HISTOIRE DE LA GASCOGNE

DES ORIGINES A NOS JOURS HISTOIRE DE LA GASCOGNE DES ORIGINES A NOS JOURS sous la direction de Maurice Bordes

AVEC LA COLLABORATION DE :

DE LA GASCOGNE - Avant-propos par Maurice Bordes, professeur à l'Université de Nice, président de la Société Archéologique du Gers. 1 - LA GASCOGNE AVANT LA GASCOGNE par Michel Labrousse, professeur à l'Université de Toulouse Le Mirail Directeur de la Circonscription des Antiquités Historiques de Midi- Pyrénées. 2 - LES DESTINEES POLITIQUES DE LA GASCOGNE MEDIEVALE par Benoit Cursente, Agrégé de l'Université, Chargé de cours à la Faculté des Lettres de Nice. 3 - LA GASCOGNE AU MOYEN AGE : Aspects économiques et sociaux par Gilbert Loubès, secrétaire de la Société Archéologique du Gers. 4 - LES TEMPS MODERNES par Maurice Bordes, professeur à l'Université de Nice, président de la Société Archéologique du Gers. 5 - L'ECONOMIE GASCONNE (XVIe siècle - XIXe siècle) par Pierre Féral, Principal honoraire Vice-Président de la Société Archéologique du Gers. 6 - LE GASCON : Langue, Littérature et Ethnographie par Henri Polge, Directeur des Services d'Archives du département du Gers, Vice-Président de la Société Archéologique du Gers. 7 - L'ART RELIGIEUX DU ROMAN AU CLASSIQUE par Paul Mesplé, Conservateur honoraire du Musée des Augustins à Toulouse. 8 - CHATEAUX ET ARCHITECTURES CIVILS par Henri Polge, Directeur des Services d'Archives du département du Gers. 9 - LA REVOLUTION ET L'EMPIRE par Jean Castex, Professeur au Lycée Th. Gautier à Tarbes. 10 - LE XIXe SIECLE <1815-1914) : Vie politique et société par Georges Courtès, Professeur au Lycée Maréchal-Lannes à Lectoure. 11 - DE 1914 A 1939 # . par Louis Laspalles, Professeur agrégé au Lycée Th. Gautier à Tarbes. 12 - LA GASCOGNE CONTEMPORAINE par Paul Castéla, Maître de conférences de Géographie à l'Univers Lté de Nice. HISTOIRE DE LA GASCOGNE DES ORIGINES A NOS JOURS

sous la direction de Maurice BORDES

avec la collaboration de Paul CASTELA, Jean CASTEX, Georges COURTES, Benoît CURSENTE, Pierre FERAL, Michel LABROUSSE, Louis LASPALLES, Abbé LOUBES, Paul MESPLE, Henri POLGE

L'Hexagone Collection dirigée par Etienne Fournial

ÉDITIONS HORVATH JUSTIFICATION DE TIRAGE

Cette première édition de l'HISTOIRE DE LA GASCOGNE a été tirée à 1 600 exemplaires, numérotés : — de 1 à 150, édition de luxe, reliée peau ou skivertex ; — de 151 à 1 600, édition courante.

Copyright Editions HORVATH, 42300 ROANNE/France I.S.B.N. 2.7171 - 0020 - 2 DE LA GASCOGNE

Sans tomber dans un déterminisme géographique simpliste, on peut dire que les territoires qui ont porté le nom de Gasco- gne au cours de certaines périodes de l'histoire n'étaient pas prédisposés à constituer une solide unité politique. Le cloison- nement des vallées pyrénéennes, l'orientation vers le sud-ouest du bassin de l'Adour, la direction sud-nord des coteaux et des vallées dissymétriques de la Gascogne orientale ne poussaient pas au groupement, multipliaient au contraire les petits pays et facilitaient l'éclosion de petits centres concurrents. Conséquence de ce relief, les vieux chemins de la Gascogne orientale étaient, pour la plupart, des chemins de crête de direction sud-nord, sans pont ni gué, comme les « ténarrèzes » du Bas-Armagnac ; avec l'éclosion des nombreuses bastides médiévales, surtout des abords de 1250 aux environs de 1320, des chemins de vallées apparurent près des rivières mais toujours orientés sud-nord, ce fut le cas notamment de la grande mercadère de l'Astarac, le chemin commercial qui longeait l'Arrats. Si le terme de Gascogne s'est bien conservé, le territoire auquel il se réfère a des limites bien floues. La Gascogne se situe entre la Garonne et les Pyrénées mais une partie de celles-ci a longtemps fait corps avec le bas pays. L'incertitude s'étend aux limites occidentales ; si les landes étaient en grande partie gas- connes, une portion de celles-ci a toujours été liée à Bordeaux. Ce flou se retrouvait à 1"est ; alors que le duché de Gascogne ne dépassait guère l'Arrats, les comtes d'Armagnac des XIV. et .YV siècles étendirent leur suzeraineté sur les vicomtés de Lomagne et d'Auvillar, de Fezensaguet, de l'isle ; en outre, les cantons du Languedoc situés à l'ouest de la Garonne en furent démembrés en 1469 lors de la constitution du. grand apanage attribué par Louis XI à son frère Charles. Les pays gascons s'étendirent ainsi jusqu'à la rive gauche de la Garonne sauf une petite enclave à hauteur de Toulouse et une autre à hauteur de Rieux. Dans cet ensemble dépourvu de véritable centre et aux limites indécises, les unités politiques ont été partielles ou éphémères. Le duché de Gascogne du haut Moyen Age fut de bonne heure victime- du morcellement féodal. Aux XIV -et- xv- siècles, les comtes d'Armagnac ont réussi à regrouper plusieurs comtés et vicomtés qui constituaient un ensemble homogène en Gascogne orientale : du comté d'Armagnac proprement dit au Fezensac et à la vicomté de l'Isle, de l'Eauzan au Fezensaguet et de la Loma- gne au pays de Rivière-Basse tandis que les Quatre Vallées constituaient une avancée dans les Pyrénées. Mais la gestion des importantes possessions que les comtes d'Armagnac avaient acquises en Rouergue et en Auvergne ne pouvait que les éloigner de la Gascogne comme d'ailleurs une politique ambitieuse qui les amena à s'intéresser au Charollais, à l'Italie et au gouverne- ment de la France. On peut faire des remarques analogues sur la nzaison d'Albret qui, au XVe siècle et de la Gascogne aux Pyrénées, dominait un vaste ensemble de territoires, plus étendu que l'ancien duché de Gascogne. Les Albrets étaient insérés dans la grande politique de la monarchie française. Alain le Grand ne soutint ses entreprises que grâce aux pensions du roi de France, environ six millions de livres au total en cinquante ans ; Jeanne d'Albret, fille d'Henri II, épousa un prince du sang français Antoine de Bourbon. Leur fils, Henri de Navarre joua très tôt un rôle de premier plan dans les grands conflits politiques et religieux du royaume. Quand, devenu roi de France sous le nom d'Henri IV, il réunit à la couronne la plupart de ses fiefs (juillet 1607), il s'agissait moins de la Gascogne que des pays gascons. Une Gascogne élargie devait toutefois réapparaître sur l'ini- tiative du pouvoir royal avec la création en 1716 de la généralité et intendance d'Auch qui couvrait un très vaste territoire soit plus de trente mille kilomètres carrés. Atteignant la rive gauche de la Garonne des abords de Toulouse à Port-Sainte-Marie, elle comprenait au-delà du fleuve le Bas-Comminges et le Couserans et recouvrait tout le pays de la Garonne aux Pyrénées moins les élections ou circonscriptions financières de Bordeaux et de Condom. Tous les pays pyrénéens, de l'Océan au Col de Port, en faisaient partie. L'intendance d'Auch était ainsi plus étendue que l'ancien duché de Gascogne, notamment dans les Pyrénées et à l'est avec les élections de Rivière-Verdun et de Comminges. L'originalité du gascon parmi les langues d'oc était un facteur d'unité mais l'intendance dépassait son aire d'extension au sud- ouest où elle comprenait les trois provinces basques : le pays de Soule, la Basse-Navarre et le Labourd. De 1751 à 1767, la Gascogne du XVIIIe siècle bénéficia de l'action de l'intendant d'Etigny, l'un des meilleurs administrateurs qu'ait connu l'Ancien Régime. Ayant une haute conscience de sa mission, doué d'une activité prodigieuse, il ne cessa de parcourir l'intendance et prit beaucoup d'heureuses initiatives. L'ouverture d'un réseau routier moderne, le lancement des stations thermales des Pyrénées, son installation à Auch dont il fit une sorte de petite capitale méri- tent tout particulièrement d'être mis à son actif. C'est dans les limites de cette intendance, moins les provinces basques et le Béarn, à la personnalité particulièrement accusée, que nous présentons l'Histoire de la Gascogne de Bayonne à Muret, de Layrac à l'extrémité de la vallée d'Aure, et de Saint- Girons aux landes de Sabres et de Labrit sans nous interdire d'évoquer parfois Condom et Nérac. Nous la poursuivons dans le cadre départemental après 1790 en tenant compte des nouvelles limites administratives, notamment l'inclusion de Condom dans le département du Gers. Mais l'histoire n'est pas seulement poli- tique et économique ; c'est pourquoi le livre contient plusieurs chapitres consacrés à la civilisation : la langue et la littérature gasconnes, les arts, les traditions populaires. Maurice BORDES

N.B. — Bien que le terme de Guyenne ou Aquitaine de Bordeaux ait été utilisé dans un sens très large et à la place du terme de Gascogne après l'expulsion des Anglais par Charles VII en 1451, on continua à parler de Gascogne et de Gascons. Au XVIIIe siècle, on employait couram- ment la dénomination gouvernement militaire de Guyenne et Gascogne Pour nous, la Guyenne doit être distinguée de la Gascogne et commençait en fait au nord des landes de Gascogne avec le Bazadais, la captalat de Buch, le Médoc et le pays de Bordeaux.

CHAPITRE 1 LA GASCOGNE AVANT LA GASGOGNE

A la veille de la Révolution de 1789, l'intendance d'Auch, qui couvrait plus de 30 000 kilomètres carrés, s'étendait à presque toute la Gascogne. Ce nom de pays était un héritage historique assez récent, puisqu'il ne remontait pas au-delà des débuts du Moyen-Age : il était le fruit d'une conquête ou plutôt d'une pseudo-conquête des temps mérovingiens. Au IVe siècle, quand Paulin de Bordeaux parlait du Vasconiae saltus, il ne pensait encore qu'aux montagnes et aux forêts des Pyrénées occidentales où se cantonnaient les Vascons, ancêtres des Basques. C'est seule- ment sur la fin du VIe siècle, dans l'œuvre de Grégoire de Tours, que le nom de Vasconia, altéré en Gasconia dans les parlers ger- maniques, s'applique pour la première fois à toute la partie de la Gaule comprise entre les Pyrénées, la Garonne et l'Océan. Pour ce vaste ensemble géographique, les Anciens n'avaient connu auparavant qu'un seul nom générique, celui d'Aquitaine, et, quand, par fantaisie, l'administration romaine étendit, puis trans- féra ce vocable aux pays d'entre Garonne et Loire, l'ancienne Aquitaine resta pour eux la Novempopulanie, le pays des neuf grands peuples devenus autant de « cités » gallo-romaines.

L'AQUITAINE PRÉ-ROMAINE

Historiquement, César est le premier écrivain à avoir pro- noncé le nom d'Aquitaine et, dans le passage célèbre qui ouvre ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, il la définit comme l'une des trois composantes de la Gaule, exagérant, d'ailleurs, son étendue. Soixante-dix ans plus tard, Strabon, témoin des réformes administratives d'Auguste et répétant peut-être Poseidonios d'Apamée qui avait, avant César, visité le sud de la Gaule, insiste surtout sur les différences entre Aquitains et Gaulois : « Soit dit en passant, écrit-il, les Aquitains différent de la race gauloise par l'aspect physique, par la langue et ils ressem- blent davantage aux Ibères ». A quels Ibères se réfère Strabon ? Aux Ibères véritables de race et de langue qui habitaient la vallée de l'Ebre et le Levant espagnol, ou à l'ensemble des peuples de souches diverses, Ibères, Celtes, Vascons et autres, qui, de son temps, vivaient côte à côte en Ibérie, dans l'Espagne actuelle ? De son texte ressort surtout l'originalité ethnique et linguis- tique des peuples de l'Aquitaine. En dépit d'un morcellement politique qui paraît l'une des constantes de leur histoire, ce qui les a primitivement unis, c'est leur langue, la langue dite « aquitaine » ou « aquitanique ». Les linguistes ont beaucoup discuté sur cette langue. L'hypo- thèse aujourd'hui la plus en faveur est que, sauf emprunts de vocabulaire, elle n'a rien à voir avec l'ibère. Ancêtre vraisem- blable du basque, elle s'enracinerait plutôt dans de très vieux parlers préhistoriques qui, en des temps très lointains, ont dû avoir cours non seulement sur les deux versants des Pyrénées, mais aussi, au nord, sur une large bande de l'avant-pays pyrénéen et, au sud, sur une bonne part de l'Espagne. Quelques toponymes en garderaient la trace. Au nom d'Elimberris qui fut celui d'Auch en Aquitaine répondent ceux d'Illiberi, aujourd'hui Elne, dans les Pyrénées-Orientales, et d'Illiberis, Grenade, dans le sud de l'Espagne. Calagurris, bour- gade du Comminges identifiée à Saint-Martory, dans la haute vallée de la Garonne, est l'homonyme des deux Calahorra qui subsistent en Espagne dans le Léon et la Rioja. Ces noms se comprennent encore en basque moderne. Illi-beris, c'est la « ville neuve », et, en euskarien, gorri signifie rouge, Calagurris étant le rocher, la maison ou la source rouge. Cette unité linguistique de l'Aquitaine, qui débordait de loin ses frontières historiques, n'appartient véritablement qu'à la préhistoire. Dans les siècles qui ont précédé notre ère, au nord et au sud des Pyrénées, elle avait fait peau de chagrin, avant même que la conquête romaine ne refoulât ou n'achevât de refouler dans l'ouest de la chaîne les Basques ou Vascons, dernier carré des Aquitains fidèles à leur langue et sans doute aussi à l'archaïsme de leur civilisation.

CELTES ET AQUITAINS

Dès le Premier Age du Fer et peut-être plus tôt, le reste de l'Aquitaine a été pénétré d'éléments celtiques. Sur la foi du texte de Strabon et de l'inscription d'Hasparren dont nous aurons à reparler, cette « celtisation » de l'Aquitaine a pu être contestée et elle reste, de toute façon, délicate à délimiter et à mesurer. Quelques données paraissent néanmoins certaines. A l'ouest du domaine aquitain, sur les rives du bassin d'Arcachon et de la Leyre, dans le pays de Buch qui gardera leur nom, étaient, dès le VIIe siècle av. J.-C., établis des Boiens, l'un des rameaux du plus dispersé de tous les peuples celtes, présent ici au bord de l'Océan comme il l'était dans la Celtique entre Loire et Allier, en Italie autour de Bologne et, au cœur de l'Europe centrale, sur le plateau de Bohême. Parallèlement, aux confins orientaux de l'Aquitaine, les Volques ont, au III" siècle av. J.-C., atteint, puis remonté la vallée de la Garonne, fondé sur la butte de Saint- Bertrand-de-Comminges l'oppidum au nom typiquement gaulois de Lugdunum et parsemé de leurs tumuli les plateaux du Val d'Aran et les zones pastorales des Pyrénées Centrales. Dans les noms d'autres peuples établis plus au centre de l'Aquitaine, les linguistes ont encore cherché des résonnances celtiques. Celui des de la Chalosse et du Labourd a été rapproché du vocable qui, en gaulois, désignait le taureau, tarvos. Celui des Succasses, qui seraient peut-être à localiser entre Lectoure et Eauze, paraît bien tenir à la racine celtique cassi- et les Pinpedunni cités par Pline pourrait être le peuple gaulois des « cinq oppida ». Un fait archéologique témoigne en tout cas, pour une période plus tardive, de la pénétration des rites funéraires et, partant, des mœurs et de la mentalité celtiques dans l'est et dans le centre de la Gascogne. Les puits funéraires caractérisent, au Ier siècle av. J.-C., la civilisation des Volques Tectosages dans toute la région de Toulouse. Or, des puits, de tous points semblables et contemporains, ont été découverts, ces dernières années, tant à Lectoure sur le plateau de Lamarque qu'à Saint-Jean-de-Castex, près de Vic-Fezensac, en un territoire qui fut probablement celui des . Il n'est plus douteux que les migrations celtiques de l'Age du Fer ont encadré l'Aquitaine et qu'elles l'ont pénétrée. Ont- elles apporté avec elles un nouveau ban de population ou sim- plement marqué l'avènement d'une hégémonie militaire et poli- tique sur la masse autochtone ? La langue des vainqueurs s'est- elle imposée ? Celle des vaincus a-t-elle prévalu ? Une réponse d'ensemble serait aujourd'hui plus que téméraire et il est seule- ment à présumer que les situations ont varié selon les lieux. Dans l'Aquitaine du II' siècle av. J.-C. devaient vivre côte à côte de vrais Aquitains, de vrais Celtes, des Aquitains plus ou moins « celtisés » et des Celtes plus ou moins « aquitanisés ». Ces populations avaient sans doute le sentiment de différer de celles du reste de la Gaule et elles gardaient, à coup sûr, une phonéti- que particulière qui, au-delà de la latinisation, devait faire du gascon l'un des rameaux les plus originaux des langues romanes d'oc.

