Et Les Hommes Autour Du Lac Télé
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L eau, la terre et les hommes autour du lac Télé Région de Tombouctou, Mali Cissouma Diama Togola Géographe Le lac Télé fait partie de cet ensemble de lacs situés tout à fait au Nord et en rive gauche du delta intérieur du Niger. C'est une région humide aux confins du Sahara, qui a connu une histoire troublée entre éleveurs nomades et agriculteurs sédentaires, entre agriculteurs et pêcheurs, et entre les différents groupes d'éleveurs, tous se disputant la gestion des ressources naturelles que sont l'eau et les pâturages. Cette situation s'est aggravée depuis les grandes sécheresses que la région a connue en 1968 et 1972, et qui a vue l'eau du lac et les pâturages s'assécher. A cela s'ajoutent d'autres facteurs comme l'introduction des cultures de contre-saison, qui pose l'épineux problème du partage de l'espace entre les agriculteurs. Avant la sécheresse, la production était suffisante pour les besoins locaux : dès la récolte, les champs et les pâturages du lac étaient abandonnés aux éleveurs. Avec la sécheresse, la production a baissé, ce qui a fait naître chez les agriculteurs le besoin de rechercher d'autres sources de revenus ; les terres jadis abandonnées aux éleveurs sont maintenant cultivées et les recettes issues de la vente des produits de contre-saison servent à acheter les compléments de céréales nécessaires à la consommation familiale. L'assèchement des pâturages fait aussi que les éleveurs descendent plus tôt que d'habitude dans le lac. Les conflits entraînent des recours en justice qui, malheureusement, se font presque toujours 62 T Gestion intégrée des zones inondables tropicales au détriment des agriculteurs. Un agriculteur disait à un juge : « Ma terre ne bouge pas, ce sont les animaux qui se déplacent, pourquoi deviendrais-je coupable là où je suis victime ? ». Sa question est semble-t-il restée sans réponse. C'est ainsi que les terres situées au sud du lac ont été abandonnées par les agriculteurs. La réforme de 1973, dont l'objectif était de donner la terre aux véritables exploitants pour augmenter la production et de supprimer le métayage a plutôt aggravé ce dernier, tout en créant des conflits entre les anciens et les nouveaux propriétaires terriens. I Un ensemble lacustre et péri-lacustre exploité Le lac Télé est compris entre les latitudes 1 6°25 et 1 6°40 N, à la limite entre le Sahel et le Sahara. Il est administrativement partagé entre la commune rurale du Télé (environ 6 000 habitants), regroupant les villages de Fatakara, Dendéguère et Bougoumeira, avec comme chef lieu Angabéra, et la commune urbaine de Goundam (environ 9 000 habitants). Les deux communes appartiennent au cercle de Goundam, région de Tombouctou. C'est une zone de climat sahélien avec seulement trois mois de saison pluvieuse - en juillet, août, septembre -, une grande irrégularité interannuelle des précipitations (la moyenne se situant autour de 218 mm de pluies par an entre 1923 et 1995), une grande variabilité spatiale et une longue période de sécheresse (1968- 1 993). La zone peut connaître des périodes de bonne pluviométrie comme ce fut le cas durant l'année 1999 avec un total de 342 mm. Le lac Télé est alimenté par le Tassakant, un défluent du fleuve Niger. Avec le lac Takara, auquel il est lié au Nord par un couloir qui donne l'impression d'un cordon ombilical, il couvre une superficie de 13 000 hectares en hautes-eaux. La période et l'importance de l'inondation dépendent de la pluviométrie et de la crue du fleuve Niger. La crue (c'est-à-dire l'intensité d'inondation) peut être qualifiée de normale, faible ou exceptionnelle selon les années hydrologiques : - la crue normale débute au mois d'août avec une décrue à partir de la mi-février ; C. D. Togola - L'eau, la terre et les hommes autour du lac Télé '63 - en période de crue faible, le remplissage du lac se situe dans la troisième décade de septembre et la décrue au mois de mars ; - une crue exceptionnelle commence en avril et le lac ne tarit pas. Le remplissage du lac est donc fonction de la crue. Il varie entre 65 et 90 %. L'évapotranspiration est très élevée : environ 50 mm par jour. A partir du mois de mai, le lac est à sec et la traversée peut se faire à pied ou en voiture à certains endroits. Les hommes sont habitués à ces irrégularités et ils lui ont adapté leurs activités, non