Prix : 72 francs Les commandes sont à adresser au Centre de recherches Relations internationales, Faculté des Lettres, île du Saulcy - 57000 METZ Les factures sont à régler à Monsieur l'Agent comptable de l'Université de Metz.

Le texte des articles n'engage que la responsabilité des auteurs.

Directeur du Centre : RAYMOND POIDEVIN Secrétaire de rédaction : PATRICK J. SCHAEFFER.

CENTRE DE RECHERCHES RELATIONS INTERNATIONALES DE L'UNIVERSITÉ DE METZ

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Les relations franco-belges de 1830 à 1934

Acte du Colloque de Metz 15-16 novembre 1974

METZ - 1975

HOMMAGE A PIERRE RENOUVIN

Notre maître Pierre Renouvin n'est plus. Premier à m'envoyer son article pour le Colloque de Metz, dont il n'a pas pu suivre les séances en raison de son état de santé, il est normal que cet hommage ouvre le volume des Actes. Ses travaux, qui ont profondément marqué l'historiographie française et son rôle capital de chef d'école dans le domaine des relations internationales sont connus du monde entier. Ce sont quelques unes de ses qualités de grand univer- sitaire que je tiens à souligner ici. A l'heure où l'Université connait de sérieuses difficultés, il convient de rappeler qu'elle ne vaut que par ce que valent ses maîtres. A tous égards, Pierre Renouvin a été un grand maître. Des générations d'étudiants ont pu profiter de ses leçons magistrales traitant remarquablement mais avec une extra- ordinaire clarté et une précision exemplaire de sujets relatifs aux relations internationales comme aux autres questions figurant aux programmes de la licence et de t'agrégation. Pierre Renouvin considérait comme un devoir normal le fait de sortir de sa spécialité, d'entreprendre de nombreuses lectures pour offrir à ses étudiants un cours clair, charpenté, médité et dominé. Bel exemple à suivre pour ceux qui s'enferment volontiers dans la tour d'ivoire de leur spécialité de recherche en oubliant que les étudiants attendent d'eux bien autre chose. Des dizaines de chercheurs ont pu travailler sous sa direction, une direction ferme et soup,le tout à la fois. Toujours là pour soutenir ses chercheurs, ouvrir des portes, réconforter dans les moments d'abattement, conseiller avec une lucidité remarquable telle ou telle voie de recherche, il savait aussi voir derrière les problèmes du chercheur ceux du jeune agrégé, du père de famille. Au cours de la bonne dizaine d'années consacrées à une thèse d'Etat, combien d'entre- tiens concrets, précis, stimulants ! S'inquiétant du sort du jeune thésard « perdu » à l'Est du mur de Berlin, en 1961, il mesurait les difficultés et appré- ciait les efforts déployés pour vaincre, un par un, les obstacles qui surgissaient sur la route des téméraires engagés dans les beaux mais redoutables sujets de relations internationales, sujets exigeant de nombreuses recherches à l'étranger. Examinant soigneusement les plans proposés, les morceaux de thèse, Pierre Renouvin offrait à l'aspirant docteur une garantie totale en ne laissant venir au stade de la soutenance que des travaux tout à fait au point. N'ayant pas eu à récrire des passages de ma thèse - privilège rare - je sais par divers témoigna- ges que mon maître n'hésitait pas à faire reprendre, parfois, des chapitres entiers. Au fur et à mesure que l'ébauche se précisait, Pierre Renouvin acceptait la démonstration, les conclusions, sans jamais chercher à les orienter. Avec une honnêteté intellectuelle parfaite, il a même lancé une série de travaux sur les relations économiques et financières qui pouvaient remettre en cause ses propres conclusions. D'ailleurs ces travaux, tout en précisant le concept des forces profondes matérielles qu'il avait ébauché, ont souvent confirmé ses propres thèses. Après des années de cheminement en sa compagnie, Pierre Renouvin se livrait davantage : à l'admiration s'ajoutait l'affection. Esprit ouvert, il suivait les problèmes que l'Université posait à ses disciples. Qui de nous n'a pas repris le chemin du 2 boulevard Saint-Germain bien après sa soutenance pour évoquer avec lui tel ou tel problème d'enseignant, de chercheur, d'administrateur ? Son autorité morale donnait un poids extraordinaire à ses conseils d'autant plus que sa lucidité n'était jamais prise en défaut. Huit jours avant sa mort, il me disait encore à la fin d'un long entretien : « vous vivez une période difficile mais intéressante ». Cette ouverture à nos problèmes, dix ans après la retraite, témoignait d'un extraordinaire attachement à cette Université qu'il a si remar- quablement servie. Il a tenu, jusqu'au bout, à ne pas décevoir ceux qui attachaient le plus grand prix à sa présence dans les jurys de thèse. Une semaine avant la fin de sa vie terrestre, je siégeais encore à ses côtés lors de la soutenance de J.C. Allain. On ne peut perdre un tel maître sans se sentir orphelin. Le vide que laisse sa disparition est durement ressenti par tous ceux qui ont eu le privilège de travailler sous sa direction et de se sentir en communion d'esprit avec lui. Notre admiration, doublée d'une profonde affection, nous impose, aujourd 'hui plus que jamais, le devoir de suivre la voie qu'il a tracée : la rigueur morale, l'équité, la justice, l'esprit d'ouverture, une conscience professionnelle très exigeante au service des étudiants, qui ont droit à de bons cours, et des « thésards » qui entendent se sentir épaulés par des directeurs de recherche assurant pleinement toutes leurs lourdes responsabilités. Chemin difficile, certes, mais Pierre Renouvin nous a démontré qu'il est possible de le suivre. Raymond POIDEVIN Directeur du Centre de recherches Relations internationales. Avant-propos

En créant le Centre de recherches Relations internationales de l'Université de Metz, en 1971, le souci de son fondateur et directeur Raymond POIDEVIN était de susciter des travaux portant sur les relations politiques, diplomatiques, économiques, financières, intellectuelles entre Etats européens. La position géo- graphique de Metz commandait tout particulièrement un intérêt spécial pour les relations franco-allemandes et les relations entre la France et les pays du Bénélux. Dès sa création, le Centre a fait appel à la collaboration de plusieurs collègues belges et luxembourgeois pour animer des conférences et des sémi- naires. Au printemps de 1973, le Centre a commencé l'organisation d'un collo- sur les relations franco-belges de 1830 à 1940 ; il s'est tenu à la Faculté des Lettres de l'Université de Metz les 15 et 16 novembre 1974. Suivi par une quarantaine d'historiens belges, luxembourgeois, français, soumis à de rudes séances de travail, ce colloque a permis de rassembler une série de communi- cations traitant des aspects les plus divers des relations entre les deux pays, fidèle en cela aux perspectives ouvertes par Pierre Renouvin. Plusieurs problè- mes ont pu être éclairés ; d'autres sont restés dans l'ombre, lacunes qui peuvent être comblées par de nouvelles recherches. L'édition devenant, en cette période de hausse des prix, une tâche de plus en plus difficile, il a fallu limiter ces Actes à la publication des textes des communications. Afin de ne pas priver les historiens intéressés des fructueuses discussions qui ont accompagné les rapports, le Centre fera multigraphier le texte des diverses interventions et l'adressera à tous ceux qui le souhaiteront.

Participants et Auteurs de communications

M. ALLAIN J.-Claude Maître-Assistant à l'Université de Paris 1 M. ARNOD Michel Maître-Assistant à l'Université de Metz M. BARIETY Jacques Maître-Assistant à l'Université de Metz M. BAUMONT Maurice Membre de l'Institut, Paris M. BARRAL Pierre Professeur à l'Université de Nancy Il M. BARTIER John Professeur à l'Université de Bruxelles Mme BORRELLY M.-Thérèse Assistante à l'Université de Metz M. BRUNN Denis Chargé de cours à l'Université de Metz M. CALMES Christian Luxembourg M. COLLOT Gérald Chargé de cours à l'Université de Metz M. DELBREIL J.-Claude Maître-Assistant à l'Université de Metz Mme DEMAROLLE Jeanne Maître-Assistant à l'Université de Metz M. DEMOULIN Robert Professeur à l'Université de Liège M. DUROSELLE J.-Baptiste Professeur à l'Université de Paris 1 M. GILLET Marcel Professeur à l'Université de Lille III M. GUILLEN Pierre Professeur à l'Université de Grenoble Il M. GIRAULT René Professeur à l'Université de Paris X M. KOCH Luxembourg Mme KURGAN Ginette Professeur à l'Université de Bruxelles M. LE MOIGNE Yves Maître-Assistant à l'Université de Metz M. LENTACKER Firmin Professeur à l'Université de Lille 1 M. LESOURD Alain Professeur à l'Université de Nancy Il M. MICHAUX Gérard Assistant à l'Université de Metz M. MIQUEL Pierre Professeur à l'Université de Paris IV M. NOUSCHI André Professeur à l'Université de Nice M. OBERLE Raymond Professeur à l'Université de Mulhouse M. POIDEVIN Raymond Professeur à l'Université de Metz M. RACINE Pierre Chargé d'Enseignement à l'Université de Metz M. RENOUVIN Pierre Membre de l'Institut, Paris M. ROTH François Maître de Conférences à l'Université de Nancy Il M. SCHAEFFER Patrick Assistant à l'Université de Metz Mme SCHIMTT-CHAZAN Mireille Assistante à l'Université de Metz M. SOUTOU Georges Maître-Assistant à l'Université d'Angers M. STENGERS Jean Professeur à l'Université de Bruxelles M. THOBIE Jacques Professeur à l'Université de Rennes M. TRAUSCH Gilbert Directeur de la Bibliothèque Nationale du Luxembourg M. TRENARD Louis Professeur à l'Université de Lille III M. VALETTE Jacques Maître de Conférences à l'Université de Poitiers M. VERAGHTERT Karel Aspirant N.F.W.O. à l'Université Catholique de Louvain M. VIDALENC Jean Professeur à l'Université de Rouen M. WAHL Alfred Maître-Assistant à l'Université de Strasbourg III M. WILLEQUET Jacques Professeur à l'Université de Bruxelles PREMIERE PARTIE

ASPECTS POLITIQUES ET DIPLOMATIQUES DES RELATIONS FRANCO-BELGES AVANT 1914

LA REVOLUTION BELGE VUE PAR LA PRESSE LILLOISE Louis Trenard, Professeur à l'Université de Lille III.

Dans son rapport au Ministre de l'Intérieur en 1859, le préfet Paul Vallon déclare : « Dans le Nord, on est naturellement au courant de la marche du gouvernement en Belgique ». Il voulait suggérer par là que ses administrés n'appréciaient guère le parlementarisme beige avec ses querelles inutiles et ses scissions violentes. Mais, plus que sous le Second Empire, pendant le demi- siècle précédent, Flamands et Hennuyers, même Artésiens et Cambrésiens avaient surveillé attentivement le cours des événements survenus dans les Pays- Bas méridionaux. Cet intérêt particulier s'explique par la géographie autant que par l'histoire. Un destin longtemps commun a marqué ces provinces des Pays-Bas. La rupture effectuée au temps de Philippe Il avec les Provinces-Unies a contribué à renforcer la cohésion des Pays-Bas catholiques. La conquête réalisée sous Louis XIII et sous Louis XIV n'a pas totalement effacé ces affinités. Quand on envisage, en 1795, le sort des provinces belges occupées, Merlin de Douai s'oppose, au nom du Comité de Salut Public, à la reconstitution de l'ancienne fédération, car il craint de voir s'y rattacher les départements du Nord et du Pas-de-Calais (1). D'ailleurs, la présence d'immigrés politiques avec J.F. Vonck à leur tête, à Lille, dès 1790, contribua à raviver ces souvenirs. La création des neuf départements belges, sous le Directoire, favorisa la diffusion des idées françaises, l'abolition du régime seigneurial (2), l'introduction des institutions politiques nouvelles (3), l'essor économique sur le modèle français (4). Cette intégration dans l'Empire napoléonien se prolongea jusqu'à la retraite de 1814. Cette région nourrit alors un patriotisme défensif et un libéralisme non révolu- tionnaire. Elle a subi quatre invasions depuis 1792 ; son appartenance à la nation française a même été menacée lors des succès autrichiens sous l'Assemblée Législative et lors du Congrès de Vienne. Elle a connu une longue occupation étrangère de 1815 à 1818, avec ses lourdes charges, ses graves exactions, son

(1) Moniteur universel, Il vendémiaire An IV, 3 octobre 1795. (2) R. Devleeshouwer, « L'abolition des droits féodaux en Belgique dans l'Abolition de la «féodalité » dans le monde occidental, Paris, C.N.R.S., 1971, t. I, p. 205-219. I.J. Brugmans, La fin de la féodalité aux Pays-Bas, ib. p. 220-233. (3) Roger Darquenne, La conscription dans le département de Jemappes, 1798-1813 Mons, Cercle archéologique, 1970, 8e, 425 p. 57 tableaux et graphiques. L. Trenard « Le Hainaut franco-belge », dans I.D.A.D. Valenciennes, 1971, p. 15-48. (4) Roger Darquenne, Histoire économique du département de Jemappes, Mémoires et Publications du Hainaut, 1965, 370 p. - R. Devleeshouwer, L'arrondissement du Bra- bant sous l'occupation française, 1794-1795. Aspects administratifs et économiques, U.L.B., 1964, 564 p. - Hervé Hasquin, « L'industrie namuroise lors de la crise de l'An III » dans Annales Historiques de la Révol. franç. t. 42, 1970, p. 599-612. Albert de Linard de Guertechin, « Les ingénieurs des mines françaises de 1795 à 1814 » dans L. Trenard, Charbon et Sciences Humaines, Lille, 1966, p. 117-126. cordon de douanes. Dans les mentalités collectives, subsistent les vibrants souvenirs de la gloire impériale. Le département n'a-t-il pas fourni à l'Empereur le général Vandamme, le maréchal Clarke, duc de Feltre, le maréchal Mortier, duc de Trévise. L'annexion des Pays-Bas du Sud avait reconstitué, pour une vingtaine d'années, les anciennes provinces avec leurs aires culturelles, leur cohérence, leurs réseaux de familles et de lignages. Les destinées des Belges unis aux Hollandais, sous le sceptre de Guillaume 1er, fixèrent l'attention des Français et tout particulièrement des Lillois sous la Restauration et sous la Monarchie de Juillet. Un des reflets de cet intérêt peut être saisi dans la presse régionale : elle fournit à la fois des informations et des images de la Belgique à la veille et au lendemain de la Révolution de 1830 (5). Représentations subjectives partielles, erronées, mais qui ont joué un rôle dans les relations entre les deux pays (6).

