Annales historiques de la Révolution française

354 | octobre-décembre 2008 Varia

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/ahrf/10849 DOI : 10.4000/ahrf.10849 ISSN : 1952-403X

Éditeur : Armand Colin, Société des études robespierristes

Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2008 ISSN : 0003-4436

Référence électronique Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 [En ligne], mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 01 juillet 2021. URL : https://journals.openedition.org/ahrf/10849 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ahrf.10849

Ce document a été généré automatiquement le 1 juillet 2021.

Tous droits réservés 1

SOMMAIRE

Articles

Pour une histoire concrète du « talent » : les sélections méritocratiques et le coup d’œil du topographe Valeria Pansini

Un groupe de pression contre-révolutionnaire : le club Massiac sous la constituante Déborah Liébart

Comment la Révolution abolit la dignité de maréchal de France Fadi El Hage

Après la conjuration : le Directoire, la presse, et l’affaire des Égaux Laura Mason

Un moment méconnu de l’historiographie : l’introduction et la diffusion en France de l’ouvrage de Karl Kautsky La lutte des classes en France en 1789 Jean-Numa Ducange

Regards croisés

Napoléon et l’Europe Le point de vue anglo-américain Michael Broers, Steven Englund, Michael Rowe et Annie Jourdan

Thèse

Charlotte Corday et l’attentat contre Marat : événements, individus et écriture de l’histoire (1793-2007) Thèse de doctorat – Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2007 Guillaume Mazeau

Sources

Ode à Catherine II – Une création inconnue de Jean-Louis Carra Stefan Lemny

Un écho de la « troisième révolution » Lettre du Citoyen Champion à sa fille (mai-juin 1793) Georges Raynaud

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 2

Travaux inédits

Travaux inédits Travaux soutenus devant les universités portant sur la période révolutionnaire (vers 1750-vers 1830) Pascal Dupuy

Hommage

Antoine Pelletier (1926-2008) Jacques Bernet

Comptes rendus

La révolution des idées

Daniel Droixhe, Une histoire des Lumières au pays de Liège. Livre, idée, société Claude Bruneel

Véronique Le Ru, Subversives Lumières, L’Encyclopédie comme machine de guerre Christian Albertan

Janine Garrisson, L’Affaire Calas, miroir des passions françaises Jacques Bernet

Wyger R.E. Velema, Republicans. Essays on Eighteenth-Century Dutch Political Thought Raymonde Monnier

Géraldine Lepan, Jean-Jacques Rousseau et le patriotisme Jacques Guilhaumou

Hans Erich Bödeker, Peter Friedemann, Gabriel Bonnot de Mably. Textes politiques 1751-1783 Marc Deleplace

Gabriel Bonnot de Mably, Du Gouvernement et des lois de la Pologne Marc Deleplace

Pierre-Yves Quiviger, Le principe d’immanence. Métaphysique et droit administratif chez Sieyès, avec des textes inédits de Sieyès / Emmanuel-Joseph Sieyès, Essai sur les privilèges et autres textes, introduction et édition critique de Pierre-Yves Quiviger Jacques Guilhaumou

Christine Fauré (dir.), Des Manuscrits de Sieyès, tome II, 1770-1815 Yannick Bosc

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 3

Varia

Annie Chassagne, La bibliothèque de l’Académie royale des sciences au XVIIIe siècle Isabelle Laboulais

Ursula Haskins Gonthier et Alain Sandrier (dir.), Multilinguisme et multiculturalité dans l’Europe des Lumières. Multilingualism and Multiculturalism in Enlightenment Europe Raymonde Monnier

Raphaël Rabusseau, Les neiges labiles. Une histoire culturelle des avalanches, avec Description d’une avalanche remarquable (1795) par Horace-Bénédict de Saussure, et La fabrication du savoir sur les Alpes : bibliothèque et laboratoire de la naturepar Pascal Delvaux René Favier

Patrick Clarke de Dromantin, Les réfugiés jacobites dans la France du XVIIIe siècle. L’exode de toute une noblesse pour cause de religion Éric Saunier

Thierry Bressan, Serfs et mainmortables en France au XVIIIe siècle, la fin d’un archaïsme seigneurial Guy Lemarchand

Béatrice Baumier, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792) Frédérique Pitou

Isabelle Brouard-Arends et Marie-Emmanuelle Plagnol-Dieval (dir.), Femmes éducatrices au Siècle des Lumières Martine Lapied

Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses Martine Lapied

Jean-Clément Martin, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire Martine Lapied

Edna Hindie Lemay (dir.), Dictionnaire des Législateurs (1791-1792) Jean-Pierre Jessenne

Mauricette et Michel Delaitre, Pierre Fontugne, José Guillemin, Bernard Lecerf, Micheline Leverd et Jean Relinger, Varennes. Le pouvoir change de main Justine Lepers

Serge Bianchi et Roger Dupuy (dir.), La Garde nationale entre nation et peuple en armes. Mythes et réalités, 1789-1871 Martial Gantelet

Stephen Miller, State and Society in Eighteenth-Century France.A Study of Political Power and Social Revolution in Languedoc Michel Biard

Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République Jean-Clément Martin

Graeme Fife, The Terror. The Shadow of the Guillotine: France 1792-1794 Michel Biard

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 4

Procès-verbaux de la société populaire de Crépy-en-Valois (Oise). Septembre 1793 - avril 1795, édités et présentés par Jacques Bernet Laurent Brassart

Jacques Hussenet (dir.), « Détruisez la Vendée ! » Jean-Clément Martin

Hélène Jarre, La Contre-Révolution en Haute-Loire (1789-1799). La compagnie des Ganses blanches, la Terreur blanche, le procès des Compagnons de Jésus Jean-Clément Martin

Guy Antonetti (dir.), Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique 1790-1814 Igor Moullier

Françoise Lartillot et Reiner Marcowitz (dir.), Révolution française et monde germanique Marita Gilli

Marcel Dorigny et Rachida Tlili Sellaouti (dir.), Droit des gens et relations entre les peuples dans l’espace méditerranéen autour de la Révolution française Philippe Catros

Alexandre Tchoudinov, Фpанцузская революция. История и мифы [La Révolution française. Histoire et mythes] Varoujean Poghosyan

Joost Welten, In Dienst voor Napoleons Europese droom. De verstoring van de plattelandssamenleving in Weert Annie Jourdan

Alexandre Tchoudinov (dir.), Французский ежегодник 2007 : Советская и французская историографии в зеркальном отражении. 20-е – 80-е годы ХХ в [Annuaire d’études françaises – 2007. Les historiographies soviétique et française en miroir : années 1920-1980] Varoujean Poghosyan

Vie de la société

Conseil d’administration de la SER samedi 27 octobre 2007

Conseil d’administration de la SER samedi 18 janvier 2008

Assemblée générale de la SER samedi 29 mars 2008

Rapport moral pour l’année 2007

Programme pour 2008

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 5

Articles

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 6

Pour une histoire concrète du « talent » : les sélections méritocratiques et le coup d’œil du topographe A Concrete History of “Talent”: Meritocratic Choices and a Surveyor’s Glance

Valeria Pansini

1 Le concept de mérite et sa valeur politique ont régulièrement été au centre des préoccupations des historiens de la fin de l’Ancien Régime, de la Révolution, et du Premier Empire. Les sélections dites méritocratiques, les modes de recrutement dans l’armée, l’attribution de valeur aux concepts de mérite, talent, service, ont fait l’objet de plusieurs analyses, parfois faussées par un finalisme voyant dans l’affirmation progressive de critères d’évaluation apparemment non fondés sur la naissance l’approche d’une organisation démocratique de la société et de la sélection de ses élites. Sur le chemin tracé entre autres par Guy Chaussinand-Nogaret1,

2 Jay M. Smith2 a voulu montrer que le nouveau concept de mérite, qu’il est habituel de reconnaître comme actif à la fin de l’Ancien Régime, n’est pas étranger à la noblesse. Là où Chaussinand-Nogaret avait vu une ouverture des nobles à une valeur qui leur était étrangère, Smith voit le mérite comme une valeur éminemment noble car liée à la proximité au roi. À cause entre autres de la professionnalisation croissante du second ordre, on passe d’une modalité de service établie par le regard direct du monarque, que Smith définit comme personnelle, à une modalité publique, où le regard, garant du mérite, devient aussi omni-compréhensif qu’indirect. Le règne de Louis XIV est le moment clé du changement, quand la systématisation de la modalité personnelle de service ouvre la porte à la modalité publique, et aux contradictions inévitables entre l’élargissement du regard du roi à l’ensemble de ses sujets et le mérite sanctionné par la naissance noble. Ce sont ces contradictions, et les effets négatifs qu’elles ont sur l’accomplissement du service, que les réformateurs de l’armée de la fin du XVIIIe siècle

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 7

essaient de résoudre, ouvrant ainsi la porte à une explicitation critique qui attaquera les bases mêmes de l’aristocratie et de la monarchie.

3 L’idée au centre de l’ouvrage de Jay Smith est extrêmement puissante, mais reste essentiellement construite autour du règne de Louis XIV ; les chapitres censés analyser l’idée de mérite au XVIIIe siècle se limitent à appliquer une clé d’interprétation précédemment établie. En dépit d’une vérification insuffisante sur des sources non imprimées, la grille utilisée par Smith ouvre des perspectives importantes et tente une différenciation des concepts de mérite et de talent, ce dernier étant défini comme un ensemble de capacités à mettre en œuvre dans un contexte spécifique ; l’affirmation du mot « talent » dans cette acception remonterait à la fin du XVIIe siècle.

4 D’autres travaux récents3 considèrent le concept de « talent » : John Carson4 se penche sur la correspondance entre Jefferson et Adams, et sur le talent comme discriminant idéal dans une société forcément inégalitaire mais néanmoins juste. Rafe Blaufarb5 propose une vision d’ensemble riche et utile des questions de recrutement dans l’armée entre la fin de l’Ancien Régime et le Premier Empire ; mais si l’importance de l’ouverture des carrières militaires au talent est répétée, une définition du talent en tant que valeur et en tant que catégorie effective de sélection n’est pas parmi les buts de l’ouvrage. Carson, au contraire, met la définition du concept au centre de ses efforts, mais ne dépasse pas le niveau des significations internes décelables dans les textes qu’il étudie, et des définitions de dictionnaires. Le contexte de la correspondance de Jefferson et Adams a d’ailleurs plus à voir avec la théorie politique qu’avec la pratique des recrutements et des évaluations du service, et les talents qui y sont nommés sont innés, abstraits, potentiels.

5 Il en est tout autrement pour le talent des officiers étudiés par David Bien6, dans son article inégalé sur l’armée française du XVIIIe siècle. Les réformateurs militaires de la fin de l’Ancien Régime emploient régulièrement le mot « talent » pour caractériser les officiers dont l’armée a besoin pour sortir de la crise et rétablir le niveau de service auquel elle est appelée. À l’opposé du talent il y a le manque de professionnalisme, apporté par l’argent des enfants de roturiers anoblis, et par les enfants de la haute noblesse, favorisés par leur naissance, mais mal préparés au service, et indisponibles à l’abnégation qu’il demande. Les ennemis visés par la réforme Ségur de 1781 sont magistralement identifiés, mais le questionnement s’ouvre aussi sur l’identification d’un objet plus volatil : que voulait-on dire en désignant un officier de l’armée comme homme de talent7 ? Par l’étude des textes des théoriciens et du fonctionnement de l’École militaire, David Bien peut répondre que le talent à la fin du XVIIIe siècle n’est pas une faculté innée, mais une compétence acquise au bout d’une longue pratique.

6 L’intention de ces pages est de continuer le chemin d’identification du concept de talent et de son usage par les acteurs, en abandonnant le terrain des définitions désincarnées, issues essentiellement des textes théoriques imprimés et des dictionnaires, pour reconstituer sa valeur dans la pratique du travail et du recrutement dans les armes savantes de la fin de l’Ancien Régime. Les armes savantes sont l’objet préférentiel de cette analyse, non seulement par la qualité des sources disponibles, mais par l’importance centrale qu’elles ont dans le processus de professionnalisation de l’armée, et, par conséquent, dans la formation des nouvelles élites après la fin de l’Ancien Régime. Cet article analysera en particulier le cas des ingénieurs géographes militaires, membres du corps spécialement député aux travaux topographiques. L’étude des modes de leur formation et des manuels qu’ils utilisent et écrivent révèle

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 8

l’existence d’une qualité particulièrement valorisée dans leur profil, le « coup d’œil militaire », talent spécifique du topographe. Par l’analyse du « coup d’œil » nous voulons rendre le « talent » dans sa tangibilité, en tant que compétence douée d’une forte valeur heuristique. On fera de même ensuite pour sa valeur sociologique et politique. Le « talent » est utilisé comme critère d’évaluation dans le service pour une période de temps limitée, identifiable à travers l’analyse des conflits qui entourent le concept : les bornes de cette validité, à placer approximativement entre 1760 à 1820, seront aussi les bornes chronologiques de référence de cette étude.

7 L’attention parallèle à la valeur heuristique et sociologique est une démarche issue de l’histoire des sciences qui permet, par son ouverture, de faire d’une étude apparemment très spécialisée une clé pour toucher des questions de large portée en histoire de la Révolution : l’histoire concrète du talent est une histoire de privilèges et d’égalité, de renouvellement des élites, d’institutions face à leurs crises. Elle veut être aussi, ou surtout, l’histoire d’un changement : comment, au moment où se rencontrent « le penser et l’agir » et « s’ouvrent tous les champs du possible »8, des pratiques spécifiques et encore fonctionnelles commencent à être valorisées de façon différente, et comment à toute étape de ce processus dont nous connaissons l’issue, les voies qui seront abandonnées restent ouvertes et influentes.

Apprendre à côté des anciens : les enjeux de la formation interne

8 La formation accoutumée des ingénieurs géographes sous l’Ancien Régime avait été la tradition familiale et l’apprentissage au sein de l’institution, le Dépôt général de la guerre9. Les positions étaient héréditaires, non pas officiellement, mais de fait : les enfants et neveux des topographes actifs étaient admis comme surnuméraires, ils apprenaient le métier en recevant un salaire réduit, et c’est à eux que l’on confiait les places d’ingénieur titulaire quand elles se libéraient. Il n’était donc pas rare que les jeunes aient à remplacer directement leur parent mort ou parti à la retraite, de telle façon que le revenu puisse continuer à être assuré à la famille. La formation interne était un mode reconnu, non pas une déviation, ou un archaïsme : elle concernait certainement la géométrie, le dessin, les systèmes de fortification, la pratique militaire. En 1769 J.-B. Berthier, chef des ingénieurs géographes, définit, dans un court et précieux texte10, les conditions d’admission au service actif en tant qu’ingénieur : il s’agit des termes de la vérification de la formation, plus que de ses procédés. La géométrie y a une place importante, mais les ingénieurs ne doivent connaître que « ce qu’il faut de géométrie pour être en état de déterminer géométriquement les points capitaux de toute espèce de carte »11. La phrase est orientée vers l’application des connaissances : les ingénieurs doivent être en état d’exercer une fonction ; les connaissances ne sont pas explicitées en tant que telles, mais par rapport à la capacité d’opérer qu’elles permettent d’obtenir.

9 Les années révolutionnaires voient la naissance et l’affirmation relative d’une seconde tendance en termes de formation : à côté de la formation interne au Dépôt, que l’institution en crise n’est d’ailleurs plus en mesure d’assurer, s’affirme la voie des écoles externes, l’École centrale des travaux publics d’abord, l’École polytechnique ensuite, puis l’École des géographes. Patrice Bret a bien décrit les étapes de l’affirmation de ces différentes écoles12. Dès sa naissance, l’École centrale des travaux

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 9

publics est indiquée comme le lieu de première formation des topographes militaires. Les polémiques commencent aussitôt, car au Dépôt de la guerre le droit à la formation directe des nouvelles recrues est revendiqué. L’argument principal du directeur, Calon, est la nécessité de la pratique sur le terrain, qui semble être absente de l’apprentissage du jeune ingénieur à l’École des travaux publics : après leur apprentissage théorique, ces jeunes ne seraient, selon Calon, que des « faibles écoliers sans utilité »13. En jeu dans cette compétition, on trouve la nécessité pour les ingénieurs géographes de se démarquer grâce à un savoir-faire qui leur est propre, et qu’ils peuvent revendiquer seulement dans la mesure où il est pratique, les autres armes étant théoriquement préparées aussi. La formation interne, qui semble en effet ne jamais s’arrêter totalement, reçoit une formalisation bienvenue en 1809, avec la fondation de l’École impériale des ingénieurs géographes : à ce nom de grande résonance correspond entre 1809 et 1812, une classe de quatre élèves en moyenne par an, placée au sein du Dépôt de la guerre, qui suit les enseignements donnés par des ingénieurs géographes, donc par des professeurs internes, et sous le contrôle strict d’un de ces ingénieurs, Louis Puissant, qui sera mathématicien de renom et est un topographe militaire expérimenté, ayant servi activement au Dépôt de la guerre. Plutôt qu’une école de conception toute nouvelle, l’École impériale des ingénieurs géographes semble donc être une dénomination officielle, sous laquelle les mêmes systèmes de formation traditionnelle peuvent continuer à être abrités, tout en étant considérablement enrichis par le haut profil scientifique de l’un des professeurs. Assurément, la formation interne du Dépôt se présente, pendant les années de la Révolution et du Consulat, comme un bastion de la pratique de terrain comme base de l’apprentissage du métier. Les jeunes sont encore censés apprendre à côté des anciens, et non pas seulement recevoir des cours magistraux. À côté de cette position forte, défendue comme vitale pour le service topographique dans l’armée, le modèle de l’école d’application s’affirme lentement, à travers la nécessité d’une amélioration des connaissances théoriques, surtout mathématiques, des nouveaux officiers. Ce modèle, qui s’était déjà affirmé avec plusieurs années d’avance dans les autres « armes savantes », bénéficie en fait d’un vide à remplir dans le système de formation d’un service de l’armée, la topographie, qui était resté parmi les plus traditionalistes. Le vide s’était progressivement créé quand les rythmes de la formation traditionnelle s’étaient désorganisés, tout d’abord du fait des restructurations radicales de l’époque révolutionnaire, puis en raison de la croissance démesurée du service topographique et de ses besoins sous le Consulat. D’un autre côté, les connaissances militaires, éminemment liées à la pratique, et à la pratique de la guerre, sortent du programme d’études en 1809, mais sont présentées comme fondamentales à l’accomplissement du service dans les manuels écrits par les ingénieurs au moins jusqu’à l’époque consulaire. Deux tendances s’opposent clairement dans la conception de la formation : l’une allie pratique du terrain et connaissance de la guerre, l’autre poursuit un savoir plus technique, impersonnel, et théoriquement plus ambitieux.

La topographie au cœur de la logique militaire

10 Les manuels permettent une reconstitution de l’activité scientifique des topographes militaires, mais aussi des critères et concepts qu’ils utilisent pour valoriser leur rôle. L’art de lever les plans14 publié par Dupain de Montesson en 1763 joue un rôle central dans cet espace scientifique particulier et pour la définition de notre corpus : les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 10

citations croisées montrent que cet ouvrage est considéré comme référence fondatrice dès sa publication, et qu’il reste valable jusqu’à l’époque impériale, quand il est encore couramment cité. L’horizon de validité de l’ouvrage de Dupain de Montesson, ainsi que les critères internes, les arguments traités, la structure du texte, la vision du travail topographique transmise, permettent de délimiter un corpus de textes, couvrant la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les années révolutionnaires, le Consulat et l’Empire, dans lequel un même système conceptuel est utilisé.

11 Sans surprise, la totalité des manuels concorde sur l’importance militaire de la topographie, ou mieux, sur sa nécessité absolue pour toute action de guerre, et pour toute opération de connaissance en temps de paix qui puisse être militairement utile. Les auteurs des manuels vont jusqu’à affirmer que la topographie et la science de la guerre ne sont qu’une seule et même connaissance. Cette affirmation a une double conséquence : d’un côté, le topographe devient le militaire par excellence, et le soutien indispensable du commandement ; de l’autre, on affirme l’importance de l’expérience de la guerre, et ceci plus ou moins explicitement contre la primauté des connaissances théoriques. Lacuée, général, conseiller d’État, et auteur en 1805 d’un Guide de l’officier particulier en campagne15, recommande dans son texte la connaissance de la topographie à tout officier qui veut rejoindre des grades élevés. Le même Lacuée avait présenté et défendu au Conseil d’État en 1804 un projet visant à établir une école pour les géographes militaires16. Le projet, qui ne vit pas le jour, ne mentionnait pas de privilège de l’École polytechnique (aucune priorité d’accès n’était explicitement réservée aux élèves sortant de ses premières années) et se présentait comme une relative défense de l’indépendance de la formation topographique face à la centralisation et à l’augmentation des heures de formation théorique aux dépens de la pratique dont cette centralisation était tenue pour responsable. Lacuée est nommé gouverneur de l’École polytechnique dans cette même année 1804, et accroît considérablement la part de la formation géographique et du dessin, chargeant de la tâche un ingénieur géographe recruté comme professeur externe. Son Guide de l’officier particulier en campagne, ouvrage qui se veut complet, réunissant tous les domaines qui peuvent intéresser l’officier, est aisément comparable, par sa structure et son contenu, aux manuels du XVIIIe siècle. Lacuée y affirme que la pratique du travail topographique forme la « logique militaire »17, une habitude à penser militairement, qui ne peut s’acquérir que sur des temps longs.

12 Mais quelle est la tâche réelle du topographe en temps de guerre ? Il est avant tout censé voir, remarquer, et reproduire en termes militaires. Cette fonction plurielle, qui exclut ou presque la responsabilité d’expliquer les faits et les objets qu’on reproduit, est au cœur de sa légitimité militaire autant que de sa légitimité scientifique18. Le travail idéal est donc celui qui présente des données réutilisables par le général. C’est à ce dernier que revient la responsabilité de l’action, et c’est lui qui possède le talent nécessaire pour la conduire. L’exercice du commandement à tous les niveaux, mais en particulier au sommet de la hiérarchie, rend nécessaire la connaissance du terrain, parce que les décisions qu’on est forcé de prendre doivent être fondées sur les données recueillies. L’officier auteur de la reconnaissance n’est que l’œil qui voit et assemble ce que le général seul ne saurait voir directement. Dans cette relation de communication se joue l’essentiel du rapport hiérarchique : le topographe est censé comprendre de quoi le général a besoin, non seulement selon des principes préétablis, mais selon la situation qui se présente, sans que les termes de cette nécessité lui soient

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 11

obligatoirement explicités. Le général doit pouvoir faire confiance aux données qui lui sont présentées, comme s’il en avait été lui-même le témoin. Or, la garantie de la possibilité de cette opération n’est pas dans l’objectivité de l’établissement des données, mais dans la complémentarité de deux subjectivités, c’est-à-dire dans la possibilité d’une communication préférentielle entre le responsable du commandement et donc de l’action, le général, et le responsable de la vision, le topographe19. La différenciation des talents de deux personnes est ce qui permet la préparation de la bataille, et donc l’accomplissement du service. Au centre de la logique commune qui permet la communication il y a la notion de « coup d’œil », difficile à cerner, mais absolument omniprésente. Pierre de Bourcet établit une différence explicite entre le coup d’œil de prévoyance, qui est celui que le topographe exerce quand il imagine le déroulement de la bataille dans le terrain qu’il reconnaît, et le coup d’œil d’action qui est nécessaire au général en bataille, pour en percevoir toutes les phases et savoir faire agir ses troupes. Le coup d’œil de prévoyance du topographe est une manière de percevoir le terrain dans un moment déterminé, et se borne à connaître et faire connaître ; le coup d’œil du général perçoit une situation dans la durée et sert de base à la conduite d’une action. La différenciation des deux tâches est donc plus complexe : il ne s’agit pas seulement de la vision pure d’un côté, et du commandement de l’autre, mais d’une responsabilité perceptive et spéculative partagée et différenciée. L’application de ces regards militaires est le fruit de réflexions compliquées, réunissant plusieurs capacités : « Il faut voir [le terrain] en géomètre pour en évaluer l’étendue ; il faut le voir en tacticien pour y appliquer les mouvemens d’une armée […] ; il faut le voir en mécanicien pour y découvrir à propos la possibilité de créer ou d’anéantir des obstacles »20.

13 Cette réunion de savoir-faire différents est ce qui définit la façon militaire de penser, et le coup d’œil militaire. Or, la complexité de la définition et la réunion de savoir-faire rares et différents, sont deux des visages de la stratégie des topographes auteurs des manuels pour s’approprier la qualité du « coup d’œil » et limiter en même temps les possibilités de son acquisition. Le coup d’œil militaire, qu’il s’agisse de celui du général ou de celui du topographe, n’est pas donné à tout le monde. « Le dessin est d’autant plus utile que tout le monde n’a pas la mémoire locale : elle est innée chez les uns, les autres l’acquièrent par une grande pratique ; mais le plus grand nombre n’a pas cette qualité et ne peut l’acquérir ; car la pratique seule, sans quelques dispositions naturelles, ne la donne point »21.

14 Qu’on réduise les capacités nécessaires à une mémoire du terrain, comme ici Bourcet, ou qu’on les associe plus directement à des vertus militaires, comme le fait d’imaginer rapidement les possibilités d’évolution d’une armée donnée dans une zone reconnue, les textes s’accordent à définir leur rareté. Le topographe est quelqu’un qui, plus ou moins aidé par une disposition naturelle, a acquis, grâce à des longues années d’usage et d’entraînement, la capacité d’accomplir un travail difficile. Les gens capables de ceci sont rares, et précieux à l’armée, car leur travail est absolument nécessaire. Le discours sur la rareté et la nécessité de cette capacité fonde le statut du topographe militaire. La connaissance des mathématiques est donc loin d’avoir le rôle principal dans la légitimité militaire et scientifique du topographe. En 1803, dans l’organe d’information du Dépôt de la guerre, le Mémorial topographique et militaire, le capitaine Allent avait souligné : « Il ne s’agit pas ici d’expliquer les phénomènes, mais de les remarquer ; de se livrer à des études de théorie, mais de se rendre familières quelques notions simples,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 12

positives, et de pratique ; d’approfondir quelques sciences, mais de connaître leurs résultats, et de les appliquer à la guerre »22.

15 À une époque où les discussions sur les priorités dans la formation étaient déjà engagées, et où les projets d’écoles concurrentes continuaient d’être présentés, le Dépôt réaffirmait ses exigences : l’institution devait pouvoir recruter des hommes avec de bonnes bases en mathématiques et en dessin, mais capables surtout d’appliquer ces connaissances à la guerre. L’ingénieur géographe doit clairement être un militaire bien avant d’être un mathématicien.

Talent inné, talent acquis, talent nécessaire

16 Le coup d’œil est donc un concept central, parce que nécessaire à l’accomplissement du travail, et d’acquisition suffisamment difficile pour être aisément contrôlable. Mais le talent et le coup d’œil sont-ils la même chose ? Si l’on revoit à quelles données le mot « talent » est associé dans les sources, on attribue les occurrences à deux groupes de référence, le spatial et le militaire. Le premier groupe réunit les qualités qui marquent une certaine sensibilité à l’espace et à sa perception. On y trouve le talent qui est « mémoire locale », selon l’expression de Bourcet ; proche de la mémoire visuelle et du sens de l’orientation, ce talent permet de mémoriser rapidement un terrain. Dans ce groupe, il y a aussi les talents qui sont en relation directe avec le sens de la vue, et les techniques visuelles dont le topographe se sert pour entraîner son sens et en faire un instrument de travail optimal. Le regard est en même temps dressé et doué pour chercher les régularités, transformer et traduire la réalité dans un système de signes nécessaire au traitement de ces informations par d’autres personnes. Grâce au talent spécifiquement militaire dit de « prévoyance », l’officier peut imaginer les mouvements de l’armée sur le terrain : mais les caractéristiques de chaque arme, presque de chaque pièce d’artillerie doivent être connues, et l’officier doit savoir lire obstacles et avantages, arriver à les quantifier, en termes d’heures de résistance d’une position, de nombre d’hommes nécessaires, de temps de déplacements, ou de portée des coups. L’apprentissage et l’usage, encore une fois, sont les seuls moyens d’acquérir ces connaissances. Pour que sa prédisposition puisse être correctement exploitée, le topographe doit donc connaître l’armée par l’étude et l’expérience de la guerre, comme il doit connaître le terrain par sa vue et sa mémoire locale. Disposition innée et usage acquis sont liés de façon inséparable, pour constituer un talent auquel les auteurs topographes militaires donnent le nom de coup d’œil. À la fin du XVIIIe siècle, et au moins dans le discours militaire, le talent est un concept mixte : il désigne en même temps des connaissances acquises et les dispositions naturelles nécessaires pour les acquérir. La signification identifiée par Bien est valable mais ne subsiste pas de façon indépendante.

17 Les talents sont des objets codifiés : en y faisant référence, on indique ce qui permet à la personne qui en est dépositaire d’assurer une fonction spécifique de façon efficace23. La description des caractéristiques du talent n’est pas nécessaire, car c’est la capacité d’accomplir la tâche qui le décrit. La définition de talent est donc une donnée utilisable, car on sait de quels hommes on dispose quand on connaît leurs talents : méthodes, entraînement, apprentissage sont pensés comme étant « solidifiés » autour d’une personne. Seule la personne du topographe peut réunir ce mélange de prédispositions, forcément individuelles : éducation, formation, connaissances, usages. Il s’ensuit

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 13

qu’aucune « rationalisation » ou « dépersonnalisation » n’est possible aussi longtemps qu’un tel concept reste la base de l’évaluation des ressources humaines. Le talent n’est pas reproductible à la demande. Des personnes l’incarnent, et ces personnes seules peuvent le transmettre. Toutefois, si l’échelle sur laquelle la capacité se fonde est personnelle, jamais elle n’est liée à une personne précise, sauf en cas d’excellence extrême. Dans les autres cas, le topographe est porteur d’un savoir-faire qui, tout en n’étant pas séparable de sa personne, est censé être le même que pour d’autres individus également préparés, le travail à faire étant lui aussi le même. La possibilité d’actualisation d’un travail précis reste construite à une échelle personnelle anonyme, ce qui signifie que la personne qui cristallise le talent est la vraie et seule garantie que le travail pourra être accompli. Les sources, ne discutent pas du parfait travail topographique, mais dressent le portrait du parfait topographe. En définissant les sujets aptes au service, ce concept mixte de talent assume une portée sociale forte. Dans l’armée, il s’affirme dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, au moment même où s’affiche une recherche de plus de compétence et de professionnalisation ; il résiste parfois comme seul critère légitime de sélection dans les années révolutionnaires et impériales, mais succombe, nous allons maintenant le montrer, à la régularisation de la Restauration.

Comment se passer du talent ?

18 Les années 1820 et suivantes voient l’accomplissement d’un changement dans les modes de la formation militaire et topographique, dont les prodromes se situent dans la période consulaire et impériale, et qui devient évident dans les formes éditoriales. Nous ne trouvons plus de manuels proprement dits, comme ceux auxquels on était habitué jusqu’à l’Empire : format portatif, division en chapitres correspondant chacun à un problème pratique spécifique, et qui détaillent la « manière de faire ». Les textes qui enseignent la topographie militaire dans les années 1820 et 1830 sont des bases plus ou moins développées pour des cours collectifs. Nos exemples seront les ouvrages de Clerc (1833)24 et Duhousset

19 (1824)25. Bien qu’adressés à des publics différents (les élèves de Clerc se préparent à être ingénieurs, alors que les élèves de Duhousset seront des officiers non spécialisés), les deux cours publiés sont spécifiquement topographiques. Duhousset est un lieutenant ingénieur géographe ; Clerc, qui tient son cours presque dix ans plus tard, est un lieutenant-colonel à la retraite. Dans des conditions différentes, leur fonction est commune : ils sont ou sont devenus des enseignants. Leur but est d’enseigner une technique spécifique à un groupe d’étudiants qu’on suppose uniforme. Le moyen pour y arriver est d’établir des règles de méthode, et de faire en sorte que les élèves puissent les mettre à exécution correctement. Duhousset dit explicitement que le but est de rendre facile l’usage des observations, des signes, et des instruments pour le plus grand nombre possible d’élèves. Pour y parvenir, il choisit de s’adresser à leur raisonnement plutôt qu’à leur dextérité. Le but n’est donc plus celui de former quelqu’un qui puisse être le parfait topographe, mais d’élargir les connaissances au plus grand nombre d’élèves possible. C’est pour cela que Duhousset affiche la volonté précise d’adresser l’enseignement à ce que les élèves ont de commun : le raisonnement au sens de faculté fondamentale, précédant toute manière de raisonner spécifique apprise. Au lieu d’aider par l’entraînement les qualités spécifiques et innées des jeunes aspirants ingénieurs, et

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 14

de chercher à repérer les plus doués par des exercices, comme le faisait Bourcet, Duhousset choisit d’adapter son enseignement aux modalités élémentaires selon lesquelles ses étudiants ont déjà naturellement appris à penser. Bourcet ou Dupain de Montesson enseignaient par la pratique une nouvelle manière de penser, une nouvelle logique, où les principes militaires et l’adaptation à la façon de voir du commandant étaient placés au centre. Duhousset utilise les mécanismes mentaux, qu’on imagine normaux, des élèves auxquels il s’adresse et qu’il prépare par des procédés essentiellement mathématiques. Toute référence au talent comme condition sine qua non du travail topographique est éliminée du texte. L’idée de la pratique comme moyen pour apprendre à penser militairement, comme apprentissage d’un art, est absente, tant du texte de Duhousset, que de celui de Clerc. « On conçoit […] la possibilité d’employer pour caractères fondamentaux de l’écriture topographique ceux pratiqués dans les considérations géométriques ; et par conséquent on parviendra à faire de l’art de la topographie une simple application de la trigonométrie et de la géométrie descriptive »26.

20 Rien d’autre qu’une application, donc, en tant que telle réalisable par toute personne qui en connaît les principes. On ne peut attribuer les choix de Duhousset au souci de former un public de non spécialistes : en effet, les manuels du XVIIIe siècle étaient aussi conçus et écrits par les ingénieurs pour permettre aux officiers qui n’étaient pas spécialistes d’acquérir un regard topographique, considéré indispensable au commandement. La comparaison est donc possible : le contraste qu’elle met en évidence, non seulement avec les manuels d’Ancien Régime, mais aussi avec le texte d’Allent, publié en 1803, est si brutal qu’il semble être délibéré. Ce n’est pas un hasard si Duhousset commence son texte en faisant tabula rasa, en affirmant, de façon excessive, qu’il n’existe aucune œuvre complète sur la topographie.

21 Les mathématiques, que les instructions de Berthier en 1769 reléguaient au rôle de technique auxiliaire, ont pris clairement le dessus. Le conflit qui avait entouré les écoles du Dépôt de la guerre, entre les partisans de la pratique et de la logique militaire d’un côté, et ceux de l’approfondissement des connaissances théoriques et mathématiques de l’autre, a apparemment été résolu en faveur de ces derniers. Au niveau de la formation, la portée de cette évolution se vérifie sur deux points essentiels : le degré de personnalisation des connaissances, et l’élargissement des possibilités d’apprentissage. Les mathématiques ne sont liées à personne, et sont en principe accessibles à tous. On se réfère aux mathématiques théoriques devenues le cœur de la formation topographique en 1824, et certainement pas au savoir mathématique qui faisait partie du savoir-faire de l’ingénieur géographe à la fin du XVIIIe siècle, impossible à séparer des autres composantes. Les connaissances mathématiques sont maintenant isolées, précédant, dans la logique et dans le temps de l’apprentissage, leur application topographique. C’est exactement cette autonomie, et cet ordre de priorité, qui étaient impossibles au XVIIIe siècle. Une fois la personnalisation des savoirs volontairement cassée, les possibilités d’apprentissage s’élargissent. Le changement qu’on voit à l’œuvre dans les textes formatifs atteste l’affirmation définitive de la structure par écoles de l’enseignement militaire, mais aussi un glissement dans les concepts qui rendent possible l’activité scientifique. Le talent n’est plus la ressource essentielle, mais plutôt l’écueil à éviter : l’intention explicite de Clerc et de Duhousset est celle de détacher la possibilité du travail de la personne qui le met en œuvre, et de le faire reposer au contraire sur une base de type

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 15

disciplinaire. C’est ainsi que le travail peut être décomposé, interrompu, repris, et qu’on pense pouvoir, enfin, se passer du talent.

Talent et mérite : aristocratiques ou égalitaires ?

22 L’effet de changement radical émanant des textes de Clerc et Duhousset est augmenté par leur haut niveau d’explicitation : la volonté de rupture est encore plus forte que la rupture réelle, pourtant indiscutable. Mais ces mêmes aboutissements étaient loin d’être évidents dans les années révolutionnaires et napoléoniennes, quand la question des critères de recrutement devenait fondamentale pour une société qui se voulait égalitaire, mais qui nécessitait rapidement les services des meilleurs. C’est d’ailleurs sous la Révolution que deux concepts fondamentaux pour le recrutement, le talent et le mérite finissent par rentrer en collision27. Ces deux termes ayant une connotation positive, ils sont souvent énoncés ensemble dans les sources, par exemple quand l’on souhaite que les officiers de l’armée soient doués des deux. Ils demeurent néanmoins différents, et l’imprécision dans leur usage est souvent porteuse de confusion. Il est vrai que le mérite28, comme le talent, est affecté par l’éducation : l’Essai sur le vrai mérite de l’officier29 de Desrivières, est, sous un tel titre, un texte essentiellement consacré à l’éducation du militaire. On y affirme que, si tout gentilhomme est né pour les armes, tous ne possèdent pas la même bravoure, et l’armée ne devrait recruter que les meilleurs. Un jeune noble est comme une pierre précieuse : son éducation doit faire ressortir son mérite comme le lapidaire fait ressortir la beauté des diamants et des rubis. Pour Desrivières le mérite n’est que noble, mais d’autres essais30bien plus critiques envers les privilèges de l’aristocratie partagent avec lui un langage commun et une commune affirmation : le jeune et bon militaire est une matière première de qualité qui, formée par l’éducation ou l’entraînement, rentre dans le domaine de l’excellence.

23 Les deux concepts, talent et mérite, sont construits de façon parallèle, mais à une notable exception près : le mérite doit continuellement être défini par rapport au sang, qu’on le lie presque exclusivement au nom, ou que l’on critique cette limitation. Le lien entre la noblesse et le mérite étant établi au niveau du principe, sa négation requiert une argumentation polémique. Le talent, par contre, n’est pas défini par la noblesse du sang. Il pourrait s’agir d’une simple omission : le talent est apanage des officiers, et les officiers sous l’Ancien Régime sont majoritairement nobles. L’hypothèse qu’on choisit de soutenir est pourtant différente : le mérite se lie à la noblesse par le fait d’être une qualité essentiellement morale, tandis que le talent reste une donnée technique et presque mesurable. Le mérite se fonde sur naissance et éducation, mais il est aussi valeur, courage, abnégation, expérience, ancienneté de service. L’expression « officier de mérite », réservée aux roturiers qui ont réussi à s’élever dans les rangs de l’armée, semble marquer une exception plus qu’un monopole : on nomme ainsi ces militaires, car c’est en eux que le mérite s’est exceptionnellement manifesté en dehors de ses sentiers habituels. Qu’il soit lié au sang noble ou pas, le mérite est une qualité morale publique, car directement liée au service du roi.

24 Dans les années révolutionnaires le conflit entre talent et mérite devient explicite, tout en n’étant pas nouveau : subreptice dans les réformes de l’armée de la fin de l’Ancien Régime, il s’était déjà déclenché dans les corps techniques, ainsi que dans les pays où le choix technocratique dans l’armée avait été plus net qu’en France. Dans les États du roi

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 16

de Sardaigne, par exemple, le choix de valoriser les compétences techniques des jeunes officiers avait amené une confrontation assez nette avec l’ancienne aristocratie31. Le règlement du corps d’artillerie rédigé par Papacino d’Antoni en 1764, cité par Vincenzo Ferrone, est clair : « Les études durent sept ans et une fois terminées, tous les cadets qui ont survécu à l’épreuve sont nommés officiers et promus à différents grades en fonction de leur talent et de leurs acquisitions sans aucune référence à l’ancienneté de service »32.

25 Ce que Ferrone, par manque de définition des termes, continue d’appeler un « choix méritocratique », est en effet la victoire décrétée du talent sur le mérite, de la capacité acquise sur l’ancienneté personnelle de service, et sur la noblesse du sang qui atteste du mérite accumulé par la famille.

26 Le talent n’est ni révolutionnaire, ni démocratique : le système peut très bien continuer à se reproduire tout en choisissant de lui donner la priorité. En France, le conflit éclate avec beaucoup plus de force quand les voies normales de reproduction du système se cassent. Le recrutement aux postes d’officiers massivement laissés vacants par la noblesse doit avoir une approche égalitaire33. Or, au lendemain de la Révolution, quand la formation des militaires actifs a forcément été faite sous l’Ancien Régime, avec les règles d’accès à cette formation propre à l’Ancien Régime, le seul critère qui peut être considéré comme égalitaire est l’ancienneté de service, le mérite des non-nobles. Les exigences du fonctionnement de l’armée demandent pourtant des jeunes officiers capables et instruits. Le mérite et le talent deviennent clairement identifiables avec deux formes de recrutement, par ancienneté et par concours, et deux groupes : d’un côté les vieux soldats, méritants, de l’autre les jeunes qui ont appris.

27 Dans le monde restreint mais significatif de la topographie militaire, l’adoption d’une nouvelle synthèse semble pouvoir être située dans les années 1820, mais au moment le plus confus du changement, l’époque consulaire et impériale, deux systèmes basés sur des concepts potentiellement conflictuels coexistent et définissent les modes du travail scientifique. Talent et mérite avaient été employés dans le milieu de la topographie militaire d’Ancien Régime comme justifications du caractère héréditaire de la transmission du travail et du « droit au service ». Les enfants succédaient à leurs parents, et les prises de service étaient parfois très précoces : Louis Alexandre Berthier, le futur ministre de la Guerre de Napoléon, entre comme ingénieur géographe sous les ordres de son père en 1766 : il a treize ans. Le talent lié à la pratique et aux prédispositions et le mérite lié au sang étaient plus faciles à avoir quand on avait grandi dans une famille d’ingénieurs. La naissance dans une famille de militaires apportait des avantages nets pour la carrière dans l’armée, et encore plus dans l’armée de la fin de l’Ancien Régime. L’opinion est répandue : les fils de soldats sont les meilleurs soldats. Ceci est valable dans les grandes dynasties de noblesse militaire, comme dans les familles de petite noblesse, ou même roturières, qui assurent durablement le service, normalement dans une même arme, sur plusieurs générations. S’il reste très difficile d’estimer réellement le pourcentage des roturiers parmi les officiers, il est évident que les armes savantes, et en particulier le Génie, où le nombre d’officiers permet une comparaison fiable avec les autres armes, constituent un cas limite du système de fonctionnement. C’est dans les armes savantes que l’on trouve plus de la moitié des roturiers anoblis par le fait d’avoir accédé à un haut grade ; c’est dans le Génie que l’on émigre le moins une fois la Révolution commencée. Ces traces laissent penser que c’était bien dans les armes savantes que se trouvaient la plupart des familles roturières traditionnellement au service du roi dans l’armée : une professionnalisation plus claire

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 17

et une nécessité évidente de compétences techniques jouaient en leur faveur. Ces familles ne sont pas simplement tolérées, elles ne constituent pas une exception : le respect dont elles jouissent est très fort, et le mérite dont elles sont porteuses est reconnu. Loin de les exclure, la réforme qu’on a lue comme une « réaction aristocratique », et qui a lieu à la fin de l’Ancien Régime, veut en faire le noyau dur de l’armée. David Bien a montré34 que le règlement Ségur de 1781, principal « accusé » de réaction aristocratique, n’est pas conçu pour fermer l’accès au grade aux roturiers : au contraire, en réglementant les nouvelles entrées, il conserve par voie d’exception les privilèges des familles non nécessairement nobles qui servaient depuis longtemps dans l’armée, l’ancienneté de service de la famille valant comme substitut de l’ancienneté de noblesse. Les membres des familles roturières de tradition militaire avaient d’ailleurs souvent pu obtenir leurs lettres de noblesse, grâce à trois générations de service35. La « réaction aristocratique » apparaît surtout comme une réaction militaire, une fermeture de l’armée contre tout ce qui lui est extérieur. Les familles de tradition militaire, où l’environnement a été dès l’origine favorable à la formation selon les bons principes, sont le modèle de référence d’un processus conscient de professionnalisation.

28 Le talent, tout en étant un concept technique, était bien sûr jugé « héréditaire » : la famille et la formation précoce garantissaient la transmission du savoir-faire. À treize ans, Louis-Alexandre Berthier, membre du plus important clan36 de topographes militaires du XVIIIe siècle, pouvait déjà être considéré capable d’accomplir un travail en tant qu’ingénieur. Il ne s’agissait pas de simple favoritisme, d’autant que la place d’ingénieur géographe était loin d’être la plus convoitée de l’armée. S’il a été nommé, c’est parce qu’on le considérait apte au travail, et si on le considérait apte au travail c’est parce qu’il avait eu les conditions pour acquérir cette aptitude. Les implications politiques de l’insistance des ingénieurs géographes sur les exigences de leur tâche sont à nouveau évidentes : le talent est déclaré nécessaire, mais les conditions de possibilité d’acquisition de ce talent sont strictes, et particulièrement favorables à la reproduction du système de travail et à la transmission des charges à l’intérieur des mêmes familles. En affirmant cela, on ne vide pas le mot « talent » de sa valeur heuristique et de la réalité de son application permanente, mais on l’ancre socialement, en soulignant son rôle en tant que moyen de contrôle utilisé par un groupe. À la fin du XVIIIe siècle, le système et son mode de renouvellement sont solidement établis, et ne semblent pas poser de questions : à l’intérieur du groupe, on assure la reproduction du talent, et celle du service du roi par conséquent. Quelques familles garantissent une compétence nécessaire et rare, elles sont donc indispensables au service.

29 Les critères de méritocratie qu’on a cru pouvoir lire dans les écoles révolutionnaires semblent radicalement différents : l’égalité des chances de manifester son propre mérite, indépendamment de sa naissance, est supposée être le fondement du système, et elle serait garantie par une évaluation objective du mérite établie à travers les mathématiques. En face de cette hypothèse courante37, nous plaçons la lecture des oppositions aux grandes écoles, et en particulier à l’École polytechnique. Au mois de vendémiaire an VIII (septembre 1799) Thomas38, député de la Marne, prononce au Conseil des Cinq-Cents un discours très dur contre l’École, considérée comme inutile, dangereuse, et inégalitaire. Elle est inégalitaire parce que les élèves ne sont pas suffisamment payés, et qu’ils doivent nécessairement être aidés par leurs parents ; seules les familles aisées peuvent le faire. Elle l’est aussi parce qu’elle est centralisée : on attire les meilleurs à Paris, on augmente donc les dépenses des parents, et l’on prive

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 18

la province de ses meilleurs éléments. Elle est inutile et dangereuse, parce qu’elle est un luxe : la formation assurée à Polytechnique devrait l’être dans les écoles centrales des départements. Si le niveau est différent, la solution doit être d’améliorer celui des écoles départementales. Il ne serait naturellement pas possible d’avoir des professeurs d’un niveau comparable à ceux des écoles parisiennes dans tous les départements, mais il n’est pas non plus nécessaire d’avoir comme enseignant le plus grand mathématicien du siècle pour apprendre les mathématiques nécessaires au service. Ce que Thomas conteste est effectivement la totalité du système qui est organisé autour de l’École polytechnique, qu’il décrit ainsi : des candidats au statut d’élèves, préparés en mathématiques, se présentent à l’examen d’admission ; quelques-uns sont admis, entretenus pendant deux ou trois ans, après quoi ils se soumettent à un autre examen pour rentrer dans une école d’application. Or, seules les écoles d’application sont réellement utiles au service. L’École polytechnique n’est qu’une coûteuse et inutile préparation, rendue moins efficace par l’excessive concentration, qui fait que beaucoup de candidats faibles et encore complètement inaptes se présentent aux examens des écoles d’application. Les résultats des examens d’entrée à l’école de l’artillerie à Châlons, qui conserve encore une école d’élèves39, le démontrent : les élèves internes réussissent bien mieux que les polytechniciens, parce que ces derniers sont mal préparés. La suppression des écoles d’élèves, opérée dans le souhait de tout centraliser, diffuse la mauvaise préparation, parce qu’elle retarde le moment où l’on commence réellement à apprendre les choses nécessaires au service.

30 On reconnaît sans peine dans le discours de Thomas les arguments utilisés par les directeurs du Dépôt de la guerre contre les filières de formations extérieures. Les « faibles écoliers sans utilité » de Calon, sans expérience et sans pratique, sont les mêmes jeunes polytechniciens mal préparés que dénonce Thomas. La qualité de l’enseignement interne, dès le début inséré dans le service, topographique ou d’artillerie, est constamment évoquée en comparaison avec la préparation formelle des jeunes polytechniciens. Les points centraux de critique sont au nombre de trois, strictement liés entre eux : la centralisation, la dépersonnalisation, l’inégalité. Dépersonnalisation et centralisation semblent aller de pair : les deux années à Polytechnique, qui réunissent tous les jeunes qui serviront dans l’armée après les écoles d’application, garantissent en quelque sorte la même préparation à toutes les nouvelles recrues. Mais la protestation n’est-elle pas motivée par l’uniformité même de l’enseignement ? C’est justement parce qu’elle est pareille pour tous que la préparation n’est pas adaptée. D’ailleurs, en dépit de l’uniformité et de la dépersonnalisation, l’accusation d’inégalité subsiste, et se précise : les chances de rentrer à Polytechnique ne sont pas les mêmes pour tous, et la centralisation est l’ennemi de l’égalité.

31 Le réel problème sur lequel le conflit se durcit n’est pourtant pas l’égalité des chances, mais plutôt la manière de produire des élites capables de servir la Nation comme elles servaient auparavant le roi. D’un côté la solution proposée est celle d’un nombre plus important d’écoles, distribuées plus régulièrement sur le territoire national, et le maintien des sections d’élèves internes dans les écoles d’application, où les jeunes recrues pourront acquérir dès les premières années, dans de petits groupes, et sous l’enseignement de praticiens des connaissances plus proches du service qu’ils devront rendre. Dans l’autre cas, la formation d’une élite passe par la sélection d’un groupe soudé, élevé ensemble, qui sera uniformément et plutôt théoriquement formé, et morcelé seulement au moment d’apprendre les applications au service des connaissances préalablement acquises. La garantie de la capacité de service est le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 19

curriculum pratique de l’individu dans le premier cas, l’uniformité de l’enseignement reçu dans l’autre. Du point de vue de l’égalité, la première proposition, celle de Thomas et de Calon, élargit le cercle de ceux qui peuvent être appelés au service, tout en rejetant fortement l’uniformisation de leur préparation ; la deuxième position trouve la garantie du projet égalitaire dans les critères de sélection du groupe qui, après une formation régulière, mérite de servir la Nation.

32 Dans les deux cas de figure, les mathématiques, bien avant d’être une forme objective d’évaluation du mérite, sont une nécessité technique primaire pour assurer les fonctions demandées : que l’on apprenne par l’application, ou que l’on commence par l’apprentissage théorique, il s’agit de ce que tous doivent apprendre. Et face à une classe entière, destinée à être formée pour être l’élite du service militaire, les mathématiques ont aussi l’avantage d’être ce que tous peuvent apprendre. La théorie est pareille pour tous, tandis que, comme on l’a vu dans les textes des topographes militaires, la pratique est encore considérée comme l’affaire de quelques-uns. Mais les critiques de l’École polytechnique jugent dangereux l’enseignement de la théorie seule : en décidant de se passer du talent, on finira par le disperser, et par conséquent gâcher la qualité du service, qui est essentielle à l’armée et donc à la Nation.

33 La durée de vie du concept « mixte » de talent, inné et acquis, est limitée, pour des raisons techniques et politiques. Cette étude a voulu définir ces limites par l’observation des prises de positions des acteurs et des enjeux dont elles sont porteuses40, tout en ancrant celles-ci dans la reconstitution pratique d’une compétence réelle. Le talent comme caractère exceptionnel est d’appréciation et d’utilisation difficile dans un système qui se veut égalitaire ; après la Révolution, il est implicitement destiné à être socialement perdant. Ce n’est pas l’inégalité de sa distribution qui pose problème, mais les conditions de son acquisition, trop strictement liées à l’héritage familial. Pour sa survie, le talent a le grave défaut de n’être ni aristocratique, ni démocratique, et, par son degré de personnalisation, d’être très peu adaptable à la modernisation. Pour être réellement démocratique, il faut que le talent soit considéré comme simplement inné, et donc retrouvable de façon uniforme dans toutes les familles et les classes sociales41. On sait qui l’emportera, et que cette nouvelle acception s’affirmera au point de brouiller les pistes de nos lectures d’historiens. Mais jusqu’à la fin de la période impériale, au moins, la partie est loin d’être jouée. Les partisans du « talent », si l’on peut les appeler ainsi, occupent des positions de pouvoir, et sont loin de n’être considérés que comme des conservateurs acharnés. Lacuée, partisan résolu de l’apprentissage pratique, est nommé gouverneur de l’École polytechnique en 1804, et la direction du Dépôt de la guerre est complètement acquise au discours plus conservateur. On se doit donc de considérer l’époque révolutionnaire et napoléonienne comme une situation où deux positions, deux systèmes de sens, continuent à coexister, à se superposer, et à gouverner finalement ensemble l’organisation du travail à l’intérieur de l’armée ; on se doit donc de reconstituer de façon détaillée et concrète les concepts utilisés, ainsi que les enjeux de leur usage.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 20

NOTES

1. Guy CHAUSSINAND-NOGARET, « Un aspect de la pensée nobiliaire au XVIIIe siècle : l’anti- nobilisme », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 29, 1982, p. 442-452. 2. Jay M. SMITH, The Culture of Merit. Nobility, Royal Service, and the Making of Absolute Monarchy in France, 1600-1789, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996. 3. Sans centrer son ouvrage sur le « talent », Patrice Bret l’utilise comme catégorie distinguée du mérite dans Patrice BRET, L’État, l’armée, la science, Rennes, PUR, 2002, en utilisant la référence importante d’André CORVISIER, « Hiérarchie militaire et hiérarchie sociale à la veille de la Révolution », dans Revue internationale d’histoire militaire, 30, 1970, p. 77-91. 4. John CARSON, « Differentiating a Republican Citizenry: Talents, Human Science, and Enlightenment Theories of Governance », Osiris, 17, 2002, p. 74-103. 5. Rafe BLAUFARB, The French Army 1750-1820. Careers, talent, merit, Manchester & New York, Manchester University Press, 2002. 6. David BIEN, « The Army in the French Enlightenment: Reform, Reaction, and Revolution », Past & Present, 85, 1979, p. 69-85. Du même auteur « La réaction aristocratique avant 1789 : l’exemple de l’armée », Annales ESC, 29, 1974, p. 23-48. 7. Ibid., p. 79. 8. Jean-Clément MARTIN, « Introduction générale », dans Jean-Clément MARTIN (dir.), La Révolution à l’œuvre, Rennes, PUR, 2005, p. 11. 9. Le Dépôt général de la guerre, fondé en 1691, est jusqu’au XIX e siècle, l’institution militaire députée à la production et à la conservation du matériel topographique. Le groupe des ingénieurs géographes y est rattaché en 1744. 10. Jean-Baptiste BERTHIER, Ingénieurs géographes. Conditions pour être admis, BNF, Département des cartes et plans, Ge FF 13 292. 11. Jean-Baptiste BERTHIER, op. cit., p. 1. 12. Patrice BRET, « Le Dépôt général de la guerre et la formation scientifique des ingénieurs- géographes militaires en France (1789-1830) », Annals of Science, 48 (2), 1991, p. 113-157. 13. CALON, Observations à la Convention nationale sur le projet d’établissement d’une école centrale des travaux publics, Paris, Imprimerie Nationale, 7 vendémiaire an III. 14. DUPAIN DE MONTESSON, L’art de lever les plans de tout ce qui a rapport avec la guerre, & à l’architecture civile et champêtre, Paris, Jombert, 1763. 15. Jean-Gérard LACUÉE, Guide de l’officier particulier en campagne, Paris, Barrois, an XIII [1805]. 16. Voir Patrice BRET, op. cit., p. 134. 17. Jean-Gérard LACUÉE, op. cit., p. 220. 18. Voir Pierre de BOURCET, « Mémoire sur les reconnaissances militaires », Journal de la librairie militaire, 1875-1876, p. 1-102. Le mémoire, très influent, a été écrit dans les années 1750 et a abondamment circulé comme manuscrit. 19. J’ai analysé plus en détail cette communication et ses implications dans Valeria PANSINI, « Pratique de la description militaire. L’exemple des topographes de l’armée française (1760-1820) », dans G. BLUNDO et J-P. O. de SARDAN (dir.), Pratiques de la description, Paris, EHESS, collection « Enquête », 2003. 20. J.-J. VERKAVEN, L’art de lever les plans, appliqué à tout ce qui a rapport à la guerre, à la navigation, et à l’architecture civile et rurale, Paris, Barrois, 1811 [2e éd.], p. 233. 21. Pierre de BOURCET, op. cit., p. 2. 22. A. ALLENT, « Essai sur les reconnaissances militaires », Mémorial Topographique et militaire, n° 4, IIe Trimestre, An XI [1803], p. 185-186.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 21

23. Picon est confronté au concept de talent pour les architectes de la fin du XVIIIe siècle, et met en évidence le fait que le talent correspond à l’application basique des règles : à un niveau donc certainement peu élaboré, mais essentiel. Voir Antoine PICON, Architectes et ingénieurs au siècle des Lumières, Marseille, Parenthèses 1988, p. 90-91. 24. Antoine CLERC, Cours des éléments de la pratique des levers topographiques à l’usage des élèves de l’École d’application de l’artillerie et du génie, Lithographie de l’École d’Application, 1833. 25. F.C. DUHOUSSET, Mémoire topographique faisant partie des leçons données à l’École royale spéciale militaire en 1824, Paris, Migneret, 1824. 26. F.C. DUHOUSSET, op. cit., p. 6. 27. Pour les conflits sur l’avancement et le recrutement des officiers, à relire dans les termes de l’asymétrie entre talent et mérite, voir Rafe BLAUFARB, op. cit., 2002, et avant lui Jean-Paul BERTAUD , « Le recrutement et l’avancement des officiers de la Révolution », AHRF, 210 (1972), p. 513-36. 28. Nous renvoyons à l’ouvrage cité de Jay Smith et à ses références pour une analyse plus développée du concept de mérite. 29. Ferdinand DESRIVIÈRES, Essai sur le vrai mérite de l’officier, 1769. 30. On fait référence à deux ouvrages publiés de manière anonyme, Essai sur l’éducation d’un militaire, 1769, et Mémoire sur l’éducation et la discipline militaire, 1785, attribué à Charleval. 31. Voir Vincenzo FERRONE, « Les mécanismes de formation des élites de la maison de Savoie. Recrutement et sélection dans les écoles militaires du Piémont au XVIIIe siècle », dans Dominique JULIA (éd.), Aux sources de la compétence professionnelle. Critères scolaires et classements sociaux dans les carrières intellectuelles en Europe. XVIIe– XIXesiècles, dans Paedagogica Historica, XXX, 1, 1994, p. 341-370. 32. Papacino D’ANTONI, Sistema del corpo dell’Artiglieria, 1764, cité et traduit par Vincenzo FERRONE, op. cit., p. 354. 33. Voir Jean-Paul BERTAUD, op. cit. 34. David BIEN, op. cit., 1979. Blaufarb et Smith ont plus récemment repris et enrichi cette analyse. 35. Voir Édit du roi portant création d’une noblesse militaire. Donné à Fontainebleau au mois de novembre 1750, avec la déclaration du roi en interprétation du même édit, donnée à Versailles le 22 janvier 1752, Paris, Imprimerie royale, 1752. 36. La mère d’Alexandre Berthier, Marie Françoise Lhuillier de la Serre, est épouse, mère, fille et sœur d’ingénieur géographe : son père prêtait service dans le corps, son mari le dirigera, son frère fera partie en tant que topographe de l’expédition de Bougainville, et ses trois fils rentreront très tôt au Dépôt de la guerre : Léopold, le cadet, n’a que 10 ans quand il accompagne Louis-Alexandre en Amérique, et signe avec lui des cartes de la guerre d’Indépendance. 37. Voir entre autres : Janis LANGINS, « The École polytechnique and the : merit, militarization, and mathematics », Llull, 13, 1990, p. 91-10; J.-P. CALLOT, Histoire de l’École polytechnique, Paris, Charles-Lavauzelle, 1982; Ken ALDER, « French engineers become professionals, or, how Meritocracy made knowledge objective » dans CLARK-GOLINSKI-SCHAFFER (éds.), The Sciences in Enlightened Europe, Chicago University Press, 2000. Pour une analyse qui rend davantage compte de la complexité, Bruno BELHOSTE, La formation d’une technocratie, Paris, Belin, 2003. 38. Conseil des Cinq-Cents, Opinion de Thomas (de la Marne) sur le projet de Berthelemy (de la Corrèze), relatif à une nouvelle organisation de l’école polytechnique. Séance du 2 vendémiaire an VIII. 39. L’école d’élèves de Châlons, qui venait d’être supprimée au moment du discours de Thomas, était une école interne préparatoire à l’examen d’entrée à l’école d’application de l’artillerie, au même titre que Polytechnique. 40. Voir Jean-Luc CHAPPEY, « Les anti-Lumières et les oppositions intellectuelles à la Révolution », dans Jean-Clément MARTIN (dir.), La Révolution à l’œuvre, Rennes, PUR, 2005. 41. David BIEN, op. cit., 1979, p. 88.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 22

RÉSUMÉS

« Talent » est un terme couramment utilisé dans les études sur les modes de recrutement entre la fin de l’Ancien Régime et la Restauration, mais les insuffisances dans sa définition entravent son utilité comme catégorie d’analyse. Se penchant sur le monde de la topographie militaire, cet article reconstitue concrètement le savoir-faire qui y est appelé « talent », ainsi que son usage en tant que moyen de contrôle de l’accès au service. Par le biais de ce concept, une autre lecture des conflits pour les modes de formation dans les armes savantes devient possible, et les oppositions au modèle de dépersonnalisation et centralisation incarné par l’École polytechnique se clarifient.

“Talent” is the term commonly used in studies about the method of recruting between the end of the Old Regime and the Restoration. Ye t the definition of this term is not precise enough to be useful as an analytical category. This article reconstructs the expertise known as “talent” as well as its use as a means of controlling access to posts. With this concept, another interpretation of the struggle for the formation a elite is possible, and the opposition to the centralized and depersonalized Ecole Polytechnique more comprehensible.

INDEX

Mots-clés : talent, mérite, armée, topographie, ingénieurs

AUTEUR

VALERIA PANSINI Université Rennes 2, Département LEA – Campus Rennes 2 Villejean – Place du recteur Henri Le Moal – CS 24 307 – 35043 Rennes Cedex [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 23

Un groupe de pression contre- révolutionnaire : le club Massiac sous la constituante A Counterrevolutionary Pressure Group: the club of Massiac under the Constituent Assembly

Déborah Liébart

1 Lucien Leclerc1, puis Gabriel Debien2, ont mis en avant l’importance politique du mouvement colonial parisien, qui se réunissait à proximité du ministère de la Marine. Cette contiguïté leur offrait les moyens d’influencer les décisions des centres de pouvoir et en particulier le Comité colonial de l’Assemblée constituante, dans le sens des revendications des planteurs blancs de Saint-Domingue3. Plus largement, c’est tout un secteur économique fondé sur le territoire métropolitain qui, se croyant en péril, s’organise pour tenter de faire perdurer son activité. À la fin du siècle, c’est vers les bureaux de la Marine et vers les États généraux, appelés à devenir Assemblée nationale que se dirigent essentiellement les actions des populations intéressées dans l’aventure coloniale. L’idée de faire entrer une délégation coloniale au sein des États généraux naît dans l’esprit des propriétaires de biens de Saint-Domingue, présents en métropole, dont les plus emblématiques furent les membres de la Société correspondante des colons français ou Club Massiac du nom de l’hôtel particulier au sein duquel ils se réunissaient. Tous étaient de grands colons blancs ayant mis en gérance leurs biens4. Toutefois, l’Assemblée avait refusé la demande des colons blancs de représenter la population esclave et celle des libres de couleur, ce qui offrit à ces derniers l’occasion de réclamer en leur faveur une représentation.

2 La défiance populaire qu’inspiraient aux populations les différentes structures administratives pousse le Club Massiac, à se fondre dans la dynamique du mouvement révolutionnaire. Face à cette structure, la Société des amis des noirs travaille âprement. Depuis le 19 février 1788, date de sa fondation à Paris, et jusqu’à l’automne 1791, les deux sociétés s’opposent. Les Amis des noirs sont pour l’essentiel des nobles « libéraux », imprégnés de la culture des Lumières, et anglophiles, comme Condorcet,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 24

La Fayette, gens de lettres ou juristes comme Brissot, Carra et Mercier ou encore financiers d’envergure, comme Clavière, le premier président5. Plus tard on comptera parmi les membres les plus actifs Grégoire, relais énergique à la plume féconde. Le développement en France d’une telle société fait suite à la fondation d’institutions similaires, aux États-Unis6 et en Angleterre.

3 Si les origines sociales des deux groupes ne sont pas si différentes, leurs buts divergent. Tandis que les colons se battent pour maintenir en l’état la colonie, les Amis des noirs militent en faveur de l’abolition de la traite avec comme ambition sous-jacente l’abolition de l’esclavage7.

4 L’enjeu de cet article sera d’analyser les moyens et les méthodes mis en œuvre par le club, ses alliances socio-politiques, ainsi que les divergences économiques des différentes cellules constituant la société, divergences qui à terme la conduisent à sa perte. L’analyse du discours du Club Massiac et celle de la constitution de son réseau sont des points centraux de l’étude du mouvement car les deux coexistent et s’auto- entretiennent : si la structure même du réseau explique en partie le succès de la société, celle du discours permet de comprendre la réception de ses actions par les constituants et la monarchie. L’appropriation de notions telles que le « despotisme ministériel », ou la « liberté du commerce » est cruciale dans le processus d’acceptation des colons par les députés réunis à Versailles. L’utilisation de tels concepts fournit aux colons un héritage intellectuel sur lequel asseoir leur mouvement et leur permet d’être facilement identifiés par le monde extérieur. Ils s’approprient les discours économiques et politiques de leur temps et remettent sur le devant de la scène les thèses physiocrates8. La suppression du conseil supérieur du Cap, en 1787, qui avait eu pour effet de concentrer la justice à Port-au-Prince, cristallisait le mécontentement des colons planteurs qui, plus généralement, dénonçaient des « lois inadaptées » et même le Code noir9, texte consacrant pourtant la domination du maître sur son esclave10. La violence était inhérente au système colonial : dans les rapports individuels entre maître et esclaves, mais aussi dans les lois. L’arrêté fondateur du club11s’articulait autour de trois points : primo, le soulèvement des esclaves devait être assimilé à un fait d’anarchie, secundo, l’Assemblée ne devait sous aucun prétexte pouvoir influer sur les affaires de Saint-Domingue, et tertio, le gouvernement insulaire colonial devait acquérir une force qu’il ne possédait pas jusqu’alors. Les colons redoutaient les « hésitations » des administrateurs du gouvernement et notaient leur méfiance vis-à-vis de ceux qu’ils qualifiaient d’agents du « despotisme ministériel »12.

5 Les colons blancs de Saint-Domingue étaient d’autant plus opposés aux pouvoirs indéfinis des gouverneurs, depuis la suppression des assemblées et conseils coloniaux. Leur entrée au sein de l’Assemblée fi t d’eux des alliés puissants des députés contestant l’omnipotence du pouvoir royal. Cette remise en question assimile au roi ses représentants locaux : intendants de province et gouverneurs coloniaux. Ces derniers représentaient l’incarnation du « despotisme ministériel » dans les colonies, car leur rôle était de veiller au maintien de l’exclusif, fortement contesté par les planteurs qui parallèlement dénonçaient les ordonnances de 1784-1785, donnant à l’administration des pouvoirs de contrôle sur les biens des colons absentéistes, mesure qui touchait directement les membres du club13. La dénonciation de l’ordre despotique était encore en place lorsque la société et les colons du nord de Saint-Domingue, par la voix de Gouy d’Arsy, accusèrent en 1790 le ministre de la Marine La Luzerne14 : « Il a plus que perdu notre confiance, IL EST NOTRE ENNEMI15 : tyran d’autant plus dangereux, qu’il semble n’être venu à Saint-Domingue que pour nous nuire, […], on

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 25

ne le voit occupé que du soin de la PRESSURER, de la TOURMENTER et de la retenir plus fortement que jamais sous l’empire du DESPOTISME ministériel, lorsque toutes les provinces de France ont eu la chance de s’en affranchir »16.

6 Tant sur le plan économique que politique, le club fi t sienne la formule libérale gournaysienne du « laissez faire – laissez passer ». Cette appropriation discursive permit aux colons contre-révolutionnaires de se faire accepter par les révolutionnaires et de prêter avec eux le serment du jeu de Paume.

Le premier réseau Massiac (été 1789-13 mai 1791)

7 Derrière ce terme rigide de « réseau » se cache en fait la mise en place de deux unités. Schématiquement, on distingue deux phases : la première, courant de l’époque de formation à l’adoption des décrets du 8 mars 1790 et du 13 mai 1791, scelle l’alliance négociants/colons parisiens et la seconde, débutant réellement en janvier 1791 et prenant fin avec le décret du 24 septembre de la même année établit la collaboration colons parisiens/colons insulaires. Cette dissociation des deux phases mérite en soi que l’on s’y attarde car elle ressort clairement des sources archivistiques : on y voit en premier lieu un niveau légal usant de méthodes révolutionnaires classiques : pétitions, mémoires, adresses envoyés aux différents organes politico-économiques du royaume et dans un second temps, un niveau beaucoup plus informel constitué de documents privés révélant les actions les plus illégales entreprises par le réseau Massiac : lettres de propriétaires coloniaux, négociants anonymes, habitants des ports de commerce, capitaines de navires etc.

À l’avant-garde du réseau, les ports de la façade Atlantique

8 La première phase constitutive du réseau fut la « toile » tissée par les négociants et les colons intéressés dans « l’aventure coloniale ». Cette coalition formée d’un réseau « primaire », actif et militant, et d’un réseau « secondaire », aux participations plus ponctuelles que régulières, devient l’outil le plus efficace des colons parisiens. Les négociants du Havre, par exemple, prirent contact avec le groupe parisien, dès le 25 août 1789. Ils lui expliquaient leur perception coloniale et niaient l’assimilation faite entre la « province » et la « colonie » : « Le corps politique ne peut se passer de nous sans un déchirement qui lui causerait une plaie incurable. Nous sommes des possessions trop précieuses pour ne pas éveiller la cupidité des nations puissantes »17. Dès le 27 août18, la société parisienne s’évertuait, par voie de circulaire, à faire connaître son existence aux différentes chambres de commerce françaises portuaires. Le club encourageait alors commerçants et colons à se grouper en association dans le but de réclamer au ministre de la Marine la création d’une assemblée coloniale et de plusieurs assemblées provinciales visant à rendre Saint-Domingue plus indépendante. Les négociants de Bordeaux, La Rochelle et Nantes, répondirent promptement à cette invitation. Le premier septembre, une société analogue à celle de Paris, nommée Comité américain, déclarait officiellement sa formation à Bordeaux et envoyait au club parisien l’acte de sa fondation. Propriétaires de biens à Saint-Domingue, ils demandaient aux colons Massiac, par les voix de Gradis et Nairac, de mettre en œuvre les moyens nécessaires à la défense de la colonie19. Ces deux hommes étaient tous deux issus de familles d’armateurs célèbres20(entre 1718 et 1789, la firme Gradis arma deux cent vingt et un navires, dont dix pour la traite21. Les deux frères Nairac, Élisée et

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 26

Pierre-Paul, étaient connus pour leur commerce de captifs africains)22. Ces deux exemples, mettent en lumière le fait que des familles entières travaillaient ensemble, et que chaque membre de la famille gravitait autour de la traite, de l’esclavage ou plus largement du commerce colonial. Cette situation transpire d’ailleurs des papiers du club car bien souvent les membres étaient inscrits par familles entières, et il n’est pas rare de voir dans les listes d’inscription le nom du nouvel entrant suivi de la mention « et pour mon fils ». Les instances municipales des villes du littoral atlantique s’engagèrent aussi aux côtés de la société comme le montre l’exemple de Nantes dont les juges et consuls témoignaient au club, le 3 septembre, de leur volonté de se joindre à lui23. Le cas rochelais fut sans doute emblématique du réseau Massiac : la circulaire fut envoyée à Fleurieu de Touche-longe24, gouverneur des finances de la ville, appelé sous peu à accéder au poste de ministre de la Marine et des colonies.

9 Dès lors on comprend la place occupée par le club qui se lie avec les grandes figures de la monarchie25. La proximité, tant sociale que géo-graphique26, additionnée à des objectifs politiques communs permet de comprendre la facilité avec laquelle les colons intervenaient dans les décisions du ministère de la Marine.

Une alliance de terrain

10 En marge de ce noyau, d’autres cités, attachées au commerce colonial se joignent aux actions du club. Le 24 septembre Saint-Malo annonçait au club la formation d’une nouvelle société « satellite » disposée à entretenir une correspondance « fraternelle »27. De nombreuses places de commerce imitèrent Saint-Malo et ce faisant constituèrent la « nébuleuse Massiac ». Il ne faudrait cependant pas exagérer le rôle de ces cités. À l’instar de Marseille, Calais, Bayonne et Brest, Saint-Malo n’entretint qu’une correspondance limitée et épisodique consistant à renseigner le club sur des questions précises. Le plus souvent les circulaires du club restèrent lettre morte, et les clubs provinciaux « secondaires » se bornèrent à retarder ou à empêcher le départ des gens de couleur souhaitant rejoindre Saint-Domingue. Dès lors on aperçoit le caractère amphibologique du réseau Massiac constitué d’une avant-garde usant de méthodes légales et d’une « arrière-garde » usant de méthodes plus discutables, voire franchement illégales. Les actions de ce réseau de terrain ralentirent grandement la communication entre métropole et colonie, ce qui eut pour effet d’isoler Saint- Domingue. De janvier 1790 à février 1791, le club mena de nombreuses actions en collaboration avec les villes portuaires : la plus mobilisatrice (qui montre d’ailleurs que la violence n’était pas que l’expression d’une forme de domination maître/esclave) fut sans conteste celle que nous nommerons ici « l’affaire Ogé »28. Point d’orgue du programme Massiac, cette immobilisation des gens de couleur en métropole concentre à elle seule une grande partie de la correspondance du réseau. Dès le 19 septembre 1789, La Luzerne écrivait aux colons que, « bien qu’il fût contraire à la liberté d’empêcher les gens de couleur d’embarquer à destination de Saint-Domingue, il n’en demeurait pas moins qu’il serait à désirer de n’en envoyer aucun pendant un certain temps »29. Le 24 septembre, la société apprenait par la voix d’un de ses membres que le « quarteron libre » Ogé et Fleury tentaient de rejoindre Saint-Domingue via Bordeaux30. Le lendemain, la société transmettait l’information aux villes maritimes de France et leur indiquait les précautions à prendre afin d’empêcher les libres de couleur d’embarquer depuis l’un de leurs ports31. La réaction des négociants nantais illustre bien le sentiment de la population portuaire :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 27

« D’après les précautions que nous prenons icy et que l’on doit prendre également dans tous les autres ports de France que vous avez prévenus, comme nous, il ne paraît pas possible que les deux monstres32 en question pénètrent dans nos colonies par des bâtiments français »33. Selon les Bordelais, les libres de couleur étaient susceptibles de « porter le désordre dans la colonie »34. Trois jours plus tard, le club parisien s’accordait avec les autorités espagnoles de Saint-Domingue afin de mettre en place, un ultime barrage35. Le 3 février 1790, un Havrais se disait avisé du fait qu’Ogé cherchait à embarquer depuis cette ville, qu’il demandait le passage pour trente personnes, qu’il offrait six mille livres comptant et donnait pour caution du surplus, deux colons de Saint-Domingue36. Le 15 mai, Abry avertissait les colons du départ imminent des libres de couleur. Le 18, les colons se réunissaient en comité extraordinaire. Les libres, soutenus par les Amis des noirs anglais et avec à leur tête le chevalier de Saint-Georges, Raimond, Fleury et Ogé, s’apprêtaient à rejoindre la colonie via Londres37. Cet acharnement du réseau vis-à-vis de ces voyageurs ne tendait qu’à « préserver » l’île des lumières nouvellement allumées en métropole. Le 18 août, Guitton, correspondant londonien du club Massiac informait ses confrères du départ des libres de couleur. Plus aucune nouvelle liée à cette affaire ne fut alors consignée dans les cahiers du club jusqu’au 19 février 179138, où une phrase laconique mettait fin à l’aventure d’Ogé et de ses compagnons d’infortune : retenus depuis le 30 décembre dans les prisons du Cap, leur exécution était prévue le 23 février 179139. Cette affaire, qui aboutit à une « guerre des maîtres », met en évidence la ségrégation des libres de couleur par les blancs. Malgré la disproportion numérique évidente entre esclaves40 et maîtres, malgré la crise sociale se jouant à Saint-Domingue, les colons blancs ajoutaient sciemment une nouvelle division au cœur de la pyramide sociale coloniale. Julien Raimond décelait l’origine du préjugé de couleur dans un problème foncier41, ayant pour but l’expropriation des libres de couleur.

11 Ces clubs de terrain jouèrent le rôle de censeurs, vérifiant inlassablement la « moralité » des postulants à l’embarquement tentant de rejoindre la Caraïbe française. Parallèlement à ces vérifications, les colons développaient avec succès leurs relations avec les députés représentant le commerce à Versailles, comme tend à le montrer leur réponse sous la plume de Blanche, leur président42. À la même période, les relations du club réussissaient à faire ajourner la création d’un premier « comité colonial ». Dès lors, la création de tout organe politique susceptible d’amener au premier plan la question coloniale était ajournée43.

L’exception coloniale : le décret du 8 mars 1790

12 Ce réseau hiérarchisé tendait à un seul but : soustraire la plus prospère des colonies antillaises à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte fondamentalement antagonique aux intérêts des propriétaires coloniaux, fervents défenseurs du système ségrégationniste et esclavagiste44. La « machine » Massiac aspirait à trois choses : primo, éloigner toute discussion sur les colonies à l’Assemblée, secundo, empêcher la communication entre métropole et colonie, et tertio, pourvoir la colonie de structures politiques fortes et pérennes, susceptibles de s’opposer aux décisions du pouvoir métropolitain. Ces objectifs ne tendaient qu’à un seul et unique but, selon Julien Raimond : obtenir l’indépendance de Saint-Domingue45. La recevabilité d’un tel argument est toutefois à nuancer : plausible en ce qui concerne certains colons insulaires, comme par exemple les membres de l’assemblée de Saint-Marc46, il est plus

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 28

discutable du côté parisien. Le club n’envisageait la rupture que comme une extrémité et n’utilisait cet argument que dans le but d’infléchir la position des députés lors des débats à l’Assemblée47.

13 Le rôle de Barnave, rapporteur du comité lors des débats de mars 1790 fut capital pour le club48. Afin de conserver les colonies, il préconisait de leur permettre de faire état de leurs doléances et de participer activement à la rédaction de leur constitution : elles pouvaient ainsi espérer régler leurs rapports avec le commerce et plus généralement avec la métropole. Il plaçait les colonies au centre de l’empire français : « Abandonnez les colonies et une branche immense d’industrie disparaîtra avec elles. Les colonies sont l’école des matelots […] Toute proportion serait détruite entre nous et les autres puissances ; nous serions tenus de recevoir de nos rivaux […] tous les citoyens que le commerce emploie et les provinces qu’il enrichit tomberaient dans la plus grande détresse49. Vous n’auriez plus la perspective assurée d’une heureuse révolution ; la Constitution serait ébranlée, une foule de malheureux dans le désespoir servirait pour l’attaquer, enfin quels moyens ne se présenteraient pas de ramener le despotisme et l’anarchie50 ? » Du reste il préconisait que l’on se ralliât à l’opinion des praticiens planteurs et négociants, seuls aptes à juger de ce qui conviendrait le mieux aux Caraïbes.

14 L’adoption du décret du 8 mars, excluant les colonies de la Constitution, montre que le discours de Barnave a porté ses fruits. L’article premier du décret précisant que chaque colonie était autorisée à faire connaître ses vœux sur la Constitution, la législation et l’administration, à charge de se conformer aux principes généraux liant colonies et métropole et assurant la conservation de leurs intérêts respectifs additionné à l’article second prévoyant un important transfert de pouvoir aux assemblées provinciales en place, ainsi que la constitution de nouvelles assemblées dans les provinces où elles n’existaient pas encore sont autant de preuves de la volonté de conservation des colonies dans leur état prérévolutionnaire. L’adoption de ce texte fut vivement saluée par la société parisienne qui tint à en envoyer le texte à la colonie. Par la voix de Saint- Germain, membre du club rentré à Saint-Domingue on apprend que les travaux du club étaient bien perçus par la majeure partie des habitants de l’île et même « salués par certains d’entre eux »51. Le 28 mars, l’Assemblée adjoignait des instructions au décret du 8, et déterminait les colonies soumises à celui-ci : seules Saint-Domingue, la Martinique, la Guadeloupe, les îles de France, de Bourbon et Tobago étaient concernées52.

15 Selon Gabriel Debien53, les colons n’auraient jamais rien entrepris pour faire adopter les décrets de mars 1790. Deux preuves matérielles vont contre cette affirmation : tout d’abord les papiers du club étudiés ici, et ensuite les actions menées par des membres et/ou des sympathisants de la société avant même que celle-ci ne prenne sa forme officielle. Dès septembre 178854, les colons demandèrent la création d’instances représentatives de la colonie de Saint-Domingue au sein des États généraux.

16 Les principaux signataires55 déploraient unanimement la perte de pouvoir de la colonie, conséquence de la soif d’autorité des ministres de la Marine. Les auteurs préconisaient alors que les différentes parties de l’île choisissent des grands électeurs qui nommeraient les députés56 à envoyer en métropole et inséraient un dernier paragraphe dans lequel ils rappelaient d’une part, que le montant des impositions versées par la colonie s’élevait à neuf millions de livres, et d’autre part qu’elle contribuait encore à la prospérité du royaume, à la richesse de son commerce, en lui donnant ses productions

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 29

à un prix bien inférieur à celui que lui en offrait l’étranger et en consommant à un prix très élevé les excédents métropolitains.

17 L’argent dégagé de l’activité coloniale – esclavage et plantation – était-il si profitable57 ?

18 L’on sait bien sûr que des familles s’enrichirent par le biais de la traite et/ou de l’esclavage. Néanmoins, il semble plus que vraisemblable que seules quelques grandes familles se soient véritablement enrichies par cet unique biais58. Il est vrai, pour ne prendre qu’un exemple, que les dots des familles impliquées dans le commerce triangulaire triplèrent, en moyenne, entre 1690 et 1715-172059. À cette époque la fortune des deux cent trente négociants nantais était évaluée par Gérard Mellier, premier magistrat de la ville, à 18 500 000 livres60. La variété des secteurs d’activité découlant directement ou indirectement de « l’épopée coloniale moderne », tend à démontrer la rentabilité micro-économique du système. Le port de

19 Nantes, et par extension le commerce nantais, connut un enrichissement palpable. La construction navale connut un essor important dans les ports de la façade atlantique tant du point de vue de la fabrication de navires que de celui de la transformation de navires préexistants en navires négriers61. L’avitaillement et plus largement l’exportation de marchandises vers le monde colonial représentaient une part non négligeable du revenu des villes de la côte Atlantique et plus largement du monde industriel métropolitain. Cette économie entraînait aussi une communication matérielle entre les diverses possessions : la métropole importait des produits d’une colonie et les réexportait vers une autre.

20 Si le décret du 8 mars fut la première des grandes victoires des colons du club, le considérant du décret du 12 octobre 1790, annonçant l’intention de l’Assemblée de ne rien statuer sur l’état des personnes que sur la demande expresse des colonies, marquait la seconde62. L’Assemblée déléguait aux colonies le soin indéfini de leur régime domestique : de cette manière la Déclaration des droits de l’homme était intacte en métropole et les colonies n’avaient à craindre « aucune loi funeste pour leur administration intérieure ni attentatoire à leurs propriétés »63.

Vers un nouvel ordre colonial ?

À l’origine de la « désintégration » du premier réseau : l’extrémisme de la classe dominante coloniale

21 Dès janvier 1791 le club Massiac connaît des modifications structurelles profondes. Les relations négociants/colons insulaires64 conflictuelles pèsent sur lui et le transforment profondément. Durant l’été et l’automne 1790, deux groupes de colons distincts débarquent sur les côtes métropolitaines et rejoignent la capitale. Tout d’abord, les indépendantistes membres de l’assemblée générale de la partie française de Saint- Domingue siégeant à Saint-Marc, dissoute par le gouverneur Peinier le 29 juillet 1790 sous le chef d’inculpation de « trahison envers la patrie », et dispersée militairement le 8 août. L’Assemblée de la partie française de Saint-Domingue se déclarait permanente le 30 avril 1790, et législative en ce qui concerne le régime intérieur de la colonie le 28 mai65. Contraints de rallier la métropole afin d’assurer leur défense, les Léopardins, du nom du navire sur lequel ils embarquèrent à Saint-Domingue, trouvèrent en la société une alliée de premier choix66. Une seconde délégation de colons se rendit à Paris le 23 novembre 1790 : les légalistes colons du nord venant témoigner contre les Léopardins.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 30

Leur mandat ne leur permettait théoriquement, ni de rencontrer les accusés, ni d’entretenir une quelconque correspondance.

22 Parallèlement, la dissension entre colons et négociants se développe. Deux causes s’ajoutent au dissentiment latent existant entre les deux partis : tout d’abord, le fait que les négociants aient obtenu gain de cause quant au statut politique et commercial de la colonie, mais aussi les discussions internes concernant le décret du 15 mai 1791. La restructuration du club, en difficulté depuis l’arrivée des colons de Saint-Domingue, s’opère dès le début de l’année 1791. À peine arrivés, les Léopardins se mirent en rapport avec le club Massiac qui peu à peu gagna leur confiance en se défendant d’être « l’objet du despotisme ministériel »67. Le club, en acceptant en son sein cette portion décriée de la population coloniale, ne pouvait que porter un grave préjudice à son premier réseau. La société, qui ne pouvait plus légalement prétendre représenter la colonie, cessa officiellement ses travaux avec l’arrivée des colons insulaires68. Les séances consignées ne reprirent qu’un mois après l’arrivée des colons du nord. Mais dès lors le travail des colons parisiens prenait une tournure différente : aidé dans sa mission par Barnave, le club dut tenter d’apaiser les haines particulières existant entre indépendantistes et légalistes. Le Dauphinois devint alors le lien conciliateur entre les différentes représentations coloniales : au nom du bien de la colonie il préconisait l’oubli des vieilles querelles. La conciliation menée par ce dernier contribua grandement à la mise en place d’une nouvelle coalition. Le 27 mars 1791, le procès- verbal de l’assemblée générale du club concluait que l’on demanderait à l’Assemblée un « décret qui prononcerait qu’aux colonies seules appartient constitutionnellement le droit de fixer sur leurs sols l’état des personnes »69. L’idée principale émanait des rangs des Léopardins et était relayée par le Club Massiac et le 3 avril, décision était prise de faire suivre une pétition sur ce sujet aux constituants70.

L’aboutissement du nouveau réseau Massiac : les décrets de mai 1791

23 Du 11 au 15 mai 1791, trois grandes questions furent soulevées à l’Assemblée : faut-il avoir des colonies ? Faut-il maintenir l’esclavage ?

24 Faut-il donner des droits aux libres de couleur ? À ces trois questions les députés répondirent par l’affirmative. Le 13 mai, l’article premier du décret était entériné. Il stipulait « qu’aucune loi sur l’état des personnes ne pourra[it] être faite par le corps législatif pour les colonies que sur la demande précise et spontanée des assemblées coloniales »71. Cet article fut bien entériné par les députés, contrairement à ce que précisait L. Des-champs72 qui notait que « quand Moreau de Saint-Méry, par une maladresse voulue, laissa échapper le mot esclaves, il provoqua les virulentes protestations de Dupont de Nemours et de Robespierre et dut s’excuser »73. A. Césaire notait qu’ « une assemblée élue pour constitutionnaliser la liberté, venait de constitutionnaliser l’esclavage le plus abominable »74.

25 Le 14 mai, les citoyens de couleur, par la voix de Raimond, adressaient une requête à l’Assemblée : « Vous n’avez jusqu’à présent d’idées sur les localités que d’après l’exposé des colons blancs ; il ne nous sera pas difficile de prouver les inexactitudes qu’ils ont avancées. Serions nous jugés sans être entendus ? »75 Ce n’était pas la première fois que les libres de couleur tentaient de se faire entendre. Si en théorie, l’article 59 du Code

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 31

noir, déclarait clairement l’égalité entre les libres de couleur affranchis et les colons blancs, en pratique la situation était tout autre.

26 Le 15 mai, « l’Assemblée nationale décrét[ait] que le corps législatif ne délibérer[ait] jamais sur l’état politique des gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et de mère libres, sans le vœu préalable, libre et spontané des colonies ; que les assemblées coloniales actuellement existantes subsiste[raient], mais que les gens de couleur nés de père et mère libres, se[raient] admis dans toutes les assemblées paroissiales et coloniales futures, s’ils en avaient d’ailleurs les qualités requises »76. Les décrets de l’Assemblée scindaient la population insulaire (autre que blanche) en trois catégories : les esclaves, les affranchis dont les droits politiques restaient à la discrétion des assemblées coloniales et enfin les libres de couleur capables de justifier de plusieurs degrés de liberté.

Un divorce idéologique sur fond de divergences économiques

27 Bien qu’il soit toujours malaisé de tirer des conclusions exhaustives des différents discours d’un même milieu socio-économique, il demeure possible de réaliser une synthèse générale, mais pourtant assez représentative des populations étudiées. La philosophie économique négociante, en accord avec les idées véhiculées par le Club Massiac jusqu’au mois de mai 1791, tend à cette date à s’éloigner du parti des grands blancs. La population négociante nantaise trouve en la pensée de Montaudouin de la Touche, un relais efficace, énergique et bien construit de son idéologie77. L’objet des colonies était selon lui de permettre à la métropole de commercer à de meilleures conditions qu’elle ne le ferait avec des nations étrangères78. En contrepartie, la métropole devait subvenir à tous les besoins de ses colonies, particulièrement dans les domaines des subsistances, des biens d’équipement de la consommation industrielle, de la sécurité militaire et assurait l’écoulement des produits coloniaux sur le marché européen. S’inscrivant à la suite de la pensée de Forbonnais, il voyait en la fondation des colonies le geste fort d’une métropole souhaitant développer son commerce, sa consommation et le travail de ses artisans, de ses pêcheurs et de ses matelots79. Montaudouin trouve en l’approvisionnement humain constant que réclame le système colonial, le point d’orgue de sa théorie : une nation ne peut effectuer les avances primaires nécessaires à la bonne marche d’une colonie sans en tirer exclusivement les bénéfices. Ce point de vue n’était pas compatible avec celui des colons, cherchant à faire fortune le plus rapidement possible, et donc avec le plus grand nombre d’interlocuteurs potentiels.

28 Un second point politico-économique vint concrétiser la rupture entre négociants des ports et colons : la reconnaissance juridique des libres de couleur. L’opinion bordelaise, tout comme Laffon de Ladébat, membre de la société mère, voyait l’exclusion de la citoyenneté des libres de couleur comme une dérogation impossible à la Déclaration des droits de l’homme. Les décrets de mai mettaient en péril la stabilité coloniale. Les négociants nantais intéressés dans le commerce au long cours et non pas directement dans la culture souhaitaient pour des raisons commerciales préserver le calme à la colonie. A contrario les colons directement menacés tant dans leur prise de bénéfices, que dans la vie politique locale, tentaient de conserver en place la hiérarchie coloniale.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 32

Une représentation faussée de la situation coloniale ?

29 Le club désormais exclusivement constitué de planteurs, trouva en l’annulation du décret du 15 mai, qu’il jugeait propre à opprimer les colons blancs, un nouvel objectif. Il œuvra pour que ce décret ne soit jamais rendu public dans les colonies et pour qu’il soit cassé par un autre décret : celui du 24 septembre 179180. L’article troisième de celui-ci stipulait « que les lois concernant l’état des personnes non libres et l’état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l’exécution de ces mêmes lois, se[raient] faites par les assemblées coloniales […] sans qu’aucun décret antérieur ne puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales »81. Dès lors les colons parisiens avaient mené à bien leur mission, le décret du 15 mai 1791 était déclaré caduc et cela même avant que la colonie n’en ait eu officiellement connaissance.

30 Tandis que les « élites métropolitaines » (tant parlementaires que négociantes) débattent sur la question de la reconnaissance juridique des hommes libres de couleur, à Saint-Domingue la situation se détériore jusqu’à connaître une crise socio-politique profonde qui devait mener quelques années plus tard à l’indépendance de la prospère colonie française.

31 Dans la nuit du 22 au 23 août 1791 éclate une violente insurrection. Esclaves noirs et affranchis revendiquent la liberté et l’égalité des droits avec les citoyens blancs. Bon nombre de sucreries et de plantations de café sont détruites. À Saint-Domingue on ne parle plus alors que de révoltes, de plantations incendiées, de pillages, de fuites, de violences pratiquées à l’encontre des maîtres et de meurtres. Le 3 septembre 1791, l’assemblée du sud de Saint-Domingue, provisoirement administrative, rendait un arrêté défendant à tout un chacun de publier, vendre ou distribuer aucun écrit concernant la Révolution française, ainsi que tout événement, système politique étranger à Saint-Domingue ou contraire à son régime82.

32 Paradoxalement, alors que les colons parisiens83 tentaient âprement d’exclure de la classe des citoyens les libres de couleur, les planteurs blancs de Port-au-Prince, devant l’ampleur de la révolte menée par les esclaves avaient dû se résoudre à accepter le concordat proposé par les maîtres de couleur, le 11 septembre.

33 Les citoyens de couleur demandaient que les blancs fassent cause commune avec eux, qu’ils fassent appliquer l’édit de 1685, et qu’ils s’engagent à ne jamais s’opposer au décret du 15 mai, connu à Saint-Domingue malgré les manœuvres du Club Massiac. Ils souhaitaient pouvoir prendre part aux assemblées primaires au terme du décret du 28 mars 1790, et être autorisés à s’armer pour se défendre et réclamer leurs droits. Ils demandaient aussi que les colons blancs contribuent à leur approvisionnement le temps des combats. Ils réclamaient que soit respecté le secret de leur correspondance et voulaient par ailleurs être autorisés à se réunir s’ils éprouvaient des obstacles à la reconnaissance de leurs droits et rétablir la liberté de la presse sauf dans les cas déterminés par la loi84. Enfin, ils demandaient que leurs concitoyens bannis, car ils possédaient des armes depuis le commencement de la Révolution, soient rappelés et mis sous la protection de tous les citoyens, qu’ils soient indemnisés de leur exil et que cesse la confiscation de leurs biens85. Ils obtinrent satisfaction sur la totalité de leurs demandes.

34 Les colons de métropole et ceux de la colonie n’étaient dès lors plus en phase : les premiers œuvraient encore pour préserver la colonie en l’état, tandis que les seconds,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 33

directement confrontés à la violence, s’étaient résolus à faire cause commune avec leurs ennemis d’hier. La population insulaire était maintenant scindée en deux classes clairement distinctes : la classe dominante des maîtres et celle, dominée, des esclaves.

35 Durant toute la période où siégea la Constituante, le Club Massiac ne fut jamais véritablement mis en difficulté par les députés. L’Assemblée qui s’attachait à transformer la société en profondeur, ne réussit pas à aller contre le mouvement impulsé par les colons. Pourquoi cette assemblée ne chercha-t-elle pas à contrer plus efficacement les actions des colons blancs ? Il ne fait aucun doute que l’appui de grands noms, tels que Maury, ou Barnave joua un rôle essentiel dans le processus d’acceptation des colons au sein de la mouvance parlementaire. Par deux fois, lors d’importants débats ayant pour objet les colonies (mai et septembre 1791), Barnave sut fort habilement convaincre les députés de l’importance, tant économique que politique, de l’empire colonial. Sa maîtrise du sujet, sa facilité d’expression quant aux questions de politique internationale ne laissait aucune possibilité aux députés de supposer qu’il œuvrait en fait pour le compte de la coalition coloniale. De plus son actif passé de révolutionnaire ne pouvait laisser beaucoup de place au doute, sauf dans l’esprit de certains députés du côté gauche qui n’eurent de cesse de tenter de mettre en lumière ses manœuvres. La position sociale des grands blancs fut un point capital dans leur approche du pouvoir central. Leur connaissance et leur manière d’utiliser les grands auteurs contemporains permirent aussi aux colons de trouver leur place au sein de la communauté révolutionnaire parisienne, puis de celle des négociants métropolitains. Les différents groupes parlent le même langage, créant ainsi une communauté intellectuelle plus ou moins homogène, au moins en apparence, ce qui en pratique favorise l’écoute des représentants de la Nation à l’égard des populations impliquées dans le système atlantique. La remise en question de l’omnipotence monarchique dans le processus économique de la nation, ajoutée à la remise en question des capacités d’un monarque métropolitain à juger dans toute sa vérité la situation coloniale permit à la Société correspondante des colons français d’entrer dans la sphère révolutionnaire, non point pour instaurer un nouvel ordre social en métropole mais dans le but de préserver le statu quo dans les colonies. Les différents modes opératoires mis en œuvre par les colons montrent avec quelle intelligence ils travaillèrent durant deux ans. Les alliances successives se faisant et se défaisant au gré des débats et des décrets rendus mettent en évidence la logique du Club Massiac : une exigence d’intérêts communs. La formation du club, son réseau, ses modes opératoires convergent. Le Club Massiac, cellule extrémiste, ne fonctionna que comme un groupe de pression, défendant ses propres intérêts, et n’hésitant pas à se livrer, si cela était utile, à de terribles agissements, comme le montre « l’affaire Ogé ».

