L'illusion Comique De Pierre Corneille Et L'esthétique Du Baroque
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UNIVERSITÉ ARISTOTE DE THESSALONIQUE FACULTÉ DES LETTRES DÉPARTEMENT DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE FRANÇAISES L'ILLUSION COMIQUE DE PIERRE CORNEILLE ET L'ESTHÉTIQUE DU BAROQUE MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR KYRIAKI DEMIRI SOUS LA DIRECTION DE MADAME LE PROFESSEUR APHRODITE SIVETIDOU THESSALONIQUE 2008 1 UNIVERSITÉ ARISTOTE DE THESSALONIQUE FACULTÉ DES LETTRES DÉPARTEMENT DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE FRANÇAISES L’ILLUSION COMIQUE DE PIERRE CORNEILLE ET L’ESTHÉTIQUE DU BAROQUE MÉMOIRE PRÉSENTÉ PAR KYRIAKI DEMIRI SOUS LA DIRECTION DE MADAME LE PROFESSEUR APHRODITE SIVETIDOU THESSALONIQUE 2008 2 TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION .......................................................................... p. 5 CHAPITRE I: L' «étrange monstre» de Corneille: une structure irrégulière et chaotique .......................................................................................... p. 13 CHAPITRE II : Les éléments du baroque 1. L'instabilité ......................................................................... p. 24 2. Le déguisement.................................................................... p. 35 3. L'optimisme ......................................................................... p. 47 4. La dispersion des centres d'intérêt .............................. p. 52 CHAPITRE III: L'esthétique 1. Le thème de l'illusion ........................................................ p. 59 2. La métaphore du théâtre ................................................. p. 70 CONCLUSION ................................................................................ p. 82 ANNEXE ........................................................................................... p. 88 RÉSUMÉ EN GREC ......................................................................... p. 94 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................... p. 101 APPENDICE I .................................................................................. p. 106 APPENDICE II ................................................................................ p. 110 3 Affiche de l'Illusion comique, théâtre Firmin Gémier d'Antony, mise en scène Paul Golub, 2004. 4 INTRODUCTION SIGIMOND: “Qu'est-ce que la vie? Un délire. Qu'est-ce donc la vie? Une illusion. Une ombre, une fiction; Le plus grand bien est peu de chose, Car toute la vie n'est qu'un songe, Et les songes ne sont rien d'autre que des songes”1. Fondé sur la vraisemblance et la bienséance et en quête d'équilibre et d'harmonie, le XVIIème siècle est longtemps considéré comme le siècle classique par excellence et en même temps une période d'intense réflexion sur le théâtre, avant d'être supplanté par ce courant de civilisation que les historiens de l'art allemands nommeront au 19ème siècle ″baroque″. Apparu au temps des guerres de religion, le baroque s'épanouit dans un climat d'instabilité politique (opposition entre centralisation étatique et résistance nobiliaire, fronde aristocratique, régences), d'effervescence religieuse (libertinage, jansénisme, affaire de Loudun) et une remise en cause de la place de l'homme dans l'univers: la lunette astronomique mise au point par Galilée ouvre sur des mondes qu’on ignorait et le microscope de Leuwen Hook montre qu'une goutte d'eau est à elle seule un monde contenant des millions d'individus. Parallèlement, l'hypothèse copernicienne d'une absence de centre dans l'univers boulverse les consciences chrétiennes. Or, le baroque, période de révolution épistémologique, remplaçant la beauté universelle et intemporelle de l'idéal classique, reflète cette inconstance face à un monde en mutation2. Le théâtre baroque se fonde sur l'idée que le monde est en équilibre instable et privilégie le mouvement, l'illusion, l'irrationnel, le décor. Il s'adresse aussi plus à la sensibilité qu'à la raison et il use de la folie, du déguisement et des intrigues complexes. En plus, il envisage une renaissance du théâtre “qui 1 Calderòn de la Barca, La vie est un songe (1633), v. 1205-1211. 2Voir Yves Bottineau, L'Art baroque (1986), Paris, Citadelle § Mazenod, 2006, p. 231. 