Le tableau de la presse régionale, en cette période faste pour les journaux, se révêle riche pour les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Le départe- ment du Nord est encore fortement scolarisé et largement alphabétisé. Il se classe en 1827 au 32e rang parmi les départements français de ce point de vue ; le Pas-de-Calais au 25' rang. Mais cette avance s'effrite progressivement : en 1857, le Nord est au 57" rang et le Pas-de-Calais au 41". Les grandes villes, les manufactures, les puits de mine attirent une masse déracinée comptant une forte proportion d'illettrés. Néanmoins, le marché des lecteurs, dans cette région à la démographie galopante, est substantiel. Dans un large éventail de publications, la part de la métropole lilloise l'emporte en variété et en vitalité. Une quinzaine de journaux voit le jour de 1819 à 1846 (7). Quatre grands organes dominent. Le Journal de Lille, orléaniste, est à la remorque du Journal des Débats ; la Gazette de Flandre et d'Artois s'inspire de la Gazette de France ; Le Messager du Nord exprime des idées républicaines, L'Echo du Nord adopte la position du National. Il est l'organe de la petite et de la moyenne bourgeoisie lilloise, frondeuse et railleuse, très indépendante à l'égard du clergé, animée d'un esprit municipal très vif (8). Entre le Journal de Lille et le Messager, l'Echo du Nord tend à devenir un grand quotidien d'informa- tion et un journal commercial insérant des annonces fort bien établies. C'est le seul périodique lillois bien conçu disposant à la Chambre des Députés d'un sténographe, offrant à ses abonnés au Cercle d'Apollon les journaux de Paris douze heures avant leur délivrance ordinaire. L'Echo est quotidien, il tire à 6 000, ce qui représente peut-être 20 000 lecteurs. En 1841, il compte 780 abonnés. L'abonnement annuel s'élève à 72 F, l'abonnement mensuel coûte 5 F pour Lille,

(5) Hubert Deschamps, La Belgique devant la France de juillet, Paris, 1956, 561 p. Claude Pichois, L'image de la Belgique dans les lettres françaises de 1830 à 1870, Paris, 1967, 116 p. (6) Louis Trenard, « Les représentations collectives des peuples », dans Bull. Comité des Travaux Hist. et Scientifiques, Section Hist. Mod. fasc. IV, 1962, p. 9-23. (7) L. Trenard, « Aspects de la presse lilloise (1845-1848) », dans Revue du Nord, t. XLIII, N° 172, oct.-déc. 1961, p. 319-348 et XLIV, N° 173, janv.-mars, 1962 p. 47-48. (8) L. Trenard et collaborateurs, Histoire des Pays-Bas français, Toulouse, Privat, 1972, in-8°, 582 p. ; Histoire des Pays-Bas français, Documents, Toulouse, Privat, 1974. in-8°, 430 p. 6 F pour le dehors, le NO, 3 sous. Son fondateur, un Picard, Alexandre leleux, ancien garde du corps du duc de Berry, converti aux idées libérales, fut empri- sonné au temps de Villèle. Libéré, il participa aux Journées de Juillet, puis adopta le programme du parti du mouvement et s'orienta vers le centre gauche (9). Toute cette presse vit dans la mesure où le pouvoir la tolère. L'impôt écra- sant du timbre l'empêche de se développer davantage. A Lille, d'inspiration politique modérée, elle s'adresse à une bourgeoisie voltairienne et rationaliste (10). Très souvent, comme l'opinion publique, elle se préoccupe du sort de la Belgique. Il est significatif de constater qu'une revue couvre même dans son champ d'action les Pays-Bas méridionaux : les Archives Historiques et littéraires du Nord de la France et du Midi de la Belgique ; cette revue a été fondée en 1829 par deux érudits valenciennois : Arthur Dinaux et Aimé Leroy. Elle paraît jusqu'en 1857. L'Echo du Nord, sous la Seconde Restauration, aborde la question des rela- tions franco-belges sous différents angles : les traités de 1815 et les frontières, les difficultés économiques, la situation religieuse, les affinités culturelles et linguistiques, les tendances pro-françaises, les résistances à la néerlandisa- tion (11).

Le 25 août 1830 éclate l'insurrection à Bruxelles suivie d'agitation dans les provinces ; des Commissions de Sûreté, composées de notables, se constituent et demandent l'application loyale de la « loi fondamentale », c'est-à-dire de la Charte du Royaume des Pays-Bas. La France accueille avec enthousiasme ces nouvelles. Quelques Français isolés, en relation avec La Fayette, avec le démo- crate belge Gendebien avaient favorisé ce mouvement. Beaucoup d'émigrés belges chassés par Guillaume 1er fréquentaient les milieux libéraux de Paris. Quelques agents français avaient distribué de l'argent aux révolutionnaires, quelques agitateurs avaient poussé au désordre, mais, dans l'ensemble, le mouvement begle avait été spontané. L'Echo du Nord reproduit, le 30 août, un article du journal Le Belge sur les troubles de Bruxelles ; toutes les arcades du Palais ont été arrachées et livrées aux flammes ; « cet incendie offrait un spectacle terrible ». Ce sont ces désor- dre que la garde parvient à contenir... « Pendant toute la journée, elle a déployé la plus grande activité »... La cause immédiate de ces troubles résiderait dans la crise de subsistances : on a distribué du pain. Toutefois, des incidents graves surgissent : sur la Grand'Place, trois cents hommes du peuple ont affronté la Garde ; des coups de feu ont été échangés. Dans la soirée, des individus cherchent à désarmer des patrouilles bourgeoises ; elles font feu sur les mutins, plusieurs sont tués, d'autres blessés. Des troupes se présentent à la porte de Laeken pour rétablir l'ordre : l'entrée de Bruxelles leur est refusée. Un indice révêle qu'il ne s'agit pas seulement d'une émeute de

