement de l'âme qui les éclaire, souvent reprise des comédies; un peu actes nobles, désintéressés? Le les pénètre et finalement les surmonte. plus complexe peut-être, puisque d'eux tremplin de ce théâtre sublime serait-il jaloux cette fois y trament le complot le mensonge? Là-dessus on n'ose trop contre les amants. Clindor a le rêver. Ce mensonge énorme, gratuit de Extrait de : Le sentiment de l'amour bonheur de tuer son rival; blessé, il est Matamore, qui gonfle si curieusement dans l'œuvre de Pierre Corneille. arrêté, jeté en prison. Isabelle et Lyse la première voile de l'héroïsme NRF-Gallimard 46

Principales représentations Le décor original de « L'illusion » en France, de « L'illusion Comique » depuis sa création Robert Garapon

1636 Création au Théâtre du Marais. Dans quel décor les personnages de la 1861 Inscription au répertoire de la pièce évoluaient-ils en 1635? On sait Comédie française et reprise à e qu'à cette époque, la scène du Marais, l'occasion du 255 anniversaire de la comme celle de l'Hôtel de Bourgogne, naissance de Corneille. possédait encore une décoration 1936 Reprise à la Comédie française multiple héritée du Moyen Age. Nous (tricentenaire du Cid et de l'Illusion). est-il possible de nous faire une idée Mise en scène de Louis Jouvet. des différents compartiments qui 1966 Représentation par le Théâtre ornaient la scène lors de la première national populaire (T.N.P.) - Mise en représentation de notre comédie? scène de Georges Wilson. On a cru posséder là-dessus un 1970 Réalisation à la Télévision, par document décisif : le registre de Robert Maurice. Laurent Mahelot; longtemps ignoré des 1971 Représentation à la Comédie de historiens du théâtre, ce document Saint-Etienne - Mise en scène Pierre unique sur la mise en scène au début Vial. du xvne siècle fut exhumé aux 1981 Théâtre de la commune alentours de 1870, et un érudit, Perrin, d'Aubervilliers / J.T.N. - Mise en bientôt appuyé par Eugène Rigal, crut scène Pierre Romans. découvrir dans ce mémoire une description du décor original de L'illusion Comique. — au folio 34 verso, on lit en effet : « La Mélite (de M. Corneille) Au milieu, il faut un palais bien orné. A un côté du théâtre, un antre pour un magicien au-dessus d'une montagne. De l'autre côté du théâtre, un parc. Au Ier acte, une nuit, une lune qui marche, des rossignols, un miroir enchanté, une baguette pour le magicien; des carcans, ou menottes, des trompettes, des cornets de papier, un chapeau de fol i rl de cyprès pour le magicien. » J cl bel t/x, Suit, au folio 35 verso, un décor correspondant à cette notice. Les raisons qui poussèrent Perrin et Rigal à reconnaître dans cette description la toile peinte mise en scène de L'illusion Comique F' sont faciles à pénétrer : d'une part, il s'agissait d'une comédie de Corneille, et, d'autre part, il y avait une évidente erreur sur le titre : Mélite, comédie — Rie/eau uniquement urbaine, ne réclamait assurément pas un tel luxe d'accessoires, ni une telle toile de fond. Par contre, la donnée de L'illusion Comique semblait convenir parfaitement. C'est au regretté H. C. Lancaster que revint le mérite, en 1920, de ruiner cette séduisante identification. Un examen attentif du manuscrit lui donna de premiers soupçons, et les ressources d'une érudition inépuisable firent le reste. Lancaster tire d'abord Essai de reconstitution du décor une certitude de la comparaison des original de L'illusion d'après écritures : c'est une autre main que le mémoire de Mahelot (esquisses de Gabrielle Garapon) : celle de Mahelot qui a ajouté « (de 1 - Copie du dessin figurant au f° 35 v* M. Corneille) » après le titre de 2 - Schéma indiquant la disposition en « Mélite ». Dès lors, cette attribution à profondeur du rideau, de la toile peinte et du fond de jardin fixe, au Corneille n'est, peut-être, que la centre de la scène réaction automatique d'un lecteur du 3 ■ Décor pour l'acte I xviii0 siècle, un peu comme un lecteur 4 - Décor pour les actes II, III et IV de nos jours inscrirait inévitablement 5 - Décor pour le début de l'acte V 52 53 « L'illusion Comique » et la scène Annie Richard