NOTES

1. Lucien LECLERC, « La politique et l’influence du club de l’hôtel Massiac », Annales historiques de la Révolution française, 1937, p. 342-363.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 34

2. Gabriel DEBIEN, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution, Essai sur le Club Massiac, Paris, A. Colin, 1953, 414 p., p. 64-65. 3. Le statut juridique des colonies (« possessions de la couronne »), leur ôtait de facto le droit de participer aux États généraux. Réciproquement, il était formellement interdit aux députés de légiférer sur ces terres lointaines exclusivement soumises à la sanction royale. 4. Une délégation de trente et un représentants fut envoyée à Versailles. Au terme de longs débats, et aidé dans ses démarches par le « triumvirat » Lameth (les deux frères Charles et Alexandre) Barnave, le parti des colons blancs réussit à infiltrer l’Assemblée nationale. Le 4 juillet, ils furent définitivement autorisés à siéger à l’Assemblée comme représentants de la seule population blanche : six sièges leurs furent accordés sur les vingt préalablement réclamés. Cocherel, Gouy d’Arsy, Thébaudières, Larchevesque-Thibaud, Perrigny et Gérard étaient les six députés admis à siéger. Ce chiffre de six députés était toutefois nettement supérieur à ce que la démographie insulaire devait normalement permettre, proportionnellement aux diverses provinces métropolitaines. C’est en se fondant sur le poids économique de Saint-Domingue que les colons firent accepter la « surreprésentation » de leur députation. 5. Société fort choisie qui paie plus de quarante livres de cotisation où il faut être « présenté » pour être admis. À ce propos voir : Yves BENOT, La Révolution française et la fin des colonies, Paris, La Découverte, 1987, 280 p, p. 41. Sur les Amis des Noirs voir : Marcel DORIGNY, Bernard GAINOT, La Société des Amis des Noirs (1788-1799).Contribution à l’histoire de l’abolition de l’esclavage, Paris, UNESCO, 1998, col. « Mémoire des Peuples », 396 p. 6. On citera ici, la Pennsylvania Abolition Society pour le cas américain et la Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade de Londres. 7. Conscients de l’importance économique de l’entreprise esclavagiste, ils estiment nécessaire de procéder graduellement. Plutôt optimistes, les membres de la société, pensaient que la suppression de la traite serait chose plus aisée : ils croyaient alors que la seule suppression des primes pour la traite ferait tomber d’elle-même cette dernière. 8. Durant toute la période d’existence du club, celui-ci réclama le retrait de la monarchie de la sphère économique. 9. Proposé par Colbert et signé en 1685 par Louis XIV, le code régissant les rapports sociaux dans les colonies fut adopté par le roi, chose significative, la même année que le texte révoquant l’Édit de Nantes. Sur la question des discriminations ethniques voir : Yvan DEBBASCH, Couleur et liberté : le jeu du critère ethnique dans un ordre juridique esclavagiste, Paris, Dalloz, 1967. 10. Sur la question de la domination blanche voir : Catherine COQUERY-VIDROVICTH, « Le postulat de la supériorité blanche et de l’infériorité noire » dans Marc FERRO (dir.), Le Livre noir du colonialisme, Paris, Robert Laffont, 2003, 843 p., p. 646-691. Certains historiens nourris de la philosophie foucaldienne, mettent en avant depuis quelques temps déjà une explication plus politique que proprement économique. La double question de la domination et de la violence est désormais au cœur du débat historiographique se développant autour de la plantation esclavagiste. Voir à ce propos : Caroline OUDIN-BASTIDE, Travail, capitalisme et société esclavagiste, Guadeloupe, Martinique (XVIIe-XIXe siècles) , Paris, La Découverte, 2005, 348 p., Alain GUERY, « L’esclavage, une rationalisation économique de la domination », Cahiers du CRH, n° 34, oct. 2004. La classe numériquement minoritaire tend à développer un système fondé sur « l’exemplarité de la violence ». Le Traîté sur le gouvernement des esclaves (Paris, Knapen, 1777) d’E. Petit, étudiant les textes réprimant les actes de marronage est assez exemplaire de ce point de vue. 11. Il fut rédigé le 23 août 1789. AN, DXXV. 85. Narré des séances, 42 p., f°2. Depuis 1775, une société analogue à celle des colons français travaillait en Angleterre : le West India Commitee. 12. Sur le despotisme ministériel voir, Michael KWASS, Privilege and the Politics of Taxation in Eighteenth-Century France, Cambridge U P, 2000, 378 p. Alexis DE T OCQUEVILLE, L’Ancien Régime et la révolution, 1856, rééd., Paris, Gallimard, 1967, 378 p. Michel FOUCAULT, Sécurité, territoire, population,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 35

coll. Hautes Études, Paris, Gallimard Seuil, 2004, 435 p. Sur le despotisme ministériel colonial voir, Yves BENOT, La Révolution française et la fin des colonies, Paris, La Découverte, 1988, 280 p., p. 43 et s. Voir aussi Yves BENOT, Les lumières, l’esclavage, la colonisation, textes réunis et présentés par Roland DESNE et Marcel DORIGNY, Paris, La Découverte, 2005, 327 p. 13. D’une manière générale, enfin, le gouverneur personnifiait l’ingérence royale dans la vie économique. 14. La Luzerne a été gouverneur de la colonie en 1786. 15. En lettres capitales dans le manuscrit original. 16. Louis de GOUY D’ARSY, Opinion sur le rétablissement du Conseil Supérieur du Cap et sur le renvoi de M. le Comte de la Luzerne, Ministre actuel de la Marine, prononcée à l’Assemblée nationale, au nom de la Députation de la colonie, mars 1790, p. 14. (NUMM-44358). L’opposition majeure entre les colons du club et le ministre portait sur la question des assemblées coloniales : La Luzerne les pensaient provisoires et consultatives, tandis que les colons ne les envisageaient que sous une forme pérenne et pourquoi pas législative. AN, DXXV 90. Cahier de correspondance avec les villes maritimes et de commerce, t. 1, f°69. 17. AN, DXXV 89. 18. Ibid., DXXV 90. Correspondance avec les villes maritimes et de commerce, t. 1. Folio 60. 19. Ibid., DXXV 85. 20. La famille Gradis possédait depuis 1773 une habitation à la Martinique et deux à Saint- Domingue, depuis 1777. 21. Éric SAUGUERA, Bordeaux port négrier XVIIe-XIXe siècles, Paris, Karthala, rééd. 2002, 378 p, p. 65, 230 et 277. 22. Ibid., p. 231. 23. AN, DXXV 85. 24. Ibid., DXXV 87.823. Procès verbal du 22 octobre 1789. Ce club local fut crée le 17 octobre. 25. Le renvoi de La Luzerne suite au conflit l’opposant au club, puis la nomination de Fleurieu de Touchelonge sont autant de preuves de la puissance de la Société Correspondante des Colons Français. 26. L’hôtel particulier du marquis de Massiac se trouvait place des Victoires à Paris. 27. AN, W 15. 28. Ogé (1750-1791), homme libre de couleur se rendit en métropole pour réclamer l’égalité des droits politiques des hommes de couleur. De retour à Saint-Domingue il provoqua, aidé par ses compagnons, une insurrection. 29. AN, DXXV 85. Le 12 août 1790, les membres du club rédigeaient une lettre à l’Assemblée générale de la partie française précisant que le ministre de la Marine avait donné l’ordre de laisser partir les gens de couleur. Cependant, tout en ordonnant cela, il faisait remarquer « qu’un décret de l’Assemblée nationale autorisait les municipalités à restreindre la liberté individuelle, lorsqu’elles jugeoient qu’il y avoit danger pour la chose publique ». AN, DXXV 89. Journal de procès verbaux, t. 9, f°91. 30. Ibid., DXXV 89. Journal de procès verbaux, t. 9, f°.6. 31. Ibid., DXXV 89. Journal de procès verbaux, t. 9, f°.7. En août 1790, les libres de couleur dénonçaient l’acharnement à leur encontre dans une adresse présentée à l’Assemblée nationale. 32. Souligné dans le manuscrit original. 33. AN, DXXV 90.Cahier de correspondance avec les villes maritimes et de commerce, t. 2, f°71. 34. Ibid., DXXV 89. Journal de procès verbaux, t. 9, f°.83. 35. Ibid., f°.13. Si l’on en croit les nouvelles de Bayonne, relayées par Marrau, Cabanus fils et Poydenot, en date du 22 mai 1790, « les précautions prises à Saint-Domingue pour surveiller les débarquements déconcerteront les projets du Sieur Ogé et le rendront peut-être malheureusement victime de sa mission ». Ibid., f°75.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 36

36. Fort de ces faits, l’informateur proposait de laisser faire l’embarquement, en choisissant toutefois l’équipage afin que celui-ci remette les libres de couleur aux mains du Comité à leur arrivée. Ibid., f°17. 37. Ibid., f°.72. 38. Ibid., t. 10, f°.35. 39. Ils furent roués. Le même jour, vingt-deux libres de couleur furent pendus. L’assemblée du Nord assista en corps au supplice d’Ogé et de ses compagnons afin de marquer l’inflexibilité de sa politique quant aux hommes de couleur. 40. Rappelons que Brissot de Warville fait à l’époque mention d’une population de trois cent milles esclaves. 41. Julien RAIMOND, Observations sur l’origine et les progrès du préjugé des colons blancs contre les hommes de couleur, 26 janvier 1791, Paris (NUMM-75520). 42. AN, DXXV 85. Cette lettre est datée du 31 août 1789. Ils se montraient alors plus que favorables à l’alliance « étroite, sincère et durable » entre les agents de richesse et de population que représentaient commerce et monde colonial. Voir : Gérard LETACONNOUX, « Les sources de l’histoire du comité de députés extraordinaires des manufactures et du commerce, et l’œuvre économique de l’Assemblée constituante. 1789-1791 », Revue d’histoire moderne, 1912, p. 369-403. 43. AN, W 15. L’abbé Maury joua un grand rôle dans cet ajournement. 44. Fin août 1789, l’avocat Boissel prenait contact avec le club et joignait à sa lettre un mémoire dénonçant l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen par l’Assemblée. Selon lui, « l’homme ne naissant pas avec plus de titre, ni de Droit que les autres animaux mais avec les mêmes besoins […] une déclaration des besoins de l’homme et des moyens d’y pourvoir auroit beaucoup mieux convenu, eut été infiniment plus intelligible, plus analogue à une constitution sociale ». Plus loin il accusait la philosophie de constituer « l’ordre mercenaire, homicide et antisocial ayant ensorcelé et perdu presque tout le genre humain ». AN, DXXV 90. Correspondance par ordre de matière, f°6. 45. Julien RAIMOND, Preuves complètes et matérielles du projet des colons pour mener les colonies à l’indépendance, tirées de leurs propres écrits, Paris, an III, p. 7-8. (NUMM-44834). 46. Les membres de cette assemblée souhaitaient que les hommes en armes prêtent serment à la colonie. Le gouverneur Peinier ne pouvait l’accepter : selon lui cela était tout à fait inutile car les hommes en armes prêtaient déjà serment de fidélité à la France. Certaines sources semblent plutôt confirmer le fait que cette assemblée se constituait une armée personnelle, une milice qui puisse les soutenir au besoin, « petit moyen qui ne sert qu’à allumer des incendies, bien à craindre dans un pays comme celui-cy » d’après Saint-Germain, correspondant du club à Saint- Domingue. AN, DXXV 90. Correspondance par ordre de matière, f°2. Il est intéressant de noter qu’alors même qu’à Saint-Domingue, le gouverneur devait affronter l’opposition virulente de l’assemblée de Saint-Marc, Vioménil, gouverneur de la Martinique devait connaître les accusations des « patriotes » qui lui reprochaient d’avoir pris parti en faveur de l’égalité des hommes libres de couleur. 47. Début 1790, un comité colonial vit le jour. Le club avait réussi à imposer ses représentants : des députés des îles ou des grands ports, des propriétaires coloniaux tous acquis aux intérêts des grands Blancs. 48. Arrivé à Paris, le dauphinois avait été reçu par les Lameth, chez qui il logeait. Les frères Lameth (députés à l’Assemblée), étaient aussi membres du club. Les relations amicales entre ce dernier et les colons furent étudiées par Jaurès qui le taxait « d’homme au double visage : démocrate pour la France, complice de l’oligarchie aux colonies ». Jean JAURÈS, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Éditions socialistes, 1969, « La Constituante », 1127 p., chap. 9, p. 853. 49. Les utilitaristes usèrent de la rhétorique populationniste d’abord, puis économique ensuite, pour faire valoir les colonies. Cette vision nourricière de la colonie bien que répandue parmi les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 37

populations négociantes des ports n’était toutefois pas partagée par tous. Cantillon (Essai sur la nature du commerce en général, 1755, 3e partie, chap.1), émettait des réserves en ce qui concerne les colonisations française et anglaise : selon lui ces deux nations trouveraient plus d’avantages à soustraire la production métropolitaine à la concurrence des colonies et faire prévaloir en toutes circonstances ce qu’il serait convenu de nommer la « préférence métropolitaine ». Parallèlement, en France c’est par la voix de Mirabeau (Ami des Hommes, 1756, chap. IX.) que s’effectue la remise en question du commerce des denrées alimentaires entre métropole et colonie. Quesnay (Questions intéressantes sur les populations, l’agriculture et le commerce, 1758, art. XXIV), préconisait quant à lui de pratiquer une diminution substantielle des prix en usage entre métropole et colonie dans le but de développer la consommation et de dégager de réelles richesses par la multiplicité des acheteurs et non plus simplement par les prix prohibitifs pratiqués alors. Voir aussi la critique de par Quesnay, dans le numéro du mois d’avril 1766 de la Gazette et journal d’agriculture, (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776), et Turgot (Mémoire sur la manière dont la France et l’Espagne devraient envisager les suites de la querelles entre le Grande-Bretagne et ses colonies, 6 avril 1776). 50. Intervention de Barnave à la Constituante, Le Moniteur, Séance du 8 mars 1790, t. 3, p. 553 et s. Voir aussi Archives parlementaires, t. XII, du 2 mars au 14 avril 1790, p. 68 et s. 51. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 9, f°47. 52. La moindre importance économique des autres colonies, ne leur permettait pas d’entrer dans la liste des îles autorisées à déroger à la « règle universelle » s’élaborant en métropole. 53. Gabriel DEBIEN, Les colons de Saint-Domingue et la Révolution, Essai sur le club Massiac, Paris, A. Colin, 1953, 414 p. 54. DELACROIX, Mémoire sur l’importance pour la colonie de Saint-Domingue, d’avoir des représentants à l’assemblée des États généraux, et sur la forme la plus légale de procéder à l’élection de ses députés, Paris, Clousier, 28 septembre 1788 (NUMM-48000). 55. On y retrouve entre autres noms Choiseul-Praslin, Paroy, Reynaud, Magallon, Dougé, Perrigny, Cereste-Brancas et Gouy d’Arsy. 56. Ces derniers ne pouvaient prétendre représenter la colonie à moins de posséder un minimum de vingt-cinq esclaves. 57. Si Éric Williams dans son ouvrage (Éric WILLIAMS, Capitalism and Slavery, London, Chapel Hill, 1944, 296 p.), notait que les profits dégagés de la traite et de l’esclavage étaient « astronomiques », H. KLEIN (« The Altantic slave trade : recent search and findings » dans Horst PIETSCH-MANN, Atlantic History. History of the Atlantic System 1580-1830, Hamburg, J. Jungins, 2002, 556 p., p. 301.), quant à lui met en lumière un marché économique fluctuant, peu accessible, complexe, en grande partie à cause de la variation du prix de l’esclave. O. Pétré-Grenouilleau, évalue le profit moyen annuel français de la traite à quatre ou six pour cent. Malgré tout il ne faut pas minimiser non plus les profits engendrés par un tel système. L’ouvrage de Thomas (Hugh THOMAS, The Slave Trade. The Story of the Atlantic Slave Trade, 1440-1870, New-York, Simon and Schuster, 1997, 912 p.) aborde aussi cette question. 58. Rares furent les familles concentrant leurs activités économiques uniquement sur le pôle colonial car les bénéfices issus de la traite étaient très irréguliers. 59. À ce propos voir : Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, L’argent de la traite, Paris, Aubier, 1996, 432 p. 60. La période 1720-1750 fut favorable aux colons et malgré d’importants réajustements entraînés par la guerre de Sept Ans, responsable de la perte d’un quart des fonds du négoce, la fortune des négociants nantais atteignait à la veille de la Révolution la somme de 120 millions de livres. 61. L’étude d’Éric Saugera sur la ville de Bordeaux est assez exemplaire de ce point de vue. De même il est impératif de noter que la traite et le commerce des denrées coloniales ont enrichi de façon indirecte les ports métropolitains et la métropole simplement par le biais du commerce et

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 38

des injections de capitaux dans les industries locales. Outre la fiscalité, cet argent rejaillissait aussi sur les ports par la voie d’investissements dans l’économie locale comme en témoignent les transformations urbaines. 62. Tout en réaffirmant le décret du 8 mars, celui du 12 annulait les décrets de l’Assemblée de Saint-Marc. Elle était reconnue coupable d’avoir troublé la tranquillité publique. Le décret prévoyait entre autres dispositions qu’une nouvelle assemblée coloniale serait formée suivant les règles prescrites par les décrets et instructions. Voir Archives parlementaires, t. XIX, du 16 septembre au 23 octobre 1790, p. 546 et s. Voir, Aimé CESAIRE, Toussaint Louverture, Paris, 1981, p. 83. Voir aussi : Le Moniteur, t. 6, p. 107. 63. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 12, f° 24 et s. Les colons prenaient alors toujours en exemple la Nouvelle-Angleterre : « La déclaration des droits de l’homme porte comme celle de la France que tous les hommes naissent libres et demeurent égaux en droit, et cependant l’esclavage existe dans presque toutes ces parties comme il existe dans les colonies françaises. Comment le congrès a-t-il pu accorder ce principe général avec les exceptions particulières ? C’est en laissant à chaque État le droit de se régir intérieurement et de n’assujettir les parties qu’à l’intérêt général du tout, au moyen de cette organisation politique, l’esclavage est toléré dans quelques États, proscrit dans d’autres, sans que le corps législatif central ait violé le principe universel de la liberté et de l’égalité. L’Assemblée nationale doit de même déléguer aux colonies le soin indéfini de leur régime domestique ». 64. Les indépendantistes de Saint-Marc reprochaient entre autres choses au gouverneur le fait qu’il n’ait jamais cherché à adapter les textes législatifs métropolitains aux mœurs et coutumes de la colonie, alors qu’il en avait le pouvoir. 65. Notons au passage, que le président de l’assemblée générale de Saint-Domingue, élu en mars 1790, n’était autre que Bacon de la Chevalerie, un oncle de Barnave. 66. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 10, f° 39-41. Ce n’est pas sans réflexion que le club choisit de s’allier avec les Léopardins comme tend à le prouver cette déclaration de Belin de Villeneuve : « La société de l’hôtel de Massiac n’est sous le coup d’aucune inculpation, elle n’est réputée ennemie déclarée d’aucune des parties qui sont en opposition, ce simple exposé prouve jusqu’à l’évidence que la société doit rester dans toute sa pureté, c’est dans cet état qu’elle peut et qu’elle doit fraterniser avec tous les colons qui sont en opposition pour éteindre toutes les haines ou du moins empêcher qu’elles ne nuissent aux conférences indispensables entre tous les colons pour travailler à préparer les moyens de ramener la paix dans la colonie ». AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 10, f° 22. 67. Il est bon de noter qu’une fois de plus c’est en se défendant d’être l’objet du despotisme ministériel que les colons de Massiac gagnèrent la confiance des Léopardins, tout comme ils l’avaient fait avec les membres des États généraux en mai 1789, tout comme Barnave l’avait fait aussi dans son rapport de mars. 68. Les séances cessèrent officiellement entre le 7 octobre et le 26 décembre 1790, une séance le 23 novembre mise à part. 69. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 10, f° 44-46. Le 30 janvier 1791, Billard, président du club demandait à ses membres de réfléchir aux trois questions suivantes : primo, « peut-on demander à l’Assemblée nationale qu’elle prononce explicitement la continuation de l’esclavage ? », secundo, « doit-on au contraire demander une portion de pouvoir législatif pour les colonies au seul effet de faire des loix sur l’esclavage, et les Gens de couleur, et nègres libres, et autre partie du régime intérieur qui n’intéressent nullement la métropole ? » et tertio « doit-on se borner à faire quant à présent une simple déclaration contre le système des Amis des Noirs ? » AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 12, f°5-6. 70. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 10, f°49. 71. Le Moniteur, décret du 13 mai 1791, t. 8, p. 388. Voir aussi Archives parlementaires, t. XXVI, du 12 mai au 5 juin 1790, p. 41 et s.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 39

72. Léon DESCHAMPS, Les colonies pendant la Révolution. La Constituante et la réforme coloniale, Paris, P. Perrin, 1898, 340 p., p. 227. 73. Plus rien par la suite ne fait référence au décret du 13 mai dans l’ouvrage de Deschamps 74. Aimé CESAIRE, Toussaint Louverture, La Révolution française et le problème colonial, Paris, Présence Africaine, l’Harmattan, 1981, 345 p., p. 122. 75. Ibid., p. 119 et suivantes. Raimond parut à la barre de la Constituante le jour même. Voir Le Moniteur, t. 8, p. 397. 76. La motion présentée par Reubell fut acceptée par les députés. Voir : Le Moniteur, décret du 15 mai 1791, t. 8, p. 404. Voir aussi Archives parlementaires, t. XXVI, du 12 mai au 5 juin 1790, p. 89 et s. Jaurès notait à ce propos, que « non seulement l’esclavage était continué, mais qu’en plus les enfants d’une mère esclave et d’un père libre, même s’ils étaient libres, n’étaient pas admis d’emblée au droit politique » (Jean JAURES, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Éditions socialistes, 1969, « La Constituante », 1127 p., chap. 9, p. 862.) 77. Plus connu pour avoir pris une part active aux polémiques sur la libéralisation du commerce des grains, Montaudouin, grand négociant nantais intéressé dans le commerce colonial, aborde la question coloniale. 78. La situation dépeinte par Montaudouin, tant dans le Mémoire sur le commerce étranger dans nos colonies de 1772 (AD Loire Atlantique, C 775, manuscrit, 1772) que dans le Mémoire des négociants de Nantes contre l’admission des étrangers dans nos colonies (ADLA, CS 737, manuscrit, s.d), tend à réclamer plus que jamais le maintien ferme et définitif de l’Exclusif alors si décrié par les colons. La référence à Montesquieu, L’Esprit des lois, livre XXI, chap. XXI, « Découverte de deux nouveaux mondes : état de l’Europe à cet égard », 1748, rééd. Paris, Garnier-Flammarion, 1979, 638 p. est ici assez évidente. 79. François VERON DE FORBONNAIS, Éléments de commerce, première partie, Leyde, Briasson, Paris, 1754, p. 6. Cinq ans plus tard, Forbonnais, dans son Essai sur l’admission des navires neutres dans nos colonies (Paris, 1759, p. 43) notait que « la métropole a[vait] fondé les colonies pour augmenter le travail de ses laboureurs, de ses manufactures et de ses matelots » et insistait sur le fait que « l’intérêt du commerce général avec les colonies était la conservation de l’Empire ». 80. Les commissaires qui devaient aller porter aux colonies le texte de mai, inféodés au mouvement colonial, retardèrent le plus possible leur départ. 81. Le Moniteur, t. 9, décret du 24 septembre 1791, p. 771. Voir aussi Archives parlementaires, t. XXXI, du 17 au 30 septembre 1791, p. 270 et s. 82. Voir à ce propos : AN, DXXV 60, EDXXV 55 595 et DXXV 112 896. Rien dans les archives du club ne permet de savoir si cela fut véritablement appliqué, mais ce texte est révélateur de la situation dans laquelle se trouvait alors Saint-Domingue. Dans la même optique, l’Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue rendait le 9 septembre 1791, un arrêté stipulant que désormais tout particulier arrivant à la colonie ne pouvant répondre d’une propriété dans le pays, ou d’un lien de parenté avec un propriétaire ne serait pas autorisé à débarquer. 83. Dès les décrets de mai rendus, nombreux furent les colons qui rentrèrent à la colonie. Le 2 juin 1791, Maisonneuve expliquait aux membres qu’ils ne pourraient plus compter dorénavant, « pour faire les fonds de la société », que sur vingt-quatre personnes. AN, DXXV 89. Journal de procès-verbaux, t. 10. 84. Cette requête des libres de couleur tend à prouver qu’en effet l’arrêté du 3 septembre concernant la liberté de la presse était appliqué. 85. Les colons blancs accédèrent à cette requête sous réserve que l’Assemblée nationale l’accepte.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 40

RÉSUMÉS

De 1789 à 1791, les populations intéressées dans l’aventure coloniale s’unissent officiellement en société afin de défendre leurs intérêts tant sur le sol métropolitain que dans les Caraïbes. Un important réseau, constitué de négociants et de colons, se développe. Leur rhétorique basée sur un argumentaire économique clairement identifiable joue un rôle important dans l’acceptation du club par les constituants. Durant deux ans cette coalition, soutenue par Barnave et Maury, et dénoncée par Robespierre, lutta afin d’obtenir des constituants, en septembre 1791, l’exclusion de Saint-Domingue du cadre universaliste s’élaborant en métropole.

From 1789 to 1791, many persons interested in the colonial adventure officially united in a club to defend their interests as much within Metropolitan France as in the Caribbean. An important network comprised of merchants and colonists soon developed. Their rhetoric rested on a clearly identifiable economic argument, and played a significant role in the acceptance of the club by the Constituent Assembly. For two years, this coalition supported by Barnave and Maury, and denounced by Robespierre, labored to obtain from the constituents in September 1791 the exclusion of Santo Domingo from universalist framework being conceived in metropolitan France.

INDEX

Mots-clés : lobby colonial, ségrégation, esclavage, Révolution française

AUTEUR

DÉBORAH LIÉBART CRH, EHESS – 10 rue du Marais – 91530 Le Val-Saint-Germain [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 41

Comment la Révolution abolit la dignité de maréchal de France How the Revolution abolished the dignity of the marechal of France

Fadi El Hage

1 Le 21 février 1793 fut présenté à la Convention un décret « relatif à l’organisation de l’armée et aux pensions de retraite et traitements de tout militaire, de quelque grade qu’il soit »1. L’article 5 stipulait que « toutes les dénominations de lieutenant-colonel, colonel, maréchal-de-camp, lieutenant-général et de maréchal de France, sont supprimées »2.

2 En une seule phrase, le maréchalat de France était aboli, après une existence attestée depuis Philippe Auguste jusqu’aux quatre premières années de la Révolution. Le fait qu’il ait survécu à l’Ancien Régime peut paraître surprenant, car il en constituait l’une des dignités les plus éminentes. En effet, en tant que grands officiers de la couronne, les maréchaux étaient très impliqués dans la vie politique et militaire du royaume. Sous le règne de Louis XVI, trois maréchaux furent ministres (ou plutôt trois ministres furent faits maréchaux), sans compter Broglie, nommé ministre de la Guerre le 11 juillet 1789. Plusieurs d’entre eux assistèrent à l’Assemblée des notables de 1787 et contribuèrent au maintien de l’ordre public, à l’exemple des maréchaux de Biron à Paris lors de la guerre des Farines en 1775, et de Vaux à après la journée des Tuiles en 1788. Les détenteurs de la dignité veillèrent ainsi au respect de leurs intérêts sociaux mais aussi à celui de l’ordre établi par le roi, à qui ils avaient juré fidélité dans leur serment de maréchal3.

3 En dépit de son passé intimement lié à la monarchie, le maréchalat fut ménagé, quitte à être transformé quelque peu afin de le rendre plus viable en Révolution. Ces transformations n’étaient pas issues d’idées tout à fait neuves, encore moins improvisées, car le XVIIIe siècle fut un siècle de réflexions sur cette institution, son utilité et son organisation, tant du côté de l’État que de celui de l’opinion publique. La gestion de la dignité sous la monarchie absolue suscita des critiques qui aboutirent, en partie du moins, à sa réforme.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 42

4 Les modifications opérées sous la monarchie constitutionnelle causèrent une rupture par rapport à la situation précédente, ce qui permit le maintien du titre de maréchal pendant quatre ans, dans une France ayant aboli les privilèges et s’opposant irrévocablement au roi, après une brève tentative de conciliation.

5 Une décennie sépare l’abolition du maréchalat et l’instauration, le 18 mai 1804, des maréchaux d’Empire. Jacques Godechot considérait que ceux-ci n’incarnaient que le rétablissement d’une institution d’Ancien Régime, marquant « dans l’armée, la tendance générale du régime napoléonien vers le retour à une société très hiérarchisée et conservatrice »4. Il s’agit ici de l’opinion d’un historien qui percevait le Premier Empire comme plus proche de la monarchie de Louis XIV que de la Révolution5. Or, il était inconcevable que l’empereur négligeât l’héritage révolutionnaire, car il ne pouvait, et ne voulait, en aucun cas rétablir l’Ancien Régime. Le maréchalat d’Empire tenait-il plus du maréchalat d’Ancien Régime, qu’il n’était imprégné des réformes menées par l’Assemblée constituante ?

La dignité de maréchal de France face à l’opinion publique du siècle des Lumières

6 À la fin du XVIIIe siècle, le maréchalat était perçu comme une dignité sur le déclin. Des questions se posaient alors sur les activités de ses titulaires, qui paraissaient en inadéquation avec l’imaginaire dominant dans l’opinion publique. En se demandant si « tous les maréchaux de France aujourd’hui ont gagné des batailles », le père de Mirabeau présentait avant tout leur dignité comme fortement liée au commandement des armées6. Cette fonction semblait aller de soi dans les esprits, ce qui explique la généralisation de l’expression « grade de maréchal de France » bien avant la Révolution7.

7 Le maréchalat ne se résumait pourtant pas au commandement. Le temps de paix ne nécessitait pas la formation d’armées à mener en campagne. D’autres activités occupaient les maréchaux, comme les gouvernements de province, ou le tribunal du point d’honneur, qui était la seule grande institution propre à ces derniers8. Sa réunion était l’un des rares moments durant lesquels ils se rassemblaient chez leur doyen. La maréchale de Beauvau confessa que « le plus grand mal [qu’ait…] fait la révolution [à son mari…] a été de le priver du noble plaisir qu’il trouvoit à être encore, dans l’âge avancé, utile à la chose publique ; comme gouverneur de province, comme membre du tribunal des maréchaux de France »9. Ce tribunal de la noblesse ne pouvait aucunement trouver sa place dans une France ayant aboli les privilèges, d’autant plus qu’il était peu apprécié, y compris par les aristocrates. Dans ses mémoires, le comte de Tilly s’attacha ainsi à le dénigrer systématiquement, en remettant en cause la légitimité et le mérite de ses juges.

8 Cette question du mérite, déjà ancienne, se fit plus insistante, si bien que son évocation était lourde de sens parmi les députés de la Constituante. Le 4 mars 1791, avec son emphase habituelle, Mirabeau évoqua les travers des promotions de maréchaux de France sous l’Ancien Régime, qui étaient, selon lui, au nombre de deux : « un bâton de maréchal de France donné pour un assassinat […] les bâtons de maréchaux de France donnés pour des assiduités d’antichambre, à un courtisan »10.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 43

9 Il est évident que le tribun pensait aux exemples de Vitry et de Soubise. Le maréchal de Vitry fut nommé le 24 avril 1617 pour avoir, le jour même, arrêté et fait assassiner Concini à la demande du jeune Louis XIII. Il fut ainsi récompensé pour avoir accompli une action politique sanglante, permettant au roi de se défaire d’un homme trop puissant. Quant au prince de Soubise, il était, pour l’auditoire de Mirabeau, l’incarnation du courtisan intime du roi récompensé pour son assiduité et sa complaisance à Versailles. Son cas était suffisamment récent pour être connu de tous. Protégé de Madame de Pompadour, il fut vaincu à Rossbach le 5 novembre 1757. L’année suivante, il remporta la bataille de Lutzelberg (10 octobre 1758), ce qui lui valut le bâton. L’avocat parlementaire Barbier la relata dans son Journal, d’après ce qui en avait été dit à Paris, si bien qu’il refusa de lui en attribuer la victoire. Elle fut portée au crédit de Chevert11. Orphelin, ce dernier servit très jeune dans l’armée et s’éleva jusqu’au grade de lieutenant-général. On explique souvent qu’il n’accéda jamais au maréchalat parce qu’il n’était pas d’origine noble12. Un tel destin fit de lui une figure appréciée du tiers état. L’opuscule Apparition du général Chevert, au tiers état, rédigé après la décision du roi de doubler le nombre de députés du Tiers, fut conçu dans cette optique13. Il met en valeur le mérite de Chevert qui ne fut pas récompensé, contrairement à Fabert, souvent considéré à tort comme roturier. Maréchal nommé par Mazarin en 1658, ce dernier était un exemple de « l’idéal incarné » défini par Hervé Drévillon, à savoir un modèle « de sagesse et de modération […] exemple d’obéissance et d’exactitude au service »14. À l’inverse, il paraissait inconcevable qu’un noble aussi récent s’élevât uniquement par son mérite. Omettant le fait qu’il était une « créature » de Mazarin, comme l’écrivit Henri de Campion, des causes surnaturelles furent évoquées, et notamment un pacte avec le Diable15 : « Parmi tant d’exemples que je pourrois citer, je me contenterai de vous rappeler celui du Maréchal Fabert, qui, comme moi & semblable à vous, Tiers État, n’eut pour recommandation que son mérite & sa bravoure. Cependant il s’éleva jusqu’au faîte des honneurs, & mourut au plus haut degré de grandeur. On osa avancer, dans ces temps où la France étoit encore enveloppée des ténèbres épaisses de la superstition, qu’il avoit fait pacte avec le Diable, auquel il s’étoit donné tout entier, & qu’en récompense l’Esprit malin l’avoit toujours accompagné, conduit, guidé & fait réussir dans tous ses vaillans exploits. De là on forgea cette fable, aussi incroyable que ridicule, par laquelle on supposa qu’il étoit mort d’une manière tragique, en soutenant affirmativement que ce même Diable étoit venu l’étrangler »16.

10 Catinat, promu en 1693, était l’autre maréchal « roturier » (il ne l’était pas plus que Fabert) représentant « l’idéal incarné ». Sa réputation de victime de la cour et de philosophe lui donna une popularité posthume au siècle des Lumières. L’apothéose de la gloire de Catinat eut lieu en 1775, avec le concours organisé par l’Académie française, consistant à rédiger un éloge de ce maréchal17.

11 Cette exclusion d’une certaine catégorie d’officiers fut sentie d’une manière d’autant plus forte que l’accès à la dignité paraissait se refermer de plus en plus. La fournée de 1775 fut remarquable à ce niveau, car, sur les sept promus, cinq étaient fils ou petits-fils de maréchaux18. Ils étaient de surcroît déjà ducs. Le phénomène n’était pas inédit, mais il n’avait jamais été aussi important19. Le maréchalat avait été une véritable promotion sociale pour un marquis ou un simple chevalier. Ainsi, il avait contribué à l’accession du marquis de Villars aux titres de duc et pair, pour prendre un exemple significatif. En revanche, pour quelqu’un qui avait déjà ce rang, la dignité n’était pas un moyen d’ascension, mais un ornement supplémentaire.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 44

12 Les promotions de maréchaux de France se faisaient le plus souvent par fournées, y compris en temps de paix. Dans ses Mémoires pour l’instruction du Dauphin, Louis XIV avait expliqué la large promotion de chevaliers du Saint-Esprit de 1661 par l’absence d’attribution de l’ordre depuis 1633, ainsi que par l’idée que « nulle récompense ne coûte moins à nos peuples […] que ces distinctions de rang »20. Nous pouvons considérer les fournées de maréchaux de la même manière. Elles coûtaient moins au Trésor royal que d’autres charges ou fonctions qui étaient également susceptibles d’être attribuées.

13 Les fournées posaient-elles un problème financier à l’État ? Au vu du montant des appointements de maréchal de France (13 522 livres et 10 sous), ce n’étaient pas les revenus de la dignité qui coûtaient le plus au Trésor, mais les pensions connexes21. La rente de 30 000 livres attribuée aux maréchaux de France en 1791, ne paraît faible que si elle est perçue comme une compensation de la suppression des revenus supplémentaires qui n’avaient rien à voir avec la dignité de maréchal22.

14 L’augmentation des effectifs commença au XVIe siècle, afin de relever temporairement l’effectif ordinaire de quatre maréchaux. Les différents événements survenus dans le royaume de France contribuèrent à la hausse de leur nombre. Il était nécessaire au début de la monarchie des Bourbons de rallier les mécontents. Ensuite, l’État voulut de surcroît récompenser de longues carrières au service du roi ou des coups d’éclat comme celui de Villars à Fredlingen en 1702. La fin du règne de Louis XIV vit un doublement des effectifs, afin de répondre aux impératifs de la guerre et de prévenir les baisses trop importantes du nombre des maréchaux.

15 Les circonstances de ces « fournées de maréchaux de France » furent sujettes à caution. Elles servaient souvent à occulter le fait qu’un ou deux individus en particulier étaient spécialement destinés à être promus. Le baron de Besenval présenta dans ses mémoires la fournée de 1783 comme une manœuvre politique. Alors que Ségur et Castries, respectivement ministres de la Guerre et de la Marine, étaient contestés par une partie de la cour, il proposa une solution pour montrer qu’ils avaient toujours la faveur du roi : que celui-ci les fît maréchaux de France. C’est effectivement ce qui se passa. Pour masquer la manœuvre contestable, expliquée tant bien que mal par le mérite des deux hommes dans la conduite de la guerre d’Amérique, on en nomma d’autres en même temps23.

16 La hausse des effectifs qui eut lieu au XVIIIe siècle atteignit des proportions inédites. On pouvait compter vingt maréchaux de France en 1703, ainsi que de 1758 à 1761. On se rapprocha de ce chiffre en 1784 avec dix-neuf maréchaux, ce qui peut paraître surprenant, car la France était alors en paix. Les effectifs étaient fort élevés, plus que de raison. La rareté des places n’était plus de mise, ce qui réduisit l’intérêt de la dignité au sein de l’opinion. En revanche, elles l’étaient de plus en plus pour les familles nobles récentes, exclues d’un titre méritoire devenu l’apanage des aristocrates, du moins des familles déjà intégrées dans le « circuit » du maréchalat. Cette évidence influença grandement les réflexions menées avant et au début de la Révolution.

Les maréchaux dans la tourmente révolutionnaire : de l’Ancien Régime à l’émigration

17 La convocation des États généraux donna un aperçu de l’opinion portée sur la dignité de maréchal de France, par l’intermédiaire des cahiers de doléances. Le maréchalat ne

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 45

semble pas avoir été la préoccupation première du tiers état, plus sensible aux difficultés de la vie quotidienne. Aussi est-il difficile de trouver des demandes explicites pour un accès du tiers état au bâton de maréchal. Sur le plan militaire, le Tiers réclamait surtout l’accès aux grades militaires pour ses membres, sans trop insister sur cette haute dignité24. Le clergé n’était pas beaucoup plus prolixe. À Rodez, il demanda juste à ce que le maréchalat fût le seul moyen de conférer la noblesse héréditaire25.

18 Les cahiers de la noblesse étaient logiquement plus explicites à propos de cette dignité. Une grande place était accordée au tribunal des maréchaux, pour lequel on ne réclamait pas tant sa suppression que l’interdiction d’emprisonner des gentilshommes par simples lettres de cachet ou la réduction des champs de compétence de sa juridiction26. L’idée d’une volonté de réformer la dignité émergeait ; ainsi, le cahier de la noblesse de la banlieue de Paris demandait à ce « que le pouvoir très-précieux des maréchaux de France soit circonscrit dans ses limites nouvelles »27. Il s’agissait d’établir un conseil militaire national, « composé de maréchaux de France & d’officiers de tous grades »28. Ils devaient rester cantonnés à des fonctions militaires.

19 Le cahier de la noblesse de Cézanne et Châtillon-sur-Marne, lieux pourtant très éloignés, a priori, des enjeux politiques et militaires du pays, va plus loin en demandant clairement à ce « qu’on ne multiplie pas au-delà du besoin, & par faveur, le nombre de maréchaux de France, au détriment de cette éminente dignité, & à la surcharge du royaume, par les traitemens qu’il faut leur faire pour en soutenir l’éclat »29. Cette revendication est probablement la plus intéressante, car elle souligne l’idée que les fournées de maréchaux avilissaient la dignité, comme cela avait été dit un siècle auparavant à propos de la « monnaie de Turenne »30. La demande de ne pas multiplier les maréchaux est à associer à celle du cahier du Verman-dois voulant qu’on n’éclipse pas le mérite avec une fortune ou un grand nom, comme cela avait pu être le cas en 1775 avec une promotion faible en homines novi31.

20 À la veille de la Révolution, le maréchalat n’était pas remis en cause dans son existence, mais une réforme institutionnelle était souhaitée, afin de limiter les effectifs, surtout pour des raisons de prestige. À l’instar de la monarchie, la dignité de maréchal de France n’était pas appelée à être supprimée.

21 Les premières difficultés apparurent lors des événements de juillet 1789. Les troupes rassemblées à Versailles le 11 furent confiées au nouveau ministre de la Guerre, le maréchal de Broglie, dont le premier souci était d’éviter toute effusion de sang32. Le député du Tiers, Pellerin, nota qu’une rumeur voulait qu’il devînt maréchal-général des camps et armées du roi, charge qui aurait dû lui donner une réputation analogue à celle de Turenne, Villars, ou Maurice de Saxe, pour ne citer que les derniers titulaires de cette charge33. Il n’y eut pas de mouvement de troupes sur Paris, la Bastille fut prise, et Broglie partit le lendemain vers son gouvernement des Trois-Évêchés et d’Alsace, où il fut pris à partie, alors qu’il avait connu jadis la faveur de l’opinion publique. Une rumeur circula même selon laquelle il aurait été décapité34. Il n’en fut rien. Même si Louis XVI fi t rédiger en sa faveur le 16 juillet des patentes de maréchal-général lui permettant de commander les maréchaux de France, il préféra partir à l’étranger35.

22 Castries le suivit rapidement sur le chemin de l’exil. Ils jouèrent un rôle de premier ordre parmi les émigrés, notamment au conseil formé autour du frère du roi, ainsi qu’à l’éphémère armée d’émigrés. Tous deux moururent en exil, Castries en 1800, Broglie en 1804. La question de leur maintien dans leur titre se posa à l’Assemblée constituante. Le 5 mars 1791, Victor de Broglie y défendit la cause de son père, en affirmant qu’on avait

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 46

persuadé celui-ci qu’il y avait une situation de « danger ». S’il n’était pas revenu en France, comme cela était réclamé par l’Assemblée, c’est parce que sa mauvaise santé l’en aurait empêché36. Malgré le désaveu du maréchal, son fils lui permit de conserver son titre, mais cela s’avéra impossible après 179237. Broglie et Castries se dirent toujours maréchaux, puisqu’ils ne reconnaissaient pas la monarchie constitutionnelle, encore moins la République. La fidélité de ces deux maréchaux à la monarchie d’Ancien Régime montrait que le maréchalat était trop lié à l’ancien ordre, et qu’il devait être réformé.

La régénération du maréchalat

23 L’abolition des privilèges du 4 août 1789 impliquait que la noblesse n’existerait plus en tant qu’ordre privilégié. Les juridictions spéciales étaient donc appelées à disparaître. Ainsi fut aboli le tribunal des maréchaux de France le 7 septembre 179038. Au même moment, la régénération administrative de la France priva ceux-ci d’une importante source de revenus, du fait de la suppression des provinces au profit de la départementalisation. Si le maréchalat était indirectement touché par ces mesures, il n’allait pas tarder à être lui-même perçu comme une institution à révolutionner.

24 Le 4 mars 1791 eut lieu le premier débat important sur la dignité, qui n’était désormais plus que le grade le plus élevé de l’armée de terre, au même titre que celui d’amiral pour la marine. Il était désormais théoriquement accessible à tous les hommes, mais pas aux femmes, en dépit d’une requête déposée à l’Assemblée nationale39. La discussion porta essentiellement sur les effectifs à maintenir, ainsi que sur le traitement à attribuer aux titulaires40. Il fut décidé qu’il n’y aurait que six maréchaux de France en activité. Les objections concernèrent généralement le temps de paix, qui ne nécessitait pas théoriquement la nomination de maréchaux. Or, une interruption des promotions aurait été injuste pour ceux qui avaient bien servi la Nation, le député d’André citant les noms de Rochambeau et de Bouillé, qui jouèrent un rôle majeur dans le maintien de l’ordre dans l’Est, en particulier le deuxième à Nancy. À l’opposé, le député d’Estourmel affirma qu’il fallait plus de six maréchaux en temps de guerre, prenant pour exemple la « monnaie de Turenne ». Les effectifs de 1791 étant bien supérieurs, certains titulaires furent mis à la retraite, tout en conservant leur traitement41. Celui-ci posa problème quant à son montant, car il différait jadis selon les titulaires, qui cumulaient souvent différentes charges. Il fut finalement fixé à 30 000 livres pour les maréchaux d’active.

25 La tentative de fuite des 20 et 21 juin 1791 fut la dernière occasion pour Louis XVI de tenter de reprendre en main son autorité en tant que roi. Aussi était-il prévu, dès que la frontière serait atteinte, de faire Bouillé maréchal de France42. L’échec de cette entreprise provoqua un divorce irréversible entre le roi et la Nation, mais il fallait sauver les apparences pour sauver la nouvelle constitution. Les députés restituèrent donc à Louis XVI ses pouvoirs dès le mois de juillet. Le 14 septembre, celui-ci accepta la constitution. Le roi des Français n’allait pas tarder à découvrir les limites de son pouvoir, aussi bien en vertu de la constitution qu’à cause de l’accaparement des prérogatives de l’exécutif par l’Assemblée législative.

26 La constitution de 1791 réglementait la nomination des maréchaux de France par le roi. L’article 2 du chapitre IV souligne que c’est le roi qui conférait « le commandement des armées et des flottes, et les grades de maréchal de France et d’amiral »43. Cependant, le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 47

pouvoir régalien en ce domaine était fortement nuancé à l’article premier du chapitre III de la constitution, qui attribuait à l’Assemblée législative le pouvoir « de statuer annuellement, après la proposition du roi […] sur la solde et le nombre d’individus de chaque grade »44. Louis XVI n’avait désormais pour rôle que de proposer des noms de nouveaux maréchaux – dans la limite fixée par l’Assemblée, sauf dérogation – aux députés qui avaient le loisir de les valider ou pas. Avant 1791, c’était le ministre de la Guerre qui proposait des noms, inscrits sur une feuille, au roi. Le souverain rayait ensuite les noms de ceux qu’il écartait. Louis XVI avait perdu le monopole de la nomination des maréchaux de France.

27 Le rôle du roi, tel qu’il était défini dans la constitution, fut rapidement mis en difficulté, a fortiori dans le cas des nominations de maréchaux de France. La guerre semblait imminente, alors que l’armée française était fragilisée par l’émigration. À part Ségur, les maréchaux étaient tous au moins septuagénaires ; ils étaient trop infirmes pour commander. Il fallait nommer de nouveaux maréchaux. C’est pour cela que, le 14 décembre 1791, Narbonne, ministre de la Guerre, demanda la formation de trois armées, qu’il fallait attribuer à Rochambeau, Luckner et La Fayette. Afin de donner plus de poids à ces nominations, il demanda l’attribution du bâton de maréchal aux deux premiers, en vertu d’un élargissement exceptionnel du nombre maximum de maréchaux imposé depuis peu : « Sa Majesté eût désiré que l’organisation militaire lui permît de donner le grade de Maréchal de France à MM. de Rochambeau et Luckner »45. La phrase paraît en parfaite conformité avec la constitution de 1791. Rochambeau conserva dans ses Mémoires cette version des faits, en notant que « le roi proposa à l’Assemblée nationale une dérogation au décret de l’Assemblée constituante, qui avait fixé à six le nombre de maréchaux de France, et une augmentation de ce nombre en faveur de M. de Luckner et de [lui] »46. Or, il semble que l’initiative était due à Narbonne, ce qui se confirme à la lecture d’une lettre de Madame Élisabeth datant du 14 décembre même : « M. de Narbonne a parlé ensuite pour dire que le général Rochambeau et Luckner allaient être maréchal [sic] de France »47.

28 Pourquoi avoir choisi Rochambeau et Luckner ? La principale explication serait la faveur dont ils jouissaient auprès de l’Assemblée. Ils avaient juré fidélité à la Constituante plusieurs fois, y compris au moment de la fuite avortée de Louis XVI. Leurs actions passées étaient plus susceptibles d’attirer l’attention des députés que celle de la famille royale. C’est pour cela que, dès le 20 septembre 1791, Barnave avait suggéré à Marie-Antoinette que le roi devait distinguer, au moins par des mots, ces deux généraux48.

29 Jean-Baptiste Vimeur de Rochambeau naquit en 1725. Il s’était distingué lors des guerres de Succession d’Autriche et de Sept Ans, mais le sommet de sa carrière eut lieu en 1780, quand il prit la tête du corps expéditionnaire d’Amérique. Il incarna rapidement, à l’instar de La Fayette, les « idées nouvelles »49.

30 Nicolas Luckner était, quant à lui, Bavarois. Né en 1722, il servit plusieurs souverains et combattit notamment à Rossbach. En échange d’une forte somme d’argent et du grade de lieutenant-général, il accepta de passer au service de la France en 1763. Il incarnait non seulement l’étranger qui préféra la France aux monarchies despotiques européennes, mais le « modèle militaire prussien », que la France tentait depuis la guerre de Sept Ans d’assimiler50.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 48

31 Si Narbonne respectait la constitution en proposant au nom du roi la nomination des deux nouveaux maréchaux, il est indéniable que le rôle du souverain restait faible. Il s’arrêtait en effet au stade de la proposition des noms, désormais soumise à l’examen du Comité militaire de l’Assemblée. Le député Delacroix voulut présenter la proposition de Narbonne comme inconstitutionnelle, en vertu de la loi du 4 mars 179151. Dumas rappela alors le droit constitutionnel de Louis XVI de nommer des maréchaux, a fortiori quand il s’agissait d’une « mesure extraordinaire ». La discussion et la décision étaient désormais entre les mains du pouvoir législatif.

32 Le 24 décembre 1791, Mathieu Dumas présenta un projet de décret : « L’Assemblée nationale, sur le vœu du roi, manifesté par le ministre de la Guerre, d’élever les lieutenants-généraux Rochambeau et Luckner, au grade de maréchal de France, considérant l’avantage qui en résultera pour le bien du service, et voulant donner à ces généraux, au moment où une grande partie des forces nationales leur est confiée, une preuve authentique de la confiance de la nation […], décrète ce qui suit : Art. 1er : Deux officiers généraux, commandants d’armée, pourront être élevés au grade de maréchal de France, sans que les places qu’ils occuperont puissent être considérées comme une augmentation permanente au nombre de six, auquel a été borné, par le décret du 4 mars dernier, celui des maréchaux de France en activité. Art. 2 : Lorsque, par la suite, il viendra à vaquer une place de maréchal de France, il ne pourra être pourvu au remplacement que conformément à la loi du 4 mars 1791, et sans que le nombre des maréchaux de France puisse excéder celui de six » 52.

33 Le texte paraît lui aussi conforme à la constitution, avec un roi des Français chef de l’exécutif, représenté par un ministre devant une Assemblée à l’écoute des vœux de l’exécutif. Cela n’était pourtant qu’une apparence, puisque le roi n’avait plus le pouvoir de décider du jour de promotion, comme cela se faisait jadis. Les discussions pour l’adoption du décret furent reportées au 27 décembre53. C’est ce jour-là que le décret fut voté, à la quasi-unanimité.

34 Le 28 eut lieu le dernier acte législatif. Cambon dénonça l’inconstitutionnalité du décret voté, qui n’exprimait pas, selon lui, une volonté royale authentique. Dumas proposa alors une nouvelle formulation, à savoir : « L’Assemblée nationale, sur le vœu manifesté par le ministre de la Guerre et converti en motion par l’un de ses membres[…] »54. Il désirait alors ôter la référence au roi, confirmant le divorce entre celui-ci et l’Assemblée. L’inconstitutionnalité de cette nouvelle rédaction fut là aussi soulignée par Delacroix, tandis qu’un autre député, Garran-de-Coulon, considérait que le décret était aussi voulu par Louis XVI. Le nouveau préambule fut finalement proposé par Cambon : « L’Assemblée nationale, voulant faciliter au roi les moyens d’élever les généraux Luckner et Rochambeau au grade de maréchal de France, et voulant leur donner, au moment où une grande partie des forces de la Nation leur est confiée, une preuve authentique de la confiance de la Nation, décrète qu’il y a urgence »55.

35 Ce texte fut adopté, et reproduit dans les journaux. Le Moniteur se contenta en revanche, dans le n° 363 du 29 décembre, de rapporter le résultat des débats en précisant que « l’Assemblée [ordonna] la suppression dans le préambule de l’énonciation d’une proposition du roi »56. Le texte final du décret n’avait pas effacé l’existence du roi, mais il avait donné l’initiative de la nomination des maréchaux à l’Assemblée, ce qui était visiblement inconstitutionnel. Curieusement, les Archives parlementaires ne s’achèvent pas au préambule de Cambon : « Suit la teneur du préambule tel qu’il a été adopté lors de la lecture du procès- verbal : L’Assemblée nationale, voulant faciliter l’élévation des généraux Rochambeau et Luckner au grade de maréchal de France, et donner à ces généraux,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 49

au moment où une grande partie des forces nationales leur est confiée, une preuve authentique de la confiance de la Nation, décrète qu’il y a urgence »57.

36 Cette variante du préambule, non diffusée, est étrange, car elle met en évidence la mise à l’écart du roi. Louis XVI, dont le crédit n’avait fait que décroître, avait totalement perdu l’initiative de nommer des maréchaux.

L’impossible grade

37 La cérémonie en faveur de Rochambeau et Luckner eut lieu à Metz le 2 janvier 179258. Pour la première fois, ce n’était pas le roi, confiné aux Tuileries, qui donnait le bâton, mais Narbonne, qui prononça un discours soulignant les raisons pour lesquelles ils furent choisis comme maréchaux59. La rédaction de lettres patentes et d’une lettre aux promus toutes deux signées par le roi furent un moyen de préserver les apparences du pouvoir royal, même si le nouvel ordre était omniprésent60. Ces deux documents, ainsi que le bâton de maréchal, marquaient une continuité avec l’ancien ordre. Le bâton était l’élément le plus symbolique de l’amalgame entre l’Ancien Régime et les principes nouveaux du pays. En effet, il s’agissait du modèle de bâton défini en 1758, à un détail près ; les embouts n’étaient plus ornés d’une fleur de lys mais de la devise « LA NATION, LA LOI, LE ROI »61. Tout fut mis en scène pour montrer que le grade de maréchal de France était compatible avec la Révolution, et qu’il fournissait un potentiel de généraux de qualité.

38 Les espoirs portés sur Rochambeau et Luckner furent pourtant rapidement déçus. La désorganisation de l’armée, en plus du fait qu’ils incarnaient une guerre d’un autre temps, les empêcha d’agir de façon satisfaisante. Rochambeau, constatant lui-même qu’il ne contrôlait pas la situation de l’armée du Nord, manifesta dans une lettre lue à l’Assemblée législative le 4 mai 1792 son désir de quitter son commandement. Deux députés crièrent alors des phrases comme « Qu’il renvoie le bâton ! » et « Le renvoi à Orléans ! »62. Fidèles au retour de l’idée de l’obtention du bâton aux commandants d’armée, et non pas à celle de la récompense d’une carrière, ces deux députés restés anonymes désiraient finalement le retour à un principe disparu au XVIe siècle. À l’époque, le roi pouvait ôter à un maréchal sa charge si celui-ci était disgracié, promu à une autre charge, ou retiré de l’armée. Seulement, en 1792, ce n’était pas le souverain qui émettait un tel désir. Cette réclamation fut sans suite, mais elle montrait que l’existence du maréchalat régénéré était précaire.

39 Luckner resta à l’armée un peu plus longtemps, même s’il était évident que ses qualités militaires réelles faisaient « qu’il n’avait jamais été et qu’il ne serait jamais autre chose qu’un colonel de hussards »63. Passé de l’armée du Rhin à celle du Nord, en remplacement de Rochambeau, il pénétra en Belgique, mais battit peu après en retraite. Voulant lui accorder encore sa confiance, l’Assemblée le nomma à l’armée du Centre, puis au camp de Châlons en tant que généralissime, à la demande de Kellermann. Il était officiellement chargé « d’aider de ses conseils les généraux des différentes armées ; [de…] former dans cette ville une réserve de troupes propre à recevoir les débris des armées battues »64. Luckner devait donc s’occuper des camps et des armées, ce qui rapprochait sa tâche du rôle originel du maréchal-général des camps et armées du roi, en même temps qu’elle lui conférait un statut supérieur, quoique simplement honorifique. Sa principale action fut l’impression d’un placard signé de sa main appelant les soldats à rentrer chez eux. Cela le rendit naturellement suspect

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 50

auprès du commissaire du Conseil exécutif Choderlos de Laclos, qui le dénonça dès le 10 septembre au ministre Servan65.

40 Entre-temps eut lieu le 10 Août. Le 20 septembre fut remportée la bataille de Valmy, et le lendemain fut proclamée la République. Le 22, la Convention, nouvelle Assemblée, convoqua Luckner à Paris pour s’expliquer sur sa retraite en Belgique. Plus aucun maréchal de France n’était à l’armée. Cette situation fut remarquée par le vainqueur de Valmy, Kellermann. Le 21 octobre 1792, après avoir repris Longwy, celui-ci, fort de ses succès, écrivit à Fabre d’Églantine une lettre dans laquelle il faisait remarquer que Dumouriez, Biron, Montesquiou, et lui-même étaient des généraux en chef, « grade […] intermédiaire de celui de général et de maréchal »66. Il demandait pour ses pairs ainsi que pour lui « le grade de maréchal de la République », suggérant même de le conférer à Custine. Une semaine après, le général Anselme prit Nice. Une « lettre des corps administratifs réunis de la ville et du ci-devant comté de Nice » fut apportée à la Convention. Elle demandait à ce qu’on conférât à Anselme « le grade de maréchal de France »67. Les réactions à la Convention furent très négatives. Le député Gensonné affirma que le maréchalat était « un titre qui [devait] être aboli ». Quant au député Lasource, il fut plus explicite en réclamant « l’anéantissement du titre de maréchal de France », suscitant des applaudissements68.

41 Ces déclarations fortes et spontanées sont à rapprocher des propos tenus le 27 décembre 1791 par un député dont le nom ne fut pas retenu par les Archives parlementaires. Celui-ci avait dit « que des serviteurs de la patrie n’ont pas besoin de recevoir des honneurs pour la bien servir »69. Il est évident que les marques d’honneur étaient alors appelées à disparaître, car elles étaient des vestiges du « monde “féodal” » d’après Jean-Paul Bertaud. De telles distinctions ne faisaient qu’établir des inégalités entre les citoyens, tous appelés à servir la patrie avec un esprit de renoncement et de vertu70.

42 Cette évolution des conceptions de l’honneur contribua à l’abolition du maréchalat, qui ne fut toutefois décidée que le 21 février 1793. Son non-remplacement par un grade équivalent soulignait l’idée qu’il incarnait également un objet d’ambition dangereux pour la République71.

Les « ex-maréchaux »

43 Il restait dans la République française, outre Broglie et Castries en exil, des « ci-devant maréchaux de France », appelés aussi « ex-maréchaux ». La rupture ne fut pas radicale, car le 26 avril 1793, Bouchotte, alors ministre de la Guerre, posa la question du paiement du traitement des anciens maréchaux de France d’active, à la suite de courriers émanant des intéressés. L’affaire n’eut pas de suite.

44 La Terreur parut changer la donne, car elle vit l’exécution des maréchaux de Mailly, de Mouchy, et Luckner. Rochambeau échappa de peu à la guillotine, tandis que le nonagénaire Contades fut juste assigné à résidence. Ce n’était pas le maréchalat qui était visé, car le maréchal de Laval mourut en 1798 sans avoir été inquiété. C’étaient leur noblesse, le département où ils se trouvaient, et leurs activités qui étaient susceptibles de leur causer des ennuis. Le maréchal de Mouchy fut guillotiné pour avoir hébergé des prêtres réfractaires. Quant à Mailly, son arrestation fut décidée à cause du zèle du représentant en mission dans la Somme, Dumont, comme en témoigne une lettre de ce représentant à la Convention datant des environs du 7 septembre 1793 :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 51

« J’ai à peine le temps de vous écrire ; je crois que tous les ci-devant ducs, comtes, vicomtes, marquis, etc., et leurs familles sont dans ce pays […] Dans les nouvelles arrestations, les Mailly, les Beuvron, les d’Harcourt, les de Ligne s’y trouvent compris. Les titres de noblesse sont saisis »72.

45 C’est pour les mêmes causes que la dépouille de Fabert disparut, lui qui apparut comme un homme du tiers état aussi bien avant que pendant la Révolution, et évidemment après. Les « maréchaux roturiers » furent récupérés en fait par les royalistes, afin de montrer que les bourgeois avaient pu accéder aux plus hautes dignités sous l’Ancien Régime. En 1795, Sénac de Meilhan publia son ouvrage Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France, avant la Révolution, dans lequel est présentée une liste de maréchaux prétendument issus de la bourgeoisie73. Elle comporte curieusement les noms de Belle- Isle, d’un maréchal dont le nom est dissimulé (« le Maréchal de *** », probablement Broglie), de Villars, de Maillebois, de Fabert, de Catinat et d’Asfeld. Le propos restait le même, mais il passa pour ainsi dire dans le camp opposé.

46 Les exécutions de Mailly et de Mouchy mirent en évidence le fait que les maréchaux étaient avant tout fidèles au roi et à la religion catholique. Mouchy était présent aux Tuileries le 20 juin 1792, tandis que Mailly l’était le 10 Août suivant. Le second participa à la défense du château contre les Fédérés, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, mais son titre de maréchal le sauva d’une mort certaine par deux fois, le 10 août et le 2 septembre74. En montant à l’échafaud à Arras, Mailly cria « Vive le roi ! Je le dis comme mes ancêtres ! »75. À Paris, Mouchy aurait affirmé : « À dix-sept ans, j’ai monté à l’assaut pour mon roi ; à soixante-dix-huit, je vais à l’échafaud pour mon Dieu »76.

47 L’exécution de Luckner, et celle de Rochambeau qui n’eut jamais lieu, sont plus à rapprocher des exécutions de généraux de la République qui battirent en retraite, comme Beauharnais ou Custine. Cela est simplement dû au fait qu’ils furent les seuls maréchaux de France à avoir commandé une armée sous la Révolution.

48 Paradoxalement, même durant la Terreur, il arrivait que le titre de maréchal de France ne fût pas présenté comme un titre révolu. Certes, Le Moniteur universel, en annonçant l’exécution du maréchal de Mouchy, désigna celui-ci comme « ex-duc, ex-maréchal de France, ex-gouverneur de Versailles », mais le même journal était plus ambigu concernant Beauvau, en mentionnant la mort du « ci-devant prince de Beauvau, maréchal de France », quoique le terme « ci-devant » s’appliqua sûrement aux deux titres du défunt77. Que penser de l’anecdote sur Rochambeau, qui évita de justesse la guillotine ? Alors qu’il devait être exécuté, on appela les personnes destinées à monter dans la charrette. Rochambeau, d’après ses Mémoires, s’apprêta à avancer, quand on lui cria qu’il ne faisait pas partie du nombre : « Tu n’as donc pas entendu, maréchal […] ? Il n’y a rien pour toi »78. Une autre version, plus connue, a un aspect plus brutal. Le maréchal faisait partie des condamnés devant partir pour l’échafaud, mais le bourreau se rendit compte que la charrette était trop lourde. Il aurait repoussé Rochambeau en lui affirmant « Retire-toi, vieux maréchal ; ton tour viendra plus tard ». Quelle que soit la variante que l’on adopte, Rochambeau est toujours appelé de la même manière : « Maréchal ».

49 À l’instar de la Convention, le Directoire ne rétablit pas le grade de maréchal de France, pas même en faveur des nombreux brillants généraux qui avaient permis de faire de la France l’arbitre de l’Europe. Le rétablissement d’une dignité d’Ancien Régime n’avait pas sa place dans un régime républicain.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 52

1804 : le rétablissement de la dignité de maréchal de France ?

50 Quand Bonaparte devint Premier Consul, l’une de ses premières tâches fut de réconcilier les deux France : « ni talons rouges, ni bonnets rouges ». Époux d’une veuve de général guillotiné, il avait conscience qu’il fallait réhabiliter les généraux disparus, ainsi que ceux qui avaient survécu. Les maréchaux nommés sous la Révolution furent parmi les premiers dont l’action fut réévaluée, dont la stature fut reconsidérée. L’anecdote de Bonaparte rendant visite à Rochambeau avec Berthier, ancien aide-de- camp de ce dernier en Amérique, est bien connue79. Il est à noter que le Consul l’appela « général », ce qui est après tout logique, car le grade de général de division était désormais le plus élevé de la hiérarchie militaire. C’est aussi pour cela qu’il reçut, de même que le « ci-devant maréchal de Ségur », une pension de général de division réformé80.

51 Malgré ses erreurs, Luckner fut également perçu d’une autre façon. Une estampe datant de l’an VIII le représente, ainsi que son arrestation81.

52 Un texte, intitulé « Luckner généralissime des armées françaises, en 1792 », se situe au- dessous. Il réhabilite complètement celui-ci, « qui, dans le court commandement qu’il eut pendant la guerre de la Révolution n’avoit aucun reproche à se faire, fut envoyé à l’échaffaud, lors du regne de la terreur, par ce tribunal de sang ». Le texte se conclut ainsi : « Ainsi périt ce respectable vieillard, qui avoit cru trouver une retraite paisible parmi nous. mais qu’elle [sic] terre pouvoit être hospitalière, sous un tigre tel que Robespierre ! »

53 En même temps étaient officiellement et pompeusement célébrés les grands militaires de l’Ancien Régime, tels Turenne, dont le corps fut déposé aux Invalides en 1800, et plus tard Vauban, dont le cœur y fut aussi placé en 180882.

54 L’État napoléonien naissant remit en valeur la culture de l’honneur, et exalta les généraux victorieux. Ce nouveau régime avait besoin de fidéliser ceux-ci, républicains endurcis ou anciens serviteurs de l’Ancien Régime. Il était évident que les serviteurs de la patrie avaient besoin de recevoir des honneurs pour bien servir Bonaparte, devenu l’empereur à qui était confié le gouvernement de la République.

55 Aussi est-ce pour cela que l’article 48 de la nouvelle constitution de l’an XII instituait des grands officiers de l’Empire. Les premiers étaient les maréchaux d’Empire, « choisis parmi les généraux les plus distingués », qui ne devaient pas être plus de seize, exclusion faite des maréchaux sénateurs. Rochambeau ne faisait pas partie du nombre, mais il avait une pension d’» ancien maréchal de France », titulature que nous retrouvons en frontispice de ses mémoires. Contrairement au grade qu’il avait reçu avec Luckner, le titre de maréchal d’Empire était une dignité civile, mais cela n’empêchait pas les attributions de fonctions militaires, bien au contraire.

56 La référence à la loi constitutionnelle dans les patentes de maréchal rappelle ce qu’on pouvait trouver dans le brevet de Luckner en 179183. Si la liste des promus fit la part belle aux généraux issus des guerres de la Révolution, elle incluait aussi des officiers ayant servi dès l’Ancien Régime, tel Kellermann, qui obtenait enfin ce qu’il avait revendiqué en 1792. La dignité « rétablie » par Napoléon n’avait pas non plus grand- chose à voir avec celle de l’Ancien Régime. Les institutions comme le tribunal n’avaient pas été rétablies, de même que le profil des titulaires était sensiblement différent. Hormis Kellermann et Sérurier, âgés respectivement de soixante-neuf et soixante-deux

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 53

ans, ils étaient bien plus jeunes que la plupart des maréchaux nommés depuis Louis X V.

57 Seules la fournée de dix-huit maréchaux en 1804 et la place qu’ils tinrent lors de la cérémonie du sacre pouvaient réellement rappeler l’Ancien Régime. On peut admettre que la fournée fut nécessaire, dans la mesure où il fallait constituer les effectifs de la dignité nouvellement créée. En revanche, il est indéniable que le rôle des maréchaux dans le sacre était directement inspiré de celui qui était le leur en 1775 pour celui de Louis XVI. Kellermann, Pérignon, Lefebvre, Bernadotte et Berthier portèrent les honneurs en 1804 au même titre que Contades, Broglie et Nicolaÿ en 177584.

58 Ce que la République ne pouvait se permettre de faire pour des raisons idéologiques et politiques, l’Empire le fit sans difficulté. La création du maréchalat d’empire répondait à un changement du système militaire. Les généraux en chef n’existaient plus. Napoléon était le commandant, le tacticien et le stratège suprême. L’analogie entre la conduite des opérations par l’empereur et la stratégie de cabinet de l’ère louis- quatorzienne peut être séduisante, car les maréchaux qui servaient à l’armée étaient appelés à n’être que des exécutants. Toutefois, il convient de rappeler que Napoléon ne dirigeait pas ses armées depuis les Tuileries, comme Louis XIV essayait de le faire à Versailles. À de rares exceptions près (Davout, Lannes), les maréchaux d’Empire furent de bons exécutants, de bons lieutenants. À l’opposé des règnes de Louis XIII et de Louis XIV, celui de Napoléon n’était pas marqué par la recherche et la promotion de grands capitaines, car l’empereur était censé être l’unique grand capitaine. Le XVIIe siècle fut en France le siècle des Turenne, Condé et Luxembourg. Le XVIIIe fut celui des Vendôme, Villars et Saxe. La Révolution fut la décennie des généraux en chef, dans la lignée des grands chefs des deux siècles précédents, avec Hoche et Bonaparte notamment. Le XIXe siècle fut indéniablement le siècle de Napoléon, même si, sur le plan purement quantitatif, il ne représenta que quinze ans de ce siècle, quinze ans durant lesquels on ne vit jamais autant de maréchaux désignés.

59 Le maréchalat survécut sans difficulté à l’Empire. Louis XVIII permit un habile mélange entre les héritages de l’Ancien Régime et de l’Empire, mais il faut avouer que les différences n’étaient pas toujours très fortes, en particulier au niveau du rôle des maréchaux lors du sacre. D’ailleurs, le serment de maréchal en vigueur sous l’Ancien Régime réapparut, à quelques mots près, de même que le bâton d’origine, après ceux semés d’aigles d’or. La monarchie de Juillet reprit quant à elle l’idée de limitation des effectifs en temps de paix telle qu’elle fut débattue en 1791, mais la véritable remise à plat de l’attribution et des fonctions de cette dignité n’eut lieu que suite à la longue interruption de son attribution entre 1870 et 1916.

ANNEXES

Lettre du roi envoyée aux maréchaux de Rochambeau et Luckner, datée du 28 décembre 1791 (B.C. GOURNAY, Journal militaire contenant tout ce qui est relatif à l’Organisation, à la Composition et à l’Administration de la FORCE PUBLIQUE ; et

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 54

enfin tout ce qui concerne la guerre. Troisième année. Première partie, Paris, Firmin Didot, 1792, p. 38) « Paris, le 28 décembre 1791. L’Assemblée nationale a secondé mes désirs, Monsieur, en me mettant à portée de vous donner une marque éclatante de satisfaction et d’estime. La dignité à laquelle je vous élève, en même temps qu’elle est la récompense de vos services passés, doit être pour vous un puissant motif d’en rendre de nouveaux à la patrie, et de répondre à l’attente de la Nation et à ma confiance. Employez tous vos soins, Monsieur, à rétablir la discipline militaire, elle est le gage assuré du succès pendant la guerre, ce qui est plus précieux encore, elle est souvent un moyen de l’éviter. Signé, LOUIS ».

NOTES

1. Archives parlementaires de 1787 à 1860, Paris, Dupont, 1901, LIX, p. 163. 2. Ibid., p. 164. 3. Le serment de maréchal de France resta inchangé de la seconde moitié du XVIIe siècle à la fin de l’Ancien Régime. Curieusement, une retranscription de sa formule est conservée dans le dossier militaire de Rochambeau (SHD, 2Yd 256), alors qu’il ne fut pas prêté sous la Révolution, puisqu’il n’y avait logiquement aucune référence à la Nation : « Vous jurez et promettez à Dieu de bien et fidèlement servir le Roy envers et contre tous sans en excepter personne, en l’office de maréchal de France dont Sa Majesté vous a pourvu. De n’avoir intelligence avec qui que ce soit au prejudice de l’Estat et de son service ; de luy reveler tout ce que vous entendrez luy estre prejudiciable ; de ne recevoir pension d’autre Prince que de Sa Majesté ; de faire vivre en bon ordre, justice et police les gens de guerre qui sont et seront à sa solde ; que vous les empescherez de fouler et oppresser son peuple et leur ferez soigneusement garder les Ordonnances ; que de votre part vous garderés et entretiendrés lesdites ordonnances en tout ce qui vous sera ordonné, et ferez en ce qui concerne ledit office de marechal de France tout ce qu’un bon et fidele sujet doit et est tenu de faire ; et pour mieux exécuter ce que dessus, Sa Majesté vous fait mettre en main le bâton de marechal de France ainsy qu’il a esté fait à vos prédécesseurs ». 4. Jacques GODECHOT, Les Institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, Dito, 1998, p. 606. 5. Les Constitutions de la France depuis 1789, Paris, Flammarion, 1995, p. 184. 6. Victor RIQUETI DE MIRABEAU, L’ami des hommes ou Traité de la population, Avignon, 1756, p. 182. 7. Le maréchal de Vauban considérait notamment que le commandement incombait naturellement aux maréchaux de France (Albert ROCHAS D’AYGLUN, Vauban : sa famille et ses écrits : ses oisivetés et sa correspondance : analyse et extraits, Paris, Berger-Levrault, 1910, II, p. 646). L’expression « grade de maréchal de France » apparut au moins à partir du XVIIe siècle. 8. En vertu du règlement du 18 mars 1776, les gouvernements de province de première classe (il y en avait deux) étaient attribués uniquement aux princes du sang et aux maréchaux de France. Sur le tribunal des maréchaux de France, nous renvoyons à Pascal BRIOIST, Hervé DREVILLON, Pierre SERNA, Croiser le fer. Violence et culture de l’épée dans la France moderne (XVIe – XVIIIe siècle), Seyssel, Champ Vallon, Epoques, 2002, p. 349-362. 9. Marie-Charlotte DE BEAUVAU, Souvenirs de la Maréchale princesse de Beauvau, Paris, Techener, 1872, p. 5. 10. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1886, XXIII, p. 662.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 55

11. Edmond-Jean-François BARBIER, Chronique de la Régence et du règne de Louis XV (1718-1763) ou Journal de Barbier, Paris, Charpentier, 1857, VII, p. 101 ; Jean CHAGNIOT, Paris et l’armée au XVIIIe siècle, Paris, Economica, 1985, p. 534. 12. L’épitaphe de Chevert en l’église Saint-Eustache à Paris, est fort connue : « Il s’éleva, malgré l’envie, à force de mérite, et chaque grade fut le prix d’une action d’éclat. Le titre seul de maréchal de France a manqué, non pas à sa gloire, mais à l’exemple de ceux qui le prendront pour modèle ». 13. « Le Roi vous appelle à ses États Généraux, en nombre égal aux deux autres Ordres » (Apparition du général Chevert, au Tiers État, [1789 ?], p. 15). 14. Hervé DREVILLON, L’Impôt du sang, Paris, Tallandier, 2005, p. 344. 15. Ces rumeurs provenaient vraisemblablement des milieux aristocratiques. 16. Apparition du Général Chevert, au Tiers État [1789 ?], p. 11. 17. Ce concours, auquel le tacticien Guibert participa, fut remporté par La Harpe. 18. Il est à noter que ces maréchaux appartenaient à des familles comptant parmi les plus importantes du royaume. Duras descendait des maréchaux de 1675 et 1741 du même nom, le premier étant par ailleurs neveu de Turenne. Les frères Noailles et Mouchy étaient les petits-fils et fils des maréchaux de Noailles de 1693 et 1734 ; c’était aussi la première (et la seule, en fait) fois que deux frères faisaient partie de la même fournée. Le maréchal d’Harcourt de 1775 était, en plus d’être le descendant du maréchal de 1283, le frère de celui de 1746 et le fils du maréchal de 1703. Quant au duc de Fitz-James, il n’était autre que le fils du maréchal de Berwick, fils naturel de Jacques II. 19. Dans une promotion au nombre similaire, comme celle de 1693, seuls deux nommés étaient déjà ducs et pairs, Villeroy et Noailles. La promotion de 1724, la première en temps de paix est caractérisée par un nombre important de fils et petits-fils de maréchaux, et ne comportait que trois ducs et pairs. 20. Mémoires et lettres de Louis XIV, Paris, Plon, Les Cahiers de l’Unité Française, 1942, p. 33. 21. Dans le cas du maréchal de Ségur, les appointements de maréchal de France ne comptaient que pour 17,2 % de ses revenus ordinaires (nous ne prenons pas en compte les sommes extraordinaires qu’il reçut). Cette proportion est inférieure à celle que l’on peut mesurer avec les revenus du duc de Croÿ (22,3 %) ou du maréchal d’Aubeterre (36 %), mais supérieure à celle calculée sur les revenus de Vaux (13,5 %). Contrairement à Croÿ et Aubeterre, Ségur avait une pension sur le Trésor royal de 13 000 livres, soit presque autant que les appointements de maréchal, tandis que Vaux bénéficiait d’un traitement sur l’extraordinaire des guerres d’un montant de 36 000 livres, qui était presque trois fois supérieur à ces mêmes appointements. 22. Dans une même lettre envoyée en février 1793 au ministre de la Guerre Beurnonville, puis en octobre de la même année à son successeur Bouchotte, Ségur rappelait « ces services et ces blessures [le maréchal avait notamment perdu un bras à la bataille de Lawfeld en 1747] [qui lui] avaient fait obtenir cent vingt-huit mille livres de traitement [que] l’Assemblée [avait réduits] à trente mille livres » (SHD, 2 Yd 250). 23. Pierre DE BESENVAL, Mémoires du Baron de Besenval, Paris, Baudoin frères, 1828, II, p. 139-148. 24. C’est l’idée que l’on peut avoir à la lecture du troisième volume du Résumé général, ou Extrait des cahiers de pouvoirs, instructions, demandes & doléances, remis par les divers bailliages, sénéchaussées & pays d’États du royaume, à leurs députés à l’Assemblée des États-généraux, ouverts à Versailles le 4 mai 1789, mais rappelons que cet ouvrage ne regroupe pas la totalité des revendications des différents ordres, loin s’en faut. 25. Ibid., I, p. 310. Nous pouvons aussi penser que les cahiers de Troyes, Mantes et Meulan incluaient le maréchalat parmi les grades militaires pour lesquels ils réclamaient l’égalité d’accès (ibid., I, p. 311). 26. Ibid., II, p. 335-336. 27. Ibid., II, p. 335.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 56

28. Ibid., II, p. 332. 29. Ibid., II, p. 337. 30. Trois jours après la mort de Turenne près de Salzbach le 27 juillet 1675, Louis XIV nomma d’un seul coup huit maréchaux. Madame de Cornuel avait alors affirmé que « le Roi a changé son louis d’or en louis de cinq sous ». 31. Résumé général…, op. cit., II, p. 323. 32. Pierre CARON, « La tentative de contre-révolution de juin-juillet 1789 », Revue d’histoire moderne, VIII, 1906-1907, p. 5-34 et 649-678. 33. Joseph-Michel PELLERIN, Correspondance inédite de J.-M. Pellerin, député du Tiers-État de la sénéchaussée de Guérande, Paris, Sauton, 1883, p. 89. 34. Une rumeur similaire circula concernant le maréchal de Mailly (MARTIN, Voyage à Paris en 1789 de Martin, faiseur de bas d’Avignon, Avignon, Roumanille, 1890, p. 46). 35. Les lettres de maréchal-général de Broglie peuvent être trouvées dans Charles-Auguste D’ALLONVILLE, Mémoires secrets de 1770 à 1830, Paris, Werdet, 1838, II, p. 166-167. Seul Villars, jusqu’alors, s’était vu notifier explicitement dans ses provisions de maréchal-général des camps et armées du roi qu’il commandait les maréchaux de France. À la date du 16 juillet 1789, Contades était l’unique maréchal plus ancien que Broglie, ce qui signifie que ce dernier pouvait déjà commander les autres maréchaux. 36. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1886, XXIII, p. 667-668. 37. Les maréchaux de Broglie et de Castries ont disparu de la liste des maréchaux de France à la page 5 de l’État militaire de la France pour l’année 1793. 38. Gabriel LE BARROIS D’ORGEVAL, Le Maréchalat du Moyen Âge à nous jours : tome II Nouveau Régime, Paris, Occitania, 1932, II, p. 19. 39. Dans une Requête des Dames, à l’Assemblée nationale, nous trouvons un curieux projet de décret remis aux députés demandant la promotion de femmes aux « emplois, récompenses & dignités militaires », ainsi qu’une attribution alternée du bâton de maréchal entre hommes et femmes, cette dernière revendication étant sûrement teintée d’ironie : « n’en exceptons pas même le bâton de maréchal de France ; & pour que justice puisse être également faite, nous ordonnons que cet instrument si utile passera alternativement entre les mains des hommes & des femmes » (Requête des Dames, à l’Assemblée nationale, 1789, p. 13). Nous remercions monsieur Pierre Serna de nous avoir fait découvrir ce document. 40. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1886, XXIII, p. 662-663. 41. Le 24 novembre 1791, lors d’une séance de l’Assemblée législative, les six maréchaux d’active désignés par le roi furent énumérés : Contades, Mouchy, Mailly, Beauvau, Laval, Ségur (Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1890, XXXV, p. 349). 42. Claude-Antoine-Gabriel DE C HOISEUL, Relation du départ de Louis XVI, le 20 juin 1791, Paris, Baudoin frères, 1822, p. 53. 43. Les Constitutions de la France depuis 1789, op. cit., p. 55. 44. Ibid., p. 50. 45. Journal militaire, année 3, 1792, partie I, p. 37. Louis XVI aurait refusé de nommer la Fayette maréchal, même si Narbonne lui avait répondu qu’il y serait obligé par la pression populaire. Il aurait été cependant curieux de voir la Fayette promu à ce grade à trente-quatre ans. En effet, il était lieutenant-général depuis une période trop récente, et nul n’était devenu maréchal à la trentaine depuis la régence d’Anne d’Autriche. 46. Jean-Baptiste-Donatien DE V IMEUR DE R OCHAMBEAU, Mémoires militaires, historiques et politiques de Rochambeau, ancien maréchal de France, Paris, Pillet aîné, 1824, I, p. 391. 47. Correspondance de madame Élisabeth de France, sœur de Louis XVI, Paris, Plon, 1868, p. 374. 48. Marie-Antoinette Correspondance (1770-1793), Paris, Tallandier, 2005, p. 616.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 57

49. Mathieu Dumas, rapporteur du comité militaire de l’Assemblée, souligna par deux fois le rôle de Rochambeau en Amérique, ainsi le 14 décembre, en évoquant « [le] général Rochambeau qui a eu tant de part au triomphe de la liberté américaine », et le 24 décembre, en rappelant « le souvenir des services rendus par le général Rochambeau à la cause de l’indépendance américaine » (Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1891, XXVI, p. 114 et 336). 50. Le 24 décembre, Mathieu Dumas définit Luckner comme celui qui avait décidé de consacrer « à la France libre les talents qui firent souvent triompher nos ennemis, [et qui était] l’égal des grands capitaines de [son] siècle ». 51. Jean-François Delacroix, député à la Législative, guillotiné avec les Dantonistes le 5 avril 1794. Il ne faut pas le confondre avec le ministre des Relations extérieures du Directoire. 52. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., XXVI, p. 337. 53. « Nous n’avons pas besoin tout à l’heure de deux maréchaux de France », affirma Delacroix. 54. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., XXVI, p. 467. 55. Ibid. 56. Réimpression de l’Ancien Moniteur, op. cit., Paris, Bureau central, X, 1842, p. 747. 57. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., XXVI, 1887, p. 468. 58. Révolution française, ou Analyse complète et impartiale du Moniteur, Paris, Girardin, An IX (1801), I, p. 601. 59. Ces raisons étaient analogues à celles évoquées par Mathieu Dumas : « Vous, M. de Rochambeau, qui avez courageusement combattu pour la liberté d’une partie du monde […] Vous, M. de Luckner, que nous n’avions appris autrefois à connoître que par nos revers, vous nous avez adoptés pour patrie, et en privant nos ennemis d’un de leurs premiers généraux » (Discours adressé par M. de Narbonne, à MM. de Luckner et Rochambeau, au nom du Roi, à la tête de la garnison de Metz, 1792, p. 2). 60. Rochambeau nota dans ses Mémoires que « le Roi signa de sa main [ses] lettres-patentes de maréchal de France » (Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur DE ROCHAMBEAU, op. cit., I, p. 391). Sachant que les lettres patentes de maréchal étaient envoyées après la réception du mémoire des services rédigé par le promu, c’est-à-dire plusieurs semaines après la nomination, nous ne pensons pas qu’il les avait reçues. Le maréchal évoqua logiquement la lettre signée « Louis » et reçue en même temps que le bâton de maréchal à Metz. Les lettres patentes étaient toujours signées par le roi, y compris sur de nombreuses copies présentes dans différents fonds manuscrits. L’exemplaire de celles de Luckner, conservé dans son dossier militaire au SHD (2 Yd 255), ne se termine pas par la signature du roi. Est-ce un élément significatif ? La lettre écrite par le roi aux deux nouveaux maréchaux a été placée à l’annexe 1 du présent article. Jusqu’à la Révolution, cette lettre était envoyée uniquement au promu, qui était le seul habilité à la décacheter. La lettre de Louis XVI eut la particularité d’avoir été diffusée dans la presse. À l’instar des débats à l’Assemblée sur la nomination exceptionnelle de deux maréchaux supplémentaires, la lettre au promu était un signe du transfert du système de nomination de la sphère privée (entre le roi et le nouveau maréchal) à la sphère publique (débats dans une assemblée, publication de ceux-ci, publication de la lettre adressée au nouveau titulaire). En ce qui concerne l’omniprésence du nouvel ordre dans les lettres patentes délivrées, nous renvoyons à Gabriel LE BARROIS D’ORGEVAL, op. cit., II, p. 51. L’auteur démontre avec justesse ce fait en analysant le brevet de Luckner. 61. Plusieurs clichés du bâton de Luckner, conservé au Musée de l’Armée, ont été réalisés et publiés sur le site de la Réunion des musées nationaux (http ://www.photo.rmn.fr ; nous tenons à remercier Messieurs Dominique Prévôt et Laurent Bergeot qui ont facilité la prise des clichés et leur mise en ligne, suite à nos demandes de renseignements sur ce bâton notamment). Une description très précise de cet objet est donnée dans l’article de M. D. MAC CARTHY, « Le Bâton du maréchal de Luckner », Revue de la SAMA, 1968, n° 72, p. 29-30. Le bâton présenté comme étant

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 58

celui de Rochambeau, exposé le 8 septembre 2007 au château de Rochambeau, ne peut en revanche être considéré comme un objet authentique. 62. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., XLII, 1893, p. 740. Voulait-on le donner à Philippe- Égalité, ou alors à son fils, le futur Louis-Philippe, qui se distingua plus tard à Jemmapes ? Le problème est que l’un ne commandait pas et que l’autre n’avait que dix-neuf ans… 63. Vincent-Marie-Viennot DE VAUBLANC, Mémoires de M. le comte de Vaublanc, Paris, Firmin Didot, 1857, I, p. 204. 64. Antoine-François BERTRAND DE MOLLEVILLE, Histoire de la Révolution de France, deuxième partie, Paris, Giguet et Michaud, 1802, IX, p. 226. 65. Jean-Paul BERTAUD, Choderlos de Laclos, Paris, Fayard, 2003, p. 385. 66. Jean-François-Eugène ROBINET, Le Procès des Dantonistes, Paris, Leroux, 1879, p. 531. 67. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., 1898, LIII, p. 25. 68. Ibid. 69. Archives parlementaires de 1787 à 1860, op. cit., XXVI, p. 462. 70. Jean-Paul BERTAUD, Quand les enfants parlaient de gloire, Paris, Aubier, Collection historique, 2006, p. 169. 71. Les rumeurs d’intrigues menées par certains commandants pour obtenir le grade de maréchal de la République paraissent relativement fréquentes à la fin de l’année 1792, car, hormis les exemples que nous avons relevés, nous pouvons aussi mentionner l’évocation, dans une lettre de Roland à Pache qui daterait de la fin du mois de décembre, d’un commandant démissionnaire dont le « but est d’être proclamé par le peuple, maréchal de la République » (Le Procès Pache, Paris, Cornely, 1911, p. 22). 72. Recueil des actes du Comité de salut public, Paris, Imprimerie nationale, Collection des documents inédits sur l’histoire de France, 1893, VI, p. 333. 73. Gabriel SENAC DE MEILHAN, Du Gouvernement, des mœurs, et des conditions en France, avant la Révolution, Hambourg, Hoffmann, 1795, p. 66. 74. Charles-Élie DE FERRIÈRES, Mémoires du marquis de Ferrières, Paris, Baudouin, 1821, III, p. 486. 75. Ibid. 76. Louise-Henriette DE D URAS, Journal des prisons de mon père, de ma mère et des miennes, Paris, Plon, 1888, p. 285. 77. Réimpression du Moniteur, op. cit., XXI, p. 112, et XVI, p. 473. 78. Jean-Baptiste-Donatien de VIMEUR DE ROCHAMBEAU, op. cit., II, p. 40. 79. Le Premier Consul dit à Rochambeau : « Général, voilà vos élèves ». Rochambeau répondit : « Les élèves ont bien surpassé leur maître ». 80. Elle s’élevait à six mille francs. « Le citoyen Philippe-Henry Ségur, ci-devant maréchal de France et ministre de la guerre, jouira des appointements de général de division réformé » (SHD, dossier 2 Yd 250). 81. Cette estampe se trouve au château de Versailles. 82. Sur les péripéties subies par la dépouille de Turenne entre 1793 et 1800, ainsi que sur le déroulement et le sens de la cérémonie des Invalides, nous renvoyons au remarquable article de Bronislaw BACZKO, « Turenne au temple de Mars », dans Jean-François FAYET, Carine FLUCKIGER et Michel PORRET [dir.], Guerres et paix : mélanges offerts à Jean-Claude Favez, Genève, Goerg, 2000, p. 75-89. 83. Nous pouvons le constater avec les lettres-patentes d’Augereau, citées par Gabriel LE BARROIS D’ORGEVAL, op. cit., II, p. 488. 84. Procès-verbal de la cérémonie du sacre et du couronnement de LL. MM. l’empereur Napoléon et l’impératrice Joséphine, Paris, Imprimerie impériale, 1805, p. 23 ; Journal historique du sacre et du couronnement de Louis XVI, roi de France et de Navarre, 1775, p. 72.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 59

RÉSUMÉS

En 1793 fut aboli le titre de maréchal de France. S’il survécut quatre ans aux profondes transformations de la société et de l’armée sous la Révolution, c’est parce que, au temps de la monarchie constitutionnelle, l’Assemblée tenta de réformer cet éminent titre pour en faire le plus haut grade militaire. En s’inspirant des critiques portées à l’encontre du maréchalat et du commandement des armées en général, et en agissant parfois selon les circonstances, les députés essayèrent de redonner à ce titre prestigieux un crédit qui paraissait avoir été entamé par les abus de la monarchie d’Ancien Régime. L’échec des maréchaux de Rochambeau et de Luckner mit un terme à ces entreprises. La dignité « rétablie » en 1804 n’était pas exactement similaire, bien que reprenant certaines traditions d’Ancien Régime en même temps que certaines réformes révolutionnaires.

In 1793, the title of marechal de France was abolished. If it had survived four years of profound transformations in society and within the army itself under the Revolution, it was because the Constituent Assembly tried to reserve this distinguished title for the highest military rank. Influenced by the criticisms of the marechalat and the command of armies in general, and at times acting according to changing circumstances, the deputies endeavored to restore to this prestigious title a credibility tarnished by the abuses of the Old Regime Monarchy. The failure of the marechaux of Rochambeau and Luckner ended these efforts. The dignity “restablished” in 1804 was not exactly the same, even though it revived certain traditions of the Old Regime as well as maintained some reforms from the Revolutionary period.

INDEX

Mots-clés : maréchaux, commandement, bâton, mérite, contre-révolution

AUTEUR

FADI EL HAGE 5 rue Carnot appartement 101 – 93000 Bobigny [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 60

Après la conjuration : le Directoire, la presse, et l’affaire des Égaux After the Conspiracy: the Directory, the Press, and the Affair of the Equals

Laura Mason Traduction : Aude Chamouard et Thibaut Tretout

NOTE DE L’ÉDITEUR

Langue originale : anglais

Ce texte a été achevé grâce à une bourse du Willson Center for the Humanities, University of Georgia, et pendant que j’étais en résidence à Columbia University Institute for Scholars à Reid Hall. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Danielle Haase-Dubosc, Mihaela Bacou, et Naby Avcioglu pour tout ce qu’elles ont fait pour rendre mon année à Reid Hall si fructueuse.

1 Le 21 floréal an IV (10 mai 1796), le gouvernement républicain du Directoire déclarait avoir découvert un « horrible complot » : une bande de séditieux prévoyait de s’en prendre aux autorités, de piller la capitale et de restaurer le règne de la Terreur. « Mais que les bons citoyens se rassurent » ajoutaient les Directeurs, « le Gouvernement veille, il connaît les Chefs du complot et leurs moyens ». Au petit matin, dans deux appartements de Paris, la police avait arrêté onze individus et saisi des centaines de documents compromettants1. Cet « horrible complot » n’était autre que la Conspiration des Égaux de Gracchus Babeuf 2. Marx et ses héritiers spirituels pensaient avoir trouvé chez Babeuf, dans le passage de la spéculation utopique à l’organisation pratique de la véritable égalité sociale, la première occurrence du communisme moderne. Sans doute les « conditions objectives » avaient-elles prévenu le succès du complot mais Babeuf était pour eux le fondateur d’une tradition qui devait réapparaître au dix-neuvième siècle pour fleurir au vingtième3.

2 Interrogeant la nature de la pensée de Babeuf ou bien sa tentative pour revivifier le militantisme populaire et le faire servir à des fins nouvelles, les historiens s’accordèrent à considérer que les arrestations de floréal constituaient sur la scène

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 61

historique l’ultime phase de ce moment capital que fut la Conspiration des Égaux. Selon eux Babeuf aurait, dès cette époque, livré l’essentiel de sa critique de la propriété privée. Quant aux arrestations, elles n’auraient fait que déjouer une conspiration qui en réalité échoua, la répression et les pénuries de l’an III ayant auparavant mis un terme au militantisme populaire. Enfin, les Égaux après leur arrestation repoussèrent catégoriquement l’accusation d’être des conspirateurs, se décrivant eux-mêmes au cours de leur procès comme une espèce d’utopistes voués à la seule spéculation.

3 Cependant, si les arrestations de floréal terminent l’épisode qui fit sur Marx une telle impression, elles provoquent un changement de statut de Babeuf, qui d’activiste populaire devient une icône de presse, et finit par devenir partie intégrante de la culture politique du Directoire. Ce changement de statut fut rendu possible par le transfert du champ de l’activisme extra-législatif des clubs, des sociétés populaires et des foules vers les journaux qui en prirent l’initiative, transfert qui débute après Thermidor mais qui s’accentue avec l’instauration du Directoire4. Dès les premiers pas du régime, un ensemble hétérogène d’élites politiques et culturelles engagèrent entre elles un débat très vif, mettant à l’épreuve, dans les colonnes de leurs journaux, les directeurs, les législateurs et les administrateurs locaux. Sans une telle presse, l’affaire des Égaux n’aurait jamais existé. En évaluant la crédibilité des charges retenues contre les Égaux et en débattant des conséquences de l’affaire sur la vie politique nationale, les éditeurs et les rédacteurs de journaux nourrirent des opinions politiques que leurs lecteurs devaient traduire en actes dans le corps législatif comme au village.

4 La réputation de Babeuf fut donc façonnée par le Directoire et par la presse, en dotant son nom d’une notoriété publique et en attribuant à son projet une importance que, sans cette publicité, il n’aurait sans doute jamais eue. Les journalistes de droite, à l’exemple du Directoire, s’employèrent à diaboliser Babeuf : en réponse, les démocrates cessèrent de le réduire au rang de provocateur ou de critique lucide mais égaré, tout en l’adoptant comme l’un des leurs. Ce processus, qui commence tout de suite après floréal, n’eût cependant pas été achevé sans l’exécution, un an après son arrestation, de Babeuf, qui dès lors fit définitivement figure de conscience démocrate et de martyr. J.- R. Suratteau se posait la question, il y a quarante ans, de savoir comment « la contre- propagande du Directoire […] [était] venue en renfort de la propagande babouviste » : la réponse est à trouver dans le trouble généré par les journaux de l’ensemble du spectre politique, la médiatisation de l’événement achevant d’en faire une « affaire »5.