5 souffre alors d'une réputation de barbarie et de mauvaises mœurs”3. Jean Rousset, l'un des critiques à qui l'on doit la redécouverte du baroque littéraire en France, écrit à propos de ses caractéristiques: «[le baroque] incarne le monde des formes en mouvement, des identités instables, dans un univers en métamorphose, conçu à l'image de l'homme, lui aussi en voie de changement ou de rupture, pris de vertige entre des moi multiples, oscillant entre ce qu'il est et ce qu'il paraît être, entre son masque et son visage»4. Ce mouvement ne renie pourtant pas le passé, puisqu'il prend pour modèles des traditions reconnues: la pastorale et la commedia dell'arte, venues d'Italie, ou encore la comédie romanesque et la tragi-comédie, particulièrement développées en Espagne5. Lorsque Corneille compose l'Illusion comique, il a déjà fait jouer plusieurs comédies (Mélite, La Suivante, La Veuve, La Galerie du Palais, La Place Royale), une tragi-comédie (Clitandre) et une tragédie (Médée). L'illusion comique est l'œuvre qui clôt la période de jeunesse de Corneille – il a vingt-neuf ans quand il crée la pièce en 1636 – et appartient à la première période de sa dramaturgie, celle occupée de ses comédies, qui est assez méconnue, étant donné que l'auteur est surtout connu pour ses tragédies. Pourtant, cette pièce éminemment baroque bouscule à peu près tous les principes selon lesquels on reconnaît le classicisme, comme les unités de lieu, de temps et d'action, ou la bienséance, sans parler du mélange des tons entre le sérieux et le comique. De plus l'auteur déploie dans sa pièce tout un arsenal de moyens qui à la fois démontrent la richesse des possibilités d'expression du genre et suggèrent que l' “illusion” de la scène, loin d'être corruptrice et dangereuse (comme le soutiennent nombre de gens d'Eglise), permet de mieux saisir les complexités de la condition humaine. D'ailleurs, certains caractérisent l'Illusion comique comme un exercice de style, un pot-pourri et un expériment du jeune Corneille avant d'écrire le Cid. 3V.-L. Tapié, Baroque et classicisme, Paris, Hachette, coll. “Pluriel Référence”, 1957, p. 86. 4Jean Rousset, La Littérature de l'âge baroque en France. Circé et le paon, (1954), Paris, José Corti, 1985, p. 42. 5Voir V.-L. Tapié, op. cit., p. 76. 6 Dans sa préface6 l'auteur met en avant cette hétérogénéité et donne quelques éléments précis pour faire comprendre sa comédie. Dans l'épître dédicatoire «à Mademoiselle M.F.D.R»7, il appelle son œuvre «un étrange monstre» et reconnaît qu’elle est «une galanterie extravagante», un «caprice», dont «la nouveauté a plu». L’auteur lui-même explique l’ «extravagance»: «Le premier acte n'est qu'un prologue»; les trois suivants «sont une comédie imparfaite», affirme-t-il dans sa dédicace, «une pièce que je ne sais comment nommer (dont) l'issue est tragique», mais «le style et personnages entièrement dans la comédie», dit-il dans son Examen (1660)8 ; le cinquième acte forme une «tragédie assez lourde». Tous ces éléments font de la pièce le chef-d'œuvre du théâtre baroque français, mais aussi comme une des dernières résurgences d'un genre qui sera remplacé par la comédie de mœurs classique, plus vraisemblable et plus unie de ton. En effet, lors de la première lecture de l'Illusion comique et malgré l'incohérence et la structure irrégulière et chaotique, le thème majeur de la pièce surgit immédiatement: un père à la recherche de son fils longtemps perdu et un fils à la recherche du monde. L'interaction de ces quêtes enrichit encore la polyphonie du texte puisque très tôt on comprend qu'elles aboutissent à une autre quête: celle de la vérité de la part du père et celle de soi en ce qui concerne le fils. A travers donc les épreuves initiatiques, le père va trouver la sérénité et le fils son identité. Le véritable sujet de l'œuvre, indépendamment de l'intrigue amoureuse et romanesque, c'est le théâtre lui-même et ce qu'il nous apprend sur notre rapport à la réalité. Ainsi, la structure de la pièce propose-t-elle un double enchâssement, puisque nous, spectateurs, assistons à l'histoire de Pridamant qui recherche son 6 Il s’agit d’une préface ou en d’autres mots d’un «Examen » qui précède de la pièce et où l’auteur explique les raisons pour lesquelles il écrit son œuvre. C’est une pratique assez commune aux auteurs du XVIIème siècle. 7 Pour lire l'épître dédicatoire, voir Appendice II, p. 109. 8Pour lire l'Examen de 1660, voir Appendice I, p. 105. 7 fils Clindor (Acte I), et qui lui-même assiste à un spectacle de “spectres parlants” (Actes II-IV) lui exposant les aventures du jeune homme. Alors que l'Acte V, après un changement de scène9 accompagné d’un changement d’espace, semble montrer la suite de l'histoire de Clindor, il s'avère finalement fiction, fable jouée par les héros qui s'étaient faits comédiens. Pridamant, emporté par le pouvoir de la représentation, a pris pour la réalité ce qu'il savait pourtant n'être qu'un leurre; mais ce mépris lui a fait découvrir l'histoire de son fils et surtout comprendre le pouvoir du théâtre et son honorabilité. Corneille termine sa comédie par un discours panégyrique de la part d'Alcandre et une apologie de l'art dramatique qui a recouvré tout son éclat. Construite donc comme un patchwork de genres et de registres différents, l'Illusion comique offre aussi un impressionnant catalogue de thèmes et de courants. Remarquons tout de même que Corneille, conformément à l'un des traits distinctifs de l'art dramatique baroque qui veut démontrer