MORCELLEMENT POLITIQUE

Fruit de migrations protohistoriques que nous devinons à peine, ce métissage ethnique a dû compter pour beaucoup dans le morcellement extrême des peuples de l'Aquitaine. En 56 av. J.<:., César nomme douze peuples aquitains qui ont fait leur soumission à Crassus, mais, il le dit lui-même, sa liste est incomplète et, de toute façon, il n'avait à citer ni les Consoranni, ni les Convènes incorporés depuis Pompée à la province romaine, ni les Lactorates alliés de longue date du peuple romain. Strabon dit, de son côté, que vivaient en Aqui- taine « plus d'une vingtaine de peuples, petits et obscurs ». Dans son Histoire Naturelle, Pline l'Ancien en énumère vingt-huit dont la plupart ont disparu sans laisser la moindre trace dans l'onomastique, d'où la difficulté et même l'impossibilité de les localiser. Entre les Pyrénées, la Garonne et l'Océan ont donc habité vingt, vingt-cinq ou trente peuples qualifiés d'aquitains. Ce chiffre, déjà élevé, serait sans doute à majorer. Parmi les communautés connues de Pline, plusieurs se subdivisaient encore. Aux Oscidates de la montagne s'opposaient, par exemple, ceux de la plaine, les premiers étant peut-être dans la vallée d'Ossau, les seconds près de la Garonne moyenne, vers Lectoure ou Sos. A l'ouest, des peuples plus notables apparaissent surtout comme des groupements de tribus : quatre pour les Tarbelli dans le Labourd et la Chalosse, six pour les Cocosates dans les Landes. Un tel nombre de peuples et de tribus sur un territoire qui n'excède pas celui de cinq à six de nos départements justifie l'affirmation de Strabon. Sauf exceptions, les peuples aquitains, « petits et obscurs », avaient un horizon qui ne dépassait pas celui d'un arrondissement ou d'un canton. Comparés à leurs voisins les plus immédiats de la Celtique, ils apparaissent comme minuscules. Au nord de la Garonne, les Nitiobroges de l'Agenais, les Cadurques du Querçy ou les Pétrocores du Périgord occu- paient au moins la valeur d'un département et, à l'est, les Volques Tectosages, qui empiétaient largement sur la Gascogne, tenaient, « des neiges des Pyrénées aux pinèdes des Cévennes » pour parler comme Ausone, un territoire de plus de 11 000 kilo- mètres carrés, l'un des plus vastes de la Gaule méridionale. Si le morcellement qui, par contraste, marque l'Aquitaine, n'est pas le seul fruit des conditions naturelles, celles-ci ont certainement contribué à le maintenir et à le renforcer. Dans la montagne pyrénéenne, chaque vallée est un monde en soi et correspond à un « peuple » : les Consoranni sont celui du Couserans, de la vallée du Salat et de ses affluents, les Arani celui du Val d'Aran, les Onesii de Luchon celui de la haute vallée de la Pique. Hors de la montagne, tant que domine la lande ou que des crêtes boisées séparent des vallées étroites, parallèles et mal liées entre elles, les conditions ne changent guère et favorisent le particularisme. Il faut que les vallées s'élargissent, que les coteaux s'abaissent et que s'ouvrent des terres cultivables pour qu'apparaissent des groupements politi- ques ou ethniques offrant quelque consistance territoriale, tels les Tarbelli au sud de l'Adour, les dans la partie large de la vallée du Gers, les Elusates dans l'Armagnac, les Lactorates entre le Gers et la Lomagne. Partout ailleurs, le morcellement est la règle et le restera. Avec son chef-lieu de Cieutat-de-Neurest, le petit peuple des Onobrisates forme, à l'époque romaine, enclave dans les Baronnies entre le Comminges et la Bigorre, et, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, se perpétueront, dans la géographie administrative de l'intendance d'Auch, de petites unités comme le Nébouzan et le Pays des Quatre Vallées, Aure, Neste, Barousse et Magnoac.

PREMIÈRES CIVILISATIONS AQUITAINES

Dans les siècles antérieurs à la conquête romaine, ces peuples, petits, bigarrés, isolés, aux horizons bornés, ont-ils connu une communauté de civilisation matérielle ? L'archéologie, qui est ici notre seul guide, ne peut fournir qu'une réponse partielle. Pour les temps très anciens, allant, sans rupture de continuité, du néolithique à la fin de l'Age du Bronze, la multiplicité des découvertes de haches polies, le premier outil qui servit à fouir le sol, prouve surabondamment qu'aux III' et IIe millénaires, l'Aquitaine a bénéficié, comme toute l'Europe occidentale, de la « révolution néolithique ». L'homme a appris à travailler la terre, à domestiquer les ani- maux, à faire de la poterie, à tisser. Agriculteurs débutants, les Aquitains se sont initiés à défricher les coteaux peu boisés, aux sols légers et fertiles, de la Chalosse, du Bas-Armagnac et du Condomois, le bord des étangs du littoral atlantique et quelques clairières des Landes. Ils évitèrent, par contre, les forêts trop denses de la majeure partie des Landes, les sols argileux lourds, les fonds de vallées marécageux et aussi la montagne, vouée, dès cette époque et pour toujours, à la prédominance pastorale. Au Chalcolithique et à l'Age du Bronze, l'Aquitaine a compté quelques dolmens et quelques menhirs dressés là où le sous-sol offrait pierres ou rochers, mais, ni en taille, ni en nombre, ces monuments mégalithiques ne sauraient rivaliser avec ceux des grands ensembles de la Gaule et de l'Espagne. Ils semblent essentiellement le fait de populations pastorales. Ceux des hautes vallées pyrénéennes jalonnent, à travers le Val d'Aran et le Somport, des voies traditionnelles de transhumance. D'autres se sont conservés dans les landes sous-pyrénéennes, tel, sur le plateau de Ger, près de Bartrès, le dolmen du Pouy Mayou. Sur les coteaux de Gascogne, aucun n'a jamais été signalé à l'est de la Baïse et s'il en a existé dans le Condomois et le Bas- Armagnac, des fouilles trop anciennes et mal faites nous laissent tout ignorer de leur architecture et de leur âge. L'archéologie de la période suivante, celle de l'Age du Fer, rencontre d'autres difficultés. Les mégalithes ne fixent plus l'attention et les trouvailles en surface d'un matériau impérissa- ble comme la hache de pierre ne se répètent pas. L'Aquitaine n'a livré jusqu'ici ni traces certaines d'habitat; ni, à plus forte raison, d'agglomérations. Comme elles le resteront jusqu'en pleine époque romaine pour les paysans les plus misérables vivant à l'écart, les « maisons » étaient sans doute des cabanes faites de bois, d'argile, de pisé et de chaume, toutes matières périssables, peu séduisantes pour un archéologue anxieux de « belles » découvertes. Ce qui a été trouvé, fouillé, publié, ce sont des tombes et des nécropoles. Curieusement absentes du centre de la Gascogne, depuis les Landes jusqu'au cours moyen de la Garonne, elles se pressent à la périphérie : à l'ouest, près du bassin d'Arcachon, dans le pays de Buch, et surtout au sud, en une longue trainée pyrénéenne et sous-pyrénéenne qui va des vallées du Couserans jusqu'à l'extrémité occidentale de la Chalosse par le Val d'Aran et la haute vallée de la Garonne, celles de la Neste et de l'Adour, le plateau de Lannemezan, celui de Ger, le Tursan, les landes de Pont-Long et la Chalosse elle- même.

LES NÉCROPOLES DU PREMIER AGE DU FER

Malgré des différences qui tiennent à la nature du sol, à des habitudes locales et peut-être aussi à leur chronologie, ces nécropoles se rattachent toutes à la première civilisation de l'Age du Fer, celle de Hallstatt. Elles en offrent deux caractères essentiels : l'incinération des morts et leur ensevelissement sous un tumulus de terre ou de pierre. Les hommes du néolithique et leurs héritiers ayant, en géné- ral, inhumé leurs morts, l'incinération apparaît comme une nouveauté. Des recherches toutes récentes menées sur le plateau de Ger précisent les détails d'un rite qui va s'imposer en Aqui- taine pour plus de mille ans, jusqu'à la victoire finale du christianisme. Le mort était, le plus souvent, brûlé à l'emplacement même où allait s'élever sa tombe, son tumulus. Sur une épaisseur d'argile plastique soigneusement lissée, était dressé son bûcher et il y était incinéré avec ses vêtements, ses armes et ses bijoux. La crémation achevée, ses cendres étaient, sauf exception, recueillies dans une urne de terre déposée au centre du tumulus. L'accompagnaient ce qui restait de ses armes et de ses parures de métal, des vases à offrandes contenant sans doute des ali- ments pour la vie d'outre-tombe et des tessons de poteries brisés et brûlés en un rite propitiatoire. Dans le pays de Buch et dans les Pyrénées, les urnes étaient légèrement enterrées. Sur le plateau de Ger, elles étaient simple- ment posées à même le sol, à l'intérieur soit d'un coffre de dalles, soit d'une cavité ménagée dans un massif de galets liés par de l'argile. Le tout était ensuite couvert de terre ou de pierrailles. Deux rites complémentaires s'observent partout : un feu rituel, purificateur, a été allumé sur le sommet de la tombe et des cercles de pierres posées à plat ceinturent le tumulus au niveau du sol antique ou plus haut. Leur nombre peut varier de un à quatre et ils étaient sans doute conçus comme une barrière magique fermant la sépulture aux maléfices et aux profanations. Dans les landes sous-pyrénéennes, bien que formant des groupes plus moins épars, les tumulus se rassemblent en de véritables nécropoles. Au sud du plateau de Lannemezan, au-dessus de la vallée de la Neste, celle d'Avezac-Prat en comptait au moins une cinquantaine et, plus à l'est, sur le plateau de Ger, à la limite des départements des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées- Atlantiques, les enquêtes récentes en ont dénombré plus de 150. Tous ces tumulus étaient circulaires. A Avezac-Prat, ils mesu- raient de 3 à 30 mètres de diamètre, de 0,12 m à 2 mètres de hauteur. Sur le plateau de Ger, le diamètre varie, à la base, entre 12 et 32 mètres, la hauteur entre 1,20 m et 3 mètres. Une moyenne est donnée par le tumulus LM XVI récemment fouillé dans la commune de Lamarque-Pontacq : il avait 24 mètres de diamètre, 1,70 m de haut et recouvrait un massif de galets maçonnés à l'argile, également circulaire, de 4 mètres de diamè- tre et d'un mètre de haut. Le mobilier funéraire variait en abondance et en richesse, comme il est naturel, d'une tombe à l'autre. Un exemple de mobilier riche est fourni par une sépulture du groupe X du plateau de Ger : outre une fibule et une agrafe de ceinture en bronze, il comprenait une belle série d'armes, d'instruments et de bijoux en fer : une épée courte avec poignée à antennes droites, des pointes de lance, des couteaux, un javelot de 1,40 m de long, un mors de cheval, plusieurs fibules ; la céramique était représentée par dix vases de taille et de forme différentes : une grande urne à pied creux surélevé, un large récipient cylin- drique à double poignée, des ovoïdes plus ou moins globulaires, des plats-couvercles tronconiques, des gobelets étroits ou évasés, etc. Ces nécropoles hallstattiennes de l'Aquitaine posent un dou- ble problème de répartition géographique et de chronologie. Pourquoi, en dehors du pays de Buch, se groupent-elles au pied des Pyrénées, sur les 200 kilomètres qui séparent le bassin supérieur de la Garonne de l'extrémité ouest de la Chalosse ? La réponse n'est ni aisée, ni sûre, l'exploration de l'Aquitaine protohistorique étant encore dans l'enfance. L'hypothèse la plus commode est d'imaginer que ces nécropoles répondent « à un lieu d'élection des populations pastorales du Premier Age du Fer » et peut-être plus encore à des zones de parcours et de rencontres. Pour celles, d'ailleurs peu importantes, des vallées pyrénéennes, le fait est évident. Celles du Lannemezan, du pla- teau de Ger, du Tursan et de la Chalosse sembleraient se situer en des carrefours : les voies traditionnelles de transhumance descendant des Pyrénées vers les plateaux et les collines de Gascogne y coupent des pistes d'ouest en est qui portaient vers l'intérieur le sel des salines atlantiques et celui des gisements terrestres sous-pyrénéens. Dès 1200 avant notre ère, le sel était retiré par ébullition des eaux saumâtres de Salies-de-Béarn et, bien que toute preuve archéologique manque, il a dû en être de même, tôt ou tard, à Salies-du-Salat et en d'autres localités « saulnières ». Pendant des siècles, le sel est resté une denrée primordiale, de grand commerce. Dès 900 ou 800 av. J.-C., le fer a dû se joindre à lui et, tirée des « ferrières » des l andes, de la bordure pyrénéenne et de la montagne elle-même, la nouvelle matière première, indispensable à la confection des armes et des outils, a pu trouver marchés et débouchés dans les mêmes zones de rencontre où s'épanouit la civilisation hallstattienne du sud de l'Aquitaine. Le reste de la région et, en particulier, le centre de la Gascogne connaissaient-ils alors d'autres formes de vie ? Rien ne l'indique. Bien que notablement plus ancienne, la civilisation des « Champs d'Urnes » n'a pas dépassé l'Albigeois et le Toulou- sain et demeure totalement inconnue à l'ouest de la Garonne. Par contre, la courte épée de fer avec poignée à antennes droites, caractéristique des nécropoles d'Avezac-Prat et du plateau de Ger, s'est rencontrée en des tombes isolées dans le nord du département du Gers et dans le sud de celui de Lot-et-Garonne. Ce n'est encore là que l'indice fragile d'une communauté de culture matérielle. De pareilles tombes seraient à chercher et à fouiller méthodiquement dans tout le centre de l'Aquitaine Peut- être y furent-elles plus dispersées en raison de la prédominance de la culture sur l'élevage, du morcellement des terroirs et de l'éloignement des zones où se faisaient les grands échanges de l'époque. L'autre problème que posent les nécropoles de la bordure pyrénéenne est celui de leur chronologie. Aucun vase grec, aucune céramique importée des rives de la Méditerranée ne vient fournir, comme pour le Toulousain et l'Agenais, un élément direct de datation. Les seuls critères valables tiennent à des comparaisons avec les nécropoles de même type du Bas-Langue- doc et du nord de l'Espagne. Ils suggèrent une chronologie plutôt basse. Ainsi, les épées avec poignée à antennes courbes, qui marquent la première période des cimetières hallstattiens d'Espagne, font ici défaut. Par contre, des agrafes de ceinture d'Avezac-Prat ressemblent à celles de la nécropole audoise du Grand Bassin II à Mailhac qui ne sauraient être antérieures à 550 av. J.-C. et qui pourraient même être plus récentes. Il en va de même pour les lances, pour les javelots faits d'une seule pièce de fer, les fibules à pied relevé en angle droit et à ressort en arbalète. Sur le plateau de Ger, le mobilier de plusieurs tumulus évoque les troisième et quatrième périodes du Premier Age du Fer languedocien et une agrafe du tumulus L. 17 semble la réplique de celle qui a été trouvée à Mailhac dans une « tombe de chef » datée du IVe siècle par des poteries grecques. Considéré dans son ensemble, le Hallstattien des Pyrénées pourrait être approximativement contemporain de la phase finale du Premier Age du Fer, soit, selon un système de chronologie courte, d'une période à peu près comprise entre 550 et 450 ou même 400 av. J.-C. S'est-il prolongé au-delà ? Pour l'Espagne et notamment pour le pays des Celtibères, l'hypothèse a été avancée d'une civilisation dite « post- hallstattienne » ou « du hallstattien prolongé » qui serait contem- poraine des civilisations de La Tène I et de La Tène II du centre et de l'est de la Gaule. Le schéma, très séduisant, a été appliqué à l'Aquitaine, mais il semble actuellement passé de mode. Son abandon n'en ouvre pas moins un hiatus archéologique entre le Ve et le IIe siècles. Le pays n'a pourtant pas été vidé de ses habitants et la densité du peuplement à l'époque de César laisse plutôt supposer un progrès démographique. Il reste manifeste que les premières civilisations de La Tène n'ont pas pénétré l'Aquitaine et, si dans un tumulus du Tursan, une fibule de La Tène II adhérait à un fragment de côte de mailles, la trouvaille demeure isolée. Pareille carence ne saurait étonner car les mêmes civilisations sont aussi peu représentées dans les régions bor- dières du Toulousain et de l'Agenais. Pyrénées et Aquitaine apparaissent plutôt comme un conservatoire de formes archaïques. Dans les tumulus, à côté de vraies céramiques hallstattiennes, il en est qui semblent procéder du néolithique ou de la poterie des « Champs d'Urnes » parfaitement étrangers à la région. Il reste permis de se demander si les modes de vie, les rites funéraires, les types d'armes et d'outils révélés par les nécropoles d'Avezac-Prat, du plateau de Ger et accidentellement par d'autres sites gascons, n'ont pas duré jusqu'à la conquête romaine. Des recherches attentives et des fouilles méthodiqaes permettront peut-être un jour de trancher le problème, d'éliminer un hiatus inquiétant et irritant et de mieux définir la civilisation ou les civilisations que connut l'Aquitaine aux trois ou quatre derniers siècles avant notre ère.