5 En forgeant la réputation de Babeuf, cette affaire affaiblit en revanche le premier Directoire. Bien que l’instauration du régime à l’automne 1795, accompagnée par un essor de la libre parole inconnu depuis les jours fastes de 1789-1791, eût contribué au renouveau de la société civile, celle-ci fut affectée profondément par la dénonciation de la Conspiration des Égaux. Contrairement à ce qu’espéraient les Directeurs, le gouvernement cessa dès lors d’apparaître comme étant un arbitre neutre et le gardien de la paix civile. À l’inverse même, l’affaire convainquit la gauche démocrate que le Directoire s’apprêtait à renouer avec la réaction, tout en suscitant chez les réactionnaires et les monarchistes la crainte que le gouvernement ne sût pas contenir la menace qu’il avait identifiée. De sorte que l’affaire raviva le caractère manichéen des oppositions politiques que le Directoire était censé surmonter.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 62

La presse renaissante face à Babeuf

6 Le régime qui restaura brièvement le libéralisme en France était un curieux mélange de nouveau et d’ancien. D’un côté, la Convention nationale remplaça la constitution démocratique de 1793 par celle de 1795 qui abrogea le suffrage universel ainsi que le droit à l’éducation, au travail et à l’insurrection. De l’autre côté, les nouvelles institutions du Directoire accueillaient, grâce au décret des deux tiers, une foule d’anciens révolutionnaires. À court comme à long terme, c’est la persistance de l’ancien qui allait poser problème. Si le décret des deux tiers assurait la continuité politique, il empêchait en revanche les révolutionnaires de rompre avec le passé. Les insurgés de Vendémiaire le montrèrent clairement, en s’attaquant aux députés qui avaient participé à la Terreur. Mais les démocrates ralliés à la défense de la Convention ne se trouvaient pas pour autant dans une situation confortable, la réaction thermidorienne ayant été orchestrée par les législateurs de la Terreur. Ainsi, lorsque la crise éclata après l’arrestation des Égaux, les citoyens – indépendamment de leur appartenance politique – avaient de bonnes raisons de mettre en doute les mobiles du gouvernement.

7 Des historiens ont déjà remarqué « l’effervescence démocratique » de l’an IV6. L’instauration du Directoire fut à l’origine d’un « été indien » de libéralisation, notamment de la vie politique parisienne qui retrouvait le dynamisme des années 1789-1791. Jacobins amnistiés, sans-culottes, démocrates fuyant les persécutions subies en province, arrivèrent en masse dans la capitale et se réunirent dans des cafés connus pour les opinions qui y étaient proclamées. Les royalistes et les « honnêtes gens » réactionnaires s’exprimaient aussi librement, se réunissant dans les salons de particuliers ou bien aux théâtres Vaudeville et Feydeau. Dans toute la capitale, les activistes de toute sorte s’appuyaient sur le rétablissement par la constitution de la libre association pour fonder des clubs7.

8 Cette nouvelle vitalité, visible surtout dans la presse et l’engagement des journalistes, fut la caractéristique la plus flagrante de la vie politique directoriale jusqu’au coup de Fructidor an V. Une fois libérée des dernières entraves de la Convention et soutenue par les subsides du Directoire, la presse connut un remarquable essor8. L’ensemble des quotidiens de toutes nuances se disputaient le lectorat, avec chacun leur point de vue sur les événements et l’avenir de la République. Les quotidiens de droite, en expansion après leur réapparition à la suite de Thermidor, firent montre d’une remarquable diversité d’opinions, des royalistes constitutionnels prônant la paix avec le Directoire jusqu’aux royalistes revanchards. Ces feuilles n’étaient d’ailleurs pas que parisiennes : de Rouen à Marseille et de Toulouse à Grenoble, les quotidiens locaux faisaient écho à la presse de Paris tout en exprimant les préoccupations de la province9.

9 La diversité de ces opposants se retrouve chez les amis de la République. Grâce aux sorties de prison et aux réhabilitations, grâce aussi à l’amnistie du 3 brumaire an IV, le républicanisme renoue avec une hétérogénéité que la Terreur avait mise entre parenthèses. Jacobins, Hébertistes, Girondins, parfois même des réactionnaires, accueillent avec espoir le Directoire dans les pages de leurs journaux respectifs et engagent entre eux comme avec le régime un dialogue sur les meilleures façons de renforcer la république10. Nathalie Lambrichs émet l’hypothèse que ces journaux échouèrent à créer un front républicain. Pourtant, leur très grande indépendance et la fluidité de leurs alliances permirent l’émergence prometteuse d’une vie politique diversifiée11. Par exemple, les démocrates de gauche comme René Lebois, de L’ami du

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 63

peuple, et René Vatar, du Journal des hommes libres, conclurent des accords avec des républicains plus modérés tels que P.-F. Réal et Méhée de la Touche, du Journal des patriotes de 89, et avec l’ancien girondin J.-B. Louvet qui éditait La Sentinelle12. Dans le même temps, le réactionnaire Isidore Langlois se servait du Messager du soir pour reproduire des articles de Réal, sur sa gauche, et de Jean-Pierre Gallais, sur sa droite, dans l’espoir d’établir un dialogue entre eux13. Gallais enfin, dans le Censeur des journaux, injuriait à son tour les jacobins. Tel est le contexte dans lequel Gracchus Babeuf, après huit mois de prison, réédita Le Tribun du peuple.

10 Déjà lorsqu’il était feudiste dans la Picardie d’Ancien Régime, l’autodidacte Babeuf s’intéressait à l’amélioration de la condition des pauvres. Il fut rapidement radicalisé par la Révolution et se lança dans l’activisme, la rédaction de pamphlets et le journalisme. Il fonda, après Thermidor, Le Tribun du peuple, dans les colonnes duquel il appelait à défendre la démocratie et le maximum mais, déçu par l’inaction de la Convention, il finit par y appeler à une insurrection populaire. Emprisonné pour cette raison peu de temps après, Babeuf ne sera pas libéré avant l’instauration du Directoire. Assistant alors à l’abolition par la Convention de la constitution de 1793, dont il espérait si fort l’institution de l’égalité sociale et politique, affrontant le deuil de sa fille, morte de faim après que la suppression du maximum avait mis hors de portée de la classe laborieuse parisienne les denrées de première nécessité, il reprit la plume avec le sentiment pressant d’une urgence nouvelle.

11 Aux républicains qui saluent le nouveau gouvernement, il répond avec amertume, dans Le Tribun, en évoquant la privation du droit de vote et les conditions de vie dramatiques de la classe ouvrière : « Quels sont ces optimistes, prétendus patriotes qui crient à tue-tête : Tout va au mieux dans le meilleur des mondes ? Qu’appelle-t-on aller bien ? Applaudisseurs irréfléchis, inconséquens ! La livre de pain ne se vend-elle pas toujours seize francs ? La livre de viande vingt francs ? […] Où sont les apparences que les institutions qui consacrent le plus affreux brigandage, l’étranglement le plus horrible de la majorité plébéienne, pourront être bientôt changées ? »14

12 Les révolutionnaires de 1789, poursuit-il, ont renversé un système qui permettait à une minorité de priver les masses de leurs droits fondamentaux et des nécessités vitales. En reconnaissant que la société et la Révolution avaient une seule et même finalité, le bonheur commun, la France avait pu faire un pas vers ce but. Plus maintenant : « Dans toutes les déclarations des droits, excepté dans celle de 1795, on a débuté par consacrer cette plus importante maxime de justice éternelle : le but de la société est le bonheur commun »15. Ce silence ne peut surprendre personne, puisque la constitution de 1795 a été selon lui imposée par un nouveau patriciat pour priver le peuple de ses droits. La constitution de 1793, à ce titre, était l’unique et légitime charte de la France16.

13 Les autres rédacteurs démocrates, y compris ceux qui avaient annoncé avec enthousiasme le retour de Babeuf à la publication, l’accueillirent froidement. Désireux de voir s’établir un régime garantissant la paix et la prospérité, ils serrèrent les rangs face à un Babeuf qui le condamnait et appelait au recommencement de la Révolution17. Le Journal des patriotes de 89, modéré, s’exclamait ainsi : « Si j’étais royaliste, je ferais en sorte que les Chouans vinssent dire à la tribune : les terroristes relèvent la tête […] les voilà qui provoquent l’anéantissement de la Constitution que vous avez décrétée ». L’Orateur plébéien, subventionné par le gouvernement, s’écriait quant à lui : « C’est lui, Babeuf, que nous accusons de compromettre le sort de la République ». Le Journal des hommes libres lui-même se désolidarisa de lui : « Nous ne craindrons pas de déclarer que

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 64

notre opinion [est] celle de tous les vrais amis de la république, et que tous désavouent les pages imprudentes qui peuvent rallumer aujourd’hui le flambeau de la discorde, servir le royalisme, et perdre la patrie »18. Babeuf répondit dans le numéro suivant du Tribun pour combattre des adversaires qu’il qualifia de plumitifs à la solde du gouvernement ou de lâches. Lui seul comprenait la souffrance du peuple et la dénonçait ; lui seul combattait pour la démocratie et pour la République19.

14 Le Directoire s’intéressait moins à l’isolement de Babeuf par rapport aux autres journalistes qu’à son influence éventuelle sur le peuple parisien20. Il agit en conséquence : la police saisit des tirages du Tribun tandis que les autorités déléguaient un agent pour arrêter Babeuf. Mais l’agent échoua et Babeuf put s’enfuir grâce à l’aide de passeurs qui l’auraient protégé après avoir entendu son nom21. Depuis la clandestinité, sa voix continua à résonner aussi fort que durant ces quelques semaines de totale liberté.

15 Babeuf proscrivait la propriété privée mais les pamphlets qui exposent ses principes, ainsi que Le Tribun du peuple dans sa globalité, sont surtout consacrés à condamner la vie politique post-thermidorienne, pour susciter une insurrection populaire22. Le Directoire est illégitime, clame-t-il, parce que la constitution de 1795 est illégale. Universellement désirée et légalement adoptée, la constitution de 1793 galvanisait la nation dans sa lutte contre la tyrannie, alors que celle de 1795 fut imposée à un peuple épuisé, pour renforcer le despotisme directorial. Elle prive le peuple de ses droits, au profit de « la classe la plus opulente, la plus cruelle et la plus vicieuse de la nation »23.

16 La voix de Babeuf gagna de nombreuses sphères. Le Tribun du peuple, expédié à près de cinq cents abonnés, toucha vraisemblablement quatre fois plus de lecteurs occasionnels24. Des sympathisants lurent ainsi l’un de ses numéros les plus radicaux – celui qui reprochait aux massacres de Septembre de n’être pas allés assez loin – devant plus d’un millier de membres de la démocratique Société du Panthéon. Après que le Directoire eut ordonné la fermeture de la Société du Panthéon, les activistes firent passer le message de Babeuf dans les rues et les ateliers par des envois anonymes et au moyen de pamphlets.

17 Le Directoire et la police de Paris considéraient le phénomène avec une inquiétude croissante. Un agent se plaignit que « dans les cafés, cabarets et groupes, on fait entendre au peuple que, si la constitution de 93 était en activité, on aurait du pain et de la viande comme il y a deux ans »25. Les directeurs comme la police craignaient que les remarques incendiaires de Babeuf ne suscitassent l’insurrection de la population, traumatisée déjà par la famine et désormais accablée par le chômage et l’inflation rampante. Inquiétante elle aussi, la légion de police créée pour maintenir l’ordre dans la capitale, et à laquelle certains pamphlets des

18 Égaux s’adressaient directement, exprimait le mécontentement qui tournerait bientôt à la mutinerie26.

19 Selon toute apparence, il s’agissait là d’une lutte entre le Directoire, un groupuscule de militants d’extraction populaire, et le peuple de Paris. La plupart des journalistes restèrent indifférents au sort de Babeuf ou se révélèrent franchement hostiles à toutes ses prises de position. Les démocrates de gauche, René Lebois et René Vatar avaient critiqué la police pour avoir arrêté la femme de Babeuf après l’évasion de celui-ci, ce qui n’empêcha pas le Journal des hommes libres de publier la réfutation par P.-A. Antonelle de la conviction de Babeuf, selon lui naïve, qu’il était possible d’abolir la propriété privée27. Le Journal des patriotes de 89, plus modéré, confondait Babeuf et le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 65

réactionnaire Richer-Serisy pour les insulter tous les deux28. Le Messager du soir, réactionnaire, trouvait les idées de Babeuf à ce point si ridicules qu’il ne craignit pas de les résumer avec une surprenante exactitude, ce qu’il justifiait de la façon suivante : « Il n’est guère d’écrivains séditieux dont il ne suffise d’exposer la doctrine pour en montrer le crime et le danger »29. Les rédacteurs de ces deux derniers journaux craignaient que Babeuf et ses amis ne fussent en train d’organiser une nouvelle insurrection de Prairial30.

20 À la fin du mois de mai, la police débusqua Babeuf, après qu’il eut été dénoncé comme un membre de l’ « horrible complot » et arrêté dans un appartement proche du centre de Paris. On y trouva des centaines de documents, parmi lesquels les copies des pamphlets clandestins qui circulaient dans la capitale, des décrets d’insurrection, et des instructions aux confédérés pour inciter le peuple à la rébellion. Au même moment, dans le faubourg Poissonnière, un autre détachement arrêtait une seconde clique qui avait été dénoncée, avec dans ses rangs le député Jean-Baptiste Drouet31.

21 J.-B. Dossonville, chargé de superviser l’arrestation de Babeuf, comptait bien ne pas reproduire les erreurs de ses prédécesseurs. Il plaça des officiers aux extrémités de la rue dans laquelle Babeuf était retiré, tout en laissant croire que la police était à la recherche de simples voleurs. De sorte que lorsque Babeuf fut entraîné vers une calèche toute prête, il vit une foule hostile, fort différente des travailleurs solidaires qui avaient protégé sa fuite la fois précédente. Le trouble qui surgit à cette occasion devait survivre aux mensonges de Dossonville. Dans les semaines suivantes, le Directoire fit publier les plans de Babeuf pour renverser le gouvernement et envoya des agents prendre dans les rues la température de l’opinion populaire. « Lit-on le projet du massacre, et ces mots : “Il faut prévenir toute réflexion de la part du peuple, il faut qu’il fasse des actes qui l’empêchent de rétrograder”, la colère s’empare des lecteurs ; ils voient que les scélérats voulaient les faire les instruments de crimes épouvantables ». Et, quelques jours plus tard : « L’opinion générale manifeste la plus vive indignation contre les auteurs du complot et attend tout de la fermeté du gouvernement »32. Sur les places comme dans les cafés, la pénurie de travail et de nourriture redevinrent très vite les principaux sujets de conversation.

22 C’est par ces arrestations que s’achèvent habituellement les analyses traditionnelles de la Conspiration des Égaux33. Les historiens estiment que la conspiration a échoué parce qu’elle n’était pas en adéquation avec les « conditions objectives » ou bien parce que les Égaux n’avaient pas su organiser les masses. Et il est indéniable que son échec à rallier le peuple de Paris tient à ce que ni Babeuf ni ses alliés ne comprirent combien la scène politique avait changé. Dépourvus d’alliés dans la législature, démoralisés eux-mêmes par la pénurie et la répression, les militants populaires ne devaient pas jouer de rôle décisif dans la vie politique française avant deux générations34. Mais la défaite du militantisme populaire ne signifie pas la mort de l’activisme extra-législatif. Celui-ci, simplement, avait évolué. Les élites culturelles et politiques avaient repris le flambeau, traitant du gouvernement au travers des journaux et de leurs réseaux politiques privés. C’est pour cette raison que la Conspiration des Égaux ne prend pas fin le 21 floréal an IV avec l’arrestation de Babeuf, de Drouet et de neuf autres personnes. Tout au contraire, c’est à compter de ce jour que débute l’histoire proprement révolutionnaire de la conspiration, complètement intégrée dès ce moment à la nouvelle vie politique française.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 66

Les arrestations de floréal et l’échec de la libéralisation de la presse

23 Les Directeurs avaient de bonnes raisons de croire qu’ils s’attireraient de nouveaux amis en donnant pour preuve de leur aptitude à maintenir la paix intérieure et l’ordre civil la découverte de l’ « horrible complot ». Les rédacteurs de journaux n’avaient-ils pas aspiré à une action de ce type en dénonçant les militants qui préparaient un nouveau Prairial ? Néanmoins, le gouvernement devait échouer de façon spectaculaire dans sa tentative de ramener vers le centre la droite et la gauche. En exagérant la menace qu’affrontait la nation et en accusant de traîtrise toute discussion critique de l’affaire, le Directoire polarisa le débat. Cela eut pour effet d’affaiblir l’hétérodoxie des gauches républicaines et d’ôter à la droite son fragile espoir de voir vaincu le jacobinisme radical.

24 Les démocrates s’interrogèrent sur son cas dès qu’ils en entendirent parler, bien qu’ils traitassent Babeuf comme étant digne de pitié ou définitivement coupable. Les journalistes les plus à gauche – Lebois, Vatar et Antonelle – pressèrent le Directoire de se rappeler à qui il avait affaire35. Le Journal des hommes libres insista longuement sur le fait que Babeuf était « une âme profondément aigrie par le spectacle d’une grande et longue misère, d’un abaissement réel du peuple, de l’affaiblissement de l’esprit national ». Les lecteurs comprirent en même temps que la « conspiration » de Babeuf était inoffensive, puisqu’elle requérait un nombre d’hommes et d’armes impossible à réunir. Le Directoire et sa police étaient invités à se montrer circonspects, plutôt que de donner, par un tel déploiement de forces, « mille fois trop d’importance aux rêveries d’un de ces veaux brûlés [sic] »36.

25 Cette manière de ridiculiser le Directoire en ridiculisant Babeuf apparaît de la façon la plus nette dans le commentaire détaillé que publia P.-A. Antonelle dans le Journal des hommes libres. Prenant ses distances avec une conspiration à laquelle il avait brièvement participé, excédé du fait que les papiers de Babeuf et les aveux suivant son arrestation compromissent des centaines de militants, la défense d’Antonelle dans les colonnes du journal inversa de main de maître les termes de l’affaire37. Le plan attribué à Babeuf, assénait-il sans fin, était tout simplement absurde, l’homme qui en était à l’origine manquant de tous les moyens nécessaires pour le mener à bien. « L’acte d’insurrection est le rêve d’un malade […] Plus je réfléchis sur ce trop frivole sujet d’une si vive alarme, plus je demeure convaincu que ce grand complot se réduisait aux petites tracasseries de quelques esprits chagrins, aux passe-temps de quelques désœuvrés qui se communiquaient leurs pensées […] ». Babeuf était donc innocent, sans être un héros – et à peine un ami38.

26 Les démocrates modérés se montrèrent plus critiques, admettant la culpabilité de Babeuf et lui reprochant de façon véhémente de les mettre tous en péril en menaçant la République. Flétrissant les prétendus conspirateurs, « ces dégoûtants anarchistes qui ont compromis la liberté », P.-F. Réal s’attaque particulièrement à Babeuf, « ce misérable qui s’avance vers l’immortalité ! Babeuf obtient un nom, une mémoire ! En vérité cela seul devrait dégoûter les brigands du crime »39. Si le Journal des patriotes de 89 et L’ami des lois reprochèrent aux conspirateurs d’avoir, peut-être par inadvertance, alimenté le sentiment monarchique en semant le désordre, l’ancien girondin Jean- Baptiste Louvet quant à lui qualifiait Babeuf de royaliste fieffé40. Après tout, Babeuf avait été feudiste avant 1789 et il était resté, ajoutait Louvet, un « aristocrate enragé »

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 67

un bon moment après la proclamation de la République. C’est son passé qui expliquait le culte voué par Babeuf à la constitution de 1793, qui ramènerait avec elle l’anarchie de la Terreur et conduirait ainsi les citoyens, dans leur quête désespérée de l’ordre, à restaurer le roi41.

27 Depuis le début, la préoccupation principale des démocrates concernait l’arrestation et la détention prolongée du député Jean-Baptiste Drouet, que personne n’imaginait faisant partie du complot42. En plus d’être ce héros de la Révolution qui, à Varennes, avait empêché la fuite du roi, Drouet était aussi un héros de guerre, ayant passé la plus grande partie de la Terreur et l’intégralité de la réaction thermidorienne en captivité en Autriche. Élu au Conseil des Cinq-Cents in absentia, il était rentré en France quelques mois plus tôt pour occuper son siège, et se distinguer comme l’un des plus francs radicaux de cette assemblée.

28 Les démocrates trouvaient invraisemblable l’appartenance de Drouet au groupe des conspirateurs présumés. « Je n’ai de ma vie parlé à Drouet, mais c’est à sa patriotique audace que les Français doivent l’arrestation du conspirateur couronné […], mais sur sa tête je vois encore le chêne que lui donna la patrie reconnaissante, mais ses mains portent encore les honorables empreintes des fers de l’Autriche, et il me faut de grandes preuves à moi pour briser ces respectables instruments »43.

29 Assurément le député serait innocenté : son rôle dans l’arrestation du roi était à l’origine de ses ennuis actuels, les royalistes ne reculant devant rien pour venger cet acte44. Les démocrates partageaient cette conviction, aussi bien ceux qui méprisaient Babeuf et accusaient le gouvernement de l’utiliser pour abattre Drouet, que ceux qui défendaient Babeuf, ajoutant que la présence à ses côtés de Drouet démontrait la fragilité de l’affaire dans son ensemble45. En somme, les charges retenues contre Drouet apparaissaient tellement invraisemblables que tous croyaient à leur abandon prochain46. Mais ces charges ne furent pas sans suite et, à la fin, les démocrates traitèrent avec une ferveur grandissante une affaire qui cristallisait leurs doutes sur le Directoire. Pour le moment, toutefois, leurs craintes d’une résurgence des violences réactionnaires primaient.

30 Les démocrates redoutaient tous que le spectre d’une conspiration destinée à restaurer la constitution de 1793 ne ranimât la réaction, leur faisant perdre les gains acquis après l’insurrection de Vendémiaire, détruisant la paix civile qu’ils s’efforçaient de préserver, et renouvelant cette violence qui était un péril pour la vie de beaucoup. P.-F. Réal le dit explicitement, lorsqu’il s’en prend à la première mesure adoptée contre la conspiration, en rappelant la violence qui avait dévasté le Sud de la France en l’an III. Critiquant la loi du 21 floréal an IV, qui imposait à d’anciens députés, à des soldats démobilisés et à des fonctionnaires destitués de quitter la capitale, Réal dénonça les conséquences meurtrières de lois comparables qui avaient frappé les nobles durant la Terreur, et les fonctionnaires destitués après Thermidor. Durant la Réaction, « chassées de leurs asiles, des milliers de victimes se rendirent dans leurs communes respectives ; et vingt mille, plus de vingt mille, ont été noyées, sabrées, mitraillées »47. J.-B. Louvet évoquait lui aussi « l’exécrable terrorisme des compagnons de Jésus », en s’inquiétant de ce que les royalistes s’apprêtaient à regagner les positions politiques qu’ils avaient perdues après l’insurrection de Vendémiaire48.

31 La peur de la réaction se fit également sentir, plus discrètement, dans les comptes rendus de la conspiration parus dans les journaux du Sud de la France. Les rédacteurs

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 68

du Journal de Toulouse, publication républicaine, ne prirent pas le risque de traiter directement des événements survenus à Paris ; ils firent allusion à « la fureur des partis » et aux « dangers qu’avaient courus le gouvernement et le corps législatif » d’une façon si peu claire que les citoyens ordinaires furent sans doute impatients de savoir ce dont il retournait49. Lorsque le journal nomma la conspiration, ce fut pour souligner l’isolement politique et géographique des suspects et pour rappeler que les vrais opposants à la république étaient les royalistes50. À Marseille, L’Observateur du Midi lui aussi ne fit que prudemment allusion à la conspiration, et principalement pour se plaindre que les royalistes et les réactionnaires se servaient de cette nouvelle, plutôt que pour exposer l’affaire dans le détail51.

32 À droite, les journaux réactionnaires et monarchistes publiaient leurs propres craintes. Satisfaits de l’arrestation de Babeuf et de ses proches complices, les rédacteurs n’estimaient pas pour autant que la nation était sauve. Même loin de Paris, la portée de la conspiration ne laissa pas de les inquiéter. M.-A. Pelzin, dans le Journal de Lyon, mettait ses lecteurs en garde : « Sans doute cette conspiration n’avait pas circonscrit ses attentats dans la seule ville de Paris. Sans doute des poignards avaient été distribués dans les départements », avertissements prodigués de façon comparable par L’Anti-terroriste de Toulouse et par Le nécessaire à Dijon52. Les journaux de la capitale firent rapidement chorus, multipliant les comptes rendus de troubles à Paris et les rumeurs sur l’étendue des ramifications de la conspiration : Babeuf avait des alliés à Amiens, à Metz, Lyon et Aix ; les jacobins de province attendaient « des instructions d’un fameux terroriste qu’ils avaient peut-être envoyé à Paris […] pour suivre les plans de Babeuf, et pour leur donner le signal du dénouement de la conspiration »53.

33 Les alarmes des réactionnaires et des monarchistes étaient tout aussi compréhensibles que celles des démocrates. Tandis que le Directoire publiait les textes les plus incendiaires de Babeuf, les rédacteurs revinrent avec amertume sur le passé récent. Robespierre, après tout, n’était pas mort depuis deux ans. Et là où les démocrates pouvaient voir dans la réaction thermidorienne la déroute consommée des jacobins, les réactionnaires et les monarchistes s’en souvenaient comme d’une période de profonde incertitude politique, terminée par une insurrection populaire, le décret des deux tiers et une amnistie qui réhabilita des noyaux de « terroristes ». Le caractère douloureux de ce passé et l’incertitude afférente furent ranimés par la nouvelle qu’une conspiration se proposait de rétablir la constitution de 1793.

34 La dénonciation par les Directeurs de la Conspiration des Égaux mit rapidement un terme à toute forme de dialogue entre droite et gauche. Plus jamais Le Messager du soir ni le Censeur des journaux ne devaient échanger d’arguments avec le Journal des patriotes de 89. De manière plus provocante, les réactionnaires et les monarchistes tournèrent en ridicule les démocrates parce qu’ils taxaient Babeuf de royalisme, défendaient Drouet et, même, parce qu’ils craignaient la réaction. Le Parisien Isidore Langlois et le Marseillais Ferréol de Beaugeard, par exemple, doutaient que Louvet ou ses alliés crussent au royalisme de Babeuf ; ils arguèrent que les démocrates avaient forgé cette accusation uniquement parce qu’ils « n’osaient nier ouvertement la conspiration de Babeuf »54. Et si Babeuf était royaliste, ajoutait ironiquement L’Éclair, les démocrates ne devraient pas craindre la réaction, car pourquoi la « juste sévérité » déployée contre les anciens devrait-elle s’abattre sur les nouveaux55 ?

35 La défense de Drouet par les démocrates fut également tournée en dérision. La crédibilité du député fut sévèrement entamée par son passé jacobin. La réponse de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 69

Drouet fut peu convaincante, dans la mesure où d’autres suspects contredisaient ses déclarations aux enquêteurs, et parce que, malgré l’absence de preuve d’une correspondance entre lui et Babeuf, les notes privées de ce dernier suggéraient une accointance antérieure56. En définitive, la critique que fit Drouet de la constitution de 1795 révéla ses sentiments véritables. Les vrais patriotes demeurèrent fidèles à la constitution en vigueur et le défendirent : « Drouet [demandait le rédacteur du Journal politique et littéraire de Rouen] peut-il être compris dans cette classe la plus nombreuse, la seule estimable ? ». Le reste de l’article faisait clairement apparaître que non57.

36 Le commentaire rouennais pointe le cœur du débat, la presse de droite étant rapidement passée avec les démocrates de la discussion des preuves à une joute dont l’enjeu est l’étiquette de patriote. Déniant aux démocrates la pluralité comme la sincérité, Dupont de Nemours, autrefois plus nuancé, mit en cause la loyauté de quiconque interrogeait l’affaire : « On se demande, croyez-vous à la conspiration ? À peu près comme on aurait dit autrefois, croyez-vous à la magie ? Mais cette question même, ces doutes affectés […] sont des signes auxquels on peut reconnaître les partis opposés au gouvernement »58. Plus au sud, le Journal de Lyon, de M.-A. Pelzin, ajouta que ceux qui prétendaient redouter la réaction étaient partie-prenante de la conspiration ; à la manière des sceptiques, ils sapaient le Directoire par le doute, à défaut de pouvoir le renverser par la violence59.

37 Tandis que la peur et l’opposition croissaient aux deux extrémités du champ politique, il incombait au Directoire d’apaiser ces passions grandissantes qui menaçaient une fois encore la république. Mais les directeurs devaient affronter leurs propres démons : une guerre européenne apparemment interminable qui grevait le trésor, une inflation rampante qui menaçait d’établir une barrière infranchissable entre des citoyens riches et des citoyens pauvres, et enfin la menace, en permanence, d’une insurrection populaire. Ils devaient encore subir des déconvenues judiciaires. Dans les jours suivant les arrestations de floréal, le ministère public échoua dans deux procès destinés à manifester la répudiation de l’extrémisme politique par le Directoire : là où un jury disculpait des hommes accusés d’avoir conduit les massacres de septembre, un autre acquittait le journaliste Richer-Sérisy, accusé d’avoir fomenté l’insurrection de Vendémiaire. Or « l’horrible conspiration » paraissait permettre davantage qu’une simple rédemption du régime : elle aurait pu lui permettre de disqualifier ses critiques les plus radicaux et de consolider un centre conservateur qui aurait réuni républicains modérés et monarchistes constitutionnels60.

38 Indéniablement, le complot suscitait des craintes légitimes. Les documents de Babeuf contenaient des listes avec les noms de plusieurs centaines d’alliés potentiels, dont la responsabilité restait à apprécier. Babeuf lui-même, le jour suivant son arrestation, adressa au Directoire une lettre dans laquelle il proposait de négocier avec le gouvernement, « de puissance à puissance », affirmait l’existence de la conspiration et disait n’être qu’un maillon de la chaîne des opposants qui enserrait la France61. Néanmoins, en exagérant la portée de la menace pour asseoir leur réputation de gardiens de l’ordre, les Directeurs avaient présumé de la situation effective du régime.

39 Le Directoire entretint les craintes au sein de la droite en publiant ses preuves les plus provocantes : un morceau de papier qui commençait par l’injonction « tuer les cinq [Directeurs] », et un « Acte d’insurrection », qui prenait l’engagement de restaurer la constitution de 1793, de tuer les fonctionnaires qui résisteraient, et de procéder, dans les plus brefs délais, à la distribution de « tous les biens des émigrés, des conspirateurs

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 70

et de tous les ennemis du peuple […] aux défenseurs de la patrie et aux malheureux »62. Dans le même temps, les déclarations des Directeurs, qui prétendaient maîtriser la situation, étaient mises en doute par les histoires parues dans le très officiel Rédacteur, qui rappelaient le grand nombre de suspects toujours en liberté63.

40 À travers toute la France, les citoyens réagirent aux peurs suscitées par le Directoire, en envoyant à Paris des dénonciations de terroristes et de partisans de la constitution de 179364. Les autorités de la Marne déclarèrent que toute personne suspectée de soutenir la constitution de 1793 se verrait interdire l’entrée dans la garde nationale, disposition assortie d’une surveillance vigilante exercée par les autorités municipales et les « bons citoyens ». Les autorités départementales de l’Hérault décrivirent les tentatives qui y étaient faites pour propager le mécontentement, tentatives qui « justifient l’opinion où nous sommes que nul complot ne se trame à Paris qui n’ait des ramifications dans les départements ». Au Conseil des Cinq-Cents même, le député Fayolle dénonça son collègue Merlinot comme suspect de conspiration65.

41 Cette atmosphère politique influença en outre les démocrates, persuadés de plus en plus qu’ils s’apprêtaient à subir une nouvelle réaction. Carnot fit le serment qu’il n’y aurait pas de réaction, comme il jura que les noms trouvés dans les papiers de Babeuf ne formeraient pas de nouvelles « listes de proscription ». Mais la police utilisant ces papiers pour justifier l’arrestation à travers toute la France de centaines de démocrates, les promesses de Carnot parurent vaines66.

42 Pendant ce temps, le Directoire et son journal officiel, Le Rédacteur, attaquèrent ensemble les défenses explicites de Babeuf développées par les démocrates de gauche et les craintes d’une réaction des démocrates modérés67. La police s’en prit aux sceptiques les plus déclarés, émettant des mandats d’arrestation contre René Lebois, P.-A. Antonelle et René Vatar, ainsi que l’imprimeur du Journal des hommes libres68. Et Le Rédacteur condamna toute critique : « Depuis que la conspiration qui menaçait la République a été dévoilée par le gouvernement, on remarque quelques journaux, dont les auteurs ne sont pas étrangers aux soupçons que la connaissance de ces complots doit faire naître, qui affectent une incrédulité dans leurs récits […] qui seraient tout-à-fait ridicules, s’ils n’étaient en même temps bien coupables »69.

43 Plutôt que de faire cause commune avec Réal, Méhée et Louvet contre Babeuf, comme il l’aurait pu, l’officiel Rédacteur leur reprocha de défendre Drouet.

44 Cette persécution persistante et grandissante révolta les démocrates. Méhée se défendit avec élégance : « J’entends parler de toutes les manières de la vaste conspiration dont le Directoire nous a sauvés […] Le Rédacteur nous annonce que ceux qui feignent d’en douter ne sont pas étrangers à la conspiration. Cette phrase annonce à la fois qu’il y a du danger à différer d’avis avec Le Rédacteur, et par conséquent peu de mérite à en être […] »70.

45 Quelques jours plus tard, il fustigea le Directoire lui-même qui demandait un loyal silence. La loi, rappelait Méhée à ses lecteurs, garantissait la liberté de critiquer, « et je m’honorerais de dénoncer [l]es erreurs, et même [l] es crimes [du Directoire], comme je m’honore d’avoir dans le temps dénoncé Robespierre au corps électoral, au moment où commençait son exécrable tyrannie »71. En réponse, Le Rédacteur ne fit que hausser le ton en accusant les sceptiques d’être des traîtres : « On les voit […] publier, contre

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 71

toutes les parties du gouvernement, des diatribes qui surpassent tout ce que les écrivains les plus effrénés du royalisme se soient jamais permis en ce genre »72.

46 Six semaines après les premières arrestations de suspects, le Directoire semblait avoir trouvé un terrain d’entente avec les rédacteurs réactionnaires et monarchistes, considérant leurs journaux comme les organes des vrais patriotes, prêts à défendre la constitution de 1795. Les Directeurs, cependant, se révélèrent incapables d’analyser les nuances critiques de l’opinion aussi bien chez les réactionnaires et les monarchistes à droite que chez les démocrates radicaux et modérés à gauche. En effet, si des hommes comme Dupont de Nemours de L’historien ou Ferréol de Beaugeard, qui éditait le Journal de Marseille, offraient tous les signes d’un dévouement sincère au régime en place, d’autres émettaient de sérieux doutes. Plusieurs insinuaient que le Directoire était impuissant à contenir les menaces qu’il affrontait ou, pire, qu’il en était à l’origine. Le Censeur des journaux avertit que « la force secrète de cette faction est qu’elle est partout et ne peut être saisie nulle part », pour ajouter ensuite, comme le Messager du soir, que le Directoire ne pouvait défaire cet ennemi parce que la police et l’administration elles- mêmes étaient infestées de jacobins73. M.-A. Pelzin formula des accusations comparables à Lyon, avec la description d’un remaniement politiquement connoté des fonctionnaires locaux qui alimentait le complot et garantissait ses conséquences à long terme74.

Le flagrant délit et la fermeture des rangs

47 La soumission du cas de J.-B. Drouet au Corps législatif, à l’été 1796 cristallisa la colère des démocrates. À partir du moment où le Conseil des Cinq-Cents commença à débattre de l’inviolabilité du député, la presse se désintéressa totalement des autres aspects de l’affaire.

48 Le jour de l’arrestation de Drouet, le Directoire déclara que la police avait appréhendé celui-ci en flagrant délit de conspiration. Les démocrates en exigeaient maintenant une preuve, qui seule pourrait justifier l’emprisonnement et la mise en jugement d’un député en fonction. Drouet prétendait quant à lui avoir été arrêté au moment où il rencontrait des alliés politiques pour discuter d’une lettre officielle qu’il rédigeait. Le rapport de police, soulignaient ses défenseurs, confirmait sa déclaration, puisqu’il ne faisait état, parmi les documents saisis, que de la lettre de Drouet et de documents d’ordre commercial appartenant à l’hôte de la réunion. « Il n’y avait donc aux yeux du commissaire et de ses assistants, ni actions, ni paroles, ni écrits qui annonçassent extérieurement, matériellement et de leur nature, aucune espèce de conspiration, il n’y avait donc pas de flagrant délit »75. Si Drouet n’avait pas été arrêté en flagrant délit de conspiration, le Directoire avait porté atteinte à son inviolabilité et, ce faisant, violé la constitution. Si le Corps législatif redoublait cet acte en autorisant la tenue d’un procès, il violerait à son tour la constitution. « Si la constitution est violée par ses principaux gardiens, tout est perdu ; car, de quel front punirez-vous un homme qui aura conspiré contre la constitution, si vous en êtes les premiers violateurs ? » La Terreur n’avait-elle pas pour origine des violations de ce type76 ?

49 A.-C. Thibaudeau, régicide, réactionnaire convaincu et collègue de Drouet au Conseil des Cinq-Cents, se fit l’avocat du gouvernement en pressant le Corps législatif de prononcer la mise en jugement officielle. Thibaudeau, comme tous les adversaires de Drouet, ne perdit pas son souffle à revenir sur le flagrant délit, considérant que les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 72

preuves étaient irréfutables. La volumineuse correspondance de Babeuf faisait plusieurs fois mention de Drouet. Les deux hommes avouaient s’être rencontrés ; Drouet ne pouvait pas ignorer la signification de ces réunions, puisque Babeuf publiait ses conceptions politiques dans le Tribun du peuple. À quoi s’ajoutait le témoignage de l’informateur Grisel, qui citait Drouet dans sa première dénonciation, et persista devant le grand jury. Enfin, estimait Thibaudeau, les opinions politiques de Drouet n’étaient un secret pour personne. « On voit dans la défense même de Drouet les regrets les plus vifs pour cette constitution de 1793, la critique la plus amère de celle de 1795 ; et cette opinion, très libre sans doute lorsque sa manifestation ne trouble pas l’ordre public, s’accorde parfaitement avec le but principal de la conjuration »77.

50 François Lamarque répondit en avançant des arguments que les rédacteurs sympathisants allaient reprendre et perfectionner plusieurs jours durant dans la presse. Lamarque réfuta une par une les assertions de Thibaudeau. Si la correspondance de Babeuf faisait état de plusieurs rencontres avec Drouet, elle ne disait rien quant à leur objet ; certaines notes donnaient même à entendre que Drouet devait être tenu à l’écart des discussions relatives à l’insurrection. Un citoyen devait-il être condamné pour les crimes commis par des individus avec qui il s’était lié en toute innocence ? Le témoignage de Grisel n’était pas plus concluant. Ses allusions à Drouet dans sa déclaration à Carnot restaient vagues et sujettes à caution, laissant planer un doute quant à savoir si Drouet était activement impliqué ou simplement regardé par les suspects comme une recrue potentielle. De surcroît, le témoignage de Grisel face au grand jury n’était corroboré par aucune preuve matérielle. Le Corps législatif ne pouvait en aucun cas se prononcer sur une affaire de cette importance sur la parole d’un seul homme. « Il ne reste plus que la calomnie toute nue, pour appuyer la demande de la mise en jugement, ou du lieu à examen. Je suis donc convaincu aussi fortement que je pus l’être jamais, que le conseil au lieu de prononcer contre notre collègue Drouet, cherchera par une résolution éclatante et solennelle, à le soulager des maux et des persécutions dont il a été accablé jusqu’à ce moment »78.

51 Aucun des arguments de Lamarque, ni ceux des autres défenseurs de Drouet, ne parvinrent à influencer le Corps législatif. Le Conseil des Cinq-Cents permit que le cas passât devant le Conseil des Anciens, lequel se prononça pour un procès et procéda à la formation de la haute cour seule habilitée à juger un représentant du peuple. Insultée, mais non défaite, la presse démocrate continua à défendre Drouet en imprimant des discours, des lettres et des satires. Méhée alla même jusqu’à se proposer de défendre Drouet, dans la crainte que des hommes plus qualifiés, devant la menace des violences royalistes, hésitassent à offrir leurs services79.

52 Défendant Drouet avec énergie mais avec un sentiment croissant de frustration, les journalistes démocrates qui avaient conservé une relative hétérodoxie dans les regards portés sur Babeuf au moment de son arrestation se rapprochèrent dans leur rupture haineuse avec le Directoire. Faisant cause commune avec Antonelle, Vatar et Lebois pour la défense de Drouet, Méhée et Réal nuancèrent leur opinion sur Babeuf ; négligeant désormais sa culpabilité pour le disqualifier en le décrivant comme « un cerveau brûlé » dépourvu des moyens nécessaires pour entreprendre une insurrection80. Louvet lui-même qui, parce que Drouet était traduit devant le corps législatif avait cessé de parler de Babeuf, sembla se rapprocher des autres.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 73

53 Cette reformation des rangs chez les démocrates confirma les peurs des réactionnaires et des monarchistes. Plutôt que de l’interpréter comme une conséquence de la crise qu’ils avaient traversée, la droite crut que les démocrates exprimaient des sentiments qu’ils n’avaient fait que prétendre abandonner après la Terreur. En un mot, les jacobins n’avaient pas été vaincus : ils attendaient juste le moment propice pour restaurer la Terreur. Dans cette optique, le revirement de Méhée et de Réal devait paraître particulièrement troublant, puisque de la défense du Directoire et de la dénonciation de Babeuf ils en étaient venus à négliger Babeuf pour attaquer sans ménagement le Directoire. Encore ce voyage politique n’était-il pas achevé : l’hiver suivant, Réal devait se présenter devant la haute cour comme le défenseur de Drouet, critiquant amèrement la procédure en cours et le régime avec elle. D’autres suivirent : au printemps de l’année 1797, L’ami des lois, soutien loyal du Directoire à l’époque des arrestations, reprocha ouvertement à la police d’avoir provoqué la conspiration. Rigomer Bazin, qui avait d’abord raillé les « lubies de Babeuf », le proclama « martyr de la liberté » après son exécution81.

54 Alors que les démocrates avaient les yeux fixés sur le procès, la nouvelle se transmit que Drouet s’était évadé et avait disparu. Si Drouet put s’enfuir, c’est tout simplement que son cas était devenu trop embarrassant pour le Directoire. Le Directoire, qui avait arrêté les conspirateurs dénoncés par Grisel, s’imaginait que l’affaire ainsi traitée rencontrerait une large approbation : c’était sans compter l’obstacle opposé par la réputation de l’homme qui avait arrêté le roi à Varennes. En dépit de preuves irréfutables, en dépit de la dénonciation de Grisel, en dépit surtout de ce que les deux chambres du Corps législatif, à une large majorité, avaient approuvé la tenue du procès, les charges retenues contre Drouet continuaient d’exciter la rage des démocrates. Peut- être les directeurs espéraient-ils, en laissant Drouet s’évader, ramener l’attention sur Babeuf, moins crédible, et remporter ainsi la gloire qu’ils escomptaient de sa mise en accusation82.

55 L’évasion cependant survint trop tard. Redoutant que les poursuites à l’encontre de Drouet et le harcèlement des autres démocrates annoncent une nouvelle réaction, persuadés que les Directeurs avaient violé la constitution, les démocrates étaient déterminés à suivre le procès de Babeuf avec attention. Ce procès, qui compta au total soixante-trois autres prévenus, s’étendit sur les trois mois de l’hiver 1796 et du printemps 1797 et fut une bataille acharnée entre les directeurs et leurs opposants démocrates. Au cours de procédures plus longues et plus radicalement couvertes que celles de n’importe quel autre procès intenté durant la Révolution française, chaque camp accusa l’autre de trahir les promesses de la Révolution en présentant ses membres comme les hérauts de la seule véritable République.

56 Les réactionnaires et les monarchistes en profitèrent pour préparer les élections législatives du printemps en rappelant aux électeurs la menace jacobine révélée par le Directoire lui-même83. Après que les électeurs eurent renvoyé seulement onze des 216 candidats à la réélection et réservé leurs faveurs à 180 royalistes déclarés, les Directeurs se trouvèrent fort dépourvus. Ne trouvant pas à droite la bonne volonté nécessaire pour négocier avec les royalistes ou les réactionnaires, ils étaient privés à gauche de la confiance indispensable pour mettre sur pied une contre-offensive en vue des élections suivantes. D’où le coup de Fructidor.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 74

Les conséquences de l’affaire des Égaux

57 Le coup de Fructidor, en écartant du Directoire et des conseils, des tribunaux et des administrations royalistes et réactionnaires, semble marquer la revanche et la résurrection des démocrates, que signale encore l’interdiction de quarante-deux quotidiens situés à la droite de l’échiquier politique, le renouvellement des lois visant les émigrés et les prêtres réfractaires, l’affirmation renouvelée de la liberté d’association. « Dix-huit fructidor ! Jour de délivrance ! » exultait P.-A. Antonelle, pour une fois d’accord avec le très officiel Rédacteur84.

58 Les démocrates s’organisèrent dans une atmosphère de confiance renouvelée et en fonction d’un objectif clair. Le procès des Égaux, au cours de l’hiver et du printemps 1797, devint le « point de ralliement de la conscience jacobine », achevant ainsi le processus d’apparition d’un front populaire initié par les arrestations de floréal85. P.-A. Antonelle en définissait le programme dans son journal-affiche Le démocrate constitutionnel, pressant les démocrates de se rallier à la constitution de l’an III et « de conquérir leur légitimité par le jeu des élections, participant à la régénération des institutions politiques grâce à l’édification d’une opposition constructive »86. Et c’est bien ce qu’ils firent : un grand nombre devint membres de cercles constitutionnels destinés à forger une conscience politique et à réformer le Directoire87. Ils s’organisèrent également pour les élections de 1798, remportant un nombre significatif de victoires. L’année suivante, et bien que les républicains conservateurs eussent remporté la majorité, les démocrates s’allièrent à eux, de façon momentanée, pour obtenir le retrait des directeurs réactionnaires. Ce dernier épisode illustre et la possibilité d’une politique partisane et le phénomène de l’alternance républicaine88.

59 Nombre de ceux qui avaient été accusés en tant qu’Égaux virent leur sort s’améliorer. Le Conseil des Cinq-Cents apporta son soutien aux démocrates déclarés innocents, en leur votant une indemnité pour le travail, l’épargne, les demeures et les biens qu’ils avaient perdus durant leur détention dans les prisons de la haute cour89. Une intervention ministérielle valut la liberté au journaliste Pierre-Nicolas Hésine, l’un des plus ardents défenseurs des Égaux à Vendôme, et qui avait été poursuivi pour son implication dans l’affaire90.

60 Le résultat, toutefois, du coup de Fructidor, est beaucoup plus ambigu que ne le laisse à penser ce tableau riant. Le second Directoire, d’abord inspiré par un républicanisme radical, ne tarda pas à révéler des ambitions de type oligarchique. Après l’attaque menée le 19 fructidor contre la presse royaliste, il s’en prit à la presse de toutes les tendances, instaurant un timbre fiscal et une législation contraignante qui finirent, lentement mais sûrement, par étrangler l’ensemble des journaux. En seulement un an, la police procéda à la fermeture de deux périodiques néo-jacobins, tandis que les Directeurs créaient un bureau spécial pour placer « leurs » articles dans les journaux restés indépendants91. Les nouveaux cercles constitutionnels ne furent pas non plus épargnés : la police et les administrateurs locaux, pour justifier leur harcèlement et en obtenir la fermeture, arguaient de l’emprise sur ces cercles d’ « anarchistes incorrigibles » et d’anciens terroristes. Trente-cinq furent ainsi fermés en moins d’un an et ceux qui leur survécurent perdirent le droit de pétitionner92. Et pour finir, au printemps de l’an VI, les directeurs répondirent aux victoires électorales remportées par les démocrates en réduisant à néant les appointements de trente-trois députés et en nommant, à travers l’ensemble du pays, de nouveaux responsables administratifs93.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 75

61 La panique entretenue par le Directoire et la presse de droite au cours de l’affaire et du procès des Égaux compliqua l’opposition des démocrates. Plutôt que de dissiper la peur des jacobins héritée de la réaction thermidorienne, le Directoire contribua à l’amplifier, désignant les démocrates comme des « jacobins », des « babouvistes » ou des « anarchistes » qui ambitionnaient de prendre le pouvoir et de détruire la République. Ces appellations fournirent un prétexte pour attaquer les démocrates et, in fine, la République en tant que telle ; dénonça l’organisation des démocrates en l’an VI comme une forme ressuscitée du babouvisme ; le Directoire recourut au même reproche pour intimider la section de l’Oratoire en l’an VI et des critiques du même ordre furent proférées à l’encontre de la société du Manège l’année suivante94. Le phénomène atteignit son apogée avec Bonaparte. Avec son frère Lucien, il légitima sa prise du pouvoir en déclarant, comme l’avait fait le Directoire en floréal an IV, que la République était menacée par des jacobins qui espéraient faire revivre la Terreur, menace qui exigeait, pour la survie du régime, des mesures extraordinaires. L’année suivante, Napoléon exploita à nouveau les mêmes peurs, après l’attaque de la rue de Saint-Nicaise, pour justifier l’arrestation et la déportation de plus d’une centaine de militants95.

62 Que le passé d’Égaux ne fût pas universellement accepté, il suffit pour s’en convaincre de citer la proposition de Merlin de Thionville qui à la veille du coup de Fructidor suggérait, aux côtés des royalistes vaincus, de déporter trois d’entre eux96. Ni le second Directoire ni le Consulat ne devaient revenir sur la moindre de leurs convictions au sujet des personnes compromises avec Babeuf et Darthé. Les pétitions de Philippe Buonarroti, de Charles Germain et de cinq autres ne leur valurent qu’un accroissement de ration et, après des années passées dans le glacial Fort national, un bref séjour sur l’île d’Oléron, plus tempérée, précédant leur expulsion de France97. Les personnes innocentées furent elles aussi frappées pour leur ancienne implication dans la conspiration de Babeuf : sur les 130 déportés après l’attaque de la rue Saint-Nicaise, plus d’une douzaine avaient été jugés en tant qu’Égaux ou identifiés comme favorables au mouvement. C’est pour cette raison que René Vatar et René Lebois moururent à Cayenne98.

63 Indubitablement, l’affaire des Égaux est à l’origine d’un héritage complexe. Il est vrai, surtout, que le coût en fut particulièrement élevé. L’affaire galvanisa sans doute le néo- jacobinisme mais, ce faisant, elle priva les démocrates de la souplesse et de la diversité qui avaient été leur force au moment de l’instauration du Directoire. Pire encore, en se servant de l’affaire pour confondre les démocrates avec des jacobins non repentis, le Directoire reprit à son compte le manichéisme politique de la Terreur et de la Réaction, auquel il était censé mettre un terme. Les « distinctions » tracées dans cette optique devaient fournir une excuse toute trouvée pour justifier les violations de la constitution avant et après Fructidor. Les Directeurs, les juges et la police proclamaient à répétition que la France était à ce point écartelée entre la droite et la gauche que n’importe quelle action destinée à lutter contre l’extrémisme s’en trouvait légitimée. Napoléon et ses alliés n’eurent qu’à promettre de remporter la guerre toujours recommencée contre l’extrémisme, en imposant cette fois un gouvernement qui régnerait au-dessus des partis.

64 Le plus grand bénéficiaire de l’affaire fut, en définitive, Babeuf lui-même. Pour l’avoir confondu avec le héros Drouet et profité de son arrestation pour vider le pays des militants démocrates, le Directoire provoqua le ralliement à sa cause des journalistes

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 76

qui avaient d’abord traité Babeuf avec froideur, voire avec antipathie. Pour étayer leur défense, les démocrates amputèrent les aspects les plus controversés et les plus polémiques de la pensée de Babeuf, de manière à le replacer sur le devant de la scène. Au jour de son exécution, Babeuf n’était plus un radical désireux de recommencer la Révolution mais un humaniste visionnaire, défenseur qui plus est de la légalité. Cette image permit aux militants de survivre mais elle servit surtout l’héritage de Babeuf : l’affaire fut ainsi à l’origine du culte voué à la mémoire de Babeuf par les démocrates qui surent tenir compte de la manière dont Filippo Buonarroti, qui prétendait révéler l’ensemble des événements antérieurs à floréal, rendit à lui-même le radicalisme de Babeuf.

NOTES

1. Le Directoire exécutif aux citoyens de Paris, Imprimerie du Directoire exécutif, an IV. 2. Filippo BUONARROTI, La conspiration pour l’Égalité, dit de Babeuf, Paris, Éditions sociales, 1957. 3. Les principales remarques de Marx et d’Engels sur ce sujet se trouvent dans La Sainte Famille et dans le Manifeste du Parti Communiste. Dans l’historiographie se retrouvent : Jean JAURÈS, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Librairie de L’Humanité, 1922 ; Maurice DOM-MANGET, Babeuf et la conjuration des Égaux, Paris, Librairie de L’Humanité, 1922 ; Daniel GUÉRIN, La lutte de classes sous la première république : bourgeois et bras-nus (1793-1797), Paris, Gallimard, 1946 ; Claude MAZAURIC, Babeuf et la conspiration pour l’Égalité, Paris, Éditions sociales, 1962 ; Albert SOBOUL, « Avant-propos », Babeuf et les problèmes de babouvisme : colloque international de Stockholm, Paris, Éditions sociales, 1963 ; Jean-Marc SCHIAPPA, Gracchus Babeuf avec les Égaux, Paris, Éditions ouvrières, 1991. 4. Raymonde MONNIER, « Le tournant de Brumaire : dépopulariser la révolution parisienne », Michel VOVELLE (dir.), Le tournant de l’an III : Réaction et Terreur blanche dans la France révolutionnaire, Paris, CTHS, 1997, 1re partie. 5. Jean René SURATTEAU, « Les Babouvistes, le péril rouge et le Directoire (1796-1798) », Babeuf et les problèmes de Babouvisme, op. cit., p. 151-152. 6. Pierre SERNA, Antonelle : aristocrate révolutionnaire, 1747-1817, Paris, Félin, 1997, p. 300 ; Bernard GAINOT, « Babeuf à travers la presse démocratique et républicaine de l’an IV », Babeuf et les babouvistes en leur temps, Saint-Quentin, Les amis de Gracchus Babeuf, 2000, p. 101. 7. Charles PICQUENARD, « La société du Panthéon et le parti patriote à Paris de brumaire à ventôse an IV », Révolution française, 33, 1897, p. 321-324 ; Albert MATHIEZ, Le Directoire, Paris, Armand Colin, 1934, p. 141 ; Laura MASON, Singing the French Revolution : Popular Culture and Politics, 1787-1799, Ithaca NY, Cornell, 1996, p. 149. 8. Nathalie LAMBRICHS, La liberté de la presse en l’an IV : les journaux républicains, Paris, PUF, 1976, p. 16-17 ; Hugh GOUGH, The Newspaper Press in the French Revolution, London, Routledge, 1988, p. 118-129. 9. Georges CLAUSE, « Un journal républicain de l’époque directoriale à Châlons-sur-Marne, Le Journal du Département de la Marne 1796-1800 », Mémoires de la société d’agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne, XC, 1975, p. 275-313 ; Jeremy POPKIN, The Right-wing Press in France, 1792-1800, Chapel Hill, UNC Press, 1980, p. 4, p. 8-10 ; Éric WAUTERS, Une presse de province

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 77

pendant la Révolution française : journaux et journalistes normands (1785-1800), Paris, CTHS, 1993, p. 202-206 ; Stephen CLAY, « La Guerre des Plumes : La presse provinciale et la politique de faction sous le premier Directoire à Marseille, 1796-1797 », AHRF, 1997, p. 221-247 ; Hugh GOUGH, Newspaper Press…, op. cit., p. 132. 10. Éric WAUTERS, op. cit., p. 206-211. 11. Nathalie LAMBRICHS, op. cit., p. 64-66. 12. Bernard GAINOT, « Babeuf à travers la presse démocratique », art. cit., p. 103. 13. Messager du soir (16, 18 brumaire, 12 frimaire an IV). 14. Le Tribun du peuple, 34, p. 6. 15. Le Tribun du peuple, 34, p. 14. 16. Le Tribun du peuple, 34, p. 44-45. 17. Nathalie LAMBRICHS, op. cit., p. 60-77 ; Max FAJN, Le Journal des hommes libres de tous les pays, 1792-1800, Paris & the Hague, Mouton, 1975, p. 59-61. 18. Charles PICQUENARD, op. cit., p. 332 ; Nathalie LAMBRICHS, op. cit., p. 75 ; Journal des hommes libres (17 brumaire an IV) ; Bernard GAINOT, op. cit., p. 104, p. 108. 19. Le Tribun du peuple, 35. 20. AN, F7 3448, Bureau d’esprit public au ministre de l’Intérieur (22 brumaire an IV). 21. Tribun du peuple, 36, p. 124-126. 22. Jean-René SURATTEAU, op. cit., p. 149-151 ; R.B. ROSE, Gracchus Babeuf, the First Revolutionary Communist, Stanford CA, Stanford University Press, 1978, p. 214, p. 242-243. 23. Opinion sur nos deux constitutions…, Paris, an IV ; Lettre de Franc Libre […] à son ami La Terreur…, Paris, sd. 24. R.B. ROSE, op. cit., p. 219-20. 25. Alphonse AULARD, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, Paris, L. Cerf, 1898-1902, vol. III, rapport du 23 germinal an IV ; voir également 14 ventôse, 3 germinal, 11 floréal an IV. 26. Philippe RIVIALE, La Conjuration : Essai sur la conjuration pour l’égalité dite de Babeuf, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 155-163, p. 185-204 ; M. J. SYDENHAM, The First French Republic, 1792-1804, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1974, p. 92-100. 27. Journal des hommes libres (2 germinal an IV). 28. Journal des patriotes de 89 (19, 20 brumaire ; 11, 14, 20 ventôse an IV). 29. Messager du soir (17 frimaire an IV). 30. Journal des patriotes de 89 (14 ventôse an IV) ; Messager du soir (17 ventôse an IV). 31. R.B. ROSE, op. cit., p. 268-72 ; Messages du Directoire Exécutif […] relativement au représentant du peuple Drouet, Paris, Imprimerie Nationale, an IV. 32. Alphonse AULARD, op. cit., vol. III, rapports des 27 et 30 floréal an IV. 33. Mis à part quelques exceptions importantes, dont Jean René SURATTEAU, op. cit. ; Isser WOLOCH, Jacobin Legacy : The Democratic Movement under the Directory, Princeton NJ, Princeton University Press, 1970 ; Pierre SERNA, op. cit., p. 297-342. 34. Kåre TøNNESSON, La défaite des sans-culottes, mouvement populaire et réaction bourgeoise en l’an III, universitaires d’Oslo, 1959. 35. Journal des hommes libres (23 floréal an IV). 36. Ibid. (23, 25, 26 floréal IV) ; L’ami du peuple (28 floréal an IV). 37. Pierre SERNA, op cit., p. 310-319. 38. Journal des hommes libres (23 prairial an IV) cité par Pierre SERNA, op. cit., p. 321. Serna analyse finement la « défense » de Babeuf par Antonelle, p. 320-326. 39. Journal des patriotes de 89 (23 floréal, 8 prairial an IV). 40. L’ami des lois (23 floréal an IV).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 78

41. La Sentinelle (26 floréal an IV). 42. D’après Pierre Serna, Drouet était « l’authentique victime » de l’affaire (Antonelle…, op. cit., p. 321). 43. Journal des patriotes de 89 (23 floréal an IV). 44. Journal des hommes libres (23 floréal an IV) ; L’ami du peuple (25 floréal an IV) ; Journal des patriotes de 89 (25 floréal an IV). 45. Louvet lui-même, si intransigeant, décrivait Drouet sous les traits de « l’homme ignorant [qui] devient l’instrument crédule des fourbes qui savent le tromper », La sentinelle (26 floréal an IV). 46. L’ami des lois (28 floréal an IV). 47. Journal des patriotes de 89 (26 floréal an IV). 48. La sentinelle (26 floréal an IV). Voir également : Journal des hommes libres (23, 24 floréal an IV) ; L’ami du peuple (26 floréal an IV) ; L’ami des lois (23, 24 floréal an IV). 49. Journal de Toulouse (26, 29 floréal an IV). 50. Journal de Toulouse (4 prairial an IV). 51. L’Observateur du Midi (6, 10 prairial an IV). 52. Journal de Lyon (29 floréal, 6 prairial an IV) ; L’anti-terroriste (29 floréal an IV) ; Le nécessaire (5 prairial an IV) ; Journal politique et littéraire de Rouen (13, 14 prairial an IV). 53. Messager du soir (8 prairial IV) ; Courrier républicain (2 prairial an IV). Voir aussi Messager du soir (14 prairial an IV) ; Censeur des journaux (11 prairial an IV). 54. Messager du soir (17 prairial an IV) ; Journal de Marseille (19 prairial an IV). 55. « Extrait du journal L’Éclair », L’anti-terroriste (6 prairial an IV). 56. Messager du soir (1prairial an IV) ; L’anti-terroriste (6 prairial an IV). 57. Journal politique et littéraire de Rouen (6 prairial an IV). 58. L’historien (17 prairial an IV). 59. Journal de Lyon (23 prairial an IV). 60. Claude MAZAURIC, « Carnot et les Babouvistes », J.-P. Charnay (éd.), Lazare Carnot ou Le Savant- Citoyen, Paris, Presses de l’université de Paris, 1990, p. 99. 61. Extrait du procès verbal des séances du Conseil des Anciens, du 29 floréal IV, Paris, Imprimerie nationale, an IV. 62. L’ « Acte d’insurrection » fut réimprimé par Filippo BUONARROTI, La conspiration pour l’égalité, op. cit., II, p. 164-170. Les textes aux mains des directeurs furent publiés dans Le Rédacteur, Courrier républicain, L’ami du peuple et d’autres quotidiens. 63. Le Rédacteur (5, 8, 20 prairial an IV). 64. AN, F7 4276, Pincra à Lille aux Directeurs (22 floréal an IV) ; députation de Mozelle à Cochon (26 floréal an IV) ; lettre de Monfort (26 floréal an IV) ; AN, F7 7145, Maugerets, près l’administration départementale de la Gironde, à Cochon (29 floréal an IV). 65. AN, C396, Arrêté du département de la Marne (28 floréal an IV) ; Ibid., F7 7145, Les administrateurs du département de l’Hérault au ministre de la Police générale (30 floréal an IV) ; Fayolle […] au ministre de la Police générale, Paris, Dupont, an IV. 66. « Le Directoire exécutif aux Français », Le Rédacteur (3 prairial an IV) ; Jean- René SURATTEAU, op. cit. 67. Le Rédacteur (1, 3 prairial an IV). 68. Max FAJN, op. cit., p. 65-66 ; Pierre SERNA, op. cit., p. 320-322 ; R.B. ROSE, op. cit., p. 274. 69. Le Rédacteur (26 floréal an IV). 70. Journal des patriotes de 89 (1 prairial an IV). 71. Ibid, (6 prairial an IV). 72. Le Rédacteur (26 prairial an IV). 73. Censeur des journaux (23 floréal, 8 prairial an IV) ; Messager du soir (23 floréal an IV).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 79

74. Journal de Lyon (3, 14 prairial, 7, 13 messidor an IV). 75. François LAMARQUE, Discours […] sur la question de savoir : S’il y a lieu à examen de la conduite du représentant Drouet, Paris, R. Vatar, an IV, p. 14. 76. Journal des patriotes de 89 (11 prairial an IV) ; Journal des hommes libres (23 thermidor an IV). 77. A.-C. THIBAUDEAU, Discours […] sur la question de savoir : s’il y a lieu à examen de la conduite du représentant Drouet…, Paris, Maret, an IV, p. 21. 78. François LAMARQUE, Discours, op. cit. 79. L’ami du peuple (21 messidor an IV) ; L’ami des lois (26 messidor an IV) ; Journal des patriotes de 89 (26 messidor, 10 thermidor an IV) ; Journal des hommes libres (29 messidor an IV). 80. Journal des patriotes de 89 (20 messidor an IV). 81. L’ami des lois (23, 24 floréal, 26 messidor an IV ; 8 floréal an V) ; Christine PEYRARD, « Rigomer Bazin et Agricol Moureau : deux chefs d’opinion du “parti républicain” sous le Directoire », Philippe Bourdin et Bernard Gainot (éds), La République directoriale…, op. cit. Le journal du département de la Marne manifesta pareille transformation : Georges CLAUSE, « Un journal républicain », art. cit., p. 294-297. 82. Carnot prévit ces difficultés et essaya d’éviter l’arrestation de Drouet. Claude MAZAURIC, « Carnot et les babouvistes », op. cit. 83. L’Anti-terroriste (8, 12 ventôse an V), Journal de Marseille (19 ventôse an V), Messager du soir (19 ventôse an V), L’historien (25 ventôse an V), Censeur des journaux (1, 6 germinal an V), Courrier républicain (2, 6 germinal an V). 84. Cité par Jean DAUTRY, « Les démocrates parisiens avant et après le coup d’État du 18 Fructidor an V », AHRF, 22, 1950, p. 145. 85. Isser WOLOCH, op. cit., p. 56. 86. Pierre SERNA, op. cit., p. 349. 87. Isser WOLOCH, op. cit., p. 86-100, p. 114-148 88. Bernard GAINOT, 1799, un nouveau Jacobinisme ?, Paris, CTHS, 2001. 89. Jean-René SURATTEAU, op. cit., p. 163. 90. M. R. BOUIS, « Le patriote Pierre-Nicolas Hésine : ses luttes ardentes en Loir-et-Cher », 3e partie, Bulletin de la société archéologique, scientifique et littéraire du Vendômois, 1971, p. 65. 91. Hugh GOUGH, op. cit., p. 141-144, Jeremy POPKIN, « Les Journaux républicains, 1795-1799 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXI, 1984, p. 150 ; Éric WAUTERS, op. cit., p. 232-235. 92. Isser WOLOCH, op. cit., p. 90-91, 123-124, 131-136, 233-234. 93. Albert MEYNIER, Les coups d’État du Directoire, Paris, PUF, 1927-1928, II, p. 87-94. 94. Ibid., II, p. 33-35 ; Isser WOLOCH, op. cit., p. 155-156 ; Pierre SERNA, op. cit., p. 361-362 ; Bernard GAINOT, 1799, Un nouveau Jacobinisme ?… op. cit., p. 237-238. 95. Isser WOLOCH, Napoleon and his Collaborators: the Making of a Dictatorship, New York, Norton, 2001, p. 22-23, 66-80. 96. Albert MEYNIER, op. cit., I, p. 177. 97. AN, BB3/21, Germain au Directoire exécutif, 10 vendémiaire an VI ; Pétition des soussignés condamnés à la déportation par la Haute-Cour, Perpignan, Lamberté, an VII ; Elizabeth EISENSTEIN, The First Professional Revolutionist : Filippo Michele Buonarroti, Cambridge, Harvard University Press, 1959, p. 31. 98. Robert LEGRAND, Babeuf et ses compagnons de route, Paris, Société des Études Robespierristes, 1981, p. 256-257.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 80

RÉSUMÉS

L’arrestation de Gracchus Babeuf et des Égaux en floréal an IV intégra Babeuf à la culture politique du Directoire, le faisant passer du statut d’activiste populaire à celui d’icône de la presse. Dans l’année qui suivit, le Directoire et une presse périodique dynamique firent connaître le nom de Babeuf bien au-delà de tout ce qu’il avait pu accomplir. Les journaux démocrates en particulier, cessèrent de représenter Babeuf comme un provocateur ou un critique dans l’erreur pour finalement le célébrer comme une conscience républicaine et un martyr. Alors que l’affaire forgeait la réputation de Babeuf, elle affaiblissait par là-même le Directoire en polarisant la droite et la gauche, revivifiant ainsi des haines politiques que le nouveau régime était censé apaiser.

The arrest of Gracchus Babeuf and the Equals in Floréal year IV integrated Babeuf into directorial political culture by transforming him from popular activist to press icon. Over the next year, the Directory and a newly-vibrant periodical press would publicize Babeuf’s name well beyond anything he had yet achieved. Democratic newspapers, in particular, would cease to represent Babeuf as a agitator or misguided critic, coming instead to celebrate him as republican conscience and martyr. As the affair forged Babeuf’s reputation, it weakened the Directory by polarizing right and left, renewing political hatreds the new regime was meant to heal.

INDEX

Mots-clés : Babeuf, Directoire, presse, 18 Fructidor

AUTEURS

LAURA MASON University of Georgia – Athens, GA 30602, USA [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 81

Un moment méconnu de l’historiographie : l’introduction et la diffusion en France de l’ouvrage de Karl Kautsky La lutte des classes en France en 1789 A Little Known Moment of Historiography: the Introduction in France of the Work of Karl Kautsky, Class Struggle in France in 1789

Jean-Numa Ducange

Merci à Paul PASTEUR pour sa relecture et ses suggestions.

1 L'Histoire socialiste de la Révolution française de Jaurès1, parue initialement entre 1900 et 1904, a longtemps été considérée comme le point de départ d’une tradition d’étude d’histoire économique et sociale dont se revendiquèrent de nombreux historiens, d’Albert Mathiez à Michel Vovelle2. Le contenu de l’œuvre elle-même et le contexte politique dans lequel elle a paru ont été abordés par de nombreuses études3. En revanche, on ne mentionne que très rarement l’initiative de la publication en 1901 par une petite maison d’édition proche des guesdistes – du nom de Jules Guesde, un des principaux rivaux politiques de Jaurès dans la mouvance socialiste – de la traduction d’une brochure de Karl Kautsky4sous le titre de La lutte des classes en France en 17895. Relativement oublié aujourd’hui, cet ouvrage n’est pourtant pas passé inaperçu lors de sa parution.

2 Sa réception montre que certains aspects de la conception jaurésienne de l’histoire n’étaient pas partagés unanimement par tous les socialistes. En effet, une partie d’entre eux voyait alors d’un bon œil le regard du « pape du marxisme », surnom de Kautsky alors au faîte de son prestige, sur la « Grande Révolution ». Dans un contexte politique marqué par de profondes dissensions au sein de la deuxième Internationale – entrée d’un ministre socialiste (Millerand) dans le gouvernement « bourgeois » de Waldeck- Rousseau en 1899 en France, querelle « révisionniste » sur l’interprétation du marxisme

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 82

en Allemagne – l’analyse d’un événement comme la Révolution française était un enjeu majeur. L’introduction de l’ouvrage de Kautsky en France est étroitement dépendante de ces questionnements et nous livre une perception plus nuancée de l’héritage de la Révolution française au sein du socialisme français, que l’on a trop tendance à réduire à la pensée du seul Jaurès.

Écrire l’histoire de la Révolution française : la production sociale-démocrate

3 Il faut en premier lieu rappeler que la volonté d’écrire une histoire de la Révolution française d’un point de vue socialiste ne remonte pas à Jaurès. S’il fut celui qui produisit de très loin la somme la plus importante, plusieurs milliers de pages, et la plus historienne, fondée sur la consultation de nombreuses sources, le projet d’établir un tel ouvrage sur la Révolution, en rupture avec les histoires dominantes, remonte à Marx lui-même. Si celui-ci ne parvint pas à écrire l’histoire de la Convention souhaitée, ses héritiers allemands furent plusieurs à reprendre ce projet. Du vivant de Marx, Georg Von Vollmar, resté dans l’histoire comme le premier social-démocrate à réviser un certain « marxisme »6 à partir de la question paysanne, porte un grand intérêt à l’histoire de la « Grande Révolution »7. Quelques années plus tard Wilhelm Liebknecht, dirigeant social-démocrate de premier plan, combattant de la révolution de 1848, premier député de son courant élu avec Auguste Bebel en 1867, envisage, en prévision du centenaire de 1889, de publier une histoire de la Révolution française. Ses archives personnelles comprennent de nombreuses notes prises sur des ouvrages à ce sujet. Ses premiers travaux seront publiés en 1888-1889 à Leipzig8. Mais inachevé, ce travail n’eut que très peu d’écho.

4 C’est Karl Kautsky qui publie finalement le premier ouvrage de vulgarisation marxiste sur la Révolution française. Kautsky était à la fi n du dix-neuvième siècle et au moins jusqu’en 1914 une figure de premier plan du socialisme international, au sein duquel il exerçait une grande influence politique et théorique. Ce prestige se construisit notamment autour de sa revue théorique Die Neue Zeit, qu’il fonde l’année de la mort de Marx en 1883, et dans laquelle sont débattus la plupart des problèmes du mouvement socialiste international d’avant 1914. Kautsky, qui n’exerça formellement aucun mandat politique, accorda une grande importance à l’histoire qu’il concevait comme un domaine que le parti social-démocrate devait prendre en charge pour la formation des militants. Die Neue Zeit publia ainsi de nombreuses études historiques d’une certaine ampleur sous forme d’articles, dont certaines furent ensuite reproduites en brochures, elles-mêmes vulgarisées dans des plans détaillés destinés à la formation des cadres9. C’est le cas de Die Klassengengensätze von 1789. Zum hundertjährigen Gedenktag der grossen Revolution10 paru dans un premier temps dans la revue en plusieurs livraisons puis, après des corrections suite aux conseils d’Engels11, sous forme de livre quelques mois plus tard.

5 Cet essai sur la Révolution française est écrit à l’occasion du centenaire, mais son origine remonte à un projet plus large. Intéressé de longue date par l’histoire de France, Kautsky avait eu le projet d’une thèse (Dissertation) sur Jefferson comme ambassadeur des États-Unis en France en 1789. Lecteur, tout comme Marx et Engels avant lui, de L’Histoire de la Révolution de Louis Blanc12, qu’il cite à trois reprises, Kautsky prêta aussi attention aux histoires très influentes de l’époque, comme celles de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 83

Heinrich Von Sybel, Alexis de Tocqueville ou encore Hyppolite Taine. Il ne prit pas le temps en revanche de consulter des sources, chose peu évidente de là où il était alors, à Vienne. Les quelques indications de sources ou livres rares proviennent de sa correspondance avec Engels qui avait pu, lui, de Londres, prendre connaissance de documents et d’études récentes comme l’ouvrage de l’historien russe Karéiew Les paysans et la question paysanne en France dans le dernier quart du XVIIIe siècle13.

6 En une centaine de pages Kautsky dresse un portrait de la France révolutionnaire très classiste, les divisions du livre correspondant à des groupes sociaux. Le sommaire de l’ouvrage est révélateur : « La monarchie absolue/Noblesse et clergé/Les fonctionnaires/La révolte des privilégiés/La bourgeoisie/Les classes libérales/Les sans-culottes/Les paysans/ L’étranger ».

7 L’auteur entend aller à l’encontre de la tendance générale qui voit la Révolution « comme un épisode s’intercalant entre les luttes des , des orateurs et des hommes d’État »14 en insistant sur le jeu des forces sociales. Les thèmes abordés vont ainsi largement au-delà de la seule année 1789. Kautsky esquisse une définition marxiste de la monarchie absolue dont les contradictions permettent de comprendre le déclenchement de la Révolution et s’intéresse de près à la période napoléonienne perçue comme le prolongement logique de la période révolutionnaire.

8 Non exempt de schématisme et en dehors de toute logique chronologique, l’ouvrage vaut plus pour ses remarques assez générales sur certains conflits au sein du mouvement révolutionnaire. L’attention portée à l’étude des groupes populaires, paysans comme sans-culottes, bien qu’assez brève et fondée sur des intuitions plus que sur un travail de recherche, est singulière pour l’époque. À une période où la social- démocratie devient une force politique majeure, il constitue historiquement le premier essai de ce type dans le sillage des analyses de Marx15. Il servira de base à toute approche nouvelle dans ce courant de pensée en Allemagne16. Sa force est de présenter la Révolution française de façon synthétique et abordable et de la resituer dans un ensemble plus large qui va de la nature de l’État absolutiste aux problèmes posés par l’héritage actuel de 1789 dans le mouvement ouvrier.

9 C’est ce dernier point qui soulève le plus d’interrogations et il est capital pour comprendre son introduction en France. Kautsky, après avoir développé quelques remarques intéressantes sur le rapport entre le gouvernement révolutionnaire et les sans-culottes, constate l’emprise de la tradition jacobine sur le mouvement ouvrier français : « La vérité, c’est que les traditions jacobines sont aujourd’hui parmi les obstacles les plus sérieux qui entravent en France la formation d’un grand parti ouvrier, un et indépendant »17. C’est en effet à travers l’analyse de la Révolution que la question de son héritage se pose avec acuité. Cette remarque de Kautsky, écrite en 1889, prend toute sa dimension dix ans plus tard lors de sa réception en France dans le contexte politique tendu du début du vingtième siècle.

La traduction et l’introduction de l’ouvrage en France

10 Avant 1900, le nombre de traductions d’articles et d’ouvrages de l’allemand vers le français est assez pauvre dans le champ socialiste. Quand elles existent, c’est parfois dans des cadres très restreints. Ainsi peut-on trouver une première traduction inachevée de l’ouvrage de Kautsky en 1894 sous le titre Les antagonismes de classes en 1789

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 84

dans un hebdomadaire « collectiviste » 18 toulousain, Le socialiste du Midi19. Si l’impact est très faible, le fait qu’un journal du courant guesdiste souhaite introduire en France la brochure de Kautsky constitue néanmoins une indication importante pour la suite.

11 La crise qu’entraîne l’entrée d’un ministre socialiste dans un gouvernement « bourgeois » en France en 1899, contemporaine de la controverse en Allemagne autour de la révision de certains principes supposés acquis du marxisme, dynamise la production éditoriale : les traductions de textes allemands se multiplient. Les principaux protagonistes de ces querelles en bénéficient : Karl Kautsky, gardien d’une certaine orthodoxie en tant qu’inspirateur principal du programme d’Erfurt en 1891, répond aux critiques de Bernstein ; les ouvrages des deux auteurs sont rapidement disponibles en France20. Signalons aussi les nombreux articles qui paraissent sur ce sujet, notamment dans le Mouvement socialiste d’Hubert Lagardelle, dont certains retiendront notre attention plus loin.

12 En France, si Jaurès appuie l’entrée de Millerand dans le gouvernement contre les guesdistes, soutenus là-dessus par Kautsky, il faut se garder de schématiser leurs positions politiques. Ainsi Kautsky fut un défenseur résolu de Jaurès lors de l’affaire Dreyfus, se démarquant en cela de ses alliés naturels, les guesdistes, sur lesquels néanmoins il se repose le plus souvent.

13 C’est dans ce contexte qu’il faut situer la parution au début de l’année 190121 de l’ouvrage de Karl Kautsky sous le titre La lutte des classes en France en 1789. Le profil de l’éditeur, « Librairie G. Jacques » est assez difficile à définir : connu des spécialistes de Georges Sorel qui y publia quelques-uns de ses ouvrages majeurs (L’Avenir socialiste des syndicats, La ruine du monde antique) il semble avoir bénéfi cié par ailleurs d’un soutien matériel des guesdistes sans que rien ne permette de l’affirmer totalement22. L’identité personnelle de l’éditeur demeure assez obscure, on connaît quelques éléments de sa biographie grâce aux correspondances de Sorel23. Juif russe émigré en France, aux sympathies socialistes, son nom serait Jacques Golvtchiner. Décédé fi n mars 1909, il semble avoir eu une certaine notoriété parmi ses camarades de la section socialiste du 14e arrondissement de Paris jusqu’à Charles Péguy, présent à ses obsèques24.

14 Dans tous les cas, l’éditeur semble clairement anti-ministérialiste et plutôt guesdiste. Sorel lui-même, dans une lettre adressée à Jacques Golvtchiner du 1er novembre 1901 et publiée en première page du catalogue de l’éditeur25, mentionne les « noms illustres de Marx, Engels, Guesde, Kautsky » et souligne le risque de « laisser tomber l’héritage dans un grossier réformisme démagogique ». Il proclame que « jamais il n’a été aussi nécessaire de mettre en évidence le précepte de lutte de classe, jamais il n’a été aussi nécessaire de rejeter tout ce qui tendrait à propager l’illusion d’une entente […] ». Outre certains textes de Marx, (La Commune de Paris26, Le Manifeste du parti communiste…) plusieurs ouvrages de Jules Guesde sont parus dans cette maison d’édition, comme ses discours parlementaires et quelques brochures de vulgarisation politique. Un ouvrage indique bien la sensibilité politique de la librairie G. Jacques, À propos d’unité, de Karl Marx27. On y affirme, dans une note présentant le texte, l’opposition des « marxistes » aux « réformistes ».

15 Comprenez : les guesdistes contre Jaurès, par analogie aux « marxistes » et « lassalliens » de 187528… De même, dans le catalogue de la maison d’édition, on mentionne, pour promouvoir La lutte des classes en France en 1789, le propos de Kautsky

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 85

sur les traditions jacobines cité plus haut pour conclure que « les jacobins et sous- jacobins dominent les groupes qui ont rompu avec le Parti Ouvrier »29.

16 En effet, à la date où Sorel rédige ce texte, l’unité acquise en 1899 entre les différents socialistes vole en éclat : l’année 1901 est marquée par la constitution progressive de deux partis socialistes. D’un côté le Parti socialiste de France (PSDF) regroupant principalement les guesdistes et vaillantistes, formé dès novembre 1901, rejette la participation au gouvernement ; de l’autre le Parti socialiste français (PSF) fédérant les socialistes indépendants au sein duquel Jaurès allait jouer un rôle prééminent, constitué définitivement en mars 190230. Si l’éditeur paraît très nettement du côté des premiers, on relèvera que Jean Jaurès préface un livre de Kautsky, Parlementarisme et socialisme31, signe qu’il n’y a pas de fermeture hermétique entre les différents courants. Il s’agit néanmoins de la seule exception de ce type.

17 Quant au traducteur de La lutte des classes en France en 1789, il s’agit d’Édouard Berth, un proche de Sorel qui fait paraître son premier ouvrage, Dialogues socialistes, dans la même maison d’édition. Notons à ce sujet quelques infléchissements lors de la traduction qui nous paraissent significatifs. En premier lieu la référence à L’Histoire de la Révolution française de Louis Blanc présente dans l’édition allemande, a disparu dans la version française. Simple oubli ? On ne comprend guère pourquoi le traducteur aurait conservé les références à Tocqueville, von Sybel, Taine, qui, à des degrés divers, sont tous étrangers voire hostiles au socialisme alors que Louis Blanc, qui fut le premier à avoir esquissé une histoire se rapprochant des conceptions socialistes de la Révolution française, soit oublié32. Ce serait méconnaître la critique acerbe qu’avait fait de Louis Blanc dans Les luttes des classes en France en 1848-1850 et le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, textes qui venaient précisément d’être traduits et édités en français33. Dans un contexte où le souci premier était de se démarquer des socialistes gouvernementaux, l’occultation de Louis Blanc, dont l’orientation politique, vivement critiquée par Marx, pouvait apparaître en 1900, certes par une analogie quelque peu abusive, comme « pro-gouvernementale », ne paraît pas être un simple hasard. La traduction du titre est peut-être elle-même du même ordre. Formellement Klassengegensätze se traduit en effet par « antagonisme » ou « contradictions de classes », mais comme on l’a vu avec la lettre de Sorel que présente l’éditeur, la volonté de réaffirmer la notion centrale de « lutte de classe » a prévalu34.

18 Une étude des correspondances personnelles de Jules Guesde et Karl Kautsky, conservées à l’IISG d’Amsterdam, permet par ailleurs de préciser les motifs de la publication de l’ouvrage traduit. Ces lettres nous indiquent le contexte de floraison des publications socialistes : on remarque le choix de Kautsky de privilégier Jaurès pour préfacer son ouvrage sur le parlementarisme. On voit aussi qu’il souhaitait publier au plus vite son « anti-Bernstein » chez Jacques ; il le fut in fine par un autre éditeur, Brière. La lutte des classes en France en 1789 a été ainsi publiée entre deux autres ouvrages plus directement politiques, Parlementarisme et socialisme et Le marxisme et son critique Bernstein. De fait, ces deux ouvrages mobilisent l’histoire de la Révolution française, y compris dans leurs dimensions politiques. Ainsi Babeuf est-il l’objet d’une controverse sur plusieurs pages dans les ouvrages respectifs de Kautsky et Bernstein35.

19 Mais l’information la plus importante concerne l’accord de l’auteur et de l’éditeur sur le rédacteur de la préface, Jules Guesde36. Or celle-ci n’a pas paru dans l’édition de 1901. Pourtant, les archives personnelles de J. Guesde comprennent une lettre de Kautsky qui précise ce que devait être le contenu de cette préface :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 86

« Cher Camarade, Le citoyen Jacques me prévient que vous aurez la bonté d’écrire une préface pour l’édition française de ma « Lutte des classes en France ». Je suis très heureux et vous remercie beaucoup pour ce grand service que vous me rendez. C’est une grande hardiesse de parler comme étranger aux Français sur leur grande Révolution […]. Si les marxistes français sont d’accord avec les Allemands sur cette conception cela sera d’une très grande importance pour notre cause. J’attends votre jugement sur mon petit travail avec le plus grand intérêt. Je vous serre la main et j’espère que je puisse faire le même bientôt personnellement. Au revoir cher camarade. Tout à vous votre dévoué. Karl Kautsky » 37.

20 Kautsky attache ainsi une grande importance à son accord avec les « marxistes français » (c’est-à-dire les guesdistes) sur la « Grande Révolution », à un moment où l’Histoire socialiste de Jean Jaurès commence à paraître. Or il est connu qu’au même moment Jules Guesde devait initialement faire partie de l’équipe de rédaction de l’entreprise historique de Jean Jaurès, en rédigeant la partie sur la Convention. Le portrait de Guesde figure d’ailleurs sur la page de présentation de cette histoire qui allait de la Révolution française aux socialistes contemporains. Mais il déclina cette tâche au dernier moment. Quant à la préface à La lutte des classes en France en 1789, elle ne fut pas non plus rédigée. Il n’y a pas trace de cette préface ou même d’une ébauche dans les archives de Guesde, simplement les épreuves de l’ouvrage de Kautsky avec cette inscription : « préface de Jules Guesde ». Ce sera l’unique exemplaire à porter cette mention. Mais à défaut de Guesde lui-même, les guesdistes vont se charger de la promotion de l’ouvrage.

La diffusion et la promotion par le courant guesdiste

21 La lutte des classes en France en 1789, dans une période où ce sont les enjeux directement politiques qui occupent le devant de la scène dans la presse socialiste, n’est pas passée inaperçue. Les comptes rendus dans la presse socialiste française sont peu nombreux et ne dépassent que très rarement la simple mention. Or, l’opuscule de Kautsky est à classer parmi les livres ayant suscité plus qu’une simple allusion.

22 Le premier commentaire apparaît dans un éphémère quotidien du soir, Le Petit sou. Il a paru pendant deux ans, du 2 septembre 1900 au 16 mai 1902, nous permettant de suivre avec précision l’évolution politique des guesdistes durant cette période décisive de l’histoire du socialisme. La ligne du journal est « nettement socialiste et antigouvernementale »38bien que non exclusivement guesdiste. L’objectif affiché est de rivaliser avec La Petite République, journal de Jean Jaurès contre lequel Le Petit sou lutte énergiquement dans ses articles.

23 Dans le numéro du 1er mars 1901, à la page trois, dans la rubrique « Littérature Socialiste – À travers les livres et les revues – », Louis Dubreuilh chronique La lutte des classes en France en 1789. Publiciste qui allait devenir quelques mois plus tard secrétaire général du Parti socialiste de France, il a collaboré à de nombreux journaux : outre Le Petit sou, il fut un temps rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Socialiste, et participera plus tard à L’Humanité. Proche de Vaillant, il rédigera le tome XI de l’Histoire socialiste consacré à la Commune. Son appréciation de l’ouvrage de Kautsky de 1901 est très favorable :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 87

24 « Le titre dit l’œuvre. Quant à l’œuvre même, elle est de premier ordre et de nature à satisfaire les esprits les plus difficiles. En quelques pages, l’auteur analyse et dissèque le mouvement révolutionnaire de 89, et c’est merveille de voir comme il projette la lumière en cet amoncellement de faits et montre les ressorts intimes de l’un des plus grands bouleversements sociaux qui se soient jusqu’ici produits »39.

25 Plus loin, il souligne l’exemplarité de l’œuvre : « Nul n’a pas mieux marqué le caractère de la monarchie, incitée comme propriétaire de l’État à favoriser l’éclosion du nouveau monde bourgeois et capitaliste, et contrainte comme propriétaire de domaines féodaux à faire cause commune avec les ordres privilégiés. Nul n’a pas mieux pénétré l’antagonisme foncier qui existait entre les diverses fractions de la noblesse et du clergé et devait, au moment fatal, paralyser toute leur force de résistance. Enfin, on n’a jamais si bien indiqué par qui fut faite la révolution : d’une part, par les intellectuels ; de l’autre, par les ouvriers et les paysans »40.

26 Dubreuilh valorise la structure particulière de l’ouvrage de Kautsky, sa primauté de l’analyse des classes sociales sur la cohérence chronologique. Plutôt qu’une histoire politique, le « pape du marxisme » a délibérément axé sa réflexion sur la position de chaque classe pendant la Révolution, au lieu de s’attarder sur les individualités ou les événements historiques. Dubreuilh cite un passage entier de l’ouvrage, sur les sans- culottes41. In fine c’est la méthode employée qui justifie tant d’éloges : le matérialisme historique. Méthode qui permet à Kautsky selon Dubreuilh de dépasser largement ses prédécesseurs : « Et pourquoi ? Parce que Kautsky, outre qu’il est un esprit extrêmement pénétrant et profond, a fait usage, sans plus, des méthodes du matérialisme économique, c’est- à-dire qu’il a cherché le ressort du devenir historique, non dans la volonté humaine, mais dans l’action de l’économie, qui au moins, sous le système de la production marchande, loin de dépendre de la volonté des hommes, les domine et leur passe par-dessus la tête. Ici, comme ailleurs, l’outil marxiste a prouvé son excellence »42.

27 Louis Dubreuilh place ainsi La lutte des classes en France en 1789 au rang de meilleur ouvrage sur la Révolution française. Sa critique montre une certaine adéquation entre la vision guesdiste de la Révolution française et celle de Kautsky. Soucieux d’être le courant représentatif du « marxisme orthodoxe », le guesdisme s’appuie sur le « pape » de l’Internationale, considéré comme l’historien de référence grâce à son étude rigoureusement matérialiste de la société française d’Ancien Régime et de la Révolution.

28 Le Petit sou, cohérent avec l’appréciation positive de l’ouvrage, aurait souhaité une publication plus rapide : « Le livre que vient de publier la librairie Jacques a été écrit en 1889. Onze ans ont passé avant qu’il ne fut traduit en français. Un peu plus de hâte eût été justifiée. Raison de plus pour féliciter le très clair et très fidèle traducteur, notre camarade Édouard Berth »43.

29 Aucune allusion en revanche, dans ce long compte rendu, à l’Histoire socialiste de Jaurès, pourtant en cours de parution… Inversement, un journal comme La Petite République ne signale pas La lutte des classes en France en 1789, alors qu’Eugène Fournière fait un compte rendu très positif de l’Histoire socialiste44.

30 Dans Le Socialiste, hebdomadaire parisien des guesdistes45, on trouve dans l’édition du 24 mars 1901 un compte rendu proche de celui du Petit sou. Dans la rubrique

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 88

« Bibliographie » – dont l’apparition est rare et irrégulière – un commentaire occupe une demi-colonne : « Claire, concise, fondée sur l’étude attentive des documents, cette brochure est des mieux faites pour expliquer les causes de la Révolution et ses effets : domination nouvelle de la bourgeoisie et genèse d’une classe prolétarienne exploitée au seul profit du capital industriel et financier » 46.

31 Si l’objectif est bien le rappel de la principale lutte intéressant les guesdistes – le conflit entre la bourgeoisie et le prolétariat – l’auteur anonyme de ce court texte semble répondre par avance aux accusations de dogmatisme en précisant la « préoccupation d’opposer un examen attentif des phénomènes sociaux vers la fi n du dix-huitième siècle à une idée par trop simple, qui ne mettrait en présence qu’une noblesse et une bourgeoisie toutes formées ayant chacune une pleine conscience de classe »47. Le Socialiste signalera pendant plusieurs années dans le « catalogue de la librairie du parti » l’ouvrage de Kautsky, alors que l’Histoire socialiste n’y figurera qu’après l’unification de 1905.

32 À l’heure où leur rival Jean Jaurès se plaçait sous la triple influence de Marx, Plutarque et Michelet, les guesdistes souhaitaient, à l’image des différents courants politiques du dix-neuvième siècle, promouvoir un ouvrage, fondé sur un strict matérialisme, qui puisse faire autorité dans leurs rangs sur ce sujet majeur qu’est la Révolution française.

33 Du côté des revues socialistes, au lectorat plus restreint mais dont le contenu permet d’appréhender avec plus de finesse les débats historiques et théoriques entre les différents courants, on peut mettre en parallèle deux des plus importantes de l’époque, Le Mouvement socialiste et la Revue socialiste. Aucune mention de La lutte des classes en France en 1789 dans cette dernière, proche des socialistes favorables à l’entrée de Millerand dans le gouvernement. En revanche, dans la première, dirigée par Hubert Lagardelle, dont l’orientation politique est mouvante et complexe, mais rapidement hostile au ministérialisme48, on trouve un compte rendu anonyme bref mais positif49. L’appréciation rejoint celles mentionnées ci-dessus dans les organes guesdistes, au moment même où le directeur de la revue, Largardelle, après quelques hésitations, prend résolument parti contre les ministérialistes et polémique avec virulence contre Jaurès. Il faut relever par ailleurs qu’à cette date il entretient des rapports étroits avec Karl Kautsky.

34 Dans ce contexte il est étonnant de ne pas trouver trace de l’appréciation de Kautsky sur l’ouvrage de Jaurès. Ce n’est que bien plus tard, en retrait de la vie politique, qu’il émettra un jugement clair et positif50. C’est Franz Mehring, un autre social-démocrate allemand, il est vrai nommément attaqué dans l’Histoire socialiste de la Révolution française, qui critique Jaurès dans la Neue Zeit en janvier 1903. Ce compte rendu, traduit rapidement et publié dans Le Mouvement socialiste, vise à critiquer la méthode jaurésienne jugée éloignée du marxisme mais ne concerne qu’un chapitre précis de l’Histoire socialiste, celui sur l’Allemagne51. De son côté Jaurès, pourtant germaniste et observateur attentif des débats d’outre-Rhin, ne mentionne pas l’ouvrage de Kautsky ni dans son Histoire socialiste, ni dans d’autres écrits de la même époque. De Kautsky il se contente de citer son commentaire du programme d’Erfurt52. Signalons néanmoins le courrier suivant, conservé dans les archives de Kautsky, dont le contenu est significatif de leurs divergences politiques et du respect qu’il portait au tribun socialiste53 : « Mon cher Jaurès ! J’ai reçu votre volume sur la Révolution française et je vous en remercie beaucoup. Je le lira[i] avec grand intérêt.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 89

C’est vrai qu’il y a beaucoup de questions sur lesquelles nous ne [sommes] pas d’accord, et quelques unes, sur lesquelles notre désaccord est toujours grandissant. Je le regrette infiniment, mais malgré nos différences j’ai toujours suivi votre plume avec l’estime profonde qu’on doit à un esprit merveilleux et indépendant. Je vous salue mon cher Jaurès, Votre dévoué Karl Kautsky » 54.

35 Est-ce à dire que leurs points de vue sur la Révolution française n’ont donné lieu à aucune confrontation ? La lecture du Mouvement socialiste dans les mois qui suivent nous offre plusieurs articles où est débattu l’héritage des « traditions révolutionnaires » au sujet desquelles Kautsky et Jaurès exposent leurs profonds désaccords.

L’héritage des « traditions révolutionnaires » : le débat entre Jaurès et Kautsky

36 À l’occasion d’une « Enquête sur le cléricalisme » parue dans Le Mouvement socialiste en 1903, moment où la revue attaque avec virulence les positions de Jaurès55, paraissent plusieurs articles sur ce sujet brûlant, un peu plus d’un an avant la loi de séparation de l’Église et de l’État. Dans un appendice publié à la fin de l’enquête, traduction d’un texte paru dans la Neue Zeit du 17 janvier 190356, Kautsky répond à un article de Jaurès publié le 3 janvier précédent dans La Petite République. Il est utile ici de présenter ces deux textes révélateurs de leurs divergences sur l’héritage de la Révolution dans la politique contemporaine57.

37 Kautsky prétend que la polémique porte sur une seule phrase, mal traduite ; Jaurès aurait fait preuve de mauvaise foi, lui parfait germaniste. Mais au-delà de la rigueur philologique, la divergence de fond est réelle. Passons sur les questions tactiques immédiates relatives aux congrégations. L’enjeu est bien de caractériser, dans les circonstances de 1903, les traditions issues des combats de 1789.

38 Jaurès rappelle l’évidence des « circonstances nationales qui déterminent, en chaque pays, la tactique immédiate du Parti socialiste »58. Estimant que « les événements de France démontrent à Kautsky que, même quand le prolétariat est parvenu à une conscience de classe très nette, il peut être conduit à adopter en certaines questions “la tactique bourgeoise”, pour lui donner plus de vigueur et d’efficacité »59. Jaurès fait l’apologie de la « vertu révolutionnaire du prolétariat » et reproche à son alter ego allemand de ne pas comprendre la situation française : « Quand Kautsky pose des prémisses et n’en tire que des conclusions incertaines, il est à l’antipode du génie révolutionnaire de la France : il ne comprend pas la tradition révolutionnaire du prolétariat français »60.

39 Dans sa réponse Kautsky souligne qu’« il y a deux espèces de politique de classe pour le prolétariat, une politique dépendante et une politique indépendante ». On retrouve là le problème majeur posé dès 1889 dans son ouvrage sur la Révolution française, exactement dans les mêmes termes61. L’autonomie du prolétariat est décisive pour Kautsky. Elle l’est depuis l’origine de la constitution du mouvement ouvrier allemand : fonde l’Association générale des travailleurs allemands62 en 1863 pour constituer le « premier parti politique indépendant » de « la classe ouvrière »63. Les accusations de Kautsky contre Jaurès de vouloir la « fusion durable en une grande organisation » entre « démocratie bourgeoise » et « démocratie socialiste » sont à envisager dans le prolongement de Lassalle. C’est bien la question de l’autonomie politique qui est posée, en rapport avec les processus révolutionnaires antérieurs :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 90

« […] Le prolétariat comme classe inférieure qui n’est arrêtée par aucune considération sociale, comme fraction de la démocratie, prend toujours le libéralisme au mot et l’entraîne toujours à pousser ses propres principes jusqu’à leurs limites extrêmes. Je remarquais que c’était en cela que consistait la tâche du prolétariat, tant qu’il était encore mineur. Il joue ce rôle inconsciemment dans la Grande Révolution, et Marx le lui réservait consciemment encore en 1848 en Allemagne. J’ajoutais qu’aujourd’hui le prolétariat avait dépassé ce stade et qu’il était extrêmement étrange que maintenant, cette même politique que le révisionnisme oppose comme la plus neuve au marxisme “suranné”, n’est que le retour à la politique qui caractérisait l’enfance du prolétariat » 64.