« (de Racine) » en face du titre de « Bérénice », sans savoir que ce même laissé, sur L'illusion Comique, le Création en 1636 comme Pinel, bourgeois comme nom a couvert mainte pièce du xvne où décorateur du théâtre du Marais si, à Molière, gentilshommes comme il n'est absolument pas question de la l'instar de son confrère de la Elle fut créée au théâtre du Marais en Floridor qui se nommait Josias de Reine de Judée. Aussi bien, comment compagnie rivale, il avait lui aussi 1636, on ignore la date exacte, mais on Soulas . » (R. Brasillach, Corneille.) Mahelot aurait-il pris Mélite pour rédigé un registre? Voici ce que nous sait qu'elle précède de peu la première Le vif succès de L'illusion semble L'illusion Comique? « Il ne se trompe pouvons imaginer en nous inspirant représentation du Cid, en décembre. prendre fin vers 1680. Elle n'est plus jamais sur le nom des pièces qu'il des croquis de Mahelot lui-même et en La troupe était dirigée par les jouée qu'en 1793, puis en 1861, où elle décrit, quoique quelquefois il en tenant compte des modifications de comédiens Lenoir et Montdory. est pour la première fois inscrite au raccourcisse les titres, ou substitue à décor mentionnées dans le texte de Jusqu'ici, elle était itinérante, comme répertoire de la Comédie-Française. des titres imprimés d'autres qui notre comédie ou impliquées par lui. la plupart des troupes d'alors, et elle Depuis, elle a été représentée dix fois conviennent mieux aux pièces. » Mais Au commencement de la pièce, le s'était enfin installée à l'Hôtel du de 1861 à 1870, quatre fois de 1901 à voici qui est encore plus probant. théâtre devait offrir aux regards des Marais. Elle y restera jusqu'en 1673, 1910, trente-trois de 1931 à 1940, une D'une part, il n'y a pas de spectateurs : à une extrémité, la grotte date de la fusion avec l'Hôtel de fois de 1941 à 1950, soit cinquante fois correspondance exacte entre la mise du magicien; à l'autre extrémité, la Bourgogne. contre mille quatre cent cinquante-sept en scène décrite par le registre et prison de Clindor; au centre, un rideau Montdory connaissait bien Corneille, fois pour le Cid. Il s'agit donc d'une l'intrigue de L'illusion Comique. Où qui allait être tiré à la scène 2 du avec qui il nouera des liens d'amitié. Il pièce très peu jouée, et qui suscite de Ier acte pour laisser voir, sur un fond nombreuses réticences. trouver trace en effet de la lune qui l'avait rencontré à Rouen, au cours e marche, des rossignols, du miroir de jardin, les habits des comédiens d'une tournée. C'est lui qui avait fait A l'occasion du 255 anniversaire de la enchanté, des cornets de papier, des mis « en parade ». Au début du second jouer la première pièce de ce jeune naissance de Corneille, on reprend trompettes? Le mémoire parle d'une acte, on devait descendre au centre auteur, Mélite, et les suivantes. Toutes L'illusion Comique le 6 juin 1861. On en er une toile peinte représentant la maison joue les quatre premiers actes, et le nuit au I acte, tandis que notre e avaient connu un succès assez grand comédie n'en fait mention qu'aux de Géronte. Au début du V , on relevait à Paris. cinquième est remplacé curieusement derniers. Pourquoi un palais bien orné, sans doute cette toile peinte, et l'on L'illusion Comique aura, elle aussi, du par un fragment de Don Sanche alors que Géronte n'est qu'un riche découvrait ainsi le fond de jardin où se succès, puisque Corneille, en 1660, d'Aragon. Théophile Gautier fait le bourgeois? Mahelot ne manque pas de déroulait la tragi-comédie; puis, à la s'en