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HEP TAXI : Christine and the Queens

Jérôme : Bonjour. Christine : Bonjour. Oh il fait froid. Jérôme : Il fait froid ? Christine : C’est bien fermé ou pas ? Jérôme : C’est très bien fermé. Christine : Ce serait pour aller à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Je ne sais pas si vous situez. C’est dans le 5ème Arrondissement. Jérôme : Très bien. Vous m’aidez un petit peu parce que je connais mieux Bruxelles que Paris, mais on va y arriver. Christine : D’accord. Vous débutez sur Paris ? Jérôme : Un tout petit peu oui. Christine : D’accord. On peut même faire un petit… enfin non je ne sais pas si vous avez un trajet préféré…mais… Jérôme : C’est vous qui payez.

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard

Christine : Ce qu’on pourrait peut-être faire c’est faire un trajet qui me ferait passer à un studio de danse avant. Comme ça, ça vous fait un peu découvrir Paris et puis moi je peux faire un petit stop utile aussi pour moi. Jérôme : D’accord. Christine : Ça vous va ? Jérôme : On fait ça. C’est quoi ce studio de danse ? Christine : C’est le Studio Bleu. C’est rue des Petites Ecuries, c’est vers Strasbourg-Saint- Denis. Jérôme : On y va. Christine : Ah ben super, merci. Jérôme : … et puis on part. Christine : Cool. Oh, les bonbons ! C’est un libre-service ? Jérôme : Malheureusement. Christine : J’ai envie d’en prendre un. Jérôme : Vous pouvez vous servir. Christine : C’est vrai ? Merci. Je suis ravie, c’est le meilleur taxi. Jérôme : Tout est ravi. Christine : C’est vrai ? Ça a du succès les bonbons. Faut déjà que j’arrive à ouvrir le truc…

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Jérôme : Il y a quoi à la Bibliothèque Sainte-Geneviève ? Christine : Ben, beaucoup de livres. Jérôme : Ben oui, j’imagine. Christine : Et puis des étudiants qui travaillent. Je fais un pèlerinage parce que moi je ne suis plus étudiante depuis 3 ans, mais c’est un très beau lieu aussi. Jérôme : C’est là que vous alliez étudier ? Christine : Oui. C’est là que j’allais réviser mes cours. Jérôme : Pourquoi les Parisiens n’étudient pas chez eux ? Christine : Alors, j’allais conclure par.. en fait, j’ai commencé par aller réviser mes cours là puis j’ai fini par réviser chez moi parce qu’en fait, ça me stressait d’avoir des gens en face de moi qui travaillent. C’était juste oppressant. Mais je pense que le cadre aussi est assez beau. T’as l’impression d’être Simone de Beauvoir qui révise l’Agrégation tu vois. Un côté un peu…

La lecture est un signe de bonne santé

Jérôme : Vous êtes une grande lectrice ? Christine : Oui. En fait, c’est curieux parce que j’ai beaucoup lu. Quand j’étais plus jeune j’ai lu… j’ai avalé beaucoup de livres, dans le bon sens du terme, mais j’ai lu des romans, des pièces de théâtre… c’était un peu frénétique et puis, après j’ai commencé à lire un peu de poésie et puis, maintenant, je n’arrive plus à lire des romans du tout. Jérôme : Ah non ?

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Christine : Non. Je n’arrive plus à lire des œuvres narratives longues. J’y arrive plus. J’arrive à lire que des petits fragments… Jérôme : Ça vous ennuie. Christine : Non, mais je me suis demandé quand même si ce n’était pas Internet aussi, tu sais, qui pousse à avoir une attention un peu fragmentée comme ça, et maintenant moi ça y est je n’arrive plus à me concentrer sur des longs livres. Jérôme : C’est dingue. Christine : Oui. Mais j’ai beaucoup lu. Jérôme : C’était quoi les livres préférés ? Christine : Heu… j’étais très littérature anglaise 19ème siècle moi. Genre « Les grandes espérances » de Dickens. « Jane Eyre » qui a littéralement gâché ma jeunesse parce que quand tu lis « Jane Eyre » quand tu as 15 ans tu penses que toutes les histoires d’amour vont être comme celle de Jane Eyre donc tu souffres un peu après. J’ai aimé aussi des livres bizarres genre Lautréamont. « Les chants de Maldoror » de Lautréamont. Jérôme : Ah oui ! Christine : Qui est une lecture un peu étrange, puis Jean Genet, j’aime beaucoup Jean Genet.

Christine : « Notre dame des fleurs »… Jérôme : Lautréamont vous l’avez lu à quel âge ? Christine : Lautréamont j’ai lu ça à 12 ans. Jérôme : A 12 ans ! Ah ben oui, ça détruit quelqu’un. Christine : Mais j’ai adoré, j’ai trouvé ça super. Jérôme : A 12 ans ! Christine : Oui. Mais c’était une super lecture justement, je ne sais pas, de…lire ça pré- adolescent c’est assez fantastique, enfin moi, ça m’a beaucoup plu. Jérôme : Parce que c’est noir de chez noir, hein ! Christine : Oui, et puis c’est même un peu scato, maso, sado-maso… tout ce qu’on veut. Jérôme : Ils ne se sont pas inquiété vos parents ? Christine : Ben non. Mais chez mes parents il y a toujours eu beaucoup de livres et à vrai dire… beaucoup de films et tout ça, et ils ne se sont jamais trop posé la question de l’âge qu’on avait pour montrer des trucs assez marquants. Mes parents m’ont montré « Elephant Man », j’avais 8 ans. Jérôme : Ah oui ! Christine : Maltraitance… Non, je rigole. Du coup… C’était peut-être un peu trop tôt et en même temps ça m’a tellement marquée je crois que ça m’a forgé un imaginaire aussi très fort. Mais non mes parents… Jérôme : Pas rigolo. Vos parents sont profs tous les deux. Christine : Mes parents sont profs, oui. Mais je crois qu’ils étaient contents de me voir lire. D’ailleurs ils étaient un peu tristes de constater que je lisais moins qu’avant, vers 18, 20 ans. Ils se sont inquiétés de ça. Jérôme : C’est vrai ? A ce point ? Christine : Oui. Jérôme : C’est une religion dans la famille ?

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Christine : Oui… Jérôme : La lecture, la culture… Christine : Oui, c’est signe de bonne santé. Alors du coup ils me demandaient tout le temps : mais ça ne va pas, on ne te voit plus avec un livre ! Ça ne va pas ? Je disais si ça va, j’ai juste commencé à trouver d’autres choses, d’autres trucs à regarder. Oui c’est vrai, famille de lecteurs. Jérôme : Ils sont profs de quoi vos parents ? Christine : Ma mère prof de français, et puis latin-grec, et mon père prof d’anglais. Donc, littérature victorienne, tout ça. Jérôme : C’est ça, oui. Christine : C’est ça ! Mais oui. Jérôme : On n’a pas fait de plus grandes amoureuses que pour la littérature victorienne. Christine : Oui. Jérôme : C’est très beau. Christine : C’est très, très beau. Même « Les Hauts de Hurlevent » c’est superbe. Bon, c’est tragique mais c’est superbe. Jérôme : Oui. C’est toujours superbe quand c’est tragique. Christine : Ben c’est ça. Mais du coup au lycée voilà, c’était assez drôle parce que moi j’étais dans une logique complètement de romantisme échevelé, donc je me suis pris pas mal de râteaux quand même… J’écrivais des lettres d’amour sur des cartes postales, bon je faisais tout ce qu’il ne fallait pas faire. Ce n’était pas du tout efficace. Ça ne marchait pas. C’est pas grave hein. Jérôme : Non, on a toute la vie pour se rattraper. Christine : Oui c’est ça.

Nantes

Jérôme : Vous êtes née près de . C’est ça, hein ? Christine : Je suis née près de Nantes, oui. Vous êtes très bien renseigné. Jérôme : Tous les artistes français sont nés près de Nantes… Christine : Ah bon !? Jérôme : Il y en a plein. Christine : Oui, c’est vrai. Y’a Philippe Catherine, il y a Jeanne Cherhal, Dominique A, c’est vrai. Jérôme : Il y en a beaucoup, hein ! Christine : C’est vrai. Je ne sais pas, c’est l’air de la mer peut-être. Les embruns, je ne sais pas. Jérôme : Je ne sais pas ce que c’est, mais effectivement, il doit y avoir quelque chose… L’ennui. Christine : L’ennui ? Ben non. Jérôme : Non, parce que Nantes, c’est plutôt une ville vivante. Christine : J’allais dire que c’était une ville assez vivante, au contraire. Souvent d’ailleurs les Parisiens… c’est symptomatique, quand les Parisiens disent qu’une ville est sympa et qu’on

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard ne s’y ennuie pas, c’est que ça va, parce que les Parisiens sont tellement vite ennuyés de la province… mais Nantes trouve grâce à leurs yeux. Ah c’est sympa, Nantes ! Merci de me valider ma provenance. Jérôme : Vous avez habitez là jusqu’à quel âge ? Christine : A Nantes, jusqu’à 18 ans. Jérôme : C’est ça, oui. Christine : Après je suis partie faire mes études à Paris.

Les études, le théâtre, la crise existentielle

Jérôme : Pour étudier ici. Christine : Oui. Jérôme : Etudier quoi ? Christine : Ben, j’ai fait une classe préparatoire comme on dit ici, en gros c’était des études littéraires assez intenses, avec option théâtre, et c’était pour préparer un concours d’entrée à une école, qui s’appelle l’Ecole normale supérieure. Jérôme : Vous n’avez pas été au bout. Christine : Eh bien, je suis rentrée à l’Ecole normale supérieure et je ne suis pas allée au bout du cursus là-bas. J’ai passé 2 années à Lyon, qui étaient des années absolument terribles pour moi, pas par rapport à Lyon parce qu’à Lyon y’a pas de soucis mais ça a été 2 années d’intense remise en question. Jérôme : Ah oui ? Christine : J’ai fait ma crise existentielle à Lyon, en fait. Jérôme : A 18 ans, 20 ans. Christine : 20 ans. J’étais dans le Vieux Lyon comme ça, avec mon manteau… Ça n’allait pas très bien. J’étais assise sur des bancs comme ça… Jérôme : Ah oui ? Christine : Ah oui, oui. Je pense que je faisais peine, je faisais peine à voir. Jérôme : Vous êtes figée à 20 ans. Christine : Oui. Jérôme : C’est dingue ça. Christine : Oui. Oui j’ai fait pas crise… J’aurai peut-être plusieurs crises existentielles hein. Jérôme : Je vous confirme. Christine : Oui il y en a plusieurs je pense. Jérôme : Oh oui il y en a plusieurs. Christine : Il doit y en avoir une vers… enfin on ne sait pas quand. Mais ma première vraie crise c’était là-bas. Et j’ai arrêté mes études après. Jérôme : Ah oui ! Ça ne vous plaisait pas les études ou c’est parce que vous étiez seule là- bas ? Christine : En fait, il y a eu une espèce de…vous savez ce sont les années où rien ne va, c’est- à-dire que le karma est très mauvais, je pense que mes études ne me satisfaisaient plus, oui. J’ai beaucoup aimé faire des études mais là j’étais arrivée un peu au bout de cette démarche- là. Ça ne me nourrissait plus. J’ai eu une histoire d’amour horriblement douloureuse aussi à

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard ce moment-là, donc ça m’a mise par terre, et j’étais au Conservatoire d’Art Dramatique aussi, je faisais du théâtre, puis je voulais faire de la mise en scène et en fait ça a été très compliqué, enfin en fait j’étais dans une école assez machiste et on ne m’a pas trop encouragée à aller au bout de ma démarche d’être metteur en scène. Donc voilà, donc je me sentais un peu piégée dans tout ça. Puis je crois que… je crois que j’adore le théâtre mais c’est pas pour moi. Jérôme : Carrément. Christine : C’est curieux parce que… pourtant j’aime la scène hein mais ce n’était pas le bon moyen d’aller sur scène. Jérôme : Parce que ce n’était pas vos mots ? Christine : Je pense qu’il y a de ça oui. J’avais du mal à me laisser diriger, j’avais du mal à monter des textes d’autres, d’ailleurs quand je voulais monter des pièces, c’était souvent des trucs que j’écrivais, donc oui, il y avait peut-être…