40 Les « limites extrêmes » évoquées sont les moments de la Révolution où des mesures d’inspiration sans-culotte ont été prises, analysées dans son ouvrage sur la Révolution. Le prolétariat, encore inconscient à un stade que l’on qualifie « d’enfance », pouvait pousser à appliquer quelques mesures, mais toujours dans le cadre limité de la révolution bourgeoise. Il reproche à Jaurès de tenter « de fonder le marxisme […] sur la Déclaration des droits de l’homme au XVIIIe siècle. Pour lui c’est un acte révolutionnaire que d’inspirer au prolétariat français l’esprit de la tradition révolutionnaire »65.

41 La Déclaration des droits de l’homme correspond selon Kautsky à un stade historique antérieur, pendant lequel la bourgeoisie imposait sa domination. Il résume son propos de la façon suivante : « Ramener la vie intellectuelle du prolétaire au stade qu’elle occupait pendant la Révolution, c’est le mettre sous la dépendance intellectuelle, et par suite politique de la bourgeoisie »66. Cette insistance sur la « vie intellectuelle » fait écho à la formation, la Bildung, héritée des libéraux mais réinvestie par la social- démocratie au profit du prolétariat. L’objectif de cette classe sociale doit être d’acquérir, grâce au parti social-démocrate, une formation intellectuelle garante de l’indépendance politique. Kautsky précise dans cet article les dangers de l’absence de « pensée indépendante » : « C’est précisément parce que la tradition révolutionnaire est encore très puissante sur le prolétariat de France qu’il n’est nulle part plus urgent de lui donner une pensée indépendante, de lui montrer que les problèmes sociaux et les moyens de les résoudre, que les objets, les méthodes, les moyens de combat sont tout autre qu’à l’époque de la Révolution, que la révolution socialiste doit être tout autre chose qu’un pastiche ou une continuation de la révolution bourgeoise, que le prolétariat doit lui emprunter son enthousiasme, sa foi dans la victoire, son tempérament, mais non sa mentalité »67.

42 Il termine son article par une appréciation ironique sur l’auteur de l’Histoire socialiste, qui conforte ses remarques antérieures : « Jaurès est actuellement plein de souvenirs de la Révolution française, dont il écrit l’histoire. Il s’assigne et il assigne à ses partisans le rôle qu’ont joué jadis Marat, Danton, Robespierre68. Mais quand donc ceux-ci ont-ils déclaré que la vertu révolutionnaire consistait à éviter jalousement les chicanes à un ministère girondin ? […] Comme historien de la Révolution française, il doit savoir que, chez les jacobins, c’était la défiance qui passait pour la vertu révolutionnaire suprême. Jaurès prétendrait-il que la défiance fut une cause de faiblesse pour eux et éternisa leur faiblesse ? »69.

43 L’article étudié ici revêt donc un intérêt particulier : synthétique et polémique il permet de saisir en quoi Kautsky se démarque de la vision jaurésienne qui consiste à puiser la « vertu révolutionnaire » du prolétariat dans la « Grande Révolution ». Jaurès, qui défend un socialisme enraciné dans la tradition républicaine, considère la

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 91

Révolution française comme un héritage vivant à s’approprier pour les luttes contemporaines. Kautsky, se réclamant à cette époque d’une stricte orthodoxie matérialiste, voit quant à lui dans la Révolution française une étape importante du développement historique. Mais dans les luttes contemporaines, on doit selon lui se refuser toute simple répétition historique, au risque de faire perdre au socialisme sa singularité et à la politique du parti son indépendance.

44 On peut rapprocher cette controverse de la publication au même moment dans la revue Études socialistes d’un article ancien de Jules Guesde et Paul Lafargue, Essai critique sur la Révolution française du XVIIIe siècle, écrit initialement en 188370. Études socialistes est une revue éphémère publiée par la librairie G. Jacques pendant la seule année 1903, dans laquelle Georges Sorel semble avoir joué un rôle important. À l’heure où l’Histoire socialiste de Jaurès finissait de paraître, la publication de ce texte doctrinaire par la maison d’édition qui diffuse l’ouvrage de Kautsky est significative. La note de rédaction qui précède le texte de Guesde et Larfargue est on ne peut plus explicite. Selon elle, les lignes de cet article « […] indiquent encore suffisamment comment, il y a vingt ans, avant sa dilution dans la démocratie la plus vulgaire, le socialisme concevait et expliquait les événements de la fin du XVIIIe siècle » 71.

45 Cette note se conclut par une critique à peine voilée de Jaurès : « C’est, d’autre part que, depuis, une “Histoire socialiste” des mêmes événements a paru, dont Jules Guesde devait être un des collaborateurs et à laquelle il a tenu à rester étranger. Ceux-là comprendront pourquoi qui, ayant lu la préface de cette “Histoire”, jetteront les yeux sur l’Introduction ci-dessous »72.

46 Le texte lui-même de Guesde et Lafargue constitue une violente attaque contre l’historiographie de la Révolution : Michelet, l’abbé Montgaillard, Adolphe Thiers et… Louis Blanc sont mis dans le même ensemble : ce sont des « hommes des classes régnantes ». Le seul historien trouvant grâce à leurs yeux est Karéiew, recommandé par Engels à Kautsky comme on l’a signalé, considéré comme le premier à avoir étudié l’histoire du « point de vue populaire ». Et Saint-Simon serait le seul à avoir « entrevu dans la Révolution ce qu’il y a réellement : une lutte de classe ». Les auteurs rendent hommage à Karl Marx qu’ils comparent à Hérodote en le sacrant « père de l’histoire » avant de dresser une brève histoire de l’ascension de la bourgeoisie, et de sa lutte pendant la révolution contre « une autorité vieillie et décroissante » mais aussi contre « un prolétariat naissant et encore inconscient ». Le propos se termine par un réquisitoire contre une révolution « aussi fatalement conservatrice contre le quatrième État à son aurore que subversive contre la noblesse et le clergé à leur déclin ». Au dos de la revue, le seul ouvrage sur la Révolution française dans le catalogue est celui de Kautsky.

47 Il y a certes une différence entre les ouvrages et articles du théoricien allemand et le style plus pamphlétaire des attaques ad hominem de Guesde et Lafargue. Cependant, moins par la volonté concertée de Guesde et Kautsky eux-mêmes que par un contexte politique français très polarisé, il y avait bien du côté d’une partie des socialistes français et de Kautsky une commune hostilité aux « traditions jacobines » ou « traditions révolutionnaires », couplée à une vision très classiste de la Révolution française, qui traduisaient le rejet des conceptions jaurésiennes exposées dans l’Histoire socialiste de la Révolution française.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 92

Le maintien d’une référence

48 La lecture de l’ouvrage de Kautsky, voire sa promotion, dépasse les seules années 1901-1903. Plusieurs occurrences dans des ouvrages socialistes l’indiquent.

49 On peut d’abord relever l’appréciation d’Antonio Labriola, philosophe italien socialiste, pourtant très critique à l’encontre du marxisme de Kautsky, jugé positiviste. Dans ses Essais sur la conception matérialiste de l’histoire il émet un avis très favorable sur l’ouvrage de Kautsky73 qui sert d’ailleurs d’appui à la promotion de La lutte des classes en France en 1789 dans le catalogue des éditions G. Jacques.

50 En 1904 le socialiste Pierre Brizon, alors membre du PSDF et qui sera principalement connu pour son opposition à la guerre en 1915, rédige une brochure sur L’Église et la Révolution française74. Son propos prend appui sur les ouvrages alors disponibles. Il est significatif que celui de Kautsky figure parmi les premiers conseillés dans la bibliographie, avant celui de Jaurès. Une longue citation est d’ailleurs issue de La lutte des classes en France en 1789. Il s’agit d’un extrait du chapitre portant sur les paysans ; il sert d’appui à démontrer la nature du soulèvement des paysans de l’Ouest de la France, dont le motif n’est pas idéologique mais résultant de causes matérielles75. Ici la méthode matérialiste de Kautsky montre ses avantages : il constate que les paysans vendéens se sont sentis floués par les bourgeois des villes, d’où le caractère social marqué du soulèvement. La région étant traditionnellement encadrée par les prêtres et les nobles, cette révolte a pris une tournure « réactionnaire » mais celle-ci ne saurait masquer les antagonismes sociaux qu’elle révèle. Jaurès émettait un jugement proche mais sans la même clarté et largement imprégné des jugements contemporains de la Révolution, jugeant les « paysans égoïstes et fanatisés » 76. Ainsi, sur ce point, l’ouvrage de Kautsky avait une certaine singularité.

51 Avec l’unification des courants socialistes en 1905 et la création de la SFIO, le courant guesdiste perd progressivement de son influence et Jaurès s’impose comme la figure majeure du mouvement ouvrier français. Karl Kautsky demeure une figure importante et certains de ses écrits sont encore traduits77. Le Socialiste, devenu depuis 1905 organe central de toute la SFIO, publie en 1908 une traduction de la préface à la nouvelle édition allemande de son livre sur la Révolution française dont seul le titre est modifié78. Kautsky réaffirme l’importance de son propos – l’application de la méthode matérialiste à un événement majeur, la Révolution française – non périmé par le temps selon lui. Il évite toute référence à l’ouvrage de Jaurès, il est vrai non disponible pour le public allemand, et préfère renvoyer à une œuvre à paraître d’Heinrich Cunow, social- démocrate qui publie quelques mois plus tard une savante étude sur les courants politiques à travers les journaux pendant la Révolution française79.

52 L’usage à des fins militantes du livre, tel que l’on a pu le décrire au moment de sa réception en 1901, s’est poursuivi, même après l’unification socialiste. Dans l’édition du Socialiste du 14 novembre 1909, Lucien Roland, figure importante de la SFIO et ancien guesdiste, constate que « l’instruction socialiste des militants se fait lentement en France » et que « nous bondissons sans chercher à savoir le pourquoi, le comment de l’histoire présentée, de l’idée émise, le plus souvent, par les feuilles volantes de la presse bourgeoise ». En conséquence de quoi il propose « d’apprendre le socialisme chez nous, en lisant nos livres ». Pour ce faire, il recommande l’achat à prix réduit d’un ensemble d’ouvrages :

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 93

« nous offrons aux camarades du Parti, et en particulier aux secrétaires des groupes, DOUZE volumes pris parmi nos meilleurs. Janvier : Petit Manuel du Propagandiste socialiste, 1 vol., relié, pleine toile. Février : La Lutte des classes en France en 1789, par Kautsky. Mars : La Commune de Paris, par Karl Marx. Avril : Opposition, gouvernement et lutte de classe, par F. Sarraute. Mai : La Philosophie de l’Histoire, par Rappoport. Juin : Origine et évolution de la propriété, par Paul Lafargue. Juillet : Quatre ans de lutte de classe, par Jules Guesde tome I. Août : (idem Tome II). Septembre : La Possession communale du sol, par Tchernichewsky. Octobre : Les Bonnes Thèses du Socialisme, 1 vol., relié, pleine toile. Novembre : Socialisme et Parlementarisme, Kautsky. Décembre : Religion, Philosophie et Socialisme, par F. Engels ». 80

53 Cette publicité paraît encore régulièrement durant l’année 1910. La cohérence du choix de l’ensemble des ouvrages est aisément perceptible : il s’agit d’une série de bréviaires socialistes à finalité militante. Outre le fait que ce choix de livres signale le prestige qu’avait gardé Kautsky – il est le seul à avoir deux ouvrages distincts et à être l’auteur d’un ouvrage historique – il indique ici le statut qu’avait gardé La lutte des classes en France en 1789 et qui était d’ailleurs sa vocation initiale : une brochure de référence qui décrit, à la lumière des grands principes du matérialisme historique, la Révolution française et les forces sociales qui l’ont portée.

54 Après les convulsions de la guerre et la Révolution russe de 1917, Kautsky perd considérablement de son prestige. Pour les communistes, il devient le « renégat » – selon l’épithète employée par Lénine – en raison de sa critique du régime des soviets, et bien que son rôle d’avant 1914 soit reconnu, on ne lit plus guère un ennemi du bolchevisme81. Les socialistes continuent à traduire quelques-uns de ses ouvrages82, mais son écho n’est pas comparable à celui du début du vingtième siècle. Dans ce contexte, personne ne prend l’initiative de rééditer La lutte des classes en France en 1789. L’Histoire socialiste de Jaurès l’est quant à elle par Albert Mathiez entre 1922 et 1924, lui permettant d’acquérir ses premières lettres de noblesse au sein d’une tradition d’étude universitaire.

55 Mais l’ouvrage de Kautsky demeure ponctuellement une référence. Côté socialiste on en relève la trace dans le Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international de Compère-Morel, paru en 192483. L’auteur est un ancien guesdiste, ce qui peut expliquer ses références à La lutte des classes en France en 1789. En effet, si l’entrée du dictionnaire « La Révolution de 1789 – 1793 » est définie par des citations très générales de Michelet, du sociologue Werner Sombart et de Jean Jaurès, pour caractériser des termes comme « jacobins » ou « sans-culottes », on cite de préférence Kautsky. C’est le cas aussi pour décrire l’organisation corporative de l’Ancien Régime et même pour certaines notions théoriques plus larges : l’ouvrage est abondamment cité pour définir des termes comme « classe » ou « féodalité » qui renvoient d’ailleurs plus à la théorie marxiste qu’à l’histoire de la Révolution stricto sensu.

56 Un regard attentif sur les appareils de formation communiste nous permet aussi de constater cette continuité84. Bien que « renégat » depuis sa critique de la Révolution russe de 1917, le premier Kautsky d’avant 1914 garde un certain prestige. Aussi n’est-ce pas surprenant de le retrouver cité dans les cahiers du Contre-enseignement prolétarien85, qui visaient à contrecarrer l’enseignement officiel notamment celui de l’histoire, surtout à une période où le PCF percevait la Révolution française comme uniquement

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 94

« bourgeoise » se rapprochant en cela de la vision guesdiste de la fin du dix-neuvième siècle.

57 Mais la manifestation la plus significative et spectaculaire de la réapparition du texte de Kautsky s’inscrit pourtant dans un tout autre contexte politique. Le 14 juillet 1935, qui marque une étape importante du rapprochement entre socialistes et communistes, L’Humanité, organe central du PCF, titre « 1789 – 1935 : À la Bastille ». L’éditorial d’André Marty établit une continuité entre 1789 et le Front populaire. À la dernière page de ce même numéro, une citation de Saint-Just sert de titre « Votre intérêt vous commande de ne pas vous diviser. Quelles que soient les différences d’opinion, les tyrans n’admettent point ces différences entre nous ». L’utilisation de la référence à la Révolution française à des fins politiques est limpide : la constitution du Front populaire n’est que l’écho et la continuité de l’appel à l’union de Saint-Just. Sur cette même page en bas, on peut lire deux citations de l’ouvrage de Karl Kautsky, La lutte des classes en France en 1789. Une première sur les puissances féodales et une autre sur les paysans. Deux titres, respectivement « Déchéance des puissances féodales » et « Misère et esprit de révolte des paysans », ajoutés par la rédaction de L’Humanité, précèdent chaque citation. Le rapprochement avec les socialistes est donc l’occasion de citer un théoricien social-démocrate encore vivant. Ironie de l’histoire, l’ouvrage est associé à une commémoration faisant la synthèse du socialisme et de la République, alors qu’initialement sa traduction en français résultait d’une volonté inverse. Dans tous les cas, cet épisode montre que l’ouvrage n’avait pas disparu de l’horizon et ce, plus de trente ans après sa parution86. Fait confirmé dans une brochure de 1936 éditée par l’école élémentaire du PCF87. Dans une leçon consacrée à la France de 1789 à nos jours, quelques remarques semblent reprendre la méthode de Kautsky, dont l’ouvrage sur la Révolution française est signalé en bibliographie à côté de Marx, Lénine et l’essai sur le mouvement ouvrier d’un certain Vidal, pseudonyme d’un jeune historien soviétique qui sera reconnu trente ans plus tard comme l’historien de Babeuf, Victor Daline. Jaurès n’a quant à lui ici pas le droit de cité. Entre-temps la lettre d’Engels à Kautsky, signalée plus haut critiquant Die Klassengegensätze von 1789, est publiée pour la première fois en français en juillet-août 1934 dans les Annales historiques de la Révolution française, informant le public scientifique de l’existence de l’ouvrage de Karl Kautsky88.

58 Le 17 octobre 1938, Karl Kautsky meurt à Amsterdam où il s’était réfugié en exil. Né en 1854, son éveil politique s’était fait dans le sillage de la Commune de Paris. Il mourrait à quelques mois du déclenchement de la seconde guerre mondiale. À sa mort, son prestige n’avait rien à voir avec ce qu’il pouvait être vingt-cinq ans plus tôt. Néanmoins Le Populaire, journal de la SFIO, lui rend hommage et signale son œuvre politique. On n’oublie pas à cette occasion de mentionner ces quelques études historiques, qui n’ont pas « l’originalité d’un Jaurès » mais dont chacune constitue « un manuel de haute vulgarisation »89 ; son livre sur la Révolution française y est cité avec d’autres comme exemple. Côté communiste, le dénigrement est de mise : ses ouvrages récents « étaient dénués de toute étincelle révolutionnaire »90. Mais on n’oubliait pas le Kautsky d’avant- guerre, celui qu’avaient admiré à des degrés divers les plus grands théoriciens communistes, dont Lénine. Aussi souligne-t-on qu’il « fut plus heureux dans ses essais d’application du matérialisme historique ». On mentionne quelques œuvres, dont Les Antagonismes de classes en 1789 sous un titre plus conforme au titre allemand, mais jamais publié ainsi…

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 95

59 Dans la trajectoire militante de Karl Kautsky la séquence historique ouverte par 1789 avait beaucoup compté. Il n’eut de cesse de s’interroger sur le sens d’un processus révolutionnaire à son époque, ce qui l’amena à porter une attention particulière à la Révolution française dans nombre de ses écrits. Si Jaurès a été incontestablement à l’origine d’une tradition d’étude dont l’écho universitaire est sans égal et le travail sur les sources sans comparaison avec le modeste opuscule de Kautsky, celui-ci mérite malgré tout une certaine attention, à plusieurs titres.

60 En premier lieu, son aperçu des contradictions de classes pendant la Révolution française semble bien avoir été, à une époque où le débat autour de la participation gouvernementale posait la question de la nature du régime républicain et des origines révolutionnaires dont il est issu, un élément du dispositif politique et éditorial d’une partie des socialistes, essentiellement guesdistes, qui voyaient d’un mauvais œil la synthèse jaurésienne. Il a fonctionné ainsi comme un anti-Jaurès auprès de ceux pour qui le ralliement à la défense républicaine masquait les antagonismes de classe.

61 Ensuite, la façon dont les traditions socialistes et communistes ont continué à se servir de cet ouvrage comme un petit bréviaire introductif dans l’entre-deux-guerres montre, outre son influence à l’échelle d’un demi-siècle, que sa vocation première, celle d’un petit manuel militant sur la « Grande Révolution », avait abouti, au-delà des multiples soubresauts et scissions politiques.

62 En ce sens il s’inscrit comme une étape d’une forme de transmission de l’histoire de la Révolution au sein des organisations politiques ouvrières de masse. Nous avons concentré notre attention sur la France, mais une recherche avancée sur plusieurs pays permettrait probablement d’approfondir cette conclusion : l’ouvrage de Kautsky a été traduit en effet en de multiples langues, notamment à l’Est de l’Europe, qui signale une large lecture au moins avant 191491.

63 Pour ces différentes raisons, l’ouvrage de Karl Kautsky méritait de voir sa place restituée dans l’historiographie de la Révolution française.

NOTES

1. Jean JAURÈS, Histoire socialiste de la Révolution française, Paris, Éditions sociales, 1968-1972, 6 volumes, 4 466 p. (Édition revue et annotée par Albert Soboul). 2. Michel VOVELLE et Christine PEYRARD, Héritages de la Révolution française à la lumière de Jaurès, Aix- en-Provence, PUP, 2002, 194 p. 3. Valérie LECOULANT, Jaurès, historien de la Révolution française, Montreuil, Musée de l’histoire vivante, 1993, 235 p. et la série d’articles regroupés sous le titre Jaurès historien de la Révolution française, Castres, Centre national et Musée Jean Jaurès, 1989, 219 p. Voir aussi Gilles CANDAR, « L’accueil de l’Histoire socialiste de la Révolution française », Jean Jaurès, bulletin de la Société d’études jaurésiennes, n° 122, juillet-septembre 1991, p. 81-97. Plus ancien mais intéressant Franco VENTURI, « Jaurès historien », dans Franco VENTURI (éd.), Historiens du XXe siècle, Genève, Librairie Droz, 1966, p. 5-60. Voir aussi Bruno ANTONINI, « Jaurès historien de l’avenir : gestation philosophique d’une « méthode socialiste » dans L’Histoire socialiste de la Révolution française », Annales historiques

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 96

de la Révolution française, n° 337, 2004, p. 117-142. Sur Jaurès et le concept de « révolution bourgeoise », voir Bertel NYGAARD, « The Meanings of “Bourgeois Revolution”. Conceptualizing the French Revolution », Science and Society, 2007, vol. 71, n° 2, p. 146-172. 4. Pour sa biographie ainsi que pour celles de tous les sociaux-démocrates allemands et socialistes français cités dans cet article, on se reportera respectivement au « Maitron Allemagne » (Jacques DROZ [dir.], Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier international. Allemagne, Paris, Éditions ouvrières, 1990, 543 p.) et à Jean MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions ouvrières, 1995 (Édition CD-ROM). 5. Karl KAUTSKY, La lutte des classes en France en 1789, Paris, G. Jacques, 1901, 131 p. 6. Il n’est pas question ici de débattre de l’origine et de l’usage controversé du terme « marxisme ». On lira avec profit sur ce sujet l’article de Georges HAUPT, « De Marx au marxisme », dans Georges HAUPT (dir.), L’historien et le mouvement social, Paris, Maspero, 1980, p. 77-107. On entend ici un « marxisme » de parti, codifié par Engels et Kautsky notamment, se revendiquant comme tel et ayant le succès que l’on sait au sein de la Deuxième Internationale. 7. De nombreux articles scientifiques, des reproductions de sources sont transmises par Benoît Malon à Vollmar. Archives Vollmar, 3731-3734, Institut international d’histoire sociale, Amsterdam (IISG). 8. Il est possible de consulter une version avancée de ce travail à l’IISG : Wilhelm LIEBKNECHT, Geschichte der französischen Revolution : im Abrisse und in Skizzen, Leipzig, 1887-1889, 120 p. 9. On peut prendre l’exemple du précis d’histoire de Gustav ECKSTEIN, Leitfaden zum Studium der Geschichte des Sozialismus, Berlin, Vorwärts, 1910, 24 p. (conservé à l’IISG). 10. Karl KAUTSKY, Die Klassengegensätze von 1789, zum hundertjährigen Gedenktag der grossen Revolution, Stuttgart, Dietz, 1889, 79 p. 11. Les changements doivent beaucoup à son échange avec que nous avons présentés ailleurs : Jean-Numa DUCANGE, « Karl Kautsky et le centenaire de la Révolution français », Siècles, n° 22, 2006, p. 63-83. 12. Louis BLANC, Histoire de la Révolution, Paris, Langlois et Leclercq, 1847-1853, 12 vol. 13. Nicolas KARÉIEW, Les paysans et la question paysanne en France dans le dernier quart du XVIIIe siècle, Moscou, 1879, 635 p. (en français, Paris, Giard et Brière, 1899, 635 p.). 14. Karl KAUTSKY, La lutte des classes en France en 1789, Paris, G. Jacques, 1901, p. 8. Nous utilisons pour nos citations cette traduction française. 15. L’ouvrage volumineux du social-démocrate Wilhelm Blos paru au même moment, chez le même éditeur, ne s’inscrit pas à cet égard dans le même registre (Wilhelm BLOS, Die französische Revolution. Volkstümliche Darstellung der Ereignisse und Zustände in Frankreich von 1789 bis 1804, Stuttgart, Dietz, 1889, 682 p.). Il s’agit d’une sorte « d’histoire populaire » de la Révolution qui sympathise certes avec elle et d’inspiration marxiste, mais sans aucune ébauche théorique. 16. Dans un ouvrage bien plus documenté, Heinrich Cunow reconnaîtra sa dette à l’égard des aperçus théoriques de Karl Kautsky (Heinrich CUNOW, Die revolutionäre Zeitungsliteratur Frankreichs während der Jahre 1789 bis 1794, Berlin, Vorwärts, 1908, 328 p.) 17. Karl KAUTSKY, La lutte des classes en France en 1789, Paris, Librairie G. Jacques, 1901, p. 87. 18. Terme employé à l’époque pour désigner les guesdistes du Parti ouvrier français. 19. Le Socialiste du Midi, 13 janvier – 16 juin 1894 (Bibliothèque Nationale de France). 20. Edouard BERNSTEIN, Socialisme théorique et social-démocratie pratique, Paris, Stock, 1900, 305 p. et Karl KAUTSKY, Le Marxisme et son critique Bernstein, Paris, Stock, 1900, 364 p. 21. En janvier ou février 1901 puisque le premier compte rendu (voir ci-dessous) sur l’ouvrage paraît le 1er mars. 22. Louis LÉVY, Vieilles histoires socialistes, Paris, Rivière, 1933 (réed. B. Leprince, 2003), p. 57. Ce précieux témoignage n’est néanmoins pas corrélé par une quelconque archive.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 97

23. Pierre ANDREU, « Lettres de Georges Sorel à Édouard Berth. Première partie : 1904 – 1908 », Cahiers Georges Sorel, n° 3, 1985, p. 103. 24. L’Humanité. 1er avril 1909, p. 3. 25. Bibliographie générale des éditions de la librairie G. Jacques & Cie. Précédée d’une lettre de M. G. Sorel, 1901, 32 p. (IISG). 26. Plus connu par la suite sous le titre de La guerre civile en France (1871). 27. Karl MARX, À propos d’unité. Lettre sur le programme de Gotha, Paris, G. Jacques, 1901, 44 p. (Institut d’Histoire Sociale, Nanterre). Plus connu par la suite sous le titre de Critique du programme de Gotha. 28. Sur cette question voir Jacques DROZ, Histoire générale du socialisme, Paris, PUF, 1972, t. 1, p. 493-497. 29. Bibliographie générale…, p. 8. 30. Georges LEFRANC, Le mouvement socialiste sous la troisième République (1875-1940), Paris, PUF, 1963, p. 109-112. 31. Karl KAUTSKY, Parlementarisme et socialisme, Paris, G. Jacques, 1900, 197 p. 32. Sur Louis Blanc voir Madeleine REBÉRIOUX, « Lectures socialistes de la Révolution française : de Louis Blanc à Jaurès », dans Jaurès historien de la Révolution française, Castres, Centre national et Musée Jean Jaurès, 1989, p. 195-215. 33. Karl MARX, La lutte des classes en France (1848-1850). Le XVIII brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Schleicher frères, 1900, 363 p. 34. À titre de comparaison, l’ouvrage de Marx Die Klassenkämpfe von 1848-1850 est traduit la même année sous le titre La lutte des classes en France en 1848-1850. 35. Voir notre présentation : Jean-Numa DUCANGE, « Babeuf entre Kautsky et Bernstein », Études babouvistes, n° 1, 2002, p. 128-134. 36. Lettre de Jacques à Kautsky, 11 septembre 1900, Archives Karl Kautsky, D XIII 334, IISG. 37. Lettre de Karl Kautsky à Jules Guesde (en français), 19 septembre 1900, Archives Jules Guesde, 314/15, IISG. 38. Claude WILLARD, Histoire du mouvement ouvrier français : Les guesdistes, Paris, Éditions Sociales, 1965, p. 469. 39. Le Petit sou, 1er mars 1901, p. 3 (collection BNF). 40. Ibid. 41. « Ce n’est pas la législative, ce n’est pas la Convention […] ils dominèrent la France » soit la page 83 de l’édition française de 1901. 42. Le Petit sou, 1er mars 1901, p. 3. 43. Ibid. 44. Maurice Dommanget remarque néanmoins que La petite République ne fit pas un important travail de diffusion de l’ouvrage de Jaurès. Maurice DOMMANGET, « Sur Jaurès, Historien de la Révolution française », dans Jaurès historien de la Révolution française, Castres, Centre national et Musée Jean Jaurès, 1989, p. 74. 45. Ce journal à la vente très faible n’en est pas moins représentatif de l’opinion de ce courant politique et constitue une source majeure de son histoire. Voir Claude WILLARD, op. cit., p. 469. 46. Le Socialiste, 24 mars 1901, p. 2. 47. Ibid. 48. Lagardelle est un déçu du guesdisme hostile à ce courant ; mais devant la question ministérielle il est de facto sur les mêmes positions. 49. « Notre camarade Édouard Berth a eu raison de traduire cet opuscule de Kautsky qui jette une vive lumière sur les antagonismes de classes, au moment de la Révolution française. Les militants doivent lire ce livre », Mouvement socialiste, 1er mars 1901, p. 318.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 98

50. Madeleine Rebérioux évoque un jugement de Kautsky de 1902 (Madeleine REBÉRIOUX, « Jaurès, historien de la Révolution française » dans Jaurès, historien de la Révolution française, Castres, Centre national et Musée Jean Jaurès, 1989, p. 61). En réalité le texte signalé est bien postérieur, au moins de 1934 (« Erinnerungen an Jean Jaurès », Archives Karl Kautsky, A 202, IISG). Voir notre mise au point et traduction : Jean-Numa DUCANGE, « Karl Kautsky : Souvenirs sur Jean Jaurès », Cahiers Jaurès, n° 185, 2007, p. 107-113. 51. Franz MEHRING, « Jaurès historien », Mouvement socialiste, mai 1903, p. 46-62 (traduction de Léon Rémy). Voir sa présentation et une nouvelle traduction dans Irmgard HARTIG, « Observations sur la querelle entre Jaurès et Mehring », Annales historiques de la Révolution française, n° 211, 1973, p. 112-127. 52. Jean JAURES, Histoire…, t. 6, p. 65. 53. Rien ne prouve néanmoins qu’il fut envoyé à l’intéressé. 54. Lettre de Karl Kautsky à Jean Jaurès (en français), 19 décembre 1901, Archives Karl Kautsky, C 455, IISG. 55. Pendant cette année, l’évolution de la revue est nette. « En 1903, elle devient nettement anti- jaurésienne et multiplie les critiques à l’égard de tout ce qui peut évoquer une alliance entre le socialisme et l’État bourgeois ». Marion DACHARY DE FLERS, Lagardelle et l’équipe du Mouvement socialiste, Thèse de doctorat sous la direction de Raoul Girardet, Paris, IEP, 1982, p. 275. 56. C’est dans le même numéro de la Neue Zeit que l’on trouve d’ailleurs le compte rendu de Mehring sur l’Histoire socialiste de Jaurès, ce qui montre bien l’ampleur des critiques sociales- démocrates portées contre lui. Pour la version française Karl KAUTSKY, « Appendice : Jaurès et la politique religieuse de la France », Le Mouvement socialiste, 15 avril 1903, p. 680-689. 57. D’autres textes en allemand pourraient compléter notre propos. Néanmoins, nous présentons ici la réception en France, ce qui était donc lisible par le public francophone. Un tableau plus général est en cours de réalisation et sera l’objet d’une contribution ultérieure. Notons dans Le Socialiste la traduction de quelques extraits d’une longue série d’articles de Kautsky sur « République et social-démocratie » écrits pour la Neue Zeit qui présentent des opinions similaires (Le Socialiste, 4 et 18 décembre 1904, 8 et 15 janvier 1905). Mais ils ne sont que partiels en français et ne mettent pas en jeu une confrontation directe entre Jaurès et Kautsky et ne sont donc pas retenus ici, contrairement aux articles du Mouvement socialiste. 58. La Petite République, 3 janvier 1903, p. 1. 59. Ibid. 60. Ibid. 61. Dans le texte de 1889 comme dans celui de 1903 il est question « d’indépendance » (selbstständig). 62. Allgemeiner deutscher Arbeiterverein. 63. Ferdinand LASSALLE, Discours et pamphlets, Paris, Giard et E. Brière, 1903, p. 194. Pour une étude de la pensée de Lassalle voir Sonia DAYA N -HERZBRUN, L’Invention du parti ouvrier. Aux origines de la social-démocratie (1848-1864), Paris, L’Harmattan, 1990, 217 p. 64. Karl KAUTSKY, art. cit., p. 684-685. 65. Ibid., p. 686. 66. Ibid. 67. Ibid., p. 687. 68. Cette ironie sur la tentative de répétition du rôle des Montagnards fait penser aux remarques de Marx dans son 18 brumaire (Karl MARX, Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, Paris, Livre de Poche, (1852) 2007, p. 117-118). 69. Karl KAUTSKY, art. cit., p. 688-689. 70. Jules GUESDE, Paul LAFARGUE, « Essai critique sur la Révolution française du XVIIIe siècle », Études socialistes, n° 2, mars-avril 1903, p. 65-69.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 99

71. Ibid., p. 65. 72. Ibid. 73. En parlant de l’analyse des classes sociales pendant et après la Révolution française, Labriola signale dans une note : « Je fais allusion à l’excellent travail de K. Kautsky : Die Klassen-gegensätze von 1789 » (Antonio LABRIOLA, Essais sur la conception matérialiste de l’histoire, Paris, Giard et Brière, 1902, p. 258). 74. Pierre BRIZON, L’Église et la Révolution française. Des cahiers de 1789 au Concordat, Paris, Pages libres, 1904, 95 p. 75. Pierre BRIZON, op. cit., p. 47-48. 76. Jean JAURES, Histoire socialiste…, t. 5, p. 415. 77. C’est le cas de Karl KAUTSKY, La Révolution sociale, Paris, Marcel Rivière, 1912, 223 p. 78. Le titre est désormais Die Klassengegensätze im Zeitalter der französischen Revolution, c’est à dire littéralement « Les antagonismes de classes à l’époque de la Révolution française ». La préface est publiée sous le titre de « Les conflits de classe à l’époque de la Révolution française » dans Le Socialiste du 1er mars 1908. Notons que Klassengegensätze est désormais traduit par « conflit » et non plus « lutte ». 79. Heinrich CUNOW, Die revolutionäre Zeitungsliteratur Frankreichs während der Jahre 1789 bis 1794, Berlin, Vorwärts, 1908, 328 p. 80. Le Socialiste, 14 novembre 1909, p. 3. 81. Vladimir Illitich LÉNINE, La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, Paris, UGE 10/18, 1972, 312 p. 82. Par exemple Karl KAUTSKY, La révolution prolétarienne et son programme, Bruxelles, L’Églantine, 1925, 493 p. 83. Adéodat COMPERE-MOREL, Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international, Paris, Publications sociales, 1924, 1 057 p. 84. Les exemples cités ici ne sont pas exhaustifs, nous présentons les plus significatifs. 85. « Les causes profondes de la Révolution française », Cahiers du contre-enseignement prolétarien, n° 7, 1932, 30 p. 86. Cela ne stimule pas pour autant une réédition de l’ouvrage alors que le Bureau d’Édition (communiste) publie une petite partie de l’œuvre de l’Histoire socialiste de Jaurès, la rendant de façon significative plus économiste : Jean JAURES, Les causes économiques de la Révolution française, Paris, Bureau d’Édition, 1937, 103 p. 87. École élémentaire du Parti communiste français, Cinquième leçon, la France de 1789 à nos jours, 32 p. 88. « Lettre d’Engels à Kautsky », Annales historiques de la Révolution française, t. 11, 1934, p. 361-365. Notons qu’aucune mention de la traduction française de l’ouvrage de Kautsky n’y figure. En 1935 (t. 12, p. 47-51), les AHRF publient à nouveau cette lettre assortie cette fois-ci d’un appareil de notes pour faciliter sa lecture. Pour autant la traduction française n’est toujours pas mentionnée. 89. Le Populaire, 18 octobre 1938, p. 2. 90. L’Humanité, 18 octobre 1938, p. 3. 91. En bulgare (Turnowo, 1893 ; Sofia, 1905), en serbo-croate (Belgrade, 1914), en polonais (Varsovie, 1905 ; Cracovie, 1911 ; Varsovie, 1958), en russe (Saint-Petersbourg 1902 ; Kiev, 1902 ; Rostov, 1903 et 1905) mais aussi en finnois (Helsinki, 1908), en suédois (Stockolm, 1917), ou encore en japonais (1946 ; 1954). D’après Werner BLUMENBERG (dir.), Karl Kautskys literarisches Werk, Mouton, Amsterdam, 1960, p. 43- 44. Quelques recherches nous ont permis d’affiner cette liste : en russe l’ouvrage fut réimprimé pendant les premières années du régime soviétique (Petrograd, 1918 ; Moscou, 1919 ; Moscou, 1923 ; Kharkov, 1923).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 100

RÉSUMÉS

On évoque rarement qu’au moment même de la publication de l’Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès fut traduite en 1901 en français une petite brochure de Karl Kautsky, alors une des figures majeures de la deuxième Internationale, La lutte des classes en France en 1789. Bien que sans commune mesure avec l’ampleur du travail de Jaurès, le propos de Kautsky retint néanmoins l’intérêt des guesdistes qui y virent une stricte application du matérialisme historique aux événements de la « Grande Révolution » plus conforme à leur « marxisme » qu’à celui de Jaurès. C’est dans ce contexte que Jaurès et Kautsky exposent leurs divergences sur la place que doivent occuper les « traditions révolutionnaires » dans la revue Le Mouvement socialiste. L’étude de la réception de l’œuvre de Kautsky permet ainsi de saisir la diversité des interprétations de la Révolution française chez les socialistes français.

Except at the very time of publication by Jean Jaurès of his Histoire socialiste de la Révolution française, the translation into French of a short brochure entitled La lutte des classes en France en 1789 by Karl Kautsky, then one of the major figures of the Second International, has rarely received any attention. While this piece cannot compare with the magnitude of the work by Jaures, the writings of Kautsky still retain a measure of interest for the guesdistes who envisaged a stricter application of historical materialism to the events of the “Great Revolution”, more closely conforming to their “marxism”, than Jaures. In this context, Jaures and Kautsky display their differences about the place accorded to the “revolutionary traditions”, in the review Mouvement socialiste. A study of the reception of the Kautsky’s work permits to understand the diversity of interpretations of the French Revolution among French socialists.

INDEX

Mots-clés : historiographie, socialisme, traditions révolutionnaires, Jaurès, Kautsky

AUTEUR

JEAN-NUMA DUCANGE Doctorant à l’Université de Rouen (direction : Paul Pasteur) Département d’histoire – rue Lavoisier – 76821 Mont-Saint-Aignan [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 101

Regards croisés

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 102

Napoléon et l’Europe Le point de vue anglo-américain

Michael Broers, Steven Englund, Michael Rowe et Annie Jourdan

1 Aborder « Napoléon et l’Europe » en donnant la parole à trois historiens anglo- américains pourra paraître surprenant aux lecteurs des AHRF. La motivation à la base de cette sélection est pourtant évidente. Ces dernières années, les recherches les plus novatrices sur ce sujet précis émanent du monde anglo-saxon, non seulement parce que leurs auteurs ont renouvelé les questionnements et les approches, mais encore parce que leur point de vue est plus distancié que ne saurait l’être celui des historiens français. C’est que les chercheurs anglo-américains ont pour immense avantage de ne pas récrire leur propre histoire nationale, celle qui les a formés. Ils sont confrontés à deux réalités étrangères – leur(s) pays d’investigation et la politique napoléonienne dans ce(s) même(s) pays –, ce qui leur permet justement de prendre leurs distances vis- à-vis de leur objet.

2 Le père fondateur de cette école nouvelle est sans nul doute Stuart Woolf, dont le Napoléon et la conquête de l’Europe (Flammarion, 1990) a du reste été publié tout d’abord en français. Michael Broers a suivi avec un retentissant Europe under Napoleon (Londres, 1996) et Europe after Napoleon (Manchester, 1996). Tous deux sont à l’origine du renouveau d’intérêt anglo-américain (voire australien) pour la période napoléonienne, notamment dans ce qui a trait à son impact en Europe. Depuis, en effet, les régions et les États du continent ont été étudiés cas par cas : Michael Rowe s’est intéressé à la Rhénanie ; John Davis au royaume de Naples ; Charles Esdaile et John Tone à l’Espagne ; David Laven à la Vénétie ; Alexander Grab à l’Italie septentrionale, etc. Ces historiens transnationaux plus que nationaux ont vécu dans le pays qu’ils décrivent et en ont découvert de près les spécificités ; ils en ont étudié les archives et les sources, tout en ne négligeant pas les archives françaises. C’est dans ces ouvrages pluriculturels que se décèle, me semble-t-il, un vrai renouvellement des études sur le Premier Empire. Les recueils d’articles publiés à la suite de colloques sont tout aussi stimulants : Collaboration and Resistance in Napoleonic Europe. State-Formation in an Age of Upheavals (éd. M. Rowe, Londres, 2003) l’illustre plutôt bien, quand il brosse un tableau tout en nuances de l’Europe de Napoléon.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 103

3 Ce n’est certes pas dire que la France serait dénuée de grands chercheurs en la matière, mais là, les avancées touchent plus aux études sur Napoléon en tant qu’empereur des Français : ainsi, la Nouvelle histoire du Premier Empire de Thierry Lentz, les recherches de Natalie Petiteau sur le mythe napoléonien, la noblesse d’empire ou les vétérans ; la thèse d’Igor Moullier sur le ministère de l’Intérieur ou celle à paraître de Cyril Triolaire sur les divertissements consulaires et impériaux, pour ne citer que quelques exemples fort diversifiés : tous ces travaux démontrent que les études napoléoniennes y sont en net progrès. Mais dans ce domaine aussi, les travaux des Anglo-Américains leur font concurrence : ceux de Michael Sibalis sur les commissions sénatoriales pour les libertés ; de Jeff Horn sur les élections et de Rafe Blaufarb sur les continuités entre Ancien Régime et Empire ou bien encore ceux de Jennifer Heuer sur les relations familiales en période de guerre.

4 Pour ce qui est de l’Europe, aucun doute, ce sont les monographies anglo-américaines qui l’emportent, en ce qu’elles sont remarquablement bien informées et qu’elles proposent des vues approfondies sur les expériences et les attentes dans les pays concernés. Ici, il est vrai que les « nationaux » leur font à leur tour concurrence : en Allemagne, en Italie, en Espagne ou aux Pays-Bas, voire en Suisse, en Pologne ou en Russie, de jeunes chercheurs se réintéressent à une période jadis ignorée par leur tradition historique respective, précisément parce qu’elle était considérée comme « non nationale ». Les chercheurs anglo-saxons leur servent en un sens de porte-parole ou de relais et popularisent des travaux inaccessibles à un public qui ne connaît pas forcément leur langue. Les trois intervenants de ces regards croisés notent bien du reste le problème linguistique pour quiconque voudrait s’atteler à une histoire vraiment européenne. Ce n’est là qu’un des obstacles à une pleine appréhension du sujet. Un autre réside dans l’incompréhension mutuelle entre historiens français et anglo-américains. Laisser la parole à ces derniers pourrait faciliter le dialogue. De là ces regards croisés. Annie Jourdan 1. Ce qui me frappe actuellement, c’est l’insistance quasi-essentialiste des historiens anglo- américains sur l’origine nationale de leurs collègues, notamment français, mais aussi anglais ; sur leurs traditions intellectuelles et les écoles historiques auxquelles ils appartiennent. Cette tendance ne risque-t-elle pas de mener à des généralisations abusives et d’amplifier l’incompréhension mutuelle ? Steven Englund

5 Le problème de l’estime et du mépris dans l’historiographie anglo/ américaine- française n’est qu’un volet fascinant d’un plus vaste diptyque touchant à la question de la compréhension ou de l’incompréhension et de la rivalité anglo-française en général – ou faut-il dire « franco-anglaise » ? Trop vaste, en vérité, pour que cette question soit traitée en quelques paragraphes. Les relations scientifiques anglo-françaises ont leur propre histoire. Pendant de longues années, les universitaires français ont fait preuve d’une superbe souveraine envers leurs collègues étrangers (en particulier, ceux qui écrivaient en anglais), et à l’exception des « happy few » (Richard Cobb, Eugen Weber, etc.). Depuis les années 1970, tout cela a changé – à tel point que, désormais, le paysage est quasiment inversé. Michael Rowe, par exemple, cite relativement peu d’auteurs français parmi ses très nombreuses références. Je connais bien des historiens français du Premier Empire qui trouveraient cela aberrant. En vérité, j’en connais dans le monde scientifique français qui trouvent aberrant que, depuis quelque temps, leur histoire échappe pour une grande part à leur contrôle « national ». Du point de vue

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 104

quantitatif, il y a sans doute tout autant, sinon plus, d’Anglo-Américains qu’il n’y a de Français pour étudier l’histoire de France. Et dans quelques domaines, comme le Premier Empire, les étrangers actuellement se trouvent faire des recherches plus pointues et ouvrir des réflexions plus novatrices que leurs collègues français.

6 D’autre part, je ne doute pas que Michael Rowe ne s’empresse d’expliquer que son désintérêt pour les ouvrages français n’a rien d’une superbe ou d’un « essentialisme » national à leur endroit. C’est tout simplement qu’il n’y a aucun chercheur français récent à avoir entrepris des recherches ou à avoir émis des réflexions sur la question du Premier Empire en Allemagne. Les Français se focalisent sur « la France de Napoléon », alors que les Anglo-Américains se concentrent sur « l’Empire ». Actuellement, il y a tout un réseau d’institutions consacrées à l’étude du Premier Empire en tant que phénomène européen – entre autres, les congrès en cours (parrainés par des historiens anglo-allemands), intitulés « Experience, Memory and Media : Transmitting the Revolutionary and Napoleonic Wars in 19th and 20th Century Europe », congrès qui se tiennent dans des villes variées, le plus récent ayant eu lieu à Mannheim, en octobre dernier. Détail frappant : les deux historiens français éminents qui y étaient invités se sont désistés au dernier moment.

7 Au fond, alors que les universitaires français citent plus que jamais des sources étrangères (surtout anglophones), ils ne font aucun effort pour entamer des discussions avec les auteurs de ces travaux et leurs interprétations. La Fondation Napoléon a remis récemment le prix du meilleur livre étranger à Michael Broers, mais j’ai été frappé de voir que peu de membres du jury avaient lu ou compris la thèse de ce livre, Napoleonic Empire in Italy. Je suis heureux que Broers ait eu ce prix bien mérité, mais je crains que rares soient ceux dans le monde français de l’histoire napoléonienne qui fassent l’effort de comprendre son point de vue global. Cela vient pour une part de ce que les livres ne font pas en France l’objet de véritables débats. Il n’y a pas d’équivalent à H-France et les comptes rendus scientifiques sont rarement critiques.

8 Enfin, sans vouloir sur ce point être trop « Noirielien » ou « Bour-dieusien », le désintérêt réciproque des historiens anglo-français est dû pour beaucoup à une sociologie de base : les deux groupes écrivent dans leur propre langue (nationale) pour leur propre public (national) ; sont payés par leurs institutions (nationales) respectives et adhèrent aux us et coutumes (nationaux) de leur monde académique. Remarquable en ce qui concerne le dernier point est le fait qu’il y a moins de différence en France entre la monographie scientifique et la synthèse grand public. En d’autres termes, la République des Lettres, censée être internationale et cosmopolite, vit seulement dans l’esprit de quelques idéalistes. Sinon, les historiens sont pour beaucoup d’entre eux de simples universitaires, réagissant principalement aux récompenses et aux sanctions nationales. Michael Broers

9 Une des raisons de ces malentendus est peut-être l’éclipse de l’histoire marxiste, qui a réduit l’ampleur des débats en France même, où elle tenait une place très importante. L’autre, quoi qu’il en soit, est la tendance générale parmi les historiens français à concentrer leurs travaux sur la France de Napoléon. Cette différence d’approche s’est amplifiée, alors que les Anglo-Saxons ont modifié leurs perspectives. Vous avez raison cependant de nous rappeler que cette différence d’approche de la période ne doit pas mener à en conclure à une uniformité de perspective (francocentriste), doublée d’une uniformité d’opinion (elle aussi francocentriste).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 105

Michael Rowe

10 Les historiens de la période révolutionnaire et napoléonienne ont tout d’abord la formidable chance d’explorer des événements et des processus qui ont une dimension vraiment paneuropéenne. Pour exemples, les guerres qui ont marqué la période, de même que les processus de mobilisation de ressources (conscription, fiscalité, etc.) ont été une expérience partagée par la grande majorité des Européens. Aussi, les historiens de la période devraient-ils en principe être bien placés pour s’élever au-dessus des traditions nationales auxquelles ils appartiennent. Après tout, chaque spécialiste de cette période prenant part aux conférences et congrès qui se tiennent annuellement sur des thèmes napoléoniens est confronté à des historiens du continent et bien au- delà.

11 Néanmoins, alors que les guerres napoléoniennes ont été une expérience partagée au niveau paneuropéen, elles – ou plutôt leur mémoire – ont fortement contribué au développement du nationalisme du dix-neuvième siècle. L’émergence de systèmes nationaux d’éducation et d’historiographies nationales a nourri ce processus, dont nous ressentons aujourd’hui encore les effets.

12 Nulle part peut-être cela est plus vrai que dans l’historiographie de la région à laquelle je me suis particulièrement intéressé, à savoir la Rhénanie. Les récits sur les expériences de cette région durant l’époque française étaient inextricablement liés aux vicissitudes des relations franco-germaniques des XIXe et XX e siècles. Une des conséquences en a été la publication relativement importante d’études sur ce qu’était et ce qu’est une petite région. La plupart du reste étaient des pamphlets de propagande politique plus que des études scientifiques sérieuses, surtout au moment de la détérioration des relations franco-allemandes qui a suivi la Première Guerre mondiale.

13 Évidemment, on pourrait avoir l’audace de croire qu’un nationalisme aussi vif est désormais mort et enterré. L’historiographie napoléonienne rhénane des années post- soixante semble l’indiquer. Mais cela ne veut pas dire que les préoccupations politiques contemporaines se soient évanouies. Car, dans notre désir d’éviter le nationalisme ancien, nous risquons d’ignorer des questions relatives à la collaboration, à la résistance et à l’identité nationale durant l’époque napoléonienne au profit de thèmes qui semblent moins aptes à raviver les anciens conflits. Pis. On risque de tomber dans le piège qui consisterait à donner une légitimité historique à l’intégration européenne actuelle en antidatant le processus de deux siècles. Les historiens non-français et non- allemands de la Rhénanie des années 1970 et 1980 – comme T.C.W. Blanning – sont, en tant qu’ « outsiders » mieux placés en un sens pour focaliser sur les conflits nationaux que les historiens français ou allemands, auxquels on serait vite enclin de reprocher ce type d’approche. Annie Jourdan 2. Les écoles historiques se différencient en effet les unes des autres et elles évoluent dans le temps. Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, il est de plus en plus d’usage de poser une grande thèse a priori, ce qui incite les historiens à ne rechercher et à ne noter que ce qui entre dans leur schème. Que pensez-vous de cette tendance ? Est-elle la cause du peu de traductions d’ouvrages français en anglais ? Car, s’il est une autre tendance, c’est bien en effet la rareté des ouvrages traduits en anglais. Michael Broers

14 Pour ce qui est de la traduction : les éditeurs ne le font pas parce que c’est trop coûteux. Tous les historiens anglophones, pourtant, j’en suis sûr, souhaiteraient avoir plus de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 106

travaux traduits en anglais. En tant qu’impliqué intensivement dans l’édition et au courant de ses pratiques, je refuse d’en attribuer la responsabilité aux universitaires. Et puis, l’historiographie française pèse moins lourd qu’auparavant, cela vient de ce qu’elle est devenue un peu convenue et qu’elle se limite à la France dans nombre de cas, et, enfin, qu’elle ne participe pas vraiment aux nouveaux débats. Heureusement, de plus en plus de Français lisent leurs homologues anglo-saxons – entre autres, Thierry Lentz – et cela peut faire bouger les choses et avoir des conséquences importantes dans l’avenir.

15 En ce qui concerne la « grande thèse », elle peut s’appliquer à plusieurs d’entre nous – à moi, en particulier ou bien à Esdaile. Mais le marxisme français a joué un grand rôle dans notre formation. Je ne crois pas que cela vaille pour les travaux de Michael Rowe ou d’Alex Grab. Michael Rowe

16 Sur cette préférence donnée à la grande thèse, je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Dans les années 1980, n’oubliez pas que les historiens marxistes étudiant la République de Mayence rejetaient plutôt dédaigneusement les historiens britanniques qui travaillaient sur le même sujet, sous prétexte qu’ils n’avaient pas une vaste vue (marxiste) d’ensemble ou au contraire, parce qu’ils faisaient du « fétichisme archivistique ».

17 Mais sans doute faut-il ici noter des facteurs structuraux autant qu’idéologiques, quand on commente ce genre de différences auxquelles se réfère la question : le fait que le monde de l’édition anglo-saxon (que mes collègues celtiques m’excusent pour l’usage de ce terme) est plus commercial. Là, des pressions sont exercées sur l’auteur pour qu’il produise pour un marché aussi vaste que possible. Il y a deux façons de le faire : élargir le thème autant que possible ou bien relier la recherche à une controverse contemporaine : telle que l’intégration européenne ou les guerres en Afghanistan et en Irak.

18 Pour ce qui est des traductions des ouvrages français ou non anglo-saxons, c’est plus que regrettable. Et c’est particulièrement vrai pour les ouvrages allemands sur la période qui nous concerne. Mais c’est moins parce qu’il y a un manque d’intérêt chez les spécialistes – eux lisent du reste la version originale – qu’à cause des intérêts économiques du marché du livre. Les livres spécialisés en histoire allemande, s’ils ne parlent pas des nazis, n’ont pas un grand lectorat – ce qui n’est pas fait pour justifier le surplus des frais de traduction. Steven Englund

19 Je ne suis pas non plus d’accord que la grande thèse a priori soit avant tout une marotte anglo-américaine. Daniel Mornet, Fernand Braudel et Ernest Labrousse ne sont-ils pas des Français ? Et leurs chefs-d’œuvre ne sont-ils pas élaborés autour de thèses a priori ? Et ceux de Soboul ou de Furet ? Et que dire de Jean-Paul Bertaud, qui vient de nous donner un ouvrage à thèse sur le Premier Empire (thèse très critique de l’Empire, par ailleurs) ? C’est un excellent ouvrage que j’espère voir paraître en anglais. Par contre, Rafe Blaufarb et Jeff Horn sont des historiens du Premier Empire qui écrivent des monographies utiles, et non des essais à thèse ou avec de grands a priori. Qui plus est, ils privilégient la France elle-même et non l’Empire, parce que, contrairement à leurs collègues, ils ne pensent pas qu’elle ait été trop étudiée au détriment des provinces. Autre ouvrage à mériter une traduction : la biographie de Talleyrand d’Emmanuel de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 107

Waresquiel, qui est un des plus beaux ouvrages écrits sur cette période, pour lequel j’essaie de trouver un éditeur américain, mais ce n’est pas facile pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’essentialisme nationaliste ou les préjugés, mais tout simplement avec le capitalisme. Entre-temps, pour les raisons citées plus haut, des éditeurs anglais ou américains peuvent très bien commander des biographies plus modestes qui – par nécessité – vont piller le superbe chef-d’œuvre de Waresquiel.

Annie Jourdan 3. Il n’est pas question d’affirmer que l’absence de traductions en anglais provient d’un essentialisme nationaliste ; je voulais seulement dire que les comptes rendus anglo-américains (de H-France pour préciser) situent parfois l’auteur et ses réflexions dans une tradition nationale ou historique. Dernièrement, j’étais moi-même étiquetée de « gaulliste » – puisque d’origine française et nonobstant mon allergie aux grands hommes – et Peter Campbell était péremptoirement cantonné dans une tradition britannique : comme si nos origines devaient nécessairement biaiser nos recherches. Pour ce qui est de Napoléon et l’Europe, les études récentes, surtout anglo-saxonnes du reste, ont amplement traité les États qui constituent aujourd’hui l’Italie et l’Allemagne. Il n’en va pas de même de la Belgique, des Provinces-Unies, de la Suisse, de la Pologne ou de l’Europe orientale. Tant que les expériences « impériales » de ces pays seront méconnues, il est difficile de conclure quoi que ce soit sur l’Europe napoléonienne. Et de ce fait, les grandes synthèses de Stuart Woolf et de Michael Broers sont-elles vraiment fi ables ? Enfin, que pensez-vous qu’il reste à faire pour mieux comprendre l’Europe « impériale » ? Quels travaux privilégieriez-vous ? Michael Broers

20 Affirmer que certains pays auraient été négligés est tout à fait injuste. Woolf et moi, nous avons abordé les Provinces-Unies, la Pologne ou la Hongrie, de façon certes limitée à cause des contraintes éditoriales. Woolf et moi, nous avons aussi été les premiers ou presque à prendre en considération un pays comme l’Illyrie. Il est sûr qu’il reste encore beaucoup à faire dans presque tous les domaines. Car la période napoléonienne peut se féliciter d’avoir quelques-unes des meilleures archives du monde. Malgré ce que nous avons fait depuis les vingt ou vingt-cinq dernières années, nous sommes loin du compte. Mes propres recherches actuelles portent sur l’introduction du Code civil dans les départements réunis et les royaumes satellites. Et ce, à partir des archives centrales. Je crois que c’est un domaine d’investigation incontournable – jusqu’à présent, surtout étudié par les universitaires allemands – parce que, nous en sommes tous convenus, c’est un des héritages les plus importants et les plus durables du règne napoléonien, alors que nous en savons relativement peu à ce sujet. Je ressens par ailleurs le besoin de réfléchir plus longuement sur la période en tant qu’expérience impériale (ou plus précisément coloniale) et d’intégrer l’histoire napoléonienne dans celle de l’impérialisme moderne, entre autres parce qu’il s’est avéré que, dans toute l’Europe, nombre de Français occupaient beaucoup de postes au niveau local. Cela demande donc des recherches sur l’histoire sociale de l’Empire – en termes de relations sociales entre occupants et occupés, et pas seulement politiques. Enfin, l’histoire du genre – le gender – tient une place de choix dans la période napoléonienne, moins en termes de répression des femmes par le Code civil, qu’en tant qu’expériences de femmes françaises vivant à l’étranger – une jeune génération de femmes accompagnaient leurs maris/amis dans toute l’Europe et participaient à cet impérialisme. Steven Englund

21 Quoi ? Combien d’Anglo-Américains ne sont-ils pas à avoir travaillé sur des régions autres que l’Italie et l’Allemagne ? Esdaile et Tone sur l’Espagne, Schama sur la

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 108

Hollande, Woolf, Broers, Bundy et Grab sur l’Illyrie, Christopher Blackbourn sur la Pologne. Le problème, c’est la langue. On n’apprend pas si facilement le néerlandais ou le polonais. D’autre part, il est vrai qu’il est aisé de travailler sur ces pays, puisqu’on a aussi accès à des archives en français, soigneusement conservées et centralisées. Je pense que Broers va produire un jour une synthèse majeure sur le Premier Empire, basée sur de vastes recherches d’archives, qui remplacera l’étude classique de Stuart Woolf et en deviendra la meilleure analyse globale. Mais n’oublions pas non plus, sur un autre front (synthétique), les formidables volumes de Lentz qui intègrent les travaux étrangers sur le Premier Empire. Je ne connais personne d’autre que Lentz pour simultanément suivre l’historiographie en anglais, assister aux conférences anglo- américaines et, dans une certaine mesure, participer aux débats anglophones sur l’histoire de l’Empire français. Et puis, honnêtement, j’ai l’impression que les universitaires français ont plus de peine à lire les langues étrangères qu’ils ne le devraient. Ils ont donc en un sens laissé à d’autres les travaux sur la Belgique et la Hollande du Premier Empire, sans parler de la Pologne.

22 Il est également vrai que bien des historiens commencent à penser qu’exclure la France de l’Empire « interne » et « externe » est tant soit peu exagéré. Heureusement, de jeunes chercheurs comme Jeff Horn, Rafe Blaufarb et Natalie Petiteau, de même que d’autres chercheurs français, ont concentré leurs travaux sur la France métropolitaine à l’époque napoléonienne (ainsi que le fait depuis plus longtemps l’historien bien connu, Alan Forrest). Et puis, il y a la réédition ultra complète de la correspondance de Napoléon gérée par la Fondation Napoléon, de même que le remarquable volume de lettres de Napoléon et de Joseph, publié par l’infatigable jeune chartiste, Vincent Haegele. Il reste néanmoins beaucoup à faire sur le plan provincial, départemental et local. Prenez par exemple l’ouvrage récent de Howard Brown, tout juste couronné par deux prix, Ending the Revolution : Violence, Justice and Repression in France from the Terror to Napoleon (University of Virginia, 2006) : c’est une rare alliance de recherches archivistiques pointues et de réflexions critiques sur les idées reçues : notamment celle qui consiste à placer la rupture d’une séquence de l’histoire de France en 1799. L’étude de Brown sur les cours de justice et la répression démontre au contraire que 1802, au cœur même du Consulat, serait une date plus logique de rupture. C’est une thèse qui va à rebrousse-poil d’une certaine idée républicaine.

23 Chacun de nous a son projet favori pour des recherches futures. Si j’avais un doctorant brillant et énergique, passionné par l’idéologie, la politique et le langage, je l’inciterais à lire méticuleusement le Moniteur universel pour y noter l’évolution de termes comme « Grande Nation », « République », « Empire/République », « Empire » tout court, tels qu’ils ont été utilisés et interprétés par les régimes successifs pour se légitimer. Je pressens que ce qu’il en ressortirait modifierait la ligne de démarcation entre « République » et « Empire », qui est bien plus floue que ne le croient les historiens français (et cela vaut encore plus pour les années entre 1848 et 1880, ainsi que l’a démontré Robert Tombs dans un volume magistral sur la France du dix-neuvième siècle). Michael Rowe

24 Pour être juste, il faut noter que la superficie de l’Italie et de l’Allemagne justifie le nombre élevé de publications, plus que ce ne saurait être le cas pour de petits pays comme la Belgique et les Provinces-Unies. Et puis, Simon Schama – un des rares historiens à être vraiment populaire en Grande-Bretagne – a consacré son premier livre

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 109

aux Pays-Bas durant cette période. Sans doute, les territoires les plus négligés sont ceux de l’Europe centrale et orientale : la Pologne, la Russie, la monarchie des Habsbourg et les Balkans. Dans les histoires globales de l’Europe, on en tient compte désormais, du moins en Grande-Bretagne. Pour exemples, l’histoire de l’Europe de Norman Davies et celle sur l’Europe du dix-neuvième siècle de Michael Rapport.

25 Une part du défi pour quiconque entreprendrait de rendre compte de la diversité européenne est bien sûr linguistique. Un accès direct aux sources primaires sur un pays comme la Hongrie exige non seulement une connaissance du hongrois mais aussi de l’allemand et du latin (et peut-être même du français). Un historien étranger capable de maîtriser les langues requises, quoi qu’il en soit, préférera sans doute se concentrer sur la période la plus exaltante de l’histoire du pays concerné : l’Âge d’Or hollandais, l’Allemagne de Bismarck, l’Autriche de Joseph II ou la Hongrie de 1848.

26 En ce qui concerne le Premier Empire, et étant donné la tendance, perceptible chez Broers, par exemple, je suis sûr qu’on en viendra à des comparaisons entre l’empire de Napoléon et des entités expansionnistes similaires, comme les États-Unis d’Amérique ou les empires coloniaux européens. De la même façon, les historiens de l’empire britannique – John Wilson, par exemple, qui a travaillé sur les Indes de la fin du dix- huitième et du début dix-neuvième – auront envie de comparer ces expériences d’outre-mer avec la construction d’empire(s) en Europe. Ce processus – une rupture des barrières entre l’histoire européenne et impériale (à comprendre comme non- européenne) – est encore peu élaboré, mais bel et bien en germe.

27 Pour ce qui est des travaux à entreprendre, la réponse est évidente : combler les lacunes géographiques, y compris l’Europe orientale. L’image qui en ressortira sera sans nul doute celle d’une grande diversité. Thématiquement, il faudrait focaliser plus spécialement sur la perspective d’en bas ; au point de jonction entre État et peuple ; reconnaître les complexités de cette relation entre État et citoyens et ne pas les réduire à des relations entre un bourreau et des victimes ou vice versa ; intégrer l’épisode napoléonien dans un cadre chronologique plus large pour mieux comprendre le contexte dans lequel s’est imposée la domination napoléonienne ; éviter les grandes thèses sociologiques qui marginalisent la politique locale. Enfin, il serait utile de comparer l’Empire napoléonien avec d’autres États et d’autres empires, tels ceux qui mènent une politique d’expansion dans de nouveaux territoires à peu près au même moment : les Britanniques en Irlande et en Inde ; les Russes en Finlande, en Pologne et dans le Caucase ; les Autrichiens en Italie ; les Prussiens en Allemagne occidentale, etc. Annie Jourdan 4. Voilà de quoi occuper les chercheurs en histoire napoléonienne, et pour longtemps. Du reste et pour revenir aux observations de Steven sur Howard Brown, une rupture du point de vue pénal ou judiciaire (1802) ne veut pas dire une rupture du point de vue politique : la constitution de l’an VIII est là pour le prouver. Et du point de vue juridique et social, c’est encore tout autre chose. Les ruptures connaissent donc des temporalités décalées, dont il faudrait tenir compte. Mais que savons-nous au juste des réalités « indigènes » et des relations quotidiennes entre « occupants » et « occupés » ? À vous lire, j’ai l’impression que vous différez entre vous, du moins pour ce qui touche à l’attitude des Français dans les pays conquis ou alliés. Je pense évidemment au pragmatisme invoqué par Rowe dans plusieurs articles ; à l’impérialisme invoqué par Broers dans son dernier livre et à l’idéologie invoquée par d’autres. Sous quelle impulsion agissent les fonctionnaires et administrateurs français ? Que pouvez-vous dire à ce sujet ? Michael Rowe

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 110

28 Sur les relations occupants/occupés, ce sont les sources qui déterminent le travail. Les « révoltés » en général évitent de laisser des traces ; et s’ils le font, ces documents ont été produits le plus souvent par des autorités qui leur sont peu acquises ou bien qui ont intérêt à minorer l’opposition. Il est évident qu’un préfet napoléonien dans un pays comme la Rhénanie sera bien avisé – en fonction de ses perspectives personnelles de carrière – de faire passer l’hostilité de l’opinion pour l’expression d’une minorité de moines fanatiques, nullement représentative des sentiments de l’élite locale… des gens dont le métier de préfet était justement de guider l’opinion !

29 Les historiens de cette période doivent envisager la « collaboration » et la « résistance » pour ce qu’elles sont, à savoir des extrêmes à chaque bout de l’éventail des comportements. Quelques-uns des meilleurs travaux – tel le livre récent de John Davis sur le Royaume de Naples – ont démontré combien un comportement qui, à un niveau, apparaît comme étant pure collaboration (accepter une charge publique à l’intérieur des institutions françaises) peut dissimuler une forme de résistance (saboter les réformes de l’intérieur). Le recueil publié récemment par Mark Philp sur la Grande- Bretagne à l’époque de la rumeur d’une descente de Napoléon a amplement prouvé quels étaient les motifs qui se cachaient derrière les invocations officielles d’un « patriotisme de défense nationale ». La majorité des Européens du début du XIXe siècle étaient des gens éclairés qui en général comprenaient que ce qui servait le mieux leurs intérêts n’était sûrement pas la résistance armée ou la collaboration pure et simple. Les historiens doivent l’être tout autant quand ils mettent au jour ces comportements.

30 À choisir, je me classerais moi-même comme un pragmatique. Peut-être que cela est dû au territoire que j’ai spécifiquement étudié, à savoir la Rhénanie. Un territoire clos au centre de l’empire napoléonien. Les fonctionnaires d’origine française qui y étaient détachés avaient moins de raison de s’y croire au cœur d’une « altérité ». C’est d’autant plus vrai que nombre d’entre eux étaient d’origine alsacienne, un groupe dont les facultés bilingues étaient exploitées par le gouvernement parisien, lequel les envoyait sur la rive gauche en nombre disproportionné. Historiquement, culturellement et géographiquement, ces hommes venaient essentiellement d’un même espace régional. Ils avaient plus de traits en commun avec les Rhénans qu’ils n’en avaient avec le Midi de la France.

31 Peut-être la division entre « pragmatiques » et « idéologues » reflète-t-elle une division Nord/Sud, avec une ligne de démarcation, traversant la France (comprenant l’Allemagne au nord, et l’Espagne, l’Italie et l’Illyrie au sud). Le pragmatisme en tant que réaction à l’arrogance impériale semble en effet être une réponse logique des États policiers, bien administrés du Nord, qui, n’en déplaise à la lettre si souvent citée de Napoléon à Jérôme n’avaient pas besoin de beaucoup de réformes pour fonctionner correctement.

32 Et pourquoi serions-nous surpris que les fonctionnaires impériaux approchent les situations différemment ? L’uniformité administrative française a tenté d’en cacher les différences ; dans l’empire britannique, avec ses colonies, dominions, protectorats et pays sous mandat, elles étaient légion. On peut aussi invoquer un autre empire – celui de l’Allemagne nazie – qui était moins homogène et consistait en un agglomérat de gouvernements désunis, chacun ayant son agenda propre – certains pragmatiques ; d’autres plus idéologiques. Dans quelle mesure peut-on appliquer ce schéma à l’Europe napoléonienne ? Et puis, il ne faut pas négliger les changements qui s’opèrent au cours du temps : le pragmatisme distinguant la première génération des administrateurs (des

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 111

individus qui avaient vécu les diverses étapes très chargées idéologiquement de la Révolution française et qui s’y étaient opposés à un moment ou à un autre) de la seconde génération – des jeunes auditeurs de vingt ans lors des dernières années de l’Empire (trop jeunes donc pour se souvenir de la Révolution), pour qui l’idéologie était importante, et ce en dépit d’une ascendance bien souvent noble. Michael Broers

33 De nouveau, je ne me retrouve pas du tout dans ces observations. Rowe, moi-même, Esdaile, Grab et Davis, nous avons concentré beaucoup d’attention aux « occupés » et aux archives locales. Mais notons bien que la plupart d’entre elles sont des documents officiels, comme le rappelle Rowe. Or, ce sont de ces documents dont nous sommes dépendants pour apprendre ce que disent les « occupés » - notamment sur les révoltes populaires et les résistances, ce qui pose des problèmes fondamentaux aux historiens de la période. Deuxièmement, et j’en sais quelque chose, l’ironie du sort veut que ce soit dans les archives centrales ou nationales que l’on trouve le plus d’informations sur les localités : à Paris, Milan, Naples ou Kassel. En tout cas, telle que la question est posée, je ne suis pas d’accord : nombre de travaux ont été publiés et ces événements ont été bien étudiés.

34 Sur le second point, je crois que ce sera là le cœur du débat qui va s’ouvrir au cours des prochaines années dans le monde anglo-saxon. Il y a beaucoup à dire – chaque aspect a sa place, parce que chacun d’eux est présent à un moment ou à un autre. Ainsi l’imposition du Code, du Concordat et de l’administration risquait de problématiser les choses pour les Français. Cette politique rigide a rendu en effet la tâche (pragmatique) d’exploitation – conscription, séduction des élites en vue d’un soutien dans la levée d’hommes et d’argent – beaucoup plus difficile qu’elle n’aurait pu l’être. Steven Englund

35 C’est un point qui dépasse mes compétences, mais je crois savoir qu’il y a des informations fiables sur les peuples occupés, même si elles sont loin d’être suffisantes. Broers a écrit sur le sujet, tout comme John Tone l’a fait sur les guérillas espagnoles et John Davis sur l’Italie méridionale. Alexander Grab a publié un formidable article sur les brigands et la révolte de 1809 en Italie septentrionale, où il utilise les archives judiciaires et examine les dépositions des villageois eux-mêmes. Enfin, Johan Joor a fait du bon travail en Hollande. Si sa thèse est en néerlandais, il a écrit quelques articles en anglais et en français sur le sujet.

36 Si j’en crois les discussions avec des historiens passionnés par le « vécu des indigènes », j’en conclus qu’il n’y a pas autant de documents pertinents dans les archives que ce qu’on pourrait penser ou espérer. La question des « révoltes » contre l’occupation française, quoi qu’il en soit, n’aboutira jamais au consensus, parce que c’est une question très controversée, tant par les contemporains que par les modernes. Il y en aura toujours pour croire, et pas seulement parmi les historiens français, que l’occupation et l’influence françaises étaient tout à la fois positives et négatives. C’est la nature même du Premier Empire que d’être ambigu. Malheur à qui l’oublie.

37 Pour ce qui est de la théorie post-moderne, telle qu’elle s’est développée dans l’historiographie des empires coloniaux des XIXe et XXe siècles et de son application au cas du Premier Empire, j’ai déjà mis sur papier mon sentiment à cet égard (dans The Historical Journal) et critiqué les tentatives que fait Broers dans ce sens – aussi brillantes et originales qu’elles soient, elles sont profondément défectueuses, à mon avis. Mais j’ai

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 112

aussi une position a priori sur le débat entre pragmatisme versus idéologie. L’idéologie était certainement un élément de poids dans la manière de gouverner l’empire napoléonien, mais il y en avait d’autres tout aussi, sinon plus importants (extraction d’argent et d’hommes, imposition de l’ordre, etc.), selon le moment de cette politique et les hommes qui l’exécutaient. Alexander Grab a très bien défini à quel point idéologie et pragmatisme s’entremêlent dans son Napoleon and the Transformation of Europe (Palgrave, 2003), et il démontre une fois de plus combien il est difficile d’appliquer les subtiles distinctions analytiques des universitaires à une réalité combien plus complexe. Annie Jourdan 5. Les lacunes des archives ont bon dos, si je puis me permettre. On s’en aperçoit dans les études locales, où les chercheurs découvrent des documents inédits qui éclairent l’attitude des populations – archives municipales, archives judiciaires et criminelles, archives militaires, etc. En tout cas, la thèse que je suis en train de lire sur un village du Limbourg néerlandophone où l’auteur décrit à loisir les péripéties des conscrits me donne une tout autre impression (J. Welten, In dienst voor Napoleons Europese droom, Louvain, 2007). Mais ce serait injuste que de vous le reprocher à vous qui aviez déjà tellement bien étudié les archives des pays impliqués. Venons-en donc aux résistances. Qu’il y ait eu plus de révoltes populaires qu’on ne l’ait dit, ne signifie pourtant pas que les Français ont été confrontés à de véritables guerres « nationales » de libération ou à des guerres de « libération nationale ». C’est une réalité constatée aujourd’hui par bien de vos collègues que les révoltes d’Italie du Sud ou d’Espagne sont dues à des causes plus « triviales » : frustrations, opposition à la conscription, misère ou fiscalité. Mais du coup, cela semble infirmer la thèse « apocalyptique » de David Bell sur la guerre totale, laquelle aurait mis aux prises des « ennemis absolus ». S’il est question d’insurrections « circonstancielles » motivées par des frustrations passagères, on se demande pourquoi il serait utile d’invoquer de telles notions – créées du reste dans les circonstances bien différentes de l’Entre-deux-guerres allemand, ce qui pose la question de leur légitimité en matière d’explication historique. Michael Rowe

38 Le consensus actuel est que le nationalisme n’était pas un facteur prédominant en Espagne après 1808, en Russie en 1812, en Allemagne en 1809-1813, ou encore en Grande-Bretagne entre 1803 et 1805. Mais là se pose évidemment un problème spécifiquement sémantique : qu’entendons-nous par nationalisme ? Il n’y a pas jusqu’ici de définition consensuelle. Est-ce essentiellement la haine de l’Autre ? Dans quelle mesure le nationalisme doit-il être ou non socialement inclusif ? Doit-on y compter les « nationalismes nobles » de Hongrie et de Pologne ?

39 En fait, ce qui frappe, c’est que, dès qu’il s’agit de nationalisme, les recherches dans des domaines relativement proches vont dans des directions opposées. Les historiens politiques de l’Europe napoléonienne – qui regardent de haut en bas – conscients de leurs traditions historiographiques enracinées dans un terroir national, auxquelles ils tentent d’échapper, minorent tout à fait naturellement le nationalisme et soulignent à l’inverse les facteurs sociologiques. De là l’image que nous nous faisons du conflit, comme étant, semble-t-il, motivé par les querelles locales (entre ville et campagne, le plus souvent). Ainsi, il y aurait eu des résistances, mais elles n’auraient pas particulièrement été dirigées contre les Français parce qu’ils étaient français, mais parce qu’ils incarnaient l’État.

40 Par contre, les historiens qui se sont spécialisés dans l’étude de la sphère publique durant la période – ou plutôt durant une période qui englobe tout le dix-huitième siècle – soulignent le plus souvent que des segments importants du public européen de l’époque étaient remarquablement bien éduqués et informés en matière de politique. L’idée que nous aurions affaire à des mentalités « de clocher » serait tout à fait fausse.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 113

Qui plus est, quelques-uns des meilleurs ouvrages sur le nationalisme – Abigail Green sur l’Allemagne du XIXe siècle, par exemple – illustrent fort bien que le nationalisme est souvent imaginé à travers le local. Le local et le national ne sont pas incompatibles mais se renforcent mutuellement.

41 Traiter le nationalisme comme quelque chose de potentiellement dangereux durant la période napoléonienne n’est pas anachronique ; ce n’est pas tomber dans un piège que d’utiliser rétrospectivement des concepts actuels. Car des gens – une minorité, certes, mais une minorité influente – pensaient en ces termes. Et les Français qui devaient prendre des décisions en 1813-1814 en étaient conscients, même s’ils ne parlaient pas à ce propos de nationalisme. Ils avaient peur que les affinités culturelles et linguistiques des Rhénans avec les Bavarois, les Autrichiens et les Prussiens n’aliènent les premiers de la France. Ces craintes étaient peut-être exagérées – il n’y a pas eu de soulèvement anti-napoléonien en Rhénanie entre 1813 et 1814 – mais elles ont influé sur la politique française : notamment le refus de mobiliser la garde nationale dans les départements « réunis » ou bien la décision de désarmer les régiments néerlandais de l’armée impériale. La crainte du nationalisme – qu’elle soit ou non justifiée – a conduit les fonctionnaires français à agir comme s’ils étaient en territoires ennemis et à les évacuer prématurément – attitude qui n’a évidemment pas eu d’équivalent dans l’ancienne France. Dans quelle mesure cela a-t-il contribué à la défaite ultime de Napoléon ? Peu, sans doute, étant donné l’ampleur de la coalition. Il n’empêche, les expériences des autres échecs – Prusse 1806, France 1940 – montrent bien que le moral et l’état d’âme sont des facteurs à prendre en considération. Les gouvernements autres que la France pensaient que les guerres napoléoniennes étaient aussi une « guerre d’opinion » (pour citer un contemporain allemand) : des guerres où l’opinion publique était importante. C’est même vrai en Russie, où la noblesse francophobe (soudée par sa haine de la Pologne et du catholicisme) a influé sur les prises de décision d’Alexandre. Le livre de Wolfgang Piereth sur la police du gouvernement bavarois en matière de presse allemande prouve que même les petits États ont investi du temps et de l’argent pour influer sur l’opinion. Vu de loin, on peut conclure que le nationalisme n’était pas généralement répandu, mais les gouvernements de l’époque n’en étaient pas certains et ont agi comme s’il l’était vraiment.

42 Il faut être prudent sur ce qui est de la guerre totale, laquelle remémore les images de Goya, figurant des victimes massacrées sans état d’âme : un genre d’activité très différente du professionnalisme détaché, caractéristique de la guerre du dix-huitième siècle. Total ou totale implique une volonté inflexible de détruire complètement l’ennemi. La question posée semble par ailleurs suggérer que se battre pour des motifs essentiellement locaux (contrairement à nationaux) ne saurait être « total ». On peut rétorquer l’inverse : les conflits locaux, mettant face à face des voisins, sont les plus terribles et débouchent bien souvent sur une destruction complète de l’ennemi (y compris sa famille et ses biens). Mais ici encore, cela nous ramène aux commentaires sur le nationalisme, et sur sa force quand il dérive d’une imagination locale (tout à fait banale). Les paysans rhénans, qui, fin 1813, répondent à l’effondrement du régime français en s’en prenant aux gardes forestiers et aux gardes-chasses croyaient vraiment agir en patriotes allemands, ainsi qu’ils le disaient. Le fait est que les autorités prussiennes n’en croyaient rien et qu’elles les jetèrent en prison. En Espagne, il n’y avait pas d’autorités équivalentes à celles des Prussiens dans la Rhénanie de 1814. Là, c’est le chaos qui prévalait. En Russie, le maire de Moscou – Rostopchine – pensait apparemment que les masses russes étaient comme une bête incontrôlable, qui raserait

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 114

tout sur son passage : sa réponse fut de s’assurer que ce serait l’armée française et non la noblesse russe qui en subirait les effets. Il y a deux variables ici : 1. l’intensité avec laquelle l’opposition locale s’était sentie oppressée par l’exploitation ennemie (française) – en Espagne, Prusse et Russie, c’était une cause importante dans certaines régions ; en Rhénanie, c’était moins perceptible. 2. l’intensité avec laquelle les autorités étatiques souhaitaient et étaient en mesure de réprimer ou d’encourager la fureur populaire : en Prusse, l’État était assez puissant pour faire en sorte que les choses n’échappent pas à son contrôle (et ceux qui étaient pour la guerre totale, comme Gneisenau, n’étaient pas écoutés du roi et de la plupart du corps militaire professionnel) ; en Russie et en Espagne, en revanche, même s’il l’avait voulu, l’État n’était pas assez puissant pour empêcher les excès. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était orienter la fureur populaire directement vers les Français. Michael Broers

43 En tant que groupe, je ne crois pas que nous acceptions l’idée de « guerres nationales de libération ». Moi, en tout cas, je n’y crois pas et je l’ai écrit plus d’une fois. Ceux que j’ai lus, non plus, ce me semble. Il est vrai qu’on a trop souvent eu tendance à suggérer qu’à tous les stades, Napoléon a subi des résistances au niveau local, particulier, « réactionnaire ». Le second problème soulevé à propos des catégories de pensée ou des instruments de classification est très intéressant, en effet. Mes vues ne sont pas encore fixées là-dessus, mais elles ont été stimulées par le livre de David Bell. Quand il s’agit de conflits locaux, je crois pourtant que nous pouvons penser en termes « d’ennemi absolu » ou « d’hostilité absolue », tels ceux de Carl Schmitt, sans les projeter pour autant sur la guerre conventionnelle. Je crois que l’hostilité absolue entre les guérillas française et espagnole ou bien avec les rebelles de Calabre n’a pas besoin d’être entièrement « politisée » selon des normes modernes. Elle peut résulter de la faim, de la conscription, de l’exploitation, etc. aussi bien que de facteurs idéologiques. Guerre totale et hostilité absolue ne sont pas synonymes, en termes concrets. L’une est une approche logistique et politique de la guerre conventionnelle ; l’autre est une attitude, un état d’esprit. L’hostilité absolue n’a pas non plus besoin d’être aiguisée par la haute politique, plutôt l’inverse.

44 Cela me mène à mon dernier point : je crois que le concept de Carl Schmitt peut avoir une signification réelle – pas n’importe où et pas dans n’importe quelles circonstances. Je pense que celle-ci est plus spécifiquement le fait des intellectuels et des marginaux politiques d’une part, et de la guérilla de l’autre. Pour conclure sur le problème de l’anachronisme, mais sur un autre sujet : dans les nombreux travaux sur la position des femmes de l’époque et sur le divorce tel qu’il est décrit dans le Code, trop de préoccupations modernes envahissent les questions de gender – il y a un tas de sources qui indiquent que les femmes napoléoniennes se percevaient comme les plus libérées et les plus privilégiées de l’Europe d’alors. Steven Englund

45 Le problème des « guerres de libération nationale » a été depuis plus ou moins longtemps résolu par quelques spécialistes des pays concernés (Hartley, Hagemann, Esdaile, Davis, etc.), qui se retrouvent pour nier que le terme serait adéquat pour décrire ce qui était arrivé. David Bell résume ce consensus, quand il écrit, « les guérillas ne représentent pas en fait l’ensemble des populations – dans beaucoup de pays, Napoléon recevait un soutien significatif. Elles n’exprimaient pas toujours un patriotisme égoïste et leurs acteurs ressemblaient souvent à de vrais brigands plus que

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 115

ne veulent l’admettre leurs admirateurs modernes. Elles cherchaient à mobiliser et à attaquer là où le régime français était le plus précaire, et non le plus oppressif […] » (p. 266).

46 Selon moi, toute la question des guerres de libération nationale est un autre point qui démontre combien le débat souffre d’une surdétermination typiquement universitaire, due au flou qui entoure des termes ou des mots du genre « national » et « guerre totale ». Ces mots ne sont pas des termes rigoureux, comme « poids nucléaire » en physique. Au contraire, ce sont des concepts éminemment controversés. Ce qui se développe en fait en Allemagne, Italie, Espagne et Russie, ce sont des réactions violentes, plurivoques ou polysémiques, contre les occupants, qui acquièrent quelques traits de ce qu’on appellera plus tard les « guerres de libération nationale ». Ne pas le reconnaître serait en fait entreprendre une étude qui situerait les origines de la conscience nationale dans l’ère pré-moderne : les pré-conditions ne sont pas la chose en soi, mais juste des pré-conditions.

47 D’autre part, ce n’est pas parce que les hommes qui se rebellent contre l’Empire sont motivés par des problèmes « matériels » (conscription, impôts, pauvreté ou répression religieuse) que leurs révoltes sont « triviales ». Même les guerres coloniales du XXe siècle ont sans doute des causes « triviales ». Dans tout événement, Marc Bloch nous l’a appris, c’est une erreur que d’être hanté par la question des origines et leur supposée signification. On doit mesurer une série d’événements à leur évolution dans le temps, à leur ampleur, à leur dynamique générale. De ce point de vue, les révoltes espagnoles sont tout ce que l’on veut sauf « triviales » ou « circonstancielles ».

48 Loin d’être un théoricien inutile, le juriste Carl Schmitt a su saisir l’intensité des sentiments de haine et de ressentiment qui alimentaient nombre de rebelles dans les pays occupés. Ses catégories sur « l’Autre », « l’ennemi absolu », « la dictature souveraine ou la dictature de commissaire », « l’état d’exception » se sont développées pour une part à partir d’une étude sur les révoltes contre la France napoléonienne (et non à partir de la guerre conventionnelle confrontant des gouvernements, comme le note à juste titre Michael Broers). Ce sont des idées extrêmement importantes dont il faut tenir compte quand on étudie ce qui a vraiment provoqué la fureur et la violence sous le Premier Empire. Ce serait d’un moralisme suicidaire que d’éviter de lire et d’utiliser Schmitt simplement parce que nous n’aimons pas sa politique et que nous réprouvons ses actes sous le Troisième Reich. On n’est pas censé non plus aimer les idées de Marx, Weber, Durkheim ou Mannheim, mais on utilise leurs concepts.

49 D’un autre côté, il est maladroit d’appliquer sans plus des concepts contemporains sur les réalités du dix-huitième siècle. Il n’empêche. L’usage prudent d’anachronismes pour éclairer notre compréhension de l’histoire est précisément ce que l’historien professionnel est invité à faire, dès qu’il a établi et ordonné ses données empiriques. On n’attend pas de nous que, dans notre étude des périodes antérieures, nous adoptions leurs propres termes et leurs catégories de pensée – loin de là ! Et le voudrions-nous que nous ne le pourrions pas.

50 Tout cela me ramène à David Bell. J’ai profité de son livre en ce qu’il m’a incité à aller contre mes propres instincts et inclinations, et à me reconcentrer sur le métapolitique, au lieu de LA politique au jour le jour. Plus particulièrement, son livre jette un regard pénétrant sur l’élément décisif du métapolitique dans cette echtpolitisches Epoch : à savoir, l’émergence d’une disposition culturelle en faveur d’une nouvelle forme de guerre, dont l’avènement s’est fait jour à la fin du XVIIIe siècle, sans que les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 116

contemporains n’en aient pris conscience. Subrepticement, la guerre classique s’est transformée en une poursuite de buts vagues et illimités ; a mobilisé de grands secteurs de la société, et parfois – pour un temps restreint – toute une société. En épousant sans le savoir ces nouvelles valeurs culturelles, la société française s’est « prussianisée », pour ainsi dire. Le secteur civil, même quand il restait dominant, s’est militarisé dans ses valeurs, ses modes, son style et souvent même jusque dans sa politique et ses grands fonctionnaires d’État. Selon Bell, Jean-Paul Bertaud aurait donc raison de voir dans la France napoléonienne une société nouvellement militarisée, nonobstant le fait que l’empereur et ses principaux collaborateurs demeurent pour la plupart civils et qu’ils s’évertuent à créer une société civile : « Bien que [Napoléon] n’ait pas gouverné par le militaire, il a gouverné dans une large mesure pour lui ». Voilà qui est plein de bon sens et spirituellement dit. La tragédie quasi grecque où se sont trouvés enfermés les Français (et certains de leurs alliés) entre 1805 et 1815, alors qu’ils poursuivaient une guerre qu’ils ne pouvaient ni comprendre ni maîtriser, c’est cette naissance d’une mentalité nouvelle et d’une définition inédite du conflit et de la violence. Elles les engloutissaient. Bell illustre le rôle nouveau de la guerre et du conflit tel qu’il s’est inscrit dans les esprits européens, en examinant le cas de Choderlos de Laclos et, quelques décades plus tard, celui de Stendhal et il montre bien combien l’idéologie contagieuse de la guerre en est venue à infecter la pensée des élites européennes. Il s’agissait désormais d’une partie de « quitte ou double », où l’enjeu était la victoire ou la défaite totale entre des adversaires devenus ennemis. Commentaires de conclusion

51 Pour clore ce dossier, et dans la plus pure tradition anglo-saxonne, je me permettrai quelques commentaires sur plusieurs remarques des intervenants. Mais avant, il me faut les remercier de nous avoir donné un aperçu précieux des dialogues que nous pourrions avoir avec le monde historique anglo-américain.

52 Mon premier commentaire a trait aux remarques de Steven sur l’usage qu’on est en droit ou non de faire des concepts d’un auteur « politiquement incorrect ». Je voudrais rétorquer qu’il est pour le moins essentiel de s’interroger sur le bien-fondé de leur application à des contextes très différents – tels que les XVIIIe et XIX e siècles. Par ailleurs, Schmitt distingue clairement entre deux sortes de guerres : la guerre-action et la guerre-état – dans la traduction française, qui, espérons-le, ne diffère pas de sa version anglaise. Dans la guerre-action, il y a certes un ennemi, mais c’est un ennemi adversaire : un ennemi réel – et la guerre est elle-même réelle. Ce serait justement le cas en Espagne, où le partisan défend sa terre contre un ennemi réel (les Français) qu’il veut « bouter » hors de son pays, à l’instar de Jeanne d’Arc, citée explicitement dans ce contexte (C. Schmitt, Théorie du partisan, Champs Flammarion, 1992, p. 161, 299 et 302). Là, il y aurait limitation de l’hostilité – et c’est ce que j’entends par « trivial » : des causes passagères. « L’ennemi absolu », en revanche, serait « l’ennemi présupposé », celui de Lénine ou de Mao, qui impliquerait « l’existence d’un ennemi subsistant au- delà de la cessation des hostilités immédiates et violentes ». Quant à la « guerre totale », Schmitt ajoute qu’elle tire son sens « d’une hostilité présupposée qui lui est conceptuellement antérieure », et là encore, il n’en décèle aucune occurrence avant 1914-1918. C’est là un point éclairci par l’auteur lui-même, qui permet de douter de leur pertinence pour la période qui nous concerne. Enfin, s’il est devenu impossible de repenser le XVIIIe avec ses propres catégories de pensée ainsi que le veut Steven, pourquoi serions-nous en mesure de le faire avec celles du début du XXe ? Celles-ci ne

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 117

nous sont-elles pas à leur tour devenues inaccessibles et étrangères ? Ou bien le terrorisme actuel les a-t-il ressuscitées ? Car derrière ces discussions plane en permanence l’ombre de Ben Laden et du 11 septembre.

53 Par contre, je suis pleinement d’accord avec Steven quand il souligne que l’époque pose seules les bases pour la naissance d’une conscience nationale et qu’il s’agit de pré- conditions. Mais du coup, j’aurais envie de raisonner de la sorte pour ce qui est du concept éminemment controversé de « guerre totale », si bien que les guerres révolutionnaires et impériales seraient tout au plus des « guerres pré-totales ». Quant au problème des origines, il y a plus longtemps que ce concept m’indispose – car « origine » tient de l’ordre ontologique, qui n’est pas l’apanage de l’historien. Ce n’était pas non plus la question. Celle-ci concernait plus précisément les conclusions récentes des historiens anglo-saxons qui nient justement qu’un nationalisme ait été à l’origine des révoltes et des résistances – du moins auprès des gens simples, puisqu’on sait que parmi les intellectuels allemands en revanche, l’humiliation ressentie donne naissance à un sentiment « national », ainsi que le souligne du reste M. Rowe. En vérité les hommes du XVIIIe pensaient en termes de caractères nationaux (compatibles ou incompatibles) – qui, eux, étaient depuis le XVIIe siècle monnaie courante et permettaient de se situer par rapport à l’étranger. Ce sont ces catégories de pensée qui sont contemporaines aux révolutionnaires et aux impériaux.

54 Pour ce qui est de la militarisation de la France du Premier Empire, permettez-moi de douter tout au moins de son ampleur. Pour qui examine la politique culturelle et juridique de l’époque, ce qui frappe, c’est la volonté napoléonienne de reconstruire une société strictement civile liant civilisation et modernité. Le Code civil en témoigne plutôt bien, puisqu’il réglemente les relations sociales sur les bases (révolutionnaires) de l’égalité et de la propriété. Et cela n’a pas été conçu pour le militaire. La même chose vaut évidemment pour une part de la politique culturelle, dont le musée Napoléon est le symbole par excellence, mais aussi dans les écoles dont le contenu du moins demeure classique. En réalité, le Premier Empire connaît trois sphères : politique, militaire et civile, auxquelles participent plus ou moins la plupart des Français. Insister exclusivement sur le militaire fait violence à une réalité beaucoup plus complexe. De même, focaliser sur la répression n’éclaire qu’un volet du vaste diptyque que fut le règne de Napoléon. C’est ne mettre en lumière qu’une pièce du formidable puzzle qu’est le passé. Et de fait, les trois auteurs s’accordent pour estimer qu’il reste encore beaucoup à faire avant que ne soit découvert sous toutes ses facettes l’impact réel de la politique impériale sur le continent européen.

55 Au terme de ces discussions, il apparaît évident que ces éminents historiens anglo- américains, d’origine assez diversifiée pour le reste, se retrouvent sur nombre de points, notamment dans leur perception de l’historiographie française, trop centrée sur la France et pas assez sur l’étranger, et même si Broers rappelle qu’il ne faut jamais généraliser ; et dans leur certitude, aujourd’hui de plus en plus acceptée, qu’il est temps de délaisser l’histoire nationale au profit d’une histoire supranationale. Certes, Broers et Englund se séparent quant à l’interprétation du Premier Empire en tant que précurseur d’une idéologie impérialiste quelque peu raciste et, comme il va de soi, autoritairement civilisatrice. Ici, Englund refuse d’antidater une idéologie (coloniale), si particulière au XIXe siècle. Par contre, tous trois sont une fois de plus d’accord pour voir la nécessité en France d’une ouverture plus ample aux discussions internationales, et surtout, ils nous rappellent que le Premier Empire est un objet d’études qui dépasse

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 118

le cadre strictement national. Napoléon fut un des premiers Européens modernes. Et tel il doit être étudié. Il n’est plus l’apanage des Français, si tant est qu’il l’ait jamais été.

AUTEURS

MICHAEL BROERS Université d’Oxford [email protected]

STEVEN ENGLUND Université Américaine de Paris [email protected]

MICHAEL ROWE Kings College London [email protected]

ANNIE JOURDAN Université d’Amsterdam [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 119

Thèse

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 120

Charlotte Corday et l’attentat contre Marat : événements, individus et écriture de l’histoire (1793-2007) Thèse de doctorat – Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2007

Guillaume Mazeau

RÉFÉRENCE

Guillaume Mazeau, Le Bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat (1793-2009), Seyssel, Champ Vallon, à paraître en 2009.

NOTE DE L’ÉDITEUR

Thèse de doctorat soutenue à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, le 10 décembre 2007. Le jury était composé de Jean-Clément Martin (directeur de la thèse), Alain Chevalier, Jean-Pierre Jessenne, Dominique Kalifa, Michèle Riot-Sarcey, Timothy Tackett.

1 Le sujet semblait a priori rebattu, tant il hante le théâtre, la littérature et la peinture depuis deux siècles. Pourtant, l’importance de l’assassinat de Marat reste très sous- estimée dans l’histoire de la période révolutionnaire et du XIXe siècle. Exhumer les traces d’un épisode du passé est une des justifications les plus courantes de la recherche historique. C’est un point de départ possible pour réintroduire l’attentat dans l’histoire politique de la France contemporaine, ce que j’ai d’abord voulu faire. Pour relire l’assassinat comme un attentat et comprendre le séisme politique qu’il a provoqué jusqu’à l’automne 1793, il faut parvenir à oublier la fascination exercée par la figure de l’Ami du peuple, prendre un peu de hauteur, et restituer à chacun le rôle qu’il a joué pendant l’événement : Marat, Corday, bien sûr, mais aussi les autres

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 121

protagonistes que sont l’entourage de Marat et le voisinage. Autrement dit, il faut réétudier l’événement dans son contexte précis.