(9) H. Lepreux, Nos journaux, Histoire et bibliographie de la presse périodique du Nord (1746-1895), Douai, Crépin, 1896, 2 vol., V-310 p., et 300 p. (10) P. Legrand, Le bourgeois de Lille, 1851, p. 9, 10, 16, 184. (11) Lt. LIV,Trenard, W 212,« Un janv.-mars journal lillois 1972, : p.l'Echo 25-57. du Nord », 1819-1830, dans Revue du Nord, la faim : « Pendant la nuit, toute la ville a été illuminée. Un grand nombre de citoyens ont arboré les couleurs patriotiques. » Déjà le mouvement gagne Louvain et Malines. Mais l'Echo demeure prudent dans ses commentaires. Le lendemain, 31 août, les deux colonnes du journal sont occupées par des extraits du journal Le Belge. Les nouvelles sont doubles : les désordres sont contenus, le peuple belge exprime ses vœux avec force. Bruxelles cherche à éviter tout excès qui justifierait l'intervention des troupes venues stationner à Vilvorde. Les gardes bourgeoises patrouillent avec dévouement et patriotisme : « Que les bons citoyens se rassurent donc, les scènes de dévastation, de car- nage et d'incendie qui ont troublé l'ordre public ne se renouvelleront plus. L'attitude énergique des citoyens armés a répandu la grande terreur dans le peuple. » Néanmoins, l'agitation gagne Namur, Liège, Bruges où trois manufac- tures sont incendiées. « Le mécontentement, constate l'Echo, est universel en Belgique et le mouvement insurrectionnel, commencé à Bruxelles, menace de s'étendre à toutes les villes de provinces belges. L'opinion la plus généralement répandue attribue la fermentation des esprits à l'influence du clergé catholique ". La motivation n'est pas seulement économique, mais idéologique. Les gardes citoyennes arborent comme signe de ralliement les couleurs brabançonnes, les Liégeois reprennent les couleurs de la province, rouge et jaune. A l'Hôtel de Ville de Bruxelles, une Commission comprenant l'avocat Gendebien, le comte Frédéric de Mérode... rédige une pétition contenant les griefs du peuple : exécution franche et entière de la loi fondamentale, renvoi de l'infâme et odieux Van Maanen, nouveau système électoral, convocation des Etats Généraux, siège d'une Haute Cour dans les provinces méridionales, cessation des poursuites contre les écrivains libéraux, annulation de toutes les condamnations en matière politique, enfin, distribution de pain aux ouvriers infortunés. Ainsi, quand l'insurrection bruxelloise se déclenche, le journal lillois manifeste à la fois des sentiments d'inquiétude devant ces violences : « specta- cle terrible », « dévastation », « carnage », « incendie », mais aussi d'espérance : la Garde contient les émeutiers, « que les bons citoyens se rassurent ». Cette tension dialectique se reflète dans les expressions définissant les événements : « troubles », « scènes de dévastation », « mécontentement », « fermentation des esprits », « mouvement insurrectionnel ». L'extension géographique est jalonnée : Bruxelles puis Louvain, Malines, Namur, Liège, Bruges. Deux causes sont alléguées, d'abord la crise des subsistances, ensuite l'influence du clergé, ce qui permet à l'Echo de déverser sa verve anticléricale. Le premier septembre, l'Echo se contente de nouvelles plus brèves. La cause populaire triomphe à Ath, des troubles éclatent à Wavres, on prétend même que Rotterdam et Amsterdam sont soulevés ; mais, à Bruxelles, les patrouilles maintiennent l'ordre, le bourgmestre s'est engagé à distribuer 3 000 fusils aux citoyens, deux canons ont été transportés de la caserne Sainte-Elisabeth à l'Hôtel de Ville. Le Conseil est adjoint à l'Etat-Major : « Cette mesure sage est une nouvelle preuve que les chefs du peuple de Bruxelles ne négligent aucun moyen pour assurer la tranquillité publique ». En ce début de septembre, le mouvement se généralise, la révolution muni- cipale devient nationale et démocratique, devant l'intervention des princes de la famille royale envoyés par Guillaume 1er à Bruxelles. Des Belges émigrés regagnent Bruxelles, entraînent avec eux des Jacobins français, des aventuriers de toute nature, des débris des armées impériales engagés naguère en Espagne ou en Grèce. Au début de septembre, arrivent de Paris les éléments démocrates qui s'enrôlent dans l'armée belge, des officiers ou des sous-officiers en demi- solde ou en retraite, Mellinet, sous-officier qui devient général presque immédia- tement, des idéalistes, comme le Lyonnais Jenneval (Louis Dechet), l'auteur de la Brabançonne... Si ce secours demeure limité, voire médiocre, le réconfort moral est unanime : les libéraux français se réjouissent, les uns de façon désin- téressée, les autres dans la pensée d'une annexion éventuelle. La deuxième vague de nouvelles dépeint l'organisation de l'insurrection. Son expression concrète se traduit par la diffusion des couleurs brabançonnes, renouvelant ainsi avec la chaîne des temps ; sous le règne de Charles Quint la délégation brabançonne avait déjà été une des plus actives. Les doléances belges demeurent encore dans le cadre prévu par la loi fondamentale, en dépit des succès militaires à Ath, à Wavres, de la mise en place d'un dispositif mili- taire à Bruxelles, des précautions prises par les insurgés. L'Echo continue, en septembre, de donner des nouvelles de la révolution belge avec sympathie. Le 9 septembre, il annonce que le Conseil des Ministres a voté à l'unanimité la séparation du Nord et du Sud. Tandis que cette décision se propage comme un éclair, on apprend qu'un corps de cavalerie occupe le Palais de Tervueren, violant ainsi la convention. Les Belges s'arment de bâtons ; de « braves citoyens armés » accourent de Liège... Mais le palais de Tervueren est évacué, les gardes bourgeoises défilent avec calme et fermeté. « Plus d'une personne versait des larmes d'admiration et de patriotisme ». Le 10 septembre, l'Echo complète des informations. Les Liégeois portent sur leur étendard rouge et jaune, l'inscription : « Liège pour Bruxelles, Vaincre ou mourir » ; un Corps armé est arrivé à Genappe avec trois pièces ; les provinces offrent à Bruxelles des secours en hommes et en armes. La proclamation de Guillaume convoquant les Etats Généraux fait appel à la sagesse des Belges, ces « habitants des diverses contrées de ce beau pays », elle est reproduite in-extenso dans l'Echo qui ajoute qu'elle a été mal accueillie dans la capitale où un gouvernement provisoire s'est constitué. Le 12 septembre, l'Echo est plus catégorique. « A travers la confusion inévi- table dans le récit de tant de faits divers, il est une impression générale qui en ressort, c'est que la séparation entre la Belgique et la Hollande est maintenant une chose résolue ». Cette volonté de tout un peuple, même dans les petits villages, est une question vitale de nationalité. Les députés belges ont déclaré qu'ils ne se rendraient pas à la réunion des Etats Généraux convoqués à La Haye parce qu'ils ne leur reconnaissent pas le droit de statuer sur les intérêts de leur pays. Un comité de Sûreté publique est chargé, à Bruxelles, d'assurer le maintien de la dynastie régnante, d'obtenir la séparation du Nord et du Midi, de garantir l'ordre et l'activité économique. Un point touche particulièrement les relations franco-belges. Le prince d'Orange a accordé une audience à la Commission bruxelloise : « S.A.R. s'est exprimée avec quelque légèreté à l'égard d'une province voisine qui a gardé la plus exacte neutralité ». Il a demandé aux Belges s'ils prendraient les armes en cas d'une intervention des Français. Qui lui a fait supposer un tel dessein ? La 12 septembre, l'Echo emprunte encore les nouvelles au Belge. Elles relèvent avant tout de la situation militaire ; des préparatifs ont lieu à Alost, à Termonde, à Malines, à Lierre, à Vilvorde, à Bruges... Partout l'idée de la sépara- tion entre les deux groupes de provinces est accueillie avec enthousiasme. L'Echo reste prudent, car la série de révolutions, déclenchée par les Trois Glorieuses, risque d'inquiéter l' et de lui rappeler les bouleversements récents provoqués par les armées françaises. Le 13 septembre, le Journal lillois annonce avec satisfaction que le roi des Pays-Bas a accrédité un ambassadeur à Paris auprès de Louis-Philippe. « La conduite loyale et désintéressée du cabinet français dans les troubles actuels de la Belgique n'a pas dû peu contribuer à l'empressement qu'il a mis à reconnaître le roi Philippe 1er. Nous avons tout à tait oublié cet esprit de conquête que l'empire colossal de Napoléon avait imprimé à notre gouvernement. Le respect et le bien-être du peuple nous touchent beaucoup plus que l'acquisition d'une province nouvelle ». Le roi des Pays-Bas considérant que la Révolution belge est une question européenne, s'adresse, dès le 28 août, à la Prusse qui, isolée, refuse son armée. Il demande la réunion d'une conférence des signataires du Traité de Vienne puisque cette résolution disloque une de ses créations. Il échoue et renouvelle en vain son appel le 9 septembre. Cependant, l'Europe s'inquiète et s'irrite comme devant une résurgence de la révolution française. Berlin se sent menacé : la Belgique est limitrophe. Le roi concentre 80 000 hommes dans les provinces rhénanes. Le Tsar, exaspéré, prend, lui aussi, des précautions militaires ; il masse des troupes en Pologne, prêtes à traverser l'Allemagne pour soutenir la Prusse contre les Belges et peut-être contre les Français. A la mi-septembre, le « divorce » est demandé. Les expressions se durcissent. Les Belges sont désignés, tour à tour, par les termes : « braves citoyens », « braves Belges », « braves patriotes », « braves Campinois », « vrais enfants de la Belgique », « braves habitants des campagnes », « habitants de diverses contrées de ce beau pays »... Au contraire, la violence se reflète dans le vocabulaire quand il s'agit des Hollandais : « nation dégénérée », « nos vérita- bles ennemis », les « barbares »... Cet affrontement provoque la réaction du roi Guillaume : il convoque les Etats Généraux, ce qui, dans cette Europe de la Restauration, prend une saveur d'Ancien Régime retrouvé. Mais l'Echo ignore l'appel du roi des Pays-Bas aux signataires du Traité de Vienne, comme il ignore la mission de Gendebien auprès de Louis-Philippe. La crainte de mouvements sociaux s'ajoute à l'inquiétude suscitée par la destruction de l'édifice de 1815. Le 14 septembre, l'Echo apprend qu'à Bruxelles, la classe ouvrière se laisse manoeuvrer, des hommes du peuple tentent de désarmer les postes de garde. On cherche à égarer les ouvriers sans instruction. Les bons citoyens doivent prêcher le calme. Autre sujet de complication. Alors que le corps diplomatique de La Haye se prononce pour la séparation, la Chambre de Commerce et des Fabriques d'Anvers estime qu'elle serait néfaste pour l économie anversoise. Le 15 septembre, on sait que le roi a demandé à Van Maanen de quitter ses fonctions de Ministre de la Justice, au nom de l'intérêt de la patrie. Le journal répète que le gouvernement français s'abstient d'intervenir dans les affaires des Pays-Bas et qu'il veut faire prévaloir en Europe le principe de non-intervention. Toutefois, un de nos ministres a averti l'ambassadeur d'une puissance continen- tale que, si elle intervenait, l'armée française réagirait. La situation était une fois de plus délicate pour la France puisque la Belgique couvre ses frontières septentrionales et que la révolution belge ruine un Etat tampon prévu contre la France. Pris au dépourvu, le gouvernement français, à peine installé, se décide, « un peu au hasard », comme l'écrit le duc de Broglie dans ses Mémoires, à prendre le parti des Belges, contrairement à I opinion européenne. Molé déclare, le 31 août, à l'ambassadeur de Prusse, le comte de Werther, que la France n'a pas l'intention d'intervenir, mais qu elle ne souffrira pas une présence étrangère en Belgique. Si les troupes prussiennes franchissent la frontière, les armées françaises feront de même. L'Echo du 16 septembre revient sur cette attitude de la France car un journal de Liège a prétendu que des régiments français, stationnant dans des villes frontières, veulent marcher au secours des Belges, qu'ils ont destitué des officiers carlistes pour élire les sous-officiers se prononçant en faveur d'une invasion. Le Messager dément ces rumeurs répandues pour « encourager la résistance des populations contre le joug hollandais ». « L'Echo répète que la France ne songe pas à se mêler des affaires des Pays-Bas, « quels que soient nos vœux en faveur de la liberté ». Dans ce même numéro, les nouvelles concer- nent les progrès des opérations militaires et l'extension du mouvement sépara- tiste ; on chante la Brabançonne ; on hisse le drapeau tricolore noir, jaune et rouge ; on défile aux cris de « Vive la Liberté ! ». Dans la seconde quinzaine de septembre, l'Echo témoigne une réelle prudence. Tout d'abord, il s'inquiète des troubles sociaux ; ses lecteurs, bour- geois libéraux et manufacturiers, redoutent une révolution sociale. Ensuite, le journal lillois, tout en affirmant sa sympathie pour la « liberté belge » proclame, à plusieurs reprises, que la France n'envisage en aucune manière une annexion. Prudence devant le risque de guerre ? Refus d'une union économique ? Influence du gouvernement qui affirme le principe de non-intervention ? L'ouverture de la session des Etats Généraux de La Haye est décrite dans l'Echo du 17 septembre. Le discours du roi est reproduit en entier ; il envisage de réviser la loi fondamentale, mais refuse de céder à l'esprit de faction. Un député belge réplique ; « J'ai entendu le Président des Etats généraux dire aux membres de la seconde chambre, dans une langue que je ne veux pas compren- dre, quelques mots qui probablement auront pour but la convocation de cette Chambre ». Les députés belges considèrent qu'ils ne sont pas légalement convoqués et se retirent. Dans le même temps, les préparatifs militaires se poursuivent ; les couleurs du Brabant flottent à Mons où 10 000 Montois et Borains sont prêts à marcher, armés, au secours des Bruxellois. (Echo, 20 sept.). Certains jours, un quart du numéro est consacré aux nouvelles de Belgique. Le 22 septembre, l'Echo constate une recrudescence des troubles à Bruxelles. Des chômeurs pillent quelques magasins, le peuple enfonce les portes de l'Hôtel de Ville pour s'emparer des sabres et des fusils ; des coups de feu sont échangés avec la garde bourgeoise. Le gouvernement provisoire craint que les excès provoquent une intervention militaire du Prince Frédéric. D'après le Journal d'Anvers, l'Echo annonce effecti- vement que le prince se dirige sur Bruxelles à la tête de ses troupes. La nouvelle provoque l'émoi dans la capitale ; l'anarchie règne. Namur est en état de siège. Les journaux belges ne paraissent plus. Le 27 septembre seulement, l'Echo insère de longs articles sur la bataille de Bruxelles (23-27 sept.) C est une seconde insurrection qui a chassé les troupes hollandaises à coup de pierres et de bouteilles.... sous une pluie d'eau forte, d 'acides, d huile bouillante. Les Bruxellois font appel aux « braves habitants des campagnes » pour les aider dans ces combats, leur demandant de venir avec leurs provisions. Le gouvernement provisoire félicite les « braves patriotes », - vrais enfants de la Belgique ». Mais il faut rester vigilants car le Prince a promis à ses troupes deux heures de pillage en cas de succès. Louvain a égale- ment repoussé l 'ennemi. L armée de Tongres arrive avec ses canons ; les Tirle- montois ont fait des prisonniers ; la population gantoise s'agite. Le comte de Nieuport, réfugié à Valenciennes, adresse une lettre au Prince royal des Pays-Bas. Il affirme solennellement « Quant à ne pas souffrir de changement de dynastie, tous nos efforts seront nuls pour la conserver dans les circonstances actuelles. Le roi peut encore se rallier les provinces méridionales en proclamant leur autonomie sous le rapport financier, administratif, militaire. Le comte de Nieuport conjure le prince d'Orange de sauver ces régions de l'anarchie. « Réservez-vous le gouvernement général des provinces méridio- nales », revenez à Bruxelles en pacificateur et en protecteur du peuple. Le 28 septembre, l'Echo reprend, avec satisfaction, au journal Le Belge le récit de la défaite du Prince Frédéric à Bruxelles. Les Hollandais déclaraient qu'ils venaient délivrer les bourgeois du joug de la canaille. La bataille s'engage. Les soldats s'enfuient, sous les jets de pavés, abandonnant armes et bagages ; le nombre de prisonniers est considérable. La Commission administrative confie le commandement à Juan Van Halen, décide de célébrer de dignes funérailles aux braves défenseurs des libertés et de leur élever un monument Place Saint- Michel. Elle attend des renforts du Borinage, d'Ath, de Tournai. Le récit se poursuit et se répète le 29 septembre. L'Echo prend nettement parti pour les insurgés. Militairement, les Hollandais battent en retraite ; « beaucoup de soldats belges quittent les rangs hollandais pour se ranger sous le drapeau national ». L'armée hollandaise ne peut assiéger les villes et, en même temps, contenir l'exaspération des campagnes. Selon le journal Le Politi- que, de Liège, la cause des Belges, loin d'être douteuse, ne peut que triompher. Politiquement, le gouvernement provisoire lance une nouvelle proclamation : « Les Hollandais, depuis trop longtemps, s'emparent de tous les grades, cher- chent à nous humilier. Le moment est venu de délivrer notre patrie du joug que fait peser sur nous cette nation dégénérée. Le sang belge a coulé... La nation belge est assez forte et trop généreuse pour user de représailles ». Le lendemain, l'Echo s'inspire du journal Le Belge pour énumérer les exac- tions des Hollandais : incendies, pillages, assassinats... ; ils se sont livrés aux derniers excès dans un pensionnat de jeunes Anglaises, ce qui a provoqué une plainte énergique de l'Ambassade. Parmi les maisons qui ont souffert, à Bruxelles, figure celle qu'habitait le général Constant de Rebecque. Maintenant « l'héroïque Bruxelles est libre ». La lutte se poursuit dans les autres villes : à Tournai, à Namur, à Tenremon- de... Des armistices sont conclus. Les Hollandais sont démoralisés. A Maëstricht, l'émeute a éclaté au cri de « Vive Napoléon Il ! A bas la cocarde orange ! ». Mais les Belges redoutent encore une intervention de la Prusse. L'Echo ne dit pas ou ne sait pas que le gouvernement provisoire a envoyé, le 28 septembre, Gende- bien pour solliciter une intervention française, que le ministre Molé a redit, le 20 septembre, à l'ambassadeur Pozzo di Borgo, que toute immixion étrangère en Belgique entraînera une réplique de la France, que Louis-Philippe a confirmé à Gendebien cette résolution. En cette fin de septembre, après un mois de nouvelles nombreuses sur les événements belges, l'Echo insère quotidiennement une triple série de nouvelles. Les plus copieuses se rapportent aux succès militaires des Belges ; la seconde bataille de Bruxelles et la défaite du Prince Frédéric sont relatées deux fois. Sur le plan politique, le journal transmet les décisions du gouvernement provisoire. Enfin, dans le domaine social, il mentionne les scènes de pillage, les conflits entre les émeutiers et la garde, les manœuvres pour entraîner les ouvriers sans instruction dans une révolution. L'Echo, le 5 octobre, confie toutefois : « On assure qu'un parti puissant s'est formé, en Belgique, pour offrir, au duc de Nemours, le gouvernement du pays ". Louis-Philippe, souverain pacifique, n'envisagea pas sérieusement l'annexion des provinces belges. Néanmoins, le comte Bresson, ambassadeur de France, propose la candidature de Nemours. Il avait l'assentiment du roi. Robert Dumoulin pense que cette candidature était faite pour couper court à celle du Prince de Leuchten- berg. Jean-François Gendebien déclare : « Rien de possible sans la France à laquelle il faut toujours revenir ». Le gouvernement provisoire désigne des admi- nistrateurs, rédige le règlement de la garde urbaine en Belgique. Elle s'était constituée immédiatement après la révolte ; celle de Malines, d'abord tiraillée entre deux tendances, orangiste et belgiciste, s'était ralliée aux couleurs braban- çonnes : noir, jaune et rouge (12). Le 7 octobre, l'Echo continue de jalonner la campagne militaire : Ostende est évacuée par les Hollandais, Ypres s'est rendue... Mais l'affaire n'est pas réglée. L'Allgemeen Niews Blad, de Gand, conseille au gouvernement hollandais de retirer ses troupes des provinces insurgées, de tenir fermement ses positions stratégiques, d'en référer une nouvelle fois aux puissances qui ont constitué le royaume des Pays-Bas. Le 8, les succès militaires se poursuivent : des volontaires arrivent de Ninove, de Philippeville, la garnison de la citadelle de Dinant a capitulé et le drapeau brabançon flotte sur la ville. Le drapeau tricolore est arboré à Eccloo, cependant proche de Gand. « Le vœu général est pour la liberté ». L'Echo apprend alors la proclamation d'indépendance qui date du 4 octobre. « Cette indépendance était écrite sur tous nos murs criblés par les balles et les boulets de nos oppresseurs, sur tous les pavés teints du sang belge ». Cette indépen- dance était un fait ; elle est désormais un droit. Il est impossible que les Nassau se maintiennent par le viol et le pillage, l'incendie et le massacre. Ils rencontre- raient la trace sanglante des épouvantables atrocités commises en leur nom par leurs ordres. De son côté, le Prince d'Orange, chargé par le roi de gouverner temporaire- ment les parties de provinces reconnaissant encore l'autorité de la couronne, s'installe à Anvers. Il exprime l'espoir de rétablir l'ordre dans les provinces du sud ; elles bénéficieront d'une administration distincte, composée de Belges, adoptant la langue de leur choix ; toutes les fonctions seront confiées aux Belges mais ceux-ci resteront sous l'autorité du roi des Pays-Bas. L'Echo, le 9 octobre, taxe cet appel de geste hypocrite : il a suscité pitié et mépris en Belgique. Le 10 octobre, le journal publie une nouvelle proclamation de Guillaume rédigée dans le style monarchique. Il reconnaît qu'il n'a pu contenir la révolte armée déclenchée dans les provinces méridionales, mais il est décidé à agir pour la cause des Pays-Bas et de sa propre dynastie. Le journal lillois insère, le même jour, une lettre du comte Félix de Mérode et de qui rappelle que seul un Congrès national peut décider de l'avenir de l'Etat futur de la Belgique, que les actes émanant du roi sont nuls et non avenus. De même que l'Echo possède peu de renseignements sur la candidature Nemours, il ignore les propositions de Talleyrand. La manœuvre de Guillaume : confier le gouvernement des Pays-Bas du Sud à son fils, instaurer une adminis- tration véritablement belge, ne choque pas profondément l'Echo. Une certaine lassitude, colorée de crainte, peut se déceler dans ses propos. Cette solution s'apparentait dans une certaine mesure au compromis de juillet 1830, on se contenterait d'une retouche sans condamner la dynastie.