Héloïse ? Elle colorie

Jérôme : C’est marrant ces familles où la culture a une place absolument prépondérante, c’est- à-dire que c’était juste dans la consommation ou il y avait aussi, on prend des cours de piano, de chant, de dessin, c’était ça aussi ? La totale. Christine : Alors oui… ça va aggraver mon cas parce qu’effectivement j’avais des cours de danse classique et de piano, mais alors, on ne le saura jamais mais mes parents m’ont dit que c’est moi qui avait fait un caprice. Il faudrait que je leur demande si c’est vrai. Mais je pense quand même que ça devait être moi parce que la danse, ça m’a toujours plu, par contre le piano, je ne sais pas. Il faudrait que je leur demande un jour entre 4 yeux si c’était vraiment moi. Mais oui, voilà, j’avais mon cours de danse, mon cours de piano, mes lectures… Jérôme : C’est ça oui. Des enfants très occupés. Vous vous êtes embêtée quand ? Christine : Je ne m’embêtais pas souvent. Je ne m’ennuyais pas trop. J’avais tendance à… Bon j’étais un peu la petite fille blonde, tu sais, qui quand elle s’ennuyait, elle coloriait des choses, comme ça, très calmement. Elle est où Héloïse ? Elle colorie. Jérôme : Sans dépasser. Christine : Ou alors j’écrivais des histoires. Non, sans dépasser. Enfin, tu vois, j’étais… bon ça fait un peu peur comme ça, mais oui, j’étais assez concentrée quoi. D’ailleurs il y a des vidéos de famille, d’enfance, où moi je suis avec mon petit peignoir, vraiment tout va bien, je colorie, comme ça… Jérôme : Et quand est-ce que ça a commencé à se gâter ? Christine : Ben, je pense qu’en fait… comment dire ? Je pense que… en fait, je pense que j’ai toujours été un petit peu gâtée d’une certaine façon, enfin que j’ai toujours cogité des choses un peu étranges en fait, c’est juste que j’ai toujours été dans une démarche de faire des choses en solitaire, très calme, dans la création, la fabrication. Le coloriage, ce n’était pas encore une expression très développée de moi-même mais j’étais déjà dans une démarche d’isolement et de « je fais mon truc ». Mais ça s’est gâté, je ne sais pas, j’ai un côté double face, j’ai un côté très calme, discipliné, sympa, ramassé et puis j’ai toutes mes angoisses et mes névroses, mes trucs plus bouillonnants que j’expédie avec ce que je fabrique en fait, vous voyez ce que je veux dire. Donc, j’ai toujours été un peu comme ça, en fait. Parce que j’ai toujours fait un

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard peu de scène aussi, très jeune j’avais un club de théâtre et je m’écrivais des rôles, c’était toujours des rôles un peu « chelous », enfin des filles qui avaient la tête coupée, ou des trucs comme ça, donc j’étais déjà un peu glauque et les premières nouvelles que j’ai écrites, ma mère a eu peur. C’était genre l’histoire d’un mec qui avait tué sa femme et qui l’avait coupée en tranches, donc du coup ma mère était un peu… était là : mais tu l’as écrite toute seule cette nouvelle ou… ? D’accord ma chérie. D’accord. Donc voilà, il y avait le côté très sage et en même temps quand on lisait ce que j’écrivais c’était déjà un petit peu… Jérôme : C’est marrant : « j’étais déjà dans une démarche d’isolement ». Christine : Oui. C’est chaud hein ! C’est un taxi psychothérapie. Jérôme : Non. Mais c’est terrible : j’étais déjà dans une démarche d’isolement. Moi, ça me terrifie ça mais… Christine : Ah oui ? Jérôme : Oui. Christine : Ah moi, j’adore la solitude. Jérôme : Moi aussi mais l’isolement ce n’est pas la solitude hein. C’est le stade d’après. Christine : Ah oui. C’est plus tragique oui. Oui je ne sais pas si c’est un mot alors forcément à utiliser parce que ce n’était pas négatif dans mon esprit. Enfin, c’est ambivalent comme beaucoup de choses, la solitude est ambivalente, quoi. Moi j’adore la solitude mais c’est une souffrance aussi, ne pas se relier facilement aux autres. Je sais par exemple que… Je suis en train de ma psychanalyser là. Mais non, c’est vrai. De faire un truc artistique par exemple ça m’aide à me relier aux autres mais sans ça j’ai bien du mal quand même. Jérôme : Ça ne m’étonne pas.

Artiste, comme métier, c’est un peu effrayant

Jérôme : Et vous êtes sortie artiste tôt, vous ? Christine : Je crois que oui, mais je crois que j’ai eu du mal à le formuler très clairement parce que j’ai toujours pensé que c’était prétentieux de se formuler comme ça, mais en même temps, je l’ai toujours senti très fort. Je le savais. Même quand j’ai fait des études, je savais bien que je n’allais pas être prof, j’adore mes parents et j’adore leur parcours, mais voilà ce n’était pas pour moi et j’ai tout de suite senti… oui, j’ai passé beaucoup de temps dans ma chambre à me rêver artiste, en tout cas. Jérôme : C’est dur de se l’avouer ? Christine : Oui, parce que je pense que c’est un chemin risqué d’être un artiste, enfin formuler déjà qu’on est artiste et qu’on va essayer d’en faire un métier, c’est un peu effrayant. Ce n’est pas très sécurisant. La question de la légitimité, tu l’as tout le temps de toute façon, donc tu t’engages dans une voie, il faut que tu sois d’abord toi-même assez sûr de vouloir y aller parce que tu vas rencontrer des embûches et que les gens autour de toi sont peut-être inquiets enfin donc il y a tout un truc, c’est un eu un sacerdoce quoi. Sacerdoce ! Mot compte triple. Mais… je suis désolée… Une fois j’ai dit « polysémie » sur une radio jeune et le mec en face était choqué, il était là genre : pouvez-vous expliquer ce que c’est la polysémie. J’étais là, je suis désolée… Mais oui, j’ai mis du temps, j’ai eu un peu peur je crois de sauter le pas, et du coup ce n’est pas innocent que j’aie sauté le pas quand j’ai eu ma crise existentielle, parce que

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard de toute façon, j’étais tellement mal que je me suis dit, tu sais quoi ? j’ai plus rien à perdre, donc je vais faire ce que je veux, ce qu’il faut que je fasse. Jérôme : C’était quoi ? C’était.. allez, vous le dites, c’est l’insécurité, se dire à 20 ans je vais galérer pendant les 45 prochaines années parce que j’ai envie de faire 3 chansons mais personne ne les écoutera jamais donc ça va être le chômage, ça va être terrible, tout le monde va me repousser, les gens ne m’aimeront pas ou c’était aussi de dire, mes parents m’ont envoyée à Paris, m’ont envoyée à Lyon, ils ont confiance, que je devienne quelqu’un, je ne peux pas les trahir, est-ce que vous avez eu ça aussi ? Christine : Non, mais en même temps…ma mère par exemple a toujours été… elle a compris avant moi par exemple que j’étais une artiste, et donc au contraire elle m’a plutôt encouragée à passer des concours d’école de théâtre et tout ça, elle ne voulait pas forcément que je fasse Normale-sup par exemple. Donc je pense que mes parents, ils… moi j’ai intériorisé des schémas, je pense moi-même aussi beaucoup, c’est-à-dire que moi je voulais être une élève excellente, brillante et tout ça, parce que j’avais l’impression que c’était ma valeur à moi à ce moment-là, mais ma mère avait compris avant moi déjà. Donc, non, c’est plus moi qui ai beaucoup de mal à… parce qu’être une artiste aussi, c’est parler en son nom et c’est prendre des risques en son nom et c’est plus protéger derrière des choses qui sont des lectures ou de la culture justement, c’est accepter aussi de ne plus trop… on peut être un artiste merveilleux sans aucune culture et sans savoir lire, donc il y a beaucoup d’instinct et je pense que c’est moi qui ai eu du mal à m’autoriser ça avant. Je pense que c’est une question de confiance, je n’avais pas confiance, je crois.

Finalement, c’est la musique

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Jérôme : Mais par contre vous avez su la branche, parce qu’il y a tellement de médias pour s’exprimer en tant qu’artiste, ça peut être le dessin, ça peut être le piano, le violon, le coloriage, il y en a… Christine : J’étais remarquable… Jérôme : Finalement, c’est la musique. Christine : Oui. Jérôme : Mais est-ce que ça a été évident ? Christine : Ben non, mais encore une fois c’est très intéressant, enfin je pense qu’en fait, je n’ai pas encore commencé de psychothérapie, mais il faudra que j’en fasse une parce que ça va être génial, parce que je pense qu’il y a beaucoup de refoulé dans mon histoire, la musique était une souffrance pour moi jusqu’au moment où j’ai commencé à chanter et que j’ai fait une rencontre hyper importante pour moi qui a tout changé, mais par exemple, avec mes cours de piano, c’était un supplice pour moi, le solfège, c’était un supplice pour moi, le chant, c’était quelque chose que je ne supportais pas, chez moi, ma voix, donc j’étais vraiment la nénette du fond de la chorale qui ne chantait pas fort, donc jusqu’au moment où j’ai commencé à écrire des chansons, que j’ai fait une rencontre hyper importante, qui a été une rencontre avec des performeurs anglais, des travestis, je ne m’envisageais… enfin je ne pensais absolument pas pouvoir en faire un métier. Parce que pour moi, c’était vraiment…. Enfin pour moi, j’avais une voix insupportable, je n’étais pas douée en musique, donc c’est quand même bizarre tu vois, tu te dis est-ce que je n’ai pas refoulé ça très fort, je ne sais pas.

Rencontrer des travestis à Londres

Jérôme : Parce que l’histoire c’est qu’après Lyon où vous passez 2 ans assise sur banc toute seule… Christine : Oui, c’est ça… avec de l’herbe… Jérôme : Oui, voilà… Vous partez à Londres. Christine : Je suis partie à Londres. Jérôme : Toute seule. Christine : Toute seule. C’est la première fois où j’étais un peu punk. Et encore punk à mon niveau, c’est pas non plus énorme hein, c’est juste… la fille elle a l’impression d’être punk, pas du tout… Non mais je suis partie toute seule à Londres, sans prévenir personne, hyper punk, un truc que je n’aurais jamais fait… Jérôme : Avec le cœur brisé. Christine : Avec le cœur brisé, méga punk, avec le maquillage qui coule…et j’ai passé vraiment 2 semaines à errer toute seule dans les rues, à sortir le soir toute seule, hyper punk, le truc que je n’aurais jamais fait d’habitude parce que je suis super angoissée, je suis quelqu’un de très… Jérôme : Ah oui, à ce point ? Christine : Oui. Non, mais en fait moi, je ne sais pas si vous avez l’équivalent en Belgique mais il y a une émission de télé qui s’appelle « Faites entrer l’accusé », en , j’ai regardé « Faites entrer l’accusé » depuis que j’ai 15 ans, tu vois c’est l’émission sur tous les tueurs en série, voilà, ma vie a été gâchée par cette émission parce que maintenant je vois des tueurs en

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard série partout, donc j’ai la petite musique du générique, tu sais, quand quelqu’un me suit derrière dans le rue, je… la petite Héloïse cherchait simplement à rentrer chez elle. Non mais voilà tout ça pour dire que je ne suis pas très aventureuse d’habitude. Jérôme : Et là par contre… Christine : Ça fait de moi une fille méga « boring », je sais. Jérôme : Absolument pas, mais ça fait une fille qui fait des choses étonnantes lorsqu’elle est par terre ou quoi ? A Londres. Christine : Exactement. C’est ça, c’est typiquement ça. Je pense que c’est typique de pas mal de phases dépressives. Et du coup me voilà à sortir toute seule, dans des clubs, mais je pense que je faisais un peu flipper parce que j’étais un peu comme sur mon banc mais dans un club. Je m’asseyais à une table et je regardais les gens exister. Je me disais : mais comment font- ils ? Je n’arrive pas du tout à exister comme eux. Bref, c’était l’enfer. Et j’ai fini par échouer, littéralement, dans club anglais qui s’appelle Madame Jo Jo’s, qui est un club assez fantasque avec des soirées plus ou moins queer et là c’était une soirée totalement queer et j’ai vu un numéro de 3 travestis anglais et ça m’a juste… ça m’a changée quoi. Alors j’ai toujours aimé la culture queer et travesti, mais ce moment-là de ma vie, je m’en souviens très bien parce qu’ils avaient une telle liberté d’exister sur scène que je me suis dit que la solution, c’était peut-être pas que je sois un travesti mais que j’aie un personnage. Je me suis dit : il va falloir que je… il va falloir que je me transforme aussi d’une certaine façon. Et j’ai eu cette envie-là très forte en les voyant. Jérôme : Qu’est-ce qu’ils avaient de plus que tous les autres travestis, ceux-là ? Pour faire un tel électrochoc ? Christine : Je ne sais pas. Ils étaient anglais déjà… Jérôme : Oui, ça change tout. C’est horrible mais en musique, ça change tout, et sur scène, ça change tout. Christine : C’est vrai. Puis leur humour, en fait. Ils avaient un humour même un peu limite trash mais comme on dit en anglais c’était genre « I don’t give a fuck », c’était genre… le numéro s’appelait « Comment faire de la cuisine et de la musique en même temps ». C’était n’importe quoi, c’était le bordel, il y en avait un qui faisait des pancakes et l’autre, avec une guitare électrique et c’était n’importe quoi et en même temps, c’était très punk, en fait… C’était très… Ils étaient tous… Ils n’étaient pas forcément tous très glamour, en plus ils étaient un peu dégueu, et en même temps, ils étaient très beaux. Je ne sais pas, peut-être qu’il y avait ce truc d’humour en plus très fort qui n’empêchait pas que ce soit des personnages hyper émouvants. Du coup je ne sais pas ça m’a vraiment parlé plus que des travestis à la Almodovar qui sont très stylés, tout ça…que j’adore aussi mais je crois que ce qui m’a parlé, c’est le côté complètement libéré. Sans aucun tabou. De les regarder, ça m’a fait un bien fou déjà, donc je me suis dit… Jérôme : Et c’est un déclic immédiat ? Christine : Oui, sur l’envie d’avoir un personnage et tout ça, oui. Je me suis dit qu’il fallait que je fasse ça. Je me suis dit aussi qu’il fallait que je leur parle, du coup je suis revenue plusieurs fois exprès m’asseoir et ils sont venus effectivement me parler, eux spontanément, je pense grâce à mes cernes, et mon air complètement défait, parce qu’il y a une solidarité dans

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard la scène queer qui est assez forte. Je pense que je n’étais pas la première jeune paumée mais ils sont venus… Jérôme : à passer par là. Christine : Oui. Donc ils sont venus me voir, ils ont fait : ça va ? Non ça ne va pas. Ça ne va pas très bien. Et j’ai passé un peu de temps avec elles du coup. Ça a été génial. Ça a été genre la meilleure semaine de toute ma vie. C’était trop bien. Mais je pense que moi, j’étais un peu en adoration aussi. C’était comme si j’avais passé une semaine avec des idoles un peu, tu vois. Puis elles m’ont appris plein de choses, elles m’ont montré plein de choses et elles m’ont encouragée à chanter. C’est elles qui m’ont beaucoup encouragée à chanter. Jérôme : En 1 semaine. Christine : En 1 semaine.