montre fier : « Il faut qu'il ait compte rendu de la représentation fin de la scène 5, on devait fermer le dans Le Moniteur. planter une prison chaque fois que le er quelque mérite, puisqu'il a surmonté demande l'intrigue des autres pièces rideau qui avait déjà servi au I acte, l'injure des temps -et qu'il paraît encore La grotte du magicien est entourée de qu'il mentionne : pourquoi n'en parle-t- en se réservant de l'ouvrir et de le sur nos théâtres, bien qu'il y ait plus nuages. On fait étalage d'une très il pas ici? Pourquoi reste-t-il muet sur refermer au milieu de la scène de vingt et cinq années qu'il est au riche garde-robe, qui est celle de « les plus beaux habits des comédiens » suivante, pour montrer le partage de la monde... » Clindor, et de nombreux ordres de placés en parade derrière un rideau, et recette. En somme, on peut penser On croit que le rôle de Matamore fut chevalerie sont disposés sur la table. sur le tableau de la recette au Ve acte? qu'un dispositif scénique très simple créé par Bellemore, et celui de Clindor Matamore est joué de façon D'autre part, Lancaster a retrouvé une suffisait aux nécessités du spectacle, par Montdory, le comédien le plus traditionnelle, avec l'accent gascon. Il tragi-comédie obscure, La Bélinde de les deux ailes du théâtre conservant célèbre à l'époque. On prétend que n'y a que six représentations, et le Rampalle, qui semble correspondre toujours la même décoration et le c'est précisément la vie de Montdory 9 juin, on ampute L'illusion d'un acte. exactement à la nomenclature du centre étant fermé soit par un rideau qui a inspiré les aventures de Clindor. On ne la reprendra qu'en 1906, par décorateur de l'Hôtel de Bourgogne. pouvant coulisser, soit par une toile Il était né à Thiers, en 1594, dans une fragments, avec l'illustre Coquelin peinte qu'il était facile d'abaisser ou famille bourgeoise, du nom de cadet, dans le rôle de Matamore. Elle utilise en particulier une nuit au de remonter, soit enfin par un fond de Ier acte, une caverne, un bois, un palais Desgilbert, et son père, comme jardin fixe. Pridamant, avait fort peu apprécié qu'il A la Comédie-Française en 1936 (celui du roi de Chypre), un On ne saurait trop le répéter : L'illusion « miroir divin », une poudre magique, choisît une profession aussi suspecte. Comique est peut-être devenue une De toute façon, si ce n'est pas En 1936, c'est le tricentenaire du Cid, sans doute contenue dans les cornets féerie à grand spectacle en 1937, par la de papier, des trompettes, enfin des Montdory qui inspire L'illusion, les et par conséquent de L'illusion volonté de Louis Jouvet, mais elle ne aventures des comédiens peuvent Comique. La Comédie-Française fait carcans ou menottes. - Reste une l'était nullement en 1635. On comprend fournir facilement des canevas de pour la première fois appel à dés dernière difficulté : celle du titre. Mais aisément le metteur en scène qui a pièces : metteurs en scène étrangers à la c'est là précisément que le savant voulu donner des images et des américain accentue son avantage, car « C'est à Paris que se forment la Maison; le célèbre acteur Louis Jouvet, couleurs à des spectateurs affamés de plupart de ces troupes de campagne, qui avoue un faible pour L'illusion il se trouve que La Bélinde (du nom de cinéma; mais ceux de 1635 n'étaient Comique, la monte donc cette année-là la fille du roi de Chypre) comporte un bariolées, aventureuses, où ne pas ainsi; s'ils avaient faim, c'était manquent pas les fils de famille avec un soin particulier de mise en autre rôle de princesse, celui de Mélite, bien plutôt de phrases sonores, de dévoyés et les mauvais garçons. La scène, car, dit-il, « cette fantaisie fille du roi d'Arménie : dès lors, pointes étourdissantes, de pure plupart sont des comédiens de d'imagination qui tient de la vie, de