sans problèmes. Trois groupes de producteurs se partagent les activités autour du lac. Il s'agit des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs, qui se répartissent en plusieurs groupes ethniques. Les Songhoï sont les premiers occupants du lac Télé ; ils constituent plusieurs sous-groupes dont les Gabibi et les Soninke. On leur assimile la presque totalité de la population noire de la zone. Ils représentent 42,6 % de la population totale et sont majoritairement des agriculteurs (93,8 %, tableau 1). Le second groupe est constitué par les Tamashek (37,6 % de l'ensemble) qui se répartissent entre éleveurs (41,7%) et pêcheurs (42,8%). L'importance de ce dernier chiffre s'explique par le fait que les Bella qui pratiquent la pêche, se font aussi appeler Tamashek. Il y a des Tamashek noirs et des Tamashek blancs. Les Peul sont minoritaires avec 7,8 % de l'ensemble. Ils sont tous éleveurs. Le dernier groupe ethnique est constitué par les Sorko (1,4 % des enquêtes), tous pêcheurs. I Tableau 1 Répartition des ethnies par activité économique, en pourcentage. Activités Songhoï Tamashek Bella Peul Sorko Arabe Bambara Bozo Eleveurs 12,5 41,7 0,0 45,8 0,0 0,0 0,0 0,0 Pêcheurs 41,6 42,8 13,9 0,0 2,0 0,0 0,0 0,0 Agricult. 93,8 0,0 6,3 0,0 0,0 0,0 0,0 0,0 Total 42,6 37,6 10,6 7,8 1,4 0,0 0,0 0.0 Source : Enquête C. D. Togola, mars-avril 2000. Chaque groupe ethnique parle plusieurs langues, avec des dominantes qui correspondent aux activités (tableau 2). Le songhoï est la langue la plus courante (47,4 % de l'ensemble ; 65,2 % chez 64' Gestion intégrée des zones inondables tropicales les agriculteurs, 49,8 % chez les pêcheurs et 25,0 % chez les éleveurs). Le bamanan (la langue parlée par les Bambaras, dominante au Mali) est également parlé par toutes les ethnies mais les pourcentages sont beaucoup plus faibles. Le peul est la langue dominante des éleveurs. Par contre, le tamashek est très peu parlé par les agriculteurs mais il domine chez les pêcheurs. Ces derniers parlent toutes les langues. En effet, leur activité les met en contact avec plusieurs ethnies. Il n'y a pas de langue spécifique bella, les Bellas sont d'anciens esclaves qui parlent les langues de leurs anciens maîtres. I Tableau 2 Langues parlées et activités économiques, en pourcentage. Activités songhoï tamashek peul bamanan bozo arabe sorko autres Eleveurs 25,0 25,0 35,0 10,0 0,0 3,0 0,0 0,0 Pêcheurs 49,8 33,0 3,9 6,9 4,4 0,0 0,5 1,3 Agricult. 65,2 8,7 4,3 8,7 0,0 4,3 0.0 8,7 Total 47,4 29,7 8,6 7,5 3,4 1,1 0,4 1,9 Source : Enquête C. D.*Togola, mars-avril 2000. I Tableau 3 Rapport entre activités et taille de la famille, en pourcentage. Activités 1-3 pers. 4-6 pers. 7-9 pers. 10-14 pers. 15-24 pers. > 25 pers. Eleveurs 8,3 25,0 29,0 29,2 12,5 0,0 Pêcheurs 5,9 15,8 19,8 33,7 24,9 0,0 Agricult. 0,0 31,3 25,0 25,0 12,5 6,3 Total 5,7 19,1 21,3 31,9 21,3 0,7 Source : Enquête C. D. Togola, mars-avril 2000. Autour du lac Télé, les grandes familles1 sont les plus importantes ; 53,9 % d'entre elles ont plus de 10 personnes (tableau 3). Les L'emploi du mot « famille » pour désigner l'unité de production, de résidence et de consommation reste délicat. Nous le préférons ici à celui de « ménage », qui est certes d'emploi plus adéquat, mais dont le contenu, s'il est appliqué aux sociétés de la région du lac Télé, nous paraît trop restreint. C. D. Togola - L'eau, la terre et les hommes autour du lac Télé T 65 familles de 13 à 14 personnes représentent 31,9 % de l'ensemble. Ces chiffres sont au-dessus de la moyenne nationale qui est de l'ordre de 8-9 personnes par famille. Une étude comparative entre les différentes activités et la taille de la famille montre que les familles les plus nombreuses se retrouvent chez les pêcheurs. Cela peut s'expliquer par le fait que la pêche est une activité communautaire qui utilise la totalité des membres de la famille : la pêche proprement dite, la fabrication et la réparation des pirogues, la réparation des filets sont exécutés par les pêcheurs et leurs fils, donc par les hommes ; les épouses et leurs filles sont chargées de la transformation et de la vente des produits de la pêche. Chez les agriculteurs, il n'y a pas de famille de moins de 4 personnes et on peut y trouver des familles de plus de 25 personnes. Ceci est à mettre en rapport avec la réforme agraire de 1973 : la taille des champs est fonction du nombre de personnes dans la famille.