Devenir chanteuse en une semaine

Jérôme : Mais comment on devient intime avec quelqu’un en 1 semaine ? Comme ça ? Pour qu’ils rendent dans quelque chose…qu’ils parviennent à vous dire c’est ça qu’il te faut pour retrouver le sourire jeune fille, et que vous, vous soyez à ce point réceptive pour le faire par la suite ? Christine : Ben, je pense que c’est plusieurs facteurs. Déjà moi, j’ai littéralement à vif donc, en fait, elles ont tout de suite vu l’état dans lequel j’étais, il n’y avait plus de masse sociale, moi j’étais complètement lessivée. Donc, elles m’ont récupérées et donc, elles ont tout de suite vu ce qui n’allait pas parce que j’étais complètement… j’étais écorchée vif, dans tous les sens du terme – c’est beau ce que je dis – et elles, ben voilà, elles ont bien vu que ce qui me plaisait, c’était leur numéro rock donc, elles se sont dit : ben chante ! Chante ! Puis elles sont un peu genre… elles sont à la fois hyper généreuses et puis elles t’engueulent. Vas-y, mais chante ! Mais chante plus fort ! Jérôme : Et ça a été vite ? Vous l’avez fait ? Christine : Ça a été vite, oui. Jérôme : Parce que c’est quelque chose qui peut aussi macérer 20 ans. Christine : Oui, c’est vrai. Jérôme : Oh, j’ai rencontré il y a 15 ans 3 travestis à Londres qui m’ont donné envie… Et on réfléchit toujours 15 ans après. Vous, ça va très vite, vous le faites. Christine : Nous oui… Nous carrément ! C’est schizo. Non mais nous parce que ça a été un travail ensemble, mais oui, ça a été immédiat. Jérôme : Vous revenez de Londres 15 jours après, vous vous mettez à la musique. Christine : Oui. Ça a été frénétique. C’est comme si j’avais ouvert une vanne, j’avais découvert une langue, c’était incroyable. Jérôme : Toute seule ! Christine : Toute seule. Jérôme : Vous le faites toute seule ? Christine : Oui. Oui, alors du coup j’étais vraiment déterminée, voilà, comme le coloriage, mais avec un… je me suis dit, je vais le faire toute seule. Je me suis acheté un ordi, un Mac, parce qu’on m’avait dit que GarageBande c’était un logiciel facile à utiliser, je me suis dit :

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard ben voilà, je vais faire ça, et paf j’ai commencé à écrire des chansons, j’en ai écrit genre 10, 15, en 10 jours, ça sortait, ça sortait comme ça, c’était assez fou. Jérôme : Et c’est thérapeutique, vous vous sentez mieux ? Christine : Oui. Jérôme : Quand vous le faites, à cette époque-là ? Christine : Oui. Jérôme : Donc, ça marche quoi. Christine : C’est incroyable. Mais même de chanter, de découvrir ma voix chantée, en fait ça m’a fait un bien incroyable. Ça m’a remise bien dans ma cage thoracique et dans mon corps aussi, ça m’a réincarnée quoi. C’était fou, c’était incroyable. Et je m’en souviens, même d’en reparler, ça me donne des frissons. Parce que ça a été vraiment… enfin c’est niais, on s’en fout, il y a pire, il y a des gens qui vivent des vies horribles… Jérôme : Qu’est-ce qui est niais ? Christine : Ben, j’ai eu l’impression d’être née une seconde fois. Jérôme : En quoi c’est niais ? Christine : Je ne sais pas. Non mais parce que ça fait un peu la nénette qui s’écoute parler dans un taxi. Ça fait un peu genre Isabelle Adjani, je suis née une seconde fois… Jérôme : Vous croyez que vous êtes la seule ? Christine : Non. Jérôme : Ça parle à tout le monde je pense. Christine : Ben je sais, je pense que ça parle aussi… Jérôme : Et ceux qui n’ont pas encore eu cette chance ils l’attendent. De pouvoir changer, pour être mieux. Christine : Oui. C’est sûr. Jérôme : C’est tout le monde, hein. Christine : Je sais. Je pense que c’est un des trucs qui parle aux gens parce que des fois les gens viennent me parler après mes concerts et ils me parlent beaucoup de ça. Jérôme : Bien sûr. On le souhaite quoi. Christine : Oui. Jérôme : On souhaite tous aller mieux, même si on est déjà pas mal à l’origine. Christine : Oui voilà. Après j’espère que… Jérôme : Ça avance toujours. Christine : Oui, moi mon histoire ce n’est rien qu’une histoire assez banale, il y a juste des travestis dedans mais oui, le moment de se réinventer, de se sentir mieux ça c’est sûr.

« Saint Claude »

Jérôme : Ici, c’est Saint-Claude. Christine : Ici, c’est Saint-Claude. On est dans le Marais, là. C’est l’arrêt de bus Saint- Claude. J’ai une chanson qui s’appelle « Saint-Claude ». Jérôme : Et qui est inspirée de Saint-Claude l’arrêt de bus ? Christine : Oui. Oui parce qu’en fait, c’est marrant, en fait j’étais dans le bus 96 là… Jérôme : Celui-là.

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Christine : Celui-là, qu’on croise, et j’ai assisté à une scène assez hallucinante dans ce bus, assez glaçante d’ailleurs, il y avait une espèce de jeune homme très extravagant, qui avait un look incroyable, moi je trouvais qu’il était assez incroyable, qui - bon je ne sais pas s’il était sous substances ou s’il était malheureux, je ne sais pas quoi, mais il monologuait, il parlait tout seul, et il y a eu une espèce de phénomène de groupe assez effrayant, c’est-à-dire que quelqu’un a commencé à se foutre de sa gueule, le rire a été contagieux, et tout le bus a commencé à se marrer. Je te jure c’était assez effrayant, il n’y a pas eu quelqu’un qui s’est interposé, d’ailleurs moi non plus, personne n’a rien dit, et lui il était toujours dans son truc, il ne se laissait pas atteindre, mais vraiment tout le monde riait, et ça m’a tellement mise mal à l’aise que je suis descendue avant mon arrêt et je suis descendue à Saint-Claude, parce que je n’habite pas à Saint-Claude mais je ne pouvais pas rester dans ce bus. Je me suis défilée d’ailleurs parce que je ne l’ai pas aidé non plus. Et je me suis sentie tellement mal de ne rien avoir fait que je me suis dit que j’allais écrire une chanson pour ce jeune-homme. Je l’ai appelée « Saint-Claude ». Jérôme : C’est joli. Christine : Oui, hein. Jérôme : C’était quoi qui vous a choquée ? C’était le non droit à la différence ? Christine : Oui, je pense que… Moi, tu vois, je ne connais pas ce sentiment de se sentir moquée dans la rue, parce que j’ai un look très différent, j’ai jamais connu ça mais j’ai des amis qui ont souvent souffert de ne pas être dans la norme quoi. Qui ont été beaucoup moqués. Donc, ça m’a fait beaucoup de peine. Donc, je suis sensible souvent à ça, je regarde souvent ça, mais là ce qui m’a frappée, c’était la violence, la violence du collectif aussi. Il y avait un truc carnassier de meute si tu veux, vraiment, et même moi j’ai été écrasée par ça tu vois, je n’ai rien fait. Ça m’a fait un peu peur. Je me suis dit quand même…un phénomène de masse comme ça. Donc je me suis dit que j’allais lui faire une chanson pour qu’il soit au-dessus de tout ça. Qu’il puisse devenir…Bon j’ai jamais eu de… je ne sais pas ce qu’il est devenu ce jeune-homme. Mais c’était une manière de parler de ça. Jérôme : Il est probablement encore de temps en temps dans le bus 96. Christine : Peut-être.

La chanson qui a déclenché tout

Jérôme : Ce n’est pas 1 des 10, 15 chansons nées au retour de Londres. Christine : Non. Jérôme : C’est beaucoup plus tard. Christine : Elle est arrivée beaucoup plus tard. Jérôme : Ça ressemblait à quoi les 10, 15 chansons nées juste derrière Londres ? Christine : Ben, c’était… alors déjà, c’était qu’en anglais, j’écrivais beaucoup en anglais, parce que j’étais justement dans cette phase Londres et puis j’étais dans ma phase « la ne s’écrit qu’en anglais », tu vois, j’avais un truc comme pas mal de gens… Jérôme : C’est en partie vrai, hein. Christine : Il y a 2 écoles. Jérôme : Jusqu’au moment où on le dépasse.

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Christine : Oui. Et c’était plus… c’était des textes assez trash d’ailleurs. C’était directement inspiré de ce que j’avais vécu avec ces Queens mais en fait, je racontais souvent leurs histoires et tout ça, je racontais même des histoires de vaginoplastie, tu vois…par métaphore interposée, enfin c’était beaucoup plus queer et trash, je pense que j’aurais peut-être une autre carrière si j’avais continué cette ligne-là… Jérôme : Ça aurait été d’autres clubs. Christine : Oui, mais c’était… et puis c’était une manière de ne pas parler de moi aussi, enfin je préférais presque plus parler d’elles que de moi, mais bon c’était déjà une manière de parler de moi mais c’était plus pudique, il y avait beaucoup plus de filtres. C’était comme des petits manifestes aussi, j’écrivais des chansons qui s’appelaient « Be Freaky », genre sois bizarre, sois toi-même. C’était un peu adolescent mais dans le bon sens. Jérôme : « Be Freaky » qui est la chanson que vous aviez envoyée au Lab des Inrocks, c’est ça ? Christine : Oui, exact. C’est avec cette chanson-là que… Jérôme : Qui est un peu le début de l’histoire… Christine : Exact. C’est un peu une chanson acte de naissance et puis, la chanson qui a déclenché aussi la carrière, quoi. La carrière française. C’est fou. J’ai posté ça sur Internet parce que mes potes du Conservatoire, qui étaient quand même hyper inquiets de ne plus me voir apparaître, parce que pendant ce temps-là, en fait, je n’avais prévenu personne, ils sont venus frapper chez moi, et je leur ai dit que j’avais commencé à faire de la musique. Ils ont dit : bon, écoute si ça te fait aller mieux – tu sais les gens hyper flippés par toi – puis, ils m’ont écoutée, et puis, en fait ils ont dit : mais c’est super, tu devrais poster ça sur les Inrocks Lab, je ne connaissais pas les Inrocks Lab, j’ai fait : bon d’accord, et puis je poste la chanson et puis 1 mois après, je me retrouve en finale du truc. Pas en finale auprès du public parce que personne ne me connaissait à cette époque-là, mais il y avait un Prix du jury ou je ne sais pas quoi et donc du coup j’ai été… et ça a déclenché un peu tout quoi. Ça a déclenché des premières parties, des petits concerts et tout ça.