Mahelot peut intituler la pièce aussi déclamation. Il est, en fin de compte, campagne, parfois aux gages des l'irréel, du drame, de la comédie bien Mélite que Bélinde, un peu très douteux que l'on puisse mettre arracheurs de dents : Guillot Gorgat italienne, appelle un mode comme un metteur en scène changeait L'illusion Comique sur le même pied d'expression dont nous avons perdu la naguère en Clotilde du Mesnil le titre débute avec les opérateurs qui vendent qu'Andromède ou que Les plaisirs de les drogues, Grosguillaume fait de tradition ». La distribution est éclatante : de La Parisienne de Becque. Aucun l'Ile enchantée. S'il y a de la féerie même, Bruscambille est l'aide de Pierre Dux, dans le rôle de Clindor, doute n'est donc plus permis sur ce dans l'Illusion, ce n'est pas celle des l'opérateur Jean Farine, Gautier Jean Martinelli dans celui d'Adraste, point : la fameuse description du lumières et des machines, mais, tout Garguille passe à Rouen en 1623, la Du Aimé Clariond dans celui d'Alcandre, mémoire de Mahelot n'a rien à voir simplement, celle des vers. et Lise Delamare dans celui d'Isabelle. avec le décor original de L'illusion Parc est la fille de l'opérateur italien Jacomo de Gorla. D'autres sont C'est le fameux décorateur Christian Comique. Bérard qui a créé les décors et les Nous sommes donc ramené aux pâtissiers comme Ragueneau, Extrait de la préface à L'illusion Comique. cuisiniers comme Jean de la Traverse, costumes. conjectures : quel dessin nous eût Librairie Marcel Didier. merciers comme Boyron, écrivains Jouvet utilise des machines pour 54 montrer l'apparition de Pridamant et du magicien dans un chariot qui traverse les airs. Il cherche à produire un effet de surprise en habillant Alcandre en chauve-souris, et en chaussant Pridamant et Dorante de sabots de paysans. Néanmoins, la nouveauté essentielle de la mise en scène de Jouvet réside dans le fait qu'il montre au cinquième acte un petit théâtre, et des spectateurs qui assistent au spectacle du drame de Théagène et d'Hippolyte. Il souligne ainsi la construction très particulière de la pièce : the play within the play. Ces innovations sont très mal accueillies. En dressant le bilan de l'année, Édouard Champion compte cette reprise au nombre des déceptions. Il reproche à Jouvet d'avoir représenté toute l'action dans la grotte, bien que Corneille précise « auprès de la grotte d'un magicien ». Quant à la tragédie du cinquième acte, il s'indigne de la voir jouée en charge, ce qui la rend ridicule, et il estime que Pridamant ne peut pas croire assister à la mort de son fils, s'il voit en même temps qu'on est au théâtre : « Du fond de la caverne, un guignol s'avance sur des roulettes, fermé d'un rideau de théâtre rouge, qui se lèvera en roulant. Le magicien s'installe dans une avant-scène noire et blanche, toujours ce style silhouette, ce style funèbre, ce style Caligari! Côté jardin, et Pridamant dans l'avant-scène côté cour. Les acteurs paraissent, vêtus d'or et de clinquant. Nous allons assister à une parodie, à une représentation ridicule, comme la représentation de la Clorise qu'interrompt Cyrano. Les acteurs réciteront comme des enfants en classe, les loges applaudiront. Ils salueront à la fin du couplet. Pendant que sa maîtresse expire, la confidente fait des clins d'yeux à ses amis dans la salle. Je reconnais que ce contre-sens énorme a réjoui, détendu, enchanté, épanoui, les spectateurs de la générale. Il est indéfendable. Jamais Corneille n'a pu se figurer Montdory et ses camarades se parodiant eux-mêmes... Comment, assis dans sa loge, parmi d'autres spectateurs, qui claquent des mains à ses oreilles, devant cette rampe, ce rideau levé, Pridamant ne devinerait-il pas qu'il est au théâtre? D'autres critiques s'étonnent que Jouvet n'ait pas fait appel au cinéma pour une pièce qui s'y prête manifestement. Un quatrain paraît : Ayant fait à la pièce un cercueil en cartons Banalement orné de simplistes festons, Monsieur... se croit un aigle d'esthétique, C'est une illusion comique. »