LA CONQUÊTE ROMAINE

Les premiers contacts des Aquitains avec Rome sont liés à la conquête par celle-ci de la Gaule Transalpine et à la création de la province qui prendra, sous l'Empire, le nom de Narbon- naise. En 118 av. J.-C., le proconsul Cn. Domitius Ahenobarbus avait imposé, bon gré, mal gré, son alliance aux Volques Tectosages et Toulouse avait reçu une garnison romaine. La révolte de la ville, sa reconquête et son pillage en 106 par Q. Servilius Caepio ne firent qu'accentuer la main mise romaine et l'incorporation du territoire tectosage au domaine romain. Celui-ci fut-il provisoirement limité au cours même de la Garonne ? Déborda-t-il, à l'ouest, l'épais manteau forestier de la forêt de Bouconne pour porter ses avant-gardes jusqu'à la Save ? Fut-il, dès l'abord, étendu jusqu'à la Gimone qui marqua, sous l'Empire, la limite de la Narbonnaise et de l'Aquitaine ? Le fait importe peu à l'histoire générale. L'essentiel est que les Romains mordaient déjà sur l'Aquitaine : à hauteur de Toulouse ils étaient face à face avec les Ausci et, au nord comme au sud, directe ou indirecte, leur emprise progressait. Au sud, le long de la Garonne et dans les vallées pyrénéennes du Couserans et du Comminges, leur suzeraineté a remplacé celle des Volques. Réelle en bas pays, elle fut sans doute nomi- nale dans la montagne qui resta pour eux une zone d'insécurité et où les populations indigènes gardèrent une indépendance de fait. Au nord, Lectoure est entrée, dès les premiers temps, dans l'orbite et l'alliance de Rome. César mentionne, en effet, la mort dans les rangs romains, en 55 av. J.-C., d'un chef aquitain du nom de Pison, dont le grand-père avait été roi et avait reçu du Sénat le titre d'ami du peuple romain. Ce roi est à peu près certainement celui de Lectoure que cite, sans le nommer, Diodore de Sicile. Il serait venu à Rome, se serait instruit des lettres latines, aurait regagné son pays et y aurait régné par la grâce du Sénat, toujours fidèle au peuple romain. Aussi vieille ou presque que la création de la province romaine, l'alliance de Lectoure et de Rome devait rester sans faille. Ainsi, dès les dernières décennies du IIe siècle av. J.-C., les Romains étaient à même de contrôler les peuples de l'est de l'Aquitaine, Consoranni, Convènes et Lactorates. Quelles furent les réactions des autres ? Nous les ignorons et elles évitèrent sans doute une hostilité systématique. L'impé- rialisme romain ne visait encore que la Méditerranée et la conquête du Toulousain avait pour seul but de couvrir militai- rement Narbonne. A bon droit, la plupart des peuples de l'Aquitaine ont pu penser qu'ils n'étaient pas menacés, d'autant que, divisés et faibles, ils ne constituaient pas un péril pour la nouvelle province romaine. Au cours de l'invasion des Cimbres qui suivit presque aussitôt, leur comportement nous échappe pareillement. Relati- vement isolés au sud de la grande voie de passage qu'était la vallée de la Garonne, ils furent peut-être à l'abri des incursions les plus graves des bandes germaniques. Mieux encore, la défaite que subit en 107 av. J.-C. dans l'Agenais le consul L. Cassius Longinus, défaite comparée à celle des Fourches Caudines, garan- tit en quelque sorte leur indépendance vis-à-vis de généraux romains incapables de défendre leur propre territoire.

AU TEMPS DE SERTORIUS ET DE POMPÉE

Les choses changèrent au temps de Sertorius. Maître de l'Espagne, celui-ci infligea défaite sur défaite aux armées sénatoriales. Pour lui échapper, leurs chefs furent tentés de retraiter à travers les cols des Pyrénées occidentales et centrales et de traverser l'Aquitaine pour rallier leurs bases de la province romaine. Ce faisant, ils menaçaient la liberté ou, à tout le moins, la tranquillité des Aquitains et ils leur offraient, de surcroît, une occasion de pillage et de butin. Deux fois au moins, ils en furent les victimes. César cite le cas inconnu du proconsul L. Valerius Preconinus et celui du propréteur L. Manlius. En 77 av. J.-C., rejeté au nord des Pyrénées, celui-ci chercha sa route à travers l'Aquitaine, peut-être du Somport vers l'Agenais, et, attaqué par les , il subit un désastre comparable à celui de L. Cassius Longinus, perdant dans l'aventure tous ses bagages et sa réputation militaire. La réplique vint de Pompée. Vainqueur de Sertorius à la fin de 72, il pacifie l'Espagne par sa modération, sa clémence, un large octroi du droit de cité romaine. Au sud des Pyrénées, parmi les Vascons, où il a deux fois hiverné, il fonde la ville qui gardera son nom, Pompaelo, Pampelune. Au nord, sans avoir apparem- ment à combattre, il fait, à Saint-Bertrand-de-Comminges, de l'ancien oppidum tectosage de Lugdunum une base militaire romaine. Il y appelle tous ceux qui lui doivent la vie, la liberté ou la cité romaine : des vétérans, d'anciens partisans ralliés de Sertorius, des montagnards jusqu'alors rebelles. Les routes et les hautes vallées des Pyrénées centrales cessent d'être un danger pour les Romains qui contrôlent désormais, de surcroît, les voies d'ouest en est qui bordent la chaîne. L'Aquitaine n'avait subi aucun nouveau morcellement, mais, prise en tenaille entre le territoire provincial consolidé au sud et les peuples alliés des Lactorates et des Nitiobroges au nord, elle était à la merci de Rome.

LES VICTOIRES DE CRASSUS (56 AV. J.-C.) Sa soumission totale jusqu'à l'Océan devait s'inscrire, seize ans après Pompée, dans le cadre de la Guerre des Gaules. La campagne décisive ne fut pas conduite par César en personne. Il en remit le commandement à l'un de ses meilleurs lieutenants, à P. Licinius Crassus le Jeune, le fils de son allié politique dans le triumvirat, qui, trois ans après, devait trouver la mort avec son père sous les coups des Parthes sur le champ de bataille de Carrhes. César justifie l'agression romaine contre les Aquitains par une obligation politique et morale, celle de venger les humilia- tions subies par L. Valerius Preconinus et L. Manlius. Les buts militaires étaient plus évidents : les frontières de la province devaient être assurées contre toute incursion possible des Aqui- tains sollicités par les peuples gaulois en guerre contre Rome et surtout les forces romaines devaient conquérir pleine liberté de circulation dans toute l'Aquitaine et vers l'Espagne par les cols des Pyrénées occidentales. Cette stratégie, somme toute régionale, s'inscrivait, pour César, dans un plan politique plus vaste, celui d'étendre le pro- tectorat romain à toute la Gaule, y compris à l'ensemble des peuples bordant l'Océan, de la Manche au golfe de Gascogne. En cet esprit, la campagne contre les Aquitains est le parallèle exact de la campagne contemporaine contre les Vénètes. S'y ajoutait-il, pour Crassus, un motif personnel ? Le fils de l'homme d'affaires le plus riche de Rome n'a-t-il pu être tenté par l'extra- ordinaire réputation des mines d'or des Tarbelli, réputation peut-être usurpée, mais dont l'écho persiste dans Strabon ? Appuyée aux bases solides de la province romaine et limitée dans l'espace, la campagne n'avait sans doute, aux yeux de César, qu'une portée seconde. Comme forces régulières, il ne mit à la disposition de Crassus que 12 cohortes, soit 7 000 légionnaires. Crassus renforça ce maigre effectif avec des vétérans d'élite qu'il rappela de Narbonne et de Toulouse, avec des contingents auxiliaires que lui fournirent les peuples alliés, contingents en qui il n'avait pas pleine confiance, mais qui, dans la victoire, devaient lui rester fidèles et bien le servir. Au total, il ne commanda sans doute qu'à 10 000 ou 12 000 hommes, mais, en bon lieutenant de César, il pourvut scrupuleusement par avance au ravitaillement de cette troupe. Sa campagne, qui, à l'automne de 56 av. J.-C., a duré quelques semaines ou quelques mois, ne nous est connue que par le récit de César, qui, avare, comme à l'ordinaire, de toute précision géographique, ne permet guère que d'en retracer les grandes lignes. Elle se décompose en deux temps : des opérations au nord de l'Aquitaine contre le seul peuple des Sotiates, des opéra- tions au sud contre une coalition plus fournie. Pour marcher contre les Sotiates, ses premiers adversaires, Crassus a dû partir des frontières nord-ouest de la province romaine, de la région de Lectoure, voire même peut-être de celle d'Agen. Les Sotiates lui opposèrent surtout des forces de cavalerie, sans être appremment aidés d'aucun de leurs voisins. Après l'échec en rase campagne d'une tentative d'embuscade, ils se replièrent sur leur oppidum. Cet oppidum a été cherché en bien des lieux, à Lectoure, à Aire-sur-Adour, à Lourdes, jusqu'à Sost dans les Hautes-Pyrénées et au Vicdessos dans l'Ariège. Il paraît aujourd'hui à peu près certain que, sur les limites actuelles des départements du Gers et du Lot-et- Garonne, il couronnait la colline de Sos qui domine de 60 mètres la vallée de la Gélise. Par un siège en règle qui demanda seule- ment quelques jours et après une vaine tentative de sortie du roi Adietuanus, Crassus força la reddition des Sotiates. Il les désarma, exigea d'eux des otages, mais, pour le reste, se montra clément et politique. Adietuanus fut pardonné, il conserva sa royauté et obtint le privilège de battre monnaie. A Lectoure et autour de Lectoure, à Auch et autour d'Auch, à Vic-Fezensac, à Aire-sur-Adour et même à Vieille-Toulouse, ont été retrouvés des bronzes saucés d'argent qui portent son nom. Au droit, la légende ADIETVANVS REX encadre une tête schématisée par cinq globules virgulés, copiée des monnaies d'argent des Elusates ; au revers, le nom du peuple SOTIOTA s'accompagne de l'image d'une louve, reprise d'un denier romain de la famille Satriena, qui symbolise ici le peuple romain tout entier à qui se sont soumis Adietuanus et les Sotiates. Crassus se heurta ensuite, nous dit César, aux Vocates et aux Tarusates. Les premiers, identiques ou apparentés aux Boiates de Pline, devaient tenir le pays de Buch et le nord des Landes, les seconds le Tursan et la vallée de l'Adour autour d'Aire. En fait, ce furent, cette fois, tous les peuples de l'ouest, du centre et du sud de l'Aquitaine qui s'opposèrent aux Romains. D'au-delà des Pyrénées leur vinrent des renforts d'Espagnols et de Canta- bres et le commandement fut donné à d'anciens officiers de Sertorius, familiers de la tactique romaine. La coalition était hétérogène, mais nombreuse. César donne le chiffre, sans doute exagéré à dessein, de 50 000 combattants. Forts de cette supé- riorité, les Aquitains tentèrent, d'abord, par la guérilla de dis- perser et d'isoler les forces romaines, de couper leur ravitaille- ment et de menacer leurs arrières pour les contraindre à une retraite humiliante et désastreuse. Crassus sentit le danger et il joua, semble-t-il, le tout pour le tout. Il profita d'une faute de l'adversaire : bien que refusant, à juste titre, une bataille rangée, celui-ci s'était regroupé, à la mode romaine, en une fortification de campagne, s'offrant ainsi à une tactique où les légionnaires étaient passés maîtres. Pour la seule et unique fois de toute la Guerre des Gaules, l'assaut fut donné à un tel camp. Bien que vigoureuse, l'attaque frontale marqua le pas, mais les arrières du camp aquitain étaient mal gardés et, par une manœuvre de revers où il engagea jusqu'à ses dernières réserves, Crassus fit la décision. Aussitôt lancée en rase campagne à la poursuite des fuyards qui avaient, en masse, abandonné leur camp, la cavalerie romaine les tailla en pièces, en massacrant les trois quarts selon César. Ces opérations, dont la phase finale suppose une certaine étendue de plaine, sont difficiles à localiser. Le plus vraisem- blable est qu'elles se sont déroulées au sud de la Midouze dans la vallée de l'Adoui, quelque part entre Aire et Dax, peut-être vers Tartas. La campagne de Crassus se terminait brillamment et elle avait été courte. Les Aquitains lui avaient facilité la tâche, en combattant d'abord en ordre dispersé puis, comme devait le faire quatre ans plus tard Vercingétorix, en mettant toute leur confiance dans des fortifications permanentes ou improvisées, acceptant ainsi un type de combat où les légionnaires, rompus aux travaux de castramétation, avaient une supériorité mani- feste. Moralement, peut-être parce qu'ils étaient conscients de leur morcellement et de leurs particularismes, ils ne semblent pas avoir eu la volonté d'une lutte inexpiable, comme, au siècle précédent, les Lusitaniens de Viriathe et les Celtibères de Numance. Ils cédèrent à la victoire et, en cela, ils étaient bien gaulois. César énumère les onze peuples qui, suivant l'exemple des Sotiates, envoyèrent des ambassadeurs pour se soumettre à Crassus. C'étaient pratiquement tous les peuples de l'Aquitaine encore indépendants : ceux du nord, les Vocates déjà cités ; ceux de l'ouest, les Cocosates des Landes, les Tarbelli de la Chalosse et du Labourd, les Sibusates ou Sybillates de la vallée de la Soûle ; ceux du centre, les Tarusates, les Elusates d'Eauze, les Ausci d'Auch ; ceux du sud, les de la Bigorre et les Garumni qui doivent avoir quelque rapport avec la Garonne ; plus deux peuples totalement inconnus par ailleurs, les Ptianii et les Gates de localisation incertaine. Seuls man- quaient à l'appel, nous dit César. quelques peuples éloignés qui, confiant dans l'approche de l'hiver, ne suivirent pas cet exemple. En dépit de cette réserve qui n'est pas négligeable, l'indé- pendance de l'Aquitaine avait cessé d'être. La victoire de Crassus au nord des Pyrénées répondait à celle remportée par Pompée, seize ans plus tôt, au sud de la chaîne. Les cols des Pyrénées occidentales étaient désormais, comme ceux des Pyrénées cen- trales, sous contrôle romain et la voie de Ronceveaux allait unir Pampelune et Dax, deux villes qui étaient des créations de Rome. La conquête de Crassus ne devait plus être remise en cause. Rien n'indique qu'en 52 av. J.-C., les Aquitains aient participé, de loin ou de près, au soulèvement « national » de Vercingétorix. Plus tard, ils apparaissent pourtant, à deux reprises, comme adversaires de Rome : en 39-38 av. J.-C., Agrippa guerroie contre eux et, une dizaine d'années après, il en est de même de L. Valerius Messala Corvinus dont les exploits seront célébrés par un triomphe en 27 et chantés par Tibulle. La Géographie et l'importance de ces campagnes nous échappent. Comme dans les Alpes, elles ne furent peut-être que des opérations de police dirigées contre des montagnards pyrénéens enclins à rançonner et à piller voyageurs ou convois. Elles eurent leur épiloque lorsqu'en 26 et 25 av. J.-C., Auguste dirigea en personne contre les Cantabres une grande guerre qui eut pour contre-coup la pacification définitive de toute l'Aquitaine. C'est à son issue, vers 25 av. J.-C., que fut élevé à Saint-Bertrand-de-Comminges le trophée augustéen qui, célébrant les victoires de l'empereur sur terre et sur mer, mettait au premier plan, en des statues de captifs et de captives, l'Espagne vaincue et la Gaule vaincue. Dominant le forum d'un peuple qui avait été l'un des premiers de l'Aquitaine a être conquis et qui, par la volonté d'Auguste, allait être de nouveau administrativement réuni aux autres peu- ples aquitains, il marquait la victoire irréversible de Rome.