1er disque, 1er album, 1er succès

Jérôme : Là, il y a quelque chose d’assez fort qui se passe autour de vous. 1er disque, 1er album en tout cas. On parle beaucoup, il y a beaucoup de scène, il y a beaucoup d’exposition, il y a beaucoup de commentaires, il y a beaucoup de passage en radio, etc… vous gérez ça comment vous ? Parce que ça doit vous changer de votre plan toute seule. Christine : Oui, c’est vrai. C’est drôle. Ben, je le vis quand même avec grand bonheur il faut dire, parce que vu l’album que j’ai fait je ne pensais honnêtement pas que ça allait résonner autant. C’est-à-dire que j’ai fait un album de chansons françaises un peu hybride, donc pas du tout en réfléchissant en terme de single, mes chansons ne sont pas très calibrées je pense pour la radio, enfin j’en sais rien, donc je n’étais pas du tout dans une… et puis, le personnage est plus doux qu’il l’était au début mais il est quand même assez masculin-féminin. Je ne pensais pas… à vrai dire je ne pensais pas que ça allait parler autant aux gens. Du coup, je trouve ça très joli que ça puisse rencontrer du public, quoi. Parce que là j’ai commencé une tournée, je vois bien que les salles sont pleines. C’est quand même assez fou. Et les salles sont pleines

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard de gens très différents. Donc, ça c’est assez incroyable. Il y a des vieilles dames, il y a des jeunes filles, des vieux messieurs, c’est fou quoi. Donc, je le vis bien et en même temps, c’est plus parfois le côté un peu exposition médiatique avec des petites phrases d’accroche qui font un peu flipper genre « voici la sensation du moment ». T’es là genre à : ben non, moi en fait, j’ai pas du tout envie d’être « du moment ». Jérôme : J’ai pas du tout envie d’être la sensation du moment… Christine : J’ai pas envie d’être une sensation non plus, j’ai envie d’être une personne qui écrit des chansons sur le long terme. Donc, il y a le côté un peu… Récemment je discutais de ça avec ma manageuse, j’étais un peu angoissée, j’étais là « tu crois qu’on me voit trop ? Parce que les gens vont en avoir marre de ma gueule après ? ». Moi j’ai envie de faire un 2ème album donc j’ai pas envie que les gens soient là oh encore celle-là qui danse, elle nous fait chier… Donc voilà, et en même temps c’est vraiment un problème de riche ça, c’est … Jérôme : C’est un problème de riche mais qu’il faut gérer quand on est riche, il n’y a rien à faire. Stromae a les mêmes questions. Se dire que les gens ne vont plus jamais vouloir le voir tellement ils l’ont vu, ils n’en peuvent plus… Et en même temps voilà s’il gère ça très intelligemment dans 1 an, il va leur manquer. Christine : Oui. Jérôme : Et ce sera très bien. Mais il faut gérer. Christine : Il faut gérer. Mais il n’a pas dit qu’il prenait une pause lui ? Jérôme : Si, je pense qu’il va faire ça, c’est sa manière de le gérer, je pense. Oui. Christine : Oui, il a raison. Je l’ai vu un peu, j’ai discuté avec lui parce que j’ai fait quelques 1ères parties et j’ai vu effectivement qu’il avait une certaine gravité parce que je pense… c’était génial… enfin ce qui lui arrive est absolument phénoménal, je pense que c’est violent aussi. C’est violent quand il y a du succès comme le sien. Enfin, tu dois te dire… Si tu veux faire une longue carrière, tu dois te poser des questions, tu dois avoir un peu peur, forcément. Moi, mon échelle est quand même plus réduite mais déjà à mon échelle ça me fait peur. Jérôme : Oh oui. Christine : Mais en même temps…

Christine ou Héloïse ?

Jérôme : Et en même temps, vous disiez tout à l’heure : bon 18, 20 ans c’est pas super, c’est même un peu la cata, il y a Londres, maintenant il y a le disque, etc… est-ce que ça a fait de vous une jeune fille heureuse ? Christine : Ben… c’est une bonne question. Disons que… je ne sais pas que ça… ça n’a pas réglé mes problèmes à moi, mais ce qui est bien, c’est que ça me fait exister par mon travail et mon personnage. C’est un échappatoire qui peut durer. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est un peu abstrait, hein. Jérôme : Le but absolu, c’est de ne surtout pas être soi. Christine : Oui, je crois que c’est ça mon problème, en fait. Moi je suis assez contente quand on passe des journées entières à m’appeler Christine et que je ne suis plus dans mon quotidien. Jérôme : Vous n’êtes plus Héloïse.

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Christine : Oui. D’ailleurs, ça me déprime quand tout s’arrête, quand j’ai 2 jours off et que j’en reviens à moi… ça m’emmerde. Jérôme : Vous êtes accro à elle. A Christine.

Christine : Oui, je suis un peu accro, mais je suis un peu accro à cette vie-là quoi. A la vie d’aller sur scène, d’être dans le travail, être dans la danse, réfléchir à des performances, à ce qu’on va faire après. Alors c’est un peu chiant pour les gens qui vivent avec moi du coup, mais c’est vrai que je ne suis pas très intéressée par tout le reste. Jérôme : Mais en quoi est-ce que cet alter ego est différent de vous ? En quoi Christine est différente de vous ? Parce qu’en gros la jeune fille qui crée c’est vous. C’est Héloïse. La jeune fille qui danse c’est vous. Après peut-être qu’elle retire deux boucliers mais en gros ? Christine : Ben justement, effectivement, elle n’est pas différente. C’est vraiment…c’est un état d’esprit. C’est comme se mettre dans… c’est comme s’autoriser plus de choses et se désinhiber. En fait, au début elle était plus différente de moi et maintenant elle finit par déteindre sur ma vie aussi, c’est drôle. Enfin, la question du vestiaire est intéressante. Au moment où j’ai inventé Christine, je mettais encore des jupes et des robes et je m’étais dit : Christine, ce sera un personnage qu’en costume masculin. Maintenant, je ne suis moi-même dans ma vie plus qu’en costume masculin et donc, il y a un effet de vases communicants parce que j’ai tellement envie d’être elle tout le temps que je finis par devenir elle. Mais elle, au fond c’est moi, c’est juste moi qui m’autorise… c’est moi qui dit : « I don’t give a fuck ». C’est moi qui m’autorise plus de choses. Donc, c’était peut-être une manière de… je ne sais pas, de me faire grandir, de me bousculer un peu aussi. Parce que… enfin mon but ultime ce serait de fusionner. Jérôme : C’est ce qui est en train de se passer. Christine : C’est ce qui est peut-être en train de se passer.

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Christine, c’est un personnage, c’est un nom

Jérôme : C’est marrant parce que… est-ce qu’Héloïse quand elle sortait, elle dansait comme une folle ou est-ce que ce n’est que Christine qui peut ? Christine : Ben non… Jérôme : S’exprimer, se laisser aller, être légère…s’amuser. Christine : Non, j’étais quand même…je pouvais quand même m’amuser quand je sortais. Donc non… Par contre, je ne sortais pas beaucoup. C’est ça en fait. C’est comme si j’avais trouvé aussi une meilleure manière d’exister socialement. C’est con, hein ! Jérôme : De quoi ? Christine : Ben Christine. C’est-à-dire… J’ai toujours eu un rapport compliqué par exemple aux relations sociales, aux amitiés, tout ça, au collège et lycée j’étais celle qui ne venait jamais, qu’on invitait et qui ne venait jamais. Et maintenant que j’ai Christine et que j’existe d’abord par mon travail et par ce personnage-là, je me sens beaucoup plus à l’aise maintenant pour arriver quelque part. Oh putain c’est grave non ?! Jérôme : Quoi parce qu’on dit : oh regarde c’est elle ! Christine : Non mais parce que… Jérôme : Ça vous rassure ? Christine : Parce que ça me rassure d’arriver avec ce bagage. Jérôme : Avec ce bagage-là. Mais c’est dingue de penser qu’on ne suffit pas. Christine : Oui. Ça a toujours été mon problème. Jérôme : C’est con quand même. Christine : Et en même temps ça me pousse à réfléchir en alternative et en personnage. Donc ça me va. Mais c’est vrai, oui. Mais même la question de l’identité. Enfin, c’est pas anodin de prendre un personnage mais même l’identité, je ne sais pas ce que ça veut dire d’être soi- même. Jérôme : C’est-à-dire ? Christine : Ben, c’est-à-dire, je ne sais pas trop qui je suis, enfin je n’ai pas l’impression d’être quelqu’un de très cohérent d’une heure à une autre, je n’ai pas l’impression de savoir vraiment ce qui me définit, j’ai pas l’impression qu’il y a une cohérence, quoi. Mon identité est très fragmentée. Christine en fait, c’est un nom mais je pourrais en avoir même 5.

Comment être une femme en costume d’homme

Jérôme : Parce que vous parlez tout le temps d’identité, être soi-même, être différent… est-ce que tout vient de l’identité sexuelle ? A partir du moment où on découvre à, je ne sais pas, 15, 16, 18, 27, 42 qu’on n’a pas une identité sexuelle normative, en gros hétérosexuelle, est-ce que c’est là que les ennuis commencent ? Christine : Curieusement, ce n’est pas par là qu’ils ont commencé pour moi parce que j’ai tout de suite… disons qu’en fait, je pense que les deux sont liés, c’est-à-dire que toutes mes questions sur l’identité et sur moi-même, mon genre à moi, viennent du fait que j’ai été attirée par des gens radicalement différents, c’est-à-dire que j’ai pu être très attirée par des filles et par des garçons, et du coup, je me suis aussitôt demandé aussi pourquoi moi je n’avais pas de

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard constance dans mes attirances. Pourquoi, moi, je ne réfléchissais pas en terme de genre sexuel, du coup ça m’a fait réfléchir à mon genre à moi. Et je pense qu’effectivement ta vie sexuelle et tes désirs te font réfléchir à toi-même bien sûr. Et c’est d’ailleurs pour ça que les gens qui sont queer ont beaucoup plus réfléchi à cette identité de vêtements comme code social alors que c’est pas grave mais beaucoup d’hétérosexuels y réfléchissent beaucoup moins parce que forcément ils ont moins à y réfléchir. Donc, ça c’est vrai. Mais c’est un dialogue constant. Par contre, moi je n’ai pas eu cette souffrance de me découvrir bisexuelle, enfin je n’ai pas eu ce problème-là de devoir l’assumer, je n’ai pas eu à le refouler parce que j’ai une famille exemplaire là-dessus, il faut le dire. Et que j’ai toujours vécu ça assez sereinement mais encore une fois, moi je suis…enfin quand on me regarde je ne suis pas quelqu’un qu’on va agresser dans la rue, parce que j’ai pas un look qui est très queer. Je connais des copines qui sont très « bitch » comme on dit, qui se font beaucoup plus emmerder. Donc je n’ai jamais eu à me justifier, parce que je suis dans les codes plutôt hétéros normatifs donc… Jérôme : C’est rigolo aussi parce que la bisexualité, l’homosexualité, tout ce qui n’est pas normatif sexuellement de toute façon est toujours difficile et à accepter, et à avouer, et à s’avouer, etc… donc c’est quand même un pas dans la vie de quelqu’un qui est immense. Christine : Oui c’est vrai. Jérôme : Le fait d’assumer sa différence sexuelle et on a toujours l’impression que quand on assume ça, en gros, on peut tout assumer. Christine : Oui, c’est vrai. Jérôme : Tout ce qui est derrière. Parce que ça nous définit tellement notre sexualité. Qu’en fait, on a l’impression qu’après, on peut tout, qu’il n’y a plus rien qui peut faire peur. Christine : Oui, c’est vrai. Jérôme : Et ce n’est pas le cas. Christine : Ben, moi ça n’a pas été trop le cas, même si je me rends bien compte qu’à des petits niveaux j’ai parfois dans ma vie répondu « oui » quand on m’a dit : est-ce que j’ai copain alors que j’avais une copine, donc je me suis bien rendu compte que ce n’est pas évident pour tout le monde, mais moi… non, c’est vrai que ça par contre ça n’a jamais été une grosse souffrance parce que j’ai toujours formulé ça beaucoup. Par contre ça m’a toujours très jeune initiée au fait qu’il n’y avait pas de certitude sur l’identité sexuelle, sur le désir et tout ça. Et j’ai toujours été fascinée par du coup la construction sociale du genre. Par exemple, je connais un ami qui est très efféminé et qui, quand il décroche le téléphone baisse sa voix pour faire plus viril, ça m’a toujours frappée parce que je me suis dit : putain, le masque social reste quelque chose de très fort et moi je m’en suis émancipée, je continue à ne pas vraiment m’émanciper mais Christine c’était un peu ça aussi, c’était comment s’émanciper de tout ça. Comment être une femme en costume d’homme.

On est au Studio Bleu

Christine : Ah oui, on est au Studio Bleu. C’est là je crois. Jérôme : C’est le Studio Bleu ici ? Christine : Oui.