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Au T.N.P. en 1966 A Saint-Etienne en 1971 A la télévision en 1970

Le T.N.P. joue L'illusion Comique en La dernière en date des Bien entendu, il ne s'agit là que d'un 1965-1966, dans une mise en scène de représentations de L'illusion Comique échantillonnage très arbitraire de Georges Wilson. Celui-ci a décidé est celle de la Comédie de Saint- quelques mises en scène de L'illusion d'accompagner la représentation d'une Étienne, par Pierre Vial. Celui-ci l'avait Comique. Elles ont cependant été les musique espagnole de Georges déjà montée à Marseille. plus importantes dans le théâtre de Delerue. Le palais est de style « A l'intérieur de ce kaléidoscope, de ces dernières années. Toutefois, la mexicain. Le décor est mobile, un ce monde qui bouge télévision a, elle aussi, présenté une château de style baroque surgit sous perpétuellement, il y a une réalité réalisation de L'illusion Comique, en nos yeux, les personnages sortent de que l'on cerne à la façon du cinéma, utilisant les moyens qui sont à sa terre, car les planches du plateau se par larges séquences, par plans portée pour créer l'illusion du soulèvent. Wilson accentue l'aspect rapprochés, ou par travellings... fantastique. Toutes les techniques de féerique de la pièce. On y voit un Je pense que l'aspect rythmique de l'incrustation de l'image dans le film, palais de tulle, un marquis qui se la pièce est fait de contradictions des montages, des mélanges de transforme en chat botté, un fossile évidentes : des scènes très vives, décors, sont exploités par le géant qui sert de mirador. Le magicien, très cocasses, et des moments où réalisateur Robert Maurice pour qui porte un habit magnifique décoré on a besoin de trompette, voire de restituer son caractère de jeu magique d'un œil au milieu, habite une grotte clairon; des moments où on a à L'illusion. Il transpose le thème du en forme de crâne d'antilope. besoin de l'orchestre de musique de théâtre au théâtre, en montrant la Quant à Matamore, c'est Georges chambre. D'autre part, le décor ne télévision à la télévision. En effet, il Wilson qui l'incarne. Il est vêtu de noir, doit pas hésiter à aborder un monde fait de la grotte du magicien un poste la moustache en bataille, avec une un peu cosmique, aussi ample que de télévision retourné. immense épée au côté. Il est maigre, s'il s'agissait de monter La Tempête. « Avec son « théâtre dans le théâtre », barbichu, et donne l'impression de Or, cet univers est dans une certaine dit-il, L'illusion Comique est une marcher sur des œufs, le petit doigt en contradiction avec le style heurté de réflexion sur l'art dramatique au l'air. La pièce se termine par la pièce. Cette contradiction, il faut début du xvne siècle français, mais l'apparition des comédiens montés sur la résoudre sur le plan du spectacle. aussi une tentative de constituer un un chariot. Il y a d'une part un monde très « théâtre d'histoire ». C'est le regard Entretien avec Georges Wilson, paru baroque, très heurté, et, d'autre part, jeté par une classe, la bourgeoisie (à dans Le Monde du 8 mars 1966 : une rigueur de langage... Il faut laquelle appartenait Corneille et qui « C'est la pièce de Corneille la plus conserver une certaine pesanteur connaîtra sa défaite sous le règne subtile, la plus raffinée, et la moins solennelle. Il y a de toute manière de Louis XIV) sur l'aristocratie de cornélienne. C'est l'œuvre d'un jeune des moments de silence dans la Paris. Et la vision se révèle illusoire. auteur non encore soumis à la règle pièce, des moments où l'on ne sait Mensonges, faux-semblants, des trois