2 Le mystère de ce « beau crime », qui semble résister à toutes les explications, oblige à poser d’autres questions plus méthodologiques : pour comprendre l’impact des « grandes actions » sur l’histoire, n’est-il pas au fond plus efficace de saisir leurs effets, plutôt que de se lancer uniquement dans une recherche finalement assez aléatoire et souvent téléologique, de leurs causes biographiques ?

3 Mais la question posée par les innombrables versions posthumes de l’attentat déborde encore plus l’enquête historique traditionnelle. Pourquoi les historiens universitaires se sont-ils totalement désintéressés d’un événement qui a pourtant passionné tout un siècle ? Cet écart maximal n’est-il pas un cas inespéré pour mieux comprendre, non plus théoriquement, mais cette fois sur le terrain des pratiques historiennes, les racines d’un divorce que nous observons tous aujourd’hui entre le passé des spécialistes, et celui que demandent de nombreux groupes sociaux, ou que veut construire le pouvoir politique ?

Corpus

4 Collectant toutes les traces possibles de l’événement, j’ai délibérément fabriqué un corpus éclaté, forcément incomplet. En outre, le pari d’intégrer l'« historiographie » dans l’histoire de l’attentat m’a amené à utiliser comme sources des imprimés qui seraient ailleurs classés dans la catégorie « bibliographie ». Au total, plus de vingt fonds en France et en Angleterre, ont été exploités.

5 Pour étudier l’événement, j’ai d’abord relu des sources a priori connues, et en premier lieu celles du procès Corday. Ce dernier, plus souvent utilisé comme monument que comme une archive, méritait pourtant attention : construction politique et judiciaire complexe, c’est une des matrices qui permettent aux institutions révolutionnaires et à la justice d’exception de répondre à la demande croissante de répression, avant les grands procès de l’automne. Mais les pièces portent aussi la trace des résistances de Corday au rôle qu’on entend lui faire jouer, et même de l’utilisation qu’elle fait du rituel judiciaire. J’ai pu saisir les réactions qui ont suivi l’attentat à travers les archives des comités de Sûreté générale et de Salut Public, du ministère de la Justice, des sections parisiennes, de la Convention nationale, de certaines sociétés populaires, de tribunaux et de comités révolutionnaires de province. La presse parisienne et provinciale a été systématiquement dépouillée pour l’été 1793, de même que les brochures, les pièces de théâtre, poèmes, romans et pamphlets traitant même furtivement ou indirectement de l’attentat. Enfin, j’ai accordé une grande importance à la collecte et à l’analyse des images consacrées à l’événement. Celles-ci, très nombreuses dès juillet 1793, sont restées presque inconnues, car ensuite éclipsées par le Marat assassiné de David… pourtant peint trois mois plus tard. Outre les fonds d’estampes de la Bibliothèque nationale, il faut signaler la richesse des collections du musée Lambinet de Versailles, du musée des Beaux-Arts de Caen, de la bibliothèque municipale de Caen et du musée Carnavalet.

6 La carrière biographique de Corday a été retracée grâce aux archives départementales du Calvados et de l’Orne : on y trouve des renseignements épars sur le contexte familial

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 122

et local. Ces sources m’ont aussi permis de reconstituer les réseaux locaux du mouvement fédéraliste caennais de 1792-1793.

7 Pour la carrière posthume de l’événement, j’ai utilisé une majorité de sources imprimées. J’ai aussi consulté d’importants fonds d’archives constitués par des « érudits » au XIXe siècle. Le plus important d’entre eux est le fonds Charles Vatel, conservé à la bibliothèque municipale de Versailles et constitué de plus de quarante cartons sur Charlotte Corday. J’ai aussi, entre autres, consulté la collection Chèvremont à la British Library, centrée sur Marat.

8 Il a fallu définir une méthode de lecture pour hiérarchiser des informations rapidement devenues pléthoriques. La question centrale restant celle de l’impact concret d’un événement dans la société, et non son image, j’ai toujours privilégié la question de la réception à celle de la production des œuvres. D’autre part, il fallait à tout prix éviter de donner l’impression de faire une nouvelle histoire des représentations ou des idées politiques. Pour garder le cap d’une histoire sociale et culturelle, j’ai analysé les textes et les images dans leur contexte de production et de réception. La critique littéraire et artistique, qui exerce au XIXe siècle une fonction de description de la société, a ainsi été souvent analysée pour évaluer les échos provoqués par les représentations de l’attentat contre Marat, et de Charlotte Corday. Les textes et images ont enfin été au maximum incarnés à l’aide de recherches biographiques sur les auteurs, non réduits à des instances créatives, mais replacés dans la totalité de leurs engagements politiques, sociaux et artistiques.

Démarche et progression

9 Sept chapitres se succèdent, consacrés à l’analyse de l’événement, à ses causes puis à ses effets.

10 Les chapitres 1, 2 et 3 se focalisent sur l’attentat et ses conséquences les plus immédiates (13 juillet-début octobre 1793). En déplaçant légèrement le regard vers le geste de Corday, mais aussi vers les autres protagonistes, il est apparu évident que l’événement ne se résume pas à la seule disparition de Marat. Pour garder l’approche la plus globale possible, j’ai multiplié les points de vue sur l’action principale en analysant la constellation des réactions à l’attentat, de l'« immeuble sans-culotte » habité par Marat aux plus hautes sphères de l’État, en passant par les multiples intermédiaires de la construction de l’information (rumeurs, journaux, occasionnels, estampes). Déplier ainsi l’événement, tout en le racontant dans le cadre d’une histoire compréhensive, est précisément une manière de dessiner les différentes ondes de choc qu’il provoque dans le contexte dramatique de l’été 1793 : l’attentat ne prend manifestement sens qu’après un moment de désarroi et d’enchevêtrement des rumeurs. En dessous des « mots d’ordre », qui ont rapidement aplani l’impact de l’attentat en le dépolitisant, j’ai montré combien les émotions exprimées à l’annonce de la nouvelle de l’assassinat ouvrent une brèche dans l’ordre public, bien au-delà de la politique.

11 Je propose avant tout de réévaluer l’importance de l’attentat contre Marat au sein de la période révolutionnaire et même de l’histoire de la France contemporaine. Après les massacres de septembre et l’exécution du roi, l’assassinat de l’Ami du peuple est l’un des détonateurs majeurs de la radicalisation politique de l’an II. C’est pourquoi le terme d'« attentat », utilisé dès l’été 1793, semble plus adapté que l’expression classique « mort de Marat ». L’attentat ne provoque aucune vraie révolte, mais, par son

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 123

formidable impact sur l’opinion, installe durablement les émotions comme enjeu central des relations entre le pouvoir et les masses populaires. C’est donc un événement majeur pour relire les mécanismes de « Terreur », dont on ne peut évidemment nier l’existence, de même que l’on ne peut la réduire à une répression systématiquement appliquée. Paradoxalement, l’attentat est aussi un des actes fondateurs d’une jeune République. En effet, l’assassinat de Marat est presque le rituel inversé de l’exécution du roi : par l’intermédiaire des nombreuses représentations de l’événement et de la pompe funèbre de l’Ami du peuple, il participe à combler le vide symbolique laissé par la mort de Louis XVI en sacralisant le corps des députés. Il provoque aussi un mouvement de solidarité autour de la Convention et de la Constitution : deux pierres fondatrices du régime républicain.

12 Dans le chapitre 4, j’ai cherché à savoir s’il était possible de déceler les causes biographiques de cet attentat. Était-il opportun d’étudier la vie d’un individu qui ne semble prendre consistance qu’au moment de sa mort ? Est-il possible et utile d’écrire sur Corday autre chose que l’histoire de la figure, qui semble toujours éclipser celle de l’individu ? Dans un cas comme celui-ci, il a donc fallu prendre de front le problème de la téléologie. Faire semblant d’ignorer la fin de l’histoire était une démarche trop artificielle. Mais il n’était pas non plus question de donner une cohérence a posteriori aux éclats de vie parvenus jusqu’à nous, à partir de l’attentat. Pour limiter la part d’arbitraire, je me suis donc appuyé sur les justifications que Corday donne à son acte, nombreuses, originales, et pourtant très méconnues ou réduites à des citations exemplaires. Ces « raisons de faire » renvoient en permanence à une expérience propre de la Révolution, dans laquelle j’ai cru reconnaître le destin collectif des déclassés, notamment lorsqu’ils sont issus comme Corday de la petite noblesse rurale. Dans les mots qu’emploie Corday pour se justifier, l’accumulation des échecs devant l’envie de changer le cours des événements revient en boucle. J’ai donc observé la vie de l’assassin de Marat à travers l’angle étroit des aveux de l’assassin lui-même : celui de l’engagement. Cette notion, très utilisée par la sociologie pragmatique, me semble en outre bien correspondre aux renouvellements actuels de l’étude des individus. La volonté de changer la Révolution par une action mémorable est d’ailleurs un des moteurs de la confrontation entre Corday, sombre inconnue en quête de réputation et de gloire, et Marat, journaliste et « homme politique » célèbre mais retiré. À travers cette question de l’engagement, il ne s’agissait pas de sonder les motifs psychologiques de l’attentat, mais de mieux comprendre un des phénomènes de la pratique et de la culture politiques de 1793, proche du « protagonisme » d’Haim Burstin. J’ai donc sélectionné les moments de la vie de Corday au cours desquels celle-ci s’est délibérément extirpée de la norme familiale, politique, sociale et sexuelle qu’on attendait d’elle.

13 Dans une certaine mesure, l’attentat contre Marat assure la conversion magique d’un triple échec familial, religieux et politique, sous l’effet du contexte précis de la crise de l’été 1793. Après avoir évoqué les choix de Corday et de ses proches en réponse au déclassement familial, mais aussi l’échec forcé de l’expérience religieuse de Corday, je me suis focalisé sur les deux dernières années de la vie de l’assassin de Marat (1791-1793). En 1791, à vingt-deux ans, Corday se retrouve à Caen sans perspectives matrimoniales, ni possibilité de poursuivre sa carrière religieuse. Parallèlement, elle voit son entourage, bien plus conservateur qu’elle, partir ou faire progressivement les frais de la radicalisation de la Révolution. Ce sont ces difficultés qui motivent son entrée en politique, au départ classique, puisqu’elle se limite à la charité et à une

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 124

entraide matérielle au sein du réseau familial et nobiliaire. La mort du roi, l’essor du mouvement fédéraliste à Caen au début de 1793 et l’arrivée des girondins proscrits suscitent ensuite une réflexion politique très large, puis un engagement plus nettement partisan au sein de la nébuleuse girondine.

14 Or parallèlement, Marat cristallise depuis septembre 1792 les haines d’une partie de la population, qui attribue l’essor de la violence à l’élargissement de la participation populaire. La figure fantasmatique de l’Ami du peuple trouve chez Corday, en butte à un sentiment d’échec et d’impuissance, des résonances comparables à celle du roi chez les régicides de l’Ancien Régime : l’assassinat sacrilège est rêvé comme un acte magique qui renversera l’ordre du monde. L’attentat contre Marat peut en ce sens être lu comme un geste de régénération politique, un sacrifice religieux et un acte d’illustration dans la tradition nobiliaire.

15 Ce caractère hybride explique l’absurdité apparente du geste de Corday, qui se trouve en double décalage avec son temps. Elle semble au premier abord se tromper d’époque en se présentant comme une régicide… perdue sous la République. Pendant l’Ancien Régime, l’élimination du roi était susceptible de remettre en cause l’ordre politique et social du royaume. Mais en 1793, tout vient de changer. Désormais, la sacralité du pouvoir n’est plus concentrée dans le corps du monarque. Elle s’est dissoute dans ceux des nombreux députés qui siègent à la Convention nationale. L’assassinat de l’un d’eux remet donc bien moins en cause la stabilité politique du régime et ampute moins gravement le corps de la nation. Pire : Corday donne aux Montagnards un argument de plus pour éliminer les Girondins du champ politique, en laissant croire qu’ils fomentent bel et bien un complot contre la République. C’est ici le second malentendu entourant l’attentat. En poignardant Marat, précisément choisi pour sa célébrité de journaliste, Corday parie que son geste sèmera la panique dans les milieux populaires parisiens, démontrera leur influence néfaste sur la Convention et accréditera les arguments girondins sur la nécessaire reprise en main du pouvoir. Le fait qu’elle se soit trompée sur ce point ne doit pas éclipser la modernité de ce projet fondé sur le choc émotionnel que doit provoquer l’attentat, inclassable dans le répertoire de la violence politique de l’époque, mais qui se rattache presque déjà aux formes du terrorisme du XIXe siècle.

16 Les chapitres 5-6-7 s’étendent sur le futur de l’événement (octobre 1793-2007), défini comme les effets et résonances de l’attentat, et non seulement comme l’histoire de ses images ou de son mythe.

17 Si l’on reconnaît qu’au XIXe siècle, les secousses de la Révolution obsèdent les Français et une partie des Européens, alors nous proposons de considérer dorénavant l’attentat contre Marat comme un des piliers de cette névrose. À travers la figure de Charlotte Corday, l’événement, atteignant ainsi une fonction cognitive, est un des modèles du passé par lesquels on juge les transformations du monde nouveau, non seulement en France, mais y compris dans les territoires germaniques et dans le monde britannique. Dès le début du XIXe siècle, l’événement participe aux débats sur la définition des catégories sociales, sur la nature humaine, sur les rapports entre les sexes, sur l’origine de la criminalité et de la violence en général, mais aussi sur l’identité régionale. Mais l’attentat est surtout une référence des différentes tentatives pour unifier la nation après la Révolution. Icône centrale de la propagande officielle sous la monarchie de Juillet, Charlotte Corday côtoie Jeanne d’Arc parmi les principales figures emblématiques de la nation jusqu’au début du XXe siècle : réalité jusqu’ici complètement sous-estimée. Cette omniprésence laisse pourtant place à une lente

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 125

marginalisation sociale des usages de Corday : celle-ci devient de plus en plus associée aux catégories déclassées et aux milieux attirés par l’extrémisme politique. Ce grand partage politique du passé est sanctionné par un déclassement scientifique de l’histoire de l’attentat et de Charlotte Corday, rejetés comme objets de mémoire, et non d’histoire. Signe de ce rejet : Corday, qui passait auparavant pour une figure unificatrice, devient un symbole de discorde et même de déviance. Pour comprendre comment une telle marginalisation historiographique accompagne une hiérarchisation des pratiques historiennes, je me suis attardé sur le travail de l’avocat versaillais Charles Vatel (1816-1885). Ce collectionneur passionné des traces de Charlotte Corday est en effet représentatif de l’échec de ces historiens que l’on appelle aujourd’hui « érudits », en opposition aux universitaires, à légitimer leur connaissance du passé. Pourtant, au XIXe siècle, la frontière entre historiens universitaires et « érudits locaux » est non seulement tardive, mais aussi surtout simplificatrice : entre les uns et les autres, la porosité est permanente. Alors que le XXe siècle voit le lent déclin de l’impact de l’événement, Corday est de plus en plus identifiée aux milieux extrémistes, que ce soit le mouvement régionaliste normand ou les milieux de la droite collaborationniste pendant les années 1940. Or dans le même temps, les usages populaires de Charlotte Corday continuent de se multiplier, faisant d’elle une des figures emblématiques d’une histoire de masse et largement inventée, sous les traits favorables de la victime de la Révolution, ou de l’héroïne libératrice. Devant le sentiment d’accélération du temps et de rupture avec le passé, dont les prémices remontent à la fin du XIXe siècle, mais qui s’épanouissent après la Seconde Guerre mondiale, un certain nombre d’événements et d’individus de l’histoire ont ainsi été transformés et utilisés comme des valeurs refuges ou des supports permettant de répondre au sentiment de déclassement, de déclin et de fuite du temps. Ces récupérations et instrumentalisations ont été largement facilitées dans les champs laissés à l’abandon par l’histoire universitaire.

18 Ma thèse se termine en forme d’appel scientifique et éthique, invitant à redéfinir les catégories par lesquelles on pense le passé depuis le début du XXe siècle. Les historiens ont été habitués à strictement séparer l'« histoire », la « mémoire » et l'« historiographie ». Redéfinir les frontières entre l’histoire et la fiction pour mieux les investir sans jamais déroger aux protocoles reconnus par la profession, reconnaître que l’histoire universitaire n’a jamais été une discipline savante coupée du monde, ni a fortiori le seul discours savant sur l’histoire, n’est-ce pas paradoxalement redonner aux historiens universitaires les armes pour reprendre la place qu’ils ont perdue dans ce grand bain de l’histoire ?

AUTEURS

GUILLAUME MAZEAU [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 126

Sources

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 127

Ode à Catherine II – Une création inconnue de Jean-Louis Carra

Stefan Lemny

1 Dans la biographie consacrée à Jean-Louis Carra, nous avons fait le point sur plusieurs détails concernant son séjour en Russie. Les lettres inédites conservées dans les archives d’Argenson de la Bibliothèque universitaire de Poitiers nous ont appris par exemple que, après avoir caressé un instant le rêve d’un voyage aux États-Unis, Carra quitte l’Angleterre pour gagner l’empire du Nord : le 12 février 1774, il écrivait de Saint-Pétersbourg à son protecteur, le marquis Voyer d’Argenson, qu’il avait acquis une place auprès d’un grand seigneur de Moscou grâce au ministre russe à Londres1.

2 Ce voyage n’a rien d’extraordinaire. Les envoyés diplomatiques de Russie ne ménageaient pas leurs efforts pour soutenir les candidats à l’aventure russe, une aventure qui séduit de plus en plus les Européens au XVIIIe siècle. Les philosophes en donnent l’exemple. Avec les Lettres philosophiques de , la « septentriomanie » triomphe, et nombreux sont ceux qui pensent comme lui que « c’est du Nord […] que nous vient la lumière »2. D’ailleurs, pendant son périple russe, le futur révolutionnaire semble avoir rencontré un autre voyageur important, Diderot, qui aurait « bien voulu se charger », selon les dires de Carra, de transmettre personnellement ses lettres au marquis d’Argenson.

3 L’intérêt qu’inspire la Russie aux voyageurs occidentaux n’est pas seulement d’ordre philosophique. Nombre d’entre eux sont attirés par la promesse d’un emploi dans les bureaux officiels, dans l’armée ou dans l’enseignement, ou comme secrétaires et précepteurs dans les riches familles3. C’est le cas de Carra, bien que nous ne sachions pas dans quelle grande maison il a enseigné, ni la société qu’il a pu fréquenter, à part l’entourage du ministre français en Russie, Durand de Ditroff, avec lequel il fut en contact.

4 Le voyage commencé sur de bons espoirs (« si mon sort est assez heureux alors dans ce pays-ci – écrit-il à Voyer d’Argenson –, j’y bâtirai une cabane et un tombeau ») fi nit mal : l’imprévisible Carra se dirige au début de l’année 1775 vers une nouvelle

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 128

destination, la Moldavie, où, toujours mécontent, il n’aura pas davantage de raisons d’être satisfait.

5 Voilà a priori tout ce que l’on pouvait dire du séjour russe de Carra au moment où nous avons eu la surprise de trouver un texte inconnu jusqu’ici4 : il s’agit d’une Ode à Catherine II. Impératrice de toutes les Russies sur la paix triomphante qu’elle vient de conclure avec les Turcs (8 pages), signée « Carra » et publiée à Saint-Pétersbourg, à l’imprimerie de l’Académie impériale des sciences, en 1774.

6 Le texte complète la liste des débuts littéraires du futur révolutionnaire, se situant chronologiquement entre la poésie l’Ode sur les volcans (parue dans le Mercure de France, août 1768) ou les quelques ouvrages des années 1772-1773 (Le faux philosophe démasqué, le « roman philosophique » Odazir, ou le jeune Syrien, le Système de la raison, ou Prophète philosophe, publié en 1773, selon les précisions de l’auteur dans l’édition de 1791), et la reprise à rythme soutenu de son activité de publiciste, après son retour en France en 1776.

7 Cette création inconnue de Carra n’offre pas plus de chance de convaincre sur la teneur de son talent littéraire que ses autres œuvres. Voici un exemple : « Russes, vous triomphez. Votre illustre Amazone Enseigne aux autres rois à régir les humains. C’est la suprême loi des plus sages destins Qui sur sa tête auguste a mis une couronne. CATHERINEa paru pour être tour à tour La Minerve du Nord, de son peuple l’amour. De la haute sagesse empruntant les maximes, Son esprit s’est rempli des principes sublimes Qui font du cœur de l’homme un foyer de vertus. Elle vient consoler des savants abattus ; Prescrire à ses sujets l’amour de la science ; Régner sur la raison & non sur l’ignorance », etc. etc.

8 Quelles que soient ses qualités littéraires, l’Ode à Catherine II de Carra retient l’attention à plusieurs titres. D’une manière générale, c’est une pièce de plus dans la riche littérature européenne de facture encomiastique dédiée aux maîtres de Saint- Pétersbourg depuis Pierre le Grand jusqu’à Catherine II. Son modèle n’est pas difficile à deviner. Nous pensons plus particulièrement à l’ode de Voltaire À l’impératrice de Russie Catherine II, à l’occasion de la prise de Choczim par les Russes, en 1769, qui a rendu célèbre l’image de « Minerve du Nord » reprise, comme on le voit, par Carra.

9 S’exerçant ainsi, notre auteur cédait-t-il, une fois de plus, aux thèmes qui étaient à la mode à cette époque, tout comme il a répondu à la « fureur encyclopédique », à la séduction de la philosophie, aux expériences physiques et à celles des frères Montgolfier ou à la tentation du mesmérisme ? On peut le supposer.

10 N’oublions pas cependant le prétexte le plus important de cette ode : l’impressionnante victoire de Catherine II contre les Ottomans lors de la guerre de 1768-1774 ! « Des rives du Danube au pied du mont Taurus L’Echo retentissoit du bruit de ses armées. Et les mers du midi sont encor alarmées De voir tous ses vaisseaux remplis de Turcs vaincus. Le brave Polonais, l’audacieux Tartare Ont senti les effets de son pouvoir vainqueur.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 129

Délivrés aujourd’hui d’un voisin trop barbare Ils connoitront bientôt les vertus de son cœur ».

11 L’auteur de ces vers était-il fasciné à ce point par les événements militaires de la scène Est-européenne, qu’il devait connaître lors de son séjour en Russie ? Peut-être. Ou du moins l’était-il au moment où il écrivait cette ode. Car, trois ans plus tard, son enthousiasme devant l’avancée des Russes semble s’être éteint : il considère alors que « le meilleur parti pour la cour de Pétersbourg serait de s’occuper simplement de l’intérieur de son empire »5.

12 La découverte de cette ode ne nous introduit pas seulement dans le laboratoire des idées parfois contradictoires d’un homme qui cherche opiniâtrement à cette date son chemin dans la république des lettres. Elle nous permet également d’envisager d’autres motivations de son écriture, susceptibles d’éclairer la biographie de l’auteur. L’Ode à Catherine II n’est-t-elle pas un exemple révélateur de la persévérance du futur révolutionnaire en vue d’obtenir les faveurs de hauts protecteurs, et pourquoi pas, quelques subsides financiers. La pratique était courante à l’époque, et non pas seulement en Russie : il suffi t de rappeler l’ironie de Laurence Sterne à l’égard des auteurs de dédicaces, vues comme un moyen de gagner des gratifications sonnantes et trébuchantes (La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme). Carra se montre fort habile dans cet art de la flatterie, comme le prouvent les louanges adressées au cardinal de Rohan, en guise d’ouverture de son Histoire de la Moldavie et de la Valachie (1777), ou au prince Henri de Prusse, auquel il avait dédié ses Nouveaux principes de physique (1781).

13 Quelles que soient ses motivations intimes, ce nouveau texte de Carra indique que son passage en Russie a pu laisser plus de traces que ce que l’on croyait précédemment. Le fait qu’en pleine période révolutionnaire, deux de ses écrits furent traduits en russe (Histoire de la Moldavie et de la Valachie, en 1791, et Odazir, en 1793) est un élément supplémentaire qui justifie de telles interrogations : comment expliquer autrement le choix de ces traductions dans la lointaine Russie ? Par le prestige que l’auteur commençait à avoir sous la Révolution dans l’opinion publique de son pays et qui n’a pas échappé à ceux qui l’ont connu durant son voyage ? Ou y a-t-il un quelconque rapport avec l’allégeance littéraire faite par Carra envers la souveraine de toutes les Russies en 1774 ? On peut espérer que les archives russes auront un jour d’autres surprises à nous révéler à ce sujet.

NOTES

1. Stefan Lemny, Jean-Louis Carra (1742-1793), parcours d’un révolutionnaire, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 66-68. 2. Albert Lortholary, Le Mirage russe en France au XVIIIe siècle, Paris, Ed. Contemporaines, 1951, p. 168. 3. Léonce Pingaud, Les Français en Russie, Paris, Perrin, 1886, p. 80-87. 4. L’exemplaire se trouve à Niedersächsiche Staats- und Univeritätsbibliothek de Göttingen, plus précisément à la Bibliotheca Aschiana, sous la cote 4 P GALL II, 1350. Nous l’avons identifié grâce

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 130

au cédérom Hand Press Book, le catalogue collectif des livres anciens réalisé par le Consortium of European Research Libraries et consultable sur place à la BNF. 5. Carra, Essai particulier de politique dans lequel on propose un partage de la Turquie européenne, Constantinople [en réalité : Paris], 1777, p. 21.

AUTEUR

STEFAN LEMNY [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 131

Un écho de la « troisième révolution » Lettre du Citoyen Champion à sa fille (mai-juin 1793)

Georges Raynaud

1 Cette correspondance, strictement privée mais riche en informations, intéresse peut- être avant tout par les questions qu’elle soulève : l’identité de son auteur et les raisons de l’échouage de sa lettre dans les papiers de la police marseillaise1. Elle contient, certes, de nombreuses appréciations sur les événements politiques, mais qui sont globalement favorables au pouvoir en place, en dépit de quelques piques quant à l’impuissance et à la vénalité supposée de la Convention. Le rédacteur ne paraît pas, en tout cas, avoir pâti de ses allégations – aucune condamnation ni même procédure n’étant connue à son égard, de sorte que l’interception de son courrier pourrait finalement n’être due qu’à une banale erreur d’aiguillage, la poste ayant confondu Mareil[le ?] avec Marseille ! Il s’agit d’une lettre d’un père à sa fille. Le fait qu’elle porte comme simple adresse, sur le verso replié du papier, utilisé comme enveloppe : « À la Citoyenne, Citoyenne Champion à Mareille », sans aucune mention de rue, ni de section, ni même de département, laisse à penser qu’il s’agit bien vers une localité de ce nom, assez petite et proche de Paris, pour ne pas nécessiter de localisation précise, et non pas de la ville de Marseille que l’on aurait écrit en omettant ou en escamotant le s du milieu2.

2 Vraisemblablement veuf et quinquagénaire, père de deux grands fils employés dans l’administration, dont le cadet vit encore sous son toit, le citoyen Champion donne à sa fille, âgée d’une quinzaine d’années et momentanément hébergée hors de Paris, des nouvelles de sa famille, de sa ville et de son pays. C’est un bourgeois naguère aisé, propriétaire d’au moins quatre immeubles en location et créancier d’au moins deux émigrés, dont la rigueur des temps est en train de tarir les rentrées de fonds, ce qui ne laisse pas de le préoccuper. Passablement lettré, il apprécie le style de sa fille mais critique son orthographe, sans se douter que la sienne est souvent des plus approximatives. S’il semble préférer l’élégant badinage suranné de Chapelle et Bachaumont à la prose de Rousseau, dont son frère est friand, on doit lui supposer une lecture assidue des journaux qui, jointe à un entregent et une curiosité probables,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 132

alimente son information. Attentionné à tous égards envers sa fille, il n’a de cesse de la lui faire partager : « je t’instruiray de tout ma Julie […], je te fais le détail de toutes nos petites affaires ». Et si l’on évalue la quantité des divers renseignements communiqués à l’aune des textes qui les concernent, on s’aperçoit que les informations d’ordre strictement familial (un cinquième de l’ensemble environ) viennent juste après les données d’économie domestique (un quart), mais loin derrière les informations politiques (plus de la moitié). Légaliste, il suit la majorité au pouvoir, accusant « les nobles et les prestres », plaignant « le peuple [qui] paye et souffre », et tolérant « la guillotine qui est icy dans un mouvement perpétuel », au motif que « le tribunal est sévère mais juste ». Son adhésion au gouvernement paraît basée sur un optimisme souvent alimenté par la rumeur (la guerre de Vendée va finir, l’expulsion des Girondins est une « troisième révolution », Londres va se soulever), mais aussi sur quelques avantages pratiques procurés par les accointances de son fils aîné avec des patriotes en place (Chaumette, Lullier). Son jugement n’est toutefois pas exempt de critiques, sans doute reprises de la propagande montagnarde mais clairement endossées, notamment envers l’assemblée accusée d’impuissance (« nous n’avons encore ni lois ni constitution ») et soupçonnée de corruption de la part des Anglais et des Espagnols. En tout état de cause, la divine providence en laquelle il a visiblement foi devrait finir selon lui par inspirer les députés (« Dieu veuille bénir leurs traveaux ») et « faire naître le bonheur et le repos parmi le pauvre peuple français ».

3 Toutes proportions gardées, l’attitude de Champion peut être rapprochée de celle d’un Nicolas Ruault, libraire, érudit, éditeur et admirateur de Voltaire, auteur de nombreuses lettres adressées à son frère entre 1783 et 1796. Curieux, jouissant aussi de nombreuses relations et donc bien informé, il est également « partagé entre la modération et la prudence de son tempérament et son vif intérêt pour la Révolution »3. Républicain refroidi par l’exécution du roi, il sera horrifié par les massacres de septembre. Concernant l’élimination des Girondins, dont il est ici question, il est particulièrement sévère envers ceux-ci, qualifiant la Commission des douze de « tribunal inquisitorial », et son sursaut du 1er juin 1793, de « coup de Jarnac ». Dépassant toutefois les vœux pieux de Champion, Ruault aurait souhaité quant à lui l’expulsion de « 22 députés du côté gauche, dont moitié au moins de la députation de Paris [pour rendre] le sacrifice égal des deux côtés », seule façon de calmer les départements et de préserver la paix intérieure. N’allant pas jusqu’à qualifier de « troisième révolution » l’insurrection montagnarde, il est néanmoins d’accord pour souhaiter que « ces deux dernières journées [des 31 mai et 2 juin] seront mises bientôt au niveau des anciennes », à savoir les 14 juillet et 6 octobre 1789, 28 février 1790 (monopole des grades militaires retiré aux nobles), 21 juin 1791, 20 juin et 10 août 1792, toutes dates qu’il rappelle. Et tout comme Champion, il place tous ses espoirs dans le fait que « la Constitution qui va être incessamment présentée à la sanction du peuple mettra fi n à tant de débats insensés et furieux ; que l’intérêt personnel sauvera la République et produira le bien général, que l’on ne parlera pas plus des girondins que s’ils n’eussent jamais existé ».4

Transcription de la lettre5

4 « De Paris le 23 may [5 juin 1793] En lisant ta dernière lettre, ma Julie6, il me sembloit parcourir les jolis voyages de Chapelle et de Bachaumont7. Ton stile est heureux,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 133

coulant, et librement conçu en général. Tu écris avec une grande facilité et tu ne courre jamais après l’esprit, il ne te manque qu’une chose, ce seroit de relire tes lettres et de remédier à quelques fautes d’orthographe que tu ne commois que par inadvertance et inatention ; je fus enchanté ma chère Julie que tu puisse goûter quelques sortes de bonheur loing de nous, il n’en est guère pour ton pauvre père dans ce moment de trouble et d’agitation, peu de moyens et tout hors de prix, je suis surpris comment nous pouvons exister. Je crois qu’à datter du premier may que ton petit Cassandre8 gagne 100 #9 par mois au lieu de 1 800 # qui luy devroit revenir par année, mais il croit qu’il n’est que remplaceant pour un comis qui est aux frontières et qui d’après le décret conserve le tiers de sa place ; il faut espérer que le retour de Ronsin10 de la Vandée luy sera de quelqu’utilité, et je t’instruiray de tout ma Julie. Ton grand frère11 vient souvent nous voir et manger la soupe de ton pauvre père. Nous n’avons toujours point de nouvelles de ton oncle12, je crains bien qu’il ne soit malade. J’écris à Mr Barbelion13 de la Ferté Imbault pour me tirer d’inquiétude, comme c’est un brave homme je compte sur une lettre de luy. Mr Gainot14 va sûrement être taxé à une grosse somme pour les fraix de la guerre contre les révoltés de la Vandée ; on va guillotiner à force 4 bouchers qui accaparoient nos bœufs dans ces contrées pour les faire passer à l’armée catholique : c’est ainsy que l’armée des révoltés s’est nommée elle-même15. La guillotine est icy dans un mouvement perpétuel. Une jeune et jolie femme comme il faut suivant l’ancien idiome la échapé bel en se disant enceinte. Son mary ancien fermier général ainsy qu’un beau jeune homme amant de la dame et un 3e y ont passé16. Hier 22 le général Miasiuski17, et aujourd’huy 23 le nommé Deveaux18 âgé de 28 ans et adjudant général de Dumouriez à 11 heures a subi son sort. Garre à celuy qui est cité au haut tribunal19 ; cependant le G[énér]al Miranda20 y a été acquitté ainsy que le gouverneur général de St- Domingue21 et plusieurs autres, car ce tribunal est sévère mais juste. Je reçois aujourd’huy 29 may une lettre de ton oncle, grâce à Dieu il n’est pas mort, c’est au contraire le citoyen Barbélion de la Ferté Imbault auquel je m’adressois et dont mon frère m’apprend la mort. Le bonhomme Tack22 sous peu de jours en fera de même, voilà encore une maison que je vais perdre. Tout s’amoncelle pour ma déconfiture. Si mes enfants ne se hâtent de me donner du pain, je me vois menacé d’en manquer ; ce seroit bien domage car Alexandre a un furieux appétit, un pot au feu de deux livres ne luy fait pas peu quand la viande est tendre. On peut dire qu’il boit à proportion ; Dieu [p. 2] veuille qu’il gagne de quoy m’aider car nous pourrions bien manquer l’un l’autre. Nous avons évitté ces jours cy un terrible soulèvement23, je ne sçais comment la France fera pour se tirer d’affaire, ayant sur les bras tant de puissances et qui pis est la guerre en dedans et par les siens : car ce sont les nobles et les prestres que l’on a ménagé qui fomentent dans le Midy de la France la guerre civile24 en se mettant à la teste des révoltés et semant le fanatisme partout ; mais ils auront beau faire, ils achèveront et consommeront leur perte entière. Déjà beaucoup d’habitants de la Vandée reconnoissent leur erreur et retournent à leurs travaux. En rendant leurs armes bientôt25il y aura dans ces contrées des forces non seulement importantes contre les révoltés mais encore en quantité suffisante pour former de grands corps d’armées pour opposer aux Espagnols26. Il est incompréhensible où la France trouve des hommes, et en assez grande quantité, pour faire face à 8 puissances après tant de trahisons. Encore si nous avions une bonne assemblée nationalle, car il semble qu’elle agit en sens inverse comme si elle voulloit détruire la république. On ni conçoit rien, on dit tout haut que les quadrupes27d’Espagne et les guinées anglaises influent en plus grande partie sur les délibérations du sénat françois, car nous n’avons encore ni lois ni constitution et voilà

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 134

pourtant longtemps que le peuple paye et souffre. Mon frère me mande qu’il paye 3 # les 12 livres pesant de bled et que la viande est si chère qu’il ne peut plus se la procurer et qu’il est réduit à vivre de nantilles [lentilles] et de haricots ; et je lui réponds que c’est comme chez nous. Je conviens avec luy que ça ne vaut pas son ancienne cuisine de Versailles28. Hélas en ce temps il n’étoit pas content ; arrange ma Julie sa prétendue misère avec 48 # qu’il me fait passer pour se procurer la suite des œuvres de J. Jacques29 pour lesquels il a souscrit. Hier 2 juin tout Paris étoit sous les armes et un décret a mis en arrestation 22 membres de la Convention et 10 autres des 12 qui composoient le Comité révolutionaire, deux ont été exceptés ; le ministre Lebrun30 aux affaire étrangère et Clavier31 [p. 3] ministre des finances sont renvoyés (cela n’est pas confirmé) ; on disoit aussi le m[inis]tre de la guerre Buchotte32 ; mais l’expulsion de celuy là est encore plus douteuse. Il paroît que le pauvre d’Hyllerin33 est sous la remise ; depuis l’expulsion des 32 membres34, on espère que la Convention nationalle va aller bon train et que la Constitution35 va bientôt s’effectuer. Dieu veuille bénir leurs traveaux et faire naître le bonheur et le repos parmi le pauvre peuple français. Le bonhomme Tack âgé de 82 ans est mort le 1er juin à 4 heures du matin. Mr Chapelle36 est si gesné qu’il ne me paye plus, pas même ce qu’il me doit depuis longtemps. Molé37 me doit 2 ans et plus, et est aux trois quarts ruiné ; il doit encore aller jouer en province pour ramasser quelqu’argent ; sur deux ans et demi il m’a donné 50 # à compte. Tout Paris a été en arme le 1er et le deux du mois, maintenant tout est calme. D’Hillerin est à Orléans pour y embarquer l’armée de la Vandée sur la Loire pour ses différentes destinations. Les couriers des postes ayant été suspendus, je ne suis pas pressé de t’écrire. Je compte remettre cette lettre ce soir 5 juin à Monsieur Martin pour qu’il te la fasse parvenir sitôt que l’ordre de la poste sera rétably. Tu vois ma bonne Julie que je te fais le détail de toutes nos petites affaires. Il est une chose qui fera bien de l’honneur à cette troisième révolution, car on met le 2 juin au nombre du 14 juillet et du dix aoust, ces 3 époques feront analles dans la révolution française. On me fait espérer au St Esprit38 (bureaux pour les réclamations des émigrés) que je seray payé des 120 # de l’abbé de Beaumont39 et des 288 # du C[om]te de la Farre 40 ; L’Huillier41, procureur général sindic du département a eu la bonté d’apos-tiller le mémoire de mes réclamations : c’est le patriotisme de ton grand frère qui nous vaut tout cela ; c’est encore cet ami puissant de ton grand frère qui m’a épargné 100 # sur mon imposition mobilière, et qui encore par son amy Chomet42 à la ville comme procureur général sindic de la Commune, me dispense de me faire remplacer pour ma garde43. Tant il est vray que bon droit a besoin d’appuit. Ton petit frère n’est pas encore payé mais le sera demain ou après-demain au plus tard. Tous ses camarades sont logés gratis au palais Bourbon, qui ne porte plus ce nom, appartenant à la nation44. Le chef des bureaux voudroit qu’Alexandre y demeurât aussy [p. 4] mais il s’en est excusé sur mon âge. Il paroît en gé[nér]al que nos affaires vont assez bien tant au nord qu’au midy. Londre pourroit bien tomber en révolution, ce n’est que faillite et banqueroute en Angleterre ; le peuple murmure hautement sur la guerre injuste qu’il nous font et ruine leur commerce. Les mal intentionés ont beau faire avec leurs papiers mensongers, la vérité les décelle partout. Le grand tribunal est occupé de l’instruction du pr[oc]ès des 27 grands conspirateurs de la Bretagne contre la république45, on s’attend à voir tomber bien des testes, d’autant plus qu’il y a parmi les chefs des fabricateurs de faux assignats, car tous les moyens leurs étoient bons. Tu es bien heureuse ma Julie d’être éloignée de tous ces tableaux, le plus agréable pour nous c’est de t’envoyer nos tendres baisers et de te dire combien nous t’aimons. Apaise ton imagination par les expression de ma

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 135

sensibilité et de toute ma reconnoissance pour tout ce que ces messieurs et dames t’accordent. À la Citoyenne, Citoyenne Champion à Mareille. »

NOTES

1. A.V.M., 2 I 66. 2. Après avoir envisagé qu’il pouvait s’agir de la commune de Mareilles, en Haute-Marne, nous penchons – du fait de l’absence de département, plutôt pour l’un des Mareil en Ile-de-France et notamment Mareil-Marly, autrefois dans la Seine-et-Oise et aujourd’hui dans les Yvelines. L’erreur « d’aiguillage », qui a détourné cette lettre sur Marseille pourrait ainsi expliquer son échouage dans les archives de la police de cette commune. 3. Nicolas Ruault, Gazette d’un Parisien sous la Révolution. Lettres à son frère, 1783-1796, Paris, librairie académique Perrin, 1976. La citation est de Christiane Rimbaud, auteur d’une introduction et de notes. 4. Ibidem, p. 336-341. Il y a de toute évidence une erreur de mois (juillet au lieu de juin) dans l’original ou la transcription du journal de Ruault (p. 341), rien de particulier ne s’étant passé le 21 juillet 1791. 5. L’orthographe a été respectée ; seules la ponctuation et l’accentuation ont été parfois modifiées ou rajoutées. 6. Le plus grand des hasards nous a fait retrouver la trace d’Anne Julie Champion, née à Paris vers 1780, mariée à Constantin Halein, d’origine belge, cuisinier au collège de Versailles sous la Restauration. Le couple fut retrouvé sans vie le 23 novembre 1824 dans son domicile du 7, rue de la Geôle : accident, crime ou suicide ? 7. Chapelle (Claude Emmanuel Luillier dit, 1626-1686), ami de Molière, et Bachaumont (François de Coigneux de, 1624-1702), conseiller au parlement de Paris, auteurs du Voyage de Chapelle et Bachaumont (1663) en vers et prose, modèle de badinage élégant, dont le succès se maintint jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. 8. Champion (Alexandre dit « Cassandre »), fils cadet de l’auteur de la lettre et vivant avec lui, employé comme commis dans l’administration des Travaux publics ayant son siège au ci-devant Palais-Bourbon. Datée du 17 juillet 1792, une lettre de lui au peintre Varin est conservée aux Archives de la ville de Paris (5 AZ 3811). C’était probablement sa sœur Julie qui l’avait baptisé Cassandre, peut-être par suite d’un défaut infantile de prononciation. 9. Abréviation de la livre tournois, toujours en cours à l’époque de cette lettre, « décimalisée » en août 1793 et remplacée par le franc au printemps 1795. 10. Ronsin (Charles Philippe), général (1752-1794), membre du club des Cordeliers, commissaire des guerres (1792), adjoint de Bouchotte au ministère de la Guerre et commandant en Vendée (1793), il y vaincra La Rochejaquelin, mais sera rappelé pour ses exactions ; sauvé une première fois par Danton de la peine capitale, il sera guillotiné avec les hébertistes le 4 germinal an II. 11. Champion (N.), fils aîné du rédacteur, vivant séparément, « patriote » et, à ce titre, pourvu d’amis puissants (cf. infra). Peut-être Louis Joseph Champion, né vers 1758, domicilié 44, rue des Saints-Pères, électeur de la section XL (les Quatre Nations) en 1793, adjoint aux bureaux de la Correspondance générale du département de la Justice (Almanach national de France, année commune 1793, p. 125, 375), lequel pourrait être aussi le Champion, secrétaire du club des Cordeliers en juin 1791 (cf. Marcel REINHARD, La Chute de la royauté, Paris, 1969, p. 65, 69).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 136

12. Champion (N.), frère du rédacteur, établi à la Ferté-Imbault, alors commune de Selles-Saint- Denis (Loir-et-Cher). 13. Barbelion (François), né vers 1733, décédé à son domicile de la Ferté-Imbault, le 16 avril 1793 (renseignement obligeamment communiqué par les Archives départementales du Loir-et-Cher). 14. M. Gainot, personne non identifiée. Il était probablement concerné par l’emprunt forcé d’un milliard sur tous les citoyens riches, décrété par la Convention le 20 mai. 15. Après le massacre des républicains à Machecoul marquant le début de la guerre de Vendée, le 11 mars 1793, c’est le 4 avril suivant que les rebelles, assemblés chez Sapinaud, avaient formé un conseil de l’armée dite « catholique et royale ». Aucun boucher n’apparaît dans les listes de guillotinés pour cette période, qui ne mentionnent que deux « fariniers » exécutés comme « brigands de la Vendée », les 16 avril et 8 mai 1793 (cf. Louis PRUDHOMME, Dictionnaire des condamnés à mort pendant la Révolution, 2 vol., Paris, 1799). 16. Cette triple exécution se réfère à la journée du 3 mai 1793, qui vit monter à l’échafaud F. Auguste Beauvoir dit Mazu, 45 ans, né à Constantinople, domicilié à Paris, ex-comte et lieutenant dans la légion de Luxembourg, accusé de conspiration, et son complice Paul Pierre Kolly, ancien fermier général, 42 ans, né et domicilié à Paris ; un troisième guillotiné, Jean Nicolas Bréard, ancien commissaire de la Marine, 36 ans, domicilié à Paris, aussi accusé de conspiration, aurait donc été – selon Champion – l’amant de Mme Kolly. Celle-ci, née Magdeleine Françoise Joséphine Robec ou de Robec, 32 ans, bénéficiera d’un sursis de six mois, « attendu sa déclaration de grossesse », mais sera finalement exécutée le 5 novembre 1793 (cf. Louis PRUDHOMME, op. cit.). 17. Miaczinski (Joseph), maréchal de camp des armées de la République, né à Varsovie en 1751, domicilié à Paris, condamné à mort le 17 mai 1793 « comme traître à la patrie, ayant tenté d’exécuter les ordres de Dumouriez après sa trahison, en cherchant à s’emparer de la ville de Lille et autres places de la République, et d’arrêter les membres de la Convention, commissaires auprès des armées ». 18. Devaux (Philippe), adjudant général de l’armée du Nord, âgé de 32 ans, domicilié à Paris, condamné à mort comme complice de Dumouriez, le 22 mai 1793. 19. Crée par la Convention le 10 mars 1793, le tribunal criminel extraordinaire de Paris ne prendra le nom de tribunal révolutionnaire que le 29 octobre suivant. 20. Miranda (Francisco), patriote vénézuélien (Caracas, 1750 – Madrid, 1816), général dans les armées de la République (1792-1793) sous les ordres de Dumouriez, destitué après ses revers en Hollande et en Belgique ; acquitté, la chute de ses amis girondins va cependant provoquer son emprisonnement jusqu’à Thermidor. 21. Contrairement à ce que prétend Champion, Philibert François Rouxel de Blanchelande, lieutenant général et gouverneur des isles sous le vent, né à Dijon en 1735, avait bel et bien été exécuté, le 15 avril, pour avoir « favorisé le parti contre-révolutionnaire » à Saint-Domingue ; dès le 1er février, Monge, ministre de la Marine, l’avait remplacé par le général Galbaud-Dufort (1743-1801). Champion le confond peut-être avec son fils et aide de camp J.-L. Rouxel, 20 ans, qui ne sera guillotiné, pour complicité avec son père, que le 2 thermidor an II ou 20 juillet 1794 (L. Prudhomme, op. cit.). 22. Tack (N.), né vers 1711, décédé le 1er juin 1793 (voir infra), locataire du rédacteur. 23. Allusion aux arrestations de Montagnards – dont Hébert, substitut de la commune, le 24 mai –, par la Commission des Douze, fraîchement créée par les députés Girondins, et à l’appel à l’insurrection qui s’ensuivit le surlendemain de la part de Marat et Robespierre. 24. Menée par les anciens instigateurs du camp de Jalès, une rébellion royaliste avait réussi à prendre Marvejols et Mende, en y massacrant les républicains, ce qui engendrera une sévère répression. Par ailleurs, « l’agitation sectionnaire » se développait depuis plusieurs semaines en province, notamment dans le Midi et à Marseille, où les représentants de la Convention avaient dû prendre la fuite le 29 avril. La proscription des Girondins allait radicaliser le mouvement, aboutissant au fédéralisme.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 137

25. La « grande guerre de Vendée » ne prendra fin qu’avec les défaites du Mans et de Savenay, en décembre 1793, et l’insurrection se prolongera ensuite par vagues jusqu’en mars 1796. 26. La Convention avait déclaré la guerre au roi d’Espagne le 7 mars 1793, mais les opérations militaires majeures ne débuteront qu’au printemps 1794. 27. Quadruple : double pistole d’Espagne. 28. Cette mention nous avait induit un temps à penser que l’auteur de la lettre pourrait être le frère d’Anne Clément Félix Champion de Villeneuve, homme politique (Versailles, 3.11.1748-Bois Morand, 25.04.1844), ministre de l’Intérieur (21.07-10.08.1792), mais le milieu social des deux familles paraît sans commune mesure. La « cuisine de Versailles » dont il est ici question est sans doute à rapprocher de l’état du futur mari de Julie, le Belge Constantin Halein, cuisinier du Collège de Versailles en 1824 (cf. note 18 ci-dessus). 29. Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau (18 volumes gr. in-4°) dans l’édition Didot jeune (1793-1800). 30. Pierre Henri Lebrun-Tondu (v. 1763-1793), prêtre puis soldat, protégé de Dumouriez, ministre des Relations extérieures après le 10 Août ; arrêté avec les Girondins, il s’évadera mais sera repris et guillotiné en décembre 1793. 31. Etienne Clavière (1735-1793), financier d’origine suisse, lié avec Mirabeau, député à la Législative, ministre des Finances (mars-juin 1792 et après le 10 Août) ; décrété d’accusation avec les Girondins, il se suicidera le 8 décembre 1793, pour échapper à la guillotine. 32. Jean-Baptiste Bouchotte (1754-1840), colonel (1792), défenseur de Cambrai, ministre de la Guerre depuis le 14 avril ; il sera arrêté puis libéré après Thermidor. 33. Peut-être Charles Basile d’Hillerin, fils de Louis François et de Marie Charlotte de Villeneuve, né à Luçon (Ardelay ?), le 15.06.1744 (A.M. de Nantes, GG 574) ; par « être sous la remise », il faut sans doute voir une analogie avec le gibier qui, une fois levé, s’abat en un lieu protégé, dénommé « remise », ce qui supposerait que l’individu avait des accointances avec les Girondins expulsés et qu’il dut se mettre à l’abri. Sa nouvelle mention, plus bas, laisse entendre qu’il aurait été capitaine de navire, chargé du transport de troupes sur la Loire. 34. Il y eut en fait 29 députés décrétés d’arrestation (dont 10 membres de la Commission des Douze, Boyer-Fonfrède et Saint-Martin-Valogne étant épargnés), ainsi que les deux ministres Clavière et Lebrun, soit 31 individus en tout. 35. Présenté le 9 juin par Hérault de Séchelles, le projet de la nouvelle constitution – dite de 1793 ou de l’an I – sera adopté par la Convention le 24, puis ratifié (1 800 000 voix favorables) le 4 août suivant. Précédé d’une nouvelle Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, plus sociale que celle de 89, son texte ne sera jamais appliqué et restera l’idéal des révolutionnaires jusqu’en 1848. 36. A titre de simple hypothèse, suggérée par le personnage qui suit, on pourrait avancer J.-B. Armand Chapelle (1755-1823), employé au Vaudeville à partir de 1792, qui jouait, paraît-il, « l’idiot au naturel ». 37. François René Molé (1734-1802), sociétaire de la Comédie-Française (1771) ; comédien inimitable dans les rôles de marquis et de petits-maîtres, il était aussi tragédien (membre de l’Institut, 1795). 38. Le séminaire du Saint-Esprit, installé rue Lhomond (actuels n° 28-32) en 1731, confisqué à la Révolution, rétabli sous la Restauration et toujours existant sous le nom de congrégation du Saint-Esprit. 39. Aucun autre « abbé de Beaumont » n’ayant été retrouvé dans la liste des émigrés de 1793, il semble bien s’agir ici d’Etienne André François de Paule Fallot de Beaumont (1750-1835), ancien évêque de Vaison (1786), privé de son siège en 1790, et qui avait émigré en Italie. Rentré sous le Directoire, il deviendra archevêque de Bourges et premier aumônier de Napoléon qui le fera baron (1808) puis comte d’Empire (1813).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 138

40. Pierre Mériadec, comte de Bonneval-La Fare, capitaine de vaisseau, major de la marine à Toulon en 1790, chevalier de Saint-Louis et de Cincinnatus, domicilié à Bourges, émigré depuis le 28 juin 1792, comme le seront, après le 10 Août, sa mère et ses frères le marquis de La Fare et l’abbé de Bonneval (1747-1837). 41. Louis Marie Lhuillier ou Lulier (Paris, 1746-1794), licencié en droit, auteur de libelles sur la suppression des octrois, commissaire de la Commune de Paris (10 août 1792), procureur général syndic (représentant du pouvoir judiciaire) du département de la Seine (janvier 1793-mai 1794), auteur d’une fameuse adresse à la Convention au nom du département de Paris, présentée lors de la journée insurrectionnelle du 31 mai 1793. Arrêté et inculpé comme dantoniste le 15 germinal an II, il sera acquitté mais se suicidera dans sa cellule le 16 floréal suivant (cf. Raymonde MONNIER dans Albert SOBOUL, Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, 1989, p. 688). 42. Pierre Gaspard Chaumette (1763-1794), fougueux orateur du club des Cordeliers ; membre de la Commune du 10 août, puis son procureur-syndic, il avait joué un rôle décisif dans la proscription des Girondins, sera l’un des partisans de la Terreur et périra avec les hébertistes le 4 germinal an II. 43. La loi du 14 octobre 1791 réservait le service dans la garde nationale aux seuls citoyens « actifs » (soumis à une contribution au moins égale à trois journées de travail), mais après le 10 août 1792, il avait été ouvert à tous les hommes en âge de porter les armes (cf. Marcel REINHARD, La chute de la royauté, Paris, 1969, p. 419). 44. Construit de 1722 à 1728 pour la duchesse douairière de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de la Montespan, agrandi (1760-1789) par son petit-fils le prince de Condé, le Palais-Bourbon avait été confisqué par la Nation. Sous le nom de Maison de la Révolution, il hébergeait la Commission des travaux publics (1793-1794), à laquelle s’adjoindra ensuite le Bureau du cadastre. À partir de 1795, il abritera, après transformations, le Conseil des Cinq-Cents puis les corps législatifs successifs jusqu’à l’actuelle Assemblée nationale. 45. Organisé par le marquis Armand Tuffin de La Rouërie (1750 - mort de maladie le 30 01.1793), le soulèvement royaliste breton avait échoué à la suite d’une trahison. Commencé le 4 juin 1793, le procès des 25 conspirateurs se soldera, deux semaines plus tard, par 12 condamnations à mort et 13 acquittements (cf. G. LENOTRE, Le marquis de la Rouërie et la conjuration bretonne, 1790-1793, Paris, 1903).

AUTEUR

GEORGES RAYNAUD Docteur ès sciences, maître de conférences honoraire de biologie– Université de Provence – 120, boulevard Camille Flammarion –13004 Marseille [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 139

Travaux inédits

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 140

Travaux inédits Travaux soutenus devant les universités portant sur la période révolutionnaire (vers 1750-vers 1830)

Pascal Dupuy

NOTE DE L’ÉDITEUR

Les AHRF remercient pour l’envoi des listes de travaux soutenus dans leur université : Marc Bélissa, Michel Biard, Frédéric Bidouze, Philippe Bourdin, Serge Brunet, Paul Chopelin, Natacha Coquery, Benoit Marpeau, Guy Martinière, Anne de Mathan, Matthieu de Oliveira, François Pernot, Jean-Paul Rothiot, Véronique Sarrazin, Éric Saunier, Pierre Serna.

Amiens – Université de Picardie-Jules Verne

2006

1 Denis Emmanuelle, Le tribunal du district de Montdidier pendant la Révolution française (1790-1795), master 1, ss dir. G. Hurpin et S. Beauvalet, 2006.

2 Devisme Samuel, Le tribunal de district d’Amiens pendant la Révolution française (1790-1795), master 1, ss dir. G. Hurpin et S. Beauvalet, 2006.

2007

3 Denis Emmanuel, L’activité du tribunal civil du district de Montdidier, 1791-1795, master 2, ss dir. S. Beauvalet, 2007.

4 Devisme Samuel, L’activité du tribunal civil du district d’Amiens, 1791-1795, master 2, ss dir. S. Beauvalet, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 141

Angers – Université d’Angers

2007

5 Banchereau Pierrick, Le consulat de France à Alger de 1780 à 1789, master 1, ss dir. F. Brizay et P. Haudrère, 2007.

6 Bellanger Florian, Les relations commerciales avec Tunis (1750-1800), master 1, ss dir. F. Brizay et V. Sarrazin, 2007.

7 Briand-Royer Pauline, Le consulat de France à Alger entre 1730 et 1780, master 1, ss dir. F. Brizay et P. Haudrère, 2007.

8 Elbisser Sarah, La politique internationale dans la presse angevine pendant la Révolution, master 1, ss dir. V. Sarrazin et F. Brizay, 2007.

9 Ferre Charline, La pratique testamentaire à Vernoil le Fourrier de 1671 à 1789, master 1, ss dir. P. Haudrère, 2007.

10 Lachere Marie-Céline, La vie quotidienne à Saint-Domingue et l’esclavage d’après la correspondance de Jacques Hilaire Margariteau, Angevin, conseiller au Conseil supérieur de Saint-Domingue, 1769-1786, master 1, ss dir. P. Haudrère, 2007.

11 Seyeux Gaëlle, Les mentalités religieuses à traves les testaments des Ponts-de-Cé de 1770 à 1790, master 1, ss dir. P. Haudrère, 2007.

2008

12 Barbaud Angélique, Le commerce français à Tunis entre 1789 et 1792, master 1, ss dir. F. Brizay et V. Sarrazin, 2008.

13 Blusseau Marie, Les spectacles publics, les divertissements et loisirs collectifs à Angers dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, master 1, ss dir. V. Sarrazin et F. Brizay, 2008.

14 Boistel Romain, Les relations entre Raguse et la France de 1772 à 1810, master 1, ss dir. F. Brizay et V. Sarrazin, 2008.

15 Briand-Royer Pauline, Le consulat de France à Alger entre 1689 et 1776, master 2, ss dir. F. Brizay et P. Haudrère, 2008.

16 Doucet Mathieu, Saumur, une bibliothèque municipale de province dans la première moitié du XIXe siècle, master 1, ss dir. P. Quincy-Lefebvre et V. Sarrazin, 2008.

17 Duffay Amélie, Les pratiques testamentaires entre Loir et Sarthe d’après les minutes des notaires de Tiercé de 1730 à 1790, master 1, ss dir. P. Haudrère, 2008.

18 Guilleret Jordan, Le marquis de Villebois, Angevin et gouverneur de la Guyane française, 1732-1788, master 1, ss dir. P. Haudrère, 2008.

19 Peycere Lucile, La politique dans les Affiches d’Angers sous l’Ancien Régime, 1773-1787, master 1, ss dir. V. Sarrazin et P. Quincy-Lefebvre, 2008.

20 Rondeau Valentin, Le commerce français en Méditerranée à l’épreuve de la course barbaresque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, master 1, ss dir. F. Brizay et V. Sarrazin, 2008.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 142

Arras – Université d’Artois

2006

21 Lallain Clément, L’administration municipale dans le Pas-de-Calais sous le Directoire (an IV-an VIII), master 2, ss dir. A. Crépin, 2006.

22 Mathieu Céline, Clergé et paroisses du Pas-de-Calais en 1790 – District de Béthune. Essai de statistiques et de cartographie, master 1, ss dir. G. Deregnaucourt, 2006.

2007

23 Déruguillier Fany, La vie matérielle de la noblesse dans le Béthunois au XVIIIe siècle : l’exemple de quatre familles d’après les inventaires révolutionnaires, master 1, ss dir. G. Deregnaucourt et L. Baudoux, 2007.

Boulogne-sur-Mer – Université du Littoral Côte d’Opale

2006

24 Holuigue Fanny, Les corsaires pendant la Révolution 1794-1797, master 1, ss dir. P. Villiers, 2006.

2007

25 François Pittini, Le regard de Napoléon sur la marine et la mer, master 2, ss dir. P. Villiers, 2007

Brest – Université de Bretagne Occidentale

2005

26 Brulé Héloïse, Tuteurs et enfants orphelins dans la sénéchaussée de Lesneven, 1785-1787, master 1, ss dir. P. Jarnoux, A. de Mathan, 2005.

27 Coquil Nadège, Des étrangers au bagne de Brest : étude des arrivées étrangères entre l’an XI et 1814, master 1, ss dir. P. Jarnoux, A. de Mathan, 2005.

28 Couliou Hélène, Les Girondins au tribunal de l’histoire. Historiographie des Girondins aux XIXe et XXe siècles : confirmation ou révision du procès de 1793 ?, master 1, ss dir. A. de Mathan et Y. Tranvouez, 2005.

29 Gosselin-Lullien Marie-Christine, La marine, les forestiers, les populations : leurs devoirs et leur quotidien dans les forêts royales de la maîtrise de Carhaix, 1680-1750, master 1, ss dir. P. Jarnoux, 2005.

30 Kéruzec Valérie, La postérité des partisans des Girondins dans le Finistère, master 1, ss dir. A. de Mathan et J.-Y. Carluer, 2005.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 143

31 Le Fourn Delphine, La tutelle des mineurs dans les juridictions royales des sénéchaussées de Châteauneuf-du-Faou et Châteaulin de 1780 à 1783, master 1, ss dir. P. Jarnoux, A. de Mathan, 2005.

32 Le Quéré Rozenn, Société rurale et événement maritime à Plozévet. Monographie d’une famille de domaniers (1700-1789), Master 1, ss dir. F. Roudaut, 2005.

33 Vaillant Morgane, Étude du travail féminin à l’arsenal de Brest au XVIIIe siècle, 1753-1764, master 1, ss dir. P. Jarnoux, 2005.

2006

34 Bantas Cécile, Le marché immobilier brestois à la fin de l’Ancien Régime, master 1, ss dir. P. Jarnoux, P. Pourchasse, 2006.

35 Bertholoux Jenny, Assassins et meurtriers au bagne de Brest entre 1770 et 1799 selon les registres matricules du bagne, master 1, ss dir. P. Jarnoux, A. de Mathan, 2006.

36 El Kholi Hugo, Comprendre l’historiographie du libéralisme politique moderne : l’école de Cambridge en débat, master 1, ss dir. F. Bouthillon, A. de Mathan 2006.

37 Herry Aurélie, La Russie à l’est de l’Oural au XVIIIe siècle vue par les voyageurs (2 vol.), master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2006.

38 Riou Yann, La politique navale de Maurepas : l’exemple de l’arsenal de Brest (1737-1744), master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2006.

39 Seveno Aude, La Laponie et les Lapons vus par les voyageurs du XVIIe et XVIIIe siècles (2 vol.), master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2006

2007

40 Bras Nolwenn, L’armement pour la pêche à Terre-Neuve dans les ports de la baie de Saint- Brieuc entre 1763 et 1789, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2007.

41 Lannuzel Gaëtan, La Marine et l’arsenal de Brest au temps de la Régence (1715-1723) master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2007.

42 Le Gall Marjorie, Regards français sur l’avènement de Catherine II, impératrice de Russie, 1762-1774, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2007.

43 Riou Gwendal, La politique navale de Rouillé : l’exemple de l’arsenal de Brest (1749-1754), master 1, ss dir. P. Jarnoux, P. Pourchasse, 2007.

2008

44 Abasq Romain, Les étrangers dans le Finistère, 1793-an II, master 1, ss dir. A. de Mathan, P. Pourchasse, 2008

45 Baron Bruno, Les élites municipales brestoises, 1750-1820, master 2, ss dir. P. Jarnoux, A. de Mathan, 2008

46 Bikfalvi Marianne, François Deshaies de Montigny : officier et diplomate français aux Indes (1776-1792), master 1, ss dir. P. Pourchasse, A. de Mathan, 2008.

47 Cadio Émilie, Les députés du Finistère à la Convention nationale, master 1, ss dir. A. de Mathan, P. Jarnoux, 2008

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 144

48 Celton Aurélie, Idéaux et réalités de la justice politique sous la Terreur, l’exemple du tribunal révolutionnaire de Brest, master 1, ss dir. A. de Mathan, P. Jar-noux, 2008.

49 Combot Gaël, Correspondance de Léonard Bousogne, commerçant brestois sous le Directoire et le Consulat (2 vol. ), master 1, ss dir. P. Pourchasse, A. de Mathan, 2008.

50 Demez Florian, L’intérêt stratégique des Îles Mascareignes et plus précisément de l’Île de France pendant le Premier Empire d’après les rapports de son capitaine général, Charles Mathieu Isidore Decaen, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

51 Kerdreux Tanguy, Les naufrages des navires de l’Europe du Nord sur les rivages de l’Amirauté de Cornouaille au XVIIIe siècle, master ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

52 Moal Gauthier, Les signaux. Le difficile problème de la communication lors des combats navals, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

53 Petton Linda, La pêche à la sardine à Concarneau au temps de la Révolution et de l’Empire, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

54 Tanguy Charlotte, Les croyances religieuses à Tahiti de l’arrivée des premiers Européens à la mort de la reine Pomaré IV, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

55 Turnbull Rhiannon, Le blocus britannique et la France révolutionnaire, master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

56 Weber Audrey, La Basse-Louisiane (1757-1769), master 1, ss dir. P. Pourchasse, P. Jarnoux, 2008.

Caen – Université de Caen

2008

57 Ikhlef Benoît, La vie politique et l’opinion publique dans le Calvados au temps de la monarchie censitaire. De la première Restauration à la fin de la monarchie de Juillet (1814-1848), master 1, ss dir. J. Quellien et M. Guérin, 2008.

Cergy-Pontoise – Université de Cergy-Pontoise

2002

58 Ravaud Ysabelle, Le clergé du grand vicariat de Pontoise de 1700 à 1750, maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2002.

2003

59 Ollivry Éric, L’idée d’Europe chez les physiocrates, maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2003.

60 Rodier Simon, Le traité de Paris (1763) : une honte et une catastrophe pour la France ? maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2003.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 145

2004

61 Lecarpentier Jérémy, La réorganisation de la justice dans le district de Pontoise pendant la Révolution : entre permanences et mutations (1780-1799), maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2004.

2005

62 Bretonnière Jean-Baptiste, Projets de paix universelle en Europe et idée d’Europe chez les libres-penseurs français (La Motte Le Voyer, Cyrano de Bergerac, et Fontenelle) (1657-1757), maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

63 Briançon Sonia, La délinquance dans le bailliage de la Roche-Guyon de 1760 à 1791, maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

64 Ferreira Romain, La prison départementale de Pontoise au XIXe siècle, maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

65 Kevorkian Alexandre, Les projets de paix universelle et l’idée d’Europe à la fin du XVIIIe siècle, d’après Gargaz, Pallier de Saint-Germain et Anacharsis Cloots, maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

66 Le Guéné Gaëlle, Insécurité et délinquance dans le bailliage de Pontoise dans les vingt dernières années de l’Ancien Régime (de la Guerre des Farines à la Grande Peur), maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

67 Viton Juliette, La vie quotidienne dans le Vexin au XIXe siècle à partir des inventaires après décès (série B), maîtrise d’histoire moderne, ss dir. F. Pernot, 2005.

2006

68 Antomori Élise, L’habitat rural dans le bailliage de Pontoise sous le règne de Louis X V, master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

69 Debras Claire, Les cours criminelles spéciales, master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

70 Koch Sonja, Pauvreté et charité dans la seigneurie de la Roche-Guyon (1767-1797), master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

71 Leboucher Sophie, L’héritage de Pierre Du Bois, Sully, Comenius, William Penn, l’abbé de Saint Pierre, dans l’idée de confédération d’États (jusqu’au fédéralisme) du projet d’Europe de Coudenhove-Kalergi, master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

72 Rault Mélanie, Propriété et exploitation rurale à Boissy l’Aillerie 1750-1789, master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

73 Rebuffé Erwan, La correspondance de l’intendant Dumazy à l’époque de la duchesse D’Enville (1788-1792), master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

74 Zanon Fanny, Inventaire d’archives – Le bailliage royal de Beaumont-sur-Oise (1594-1789), master 1, ss dir. F. Pernot, 2006.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 146

Clermont-Ferrand – Université (Clermont-Ferrand II)

2008

75 Boudet Jonathan, Religion, pouvoirs et société dans la France napoléonienne : l’exemple du département du Puy-de-Dôme (1799-1814), master 1, ss dir. P. Bourdin, 2008.

76 Favier Jean-Baptiste, La haute administration du département de l’Allier entre le Consulat et la Restauration (an VIII-1830), master 2, ss dir. J.-P. Luis, 2008.

77 Pivoteau Sébastien, Châteaux et châtelains à la fin du XVIIIe siècle : l’exemple cantalien, master 2, ss dir. P. Bourdin, 2008.

78 Scafone Fabien, Les fêtes dans la Creuse pendant la Révolution et le Consulat, master 2, ss dir. P. Bourdin, 2008.

79 Taillecours Florian, Du champ de bataille au foyer. Les anciens soldats et les pensionnés militaires dans le Puy-de-Dôme sous la Révolution (1792-1799), master 1, ss dir. P. Bourdin, 2008.

La Rochelle – Université de La Rochelle

80 Ronsseray Céline, Administrer Cayenne : sociabilités, fidélités et pouvoirs des fonctionnaires coloniaux en Guyane française au XVIIIe siècle, thèse NR, ss dir. G. Martinière, 2007, 3 vols, 691 p.

Le Havre – Université du Havre

2006

81 Baudry Cynthia, La vie sociale à Montivilliers au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. É. Saunier et É. Wauters, 2006.

82 Fauvelle Micheline, Les marchands de bois de chauffage de la maîtrise particulière de Rouen au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. É. Wauters et É. Saunier, 2006.

83 Venem Aurélie, Violence et criminalité au Havre au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. É. Wauters et É. Saunier, 2006.

84 Dutot Marie-Jeanne, Les pratiques religieuses au Havre sous le Premier Empire, master 1, ss dir. É. Saunier et É. Wauters, 2006.

85 Longuemare Frédéric, Souvenirs d’un vieillard. Édition commentée du manuscrit de Pierre- Philippe-Urbain Thomas (1776-1845), master 1, ss dir. É. Saunier et É. Wauters, 2006.

86 Clatot Florent, Souvenirs d’un vieillard. Édition commentée du manuscrit de Pierre-Philippe- Urbain Thomas (1776-1845), master 1, ss dir. É. Saunier et É. Wauters, 2006.

87 Fontaine Tania, Violence et criminalité dans les sociétés portuaires haut-normandes sous l’Empire, master 2, ss dir. É. Saunier et É. Wauters, 2006.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 147

2007

88 Renault Agnès, La communauté française de Santiago de Cuba (1791-1825), thèse NR, ss dir. E. Wauters et A. Yacou, 2007, 2 vol. , 888 p.

89 Rioult Florence, Les missionnaires français en Afrique du nord (1620-1789), master 2, ss dir. É. Wauters, 2007.

90 Tufel-Chopin Élise, La vie comme un roman. Témoignages et récits de vie à la fin du XVIIIe siècle, master 2, ss dir. É. Wauters, É. Saunier et R. de Filippis, 2007.

Lille – Université Charles-De-Gaulle (Lille III)

2006

91 Bodart Benoît, La justice militaire sous le Consulat et l’Empire, l’exemple de la première et de la seizième divisions militaires, master 1, ss dir. J.-F. Chanet, 2006

92 Choquet Thomas, Le problème de la reconversion des seigneurs laïcs par-delà la Révolution, master 1, ss dir. J.-P. Jessenne, 2006.

93 Côme Antoine, Paysans et villageois du Nord face aux événements et aux politiques révolutionnaires, master 1, ss dir. J.-P. Jessenne, 2006.

94 Dubois François, Le pouvoir municipal à Gravelines sous la Révolution (1789-1792), master 1, ss dir. P. Guignet, 2006.

95 Fiévet Isabelle, Des faux pour échapper à la conscription. Le tribunal criminel spécial du Nord et la répression des faux en matière de conscription (an X-1811), master 1, ss dir. H. Leuwers, 2006.

96 Kasdi Mohamed, La naissance de l’industrie cotonnière dans le département du Nord (1700-1830) : un produit, des consommateurs, des entrepreneurs, thèse NR, ss dir. G. Gayot, 2006.

97 Leduc Claire, Le divorce à Douai pendant la Révolution française (1792-1796) d’après les tribunaux de famille, master 1, ss dir. R. Grevet, 2006.

98 Merveille Armand, L’assassinat de Gustave III, ses conséquences et son écho dans la France révolutionnaire, master 2, ss dir. R. Grevet, 2006.

99 Mesurolle Caroline, Les professions maritimes à Dunkerque en 1790, master 1, ss dir. D. Roselle, 2006.

100 Philippo Hervé, Fortunes, trajectoires et modes de vie des notables lillois (1780-1830), thèse NR ss dir. G. Gayot, 2006.

101 Pulpiton Virginie, L’Église réfractaire dans le canton de Valenciennes pendant la Révolution française, master 1, ss dir. R. Grevet, 2006.

102 Susset Géraldine, Pierre et Étienne Lejosne de l’Espierre : la Révolution, une affaire de famille (1775-1794) ?, master 1, ss dir. H. Leuwers, 2006.

103 Turek Anne-Sophie, Les évêques d’Ypres et de Tournai pendant la Révolution française (1789-1793), master 1, ss dir. H. Leuwers, 2006.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 148

2007

104 Benoît Robert, Les administrateurs du département du Nord, master 1, ss dir. H. Leuwers, 2007.

105 Brassart Laurent, La République à l’épreuve de l’ordinaire et de l’exception. État-Nation, pouvoirs locaux et mouvements collectifs dans le département de l’Aisne de 1791 à 1795, thèse NR, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007

106 Cassan Audrey, Archives et archivistes à Lille du XVIIIe siècle à la Restauration, master 1, ss dir. P. Guignet, 2007.

107 Condette Jean-François, Le recteur d’Académie, l’École, la Nation (1808-1940). Entre réalités scolaires locales et politiques éducatives nationales, Habilitation à diriger des recherches, 2007.

108 Deaucourt Marie et Rency Anne, Les retentissements de la fuite du roi Louis XVI sur les populations du Nord/Pas-de-Calais, master 1, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

109 Dubois François, Le pouvoir municipal à Gravelines sous la Révolution (1792-1794), master 2, ss dir. P. Guignet, 2007

110 Guerre Karine, Les lois sociales de Ventôse an II dans le Nord, master 2, ss dir. G. Gayot et J.- P. Jessenne, 2007.

111 Kaci Maxime, L’entrée en politique, mots d’ordre et engagements entre Paris et le Nord en 1792, master 2, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

112 Kowalski Sandra, La dénonciation dans le département du Nord pendant la Révolution française, (1793-an II), master 2, ss dir. R. Grevet, 2007.

113 Legrand Maximilien, Crimes et délits à Douai durant la Révolution française au travers des archives du tribunal de district (1791-1792), master 1, ss dir. H. Leuwers, 2007.

114 Lepers Justine, La rumeur en Révolution dans l’espace septentrional, master 2, ss dir. H. Leuwers, 2007.

115 Leyssens Aldéric, La démographie à Tournai entre 1789 et 1799, master 1, ss dir. P. Guignet, 2007.

116 Siour Dorothée, Revendications politiques et sociales à l’apogée de la Terreur : septembre, décembre, master 1, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

Lyon – Université Jean Moulin (Lyon III)

2006

117 Boccard Edwige, Les mission moraves en France de 1731 à 1794, d’après les correspondances d’Antoine Court, de Paul Rabaut et le Journal de l’Unité des Frères, master 1, ss dir. Y. Krumenacker, 2006.

118 Charignon Marie-Ange, Étude sur les récits de conversion entre catholiques et protestants en France durant l’époque moderne (1580-1795), master 1, ss dir. Y. Krumenacker, 2006.

119 Pattalocchi Alexandra, Crimes et délits sexuels portés en justice dans le Lyonnais (1750-1789), master 1, ss dir. Y. Krumenacker, 2006.

120 Pouradier-Duteil Pauline, La vie liturgique du chapitre Saint-Jean à Lyon aux XVIIe-XVIIIe siècles, master 1, ss dir. B. Hours, 2006.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 149

2007

121 Bonnaud Aurélie, Les ursulines et les carmélites de Trévoux à l’époque moderne (XVIIe-XVIIIe siècles), master 1, ss dir. B. Hours, 2007.

122 Bouvet Géraldine, La criminalité dans une juridiction périurbaine au XVIIIe siècle : l’exemple du chapitre Saint-Just à Lyon, master 1, ss dir. B. Hours, 2007.

123 Chenevier Christophe, Les négociants protestants lyonnais aux XVIIe et XVIIIe siècles, master 1, ss dir. Y. Krumenacker, 2007.

124 Couriol Étienne, Parenté spirituelle et réseaux sociaux à Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, master 2, ss dir. B. Hours, 2007.

125 Gallet de Santerre Stanislas, Le régiment de Santerre au XVIIe et au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. P. J. Souriac, 2007.

126 Guillet-Lhomat Pierre, Le district de Lyon-Campagne. Son rapport avec les institutions après le siège de Lyon (octobre 1793-juillet 1794), master 1, ss dir. B. Hours, 2007.

127 Hadj Hammar Myriam, L’organisation financière des diocèses et la fiscalité ecclésiastique locale dans le ressort de la chambre supérieure des décimes de Lyon (1693-1788), master 2, ss dir. B. Hours, 2007.

128 Martin Florian, La vente des biens nationaux de première origine dans le district d’Autun, master 1, ss dir. B. Hours, 2007.

129 Maury Serge, Discours et prophéties convulsionnaires à la fin du XVIIIe siècle : l’exemple du groupe fareiniste à travers les discours de la Sœur Élisée, master 2, ss dir. Y. Krumenacker, 2007.

130 Moratalla Magali, Les Prost : étude d’une dynastie de notaires dans l’Ain, master 1, ss dir. B. Hours, 2007.

131 Noureux Arnaud, Urbanisme réglementaire et opérationnel à Lyon de 1763 à 1790, master 1, ss dir. Y. Krumenacker, 2007.

2008

132 Genessay Jérémie, Les cloches et la Révolution dans le département de l’Ain, master 1, ss dir. P. Chopelin, 2008.

133 Peney Floraine, Prison et prisonniers d’Ambronay sous la Terreur, master 1, ss dir. P. Chopelin, 2008.

134 Simien Côme, Les massacres de septembre 1792 à Lyon, master 1, ss dir. P. Chopelin, 2008.

Montpellier – Université Paul-Valéry (Montpellier III)

2007

135 Lévy Anne-Laure, La caricature sous la Révolution française : le regard de Jacques-Marie Boyer Brun de Nîmes (1789-1792), master 1, ss. dir. S. Brunet, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 150

2008

136 Lévy Anne-Laure, Un journal local en 1789 : Le Journal de Nismes, écho public et publié des événements et débats révolutionnaires, master 2, ss. dir. S. Brunet, 2008.

Nancy – Université Nancy 2

2004

137 Furgaut Jean-Baptiste, La vie religieuse à Neufchâteau, 1690-1790, maîtrise, ss dir. Ph. Martin, 2004.

138 Grillon Laetitia, La légende napoléonienne en Meurthe, 1815-1870, maîtrise, ss dir. J. El Gammal, 2004.

139 Schwindt Frédéric, La communauté et la foi, confréries et société dans l’ouest de l’espace lorrain, XIIIe-XIXe siècles, thèse NR, ss dir. L. Châtellier, 2004.

2005

140 Bihaki Grégori, Les gardes nationales de la Meurthe sous l’Empire, maîtrise, ss dir. J.-P. Rothiot, 2005.

141 Humbertclaude Brice, Ventron, un village vosgien pendant la Révolution, maîtrise, ss dir. J.- P. Rothiot, 2005.

142 Lang Jean-Bernard, La justice criminelle sous l’Ancien régime dans la généralité de Metz, 1744-1780, thèse NR, ss dir. Ph. Martin, 2005.

143 Streiff Jean-Paul, Espaces, réseaux et sociétés urbaines de l’Ancien Régime à la Restauration. Bar-le-Duc-Commercy (1750-1820), thèse NR, ss dir. F. Roth, 2005.

144 Walter Jeffry, Recherches sur la vie religieuse à Épinal, 1690-1789, maîtrise, ss dir. S. Simiz, 2005.

2006

145 Burteaux Cyrille, L’épitaphier de Nicolas Guédon, 1755, maîtrise, ss dir. Ph. Martin, 2006.

146 Colin Marie-Hélène, Les saints lorrains : entre religion et identité régionale (fin XVIe-fin XIXe siècle), thèse NR, ss dir. Ph. Martin, 2006.

147 Peroz Anne, Pourvoir aux finances : la vente des biens nationaux à Épinal (de 1789 à 1827), master 2, ss dir. C. Dugas de la Boissonny, 2006.

148 Poirier Christelle, L’alimentation à Nancy au XVIIIe siècle, DEA, ss dir. Ph. Martin, 2006.

2007

149 Malglaive Amélie, La Révolution française et les pauvres : un projet de bienfaisance nationale, l’exemple d’un district de la Meurthe : Blâmont, master 1, ss dir. J.-P. Rothiot, 2007.

150 Marso Christophe, Gorze, histoire d’un village de Moselle sous la Révolution, master 1, ss dir. J.-P. Rothiot, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 151

151 Martischang François-Xavier, Les fêtes royales dans le département de la Meurthe sous la Restauration et la monarchie de Juillet, 1814-1848, master 1 et master 2, ss dir. J. El Gammal, 2006 et 2007.

152 Mougel Laura, Initiatives, acteurs et enjeux de l’éducation populaire à Nancy (1840-1914), master 1, ss dir. J. El Gammal, 2007.

153 Thiry Célia, La résistance des Espagnols lors du premier siège de Saragosse, master 1, ss dir. C. Metzger, 2007.

2008

154 Brenneur Mathieu, Suspects et opposants politiques dans le département de la Meurthe de 1815 à 1870, master 1, ss dir. J. El Gammal, 2008.

155 Gerique-Valero Conception, Vivre la Révolution ou vivre sous la Révolution à Cirey-sur- Vezouze, département de la Meurthe, 29 juillet 1789-8 pluviôse an II, master 2, ss dir. J.-P. Rothiot et D. Francfort, 2008.

156 Herbillot Hugues, Étudier la vie d’une municipalité sous le Consulat et l’Empire, l’exemple de Neufchâteau, master 1, ss dir. J.-P. Rothiot, 2008.

157 Mougel Laura, L’éducation populaire et ouvrière à Nancy (1840-1914), master 2, ss dir. J. El Gammal, 2008.

Paris – Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

2007

158 Archimbaud Gilles, Bernard (de Saintes), un parcours politique (1751-1818), master 2, ss. dir. J.-C. Martin, P. Serna, 2007.

159 Baudry Sonia, L’espion anglais ou correspondance en Milord all’eyre and Milord all ear : une nouvelle à la main de Pidansat de Mairobert, master 1, ss dir. P. Serna, 2007.

160 Bernard Brunel Léandre, Le mélodrame et la fantasmagorie, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

161 Bihan Benoist, La naissance et le développement des hussards en France, 1693-1763. Un exemple du renouveau de la cavalerie dans les armées occidentales à l’époque moderne. master 1, ss. dir. B. Gainot, 2007.

162 Blaisot Benjamin, Influence de l’œuvre fortifiée de Vauban aux Amériques. L’exemple de la forteresse de San Juan de Ulina dans le port de Vera Cruz, Golfe du Mexique du XVIe siècle au XIXe siècle,master 1, ss. dir. B. Gainot, 2007.

163 Bodard Gwénaëlle, L’occupation française des États pontificaux (1798-1799 et 1809-1814). Le maintien de l’ordre dans le Patrimoine. De la relation entre les troupes et la population, master 2, ss. dir. B. Gainot, G. Pecout, 2007

164 Cancellieri Héloise, Les conditions de la formation de l’Armée Royaliste de Pui-saye et ses contradictions, 1794-1795, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007

165 Denglos Guillaume, Iconographie et historiographie sur et autour de Condorcet, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007. Di mauro Luca, Le prince Guiolamo Pignatelli Di Moliterno : une perspective pour l’étude du sectarisme politique dans l’Italie napoléonienne, master 2, ss. dir.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 152

P. Serna, B. Gainot, 2007. Duhaussay Romain, Victimes et survivants des Massacres de septembre, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

166 Fernandez Julien, Du gendarme à la ville au gendarme pour la ville : la gendarmerie à Paris pendant la Révolution française (1793-1795), master 2, ss. dir. B. Gainot, V. Denis, 2007.

167 Foucault Hélène, L’Historien de Dupont de Nemours : la recherche du « juste milieu » ou la République conservatrice vu par un physiocrate (an IV-an V), master 1, ss. dir. P. Serna, 2007.

168 Gantier Vanessa, Police, espionnage et maintien de l’ordre dans la société civile des départements romains, 1810/1813, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2007.

169 Hanquez Matthieu, L’affaire des naufragés de Calais, Contribution à l’histoire de l’émigration militaire, master 2, ss. dir. B. Gainot, J.-C. Martin, 2007.

170 Leblois Jacques, Hippolyte Taine, historien de la Révolution française, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, J.-L. Chappey, 2007. Le calvez Stéphanie, La réorganisation du monde des Lettres en l’an III, master 1, ss. dir. J.-L. Chappey, 2007.

171 Lecam Jean-Baptiste, Éducation physique, société et politique de la veille de la révolution française à 1793, Master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

172 Legrand Aurélien, La base de données : un outil pour servir à l’histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, P. Serna, 2007.

173 Liechtmanger-Lepitre Marie-Sophie, Le service de santé à l’Hôtel des Invalides, 1788/1800, master 2, ss. dir. B. Gainot, H. Drévillon, M. Roucaud, 2007.

174 Mandelbaum Stéphane, L’émergence du concept d’Outre-mer. Illustration à travers la prise et la perte de Gorée (nivôse-ventôse au XII), master 1, ss. dir. B. Gainot, 2007.

175 Markovic Momcilo, Répression et ordre public à Paris : 1789-1793, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, P. Serna, 2007.

176 Mazeau Guillaume, Charlotte Corday et l’attentat contre Marat : événements, individus et écriture de l’histoire (1793-2007), thèse NR ss dir. J.-C. Martin, 2007.

177 Pauc Florence, La levée du milieu provinciale à Melun. Entre responsabilité et solidarité (1688 à 1713), master 1, ss. dir. B. Gainot, 2007.

178 Pezavant Lucie, Être journaliste sous le Directoire, master 1, ss. dir. P. Serna, 2007.

179 Pondard Audrey, L’« univers » de la mode sous le Directoire, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

180 Quintard Domitille, Jouer pendant la Révolution française. L’exemple de la loterie dans le contexte politique, social et administratif, master 1, ss. P. Serna, 2007.

181 Reynier Quentin, Pierre-Jean Audoin (1764-1808). Biographie intellectuelle, master 1, ss. dir. P. Serna, 2007.

182 Rouille Mailys, Félicité de Choiseul Meuse un écrivain de romans érotiques au XIXe siècle,master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

183 Sayette Karine, L’entrée en Révolution d’un écrivain du Chevalier Michel de Cubières, Master 1, ss. dir. J.-L. Chappey, 2007.

184 Vire Delphine, L’Année des Dames nationales de Nicolas-Edme Restif de la Bretonne, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2007.

185 Wetzel Nicolas, Le renseignement militaire sur la frontière des Pyrénées durant le règne de Louis XIV, master 2, ss. dir. B. Gainot, H. Drevillon, M. Rou-caud, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 153

2008

186 Ayad-bergounioux Soulef, Antoine Boulay de la Meurthe (1761-1840) une figure de la bourgeoisie libérale et conservatrice, master 2, ss. dir. P. Serna, J.-C. Martin, 2008.

187 Bihan Benoist, La naissance et le développement des Hussards en France (1693-1763). Un exemple du renouveau de la cavalerie dans les armées occidentales, master 2, ss. dir. B. Gainot, H. Drevillon, 2008.

188 Bocher Héloise, Le patriote Palloy et ses réseaux, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, P. Serna, 2008.

189 Danguy des Deserts Anne, Les élèves-officiers de l’École spéciale militaire de Fontainebleau, 1802-1808, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

190 Delaunay Léa, Critique et représentations de la société révolutionnaire, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2008.

191 Duflo Chloé, Espace(s) politique(s) des villes de Guadeloupe de 1783 à 1794, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

192 Faure Marianne, Le « censeur des journaux » (11 fructidor an III-18 fructidor an V), master 1, ss. dir. P. Serna, 2008.

193 Faure Pauline, Le travail patrimonial en Révolution : acteurs et activités de la Commission temporaire des arts en 1792-1793, master 1, ss. dir. J.-L. Chappey, 2008.

194 Guinier Arnaud, Corps et âmes, la question disciplinaire de la paix d’Aix-la-Chapelle à la Révolution, master 2, ss. dir. B. Gainot, H. Drevillon, 2008.

195 Kechichian Jeremy, Les prémices de l’unification italienne dans les armées Napoléoniennes, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

196 Khodabandehlou Farzad, Souveraineté et langage politique dans le procès du roi, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2008.

197 Lacourarie Émilie, Félicie de Fauveau, master 1, ss. dir. J.-C. Martin, 2008.

198 Mamere Marie, La police de Paris, 1789-1790, master 1, ss. dir. P. Serna, 2008.

199 Mandelbaum Stéphane, L’intégration des domaines coloniaux dans la stratégie globale des guerres du second XVIIIe siècle (1750-1810) : la mise en réseau de l’information et du commandement, master 2, ss. dir. B. Gainot, L. Henninger, 2008.

200 Marouche Mustapha, Le rôle de l’artillerie française à la bataille d’Averstaëdt (14 octobre 1806), master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

201 Martoire Jeanne-Laure, Police et écriture policière. Le discours policier sur la conspiration vendémiaire-ventôse an IX (hiver 1800-1801), master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

202 Masson Catherine, Vendée et République souvenir de la Révolution et politisation des campagnes au XIXe siècle, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, J.-L. Chappey, 2008.

203 Pondard Audrey, Une définition de la noblesse sous la Révolution française : la réception de la loi du 27 germinal an II, master 2, ss. dir. J.-C. Martin, J.-L. Chappey, 2008.

204 Reynier Quentin, La mort héroïque sous le Directoire, master 2, ss. dir. P. Serna, B. Gainot, 2008.

205 Rodriguezares Adrien, Aspects militaires de la campagne de Corse (1768-1769), master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 154

206 Sarthou Adrien, Les revues militaires dans la Prusse de Frederic II (1740-1786), réalités et représentations, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

207 Sauphanor Axelle, Église et esclavage : les missions de Nicolas Jacquemin en Guyane, 1777-1819, master 1, ss. dir. B. Gainot, 2008.

208 Valour Vincent, Sublime et Révolution française. Étude du « moment robespier-riste » de la Révolution, master 1, ss dir. J.-C. Martin, 2008.

Paris – Université Paris X-Nanterre

2007

209 Baringthon Sabrina, La question coloniale dans la Chronique de Paris, master 1, ss dir. M. Belissa, 2007.

210 Le Roux Rémi, Les relations franco-toscanes pendant le Directoire, master 1, ss dir. M. Belissa, 2007.

2008

211 Bégaud Stéphane, La Chine mise en Lumières, Représentations et instrumentalisation du monde chinois dans l’Encyclopédie et les publications savantes du XVIIIe siècle (1751-1786), master 2, ss dir. M. Belissa, 2008.

212 Nemraoui Samira, Les relations franco-saxonnes dans les Instructions aux Ambassadeurs 1748-1763, master 1, ss dir. M. Belissa, 2008.

213 Taquet Pauline, La neutralité danoise vue par la presse sous le Consulat, master 1, ss dir. M. Belissa, 2008.

Pau – Université de Pau

2008

214 Espinosa-Dassonneville Gonzague, Le roi, le royaume, les affaires de France dans L’Espion chinois d’Ange Goudar (1764), master 1, ss dir. F. Bidouze et G. Lahouati, 2008, 338 p.

215 Malet Damien, L’Ancien régime et ses suppôts dans le Patriote français de Jacques-Pierre Brissot de Warville (1789-1793), master 1, ss dir. F. Bidouze, et A. Kouvouama, 2008, t. 1, 292 p., t. 2, 105 p.

Rouen – Université de Rouen

2005

216 Caru Kévin, Les almanachs et la Révolution française, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2005.

217 Cornu Mickael, Jefferson en France : analyse du film et portée historique, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2005.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 155

218 Doray Marc, L’écho de la Révolution américaine dans les débats publics en France sous la Révolution, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2005.

219 Duclos Céline, Les comités de surveillance dans les cantons de Montivilliers, Harfleur et Le Havre (1793-1794), master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2005.

220 Fareh Mejdi, Les Égyptiens et les Français : regards croisés et relations pendant et après l’Expédition d’Égypte, thèse NR, ss dir. J.-P. Jessenne, 2005.

221 Roquigny Thimotée, La Société des études robespierristes et les Annales historiques de la Révolution française de 1958 à 2005, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2005.

2006

222 Dannebey Valentine, Jacobins, jacobinisme, quel écho sur l’Internet ?, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2006.

223 Deneuve Mélanie, Les répercussions du Concordat sur l’Église réformée de France : l’exemple de l’Église réformée de Rouen au début du XIXe siècle, master 1, ss dir. Y. Marec et P. Dupuy, 2006.

224 Duclos Céline, Les comités de surveillance dans les cantons de Montivilliers, Harfleur et Le Havre (1793-1794), master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2006.

225 Legoff Jean-Baptiste, Dénoncer un représentant du peuple (septembre 1792-bru-maire an IV), master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2006.

226 Roquigny Thimotée, La Société des études robespierristes et les Annales historiques de la Révolution française de 1958 à 2005, master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2006.

2007

227 Abenzoar Éliane, La correspondance des membres de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen de 1744 à 1793, thèse NR, ss dir. Ch. Le Bozec, 2007.

228 Atineaulle Gaelle, La Normandie à travers les récits des voyageurs anglais lors du Grand Tour, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

229 Claim Geoffroy, La compagnie de maréchaussée de Haute-Normandie et ses héritières : les compagnies de Gendarmerie nationale de Seine-Inférieure et de l’Eure (1778-1792), master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

230 Coury Fanny, La Révolution américaine à travers les manuels scolaires du XIXe siècle, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

231 Devillers Fanny, L’orientalisme dans les manuels scolaires du XIXe siècle, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

232 Goubert Gaëtan, L’administration du district de Dieppe. Étude sur les correspondances, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

233 Gricourt Mathieu, Marie-Antoinette de Sofia Coppola : entre histoire, engouement et mode médiatiques ?, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

234 Hue Guillaume, La justice de paix à Quincampoix, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

235 Legoff Jean-Baptiste, Dénoncer un représentant du peuple (septembre 1792-bru-maire an IV), thèse de l’École des Chartes, ss dir. M. Biard, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 156

236 Lemarchand Laurent, La monarchie absolue entre deux âges : épreuves, expériences et réalisations de la Régence (1715-1723), thèse NR, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

237 Maisonnable Gaëlle, La presse féminine en France de 1789 à 1791, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

238 Méron Manon, La représentation des femmes durant la révolution française : entre violence (5-6 octobre 1789) et patriotisme (14 juillet 1790), master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

239 Mouillot Fabrice, Les pamphlets révolutionnaires (1787-1795) du fonds Chardey de la Bibliothèque municipale du Havre, master 1, ss dir. M. Biard et P. Paumier, 2007.

240 Neusy Aurélie, Les violences populaires dans la presse et les pamphlets de la Révolution française, 1789-1792, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

241 Pencreach Annaïg, Le cheval en Normandie au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

242 Podeur Clément, L’Angleterre dans les débats législatifs en France (1789-1793), master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

243 Ponsot Armelle, Des réformes monarchiques à la Bienfaisance nationale : la mise en œuvre des politiques sociales entre Seine et Somme (1764-1795), thèse NR, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

244 Prudhomme Marie-Claire, Entre Saint-Saens et Cailly : territoires, relations et pouvoirs dans les campagnes normandes (XVIIe-XVIIIe siècles), thèse NR, ss dir. J.-P. Jessenne, 2007.

245 Saillard Romain, Les freins et résistances aux levées d’hommes en Seine-Inférieure (1793-1800), master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

246 Silighini Réjane, La représentation des philosophes français du XVIIIe siècle dans les manuels scolaires du XIXe et du XXe siècle, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2007.

247 Vitry Héloïse, Les pièces de théâtre du fonds Chardey de la Bibliothèque municipale du Havre, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2007.

2008

248 Bous Kevin, Des « extrêmes » encore méconnus ? Enragés et Hébertistes dans l’historiographie de la Révolution française, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

249 Catté Agathe, Enfer et enfers dans les pamphlets et la presse pendant la Révolution française, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

250 Chaventré Karim, La Seine-Inférieure vue de l’Assemblée nationale, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

251 Claim Geoffroy, La compagnie de maréchaussée de Haute-Normandie et ses héritières : les compagnies de gendarmerie nationale de Seine-Inférieure et de l’Eure (1778-1792), master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

252 Deneuve Mélanie, Les répercussions du Concordat sur l’Église Réformée de France : l’exemple de l’Eglise réformée de Rouen au début du XIXe siècle, master 1, ss dir. Y. Marec et P. Dupuy, 2008.

253 Dorléan Éric, Le costume créole dans les Antilles françaises au XVIIIe siècle, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

254 Goubert Gaëtan, L’administration du district de Dieppe. Étude sur les correspondances, master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 157

255 Guillaume Christophe, La critique théâtrale dans la Chronique de Paris, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

256 Lefebvre Julie, Entre discours et passage à l’acte, la Terreur à Rouen, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

257 Malbire Alric, Comprendre La Révolution française. Entre histoire érudite et histoire partisane, master 1, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2008.

258 Méron Manon, La représentation des femmes durant la Révolution française : entre violence (5-6 octobre 1789) et patriotisme (14 juillet 1790), master 2, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2008.

259 Mouillot Fabrice, Les pamphlets révolutionnaires (1788-1795) du fonds Chardey de la Bibliothèque municipale du Havre, master 2, ss dir. M. Biard et P. Paumier, 2008.

260 Neusy Aurélie, Les violences populaires dans la presse et les pamphlets de la Révolution française, 1789-1792, master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

261 Pencreach Annaïg, Le cheval en Normandie au XVIIIe siècle, master 2, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

262 Podeur Clément, L’Angleterre dans les débats législatifs en France (1789-1793), master 2, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2008.

263 Roussel Anthony, Les « échos » des révoltes dans l’ouest à la Convention nationale, master 1, ss dir. M. Biard et P. Dupuy, 2008.