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Jérôme : Mais le New Morning c’était une salle non ? Christine : Oui mais je crois que ça a fermé. Non… Jérôme : Ça n’existe plus ou quoi ? C’est devenu des studios. Christine : Oui, je crois. Jérôme : Ok. Christine : Par contre, je crois que c’est la pire rue de Paris pour se garer. Jérôme : C’est vrai ? Merci.Et là vous allez faire quoi ? Danser. Christine : Oui, en fait je vais voir ma chorégraphe. J’adore dire ça parce que ça fait très . Je vais faire le point avec ma chorégraphe. Parce qu’on a un clip à tourner… Jérôme : C’est génial ! Christine : C’est génial hein comme phrase, j’adore. Jérôme : Très bien. Je peux aller avec vous ? Christine : Oui. (retour à la voiture) Christine : Bon, ben merci du petit détour, hein. Jérôme : Ah ben, écoutez, c’est à moi que ça a fait plaisir, c’est très impressionnant. Christine : Instructif en même temps. Jérôme : Oui, j’aurais pu vous montrer comment je danse, je danse aussi très bien… Christine : C’est vrai on n’a pas fait ça… Jérôme : J’ai pas voulu le faire pour ne pas trop vous impressionner. Christine : Je pense que ça m’aurait un peu inhibée. Je reprends un bonbon, hein. Jérôme : Allez-y. Christine : On est entre nous. Jérôme : C’est fait pour ça. Christine : Merci. C’est cool. Ça fait hyper longtemps que je n’ai pas mangé de bonbons. Jérôme : Non ? Vous vous privez de ça ? Christine : Non pas spécialement mais c’est pas un truc… c’est bien, le bruit du papier…

Le Voguing

Jérôme : Vous aviez vu le documentaire qui s’appelait « Paris is burning » ? Christine : Bien sûr ! Ça a été un moment très beau de découverte ce documentaire. Sur le voguing, sur le mouvement du voguing qui est un très beau mouvement de danse mais même pas que de danse en fait, c’est presque… c’est esthétique et philosophique aussi le voguing , je trouve. Vous connaissez un peu ? Jérôme : Vous savez par quoi je connais le voguing ? Christine : Non, par quoi ? Jérôme : Ben par Madonna. Christine : Ah mais bien sûr ! Jérôme : Par « Vogue », par le clip de « Vogue » où effectivement tout le monde fait du voguing. C’est par là que je connais effectivement… et par « Paris is burning », que j’avais adoré. Christine : Le documentaire est fantastique.

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Jérôme : Pourquoi c’est philosophique ? Parce que dire qu’une danse est philosophique, c’est… Christine : Ben, c’est vraiment un mouvement aussi qui est né dans un contexte social assez précis, le voguing en fait c’est… ça s’appelle voguing parce qu’en fait c’est récupéré de poses de mannequins de magazines de mode, dont Vogue, pour en faire un mouvement de danse, mais c’était contestataire aussi à l’époque parce que c’était utilisé par toute une scène gay afro-américaine, donc je crois que ça a commencé et en Amérique Latine et aux Etats-Unis aussi et donc du coup ça a été récupéré, voilà, ça a été récupéré, les codes des winners quoi, des Blancs riches, favorisés, et de les retourner à son avantage, et aussi c’était une façon de se réapproprier une fierté d’être. Qui on est, ça allait aussi avec la démarche de bien s’habiller pour aller à un bal de voguing, c’est-à-dire à une soirée, il faut bien s’habiller, il faut faire comme si justement on était un Blanc riche et favorisé, et on arrive, et on défile, et on danse et donc on réapprend aussi à s’aimer quoi, par la danse et par la fierté d’être absolument qui on est. Toutes ces expressions, être fierce, avoir de l’attitude tout ça, ça vient aussi de ces mouvement-là. Jérôme : En quoi c’est important dans la vie d’avoir de l’attitude ? Christine : C’est pas décisif mais ça peut quand même aider. Jérôme : Pourquoi ? Christine : Ben parce qu’avec l’attitude vient aussi la confiance en soi. En gros c’est un peu « fake it untill you make it », c’est-à-dire si moi d’un coup je décide d’être fierce…Voilà je décide d’être fierce, ça peut me donner au fur et à mesure la confiance nécessaire pour m’aimer et pour avoir confiance en moi… Donc je pense qu’avoir de l’attitude c’est d’abord aussi… c’est un truc pour se convaincre soi-même. L’esthétique de la parade, tout ça, voilà c’est s’offrir aux yeux des autres mais c’est pour se réapprendre aussi. Donc je ne sais pas ça raconte des belles choses aussi là-dessus ??? C’est ludique aussi cette idée de se déguiser et de prendre la place de ceux qui sont favorisés, ça raconte aussi quelque chose d’assez beau, politiquement.

We accept you

Christine : Dis donc je vois un DVD de « Freaks » là. Jérôme : Ici ? Christine : Oui. Jérôme : Ben oui c’est quand je m’ennuie. C’est toujours bon « Freaks » hein. Ça fait toujours du bien. Christine : C’est sombre quand même. Jérôme : « Freaks » ? Christine : Oui. Jérôme : Quand même. Christine : Alors moi c’est pareil, j’ai vu ça très jeune, ça m’a impressionné. C’était très impressionnant. Et ça m’a un peu forgé aussi mon imaginaire. Jérôme : En quoi ?

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Christine : Ben c’est quand même un très beau film sur la tolérance aussi, sur la réflexion sur la monstruosité quoi, qu’est-ce que c’est qu’être un monstre, est-ce que c’est les monstres physiques qui sont forcément les monstrueux enfin en gros le monstre n’est pas là où on l’attend donc c’est quand même un truc qui m’avait beaucoup marquée. Jérôme : Mais à un moment on lui dit « we accept you ». Christine : Oui exactement. Ben, j’ai des tatouages directement issus de cette scène, en deux parties sur mes avant-bras. « We accept you one of us » qui vient de cette scène du film « Freaks ». Voilà. Parce que j’allais dire aussi ce qui est marquant dans ce film, c’est la notion de se créer une seconde famille aussi, la famille de Freaks. La famille des monstres qui s’acceptent entre eux et qui s’aiment. Qui retrouvent entre eux le soutien qu’ils n’ont jamais eu, l’amour qu’ils n’ont jamais eu. Je trouve ça sympa. Donc je me suis fait ce tatouage encore une fois juste après avoir rencontré mes travestis. Jérôme : Ah oui ? Christine : Eh oui. Parce que ça faisait partie d’une démarche aussi de peut-être avoir trouvé une seconde famille puis d’être née une seconde fois. Je me suis dit qu’il fallait que je marque le moment parce qu’un tatouage, c’est aussi marquer un moment, je trouve que c’est un truc un peu…je ne sais pas si j’en ferai d’autres mais moi en tout cas ça a été pour marquer ce moment, comme une petite… dans ma chronologie, une petite croix. Jérôme : One of us. Tu fais partie du groupe quoi. Christine : Oui, alors par contre on ne sait pas de quel groupe je fais partie, c’est ça qui est un peu… Jérôme : C’est bien ça. Christine : Mais c’est bien parce que We accept you , tu vois quand je sers la main, je trouve ça sympa de me dire que c’est marqué We accept you sur la main comme ça. Ah oui, vous regardez « Freaks » les moments d’ennui. Jérôme : Oui. Christine : C’est bien. Jérôme : C’est… Christine : Il y a une série d’ailleurs américaine que j’aime bien qui s’appelle « American horror story »… Jérôme : Je ne connais pas. Christine : Eh bien oui, qui a plusieurs saisons comme ça, et là la dernière saison qui commence maintenant elle est complètement pompée, dans le bon sens, pompée sur « Freaks » oui. C’est dans un cirque, des monstres, tout ça. Comme quoi ça revient à la mode. Jérôme : Ça revient à la mode mais je pense que ce n’est jamais parti. Christine : Oui, c’est jamais parti.

Le bonheur

Jérôme : Si vous voulez là, vous voyez il y a des petites boules… Christine : Oui. Jérôme : Vous pouvez les prendre et les ouvrir. Christine : Ah ! Oh la… Qu’est-ce qu’il y a dedans ?

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Jérôme : Je ne sais pas ce qu’il y a dedans. C’est toujours différent. Christine : Ah il y a une petite phrase. Jérôme : Je crois. Christine : Oh là je sens que c’est une citation. « Il était aussi heureux qu’il en était capable », Francis Scott Fitzgerald. Jérôme : Il parle de Gatsby.. Christine : Quelle phrase terrible. Jérôme : Elle est terrible. Christine : C’est affreux. Jérôme : Affreuse. Ça vous parle ça ? « Il était aussi heureux qu’il en était capable ». Christine : Ben oui ça me parle un peu en fait. C’est une phrase pour les mélancoliques, ça. Gatsby c’est quand même un personnage… c’est un beau personnage d’ailleurs, mais c’est un personnage extrêmement mélancolique. Heu… oui ça me parle. En même temps ça ne me parle pas trop parce que « qu’il en était capable » ça suppose qu’on fait vraiment des efforts, on essaie d’être heureux, non ? Jérôme : Ah oui mais vous pensez que ça doit être différemment ? Vous êtes heureuse sans faire d’efforts vous ? Christine : Ben non, j’allais dire : je ne fais pas spécialement d’efforts pour être heureuse. Jérôme : C’est vrai ? Christine : Oui. Jérôme : C’est vrai ? Christine : Oui. Enfin je ne suis pas terriblement triste et je ne me laisse pas aller là-dedans mais c’est bizarre, la quête du bonheur et le fait d’être heureuse ce n’est pas un élément décisif pour moi. Pour l’instant peut-être aussi. Je suis plutôt dans une démarche… c’est bizarre mais le bonheur ne me parle pas trop. Le fait d’être heureux, c’est pas un état qui me parle non plus trop. Donc est-ce que j’ai envie d’être capable d’être heureuse ? Vous voyez ce que je veux dire ? Jérôme : Qu’est-ce qui vous parle alors ? Comme état. Christine : C’est une bonne question. Ben c’est d’être dans tous mes états justement. Jérôme : C’est une bonne réponse. Christine : Ah ah ! Oh oh ! Non mais par exemple, c’est bête hein, mais quand je suis sur scène je ne suis pas heureuse spécialement, mais je suis très présente et je me sens électrique, donc ça c’est un état qui m’intéresse, mais parce que justement je ne suis plus très sûre d’avoir un état précis, tu vois. C’est un peu abstrait ce que je dis. Jérôme : Non, ce n’est absolument pas abstrait… Pourquoi certaines personnes font à votre avis l’impasse sur la quête absolue, 99 % de l’humanité, à savoir le fait de comprendre comment être bien, comment être heureux, comment atteindre un état de bien-être. Christine : A vrai dire, pour être tout à fait franche, moi c’est un état qui m’inquiète un peu dans l’absolu parce que si on va carrément dans, comme on dit, l’ataraxie, l’état d’être vraiment bien et de ne plus avoir besoin de rien, pour moi c’est presque synonyme de mort. Parce que j’ai l’impression du coup ça veut dire quoi ? Qu’il n’y a plus de passion ? S’il y a de l’apaisement il y a quoi du coup ? C’est très curieux. Alors peut-être que c’est vachement adolescent de dire ça mais… L’apaisement, tout ça, le bonheur, ça me fait penser à quelque

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard chose d’immobile, alors ça me fait un peu peur. Alors je pense que c’est peut-être un peu étroit comme définition du bonheur mais… Je ne suis pas sûre qu’on puisse atteindre cet état longtemps de toute façon. Moi je me demande si c’est pas quelque chose d’éphémère.

Christine et les

Jérôme : Vous vous demandez de temps en temps… parce que là effectivement avec Christine & the Queens, avec le disque, la scène, vous avez une occupation, vous avez Christine dans votre vie… Christine : Oui. Jérôme : Sans elle, il se serait passé quoi ? Christine : Je ne sais pas du tout. Je crois que… comme elle est intervenue aussi à un moment où concrètement ça n’allait pas trop, je ne sais pas. Peut-être que j’aurais trouvé un autre moyen de m’exprimer, de toute façon il aurait fallu que les choses sortent, donc je ne sais pas, soit j’aurais continué à écrire, soit je me serais peut-être remise d’attaque pour le théâtre, je ne sais pas. Mais ça a été vraiment une telle solution à un moment que je ne saurais pas trop quoi répondre. Je ne veux pas faire drama , hein ! comme on dit, mais je ne sais pas. Je préfère ne pas trop y penser à vrai dire. Mais j’aime bien que ça me donne une discipline de vie, que ça me donne des objectifs à atteindre et tout ça. Jérôme : Vous vous souvenez du soir des Victoires de la Musique, on parlait du Lab des Inrocks tout à l’heure, il y a « Be freaky »… il y a un premier pas qui est fait, etc…puis bien évidemment pour vous c’est un travail de très longue haleine, mais pour le public il y a des mètres étalon… Christine : Oui c’est vrai. Jérôme : Il y a des étapes, les Victoires de la Musique en est une autre, où vous jouez et je pense que 100 % des gens qui regardent leur télé à ce moment-là sont sidérés de voir cette jeune fille, ce style, cette chanson, qui est une chanson très étonnante… Christine : C’est marrant, les Victoires de la Musique, ça reste un moment hyper important pour moi aussi, parce que j’avais bien conscience que de toute façon j’allais exister pour beaucoup de gens, parce que je n’existais pas vraiment, enfin la télé reste un passage quand même… un acte de naissance aussi pour beaucoup de choses, et puis en fait c’est drôle parce que la veille il y avait eu la Générale, et je m’étais fait engueuler par le producteur de l’émission, qui était venu se planter devant moi et qui avait fait : là ce que vous allez faire là, les gens vont s’emmerder, vous avez conscience de ça ? Donc, c’était hyper violent de me dire ça la veille de mon premier direct télé, enfin c’était incroyable tu vois, et c’est juste parce qu’en fait j’étais toute seule, je voulais être toute seule, je ne voulais pas qu’il y ait 36 000 lumières et j’avais dit il y aura un silence à un moment. Le mec, le producteur télé, ça l’a fait vriller. Il a fait : mais les gens vont s’emmerder, les gens vous croyez qu’ils vont vous regarder pendant 4 minutes comme ça ? Ils vont s’emmerder. Donc, c’était hyper violent, et curieusement ça m’a donné une niaque incroyable, je me suis dit ah oui, ben qu’ils s’emmerdent alors. Parce que c’est comme ça que j’ai toujours fait de toute façon, c’est comme ça qu’est Christine et voilà je ne vais pas pouvoir changer. Donc, ça a été incroyable pour moi aussi d’intensité, le moment de la performance, parce que j’avais encore les paroles