unités, une pièce baroque, pas très bien où l'on est. La pièce brutalités, cynisme, gloire tournée shakespearienne, et pirandellienne, doit être à la fois sérieuse et pas; ce vers la mort. Cette pièce n'est pas le d'où est parti le théâtre moderne, un n'est pas un bric à brac, c'est procès des apparences mais le essai de mélange des genres qui fait quelque chose de profond. Il faut procès du comportement humain irrésistiblement penser aux films de vraiment que l'on trouve le moyen de délibéré. A la fin, rien ne s'est passé, Jean-Luc Godard. Sans transition on faire la vision la plus folle. A la fin, que le gain d'un peu d'argent... par passe de la comédie à la tragédie, le père est seul. A-t-il rêvé tout cela? des comédiens. » du coup de griffe à la sentimentalité. Cette idée que la vie est un rêve, on La réalisation de Robert Maurice date La pièce va dans tous les sens, se la trouve justement dans le théâtre de 1970. Elle nous intéresse au plus casse sans arrêt, pour repartir espagnol, très puissante, très haut point dans la mesure où elle suivant son rythme extrêmement profonde. Il existe une obsession qui montre que les techniques modernes rapide. fait sentir la présence de la mort, la peuvent enrichir les textes classiques. Essentiellement moderne dans sa friabilité des choses. Tout cela fait Il est manifeste qu'un théâtre comme forme, L'illusion Comique n'a pas partie de Corneille. celui que propose L'illusion, qui veut nécessité de transposition : Clindor, Le plan de la mort est très riche. montrer, au lieu de décrire, appelle les le prince-valet, est un jeune homme Mort parodique, par exemple : de sa techniques les plus visuelles. Cet semblable à ceux que l'on rencontre prison Clindor a peur de la mort. La aspect de la pièce, qui apparaît tous les jours à Saint-Germain-des- peur de la mort doit être aussi réelle constamment dans les propos du Prés, un « fonceur », avec ce qu'il chez Clindor qu'elle l'est chez mage, est d'autant plus attachant que faut de cynisme, de lucidité et de Claudio de Mesure pour Mesure. le théâtre classique, à désenchantement. Mais la pièce est aussi, sans l'épanouissement duquel elle prélude, « On me permettra, écrivait Jouvet, contradiction, une revendication des choisira un mode d'expression tout d'aimer particulièrement une pièce droits de la jeunesse; le père opposé. De longues tirades nous qui se termine par un panégyrique Géronte, qui a une rigueur décriront l'action, dans un théâtre qui de cette souveraine illusion, de cette bourgeoise, une rigueur espagnole, parle mais montre peu. L'illusion magie surnaturelle qu'est le théâtre, est impitoyablement balayé. Comique va dans un sens contraire, et de la poésie dramatique, et de l'art Matamore n'est qu'un pitre, on que le cinéma, lui, saura exploiter, en du comédien. » l'utilise parce qu'il est amusant, très montrant l'action au lieu d'en parler. poétique et presque émouvant, et il ne reste que les jeunes gens, beaux, Extrait de : L'illusion de Corneille et le baroque. amoureux, doués pour la vie et pour Etude d'une œuvre dans son milieu. Hatier. le théâtre. » (Dossier de la Comédie de Saint-Étienne.)

60 Distribution Personnages Interprètes

ALCANDRE, Gérard Desarthe Magicien PRIDAMANT, Henri Virlogeux père de Clindor DORANTE, Gérard Hérold ami de Pridamant MATAMORE, Gérard Desarthe Capitan Gascon, amoureux d'Isabelle CLINDOR, Stéphane Freiss suivant du Capitan, amant d'Isabelle ADRASTE, Didier Sandre Gentilhomme amoureux d'Isabelle GERONTE, Gérard Hérold père d'Isabelle ISABELLE, Nathalie Nell fille de Geronte LYSE, Maud Rayer servante d'Isabelle GEOLIER, Gérard Hérold de Bordeaux ROSINE, Maud Rayer Princesse d'Angleterre, femme de Florilame ERASTE, Didier Sandre Ecuyer de Florilame et Olivier Deparis, Jean-Paul Galinski, Frédéric Girard, Noëlle Rech, Christophe Thiry.