(12) Franz Van Kalken « Ce que fut la Garde civique belge », dans Revue Internationale militaire, XX, 1959, p. 548-558, - J. Verbeemen, De Burgerlijke watchte Mechelen (1830)... Handelingen der Zuidnederlandse Maats-Chappij voor Taalen en Letterkunde en Geschiedenis, XII, 1958, p. 223-232. Le 11 octobre, deux articles sont réservés aux nouvelles de Bruxelles et au sort de la Belgique. Les informations sont, comme à l'ordinaire, à la fois mili- taires et politiques : le drapeau liégeois a été arboré à Tongres au milieu de l'enthousiasme général ; un corps franc de Belges est arrivé à Paris ; il ne reste plus, sous le joug hollandais, que Maëstricht et Anvers. Quant au gouvernement provisoire, il prend des mesures administratives. L'éditorial est plus significatif. Il analyse le processus revendicatif des Belges : leurs prétentions s'affirment et croissent avec le succès. Aujourd'hui, les Belges exigent une indépendance complète, l'exclusion de la famille de Nassau, le droit de choisir leur gouvernement. Guillaume ne se rend pas compte que les Belges sont mûrs pour la liberté. Quel régime politique adopteront-ils ? La royauté, depuis quinze ans, est discréditée, les souverains ont violé leur foi et opprimé les citoyens. La monarchie a perdu son prestige, comme le reconnaît Chateaubriand. Quand, en 1565, une insurrection chassa les Espagnols, les pro- vinces libérées fondèrent une République. Répéteront-elles ce geste en 1830 ? L'essai malheureux d'une République en France a déçu les partisans les plus ardents. Le 13 octobre, l'Echo redonne encore deux articles. Le premier, tiré du journal Le Belge, est réservé aux questions militaires ; sort des prisonniers, réorganisation de l'armée belge, appel aux jeunes pour occuper les postes militaires réservés désormais aux Belges... Une soirée a été organisée au théâtre de Bruxelles au profit des prisonniers : On a chanté le chœur de Beniswski : Nous jurons de briser nos fers, le duo de la Muette, le refrain symbolique Amour sacré de la Patrie... « La soirée s'est terminée par quelques tableaux patriotiques où l'on a reproduit successivement plusieurs scènes de nos mémora- bles journées bruxelloises ». Un extrait du Courrier des Pays-Bas aborde la question du régime. L'Echo estime que la Belgique doit se constituer en état fédératif groupant les intérêts de la commune, de la province, de la nation. Les germes existaient sous l'Ancien Régime, mais entachés de féodalité. La loi fondamentale de 1815 les avait entachés de royalisme. Le roi Guillaume s'efforça d'instaurer l'unité monarchi- que, mais il dut décentraliser. Le Congrès national déterminera les privilèges du Chef de l'Etat ; il doit aussi se prononcer en faveur d'une présidence élective, d'un roi héréditaire ou d'un duc. Aucune famille n'est exclue. A cette date, Talleyrand, ambassadeur en Grande-Bretagne, avait fait admettre le principe d'une discussion de l'affaire belge par la conférence des ambassadeurs réunis à Londres. Aussi, l'Echo du 14 octobre est-il rempli d'articles relatifs à la Belgique. Un avocat, Jean-Baptiste Stevens expose le principe de l'Etat fédératif appliqué à la Belgique. Chaque province ne peut for- mer un état souverain au sein d'une République, comme l'était l'ancienne Hollande ; cette solution paralyserait tout programme de grands travaux comme ceux que l'on prévoit pour le réseau de canaux. Les troubles qu'ont connus les Provinces-Unies en 1780 montrent l'inconvénient de ce système. De façon plus concrète, l'Echo envisage trois hypothèses : 1) l'indépendance de la Belgique sous l'autorité du Prince d'Orange. Mais il faut reconnaître que l'indépendance s'est accomplie contre la Maison de Nassau. Des liens entre le peuple et la dynastie sont stérilisés, « ce serait vouloir faire en Belgique ce que quelques esprits ont voulu tenter en France au profit du duc de Bordeaux ou du duc d'Angoulême. La Belgique doit former un Etat libre et indépendant. 2) La réunion avec la France est désirée par les amis de notre gloire nationale, par un grand nombre de Belges. « Les impitoyables traités de 1814 et de 1815 ont imposé à la France des limites qui ne sont pas ses frontières naturelles ", mais la France doit se montrer désintéressée ; elle doit être assez généreuse pour ne pas faire couler le sang. Le Morning Chronicle et le Mornlng Herald proposent à la France de s'entendre avec l'Angleterre pour occuper la Belgique : déjà quatre frégates anglaises sont entrées dans l'Escaut sous prétexte de protéger la marine belge. Ce plan serait avantageux pour la France puisqu'il permettrait de contrebalancer l'influence prussienne et de saisir des places fortes. Mais la France ne veut pas troubler la paix européenne. 3) La constitution d'une Républi- que fédérative récompenserait le peuple belge victorieux et la France est disposée à soutenir cette solution. Enfin, dans ce même numéro, sont énumérées, sur deux colonnes, les nouvelles de Belgique, d'après le Courrier des Pays-Bas. Le général Nypels, commandant provisoire des troupes belges, lance un appel à tous les officiers, sous-officiers, soldats belges qui servent encore dans l'armée hollandaise : « Pourriez-vous rester encore dans les rangs de vos véritables ennemis puisqu'ils sont ceux de votre patrie dont ils ont saccagé et incendié la capitale ? Abandon- nez ces barbares, revenez dans vos foyers ». Anvers est encore le lieu d'affrontement entre l'armée hollandaise et les Belges déjà maîtres de la citadelle. - La très majeure partie de la population aisée et tout ce qu'on appelait jadis la populace est fortement disposée en faveur de notre glorieuse révolution. Les soldats hollandais sont chaque jour Insultés par le peuple ». Le 15 octobre, l'Echo recueille des informations venues par Valenciennes. La situation devient paradoxale en ce sens que Bruxelles demande de ne plus envoyer de volontaires dans la capitale car il devient imposible de s'y loger. La garde nationale arrête à Quiévrain cent-cinquante volontaires, mais ils parvien- nent à s'échapper et à rejoindre les combattants. Le gouvernement provisoire conseille au Comité belge de Paris de s'abstenir... Tandis que ce gouvernement commence à légiférer en abrogeant les entraves à la liberté de l'enseignement, une Commission hollandaise révise la loi fondamentale ! < Il paraît que, malgré la gravité des circonstances, les hommes d'Etat hollandais ont encore le temps de s'occuper de choses inutiles », conclut l'Echo. Le 16 octobre, l'Echo est encore envahi par la question belge. D'une part, le Ministre de l'Intérieur des Pays-Bas s'efforce d'accorder des satisfactions à l'opinion dans les provinces méridionales. Au nom de S.A.R. le Prince d'Orange, il prie les fonctionnaires de respecter l'arrêt du 4 juin 1830 sur l'emploi de la langue choisie par les particuliers : les habitants doivent comprendre les actes de l'autorité. Dans un même état d'esprit, le même Ministre annonce la réorgani- sation de l'enseignement : aucun diplôme ne sera désormais exigé pour ensei- gner, une simple déclaration à la municipalité suffira. Même les professeurs des Athénées et des Collèges dépendront des autorités municipales. Il est interdit, en revanche, au nom du Gouvernement provisoire, de faire passer des vivres à la citadelle de Gand. On se bat toujours à Anvers. Un grand nombre de familles belges arrivent à Lille, remplissent les auberges, ce qui risque de gêner les électeurs lors de la prochaine consultation... A la mi-octobre, l'enthousiasme est tombé. L'Echo continue de répéter que la solution de l'annexion à la France est exclue ; cette Insistance est éloquente. La situation devient alarmante avec l'afflux des réfugiés et des renforts à Bruxelles, avec la multiplication des pillages dans le Borinage, avec la nouvelle de divergences dans le gouvernement provisoire et même d'un complot fomenté par Van Halen. La question préoccupante est, de plus en plus, celle du régime politique de la Belgique. La candidature du Prince d'Orange se dessine. Un correspondant de Bruxelles estime qu'elle se heurterait à une « énergique résistance dans le patriotisme des Liégeois et de tous les Belges qui ont une âme ». La proclamation royale prouve qu'aucune transaction n'est possible. Le prince lui-même n'a pas su se faire apprécier. Si le Prince d'Orange songe à briguer cette couronne, il doit se désolidariser de sa famille, se dépouiller du caractère de prince hollandais pour revêtir celui du prince beige ; il doit éloigner les troupes hollandaises du territoire... Louis-Philippe souhaitait la dislocation du royaume des Pays-Bas dont l'existence semblait une manifestation de méfiance à l'égard de la France. Cette séparation obtenue, le roi des Français désire ne pas compromettre sa couronne et il envisage, pour le nouveau trône, une dynastie issue de la Maison d'Orange. Le 8 octobre, il propose le second fils du roi Guillaume. Le 18 octobre, J'Echo constate les progrès réalisés par la perspective de la candidature du Prince d'Orange. Le retour de Gendebien en mission à Paris explique l'attitude du Courrier des Pays-Bas à cet égard. Le Journal des deux Flandres soutient le Prince d'Orange qui, d'Anvers, cherche à se gagner des partisans. La région anversoise demeure un secteur brûlant. Aussi, les chefs militaires belges adressent-ils un nouvel appel « aux braves Campinois et aux habitants de la province d'Anvers » : secondez le gouvernement provisoire qui engage des forces imposantes contre l'ennemi, rejoignez nos légions ; notre triomphe est certain. En fin d'octobre 1830, malgré la campagne électorale, l'Echo accorde jusqu'à une page sur quatre aux nouvelles de Belgique. Le record est battu le 19 octo- bre : trois questions sont exposées. Tout d'abord, les négociations du Prince d'Orange qui a lancé d'Anvers une nouvelle proclamation. il affirme qu'il veut, avec le concours du Congrès national, établir la « nationalité politique » des provinces qu'il gouverne, ce qui fait dire à l'Echo que le souverain reconnaît à la fois la légitimité de la Révolution et l'indépendance politique de la nation. La réplique est vigoureuse : le gouvernement provisoire exige l'organisation des élections à Anvers et à Maëstricht, sous peine de voir le peuple belge reprendre les armes. « Il n'y pas un Belge qui souffre à quelque prix que ce soit, de voir remettre en question l'indépendance absolue du pays et son droit de se constituer à sa volonté ». Le peuple belge souverain a balayé les Hollandais et déchu les Nassau de leurs prétentions sur nos provinces. Si nous éprouvons le besoin d'un roi, nous le choisirons en fonction de nos intérêts... « Personne ne doit s'attendre à nous voir, en suppliant, lui offrir une couronne à genoux ». Ce sens des responsabilités de la part du gouvernement provisoire est dégagé par le Journal du Commerce que reproduit l'Echo : « Ce gouvernement vient de donner une grande leçon de prudence aux peuples qui prennent les révolutions au sérieux, mate qui, après avoir conquis la liberté au milieu de la mitraille, s'imaginent que l'œuvre est finie ». « Le gouvernement patriote de la Belgique est sorti heureusement de cette ornière où d'autres s'embourbent, et l'on peut dire que la Révolution de septembre, la vraie révolution politique, va être consommée par la convocation d'un Congrès national organisé suivant un mode d'élection ». La loi prévoit un suffrage censitaire dans de nouvelles circonscriptions. Les Belges souhaitent procéder à ces élections « dans la foulée » des succès militaires d'août et de septembre, avant que les Orangistes de Bruxelles aient eu le temps de se concerter avec leurs amis de La Haye. « Alors seulement, les Belges pourront croire qu'ils n'ont pas, en vain, dépavé leurs villes ». Ils sont parvenus à leur but sans le secours onéreux de vieilles notabilités ». L'absence des députés à La Haye, a facilité les opérations ; car les députés auraient été tentés de négocier un compromis. Le troisième élément, presque inattendu, relève aussi de la dynamique révolutionnaire : la province de Luxembourg désire se joindre au mouvement déclenché à Bruxelles, considérant qu'elle « forme une partie intégrante de la Belgique nonobstant ses relations avec la Confédération germanique et l'occupa- tion de la forteresse de Luxembourg par une garnison fédérative a. Pour faciliter cette réunion, le gouverneur a démissionné ; tous les fonctionnaires doivent envoyer leur soumission au gouvernement provisoire ; sinon, ils seront consi- dérés comme démissionnaires. La Diète germanique réagit aussitôt et rappelle que le Luxembourg est une forteresse de la Confédération placée sous l'autorité du roi des Pays-Bas, mais n'appartient pas aux Pays-Bas. C'est le 20 octobre que l'Echo transmet cette réponse ; il publie le tableau du cens modulable selon les neuf provinces, donne des nouvelles militaires : échange de prisonniers, prise de la citadelle de Gand, élaboration d'une Constitution monarchique par un Comité. Le Prince Frédéric conduit les opérations militaires. Malines est évacuée au cours des combats, Jenneval, l'auteur des couplets de la Brabançonne, a été tué devant Lierre, rapporte l'Echo, le 22 octobre. Des rumeurs circulent sur les négociations entre le Prince d'Orange et certains membres du gouvernement provisoire. M. de Potter dément, dans une lettre adressée au Courrier des Pays- Bas qu'il ait tenté des démarches, auprès du prince d'Orange. « Mes principes sont démocratiques ; je suis républicain. Je ne suis ni ne saurais être orangiste... » Ce problème de l'avenir de la Belgique n'empêche pas le gouvernement provisoire de proclamer la liberté de la presse. Les jours suivants, les nouvelles de l'armée paraissent régulièrement. Malines est saccagée, les habitants ont pillé les maisons de fonctionnaires, Mons est calme, mais les villages sont parcourus par des bandes de pillards, les ouvriers charbonniers, venus du Borinage au nombre de 600, ont attaqué l'établissement Degorge, les machines ont été brisées, le logement de l'industriel pillé. Les ouvriers ont combattu les pillards parmi lesquels se trouvaient des agents provocateurs hollandais. D'autres désordres se sont produits à Jemappes, à Wasmes, à Solre ; des « étrangers » circulent à Mons... Le Courrier des Pays-Bas fournit à l'Echo du 24 octobre la nouvelle inquiétante d'un complot fomenté par Van Halen et ses aides de camp : ils ont été arrêtés et le gouvernement provisoire lance cette mise en garde : « Belges..., il faut désormais redouter les ennemis cachés, maintenir l'ordre, réprimer tout brigandage ». En novembre, le Congrès belge se réunit et prétend régler lui-même l'orga- nisation du nouvel Etat. Le 18, il décide l'indépendance, le 23, il choisit le régime monarchique ; le 24, il exclut la Maison d'Orange. Les libéraux français soutien- nent les décisions de ce Congrès ; en décembre, la gauche réclame l'annexion de la Belgique : le Général Lamarque le déclare à la tribune de la Chambre le 29 décembre (13). Sylvain Van de Weyer et H. Vilain Xllll sont désignés comme commissaires près de la conférence de Londres que domine Talleyrand. Celui-ci avoue - qu'il

