2000

Stella Vander - Denis Desassis - Décembre 1998 à Février 2000

Stella VANDER : une interview pour le Web

Stella accorde peu d'interviews. Ce fut pourtant le cas durant l'année 1999, où elle accepta de faire le point sur 30 ans de la vie de Magma. Cet entretien est par ailleurs disponible sur un site indépendant.

DD : Pouvez-vous nous parler de votre enfance : avez-vous évolué d'emblée dans un milieu où la musique avait de l'importance ? Quelles sortes de musiques écoutiez-vous ? Avez-vous eu très tôt la certitude que votre vie serait consacrée à la musique ? Stella : j'ai eu la chance d'avoir un jeune oncle - nous avons 14 ans de différence - qui m'a fait découvrir le jazz vers l'âge de 8 ans. Il me faisait écouter Miles Davis, Dave Brubeck, Stan Getz , entre autres... Je n'ai jamais cessé d'écouter du jazz depuis. À l'adolescence j'ai écouté aussi beaucoup de rhythm'n'blues et j'étais une grande fan de la Tamla Motown. J'ai écouté aussi du classique mais je ne sais plus comment j'y suis venue ; je n'ai pas le souvenir d'y avoir été initiée par quelqu'un. Je ne me suis jamais dit "ma vie sera consacrée à la musique". J'en ai toujours fait. J'ai pris des cours de piano étant enfant puis vers l'âge de 12 ans, j'ai continué à travailler seule et j'ai eu envie de travailler d'autres instruments. Ce fut la guitare, puis la flûte traversière. Je n'ai jamais travaillé le chant avec un professeur mais je me souviens très bien des cours de musique à l'école primaire. Nous chantions en chorale dans la classe et je m'amusais à chanter par intermittence pour écouter la différence de son avec et sans moi ; je trouvais que la chorale sonnait mieux quand je chantais !!! J'ai revu une camarade de classe dans les années 70 qui m'a affirmé que, déjà à l'époque, je ne m'intéressais vraiment qu'à la musique. Je n'ai pas de souvenirs aussi précis ; je crois que cela devait me sembler normal.

DD : Vous avez eu, avant l'aventure Magma, une première carrière sous le nom de Stella. Trente ans après, quel regard portez-vous sur cette époque ? Stella : Pendant des années, j'ai totalement occulté cette période. J'avais le sentiment de m'être bien amusée mais d'avoir fait des choses sans intérêt. Et récemment, j'ai rencontré plusieurs fans de la "Stella" des années 60 (y compris à Los Angeles et à New York !). Cela m'a donné envie de ré-écouter les chansons... et en fait , en se replaçant dans le contexte de l'époque, ce n'était pas mal du tout. C'était vraiment décalé et rigolo. En tous cas, c'est là que j'ai appris les bases de ce métier.

DD : Ces enregistrements semblent assez éloignés de la "Zeuhl" ; aviez-vous déjà à ce moment le besoin de participer à une expérience musicale plus aventureuse, plus absolue ? Stella : C'est pour cette raison que, à l'age de 17 ans, j'ai stoppé cette carrière, qui allait ma foi très bien. J'avais beaucoup d'amis musiciens, ou plutôt, je n'avais que des amis musiciens, et j'ai continué la musique, pas le show business.

DD : Il me semble avoir aperçu récemment un CD regroupant ces enregistrements. Avez-vous été impliquée dans cette réédition ? Stella : Pas du tout. Je l'ai reçue une fois terminée. J'étais très étonnée, je ne voyais pas qui cela pouvait intéresser. Apparemment, les chiffres de vente prouvent que cela intéresse pas mal de gens !

DD : Votre solo, "D'épreuves d'amour", révélait chez vous une personnalité beaucoup plus "humaine", plus sensible aux émotions du coeur que ne le révélait votre présence dans Magma. Etait-ce une manière de dire des choses qu'il vous était impossible de retraduire à travers le groupe dans la mesure où ce dernier véhiculait un message beaucoup plus mystique, voire cosmique ? Stella : Il y a tout dans la musique de Magma : une dimension mystique, cosmique, humaine. Tout ce qu'il y a de plus humain ! Pour moi on y trouve toutes les "émotions du coeur" du monde ! Dans mon album, j'ai essayé de réunir des choses différentes qui me touchent aussi. J'étais également plus exposée que dans Magma, où je n'avais pas vraiment un rôle de soliste.