63 rri de 1:171 iHEATRÊtiUROPE Direction Giorgio Strehler 1985/86 ODEON THEATRE NATIONAL 1, PUCE PAUL CLAUDEL - 75006 PARIS - 325.70.32 8 OCTOBRE / 1" DECEMBRE THEATRE DE L'EUROPE L'ILLUSION MISE EN SCENE : GK3ROK) STREHLER SPECTACLE EH LANGUE FRANÇAISE DECORS : EDO FRtOBUO COSTUMES LU ISA SPtNATELU MUSIQUE : RORENZO CARPI 11 DECEMBRE / 19 DECEMBRE BAYER ISCHES STAATSSCHAUSPIEL MUNCHH JOHN GABRIEL BORKMAN SPECTACLE EH LANGUE ALLEMANDE MISE » SCENE : INOMAR BERGMAN SCENOGRAPHE ET COSTUMES : QUNILLA PALMST1ERNA-M 14 JANV1K / 14 FEVRIBl COMEDIE FRANÇAISE THEATRE DE L'EUROPE SIX PERSONNAGES EN QUETE D'AUTEUR CREATION EH LANGUE FRANÇAISE MISE » SCENE JEAN-PIERRE VINCENT DECOR ET COSTUMES : JEAN-PAUL CHAMBAS 18 FEVRIER / 23 FEVRIER NATIONAL THEATRE LONDON THE REAL INSPECTOR HOUND STOPPARD MISE EH SCENE : TOM STOPPARD THE CRITIC SHERIDAN SPECTACLES EN LANGUE ANGLAISE MISE EN SCENE : SHBLA HANCOCK DECORS ET COSTUMES : WILLIAM DUDLEY 25 FEVRIER / 1" MARS ZI TEATRO STABILE Dl CATANIA IL BERRETTO A SONAGLI PIRANDELLO SPECTACLE EN LANGUE ITALIENNE MISE EN SCENE . LAMBERTO PUGGELU SCENOGRAPHIE : ROBERTO LAGANÀ

PetitOdeon

L'ASSASSINAT D'UNE RENONCULE DE ALFRED DÛ BU H (ALLEMAGNE) MISE EN SCENE ET INTERPRETATION : TRADUCTION DE PHIUPPE IVERNEL JEAN DAUTREMAY CREATION EN LANGUE FRANÇAISE DECOR ET COSTUMES : ALAIN CHAMBON

22 octobre/ ENTRETIEN DE M. DESCARTES AVEC 23 NOVEMBRE 18 H 30 M. PASCAL LE JEUNE DE JEAN-CLAUDE BRISVILLE (FRANCE) MISE B< SCENE : JEAN-PIERRE MIQUEL CREATION FRANÇAISE DECOR ET COSTUMES : FRANÇOISE DARNE 3 DECEMBRE 29 DECEMBRE JEUX DE FEMME 18 H 30 DE KRZYSZTOF ZANUSSI ET EDWARD ZEBROWSKI (POLOGNE) ADAPTATION FRANÇAISE MISE EN SCENE : HENNING BROCKHAUS DE BARBARA QRZEGORZEWSKA DECOR : CHARUE MANGEL CREATION EH LANGUE FRANÇAISE COSTUMES : RUDY SABOUNGHI 7 JANVIER/ 8 FEVRIER COMEDIENNE D'UN CERTAIN AGE POUR 18 H 30 JOUER LA FEMME DE DOSTOÏEVSKI BOUTIQUE DE EDVARD RADZ1NSKI (URSS) TRADUCTION DE ULY DENIS MISE EN SCENE : VIVIANE THEOPHIUDES 13 PLACE DES VOSGES 75004 PARIS CREATION EH LANGUE FRANÇAISE DECOR : NICOLAS SIRE TEL 277 09 96 18 FEVRO/ 1« MARS LA VERITE / LE TRIO EN MIETTES DANS LE CADRE DES MANIFESTATIONS DE ITALO SVEVO (ITALIE) "TROUVER TRIESTE" CREATIONS EN LANGUE FRANÇAISE MISE EH SCENE : ENRICO D'AMATO AU THEATRE DE L'ATHENEE ELVIRE JOUVET 40 1 FEVRO TIRE DE MOUERE ET LA COMEDIE CLASSIQUE 18 FEVRIER LOUIS JOUVET (GALLIMARD) MISE EN SCENE BRIGITTE JAQUES COPRODUCTION T.N.S. - COMEDIE FRANÇAISE - SCENOGRAPHIE ET COSTUMES : EMMANUEL PEDUZZI ^opiflllcneM COMPAGNIE PANDORA COLLABORATION ARTISTIQUE : FRANÇOIS REGNAULT Imprimerie PGI BOUCHY N° d'imprimeur : 1641 Numéro d'Editeur : 84 Dépôt légal octobre 1985 Copyright BEBA 1985