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard du type qui m’avait dit ça, et du coup j’ai voulu tout faire exister très fort aussi donc je pense que ça a donné une performance un peu… je l’ai regardé par petits bouts parce que je déteste me regarder, mais il y a un truc un peu hyper épidermique tu vois. Très fragile. Sur le fil aussi, je pense. C'était pas la performance la plus confiante de toute ma vie, hein, j’étais un peu… mais je pense que c’est ça qui a attrapé aussi c’est que les gens se sont dit… je pense, je ne sais pas, peut-être qu’il y a eu de l’émotion sur cette performance-là… Jérôme : Elle est très forte hein. Christine : Ben voilà, mais c’est assez emblématique de ce projet en fait parce que je me souviens que quand j’ai commencé, au tout début j’étais toute seule avec mon ordinateur, et je me suis pris pas mal de trucs dans la gueule quand même, en France. On m’a dit mais c’est pas du live ce que tu fais. Elle est où la musique ? Je dis : ben je compose sur ordinateur, donc je fais de l’électro. Oui, ben il y est où ton backing band ? Et on m’a beaucoup dit des trucs genre : mais dis donc t’as pas l’impression d’être un peu hystérique là à danser comme ça toute seule sur scène ? Tu ne penses pas que les gens vont se faire chier ? J’ai trouvé ça assez beau que du coup les Victoires de la Musique, ce soit la même problématique mais que les gens répondent. Et qu’effectivement ben non, tout le monde ne s’est pas fait chier, certaines personnes ont été touchées. Et j’ai senti en tout cas un avant et un après. C’est vrai que j’ai senti que le public s’était élargi. Et j’étais persuadée que j’allais beaucoup plus me prendre des critiques que ça, vu ce que j’allais proposer. Donc j’ai trouvé ça super beau, que les gens soient réceptifs à l’émotion, qu’ils ne se disent pas qu’est-ce que c’est cette nénette qui bouge. Jérôme : C’était sur quelle chanson ? Christine : C’était sur « Nuit 17 à 52 ». Jérôme : Qui est une chanson incroyable, hein. Christine : Merci beaucoup. Jérôme : C’est une chanson incompréhensible, inquiétante… Christine : Oui. Certaines personnes me disent qu’ils ont l’impression que c’est une chanson sur un meurtre. C’est vrai que j’ai des paroles assez cryptiques mais bon quand même pas… c’est une chanson sur une rupture amoureuse en fait. Jérôme : Sur une rupture amoureuse ? Christine : Oui. Jérôme : Oui. Il y a une phrase inquiétante dedans. Christine : Ah ? Jérôme : Vous dites… il faut que je le dise bien, je ne suis pas sûr que c’est les bons mots, je pense que c’est ça, vous dites : « j’ai forcé le sang et la foi ». Christine : Oui. Jérôme : C’est ça que vous dites hein. Christine : Oui. Jérôme : C’est effrayant. Christine : C’est pire que la phrase de Gatsby. Jérôme : « Freaks ». Christine : Oui. Jérôme : J’ai forcé le sang et la foi. Après on comprend tous de 12 000 manières, mais tous les mots sont violents. Oui, c’est vrai, j’avais pas réfléchi à ça. C’est vrai.

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Jérôme : Enfin pour moi, ils sont tous violents. Christine : Oui c’est une phrase violente, oui. Jérôme : Ca veut dire quoi ? Christine : Après le but c’est que moi je l’ai écrite…

J’aime bien les textes mystérieux

Christine : …je sais bien de quoi ça parle mais ce qui m’intéresse c’est de savoir ce que les autres vont comprendre. Enfin j’aime bien les textes mystérieux et j’aime bien… J’adore Bashung pour ça d’ailleurs. Je suis une grande admiratrice des textes de Bashung. J’ai appris récemment d’ailleurs comment il faisait pour les composer. Vous le savez ou pas ? Jérôme : C’est qu’il prenait des mots… Christine : Oui, il prenait plusieurs textes et il les réassemblait … C’est fou. Jérôme : C’est dingue, hein. Christine : Il faisait du collage, en fait. Jérôme : Il faisait du collage. Christine : C’est incroyable. Ce qui est super, c’est que c’est des textes qui résistent au temps, qui résistent aux interprétations, qui bougent en même temps que toi. « La nuit je mens », la chanson elle a bougé pour moi parce que j’ai bougé aussi. Donc, ça je trouve ça fantastique. Jérôme : « La nuit je mens » ils ont pris… ils voulaient faire une chanson sur la Résistance… Christine : Oui c’est ça. Jérôme : Et ils ont pris plein de mots qui étaient liés à la Résistance. Aqueduc, Vercors, etc…et puis ils ont écrit une toute autre chanson sauf que pour eux c’est une chanson de la

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Résistance vu que les 12 mots associés pour eux à la Résistance étaient dans la chanson. Je trouve que c’est quand même une façon passionnante de bosser du coup. Christine : Incroyable. C’est vrai que pour moi c’est LA référence dans l’écriture des textes. Du coup, je suis presque… enfin c’est pas pour faire poseuse que je n’explique pas mes textes mais je préfère ne pas trop dire ma version à moi parce qu’en fait les textes, ils existent déjà pour d’autres gens d’une autre façon. Et je trouve ça super. Il y a aussi des gens qui disent qu’on ne comprend rien à mes textes hein. Sur Twitter. C’est pas grave.

Il y a des gens qui ne vous aiment pas

Jérôme : Ça doit être marrant ça, de ne pas être prévenue de la violence des gens et de se lancer dans un premier disque. Comment vous faites ? Parce que… il y a plein de gens qui vous aiment aujourd’hui mais le pendant de ça, c’est qu’il y en a qui ne vous aiment pas. Christine : Il y a des gens qui ne m’aiment pas. Jérôme : Oui, et qu’avant ce n’était pas le cas, on passait un peu partout, quand on est Monsieur et Madame Tout le Monde, on n’ a pas des grandes déclarations d’amour tous les jours mais on n’a pas non plus de grandes déclarations de guerre. Christine : Oui, c’est ça, alors que y’a des gens ils sont là genre… Jérôme : Une fois qu’on s’expose… Christine : Il y a des gens, ils le disent, ils ne peuvent pas me supporter. Tu te rends compte ? Jérôme : Comment vous gérez ça ? Parce que l’air de rien, même si on sourit, on se le prend quand même dans la gueule. Christine : Bien sûr. Alors moi l’avantage c’est que mon côté maso je l’ai toujours revendiqué et que du coup, moi je vais lire les critiques des haters, longtemps, c’est-à-dire que je vais sur mes clips et je vais sur Twitter et je lis, je lis longtemps comme ça, et je mets en favori toutes les critiques. Alors je pense que c’est une démarche un petit peu… en fait, c’est hyper intéressant parce que donc volontairement je les lis, donc enfin forcément ça me fait un peu de peine, mais pire, je les fais des fois exister parce que je leur réponds avec des blagues et tout, mais j’ai constaté un truc intéressant quand même et ça raconte un truc sur Internet aussi et sur les haters en général, c’est qu’à partir du moment où soit je les favorise, enfin soit je leur réponds, soit tu vois je fais exister ces trucs… Jérôme : Tout cela s’adoucit. Christine : Oui. C’est incroyable. Genre il y avait un gars une fois il m’a fait « ouais espèce de sale morue… » tout ça, donc j’ai répondu avec une photo de morue en disant : coucou, et là il me répond « je t’aime cœur ». Incroyable. Si ça pouvait être aussi simple que ça dans la vraie vie ce serait génial. Jérôme : Ce serait pas mal. Christine : Et il y a un truc aussi ben d’attirer l’attention aussi. Les gens qui font un peu ça c’est aussi des gens qui veulent manifester soit leur colère soit leur attention. Bon des fois ça ne marche pas, des fois je réponds à une blague et ils font « t’es toujours aussi merdique », voilà. Mais c’est quand même assez intéressant. Mais j’y vais parce que les critiques sont quand même instructives, même… sauf les critiques où vraiment ça ne sert à rien, c’est vraiment genre « Christine & the Queens , j’ai envie de lui défoncer la gueule », bon là je ne

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard peux pas faire grand-chose, mais il y a des critiques assez même drôles, les gens sont drôles des fois. Il y a des gens qui disent que je suis la du 16ème Arrondissement. Je trouve ça drôle. Je trouve ça génial. Jérôme : C’est méchant mais c’est joli. Christine : Oh je trouve ça drôle. Jérôme : Oui c’est drôle. Christine : La Michou Jackson de Panam aussi j’ai eu. C’est pas mal. Donc voilà. De toute façon avec Internet on sait qu’il y a ça, on sait qu’il y a cette violence-là. Par contre moi un truc que je n’aurais pas aimé vivre c’est être au collège maintenant. Avec Facebook et Twitter. Jérôme : Oui c’est terrible. Christine : C’est chaud. Parce que le harcèlement scolaire qui continue sur Internet… Parce que nous, on sait que c’est lié à l’exposition, donc voilà on prend ça philosophiquement, je pense, mais quand tu es plus fragile… Jérôme : C’est terrible.

C’est drôle, c’est Woody Allen

Jérôme : Je vous invite à prendre ceci. Si vous voulez un bonbon en attendant, vous pouvez. Christine : Ben non, parce qu’après quand je parle, j’ai la bouche pleine. J’espère que ce n’est pas une phrase trop triste. Jérôme : C’est joli Paris quand même. Christine : C’est bien non ? C’est bien… c’est un peu ville musée mais c’est bien. Oh lala c’est chaud. « Tant que l’homme sera mortel il ne sera jamais décontracté », c’est drôle, c’est Woody Allen. Jérôme : Oui. Christine : Il a des citations géniales sur la mort, Woody Allen. D’ailleurs, plus ça va, moins il va bien, lui. En interview, là… je pense qu’il sait que… enfin time is up, du coup il est complètement déprimé. Je suis d’accord. Jérôme : C’est génial cette phrase. « Tant que l’homme sera mortel, il ne sera jamais décontracté ». Christine : Tu m’étonnes en même temps. Jérôme : Pourquoi vous me demandez d’être cool ? Je vais mourir bande d’enculés. Christine : Bien sûr. Mais quel enfer même ! J’en parle même pas. La finitude… Jérôme : C’est vrai ? Ca vous inquiète déjà. Christine : Oh ! Ça m’inquiète depuis que j’ai… mais c’est de famille, mon frère aussi, hein. On est des hypocondriaques, angoissés. D’ailleurs, c’est encore une façon de conjurer tout ça, de vouloir peut-être sans doute faire de l’art, même si je ne suis pas dans le fantasme de durer après ma mort avec ça, mais ça te fait oublier un peu. Oui, ça m’angoisse, moi. Je suis vachement intéressée par tous les trucs sur, tu sais le transhumanisme, comment avec des pièces… enfin comment fusionner robotique et biologique pour pouvoir vivre longtemps, longtemps, même ne plus mourir du tout. Ça n’arrivera pas, on va mourir avant mais j’aurais bien aimé moi, j’aurais bien aimé ne pas avoir à passer par là.

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Jérôme : L’éternité. Christine : Oh oui. Jérôme : Woody Allen, il a dit : l’éternité c’est long surtout vers la fin. Christine : Oui, c’est ça. Quand même ça commence à faire beaucoup… Jérôme : Il a le sens de la formule le garçon, hein. Christine : Oui.