L'AQUITAINE ROMAINE DE L'AQUITAINE A LA NOVEMPOPULANIE

Une fois le pays pacifié, Auguste en remodela les cadres politiques et administratifs. Aux territoires conquis par Crassus, il unit celui du peuple allié des Lactorates et ceux du Comminges et du Couserans qu'il détacha de la Narbonnaise. Il reconstituait ainsi l'Aquitaine primitive, mais il n'en fit pas une unité auto- nome. Bien au contraire, il l'incorpora en bloc à la grande pro- vince impériale qu'il créa des Pyrénées à la Loire et à qui il imposa arbitrairement le nom d'Aquitaine. C'était mêler les vrais Aquitains à tous les Gaulois du Bordelais et du nord de la Garonne et méconnaître, au moins en apparence, les contrastes de race et de langue soulignés par Strabon. Les autorités romaines en eurent conscience et il semble l>ien que, dès l'origine, en divers domaines, l'ancienne Aquitaine ait bénéficié d'un statut à part. Dès Auguste, elle forma une -circonscription financière et fiscale distincte de celle du reste de la province : Strabon y fait allusion et, un siècle après, sous Trajan, un procurateur impérial avait à la fois sous sa coupe la Lyonnaise, l'Aquitaine entendue au sens large et aussi Lectoure. De cette dernière ville, ses bureaux veillaient sans doute à la perception et à la rentrée des impôts chez les peuples du sud de la Garonne. Parallèlement, ceux-ci devaient former une zone particulière pour le recrutement militaire : l'hypothèse a pu être formulée que les cohortes auxiliaires dites « d'Aquitains » étaient levées en Gascogne tandis que celles dites « d'Aquitains Bitu- riges » l'étaient parmi les Gaulois du nord de la Garonne. Forts de ces privilèges, les Aquitains supportaient peut-être mal d'être gouvernés de loin par un légat impérial résidant à Saintes et, très tôt, ils ont pu revendiquer ce que dans le jargon politique contemporain nous appellerions « le pouvoir régional ». A une date indéterminée, sur la fin du IF siècle ou au début du IIIe, ils ont fini par obtenir satisfaction. La preuve en est donnée par la célèbre inscription d'Hasparren, dans les Pyrénées- Atlantiques. C'est un ex-voto de remerciement consacré à la divinité du lieu par un duumvir de la « cité » des Tarbel!i qui, •envoyé à Rome en ambassade auprès de l'empereur, « a obtenu pour les neuf peuples le droit de se séparer des Gaulois » (pro novem optinuit populis sejungere Gallos). Le texte complet, •qui se veut rédigé en vers, donne en traduction : « Flamine, duumvir, magister du pagus, Verus, envoyé en ambassade auprès de l'empereur, a obtenu que les Neuf Peuples se séparent des 'Gaulois. A son retour de Rome, il a dédié cet autel au Génie du pagus ».

LES « CITÉS » DE LA NOVEMPOPULANIE

Cette inscription est l'acte de naissance de la Novempopu- lanie, de l'Aquitaine primitive reconstituée en une province impériale autonome, que confirmeront les réformes administra- tives de Dioclétien et qui aura sa capitale à Eauze. Bien que Strabon n'en cite que trois et Ptolémée cinq, le chiffre de neuf peuples, c'est-à-dire de neuf « cités » organisées à la romaine, remonte aux débuts de l'Empire, sinon même à Auguste. En dehors d'un doute touchant les Boiates et les Vasates, peut-être d'abord unis et ensuite séparés, la liste que l'on peut en dresser est la suivante : 1. — Les Elusates, avec Eauze, métropole de la province. 2. — Les Tarbelli ou Aquenses, chef-lieu Dax. 3. — Les Aturenses, anciens Tarusates, chef-lieu Aire-sur Adour. 4. — Les Bigerriones, de la Bigorre, avec Tarbes et Saint- Lézer. 5. — Les Convènes, chef-lieu Lugdunum Convenarum (Saint- Bertrand-de-Commi nges ). 6. — Les Consoranni, chef-lieu Saint-Lizier-en-Couserans. 7. — Les Ausci, chef-lieu Elimberris (Auch). 8. — Les Lactorates, chef-lieu I.ectoure. 9. — Les Boiates du pays de Buch, s'étendant peut-être jus- qu'à Bazas. C'étaient ainsi neuf « cités » gallo-romaines qui succédaient à vingt ou trente peuples » aquitains. Pour pallier leur morcel- lement, Auguste en avait administrativement éliminé la moitié ou les deux tiers, tous ceux qu'il avait jugés trop petits, trop peu importants, dépourvus d'une agglomération capable d'accéder à une vie urbaine et municipale. Ainsi disparurent de la carte politique de l'Aquitaine, les Onobrisates, les Cocosates, les Onesii, les Sybillates, les Sotiates et bien d'autres qui, bon gré, mal gré, furent incorporés au territoire agrandi des nouvelles « cités ». D'une originalité et d'une personnalité peut-être plus fortes que d'autres, certains de ces peuples devaient refaire surface au Bas-Empire. Vers l'an 400, la Notice des Gaules compte douze « cités » au lieu de neuf ep- Novempopulanie. Trois, de création récente, sont donc à ajouter à la liste précédente : celle des Iluronenses, chef-lieu Oloron, celle des Benearnenses, chef-lieu Lescar, et celle des Vasates, probablement détachés des Boiates, chef-lieu Bazas. Pour la plupart, ces « cités » de Novempopulanie ont dû garder, toute leur existence, le rang inférieur de « cités stipen- diaires ». Le droit latin, qui ouvrait aux aristocraties indigènes l'accès à la cité romaine, privilégiait pourtant, dès l'époque d'Auguste, les Convènes qui avaient appartenu à la Provincia et les Ausci en qui Strabon et Pomponius Mela voyaient, au I" siècle, le premier en richesse et en puissance de tous les peuples aquitains. Ce bénéfice de la latinité fut-il, par la suite, étendu à d'autres « cités » ? Nous l'ignorons. Quant au titre envié de colonie romaine qui faisait fictivement d'une ville indigène « une petite Rome », effaçant jusqu'à la dernière trace de toute ségrégation entre vainqueurs et vaincus, il n'est attesté que pour deux villes : pour Saint-Bertrand-de-Comminges (Lugdunum Convenarum) qui le reçut sans doute de Trajan, sinon d'Hadrien, et pour Eauze, capitale de la province, qui l'obtint peut-être au début du III" siècle de Sévère Alexandre. L'organisation municipale des neuf, puis des douze « cités » de Novempopulanie fut sans originalité. Elle copia les modèles romains communs à toute la Gaule. La réalité du pouvoir fut aux mains d'une aristocratie foncière groupée en un conseil municipal, l'ordre des décurions, formé comme le Sénat de Rome, d'anciens magistrats. Quelques inscriptions de Saint- Bertrand-de-Comminges, de Lectoure et d'Eauze gardent trace de l'institution. D'autres nous disent les titres des magistrats qui, renouvelés chaque année, dirigèrent 1(1 « cité » sous l'égide de ce conseil : ce furent des quattuorviri iure dicundo à Saint- Bertrand-de-Comminges, des duoviri à Auch, à Dax, à Eauze et dans le Couserans ; au-dessous d'eux, des questeurs chargés de l'administration financière, sont pareillement connus à Dax, à Eauze et dans le Couserans. Plus caractéristique et plus conforme au morcellement ancien des groupes humains, fut la multiplicité des cantons (pagi) et des bourgades (vici) qui, bien que gouver- nés depuis le chef-lieu de la « cité ». reçurent un embryon d'administration locale. L'épigraphie en atteste l'existence dans le Couserans, dans le Comminges, dans la « cité » de Dax et il a dû y en avoir bien d'autres.

PERMANENCE DES POPULATIONS

Dans ces « cités » de Novempopulanie, quels hommes ont vécu après la conquête romaine ? Rien ne serait plus faux que d'imaginer une profonde mutation ethnique. Dans leur immense majorité, les habitants n'ont pas changé, restant par le sang les descendants directs de ceux de l'Aquitaine indépendante, des Aquitains, des Celtes ou des métis des deux races. Cette conti- nuité est prouvée par la persistance d'une onomastique indigène dont témoignent les inscriptions romaines. Sur les épitaphes et les ex-voto rédigés en latin, se lisent quantité de noms de per- sonnes, souvent proche du basque, qui sont d'origine aquitaine. Ainsi, des noms féminins du type Andere, Anderen, Anderesen, Anderesse, qui tiennent au basque andere, « dame », se sont conservés dans les hautes vallées du Comminges et du Val d'Aran aussi bien que sur la bordure pyrénéenne et même dans la plaine de la Garonne, à Martres-Tolosane. Le nom masculin Belex et ses dérivés Belexenn, Belexco, basque beltz, « noir », apparaissent de même à Montsérié, à Cardailhac dans les Petites Pvrénées, ft, sous la forme féminisée Belexeia, à Auch. Autre anthroponyme aquitain, rapproché de l'ancien basque * sembe, « fils », Sembus et ses dérivés ou composés, Sembeo, Sembettus, Sembeten, Sembedo, Sembexo ou Sembecco, se retrouvent dans toutes les parties de la Novempopulanie qui ont livré un nombre suffisant d'inscriptions, une fois en Couserans, dix en Comminges, une fois en Bigorre et deux fois à Auch. Dans la montagne pyrénéenne, ces noms indigènes semble- raient plus nombreux, mais ce n'est là qu'une illusion statistique née de la richesse épigraphique du Comminges. Au centre de la- Gascogne, à Auch, par exemple, quantité d'anthroponymes ne peuvent s'expliquer ni par le latin, ni par le grec, tels Ahoissus, Attaiorix, Borsegus, Derus, Dunaius, Igillus, Orcuarus, Orguarra,. Tarlebissus, Torsteginnus, Toutaronia, Urupas, plusieurs dont Attaiorix et Toutaronia étant sûrement celtiques. Ces témoignages affirment la permanence de la population indigène. De plus, étant le fait d'une élite capable de comprendre le latin, ils laissent présumer que, dans les classes les plus pau- vres, analphabètes, plus rebelles à la romanisation, la part des. noms et celle du sang indigène ont dû être plus fortes. Très souvent, ce sang indigène est, d'ailleurs, à peine caché- par un vernis romain. Par mode, l'onomastique s'est, en effet, transformée sans que la race ait changé. L'épigraphie est là encore pour nous montrer que le fils ou la fille d'un indigène, aquitain ou gaulois, ont pris des noms latins. Ainsi, à Saint- Bertrand-de-Comminges, un ex-voto est dédié à Mars par un Albinus, fils d'Orgotus, et, dans la nécropole voisine de Barsous se lisent les épitaphes d'un Urbanus, fils d'Attacon, d'un Fuscus,. fils d'Estencon, d'un Rufinus, fils de Silexco, et d'une Fausta, fille d'Hannabus. A Auch, un Primigenius, fils de Sembus, a consacré un autel à Hercule et une épitaphe marquait la tombe d'un Macer, fils de Borsegus. Ces exemples, qu'il serait facile de multiplier, montrent à l'évidence que la population est restée elle-même. C'est à peine si deux retouches peuvent nuancer cette réalité. Des marchands romains et italiens sont sans nul doute venus dans la province ; ils ont pu s'y établir et y faire souche; mais, peu nombreux, ils ont dû très vite, par mariages, s'intégrer à la masse. Un apport humain, peut-être plus notable, fut celui d'esclaves grecs ou orientaux, qui, même affranchis, ont gardé, dans leurs noms, la marque de leur origine. A Auch, par exemple, il est des esclaves, hommes et femmes, qui se sont appelés Syneros, Eutyches, Lesbia ; dans toute une famille de condition libertine, les cognomina d'Helico, Onesime, Onesicrates, disent un sang hellénique et l'affranchi de la grande famille des Antistii, qui appartint au riche collège des sévirs augustaux célébrant le culte- impérial, porte le nom grec de Threptus. Il en est de m?me à Lectoure : la première femme qui fit un taurobole se nommait Pompeia Philumene, ce cognomen soulignant son ascendance- grecque et servile ; quant aux deux prêtres de Cybèle qui prési- dèrent aux tauroboles du 18 octobre 176, c'étaient deux esclaves- grecs ou orientaux, ZnÛrdhus, esclave de Proculianus, et Pacius, esclave d'Agrippa. Atténué, le même phénomène existe hors des villes et jusque dans les sanctuaires de la montagne voués aux divinités indigènes : parmi les dévôts d'Erriapus à Saint-Béat figure un Eutyches et parmi ceux d'Erge à Montsérié une Erlogè.. Un peu de sang grec a pu être ainsi porté en Novempopulanie, mais sans nul doute en quantité infiniment moindre que dans les régions plus urbanisées et plus romanisées de la Gaule. En quelques générations, ces esclaves ou ces affranchis grecs n'ont pu que se fondre dans la population indigène.