264 Silighini Réjane, La représentation des philosophes français du XVIIIe siècle dans les manuels scolaires du XIXe et du XXe siècle, master 2, ss dir. P. Dupuy et M. Biard, 2008.

Tours – Université François Rabelais

265 Delléa Sylvain, « Œil du gouvernement » ou main de l’État ? Louis Texier-Olivier, commissaire central du Directoire auprès du département d’Indre-et-Loire, d’après sa correspondance avec les ministères de l’Intérieur et de la Police. Frimaire an IV-Prairial an VI (automne 1795-Printemps 1798), master 1, ss dir. N. Coquery, 2008.

Valenciennes – Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis

2007

266 Blas Pauline, La noblesse valenciennoise dans la tourmente révolutionnaire (1770-1799), master 1, ss dir. C. Albertan, 2007.

267 Blas Jeanne, Entre noblesse et négoce, les Hamoir (1747-1789), master 2, ss dir. C. Albertan, 2007

268 Huart Nicolas, Haspres au XVIIIe siècle et sous la Révolution, master 1, ss dir. J. Bernet, 2007.

269 Lefebvre Julien, Saulzoir dans la Révolution, master 1, ss dir. C. Albertan, 2007.

270 Legrand Ludovic, La Terreur dans le Cambrésis, master 1, ss dir. C. Albertan, 2007.

271 Senez Yohan, La formation de , master 1, ss dir. C. Albertan, 2007.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 158

2008

272 Legrand Ludovic, La Terreur à Cambrai, Sûreté générale et justice révolutionnaire (10 août 1792-9 Thermidor an II), master 2, ss dir. C. Albertan, 2008.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 159

Hommage

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 160

Antoine Pelletier (1926-2008)

Jacques Bernet

1 Notre collègue Antoine Pelletier est décédé à Milly-sur-Thérain, le 16 mai 2008 à 82 ans. Il y était né le 19 février 1926, troisième fils, du côté paternel, d’une grande famille d’agriculteurs de Courroy, hameau de Milly-sur-Thérain, et d’une mère d’origine roubaisienne.

2 Son adolescence devait être profondément marquée par la Seconde Guerre mondiale et l’occupation, période où ses deux frères aînés, François et Michel, s’engagèrent activement dans la Résistance et y laissèrent leur vie, comme le rappelle une stèle apposée sur l’ancienne école de Courroy : le premier, né en 1920, ayant rejoint la France libre, fut parachuté d’Algérie en France dans le Vaucluse, en mars 1944, arrêté en juillet et

3 fusillé à Signes (Bouches-du-Rhône), le 12 août 1944 ; le second, né en 1922, appartint au réseau Vengeance, qui réalisait surtout des sabotages de voies ferrées ; il fut arrêté à Paris en septembre 1943 et fusillé au Mont-Valérien, le 15 mars 1944. Seul fils survivant, Antoine devait évoquer longuement leur mémoire dans son « roman vrai », Autrement qu’ainsi, un beau livre autobiographique fort émouvant publié en 1991 aux éditions Quintette (Paris).

4 Antoine Pelletier fi t des études de philosophie et d’histoire à la Sorbonne, qu’il poursuivit aux USA après la guerre, en bénéficiant d’une bourse d’études à l’Université d’Harvard ; il y rencontra en 1947 sa première épouse, étudiante boursière italienne au Smith College et future professeure d’italien. Enseignant à l’Institut français de Copenhague de 1951 à 1957, il revint en France, obtenant l’agrégation d’histoire en 1958 et enseignant l’histoire-géographie au lycée Félix Faure de Beauvais jusqu’en 1964. Détaché ensuite au CNRS, pour y poursuivre ses recherches sur la Révolution française, il participa à la création de l’Université de Vincennes au lendemain de mai 1968, avant d’être muté à celle de Paris I - Sorbonne, où il fut, dans le cadre de l’Institut d’histoire de la Révolution française, le collaborateur d’Albert Soboul puis de Michel Vovelle, comme assistant, maître-assistant et maître de conférences en histoire moderne, jusqu’à sa retraite, prise en octobre 1991.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 161

5 Il connut alors, en quelque sorte, une seconde carrière comme agriculteur, en reprenant l’exploitation familiale de Milly-sur-Thérain avec sa seconde épouse dans le cadre d’une EARL, en coopération avec un jeune agriculteur.

6 Comme historien de la Révolution française, Antoine Pelletier a plus particulièrement travaillé sur Babeuf en sa période « picarde », publiant en 1965 dans le n° 179 des Annales historiques de la Révolution française, l’important article « Babeuf feudiste », considéré par Victor Daline comme une contribution fondamentale et novatrice sur la carrière pré-révolutionnaire du tribun, et complété par une étude sur « Le comte de Castéjà », un gros client du feudiste Babeuf, parue en 1966 dans La Revue du Nord. Il y mettait en évidence la notion de « bien commun » explicitée par Babeuf dès avant 1789, comme élément central de son projet social, à la fois héritier des utopies des Lumières et précurseur du socialisme contemporain.

7 Notre collègue avait publié auparavant chez Seghers en 1954 un recueil de poésies, symptomatiquement intitulé « Parti pris », et écrit de nombreux articles dans les revues Esprit, puis La Nouvelle critique et La Pensée, rappelant son engagement politique d’intellectuel de gauche, longtemps adhérent du Parti communiste français. Il a également réalisé, en collaboration avec le philosophe Jean-Jacques Goblot, un ouvrage didactique, Matérialisme historique et histoire des civilisations, paru aux Éditions sociales en 1969.

8 Antoine Pelletier avait soutenu amicalement la création de la Société d’histoire moderne et contemporaine de Compiègne, participant avec Albert Soboul à l’assemblée fondatrice d’octobre 1977, où il fut élu membre du bureau pour la saison 1977-1978.

9 Toutes nos condoléances à son épouse Geneviève, sa fille Claire et son fils François.

AUTEUR

JACQUES BERNET [email protected]

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 162

Comptes rendus

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 163

Comptes rendus

La révolution des idées

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 164

Daniel Droixhe, Une histoire des Lumières au pays de Liège. Livre, idée, société

Claude Bruneel

RÉFÉRENCE

Daniel Droixhe, Une histoire des Lumières au pays de Liège. Livre, idée, société, Liège, Éditions de l’Université de Liège, 2007, 410 p., ISBN 9-782874-560361, 32 €

1 Dans une brillante synthèse, nourrie d’une vaste érudition développée tout au long de sa carrière, l’auteur retrace l’histoire intellectuelle contrastée de la principauté de Liège. Le miroir du marché du livre offre un angle d’approche particulièrement novateur. Gouverné par un prince-évêque, souvent partagé entre ses différentes possessions, entouré de chanoines, « les sultans de l’Église », ce petit État clérical offre une physionomie contrastée. La dévotion ostentatoire de cagots, la vénération à la Vierge s’enchâssent dans un tableau moins reluisant des mœurs liégeoises, dressé à la fin du XVIIIe siècle par Jolivet, un Français secrétaire d’ambassade en poste dans la petite capitale. L’obscurantisme règne largement, la ville ne possède qu’une modeste bibliothèque guère fréquentée. L’Almanach de Mathieu Lansberg, universellement connu depuis 1636, mélange conseils pratiques, histoires et anecdotes, et s’attache aux influences astrales qui pèsent sur le cours des événements. Voltaire ne manquera pas d’ailleurs de fustiger cet organe de la sottise.

2 C’est pourtant dans un tel creuset que se développe, au fil du siècle et à la faveur de contacts intenses avec la France, un mouvement d’idées qui permet de conclure que la révolution liégeoise de 1789 n’est pas une pâle imitation des événements de Paris. Au contraire, elle trouve des racines plus profondes dans tout le XVIIIe siècle liégeois. Ce sont celles-ci que Daniel Droixhe met à jour en scrutant un milieu particulier, celui des imprimeurs dont une grande partie de l’activité se nourrit de la contrefaçon d’auteurs français. Les faussaires se spécialisent même dans la production des premières

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 165

« œuvres complètes » des grands écrivains contemporains, Voltaire, Helvétius, Montesquieu, Beaumarchais. C’est l’occasion de démêler le vrai du faux, de faire justice avec beaucoup d’acribie de certaines attributions en se fondant sur les éléments matériels du livre, telle l’ornementation typographique.

3 Le siècle des Lumières, dont l’historiographie française place la naissance vers 1680, est plus tardif à Liège. Les préludes se dessinent avec la paix ramenée par les traités d’Utrecht et de Rastadt (1713-1714). La production typographique locale ne reflète pas l’audace et les premières contrefaçons visent des ouvrages français dont l’orthodoxie ne peut être mise en cause. Davantage d’ouverture d’esprit se remarque cependant déjà dans certaines bibliothèques privées. À la faveur de la guerre de Succession d’Autriche (1740-1748), des troupes françaises sont cantonnées sur les hauteurs de Liège. Leur présence amène l’autorité à renouveler sans grand succès les édits relatifs à l’imprimerie et la librairie. Ils n’empêchent pas la littérature philosophique de s’infiltrer dans les couches de la société liégeoise. Jean-André-François Bassompierre incarne alors la contrefaçon dans la principauté. Il accroît aussi la qualité de la typographie et de l’ornementation du livre.

4 L’arrivée de Pierre Rousseau (1756) et de son Journal encyclopédique bénéficie de la tolérance apparente au moins de quelques hauts personnages. Le périodique peut revendiquer une diffusion européenne. Il est même adapté en Italie, à Lucques, sous le nom de Giornale enciclopedico di Liegi. Dans les deux feuilles, le discours « encyclopédique » semble même parfois se teinter de matérialisme. Les docteurs en théologie de Louvain formulent une condamnation sans appel. Le privilège du gazetier est supprimé en 1759. Après avoir essuyé un refus dans les Pays-Bas autrichiens, Rousseau trouve alors la liberté nécessaire à Bouillon.

5 Dans les années 1760-1770, la propagande philosophique déferle sur Liège au rythme de l’essor dont témoigne la librairie locale. C’est « l’âge d’or des Bassompierre », grands pourvoyeurs de contrefaçons, bien présents sur les marchés étrangers, notamment à la foire de Francfort. Avec l’avènement de Charles d’Oultremont, la chasse aux mauvais livres reprend. Dans la pratique, le manque de zèle est manifeste. L’imprimeur Denis de Boubers, dont le commerce paraît fl orissant, accueille l’abbé Dulaurens dans sa demeure. La petite capitale constitue également un centre d’approvisionnement pour les colporteurs, qui y trouvent la littérature provenant de Hollande à destination de la France.

6 Entre tous se détache le règne de Velbruck (1772-1784), le prince éclairé et franc- maçon. Il encourage de multiples initiatives en matière d’enseignement, de santé publique, de lutte contre la misère par la mise au travail des indigents. Dans le domaine des arts, Léonard de France, le plus connu, mais aussi d’autres artistes témoignent des Lumières. L’événement majeur est sans conteste la création en 1779, sur le modèle des académies, de la Société libre d’émulation, destinée à secouer la torpeur intellectuelle de la principauté. Orientée à la fois vers des buts scientifiques et pratiques, elle réunit d’actifs artistes, savants et lettrés autour d’une bonne bourgeoisie qui se limite à un rôle de figuration.

7 L’« institution philosophique » avait ses imprimeurs dont l’activité est étudiée dans le détail. Défilent ainsi les figures de Clément Plomteux, Jean-Edmé Dufour, Jean-Jacques Tutot, Denis de Boubers et François Lemarié, qui s’engagent également dans la littérature utilitaire et populaire. Mais certains artisans mettent aussi leurs presses au service de la reconquête de la foi, éventuellement sous de fausses adresses. Parfois

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 166

d’ailleurs les mêmes noms se retrouvent des deux côtés. Les multiples contrefaçons liégeoises de l’Histoire philosophique et politique […] des deux Indes de l’abbé Raynal, ouvrage condamné par le Conseil du roi en 1772, donnent lieu à « l’embrasement le plus inévitable », minutieusement relaté par D. Droixhe.

8 Liège n’échappe pas au mouvement de retour à la nature qui se manifeste en France, dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, à travers le genre bucolique et champêtre. Les imprimeurs de Boubers et Lemarié, gendre du premier, se font éditeurs de poètes français. L’histoire sentimentale à l’anglaise ou à l’allemande fait également une percée dans la cité épiscopale.

9 Tout au long du siècle, la littérature locale ou importée reflète ou conforte les tensions sociales qui agitent la principauté. Significatif est le succès remporté par le répertoire de Beaumarchais, qui incarne la résistance à l’arbitraire. Dès les années 1780, ce comportement est affiché dans plusieurs « affaires » qui secouent la principauté. L’« heureuse Révolution » est en marche, elle est loin de constituer « un accident imitatif de la France ».

10 Ce maître-ouvrage s’achève sur une riche bibliographie, de nombreuses illustrations, notamment de contrefaçons, et un utile index.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 167

Véronique Le Ru, Subversives Lumières, L’Encyclopédie comme machine de guerre

Christian Albertan

RÉFÉRENCE

Véronique Le Ru, Subversives Lumières, L’Encyclopédie comme machine de guerre, Paris, CNRS Éditions, 266 p., ISBN 978-2-271-06592-6, 20 €

1 Sous un titre qui retient l’attention, Véronique Le Ru, maître de conférences à l’Université de Reims et spécialiste de d’Alembert, a rassemblé un florilège d’articles de l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert (1751-1772) mettant en valeur la portée subversive, voire révolutionnaire de ce texte emblématique des Lumières. Les trente- six articles choisis, annotés avec soin, sont encadrés par une substantielle introduction et une utile conclusion. Les annexes renferment la liste des Encyclopédistes cités, avec le signe ou la lettre qui les désignent dans l’Encyclopédie, et une chronologie de l’histoire de la publication.

2 L’auteur ne s’est pas contentée de rassembler des textes, elle rappelle comment on doit les lire, en appliquant les préceptes laissés par les Encyclopédistes, c’est-à-dire en suivant un ordre encyclopédique qui procède par renvois d’une entrée vers d’autres entrées. Les articles « Délateur », « Calomnie », « Hérétique », « Inquisition » forment un ensemble pour celui qui lit avec attention et dans l’esprit des promoteurs de l’Encyclopédie. Ainsi s’organisent des réseaux de textes et de réflexions sur le pouvoir politique, le pouvoir religieux, le luxe, l’esclavage… L’auteur se gardant de dégager une politique ou une morale encyclopédiste - qui n’existent pas - s’emploie, en s’appuyant sur les meilleures études et notamment sur le travail du regretté Jacques Proust, à faire apparaître des convergences dans le discours philosophique. Elle voit en définitive dans l’œuvre encyclopédique une redoutable machine de guerre dressée contre toutes les formes politico-religieuses de domination (p. 8).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 168

3 On relira avec intérêt, à cet égard, l’article « Autorité », qui entraîna la première interdiction de l’Encyclopédie en février 1752, dans lequel se mêlent audace et prudence politiques. On découvrira aussi avec émotion les protestations contre l’intolérance et la vibrante dénonciation de l’esclavage ou des massacres de la Saint-Barthélemy.

4 Le lecteur d’aujourd’hui reste difficilement insensible à la force du texte encyclopédiste et au plaidoyer de l’auteur, qu’il ne suivra pas forcément toutefois dans toutes ses affirmations et toutes ses analyses. Dans les notes relatives aux articles « Délation » (p. 121) et « Saint-Barthélemy » (p. 122), il eût été utile, par exemple, de laver l’abbé de Caveirac (1713-1782) de l’accusation injustement portée par les philosophes, et nombre de commentateurs actuels, selon laquelle cet auteur aurait écrit une apologie de la Saint-Barthélemy. L’abbé de Caveirac a en fait publié une apologie de la révocation de l’Édit de Nantes, suivie d’une dissertation condamnant précisément les horreurs de la Saint-Barthélemy !

5 On peut également ne pas adhérer pleinement au projet de l’auteur qui procède d’un choix, qui comme tout choix est nécessairement réducteur. Celui de l’auteur met à juste titre l’accent sur la remise en cause des rapports de domination, mais les Lumières encyclopédiques méritent-elles pour autant le qualificatif de « subversives » ? Comme le précise l’auteur, notamment en conclusion, les Encyclopédistes, s’ils contestent dans plus d’un article l’ordre établi, restent avant tout des réformistes et des monarchistes et c’est à tort qu’on verrait en eux des révolutionnaires. L’article « Autorité politique » à lui seul dit bien les ambiguïtés de la pensée politique de Diderot et des Encyclopédistes en général.

6 Il faudrait également remettre en perspective leurs idées : les Encylopédistes reprennent souvent des idées déjà en circulation : l’Encyclopédie est avant tout une formidable caisse de résonance. Ce que l’article « Autorité » contient de plus fort se trouve déjà, par exemple, chez le grammairien Girard (cf. Les synonymes françois) et même dans certaines thèses soutenues en Sorbonne en 1751. Le haut personnel politique de la monarchie (le marquis d’Argenson, Malesherbes…) adopte parfois ces idées ou accorde sa protection à ceux qui les professent. On pourra également être heurté par certains commentaires historiques approximatifs de l’auteur sur la monarchie absolue ou la loi salique (p. 9).

7 L’initiative de Véronique Le Ru n’en mérite pas moins d’être relevée. Elle fournit un intéressant ensemble de textes toniques qu’on n’étudie guère plus et qui mettent en lumière la richesse, la complexité et la modernité de la pensée politique des Lumières.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 169

Janine Garrisson, L’Affaire Calas, miroir des passions françaises

Jacques Bernet

RÉFÉRENCE

Janine Garrisson, L’Affaire Calas, miroir des passions françaises, Paris, Fayard, 2004, 262 p., ISBN 2-213-62131-4, 19 €

1 Spécialiste reconnue du protestantisme et du Midi toulousain, Janine Garrisson était bien placée pour signer un ouvrage destiné avant tout au grand public, qui remplit pleinement sa fonction, en rappelant le contexte toulousain, les protagonistes essentiels, les principaux épisodes et les traits majeurs de la célèbre « affaire » de 1761-1762, jamais totalement élucidée au plan judiciaire, mais devenue par l’entremise de Voltaire, avec celle du chevalier de La Barre à Abbeville en 1766, l’une des causes les plus emblématiques des Lumières, archétype de leur combat contre le « fanatisme » et en faveur de la tolérance religieuse.

2 Sans apporter de nouvelles révélations sur l’affaire elle-même, l’auteur la replace bien dans le cadre d’une grande ville parlementaire du Midi, marquée par le traumatisme de la Réforme et des troubles religieux de 1562, où la révocation de l’Édit de Nantes, en octobre 1685, fut « accueillie avec faveur et soulagement par les élites toulousaines de la robe et de la soutane » (p. 45), et dans laquelle les anciens réformés, comme la famille Calas, officiellement « nouveaux convertis » au catholicisme mais pratiquant leur ci- devant culte en privé, étaient tenus dans la même suspicion que les anciens juifs ou conversos espagnols après la Reconquista. Le Parlement de Toulouse, historiquement deuxième de France par son ancienneté et l’étendue de son ressort, devait y jouer le rôle de l’Inquisition ibérique, en usant des mêmes références et de méthodes comparables.

3 La seconde partie de l’ouvrage, justifiant son sous-titre ambitieux, sinon un peu prétentieux (« miroir des passions françaises »), est la plus originale, dans la mesure où elle suit de manière argumentée et documentée la longue postérité de l’affaire, du

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 170

XVIIIe siècle à nos jours, depuis son écho national et européen dans les décennies précédant 1789, à sa large exploitation contre l’Église catholique sous et par la Révolution française (la Convention décréta en l’an II l’érection d’une colonne commémorative au lieu du supplice de Calas), puis à son usage récurrent dans le cadre des conflits politico-religieux des XIXe et XXe siècles.

4 L’affaire Calas tint de fait une place de premier plan dans l’imaginaire et l’argumentaire révolutionnaire - ou contre-révolutionnaire. Marie-Joseph Chénier, qui avait révolutionné le théâtre français dès 1789 par son drame historique Charles IX ou la Saint- Barthélemy, devait signer un non moins contestataire Jean Calas ou l’École des juges, entendant « montrer aux spectateurs comment la justice aveugle de l’Ancien Régime se rend coupable d’une erreur judiciaire en condamnant à la roue un innocent » (p. 161) : la famille Calas y est représentée « comme l’a campé Voltaire », Jean Calas en héros à l’antique, refuse le suicide que lui propose sa femme ; les ennemis de la justice et de la tolérance figurent en « entités collectives » : le peuple toulousain « foule impie et fanatique » qui fait pression sur les juges, les « prêtres sanguinaires », des « juges égarés » et le fanatisme « impur, ce fléau des mortels ». Auteur prolixe bien oublié, Laya fit représenter en décembre 1790 un Jean Calas « tragédie », à caractère de drame bourgeois de l’époque, reprenant les thèmes de Chénier, de l’intolérance populaire due à l’ignorance et à la manipulation du clergé, des bons et mauvais juges, de la « vertu » de Jean Calas, d’un Voltaire « homme providentiel », œuvrant à la réhabilitation de la famille Calas. L’auteur évoque également la portée de l’iconographie de l’affaire, dès les années 1760 : les portraits sensibles des protagonistes ; la gravure de Carmontelle représentant la « malheureuse famille » réunie à la Conciergerie, comme « un groupe s’éveillant aux Lumières après un cauchemar » ; le tableau bien plus dramatisé du peintre et graveur allemand Chodowiecki, daté de 1768, Les Adieux de Calas à sa famille, toutes œuvres reproduites en estampes dans l’Europe entière, qui contribuèrent à la large popularisation de l’affaire et amplifièrent l’écho de la campagne voltairienne.

5 On ne peut donc que saluer la sortie d’un livre fort utile et efficace, d’une lecture aisée et agréable, remplissant parfaitement sa mission pédagogique et culturelle.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 171

Wyger R.E. Velema, Republicans. Essays on Eighteenth-Century Dutch Political Thought

Raymonde Monnier

RÉFÉRENCE

Wyger R.E. Velema, Republicans. Essays on Eighteenth-Century Dutch Political Thought, Brill’s Studies in Intellectual History, Leiden, Boston, Brill, 2007, 241 p., ISBN 978-90-04-16191-7, 99 €

1 Ce livre rassemble plusieurs essais publiés par l’auteur de 1992 à 2006 dans différents ouvrages collectifs et revues, en anglais ou en hollandais, sur la pensée politique hollandaise au XVIIIe siècle. La plupart sont traduits en anglais pour la première fois, certains ayant été réécrits en partie pour le livre. Son intérêt est de mettre ainsi à la portée d’un grand nombre de lecteurs étrangers à la langue hollandaise une contribution importante à l’histoire politique de l’Europe au XVIIIe siècle. L’étude, qui fait état des travaux d’histoire et d’histoire des idées politiques les plus récents, témoigne du renouvellement de l’interprétation de l’histoire de la Hollande à cette époque, notamment de celle de la rupture révolutionnaire ; une grande partie émane d’historiens hollandais trop rarement traduits et peu connus en France, comme Haitsma Mulier, Joost Kloek, Joost Rosendaal, N. van Sas ou F. van der Burg, pour n’en citer que quelques-uns. La bibliographie (p. 215-238) montre l’importance de ce renouveau de l’histoire des Provinces-Unies et de l’exploitation de nouvelles sources depuis une vingtaine d’années. Wyger Velema, qui enseigne à l’Université d’Amsterdam et co-dirige un programme de recherche sur la République batave, travaille par ailleurs avec plusieurs groupes de recherche en histoire des idées, tant au plan national sur les notions socio-politiques de base, qu’au sein du réseau international d’histoire des concepts (HPSCG). L’intérêt du livre est donc au moins double, en proposant à côté d’une

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 172

réflexion sur la pensée politique en Hollande au XVIIIe siècle, d’importantes remarques méthodologiques dans le domaine de l’histoire des idées politiques.

2 Une question traverse cette étude en profondeur des transformations qui ont affecté l’idéologie politique des Provinces-Unies du XVIIIe au XIXe siècle sur fond de guerres et de révolutions, à laquelle l’auteur tente de répondre en conclusion : comment comprendre la mutation radicale et soudaine qui fait d’un État fier d’être républicain depuis plus de deux siècles, un petit État monarchique pathétique dirigé en 1806 par Louis Napoléon Bonaparte ? En effet, bien que les Pays-Bas n’aient plus au XVIIIe siècle le rayonnement du Siècle d’or, ses habitants ont une perception très nette de ce qui forme leur identité par rapport aux autres États : la nature unique de leur constitution qui fait d’eux la première république d’Europe (chap. 1), tolérante et prospère, une république commerciale et pacifique, qui s’apprécie par contraste avec les États monarchiques et le modèle antique omniprésent de la république romaine. Le caractère exceptionnel de cette identité républicaine, renforcé par l’image qu’en donnent les étrangers, les pousse à avoir une haute idée de leurs libertés politique et religieuse gagnées de haute lutte et les fait considérer le régime républicain comme supérieur à tout autre.

3 Chacun des chapitres analyse une composante majeure de la pensée politique hollandaise, à travers l’évolution des principaux thèmes et des concepts autour desquels s’est construite l’identité républicaine des sept provinces : l’évolution de l’anti-monarchisme (chap. 2) qui rejaillit sur le problème spécifique au système politique hollandais, celui du stathoudérat, qui deviendra une source de divisions profondes entre le parti Orangiste et les patriotes. Le courant d’opposition déjà exprimé au début des années 1660 par Johan et Pieter de la Court, et qui se poursuit de Lieven de Beaufort (Traité sur la liberté) à la République batave, se développe sur un répertoire standard repris par le mouvement patriote sur un registre classique contre Guillaume V et sa cour. L’analyse du langage politique du début du siècle jusqu’ici moins étudié (chap. 3), permet de cerner l’évolution du langage du républicanisme et d’analyser les composantes de l’idéologie des patriotes à la fin du XVIIIe siècle, notamment par comparaison avec le républicanisme anglo-saxon. On voit comment les conceptions théoriques générales sont retravaillées dans le contexte politique des Provinces-Unies et mises en perspective avec les problèmes particuliers liés à la tradition républicaine et à l’évolution historique du pays, par exemple à propos du langage complexe de la civilisation et de la politesse (chap. 4). L’auteur dialogue avec les différentes traditions d’analyse en histoire des concepts - allemande et anglo- américaine surtout - tandis que la diversité des sources exploitées, des écrits théoriques aux débats parlementaires, aux périodiques (par exemple le Hollandsche Spectator de Justus van Effen) et aux pamphlets, permet de saisir les différents thèmes qui structurent l’opinion publique : de la perception du déclin au mythe de l’âge d’or du XVIIe siècle et aux vertus républicaines. L’analyse met en évidence l’influence de l’Esprit des lois (chap. 5) et de la lecture républicaine de Montesquieu sur l’agenda politique pour une redéfinition du républicanisme et l’évolution des arguments des différents partis.

4 Les chapitres suivants traitent de la crise et des conflits aigus qui marquent les dernières années de la République, autour du stathoudérat (chap. 6) et des concepts très disputés de souveraineté, de représentation et de liberté, notion centrale dans l’idéologie des patriotes (chap. 7). La fonction du stathouder était pour eux

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 173

incompatible avec les principes républicains et le bien commun de la nation. La rencontre des Lumières radicales (Jonathan Israël) avec la théorie classique de la liberté, liée à la notion des droits naturels et de la souveraineté du peuple, dans le contexte de la guerre avec l’Angleterre, donne au patriotisme révolutionnaire sa forme explosive. L’auteur analyse dans le discours des patriotes l’expression des idées force des années 1780, autour du refus de l’ordre établi, et d’un programme de régénération radicale, et les arguments qui leur sont opposés par les conservateurs (par exemple Elie Luzac) dans une véritable guerre des mots (chap. 8). On constate que les arguments des patriotes s’appuient moins sur l’histoire de la Hollande que sur ce qu’ils considèrent comme les principes républicains de base dans une conception exigeante de la liberté, qui ne distingue pas la liberté civile de la liberté politique et défend la liberté d’opinion et le gouvernement populaire, c’est-à-dire un gouvernement confié à des représentants élus et révocables avec la participation des citoyens éclairés. L’étude fait état des avancées et des échecs de part et d’autre, des projets avortés et des réalisations jusqu’à l’intervention française qui met fin à quinze ans d’instabilité politique. Une attention particulière est apportée à la chronologie de l’évolution des concepts généraux dans le contexte de l’histoire de la Hollande, ainsi celui de constitution lié à la crise interne (chap. 9). Les débats sur la nouvelle Constitution reflètent les difficultés que la République batave avait à résoudre.

5 Pourquoi les Hollandais ont-ils accepté soudain en 1806 ce qu’ils avaient le plus détesté jusque-là ? La plupart des historiens partagent la thèse avancée par N. van Sas, pour qui l’intervention croissante de la France aurait amené une transformation de la théorie politique révolutionnaire des années 1780 en un sentiment unique pour les valeurs patriotiques. Sans doute, les Hollandais n’avaient-ils guère le choix : mieux valait accepter une monarchie garante de leur indépendance et de leurs droits que d’être incorporés à la France ; la personnalité de Louis Napoléon a aussi joué (chap. 10). Les débats sur la Constitution qui avaient précédé son installation avaient tourné en grande partie sur la sauvegarde de l’identité républicaine du pays et la préservation de son indépendance. Après 1800, les tentatives de faire revivre la tradition républicaine ne correspondaient-elles plus au contexte ? Avec la pression de l’usure interne et du pouvoir français, c’est l’explication avancée par Wyger Velema, qui donne dans ce livre plusieurs essais neufs dans leur problématique en élargissant notablement les sources sur la pensée politique, des textes théoriques à la littérature périodique et pamphlétaire. L’étude reflète la richesse des travaux poursuivis depuis plusieurs années au plan national, sur le mouvement patriote et la République batave, et la vitalité de l’histoire politique à l’Université d’Amsterdam, qui développe depuis plusieurs années un programme ambitieux d’histoire des concepts de base de la république de Hollande.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 174

Géraldine Lepan, Jean-Jacques Rousseau et le patriotisme

Jacques Guilhaumou

RÉFÉRENCE

Géraldine Lepan, Jean-Jacques Rousseau et le patriotisme, Paris, Honoré Champion, 2007, 538 p., ISBN : 978-2-7453-1516-8, 90 €

1 Cet ouvrage interroge l’unité de la pensée de Rousseau par rapport à son objet d’étude, le patriotisme, et plus spécifiquement le sentiment d’appartenance patriotique associé à une réalité objective, la patrie, sentiment d’inspiration républicaine comme l’avait justement souligné Raymonde Monnier dans son ouvrage sur Républicanisme, patriotisme et Révolution française (Paris, L’Harmattan, 2005). Qu’en est-il donc de l’intégration affective de citoyens dans un système de valeurs patriotiques et de sa conjonction avec la politique ? Comment rendre compte de la nécessité d’un principe de liaison au tout, donc d’un principe d’unité, au croisement de l’idée de patrie et des principes du droit politique sous l’égide du républicanisme ? En quoi le contractualisme, l’ordonnancement social et le républicanisme convergent ici dans le patriotisme par la fondation conjointe d’un sentiment d’obligation politique et d’un lien social affectif entre les citoyens ? Telles sont les questions que pose cet ouvrage. Il s’agit alors de mettre en évidence l’originalité de la réflexion rousseauiste, entre deux lignes d’inspiration, le courant jusnaturaliste et le courant républicain.

2 Plus généralement, Rousseau développe-t-il, une fois posée la centralité des questions autour du patriotisme, un républicanisme de droit naturel ? La réponse n’est pas simple, et Géraldine Lepan l’argumente à divers niveaux. Nul doute d’abord que Rousseau considère la république en tant que communauté de valeurs avec la primauté du vivere civile, à l’exemple du républicanisme italien classique. Mais une telle revivification de la tradition classique passe par une anticipation moderne du sentiment national, ce qui induit une « conscience moderne » en appui sur la figure du législateur et une réhabilitation concomitante du politique. À ce titre, « instituer un

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 175

peuple » selon la célèbre formule du Contrat social suppose le passage par une socialisation et une dénaturation propice à l’artifice. Ainsi précise Géraldine Lepan : « Autrement dit, c’est de l’aménagement des institutions autant que d’une réforme morale des mœurs qu’il faut attendre une rénovation de l’ordre politique. Ainsi faut-il mettre “la loi sociale au fond du cœur” et rendre les hommes, “hommes civils par leur nature et Citoyens par leurs inclinations” ou en d’autres termes, remplacer la contrainte par l’impulsion, orientée mais cependant non forcée, de la volonté » (p. 45).

3 Une volonté artificielle donc, propre à construire la communauté politique mais qui n’est pas dénuée de tensions entre l’intérêt particulier, centré sur l’amour de soi, et la volonté générale prise dans la quête d’une voie « toujours droite ». Les conjoindre nécessite alors l’art du législateur, un art politique distancié de « la nature des choses », d’autant qu’ » il n’y a pas de compossibilité naturelle des intérêts particuliers, et que le corps politique ne peut être inféré d’une extension naturelle sur autrui » (p. 32). Rousseau récuse donc « la loi naturelle » comme loi de la raison, telle qu’elle se présente chez les Encyclopédistes, et la déplace vers l’expression du sentiment, donc vers une force spécifique. Roger D. Master, dans son ouvrage magistral sur La philosophie politique de Rousseau (Lyon, ENS – Éditions, 2002), s’est longuement expliqué, textes à l’appui, sur ce point primordial du caractère non naturel de « la loi naturelle », une fois confrontée à « l’homme naturel » indépendant, et en conséquence son peu de pertinence face à l’apport de l’expérience de la vie politique.

4 De même, Rousseau récuse la socialité comme principe, pour l’inscrire dans le devenir d’une société elle-même non préétablie, ce qui introduit un débat sur l’existence ou non d’une sociabilité naturelle de l’individu. Il ouvre ainsi la voie à « l’institution artificielle de signes représentatifs » sous l’égide du législateur, et en appui sur le sentiment d’appartenance patriotique, récusant ainsi la notion de « société civile » qui se réfère selon lui à une société fermée et préétablie. De même il marque les limites du contractualisme, en adjoignant une dimension métaphysique et anthropologique à sa réflexion sur le terrain du patriotisme.

5 C’est là où intervient la nécessité d’une théorie des mœurs, que Rousseau partage par avance avec les penseurs des Lumières tardives, couplée à une théorie de la connaissance. Cela induit une critique du droit naturel dont il ne faut pas se méprendre sur le sens : cette critique vise plutôt le présupposé d’un principe d’humanité universelle au fondement de la société civile, désigné comme une fiction, et tend à déconstruire « le droit naturel de la société générale » pour mieux imposer la toute puissance du droit résultant d’une volonté générale non préexistante au contrat social, donc propice à l’artifice. Tout est ici affaire de fondement par la conscience – le moi – et le sentiment – l’amour de soi –, jusque dans les valeurs d’un citoyen porteur de droits, liberté, égalité, dignité et justice. Le modèle genevois n’est pas loin, comme l’ont montré par ailleurs Monique et Bernard Cottret dans leur biographie novatrice sur Rousseau (Jean-Jacques Rousseau en son temps, Paris, Perrin, 2005), ce qui induit la nécessité de penser la citoyenneté avec les conditions historiques qui la déterminent.

6 Plus précisément, la question des mœurs est au centre de la revivification du républicanisme, voire de la création d’une nouvelle tradition républicaine dans la mesure où elle se situe au cœur du lien entre l’individu et la cité, le moral et le naturel. Elle redéfinit en effet la citoyenneté comme civilité sur une base phénoménologique, irréductible à une simple logique des passions. Elle joue donc un rôle fondamental dans la mutation-transformation de l’homme en citoyen.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 176

7 Rousseau suit ici Montesquieu, précise Géraldine Lepan. Ainsi, s’il convient de prendre en compte la dynamique des passions, cela ne peut se faire que par sa transmutation en des « manières d’être », son positionnement dans une phénoménologie des mœurs située entre une métaphysique de l’individu social et une anthropologie de la nature humaine agissante. Partant de ces « manières d’être », le législateur les met en forme et les parachève artificiellement à l’aide des institutions politiques. S’il existe une sociabilité, c’est bien dans une telle attention aux mœurs, et non à une loi naturelle préétablie. Nous cheminons donc, d’étape en étape, sur une lignée républicaine où se combinent sans cesse le moral, l’affectif et le politique par toute une série de transmutations qui redonnent au droit toute sa dynamique propre, en le situant hors de tout présupposé, de tout figement préalable.

8 Précisons ici que la question de l’opinion publique est liée nécessairement à celle des mœurs, ce qui interdit de la réduire à un problème d’utilité publique, voire de contrôle des esprits éclairés, à travers des formes de sociabilité tels que les salons et les académies, comme tendent à le faire, selon Rousseau, Helvétius et d’Holbach. Il s’agit plutôt de penser, avec l’opinion publique, l’adéquation des mœurs à un art de maîtrise des passions, donc le lien à une éloquence écrite, si l’on peut dire, faute de tribunes publiques. La distance avec le paraître du public se veut alors maximale dans la mesure où l’opinion publique, une fois établie la transmutation des mœurs, est une auto- régulation, à l’encontre de toutes espèces de ligues et de partis contraire à la rectitude de la volonté générale.

9 Instituer le politique sur la base des « bonnes mœurs » nécessite alors l’existence première et obligée d’un individu isolé, monadologique à l’écart des sociétés particulières, voire de « la société civile », notion dont Rousseau conteste encore une fois l’heuristique. Un tel positionnement de l’individu rousseauiste au sein d’une anthropologie a été décrit avec précision par Luc Vincenti dans son ouvrage sur Jean- Jacques Rousseau, l’individu et la république (Paris, Kimé, 2001) : l’homme naturel se devant de s’attribuer à lui-même la matière de son propre devenir s’inscrit dans une perspective de perfectibilité au nom d’une liberté qui lui permet de choisir ce qu’il y a de meilleur en toute conscience de soi, son identité dynamique lui permettant alors de se lier au tout de la communauté, sans passer par autrui au titre de son amour de soi. L’idée de l’émancipation par une relation « naturelle » à autrui chère aux Lumières est donc sérieusement démonétisée.

10 Le modèle de cité vertueuse, animée par la foi républicaine et le sentiment patriotique, que Rousseau propose, relève ainsi d’un rejet des lumières, qui « loin d’émanciper, favorisent au contraire l’esclavage moral » (Discours sur les sciences et les arts) et de là se précise l’éloge de « la science sublime des âmes simples » (id.). Il s’agit d’affirmer le primat de la pratique, au sens d’une action conjointe des mœurs et de la politique par une réforme de la socialité adéquate à une réforme de la langue.

11 Il s’agit également de joindre le républicanisme à la science de la politique dont Géraldine Lepan décrit le lien à la religion civile, puis à l’éducation publique, sous l’égide encore une fois du législateur, avant d’en venir à la description minutieuse des différents sentiments de sociabilité - de déclinaisons du patriotisme au sens large -, qui en assure la cohésion

12 Une fois de plus, toute fondation du corps politique sur la loi naturelle est écartée au profit de la reconstruction des institutions sur la base des seules conventions « artificiellement » établies et leur ancrage dans le patriotisme. C’est dire aussi que

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 177

« l’homme naturel ne peut délivrer l’essence de l’humanité. C’est son inscription dans l’ordre politique qui lui apprend à faire usage de sa raison et l’élève à la moralité et à la vertu » (p. 245), ainsi d’un usage qui forme une conscience apte à rendre effectif l’ordre moral, pratique. Là encore, c’est bien de théorie pratique dont se nourrit, si l’on peut dire, l’extension d’une sociabilité non assujettie à une société et une humanité préétablies.

13 Voilà donc un nouveau commencement, une nouvelle tradition que Rousseau propose en matière de républicanisme de droit naturel. Quelles nouvelles questions pose-t-elle ?

14 D’abord qu’est-ce qu’un peuple ? Il y répond par la célèbre formule du Contrat social, « l’acte par lequel le peuple est un peuple ». À ce geste d’auto-institution succèdent cependant divers sens du mot, entre unité et diversité, donc se dessine une polysémie inhérente à ses usages quelque peu flottants mais non-disjoints de la pratique. Géraldine Lepan les explore avec minutie à travers toutes sortes de manifestations du peuple, des langues à la musique en passant par le sol, le passé commun, le climat, etc., bref le physique et le moral.

15 Puis qu’est-ce que l’économie politique ? La réponse est tout aussi connue : l’économique est subordonné au politique, la vertu républicaine passe devant le commerce. L’économie relève donc d’abord de valeurs d’usage promouvant les forces propres des hommes et des objets, ce qui amène Rousseau à condamner toute logique économique d’accumulation contraire aux manifestations de la vertu patriotique et à défendre l’indépendance économique au titre de l’homme devenu propriétaire pour être citoyen, ce qui valorise tout particulièrement le citoyen-laboureur, apte à incarner l’idéal d’indépendance.

16 Enfin qu’est-ce que le droit des gens, entre guerre et paix ? Point sur lequel Géraldine Lepan souligne longuement les limites de la réflexion politique de Rousseau, écartelée présentement entre un empirisme, au plus près des faits, et un artificialisme fondé sur « les vrais principes du droit de la guerre » avec au milieu, si l’on peut dire, la figure hautement patriotique du soldat-citoyen.

17 De cet ouvrage particulièrement dense et divers sur la pensée de Rousseau abordée en son centre par le biais du patriotisme, concluons, avec son auteur, que l’unité problématique d’une telle pensée nous renvoie conjointement à un empirisme qui n’a rien d’un réalisme de la raison et à un artificialisme qui n’a rien d’une abstraction, au titre de la prédominance constante du critère de la pratique, de l’usage et au plus près des conditions d’existences des phénomènes. Une phénoménologie du lien social, des mœurs, de la politique en fin de compte au fondement d’un républicanisme « intérieur », donc fondé sur « le système du cœur humain », où le droit est lié avant tout à un processus naturel de subjectivation.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 178

Hans Erich Bödeker, Peter Friedemann, Gabriel Bonnot de Mably. Textes politiques 1751-1783

Marc Deleplace

RÉFÉRENCE

Hans Erich Bödeker, Peter Friedemann, Gabriel Bonnot de Mably. Textes politiques 1751-1783, Paris, L’Harmattan, 2008, 347 p., ISBN 978-2-296-04606-1, 34.50 €

1 La publication en français de l’anthologie consacrée par Peter Friedemann, dont la familiarité avec l’œuvre de Mably est ancienne, et Hans Erich Bödeker aux écrits politiques du bon abbé, mérite d’être appréciée à la hauteur de l’instrument de travail utile qu’elle représente. Si l’œuvre de Mably n’est plus aujourd’hui dans l’ombre qui la recouvrait quelques décennies auparavant, il n’en reste pas moins qu’aborder cet écrivain prolifique, dont Jules Isaac écrivit jadis qu’il avait été le véritable philosophe de la Révolution, est encore rendu malaisé en l’absence de synthèses effectives. Cet ouvrage présente en premier lieu l’avantage de fournir au lecteur une notice biographique étendue, fondée sur des ouvrages déjà anciens ainsi que sur deux colloques dévolus naguère au philosophe (Mably, Table ronde, Bochum 1987 et Colloque Mably. La Politique comme science morale, Bari, 1995/1997). Une notice dont la première partie (augmentée par un « itinéraire de Gabriel Bonnot de Mably » publié en fin de volume) propose une présentation raisonnée des ouvrages de Mably qui complète heureusement, sur le plan de l’analyse (malgré certaines approximations dues peut- être à la traduction et génératrices de confusions entre date de rédaction et date de publication : ainsi Du gouvernement et des lois de la Pologne daté de 1781 dans l’introduction, et resitué par la suite plus exactement en 1770-1771 pour la rédaction), le choix chronologique de présentation des extraits retenus, choix justifié selon les éditeurs par ce jugement que « les œuvres de Mably sont un commentaire continu des crises de l’Ancien Régime et des discours politiques de l’époque ». La présentation des

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 179

extraits, comprenant une courte introduction analytique et contextuelle (placée sous un chapeau récapitulatif ne renvoyant cependant qu’imparfaitement au classement analytique de l’introduction), une table des matières complète et indiquant la pagination de l’édition de référence (édition posthume des Œuvres parue en 1794 et 1795), rend la manipulation du volume aisée et pratique. On peut regretter peut-être que certaines de ces courtes introductions n’inscrivent pas davantage les textes dans l’ensemble de la production du moment (ainsi pour Du gouvernement et des lois de la Pologne où Rousseau par exemple n’est nommé qu’en note et sans que son texte, intimement lié à celui de Mably, ne soit mentionné), mais sans doute l’économie générale de l’ouvrage ne le permettait-elle pas. En revanche, la reprise critique des jugements émis sur l’œuvre de Mably avec le développement des recherches le concernant après la Deuxième Guerre mondiale, dans la seconde partie de l’introduction générale – Mably réformiste, sinon conservateur, ou progressiste, voire révolutionnaire – apporte un éclairage des plus utiles pour la riche bibliographie de fin de volume (extension de celle publiée en fin du volume 2 du Colloque Mably. La Politique comme science morale, Bari, 1995/1997). C’est donc en définitive un outil de travail très appréciable que nous livrent Hans Erich Bödeker et Peter Friedemann.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 180

Gabriel Bonnot de Mably, Du Gouvernement et des lois de la Pologne

Marc Deleplace

RÉFÉRENCE

Gabriel Bonnot de Mably, Du Gouvernement et des lois de la Pologne, introduction et notes par Marc Belissa, Paris, Éditions Kimé, 2008, 383 p., ISBN 978-2-84174-449-7, 31 €

1 La Pologne est mieux qu’un cas d’école pour la philosophie politique des Lumières, ce que la publication exemplaire Du gouvernement et des lois de la Pologne de Mably que nous propose Marc Belissa, déjà éditeur dans les mêmes conditions des Principes des négociations pour servir de préface au droit public de l’Europe de 1757, rappelle opportunément. C’est à une véritable expertise que Mably, Rousseau, mais aussi Mercier de la Rivière et d’autres, se livrent relativement aux maux qui assaillent la république polonaise, puisque tel est situé son gouvernement dans l’échelle des régimes politiques de l’époque. Marc Belissa, dans une très riche introduction qui couvre un tiers de l’ouvrage, nous restitue avec précision les éléments du contexte dans lequel se déploient ces réflexions. Contexte international tout d’abord, puisque les textes de Mably sur la Pologne, qui composent ce recueil, écrits entre 1770 et 1776, encadrent le premier partage de ce pays par ses puissants voisins russe, prussien et autrichien. Un contexte pour la description duquel l’éditeur mobilise sa connaissance fine des questions de relations internationales, comme nous dirions aujourd’hui, questions qu’il a abordées sous l’angle de la philosophie politique du XVIIIe siècle dans un ouvrage précédent (voir Fraternité universelle et intérêt national, 1713-1795. Les cosmopolitiques du droit des gens, Kimé, 1998). Contexte intellectuel et politique ensuite, lequel comporte deux aspects également mis en lumière ici : d’une part, l’active propagande, liée aux questions diplomatiques, qui conduit Voltaire ou les Encyclopédistes à prendre fait et cause pour le despotisme éclairé contre le sarmatisme polonais, quand Mably et Rousseau se portent au chevet de la République à l’appel des confédérés de Bar ; d’autre part, l’inscription de la réflexion sur la Pologne dans l’horizon plus large de la réflexion

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 181

politique du siècle, et notamment de celle sur la nature du gouvernement républicain. Dans cette perspective, loin d’être un ectoplasme désincarné, la Pologne offre au contraire un terrain vivant pour le développement de projets de réformes qui sont autant d’expressions d’une pensée politique complexe et soucieuse d’efficacité. Trois positions s’affrontent alors tant en Pologne que parmi les « experts » qui se prononcent sur son cas, en partie selon qui les sollicite. Si le sarmatisme, forme idéologique originelle du « républicanisme » polonais, incarné notamment dans la triple institution de la monarchie élective, des confédérations et du liberum veto (ce dernier focalisant les plus vives critiques), ne paraît plus que la position rétrograde d’une aristocratie soucieuse de ses privilèges (l’existence du servage, question sociale qui n’est pas non plus ignorée des différents auteurs, contribue vivement au discrédit jeté sur ce républicanisme aristocratique), l’apologie d’un despotisme éclairé (p. 71), entrevu avec Stanislas Poniatowski et qui masque en fait les menées de la Grande Catherine, soutenu par Voltaire ou les Encyclopédistes, est contesté comme seule voie d’accès à la modernité par Mably ou Rousseau. Ceux-ci mettent plus volontiers leurs pas dans ceux du roi déchu, Stanislas Leszczinski (p. 49), qui ouvre peut-être en 1749 la voie d’un réformisme républicain partagé par les confédérés de Bar, réformisme qui, tel que repris et développé par Mably et Rousseau, pense la réorganisation républicaine comme refondation nationale (p. 111-112), ce qui ressort également du projet de Dupont de Nemours sur une éducation nationale, en 1774 (p. 82). Incidemment, les textes de Mably nous livrent enfin, au-delà du cas polonais, une réflexion sur le régime républicain et sur sa place à l’origine et dans l’évolution des sociétés politiques, questions essentielles dans l’ensemble de son œuvre, aussi bien lorsque l’analyse du républicanisme polonais s’éclaire, comme nous le suggère Marc Belissa, par « l’anarchie féodale » (p. 47), que dans l’effet d’écho que l’évocation du liberum veto et les confédérations comme formes du droit de résistance à l’oppression produit avec les passages des Droits et devoirs du citoyen, non publiés alors, consacrés à l’insurrection. Une réflexion qui s’inscrit nettement dans la perspective jusnaturaliste moderne pour qui « la réciprocité de la liberté entre les citoyens fonde donc l’égalité politique » (p. 94). Restituant les textes de Mably dans le très riche contexte des publications contemporaines sur la Pologne, appuyant son appareil de notes sur une bibliographie plus étendue qu’il ne le concède en introduction, Marc Belissa nous invite à une lecture fine de textes qui ne sont pas seulement réflexion spéculative, mais également actualisation des « promesses de liberté dans le champ de l’action politique » (p. 8).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 182

Pierre-Yves Quiviger, Le principe d’immanence. Métaphysique et droit administratif chez Sieyès, avec des textes inédits de Sieyès / Emmanuel-Joseph Sieyès, Essai sur les privilèges et autres textes, introduction et édition critique de Pierre-Yves Quiviger

Jacques Guilhaumou

RÉFÉRENCE

Pierre-Yves Quiviger, Le principe d’immanence. Métaphysique et droit administratif chez Sieyès, avec des textes inédits de Sieyès, Paris, Honoré Champion, 2008, 466 p., ISBN 978-2-7453-1617-2, 82 € Emmanuel-Joseph Sieyès, Essai sur les privilèges et autres textes, introduction et édition critique de Pierre-Yves Quiviger, Paris, Dalloz, 150 p., ISBN 978-2-247-07405-1, 25 €

1 Confronté à la complexité d’un itinéraire intellectuel particulièrement long, des années 1770 aux années 1810, nous avons éprouvé plus d’une fois une certaine lassitude face aux problèmes d’interprétation globale de la masse des textes, en particulier inédits, laissée par Sieyès. Une collègue linguiste, Lia Formigari, avait alors répondu à nos doutes sur la quête d’une synthèse de la pensée sieyèsienne dans les termes suivants : « Des auteurs qui se confrontent à une réalité complexe empruntent des catégories hétérogènes mais compatibles pour décrire des phénomènes hétérogènes, mais

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 183

coexistants ». Tel est bien le propre de l’impossible, mais nécessaire, reconstitution de la synthèse siéyésienne d’un point de vue à l’autre, si l’on veut en apprécier la portée novatrice.

2 Nous nous y sommes exercé en matière d’ordre de la langue, dans une perspective de philosophie du langage et de créativité néologique, et plus récemment en matière d’ordre social, du côté de l’invention de la sociologie. Pierre-Yves Quiviger en fait de même dans l’ordre juridico-politique, et plus précisément dans le champ du droit administratif. Nous partageons alors avec lui un même constat : mieux on comprend le Sieyès métaphysicien, mieux on appréhende le contenu doctrinal de sa pensée politique et le rôle historique qu’il a pu jouer à certains moments de la Révolution française. La métaphysique du moi et de l’activité, qui l’opposera frontalement aux Idéologues, demeure bien le pivot de la compréhension de son œuvre. Sans a priori sur cette question, Pierre-Yves Quiviger, philosophe et juriste, y est venu aussi par une lecture de plus en plus approfondie des manuscrits philosophiques que nous avons transcrits et présentés dans les deux volumes Des Manuscrits de Sieyès, publiés chez Champion sous la direction de Christine Fauré, et auxquels il adjoint dans son ouvrage la transcription de notes dispersées sous forme de feuilles volantes.

3 C’est donc au titre d’une pensée de l’immanence que Pierre-Yves Quiviger unit les deux faces de son étude : d’une part, une métaphysique avec une fois de plus une part importante accordée à la philosophie du langage, d’autre part, la création du Conseil d’État dans le cadre de la réflexion constitutionnaliste de Sieyès. Ainsi l’accent est mis successivement sur le Sieyès philosophe, puis l’administrateur, en laissant à chacun son autonomie propre, tout en tissant des liens entre eux. Il en ressort une présence moins affirmée du Sieyès législateur-philosophe sur lequel nous avons mis prioritairement l’accent dans nos propres travaux. Sans doute du fait que Pierre-Yves Quiviger insiste plus sur l’immanence de sa pensée dans la lignée d’un empirisme radical (transcendantal) et d’un jusnaturalisme (rationnel) que sur son organicité adossée à un fort artificialisme. Ce travail d’envergure ouvre donc un débat sur la pensée de Sieyès dont nous souhaitons préciser quelques enjeux philosophiques et pratiques, tout en rendant compte de l’apport de ses analyses.

4 Pierre-Yves Quiviger confirme d’abord le fort enracinement condillacien de la pensée sieyésienne, tout en déplaçant notre attention sur le Condillac de l’Essai plus que sur celui de ses derniers écrits comme nous l’avions fait. Il approfondit par ailleurs le rapport de Sieyès à Locke sur le thème majeur du fonctionnement de l’esprit humain. Nous retrouvons donc là un Sieyès soucieux, comme d’autres penseurs nominalistes des années 1770-1780, de réduire la métaphysique au problème de la connaissance humaine pour en conserver l’importance. Ce qui fait débat ici, c’est la place que Sieyès accorde ou non au « signe d’institution » (Condillac), traduit dans l’institution active, par exemple l’Assemblée nationale. Faut-il alors s’en tenir à une ontologie relationnelle – une ontologie du fait plus simplement – qui nous écarte quelque peu de la pensée condillacienne du signe, ou voir plutôt chez Sieyès une ontologie sociale, par la mise en œuvre d’une modalité sociologique d’observation sociale adossée à la métaphysique du moi et de son activité, qui s’inscrit dans l’horizon de la dernière logique condillacienne.

5 Le présent débat rebondit à propos du transcendantalisme de Sieyès, une fois confirmé l’importance du paradigme Sieyès-Leibniz sur lequel nous avons précédemment insisté, et nous continuons à insister, même si Christine Fauré émet des réserves à ce propos (« L’abbé Sieyès, lecteur problématique des Lumières », Dix-Huitième Siècle, décembre

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 184

2005, n° 37, p. 191-207). Si Sieyès récuse bien tout sujet transcendantal, cependant Pierre-Yves Quiviger défend le maintien d’un transcendantalisme du toucher, ce qui nous renvoie à une certaine interprétation de la référence aux lois de la nature. Pré- positivisme, organicisme donc comme il le pense, ou « philosophie seconde des Lumières » mettant plutôt l’accent sur la requalification de la nature dans sa connexion avec les lois nécessaires d’un ordre social ouvrant à la virtualité, puis à la réalité, de l’artifice politique, hors donc de tout transcendantalisme, comme nous le pensons.

6 La suite du débat porte alors sur le rationalisme de Sieyès, fortement marqué lorsque l’on entre dans l’inflexion spinoziste de la pensée sieyèsienne, comme l’ont fait d’autres chercheurs mais de façon moins précise, dans la mesure où nous touchons là au plus près de la réflexion proprement administrative de Sieyès. À l’horizon du matérialisme dans lequel s’inscrit indéniablement Sieyès, la question reste de savoir si, pour autant, il propose une unité proprement rationnelle entre un entendement aux qualités heuristiques et une société politique en quête d’optimum légitimateur. Rien n’est moins sûr quand on voit que Sieyès, d’un manuscrit philosophique à l’autre, critique l’importance qu’accordent « les métaphysiciens depuis Locke » à la question de l’entendement au détriment d’une réflexion sur le continuum naturel de l’instinct à l’intelligence, via la liberté et la volonté. Ici revient le problème central de la connexion entre la réalité et la pensée, non pas dans un cadre rationaliste, mais dans la perspective d’un contrôle sémiotique de l’expérience humaine qui accorde une importance toute particulière au continuum entre la nature humaine et l’artifice institutionnel.

7 Dans la seconde partie de son ouvrage, après que Pasquale Pasquino (Sieyès et l’invention de la constitution en France, 1998) ait installé en première ligne Sieyès au Conseil constitutionnel, Pierre-Yves Quiviger en fait de même pour le Conseil d’État. Il s’agit alors de « décrire l’origine du Conseil d’État, et en faisant de Sieyès son principal créateur », donc de « décrire le rôle de Sieyès dans l’histoire du droit administratif français » (p. 222). N’étant pas juriste, nous n’allons pas entrer dans le détail de l’histoire d’une juridiction administrative tant en aval qu’en amont de sa création telle que la propose Pierre-Yves Quiviger. Notons seulement qu’au-delà du fait factuel de la création de Conseil d’État par la Constitution de l’an VIII, Sieyès y inscrit aussi une première philosophie du droit administratif.

8 En effet, conseiller c’est gouverner, à distance de l’exécutif, tout en laissant au législateur le soin de délibérer. C’est aussi se distinguer de l’administration qui se contente de gérer les choses publiques, et entrer dans la sphère de la pensée active du conseil au législateur, car il s’agit bien de faire de toute question pratique une question théorique, et vice-versa. Une telle approche du gouvernement comme pensée échappe à nos lieux communs volontaristes : elle est d’autant plus difficile à appréhender, et c’est un des grands mérites de Pierre-Yves Quiviger d’essayer de nous en faire comprendre l’actualité. Ainsi lorsqu’il écrit : « De là à en déduire qu’une partie non négligeable de l’action gouvernementale est en réalité accomplie aujourd’hui par le Conseil d’État, il n’y a qu’un pas que les concepts sieyèsiens pourraient permettre de franchir puisque, ne relevant pas d’un champ souverainiste, ils ne traduiraient pas cette situation en terme de dépossession ou d’abandon de souveraineté » (p. 327). Peut- on faire un plus grand hommage à l’actualité de la pensée politico-administrative de Sieyès appréhendée dans sa dimension philosophique même ?

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 185

9 Enfin, sans entrer plus avant dans la question de la justice administrative, telle qu’elle est abordée in fine dans ce que Pierre-Yves Quiviger appelle « la seconde philosophie administrative de Sieyès », précisons plutôt les apports de ce chercheur à la connaissance d’autres aspects de Sieyès. Hormis les actes du colloque de Paris I sur les « Figures de Sieyès » en cours de parution et dont il a assuré la co-direction avec Jean Salem et Vincent Denis, ce philosophe et historien du droit commence à republier des éditions critiques de textes. D’abord une réédition critique de l’Essai sur les privilèges (1788) de Sieyès avec les diverses variantes d’une édition à l’autre, puis un autre texte de 1789, son Préliminaire à la Constitution française, de l’an III, et ses deux fameux Discours du 2 et 18 thermidor présentés à la Convention, régulièrement discutés par les historiens du droit. La lecture des variantes présente un grand intérêt, en particulier d’un point de vue linguistique, dans un souci très siéyèsien d’une adéquation toujours renouvelée du mot à la chose. Notons enfin l’édition numérique, sur Révolution Française.net, de l’Exposé historique des écrits de Sieyès par l’allemand Oelsner avec des extraits de textes de Sieyès dont Pierre-Yves Quiviger a pris en compte par ailleurs les variantes, en particulier dans sa réédition de l’Essai sur les privilèges. Nous trouvons ainsi au sein de ce texte une mention explicite de l’ontologie, dans son lien à l’art social : « L’ensemble des moyens artificiels qu’ils se créent dans la société, et dont le seul but est d’augmenter la prospérité de tous, Sieyès l’appelle l’établissement public. Il en développe les idées fondamentales, en fixe les termes, et nous donne l’ontologie de l’art social, qu’il faut étudier à la source de cet écrit [son Préliminaire de la Constitution française], et connaître sous peine d’être mis hors de cour, lorsqu’on se présentera dans la lice, sans avoir aucune de ses bases dans l’esprit ». Ainsi se précise l’importance que les lecteurs allemands de Sieyès accordent au lien entre ontologie, art social et artifice dans la pensée sieyèsienne.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 186

Christine Fauré (dir.), Des Manuscrits de Sieyès, tome II, 1770-1815

Yannick Bosc

RÉFÉRENCE

Christine Fauré (dir.), Des Manuscrits de Sieyès, tome II, 1770-1815, Paris, Honoré Champion, 2007, 726 p., ISBN 978-2-7453-1588-5, 110 €

1 Le second volume des manuscrits de Sieyès établi par Christine Fauré avec la collaboration de Violaine Challéat, Jacques Guilhaumou et Françoise Weil, regroupe les « Bibliographies de Sieyès », le « Cahier Smith » et le « Cahier Necker », « Constitution hypothétique », « Discussion sur la Constitution, L’an III » et « Forces simples » (sur le premier volume, Des Manuscrits de Sieyès 1773-1799, voir la recension de Raymonde Monnier, dans les AHRF n° 324). Comme pour le premier volume avec lequel de nombreux liens sont établis, le lecteur trouvera des transcriptions minutieuses et un appareil critique développé qui, par exemple, propose en note les citations complètes des auteurs auxquels Sieyès se réfère.

2 De ce législateur clé, Christine Fauré rappelle, dans l’introduction générale, le déplacement des interprétations, comme la distance prise avec Carré de Malberg qui soustrayait Sieyès à l’influence du droit naturel et n’avait pas saisi le caractère novateur de la jurie constitutionnaire, devenue un classique dans l’histoire du contrôle de constitution-nalité. La découverte de l’œuvre manuscrite tend en effet à sortir Sieyès de la périphérie de l’histoire des idées, confiné à Qu’est-ce que le Tiers État, pour le saisir dans sa complexité, à travers des figures successives que repère Jacques Guilhaumou : le spectateur philosophe des années 1770, l’écrivain patriote de la fin des années 1780 auquel succèdent le philosophe législateur puis le métaphysicien.

3 Sieyès n’a jamais voulu publier ses manuscrits, en partie expurgés comme le laisse supposer la rareté des pièces de 1793. Ce sont donc les coulisses d’une pensée qui sont mises à disposition du chercheur et permettent de saisir une réflexion en construction, constellée de néologismes, spatialisée par des tableaux, des listes, des schémas qui sont

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 187

restitués. Un tiers du volume est ainsi consacré aux bibliographies de Sieyès (Manuscrit A et Manuscrit B) établies, présentées et annotées par Françoise Weil. Cette bibliothèque idéale qu’il constitue à 22 ans souligne ses curiosités, ses influences, l’itinéraire de sa pensée. Christine Fauré note que pour Sieyès, il n’y a ni supériorité, ni antagonisme des Anciens sur les Modernes, mais une continuité qui se manifeste en particulier dans ses choix d’ouvrages scientifiques et s’exprime par sa volonté de créer une langue nouvelle (voir son goût du néologisme à partir du latin). L’universalité des talents quels que soient les lieux et les époques est la ligne directrice de ses bibliographies. On note par exemple une quantité hors norme (même pour cette époque anglophile) d’ouvrages d’auteurs anglais, écossais ou irlandais, vraisemblablement tirés de la bibliothèque de Jean-Baptiste Suard dans laquelle il a séjourné. Cependant, les commentaires sur ces ouvrages ne résultent pas d’une connaissance directe puisque Christine Fauré conclut de l’étude de ces bibliographies que Sieyès ne sait pas l’anglais. Cet admirateur des réseaux jésuites et oratoriens n’a par ailleurs, à l’exception de d’Alembert, que peu de considération pour les Encyclopédistes.

4 La troisième partie regroupe les manuscrits de Sieyès sur La Richesse des nations d’Adam Smith et sur l’Administration des finances de la France de Necker. Ce sont des notes de lecture dans lesquelles Sieyès s’attache seulement aux questions qui touchent à ses préoccupations personnelles. Chez Smith, qu’il lit dans la traduction de l’abbé Blavet, Sieyès trouve le concept de « division du travail » qui est une des notions fondamentales de sa théorie politique. Selon lui, elle « appartient aux travaux politiques comme à tous les genres du travail productif » et elle est « à l’avantage commun de tous les membres de la société ». Le travail politique saisi comme travail productif illustre bien un des procédés que Sieyès utilise fréquemment (son « secret de fabrication » selon Christine Fauré) : le transfert d’une notion d’un champ du savoir à un autre qui en accroît la capacité conceptuelle.

5 Comme Necker lorsqu’il fait la critique de la gestion Turgot, Sieyès n’est pas favorable à une liberté indéfinie du commerce des grains. Les liens qu’ils établissent entre production et population (« les productions populeuses » écrit Sieyès) et le scepticisme quant à la générosité attendue des propriétaires sont d’autres points communs. L’œuvre de Necker sert de source au Sieyès « ecclésiastique administrateur », souvent négligé, mais qui est mis en avant dans l’introduction du volume. C’est en effet en tant que conseiller commissaire, nommé par le diocèse de Chartres, à la Chambre supérieure du clergé de France, qu’il discute ou conteste les chiffres donnés par Necker et se fait le défenseur des intérêts du clergé face à la pression accrue des finances royales. Sa défense de la dîme, dans son intervention du 10 août 1789, s’inscrit ainsi dans la continuité des manuscrits.

6 Si l’abbé Sieyès ne partage pas les conceptions des physiocrates sur l’agriculture ou le statut du propriétaire, il puise en revanche dans leur vocabulaire pour élaborer sa pensée politique. La quatrième partie du volume, « Constitution hypothétique », manuscrit rédigé dans les années 1780, s’ouvre ainsi sur le concept d’ordre social qu’il a vraisemblablement emprunté à Le Mercier de la Rivière (L’ordre naturel et essentiel des sociétés, 1767). Comme les physiocrates, Sieyès définit un ordre social constitué par l’économie politique (« l’ordre fruifère ») et incluant le maintien de l’ordre public : « Le peuple est donc occupé de la production économique et son gouvernement du régime tutélaire ».

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 188

7 Les relations que Sieyès entretient avec l’œuvre des physiocrates sont complexes, faites d’emprunts et de traductions, mais aussi de critiques, comme celle de la philosophie de l’évidence de Quesnay (voir la présentation du Grand cahier métaphysique par Jacques Guilhaumou, dans le premier volume). On notera que les Doutes proposés aux philosophes économistes de Mably, critique de L’ordre naturel et essentiel des sociétés de Le Mercier de la Rivière fait partie de la bibliographie de Sieyès (Manuscrit A).

8 Le Sieyès des Manuscrits nous éloigne de celui de Paul Bastid exclusivement ancré dans le territoire national et méconnaissant les techniques politiques des autres nations européennes. Ainsi l’élection des magistrats par tirage au sort, influencé par le modèle vénitien censé incarner l’idéal de la Constitution mixte selon Polybe, est symptomatique de son empirisme dans la recherche du meilleur gouvernement et de ses curiosités : il puise dans les modèles européens éprouvés.

9 Le Sieyès constitutionnaliste est encore au centre de la cinquième partie. Le manuscrit consacré à sa réflexion sur la Constitution en l’an III permet de saisir son accord avec l’esprit du projet de la commission des Onze présenté par Boissy d’Anglas (à propos du contrôle de l’enthousiasme du législateur par exemple), mais aussi le décalage quant aux solutions proposées. En 1789, il contribue à formuler la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et simultanément incarne l’effort et l’inventivité pour échapper à ses conséquences, la « laborieuse subtilité » (Robespierre) de la distinction entre citoyens actifs et passifs étant emblématique. En 1795, alors que son point de vue triomphe apparemment, sa proposition de « jurie constitutionnaire » visant à dompter le jusnaturalisme ne trouve pourtant aucun écho. L’objectif de l’Assemblée qui l’écoute, perplexe, ne consiste plus en effet à s’accommoder des droits naturels, mais à les éradiquer : que la philosophie reste dans les livres et ne se mêle plus des institutions. Or, chez Sieyès, les réflexions métaphysiques, linguistiques, et les propositions constitutionnelles sont associées.

10 La question du « devoir-être de l’ordre social avec l’individu empirique en son centre » est ainsi au cœur Des forces simples, sixième et dernière partie du volume, qui clôt l’analyse engagée dans le Grand cahier métaphysique (premier volume). Si Sieyès affirme la continuité de l’ordre naturel et de l’ordre social, il ne s’agit pas de déduire les faits dans l’ordre de l’évidence, sur le mode économiste des physiocrates, mais de considérer l’autonomie individuelle dans la réciprocité humaine. Des forces simples, probablement de 1816 selon Jacques Guilhaumou qui présente le manuscrit, est en particulier une critique des Idéologues. Contre les Idéologues qui la rejettent, Sieyès se réclame en effet de la métaphysique, mais d’une métaphysique restreinte à l’expérience humaine, tournée vers les sciences objectives dont l’objet, écrit-il, « consiste à découvrir le vide de tous les systèmes métaphysiques » et donc de « faire la guerre aux mots » des philosophes, souvent vides de sens. Dans le nominalisme sieyésien, le « monde lingual » est étroitement associé au cerveau. L’étude de la dimension philosophique du corpus sieyèsien relève donc, selon Jacques Guilhaumou, d’une « philosophie de l’esprit à forte orientation cognitiviste », nourrie, en ce qui concerne les derniers manuscrits, de l’étude attentive des travaux des physiologistes. Suivra donc, dans un volume à venir, l’édition des manuscrits dans lesquels Sieyès commente ces travaux scientifiques, une curiosité de toujours puisque les manuscrits (« A et B ») de la bibliographie font déjà une place conséquente à la médecine, l’hygiène, l’anatomie, la physiologie et aux sciences expérimentales.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 189

Comptes rendus

Varia

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 190

Annie Chassagne, La bibliothèque de l’Académie royale des sciences au XVIIIe siècle

Isabelle Laboulais

RÉFÉRENCE

Annie Chassagne, La bibliothèque de l’Académie royale des sciences au XVIIIesiècle, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, 2007, 305 p., ISBN 978-2-7355-0637-8, 32 €

1 L’ouvrage d’Annie Chassagne dépasse le cadre monographique que son titre semble suggérer et sa perspective déborde celle de l’histoire des bibliothèques. C’est en effet une histoire des usages et des circulations du livre qui est proposée ici, une histoire qui, dans une large mesure, s’attache à la matérialité des volumes et qui, pour cela, croise les résultats d’un examen attentif des livres et d’un dépouillement exhaustif des archives de cette bibliothèque. Car, contre toute attente, l’objet retenu pour cette étude est difficile à saisir et nécessite de combiner les sources et de diversifier les méthodes d’enquête. En effet, en tant que telle, la bibliothèque de l’Académie royale des sciences n’existe plus. En pluviôse an V (janvier 1797), cette collection de livres s’est vue intégrée à celle de l’Institut et ses volumes ont été mêlés à ceux de la bibliothèque créée pour cette nouvelle institution. Pour reconstituer le contenu de la bibliothèque de la ci- devant Académie des sciences, Annie Chassagne a donc dû comparer les inventaires dressés au XVIIIe siècle et les ouvrages aujourd’hui conservés à la Bibliothèque de l’Institut. Au terme de cette méticuleuse enquête, elle est ainsi parvenue à retrouver 1128 titres qu’elle a inventoriés dans une base de données, point de départ de l’étude qu’elle présente.

2 Annie Chassagne expose les résultats de sa recherche en trois temps : elle évoque tout d’abord l’histoire de la bibliothèque de l’Académie royale des sciences et de ses collections, elle s’arrête ensuite à un trait saillant des volumes – le rôle tenu par l’image

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 191

dans les livres de sciences –, enfin, resserrant plus encore le cadre de son observation, elle présente de manière détaillée, dans un chapitre baptisé à juste titre « Miscellanées », quarante-sept exemplaires représentatifs de cette collection. Bien que l’articulation entre

3 ces trois parties ne s’impose pas, il reste qu’en variant ainsi l’échelle de son analyse, Annie Chassagne parvient à reconstituer l’histoire de cette collection, qu’elle nous révèle comment elle a été constituée, de quoi elle était composée et comment elle était utilisée.

4 À première vue, le petit nombre d’ouvrages composant cette bibliothèque peut surprendre pour une institution aussi essentielle à la République des sciences. Néanmoins, Annie Chassagne rappelle qu’il n’existait pas à l’Académie des sciences de locaux adaptés à la conservation des collections de livres et que les académiciens travaillaient ailleurs. Elle cite également des commentaires d’académiciens qui critiquent cette bibliothèque et condamnent le peu d’usage voire la méconnaissance des ouvrages qu’elle recèle. Plus qu’une collection de travail, la bibliothèque de l’Académie royale des sciences apparaît donc comme une collection qui témoigne du rayonnement de cette institution dans l’Europe des Lumières. Dépourvue de toute politique d’acquisition, elle bénéficia de la dynamique des échanges entretenus avec ses homologues. Toutefois, plus que les échanges institutionnels, ce sont les échanges personnels qui l’emportent. De plus, la majeure partie des ouvrages entrés dans cette collection vient des envois effectués à titre individuels par les savants qui cherchent à se faire connaître et aspirent à voir leur travail reconnu et légitimé par les académiciens. Cette indication fait regretter qu’il ne soit pas possible – à ce jour du moins – d’accéder, via un site Internet, à la base de données établie par Annie Chassagne. L’interroger par les noms d’auteur (602 auteurs différents sont apparemment référencés) aurait en effet pu compléter les éléments que celle-ci nous livre dans son étude car, dans ses « Miscellanées », elle tend à s’arrêter davantage sur les ouvrages prestigieux, sur des volumes publiés par des auteurs éminents et bien sûr sur les publications de l’Académie elle-même. Or il aurait été intéressant d’avoir un aperçu des ouvrages de ceux que Jean-Luc Chappey a, dans un autre contexte, désigné comme les « seconds couteaux ». Le traitement informatique d’une collection de livres et les pistes offertes par la bibliographie matérielle suscitent d’autres attentes chez le lecteur que les analyses parfois convenues que propose l’auteur. De manière générale, on peut regretter qu’Annie Chassagne ne s’arrête pas plus longtemps sur l’étude de cette bibliothèque et sur les indices de consultation (ou de non consultation), voire de lecture que les volumes qu’elle a eu la chance d’avoir en main peuvent offrir. Si les images jouent un rôle capital dans les ouvrages de la bibliothèque de l’Académie des sciences, on peut se demander dans quelle mesure ce thème – certes passionnant et légitime – devait être développé aussi longuement dans un ouvrage consacré à la bibliothèque de l’Académie des sciences. Cette question dépasse le rapport entretenu par les membres de cette institution avec les imprimés.

5 Malgré ces quelques réserves, l’ouvrage d’Annie Chassagne révèle la grande familiarité de l’auteur avec les volumes de cette bibliothèque, familiarité accrue par son excellente connaissance des archives de l’Académie et des institutions savantes parisiennes. La manière dont elle met au jour cette bibliothèque paradoxale (disparue en tant que telle, mais intégrée dans un autre ensemble bibliothéconomique) vient rappeler les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 192

spécificités du moment révolutionnaire dans les dispositifs de constitution des collections, qu’il s’agisse des collections de livres, d’objets, ou d’instruments.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 193

Ursula Haskins Gonthier et Alain Sandrier (dir.), Multilinguisme et multiculturalité dans l’Europe des Lumières. Multilingualism and Multiculturalism in Enlightenment Europe

Raymonde Monnier

RÉFÉRENCE

Ursula Haskins Gonthier et Alain Sandrier (dir.), Multilinguisme et multiculturalité dans l’Europe des Lumières. Multilingualism and Multiculturalism in Enlightenment Europe, Paris, Honoré Champion, 2007, 285 p., ISBN 978-2-7453-1565-6, 55 €

1 Ce livre réunit une douzaine de contributions, présentées en français et en anglais au séminaire organisé au château de Beuggen, près de Bâle, par les sociétés suisse et allemande d’Études du dix-huitième siècle, dont le thème était proposé par Hans- Jürgen Lüsebrink et Andres Kristol. Le concept de multiculturalité utilisé par les sociologues et les politologues est un concept contemporain relativement récent, venu du contexte social nord-américain ; en quoi peut-il être justifié de l’utiliser pour la recherche sur le XVIIIe siècle ? C’est le problème que présente Lüsebrink en première partie : le concept peut s’appliquer aux sociétés selon différents modes, celui de la diversité des cultures, ceux de l’assimilation ou de l’intégration des minorités, ou celui de l’apartheid dans certaines sociétés coloniales. Le terme est lié à ceux d’interculturalité et au concept plus large de transculturalité, qui désignent des formes de contact et d’interaction créative entre différents groupes, qu’il s’agisse de processus de métissages ou de transferts culturels, selon une théorie présente notamment dans

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 194

les travaux allemands depuis les années 1980, et qu’illustrent plusieurs articles du présent volume. Les phénomènes analysés montrent une grande différence de perspective avec le multiculturalisme des sociétés contemporaines. Le concept de nation n’ayant pas au XVIIIe siècle le poids qu’il prend par la suite, les critères culturels sociaux ou religieux semblent les plus pertinents : d’un côté, le clivage entre culture protestante et catholique, ou entre culture chrétienne et juive, qui ont modelé les systèmes culturels et symboliques, et de l’autre les pratiques socioculturelles qui dominent l’univers des couches populaires ou celui des élites et des cours princières. Le concept de plurilinguisme dans l’Europe des Lumières fait l’objet d’une présentation neuve d’Andres Kristol, à travers une approche sociolinguistique qui s’appuie sur une lecture et une observation fine de documents historiques connus - dont l’enquête sur les « patois » de Grégoire en 1794 - sur l’espace « francophone » (France et Suisse romande). L’étude linguistique met en relief le fait que si en France même tout le monde ne parlait pas la forme de langue appelée française à une époque où « l’Europe parlait français », dans toutes les provinces de France la communication s’établissait sur un double bilinguisme passif où chacun des locuteurs connaissait la langue de l’autre sans l’utiliser : une situation linguistique complexe où cohabitaient le français et les formes littéraires et orales de la langue vernaculaire. La francisation, jusque dans la première moitié du XIXe siècle, n’a pas encore fait disparaître chez les différents auteurs la deuxième langue dont l’usage reste surtout oral. L’auteur peut ainsi conclure qu’ » être bilingue, voire multilingue - et avoir appris le français à l’école - était le lot commun de l’énorme majorité des Européens “francophones” de l’époque, en France comme à l’étranger » (p. 47). La diversité au niveau linguistique et culturel est présentée en deux grandes séquences, traitant respectivement de l’évolution au sein des territoires (2e partie) et des principaux vecteurs et médiateurs des mutations sociales (3e et 4 e parties), avec une attention particulière à l’histoire du livre, à l’imprimé et aux problèmes de la traduction. Plusieurs chercheurs peuvent ainsi présenter leurs travaux personnels ou des projets collectifs.

2 Du côté de la recherche historique, Johannes Frimmel présente le projet autrichien sur le marché du livre dans la monarchie des Habsbourg, espace multiethnique exemplaire marqué par la multiculturalité dont il s’agit de comprendre l’évolution complexe face aux tendances contradictoires de l’unification et de la résistance des identités. Le métissage culturel des minorités et la diversité linguistique, qu’ils soient le fait de la politique religieuse des États ou du jeu des frontières, comme en Pologne

3 (Ulrich Müller), posent évidemment des problèmes spécifiques. Et comment saisir le rapport entre dynamique culturelle cosmopolite des élites et identité politique nationale des individus ? C’est ce que tente Carlotta Wolf pour la Suède, à travers l’étude de quelques personnages haut placés, ayant un vaste réseau de relations et de correspondances à l’étranger dans les cercles intellectuels et mondains. Le français, réputé universel, subit aussi des effets d’acculturation. La situation linguistique de diglosie décrite par Andres Kristol peut être observée à Berlin dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle par Manuela Böhm à partir d’exemples précis. Dans la « colonie française » des réfugiés huguenots, un lent processus d’assimilation aboutit à une situation multilinguistique complexe où « le français a la fonction d’une langue de culte et de culture, et l’allemand, voire le Berlinisch, celle de langue courante » (p. 63). En une centaine d’années, le français de lingua franca et lingua sacra, « s’est réduite au culte et à la distinction sociale ». D’autre part, quels furent les principaux vecteurs de la diffusion

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 195

et de l’apprentissage du français dans la haute société russe ? L’article de Vladislav Rzeutskij reconstitue les grandes étapes de la pénétration de la langue et de la culture française à différents niveaux de la noblesse, dans une étude très documentée sur les pratiques sociales, l’enseignement dans les pensionnats et les grandes maisons, les réseaux francophones, le théâtre, grâce aux différents médiateurs - précepteurs, journalistes et artistes - et à certains grands promoteurs des Lumières comme Ivan Ivanovic Suvalov. Les traductions jouent évidemment un rôle non négligeable, mais elles répondent à des objectifs divers. En Allemagne, l’analyse de deux catalogues commentés de riches bibliothèques privées (à la cour de Weimar et en Bavière) montre que la traduction de romans français en italien par exemple, pouvait servir à l’apprentissage de la langue (Nathalie Ferrand). Quant au catalogue raisonné, il pouvait selon le cas participer de la sociabilité de cour ou du laboratoire de l’érudit. Dans les livrets d’opéra, étudiés par Gunilla Eschenbach à Hambourg, le mélange des langues a une fonction de critique sociale : l’usage satirique de l’italien et du français dénote une attitude antiaristocratique que partagent les publics, contre la galanterie et la politesse, au profit des valeurs des classes urbaines. On peut se demander pourquoi, alors que la Hollande est au siècle des Lumières « la librairie du monde », on constate dans les traductions du français une quasi absence de livres philosophiques, et une tendance conservatrice assez nette dans le choix des textes théologiques et les nombreuses pièces traduites pour le théâtre d’Amsterdam ? Sans doute, comme l’avance Edwin van Meerkerk, le marché des traductions n’était-il pas concerné par les textes philosophiques que le public hollandais pouvait se procurer sur place et qu’il lisait en français. On sait la renommée de la presse périodique anglaise dès le début du siècle. La traduction relativement tardive (1783) en hongrois d’articles choisis du Spectator d’Addison et Steele par un pasteur réformé, dont Péter Balazs prépare l’édition critique, répond cependant moins au désir d’introduire le lecteur hongrois à une pratique dialogique de journalisme qu’au souci de donner à lire sous une forme agréable un manuel édifiant de morale laïque. Le Spectator et la presse anglaise avaient- ils déjà inspiré Montesquieu ? Ursula Haskins Gonthier montre en quoi le texte des Lettres persanes, dont la rhétorique est imitée outre-Manche autour de 1730 dans la presse politique participe de la communication interculturelle. Enfin, deux figures emblématiques de ce métissage culturel et linguistique sont évoquées dans la dernière partie du livre. Celle du prince Démètre Cantemir (Cristina Bîrsan), qui sut mettre à profit les aléas de sa vie politique, entre son pays natal, la Moldavie, Istanbul et la cour de Pierre le Grand, pour construire une carrière de savant particulièrement originale : à cheval entre les cultures musulmane et chrétienne, entre le monde grec, l’Orient et l’Occident, il innove en divers domaines, laissant une œuvre écrite en plusieurs langues, dont une Description de la Moldavie et une Histoire de l’Empire ottoman dont les traductions furent durablement appréciées en Europe. La contribution d’Alain Sandrier, consacrée au baron d’Holbach, analyse le double jeu du philosophe qui a une parfaite maîtrise des langues qu’il traduit en français. S’il insiste dans ses traductions scientifiques très officielles de l’allemand sur son souci d’être utile et de servir l’État, pour les œuvres traduites de l’anglais, il en va tout autrement. L’exemple de L’Esprit du clergé, traduction de The Independent Whig de Gordon et Trenchard est révélateur de la manière dont il réoriente les arguments pour déplacer la thèse anti-athée des auteurs vers un horizon athée dédramatisé. On voit toute la richesse de ce séminaire consacré à la diversité culturelle et linguistique des Lumières, qui était lui-même traversé par la

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 196

multiculturalité en rassemblant des chercheurs de plusieurs disciplines venant de dix pays d’Europe.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 197

Raphaël Rabusseau, Les neiges labiles. Une histoire culturelle des avalanches, avec Description d’une avalanche remarquable (1795) par Horace- Bénédict de Saussure, et La fabrication du savoir sur les Alpes : bibliothèque et laboratoire de la naturepar Pascal Delvaux

René Favier

RÉFÉRENCE

Raphaël Rabusseau, Les neiges labiles. Une histoire culturelle des avalanches, avec Description d’une avalanche remarquable (1795) par Horace-Bénédict de Saussure, et La fabrication du savoir sur les Alpes : bibliothèque et laboratoire de la nature par Pascal Delvaux, Genève, Presses d’histoire suisse, 2007, 214 p., ISBN 978-2-9700461-4-1, 43 €

1 Trois textes sont réunis dans cet ouvrage pour nous proposer une histoire culturelle de l’avalanche : le récit attribué à Horace-Bénédict de Saussure sur l’avalanche de Staeg dans le canton d’Uri le 18 mars 1795, encadré de l’analyse de Raphaël Rabusseau et d’une conclusion en forme de synthèse de Pascal Delvaux consacrée à la construction du savoir érudit sur les avalanches à l’époque moderne.

2 Le projet est d’emblée bien explicité. Il ne s’agissait pas pour les auteurs d’étudier les « réalités physiques, sociales ou anthropologiques auxquelles appartiennent les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 198

avalanches », mais bien délibérément de s’intéresser « aux interprétations de citadins, de naturalistes et de voyageurs ». « Nous n’affectons pas de croire qu’ils restituent la vérité du monde qu’ils prétendent représenter ».

3 L’analyse de Raphaël Rabusseau prend appui sur un corpus littéraire du XVIIIe siècle, germanophone d’un côté, anglais et romand de l’autre. Si l’avalanche n’apparaît que de manière diffuse dans cette littérature de voyage, l’auteur a néanmoins pu rassembler un matériel assez conséquent pour en faire un objet d’analyse. Celle-ci s’organise autour de deux entrées. La première, consacrée à l’imaginaire de l’avalanche, conduit à examiner les figures emblématiques qui lui sont attribuées, son lien avec le sublime et les fantasmes nés de la peur de l’ensevelissement. La seconde partie de l’étude s’intéresse aux cultures et pratiques des populations montagnardes face aux avalanches : conditions extrêmes du milieu naturel, pratiques de survie des populations, capacités à interpréter l’environnement et à en intégrer les enseignements : « Les montagnards ont toujours manifesté une étonnante capacité d’intégration des risques liés aux avalanches pour défendre leurs biens et leur vie ». Si on peut discuter l’adjectif « étonnant » qui ne serait peut-être pas utilisé pour d’autres populations, on ne peut que souscrire aux conclusions des analyses, confirmées par les pratiques des archives, délibérément peu exploitées dans cette étude.

4 Complétant cette analyse, la contribution de P. Delvaux inscrit cette étude dans un contexte chronologique plus long. L’auteur étudie les mutations du discours des auteurs depuis la Renaissance, et comment s’est peu à peu fabriqué un savoir sur les avalanches qui associe la pratique des livres et les observations de terrain. De Josias Simler dans sa Vallesiae descriptio de 1574 à Jacob Scheutzer, en passant par le Cosmographie universelle de Sébastien Musnter, et jusqu’au milieu du XVIIIe, les récits ne s’affranchirent guère d’un modèle de représentation, nourri de lectures constamment reproduites, où la « pelote ou boule de neige » servit d’explication, définitions régulièrement reprises dans les différents dictionnaires. Si à la fin du XVIIIe siècle la relation de l’avalanche de Staeg attribuée à Saussure prend sens au milieu d’un discours saturé de références extraites de lectures partagées (avec la copie des morceaux de textes d’autres auteurs), elle se nourrit aussi d’observations plus directes. Comme dans la Description sur l’histoire naturelle de la Suisse d’Alexandre Besson publiée quelques années auparavant, et souvent reprise par la suite (ainsi dans l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke), des termes nouveaux traduisent une observation plus fine des phénomènes : la « coulée » remplace la « pelote » ; pour expliquer l’événement, les auteurs font intervenir la vitesse, la température, le vent, emploient un vocabulaire emprunté à la physique (force, plan incliné).

5 La richesse et la nouveauté du travail sont évidentes. On se doit de rendre grâce aux auteurs d’avoir pour la première fois fait de l’avalanche un objet d’analyse historique à part entière. On ne saurait leur reprocher le choix qui a été le leur de fonder délibérément leurs études sur les textes imprimés (certains très récemment, telle la relation du Saussure publiée pour la première fois en anglais en… 1990), et de n’avoir consulté des sources d’archives que « pour mettre en perspective les représentations repérées dans le premier ensemble ». Dispersée sans doute, cette documentation utilisée de manière plus systématique permettrait probablement de relativiser l’affirmation selon laquelle il a fallu attendre les ingénieurs des Ponts-et-Chaussées pour que les forces de la montagne soient scrutées d’une manière plus rigoureuse. En 1785, les habitants du village d’Arvieux étaient parfaitement à même d’analyser le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 199

mécanisme climatique déclencheur de l’avalanche qui avait détruit un de leurs hameaux : « La grande quantité de neige survenue depuis le 2e du courant jusques au 6e février, suivi d’un temps redoux pendant la journée du 7e, a occasionné une coulée de neige si considérable survenue le 7e à sept heures du soir qu’elle a entraîné dans sa course tout ledit village du Serre dont il ne reste aucun vestige ».

6 On regrettera tout de même que n’aient pas été intégrés au corpus les nombreux récits publiés en Suisse dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par l’Almanach du Messager boiteux, dont certains semble-t-il directement issus d’une correspondance locale. L’analyse de ces récits auraient notamment permis de conforter les observations sur la capacité des populations montagnardes à comprendre leur environnement et à adapter leur mode de vie face aux menaces des avalanches : défense passive sans doute le plus souvent, mais aussi active par des habitudes de déplacement des populations. « On s’étonne de ce que les gens d’Ormont peuvent habiter en paix au milieu de tous ces dangers ; mais il faudroit aussi s’étonner de ce que le matelot peut dormir sans alarme sur son vaisseau » concluait ainsi l’auteur de la relation de l’avalanche d’Ormont-Dessus du 12 février 1793.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 200

Patrick Clarke de Dromantin, Les réfugiés jacobites dans la France du XVIIIe siècle. L’exode de toute une noblesse pour cause de religion

Éric Saunier

RÉFÉRENCE

Patrick Clarke de Dromantin, Les réfugiés jacobites dans la France du XVIIIesiècle. L’exode de toute une noblesse pour cause de religion, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2005, 525 p., ISBN 2-86781-362-X, 55 €

1 L’intérêt de cette étude réside, comme le souligne son auteur au début de l’ouvrage, dans le vide historiographique surprenant qui entoure l’histoire de la migration jacobite.

2 Bien qu’elle fut un « cas unique dans l’histoire de l’Europe moderne de toute une aristocratie qui, à la suite de son souverain, s’établit durablement à l’étranger » (G. Chaussinand-Nogaret), bien qu’elle eut également pour effet d’influencer les royaumes d’Angleterre et de France tout au long du XVIIIe siècle, l’histoire des Jacobites est en effet restée, à la différence de celle de la migration huguenote dont elle fut contemporaine, largement méconnue. Partant du constat de cette carence historiographique, Patrick Clarke de Dromantin, qui ne masque pas son empathie envers la population qui est l’objet de sa recherche, s’est voulu avant tout le réparateur d’un oubli qui est d’autant plus dommageable qu’il concerne une diaspora ayant parfaitement réussi son intégration dans le royaume de France.

3 C’est une histoire heureuse en trois temps, à partir des apports liés à un dépouillement exhaustif des dépôts d’archives de la façade atlantique où échoua la sanior pars du milieu jacobite dont on ne peut que saluer l’ampleur, qui est proposée. Après avoir

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 201

défini les conditions politiques du départ d’Angleterre et de son accueil en France puis les questions juridiques qui entourèrent la reconnaissance de la qualité antérieure d’une population à forte représentation nobiliaire, deux séries de portraits collectifs mettent successivement en scène le destin des élites nobiliaire, cléricale et du monde des offices, puis le rôle majeur de ceux, nombreux, qui s’engagèrent dans le mouvement de modernisation économique du royaume de France au siècle des Lumières.

4 Parce qu’elle fait alterner de manière équilibrée trajectoires individuelles et destinées collectives, la démonstration fournit à l’historien des matériaux nombreux et inédits sur les formes de l’assimilation et les apports de la diaspora jacobite à la société française. Ceux inhérents à la noblesse étaient les plus connus. Toutefois, en dépassant la présentation du désir de revendiquer son assimilation à la noblesse immémoriale, l’auteur, grâce à une approche sociodémographique rigoureuse, de la propension à l’acquisition de biens fonciers dès la fin du XVIIe siècle témoignant d’une volonté de s’implanter durablement en France aux stratégies matrimoniales montrant la baisse significative des alliances entre jacobites au profit d’alliances avec la noblesse d’offices, révèle une facette essentielle de cette intégration dont la qualité est confirmée par l’engagement de la noblesse jacobite dans l’armée où elle joua un rôle décisif lors de la bataille de Fontenoy en mai 1745 puis à l’occasion de la guerre d’indépendance en Amérique. L’étude des administrateurs coloniaux aux Indes, où les jacobites Lally- Tolendal et Thomas Conway s’imposèrent comme des personnalités remarquables, et du milieu clérical ont valeur de confirmation, cette dernière permettant de souligner, notamment à travers la présentation des carrières des évêques Dillon et Fitzjames, que l’assimilation s’accompagne volontiers de la diversité des options.

5 L’apport principal de l’ouvrage, du point de vue de l’objectif fixé par l’auteur, réside cependant dans les chapitres qu’il consacre à l’attitude des élites économiques. Leur apport dans le mouvement de proto-industrialisation qui toucha le royaume de France au XVIIIe siècle, via un savoir-faire acquis outre-Manche, fut particulièrement remarquable. Au-delà de l’action connue de John Holker, véritable patron du complexe militaro-industriel français en Amérique et célèbre auteur du Mémoire tendant à multiplier et perfectionner les fabriques en France présenté à Trudaine en 1754 qui en fit « le maître d’œuvre de l’introduction du machinisme en France » (Philippe Minard), l’auteur montre de manière convaincante que l’apport des Jacobites dans l’industrie textile n’est que la face la mieux connue d’une contribution générale dont Pierre Hély et Mitchell à Bordeaux dans la verrerie, Garvey, Sturgeon et Mac Nemara à Rouen dans le développement de la faïence ou la famille Hennessy dans la production de vin à Bordeaux sont les figures principales. Dans ce contexte, Patrick Clarke de Dromantin fait également émerger, à partir des exemples de la Bretagne, de la Bourgogne et de la Provence, le rôle décisif que jouèrent les Jacobites dans la conversion de la noblesse au libéralisme.

6 Si l’efficacité de la démonstration concernant « l’assimilation réussie » de la diaspora jacobite est peu niable, on pourra regretter que celle-ci ait été l’angle exclusif choisi par l’auteur pour approcher la question de son intégration à la société française du siècle des Lumières. La prise en compte des liens économique et culturel avec le pays d’origine, celle des sensibilités qui peuvent apparaître à l’aune d’un regard sur les réseaux de sociabilité auraient permis à l’auteur de s’engager plus avant dans celle, non moins importante du point de vue de l’intégration des migrants, de l’acculturation. La première perspective est proprement ignorée et la seconde timidement suggérée dans

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 202

quelques pages que consacre l’auteur à la description des intérieurs des migrants. Ces remarques, imputables à l’aiguillon défini dès les premières pages par l’auteur, n’invalident cependant en rien tant l’intérêt que la qualité de la version abrégée de cette thèse de doctorat soutenue à l’université de Bordeaux en 2003. Outre qu’elle marque l’aboutissement d’un chantier investi par l’auteur depuis plus de quinze ans, elle fait assurément de Patrick Clarke de Dromantin l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire de cette diaspora que l’historiographie a trop longtemps négligée.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 203

Thierry Bressan, Serfs et mainmortables en France au XVIIIe siècle, la fin d’un archaïsme seigneurial

Guy Lemarchand

RÉFÉRENCE

Thierry Bressan, Serfs et mainmortables en France au XVIIIe siècle, la fin d’un archaïsme seigneurial, Paris, L’Harmattan, 2007, 386 p., ISBN 978-2-796-03835-6, 31.50 €

1 À la fin du XVIIIe siècle la mainmorte n’est pas en France un droit seigneurial devenu insignifiant, comme le remarque d’emblée l’auteur : elle concerne 500 000 à un million de sujets dans une vingtaine de pays, 57 coutumes territoriales dont 24 générales. Depuis la fin du XVe siècle il ne s’agit plus d’une attache du dépendant à la glèbe, mais on distingue encore la mainmorte « personnelle » ou « de corps », héréditaire et rompue par contrat d’affranchissement, qu’on trouve en Lorraine, Alsace, Berry ou Basse Bretagne, et la mainmorte « réelle » qui porte sur la tenure foncière, en Bourbonnais ou Auvergne. En Bourgogne et Franche-Comté où les serfs sont les plus nombreux, elle est souvent à la fois personnelle et réelle. Les seigneurs sont souvent ecclésiastiques, abbayes, chapitres, évêchés. Ces droits sont constitués d’abord par le « droit d’échute », possibilité pour le seigneur de prendre toute la succession de l’assujetti s’il n’a pas d’héritier vivant avec lui ou de descendants proches. Ainsi le propriétaire éminent peut-il encaisser des rentrées parfois de plusieurs milliers de livres et emporte-t-il un prestige notable dans cette société férue de distinctions, tandis que le serf est toujours considéré avec mépris. À cela s’ajoute un surcroît de charges par rapport aux devoirs des tenanciers francs, surcroît que T. Bressan ne précise d’ailleurs pas assez, quoique J. Millot (1937) et P. de Saint-Jacob (1960) aient déjà abordé la question autrefois.