Je ne veux pas être une feuille morte

Christine : Il y a d’autres petites citations comme ça ? J’en prends une autre ? Jérôme : Vous pouvez très bien en prendre une autre. Christine : J’aime bien. Jérôme : Hop. Celle-là est canon. Christine : Ah bon ? Ah, vous savez ce que c’est. Jérôme : C’est ma préférée. Christine : Comme tu peux constater, je vouvoie et tutoie en même temps. Jérôme : C’est pas grave. Christine : C’est pas grave. On s’en fout. Jérôme : Alors. Christine : Ah oui. Elle est grave. C’est un truc qui me parle. « Etre dans le vent : une vocation de feuille morte », c’est génial, Milan Kundera. Il faudrait que je réponde ça la prochaine fois. Justement sur tous ces trucs de faire le buzz. Jérôme : Parce que là c’est vraiment vous. Pour le moment… Christine : Oui c’est chaud ! Jérôme : Plein de gens, vous le disiez tout à l’heure, la sensation du moment ! C’est effrayant, on ne veut pas être une sensation du moment dans la vie. Christine : Mais non, je ne veux pas être une feuille morte justement. Jérôme : Et c’est pas vous qui le faites en même temps. D’un côté, ça vous arrange aussi parce que ça vous expose, mais il y a ce côté pour le moment… Christine : C’est à double tranchant. Jérôme : Mais tout le monde a les yeux rivés sur vous et vous êtes The Thing, la Chose. Christine : The big thing. Christiiiine… Non mais… Oui voilà c’est à double tranchant bien sûr parce qu’encore une fois on se plaint mais il y en a qui… Enfin je pense que si j’étais… si j’avais sorti mon album et que tout le monde l’avait ignoré, ça m’aurait fait de la peine, mais c’est vrai que voilà il faut… je me méfie, c’est une société quand même très carnivore, quoi. Qui aime bien tout ce qui est frais, tout ce qui est jeune. Tout ce qui est frais. Et ça me faisait réfléchir la dernière fois même à la vieillesse, par exemple la vieillesse des femmes dans le show business… Par exemple Madonna, on tape sur Madonna parce qu’elle continue à rester « djeune » et en même temps on tape sur d’autres parce qu’elles sont croulantes. Donc de toute façon, j’ai l’impression qu’on n’aime juste pas les gens qui continuent d’exister au-delà d’un certain âge et puis il y a des artistes, on les adore sur un album et puis après, oh on en a marre, on les a trop vus. Jérôme : Vous pensez à la façon dont vous allez gérer ça ? Déjà ?

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Christine : Oui. Déjà en ce moment, j’en parle à mon équipe souvent, mais j’essaie d’être prudente sur justement de ne pas devenir celle qu’on invite sur tous les plateaux pour tout et n’importe quoi, je refuse pas mal de trucs, parce que je n’ai pas envie d’être là pour tout et n’importe quoi, et puis je réfléchis à la suite, au deuxième album, à comment le personnage va bouger, à quand est-ce qu’il faudra qu’il existe cet album, ni trop tôt ni trop tard, c’est des questions que oui, j’ai en tête. Mais en même temps, je suis tellement aussi dans cette logique de… « » il n’est sorti qu’en juin dernier, c’est assez court, la tournée vient de commencer, il va sûrement y avoir un petit peu de tournée à l’étranger et tout, donc je suis au début de cette machinerie-là aussi. Mais je pense que c’est des trucs à avoir en tête même aussi pour ne pas s’asseoir, pour ne pas se reposer sur… Jérôme : Sur ce qui arrive en ce moment. Christine : Je ne pense pas que ce soit bien. Ça ne me parle pas trop. Elle est bien cette phrase. Jérôme : Donc « Etre dans le vent : une vocation de feuille morte ». Christine : Je le dirai la prochaine fois. Jérôme : Elle est belle hein. Christine : Elle est bien.

Vous êtes la nouvelle Christine

Jérôme : Quelque chose qui est terrifiant, la mode. Parce qu’effectivement, vite… Christine : Puis c’est très drôle aussi la mode. Jérôme : On se démode. Christine : C’est drôle, c’est absurde les modes. C’est des cycles infinis qui reviennent. Qu’est-ce qu’ils essaient de nous faire croire que ça revient à la mode, que c’est une nouveauté. C’est génial. C’est comme la valse absurde des Iphones, tu sais. Ceci est une révélation. T’es là genre : mais c’est pas une révélation, tu nous a juste rajouté une taille de plus de… enfin… Donc, c’est assez drôle aussi, c’est presque absurde, quoi. C’est lié à un truc de consommation, très marrant. Et un peu angoissant aussi. C'est un peu comme un grand cirque. Moi c’est pareil quand on me disait : vous êtes un peu la nouvelle Camille. C’est comme aussi tu ne pouvais pas exister en soi mais qu’il faille plusieurs ectoplasmes. Je dis : ah ben non je ne suis pas la nouvelle Camille, c’est vexant pour Camille, la pauvre. Est- ce qu’elle a envie d’avoir une nouvelle elle-même ? J’en suis pas sûr. Jérôme : Je ne suis pas sûr qu’elle ait envie d’avoir une nouvelle elle-même. Christine : Tu crois qu’on dira à une meuf un jour : vous êtes la nouvelle Christine. Jérôme : Vous êtes la nouvelle Christine. Christine : Aïe, aïe. Il y aura une fille qui dansera un peu : vous êtes la nouvelle Christine ! Ben la seule solution… Jérôme : Moi j’avais lu dans un journal belge, le journaliste disait… c’est horrible hein… il vous comparait à Mylène Farmer. Christine : Alors la comparaison, elle vient souvent. Jérôme : C’est vrai ? Christine : Oui.

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Jérôme : Mais pourquoi ? Christine : Ben je ne sais pas. Alors, enfin, si, enfin j’en sais rien. Je me suis dit… Ça m’a interpellée…Ben je ne sais pas… Alors je pense que les gens ont compris le truc, le personnage de Christine un peu masculin-féminin, ah, Mylène Farmer ! Libertine, tu vois, Chevalier d’Eon, tout ça. Sauf que dans l’esthétique ce n’est pas vraiment pareil, musicalement non plus. Jérôme : Les paroles des chansons, bof. Christine : Non plus. Elle est beaucoup plus sulfureuse que moi en plus, elle est beaucoup plus sexualisée, sexy quoi. Moi pfff non. Mais je pense qu’il y a ce truc un peu femme entre les genres… Enfin je ne sais pas s’il y en a eu beaucoup depuis Mylène Farmer aussi en France. Là-dessus je veux dire. Parce qu’il y en a eu hein. Puis peut-être le côté très pop en fait. Parce que Mylène Farmer c’était une pop, une chanteuse pop quoi. Comme je revendique le côté très pop aussi… A vrai dire moi-même j’ai été surprise de la comparaison.

Michael Jackson

Jérôme : C’est marrant cette fascination pour Michael Jackson que vous aviez toutes les deux au Studio Bleu, là, c’est un truc de gamine Michael Jackson, très vite ? Toute petite ? Christine : Oui ! En fait c’est assez romanesque ma rencontre avec Michael. Ça y est, je… Non mais j’étais à Disney Land Paris… Mes parents m’ont emmenée à Disney Land Paris une fois quand même, entre des livres de Dickens et tout ça, j’étais même trop jeune pour lire parce que j’avais 3, 4 ans, et à cette époque-là il y avait encore le film en 3D projeté, avec Michael Jackson dedans. Ça s’appelait « Captain Eo ». Et je me le suis pris en pleine figure et d’ailleurs je ne devrais pas le dire parce que j’ai eu ma première émotion sexuelle en voyant ce film. Jérôme : C’est vrai ? Christine : J’ai découvert que j’étais quelqu’un qui pouvait être attirée par des gens. Ben, j’ai vu Michael Jackson qui enlevait sa veste comme ça, ça m’a fait un effet incroyable. Et depuis, voilà. Je ne me suis jamais détachée. Jérôme : Fascinée ! Christine : Fascinée. Donc vraiment lié à toute ma vie parce que du coup mon enfance, c’était avec lui aussi, mon adolescence avec lui. Jérôme : Qu’est-ce qui fait…. Parce qu’effectivement, il y a chez lui ce truc absolument désagréable, c’est que c’est absolument indiscutable… Christine : Oui. Jérôme : C’est-à-dire que c’est une évidence. Christine : C’est ça. Il n’y a rien à faire. Jérôme : On ne va pas en parler… Qu’est-ce qui fait l’artiste ultime selon vous ? Le truc. Christine : Ben, c’est justement le côté… bon, ben déjà oui, indiscutablement il n’y a rien à dire mais c’est presqu’autant le côté pas lisse du tout du personnage, moi ce qui me plaît aussi beaucoup et ce que j’ai découvert plus tard en fait, parce qu’au début on est émerveillé par ses clips et par tout ça, mais moi ce qui me touche aussi, c’est l’artiste qui s’est recréé, quoi. Et qui a été un perfectionniste maladif, qui était quelqu’un d’obsessionnel, et qui s’est forgé, qui

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard s’est recréé, qui a voulu se transformer, se fondre dans son œuvre et ça pour moi… ben, je pense qu’on n’a jamais trouvé quelqu’un d’aussi fou que lui aussi pour ça, c’est-à-dire qu’il n’était intéressé que par son personnage de scène, que par ce qu’il allait faire, et on le sent, enfin on sent que c’est quelqu’un qui s’anime que quand il est sur scène, en interview, moi je ne regarde pas ses interviews parce qu’on va dire je ne les trouve pas intéressantes parce que le type n’existe que quand il performe. Et il est tellement travaillé par l’histoire, cette idée… il se détestait tellement aussi, enfin je ne le connaissais personnellement mais ça se sent pour se recréer comme ça, il ne faut pas s’aimer, donc… il y a ce fantasme de la toute-puissance de se recréer soi-même qui moi me fascine. Et qui est hyper tragique aussi, c’est terrible. Puis c’était un extra-terrestre dans tous les sens du terme, c’était pas un mec normal quoi, il était un peu… il a été pas très… bon, alors moi je suis team Michael Jackson, donc forcément… je pense qu’il n’a pas été compris parce qu’il planait un peu, parce qu’il était très bizarre quoi, il n’était un peu pas autiste mais c’est quelqu’un qui était resté dans un état d’enfance malade. Du coup, c’est fou parce que t’as l’impression que tu assistes à tout en fait, t’as l’impression que toute sa vie il la mise dans sa musique, donc t’as l’impression d’avoir été le témoin de toute sa vie, c’est ça qui est troublant, tu vois. Je ne sais pas… On a l’impression qu’il n’a pas eu de vraie vie en dehors de ce clip. Je ne sais pas, c’est un sentiment…

Christine, elle me rend plus belle

Jérôme : Est-ce que vous avez l’impression des fois, parce qu’on le disait tout à l’heure, 20 ans c’est pas la joie et puis 26 soudain, quand même, il y a un vrai projet qui s’est mis en place, est-ce que vous avez l’impression que Christine pourrait devenir vitale ? Christine : Oui, mais elle l’est déjà, hein. Elle l’est déjà. Mais dans le bon sens du terme. Parce que du coup, je suis dans une dynamique vertueuse mais même c’est intéressant cette histoire qu’elle déteigne sur moi, qu’elle me pousse à faire des choses, parce que je pense qu’elle m’a changée.. elle m’a changée physiquement aussi un peu, je me suis asséchée aussi un peu. Jérôme : Ah oui ? Christine : Mais je trouve ça génial, en fait ça me surexcite parce que je me dis, je ne sais pas, moi aussi en fait, je n’aurai jamais ce fantasme de me recréer mais j’ai le fantasme de me modifier par mon travail. J’adore, tu vois, quand tu fais une tournée, que t’as fait plusieurs dates et que ton corps s’assèche, tu vois les muscles qui arrivent et t’es là… y’a un truc de puissance aussi, voilà tu deviens une athlète, quoi. Et sans le personnage je n’aurais pas eu ça je pense. Donc d’avoir un personnage avec des normes esthétiques et un code, tout ça, dress- code, tout ça, ça te pousse aussi à te… c’est toi qui va te changer pour entrer dans le costume en fait, je trouve ça assez beau. Jérôme : Ça veut dire qu’elle vous rend plus belle ? Christine : Plus belle je ne sais pas mais en tout cas plus… ben oui peut-être plus belle en fait parce que la beauté vient de ce qu’on dégage aussi, donc je pense que je suis peut-être plus expressive et plus libérée. Bon après… Mais j’ai été travaillée un moment par la chirurgie esthétique, j’y ai pensé aussi. Jérôme : C’est vrai ?

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Christine : Je pense que j’étais trop fan de Michael. Enfin oui… Même des artistes comme Orlan, tu sais, qui se refont le visage… je ne ferai jamais comme Orlan, mais ça me parle ce truc un peu dramatique et pathologique de vouloir se refaire, se modifier un peu, ça me parle. Bon je ne l’ai pas fait parce que j’ai peur des anesthésies générales, mais j’ai le complexe comme ça de… j’aurais bien aimé être mon propre créateur, j’aurais bien aimé me dessiner, pouvoir me dessiner et puis, décider que je suis comme ça, voilà, je suis comme ça. Jérôme : Vous ne contrôlez pas tout, hein. Christine : Ben non. Pas encore. Jérôme : C’est joli de vous l’apprendre. Christine : C’est con. Jérôme : Pas encore dit-elle. Christine : C’est un truc hyper… Au fur et à mesure du trajet, tu sais, la fille se révèle. Complètement flippante. C’est un truc très infantile de toute puissance. Oui, c’est ça maintenant tu vas écouter l’album genre… Jérôme : Oui. Je dirai à mes enfants : vous ne l’écoutez plus. Ben oui.