RÉVOLUTION LINGUISTIQUE

Immuable en son fonds, cette population a, par contre, connu, comme toute la Gaule, une révolution linguistique radicale. Le parler latin, celui des vainqueurs, s'est imposé à elle, en un phénomène comme naturel et irréversible, apparemment sans contrainte politique, ni opposition délibérée. Sa victoire a, d'ailleurs, été lente et, pour être complète, il lui a fallu deux ou trois siècles. Géographiquement, elle s'est faite d'est en ouest, à partir de la Narbonnaise. Socialement, elle a conquis les villes avant les campagnes, la plaine avant la montagne, les classes riches et évoluées, avec leur domesticité, avant les milieux pau- vres et isolés comme celui des bergers pyrénéens. Dans les parlers gascons subsistent encore de nos jours des éléments de vocabulaire pré-romains : les mots pré-celtiques artigue et gave désignent une terre défrichée et un torrent, les mots celtiques nauze et neste une prairie marécageuse et une rivière. Beaucoup d'autres noms communs « mystérieux » touchant la nature du sol, les plantes, les animaux, sont restés vivants dans la langue montagnarde des Pyrénées Centrales parce qu'ils répondent à des réalités inconnues du latin, langue d'un peuple de plaine, et oubliées des Basques qui ignorent la haute montagne. Malgré leur nombre, ils ne sont pourtant que des reliques, des débris souvent isolés. Partout, le latin l'a emporté. Il a totalement éliminé le gaulois et refoulé l'aquitain dans les quelques cantons basques des Pyrénées occidentales, ne gardant de lui qu'une phonétique particulière qu'il léguera au gascon. Comme pour toute la Gaule et pour toute l'Espagne, cette transformation de la langue a été, pour la Novempopulanie, d'une immense portée. Véritable révolution culturelle, elle a créé, chez des peuples tenus jusque-là pour barbares, des modes de penser, de sentir et de s'exprimer qui leur étaient totalement étrangers et qu'ils reçurent en bloc de Rome. L'épigraphie en est un bon témoignage. Graver sur la pierre ou sur le bronze des épitaphes et des ex-voto est une vraie manie que les Romains ont portée avec eux, après l'avoir empruntée à la Grèce. Comme tous les Gallo-Romains, ceux de la Novempo- pulanie les ont servilement imités. Le nombre des inscriptions n'est pourtant pas égal dans toutes les « cités ». La présence de la pierre ou du marbre était un élément favorable, tandis que les lapicides étaient plus en peine dans des pays de sable comme les Landes ou de molasses comme la majeure part des coteaux de Gascogne. Ces conditions naturelles ne sauraient pourtant tout expliquer et la carte épigraphique de la Novempopulanie trahit un phénomène culturel plus complexe. Elle est très riche à l'est, très pauvre à l'ouest, riche dans les villes, pauvre ou très pauvre dans les campagnes. Parmi toutes les « cités », celle du Comminges l'emporte, et de loin, avec près de 600 inscriptions, autant, sinon plus, qu'une grande ville comme Bordeaux. Auch et son territoire en comptent une centaine, Lectoure une cinquan- taine, Eauze une vingtaine. Dans toutes les autres « cités », le bilan est dérisoire : 18 inscriptions en Bigorre, 15 pour les trois « cités » d'Aire, Lescar et Oloron, 10 à peine pour celle des Tarbelli ou Aquenses dont 7 à Dax. La richesse du Comminges peut tenir à l'exploitation intensive des marbres de Saint-Béat, mais aussi à l'ancienneté d'une romanisation qui remontait à Pompée et au rayonnement intellectuel d'une colonie comme Saint-Bertrand. Le rôle de la ville resta, d'ailleurs, en toutes régions, essentiel et, pour ne prendre qu'un exemple, sur la centaine d'inscriptions recensées sur le territoire des Ausci, 80, soit les quatre cinquièmes, viennent de la seule ville d'Auch. Plus l'on s'éloigne vers l'ouest, plus le phénomène épigraphique, lié à la romanisation, apparaît tardif, limité et localisé. A l'extrême, le pays basque, refuge des derniers Aquitains, n'a pas fourni une seule inscription romaine. A cette mode de l'épigraphie s'est joint çà et là un goût des lettres et de la poésie latines. Le duumvir des Tarbelli qui a fait graver l'inscription d'Hasparren cherchait à s'exprimer en vers et plus remarquable encore est l'épitaphe métrique qu'une Auscitaine a dressée sur la tombe de sa petite chienne appelée Myia, la Mouche : « Combien elle fut douce et caressante celle qui, de son vivant, se posait sur mon sein, toujours compagne de mon sommeil et de mon lit ! Quel grand malheur, ma Mouche, que tu sois morte ! Tu aboyais si quelqu'un couchait près de moi, rivale amoureuse de ta maîtresse. Quel grand malheur, ma Mouche, que tu sois morte ! Tu es maintenant ensevelie, incons- ciente, dans les profondeurs d'un tombeau. Tu ne peux ni te fâcher, ni bondir. Tu ne peux plus t'amuser à me prodiguer les caresses de tes morsures ». Ces vers, précieux et mièvres, n'ont rien d'aquitain, ni même de gallo-romain. Tirés de quelque recueil de modèles, ils reprennent ceux de Tibulle sur le moineau de Lesbie et ceux de Martial sur la mort d'une autre petite chienne. Ils ont plu à une Auscitaine parce qu'ils étaient, pour elle, l'occasion d'étaler une culture poétique latine, dont elle ne discernait sans doute ni les faiblesses, ni l'artificiel.

LE NOUVEL ART DE BATIR

Comparable à la révolution de la langue fut en Novempopu- lanie, comme dans toute la Gaule, celle de l'art de bâtir. Hormis la montagne pyrénéenne où les bergers ont dû édifier, de toute antiquité, leurs grossiers abris de pierre sèche, les Aquitains n'avaient connu jusqu'alors que les cabanes de bois, de terre et de chaume, comme il s'en construisait encore à Vieillie-Toulouse en pleine période augustéenne. La construction « en dur », en mortier, en béton, en pierre de taille, en briques cuites et en tuiles, leur est venue de Rome après la conquête. Très vite et sauf en quelques lieux isolés et pauvres qui gardèrent les tradi- tions protohistoriques, les nouvelles techniques se sont imposées partout, dans les villes comme dans les campagnes.

LES VILLES

Des agglomérations indigènes antérieures à la conquête, nous ne savons presque rien. Ce furent sans doute de simples agrégats de cabanes, protégés par un retranchement de terre, une palis- sade ou, quand il se pouvait, par un mur de pierre sèche. Pour mieux se défendre, elles étaient juchées en position forte sur une colline isolée ou sur un promontoire dominant une rivière. Telles furent les « capitales » de nombreux peuples de l'Aqui- taine : Saint-Lizier, au-dessus du Salat, pour les Consoranni, Saint-Bertrand-de-Comminges, au-dessus de la Garonne, pour les Convènes, Saint-Lézer pour les Bigerriones, Auch et Lectoure, au-dessus du Gers, pour les Ausci et les Lactorates, Sos, au-dessus de la Gélise, pour les Sotiates. A l'époque romaine, conséquence de la paix intérieure et sans doute d'une population accrue, les plus vivantes de ces « capitales » se sont dédoublées. L'ancienne acropole est restée occupée, avec ses sanctuaires, des monuments et des maisons maintenant bâtis « en dur » à la romaine, mais à son pied, se sont créés, en terrain plat, des quartiers neufs. Ainsi sont nés : au nord de la butte de Saint-Bertrand, sur les terrasses glaciaires de la Garonne, la ville basse de Lugdunum Convenarum ; face à Auch, sur la rive droite du Gers, les quartiers du Garros et de Matalin ; à Lectoure, sur les dernières pentes de la colline et dans la plaine du Gers, celui de Pradoulin. Au témoignage des monnaies et des céramiques, ce phénomène d'expansion urbaine a suivi de près la pacification finale de l'Aquitaine. Il était une réalité au milieu du Ier siècle ap. J.-C. C'est dans ces quartiers neufs et dans les villes nouvelles édifiées en plaine, comme Eauze, Dax ou Tarbes, que se devinent les traces d'un urbanisme romain. Elles ne sont vraiment manifestes qu'à Saint-Bertrand-de-Comminges, la ville basse de Lugdunum Convenarum étant la seule de toute la Novempopu- lanie qui ait été l'objet d'une fouille étendue et révélatrice. D'un plan régulateur portent témoignage les rues qui se coupent à angle droit, parallèles à un axe nord-sud, le cardo, et à un axe ouest-est, le decumanus, mais le carroyage n'a pas la rigueur de celui d'un camp militaire ou d'une colonie créée de toutes pièces comme l'africaine Timgad. A Saint-Bertrand, bien que net, il reste approximatif parce que l'agglomération a dû s'étendre par étapes, et à Lectoure, au quartier de Pradoulin, les fouilles de ces toutes dernières années ont révélé deux carroyages d'orientations différentes résultant probablement des mêmes conditions. L'urbanisation n'a pas été réalisée d'un seul jet, selon un plan préconçu d'une géométrie absolue. Il en fut, d'ailleurs, de même dans une grande ville de la Narbonnaise comme Toulouse. Plus ou moins bien adaptées à un plan en damier, ces villes ont reçu un équipement tout romain : des rues pavées ou dallées, bordées de trottoirs, un réseau d'égouts diversifié et ramifié, des aqueducs portant au centre des agglomérations les eaux de source que les Romains jugeaient supérieures à celles des puits, des citernes et des rivières. Le seul de ces aqueducs qui ait été vraiment reconnu et étudié est celui de Saint-Bertrand-de- Comminges : il captait à Tibiran une importante résurgence du gouffre de Générest ; partie en élévation, partie en souterrain ou en tranchée couverte, il n'avait qu'un parcours de 2 736 mètres, mais, par l'intermédiaire d'un château d'eau et de cana- lisations en plomb, il pouvait fournir à la ville basse de Lugdunum Convenarum, à ses fontaines et à ses thermes, un volume d'eau estimé entre 6 000 et 13 000 mètres cubes par jour. Comme toutes les villes de la Gaule romaine, celles de Novempopulanie ont eu leur parure de monuments publics. Ceux-ci sont classiques et sans originalité. A vrai dire, nous ne connaissons guère que ceux de Saint-Bertrand-de-Comminges : — un forum assez petit, de 74 mètres sur 41, centre de la vie municipale et judiciaire, place « piétonnière », encadrée de porti- ques, où se dressaient les statues des empereurs et des grands hommes de la « cité ». — un temple héxastyle, probablement voué au culte de Rome et d'Auguste, de plan strictement romain, élevé sur un haut podium, précédé d'un autel monumental et enclos en un vaste péribole où ont été retrouvées les bases des statues de l'empe- reur Trajan, de sa femme l'impératrice Plotine et d'un « mécène » contemporain, le chevalier romain C. Iulius Serenus. — une vaste basilique couverte, de 62 mètres de long sur 26,50 m de large, qui fut très vite aménagée en marché et dont le sol était entièrement revêtu d'une mosaïque grise très simple. — des places ouvertes, encadrées de boutiques et de porti- ques. — des thermes publics avec toutes les installations classiques prévues pour les bains de vapeur, les bains de siège. la natation, le sport et aussi les loisirs. Ceux du Forum remontent à l'époque d'Auguste et de Tibère, mais furent entièrement rebâtis dans le cours du Fr siècle. Ceux du Nord furent construits selon un plan plus systématique et plus rationnel dans le second quart du Ir siècle. — un théâtre, dont le diamètre est moitié de celui d'Arles et dont les gradins furent par raison d'économie, comme en beau- coup d'autres villes, taillés dans le rocher au flanc de la butte de Saint-Bertrand. — un amphithéâtre dont le dessin se devine en. ore dans la plaine, au nord de l'agglomération, en direction de la Garonne. Ces édifices publics de Saint-Bertrand donnent l'exemple de ceux qui ont pu exister ailleurs en Novempopulanie. Ils furent bâtis en un blocage de béton revêtu de moellons calcaires de petit appareil ou de briques. Les parties nobles reçurent, au moins dès le II" siècle, une parure de marbres blancs ou poly- chromes tirés des carrières pyrénéennes, les sols étant pareille- ment couverts de marbre ou de mosaïques. Des maisons parti- culières, nous ne connaissons guère que celles où résidait en ville l'aristocratie municipale : elles se déployaient en surface, sans étage, avec des cours et des portiques ; comme les thermes, elles comportaient des salles chauffées par hypocauste, parfois ménagées pour le bain. Leur luxe tenait à l'emploi du marbre de la mosaïque sur les sols, de la peinture à fresque sur les murs. D'autres demeures devaient être plus modestes, voire même pauvres. Bien que ces villes aient concentré la vie municipale, les affaires, la justice et que l'aristocratie de la « cité » y ait résidé pendant les siècles du Haut-Empire, elles ne furent jamais très peuplées. Il ne faut pas les comparer aux agglomérations contem- poraines, mais plutôt à de gros chefs-lieux de canton ou aux petites villes provinciales du XIX" siècle. Au temps de la paix romaine et de sa plus grande prospérité, Saint-Bertrand-de- Comminges n'a pas dû compter plus de 7 000 à 10 000 habitants ; Auch et Lectoure en avaient peut-être de 5 000 à 10 000, d'autres chefs-lieux de « cités » plus modestes, encore moins. Rappelons, à titre de comparaison, que de grandes villes comme Bordeaux et Toulouse ne groupaient alors, au mieux, que de 20 000 à 25 000 personnes. LES CAMPAGNES Comme dans la France du début du XIX' siècle, la majeure partie de la population vivait dans les campagnes. C'est la période romaine qui, en un premier temps, a modelé le paysage rural français, le village actuel étant souvent l'héritier direct d'une villa gallo-romaine. Celle-ci n'était ni maison de plaisance, ni hôtel particulier. Au centre d'un domaine agricole, elle grou- pait la résidence du maître, les communs, les maisons des colons ou des fermiers, les bâtiments d'exploitation, les étables, les écuries, les granges, le four, la forge et d'autres ateliers. Dans la vallée de la Save, le pays commingeois en offre l'un des plus beaux exemples de toute la France, la villa de Montmaurin qui, merveilleusement fouillée et merveilleusement restaurée, s'ouvre à la visite et à la compréhension du grand public. Dans l'ensem- ble de la Novempopulanie, bien d'autres villas, objets de fouilles passées ou présentes, peuvent en être rapprochées : celle de Lalonquette en Béarn, dans les Pyrénées-Atlantiques ; celle de Séviac, près d'Eauze, dans le Gers ; celles de Beaucaire-sur- Baïse, de Cadeilhan-Saint-Clar et de Frans, dans le même dépar- tement ; celle d'Arnesp, à Valentine, dans la vallée de la Garonne, un peu en amont de Saint-Gaudens, et, même en Narbonnaise, mais sur la frontière de l'Aquitaine, celle de Chiragan, à Martres- Tolosane. Grand propriétaire foncier, faisant figure de seigneur rural, le maître de la villa ne fut sans doute que rarement le descendant d'un conquérant romain. Plus souvent, il devait être l'héritier direct, mais totalement romanisé, d'une grande famille de l'aris- tocratie indigène. Le luxe de sa demeure personnelle, la villa urbana, répondait à sa condition. Quand, à l'époque de Claude ou de Néron, le maître de Montmaurin fit bâtir sa première résidence, il choisit pour modèle la maison gréco-romaine contemporaine, organisée en surface autour d'une cour centrale, quitte à lui adjoindre par la suite des ailes latérales et un quar- tier thermal. A Chiragan, l'un des propriétaires s'entoura d'une collection d'œuvres d'art, unique dans le monde romain, qui fait aujourd'hui la renommée du musée Saint-Raymond de Toulouse : à une suite de buste impériaux, taillés dans des marbres de la Grèce et de l'Italie, allant d'Auguste et de Trajan jusqu'à Julia Soemias et Philippe-le-Jeune, il joignit des copies des chefs- d'œuvre de la sculpture grecque classique et hellénistique et de hauts reliefs, de fabrique régionale, exaltant les exploits d'Hercule. De tels maîtres régentaient une domesticité nombreuse et, plus encore, un peuple d'ouvriers et d'artisans agricoles. Ceux-ci étaient-ils des pérégrins de condition libre ou des esclaves comparables à ceux qui peinaient sur les latifundia du centre et du sud de l'Italie ? Des esclaves ruraux ont certainement existé dans le Comminges et quand l'intendant d'un domaine était lui- même esclave, il est interdit de penser qu'il ait pu commander à des hommes libres II reste que, même dans les campagnes commingeoises, dédicaces et ex-voto se réfèrent le plus souvent à des péregrins d'origine indigène, libres de leur personne. Ceux- ci ont dû former la masse des colons ruraux, mais leurs condi- tions de travail et leur subordination au domaine nous échappent. Cette main-d'œuvre agricole, pour partie artisanale, fut, en tout cas, nombreuse et l'ensemble d'une villa a pu grouper parfois jusqu'à 300 ou 400 personnes, voire plus, soit l'effectif d'un gros village. A Montmaurin, en une première époque, elle semble avoir vécu dans les dépendances immédiates de la rési- dence du maître, puis, le domaine s'agrandissant, dans des fermes isolées, plus éloignées. Par nécessité, cet état de chose a dû exister, dès l'origine, dans les domaines très vastes. La villa exploite, en effet, des centaines, parfois des milliers d'hectares. Celle de Montmaurin couvre, par exemple, en amont des gorges de Lespugue, le terroir fertile et cultivable de toute la vallée de la Save. Celle de Chiragan aurait compris 1 000 hectares de terres labourables, 100 hectares de prairies, plus les friches, les pacages et les bois. Au II' siècle, la grande lignée commingeoise des L. Pompeianii Pauliniani est connue par des inscriptions depuis Gèsa dans le Val d'Aran jusqu'à Ardiège dans la plaine de Rivière ; son nom paraît conservé dans celui de Polignan, près de Montréjeau, où elle devait posséder, au sortir des Pyrénées, sa résidence principale et ses meilleurs champs ; en amont, de part et d'autre des gorges de la Garonne, ses pâtures et ses bois, terrains d'élevage et de chasse, montaient très haut dans la montagne. Nous connaissons mal l'évolution foncière de ces villas de la période du Haut-Empire à celle du Bas-Empire. Cette dernière paraît marquer une concentration de la propriété, une extension des domaines, une dispersion accrue de la main-d'œuvre agricole, peut-être un assujetissement juridique plus fort des colons. En outre, comme le maître réside désormais en personne sur ses terres, sa demeure prend allure de palais : pièces d'habitation et de réception se multiplient et reçoivent une parure éclatante de marbres et de mosaïques. Riches ou moins riches, ces villas donnent la mesure de la mise en valeur du sol, ancienne ou récente, qui féconda la Novempopulanie à l'époque romaine. Elles sont présentes en toutes régions, la diversité des terroirs faisant seule varier leur densité. La toponymie moderne suffit à en souligner le nombre : baptisées du nom de leur propriétaire affecté du suffixe latin -anum, du suffixe gallo-romain -acum ou du suffixe aquitain -ossum, elles sont, en effet, les ancêtres de villages de Gascogne dont les noms se terminent en -an, en -ae ou en -os, la différence des suffixes indiquant simplement une romanisation plus ou moins poussée du langage commun. Les toponymes en -an, les plus romains de tous, abondent dans l'ensemble du Comminges, autour de Saint-Bertrand, dans la vallée de la Garonne, dans celle de la Neste d'Aure, et, si dans celle de la Save, la villa de Montmaurin fut véritablement celle d'un Nepotius, elle a légué son nom au petit pays du Nébouzan. Le même phénomène se répète autour d'Auch, dans la vallée et sur les coteaux du Gers, avec prolongement en direction de la moyenne vallée de l'Adour, et également dans la plaine tarbaise de la haute Adour et de l'Echez. Généralement attribuées aux Ir et IIIe siècles de notre ère, les formations gallo-romaines en -ac sont encore plus nom- breuses. Mêlées aux précédentes dans les vallées du Comminges, autour d'Auch et de Tarbes, elles dominent exclusivement dans tout l'est et tout le nord de la Gascogne. Les unes et les autres forment une masse compacte jusqu'à une ligne de moindre den- sité approximativement jalonnée par le Bazadais, la Gélise, les coteaux à l'ouest de l'Adour en amont d'Aire, la bordure pyré- néenne à l'est d'Argelès. Au nord-ouest de cette ligne, leur rareté, d'ailleurs toute relative, peut tenir à la faible valeur agricole et au peuplement clairsemé de la plaine des Landes. Plus au sud, elle s'explique par la concurrence victorieuse des toponymes en -os, du type Arguénos, Andernos, Bernos, Biros, Biscarosse, Garros, Urdos, etc. Très rares à l'est du Gers et du cours supérieur de la Garonne, ces toponymes, au suffixe typiquement aquitain, peu- plent la plaine béarnaise au sud de l'Adour, les environs d'Argelès et de Pau, la zone entre Orthez et Bayonne. Ils trahis- sent une persistance des formes indigènes du langage et une répugnance à sa romanisation, bien plus qu'une « résistance aquitaine » à la colonisation romaine. Nombre d'entre eux ont, d'ailleurs, été forgés sur des anthroponymes latins, Baliros sur Valerius, Vidalos sur Vitalis, Iulos sur Iullus, etc. Malgré l'art divers de dénommer les domaines, le monde agricole de la Novempopulanie a dû être un.