2 Fortement documenté (enquête dans une quarantaine de dépôts d’archives départementales et municipales sans parler de l’étranger, et une centaine de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 204

commentaires juridiques et historiques d’époque consultés), construit clairement selon un plan chronologique, l’ouvrage retrace la montée de la réclamation d’affranchissement et d’abolition jusqu’à la Révolution. Les grandes vagues de libération datent du début du XIVe siècle jusqu’à la fin du XV e siècle. À partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, quelques communautés paysannes entrent en lice en se portant en justice afin de réglementer les corvées et tailles arbitraires imposées par les seigneurs et c’est au milieu du XVIIIe siècle que les cercles gouvernementaux commencent à s’intéresser à la question de la mainmorte, quoique le Parlement de Paris ait proclamé dès 1571 le droit pour le monarque d’affranchir malgré l’opposition du seigneur. Le chancelier d’Aguesseau lance une enquête sur le sujet auprès des parlements en 1738, tandis que fleurit une littérature juridique d’apologie de la mainmorte, dont l’ouvrage réputé du président Bouhier sur les coutumes de Bourgogne (1742-46) ou Les vrais principes des fiefs… de E. La Poix de Fréminville (1769) si utile aux historiens d’aujourd’hui.

3 C’est avec l’affaire Truchot (1760), dans laquelle le Parlement de Paris déboute le seigneur sur l’échute qu’il réclame à un ancien serf, que commence à apparaître un courant d’opinion hostile à la mainmorte, avec le Droit commun de la France (1747, 1770) de l’avocat Bourjon ou Mably et ses Observations sur l’histoire de France (1765). La physio- cratie avec Quesnay dès 1755, puis Mercier de La Rivière (1767), se prononce vigoureusement contre, la considérant comme attentatoire à la propriété. Voltaire prend le relais en 1772-1778 en intervenant dans le procès devant le Parlement de Besançon des serfs de l’abbaye de Saint-Claude en Franche-Comté contre leurs seigneurs, popularisant leur cause par ses écrits satiriques. La fameuse brochure de Boncerf, Les inconvénients des droits féodaux (1776) pousse plus loin en réclamant le rachat. Les procès en Bourgogne, Franche-Comté, Nivernais se multiplient. L’étranger est en avance sur la France : le duc de Savoie, roi du Piémont-Sardaigne, décide l’abolition contre rachat (1762, 1771), de même que le duc de Wurtemberg pour son comté de Montbéliard (1771) et, partiellement, le margrave de Bade-Durlach (1762, 1770). Puis Necker, devant les débats au Parlement de Paris sur ces affaires, abolit la mainmorte sur le Domaine contre une faible redevance (1779) et incite les seigneurs à suivre la même voie. Alors la jurisprudence devient moins défavorable aux habitants, ainsi que les nouveaux commentaires de coutume (G. Chabrol sur l’Auvergne 1784-1786) ou les ouvrages historiques généraux qui se font très critiques, comme S. Cliquot de Bervache (1789). Demeunier dans l’Encyclopédique méthodique (1789) demande enfin l’abolition générale par la loi.

4 C’est ce que réalise en trois étapes bien connues la Révolution. Sous la pression de la Grande Peur qui embrase entre autres les provinces de mainmorte, les décrets des 5-11 août 1789 et du 28 mars 1790 par lesquels la Constituante abolit la mainmorte personnelle, mais, suivant l’avis de Merlin de Douai et de Sieyès, déclare rachetable la réelle dans le cadre du compromis bourgeoisie-noblesse seigneuriale fondé sur le respect scrupuleux de toute propriété. Puis les lois du 18 juin 1792 et du 17 juillet 1793 qui font disparaître tout le casuel restant. L’exemple français fait école, dès juillet 1790 dans la petite principauté de Mandaure en Alsace, dans la principauté de Montbéliard en 1792, en Savoie en octobre 1792. À Genève, à Bâle, en Rhénanie, dans les Pays-Bas autrichiens après des atermoiements et refus en dépit de la pression éclairée de Joseph II, ce sont l’occupation et l’annexion à la France qui règlent la question.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 205

5 Dans les nombreuses précisions qu’apporte l’exposé méticuleux de T. Bressan deux traits frappent particulièrement. C’est en premier lieu la longue résistance effi cace qu’opposent les milieux attachés à la féodalité au vent réformateur animé par les factum d’avocats qui se multiplient et les livres d’étude juridique et de réflexion sociale, dont beaucoup d’inspiration libérale physiocratique. Les seigneurs, lors des réfections de terrier en faveur à partir de 1760-1770, saisissent l’occasion pour remettre au jour des droits anciens, y compris de mainmorte, et en exiger jusqu’en justice le règlement. Des juristes reprennent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime l’argumentation laudative du président Bouhier : la mainmorte est une protection pour le paysan et elle lui profite matériellement. Ainsi le célèbre dom Grappin et sa Dissertation sur les origines de la mainmorte (1779) ou Chabrol et son commentaire de la coutume d’Auvergne (1784-1786). Les Parlements de Metz, Nancy, Dijon et Besançon, voire Douai et Colmar, penchent également en faveur des seigneurs jusqu’aux années 1780, de même que les juridictions inférieures. Et combattre ce courant et ces tribunaux ne va pas sans risque malgré la réputation de douceur de vivre qu’a le siècle. Boncerf est menacé d’arrestation et son livre brûlé solennellement à Paris (1776). Les procès intentés par les villageois se terminent souvent pour eux par la condamnation aux dépens et même des amendes, tel le jugement qui termine en principe en 1777 l’affaire de Saint-Claude, en dépit de l’intervention de Voltaire, ou la sentence du Conseil des finances pour le comté de Bitche en Lorraine relevant pourtant du Domaine, qui, en 1782, maintient les droits anciens. Encore en 1787 le Conseil d’État casse un jugement cependant prononcé par le Parlement de Paris favorable à des villageois de Champagne.

6 Seconde remarque : l’absolutisme de la monarchie après 1770 paraît décidément bien peu absolu et Louis XVI, quoique J. Félix ait récemment (2006) vanté sa capacité de travail et son esprit de résolution, ne semble guère impulser le gouvernement ni contrôler la haute administration. L’édit d’abolition de 1779 n’a que peu de résultats. Il n’est presque pas appliqué sur le Domaine par les officiers royaux, le Parlement de Franche-Comté en bloque pour son ressort l’enregistrement pendant dix ans, les procès sur son interprétation sont nombreux et en suspendent la mise en œuvre et très peu de seigneurs suivent l’exemple du roi. Sur les seigneuries où il y eut de grandes batailles judiciaires menées par les serfs, Saint-Claude, Luxueil, rien ne change. Seul le droit de suite est réellement effacé. Malgré la centralisation, ni les membres du gouvernement et leurs conseillers proches, ni les intendants, ne contrôlent les juridictions provinciales, d’autant plus qu’ils sont eux-mêmes partagés et incertains. L’adhésion aux Lumières, fréquente chez eux, ne signifie pas nécessairement une volonté de progrès social, dès lors que leurs intérêts personnels sont en jeu. Bertier de Sauvigny, intendant de la généralité de Paris, avec ses longs démêlés judiciaires avec les dépendants de sa seigneurie de l’Isle sous Montreat en Bourgogne, constitue le type de ces personnages contradictoires. Faute d’une volonté du monarque qui dessinerait une ligne suivie, ils sont ballottés entre réforme moderniste suggérée par leur expérience et leurs lectures philosophiques et conservatisme et tradition de domination. Il en résulte des va-et- vient au gré des changements de ministres : après Turgot une reprise réactionnaire, après Necker, pourtant moins actif qu’il ne le prétendait, une impression de vide sur plusieurs années jusqu’à 1788. On voit ainsi combien le livre de T. Bressan ouvre des perspectives sur la crise révolutionnaire. Accompagné de la publication en annexe d’une quinzaine de sources et cartes, il fournit aussi un utile répertoire documentaire.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 206

Béatrice Baumier, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792)

Frédérique Pitou

RÉFÉRENCE

Béatrice Baumier, Tours entre Lumières et Révolution. Pouvoir municipal et métamorphoses d’une ville (1764-1792), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 548 p., ISBN 978-2-7535-0351-9, 24 €

1 Le sous-titre de l’ouvrage définit parfaitement son objet : il ne s’agit pas d’un travail sur Tours et si l’aspect de la ville au siècle des Lumières est bien étudié c’est toujours dans l’optique du rôle qu’a joué la municipalité dans ce que l’auteur qualifie de « métamorphose ». Issue d’une thèse préparée sous la direction de Claude Petitfrère et soutenue à l’université de Tours en 2004, la publication des PUR ne laisse que peu de place à la présentation des sources, dont on devine cependant l’essentiel à travers les notes de bas de page : il s’agit d’une série continue de registres de délibérations de la municipalité, source évidemment de premier choix pour un tel sujet et qui attendaient leur historien. La seconde caractéristique de l’ouvrage réside dans la chronologie choisie ; enjambant la traditionnelle frontière de 1789, il s’achève sur les premières années de la Révolution en partant des années 1760, de l’époque de la réforme L’Averdy, dont l’auteur estime qu’elle constitue les prémices de la révolution municipale de 1789-1790.

2 Le livre est organisé en trois parties ; la première, « les municipalités successives », est consacrée aux mutations de l’institution municipale tourangelle de 1764 à 1792 : la réforme de L’Averdy (1764-1771), le régime de l’édit de Terray (1771-1789), les premières années de la Révolution (1789-1791) ; la deuxième, « les moyens du pouvoir

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 207

municipal », s’intéresse à ce qu’est cette institution, indépendamment de ses avatars ; la troisième partie, « la gestion urbaine », s’attache à l’action du corps de ville.

3 La municipalité de Tours a été remaniée à plusieurs reprises, mais elle est toujours composée d’un corps restreint permanent dont le nombre varie peu (maire, lieutenant de maire, échevins ou officiers municipaux à partir de 1790, conseillers ou assesseurs, procureur du roi), soit une dizaine de personnes. L’auteur étudie les fonctions de chacun et ses prérogatives tout au long de la période considérée. Si l’assemblée générale des habitants a disparu depuis 1759 (elle est rétablie à l’été 1789 lors de la révolution municipale), un organe consultatif la représente, le corps de ville élargi, composé des députés des paroisses, ou des notables lors de la réforme L’Averdy puis du conseil général de 1790. La répartition socio-professionnelle des membres de l’échevinage montre que les marchands et entrepreneurs constituent la catégorie la mieux représentée alors que les officiers supérieurs voient leur part diminuer tout au long de la période (le corps de ville n’est plus composé des grands personnages du présidial ou du bureau des finances) ; les professions libérales et les artisans font leur entrée au cours de la période, en 1790 pour ces derniers, alors qu’ils ont pu participer aux opérations électorales sous le régime de la réforme L’Averdy.

4 Dans un chapitre intitulé « le corps de ville au quotidien » est présenté le cadre du travail de la municipalité et tout d’abord les hôtels de ville successifs. On apprend beaucoup sur le fonctionnement du corps de ville (malgré une tentative de préparation décentralisée du travail, tout reste concentré entre les mains du maire), sur le rythme des assemblées et sur l’assiduité aux séances (les édiles sont classés en « très consciencieux », « consciencieux » et « absentéistes »)… L’auteur insiste sur le fait qu’en cette seconde moitié du XVIIIe siècle l’engagement municipal correspond à la volonté de réaliser un travail efficace au service du bien commun. Cette nouvelle conception du pouvoir municipal, apparue lors de la réforme L’Averdy se confirme durant les premières années de la Révolution ; il ne s’agit plus d’une sinécure procurant du prestige, mais d’un travail dans lequel il est nécessaire de s’investir, même si les édiles tirent toujours de leurs fonctions la reconnaissance du public. La pénurie financière des échevinages est permanente ; les ressources de la ville sont constituées des revenus patrimoniaux et des octrois, notoirement insuffisants. Les édiles en prennent tardivement conscience en travaillant au bilan demandé en 1764 par L’Averdy. La gestion est singulière : lorsque la caisse municipale est vide, son receveur comble le retard en puisant dans ses propres fonds et dans les caisses parallèles qu’il gère également (celle du collège, et surtout celle de l’extraordinaire des guerres).

5 Une des caractéristiques du travail de Béatrice Baumier a également été de suivre l’évolution, au fil du temps, des trois manières pour la ville, de soutenir le régime : le relais de la propagande du pouvoir central, la participation à l’aide militaire puis fiscale. Sous l’Ancien Régime, il s’agit tout d’abord de la célébration du culte monarchique. La participation à l’aide militaire consiste en fourniture d’hommes pour la milice provinciale et en hébergement de soldats. La participation fi scale est modeste, l’essentiel étant réalisé par les services de l’intendance. La ville s’occupe de la répartition de la capitation pour laquelle elle demande le concours des communautés de métier. Entre 1790 et 1792, l’institution municipale joue un rôle essentiel dans la mise en place des nouvelles structures administratives, judiciaires, religieuses et fiscales ; les nouveaux administrateurs sont installés par l’ancien corps de ville, selon un rituel proche de l’ancien (son des cloches, procession dans les rues de la ville,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 208

serment et, nouveauté, des discours) et de nature à assurer la cohésion urbaine et à respecter le bien commun. La gestion de la question des biens d’Église en témoigne : à Tours, la Révolution ne fut pas synonyme de saccages répétés, les édiles prenant soin des biens nationaux : ils répertorient, inventorient les objets précieux des églises fermées, comme s’ils étaient soucieux d’assurer la pérennité de la mémoire collective.

6 L’action de ces édiles, c’est tout d’abord le souci du maintien de l’ordre et les préoccupations, nouvelles au XVIIIe siècle, de l’urbanisme et du soutien aux activités économiques et culturelles. Sous l’Ancien Régime, la ville a des pouvoirs de police limités depuis la création d’un lieutenant de police rattaché au siège présidial (1699), mais elle essaie cependant de surveiller les communautés de métier, en particulier celles qui ont un rôle dans l’approvisionnement en produits alimentaires. Les officiers de la période révolutionnaire récupèrent ce droit. Bien que favorable aux principes du libéralisme économique, la municipalité doit intervenir pour maintenir l’ordre, garantir la tranquillité des marchés et éviter les émotions populaires. Un chapitre, bien documenté, sur la milice bourgeoise, montre son organisation, son recrutement, ses missions, son habit… Placée sous l’autorité du Comité permanent en juillet 1789, elle devient garde citoyenne puis nationale… La politique municipale d’assistance évolue avec l’esprit des Lumières ; aux secours ponctuels (contre le froid, les inondations) se substituent une tentative d’organisation de secours et surtout un souci de prévention. À cette politique d’assistance se rattachent les secours organisés pour les victimes d’incendie (création d’une compagnie de pompiers) et de noyades (l’installation, comme à Paris, de « boîtes à noyés »).

7 Pendant les premières années de la Révolution, l’inquiétude est constante en matière de maintien de l’ordre. Des troubles d’un genre nouveau apparaissent : ceux liés aux affrontements entre partisans et adversaires de la Révolution. La politique religieuse de la Constituante amène un changement d’attitude des édiles : modérés au début, tolérants même avec les prêtres réfractaires, ils vont se montrer très sévères à leur égard en appliquant scrupuleusement les ordres officiels concernant les ennemis de la Révolution (dont le rassemblement et l’internement des prêtres réfractaires en vue de leur déportation).

8 Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Tours a connu de formidables bouleversements au moins dans trois domaines : l’urbanisme, la culture et la vie économique. Les travaux d’urbanisme, conséquence de la construction de la nouvelle route de Paris en Espagne, s’étalent sur plus de quarante ans et transforment la ville en profondeur. Ce sont les ingénieurs royaux qui modifièrent l’aspect de la ville ; eu égard à la faiblesse de ses moyens financiers, la municipalité n’eut qu’un rôle secondaire, mais cependant bien réel : au contact des ingénieurs et de l’intendant, les édiles découvrent cette idée neuve à l’époque moderne qu’est l’aménagement urbain et vont se lancer dans la modernisation de l’aspect de leur ville. Le démantèlement progressif de la muraille, qui s’accélère dans les années 1770-1780 en partie sous la pression des habitants désireux d’avoir une ville plus « commode », le perfectionnement de la voirie par le pavage et le nettoyage des rues, l’aménagement et la décoration des places et des rues anciennes, l’amélioration de l’alimentation en eau, l’illumination de la ville. Pour faire face à cette dernière dépense, la ville décide de lever une nouvelle taxe (rôle commencé en 1785) car, chose nouvelle, les édiles tentent désormais de financer leurs projets. D’autres chantiers, menés par les autorités ecclésiastiques, améliorent également les conditions de vie des citadins, comme le transfert des cimetières (1776).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 209

9 L’activité de la municipalité accompagne la prospérité économique des années 1780 en tentant de remédier à la médiocrité des infrastructures (pas de halles, peu de ports, pas de quais). L’activité marchande bénéficie de l’intérêt grandissant de la monarchie pour les questions économiques et du ralliement des intendants Lescalopier (1756-1766) puis du Cluzel (1766-1783) aux thèses libérales et physiocratiques. Ils réveillent de vieilles structures endormies, comme le corps des inspecteurs des manufactures et contribuent à la réalisation de nouveaux projets tel celui de la Société d’agriculture. Les édiles obtiennent le rétablissement de foires (en 1782, grâce à l’action du maire Étienne J. C. Benoît de la Grandière) et l’abolition de la douane d’Ingrandes à l’entrée de la Bretagne. Les édiles sont également sollicités pour obtenir le maintien à Tours du directeur des domaines de la généralité qui doit partir pour Angers en 1787 et dont les négociants tourangeaux utilisent les services pour pallier l’absence de banque. Soucieux d’accompagner le développement économique, le corps de ville fait également la suggestion originale d’une sorte d’indemnité de chômage, même si elle se contente de l’habituel secours de la charité en cas de crise économique. Mais pour les officiers municipaux des premières années de la Révolution, les problèmes politiques prennent le pas sur toute autre considération.

10 Alors que la vie culturelle paraît atone à Tours, les Lumières s’y diffusent comme ailleurs et si certains édiles manifestent, à titre individuel, de l’intérêt pour l’esprit nouveau, la municipalité contribue en tant que corps au renouveau culturel de la cité et en particulier à l’enseignement. Si elle est peu active en matière d’instruction populaire, la ville commence dans les années 1780 à réfléchir à la modernisation de son collège qui décline ; on le confie à la congrégation de l’Oratoire. En dépit de son manque d’argent, la municipalité tient à le soutenir, notamment en assistant à des récompenses offertes aux meilleurs élèves. Elle soutient aussi des enseignements spécialisés dans le domaine médical, l’école publique de chirurgie et les formations des sages femmes, ainsi qu’une école de dessin.

11 Assorti d’annexes fort intéressantes et de précieux index, cet ouvrage est porté par un fonds documentaire très important qui permet de mener une recherche originale, présentant les inflexions importantes du siècle des Lumières et les décisions des premières années de la Révolution comme un aboutissement…

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 210

Isabelle Brouard-Arends et Marie- Emmanuelle Plagnol-Dieval (dir.), Femmes éducatrices au Siècle des Lumières

Martine Lapied

RÉFÉRENCE

Isabelle Brouard-Arends et Marie-Emmanuelle Plagnol-Dieval (dir.), Femmes éducatrices au Siècle des Lumières, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 377 p., ISBN 978-2-7535-0468-4, 22 €

1 L’ouvrage présente les actes d’un colloque tenu à l’Université de Rennes II en juin 2006. Organisée par Isabelle Brouard-Arends, professeure à Rennes II, et Marie-Emmanuelle Plagnol-Dieval, professeure à Paris XII, cette rencontre scientifique réunissait des chercheurs européens et américains, faisant une place appréciable aux jeunes chercheurs aux côtés de spécialistes renommés. Elle faisait suite à un colloque sur Les lectrices d’Ancien Régime, pratiques, représentations et enjeux, tenu à Rennes II et paru également aux PUR, en 2003.

2 Les études, au croisement entre la littérature, l’histoire, l’histoire des arts, mettent en évidence la présence grandissante des femmes dans le domaine de l’éducation au XVIIIe siècle.

3 La première partie, « Les partenaires éducatifs, rapports, représentations », s’intéresse aux femmes qui éduquent. L’accent est mis sur l’importance des mères dans le domaine de l’éducation. Elles sont considérées comme des interlocutrices irremplaçables pour leurs fi lles (Nadine Bérenguier). Même pendant les séjours au couvent, en général brefs, les mères continuent d’exercer leur influence sur leurs filles par des échanges de lettres, commençant ainsi à les initier à l’univers épistolaire des femmes de la bonne

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 211

société qui permet de maintenir les liens familiaux et amicaux (Dena Goodman). La correspondance de la présidente du Bourg illustre la façon dont, par les liens épistolaires, la mère est une intermédiaire entre le père et les nombreux enfants (Christine Dousset). L’étude des correspondances permet aussi de remettre en question l’idée, couramment admise, que les mères ne participent plus à l’éducation des garçons après sept ans. En effet, les relations épistolaires des mères, comme des pères, avec leurs fils pensionnaires, mais aussi avec les principaux des collèges, montrent qu’il ne faut pas occulter les relations mères/fils (Philippe Marchand).

4 La plupart des auteurs féminins du XVIIIe siècle ayant écrit sur l’éducation se conforment au modèle traditionnel qui veut que la mère soit l’institutrice de ses enfants puis de ses filles jusqu’au mariage. Gouvernantes et institutrices ont peu de place, les religieuses encore moins. Lorsqu’elles sont évoquées, les représentations sont négatives et assez superficielles, au contraire de celles des mères où les cas privilégiés donnent une vision plus ou moins idéalisée, car, comme l’indique Sonia Cherrad, il s’agit souvent de modèles qui ne sont pas toujours appliqués dans la pratique.

5 Les romans libertins, écrits au féminin par des hommes, proposent un autre modèle d’éducation où disparaît la figure de la mère et où une éducation « positive » assurée par des substituts maternels succède à une éducation répressive (Morgane Guillemet). Néanmoins, le destin final de ces libertines émancipées étant, le plus souvent, de se retirer du monde, peut-on vraiment considérer cette éducation comme un modèle ?

6 La période révolutionnaire, affirmant la volonté de régénération, semble propice aux projets éducatifs, qu’il s’agisse de plans d’éducation présentés par des femmes ou de ceux du Comité d’instruction. Le droit des femmes à l’instruction est défendu dans quelques cahiers de doléances, adresses ou délibérations de clubs féminins. L’éducation des femmes a sa place dans le projet général du Comité d’instruction et dans les institutions républicaines, toujours avec l’idée que les mères forment les hommes de demain. Des femmes participent aussi à l’utopie égalitaire de l’an II, certaines préconisant mixité et gratuité de l’éducation au nom de l’égalité. Mais les obstacles à surmonter sont nombreux et, dans la pratique, les institutrices républicaines peuvent rencontrer bien des difficultés (Elisabeth Liris).

7 La deuxième partie évoque les « Contenus et méthodes ». Elle mêle quelques analyses générales à d’intéressantes études de cas. Les contenus de l’éducation des femmes sont inspirés par la vision de la « nature féminine » dominante au XVIIIe siècle. Pour beaucoup d’auteurs, la forte sensibilité des femmes peut les porter aussi bien vers la vertu que vers le vice. Si une morale raisonnée est adaptée à l’homme, il semble que les femmes devraient plutôt relever d’une morale naturelle (Rotraud von Kulessa). La question des méthodes spécifiques à adopter pour l’éducation des femmes est posée, comme l’utilisation de la conversation (Laurence Vanoflen). C’est un outil d’une grande souplesse qui permet aussi l’initiation à la vie pratique. La consécration de cette méthode est atteinte dans Les conversations d’Émilie, elle aboutit à la promotion de la mère-auteur. Le dialogue maternel autorise les femmes à conquérir une position d’autorité nouvelle dans le champ littéraire. La forme dialoguée permet de développer une attitude rationnelle et critique, de s’adapter à son interlocuteur, c’est tout l’art mondain de la conversation qui demande psychologie et discernement. De même, les bienfaits de l’image sont-ils soulignés, ainsi que l’utilisation du théâtre d’éducation (Isabelle Michel-Evrard).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 212

8 Madame de Genlis, qui a ressenti elle-même le bonheur de l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et de la musique (Béatrice Didier), met l’accent sur l’importance de la femme en tant que lectrice (Valeria De Gregorio Cirilo) et la valeur pédagogique de la lecture. Elle dresse des programmes de lectures dont elle exclut les dangereuses œuvres des Encyclopédistes et les romans sauf ceux qui peuvent servir un parcours pédagogique.

9 La poésie féminine est abordée en tant que vecteur d’éducation, et les relations entre la poétesse et la collectivité sont analysées, avec, entre autres exemples, celui des hymnes rédigés par Constance Pipelet pour les fêtes révolutionnaires (Huguette Krief). Comme dans le cas d’Isabelle de Charrière dont la poésie s’engage dans une réflexion théorique sur la violence qu’elle condamne, on peut, néanmoins, se demander si ces femmes peuvent être strictement qualifiées d’ » éducatrices », sauf à penser que toute réflexion que l’on livre dans le champ public peut être une œuvre d’éducation.

10 La pédagogie féminine peut permettre aux femmes de s’exprimer dans un domaine qui leur est souvent refusé, celui des sciences, comme le montre l’utilisation que fait Marguerite Biheron de son cabinet d’anatomie (Adeline Gargam). Des cours et des expositions lui permettent de gagner sa vie. Elle est renommée, mais subit les persécutions du corps médical. C’est la passion pour l’histoire de sa ville, Le Havre, qui conduit Mademoiselle Marie Le Masson à la pédagogie (Aline Lemonnier-Mercier). Non contente de faire des communications à des académies dont elle est membre, elle écrit un ouvrage destiné aux collégiens du Havre. La comtesse de Bourbon sollicite ensuite ses conseils pour l’éducation de sa fille et, en 1788, elle écrit douze lettres sur l’éducation, qui ne s’avèrent pas « révolutionnaires », puisqu’elle y met l’accent sur une solide formation religieuse, affirmant qu’une jeune fille noble doit avoir des lumières sur tout, mais ne pas être une « femme savante ». On y note une volonté d’éducation de la sensibilité et l’affirmation de l’intérêt d’une éducation artistique poussée. Pendant la Révolution, elle travaille dans une pension à Rouen pour gagner sa vie, ayant parcouru ainsi divers échelons de la pédagogie.

11 Dans la troisième partie, « Éducation noble et bourgeoise, la question du public » est posée. L’enseignement se fait, en principe, selon la place future dans la société. Les figures de Madame de Maintenon et de Madame de Genlis apparaissent à nouveau, l’expérience de l’une avec le théâtre de l’éducation, les conversations, ayant influencé l’autre (Christine Mongenot). Néanmoins, malgré la notoriété persistante de sa fondatrice, au XVIIIe siècle Saint-Cyr n’échappe pas à la mauvaise réputation de l’éducation conventuelle (Dominique Picco). D’autres interventions mettent l’accent sur les critiques vis-à-vis de l’éducation des filles exprimées dans les Lettres d’une Péruvienne (Charlotte Simonin), dans des romans (Annie Rivara). Cette éducation superficielle peut être attribuée aussi bien aux couvents qu’à des carences de figures maternelles ou d’éducatrices de substitution.

12 L’éducation des princesses est évoquée à travers les lettres maternelles de l’impératrice Marie-Thérèse qui montre sa volonté de faire de ses dernières filles de futures reines, alors que les insuffisances de leur instruction politique sont flagrantes (Catriona Seth). Se rendant compte que l’éducation de Marie-Antoinette a été négligée, sa mère essaie de pallier les inconvénients de cette carence avant son départ pour la France, puis par un échange de lettres destiné à la guider… Pour Catherine II, l’éducation éclairée de ses petits-fils épaule l’élaboration du système de l’instruction publique en Russie (Alexandre Stroev).

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 213

13 Les transferts culturels sont abordés dans la quatrième partie. Les questions de l’époque sur l’éducation des filles sont à nouveau posées avec un regard différent, en particulier celle de la contradiction entre épanouissement personnel et apprentissage de la vie en société pour les femmes. Les réflexions d’éducatrices anglaises telles Catharine Macauley, et Hanah More, ainsi que leurs positions face à la Révolution française sont analysées (Marie-Odile Bernez). Les deux premières sont favorables à une éducation mixte. Les théories éducatives de Wollstonecraft (Helje Porré) s’opposent aux propos de Rousseau sur l’éducation des filles et prônent de développer leur raison comme on développe celle des garçons. Elle accorde pour les deux sexes, une grande importance à l’exercice physique. La vision d’Hanah More, issue du cercle conservateur des amis de Burke, est bien différente. Pour elle, la fonction politique de la femme est d’être un rempart de l’ordre établi par sa place au centre de la famille. Maria Edgeworth, éduquée dans l’esprit des Lumières, écrit, en 1798, une méthode d’éducation dans le style de celle de Madame de Genlis. Elle est attachée à l’éducation maternelle et affirme que les soins d’une mère britannique seront toujours supérieurs à ceux d’une gouvernante française (Gillian Dow).

14 Les projets éducatifs écrits à Londres par des émigrées françaises développent, sans surprise, une vision assez traditionnelle (Katherine Astbury). Comme leurs confrères français, ces femmes croient au pouvoir de l’éducation pour régénérer la société, mais rien dans leurs écrits ne montre qu’ils aient été produits pendant la Révolution, tant le refus d’admettre que le monde a changé est flagrant. Dans la lignée de Rousseau, mesdames de Genlis et d’Épinay, elles, veulent avant tout une femme responsable de l’harmonie familiale.

15 Ce tour d’horizon s’achève par la Pologne où la société traite avec une certaine méfiance les projets d’éducation intellectuelle pour les femmes (Agniezka Jakuboszczak). Néanmoins, au XVIIIe siècle, l’exigence d’instruction est la norme dans les cercles aristocratiques. Les différents vecteurs sont, ici aussi, couvents, écoles privées, parents, gouvernantes avec une influence grandissante des gouvernantes étrangères et des théories de Rousseau succédant à celles de Fénelon.

16 Au total, Femmes éducatrices au siècle des Lumières est un ouvrage dont les apports sont indéniables dans cet important champ de la recherche en histoire des femmes qu’est le questionnement sur l’éducation.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 214

Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses

Martine Lapied

RÉFÉRENCE

Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses, Paris, Perrin, 2004, 416 p., ISBN 2-262-02257-7, 23 €

1 Cet ouvrage est l’heureuse réédition de l’œuvre fondamentale de Dominique Godineau sur les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française qui était parue en 1988 aux éditions Alinea. Il porte sur la situation sociale des femmes du peuple, leurs pratiques politiques et les rapports masculins/féminins dans le mouvement révolutionnaire. La connaissance de cette œuvre pionnière, écrite par une spécialiste de la Révolution et des rapports sociaux de sexe, est indispensable aussi bien dans le cadre de la réflexion sur la Révolution que dans celui de l’histoire des femmes.

2 Une masse considérable d’archives a été consultée pour retrouver les traces toujours difficiles à saisir de ces femmes du peuple. Si elle a souvent été occultée, ou déformée par les représentations, l’action politique des femmes est, en effet, inscrite dans les archives, encore faut-il l’y chercher. Comme toujours en ce domaine, archives policières et judiciaires ont été les plus riches. Elles permettent de saisir l’action politique, mais aussi les problèmes du quotidien. Ces recherches ont permis d’analyser un mouvement féminin, formé de femmes du peuple, nourricières et travailleuses, qui est une composante importante du mouvement révolutionnaire parisien. Le problème des subsistances est essentiel dans la mobilisation de foules féminines, mais ce n’est pas le seul motif d’intervention des militantes qui forment une « sans-culotterie » à prises de positions politiques.

3 La dynamique de ce mouvement est marquée par des temps forts à l’automne 1789, au printemps 1793, en 1795, mais les femmes sont toujours présentes avec des actions aux aspects originaux en accord avec leurs fonctions sociales ou leur statut politique particulier. L’exclusion des droits politiques pèse, évidemment, sur les pratiques des

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 215

femmes. La question centrale de la citoyenneté est ainsi abordée au niveau des pratiques politiques : comment faire partie du Souverain sans jouir d’aucun de ses attributs ? La citoyenne est la femme qui appartient à un peuple libre, mais le corps social et le corps politique sont alors distincts. Peu de femmes ont réclamé les droits politiques, mais elles ont fait acte de citoyenneté et investi l’espace politique qui avait été ouvert.

4 La première partie, « Vivre à Paris pendant la Révolution » décrit la condition sociale des femmes dans les milieux populaires parisiens à la fin de l’Ancien Régime et pendant la Révolution. Elle les montre aussi bien au travail que dans leurs relations familiales et permet de comprendre leur engagement politique et ses modalités.

5 La deuxième partie « Devenir citoyenne » étudie la participation des femmes aux mobilisations des journées révolutionnaires, les difficultés de leur insertion dans les courants politiques et enfin les débats sur la place des femmes dans le corps politique.

6 La troisième partie évoque « Le quotidien révolutionnaire des femmes », elle montre leur présence dans l’espace public et les lieux de politique comme les cafés, les clubs, les tribunes. La mentalité révolutionnaire des militantes est analysée en correspondance avec celle des sans-culottes parisiens étudiés par Albert Soboul. Elles partagent avec eux des sentiments égalitaristes et une volonté punitive qui les placent du côté des minorités radicales et les amènent à participer à la politique de surveillance. Le rôle de femmes, souvent motivées par volonté de défendre la religion, qui s’impliquent dans les mouvements contre-révolutionnaires, est également évoqué. La question du statut politique des femmes est posée, et la partie se clôt par une réflexion sur le problème de l’égalité des droits. L’auteur montre comment la mentalité des hommes révolutionnaires, influencée par les idées de Rousseau, mais aussi par les stéréotypes plus lointains sur la nature féminine, aboutit à une volonté d’exclure les femmes du champ politique malgré leur engagement pratique dans l’action politique.

7 La quatrième partie étudie les mouvements féminins de masse après la chute du gouvernement révolutionnaire. À partir d’archives policières et judiciaires, Dominique Godineau dresse un tableau d’une grande richesse de la place fondamentale des femmes dans ces révoltes de la faim et du refus de la réaction politique. La parole est redonnée à ces femmes du peuple, on perçoit leurs difficiles conditions d’existence, on entend leurs espoirs et leurs révoltes, jusqu’à la répression des émeutes de Prairial qui met un terme à ces espérances et marque pour longtemps la fin du mouvement féminin de masse et de la mobilisation populaire parisienne.

8 Les travaux de Dominique Godineau, qui se sont prolongés après cet ouvrage « révolutionnaire », ont prouvé de façon irréfutable l’importante composante féminine du mouvement révolutionnaire parisien. Ils montrent aussi les arguments qui ont été utilisés par les révolutionnaires pour rejeter les femmes hors du champ politique, en décalage avec la réalité des pratiques. Cette présence féminine a été plus ou moins occultée dès le lendemain de la Révolution. C’est une image de violence « contre- nature » que laissent les tricoteuses ; elle est utilisée par la contre-révolution et rejetée par les républicains. Comme les représentations, les historiens ont longtemps privilégié l’image de la femme victime de la Révolution, un rôle jugé plus « naturel ». On comprend dès lors que les recherches de Dominique Godineau aient fait date dans l’analyse des rapports des femmes au politique, mais aussi dans l’étude de la Révolution. D’autant qu’à la supposition « rassurante » de certains historiens qui pensaient que ces attitudes politiques radicales des femmes étaient spécifiques à la

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 216

capitale, on peut opposer maintenant d’autres exemples comme celui des Arlésiennes… En effet, les travaux pionniers de Dominique Godineau en ont inspiré d’autres dans les provinces qui permettent d’affirmer que le militantisme révolutionnaire féminin n’est pas un phénomène concernant uniquement la capitale. On constate, une fois de plus, l’importance du regard de l’historien qui interroge ou non les sources sur la présence féminine dans l’espace public.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 217

Jean-Clément Martin, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire

Martine Lapied

RÉFÉRENCE

Jean-Clément Martin, La révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et l’Empire, Paris, Armand Colin, 2008, 272 p., ISBN 978-2-200-34626-3, 24 €

1 Dans ce nouvel ouvrage, Jean-Clément Martin s’intéresse au « genre » dans la formation de la Nation française entre 1770 et 1820, pendant cette quarantaine d’années où les relations entre les hommes et les femmes ont profondément été remises en question. Après l’éclairage de la violence, cet angle d’observation entraîne de nouvelles interrogations qui peuvent aboutir à remanier la vision générale de l’édifice social. En effet, essayer de comprendre ce qui s’est débattu autour des « citoyennes » remet en cause bien des certitudes comme l’ont montré les travaux pionniers de Dominique Godineau et on ne peut que se féliciter de la parution d’un ouvrage qui participe à la réflexion sur ces enjeux. L’auteur a souhaité interroger « toutes les dimensions de la vie dans lesquelles les questions sexuées jouent ». Les rassemblant en un bouquet, dans une démarche présentée en quatre chapitres chronologiques, il aborde des questions très diverses, de la mode aux discours d’assemblée. Dans une volonté marquée de rester attentif à l’épaisseur des itinéraires, Jean-Clément Martin a pris le parti d’ouvrir chaque chapitre sur des figures de femmes. Ce choix méthodologique privilégiant une histoire qui part des individus n’est pas le seul possible, mais il contribue à éclairer la question des femmes. Il s’agit pour l’auteur de mettre en valeur l’extension de la visibilité des femmes dans la société française des dernières décennies du XVIIIe siècle, dans les catégories populaires aussi bien que dans les élites.

2 Le premier chapitre, « Une société en quête d’elle-même », étudie les réactions que peut entraîner cette évolution alors que, depuis Montesquieu, les mœurs sont

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 218

considérées comme garantes des lois. Jean-Clément Martin s’interroge sur l’hostilité qui s’exprime contre la reine Marie-Antoinette. Ce discrédit peut être lié à la rupture avec l’image publique du métier de reine que l’épouse de Louis XVI a provoquée. Par son attitude, ses interventions dans les affaires politiques, il semble que Marie- Antoinette contribue à la crise qui affecte la représentation même de la monarchie qui apparaît alors comme despotique, féminisée, décadente.

3 Les mutations du corps social sont ensuite envisagées dans différents domaines comme la mode ou la pensée médicale. Banalisation de la prostitution et succès de la pornographie semblent attester d’une subversion des valeurs, du moins dans certaines couches de la société, car un modèle de vie « bourgeois » s’affirme face au libertinage de l’aristocratie dénoncé par des pamphlets politiques. L’importance des femmes dans les salons où elles occupent une position intermédiaire entre espace public et espace domestique est évidemment mise en valeur. Mais, l’influence qu’elles exercent par leur investissement de la sphère culturelle permet de les accuser de manipuler les hommes, alors que les savoirs qui leur sont donnés par l’éducation continuent d’être différents de ceux qui sont procurés aux hommes.

4 Quant aux femmes des catégories populaires, elles tiennent toujours leur rôle dans les émeutes rurales et urbaines, mais la répression semble les atteindre plus durement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

5 Les nouvelles actions des femmes dans le champ politique et les restrictions dont elles sont l’objet inspirent le deuxième chapitre, « Les limites de l’espérance », qui évoque les lieux où les militantes peuvent s’exprimer tels que clubs, journaux, manifestations, armée…

6 La place des femmes dans les journées révolutionnaires de 1789 est analysée en montrant leur mobilisation précoce qui culmine dans les événements d’octobre. La réflexion sur la place des « citoyennes » dans la nouvelle société qui se construit est conduite à partir des cahiers de doléances, mais aussi des propositions de Condorcet et de l’influence de la tradition rousseauiste. Elle montre que, si des progrès ont lieu dans le domaine civil, au niveau du contrat familial, les innovations demeurent, en général, limitées, en particulier en ce qui concerne les projets éducatifs pour les jeunes filles, mis à part ceux de Condorcet. Les salons subissent la concurrence des clubs et les paroles des femmes sont entravées comme en témoigne l’exemple d’Olympes de Gouges. Les femmes acceptent, le plus souvent, la place qu’on leur assigne dans le corps politique, qu’il s’agisse de Louise de Keralio, de Madame Roland, d’Etta Palm d’Aelders. Pour elles, les femmes doivent prioritairement inspirer le bien dans une égalité morale avec les hommes. À côté des revendications féministes plus civiles que politiques des femmes de lettres, des femmes « ordinaires » interviennent publiquement, sont dans l’action politique. Du côté de l’opposition à la Révolution, des femmes s’engagent aussi dans le soutien au clergé réfractaire et à la religion traditionnelle. Des deux côtés, des femmes participent aux violences et en sont victimes.

7 Le troisième chapitre, « La famille révolutionnaire », évoque les transformations du jeu politique et les violences exercées contre les femmes. L’attitude des hommes politiques vis-à-vis de la volonté de certaines femmes de combattre dans l’armée est révélatrice de leurs ambiguïtés. Malgré les félicitations officielles décernées par la Convention à des soldates, la présence des femmes dans l’armée est interdite en avril 1793. Le rôle important des femmes dans la contre-révolution et la défense de la religion catholique en font des victimes, en particulier dans les régions où la guerre civile rend tout

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 219

possible. Les militantes révolutionnaires connaissent, pour leur part, des difficultés avec l’évolution politique de 1793 défavorable aux Enragés et à l’action féminine révolutionnaire. Les procès des « grandes criminelles » comme Charlotte Corday et Marie-Antoinette provoquent des déchaînements machistes. Les femmes semblent alors renvoyées au domaine privé, mais l’espace domestique est désormais inclus dans l’espace public et la nouvelle famille est valorisée. Parallèlement, des images symboliques de femmes envahissent les représentations politiques.

8 Le quatrième chapitre, « L’empire des femmes ? », part de la période de réaction après Thermidor où se met en place dans l’opinion publique, puis dans les mémoires, l’image de la Terreur comme violence contre les femmes. L’évolution des mentalités est suivie dans la littérature, de la pornographie au mélodrame, dans la mode, dans le renouveau des journaux destinés aux femmes et des salons. Tout ceci ne concerne que les

9 femmes de l’élite, les femmes des catégories populaires, en butte aux difficultés sociales les plus extrêmes, se voient exclues complètement du champ politique par la répression des émeutes de Prairial. Les représentations féminines disparaissent aussi de l’espace public, mais les femmes continuent à jouer un rôle important dans la vie religieuse. Avec les batailles, la violence devient une spécificité masculine.

10 Dans le domaine familial, les continuités l’emportent sur les changements et la recherche d’un idéal familial de la Révolution avec l’égalité entre les époux et entre les frères et sœurs, laisse la place à la primauté du mari et père. Le Code civil, analysé dans cette optique par Jean-Clément Martin, en est la concrétisation. Les impératrices et la duchesse de Berry sont les figures présentées pour illustrer cette dernière période.

11 Au terme de ce riche parcours dont nous n’avons pu, dans le cadre limité d’un compte rendu, que retracer certaines orientations, Jean-Clément Martin conclut pour cette période d’expérimentations, de réécriture des normes sous l’effet des événements à « un patchwork qui n’incite pas à parler en termes d’échec ou de réussite mais de puissance d’agir » et à la récurrence de la marginalisation des femmes dans l’univers masculin. Ainsi « la révolte brisée » aura témoigné des aspirations des femmes, de leur expression et des voies du retour à la tradition.

12 Bien sûr, on peut émettre telles ou telles réserves. Le parti pris, intéressant, d’explorer toutes les facettes de la société où la relation hommes/femmes peut jouer un rôle contribue à cette impression de patchwork, d’autant que l’auteur se refuse à une hiérarchisation qualifiant par exemple de « revanche des femmes » la mode des Merveilleuses qui libère leurs corps. De même, la richesse et la diversité des voies explorées semblent parfois nous éloigner de la problématique de base. De façon presque automatique étant donné les critères envisagés et les sources sur ces sujets, les femmes de l’élite sont privilégiées et on peut dire que certaines évolutions mises en évidence les concernent essentiellement. Ce n’est pas l’effet d’un désintérêt de l’auteur pour les femmes des catégories populaires dont la place dans les révoltes est valorisée. On aimerait aussi, mais cela dépend de l’éditeur plus que de l’auteur, avoir des références plus précises sur les cas présentés.

13 Mes orientations personnelles me conduisent à regretter une vision parfois un peu restrictive de la politique, une certaine imprécision liée à une démarche qui ne se veut pas « quantitative », mais qui fonctionne par croisements d’études de cas. Par exemple, lorsqu’on parle d’une répression qui s’abat « particulièrement » sur les femmes, on est plus dans le domaine des représentations que dans une présentation chiffrée des pratiques, nécessaire à mon sens, même si les représentations ont une influence

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 220

indéniable en l’occurrence. Je pense, pour ma part, que ces décalages entre pratiques et représentations sont aussi un des nœuds de la question. Mais c’est toute la richesse de cette voie de permettre plusieurs types d’approches dans la compréhension de la Révolution et, comme le dit l’auteur lui-même, cet ouvrage stimulant appelle d’autres réflexions et recherches dans ce domaine encore largement en friche.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 221

Edna Hindie Lemay (dir.), Dictionnaire des Législateurs (1791-1792)

Jean-Pierre Jessenne

RÉFÉRENCE

Edna Hindie Lemay (dir.), Dictionnaire des Législateurs (1791-1792), Préface de Mona Ozouf, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2007, 2 tomes, 821 p., ISBN 978-2-84559-025-0, 250 €

1 Hommage a déjà été rendu dans les Annales historiques de la Révolution française à Edna Lemay, décédée en juin 2007, mais le compte rendu de l’ouvrage auquel elle a consacré la fin de sa vie, dont la publication lui a demandé beaucoup d’abnégation et qu’elle n’a malheureusement pas vu achevé – puisque le livre a paru à l’été 2007– peut légitimement être un renouvellement de cet hommage empreint de gratitude.

2 En effet, comme le Dictionnaire des Constituants, celui des Législateurs constitue pour longtemps un très utile instrument de travail. L’entreprise fut longue et difficile et comme le rappelle Bernard Gainot dans la présentation, elle n’a abouti que parce qu’Edna Lemay a su animer avec vigueur une équipe d’une quinzaine de collaborateurs principaux, universitaires, chercheurs, conservateurs de divers organismes, régions et horizons. Ils ont ainsi constitué 768 notices.

3 Ces notices, présentées dans l’ordre alphabétique, ont le grand mérite d’être construites sur un plan type où se succèdent les données d’état civil, la carrière avant 1789, le cheminement de 1789 à 1791 et - partie souvent la plus développée – la carrière parlementaire de 1791 à 1792. Pour cette partie, Edna Lemay elle-même a restitué la substance des prises de position de ces Législateurs, en synthétisant leurs interventions dans les débats, leurs votes – notamment dans les sept appels nominaux de la Législative. Ajoutons que chaque notice comporte aussi un aperçu de leur devenir après 1792, ainsi que les sources disponibles. Cette construction méthodique présente le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 222

grand avantage de permettre des utilisations diverses et complémentaires de la recherche ponctuelle sur un personnage à l’état de la députation d’un département jusqu’à de multiples études thématiques possibles, des professions ou des antécédents politiques aux engagements dans la Révolution pendant ou après la Législative. Évidemment, une des limites de ces exercices tient au fait que les diverses rubriques des notices sont plus ou moins renseignées en fonction des caractères plus ou moins approfondis ou fructueux des recherches, de la notoriété des députés aussi.

4 Pour ajouter à la qualité de cet instrument de travail, Edna Lemay a veillé à y inclure plusieurs outils complémentaires : une chronologie (p. XXIII-XXXIX), la composition des bureaux de l’Assemblée, des ministères, des commissions et comités (p. 755-774), la liste des appels nominaux (p. 775), les récapitulatifs départementaux (p. 777-787), les états des membres des clubs (Jacobins, Feuillants, Club de la Réunion, p. 788- 795) et encore un index nominatif et thématique.

5 Ce n’est pas l’objet d’un compte rendu d’envisager toutes les exploitations possibles d’un dictionnaire qui ne comporte pas d’analyse et de synthèse des données, mais pour en souligner l’intérêt, on peut prolonger la description par quelques commentaires. Remarquons d’abord avec Mona Ozouf – et en passant sur son interprétation schématique de l’engagement de Robespierre contre la reconduction possible des Constituants (préface, p. VIII) - que si l’Assemblée législative n’a que passablement intéressé les historiens, elle fut bien davantage qu’une parenthèse entre deux « grandes » Assemblées : un véritable banc d’essai de la monarchie constitutionnelle et de la vie parlementaire ; en connaître les membres est donc d’un réel intérêt. Remarquons ainsi la confirmation d’un rectificatif à une idée longtemps admise : la plupart des élus ne sont pas des hommes ignorants de la chose publique ; on peut recomposer des itinéraires, certes variés, mais le plus souvent jalonnés par l’exercice de fonctions publiques diverses. On pourra évidemment étudier les recrutements socioprofessionnels. Nul doute qu’une telle étude confirmera le rôle majeur des hommes de loi en tout genre ; mais une géographie française se dessinera sans doute avec grosso modo une France méridionale qui les promeut plus massivement et des départements au nord de la Loire, surtout du Bassin parisien, à la députation sans doute plus composite, incluant davantage d’entrepreneurs ou de négociants, mais aussi de cultivateurs et de capacités diverses.

6 L’étude des comportements politiques au cours de la Législative pourrait aussi prendre diverses formes. Même au travers d’une observation sommaire, il est frappant de constater à quel point se dégage une corrélation souvent forte entre la succession de votes négatifs aux appels nominaux et l’appartenance aux Feuillants et à l’inverse celle des votes « oui » avec l’appartenance à « la gauche » de l’Assemblée et le plus souvent aux Jacobins ; si la délimitation des partis demeure incertaine au fil de la Révolution, il est quand même des tendances lourdes dans les engagements politiques. De même, les inclinations départementales semblent souvent marquées. Autre centre d’intérêt envisageable d’une étude des comportements : on voit se dessiner l’émergence nationale de personnalités à l’infl uence jusqu’alors limitée, au moins sur le plan politique, les Cambon, François de Neufchâteau, Carnot, Guadet, Prieur, Romme, etc. On peut aussi réévaluer le rôle de certains plus ou moins méconnus en tout cas pour leur rôle dans ce moment révolutionnaire : un Beugnot, un Coupé ou un Debry par exemple.

7 Par extension, beaucoup de ces notices fournissent les principaux matériaux pour une étude transversale des cheminements politiques et sociaux de ceux de ces hommes qui

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 223

ont traversé la période révolutionnaire : poursuite des engagements ou retrait sous la Convention, retours sous le Directoire, accès à la notabilité, fonctions et distinctions sous le Consulat et l’Empire… ou repli vers des occupations ordinaires, fortunes parfois. Autant de matériaux disponibles pour une prosopographie instructive qui révélerait sans doute une ventilation à peu près équilibrée des Législateurs entre disparition prématurée, retrait vers une vie privée sans éclat et promotion dans les fonctions et la richesse.

8 Ces quelques perspectives, sommairement tracées, n’épuisent pas les potentiels d’exploitation de ce bel ouvrage ; décidément, si l’histoire de la Révolution ne peut pas se confiner à une restitution de personnages ou d’événements et porte aussi à des interprétations plus audacieuses n’excluant pas la réfl exion sur le passé/présent de l’expérience révolutionnaire, le modèle de dictionnaire que constitue celui consacré aux Législateurs de 1791-1792 nous rappelle quand même l’intérêt de ces travaux d’informations à la fois élémentaires et fondamentales. Souhaitons donc que l’exemple soit suivi pour d’autres protagonistes de la Révolution avec la persévérance et générosité qu’a mises Edna Lemay dans son œuvre et dans sa vie.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 224

Mauricette et Michel Delaitre, Pierre Fontugne, José Guillemin, Bernard Lecerf, Micheline Leverd et Jean Relinger, Varennes. Le pouvoir change de main

Justine Lepers

RÉFÉRENCE

Mauricette et Michel Delaitre, Pierre Fontugne, José Guillemin, Bernard Lecerf, Micheline Leverd et Jean Relinger, Varennes. Le pouvoir change de main, Langres, Éditions Dominique Guéniot, 2007, 168 p., ISBN 978-2-87825-397-9, 16 €

1 « En voyant le titre de cet ouvrage, certains penseront peut-être : Encore une étude sur la fuite du roi ! Tout n’a-t-il pas été écrit […] sur le sujet ? » (p. 13). Ces propos liminaires nous renseignent sur le projet de l’ouvrage collectif de l’association « Les Fils de Valmy ». Il ne s’agit pas d’apporter des conclusions originales sur un thème largement renouvelé (T. Tackett, Le roi s’enfuit, 2004 ; M. Ozouf, Varennes, la chute de la royauté, 2005). L’association, qui œuvre à faire connaître les personnalités et événements marnais de la Révolution, a préféré une publication des « très riches archives départementales » (p. 13), dans un ouvrage à la fois historique et civique. Conçu pour le grand public, le livre intègre même une bande dessinée qui aide les plus jeunes à saisir l’événement. Mais vulgarisation ne signifie pas simplification à outrance, l’ouvrage tentant de présenter la « multitude d’acteurs particip[ant] à cette accélération de l’histoire » (p. 20, annexe 8, p. 69), et intégrant largement les conclusions des travaux récents.

2 Le sous-titre, « Le pouvoir change de main », indique la perspective suivie par les auteurs ; c’est un « tournant fondamental de l’histoire » (p. 15), une rupture majeure,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 225

qui est mise en évidence : le transfert de pouvoir du roi au peuple - même si la formule « le peuple commande » paraît excessive, au vu du rôle alors prépondérant de l’Assemblée -. Dans ce cadre, le premier volet de l’ouvrage est un court rappel des événements qui ont marqué l’opinion au début de la Révolution, de la prise la Bastille à la Grande Peur, à la nuit du 4 août et aux journées d’octobre. Sont ensuite examinés les divers projets d’évasion, jusqu’au départ final du 20 juin 1791, qui constitue le cœur de l’ouvrage. Le livre relate précisément la fuite du roi pour Montmédy et l’arrestation à Varennes. C’est un retour au récit, imprégné du style de Timothy Tackett : le présent de narration, les flash back et les passages successifs d’un acteur (ou d’un lieu) à un autre rendent le récit vivant tandis que les cartes, graphiques et plans renforcent l’approche didactique. L’analyse historique n’est pas absente : un passage sur le rôle de la mémoire collective, dans la longue et courte durée (les invasions séculaires, l’implication active dans la Révolution) suivi d’une réflexion sur les mentalités révolutionnaires (les deux « grandes peurs », l’émotion du « massacre de Nancy » par Bouillé) constituent des approches pertinentes. Quelques réflexions sur la portée immédiate de la fuite clôturent cette partie centrale : la question du régime politique, les débats sur le sort du roi, l’agitation parisienne (fusillade du Champ de Mars, campagne des journaux radicaux) et « l’apparente réconciliation » après l’adoption de la Constitution en septembre 1791.

3 Dans une dernière partie (p. 53-158), l’ouvrage présente des « documents extraits des archives départementales de la Marne et de la Meuse souvent cités par les historiens, mais rarement donnés intégralement » (p. 14). Le lecteur y trouvera des témoignages sur les événements de 1789 (annexes 1-4), dont certains éclairent les événements de Varennes, telle l’annexe 2 qui constitue une approche locale de deux « grandes peurs ». À celle d’août 1789, qui annonce l’arrivée de brigands venant de l’étranger, qui brûlent les moissons et massacrent les habitants, s’ajoute ici celle d’août 1790 qui conduit au rétablissement des fossés autour de la ville. La Peur de 1790 est plus profonde et crée un état de nervosité - dont le paroxysme est atteint en juin 1791 -, qui explique la mobilisation rapide de la garde nationale. Les annexes abordent aussi la question de l’armée et du fait militaire, reproduisent des extraits des registres de délibérations de diverses municipalités et du directoire de district, des récits de l’événement ou des textes en révélant la portée.

4 De cette utile documentation, retenons notamment deux procès-verbaux de la municipalité de Varennes : le premier daté du 22 juin (extrait du registre des délibérations de la commune de Varennes), détruit pendant la Première Guerre mondiale mais reproduit par Fournel en 1890 ; le second (archives de la Meuse) daté du 27. Rédigé au lendemain de l’arrestation du roi, lorsque de fortes rumeurs circulent sur une vengeance de Bouillé et l’arrivée des troupes autrichiennes, le procès-verbal du 22 juin cherche à ménager l’avenir et insiste sur le respect et l’amour de la population pour son roi. Le second vient en réponse à la lettre du directoire de la Meuse : c’est un « rapport véridique », plus détaillé et plus conforme à la vérité des faits. Les rédacteurs s’excusent de la première version rédigée à la hâte, dans un contexte de crainte et d’incertitude. La reproduction de quelques adresses de municipalités confirme l’incertitude politique du moment. De derniers documents, qui reviennent sur les mauvais rapports locaux entre la population et la noblesse, le patriotisme des municipalités, les peurs récurrentes qui ont permis la réunion régulière des gardes

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 226

nationaux, la proximité de la frontière autrichienne, rappellent quelques clés d’explication de l’échec de l’évasion royale.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 227

Serge Bianchi et Roger Dupuy (dir.), La Garde nationale entre nation et peuple en armes. Mythes et réalités, 1789-1871

Martial Gantelet

RÉFÉRENCE

Serge Bianchi et Roger Dupuy (dir.), La Garde nationale entre nation et peuple en armes. Mythes et réalités, 1789-1871, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006, 561 p., ISBN 2-7535-0235-8, 24 €

1 Cet ouvrage issu d’un colloque récent offre des éclairages couvrant l’ensemble de la « Nation », et au-delà, ainsi que des perspectives balisées de recherche ; le tout dans une édition soignée. Une double introduction des maîtres d’œuvre, programmatique et historiographique, ouvre un recueil composé, outre des 29 interventions, d’un cahier d’illustrations richement commentées, sorte d’ébauche d’une histoire iconographique de la Garde nationale, d’une substantielle orientation bibliographique et archivistique enfin, d’une reproduction de textes fondamentaux et des débats suscités lors du colloque. Ne manquerait à cette impressionnante édition qu’une chronologie permettant de se repérer au sein d’événements reliant les guerres de Religion à la Commune.

2 La première partie évoque l’Ancien Régime des milices rurales (Y. Lagadec) et des gardes bourgeoises. Ce qui peut apparaître comme les « Prémisses et antécédents » de la garde nationale, a joué un rôle important, tant pour la défense des murs que pour la conscience collective des villes, du Moyen-Âge au XVIe siècle. Par la suite, les gardes bourgeoises ont vu leurs missions militaires s’amoindrir puis perdre toute pertinence avec Louis XIV. Elles se sont pourtant maintenues mais en se recentrant autour d’une fonction policière. Le quadrillage du territoire urbain, qu’elles offrent à moindre coût,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 228

permettrait ainsi d’expliquer l’homéostasie des villes d’Ancien Régime. Certes relative, cette stabilité n’en apparaît pas moins étonnante compte tenu de la confrontation, au siècle des Lumières, d’un sous-encadrement policier et de dénivelés sociaux vertigineux. À Toulouse (J.-L. Laffont), comme en Bretagne (S. Perréon), la garde bourgeoise participe à l’ordinaire de l’ordre public. Dissimulée derrière le déclin de la fonction militaire, cette mission a longtemps été sous-estimée faute d’archives suffisantes. D’où l’intérêt, en fin de volume, du « survol des sources » proposé ; d’où l’intérêt aussi d’une démarche microhistorique : à Nantes, cet abord permet de saisir les ressorts d’une sécurité quotidienne inscrite dans une sociabilité de voisinage et dans un encadrement milicien (G. Saupin).

3 La partie suivante – « Genèse et création » – aborde la question des ruptures et des continuités entre les milices d’Ancien Régime, qu’elles soient bourgeoises, rurales ou provinciales, qu’elles soient de Lorraine (J.-P. Rothiot) ou de Corse ( F. Pomponi), et les gardes nationales qui émergent spontanément dans la France en Révolution. Les nouvelles structures diffèrent. Dans leurs recrutements, le primat bourgeois et citoyen dépasse les conflits du XVIIIe siècle entre marchands et robins (B. Baumier). Surtout, les milices bourgeoises procédaient d’une société du privilège : l’exemption de logement militaire, la distinction sociale aussi, poussaient les marchands rennais à investir les postes d’officiers (G. Aubert). Logiquement la garde bourgeoise, comme les Jeux militaires qui en dérivaient (C. Lamarre), disparaissent avec la société dans laquelle ils s’étaient épanouis. Enfin, le processus de politisation, impulsé notamment par l’élection des officiers, accentue la rupture avec le passé. Les gardes nationales quittent le giron municipal qui avait caractérisé leurs devancières : en suscitant des fédérations imbriquées à partir des initiatives locales, elles s’élèvent à la conscience nationale (D. Pingué). En contrepoint, ces structures sont prises dans les débats qui divisent la France et tentées, à Clermont-Ferrand notamment, de prendre position dans les rivalités politiques locales, au risque de basculer dans un césarisme au profit de leurs commandants (P. Bourdin).

4 Pour autant, bien que ne découlant pas des milices bourgeoises, les gardes nationales, par continuité fonctionnelle, s’inscrivent dans le sillage de l’autogestion policière des villes d’Ancien Régime (C. Denys). Dans les communautés urbaines, des plus importantes comme Paris (M. Genty) aux plus petites, c’est de la crainte du désordre et de la Grande peur qu’émergent, dès le printemps 1789, les « gardes », « milices » ou autres « légions » nécessaires au maintien de l’ordre. Les structures royales dépassées, à l’exception des Suisses qui partout vont assurer la soudure sécuritaire entre deux systèmes policiers (A. Czouz-Tornare), c’est aux gardes citoyennes, puis nationales, de reprendre les missions des milices bourgeoises d’antan. Plus profondément, dans cette continuité avec le passé, les tensions révolutionnaires réactivent des clivages anciens : en Provence, la crise commencée en 1787 réactualise d’anciennes oppositions issues des XVIe et XVII e siècles entre les oligarchies municipales et la noblesse provinciale (R. Blaufarb) ; dans le Midi, comme une réplique d’un traumatisme ancien, des « légions » concurrentes rejouent les guerres de religion au point de radicaliser dans un conflit catholiques-protestants, les prises de positions révolutionnaires et contre- révolutionnaires ( V. Sottocasa).

5 La troisième partie – « Les gardes en Révolution » – inscrit la question dans la décennie post-1789. Les gardes nationales, à l’image des gardes rurales en Ille-et-Vilaine et en Seine-et-Oise (S. Bianchi), semblent alors s’inscrire dans une évolution classique faisant

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 229

se succéder une éclosion spontanée, un apogée et un déclin. La première étape, au début de la Révolution, trouve son point culminant lors de la fête de la Fédération : les symboles des étendards alors déployés par la garde nationale de Paris célèbrent, dans le consensus, la liberté – le bonnet phrygien – et l’unité – le faisceau – en occultant, ou en ignorant, la violence du peuple et l’obstruction du roi (É. Liris). Et dans les mois qui suivent, en 1791 (Varennes) puis en 1792 (la guerre), la garde nationale incarne la Nation en armes : triomphe alors le projet des « militaires patriotes » contesté depuis 1789 (P. Catros).

6 Mais déjà de lourdes contradictions travaillent l’institution : le départ des volontaires pour la guerre réduit les effectifs (B. Ciotti) alors que l’ouverture aux citoyens passifs, dès lors nécessaire, introduit les revendications sociales dans le débat politique (S. Guicheteau). Partout, et notamment dans le Midi, une politisation croissante divise, jusque dans les villages, les différentes gardes nationales (S. Clay). Progressivement elles manquent à leurs missions : de forces de l’ordre, elles deviennent ferment de désordres. Aussi, face à une demande croissante de sécurité, des professionnels – la gendarmerie – tendent à remplacer le peuple en armes. Sous le Directoire, victime de ses contradictions, la garde nationale se vide de sa substance et de son dynamisme : elle ne réagit pas au 18 brumaire ; elle se trouve réduite par le Consulat à des tâches de police urbaine auxiliaire (B. Gainot).

7 Enfin, la quatrième partie – « De la Révolution à la Troisième république » – évoque l’évolution de la garde nationale jusqu’à sa suppression au lendemain de la Commune. Ce dernier événement, tout comme la Seconde République (R. Demeude), amplifie les contradictions originelles : implication révolutionnaire et démocratique d’un côté ; réalité du maintien de l’ordre et tropisme conservateur de l’autre (A. Crépin). Sur le XIXe siècle, cette contradiction structurelle détermine des mémoires concurrentes, construites et réactivées depuis 1789 (A. Forrest), et menace l’unité des gardes nationales : dans le Paris de la monarchie de Juillet, les élections des officiers (L. Hincker) politisent, à contre-courant des objectifs de l’État orléaniste, les classes moyennes (M. Larrère). Enfin, entre débordement, passivité ou implication, la garde nationale, sur la période, peine à trouver le positionnement adéquat face aux émeutes populaires (B. Benoît).

8 Bref, par ces éclairages diversifiés, cet ouvrage ouvre de vastes perspectives de recherches pour lesquelles il fournit les outils conceptuels et méthodologiques – comparatisme, microhistoire, temps court-temps long – nécessaires. En somme, au-delà du seul bilan historiographique, un modèle de colloque heuristique.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 230

Stephen Miller, State and Society in Eighteenth-Century France.A Study of Political Power and Social Revolution in Languedoc

Michel Biard

RÉFÉRENCE

Stephen Miller, State and Society in Eighteenth-Century France. A Study of Political Power and Social Revolution in Languedoc, Washington, The Catholic University of America Press, 2008, 324 p., ISBN 978-0-8132-1517-4, 79.95 $

1 Ce livre résulte d’une enquête de l’auteur dans les neuf départements créés en Languedoc. Stephen Miller a travaillé aux Archives départementales de l’Aude, du Gard, de l’Hérault, de Haute-Garonne et du Tarn (ainsi qu’aux Archives nationales), complétant ses trouvailles par la consultation des nombreux travaux publiés sur ces départements, ainsi que sur l’Ardèche, l’Ariège, la Haute-Loire et la Lozère. La bibliographie utilisée est importante (quelque vingt-cinq pages), même s’il est possible de s’étonner de l’absence du travail majeur de Valérie Sottocasa (Mémoires affrontées. Protestants et catholiques face à la Révolution dans les montagnes du Languedoc, 2004) et de regretter que le livre d’Hubert Delpont sur le Sud-Ouest voisin ne soit pas mentionné, alors qu’il pouvait offrir des éléments de comparaison (La victoire des croquants. Les révoltes paysannes du grand Sud-Ouest pendant la Révolution [1789-1799], 2002).

2 L’ouvrage est avant tout destiné à un public anglo-saxon, car tout connaisseur de la bibliographie existante n’aura, en le lisant, guère de révélations essentielles. Toutefois, la synthèse est intéressante, entre autres grâce à la confection de tableaux réalisés à partir de travaux antérieurs et des recherches de l’auteur, ainsi sur les impôts, les droits des seigneurs, les gages des officiers, la répartition des professions dans quelques villages languedociens ou encore les révoltes rurales (même si le mélange de travaux

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 231

historiques anciens et de sources fournit des résultats d’une pertinence parfois assez douteuse). Le livre comprend six chapitres, trois présentant le Languedoc avant 1789, les trois suivants étant consacrés à la Révolution (soit environ 110 pages pour ces derniers). Stephen Miller présente tout d’abord les jeux de pouvoirs, insistant sur les conflits entre, d’une part, l’intendant et les États provinciaux, de l’autre, les seigneurs, à propos de l’administration des communautés villageoises, ainsi que des droits « seigneuriaux » et « féodaux » (pour ceux-ci, l’ouvrage donne des chiffres sous forme de tableaux qui permettent des comparaisons immédiates). Les jeux de pouvoirs, ce sont aussi, ici comme dans d’autres provinces, les rivalités et tensions entre les « agents » du pouvoir central, avant tout l’intendant, les pouvoirs locaux, les élites nobiliaires. L’ouvrage comporte également de courtes et pratiques synthèses sur le « régime » seigneurial, sur la justice, ou encore sur la question fiscale (avec là encore des tableaux chiffrés). Les chapitres consacrés à la période révolutionnaire évoquent les positions de la noblesse et de la « bourgeoisie » à la veille du grand séisme de l’été 1789, puis l’auteur distingue, d’un côté, le Toulousain et l’Albigeois, de l’autre, le sud du Massif central, puis les cas spécifiques de Nîmes et Montpellier (chapitre 4, « Revolutionary Politics, 1788-1791 ») ; les questions économiques et sociales, les mouvements populaires, la contre-révolution (chapitre 5, « The Revolutionary Dynamic, 1789-1793 ») ; enfin, les questions politiques, puis les lendemains de Thermidor (chapitre 6, « Radicalism, Terror, and Repression, 1792-1799 »). Le tout avec un découpage chronologique un peu étonnant, car, par exemple, il n’y a presque rien sur les années 1795-1799 en dépit du titre du dernier chapitre.

3 C’est surtout à propos des révoltes rurales que Stephen Miller apporte des précisions et des analyses bienvenues, à défaut d’être vraiment novatrices. Il rejette tant la vision de mouvements populaires « rétrogrades » que la thèse qui vise à privilégier les causes politiques, en faisant fi du substrat économique et social (« Yet ideology was not the sole cause of political radicalization »). Pour autant, son souci de l’histoire sociale ne l’empêche en rien d’être lucide et de constater, comme d’autres avant lui, que le contexte politique peut aussi modifier le visage des révoltes rurales. Ainsi, dans le cas de l’Ariège, en 1792, l’imminence d’une guerre avec l’Espagne transforme vite les nobles en ennemis tout désignés. Après que la traque des « suspects » se soit ouverte en août, des paysans s’en prennent aux châteaux entre septembre et novembre, et cette fois ce ne sont pas les seules « redevances » qui sont en cause. Comme en Ardèche et dans le Gard au printemps précédent, cette nouvelle vague « rébellionnaire » se singularise par une importante participation de gardes nationaux et de notables. Stephen Miller écrit, avec raison: « This pattern of revolt costs doubt on Alfred Cobban’s argument that the leaders of the third estate sought to preserve seigneurial levies ». En Languedoc, les membres des élites du Tiers sont plus préoccupés par les révoltes de subsistances que par les révoltes antiseigneuriales, mais ils aident rarement les seigneurs à défendre leurs droits, ce que montre bien l’exemple des Corbières (où les droits des seigneurs pèsent lourd, ponctionnant environ 20 % de la « production » paysanne). Et il relève des incidents dans le district de Toulouse qui attestent que les autorités locales tolèrent, voire encouragent, les rébellions rurales contre les seigneurs.

4 Stephen Miller propose par ailleurs quelques développements intéressants sur les jeux de pouvoirs locaux au temps de la Révolution, notamment en l’an II. Néanmoins, certaines conclusions sont ici plus discutables. En effet, soutenant que les politiques au temps de la Terreur ne sont pas uniquement liées aux « tempéraments individuels » (certes…), il affirme que meneurs et militants ont pour la plupart été d’une manière ou

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 232

d’une autre des « exclus » sous l’Ancien Régime et seraient donc quelque peu « revanchards » (« [They had shared a hopeless exclusion from the old regime spheres of wealth, power, and privilege […] Of course, not everyone excluded from the positions of authority of the monarchy went on to become a terrorist. But one cannot account for the ones who did without taking the old regime into consideration »). Et l’auteur de conclure que des « petits bourgeois » conduisant la Terreur à l’échelle locale, la Convention nationale, une fois les « circonstances périlleuses de 1793 » passées, n’eut guère de difficultés à les écarter de la scène politique, car ils ne disposaient pas d’un véritable soutien populaire. Gageons que les jeux de pouvoirs et de réseaux relationnels, tout comme les clivages sociaux, sont nettement plus compliqués que cela.

5 En dépit de ces dernières remarques, l’ouvrage de Stephen Miller vient donc nous fournir une synthèse « régionale » digne d’intérêt, qui prendra place aux côtés de nombreux autres travaux du même genre et permettra aux chercheurs de nouvelles études comparatives.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 233

Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République

Jean-Clément Martin

RÉFÉRENCE

Sophie Wahnich, La longue patience du peuple. 1792. Naissance de la République, Paris, Payot, 2008, 536 p., ISBN 978-2-228-90277-9, 27.50 €

1 Comment rendre compte des revendications politiques du peuple de Paris en articulant émotions et principes, droits positif et naturel, tel pourrait être brièvement résumé le point d’entrée de ce gros livre, consacré à l’analyse d’une année de la Révolution, de la fin 1791 à la fin de 1792, de l’amnistie proclamée pour tous les faits de révolte après l’établissement de la Constitution de 1791 jusqu’aux lendemains des massacres de septembre. L’idée est judicieuse de se pencher sur cette année, qui a cessé d’être à la mode dans l’historiographie récente, après l’avoir été jusque dans les années 1960. Le regard porté sur « la Terreur » depuis plus de vingt ans a fait oublier l’importance de ce qui s’est joué pendant la Législative.

2 L’attention aux émotions et aux demandes populaires est légitime quand on voit comment, marche après marche, se constitue une radicalisation des rapports sociaux au moment de l’entrée en guerre, culminant en quelque sorte dans les tueries de septembre qui demeurent encore aujourd’hui un objet mal connu. À cet égard, l’auteur se situe, quoi qu’elle en ait, après T. Tackett et M. Ozouf montrant, après d’autres, comment l’épisode de Varennes a creusé un fossé entre les discours politiques des élites détenant le pouvoir national et départemental, attachés au constitutionnalisme, d’une part, et d’autre part, les attentes populaires d’une révolution nationale et protectrice rencontrant les réclamations des militants porteurs d’idéaux inspirés par le droit naturel. Mais plutôt que de se cantonner dans le strict domaine du « politique » dont le modèle a montré ses limites explicatives, l’auteur recourt aux dimensions de l’émotion,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 234

du sacré, de l’esthétique (au sens large) pour montrer comment les hommes d’État et les hommes d’appareils se trouvent en porte-à-faux devant les demandes populaires. Elle suit alors les malentendus et les désaccords qui se succèdent un peu comme autant de tours d’écrous : l’amnistie de 1791, la déclaration de guerre, la mort de Simonneau, les manifestations populaires, les journées des 20 juin 1792, 10 août et enfin les massacres de septembre, l’annonce du procès du roi.

3 Le propos général du livre participe au renouvellement important qui affecte l’histoire de la Révolution française, on comprend qu’il ait pu être salué à sa sortie pour ce qu’il comportait de provocations. Son auteur n’a pas hésité à parler d’un refus de l’histoire froide de la Révolution et de vouloir en restituer la sacralité. Reste qu’il soulève de nombreuses objections, pour des raisons différentes. Commençons par dire que le parti pris d’écriture est compliqué, le mélange des références poétiques, philosophiques, musicales n’apporte rien à la démonstration historique. Celle-ci demeure allusive, destinée en dernier ressort aux très bons connaisseurs de la chronologie fine des événements et de l’historiographie. Le discours ne retient que ce qu’il veut démontrer et exclut radicalement tout ce qui pourrait le contredire ou le nuancer. On ne peut qu’être critique vis-à-vis d’un livre qui ne prend pas en compte et ne discute pas les connaissances déjà établies pour ne se référer qu’à quelques auteurs et à des citations considérables – et non expliquées – des Archives parlementaires, dont on sait trop les limites en tant que source. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le livre essentiel de M. Reinhard (Le Dix Août, Gallimard, 1969) n’est jamais employé. Qu’il puisse être contesté, notamment sur son refus d’une lecture « chaude » des événements aurait été compréhensible. Qu’il ne soit pas cité n’est pas acceptable, puisque précisément la démarche de Reinhard était déjà de restituer l’épaisseur des tensions qui avaient traversé le pays depuis 1791 et conduit à la révolution de 1792.

4 Cette sortie du débat historiographique, volontaire, s’accompagne également d’une décontextualisation systématique. Les événements présentés ne sont jamais insérés dans leur temporalité et leur complexité. Pour ne prendre là aussi qu’un seul exemple, peut-on isoler les dons en 1791-1792 de ce qu’ils ont été dans les années précédentes, lorsque d’innombrables individus, pas seulement issus du peuple, pas seulement porteurs d’envie de réformes, illustraient cette pratique loin d’être univoque, comme le livre tend à le montrer. Cette univocité des notions et de l’analyse est tout à fait inacceptable lorsqu’elle défend d’un côté ce langage sur l’enthousiasme, le sacré et la violence, et qu’elle ne fait aucune part, même sous forme d’une allusion la plus discrète, à tous les courants et les mouvements qui ont participé des mêmes sensibilités, mais dans d’autres orientations. La valorisation de l’opposition entre cœur et raison appartient à une époque et pas à un milieu, et même la reine a apporté, inconsciemment, sa pierre au changement de sensibilité.

5 Surtout si la recherche du sacré, et notamment du sacré communautaire, a bien eu lieu c’est au sein de tous les groupes imprégnés de la religion la plus traditionnelle, qu’ils soient catholiques ou protestants, qui n’ont pas cessé, depuis 1790, d’intervenir sur les scènes politiques régionales, en s’opposant aux lois nationales, essentiellement pour les contester, parfois pour réclamer davantage. Précisément, c’est bien en 1791 que les émotions engagent une partie du pays dans une « guerre civile », c’est-à-dire dans l’emploi de la violence en déniant au pouvoir central qu’il puisse en avoir seul la légitimité, au nom de valeurs profondément sacrées, poussant les militants à subir et à donner la mort. Sans chercher le paradoxe, ce sont les contre-révolutionnaires les plus

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 235

déterminés qui ont assuré les premiers que la voix du peuple est la seule porteuse du salut public lorsque la communauté est en danger (pour faire écho à la page 16) ! Pour continuer la critique, l’attention au « corps parlant », aux émotions collectives sacrées, aux refus du texte écrit ne sera pas, au XIXe siècle, l’apanage de la gauche révolutionnaire, mais bien de la droite contre-révolutionnaire, qui développera une pédagogie populaire fort habile et fort efficace qui mobilisera les foules (et les femmes) jusque dans les années 1950. Curieusement, les événements qui se produisent dans la vallée du Rhône, dans l’Ouest, et qui entraînent en retour la surenchère parisienne, ne sont pas étudiés (sauf Avignon) dans le livre, qui se prive ainsi, volontairement n’en doutons pas, de toutes les revendications populaires sacrées qui contribuent à faire basculer la Révolution dans la violence. De la même façon, il ne dit rien de ce qui se produit à Saint-Domingue, alors que le peuple des esclaves se révolte contre les lois, ou contre l’inapplication des lois. Mais il est vrai que les sacrifices qui sont alors consentis et infligés ne le sont pas sous l’influence du droit naturel, nombre de révoltés tuant les blancs accusés de n’avoir pas voulu suivre les prescriptions, imaginaires, attribuées au roi, recommandant des jours de repos !

6 La confusion des notions employées est à maints égards inquiétante. Le « sacré » n’est jamais défini, ni inscrit dans une réflexion critique. Régulièrement postulé, assigné à une dimension sacrificielle et corporelle, il ne suffit pas de dire qu’il possède une « réalité énigmatique » (p. 67) pour épuiser le débat. Le réserver en tout état de cause à une catégorie de personnes, ne peut pas se légitimer alors que c’est toute la période révolutionnaire qui est sous le signe du sacré, si l’on prend le mot à la suite d’A. Dupront (Du Sacré, Gallimard, 1987, p. 14-15, qui serait à citer, allant de l’absurde à la folle expérience, insistant sur « l’irrationnel comme énergétique de l’histoire », réservoir et source de tout le « faire » humain), et du sublime. Il n’est précisément pas possible de circonscrire la démonstration au petit cercle auquel elle est attachée, sans perdre la fécondité du recours au sacré pour comprendre le phénomène révolutionnaire dans sa plénitude et ses contradictions. Une allusion au jansénisme ne suffit pas pour tenir compte des attentes eschatologiques et des habitudes de résistance sacrificielle des jansénistes parisiens, notamment ceux qui peuplaient le faubourg Saint-Marcel, introuvables au demeurant dans la somme d’Haïm Burstin. L’iconoclasme du livre ne va pas jusqu’à rappeler l’absence pour le moins ahurissante de prise en considération de la dimension religieuse (et pas seulement « sacrée ») de la Révolution par les grands courants historiographiques. Les points aveugles demeurent.

7 La démonstration pèche par l’absence totale de définition du mot « peuple », impensé du livre. Les tensions sociales sont suffisamment connues pour que tout le monde puisse, quels que soient les points de vue, se retrouver d’accord. Mais la délimitation du mot n’étant jamais abordée, le livre renoue, bizarrement, avec une historiographie hagiographique. Il semble que ce ne soit que des éléments populaires parisiens, sans doute sans-culottes, qui soient pris en considération. Plutôt, l’absence de définitions sociales, politiques, économiques, topographiques, discursives, laisse penser que « peuple » renvoie à un idéal-type incarné irrégulièrement dans des manifestations collectives opposées aux décisions des hommes d’État. Ces manifestations semblent dirigées par des porte-parole, absents de la démonstration ! Tout ceci permet la malléabilité de la chose, délivrée de l’exactitude du mot, alors que les débats ont été continuels sur la signification du mot « peuple », précisément en 1792, quand constitutionnalistes et radicaux rivalisent pour représenter la volonté populaire.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 236

8 Il est difficile d’accepter que les journées d’octobre 1789 aient lié de « façon absolue » (p. 174) les questions des subsistances et des droits, quand on s’intéresse à la marche des événements et aux acteurs. Il est difficile de ne pas s’interroger sur les réactions, constantes, des jacobins devant nombre de manifestations « populaires » considérées comme contre-révolutionnaires ; la surdité des élites est peut-être d’origine sociale, il faudrait l’expliquer, elle est aussi l’effet du refus du populisme, dont le risque a été continuellement mesuré par tous les militants révolutionnaires. On voit d’ailleurs comment, au fil du texte, les glissements se font entre les radicaux qui s’appuient pour prendre le pouvoir sur des revendications jugées populaires et qui s’en détachent ensuite. Des « girondins » jusqu’à Hébert et Chaumette, on sait bien comment ce fossé s’est creusé, notamment vis-à-vis des citoyennes révolutionnaires, dont l’itinéraire est exemplaire. En outre, les « fédérés » de 1792 seraient certainement surpris d’être intégrés dans le « peuple », alors que l’on sait leurs distances vis-à-vis des sans-culottes parisiens et notamment de Marat. Il y a là un tour de passe-passe qui requiert un mot dont le sens ne cesse de changer, mais qui est posé comme constant pour justifier une démonstration linéaire. Paradoxalement, l’auteur rencontre la tentative de Roger Dupuy (La politique du peuple, A. Michel, 1998) en réifiant sous d’autres aspects un peuple décidemment introuvable. L’interrogation autour du sacré et des émotions était indiscutablement la bonne, mais elle a achoppé sur ces a priori.

9 La partie la plus délicate de la démonstration relève de la justification de la violence « populaire ». La « voix du peuple » intervient pour corriger toujours correctement les dérives des hommes d’État, des représentants sourds. Elle peut se livrer à des gestes inhumains, ils se justifient par les besoins de la communauté. La violence est ici simplement assimilée à la sphère sacrée, et son évocation devient de la poésie, « soleil noir et arctique », placée sous l’invocation de René Char, qui semble justifier ainsi toute violence ! Disons le simplement, il s’agit là d’un tour de force qui ne peut pas être accepté, ni historiquement, ni épistémologiquement, ni philosophiquement.

10 Les descriptions des violences sont menées de façon manichéenne, sans discussion, sans prise en compte des jeux de pouvoirs et des contextes. La journée du 10 août 1792 sombre dans une évocation simplement scandaleuse au regard de ce qui est connu depuis des décennies. Elle ne peut pas se résumer à la fusillade par des Suisses (pourquoi au passage oublier les contre-révolutionnaires bien français ?) d’un peuple confiant et naïf. Il n’est pas possible d’assurer que le peuple a été « magnanime » (p. 425) le 10 août. Transformer les massacres de septembre en justice populaire relève là aussi de la manipulation. Caron, certes cité, procédait avec mesure et ne cherchait pas à justifier une tuerie. Cette présentation de la violence est d’autant moins acceptable, qu’elle repose sur une condamnation des massacrés quand ils sont des opposants déclarés – ou non. Ainsi les morts d’Avignon (la démonstration de René Moulinas, Les Massacres de la Glacière, Aix-en-Provence, Edisud, 2003, pourtant citée, dit explicitement le contraire de ce qui est donné dans le livre) ou le prêtre de Limoges mis à mort n’auraient eu que ce qu’ils méritaient. Le tribunal de l’histoire ne peut pas rendre des verdicts sans accepter tous les points de vue, il ne peut pas non plus oublier que les assassins (les mots ont un sens et il faut le garder) ont été mis au ban de leur société et qu’ils n’ont dû leur impunité temporaire, qu’à leur rôle dans des institutions qu’ils ont contrôlées jusque dans les années 1793-1794. On connaît ce qui s’est passé à La Rochelle en mars 1793, pour ne pas être dupe des analyses pseudo politiques transmuant des actes de droit commun en justice populaire ; ou pire quand

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 237

manifestement le « peuple » est manipulé par des « modérés » (Claudy Valin, Autopsie d’un massacre, Saint-Jean d’Angely, Bordessoules, 1992). Le XXe siècle a été généreux en ce qui concerne les déviations de ce genre de justice. De la Révolution russe, depuis l’été 1917, au Cambodge de sinistre mémoire, en passant par le Japon des militaires pour refuser catégoriquement que l’on puisse, en historien, justifier la mort d’un opposant parce qu’il a politiquement tort (p. 41, 364). Rien ne peut justifier philosophiquement une telle position d’appel au meurtre populaire, dans une pareille démonstration aussi imprécise et aussi inscrite dans un climat de sacralité mal définie.

11 Pire enfin, il y a là une position dangereuse pour le sens même de l’histoire. Admettre que la vengeance puisse être source de violence légitime, en remplacement du « silence de la loi » (p. 132), c’est d’abord refuser l’existence de la justice, incompatible par définition avec toute vengeance, et ensuite le politique considéré comme l’espace de la fabrication du lien social, fondé sur l’échange et le respect de l’autre, tout ceci au nom d’un surplomb sidérant d’un « droit naturel » ayant valeur d’une parole prophétique appliquée sans discussion par des dévots inspirés, surtout quand on connaît la complexité même des modalités de mise en acte du droit naturel parmi les acteurs qui en font mention, Robespierre le premier. On est là dans le déni même de ce qu’a été l’invention de la Révolution française, que ce soit dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme, ou dans la lettre de ces lois. Car, pour finir, il faut rappeler, d’une part, que l’amnistie de 1791 invoquée dans l’ouvrage doit s’appliquer à tous les faits de « révolte » commis depuis le 1er mai 1788, ce qui ouvre la réflexion sur la continuité entre « Ancien Régime » et Révolution, d’autre part, que le 19 septembre 1792, les députés de l’Assemblée législative décrètent l’inviolabilité des représentants de la nation. Ce texte, peu utilisé, est pourtant important ici. Les députés dénoncent des « hommes perfides et agitateurs » qui provoquent des fureurs « populaires » contre les représentants du peuple qui « ont manifesté des opinions qu’ils pouvoient émettre librement, même en les supposant dangereuses et erronées ». Ils ajoutent : « Les représentants de la nation appartiennent au peuple entier ; il n’y a plus de liberté ni d’égalité, s’ils peuvent être dépendants d’une partie quelconque du peuple […] toute nation où le caractère de représentant n’est pas sacré, est nécessairement une nation sans gouvernement et sans loi ». On ne saurait mieux dire pour refuser les conséquences d’un populisme émotif, susceptible de toutes les manipulations et pour sortir d’une injonction à un sacré porteur de toutes les déviations.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 238

Graeme Fife, The Terror. The Shadow of the Guillotine: France 1792-1794

Michel Biard

RÉFÉRENCE

Graeme Fife, The Terror. The Shadow of the Guillotine: France 1792-1794, New York, St. Martin’s Press, 2006, 438 p., ISBN-13 978-0-312-35224-0, 30 $

1 Cet ouvrage est une réédition de celui publié à Londres en 2003 (puis à nouveau en 2004). Le titre « accrocheur » ne fait pas longtemps illusion. Un simple coup d’œil à la bibliographie suffit à se convaincre de la légèreté de ce livre, pourtant fort de quelque 440 pages. L’auteur ignore une grande majorité des travaux récents et son ignorance concerne des historiens pourtant divers, aussi bien Vovelle que Baker, Martin que Gough, Biard que Gueniffey, etc. Il est souvent reproché aux historiographies française et anglo-saxonne de trop s’ignorer, Graeme Fife les met d’accord par le vide sidéral de ses références bibliographiques. Comme son livre est également dénué de toute note infrapaginale, l’inquiétude du lecteur ne peut que grandir et ce n’est pas la découverte des dix-neuf chapitres qui pourra le consoler.

2 Les titres de plusieurs d’entre eux annoncent clairement la couleur : « The National Swimming Baths », « Blood and Judgement », « The Tigers are Quarelling »… Graeme Fife livre un récit chronologique parsemé de courtes notices biographiques, si tant est qu’on puisse utiliser ce nom pour qualifier les lignes assassines écrites sur les personnages mentionnés. Les premières pages annoncent d’emblée la volonté de l’auteur : dès l’été 1789, la Révolution n’est décrite que sous l’angle des violences et les foules révolutionnaires sont assimilées à des hordes de buveurs de sang (« The people of Paris, the mob », tout est dans ce mot). On n’y verra que des coupeurs de têtes et des violeurs de cadavres, sans oublier les femmes d’octobre 1789 ainsi évoquées : « a large group of the notoriously irascible and vocal market women of Les Halles ». Gueulardes et promptes à jouer du couteau, ce sont là des femmes que nul ne souhaiterait rencontrer au coin de sa rue ! En deçà et au-delà de la Terreur, c’est donc la Révolution toute entière qui est

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 239

ainsi présentée comme un temps de déchaînement des violences et bien sûr stigmatisée au fil des chapitres consacrés à la condamnation du roi déchu, à la Vendée, au « fédéralisme », au gouvernement révolutionnaire, aux Indulgents, aux colonnes infernales, aux événements de germinal et thermidor an II…

3 L’historien n’apprendra strictement rien avec ce livre, dans lequel, de plus, les erreurs sont très nombreuses. Mais qu’il soit réédité laisse rêveur (ou plutôt enclin au cauchemar) sur le « grand public » anglo-saxon auquel il est destiné. L’auteur n’est pas un spécialiste de la Révolution française et n’a pas travaillé sur les sources. Il n’est pas davantage historien. Auteur pour la radio, la BBC, le théâtre, etc., il a publié des ouvrages très éloignés du sujet du présent livre… sauf à considérer que ses récents écrits sur l’histoire du Tour de France aient un quelconque rapport avec la Terreur ! Ce n’est certes pas avec cette « ombre de la guillotine » que les lecteurs américains vont devenir plus cultivés, mais il est vrai que ce doit être le cadet des soucis de l’auteur. Écrire sur la grande boucle lorsque des coureurs américains la dominent ou écrire sur la Terreur en un temps où se multiplient des ouvrages qui font fi de leur contenu scientifique indigne et visent avant tout à condamner la Révolution française, il faut croire que le calcul commercial est bon.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 240

Procès-verbaux de la société populaire de Crépy-en-Valois (Oise). Septembre 1793 - avril 1795, édités et présentés par Jacques Bernet

Laurent Brassart

RÉFÉRENCE

Procès-verbaux de la société populaire de Crépy-en-Valois (Oise). Septembre 1793 - avril 1795, édités et présentés par Jacques Bernet, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2007, 387 p., ISBN 978-2-7355-0634-7, 50 €

1 C’est à une connaissance approfondie des rouages de la politique révolutionnaire de cette France des plaines de grande culture, France de l’ordre et du conformisme politique, selon la caractérisation établie par Michel Vovelle dans son essai d’une géopolitique de la France en Révolution, que nous convie l’édition des procès-verbaux de la société populaire de Crépy-en-Valois, un bourg du département de l’Oise, situé à 60 kilomètres au nord de Paris. Spécialiste de l’histoire de la Révolution française en Picardie et en Champagne, Jacques Bernet a su mettre en valeur cette source exceptionnelle par la richesse érudite d’une introduction, d’un appareil critique conséquent (issu notamment de la confrontation de son document avec les papiers de la municipalité et du district) et d’un corpus d’annexes de près de soixante pages. Il est vrai que la qualité de la source invitait à une pareille entreprise éditoriale : tous les procès-verbaux de cette société de sa fondation en septembre 1793 à sa dissolution en fructidor an III, tous les papiers de ses comités, tous les rapports de ses membres ont survécu aux destructions du temps, ce qui est plutôt rare dans les départements picards peu épargnés par les dégâts des guerres ou des réactions politiques.

2 Mais le principal intérêt à l’édition de cette source tient au fait que la société populaire de Crépy-en-Valois soit pleinement représentative du modèle de la sociabilité jacobine

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 241

septentrionale, tel que l’ont établi Jean Boutier et Philippe Boutry, en s’appuyant notamment sur les travaux de Danièle Pingué et Jacques Bernet. Conformément à ce modèle, l’implantation d’une société dans ce bourg chef-lieu de district est tardive (septembre 1793) et résulte de l’impulsion de deux représentants du peuple en mission. Comme la plupart de ses consœurs picardes et champenoises, cette société politique, bien que très fréquentée (un peu plus de 200 membres pour une ville de 2 000 habitants environ) n’en reste pas moins socialement circonscrite à un noyau de « patriotes locaux issus de la classe moyenne », pour la plupart artisans, boutiquiers, professions libérales et administratives. Manque à l’appel toute une population ouvrière et encore plus agricole. Alors pourquoi persister, comme le fait l’auteur, à tenir cette société pour « authentiquement populaire tant par son large recrutement social que par le public des tribunes » ? D’autant que, conformément au modèle de la sociabilité jacobine septentrionale, ce club n’exerce aucun rôle de contre-pouvoir politique et social aux municipalités et aux districts puisque ses animateurs siègent aussi comme élus au sein de ces pouvoirs depuis la monarchie constitutionnelle. Quant à son président le plus influent, il n’était autre que le maire de la ville ! Rien d’étonnant dès lors à ce que cette société populaire se place sous l’autorité du district et travaille en pleine symbiose avec la municipalité. Emblématique de ce positionnement, politique est, d’une part, la répugnance de cette société à se constituer en réseau avec ses consœurs du département, d’autre part à accepter de jouer le rôle d’une société-mère à l’échelle du district. Avec de telles dispositions, on ne sera pas surpris de constater le conformisme politique de cette structure révolutionnaire. Pas de clivages de parti en son sein, uniquement des approbations à la politique du pouvoir central, qu’il s’agisse de l’élimination des factions en germinal ou du coup de Thermidor !

3 Pour autant, l’absence de radicalité ne fait pas de la société politique de Crépy-en- Valois un pouvoir fantoche : souvent elle agit comme un relais local du pouvoir central lorsqu’elle s’engage dans des initiatives d’éducation politique et civique à destination de la population ou lorsqu’elle veille à l’application des lois ; elle se comporte aussi comme un laboratoire d’idées à destination de la municipalité qui tenait plus ou moins compte de ses propositions. Enfin, elle a toujours constitué pour les administrations municipales et de district un réservoir de commissaires dévoués notamment pour procéder aux réquisitions. Car tout en s’efforçant de ne pas recourir aux pratiques terroristes, cette société a érigé l’effort de guerre et les questions frumentaires et agraires au premier rang de ses préoccupations. En concourant à la réussite des approvisionnements des armées, de Paris et des marchés locaux, non sans esprit critique (elle se montre par exemple très sceptique sur « les bienfaits » du maximum), en maintenant l’ordre civique, elle a su épargner à sa ville la surenchère terroriste qu’aurait provoqué le stationnement de l’Armée révolutionnaire parisienne, très active dans les districts voisins du département de l’Aisne.

4 À travers l’édition des procès-verbaux de cette société populaire oisienne, Jacques Bernet propose de mieux appréhender les idées et les pratiques, les succès et le déclin dès le printemps de l’an II, de cette sociabilité jacobine septentrionale si différente du modèle méridional. Si l’analyse des pluralités régionales de la politique à l’âge de la Révolution en sort renforcée, cette édition scelle aussi un sort – s’il en était encore besoin – aux derniers tenants des thèses d’Hippolyte Taine sur le terrorisme de la « jacobinière » et d’Augustin Cochin sur l’efficacité redoutable de « la machine jacobine ».

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 242

Jacques Hussenet (dir.), « Détruisez la Vendée ! »

Jean-Clément Martin

RÉFÉRENCE

Jacques Hussenet (dir.), « Détruisez la Vendée ! », La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2007, 634 p., ISBN 978-2-911253-34-8, 25 €

1 Il ne faudrait pas que ce titre accompagné par une couverture montrant des soldats bleus tirant vers une quatrième de couverture illustrée par un château en flammes rebute des lecteurs. Sans doute le parti pris de la publication est-il manifeste, la défense de la Vendée est à l’ordre du jour et il serait facile de relever ici et là les critiques ordinaires décernées à l’égard de l’histoire universitaire. Mais l’essentiel n’est pas là, et au-delà du parti pris, il s’agit d’un ouvrage qui a toute sa place dans toutes les bibliothèques et bibliographies consacrées à l’histoire de la période révolutionnaire. Ce gros volume est divisé en quatre parties de 150 à 200 pages chacune, dédiées à morts et disparus en Vendée militaire, villes et villages dans la tourmente, mobilisations et pertes des armées républicaines et sous le titre « Pour en savoir plus » près de 200 pages rassemblant une imposante bibliographie régionale et locale ainsi qu’une présentation fine de la méthode suivie par le maître d’œuvre. Celui-ci est connu pour des études démographiques relatives aux pertes liées à la guerre de Vendée, il propose ainsi une synthèse et un bilan, qui mérite beaucoup d’attention, d’abord et avant tout parce qu’il tente de proposer une échelle vraisemblable des morts et des disparitions tant du côté blanc, que bleu (troupes républicaines comprises) provoquées par les guerres de Vendée. L’entreprise est louable, d’une part, parce qu’il s’agit là d’une recherche méthodique, pondérée, discutant largement la littérature précédente, d’autre part, parce qu’en faisant des comparaisons avec d’autres cas, dont Lyon et Toulon, elle illustre la nécessité absolue, que nous avons déjà rappelée à plusieurs reprises, de faire ce genre de recherches de façon systématique pour l’ensemble de la période et l’ensemble du pays, et permettre, enfin, d’affronter sereinement les légendes

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 243

et les traditions pernicieuses qui ne cessent de circuler sur ce sujet. Il serait temps de revenir sur les estimations toujours répétées données en 1935 par Donald Greer. Le paradoxe est que la leçon vienne de la Vendée – sans doute est-ce là la démonstration que décidemment l’histoire de la contre-révolution est inséparable de celle de la Révolution.

