Une Fleur Au Guidon
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UNE FLEUR AU GUIDON ANDRÉ LEDUCQ avec la collaboration de Roger BASTIDE UNE FLEUR AU GUIDON Préface de Michel DROIT PRESSES DE LA CITÉ PARIS La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes cita- tions dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Presses de la Cité, 1978. ISBN : 2-258-00449-7 PREFACE André Leducq est entré dans ma vie — oh ! ce n'était pas hier ! — par l'intermédiaire d'un étrange appareil qui ressemblait un peu à une sorte de soucoupe volante en galalithe grenat. Une soucoupe volante de dimensions domestiques, bien sûr. En vérité, il s'agissait d'un de ces haut-parleurs qui constituait alors l'in- dispensable compagnon du volumineux poste de TSF sur le cadran duquel on pouvait effectuer un choix ému et tâtonnant entre la Tour Eiffel, Paris PTT, Radio-Vitus, le Poste Parisien, etc. Cela se passait durant l'été 1932. A cette époque, mes parents louaient, de juillet à septembre, une maison entourée d'un parc à demi sauvage, situé aux lisières d'un village nommé Presles, à quelques kilomètres de L'Isle-Adam, J'avais découvert, dans un vieux hangar, une antique drai- sienne, c'est-à-dire un de ces bizarres instruments de locomotion fort à la mode sous le Directoire, composé de deux roues que réunissait un cadre de bois, et qu'on enfourchait pour se propul- ser à l'aide des pieds traînant sur le sol. Bref, l'ancêtre de la bicyclette. C'est juché sur cette curieuse monture que j'essayais conscien- cieusement de reproduire, dans les allées mal débroussaillées du parc, les exploits d'André Leducq sur les routes du Tour de France, tels que nous les décrivaient les premiers radio-reporters, qui deviendraient plus tard mes aînés, lors de mes débuts dans le journalisme radiophonique. Dès lors, le palmarès d'André Leducq et, chaque année, les différents épisodes de sa saison me devinrent beaucoup plus fami- liers que les départements ou la table de multiplications. Mes parents avaient pourtant trouvé une astucieuse façon de stimuler mes ardeurs scolaires : la promesse d'un dimanche au Vel' d'Hiv' quand Leducq y courait, ou — récompense des récom- penses — d'un mercredi soir aux Six Jours. La fuite du temps possède au moins une vertu : celle de rap- procher des générations longtemps séparées par la barrière de l'âge, permettant ainsi à des amitiés, inconcevables trente ans plus tôt, de se nouer avec naturel. Un jour de 1963, nous devîn- mes donc amis, André et moi. J'eus alors l'impression de réaliser un rêve d'enfant. Joie précieuse et finalement très rare dont je remercie le sort. Et puis, tout bien pesé, quand je vouais à André Leducq une admiration sans borne, il me paraît bien, avec le recul, qu'instinc- tivement j'avais alors fait le bon choix, comme on dit à présent. D'abord, parce que Leducq reste aujourd'hui, et restera tou- jours, l'un des plus prestigieux champions du sport cycliste français. Mais aussi, me semble-t-il, parce qu'il n'en exista jamais de plus « populaire » au meilleur et au sens le plus total du terme, c'est-à-dire pas un qui fût à ce point et spontanément aimé du public. Henri et Francis Pélissier, célébrés par la plume d'Albert Londres, étaient certes devenus des « monstres sacrés ». Pour- tant, si on les admirait pour leur exceptionnel talent de coureurs et pour leur caractère, on gardait un peu ses distances vis-à-vis d'eux. Charles, qui était leur cadet, avait ce que nous appellerions, de nos jours, un côté « play boy » plus séduisant pour l'œil que pour le cœur. Le sage et taciturne Antonin Magne n'appelait pas la familia- rité. Plus tard, Louison Bobet, malgré tout son panache, affichait une certaine réserve qui, en dépit des enthousiasmes qu'il susci- tait, se prêtait mal aux effusions. Chacun sait que Jacques Anquetil apparaissait trop froid, trop calculateur pour inspirer les grands sentiments. Et la malchance de Raymond Poulidor dans le Tour de France compta sans doute plus pour son succès auprès des masses que ses victoires qui, pourtant, ne furent pas négligeables. André Leducq avait tout pour lui. Il parlait comme le Mont- martrois qu'il est, bien que né à Saint-Ouen ; il avait le rire facile et savait le provoquer chez les autres d'un mot, d'une repartie ; il éclatait de santé ; il plaisait aux femmes