RESSOURCES DU SOL

La terre fut, en effet, partout la grande ressource, celle qui permettait à chacun de vivre, bien ou mal. La culture des céréales resta, comme par le passé, nécessité première, mais Strabon n'en soulignait pas moins, à juste titre, une différence entre le littoral des Landes et l'intérieur de la Gascogne : « En bordure de l'Océan, écrit-il, le littoral de l'Aquitaine est généralement sablon- neux et maigre ; pour l'alimentation il ne fournit que du millet, ne produisant presque rien d'autre... L'intérieur du pays et même la zone montagneuse ont, par contre, des terres riches, que ce soit chez les Convènes ou chez les Ausci qui possèdent un sol excellent ». Propre à la confection de bouillies plutôt que de pain, le mil devait rester jusqu'à l'introduction du maïs le prin- cipal grain des Landes, d'où le sobriquet de miliacés autrefois donné aux Gascons. En revanche, les plaines et les terrasses de la Garonne chez les Convènes, la vallée du Gers et ses coteaux chez les Ausci et les Lactorates étaient terres de froment et, comparables à celles du Toulousain citées par César, leurs plan- tureuses moissons étaient encore au Ve siècle vantées par Salvien. La découverte dans une villa de moyenne importance comme celle de Cadeilhan-Saint-Clar d'un grand moulin à grain mu par la force animale et d'une série de faucilles illustre ce règne du blé dans les campagnes aquitaines. A l'occasion, il semble même qu'elles aient pu exporter vers l'Espagne pour remédier à une disette en pays cantabrique. La vigne a-t-elle, dès la même période romaine, conquis les coteaux de Gascogne ? Au temps d'Auguste et au début du Ier siècle, le vin était encore importé d'Italie ou de Narbonnaise et apparemment réservé à une clientèle de luxe. Au IIe siècle, bénéficiant de la création du vignoble bordelais, la Novempo- pulanie a pu y trouver une nouvelle source d'approvisionnement. Bien plus, des feuilles de vigne gravées au trait ont été relevées sur des marbres de la villa de Montmaurin et, en d'autres villas, ont été trouvées des serpes de vignerons. Peut-être n'est-il pas interdit de penser que, sporadiquement et progressivement, les vignes du Bordelais ont pu gagner sur le nord-ouest de la Gascogne. L'élevage resta, avec l'exploitation limitée de la forêt et la chasse, la richesse essentielle de la montagne. Sur l'autel consa- cré dans la carrière du Mailh de las Figuras par les marbriers de Saint-Béat, le bélier est l'image des troupeaux d'ovins des Pyrénées. Sans doute associés à quelques bovins, ceux-ci paissaient en nombre forêts et alpages et leur laine devait faire, au Bas-Empire, la réputation des lourds manteaux de drap tissés en Bigorre. Strabon ne cite l'élève des chevaux que sur le versant espagnol des Pyrénées. Hors la montagne, dans les prés, les pâtures et les bois de toute la Gascogne, le cheptel était plus divers. Il fournissait bêtes de sommes et bêtes de trait : il a été calculé, par exemple, que dans la villa de Chiragan devaient être entretenues, pour les labours et les charrois lourds, trente paires de bœufs et, pour la selle et le trait léger, une quarantaine de chevaux. Il fournissait pareillement à la boucherie : l'analyse des ossements d'animaux provenant des puits funéraires a montré qu'en matière de viande, la population mangeait peu de gibier, beaucoup de porc, puis, dans l'ordre, du bœuf, du mouton, de la chèvre, très accessoirement de la volaille.

MINES, CARRIÈRES, ARTISANAT

Aux ressources du sol s'ajoutaient déjà ou vinrent s'ajouter celles du sous-sol. L'or des Tarbelli n'est peut-être que légende, mais le fer était cherché depuis les premiers siècles du dernier millénaire. Sans être abondants, les filons en étaient assez communs dans l'ouest de la Gascogne, des Pyrénées aux Landes et à la Garonne, et le minerai était facile à réduire en des fours rudimentaires. En quelques points privilégiés du Couserans, de la Bigorre et du Condomois, se développa une petite industrie métallurgique, et des « ferrières » plus modestes se rencontrent un peu partout. A en juger par les trouvailles de scories et de laitiers, presque chaque bourgade et chaque villa eut sa fonderie et sa forge pour façonner et réparer les outils de fer nécessaires à la vie quotidienne, au cultivateur, au bûcheron, au charpentier, au charron. Autrement neuves furent l'ouverture et la multiplication des carrières, conséquence directe et immédiate de la révolution portée à l'art de bâtir. Dans le Comminges, les calcaires blancs à milioles de Belbèze fournirent à Toulouse le matériau pour le revêtement de son rempart et la sculpture de ses tombeaux. Les calcaires marmoréens, noirs et blancs, de la bordure pyrénéenne servirent à construire la ville basse de Lugdunum Convenarum et les calcaires des Petites Pyrénées la villa de Montmaurin. Une pierre aussi médiocre que le calcaire caverneux de Lectoure fut employée pour les édifices, la taille de reliefs funéraires et de sarcophages. Ce fut surtout au marbre, dédaigné de leurs ancêtres, que les Gallo-Romains d'Aquitaine vouèrent une prédilection qui dura aussi longtemps que leur propre civilisation. Le marbre blanc, à grain très fin, tiré de quelques rares filons de Saint-Béat et de Sost, servit pour sculpter les trophées augustéens de Saint- Bertrand-de-Comminges et, à Chiragan, les hauts reliefs des tra- vaux d'Hercule. Ces variétés statuaires, très inférieures à celles de l'Italie et de la Grèce, étaient peu répandues et elles s'épui- sèrent vite. Ce furent, en fait, des marbres saccharoïdes, plus grossiers, blancs, gris ou bleutés, qui firent de Saint-Béat le grand centre marbrier des Pyrénées. Il y fut taillé des milliers d'autels votifs, petits et grands, dont les autels tauroboliques de Lectoure, des centaines de bustes funéraires et d'auges ciné- raires, des colonnes, des chapiteaux, des entablements, des lambris, qui parèrent, surtout au IVe siècle, toutes les villas du sud-ouest de la Gaule, en Novempopulanie comme dans le reste de l'Aquitaine. Les marbres pyrénéens se retrouvent jusqu'à la Loire et à ceux de Saint-Béat s'associent, ici comme là, des séries polychromes : marbre « grand deuil » d'Aubert dans le Couse- rans, marbre « isabelle » de la Penne-Saint-Martin dans la vallée de la Garonne, marbre rouge de Sost dans la Barousse, griottes vertes et grenat de Sarrancolin dans la vallée d'Aure. Un peuple de carriers, de marbriers, de transporteurs et même de bâteliers a donné vie pendant quelques siècles à des vallées jusqu'ici réservées aux bergers, mais, par un phénomène de concentration industrielle, cette activité est restée l'apanage des Pyrénées commingeoises, débordant à peine à l'est sur le Couserans et à l'ouest sur la vallée d'Aure. Il n'est connu de grande marbrière antique ni dans les Pyrénées orientales, ni dans les Pyrénées atlantiques. En toute région de la Gascogne, là surtout où manquait la pierre, la technique de la construction « en dur » a fait naître une industrie de la brique cuite et de la tuile qui, à la différence de celle du marbre, ne se concentra pas. Favorisée en certains lieux par la présence d'une bonne argile, d'eau et de bois en quantité, elle trouvait à peu près partout des conditions propices et elle se répartit en de multiples ateliers, souvent provisoires, à proximité d'un grand chantier, ville ou villa. Les fours de tuiliers et de briquetiers découverts ces dernières années dans la Haute-Garonne, près de Muret, de Cazères et du Fousseret, sont les témoins archéologiques et techniques d'une activité qui resta artisanale et ubiquiste. Autre industrie de la terre cuite, celle de la céramique. La Novempopulanie n'a pas possédé de grands centres manufactu- riers travaillant pour une clientèle « internationale » comme ceux de Montans dans le Tarn et de La Graufesenque dans l'Aveyron. Les seuls ateliers de quelque importance connus pour la période du Haut-Emnire sont ceux de Galane, près de Lombez, sur le territoire de la « cité » de Toulouse et de la Narbonnaise. A côté de lampes obtenues par surmoulage, ils ont surtout fabriqué une vaisselle légère, de couleur métallescente ou cuivrée, des tasses et des gobelets, tantôt simplement tournés, tantôt ornés de motifs appliqués à la barbotine, tantôt moulés d'un décor végétal ou animal comme les céramiques sigillées. Ces petits vases à boire, à parfums ou à offrandes se sont vendus dans tout l'est de la province et ils se rencontrent en nombre dans les fouilles de Saint-Bertrand-de-Comminges, d'Auch ou de Lectoure. Dans chaque agglomération, à Auch, à Lectoure, à Eauze, par exemple, ont aussi travaillé des potiers plus modestes qui four- nissaient à la clientèle locale la vaisselle domestique indispen- sable à la vie de chaque jour, des plats, des assiettes, des bols, des cruches et des pichets de toutes tailles, des terrines, des écuelles, des marmites, des pots « ovoïdes » pour les conserves et les salaisons, etc, etc. De couleur noire ou grise, parfois rougeâtre, cette porterie tournée empruntait souvent aux formes protohistoriques, mais, solide, bien cuite et bon marché, elle répondait aux besoins d'une population qui, le bois mis à part, ne devait guère se servir de récipients de verre ou de métal.