L’écriture

Christine : Ça y est, il fait nuit. Je redoute un peu de déranger les étudiants. Jérôme : On ne va pas les déranger du tout. Christine : J’espère qu’ils ne vont pas me regarder avec désapprobation. C’est celle qui a arrêté de lire pour faire de la musique. Jérôme : Oui c’est ça ! Christine : Mais j’en ai des fois… Jérôme : Ça fait 5 ans qu’elle n’a pas lu un roman. Christine : Oui c’est ça. Et elle ose écrire des textes ! Shame on you. Jérôme : L’écriture de paroles de chanson, c’est quelque chose qui vous fascine, qui vous prend du temps, et dans lequel vous prenez un réel plaisir ? Christine : Oui. Jérôme : Oui ? Christine : Une extrême jubilation. J’ai toujours beaucoup aimé écrire de toute façon, donc avant j’écrivais des trucs plus longs, des nouvelles, carrément à un moment je voulais être écrivain, c’était quand j’avais 12 ans, ça n’a pas duré longtemps, mais j’ai toujours écrit tout le temps, beaucoup, tous les jours, donc j’avais des journaux intimes, j’ai toujours aimé écrire. Mais alors, de découvrir l’écriture d’un texte de chanson, ça a été fabuleux parce que je trouve que c’est une écriture tellement ramassée, tellement rythmique, qui laisse de la place aussi… on sait qu’on va aller chanter ces chansons devant d’autres gens, donc on sait qu’elles vont se confronter, donc je trouve ça absolument jouissif. C’est un peu comme des puzzles. C’est-à- dire que j’écris tous les jours un peu, il y a des bribes qui me viennent, qui se raccrochent ensuite à d’autres bribes qui me viennent le jour d’après et c’est comme des casse-tête, j’adore y penser tout le temps, dans les trajets… j’adore. Je dis ça alors qu’en même temps, le texte de « Saint-Claude » par exemple est venu d’une traite mais la plupart de mes textes sont quand même des jeux de patience, quoi. La musique se compose très vite mais les textes, j’y

Les interviews d’Hep Taxi ! Jérôme Colin au volant, le portrait en mouvement de Matthieu Ricard pense pendant des mois et c’est comme mettre en place un petit système sophistiqué de mikado. Donc, j’adore ça oui. Je trouve ça super.

Savoir où je veux aller

Jérôme : Vous avez l’impression à 26 ans, ce qui est pas mal, ce qui peut éventuellement tenir de l’exploit, que vous vous êtes trouvée ? Christine : Ben oui, je crois. Après j’aurai peut-être une autre crise qui me fera changer encore une fois de direction. Jérôme : Peu importe. Christine : Mais là, j’ai l’impression d’avoir, oui, de savoir en tout cas vers quoi… Jérôme : D’être à l’exact endroit où vous devez être. Christine : De savoir où je veux aller, de savoir ce qui me plaît. Et d’être pour l’instant… oui, je crois. C’est fou de dire ça, non ? Ça fait très… Jérôme : C’est très bien hein. Christine : C’est le moment d’avoir un petit peu de vent dans les cheveux… Jérôme : Oui. Christine : Mais qui dit ça, dit d’autres défis, hein. Je ne dis pas que j’ai l’impression d’être géniale, assise sur mon siège, mais oui j’ai l’impression d’avoir trouvé une bonne direction. Mais je pense que ça change avec l’âge. A 18 ans, j’avais l’impression de m’être trouvée aussi. J’étais complètement différente. Comme quoi. J’avais des robes à grelots… C’était autre chose, quoi. Jérôme : C’est quoi une robe à grelots ? Christine : Ben c’est des robes qui font du bruit quand tu marches, tellement y’a des sequins, des machins… J’étais dans une parodie presque de la féminité c’était too much quoi. On m’appelait Héloïse la Marquise.

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Jérôme : C’est vrai ? Christine : J’arrivais dans les couloirs, ils étaient là : ah c’est Mardi Gras ? Moi j’étais : non c’est ma robe habituelle… J’étais un travesti en fait à 18 ans, hein. Dans une démarche de too much. Donc ça, je pense que ça bouge en fonction de l’âge qu’on a. Jérôme : Vos parents sont contents que leur fille ne soit plus assise sur un banc ? Christine : Ben, mes parents sont très émus. Ma mère, encore une fois plus aussi, je pense parce qu’elle avait compris, comme je l’avais dit, avant quoi, donc elle a l’impression que ça y est, j’ai trouvé mon chemin, elle a toujours dit : ma fille est une artiste, maintenant elle peut le dire vraiment à la boulangerie : ma fille est vraiment une artiste, elle a sorti un album. Mon père aussi est très ému. Je crois qu’en plus comme ils sont profs, ils ne connaissent pas cette réalité-là, ça les impressionne parce qu’ils reçoivent les informations, ils reçoivent que je suis à l’Olympia, ils me voient à la télévision, donc ils ont cette image voilà de leur fille qui devient un objet médiatique. Puis ils viennent me voir en concert dès qu’ils peuvent, et oui ça les met dans tous leurs états. C’est joli. Je pense qu’ils sont… mais je pense qu’ils me voient aussi m’épanouir là-dedans, donc je pense que ça marche pour eux. Tant que ça marche, ça marche. Jérôme : Ça, c’est sûr.

Christine : Ça, c’est le Quartier Latin. C’est là où j’ai fait mes études. Jérôme : C’était ici ? Christine : Ben c’était un tout petit peu plus loin, vers Odéon mais moi j’étais au Lycée Fénelon. J’ai fait ma classe prépa là-bas. C’était mes premières années à Paris. J’avais, en bonne parano, j’avais peur de prendre le métro parce que c’était juste après les attentats de Londres, j’étais persuadée qu’on allait tous crever dans le métro d’un attentat. C’était génial ma vie, hein, c’était bien. La fille tout le temps angoissée. En même temps, c’est beaucoup d’imagination, par exemple, j’ai toujours ça, hein, j’ai une parano très active, d’ailleurs c’était dans un taxi, j’ai fait une crise de parano la semaine dernière. Parce qu’il y a un taxi qui m’a dit : vous voulez de l’eau ? J’ai dit : ben oui pourquoi pas. Il a fait : bougez pas. Et il est allé chercher une bouteille dans son coffre et là, j’ai commencé à vriller, je me suis dit : en fait, le mec il a mis du cyanure dans l’eau, il va m’empoisonner avec l’eau et je vais me retrouver enterrée dans une forêt… Voilà j’ai toujours… J’ai pas mal d’imagination. Je ne me suis pas méfiée en prenant les bonbons d’ailleurs, mais j’aurais dû. Jérôme : C’est trop tard. Le mal est fait. Christine : Zut.

Christine : Bon on parle tout le temps de moi mais vous alors ? Jérôme : Ça va, et vous ? Christine : Je remets les citations. Jérôme : Comment ? Christine : Je remets les citations dans les bonbons. Jérôme : Vous pouvez. Si vous voulez garder celle de Milan Kundera dans votre poche, allez- y. Comme ça vous n’oublierez pas de la sortir.

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Christine : Je m’en souviens. « Le vent c’est une vocation de feuille morte ». C’est génial. Ça souligne aussi la vacuité de ce qui reste tout le temps dans le vent. J’essaie… Jérôme : C’est ça oui.

L’éducation musicale

Christine : J’essaie. On peut être incompris aussi. Ça m’est pas arrivé mais… , il a sorti « Berlin », tout le monde s’est foutu de sa gueule. Quand même, parce que « Berlin », avant de faire « Berlin » je pense qu’il faut se lever tôt. Jérôme : Ah oui. Je pense qu’il n’y aura pas d’équivalent cette année. Christine : Non ? Ah bon ! C’est surtout que plus personne ne miserait sur un album comme « Berlin » aujourd’hui. Jérôme : C’est fini. Christine : Trop triste. Jérôme : C’est fini. C’est dingue parce que vous l’avez fait quand cette éducation musicale ? Christine : Ce que j’écoute et tout ça ? Jérôme : Oui. Christine : Ça a été un mélange entre la discographie de mes parents qui était assez surprenante, par exemple j’ai découvert Klaus Nomi avec des vinyles de mes parents. Jérôme : Klaus Nomi, c’est… Christine : Klaus Nomi qui… Jérôme : C’est le chanteur d’opéra ? Christine : Oui. Très bizarre, assez underground. Mes parents écoutaient ça, mes parents écoutaient Jo Jackson, , Bob Dylan. Ils écoutaient Christophe aussi. Tout ça j’ai découvert avec mes parents. Moi après j’ai découvert plus de mon côté le hip-hop américain, Kenny West et compagnie, Drake, la musique électro aussi j’ai découvert ça de mon côté, donc c’est un mélange mais… Mes parents avaient quand même une sensibilité assez étonnante en musique. Ma mère m’a fait beaucoup regarder des comédies musicales aussi. Jérôme : Ah oui ? Christine : Oui, genre « Chantons sous la pluie », tous les Jacques Demy, donc ça m’a… je ne sais pas si ça m’a marquée musicalement, forcément un peu.

Je ne pourrais pas ne pas être féministe

Jérôme : La Place du Panthéon. Christine : En toute simplicité quoi. Jérôme : Ça sent le savoir, hein. Il n’y a rien à faire, il y a des places qui en imposent comme ça. Christine : Il n’y a pas beaucoup de femmes au Panthéon, je me permets ma petite parenthèse féministe. Jérôme : Il n’y en a pas beaucoup hein. Christine : Ben non. Jérôme : Il y a qui ?

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Christine : Ben je crois qu’il y a juste Marie Curie. Jérôme : C’est vrai ? Christine : Je crois. C’est un peu un scandale. Il y avait d’ailleurs des pétitions qui ont circulé pour que plus de femmes y soient. Mais bon, ça bougera peut-être. Jérôme : Vous voulez qu’on vous inscrive ? Christine : Ah ben moi, c’est un peu tôt quand même. Attendons de voir si je ne suis pas une feuille morte. LOL.

Christine : En fait Paris ça en impose, c’est très pub pour parfum. Jérôme : Particulièrement pour un Bruxellois. ??? Christine : Oui. Jérôme : Je ne savais pas qu’il y avait très peu de femmes… Christine : Eh oui. Jérôme : Militante vous êtes ? Christine : Militante je suis. Jérôme : Oui ? Christine : Oh oui. Ben oui. Jérôme : Malgré vous ou pour vous ? Christine : Les deux. Les deux parce que moi j’ai connu vraiment de la discrimination machiste. Quand j’étais au Conservatoire de Lyon, ça m’a vraiment fait prendre conscience que cette problématique, c’était pas juste abstrait, et puis je me rends bien compte, enfin bon, on constate quand même qu’il y a… l’égalité n’est pas de mise entre les hommes et les femmes de toute façon. Même, quand on se renseigne autour de soi, quand on voit la réalité des salaires des femmes par rapport aux hommes, enfin il y a des faits indéniables qui font que moi je ne pourrais pas ne pas être féministe, quoi ! Je ne vois pas comment on pourrait se déforcer de ce combat-là. En tant que femme en tout cas, parce que ça me frappe tellement moi. Même quand j’ai commencé la musique, qu’est-ce que j’ai pu m’entendre : mais c’est vraiment toi qui compose tes chansons ? Non, c’est mon père, quoi ! Et tu sais te servir de ton ordinateur ? Oui. Ou : attends, laisse, je vais le brancher pour toi. Non, mais je le branche tous les jours chez moi, tu sais. Enfin c’est des petits détails, mais oui je pense qu’il y a encore du travail à faire. Bon je ne suis pas la plus militante des militantes mais… Jérôme : Après, maintenant vous avez la parole. Christine : Oui. Voilà je peux faire exister au moins celle-là. Modestement.

Alors elle est où cette Bibliothèque Sainte-Geneviève ?

Christine : Ben elle est par là, ben c’est celle-là. Jérôme : C’est là ? On est arrivé ? Christine : Oui je crois que c’est ça. Jérôme : Bon je vous fais un deal. Christine : Oui ? Jérôme : Je ne vous fais pas payer la course… Christine : Ah !

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Jérôme : Mais voilà… Christine : Vous êtes sûr que les bonbons n’étaient pas empoisonnés ? Non, je rigole. Mais ? Jérôme : Vous nous chantez une chanson ? Christine : Right now ? Jérôme : Right now. Christine : In front of the cameras ? Jérôme : Yes. Christine : Heu… vous voulez que je chante une de mes chansons ou une chanson dans l’absolu ? Jérôme : Une de vos chansons. Christine : Oh lala… d’accord. Qu’est-ce que je vais pouvoir vous chanter de facile… Jérôme : Ou une chanson dans l’absolu. Christine : Non, non, attends, je réfléchis à mon répertoire qui est un énorme répertoire… Jérôme : D’un album. Christine : Attends je réfléchis. Vous voulez une chanson en français ou en anglais ? Jérôme : C’est… Christine : Comme vous voulez… Merde… Jérôme : C’est pour nous tous là. Christine : La session acoustique toute pourrie…

(Elle chante)

Jérôme : Très bien. Merci. Christine : Je vous en prie. Jérôme : Bibliothèque Sainte-Geneviève. Christine : On descend ? Jérôme : Oui. Ça, je veux voir avec vous.

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