2 Faisons un sort rapidement aux articles donnés sur des études de cas particulières, combattants insurgés de Chemillé, martyrologe de la Gaubretière, Cholet pendant la période, reconstruction de Bressuire, ou 4e bataillon de l’Hérault, les Mayençais en Vendée, les hôpitaux de l’armée de l’Ouest, le nombre des morts des armées républicaines. Non pas qu’on y apprenne peu. Si le tableau de Chemillé corrobore les conclusions de Claude Petitfrère, tout en insistant sur l’organisation interne de l’armée blanche, la description de La Gaubretière est neuve et convaincante. On y voit au XIXe siècle l’invention du « Panthéon de la Vendée », pour une paroisse qui ne correspond pas aux stéréotypes figés d’une historiographie vendéenne. La population bien étudiée se révèle quelque peu indépendante de l’Église, le bilan humain de la guerre est lourd mais moins marqué que ce qui en est resté dans la littérature. La ville de Cholet révèle ses contradictions, déjà connues ; dirigée par des bleus dans un pays blanc, elle perd sans doute 60 % de ses habitants et subit une série de dévastations qui ne l’empêchent pas de repartir sous l’effet du commerce. Bressuire est dans une situation inverse, et l’analyse demeure lacunaire. Les soldats de l’Hérault illustrent ces républicains arrivés en Vendée un peu par hasard, levés pour des raisons de politique interne à leur région, ils se retrouvent dépassés par une guerre qui prélève un tribut élevé et les réunit à des sans-culottes qu’ils n’appréciaient que peu. On reste cependant ici et là sur sa faim, car le contexte de l’Hérault étudié encore récemment à ce moment-là, méritait mieux. Le cas des Mayençais, vaincus illustres de 1793, envoyés en Vendée, servant de troupe de choc avant de se retrouver suspects aux yeux des sans-culottes dirigeant l’armée de l’Ouest est intéressant. La mortalité des soldats au combat est élevée, attestant l’importance de leurs engagements. L’approche des hôpitaux militaires, qui demeure malgré tout une esquisse, révèle la multiplicité des cas de maladies mortelles qui ont frappé les soldats républicains, mais le calcul arrivant à 923 morts sur 15 596 soldats rencontrés dans les archives demeure d’une signifi cation un peu aléatoire. L’estimation globale de 20 à 25 % de pertes pendant les années de guerre (30 000/37 000 morts) au sein des effectifs républicains est vraisemblable. Elle rappelle clairement le besoin de reprendre ce chantier.

3 Restent les parties les plus importantes du livre. À côté d’une chronologie, Jacques Hussenet signe une historiographie des guerres de Vendée (et par conséquent de la Révolution) qui participe de la connaissance, encore lacunaire, de l’évolution des connaissances de l’historiographie de la période. Sans doute n’y a-t-il pas de révélation particulière pour les spécialistes, mais le tableau est bien documenté, et si l’on accepte la polémique, il est enrichissant. Plus importante est l’estimation des pertes globales. À travers une critique, parfois un peu rude des travaux existants, Jacques Hussenet arrive d’une façon convaincante à une évaluation de 170 000 morts et disparus parmi les Vendéens (blancs et bleus) pendant la guerre. On peut regretter qu’il ne nuance pas davantage le spectre social. N’y avait-il que des blancs et des bleus ? et ceci uniformément dans « une Vendée militaire » dont on sait bien que l’existence n’arrive qu’au début du XXe siècle. Mais la prudence de la conclusion – et certainement l’impossibilité de trouver les critères qui permettraient de faire une approche plus fine

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 244

– lève l’objection. D’autant que l’auteur admet volontiers que les recherches méritent d’être prolongées sur les destructions de bâtiments, lourd dossier complexe et fondamental. Pour avoir proposé une fourchette plus élevée, que j’avais moi-même affinée autant que j’avais pu par la suite, je me range volontiers derrière ce chiffre qui s’appuie sur des sources exposées précisément dans la dernière partie de l’ouvrage, qui mérite de figurer parmi les lectures obligatoires pour tous les étudiants et chercheurs ultérieurs intéressés par ce genre de recherches. Il y a fort à parier que des études érudites viendront contester sur tel ou tel point précis les propos de l’auteur, pour peu que des archives permettent de faire des analyses fondées sur des reconstitutions familiales notamment. Il convient aussi de rappeler que les bibliographies établies par Lemière et par Yves Vachon qui les réédita dans les années 1980, comportaient à l’époque une masse considérable de titres d’ouvrages et d’articles très supérieure à ceux qui sont cités ici. Il y a, à l’évidence, encore beaucoup à faire et certainement à affiner. Pour mémoire, saura-t-on jamais de façon claire ce que furent les mouvements de migration et l’ampleur des retours après 1800, 1806, voire 1815. La thèse et le livre de G. M. Lenne sur les réfugiés de la Vendée n’ont pas été suffisamment mis à contribution et l’appréciation de la Virée de Galerne demeure toujours à faire. Reste que le tableau d’ensemble est convaincant, incite à prolonger le travail en l’étendant à tout le pays. Enfin, le débat est mené clairement à propos du génocide, l’auteur concluant d’une façon proche de la nôtre, pour refuser le terme, recourir au terme de crimes de guerre et de massacres, en laissant dans l’ombre au passage la question de la responsabilité de la Convention. En abandonnant une lecture trop idéologique, Jacques Hussenet restitue à cette guerre la sauvagerie qui a accompagné toutes les guerres civiles. Même s’il n’accepterait certainement pas l’idée qu’il y a eu là un « défaut d’État » plutôt qu’un « excès d’État » comme je le propose depuis longtemps, il me semble qu’en se rangeant dans une approche qui fait la part belle aux atrocités commises localement par des troupes mal encadrées et apeurées (des lettres citées appuient cette conclusion), l’auteur nous fait sortir des accusations péremptoires et des comparaisons aventurées qui entravent la compréhension historique des faits et transforment l’histoire en querelles partisanes.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 245

Hélène Jarre, La Contre-Révolution en Haute-Loire (1789-1799). La compagnie des Ganses blanches, la Terreur blanche, le procès des Compagnons de Jésus

Jean-Clément Martin

RÉFÉRENCE

Hélène Jarre, La Contre-Révolution en Haute-Loire (1789-1799). La compagnie des Ganses blanches, la Terreur blanche, le procès des Compagnons de Jésus, Polignac, Éditions du Roure, 2008, 256 p., ISBN 978-2-906278-71-4, 23 €

1 Le titre du livre est prometteur et l’entreprise sympathique. Vouloir reprendre un dossier compliqué, laissé un peu dans les marges alors qu’il s’agit d’une région fortement marquée par les mouvements contre-révolutionnaires pendant toute la période est incontestablement une bonne chose, d’autant que le point de vue ouvert sur des perspectives acceptant les définitions complexes de la contre-révolution est pertinent. D’où vient, rapidement, le malaise à la lecture ? D’abord de la présence de scories qui auraient dû être évitées. Coquilles sans gravité, mais un peu agaçantes (hulans p. 33, cote et côte dans la même page 17 pour parler des cotes archivistiques, 1780 pour 1790 p. 75…), absence de carte de la région, une seule carte nationale p. 127, quand la géographie locale est importante et pas forcément connue de tous les lecteurs, d’autant que du Puy à Jalès l’emprise territoriale est grande, jugements distribués souvent sans précaution sur les travaux des prédécesseurs, citations d’ouvrages anciens et de séries archivistiques dans une alternance peu compréhensible, pourquoi le passage relatif à Jalès est-il écrit sans références : soit autant de points irritants qui auraient pu simplement être supprimés avec un peu d’attention.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 246

2 On ne dira pas la même chose du plan du livre. Le chapitre 1 commence par une présentation de notices individuelles autour des compagnons de la Ganse blanche, à partir de documents peu nombreux, qui donnent une faible idée de ce groupe, étudié déjà par Philippe Bourdin à plusieurs reprises. La description des activités demeure médiocre, loin de ce qui est déjà su. Mais pourquoi le chapitre 2 est-il consacré aux « origines des résistances à la Révolution » de 1791 à 1794 en partant de l’image de l’évêque de Galard, en survolant les résistances populaires liées à la constitution civile du clergé, et en finissant par la levée des 300 000 hommes après le camp de Jalès de 1792. Sur cette dernière question, très documentée, l’auteur se contente de notes hâtives, loin de ce qui est connu (on peut renvoyer notamment à l’article dans les AHRF de F. de Jouvenel, 2004, n° 337). Plus grave est la volonté d’opposer tenants de la Révolution à partisans de la contre-révolution en oubliant les initiatives prises par les populations dans le cadre de leurs luttes locales et interconfessionnelles, hors des autorités constituées. Contrairement à ce qui était annoncé, le flottement qui est à prendre en compte pour aborder ces questions complexes, se réduit à une opposition simpliste.

3 Cela se retrouve dans la description imprécise du chapitre 3 où les motivations et les actions des contre-révolutionnaires sont évoquées. L’absence de chiffres interdit de comprendre ce que sont les effectifs de groupes qui sont proches de tous ceux qui adoptent les mêmes positions au même moment, dans l’Ouest ou davantage dans les montagnes étudiées par Valérie Sottocasa dans son livre Mémoires affrontées paru aux Presses universitaires de Rennes en 2004. Mais on aurait aimé savoir la représentativité des cas cités pour pouvoir estimer la part de la population engagée dans cette voie. Manifestement le nombre des opposants est faible, mais ils sont appuyés par un peuple (mais de quoi s’agit-il exactement) hostile aux mesures religieuses comme aux intrusions de l’État. Comme dans la Basse-Auvergne voisine, actions spectaculaires et répression alternent, mais ce n’est pas la liste bien sommaire des inculpés impliqués dans le procès des compagnons de Jésus en mars 1799 qui permet d’y voir clair. Sur ce procès, il fallait revenir sur les questions relatives à l’existence même du complot, posées notamment par Bruno Benoît, « Les compagnons de Jéhu ont-ils existé ? » (L’Histoire, 185, 1995, p. 16-18) ou par Bernard Gainot, dans « Aux origines du Directoire : le “proconsulat” de Jacques Reverchon (brumaire-ventôse an IV) » (AHRF, 2003, 332).

4 Au final, il est dommage que la recherche en archives qui a été menée par H. Jarre n’ait pas été mieux mise en valeur en l’insérant dans un plan plus simple et plus efficace, permettant de comprendre comment en Haute-Loire comme dans la Basse Auvergne de Philippe Bourdin (voir son article dans notre Contre-révolution en Europe, Presses universitaires de Rennes, 2001, p. 35-60), l’assise populaire a été ancrée dans les luttes locales et religieuses, laissant s’exprimer une minorité d’activistes qui tiennent parfois le haut du pavé, y compris en ayant des soutiens dans les institutions (mairies, gardes nationales, tribunaux). On est bien dans une région de « chouannerie » plus que dans une « Vendée » comme Philippe Bourdin l’avait bien vu. Il est certain que « la contre- révolution » est bien cet ensemble diffus et protéiforme bien actif jusqu’en 1798-1799, justifiant les craintes que l’on en a encore. Ce qui renforce là l’importance des débats actuels autour de l’établissement de l’ordre à la fin de la période, et autour de la nature même du régime. On voit tout cela dans ce livre, mais il faut véritablement aller le chercher, ce qui est dommage. Il faut donc souhaiter à notre collègue de continuer de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 247

semblables recherches, mais en prenant le temps nécessaire pour mettre en valeur ses découvertes en les insérant dans les débats ouverts aujourd’hui. Ce sera pour notre profit et aussi pour le sien.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 248

Guy Antonetti (dir.), Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique 1790-1814

Igor Moullier

RÉFÉRENCE

Guy Antonetti (dir.), Les ministres des Finances de la Révolution française au Second Empire. Dictionnaire biographique 1790-1814, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2007, t. I, 369 p., ISBN 978-2-11-094805-2, 40 €

1 Dans la série des grands instruments prosopographiques consacrés à l’administration des Finances, Guy Antonetti propose un copieux dictionnaire des ministres des Finances de 1790 à 1870. Le premier tome est consacré à la période révolutionnaire, de 1790 à 1814, et offre une série de 15 notices biographiques, de Delessart à Mollien. L’auteur a inclus, outre les titulaires des ministères des Finances, des Contributions et revenus Publics et du Trésor, deux « ministres sans titre », considérés comme les membres les plus influents du comité des Finances à la Convention, Cambon, puis Johannot pour le printemps 1795. Chaque notice, d’une vingtaine de pages en moyenne, est constituée de cinq rubriques : la famille, le personnage, la fortune, la carrière, les sources.

2 Le choix de cette structuration a ses avantages et ses inconvénients. Le travail d’archives de l’auteur, pour retracer généalogie et fortune de chaque ministre, offre une mine de renseignements, sur les réseaux familiaux, d’une part, sur les stratégies économiques, d’autre part. On regrettera en revanche que la rubrique « Personnage » offre des renseignements trop souvent lacunaires sur la religion ou l’éducation. Deux profils se dégagent : les administrateurs, d’une part, entrés tôt, après leurs études, dans l’administration, et les praticiens, d’autre part, marchands ou négociants, qui entrent

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 249

directement comme ministre, souvent après un passage par la politique, comme Clavière ou Cambon. Le poste de ministre des Finances ou des Contributions s’avère porteur de plus de risques que de bénéfices. Dans les années 1792-1793, les postulants ne se bousculent guère, et le dictionnaire permet ainsi de découvrir les Hervé de Beaulieu, Leroulx-Delaville ou Des-champs-Destournelles qui acceptèrent cette tâche difficile. L’aperçu de leur carrière postérieure montre qu’ils n’en tirèrent guère avantage : Leroulx-Delaville, ministre des Contributions pendant les premiers jours d’août 1792, mourut en 1797 comme vice-consul de Rotterdam. Faipoult, ministre des Finances en l’an IV, devint simple préfet de l’Empire. Tous les ministres de la Révolution furent confrontés aux mêmes problèmes : organiser la perception de l’impôt, combler les déficits. Pour décrire leur action, l’ouvrage s’appuie essentiellement sur les discours et écrits des ministres eux-mêmes, ce qui donne l’impression d’une continuité, sans doute forcée, des politiques poursuivies.

3 Une conclusion d’une petite dizaine de pages, placée en épilogue du volume, ne suffit toutefois pas à synthétiser ces renseignements. L’âge, les origines sociales des ministres sont évoqués, mais sans enquête approfondie. Sur les mécanismes de reproduction et de survie de la bureaucratie des Finances en temps de Révolution, les travaux de Michel Bruguière sur Gestionnaires et profiteurs de la Révolution restent le point de référence pour comprendre la politique économique et financière des autorités révolutionnaires.

4 On touche ici aux limites du genre qu’est le dictionnaire biographique. Si l’ouvrage apporte quantité de renseignements sur les titulaires du poste, le ministère des Finances en tant que tel est en revanche moins bien servi. L’introduction commence par un rappel de la situation politique de juin 1789, puis évoque les réformes de la perception de l’impôt, mais donne peu d’éléments pour saisir les effets du passage du Contrôle général au ministère des Finances. Les réorganisations structurelles sont mentionnées dans certaines notices mais sont de ce fait malaisées à suivre. Les enjeux du contrôle des finances de la République, entre la bureaucratie, l’Assemblée et les ministres eux-mêmes perdent ainsi de leur lisibilité.

5 Au total, cet ouvrage est un point de départ désormais incontournable pour toute recherche biographique ou prosopographique, mais laisse encore ouvertes bien des recherches sur le contexte institutionnel, politique et intellectuel de l’évolution de l’administration des Finances.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 250

Françoise Lartillot et Reiner Marcowitz (dir.), Révolution française et monde germanique

Marita Gilli

RÉFÉRENCE

Françoise Lartillot et Reiner Marcowitz (dir.), Révolution française et monde germanique, Paris, L’harmattan, 2008, 217 p., ISBN 978-2-296-05177-5, 21 €

1 Cet ouvrage est le fruit d’une journée d’études sur la question des mutations politiques, sociales, économiques et culturelles dans les pays de langue allemande entre 1789 et 1815 ainsi que du romantisme politique. Il part des textes mis au concours d’allemand cette année, mais dépasse ce cadre en cherchant à éclairer le temps d’après la Révolution française. Les textes étudiés illustrent comment un événement phare comme la Révolution française ainsi que ses prémices (la philosophie des Lumières) débouchent sur la mise en discours d’une conscience de la crise et du renouveau indispensable. La problématique contenue dans l’ouvrage se concentre sur le phénomène d’entrecroisement discursif dû au fait que les textes étudiés « entrecroisent des fils ». C’est ce que montre Richard Faber dans sa contribution sur les différenciations dans le concept de romantisme politique en se fondant sur Werner Krauss, Alfred von Martin, Carl Schmitt, Paul Tillich, Frank Wilkening et Ernst Karl Winter. Il montre comment se croisent les fils de la réception durant les années vingt, puis durant les années soixante à des moments critiques où l’époque choisit comme miroir l’époque de la Révolution française et ses conséquences. Françoise Knopper de son côté, dans son article sur le processus des mutations territoriales, politiques et sociales dans le Saint-Empire entre 1789 et 1806, traite de la sécularisation des principautés ecclésiastiques, de la rationalisation des administrations dans le sens d’une plus grande centralisation, de la disparition des privilèges liés au statut social et à la naissance, du nouveau tracé des frontières et du renforcement de certains États de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 251

l’Allemagne du Sud. Ces réformes avaient été souhaitées pendant l’Aufklärung, elles se font désormais sous la contrainte, dues à la fois à la pression française et à l’ascension économique de la bourgeoisie ainsi qu’à l’émergence de l’idéologie libérale.

2 Une première partie est consacrée à la réception de la Grande Révolution dans le Saint- Empire. Thomas Nicklas dans son article sur les rapports des gouvernements du Saint- Empire à la Révolution française explique que la marche triomphale des armées françaises à travers l’Europe a constitué une menace pour les uns qui voyaient là la mort de l’ordre établi, mais que pour d’autres elle a été un modèle qu’ils ont essayé plus ou moins d’adapter en vue d’une révolution « par en haut ». En effet, il n’a jamais été question de renoncer aux pratiques absolutistes ni aux priorités dynastiques. Deux contributions sont réservées à Friedrich Schlegel : Alfred Pfabigan pose un certain nombre de questions à son sujet, à savoir dans quelle mesure il a été l’héritier de l’Aufklärung où s’il l’a critiquée, en quoi ses textes politiques de jeunesse préparent la modernité esthétique, mais aussi son conservatisme ultérieur.

3 Anne Lagny ouvre la deuxième partie consacrée à l’impact culturel de la Grande Révolution sur l’Allemagne et l’Autriche en étudiant les discours de Schlegel qui sont la reprise de textes antérieurs comme le texte de Kant sur la paix perpétuelle, les réflexions de Schiller sur l’Antiquité, le roman de Goethe Wilhelm Meister, et montre que ces reprises sont non seulement le reflet de la conscience de la crise, mais aussi la tentative d’élaborer un discours nouveau.

4 La troisième partie est consacrée à l’époque de Napoléon Premier. Ina Ulrike Paul dans son article sur les modernisations à l’époque de la Révolution française montre que ce qui avait été introduit par l’Aufklärung et provoqué par la Révolution n’a pu être réalisé politiquement que par la réorganisation de l’Allemagne sous Napoléon. Contrairement aux autres pays d’Europe, une phase de réformes continues qui a duré plus de cinquante ans a été la conséquence de l’ère napoléonienne et peut être considérée comme « l’exception allemande ». Ainsi, c’est la liberté venue de France qui a présidé aux réformes allemandes lesquelles ont affecté surtout les États de Sud et la Prusse. Christine de Gémeaux se penche sur l’œuvre d’Adam Müller, la considérant comme une synthèse du romantisme politique, se demandant s’il s’agit de celle d’un réactionnaire qui réinscrit les outils de Novalis et Schlegel dans un horizon catholique et conservateur ou s’il a une nouvelle manière d’appréhender le politique. Selon elle, il initie un conservatisme moderne qui rompt à la fois avec l’Ancien Régime et avec la radicalité de la Révolution française. Müller estime que l’équilibre, la mesure et le respect de la tradition peuvent conduire à une évolution progressive et bénéfique. Reiner Marcowitz consacre son article à la construction-déconstruction du mythe de Napoléon Premier et étudie à ce sujet l’historiographie, la littérature et l’opinion publique jusqu’à nos jours, partant de la phrase devenue célèbre par laquelle Thomas Nipperdey commence le premier volume de son histoire de l’Allemagne : « Au début était Napoléon ». En même temps s’est forgée l’identité nationale en confrontation avec l’occupation française. Enfin, l’idée de l’unité de l’Allemagne s’est peu à peu imposée.

5 Deux articles constituent une synthèse : Uwe Puschner étudie les ruptures entre la Révolution et le Congrès de Vienne et Françoise Lartillot les mutations culturelles et textuelles dans les textes dits du « romantisme politique ». En conclusion, on peut dire que, dans la suite de l’histoire de l’Allemagne, les idées de 1789 perdureront ainsi que le phénomène même de révolution (il y aura des mouvements révolutionnaires en 1830 et en 1848). La Révolution a permis la destruction de l’Ancien Régime à partir du début du

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 252

XIXe siècle et elle a créé les conditions pour la fondation du nouvel Empire allemand de 1871, expliquant même en partie l’Allemagne contemporaine. À l’occasion des textes mis au programme des concours, l’ensemble des contributions met à jour la complexité du choc subi par l’Allemagne à la suite de la Révolution française en apportant de nombreux points de vue novateurs à cette problématique.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 253

Marcel Dorigny et Rachida Tlili Sellaouti (dir.), Droit des gens et relations entre les peuples dans l’espace méditerranéen autour de la Révolution française

Philippe Catros

RÉFÉRENCE

Marcel Dorigny et Rachida Tlili Sellaouti (dir.), Droit des gens et relations entre les peuples dans l’espace méditerranéen autour de la Révolution française, Paris, SER, collection « Études révolutionnaires », 2006, 158 p., ISBN 978-2-908327-51-9, 25 €

1 L’historiographie classique de la Révolution française a longtemps négligé les rapports entre la France révolutionnaire et le monde musulman. En insistant sur le fait que l’expédition de 1798 fut le premier contact direct entre les deux rives de la Méditerranée, elle a oublié que la Révolution intervenait d’abord dans la continuité des relations diplomatiques que la monarchie avait tissées avec l’Afrique du Nord.

2 Profitant de nouvelles recherches autour de la question des relations entre les peuples, de la cosmopolitique du droit des gens et de la question de la souveraineté nationale, les auteurs de ces communications ont voulu dépasser la dichotomie traditionnelle entre aires culturelles et espaces géographiques sectorisés pour aborder le problème des influences de la Révolution française dans le monde musulman et revoir la place du monde oriental dans le nouvel ordre mondial issu de la Révolution.

3 Les communications de Renaud Morieux et de Christine Le Bozec permettent de mettre en perspective la notion de frontière maritime dans l’espace méditerranéen ainsi que les références culturelles qui s’y rattachent. Quant à celle de Mohammed Lazhar

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 254

Gharbi, elle permet de replacer l’économie du Maghreb à la charnière entre une première forme de mondialisation incarnée par le commerce international, au sein duquel elle était bien intégrée et une deuxième forme, dominée par un capitalisme industriel, au cours de laquelle elle a été en retrait par rapport à l’Europe.

4 Fatiha Loualich, Rachida Tlili, Christian Windler s’intéressent plus particulièrement à la portée des bouleversements révolutionnaires sur les relations diplomatiques entre la France et les régences de Tunis et d’Alger. Jusqu’à quel point la Révolution constitue-t- elle une rupture par rapport aux relations extérieures de la monarchie d’Ancien Régime ? Dans les principes et dans les discours, la volonté de changement est manifeste puisqu’il ne s’agit pas moins que de remplacer le vieux système du droit des gens positif par un nouveau droit international fondé sur le droit naturel, c’est-à-dire un système qui suppose égalité et réciprocité des droits entre les contractants. Mais, à la pratique, il ressort que la Révolution va rapidement excepter le monde musulman du système des droits des peuples pour poursuivre dans les faits les pratiques diplomatiques d’avant 1789 – les consuls de France continuant à jouer, comme le montre Anne Mézin, un rôle important dans les négociations. À partir de 1793 au demeurant, le principe du droit des peuples s’efface devant une politique extérieure « impérialiste » subordonnée au primat de l’intérêt national.

5 Quand elle est justifiée, la spécificité des relations diplomatiques entretenues avec les régences d’Alger et de Tunis l’est en recourant au préjugé classique qui exclut le monde musulman du procès de civilisation. Corrélativement, c’est pour affranchir les peuples du despotisme oriental que des projets « impérialistes » français sont envisagés.

6 Marc Belissa évoque ainsi les thèses du néo-jacobin Charles de Hesse qui en appelle à une domination française sur l’ensemble de la Méditerranée. Ses idées rejoignent celles d’un patriote italien comme Matteo Galdi auquel Anna Maria Rao s’intéresse. De l’affranchissement à la colonisation, la marge est ténue. D’ailleurs, sous l’Empire, Matteo Galdi oublie ses premières idées pour défendre une politique expansionniste de la France en Afrique du Nord. Et comme le rappelle Yves Benot la conquête de l’Algérie, envisagée en 1802 et 1808 par Napoléon Bonaparte, avait déjà fait l’objet d’un vif plaidoyer de l’abbé Raynal son Histoire des deux Indes.

7 L’impact des idées nouvelles de la Révolution sur les sociétés musulmanes est moins évoqué. Cependant, en analysant les réactions de Gabarti face à l’expédition française en Égypte, Medji Ferrah montre comment un lettré musulman peut rejeter les idéaux révolutionnaires tout en étant fasciné par le savoir européen ainsi que par ce qu’il peut voir du fonctionnement de la justice française. Enfin, en ce qui concerne la diffusion des idées révolutionnaires, Habibi Jamoussi nous en offre un autre exemple quand il étudie les étapes de l’émancipation des juifs en Tunisie au XIXe siècle ; c’est en s’appuyant sur les droits de l’homme et avec la protection de la France qu’ils obtinrent finalement la suppression de leur statut spécifique.

8 Par la diversité et la richesse de ses approches, la publication des journées d’études de Tunis des 6 et 7 mars 2002 a le mérite de mettre en lumière un aspect méconnu de l’histoire de la Révolution française dont l’analyse permet une meilleure compréhension des relations entre les deux rives de la Méditerranée à l’époque contemporaine.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 255

Alexandre Tchoudinov, Фpанцузская революция. История и мифы [La Révolution française. Histoire et mythes]

Varoujean Poghosyan

RÉFÉRENCE

Alexandre Tchoudinov, Фpанцузская революция. История и мифы [La Révolution française. Histoire et mythes], Moscou, Naouka, 2007, 309 p.

1 La science historique russe continue les traditions de « l’école russe » et de l’historiographie soviétique dans le domaine des études révolutionnaires ; la poursuite s’est cependant faite au prix d’une révision profonde de la méthodologie, qui a permis aux chercheurs contemporains de réviser leurs approches du XVIIIe siècle et des événements de la Révolution française, comme en témoigne ce livre d’Alexandre Tchoudinov. Il s’agit en fait d’un recueil d’articles, où l’auteur discute de nombreux et importants problèmes, en révisant les approches de ses prédécesseurs, surtout soviétiques ; sont ainsi débattues les interprétations traditionnelles de l’historiographie soviétique, celles du courant conservateur de l’historiographie révolutionnaire, de même que le parcours de quelques-uns des hommes politiques de l’époque.

2 La Révolution française a vraiment suscité de vifs intérêts en Russie au cours des deux siècles passés. Mais quelle y a été son image au XIXe siècle ? Sur ce point, Tchoudinov propose une interprétation solide et volontairement complexe. En notant qu’aucun événement n’a jamais influencé l’esprit public russe autant que la Révolution, il remarque que c’est même un culte qui s’est formé au cours de la première moitié du siècle, culte qui a continué à conserver ses positions dominantes jusqu’à la « Révolution de 1917 » (p. 24). Pour lui, cependant, c’est une lecture originale et d’une certaine manière déformée de la Révolution que l’on donne alors en Russie, et qui s’explique par

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 256

les réalités de la société russe ; il évoque, d’une part, les auteurs de la première moitié du siècle, qui se référaient aux études des historiens libéraux et socialistes français, et, de l’autre, une approche unilatérale, même de la part des historiens éminents de « l’école russe », dont l’auteur apprécie hautement la contribution. Cette approche a été dictée par leur désir de ne voir dans la Révolution qu’un événement au cours duquel la liberté a triomphé dans la lutte engagée contre le despotisme (p. 16) ; c’est pour cela, pense-t-il, qu’on a uniquement interprété les violences de l’an II comme un résultat des hostilités (p. 21). Nous ne suivrons pas Tchoudinov, cependant, lorsqu’il qualifie de « génocide » les événements douloureux de la Vendée (p. 21). Certes, il a peut-être suivi dans ce cas l’opinion de quelques-uns de ses prédécesseurs français et même soviétiques (N. Moltchanov). Mais le génocide a différentes composantes, en dépit des querelles suscitées par sa définition, surtout en Israël et aux États-Unis. Parmi celles-ci, je voudrais citer la politique étatique et l’intentionnalité, sur la base desquelles les gouvernements l’ont perpétré, le choix des victimes sur leur appartenance nationale, etc. Pour une définition plus exacte des événements de la Vendée, je proposerais d’utiliser un autre terme, celui de « democide » lancé par R. Rummel, le grand spécialiste américain du phénomène du génocide.

3 Et si, comme le note l’auteur, le « mythe russe » de la Révolution a été partiellement dévoilé après 1917 par les émigrants russes, l’historiographie soviétique, au contraire, ayant déjà le soutien de l’idéologie étatique, l’a adopté et n’a réalisé les recherches historiques que dans cette direction. À l’exemple de Nikolaï Loukine (1885-1940), fondateur de l’historiographie soviétique des études révolutionnaires, devenu l’une des victimes de la terreur stalinienne, Tchoudinov discute l’atmosphère générale dans laquelle s’est formée l’historiographie marxiste. Alors que les historiens soviétiques, surtout les élèves de Loukine, le considéraient comme un grand spécialiste de la Révolution, Tchoudinov nous en dresse un portrait plus modeste par une interprétation critique de ses travaux ; il insiste sur la dimension politique du personnage, et le présente comme incarnant avant tout « l’idéal communiste de l’historien » (p. 55).

4 C’est après cette « préface » sur la naissance de l’historiographie soviétique que Tchoudinov discute en détail quelques-unes des questions majeures de l’époque révolutionnaire, surtout au travers du prisme des acquis de la science historique soviétique ; au sein de celles-ci, retenons essentiellement la définition de l’Ancien Régime et le caractère de l’événement « Révolution française ».

5 Quel a été le caractère du régime français au XVIIIe siècle ? Les historiens soviétiques l’ont assez longtemps qualifié, par une approche marxiste, de féodal et absolutiste. En se référant aux ouvrages des historiens occidentaux, les spécialistes soviétiques de l’Ancien Régime ont repris cette analyse et l’ont révisée. Le tournant s’est opéré en 1988, lors d’une table ronde sur la Révolution que cite Tchoudinov, au cours de laquelle il est apparu discutable de définir le régime existant en France à la veille de la Révolution de féodal. Tchoudinov accentue beaucoup plus cette tendance, mais il révise également la seconde définition et c’est là son mérite.

6 En analysant les relations des rois français, y compris Louis le Grand, avec les différentes institutions, notamment les cours souveraines - dont les parlements -, il met en évidence, grâce à des travaux essentiellement français, l’existence de nombreuses limites au pouvoir royal. L’auteur constate, à juste titre, que nous ne sommes pas en droit de traiter ce régime d’absolu. Toutefois, il ne se limite point dans ce cas à une simple constatation et il explique de manière convaincante les causes de la naissance,

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 257

d’après sa terminologie, de ce « mythe ». Il croit que celui-ci remonte à l’époque même de la Révolution dont les théoriciens étaient désireux de passer au peuple la souveraineté et, par conséquent, le pouvoir absolu (p. 97), ce qui a contribué, d’après lui, à la formation du mythe de l’appartenance au monarque d’un pouvoir illimité. En outre, dans la première moitié du XIXe siècle, les vues des historiens libéraux ont beaucoup aidé à la formation d’une image de la monarchie comme modèle d’État absolutiste. Quant à la société russe de la fin du XIXe siècle et du début du XX e, les circonstances étaient, d’après lui, plus compliquées, car on y a attribué à la monarchie française des traits qui étaient plutôt propres à la réalité russe et, par conséquent, à la monarchie du pays.

7 Dans son livre, Alexandre Tchoudinov discute aussi du caractère « bourgeois » de la Révolution française ; est-ce un mythe ou une « réalité », pour reprendre le titre de l’un de ses chapitres ? Pour l’historiographie soviétique, retenant la théorie de la lutte des classes, il s’agit d’une « Grande Révolution bourgeoise » ayant aboli le féodalisme en France et ayant énormément contribué au libre développement du capitalisme. Dans ce contexte, c’est assurément la bourgeoisie qui aurait pu diriger le mouvement révolutionnaire. En se référant aux travaux récents, Tchoudinov nuance ce point de vue. Il essaie d’abord de préciser la notion de la « bourgeoisie », en reprenant le débat lancé par A. Cobban et repris par les historiens soviétiques. En s’abstenant de donner une réponse nette à la définition de la bourgeoisie à l’époque de la Révolution, Tchoudinov ne la considère pas comme une classe monolithique et facile à cerner socio- économiquement. En laissant à part beaucoup de ses observations, citons sa contribution à l’étude du rôle des députés de l’Assemblée constituante lors des débats politiques, réalisée d’après les données du Dictionnaire des Constituants, rédigé par E. H. Lemay. L’analyse minutieuse du corps de la Constituante lui a permis de constater que les éléments capitalistes formaient une minorité évidente parmi les députés. Il ne place parmi les partisans de la Révolution qu’un peu plus de la moitié des députés entrepreneurs (p. 124).

8 Concernant les liens entre la Révolution et le développement du capitalisme, Alexandre Tchoudinov s’en tient au point de vue d’Anatoli Ado, dans son livre sur le mouvement paysan et d’après lequel, la Révolution, après avoir donné la terre aux paysans, a freiné ensuite ce processus dans une certaine mesure (p. 126). Dans son ensemble, l’auteur conteste l’une des thèses primordiales de l’historiographie marxiste, d’après laquelle le développement du capitalisme serait dû à la Révolution, et, par conséquent, il met en doute la nature foncièrement « bourgeoise » de la Révolution (p. 127). L’on peut cependant regretter que, dans cet important débat, l’auteur ne s’en tienne qu’à l’observation des positions des députés de l’Assemblée constituante. Nous souhaitons qu’il puisse continuer ses études dans ce domaine en élargissant le champ des recherches dans le but d’analyser et de préciser aussi le rôle des députés liés aux entreprises au sein de l’Assemblée législative et de la Convention.

9 Le livre d’Alexandre Tchoudinov aborde encore d’autres questions. Il réexamine les apports du courant conservateur de l’historiographie révolutionnaire, notamment en ce qui concerne le rôle des francs-maçons, et s’intéresse également au rôle des jansénistes, qu’il propose de prendre davantage en considération (p. 192). L’on peut également préciser que, dans un troisième chapitre, l’auteur brosse les portraits de certains hommes majeurs de la Révolution, surtout ceux de Marat et de Couthon, ainsi que du « Jacobin russe » Pavel Stroganov (cette dernière étude est rédigée sur la base de

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 258

riches documents inédits tirés des archives russes). Enfin, au travers d’études de ténors jacobins, l’auteur révise quelques-uns des points de vue soviétiques traditionnels, selon lui trop marqués par un esprit apologétique. Pour conclure, précisons que Tchoudinov souligne qu’il entend laisser aux lecteurs et aux représentants des générations à venir la possibilité d’apprécier la justesse de ses jugements et le droit de les réviser. Nous croyons que c’est également l’un de ses mérites.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 259

Joost Welten, In Dienst voor Napoleons Europese droom. De verstoring van de plattelandssamenleving in Weert

Annie Jourdan

RÉFÉRENCE

Joost Welten, In Dienst voor Napoleons Europese droom. De verstoring van de plattelandssamenleving in Weert, Leuven, Davidsfonds, 2007, 751 p., ISBN 9789058264992, 39.50 €

1 Dans une thèse richement illustrée de l’Université d’Utrecht, qui ne compte pas moins de 751 pages auxquelles s’ajoutent 334 pages d’annexes, de notes et de références, Joost Welten défie en un sens les historiens du Premier Empire qui doutent qu’on puisse retrouver la voix des humbles et reconstituer leur existence (les annexes, notes et références sont accessibles sur le site de l’éditeur : www.davidsfondsuitgeverij.be). Les humbles ici, ce sont plus précisément les conscrits du canton de Weert, situé dans le département néerlandophone de la Meuse-Inférieure – annexé en même temps que les Pays-Bas autrichiens dont il faisait alors partie. Se fondant sur une vaste collection de sources qui recouvrent la période 1798-1814 (archives municipales, départementales, (inter)nationales ; archives de police et archives militaires), l’auteur se flatte de mettre en pratique les idées émises en 2006 par Jean-Pierre Jessenne et Hervé Leuwers sur l’urgence à opérer des recherches au niveau des localités et des cantons et, comme Natalie Petiteau à laquelle il se réfère fréquemment, il focalise sur un endroit précis, quoique plus étendu que celui sélectionné dans Lendemains d’Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle (Paris, 2003). Le canton de Weert compte en effet dix mille habitants. Qui plus est, la période étudiée est elle aussi plus longue. Enfin, Welten ne s’intéresse pas seulement aux vétérans, mais à leur carrière antérieure, en tant que conscrits, déserteurs ou réfractaires. Il fait mieux, puisqu’il aborde le destin de ceux qui y sont associés sous une forme ou une autre : les gendarmes, les douaniers, les

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 260

maires et les préfets. En vérité, ce qu’il nous offre ici, c’est ni plus ni moins qu’un tableau détaillé d’une vie provinciale, avec ses bonheurs et ses drames. L’ouvrage en effet, est à la fois une recherche scientifique sérieuse et un récit relatant les aventures savoureuses ou frustrantes des habitants d’une bourgade complètement bouleversée par la Révolution et l’Empire. Welten a délibérément adopté cette forme, en réaction contre les travaux universitaires classiques.

2 L’introduction annonce la couleur, quand elle présente le cas du jeune Wilhelmus Opgenaffen qui refuse la conscription et, qui, pour y échapper, se réfugie dans la République batave de 1808 à 1811, au moment où le système est si bien rodé qu’il est quasiment impossible de s’y soustraire, d’autant que depuis 1810, la République batave a été avalée par Napoléon et réduite au statut de département français. Ce que prouve plus particulièrement cette recherche, c’est que la conscription, rejetée à l’unanimité en 1798, parvient à s’imposer aux habitants du nouveau canton français à partir de 1806, tandis qu’elle atteint un maximum d’efficacité en 1811. Non sans mal, du reste, mais n’empêche. À la veille de la campagne de Russie, sur 666 conscrits, on ne compte plus que 3 réfractaires dans le canton. C’est que le Premier Empire a mis en place des institutions, telles que les colonnes mobiles qui rançonnent les parents de l’insoumis, voire le village ou la bourgade. Le jeune réfractaire susnommé est dénoncé dans ce cadre : pour épargner à Weert des maux insupportables, son frère révèle son domicile aux gendarmes. Mais les préfets et les maires eux-mêmes, quand ils sont énergiques et patients, inculquent aux communautés le sens du devoir qui advient à tout citoyen français, ancien ou nouveau. Intermédiaires dévoués, ils font de leur mieux pour protéger leurs administrés sans s’attirer les foudres du gouvernement central. Le préfet Roggieri du département de la Meuse inférieure est ainsi remarquablement efficace, tout en étant impartial. Il sait reconnaître qui a tort ou raison et n’outrepasse pas ses propres droits. Le maire de Weert lui-même, arrive à se faire accepter de ses administrés. Lui aussi tente de les protéger et, si nécessaire, les incite à livrer les réfractaires. En avril 1811, en effet, est annoncée l’arrivée d’une nouvelle colonne mobile qui vient rechercher les insoumis et menace de malmener les habitants. Grâce à l’intervention du maire, en quelques jours, 254 d’entre eux se présentent aux autorités.

3 Welten souligne encore combien il reste à faire pour mieux comprendre l’institution de la gendarmerie – « le visage armé de l’État au niveau local » et il suit la carrière de plusieurs de ces hommes cantonnés à Weert. Leur installation apparaît très laborieuse non seulement du point de vue matériel, mais aussi humain. Il leur faudra des années pour être pleinement acceptés. Encore ne le sont-ils que par les élites du cru – officiers municipaux, douaniers, militaires ou coqs de village. Les hommes ordinaires eux les craignent, car les gendarmes interviennent dans les conflits locaux les armes à la main – et pas toujours avec délicatesse – tandis qu’ils recherchent et arrêtent déserteurs et insoumis. Il en est cependant qui, de retour de l’armée, ambitionnent cette fonction, tel Martin Janssen qui, de surcroît, épouse une Française, tandis qu’il est fréquent de voir des Français prendre pour épouse une dame du cru. L’acculturation passe donc aussi par le mariage.

4 Une enquête, comme il y en avait tant sous l’Empire, révèle que sur 82 gendarmes actifs dans le département, 62 sont évalués positivement et feraient bien leur travail. Les autres sont soit alcooliques, soit paresseux, soit rebelles. Trois enfin seraient endettés. À la chute de l’Empire, ces gendarmes auront du mal à choisir entre leur patrie d’origine et leur patrie adoptive. Certains se résoudront à rentrer en France, avec ou

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 261

sans leur épouse « étrangère ». Mais il y a également des gendarmes belges qui demeureront expatriés – en France –, tandis que d’autres entreront dans la maréchaussée du roi Guillaume Ier, nouveau souverain des Pays-Bas réunis, lequel conserve donc une institution qui a fait ses preuves, tout en la rebaptisant. Le cas de Peter Smolenaers illustre plutôt bien la mobilité inédite qui, depuis la Révolution, sanctionne les carrières des gens ordinaires, mais aussi l’acculturation et la promotion qui vont de pair. Soldat d’origine, il est tout d’abord réfractaire ; ensuite conscrit par contrainte. De retour de guerre, il cherche, mais en vain, à entrer dans les douanes. En 1812, grâce à sa belle prestance, il a le privilège de faire partie de la garde impériale et en 1815, il devient garde champêtre dans le royaume des Pays-Bas. Welten suit ainsi la destinée de plusieurs de ces hommes. Pour nombre d’entre eux, le Premier Empire propose une chance de promotion sociale. Certes, parmi les conscrits qui ont combattu dans la Grande Armée, la moitié ne revient pas au village. Sont-ils morts ou prisonniers ? Le fait est qu’ils seront encore absents en 1814-1815. Les autres en revanche voient leurs horizons s’élargir. D’Allemagne où ils combattent, ils partent ensuite pour l’Espagne ou le Portugal où ils vivent des mésaventures pas forcément agréables, tout en acquérant sans toujours le savoir un esprit cosmopolite. Les victoires napoléoniennes leur insufflent par ailleurs un sentiment de supériorité et ils sont aussi fiers de leurs flamboyants uniformes que de leurs actes de bravoure. C’est ce qui ressort des correspondances privées des soldats de l’Empire, où sont notées par ailleurs les expériences vécues – que ce soit des traumatismes ou des joies – celles notamment des aventures amoureuses ou érotiques, plus difficiles néanmoins à repérer. Mais le fait est que les militaires français sont plutôt appréciés par les femmes de l’Europe tout entière.

5 Welten rappelle encore que, contrairement à une idée reçue, les hommes mariés et les étudiants n’étaient pas automatiquement exemptés. Chaque catégorie devait prouver qu’elle entrait dans le cadre des exceptions. Ainsi, un homme marié après l’entrée en vigueur de la loi sur la conscription n’était pas exempté – s’il faisait partie de la classe d’âge passible de conscription. De même, les étudiants en théologie risquaient à tout moment d’être appelés, s’ils ne faisaient pas leurs études dans un établissement reconnu. Un autre point que Welten tient à examiner de plus près est celui de l’amnistie – il y en a eu en 1800 et 1810. Ici aussi, la loi n’était pas univoque. Il y avait des amnisties totales et des amnisties partielles. Qui plus est, l’amnistie voulait dire suppression de la punition et non point de la conscription. L’insoumis amnistié devait rejoindre illico son corps d’armée, là où celui qui n’était pas amnistié risquait d’encourir une sanction et d’être emprisonné ou envoyé aux colonies ou dans la marine. Or, les habitants du département étaient terrifiés à l’idée de se retrouver en mer.

6 Ce dont témoigne tout particulièrement cette vaste étude, c’est que, si l’armée napoléonienne n’était pas aussi méritocratique qu’on l’a dit, puisque ne devenait pas général n’importe quel soldat courageux ou intelligent, les chances de carrière n’étaient pas non plus si limitées. Les vétérans de retour trouvent bien souvent dans le canton de Weert ou aux alentours des postes qui les intègrent dans une catégorie sociale plus élevée que celle dont ils étaient originaires : juge de paix, officier municipal, garde champêtre, douanier ou gendarme, officier dans l’armée ou employé des impôts. À la suite de la Révolution, le Premier Empire a permis à bien des hommes de développer leurs talents et de cultiver leurs mérites. Du coup, ressort aussi le dynamisme local. Le village ou le bourg ne sont pas inertes. Loin de là. Le micro-niveau

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 262

adopté par Welten lui permet de faire revivre ces localités et de démontrer le bon fonctionnement d’une région pourtant nouvellement annexée. Il est vrai que le Concordat a mis fin au conflit religieux qui envenimait la situation dans ces régions catholiques et qui, avec la conscription, était en grande partie cause de la fameuse révolte paysanne de 1798. Si critiques il y a à formuler sur cette thèse originale et remarquablement informée, ce serait justement sur ce qui touche à l’absence du point de vue des prêtres et le silence sur leurs relations avec les autorités civiles. Mais c’est peut-être trop demander, d’autant qu’est bien noté le rôle pédagogique qu’ils jouent dans certains villages auprès des jeunes appelés. L’auteur n’oublie pas non plus de souligner la particularité de ces campagnes du Limbourg, ouvertes sur l’extérieur, prospères et modernes – contrairement à l’Aquitaine étudiée par Bergès, mentionnée dans ce contexte. Ce qui pourrait expliquer l’absence de résistances, d’autant, on l’a dit, que le maire et le préfet étaient d’excellents administrateurs. C’est également perceptible lors du recrutement des gardes d’honneur de 1813, quand Roggieri communique au ministre de l’Intérieur l’impossibilité où il est de répondre à ses vœux. C’est que le département compte peu de notables et aucune noblesse. Le préfet n’est donc pas en mesure de fournir les 64 gardes revendiqués, et s’il y parvient ultérieurement, c’est parce qu’il s’est décidé à admettre la bourgeoisie nouvelle et les coqs de village. Entre-temps s’était élaborée une véritable enquête sur les revenus des habitants de la région. Ainsi se décèle à quel point la conscription sous toutes ses formes accrut et modernisa l’administration. Les citoyens libres et égaux nés sous la Révolution étaient devenus des administrés. Et administrés ou contrôlés, ils l’étaient plutôt bien, pour le meilleur et pour le pire.

7 Au terme de ces centaines de pages, l’auteur peut conclure qu’il y a eu une véritable fraternisation entre Français et « Belges », et ce, en dépit de la langue. Officiers, gendarmes et douaniers se côtoient et se fréquentent, voire se marient entre eux. Un réseau d’amis se constitue que dévoilent les signatures lors des mariages ou des cérémonies où il est besoin de témoins. La chute de l’Empire met fin à ces relations. Les Français sont contraints de retourner en France, mais les institutions qu’ils ont mises en place se maintiennent pour une grande part, y compris la conscription, sous une nouvelle dénomination : milice nationale. En 1815, quand s’amorce la campagne de Waterloo, les anciens conscrits impériaux sont de nouveau appelés pour – ironie du sort ! - combattre celui qui leur avait enseigné le métier et à qui ils devaient leur grade ou leur promotion.

8 C’est dire que cette thèse n’est pas une histoire militaire dans le sens strict du terme ; elle tient compte de la dimension culturelle, économique et sociale d’un épisode crucial dans les annales de l’Europe. Enfin, si la structure du livre déroute au premier abord, une fois comprise, elle paraît plutôt bien répondre au désir de l’auteur de raconter des vies ordinaires tout autant que d’informer sur les institutions impériales. Napoléon en aurait sans doute appréciée la double dimension fictionnelle et érudite.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 263

Alexandre Tchoudinov (dir.), Французский ежегодник 2007 : Советская и французская историографии в зеркальном отражении. 20-е – 80-е годы ХХ в [Annuaire d’études françaises – 2007. Les historiographies soviétique et française en miroir : années 1920-1980]

Varoujean Poghosyan

RÉFÉRENCE

Alexandre Tchoudinov (dir.), Французский ежегодник 2007 : Советская и французская историографии в зеркальном отражении. 20-е – 80-е годы ХХ в (Annuaire d’études françaises – 2007. Les historiographies soviétique et française en miroir : années 1920-1980), Moscou, Les éditions LKI, 2007, 301 p.

1 L’Annuaire d’études françaises – 2007 comporte les communications que les historiens russes et français ont présentées au colloque international organisé à Vizille au mois de septembre 2006. L’attention des auteurs se concentre sur trois thèmes principaux : le réexamen de l’œuvre des historiens soviétiques de l’Ancien Régime par les historiens russes, l’analyse critique de la présentation soviétique de l’historiographie non marxiste, et enfin, de la part d’historiens français, l’examen de quelques mutations ayant bouleversé la science historique française.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 264

2 La première partie du recueil est consacrée à l’étude des débats que l’œuvre de Boris Porchnev (1905-1972) – dont le nom est bien connu en France essentiellement grâce à sa polémique avec Roland Mousnier à propos du caractère des soulèvements en France au XVIIe siècle –, a suscité dans les deux pays. L’étendue des centres d’intérêts de Porchnev, à la fois docteur d’État en histoire et en philosophie, était très vaste, allant des relations internationales, aux origines de l’idéologie communiste aux XVIIe-XVIIIe siècles, à l’économie politique du féodalisme, à la psychologie sociale, etc. Plusieurs auteurs (Z. Tchekantseva, S. et A. Kon-dratievs, I. Filippov, A. Gladyshev) ont analysé sa contribution à l’étude de quelques-uns de ces domaines. Tous s’accordent pour présenter Porchnev comme un ardent marxiste, dont l’œuvre était basée sur la théorie de la lutte des classes (p. 39, 53, 89, etc). Certains, cependant, soulignent la singularité de son approche marxiste, qui a bien souvent suscité de violentes critiques de la part de ses collègues soviétiques, car ses vues ont été considérées par ceux-ci comme n’étant pas complètement compatibles avec celles de Marx (p. 26, 47, 99).C’est là l’originalité de Porchnev ; il était, d’une part, un historien marxiste déterminé et, de l’autre, un chercheur dont l’esprit ne se limitait pas au cadre habituel désigné pour les historiens soviétiques.

3 Une partie des auteurs (Y.-M. Bercé, F. Hildesheimer, H. Jouhaud, I. Filippov) est revenue en détail sur les circonstances de la polémique de Porchnev avec Mousnier. Il y a lieu de citer leurs conclusions les plus importantes : la confrontation entre les deux historiens était d’abord de nature idéologique (p. 32), le livre de l’historien soviétique sur les soulèvements paysans au XVIIe siècle a contribué à l’étude en France de l’histoire des mouvements populaires de cette époque (p. 86), les historiens occidentaux n’acceptant pas la théorie de la lutte des classes, ont toutefois apprécié ce livre, car il avait attiré leur attention sur ce thème (p. 126). En ce sens, Filippov a certainement raison de souligner la portée scientifique des livres de Porchnev sur l’histoire des relations internationales au XVIIe siècle (p. 127), qui restent inconnus à ce jour aux historiens occidentaux.

4 Quelques articles du recueil, rédigés par des historiens français, touchent les mutations de la pensée historique de ce pays. Dans un article fort intéressant, C. Blanquie revient sur l’histoire de l’Ormée. Dans son ensemble, il croit que la pratique municipale de son époque était conforme à la direction générale de la Fronde, qui consistait à déléguer certaines fonctions du roi à ses sujets, lors de sa coopération avec ces derniers pour la réalisation des buts qu’il poursuivait lui-même (p. 150).

5 G. Lemarchand étudie minutieusement la polémique des années 1960-2006 des historiens français sur les notions des « relations féodales », « féodalisme » et « des classes publiques ». Il constate qu’en dépit de sa nature purement franco-française, les historiens des années 1960 utilisaient avec plaisir les notions des historiens soviétiques, celle de « lutte des classes », etc. (p. 158). Or, en citant les nouvelles tendances propres à la science historique française (surtout l’étude de l’histoire socioculturelle), il note que cette polémique a orienté les chercheurs français vers « l’histoire comparative internationale » et stimulé en même temps le développement des conceptions de l’analyse historique en France (p. 171).

6 R. Dupuy aborde quant à lui la question de la riposte de la paysannerie à la Révolution, en examinant le sort que lui fait l’historiographie française de la deuxième moitié du XXe siècle. À la différence de bien d’autres, il considère les soulèvements paysans, ainsi

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 265

que leur résistance latente aux gouvernements révolutionnaires, comme l’une des formes de la politique (p. 198).

7 Les articles consacrés à l’analyse de la contribution des historiens soviétiques à l’étude de l’historiographie révolutionnaire, groupés dans le troisième chapitre, sont plus directement dans les perspectives des AHRF. A. Gordon nous présente, sur l’exemple de l’attitude de Victor Daline vis-à-vis des derniers ouvrages de R. Cobb, une excellente analyse sur l’approche des historiens soviétiques à l’égard de tous ceux qui ont étudié l’histoire des masses populaires hors du cadre de la théorie de la lutte des classes. Il s’agit surtout de la révision de la position des historiens soviétiques à l’égard des historiens occidentaux (il montre très bien qu’on ne considérait comme historiens « progressistes » en URSS que ceux qui s’en tenaient à la théorie marxiste). L’auteur explique la critique par Daline de « l’évolution » de Cobb, reprochant à celui-ci d’avoir laissé de côté l’histoire de la lutte des masses (p. 250).

8 M. Vovelle, à son tour, n’accepte pas entièrement la critique par Daline de l’œuvre de F. Braudel, en remarquant quelques contradictions dans son interprétation de l’évolution de l’école des Annales, surtout en ce qui concerne la théorie de « l’histoire globale » (p. 260). Étant élève de V. Daline, je me permets de constater sa profonde estime pour Braudel. Il m’a jadis donné la possibilité de lire la lettre, adressée à lui par Braudel et datée du 5 décembre 1983, à propos de la traduction française de son étude sur l’évolution des Annales, dans laquelle l’historien français, tout en la qualifiant de « miracle », avait toutefois affirmé qu’il était capable de polémiquer avec lui sur tous les points de ses interprétations.

9 Après la mort de V. Daline, en 1985, c’est A. Ado qui est devenu le maître des études révolutionnaires en URSS. D. Bovykine étudie l’évolution de ses vues pendant les dernières années de sa vie dans deux domaines, ceux de l’histoire de la Révolution et de l’historiographie française. L’auteur compare les jugements émis par Ado sur l’époque révolutionnaire dans les deux éditions de son livre sur la paysannerie (1971, 1987). Il ne nie pas qu’Ado s’en tenait toujours à la conception méthodologique marxiste, mais souligne en même temps quelques nuances qui sont spécifiques à la deuxième édition de son livre, à savoir l’évident changement de sa position à propos de quelques notions clefs, particulièrement en relation avec le terme de « féodalisme ». Ses jugements, conclut-il, sont devenus plus prudents dans les années 1980 (p. 279-280). Il en est de même, comme il l’affirme, de son attitude à l’égard des vues des historiens occidentaux.

10 D. Bovykine explique ce changement de la position d’Ado non seulement par les nouvelles données de la recherche historique, mais également par les formidables transformations ayant ébranlé son pays (p. 282-284). Je voudrais aussi constater pour ma part quelques modifi cations que j’ai aperçues dans sa mentalité à l’égard des vues des historiens français. Ainsi, sa position vis-à-vis de la théorie de la « révolution agraire » de

11 G. Lefebvre a changé : « Quand j’y pense maintenant, m’a-t-il dit à ce sujet en septembre 1994, pourquoi n’était-ce pas possible ? ». Son collègue G. Koutcherenko, cependant, spécialiste de l’histoire du communisme utopique français, passait aux dernières années de sa vie, d’après A. Gladychev, par une profonde crise à cause de l’écroulement de l’URSS, perdant tout intérêt pour la thématique à l’étude de laquelle il avait consacré sa vie (p. 211-212).

12 Dans ce volume, quelques historiens russes abordent des problèmes historiogra- phiques particuliers. L. Piménova analyse l’histoire de la noblesse écrite par ses

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 266

prédécesseurs russes et soviétiques, depuis les représentants de « l’école russe » jusqu’aux historiens des années 1980. Elle souligne les traits caractéristiques de cette historiographie, qui considérait la noblesse comme une « classe féodale » monolithique dont l’absolutisme défendait les intérêts (p. 173). Dans l’historiographie soviétique, cependant, ces analyses ont subi trois évolutions essentielles : primo l’augmentation de l’intérêt envers l’étude des différends entre diverses couches de la noblesse ; secundo l’appréciation du rôle de la noblesse libérale dans la Révolution ; tertio le refus de traiter l’activité de la noblesse de contre-révolutionnaire (p. 194).

13 A. Tchoudinov, de son côté, revient sur les violentes discussions entre historiens soviétiques de la Révolution sur la nature de la dictature jacobine, au début des années 1970. V. Révounenkov a développé dans les années 1960 une conception de la dictature jacobine, incompatible avec celle de ses collègues (A. Manfred, V. Daline et d’autres). D’après les vues de ces derniers, soutenues grosso modo par la majeure partie des historiens soviétiques, les Jacobins représentaient les intérêts de la moyenne et petite bourgeoisie et partiellement du peuple. Or, contrairement aux autres, Révounenkov considérait les Jacobins comme les représentants de la grande bourgeoisie. D’ailleurs, les deux côtés se référaient dans leurs conclusions aux jugements des fondateurs de la théorie marxiste-léniniste. On a déjà écrit à ce sujet (S. Letchford), en traitant cette discussion « d’infructueuse » (voir Annuaire d’études françaises – 2002, p. 214). Tchoudinov a le mérite d’être le premier à avoir entrepris de revenir sur les origines de cette polémique. Il explique la position de Révounenkov par les changements qui ont eu lieu en URSS après le XXe Congrès du Parti communiste en 1956, quand on a démasqué le culte de Staline. Ce fut donc après cette date que les historiens de l’URSS ont commencé à critiquer le régime stalinien et, à la fois, à accentuer la portée du potentiel démocratique de la dictature du prolétariat (p. 270). Mais l’explication reste de l’ordre de l’hypothèse.

14 Quant à C. Mazauric, il évoque ses rencontres et relations amicales avec les historiens soviétiques (Daline, Ado, Smirnov et d’autres) des années 1960 à 1992. À l’issue du volume, on ne peut que se réjouir des liens qui se maintiennent entre historiens de France et de Russie, dont ce recueil est la meilleure preuve. Ces liens peuvent désormais sans doute être plus simples et fructueux, tant les historiens russes d’aujourd’hui ne sont plus tentés de diviser leurs collègues occidentaux entre « progressistes » et « bourgeois ».

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 267

Vie de la société

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 268

Conseil d’administration de la SER samedi 27 octobre 2007

Présents : Serge Aberdam, Serge Bianchi, Philippe Bourdin, Françoise Brunel, Jean-Luc Chappey, Claude Coquard, Annie Crépin, Annie Duprat, Florence Gauthier, Anne Jollet, Christine Le Bozec, Hervé Leuwers, Raymonde Monnier, Danièle Pingué, Karine Rance, Claudine Wolikow. Excusés : Patrice Bret, Marcel Dorigny, Pascal Dupuy, Bernard Gainot, Jean-Pierre Jessenne, Matthias Middell, Michel Pertué. Représentés : Michel Biard, Martine Lapied. La séance s’ouvre à 14 h 30. Après correction, le procès-verbal du dernier conseil d’administration est adopté. Jean-Luc Chappey fait le point sur la préparation du colloque international organisé pour célébrer le centenaire de la Société. Après avoir présenté la liste des interventions, il rappelle que les diverses demandes de subventions ont été rejetées et qu’il convient d’être particulièrement vigilant sur les dépenses. Des affiches sont distribuées aux différents membres auxquels il est demandé de participer à la publicité autour de cette rencontre. Serge Aberdam suggère par ailleurs au comité d’organisation de préparer un dossier de presse. Au nom des comités de rédaction et de lecture réunis dans la matinée, Hervé Leuwers présente les thèmes des numéros spéciaux des AHRF en préparation (2007-2008). Il présente un bilan plus général du travail éditorial : avec plus de 70 comptes rendus publiés dans l’année (il faut insister sur la part plus importante accordée aux ouvrages étrangers) et un portefeuille d’articles acceptés ou en lecture suffisant pour alimenter les numéros de varia (2007-2008), il souligne la bonne santé de la revue. Raymonde Monnier présente un état des publications : elle souligne le retard pris pour le prochain volume de la collection « Études révolutionnaires » (Le négoce de la paix) dont le manuscrit ne lui a pas été remis aux dates initialement prévues. Elle annonce néanmoins que le volume XI des Œuvres de Robespierre a été achevé. Elle détaille les négociations engagées avec l’imprimeur et les Éditions du Miraval concernant la vente et la diffusion de la collection. Elle insiste sur l’importance de la campagne de souscriptions lancée pour la vente du volume XI (il manque encore une cinquantaine de souscripteurs). 150 volumes (sur un tirage prévu à 300 exemplaires) seront remis à la SER, à charge pour elle de les envoyer aux souscripteurs. Le volume XI sera diffusé par la SODIS et le CTHS, sous notre ISBN. Les 10

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 269

premiers feront l’objet d’une co-édition avec les Éditions du Miraval (avec une nouvelle introduction de Claude Mazauric) et seront diffusés par les Éditions du Miraval. Elle justifie le coût de cette entreprise par son importance scientifique de l’entreprise d’une part, par le travail fourni par l’imprimeur d’autre part (ce dernier s’engage à homogénéiser toute la collection : nouvelle couverture, nouveau format). Par ailleurs, elle propose au conseil d’administration que soit publié – à l’occasion – un petit catalogue des publications de la SER diffusées par la Sodis (300 exemplaires), proposition adoptée par le conseil d’administration pour un coût de 300 €. Karine Rance présente un état des comptes. Elle va relancer certains membres ou abonnés dont elle n’a aucune nouvelle. Elle doit également s’informer auprès de Bernard Gainot sur la subvention promise par le laboratoire de Michel Pertué (1 500 €) pour la publication de la journée d’étude organisée en mai 2006. La question de la subvention de l’EPHE concernant l’organisation de la journée d’étude sur l’histoire de Paris est de nouveau évoquée et il est convenu de poursuivre les démarches auprès de monsieur Monnier. Une discussion s’engage sur les difficultés liées à la hausse du coût des frais postaux. Elle informe le conseil d’administration que le budget est globalement équilibré. Philippe Bourdin fait état des contrats de diffusion avec le CTHS (avec une proposition d’adjoindre le catalogue de nos publications aux envois des ouvrages diffusés) et des négociations avec l’éditeur La Découverte. Il informe le conseil d’administration qu’en l’état, les conditions proposées par ce dernier pour la fabrication et diffusion des AHRF ne lui paraissent pas favorables financièrement et il rappelle que celles proposées par Armand Colin étaient au final plus intéressantes. La lourdeur de la gestion financière qui pèse sur les membres de la Société pour assurer la vie de la revue oblige donc à se tourner de nouveau vers Armand Colin pour rouvrir des négociations interrompues. Claude Coquard rappelle qu’un des enjeux de ces discussions est la publication en ligne de la revue. Raymonde Monnier s’interroge sur l’avenir du stock des ouvrages entreposés à Clermont-Ferrand. Serge Aberdam insiste sur la nécessité de trouver de nouvelles formes d’associations susceptibles de renforcer la SER et la diffusion de ses publications. Serge Bianchi souligne que le colloque organisé pour le Centenaire doit permettre de s’interroger sur la fonction de la SER, sur sa place et son rôle dans le monde associatif. Il convient, dans la continuité de ces constats, d’être attentif au site web. Pour Claude Coquard, le renouvellement prochain du conseil d’administration doit aussi être un moyen pour attirer des membres motivés et donner du « sang neuf » dans les instances dirigeantes de la SER. Anne Jollet s’interroge sur le hiatus qui lui semble apparaître entre les contraintes qui pèsent sur la revue qui, selon elle, s’enferme de plus en plus sur un public restreint de spécialistes et la nécessaire « ouverture » vers un public plus large. Le conseil d’administration donne pouvoir aux membres du bureau pour relancer les négociations avec Armand Colin. Philippe Bourdin présente au conseil d’administration les demandes d’adhésion de messieurs Jacques Hantraye et Alain Zongo qui seront proposées à la prochaine assemblée générale. Parmi les questions diverses, Claude Coquard informe le conseil d’administration de l’avancée du travail du groupe chargé de rédiger l’index général des AHRF dont la publication (papier et sous forme d’un Cd-rom) est prévue en juin 2008. Il insiste sur l’importance scientifique de ce travail qui doit s’imposer comme un outil de recherche sur la période révolutionnaire. Il informe le conseil d’administration qu’un texte rédigé autour d’une interview de Marcel Dorigny sur l’histoire de la revue

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 270

pourrait servir d’introduction au volume. Une discussion animée s’engage sur ce point. Les membres du bureau doivent décider du destin de ce texte. Annie Duprat propose que les paiements des cotisations se fassent désormais selon le calendrier civil (au 1er janvier). Serge Aberdam informe le CA de la prochaine publication en Russie des actes de la rencontre franco-russe organisée à Vizille (septembre 2006). Raymonde Monnier s’interroge sur le tirage du nombre d’exemplaires de l’index général des AHRF : le nombre de 500 exemplaires est adopté (avec Cd-rom). Une souscription devra être lancée. Anne Jollet s’interroge sur la présence de la SER à la réunion du CTHS prévue en juin au Canada. Philippe Bourdin lui répond que seules des initiatives personnelles semblent envisageables. Il rappelle que le CTHS a prévu d’organiser un colloque sur le thème du « Héros » à Bordeaux en 2009 et propose que la SER couple son colloque annuel avec cette initiative. La séance est levée à 18 heures. Jean-Luc Chappey

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 271

Conseil d’administration de la SER samedi 18 janvier 2008

Présents : Serge Aberdam, Serge Bianchi, Michel Biard, Philippe Bourdin, Patrice Bret, Françoise Brunel, Jean-Luc Chappey, Marcel Dorigny, Annie Duprat, Pascal Dupuy, Bernard Gainot, Florence Gauthier, Anne Jollet, Christine Le Bozec, Hervé Leuwers, Raymonde Monnier, Michel Pertué, Danièle Pingué, Karine Rance. Excusés : Annie Crépin, Jean-Pierre Jessenne, Isabelle Laboulais, Mathias Middell, Anna Maria Rao, Rachida Tlili. Représentés : Martine Lapied, Christine Le Bozec, Jean-Pierre Jessenne. La séance s’ouvre à 14 h 15, salle Picard. Après quelques modifications formelles, le procès-verbal du conseil d’administration du 27 octobre 2007 est adopté à l’unanimité. Philippe Bourdin donne lecture du rapport moral 2007. Il donne ensuite la parole à Karine Rance, trésorière, qui présente le rapport financier pour l’année 2007. Notant une légère amélioration de la situation financière de la Société, cette dernière insiste encore sur la fragilité des comptes. Par ailleurs, si les nombreux rappels envoyés par courrier ont permis de remettre à jour le paiement des cotisations, il convient de constater une baisse – faible, mais constante – du nombre d’abonnés des AHRF. Poursuivant le travail de relance et d’épure du fi chier effectué par Claude Coquard, Karine Rance signale toutefois un retard plus accusé que l’an dernier dans le paiement des cotisations et abonnements. Le rapport financier est adopté à l’unanimité. Concernant l’entrée de nouveaux membres, Philippe Bourdin présente les candidatures de Pierre Belda, Laurent Brassart, Jean-Numa Ducange, Jacques Hantraye, Floréal Hémery, Julien Mehl, Anne Simonin, Alain Zongo. Le conseil d’administration valide l’ensemble des candidatures. Philippe Bourdin présente le programme d’action prévu pour 2008. La SER et son bureau renouvelé vont devoir impérativement régler plusieurs questions : celle de son local situé dans le IIIe arrondissement (voir ci-après), celle de la diffusion de la revue, celles, concomitantes, de sa mise en ligne (avec le problème posé – comme le rappelle Marcel Dorigny – de la concurrence que se livrent les différents « portails », Persée et Gallica) et de son ISBN (pour ce dernier point, le secrétaire général rappelle que des démarches ont été entreprises mais qu’elles n’ont pas abouti). Eu égard aux problèmes financiers, P. Bourdin propose de surseoir à la remise du quatrième prix Mathiez qui sera donc désormais attribué tous les trois ans. Raymonde

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 272

Monnier prend la parole pour faire le point sur les publications (association avec CIDOTECH pour la publication et la diffusion des Œuvres complètes de Robespierre…) et fait part de quelques réflexions sur l’état de la stratégie éditoriale de la SER : elle souligne la faible part des ouvrages individuels et des traductions. Philippe Bourdin reprend la parole pour informer le conseil d’administration des prochaines manifestations scientifiques : du 10 au 12 septembre 2008, en association avec le Musée de la Révolution (Vizille) et le Centre d’histoire « Espaces & Cultures » (Université Clermont II) : le colloque sur Les noblesses françaises dans l’Europe de la Révolution (années 1770-1800). En avril 2009 à Bordeaux, la SER sera associée à l’organisation du congrès du CTHS, qui aura pour thème Célèbres ou obscurs, hommes et femmes dans leurs territoires et leur histoire. Concernant les publications, la SER participera à l’édition des actes du colloque organisé à l’Université de Rouen par Michel Biard sur Les politiques de la Terreur. Une convention a été signée à dessein avec les Presses universitaires de Rennes. Une souscription sera lancée. Par ailleurs, Raymonde Monnier souligne qu’il serait sans doute important – pour en accroître la visibilité - de publier sous la forme d’un ouvrage les actes du colloque du Centenaire, indépendamment de sa publication par les AHRF. Cette proposition est soumise à réflexion puis adoptée. Philippe Bourdin présente l’avancée de l’entreprise de publication des Tables générales des AHRF dirigée par Claude Coquard. Une souscription sera lancée à dessein dans le n° 1-2008 de la revue et une demande d’aide au CNL sera déposée. Enfin, il rappelle que la SER éditera les actes de la table ronde organisée en mai 2007 par Bernard Gainot et Vincent Denis sur Ordre public en Révolution, qui a bénéficié de subventions des parties organisatrices qui couvrent en grande partie les frais d’impression. Le secrétaire général informe le conseil d’administration de la nécessité de quitter le local situé dans le Marais avant l’été 2008. Il rappelle que ce local est particulièrement utile pour stocker nos ouvrages. Serge Aberdam et Bernard Gainot se portent volontaires pour engager des démarches auprès des mairies de Paris et d’Ivry-sur-Seine pour tenter de trouver un autre local. Plusieurs membres déclarent se mobiliser pour tenter de trouver une solution. Philippe Bourdin informe le conseil d’administration de l’état des négociations avec Armand Colin et précise les différentes modalités de la possible association (question des tarifs des abonnements, de la possibilité de conserver les subventions versées par des organismes publics, de la mise en ligne de la revue…). Le conseil d’administration invite à l’unanimité le bureau à poursuivre les négociations. Le conseil d’administration confirme Roland Gotlib et Elisabeth Liris dans leurs fonctions de commissaires aux comptes. Dans la perspective des prochaines élections pour le renouvellement de la moitié du conseil d’administration (12 membres), le secrétaire général rappelle les noms des membres « sortants ». Un bureau électoral est nommé (P. Bret, F. Brunel, M. Dorigny M. Pertué). L’ordre du jour étant épuisé, la séance est levée à 16 h 30. Jean-Luc Chappey

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 273

Assemblée générale de la SER samedi 29 mars 2008

L’assemblée générale annuelle de la Société des études robespierristes s’est tenue le samedi 29 mars 2008, amphithéâtre Louis Liard, à la Sorbonne, sous la présidence de Philippe Bourdin. La séance s’est ouverte à 14 heures. Présents : Serge Aberdam, Michel Biard, Serge Bianchi, Yannick Bosc, Philippe Bourdin, Patrice Bret, Françoise Brunel, Robert de Chalux, Jean-Luc Chappey, Claude Coquard, Malcolm Crook, Marc Deleplace, Robert Demeude, Vincent Denis, Marcel Dorigny, Jean Duma, Annie Duprat, Bernard Gainot, Jean-Pierre Gaspard, Annie Geffroy, Maurice Genty, Roland Gotlib, Anne Jollet, Martine Lapied, Christian Lescureux, Hervé Leuwers, Raymonde Monnier, Michel Pertué, Daniele Pingué, Karine Rance, Jean-Paul Rothiot, Pierre Serna Excusés : Jean-Pierre Jessenne, Jean-Clément Martin, Matthias Middell Représentés : Bernard Bodinier, Jean Gojosso, Christine Le Bozec Vincent Denis, lauréat du prix Albert Mathiez (2005), présente à l’assemblée son ouvrage, Une histoire de l’identité. France 1715-1815 et rappelle les principaux résultats de ses travaux. Une brève discussion s’engage entre l’auteur et les membres de l’assemblée. Renouvellement des membres sortants du conseil d’administration : les votes par correspondance arrivés au siège de la Société dans les délais requis sont remis par le secrétaire général aux membres du bureau électoral. Les sociétaires présents votent au début de la séance. À la clôture du scrutin, le bureau électoral procède au dépouillement des bulletins et au décompte des voix obtenues par les 12 candidats. Admission des nouveaux membres : Philippe Bourdin propose d’admettre dans la Société les candidats agréés par le conseil d’administration : Pierre Belda, Laurent Brassart, Jean-Numa Ducange, Jacques Hantraye, Floréal Hémery, Julien Mehl, Anne Simonin, Alain Zongo. L’admission de ces 8 candidats est approuvée à l’unanimité. Lecture et approbation du rapport moral : Le secrétaire général donne lecture du rapport moral 2007 (voir le rapport annexé). Après une brève discussion, le rapport moral est adopté à l’unanimité.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 274

Lecture et approbation du rapport financier ainsi que des comptes de l’exercice clos : Karine Rance présente le rapport financier (voir en annexe). Les commissaires aux comptes (Roland Gotlib et Elisabeth Liris) donnent quitus à la trésorière. Serge Aberdam prend la parole pour préciser qu’il serait sans doute nécessaire d’engager des démarches pour tenter de bénéficier des facilités financières des institutions reconnues « d’utilité publique ». Le rapport financier est approuvé à l’unanimité. État des négociations avec Armand Colin : Philippe Bourdin informe les membres de l’état des négociations avec Armand Colin. Des propositions ont été avancées concernant le mode de financement et les modalités de l’association (gestion des abonnements, mise en ligne de la revue). La Société devra se prononcer sur les modalités de financement et accepter une hausse des tarifs des abonnements. La poursuite des négociations est adoptée à l’unanimité. Présentation du programme d’action pour 2008 : Philippe Bourdin présente le programme d’action prévu pour 2008, précisant que ces projets devront naturellement être confirmés par le prochain bureau. La SER et son bureau renouvelé vont devoir impérativement régler plusieurs questions pendantes : celle de son local situé dans le IIIe arrondissement, celle de la diffusion de la revue, celles, concomitantes, de sa mise en ligne et de son ISBN. Eu égard à la situation financière, et dans l’attente de la publication du troisième, nous proposons de surseoir à la remise du quatrième prix Mathiez qui sera donc désormais attribué tous les trois ans. Une discussion s’engage sur ces différents points : Michel Pertué informe les membres de l’avancée des démarches engagées auprès des autorités concernant la possibilité de trouver un autre local, particulièrement utile pour stocker nos ouvrages (en particulier les trois collections complètes des publications). Serge Aberdam et Bernard Gainot informent à leur tour les membres des contacts établis avec la municipalité d’Ivry. Concernant les colloques et journées d’étude, une seule manifestation scientifique est prévue, les 10, 11 et 12 septembre 2008, en association avec le Musée de la Révolution (Vizille) et le Centre d’histoire « Espaces & Cultures » (Université Clermont II) : un grand colloque (40 participants) sur Les noblesses françaises dans l’Europe de la Révolution (années 1770-1800). En avril 2009 à Bordeaux, la SER sera associée à l’organisation du congrès du CTHS, qui aura pour thème Célèbres ou obscurs, hommes et femmes dans leurs territoires et leur histoire. Serge Bianchi propose d’organiser à cette occasion une journée d’étude sur Héros et héroïnes consacrés ou discrédités de la Révolution française, qui aborderait en quatre temps la formation d’un panthéon révolutionnaire, un corpus de héros consacrés à un moment de la Révolution, la forme des cultes et des célébrations, les questions de la transmission et de la mémoire collective. Concernant les publications, la SER a participé à l’édition des actes du colloque organisé à l’Université de Rouen par Michel Biard sur Les politiques de la Terreur. Une convention a été signée à dessein avec les Presses universitaires de Rennes, qui ont fait figurer notre logo et notre ISBN sur les ouvrages, nous en remettant 250 exemplaires pour réaliser une souscription et de la vente aux particuliers. La SER publiera les tables du centenaire des Annales historiques de la Révolution française, et une souscription sera lancée à dessein dans le n° 1-2008 de la revue. Enfin, seront édités les actes de la table ronde organisée en mai 2007 par Bernard Gainot et Vincent Denis sur Ordre public en Révolution, qui a bénéficié de subventions des parties organisatrices qui couvrent en grande partie les frais d’impression. Il est également prévu de publier le

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 275

travail récompensé par le prix Mathiez (Corinne Legoy : Éloges politiques et thuriféraires de la Restauration. Chanter, servir ou combattre, les sens de la célébration). Michel Biard prend la parole pour présenter la situation des Annales historiques de la Révolution française. Le portefeuille est suffisamment riche pour que le premier numéro de varia de l’année 2008 soit complet et le deuxième facile à compléter. Les deux numéros spéciaux se suivront exceptionnellement cette année, l’un (n° 2) consacré à l’histoire économique, sous la direction de Philippe Minard et Dominique Margairaz, l’autre (n° 3) publiant les actes du colloque du centenaire de la SER. Une discussion s’engage sur différents points : la visibilité des AHRF et de la SER dans l’espace public. Une discussion de fond s’engage sur la nature de la revue. Certains membres (Anne Jollet, Serge Bianchi) pensent qu’il est nécessaire de chercher à répondre aux attentes d’un public plus large que celui constitué par les seuls spécialistes. Philippe Bourdin et Michel Biard insistent sur la nécessité à faire vivre le site web et la rubrique « Regards croisés » afin de renforcer la visibilité de la Société et de la revue. Le projet proposé est adopté à l’unanimité. Serge Bianchi insiste sur la nécessité de donner une publicité particulière aux publications liées au Centenaire de la Société (numéro spécial et Tables). Une nouvelle fois, certains membres (Bernard Gainot, Raymonde Monnier) regrettent que les moyens actuels de gestion ne permettent pas de présenter un bilan précis titre par titre, des ventes de nos ouvrages. Le programme d’action est adopté à l’unanimité. Karine Rance présente le projet de budget pour 2008. Voir le tableau en annexe. Le budget présenté est adopté à l’unanimité. Résultats des élections : Le dépouillement étant terminé, Philippe Bourdin proclame les résultats du vote pour le renouvellement des membres sortants du conseil d’administration.

Nombre de votants : 103

Bulletins blancs ou nuls : 3

Suffrages exprimés : 100

Sont élus :

Marc Belissa 95 voix

Michel Biard 97 voix

Annie Crépin 93 voix

Pascal Dupuy 95 voix

Bernard Gainot 95 voix

Anne Jollet 98 voix

Martine Lapied 95 voix

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 276

Julien Louvrier 93 voix

Matthias Middell 96 voix

Jean-Paul Rothiot 93 voix

Pierre Serna 95 voix

Cyril Triolaire 88 voix

L’ordre du jour étant épuisé, l’assemblée générale est close à 17 h 30. Jean-Luc Chappey

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 277

Rapport moral pour l’année 2007

I. Fonctionnement de la Société

Au cours de l’année écoulée, 8 nouveaux membres ont demandé à adhérer à la Société des études robespierristes (Pierre Belda, Laurent Brassart, Jean-Numa Ducange, Jacques Hantraye, Floréal Hémery, Julien Mehl, Anne Simonin, Alain Zongo). L’état des cotisations ayant été vérifié et plusieurs rappels lancés, l’effectif de notre Société est de 247 membres au 31 décembre 2007, dont 60 sociétaires étrangers. C’est un mieux par rapport aux chiffres incertains de l’année passée (185) mais les fichiers comptaient 345 noms… Comme il en avait prévenu, Claude Coquard a abandonné ses fonctions de trésorier, et Karine Rance en a accepté la charge, et est entrée au bureau de la SER. Le site Internet de la SER est désormais géré par Julien Louvrier. Dans le cadre du réaménagement de l’hôtel particulier dans lequel il est implanté, le petit local attribué à la SER dans le IIIe arrondissement de Paris va lui être retiré, ce qui pose une nouvelle fois le problème du stockage de nos collections. Des démarches sont entreprises auprès de la mairie de Paris pour essayer de trouver une solution.

II. Colloques et journées d’étude

Le 12 mai 2007, la SER a co-organisé dans les locaux de l’Université Panthéon- Sorbonne/Paris I, avec le Laboratoire des collectivités locales de l’Université d’Orléans, le Centre d’histoire du XIXe siècle (Paris I- Paris IV), et l’Institut d’histoire de la Révolution française (Paris I), une journée d’étude sous la responsabilité de Bernard Gainot et de Vincent Denis, Ordre public en Révolution, qui a suscité des communications et des discussions de grande qualité. Les 7 et 8 décembre 2007 s’est déroulé au Panthéon, dans les locaux de l’Université Paris I, le colloque international marquant le centenaire de notre Société : Un siècle d’études révolutionnaires (1907-2007). Il était soutenu par l’Institut d’histoire de la Révolution française (Paris I) et par le Comité de recherches historiques sur les révolutions en Essonne. Il a bénéficié d’une assistance nombreuse (de 40 à 60

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 278

personnes), de communications riches dont rendra compte la publication des actes par les AHRF en 2008, et de débats nourris.

III. Publications

La Société a poursuivi le programme de publication, dans la collection des Études révolutionnaires, des journées d’étude organisées par la Société ces années passées. Les actes de la journée qui s’était tenue à Tunis en 2002, Droit des gens et relations entre les peuples dans l’espace méditerranéen autour de la Révolution française, sous la direction de Rachida Tlili Sellaouti et Marcel Dorigny, ont été publiés au premier trimestre de cette année (n° 6, 168 p.). Le livre a été mis en vente par la Sodis en mars 2007. Les actes de la journée qui s’est tenue à Rouen en 2003, Le négoce de la paix. Les nations et les traités franco-britanniques (1713-1802), sous la direction de Renaud Morieux et Jean- Pierre Jessenne (n° 10), n’ont pu être édités cette année, en raison des retards accumulés dans la remise du texte. Les textes sont attendus pour janvier 2008. Les actes du colloque annuel de la SER, qui s’est tenu à l’hôtel de ville et à la Commission du vieux Paris en octobre 2005, À Paris sous la Révolution, ont été acceptés pour publication aux Publications de la Sorbonne. Ils sont actuellement sous presse et sortiront en 2008. L’effort principal a porté cette année sur la mise au point du texte et la publication, dans la Bibliothèque d’histoire révolutionnaire, du tome XI des œuvres de Maximilien Robespierre pour l’édition du Centenaire de la SER (XI, Compléments, 2007, 469 p.), préparé par Florence Gauthier. Il a été mis en vente par la Sodis le 4 janvier 2008. Le livre, qui avait été mis en souscription jusqu’au 15 décembre, est sorti à temps pour être présenté au colloque des 7 et 8 décembre, en même temps que la réimpression, en co-édition avec les Éditions du Miraval, des 10 volumes de l’édition réalisée sous l’égide de la SER de 1912 à 1967, avec une présentation nouvelle de Claude Mazauric. L’offre de lancement de la collection a réuni en décembre 1974 souscriptions pour le tome XI (et 2 commandes de libraires parisiens), et quelques commandes pour la réimpression des volumes précédents (7 collections complètes et 17 volumes séparés). Ces livres ont été remis ou envoyés aux souscripteurs en décembre. Durant l’année, le travail sur les tables du centenaire de la revue a été poursuivi sous la houlette de Claude Coquard et, le calendrier ayant été tenu, ce dont il faut remercier tout le groupe de travail, elles seront livrées à l’imprimeur dans l’année 2008. Comme les années précédentes, la SER a été présente au Salon de l’histoire à Blois et au Salon de la revue de Paris, du 17 au 19 octobre 2007. Enfin nous avons édité un petit catalogue de nos publications distribuées par la Sodis depuis 2000, pour envoi aux libraires qui passent commande de nos livres.

IV. Annales historiques de la Révolution française

La revue a bénéficié cette année d’un soutien reconduit du CNRS, et de l’aide du Centre national du Livre. Le travail pour sa mise en ligne a été poursuivi, et des contacts fructueux ont été pris avec les responsables du site « Persée ». Cependant, notre choix final dépend étroitement de celui d’un diffuseur privé pour la revue. Les éditions Armand Colin et La Découverte ont été longuement approchées, l’offre des premières

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 279

étant financièrement la plus intéressante. Nous comptons actuellement 717 abonnements payés (dont 498 à l’étranger) et 29 gratuits. Les quatre numéros de l’année ont été publiés aux dates habituelles : le premier au printemps 2007, le second au début de l’été, le troisième à l’automne, enfin le quatrième en janvier 2008. Le nombre total de pages a été de 1000, réparties comme suit : 240 pages pour le n° 1, 264 pour le n° 2, 264 pour le n° 3, enfin 232 pour le n° 4. Deux numéros de varia (n° 1 et 3) ont, comme d’usage, alterné avec deux n° s spéciaux (2 et 4), ces deux derniers consacrés à « Guerre(s), société(s), mémoire » (n° 2), sous la direction de Bernard Gainot et Annie Crépin, et à « Justice, Nation et ordre public » (n° 4), sous la direction de Xavier Rousseaux et Hervé Leuwers. Les quatorze articles des deux numéros de varia ont porté sur l’histoire politique (les Législateurs de 1791, les représentants du peuple en mission, les élections municipales en 1792), sur les concepts et la pensée politiques (les conceptions révolutionnaires de G. Forster, la Constitution montagnarde traduite en grec, la présence de Sparte dans la pensée de Robespierre, Sade et le républicanisme classique, Sieyès), sur l’histoire culturelle (la « fin » des Lumières, la réception du calendrier républicain, l’image de la Chine dans la pensée européenne), sur des thèmes extérieurs au territoire français (l’administration en Westphalie, les mesures prises en Russie contre les Français, l’économie britannique dans les guerres de la Révolution et de l’Empire). Au total, ce sont 33 articles qui ont pris place dans la revue cette année, dont 12 rédigés par des auteurs étrangers (cinq Américains, un Canadien, un Chinois, un Italien, deux Belges, un Allemand, une Grecque), soit un tiers du total. De plus, à ce nombre peuvent être ajoutés 8 autres articles consacrés à des domaines étrangers mais écrits par des Français : ceux de M. Gilli, N. Todorov, J. Ollivier, G. Lemarchand, C. Thibaud, G. Lepetit, L. Montroussier, N. Cadet. Les 33 articles ont représenté au total 671 pages. Par ailleurs, dans cette même année, 9 articles ont été refusés par les comités de rédaction et de lecture, tandis que 8 autres faisaient à la fin de 2007 l’objet d’une demande de modifications importantes en vue d’un nouvel examen. Au total, ce sont donc 17 articles qui ont ainsi été écartés, sous quelque modalité que ce soit. Comme les années précédentes, la revue s’est fait l’écho de l’actualité scientifique, notamment avec ses rubriques « Thèses », « Sources », « Bibliographie », « Annonces » et sa très importante rubrique « Comptes rendus ». Une nouvelle rubrique a également été inaugurée, sous le titre « Regards croisés », et entend évoquer certains débats en cours avec la participation systématique de plusieurs auteurs appelés à réagir sur telle ou telle question. En 2007, cette nouvelle rubrique a porté sur la « Toinettomania » de 2006 liée notamment à la sortie du film de S. Coppola (n° 1), puis sur les relations internationales (n° 3). Les ouvrages recensés dans la rubrique « Comptes rendus » ont été cette année au nombre de 73. Parmi eux se trouvent recensés 9 ouvrages en langue étrangère (6 en langue anglaise, 2 en espagnol ou catalan, 1 en italien), ce qui reste insuffisant mais témoigne tout à la fois de l’état des publications et de la diffi culté non négligeable à obtenir des livres publiés à l’étranger pour en rendre compte. Ces comptes rendus ont occupé un total annuel de 150 pages. Le nombre de comptes rendus est ainsi resté à peu près stable depuis que la nouvelle équipe de rédaction a entrepris de développer cette rubrique à partir de 1999 (pour rappel : 22 ouvrages recensés en 1999, au moment du changement de direction de la revue, 30 en 2000 alors que la nouvelle politique

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 280

commençait à être mise en œuvre, 77 en 2001 et toujours entre 70 et 80 depuis cette année-là).

V. Présentation des comptes de l’exercice 2007

Situation des adhérent(e)s et/ou abonné(e)s de la Société au 1er janvier 2007

Sociétaires Abonnements aux A.H.R.F.

Individuels Institutions

France Hors France France Hors France France Hors France

Inscrits (ont réglé pour 2006) 195 66 193 69 214 411

Total des inscrits au fichier 261 262 625

Ont payé pour 2007 169 49 191 54 196 337

218 245 533

Abonnés France 2006 : 407/ payé France 2007 : 387 + 14 G Abonnés Hors France 2006 : 480/ payé 2007 : 391 + 18 G

Compte d’exploitation de l’exercice 2007 Produits

Cotisations 4 472,00

Subvention EPHE 1 500.00

Ventes d’ouvrages 10 961,10

dont - souscription Robespierre 4 159,50

AHRF 42126,00

dont - Abonnements 36 964,40

- Ventes au numéro 430,10

- Publicité 200,00

- Subvention CNL 3 000,00

- Subvention CNRS 1 531,50

Divers (Compte sur titres) 43,96

Colloques et Journées 4 400,00

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 281

dont - Ordre public (Paris) 2 900,00

- Centenaire SER 1 500,00

Total des produits 63 503,06

Compte d’exploitation de l’exercice 2007 Charges

Fonctionnement 2 206,64

dont - AG/CA... 1081,63

- Secrét./Trésor. 865,01

- Assurance 260,00

Colloques et Journées 4 900,80

dont - ordre public 476,20

- terreur Rouen 1000,00

- SER Paris 3 424,60

Editions 8 018,93

dont - Impression 6 072,68

- Routage / Gestion 1 946,25

AHRF 40227,33

dont - Fabrication 30 502,71

dont - Routage Poste 6 459,11

dont - Traductions 804,73

dont - Gestion /C.R./Renv. 2 150,78

dont - Salon de la Revue 110,00

- Publicité 200,00

Divers - Trop perçus 93,46

Achat obligations 175,05

Total des charges 55 622,21

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 282

Situation financière de la Société au 31 décembre 2007 Actifs

Sur le C.C.P. 23 874,79

Factures en attente de paiement 11 871,80

CTHS 3111,20

Lot AHRF 1 316,25

Sur le Compte-titres 7 302,51

Sur le Livret A 8 749,01

Enveloppes timbrées 96,70

Total des actifs 56 322,26

Situation financière de la Société au 31 décembre 2007 Passifs

Fin des travaux AHRF n° 350 (estimation) 8 500,00

Routage Poste AHRF n° 350 (estimation) 2 000,00

Facture Imprimeur Gestion stock 899,20

Chèques non tirés 381,75

CIDOTECH Robespierre+ Catalogue SER 10 001,81

Hôtel Cujas (estimation) 1 588,17

Total des passifs 23 370,93

Fonds de réserve au 31 décembre 2007 (estimation) Disponible au 1er janvier 2008 : 32 951,33 - 7 622,45 (fonds bloqués statutairement) = 25328,88 (au 31 décembre 2006, la société disposait d’un avoir disponible de 23964,61)

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 283

Programme pour 2008

I. Fonctionnement de la Société

La SER et son bureau renouvelé vont devoir impérativement régler plusieurs questions pendantes : celle de son local, celle de la diffusion de la revue, celles, concomitantes, de sa mise en ligne et de son ISBN. Eu égard à la situation financière, et dans l’attente de la publication du troisième, nous proposons de surseoir à la remise du quatrième prix Mathiez.

II. Colloques et journées d’étude

Une seule manifestation scientifique est prévue, les 10, 11 et 12 septembre 2008, en association avec le Musée de la Révolution (Vizille) et le Centre d’histoire « Espaces & Cultures » (Université Clermont II) : un grand colloque (40 participants) sur Les noblesses françaises dans l’Europe de la Révolution (années 1770-1800). En avril 2009 à Bordeaux, la SER sera associée à l’organisation du congrès du CTHS, qui aura pour thème Célèbres ou obscurs, hommes et femmes dans leurs territoires et leur histoire. Serge Bianchi propose d’organiser à cette occasion une journée d’étude sur Héros et héroïnes consacrés ou discrédités de la Révolution française, qui aborderait en quatre temps la formation d’un panthéon révolutionnaire, un corpus de héros consacrés à un moment de la Révolution, la forme des cultes et des célébrations, les questions de la transmission et de la mémoire collective.

III. Publications

La SER participera à l’édition des actes du colloque organisé à l’Université de Rouen par Michel Biard sur Les politiques de la Terreur. Une convention a été signée à dessein avec les Presses universitaires de Rennes, qui feront figurer notre logo et notre ISBN sur les ouvrages, nous en remettront cent exemplaires pour réaliser une souscription et de la vente aux particuliers.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 284

La SER publiera les tables du centenaire des Annales historiques de la Révolution française, et une souscription sera lancée à dessein dans le n° 1-2008 de la revue. Enfin, seront édités les actes de la table ronde organisée en mai 2007 par Bernard Gainot et Vincent Denis sur Ordre public en Révolution, qui a bénéfi cié de subventions des parties organisatrices qui couvrent en grande partie les frais d’impression. Édition du prix Mathiez (Corinne Legoy : Éloges politiques et thuriféraires de la Restauration. Chanter, servir ou combattre, les sens de la célébration).

IV. Annales historiques de la Révolution française

Le portefeuille est suffisamment riche pour que le premier numéro de varia soit complet et le deuxième facile à compléter. Les deux numéros spéciaux se suivront exceptionnellement cette année, l’un (n° 2) consacré à l’histoire économique, sous la direction de Philippe Minard et Dominique Margairaz, l’autre (n° 3) publiant les actes du colloque du centenaire de la SER.

V. Budget prévisionnel

1. Fonctionnement de la Société

Produits

Cotisations 4 000,00

Imputations sur réserve 510,00

1. Total des Produits 4 510,00

Charges

A.G. / C.A. / Bureau 1 500,00

Fonctionnement (Présidence/Secrétariat) 1 000,00

Représentation de la Société 150,00

Assurance 260,00

Subvention colloque Vizille 1 500,00

Cotis. CIHRF (2007-2008) 100,00

1. Total des charges 4 510,00

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 285

2. Éditions de la Société

Produits

Ventes d’ouvrages - 1 Direct 9 200,00

Ventes d’ouvrages - 2 CTHS 4 000,00

Subvention min. rech. 1500,00

Subvention CRH 19 journée Ordre public 800,00

Subvention IHRF 1 500,00

3. Total des Produits 17 000,00

Charges

Politiques de la Terreur 1 500,00

Ordre public 4 000,00

Tables AHRF 5 000,00

Négoce de la paix 3 000,00

Prix Mathiez (V. Denis) 1 500,00

Gestion du stock/Expéditions 2 000,00

2. Total des Charges 17 000,00

3. Annales historiques de la Révolution française

Produits

Abonnements 40 000,00

Ventes au numéro 2 000.00

Publicité - Mécénat 200.00

Total des Produits avant subventions 42200,00

Subvention C.N.R.S. 1 500,00

Subvention C.N.L. 5 000.00

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008 286

Imputation sur fonds de réserve 2 700,00

4. Total des Produits 51 400.00

Charges

Traductions 1 200,00

Impression (5 numéros) 40 000,00

Emballages / Expéditions par la Poste 8 000,00

Publicité 200,00

Gestion du stock (Renvois) 1 500,00

Frais généraux (C.R.) 500,00

3. Total des charges 51 400,00

Suite à un regrettable oubli, il n’a pas été précisé dans le n° 3-2008 que le colloque dont est issu ce numéro spécial s’est tenu en décembre 2007, à l’occasion du centenaire de la Société des études robespierristes, et qu’il a été organisé avec le soutien du Comité de recherche historique des révolutions en Essonne, de l’Institut d’histoire de la Révolution française et de l’Université Paris I (le programme en avait été publié dans le n° 3-2007, p. 257-258). La rédaction de la revue présente ses excuses aux organisateurs et partenaires du colloque, et à tous ceux qui ont œuvré pour sa réussite. Comité d’organisation : Françoise Brunel, Jean-Luc Chappey, Raymonde Monnier. Comité scientifique : Michel Biard, Serge Bianchi, Philippe Bourdin, Matthias Middell, Michel Pertué, Anna Maria Rao.

Annales historiques de la Révolution française, 354 | octobre-décembre 2008