VOIES DE COMMUNICATIONS ET VIE DE RELATIONS

A ces activités artisanales, de caractère généralement local, s'est superposée une vie de relations et d'échanges plus lointains, qui, au même titre que la langue, a intégré l'ancienne Aquitaine à toute la Gaule et à l'ensemble des provinces occidentales du monde romain, la Narbonnaise servant le plus souvent d'inter- médiaire. A la périphérie de la Gascogne courait une grande voie d'eau célébrée en tant que telle par Strabon, la Garonne. Son cours supérieur a porté, au moins jusqu'à Toulouse, les marbres des Pyrénées et les calcaires de Belbèze. Toulouse elle-même s'est bâtie au point de rupture de charge où la voie fluviale prenait le relais des pistes terrestres venant de Narbonne et de la Méditerranée à travers le Lauragais et le seuil de Naurouze. Dès la fin de la République, les amphores de vins italiens ont été embarquées à Toulouse pour descendre la Garonne jusqu'à Bordeaux. Sous l'Empire, le trafic, que nous connaissons mal, a dû être actif, plus divers, et animer une bâtellerie. Au Ier siècle, les céramiques sigillées de Montans ont descendu le Tarn, puis la Garonne et peut-être remonté ses affluents de rive gauche. Au IV" siècle, des blés seront transportés sur le cours inférieur du Tarn à destination de l'aval et, plus tard, depuis les Pyrénées, la Garonne sera une route privilégiée pour les sarcophages sculptés de l'Ecole d'Aquitaine. Pratiquement privé de voies navigables, l'intérieur de la Gascogne disposa, par contre, à l'époque romaine, d'un réseau routier dense et ramifié, hérité pour partie des pistes indigènes, pour partie aménagé et entretenu depuis la conquête. Des che- mins secondaires desservaient nécessairement chaque villa. Des voies plus notables rayonnaient en étoile autour de chaque chef- lieu de « cité ». Essentielles furent les routes majeures, compa- rables à nos grandes routes nationales, qui traversaient la province, la liant à ses voisines de Gaule et, par-delà les Pyrénées, à celles de l'Espagne. A défaut de leur tracé de détail, leurs directions d'ensemble nous sont données par les documents itinéraires de l'Antiquité, la Table de Peutinger, l'Itinéraire d'Antonin, l'Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, et aussi par les chemins de pèlerinage du Moyen Age. La Novempopulanie était comprise dans le domaine de « l'isthme gaulois » qui offrait les voies les plus courtes de la Méditerranée à l'Océan. La conquête la plaça, de surcroît, dans la dépendance lointaine de Rome et dans celle, plus proche, de la Narbonnaise. D'où la prédominance des routes qui, à partir de cette dernière, la traversèrent d'est en ouest : — la route de Toulouse à Bordeaux par Lectoure, qui dou- blait, sur sa rive gauche, la voie fluviale de la Garonne, axe majeur de « l'isthme gaulois » ; — la route de Toulouse à Auch et à Eauze, qui, évitant plus à l'ouest, les solitudes des Landes, se divisait au nord-ouest vers Bazas et Bordeaux, au sud-ouest vers Dax ; — la grande route sous-pyrénéenne de Toulouse à Dax par Saint-Bertrand-de-Comminges, Lourdes et Lescar, qui était l'héritière des « voies du sel » de la préhistoire et de la protohistoire. Ces voies primordiales furent recoupées par des axes nord- sud : — venant du centre de la Gaule et du cœur de la province romaine d'Aquitaine, une voie unit Agen à Saint-Bertrand-de- Comminges par Lectoure et Auch ; — plus à l'ouest, la voie « préhistorique » de la Ténarèse, route « sans ponts, ni gués », épousait fidèlement la ligne de faîte séparant le bassin de l'Adour de celui de la Garonne, puis remontait la vallée d'Aure pour atteindre au port de la Ténarèse la crête des Pyrénées ; — plus à l'ouest encore, de la route de Toulouse à Dax, se détachait à Lescar la voie du Somport et d'Huesca par Oloron ; — tout à l'ouest, les deux routes qui, à travers les Landes, reliaient Bordeaux à Dax se réunissaient dans la capitale des Tarbelli pour gagner Pampelune à travers les défilés de Ronceveaux. Il est probable que les cols des Pyrénées occidentales, celui de Roncevaux et peut-être le Somport, ont été rendus carrossa- bles. Le fait est plus douteux pour ceux des Pyrénées centrales, y compris celui de la Ténarèse, apparemment le plus fréquenté de tous. Elevés de plus de 2 000 mètres, ils n'ont jamais dû s'ouvrir à un grand trafic, ni à des relations lointaines ; comme de toujours, ils ont dû simplement servir aux passages des trou- peaux et aux échanges de vallée à vallée. Même importantes et, sauf dans la montagne où elles purent être taillées dans le rocher, ces voies romaines de la Novempo- pulanie ont été, comme la plupart de celles du Midi, des voies légères, simplement fondées sur un hérisson de galets ou de blocs de pierres surmonté d'une couche de roulage faite de cailloux et de sable. Peu solides, elles avaient l'avantage d'être faciles à faire, à recharger et à réparer. A la différence des grandes routes de la Narbonnaise ou de la Germanie, elles furent rarement jalonnées de bornes militaires. Neuf seulement ont été signalées pour l'ensemble de la province et aucune n'appartient à la période du Haut-Empire, toutes se situant entre le règne de Philippe l'Arabe (244-249) et l'époque constantinienne. A la grande route de Toulouse à Saint-Bertrand-de-Comminges et à Dax appartiennent le milliaire de Labarthe-de-Rivière, peut- être gravé au nom d'un des fils de Constantin, et le fragment de borne retiré des remparts de Dax. A la même voie ou à celle d'Agen se rattachent les trois milliaires venant de Saint- Bertrand-de-Comminges ou de ses environs immédiats : le milliaire de Philippe l'Arabe, un autre de Valérien et de Gallien et le milliaire inachevé de Carin César (282-283) abandonné dans l'égout des thermes du Nord. De la route d'Agen à Saint-Bertrand-de-Comminges provien- nent sûrement les deux milliaires de Constance et de son fils Constantin César, datés de 305-306, qui servent aujourd'hui de bénitiers, l'un dans la chapelle de Mons, commune de Crastes, dans le Gers, l'autre dans l'église de Castelnau-Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées. A cette liste s'ajoutent le milliaire de Campan au nom de Maximien Hercule qui est peut-être hors de son site originel et un fragment provenant d'Urdos, dans la « cité » d'Oloron, sur la route montant au Somport. Retrouvés en aussi petit nombre et tous, ou presque, dans la partie sud de la province, ces milliaires ne jalonnaient certai- nement pas les routes, mêmes importantes, tous les 1 500 mètres. Ils devaient se dresser en des carrefours ou des points caracté- ristiques de la voie et, véritables dédicaces, ils manifestaient surtout le loyalisme des « cités » aux empereurs successifs. Cette déficience de l'épigraphie routière n'empêche pas que les grandes voies de la Novempopulanie étaient, comme celles des autres provinces, pourvues tous les 10 ou 12 milles (de 15 à 18 kilomètres) de relais et, tous les 35 milles (environ 52 kilo- mètres) de gîtes d'étape offrant abri pour la nuit aux voyageurs, aux équipages, aux voitures et aux chevaux. Sur ces routes, ont circulé, outre les courriers officiels, des voyageurs à cheval ou en voiture, et aussi des animaux de bât, des véhicules pour transports légers et des charrois lourds tirés par une ou plusieurs paires de bœufs. Comme il en fut jusqu'à l'apparition des chemins de fer, ce trafic faisait vivre aubergistes, palefreniers, postillons, muletiers, convoyeurs, colporteurs. Les marchandises transportées furent de tous ordres et seuls quel- ques exemples méritent d'être cités. C'est par la route qu'ont été amenés dans toute la Gascogne, notamment à Lectoure, à Eauze et à Séviac, les marbres blancs ou polychromes des Pyrénées. C'est par la route que l'aristocratie des villes et des campagnes a fait venir de Montans et de La Graufesenque la vaisselle de luxe que constituait la céramique sigillée. Les mêmes voies terrestres ont été empruntées à l'époque augustéenne par les amphores de vins italiens et, au IIe siècle, par les amphores d'huile d'olive espagnole. C'est toujours par la route que les propriétaires de Montmaurin ont pourvu à la richesse de leur table en se faisant porter, non sans difficulté, des huîtres et des fruits de mer depuis les rivages de la Méditerranée distants de plus de 250 kilomètres. Comme la conquête elle-même et exception faite des confins nord-ouest de la Gascogne, ce commerce prédomina, semble-t-il, d'est en ouest, liant la Novempopulanie à la Narbonnaise et à la Méditerranée plus qu'à Bordeaux et à l'Océan.

ROMANISATION ET MENTALITÉ INDIGÈNE

Ces routes « méditerranéennes » furent, en tous domaines, pour l'ancienne Aquitaine des voies de romanisation. Elles lui portèrent, nous l'avons vu, la langue latine et la manie de l'épigraphie. En dépit d'un fonds ethnique pratiquement inchangé, il s'y joignit la mode de prendre des noms romains. Dès la conquête et jusqu'à l'édit de Caracalla qui, en 212, « natu- ralisa » en bloc les hommes libres de tout l'Empire, ce fut une règle pour toutes les grandes familles, en immense majorité indigènes, qui reçurent d'un conquérant ou d'un empereur le bénéfice de la cité romaine : les Cn. Pompeii et les Valerii du Comminges et du Couserans dont les ancêtres le tinrent de Pompée ou de L. Valerius Messala, les Sergii Pauli du Couserans, les Antistii de la « cité » des Ausci, les C. Iulii d'un peu partout dont les ascendants étaient devenus citoyens par la grâce de César ou d'Auguste. Naturalisées romaines, ces familles avaient donné l'exemple ; les indigènes de condition pérégrine suivirent. La preuve en est manifeste dans les « cités », comme celles des Convènes ou des Ausci, où les inscriptions sont assez nombreuses pour autoriser des statistiques comparatives. Ainsi, il a pu être calculé, d'après les 600 inscriptions du Comminges, que, pour l'ensemble de la « cité », la proportion des noms latins était de 58 %, celle des noms aquitains ou gaulois de 42 %, ce pourcen- tage de noms indigènes restant lui-même dans la capitale de Lugdunum Convenarum qui fut pourtant colonie romaine, s'éle- vant dans les hautes vallées pastorales d'Oueil et de Larboust, s'abaissant, au contraire, jusqu'à 22 % et même 10 % autour de Saint-Béat et de Luchon, où l'exploitation des carrières de marbre et la fréquentation des sources thermales attira un peuplement et une clientèle d'étrangers. Au cœur de la Gascogne, la part de l'onomastique indigène semble, sur les inscriptions, légèrement moindre que dans l'ensemble du Comminges : elle n'atteint à Auch que 30 % contre 70 % de noms latins, un tiers de ceux-ci étant portés par des familles de citoyens issues d'affranchis d'origine grecque. Elle resta sans nul doute plus forte dans toutes les régions où manquent les inscriptions qui sont elles-mêmes un fait de romanisation, dans tous les milieux plus pauvres ou plus écartés qui ne s'ouvrirent pas à une vie de relations. Le phénomène a certainement différé d'ampleur d'une « cité » à l'autre et même à l'intérieur d'une seule « cité ». Il traduit une double tendance des mentalités : un acquis romain indéniable et une persistance, plus ou moins consciente, d'un substrat indigène.

RELIGIOSITÉ INDIGÈNE

Une telle mentalité éclate dans le domaine religieux. Le polythéisme des Aquitains ne nous est connu qu'au travers d'ex-voto et de monuments figurés de l'époque romaine, mais il affirme en tous lieux une originalité liée à un archaïsme. Il ne procède jamais, semble-t-il, d'une cosmologie, d'une morale ou d'une eschatologie comparables à celles que les druides ont propagées dans le monde celtique. Fit-il même place aux « grands dieux » de la Gaule ? Rien n'est moins sûr, encore que sur une dédicace de Saint-Bertrand-de-Comminges à la Triade Capitoline, Mercure, le plus vénéré de tous, ait été, à la troisième place, substitué à Minerve. Le panthéon aquitain ne semble pas davan- tage avoir eu à souffrir du prosélytisme ou de la concurrence de celui de Rome. Ce qui compta toujours pour l'indigène, indépendamment de sa condition sociale et de son degré de romanisation, ce fut le contact direct et présent avec une divinité familière qu'il priait et à qui il vouait des offrandes pour le protéger des maléfices, lui garantir sa santé et sa prospérité, celles de sa famille et de ses biens, terres ou troupeaux. Cette divinité, il la voulut toujours matériellement très proche de lui, d'où le caractère topique et le nombre infini des dieux de l'Aquitaine et des Pyrénées. Ce sont les dieux d'un seul lieu, d'une montagne, d'un sommet, d'une clairière au milieu de la forêt, le génie d'une vallée ou d'un village, l'âme d'une espèce animale, d'un bouquet d'arbres ou simplement d'un hêtre majestueux. A ces dieux, ignorés en dehors de leur petit groupe humain, leurs fidèles ont voué une vénération profonde. En des sanc- tuaires qui furent, le plus souvent, des enceintes de plein air, ils ont multiplié les offrandes. Sur le front des carrières de marbre de Saint-Béat, le dieu local Erriapus, totalement inconnu avant les découvertes de 1946, se vit offrir plus de cinquante autels. Divinités topiques de Montsérié dans les Hautes-Pyrénées et d'Ardiège dans la Haute-Garonne, Erge et Leherenn en reçu- rent plus de cent. Forces vives de la nature, craintes et révérées depuis la préhistoire, ou concepts plus individualisés nés de la mentalité aquitaine, ces dieux ont subi la romanisation sans altération profonde de leur essence. L'anthropomorphisme gréco-romain les a fait représenter comme des hommes ; par des interpréta- tions souvent forcées, ils ont été assimilés à des dieux du panthéon classique, à Mars, à Mercure, parfois à Jupiter ; à ces dieux étrangers, ils ont emprunté leurs traits plastiques, leurs attributs, leurs habits, tels le Mars Sutugius de Saint-Plancard travesti en légionnaire romain. Tout cela n'était que vernis, adoption superficielle des modes romaines. Pour leurs dévots, ils restaient ce qu'ils avaient toujours été et ce que seront, après eux, à un moindre degré, les saints du christianisme : les protec- teurs personnels, aux fonctions universelles, non différenciées, d'une étroite collectivité humaine et de chaque membre de cette collectivité. Cette religiosité de tous et de chacun s'attacha particulière- ment aux eaux chaudes qui, jaillissant du sol, semblaient l'éma- nation de la terre, source de toute vie et de toute renaissance. Des autels furent consacrés au dieu qui était le leur, tel Ilixo à Luchon, et, plus souvent, aux Nymphes qui en devinrent l'expression romaine. Le thermalisme pyrénéen est né de ces dévotions, parce que, pour les Anciens, les eaux ne guérissaient pas par leurs qualités physiques ou chimiques, mais par la force bienfaisante, mystérieuse et divine, dont elles étaient le support. Telle fut l'origine religieuse de la plupart des stations pyrénéennes que l'Antiquité connut souvent sous le simple nom latin à'Aquae : Dax ou les Aquae Tarbellicae, Cauterets, Bagnè- res-de-Bigorre ou Vicus Aquensis, Cadéac, Capvern, et surtout Luchon, qui a son nom antique des Aquae Onesiorum a préféré celui de son dieu éponyme Ilixo. Le nord-ouest de la Gascogne n'eut que des stations plus modestes, comme Castéra-Verduzan et Barbotan. Avec les progrès de la romanisation, il paraît d'ailleurs, certain qu'une thérapeutique utilitaire et pragmatique se mêla à la foi divine et prit souvent le pas sur elle. Des établis- sements luxueux furent bâtis pour les divers types de traite- ments sur le modèle de ceux d'Italie et, dès les premières décennies de notre ère, Strabon vantait la magnificence de ceux de Luchon. Une épigramme de Crinagoras célèbre, d'ailleurs, les eaux des Pyrénées qui, jaillissant en un pays boisé, ont rendu la santé à Auguste et attirent depuis « la clientèle des deux continents », l'Europe et l'Asie. Plutôt que de Dax ou d'une station des Pyrénées catalanes, il pourrait s'agir de Luchon dont Strabon dit la réputation précoce et qui, à défaut d'une clientèle vraiment « internationale », accueillit des curistes de toute la Gaule, notamment du Forez et du Rouergue.

DIEUX DE ROME ET CULTE IMPÉRIAL

Face à ces cultes ancrés dans le passé, qu'ont pesé les cultes venus de Rome ? Beaucoup n'ont été que des noms nouveaux pour des entités préexistantes, Diane, par exemple, pour les forêts, les montagnes et la chasse, Silvain pour les bois, les paturages, les troupeaux et aussi pour une activité vraiment neuve, celle des carrières de marbre. Les épithètes de Mars, de Mercure, d'Hercule et même de Jupiter n'ont été accolées qu'à des dieux dont elles masquent mal la nature originelle, tel Jupiter Très Bon et Très Grand invoqué à Marignac, dans la haute vallée de la Garonne, comme protecteur des voyageurs et à Lescure, dans le Couserans, comme auctor bonarum tempes- tatum, pour la clémence des saisons et la réussite des récoltes. Hormis ces cas particuliers très localisés, ce fut pourtant ce Jupiter Très Bon et Très Grand qui, de tous les dieux importés, a connu la meilleure fortune. Il fut surtout populaire en Comminges où ont été retrouvées 25 autels qui lui furent dédiés, le reste de la Novempopulanie n'en fournissant que quatre. Comme il convenait au grand dieu des Romains, première per- sonne de la Triade du Capitole, ses fidèles furent avant tout des citoyens romains, des membres de leur domesticité et des péré- grins ambitieux de la cité romaine. Leur dévotion fut plus politique que religieuse : ils attendaient de Jupiter espérance ou consécration d'une promotion sociale plutôt qu'une sauve- garde transcendante de leur personne et de leurs biens. Il en fut de même pour les manifestations du culte impérial. En dehors du trophée augustéen de Saint-Bertrand-de-Comminges et des dédicaces gravées aux III' et IVe siècles sur les milliaires en bordure des routes, des statues de Claude, de Trajan et de Plotine furent dressées à Saint-Bertrand-de-Comminges, de Marc Aurèle et de Faustine à Lectoure, de Diaduménien, le fils de Macrin, d'Alexandre Sévère et de sa mère Iulia Mammaea à Eauze. Ce ne sont là que quelques exemples conservés au hasard des découvertes épigraphiques, mais il apparaît bien que seuls les chefs-lieux de « cité », capitales politiques, ont élevé des statues aux empereurs. Le culte impérial proprement dit se limita aux mêmes milieux officiels. A Bagnères-de-Bigorre, un autel fut consacré au Numen Augusti par les autorités locales, celles du Vicus Aquensis, et à Lectoure, les décurions firent, en 176 et en 241, célébrer des tauroboles pour le salut de Marc Aurèle et de Gordien III. A Saint-Bertrand-de-Comminges, les prêtres de Rome et d'Auguste eurent la responsabilité d'un culte municipal plutôt que provincial. Des flamines impériaux furent choisis dans l'aristocratie des Tarbelli et des Elusates et à Auch, a existé, recruté parmi les affranchis les plus riches, un collège de sévirs augustaux, le seul connu dans toute la Novempopulanie. Ces charges et les cérémonies qu'elles supposent répondaient à une manifestation de loyalisme romain plutôt qu'à un sentiment religieux profond.

