Les Présidents De La République. D'adolphe Thiers À Félix Faure
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LES PRÉSIDENTS DE LA RÉPUBLIQUE PIERRE MIQUEL LES PRÉSIDENTS DE LA RÉPUBLIQUE GENERIQUE La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon, sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Générique, 1990. ISBN 9782866470722 Avant-propos Les républicains fondateurs de la troisième République ont toujours eu pour la Présidence méfiance, aversion et mépris. Ils ont longtemps manifesté leur hostilité envers une magistrature qui leur semblait une survivance du trône des rois et des empereurs, un archaïsme hérité du XIX siècle. Jamais la première Républi- que n'a envisagé de se donner un président. Si la seconde s'y est résignée, c'était contre l'avis des vrais républicains et elle s'en est mordu les doigts, l'institution ouvrant légalement la voie du pouvoir personnel au candidat-prince Louis Napoléon Bona- parte. Un tour de passe-passe du même genre était prévu par les monarchistes, quand ils approuvaient les lois constitutionnelles de 1875. Que l'on crée une présidence de la République, soit ! A condition d'y mettre plus tard un roi. Les réticences sont donc explicables. La présence de Thiers, le premier assis sur le trône, a finalement rassuré, celle de Mac- Mahon a inquiété. La très longue présidence de Jules Grévy, le seul homme politique qui, avant 1900, ait assumé sa charge jusqu'à son terme, inquiète de nouveau : réélu, il doit partir sous l'effet d'un scandale. On se rend compte que la fonction a ses dangers, même si elle n'offre plus de risque politique depuis que le Président a renoncé à utiliser la seule arme efficace dont il dispose : le droit de dissolution de la Chambre. Qu'il le veuille ou non, le Président est un souverain, il représente à la fois le régime et l'Etat. Il ne peut braver les règles de bonne conduite et doit être irréprochable. Le roi sans couronne de l'Elysée a été l'objet de tous les sarcasmes : a-t-on assez répandu la formule probablement fausse de Clemenceau « je vote pour le plus bête » ? On a présenté l'hôte de l'Elysée comme un inaugurateur de chrysanthèmes, on l'a représenté mille fois dans les caricatures de presse comme une outre vide et pompeuse, présidant les monstrueux banquets de mille couverts, inaugurant les expositions coiffé de son « huit reflets » ridicule. Par un paradoxe remarquable, les plus vifs détracteurs de la fonction ont été élus eux-mêmes présidents, comme Grévy, ou candidats malheureux à la Présidence. On est surpris de lire deux fois la candidature d'un Freycinet en 1885 et 1887. Le collaborateur direct de Gambetta, le spécialiste des armées, l'ancien président du Conseil n'est certes pas un homme politique de seconde zone. Pas plus que Ferry, candidat malheu- reux en 1887. Que ce père de la République ait songé à l'Elysée indique suffisamment qu'il ne considérait pas la fonction comme dénuée d'importance. Que dire de Waldeck-Rousseau, candidat opportuniste contre Félix Faure en 1895 ? Le « Périclès de la République » était-il pris soudain par la tentation des voyages officiels ? Méline, le dernier des « Jules », est à son tour candidat contre Loubet en 1899 et le radical franc-maçon Paul Doumer contre Fallières en 1906. Poincaré doit son élection de 1913 à la menace de guerre, qui porte à l'Elysée un homme responsable. Clemenceau lui-même est candidat, en 1919. Painlevé, ancien président du Conseil, se présente plusieurs fois et l'on n'est pas peu surpris de trouver le nom de Briand dans l'élection de 1931 contre Paul Doumer. Même Herriot est sensible à la brigue puisqu'il se présente contre Lebrun en avril 1939, la dernière élection présidentielle de la troisième République. Certes, quelques-uns de ces candidats, comme Clemenceau ou Briand, sont à l'extrême fin de leur carrière. Il ne leur déplairait pas de disparaître en pleine gloire, en occupant des fonctions officielles, laissant leur nom dans les registres de l'histoire institutionnelle. Mais Waldeck-Rousseau, Poincaré, Méline, Painlevé ou Paul Doumer sont des consuls de première grandeur, qui ne conçoivent pas l'élection comme l'abandon de la vie active. A l'évidence, le président de la République a beaucoup plus de pouvoir qu'on ne l'a dit. C'est pour cette raison que les plus grands noms de la République ont été écartés avec acharne- ment par les parlementaires. Ni Gambetta, ni Jules Ferry, ni Waldeck-Rousseau, ni même Jules Méline n'ont été acceptés par le Congrès : on les