et aux foules ; il était généreux dans l'effort comme dans le contact humain ; il possé- dait le goût de la victoire et celle-ci le lui rendait bien ! enfin, quand il lui arrivait de perdre, cela se lisait au classement, jamais sur son visage ! Il n'est pas exagéré de dire qu'en France du moins, la popu- larité légendaire d'un Leducq a égalé celle d'un Carpentier, d'un Ladoumègue, d'un Borotra. Cela dépassait le sport. Leducq était une figure nationale. Aujourd'hui encore on le reconnaît, on lui adresse la parole, on l'appelle Dédé ! C'est un signe qui ne trompe pas. Le voici dans ce livre exactement tel qu'il fut toujours et qu'il est resté. J'aime ces pages, car elles ne sont pas seulement les souve- nirs d'un champion qui raconte sa carrière. D'abord, Une fleur au guidon est un document sur une certaine époque du cyclisme et sur tout son « environnement », pour employer une expression à la mode. Et puis, c'est aussi le témoignage d'un homme à qui sa réussite sportive a sans doute fait recevoir de l'existence davan- tage qu'il n'en attendait, mais qui a toujours su le lui rendre. De toutes les façons. Et aujourd'hui encore, en racontant ce que fut son aventure, en disant ce qu'est resté son amour de la vie, en laissant percevoir ce qu'est devenue sa sagesse. Michel DROIT. CHAPITRE I Tout compte fait, nous ne sommes pas encore tellement toc pour des ancêtres de soixante-dix balais qui ont beaucoup bour- lingué dans leur jeunesse et encaissé quelques dures secousses, par obligations professionnelles, sur divers endroits de leur anatomie. Mais laissez-moi vous présenter Antonin et Pierre Magne, anciens coureurs cyclistes professionnels, tout comme votre serviteur. On ne s'était pas revu depuis un certain temps, et les congra- tulations d'usage ont d'abord été accompagnées de furtifs regards pour un constat sournois des ravages du temps... chez les copains. Une amitié de plus de cinquante années ne préserve pas de cette égoïste réaction tellement humaine. Nous nous sommes retrouvés dans une brasserie-tabac de l'avenue de Courcelles, proche de la clinique de la rue de Chazelles où Germaine, épouse de Tonin, venait de subir une intervention chirurgicale. Pas de complications. La patiente est entrée en convalescence et nous attendons l'heure de la visite. Tonin est encore anxieux, mais n'aurait-il aucun motif à l'être qu'il garderait le même air de gravité. Henri Desgrange l'a comparé un jour à un notaire, de province, naturellement. Vous remarquerez que les notaires, dans les citations et comparaisons, sont généralement « de province ». Tonin me fait plutôt penser, avec son œil som- bre et méditatif, ses épais sourcils qui partent en flèche et ses vastes oreilles qui finissent en pointe, à un Méphisto d'Opéra- Comique. De province, si vous y tenez. Pierre est aussi affûté que lorsqu'il courait. Mais l'âge a rendu les veines du cou plus saillantes et creusé davantage encore son visage qu'on croirait sculpté au couteau dans un tronc d'olivier. Et moi ? Comment m'ont-ils trouvé ? Chacun de nous s'est fort civilement extasié sur la belle mine des deux autres. Mais en vérité ? Disons que mon visage, naturellement sanguin, plus haut en couleur encore, pourrait laisser supposer une attirance immo- dérée pour la bonne chère, alors que je me plie, au contraire, à un régime assez strict en raison d'une allergie tenace. Pour le reste, je suis à 78 kilos. J'en pesais 70, pour une taille de 1 m 74, à 25 ans, dans tout l'éclat de ma forme. La tension est normale, et je me sens encore plein de sève. Bon pied, bon œil et le reste, oui Mesdames ! Je trouve la vie toujours belle à 75 ans, et cela m'a incité à vous conter la mienne. Un secrétaire confident m'a été affecté à cet usage. Qui pose toutes sortes de questions à la manière du fidèle Watson auprès de Sherlock Holmes, encore qu'il n'y ait point dans cette affaire de mystère à éclaircir ou d'énigme à résoudre. Non, tout droit et tout sim- ple, tout au grand jour. Mais j'ai des choses à dire et quelques petites vérités historiques à rétablir sur notre monde cycliste. Cela dit, n'allez pas nous prendre pour des anciens combattants qui se racontent interminablement leurs campagnes. Je précise : c'est moi qui ai invité Tonin et Pierre à la reconstitution de quelques grands moments de notre carrière.