RELIGIONS ORIENTALES

Les Aquitains romanisés ont-ils accordé plus de foi, aux II0 et IIIe siècles, aux cultes venus de l'Orient et porteurs, pour leurs fidèles, de nouvelles promesses d'espérance ? Peu de traces subsistent d'une dévotion antérieure à Isis, mais Cybèle, la Grande Mère des Dieux, fut honorée d'un bel autel à Labroquère, près de Saint-Bertrand-de-Comminges, et elle eut surtout, à Lectoure, un centre de culte éclatant. La ville a fourni une série de 22 autels tauroboliques et crioboliques, l'une des plus belles et des plus complètes de tout le monde romain. La consécration à Cybèle et à Atys par l'égorgement d'un taureau et le baptême du sang y fut, à trois reprises, l'objet de cérémonies publiques massives, le 18 octobre 176 sous Marc Aurèle, les 24 mars 239 et 8 décembre 241 sous Gordien III. Il ne s'agit nullement de la résurgence d'un culte indigène de la Terre- Mère, mais de croyances et de rites phrygiens, pouvant aller jusqu'à l'émasculation des prêtres, qui furent importés de toutes pièces. Les premiers desservants furent, d'ailleurs, nous l'avons dit, des esclaves d'origine orientale. Malgré l'humilité de ce premier clergé, peut-être parce que le taurobole se lia au culte impérial, la religion métroaque convertit l'aristocratie féminine de Lectoure et les autorités municipales. Dès 176, celles-ci faisaient célébrer un taurobole pour le salut de la maison impériale et, le 8 décembre 241, elles renouvelaient le geste pour l'empereur Gordien III, pour sa femme l'impératrice Sabina Tranquillina et aussi pour la prospérité de la « cité » de Lectoure. Le culte perse de Mithra eut, à coup sûr, moins de résonance dans l'ancienne Aquitaine. Mal lue, la soi-disant inscription mithriaque de Soulan, dans la vallée d'Aure, est, en fait, une dédicace à une divinité indigène de nom incertain. Restent les deux textes épigraphiques d'Eauze, mentionnant l'un un prêtre du Deus Invictus, l'autre un Trévire d'origine orientale qui, dans la hiérarchie des initiations, avait atteint le grade suprême de pater. Si Eauze eut une église mithriaque, celle-ci naquit sans doute de la fréquentation d'étrangers et elle resta, de toute façon, un exemple isolé, non seulement pour la Novempopulanie, mais pour tout l'ouest de la Gaule qui ignora, ou presque, un dieu cher avant tout aux marchands orientaux et aux soldats. Bien que très localisés, ces exemples ont leur valeur. Ils marquent une nouvelle époque, celle où certains, parmi les Aquitains, cherchent, à côté ou en dehors de leurs génies protec- teurs de toujours, des dieux plus puissants et plus universels, dictant à leurs fidèles une morale et une religion, leur promet- tant surtout pour l'au-delà l'éternité du salut individuel. Sur cette mentalité nouvelle devait se greffer le christianisme.

LA FIN DES TEMPS ROMAINS

En Novempopulanie, comme dans toute la Gaule, l'anarchie militaire, l'inflation et les invasions germaniques signent, au IIIe siècle, la fin de la paix romaine. Malheureusement, nous connaissons peu dans le détail ces temps de troubles et les deux siècles qui les ont suivis. Les inscriptions manquent, les données de la numismatique et de l'archéologie sont délicates à inter- préter ou à dater, les textes littéraires rares, trop généraux, grevés d'emphase et de rhétorique. Les conditions de vie des populations nous échappent par larges tranches.

INVASION ET RENAISSANCE

La première invasion germanique, celle de 259-260, est passée loin de l'Aquitaine, mais la seconde, qui devait en fait se pro- longer huit ans, de 275 à 282, a touché au cœur la Novempopu- lanie. Dévalant du seuil du Poitou par Bordeaux en direction de l'Espagne et des Pyrénées, les bandes barbares se sont répan- dues à travers toute la province. Leur avance est jalonnée ou précédée par les trésors monétaires qu'enfouirent, en un moment de panique, des hommes qui disparurent sans jamais venir les reprendre. Il en est ainsi le long de la côte atlantique, de la Gironde à l'Adour ; dans la haute vallée de la Garonne où, près de Martres-Tolosane et de Cazères, deux trésors furent cachés sous le règne de Probus, entre 275 et 282 ; à Lectoure, où les trois trésors découverts en 1964 au quartier de Pradoulin furent exactement dissimulés en la même période. L'invasion qui n'atteignit pas Toulouse semblerait s'être arrêtée sur le cours supérieur de la Garonne, le Gers ou la Save. Vraisemblablement relayée par le brigandage et des jacqueries, elle fit œuvre destruc- trice parce que ni les villas, ni les bas quartiers des villes n'étaient fortifiés pour résister à des attaques et que leur richesse offrait, par contre, une proie tentante. A Saint-Bertrand- de-Comminges, les édifices de la ville basse, le forum, la basili- que-marché, le temple du culte impérial, furent ruinés, sinon rasés, et les thermes mis hors d'usage, comme en témoigne le milliaire inachevé de Carin obstruant l'égout des thermes du Nord. Même désolation à Lectoure au quartier de Pradoulin et, sur la Garonne, près de Cazères, à Saint-Cizy, dans la modeste bourgade routière des Aquae Siccae. Une villa comme celle de Montmaurin semble avoir moins souffert, mais, de 260 à 330, elle paraît appauvrie et plus ou moins délaissée de ses maîtres. Ces dévastations transformèrent les villes. Frappée dans ses activités commerciales et artisanales, la population a sans doute diminué et elle a surtout cherché à se protéger en regagnant, chaque fois qu'il était possible, l'acropole primitive et en la ceinturant d'un rempart solide, bâti à la hâte avec des matériaux empruntés aux édifices détruits. De ces fortifications de la fin du IIIe siècle ou du début du Ive, les exemples les mieux conser- vés restent ceux de Saint-Lizier, dans le Couserans, de Saint- Bertrand-de-Comminges, de Saint-Lézer en Bigorre. Dax, ville de plaine, fit comme Bordeaux et Bayonne : elle s'enferma dans une enceinte étroite qui couvrait seulement trois hectares et demi. Au pied ou en dehors de ces murailles, les anciens quartiers ne furent pas toujours abandonnés ; ils prirent seulement une physionomie plus pauvre. A Saint-Bertrand-de-Comminges, sur le forum, dans les thermes voisins et dans la basilique-marché, des réfections grossières substituèrent aux édifices publics de pauvres masures, bâties à la diable, dont les égouts entail- laient, par exemple, les anciennes mosaïques. Les inscriptions brisées servirent de dallages et les sculptures concassées alimentèrent des fours à chaux. A Lectoure, au quartier de Pradoulin, sur les ruines arasées des maisons du Haut-Empire, gardiennes de trois trésors que nul n'était venu rechercher, s'implantèrent des ateliers et des fours de potiers. En une heureuse réussite, ils fabriquèrent une céramique de type sigillé, d'usage courant, très simple de galbe, sommairement décorée sur sa lèvre d'une applique en forme d'animal. A Eauze, où nous ne savons rien de l'invasion et de ses conséquences possibles, d'autres potiers s'installèrent à la même époque pour produire, en une terre d'un ocre clair, de grands vaisseaux tronconiques, des cruches, des assiettes, des plats et des pots de toutes dimen- sions. Il semblerait ainsi qu'au IVe siècle, les quartiers bas de quelques villes se soient relevés et ouverts à un nouvel artisanat travaillant pour le marché local. Dans les campagnes qui groupèrent, plus que jamais, la masse de la population et où les ressources du sol pouvaient effacer, en un an ou deux, les misères d'une disette ou d'une famine, le IVe siècle fut un retour à la prospérité. L'écrasement de la jacquerie des Bagaudes par Maximien Hercule, la consolidation de la paix intérieure, civile et sociale, par Constance et par Constantin y ont largement contribué. Les années 325 à 350 sont celles de la plus belle période de la villa de Montmaurin qui devient un palais princier où étincellent les marbres et les mosaïques. L'exemple se répète partout : à Séviac, à Beaucaire- sur-Baïse, à Cadeilhan-Saint-Clar, à Valentine, c'est le temps où se prodiguent, dans l'architecture et dans la décoration, les marbres blancs de Saint-Béat, et, sur les sols, par centaines de mètres carrés, les mosaïques polychromes de dessin géométrique. Ce luxe un peu clinquant affirme la puissance et la richesse accrue du propriétaire qui, bénéficiaire de la crise, a agrandi ses domaines, portés, s'ils ne l'étaient déjà, à des milliers d'hectares, et qui renforce son autorité juridique sur ses colons ou ses fermiers qui ont plus que jamais besoin de sa protection, fût-ce au détriment de leur liberté personnelle et économique. Le IVe siècle reste ainsi très romain et les bornes milliaires au nom des princes de la dynastie constantinienne attestent sur les routes de la Novempopulanie un trafic qu'animent, entre autres, le transport des marbres, les voyages des mosaïstes et ceux des colporteurs qui vont vendre jusque dans les villas du Comminges des bibelots d'ivoire fabriqués à Rome ou en Orient. C'est encore le temps où Ausone peut vanter la douceur de vivre en Aquitaine et où lui-même, le poète de Bordeaux et de Toulouse, le rejeton d'une famille éduenne exilée à Dax, donne, avec toutes ses qualités et tous ses défauts, le portrait de l'intellectuel et du lettré de l'époque.

DÉCLIN ET RUINE

Représentants de l'aristocratie sénatoriale, Ausone et les siens ne paraissaient redouter l'avenir, ni pour leur situation sociale, ni pour leur culture, ni pour une civilisation qu'ils avaient faite leur et qui, comme Rome elle-même, leur semblait assurée de l'éternité. Et pourtant, dès les années 360 à 370, indé- pendamment même de la révolution spirituelle que constitue le triomphe du christianisme, la prospérité des campagnes, la seule qui compte, donne des signes de faiblesse. Est-ce la conséquence des guerres civiles, qui, même étrangères à la Gaule, lui enlèvent ses forces vives et la chargent d'impôts ? Est-ce l'inflation moné- taire qui, une nouvelle fois, ruine l'économie de relations, favorise le troc, pousse les domaines à se replier sur eux-mêmes pour vivre ou chercher à vivre en autarcie ? Il est de fait qu'aucun milliaire de la Novempopulanie n'est postérieur à la dynastie constantinienne et qu'à Montmaurin, une sorte de stagnation se fait jour vers le temps de Valentinien, les séries monétaires s'arrêtant entre 364 et 383. Que ce soit à Saint-Bertrand-de-Comminges, à Séviac, à Lectoure, ces dates concordent, à peu de choses près, pour tous les sites urbains ou ruraux. Dans les dernières années du IVe siècle, conséquence de tensions sociales, de rivalités entre les puissants et l'Etat, de craintes pour l'avenir, le beau moment de la renaissance constan- tinienne paraît déjà chose morte. L'invasion des Vandales devait l'achever. En 409-410, leurs hordes nombreuses remontent de Bordeaux sur Bazas, sur Eauze, sur Toulouse, sur Saint-Bertrand-de-Comminges. Ce qui restait ici de la ville basse est définitivement détruit. Dans le plat pays, des villas comme celles de Séviac, de Beaucaire-sur-Baïse, de Montmaurin sont incendiées, plus ou moins démolies, parfois rasées. En une lettre écrite de sa lointaine Palestine, saint Jérôme compte la Novempopulanie parmi les provinces les plus éprouvées et, témoin plus direct des faits, l'évêque d'Auch, saint Orens, dépeint toute la Gaule « comme un bûcher fumant ». Un Paulin de Béziers, un Prosper d'Aquitaine ne parlent que de la ruine des campagnes, de l'incendie des fermes, du massacre ou de l'enlèvement du bétail, de l'abandon des vignes et des champs. Bien qu'amplifié par la rhétorique littéraire, le désastre fut d'autant plus grand et irréparable qu'il fut suivi, trois ans plus tard, par la première conquête wisigothique. Dans leur marche de Narbonne sur Bordeaux et dans leur retraite, les nouveaux envahisseurs se firent parfois violents et ils provoquèrent, notamment à Bazas, des mutineries d'esclaves. Sans être exterminée, la population fut réduite et contrainte à de nouvelles normes de vie. Dans les villes, il lui fallut, pour des siècles, abandonner les faubourgs et se serrer à l'intérieur d'une enceinte étroite autour de ce qui restait des autorités municipales et, plus encore, autour de l'évêque et de son église. Dans les campagnes, elle campa en quelque sorte dans les ruines des villas. Les bâtiments incendiés et effondrés ne furent pas reconstruits et l'art de bâtir « en dur » se perdit pour longtemps. A Montmaurin, des chapiteaux de marbre servirent de sièges à des barbares festoyant autour d'un foyer. Sur les mosaïques de Séviac furent aménagées des stalles d'écurie et dans celles de Beaucaire-sur-Baïse furent enfoncés d'énormes pieux. Partout, ce qui restait des murs servit à asseoir des habitations de bois, de pisé et de chaume, qui, par delà l'époque romaine, renouaient avec la tradition des cabanes protohistoriques. Partout, les ruines servirent aux Barbares et aux Gallo-Romains à enterrer leurs morts et les villas devinrent autant de cimetières.

LES WISIGOTHS

La situation ne changea pas lorsqu'au début du Ve siècle les Wisigoths devinrent en fait les maîtres de la Novempopulanie. Le traité, conclu en 418 avec l'empereur Honorius, leur concéda, outre Toulouse et Bordeaux avec la province d'Aquitaine Seconde, « quelques cités voisines ». C'étaient, à coup sûr, celles de la future Gascogne, puisqu'au temps de la persécution d 'Euric, le roi wisigoth laissa vacants, au dire de Sidoine Apollinaire, les évêchés de Bazas, d'Eauze, d'Auch et du Comminges. Craignant les villes, les nouveaux venus n'habitèrent guère que Bordeaux et Toulouse dont ils firent leur capitale. Chefs et soldats se fixèrent dans les campagnes, sur les grands domaines gallo-romains dont le régime de l'hospitalité leur transféra, pour un tiers, la propriété. Guerriers théoriquement engagés au service de Rome, ils n'avaient pas à travailler la terre et laissèrent cette tâche, comme par le passé, aux colons ou aux serfs indigènes. Peu nombreux, une centaine de mille tout au plus, ils n'ont pas dû fonder beaucoup d'établissements. Ceux que nous connais- sons par une toponymie d'origine germanique se situent, pour la Novempopulanie, dans la vallée de la Garonne, dans le Gers et dans les Pyrénées-Atlantiques, mais beaucoup peuvent ne remonter qu'à la période franque. Vu leur faiblesse numérique, les Wisigoths n'étaient à même ni de modifier sérieusement le fonds ethnique gallo-romain, ni d'imposer leur langue. En fait de rites funéraires, leur venue contribua seulement à renforcer la pratique de l'inhumation déjà exigée par le christianisme victorieux. A la différence des catho- liques, ils gardèrent pourtant la coûtume, comme plus tard les Francs, de se faire ensevelir habillés avec leur équipement, leurs parures et leurs bijoux. D'où la richesse en plaques-boucles et en fibules des tombes barbares de Valentine, de Montferran- Savès, d'Auch, de Lectoure, de Séviac, de Gelleneuve près de Mouchan, de Beaucaire-sur-Baïse et de bien d'autres cimetières, où il est malheureusement difficile de distinguer entre les sépul- tures vraiment wisigothiques et celles, postérieures, des Francs. A une population romanisée et conquise au christianisme, les Wisigoths firent d'abord peur par leur aspect farouche, leurs vêtements de peaux de bêtes, leur arianisme. En Novempopu- lanie, une cohabitation pacifique fut pourtant plus facile et peut- être plus rapide qu'ailleurs, parce que les Barbares étaient peu nombreux, que, malgré la perte d'une partie de ses biens, l'aris- tocratie gallo-romaine voyait en eux les garants de ses privilèges sociaux contre toute jacquerie et que le clergé catholique, sauf courtes périodes, n'eut pas à craindre la persécution. Il est symptomatique qu'un évêque d'Auch, d'origine gallo-romaine, saint Orens, ait été l'ambassadeur du roi wisigoth Théodoric TT et qu'en 439, il ait célébré sa victoire de Toulouse sur le repré- sentant légitime de l'autorité impériale en Gaule, le patrice Litorius. Les Wisigoths n'avaient pourtant rien apporté à l'ancienne Aquitaine. Rome lui avait donné sa langue, le futur gascon, et elle lui léguait le christianisme.