jugeait trop forts pour ne pas être tentés d'abuser d'une situation prépondérante. D'où venait cette singu- lière fascination de l'Elysée ? Le Président avait-il un pouvoir occulte ? Disposant du droit de désigner le président du Conseil, sinon les ministres, il avait en fait les moyens d'écarter tous ceux qu'on ne jugeait pas souhaitables à la poursuite d'une politique d'intérêt national, en particulier dans les domaines réservés et sacro-saints de la défense et de la diplomatie. Selon les périodes, les présidents se sont notoirement préoccupés de ces questions, allant jusqu'à imposer aux chefs de gouvernement l'obligation de poursuivre une certaine politique et de prendre à leur cabinet les mêmes hommes pour la défendre. Ainsi s'explique le paradoxe de la continuité dans l'instabilité des cabinets : un Delcassé est resté au Quai sous plusieurs gouvernements, un Ferry rue de Grenelle, un Freycinet rue Saint-Dominique, un Georges Leygues place Royale. Dans la lettre de course que recevait le président du Conseil en sortant de l'Elysée figuraient constamment la défense de l'école laïque, la sauvegarde de l'alliance russe ou plus tard la mise en application de la loi de trois ans. Le Président avait à l'évidence les moyens d'assurer ce qu'on appelait la continuité républicaine. Il disposait d'un pouvoir d'influence sur le monde politique et devait réagir aux mouve- ments en profondeur qui se manifestaient dans les assemblées. Il était ainsi, dans la continuité, l'interprète du changement. A la manière du chef d'orchestre, il ne devait rester sourd à aucune voix. Quand on prit l'habitude de porter à l'Elysée un ancien président du Sénat, on choisit le parti de la sagesse : un tel homme avait forcément l'oreille de ses collègues et l'habitude du régime. Il pouvait à la fois enregistrer les influences dominantes et s'assurer qu'elles trouvaient une issue politique. A ce jeu subtil, il fallait de l'expérience, de l'honnêteté et beaucoup d'adresse. Il était tout aussi nécessaire d'être à l'abri de tout reproche. Le précédent de Jules Grévy avait marqué. Le souverain républicain devait être d'une parfaite honnêteté, d'une honorabi- lité incontestable. Ainsi s'expliquent certains choix dans les dynasties républicaines d'hommes dont le nom était une garantie et la richesse une sauvegarde : Carnot et Perier. Poincaré répondra plus tard à cette exigence d'honnêteté. Encore était-il nécessaire que le Président fût populaire, qu'il eût une bonne cote dans la presse et qu'il sortît indemne des campagnes des caricaturistes et libellistes. Félix Faure, plus tard Gaston Doumer- gue étaient, après Loubet et Fallières, des exemples de la bonhomie républicaine : ils faisaient peuple et sortaient du peuple, ils s'en flattaient à l'occasion, sans pour autant renoncer à la majesté du trône. La fonction n'était pas de tout repos : deux présidents, Sadi Carnot et Paul Doumer, finirent assassinés. Un autre, Deschanel, dut quitter ses fonctions en raison de son état mental. Certains durent abandonner le pouvoir, poussés par un Parlement hostile ou par une opinion déchaînée. C'était déjà le cas de Thiers, démissionné par l'Assemblée avant le vote des lois constitution- nelles, plus tard d'un Mac-Mahon contraint par la victoire républicaine à se « démettre ». Casimir-Perier s'est de lui-même découragé ; Millerand a dû partir sous la poussée de la presse de gauche, après les élections de 1924 gagnées par les radicaux et les socialistes. Grévy a démissionné sous l'effet d'un scandale. Albert Lebrun n'a pas terminé son deuxième mandat du fait de la guerre qui a contraint la république à se saborder. Rares sont les présidents qui ont pu accomplir leur mandat sans troubles : Loubet, Fallières, Poincaré, Doumergue. Félix Faure aurait été de ceux-là s'il n'avait été victime d'un accident de parcours. Retrouver les péripéties de ces charges la plupart du temps mouvementées et périlleuses, c'est restaurer la vie d'une époque, de la grande France des années 1900 dont les soixante-dix ans de République ont fait la gloire. C'est aussi faire revivre la politique de la France, au moment où les Français se passionnent pour les grands affrontements, d'autant plus qu'ils mettent en jeu leurs principes et leurs convictions. La succession des présidents répond le plus souvent aux convulsions de l'opinion publique accaparée non seulement par les crises et les scandales, mais par la guerre, la menace de guerre, les troubles sociaux et les avatars de la conquête coloniale.