(13) F. de Lannoy, Histoire diplomatique de l'indépendance belge, 1830-1839, Bruxelles, Dewit, 1930, in-8°, 395 p. était impossible que les Belges constituent une nation et qu'en travaillant à leur indépendance, il faisait une œuvre de circonstances destinée à disparaître avec elles ». Il proposa à Palmerston un projet de partage entre la Prusse, la France et la Hollande (14). Les rumeurs se poursuivent. L'Echo fait connaître que le prince Léopold de Saxe-Cobourg dément le bruit de sa candidature au trône de Belgique en alléguant son amitié pour le prince d'Orange. A Bruxelles, arrive le moment des honneurs et des récompenses. L'Echo du 6 janvier 1831 rapporte que huit bataillons de la Garde civique ont été passés en revue, une médaille d'honneur a été offerte au baron Vanderlinden de Hoogvoorst. Cependant, la campagne n'est pas terminée ; le même journal précise les mouvements de l'armée belge qui a franchi la Meuse. Le corps d'armée du géné- ral Mellinet (un volontaire français) s'approche de Maëstricht, Anvers est menacé. De nombreux Hollandais de la garnison désertent la citadelle, l'eau est corrompue, tout est mangé de vermine... On espérait que la Hollande lèverait le blocus de l'Escaut, mais rien ne se décide. Le 8 janvier, L'Echo revient sur la question brûlante du choix du chef de l'Etat. Les puissances réunies à Londres restreignent les possibilités. Les chances les plus probables sont en faveur d'un prince qui épouserait une fille de Louis-Philippe. En effet, le roi des Français ne pouvait imaginer sur le trône de Belgique le duc Auguste de Leuchtenberg, fils aîné d'Eugène de Beauharnais ; la Belgique serait devenue un foyer d'intrigues bonapartistes. De son côté. Palmerston ne pouvait tolérer l'élection du duc de Nemours que préparait Charles Bresson, l'agent français à Bruxelles. Les 10 et 13 janvier, l'Echo emprunte les nouvelles de la guerre au Courrier de la Meuse : les Belges progressent sous la direction du général Mellinet dans la région de Maëstricht, s'emparent de ravitaillement venu de Hollande. Le 14 janvier 1831, l'Echo retrace le déroulement du Congrès national au cours duquel on fait connaître la réponse négative de Louis-Philippe au choix du duc de Leuchtenberg. De nombreuses pétitions émanant de Mons, de Jemappes... demandent la réunion à la France sous le sceptre du roi des Français en conser- vant à la Belgique sa constitution particulière. Au Congrès, M. Blargnies, du Hainaut, estime cette solution inévitable et propose d'offrir la couronne à Louis- Philippe. Plusieurs députés appuient cette proposition ; d'autres soulignent qu'elle serait désavantageuse pour les deux pays sur le plan économique. Les candidatures du duc Jean de Saxe, d'Othon de Bavière, de Charles d'Autriche sont envisagées... L'Echo donne, toujours en janvier 1831, des nouvelles de la situation en Belgique, du Congrès national, de la Conférence de Londres. Le roi de Hollande ne lève pas le blocus de l'Escaut, ce qui indigne le peuple et provoque des pré- paratifs militaires en vue de la reprise des combats. La Belgique réclame, d'autre part, la possession de la Flandre hollandaise, de Maëstricht ainsi que l'adjonc- tion du Luxembourg. Sur le plan diplomatique, il fallut les qualités de et un concours de circonstance(s pour obtenir l'agrément du prince Léopold de Saxe- Cobourg, veuf de la princesse Charlotte d'Angleterre. La Cour de France était hostile à ce prince protestant et ami de l'Angleterre. Le premier projet de mariage entre Léopold et Marie-Louise remontait à 1829. Le duc d'Orléans l'avait

(14) H.L. Bulwer, Life of Palmerston, Londres, 1870, II, p. 69-101. rejeté jugeant le trône de Grèce mal assuré et ne souhaitant pas destiner sa fille au rôle humiliant de souveraine détrônée... En 1831, le maréchal Sébastiani menaça Gendebien, lors de sa mission à Paris, d'une guerre si le Congrès national choisissait Léopold comme souverain ! Talleyrand le considérait comme un « pauvre sire .. Quand, en décembre 1830, lord Grey, Palmerston et Talleyrand négocient la double opération de la couronne belge et du mariage français, le cabinet de Paris manifeste encore beaucoup de réticences. Louis-Philippe déclare aux envoyés belges : « Je connais le prince Léopold de Saxe-Cobourg. C'est un beau cavalier, un parfait gentilhomme, très instruit, très bien élevé... Mais..., il y a des répugnances de famille, des préjugés peut-être qui s'opposent à l'union projeté ». Mme Adélaïde confesse à Talleyrand, en janvier 1831 : « On ne voit en lui qu'un agent de l'Angleterre et, il faut le dire, il est d'une impopularité extrême ; s'il arrivait au trône en épousant une de nos petites, on regarderait cela comme une vente faite de ce pays à l'Angleterre ». (15) Léopold se trouva également en présence de machinations orangistes, d'émeutes ouvrières, de l'invasion de la Campine par l'armée hollandaise. Cette reprise des hostilités entraîna l'intervention du maréchal Gérard répondant à l'appel du nouveau souverain. Le siège d'Anvers fut une opération de grand Style qui sauva, pour la seconde fois, l'Etat belge né des deux vagues révolutionnaires d'août et de septembre 1830 (16). Ainsi, pendant cette révolution belge, l'Echo a été attentif. Il est informé des événements dans un délai de quatre à cinq jours et il leur accorde jusqu'à une page sur quatre. Son attention porte sur les événements présents, avec peu de références au passé et seulement quelque prospective limitée. Son aire d'infor- mation est réduite : les points d'émeute, les lieux de bataille sont en Belgique. Une seule mention est réservée à la Prusse. L'Angleterre n'est pas citée, encore moins le concert européen. Il emprunte ses éléments, avant tout, au Belge, parfois au Journal d'Anvers, au Politique de Liège, au Courrier des Pays-Bas, au Journal des Deux Flandres. Il insère accidentellement des lettres de notables et recueille des rumeurs (17).

Désormais, la question des rapports franco-belges demeure présente dans les journaux lillois. En 1838, lors de la crise belgo-hollandaise provoquée par Guillaume 1er qui n'avait toujours pas ratifié, malgré la seconde intervention du maréchal Gérard, le Traité des XXIV Articles élaborés en novembre 1831, les débats diplomatiques alimentent la presse lilloise. La Hollande occupait, en effet, les forts de Lille et de Liefkenshoek et la Belgique avait été autorisée à prolon- ger, en compensation, l'occupation du Luxembourg et du Limbourg. En 1838, Guillaume se décide à reconnaître le jeune royaume et Léopold 1er doit, en conséquence, rendre le Limbourg et le Luxembourg. Cette perspective déclenche

(15) L. Trenard, « Images de Belgique, Léopold et Salvandy » dans Revue du Nord, t. XLI N° 162, avril-juin 1959, p. 167-188. (16) Robert Demoulin, « L'influence française sur la naissance de l'Etat belge » dans Revue Historique, janvier 1960, p. 13-28. (17) Arthur Vermeersch, Répertoire de la presse bruxelloise (1789-1914), Louvain, Nau- welaerts, t. I, A-K, 1965 - Hermut Gaus et A. Vermeersch, op. cit., t. II, L-Z, 1968. une agitation patriotique dans toute la Belgique qui se met sur pied de guerre. Louis-Philippe, malgré l'opinion libérale française, malgré la campagne de Monta- lembert, refuse d'intervenir. Cette attitude valut de sévères critiques au cabinet Molé. Le traité du 19 avril 1839 fixa le statut international de la Belgique (18). Les relations demeurèrent toujours très étroites entre Paris et Bruxelles. Plus que le département des Affaires étrangères, c'est le cabinet du Roi qui adressait à Léopold des messages confidentiels. Ce prince, allemand de naissance, ancien généralissime russe, anglais par ses sympathies avait su se concilier toute la famille royale (19). En juin 1840, quand le marquis de Rumigny fut transféré de Madrid à Bruxelles, la légation fut élevée au rang d'ambassade. Le remaniement diplomatique s'explique par une stratégie parlementaire conduite par le ministre Thiers qui suscita des débats dans la presse fran- çaise (20). La crise d'Orient agitait les chancelleries. En mai 1840, Joseph Lebeau, Ministre des Affaires étrangères dans le cabinet Rogier-Liedts, fit part de ses inquiétudes à notre ministre plénipotentiaire, le générai Sérurier. Au moment du Traité du 15 juillet, dirigé contre la politique belliqueuse de Thiers. Léopold se trouvait à Paris. Thiers le menaça de « faire occuper la Belgique par une armée française » afin de marcher sur le Rhin. Légitimistes et radicaux réclamèrent une guerre de propagande. Des manifestations patriotiques se produisirent à l'automne à Lille, au chant de la Marseillaise, à Valenciennes où un acteur chanta Amour sacré de la Patrie, à Amiens où l'on joua , à Arras où Frédéric Degeorge, rédacteur du Progrès du Pas-de-Calais, déclara que la bourgeoisie s'unirait « au peuple afin d'éviter les fautes et le sort de l'ancienne aristocratie » (21). Léopold 1er resta prudent et s'efforça d'être conciliant à Londres et à Saint-Cloud (22). En ouvrant la session parlementaire, en novembre 1840, Léopold proclama l'attachement de la Belgique à la politique de neutralité (23). Oubliant l'attitude de la France Ions de la crise de 1838, certains hommes politiques français taxèrent Léopold d'ingratitude... En cet automne 1840, Guizot avait constitué ce « ministère du 29 octobre )J qui allait assurer à la Monarchie de Juillet une durable stabilité (24). La crise passée, Louis-Philippe espérait que, par réciprocité, Léopold créerait une ambas- sade à Paris. Le Hon et surtout la comtesse qui tenait un 'saton renommé, désiraient cette promotion. Mais Joseph Lebeau qui dirigeait les relations extérieures belges, craignit les réactions de la part de Vienne, de Berlin et surtout de Londres. Il expliqua que « la petite Belgique ", pay(s industriel et quel- que peu bourgeois, avait besoin de chargés d'affaires laborieux et instruits à

(18) Revue rétrospective, Paris, 8, il, 18 décembre 1838, p. 331. (19) H. d'Ursel, La Cour de Belgique et la Cour de France de 1832 à 1850. Lettres intimes de Louise-Marie d'Orléans, première reine des Belges, au roi Louis-Philippe et à la reine Marie-Amélie. Paris, Plon, 1933, 8", 11-323 p. (20) Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1840, p 1045 ; - Le Commerce, 16, 27 et 28 juin 1840, - Journal des Débats, 19 et 28 juin 1840. (21) Constitutionnel, 14 oct. 1840. - National, 15. 16, 17, 23 octobre 1840. - Journal des Débats, 21 octobre 1840. (22) F. de Lannoy, Histoire diplomatique..., p. 127. (23) Journal des Débats, 12 novembre 1840. - C. Bronne, Léopold 1er et son temps. Bruxelles Goemaere, 1942, in-41, 367 p. (24) Thureau - Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet, t. IV. La crise de la politique extérieure, mai 1839 - juillet 1841, Paris ; Plon, 1887. Paris plutôt que de seigneurs. Ce n'est qu'en 1842 que le prince Eugène de Ligne fut nommé ambassadeur de Belgique en France (25). Cette année 1840 fut fertile en événements qui troublèrent les relations franco-belges. Les deux souverains envisagèrent un projet d'union douanière, à tout le moins un traité commercial entre la France et la Belgique. La révolution de 1830 avait mis l'économie belge dans une situation difficile. Par esprit dynas- tique et par souci de l'équilibre européen, Louis-Philippe souhaitait affermir l'industrie belge. En 1836, le comte Duchâtel, ministre du Commerce, élabora un projet d'union douanière complète. La Belgique I ajourna et se contenta d'abaisser certans tarifs. En 1839, le maréchal Soult, docile aux inspirations diplomatiques de la couronne, reprit les négociations. Impressionné par les manœuvres allemandes à l'égard de la Belgique, Sérurier estimait que le meilleur moyen d'y parer était de développer les relations commerciales franco-belges. En janvier 1840, les pourparlers s'engagèrent entre le Hon et les deux plénipoten- tiaires français : La Belgique proposait un abaissement des droits laissant subsister l'autonomie douanière des deux pays ; la France préférait l'union douanière (26). Une partie de l'opinion française était hostile à cette convention. Les indus- triels du Nord de la France s'affirmaient protectionnistes, voulant se garantir contre l'exportation des fils et des toiles de lin belges. Vers 1838, cette exporta- tion représentait la moitié des ventes belges vers la France. Le ministre du Commerce, Martin du Nord, institua une Commission d'enquête qui conclut à la nécessité de porter les droits, sur les fils belges de 5 à 12 % et sur les toiles à 50 %. En 1840, Laurent Cunin qui avait épousé, lorsqu'il était ouvrier la fille de son patron Gridaine, manufacturier à Sedan, et qui était devenu député des Ardennes, puis ministre du Commerce, transmit les protestations des manu- facturiers de Lille et de Valenciennes (27). Malgré cette opposition, Louis-Philippe se montra disposé à ouvrir le marché français aux produits belges, à condition que la ligne des douanes fut suppri- mée entre les deux pays et que le tarif français fut établi isur les autres fron- tières belges. Le roi persuada Thiers de l'avantage des traités commerciaux ; en mai, Thiers fit préparer un nouveau projet pouvant conduire à l'union commer- ciale ; en juin, le ministre défendit le projet de chemin fer franco-belge (28). Après la constitution du cabinet Guizot, le dossier de l'unité douanière fut rouvert. Les industriels de Liège, de Verviers, de Mons dont les affaires languis- saient, recherchaient de nouveaux débouchés. Léopold conseilla à Le Hon de reprendre contact avec Duchâtel, ministre de l'intérieur, en vue d'établir un accord commercial, sans aller jusqu'à l'union (29).

(25) Carlo Bronne, Le comte Le Hon et l'ambassade de Belgique à Paris, Bruxelles, Renaissance du Livre, 1951, in-16, 208 p. - T. Juste, Le comte Le Hon, Paris, Rein- wald, 1867, in-8°, XV-236 p. - M. Huismann, « Une ambassade de famille sous la Monarchie de Juillet », dans Mélanges Pirenne, 1926, p. 231-244. (26) E. Discailles, Un diplomate belge (Firmin Rogier) à Paris, de 1830 à 1864, Bruxelles, Hayez, 1908, in-4° ; 669 p. (27) H. Deschamps, La Belgique devant la France de Juillet, 1956, p. 109-116 ; p. 158-160. (28) Pierre Renouvin, Histoire des relations internationales, Paris, Hachette, t. V. 1954, p. 122. Le Commerce, 10 juin, 13 et 17 juin 1840. (29) T. Juste, Les fondateurs de la Monarchie belge, Léopold 1er, Bruxelles, Muquardt. 1866, t. II., p. 326. Les industriels contribuèrent ainsi à fixer la frontière franco-belge et à ruiner les visées d'annexion. Les manufacturiers du textile bénéficiaient de l'appoint des frontaliers et demandaient à l'Etat de les protéger contre la concurrence belge et anglaise. Comme l'annexion, le projet d'union douanière aurait effacé la frontière économique (30). En dehors de ces questions diplomatiques et économiques, les « images de Belgique » dans la presse française, spécialement dans les feuilles lilloises, décrivent la situation du royaume. Le Propagateur du Pas-de-Calais publie un compte rendu détaillé d'un opuscule intitulé La Libre Belgique ; Edouard Lemoine, dans le Siècle du 19 décembre 1839, se moque des prétentions flamandes. Le mouvement flamand est alors méconnu en France ; selon Sérurier, c'est « le renouvellement un peu ridicule de la tentative du roi Guillaume » ; en avril et juin 1840, le Temps, de Dufaure et de Passy, raille ce jeu d'antiquaire derrière lequel il croit découvrir une intrigue germanique et une infiltration prus- sienne (31). Un autre thème, cher à l'Echo du Nord, se rapporte aux croyances reli- gieuses. Il développe des propos voltairiens sur les formes populaires de la piété et sur la crédulité dont abusent les prêtres. Ainsi, le 13 mars 1845, il dénonce une invasion des Pères « qui dominent toute la Belgique ». Venus de Tournai, ils prêchent une mission dans la région lilloise, recommandent la dévo- tion de la Vierge, affirment que, pour obtenir sa médiation, il suffit de porter un scapulaire et une médaille (32). La question de la liberté d'enseignement permet aussi à l'Echo de décrire la situation scolaire de la Belgique. Une rubrique du Journal s'intitule « La liberté comme en Belgique », reprenant ce titre au périodique lancé en janvier 1844 par le marquis de Régnon. L'expression est ambiguë pour ce publiciste nantais comme pour les catholiques libéraux de France. Ce qui caractérise le régime scolaire belge depuis l'été 1830, c'est l'absence de lois préventives : pas d'autorisation préalable, pas de brevet de capacité, pas de certificat de moralité... Seules existent les lois répressives (33). En réalité, en Belgique, la loi sur l'enseignement primaire, datant de mars 1843, est moins libérale que la loi Guizot. L'Etat imposait aux communes l'entre- tien d'une ou plusieurs écoles sur lesquelles le clergé gardait un droit de surveillance. Les communes pouvaient officialiser une école privée, c'est-à-dire, en fait, catholique. Quant à l'enseignement moyen, il ne bénéficiait pas de liberté et l'enseignement supérieur avait été organisé au temps de l'unionisme ; au moment où les catholiques employaient cette formule : « La liberté comme en Belgique » pour appuyer leurs revendications, l'Alliance libérale et constitution- nelle, dirigée par Verhaegen, formée de doctrinaires défiants à l'égard des prêtres, triomphait aux élections de 1847.

(30) Firmin Lentacker, La frontière franco-belge. Etude de géographie des effets d'une frontière internationale sur la vie de relation, Thèse Paris, 1973. (31) H. Deschamps, « La France de Juillet et le mouvement flamand », dans Actes du Congrès de littérature comparée, Lille, 1958, Paris, Didier, p. 74-86. (32) Louis Trenard, « Aspects de la presse lilloise, 1845-1848 » dans Revue du Nord. N° 172, octobre-décembre 1961, p. 319-348. (33) Marquis de Régnon : « Qu'il ne peut y avoir de liberté d'enseignement en France qu'autant qu'elle sera basée sur le principe constitutionnel, comme l'est la Belgique », 27 février 1843, 7 p. ; « Que la liberté d'enseignement ne peut ^se produire que dans un seul mode qui est celui de la Belgique », Nantes, 8 avril 1843, 16 p. L'Amienois François Genin reprend alors ce titre de façon parodique, La liberté comme en Belgique (ou l'Eglise et l'Etat), pour réveiller, par un pamphlet, l'hostilité contre les Jésuites, contre les congrégations, contre le parti- prêtre, comme en 1827 (34). Les passages, extraits de ce livre et publiés dans l'Echo, montrent l'esprit rétrograde du clergé beige : dans un manuel imprimé à Tournai, Napoléon est présenté comme un apostat, un intrigant sans moyens, une bête féroce. Les séminaristes du diocèse de Malines étudient de's thèses proclamant le bien-fondé du tyrannicide à l'égard du prince hérétique. Le caté- chisme de Namur déclare que la dîme est due sous peine d 'excommunication. Depuis la loi de 1835, l'enseignement supérieur est libre en Belgique, cela signifie, ajoute l'Echo, le monopole sans surveillance aux mains du clergé. Le journal cite, d'une manière équivoque, les déclarations de l'évêque de Liège réclamant, pour l'Eglise, « le monopole de l'enseignement religieux et moral », un droit de regard sur les nominations de professeurs, principalement en philo- sophie. Cette direction morale conduit, en réalité, au monopole de l'Instruction assuré par l'Egliise. Le clergé transforme l'ancienne Université de Louvain, qui appartenait à l'Etat, en institution catholique sous l'autorité épiscopale. Les collègues ne peuvent résister à la concurrence des étab'issements religieux plus richement dotés. Ainsi, au nom de la liberté d'enseignement, l'Eglise est devenue, en Belgique, la tutrice de tout l'ensemble scolaire. Il n'est pas de tutelle plus oppressive. « La liberté comme en Belgique, conclut Genin, c'est le despotisme exercé par les clercs ». Sur ce thème, s'engage une polémique dans le Pas-de- Calais, entre Lantoine-Hardouin, candidat libéral aux élections de 1838 et Degeorge, le rédacteur du Progrès (35). Lors de la crise de 1846, la Gazette de Flandre se montre très attentive à la question des ouvriers flamands travaillant en France ; elle commente leur détresse et évoque les mendiants belges (36). L'affaire de Risquons-tout, près de Mouscron, le 30 mars 1848, fut aussi retentissante à l'époque (37).

On le sait, la presse est à la fois reflet d'une opinion et motivation de cette opinion. L'Echo du Nord ne peut être considéré comme un facteur important agissant sur les relations franco-belges à la veille de l'indépendance, durant la révolution libératrice, au cours des crises qui jalonnèrent le règne de Léopold. Le journal lillois a néanmoins informé les notables du Nord sur la naissance de l'Etat belge, a proposé des exemples utiles pour la politique française, a même contribué, par son insistance, à faciiiter les rapports entre la France du Nord et la Belgique, maintenant, par là, une tradition tenace.

(34) Louis Trenard, Salvandy en son temps (1795-1856), Lille, Giard, 1968, in-8°, 944 p. (35) Echo du Nord, 27 mai 1847, 3 décembre 1847. - Messager du Nord, 31 octobre 1847.- Louis Trenard, « Aux origines de la déchristianisation : le diocèse de Cambrai, de 1830 à 1848 » dans Revue du Nord, XLVII, N° 186, juillet-septembre 1965, p.399-460 (36) Gazette, 27 février, 15 mai, 16 octobre 1846 ; 10 avril ; 3 mai 1847. - Firmin Lan- tacker, « Les ouvriers belges dans le département du Nord » dans Revue du Nord N° 149, janvier-mars 1956, p. 5-14. (37) Messager du Nord 28 mars, 5 avril 1848. - Echo du Nord, 30 mars. - Gazette de Flandre, 28 mars, 1er avril 1848.

LEOPOLD 1er ET LA FRANCE AU LENDEMAIN DU COUP D'ETAT DU 2 DECEMBRE Jean Stengers, Professeur à l'Université de Bruxelles.

La prise du pouvoir par Louis-Napoléon fut accueillie en Europe par ce que l'on pourrait appeler, en s'inspirant du langage des comptes rendus parlemen- taires, des mouvements divers. Au lendemain du coup d'Etat du 2 décembre, et dans les mois qui suivent, on peut discerner, en gros, trois réactions psycholo- giques majeures. L'admiration, tout d'abord, voire même la reconnaissance, dans les milieux conservateurs - et souvent dans des milieux plus larges encore - pour le restaurateur de l'ordre, pour l'homme qui, grâce à son énergie, a débarrassé la France des périls du socialisme. Tous les souverains d'Europe, pour ne citer qu'eux, communient dans ce sentiment. A l'opposé, on rencontre un sentiment de réprobation, d'horreur même dans certains cas, à l'égard de l'homme qui a violé son serment, qui a tué les libertés de son pays, qui a massacré ou déporté des opposants à son régime. C'est notamment dans des organes de la presse anglai- se, le Times en tête, que cette aversion s'exprime avec le plus de force. Troisiè- me réaction enfin : la peur de voir le neveu reprendre à son compte les rêves impériaux de l'oncle, et mettre ainsi en danger la paix du continent. Ce troisième sentiment se combine aisément avec le second, mais il accompagne aussi fort fréquemment le premier. Beaucoup, face à Louis-Napoléon, éprouvent à la fois de l'admiration et de l'appréhension, à un degré presque égal. Le tsar Nicolas 1er, en Russie, offre à cet égard la meilleure illustration. Nicolas salue avec chaleur, dans le Prince-Président, « le vainqueur de la démagogie, le représentant de l'ordre en France, l'expression d'un gouvernement fort » (1) ; il met cepen- dant autant de vivacité dans l'expression de ses craintes : il est prêt, dit-il, à « tirer l 'épée » si Louis-Napoléon viole le statu-quo européen. En Belgique, les réactions de l'opinion traduisent, dans l'ensemble les mêmes tendances. Le prince de Ligne, dans une lettre du 16 décembre 1851 adressée au chef du cabinet belge, , lui explique que, par son coup d'Etat, « le Pré- sident a rendu un immense service à l'humanité, car il s'agissait de la lutte de la barbarie contre elle » (2). Ceci est écrit par un libéral - un libéral fort modéré, cela va de soi -, mais l'hommage rendu à Louis-Napoléon sera surtout vif dans les milieux catholiques. On formule des réserves, sans doute, au sujet de certains procédés du Prince-Président, mais on considère qu'il a fait sortir la

(1) Le Vicomte de Jonghe au ministre des Affaires étrangères, Saint-Pétersbourg, 14 juillet 1852 ; Bruxelles, Archives du Ministère des Affaires étrangères (abrégé désormais en AEB), Correspondance politique, Légations, Russie. (2) E.p. 374.DISCAILLES, Un diplomate belge à Paris de 1830 à 1864, Bruxelles, 1908, France d'une route qui, suivant l'expression du Courrier de l'Escaut, « aboutissait à d'horribles précipices » (3). Louis-Napoléon gouverne, écrit le Journal des Flandres, « et voilà que tout s'organise, que tout revient à l'ordre » (4). Et le même journal de s'écrier : « Nous ne pouvons méconnaître le doigt de Dieu qui rend enfin le repos à la France et l'espérance et la tranquillité à l'Eu- rope » (5). Ces sympathies, du côté catholique, s'accentueront encore par la suite au spectacle des excellentes relations que le nouveau régime entretenait avec l'Eglise : on en venait parfois à envier les Français d'avoir un tel gouverne- ment, alors que l'on subissait en Belgique la domination des libéraux. Ces senti- ments étaient si marqués qu'ils conduiront certains, à l'étranger, à penser que les catholiques belges étaient prêts à se donner à la France. Léopold 1er, dans une lettre de novembre 1852, signale et déplore « l'idée qui s'est répandue en Europe qu'ils désiraient se trouver sous le sceptre de Napoléon III » (6). Idée fausse, certes, née de la méconnaissance de ce qu'était le sentiment national belge, mais que justifiaient apparemment certaines manifestations de sympathie politique. L'antipathie, elle, se trouve bien entendu surtout du côté libéral. Chez un grand nombre de libéraux, sans doute, elle se tempère du soulagement que leur inspire le rétablissement en France d'un régime d'ordre, mais chez certains, et notamment chez les libéraux avancés, elle s'exprime sans aucun détour : Louis- Napoléon est avant tout, pour eux, l'assassin des libertés publiques. On le flétrit. Ce qui, cependant, s'affirme en Belgique sans doute plus que partout ailleurs -en raison de la situation même du pays - est un sentiment de crainte : on redoute en Belgique une tentative d'annexion. Après les quelques généralités que nous venons d'énoncer très rapidement, nous aimerions, à propos de ces craintes d'annexion, entrer dans une analyse plus fine et plus détaillée. La tâche est malheureusement très malaisée. La presse, vers laquelle on se tourne avec le plus d'espoir lorsqu'on étudie un phénomène d'opinion, se révèle en l'occurence une source franchement insuffi- sante. Les intentions prètées à la France, et qui suscitent la peur, ce sont avant tout, on le sent fort bien, des bruits qui courent, des rumeurs qui circulent, des nouvelles qui viennent parfois d'on ne sait où et que l'on se répète. A la Bourse, notamment, tout cela se transmet de l'un à l'autre et crée de temps à autre de petits bouillonnements. Mais à ces rumeurs, à ces bruits divers, les journaux, qui se veulent en général sérieux, ne font écho que de manière sporadique. Ce n'est donc pas en les lisant que l'on peut saisir de manière adéquate la rumeur publi- que. Quand des craintes sont attestées dans l'opinion, d'autre part, quelles couches de l'opinion atteignent-elles ? A prendre au pied de la lettre certains textes du temps, on pourrait imaginer qu'elles pénétraient dans presque tous les foyers. Le ministre de France à Bruxelles, en février 1852, parle d'une « véritable panique » qui s'est « emparée des esprits », d'une inquiétude qui

(3) Courrier de l'Escaut, 22 décembre 1851. (4) Journal des Flandres, 20 janvier 1852. (5) Id., 2-5 janvier 1852. (6) Léopold 1er à Conway, II novembre 1852 ; Bruxelles, Archives des Palais Royaux, Papiers Conway, n° 9. Le 8 novembre, le Roi écrit de même à Conway, en parlant du parti catholique : « On le suspecte dans la plupart des pays qui nous intéressent de vouloir nous vendre à la France » (Ibid.). Le 31 décembre, il note encore dans une lettre à Metternich : « Das Ausland hat sich die Ansicht gebildet, als neigten sich unsere Catholiken Frankreich zu » ; Bruxelles, Archives Générales du Royau- (abrégé désormais en AGR), Acquisitions de la 4" section, n° 212. règne « dans les masses » (7). Un journal de la capitale, à la même époque, signale que les bruits qui ont été « colportés dans nos villes » au sujet des projets de la France « inquiètent les populations » (8). Par recoupement, on peut cependant apercevoir que ces expressions rendent très mal compte de la réalité. Charles Rogier, dans un entretien avec le ministre d'Angleterre, à la fin du mois de janvier, limitait le sentiment d'appréhension aux « upper classes » (9). Mais si « the upper classes » était peut-être trop restrictif, tandis que « les popula- tions » en général était manifestement exagéré, dans quelle partie du public les bruits alarmistes créaient-ils réellement une angoisse ? La question reste prati- quement sans réponse. Au-delà de ces incertitudes, décrivons les traits qui se détachent le plus nettement. Si l'on considère la période de quinze mois environ qui suit le coup d'Etat du 2 Décembre - qui est la période que nous adoptons comme cadre chro- nologique de notre étude - on aperçoit fort bien qu'à deux moments, les inquié- tudes, dans l'opinion, ont atteint un degré particulier d'acuité : une première fois à la fin de janvier et en février 1852, une seconde fois à la fin de décembre 1852 et au début de 1853. Le premier moment est celui où se situent les textes que nous venons de citer il y a un instant. Ils sont confirmés par diverses autres sources. « Our people are so convinced that Louis Napoleon will try a 2nd of December on us, that they cry out for more efficacious military protection », écrit Léopold 1er à la Reine Victoria le 2 février 1852 (10). « Le pays est fort inquiet à l'idée qu'une agression inattendue pourrait avoir lieu », mande-t-il le 7 février à Schwarzenberg (11). Le ministre des Etats-Unis à Bruxelles note de son côté, le 4 février, que « the feeling of distrust and apprehension » s'est accentué (12). Le 18 février, le Journal d'Anvers signale que « depuis quelques jours, les bruits de guerre répandus à profusion, colportés dans les lieux publics,... causent un préjudice considérable au mouvement des affaires » (13). Ces appréhensions trouvent leur origine, pour une part tout au moins, dans ce qui se dit et ce qui s'écrit dans le pays même. Ce qui se dit : beaucoup de réfugiés français - et il en arrive en nombre en Belgique - tiennent des propos inquiétants au sujet des intentions agressives de Louis-Napoléon. Ils savent, déclarent-ils, que la Belgique est menacée (14). Un

(7) Le Duc de Bassano à Turgot, 20 février 1852 ; Archives du Quai d'Orsay (abrégé désormais en AEF), Correspondance politique, Belgique. (8) Journal de Bruxelles, 16 février 1852. (9) « M. Rogier told me that there existed a strange, but strong apprehension pretty generally in the upper classes, that some fine morning they should on awakening find that the country » se trouvait aux mains « of a French army » ; lettre privée de Howard de Walden à Lord Granville, 29 janvier 1852 - Londres, Public Record Office (abrégé désormais en PRO), Papiers Granville, P.R.O. 30/29/20/5. (10) Windsor, Royal Archives (abrégé désormais en RA), J 73, n° 4. Les documents des Archives royales britanniques sont utilisés avec la gracieuse permission de S.M. la Reine Elisabeth II. (11) Dans A. DE RIDDER, Le mariage du Roi Léopold Il, Bruxelles, 1925, p. 277. (12) Bayard à Webster, 4 février 1852 ; AEB, microfilm des dépêches des ministres des Etats-Unis à Bruxelles. (13) « Tous les bruits sont à la guerre », répète le Journal d'Anvers le 20 février 1852. (14) D'Hoffschmidt, ministre des Affaires étrangères, à Henri de Brouckère, 5 janvier Turgot,1852, AEB, dépêche Correspondance déjà citée du politique,20 février Légations, 1852. Italie, Sardaigne ; Bassano à homme comme Thiers, avec toute l'autorité qui s'attache à son nom, sème l'alarme auprès de ses hôtes belges (15). Ce qui s'écrit : deux quotidiens bruxellois, la Nation et le Messager des Chambres, dès le lendemain du coup d'Etat, clament leur conviction - le coup d'Etat, c'est l'Empire, et « l'Empire français, c'est l'invasion de la Belgique » (16). Sans relâche, durant les semaines qui suivent, ils vont dénoncer le péril. « L'ennemi », répètent-ils, « est à nos portes » (17). Pour eux, la logique même du système despotique veut que, après le coup d'Etat à l'intérieur, vienne le coup d'Etat à l'extérieur, la conquête offerte à l'armée. Ces voix, sans doute, sont entendues, mais il ne faut pas s'exagérer leur importance. La Nation et le Messager des Chambres, organes démocratiques avancés, n'ont qu'une audience très restreinte, et on peut même dire du Messager des Chambres qu'il a un caractère presque confidentiel (18). Le langage de ces journaux avancés n'est pas repris dans le reste de la presse. Les réfugiés français, d'autre part, ne peuvent formuler leurs mises en garde que dans des conversations privées ; ils risqueraient sans cela l'expulsion. Ce n'est pas un mode de diffusion particulièrement puissant. Tout indique, en fait, que la principale source des alarmes se situe, non pas en Belgique, mais à Paris : c'est à Paris que les bruits les plus inquiétants circulent, et ils se répercutent en Belgique. Ces bruits se concrétisent sous forme d'une nouvelle qui aura un impact particulier, car son apparente précision frappera les esprits : le décret d'annexion, dira-t-on, est prêt à être publié. Cette légende du « décret » qui, née à Paris, a fait le tour de l'Europe, en passant tout spécialement par la Belgique, mérite d'être analysée car elle est caractéristique de la rumeur publique du temps. La première mention que nous en ayons relevée se trouve dans le Constitu- tionnel de Paris du 18 janvier 1852. Le journal raille les « nouvellistes » qui, en France, croient pouvoir annoncer de quel côté se dirigera « l ambition conqué- rante de Louis-Napoléon ». « Ceux-ci assurent qu'on va opérer par un décret l'annexion de la Belgique à la France ; ceux-là, qu'il s'agit de reprendre les fron- tières du Rhin ». Ces « prétendues informations », souligne le Constitutionnel, ne sont que des « inventions ridicules » (19). Mais ces « informations » vont continuer à courir - oralement, cela va de soi, car il ne reste pas de liberté aux journaux autre que celle de publier des démentis. Un correspondant parisien de la Nation, le 25 janvier, signale que « la nouvelle d une entreprise sur la Belgique est très répandue à Paris. On y donne même des détails sur la façon dont on procédera » (20). Le 11 février, deux lettres envoyées, toujours de Paris, au

(15) Nous reviendrons un peu plus loin, avec plus de détail, sur cette attitude de Thiers (16) La Nation, 5 décembre 1851. (17) Messager des Chambres, 15 janvier 1852. (18) « Le Messager des Chambres est un journal presque sans abonnés et sans aucune autre ressource », écrit le ministre de la Justice, Tesch, le 18 février 1852 (H. WOUTERS, Doci,inienteii betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging, 1831-1853, t. 11, Louvain-Paris, 1963, p. 1036). M9Ï Constitutionnel 18 janvier 1852, sous la signature de F. Boilay. Cet article est (19) reproduit dans divers journaux belges, et notamment dans le foumal de Bruxelles du 19 janvier et dans le Moniteur belge (partie non officielle) du 20 janvier. (20) La Nation, 27 janvier 1852. même journal, reprennent l'une et l'autre la nouvelle du décret. « On me dit à l'instant », écrit le premier correspondant, « qu'un peu avant la fermeture de la Bourse, le bruit s'y est propagé que le décret mystérieux, dont il a été tant question, portant réunion sans autre forme de procès de votre pays à la France, allait enfin paraître au Moniteur. Les porteurs de la nouvelle ajoutaient qu'on avait député M. de Morny auprès du Président de la République pour essayer de le faire revenir sur cette décision ; mais M. de Morny n'aurait pu y réussir 1) (21). Et le second correspondant : « On dit que M. Louis-Napoléon voudrait pro- mulguer le décret portant réunion de la Belgique à la France » (22). Une corres- pondance de Paris publiée dans le Messager des Chambres du 15 février est encore plus circonstanciée. « Les bruits de projets hostiles à votre pays ont repris cours avec une force qu'ils n'avaient pas encore eue jusqu'à présent. L'armée n'attend qu'un signal pour entrer en campagne... On assure même que le décret de réunion avait déjà été envoyé au Moniteur pour paraître le jour où les troupes françaises feraient leur entrée à Bruxelles. Ce décret était conçu dans les termes suivants : Article premier : La Belgique est réunie à la France. Article deux : Le ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret... Ce décret n'a pas paru au Moniteur. Quelques ministres sont inter- venus et ont fait provisoirement ajourner la mesure jusqu'aux premiers jours du printemps. Cependant, on m'assure que le décret a été composé au Moniteur et que quelques rares épreuves en ont circulé » (23). Des correspondants de la presse anglaise à Paris recueillent les mêmes bruits. C'est la chute de Lord Palmerston, mande-t-on au Morning Chronicle, qui a forcé le Prince-Président à abandonner « the summary mode of annexing to France, which he had at first contemplated, by means of a simple decree inserted in the Moni- teur » (24). L'écho qu'ont ces informations à Bruxelles est attesté par quelques lignes que l'on trouve dans l'Emancipation du 15 février. « Depuis plusieurs jours », écrit le journal, « il n'est bruit en ville que de la réunion de la Belgique à la

(21) La Nation, 12 février 1852. (22) Ibid. Le 12 février, un des correspondants mande de Paris : « Les nouvelles et les bruits sur la Belgique circulent toujours » (La Nation, 13 février 1852). (23) Messager des Chambres, 15 février 1852. Le ministre de Belgique à Paris, Firmin Rogier, recueille au même moment le texte d'un décret en deux articles annexant non seulement la Belgique, mais aussi la Savoie et les provinces rhénanes. L'article 2 continue à charger le ministre de la Guerre de l'exécution du décret (cf. dépêche de Rogier du 15 février, dans A. DE RIDDER, Le mariage du Roi Léopold II, op. cit., p. 10). Rogier est cependant le seul à avoir eu vent de cette extension géographique. Le décret dont, à part lui, les contemporains entendent parler, ne concerne que la Belgique. (24) Morning Chronicle, 13 février 1852. Le correspondant du journal précise un peu plus tard : « Many believe that the decree for the annexation of Belgium to France was actually signed, and would have appeared on the same day with the equally unjustifiable decrees for the confiscation of the possessions of the Orléans family, had it not been for the earnest and unanimous remonstrances of ail those who enjoy the rather doubtful honour of being made the confidants of Louis Napoléon » ( Morning Chronicle, 23 février 1852). Le « rather doubtful honour », on le notera, révèle suffisamment les sentiments du correspondant ; celui-ci, Thomas Fraser, sera d'ailleurs menacé d'expulsion en juin 1852 ; il sera sauvé, comme deux de ses confrères, le correspondant du Daily News et celui du Morning Advertiser, par une intervention personnelle de l'ambassadeur de Grande-Bretagne (cf. les dépêches de Cowley à Malmesbury des 9 et 11 juin 1852 ; PRO, F.O. 27/934). L'ambassadeur, Lord Cowley, le décrit comme « a sour ill-conditioned fellow as ever lived » (lettre privée à Malmesbury du 11 juin 1852 ; Winchester, Hampshire Record Office, Malmesbury Papers, 9 M 73). Voir une courte notice sur Fraser dans F. BOASE, Modern English Biography. t. I, 1892, col. 1102. France : le décret est prêt, dit-on, il n'y a plus qu'un ou deux ministres qui s'y opposent » (25). Les autorités, en France, vont s'émouvoir et réagir. Le 16 février, un organe très bonapartiste, le Pays, dément la fable à ses yeux extraordinaire selon laquelle « une nationalité se serait ainsi purement et simplement escamotée dans l'espace d'une signature ". Le lendemain, le 17 février, à un bal de l'Elysée, le Prince-Président aborde la femme du ministre de Belgique, Mme Firmin Rogier, et lui fait part de la préoccupation que lui causent les bruits « absurdes et calomnieux » qui courent au sujet de son attitude à l'égard de la Belgique. D'où viennent ces bruits, demande-t-il ? « N'auraient-ils pas leur source », répond Mme Rogier, « dans certain décret en deux articles qui, au dire des fauteurs de nouvelles, devait apparaître un de ces matins au Moniteur ? C'est absurde, je vous l'accorde, Monseigneur, mais enfin, on s'en est fort préoccupé, et à la Bourse, chaque jour on en exploite l'éventualité ". Là-dessus le prince, avec vivacité : « Un décret ! mais est-ce donc par décret qu'on s'empare d'un royau- me ? Il faut y mettre un peu plus de façon, je pense. Et pourquoi donc tenterais- je de prendre la Belgique ? La France n'est-elle pas assez grande, et n 'avons- nous pas assez à faire à l'intérieur, sans songer à chercher querelle à l'exté- rieur ? » (26). Le 18 février enfin, un démenti officiel et solennel, proclamant les intentions pacifiques de la France, est inséré dans le Moniteur. « Toutes les vues du pouvoir ", déclare-t-il, « sont tournées vers les améliorations inté- rieures » (27). Ce que l'on sait aujourd'hui de la politique du Prince-Président, dans les semaines qui ont suivi le coup d'Etat, permet de confirmer ce démenti. On ne trouve pas trace, dans cette politique, d'une initiative belliqueuse à l'égard de la Belgique. L'histoire du décret paraît bien relever, purement et simplement, de la fable (28). Encore faut-il essayer de comprendre comment cette fable a pu naître.

(25) Emancipation, 15 février 1852. Voir aussi au sujet de ces bruits ce qu'écrira ultérieurement G. ROTHAN, L'Europe et l'avènement du Second Empire, Paris, 1890, p. 328 n. 1 : « On cédait à Bruxelles, au lendemain du coup d'Etat, aux craintes les plus folles ; on s'attendait à voir paraître au Moniteur, d'un instant à l'autre, un décret proclamant l'annexion de la Belgique à la France. Un publi- ciste éminent, M. de Laveleye, raconte qu'on allait jusqu'à certifier que le Roi et le rédacteur en chef de l'Indépendance avaient reçu copie du décret ». (26) Dépêche de Firmin Rogier du 18 février 1852, dans A. DE RIDDER, Le mariage du Roi Léopold II, op. cit., p. 24-25. Le général de Saint-Arnaud, au cours du même bal, parle aussi à Mme Rogier des bruits relatifs au décret, et s'en gausse. « L'idée est impayable », dit-il (A. DE RIDDER, op. cit., p. 26). (27) Moniteur universel, 18 février 1852. (28) Voir notamment dans ce sens E. OLLIVIER, l'Empire libéral, t. III, Napoléon III, Paris, 1898, p. 158 ;V. DURUY, Notes et souvenirs, 1811-1894, t. 11, Paris, 1901, p. 120-121 ; J. GARSOU, Les relations extérieures de la Belgique, 1839- 1914, Bruxelles, 1946, p. 22 n. 23. Le seul document, dans la question, que l'on pourrait éventuellement juger trou- blant, est une lettre adressée en 1869 par l'écrivain Louis Viardot - l'époux de la célèbre cantatrice Pauline Viardot - à Etienne Arago. Viardot. après avoir donné à son correspondant des nouvelles des succès de sa ^ femme, écrit . « D'occasion, voulez-vous, mon cher ami, raconter à M. Fréd(éric) Morin une anecdote qui lui fournira une nouvelle preuve des dispositions impériales envers la Belgique. C'était peu après le coup d'Etat du 2 décembre, et avant le décret qui dépouillait les princes d'Orléans. M. de Morny était ministre de 1 Inteneur. Un soir, sans doute après quelque dîner au vin de Champagne, le président- dictateur envoya au Moniteur un décret ainsi conçu : Art. 1er : La Belgique est réunie à la France. Art. 2 : Le ministre de la guerre est charge de l execution du présent décret. M. Grün (alors directeur du Moniteur), épouvanté d avoir PUBLICATIONS DU CENTRE DE RECHERCHES RELATIONS INTERNATIONALES DE L'UNIVERSITE DE METZ

1. — Metz en 1870 et les problèmes des territoires annexés 1871-1873 (Actes du Colloque de Metz, 6-8 novembre 1970) Metz, 1972, 136 pages, prix : 20 francs. 2. — Jean-Claude Delbreil : Les catholiques français et les tentatives de rapprochement franco-allemand (1920-1933) Metz, 1972, 254 pages, prix : 40 francs.

3. — Travaux et Recherches 1972, Metz, 1973, 280 pages. Prix : 40 francs.

4. — Travaux et Recherches 1973/1, Metz, 1973, 190 pages. Prix : 30 francs.

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6. — Problèmes de la Rhénanie 1919-1930. Die Rheinfrage nach dem Ersten Weltkrieg. (Actes du Colloque d'Otzen- hausen, 14-16 octobre 1974) Metz, 1975, 132 pages. Prix : 27 francs.

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