DD : Quel regard portez-vous sur la production musicale actuelle ? Stella : Quel désert ! Que des reprises, ou des trucs basés sur des gimmicks d'anciens tubes. Quelle manque d'imagination ! Et ils chantent tous de la même façon. Comment auraient-ils fait si Stevie Wonder n'avait pas existé ? Quant au jazz, ce n'est pas très gai non plus. Bien sûr il y a d'excellents musiciens, de formidables chanteuses. Mais je m'ennuie vite. Je suis ravie d'entendre un truc qui sonne mais malheureusement, ce n'est pas souvent. Où alors c'est un titre ou deux… rarement un album. Dans l'ensemble c'est "bien propre sur soi". On a envie que ça rue dans les brancards !

DD : En dehors des musiciens qui enregistrent sur Seventh Records et de leurs proches, quel genre de musique écoutez-vous ? Quels sont vos derniers "coups de coeur" ? Stella : Je n'écoute plus beaucoup de musique à la maison. Des ré-éditions CD de ce que j'écoutais avant. Du jazz surtout. Mes derniers "coups de coeur" remontent à bien longtemps. Je les re-découvre.

DD : Comment s'est réalisée la connexion entre votre première "carrière" et votre entrée dans l'univers de Christian Vander ? Stella : Il n'y a pas eu de connexion, j'avais mis un terme à cette carrière.

DD : Si l'on s'en tient à la seule discographie, vous n'entrez dans l'histoire du groupe qu'à compter de "Mekanïk Destruktiw Kommandöh". Mais vous étiez déjà aux côtés de Christian Vander. Quel était votre rôle lors de cette première phase ? Stella : Je faisais, comme beaucoup de femmes de musiciens, bouillir la marmite. J'ai fait les éclairages pendant un certain temps. Sans matériel et sans aucune expérience de ce métier, mais avec la foi et un sens du tempo et de la mise en place qui forçait le respect !

DD : Un nombre incroyable de musiciens sont passés dans Magma : à quoi attribuez- vous ce "turn over" ? Stella : Des raisons très diverses. L'envie de faire son chemin en tant que leader pour les uns, la fatigue et l'usure pour les autres ; l'envie de passer à autre chose d'une manière ou d'une autre.

DD : Il est assez souvent arrivé que des musiciens quittent Magma en claquant la porte ; est-ce si difficile de travailler avec Christian ? Stella : Je n'ai aucun souvenir de musiciens quittant Magma en claquant la porte. Cela s'est toujours passé sans heurts. Souvent pas sans tristesse pour nous. Mais on s'habitue. Maintenant je suis blindée ! Les deux ou trois dernières fois, cela ne m'a fait ni chaud ni froid ! A part une grande fatigue... C'est toujours ennuyeux. C'est tout un travail qu'il faut recommencer avec un, ou une autre. Il n'est pas difficile de travailler avec Christian. Il apprend énormément aux musiciens qui travaillent avec lui. Il est très indulgent et privilégie toujours l'envie, la foi et la bonne volonté. Il laissera le temps qu'il faut pour faire ses preuves à un musicien s'il sent que l'envie est là et qu'il y a un potentiel. Il est très patient.

DD : Selon vous, quelle a été la formation la plus proche de ce dont Christian rêvait ? Et de ce que vous rêviez, vous ? Stella : Le groupe avec Jannick, bien sûr. Puis le groupe avec Didier et Bernard. Pour Offering, la formation avec Simon, Guy Khalifa, Abdu M'Boup... C'était magique!

DD : Quels sont vos souvenirs les plus forts (bons ou mauvais...) dans toute l'histoire de Magma ? Stella : Difficile question... En presque 30 ans, il y a des tonnes de bons souvenirs et quelques mauvais aussi... J'ai tendance, comme la majorité des gens je crois, à me rappeler plutôt les bons souvenirs ; les concerts d'abord (beaucoup de fantastiques concerts !) et les festivals comme Le Castelet, Reading en Angleterre, Roskilde au Danemark... et un concert à la Roundhouse de Londres ou le public hurlait si fort que l'on entendait même plus, sur scène à 2 mètres, la batterie de Christian... Et puis, en vrac, les nuits dans le camion, à rouler des centaines de kilomètres, craquant nerveusement de fatigue, ce qui débouchait toujours sur un fou rire général qui n'en finissait plus... L'enregistrement de Wurdah Itah, en 4 jours, l'enregistrement de Köhntarkösz chez notre ami Milou à Valbonne, avec le baffle de l'ampli SVT de Jannick enfermé dans un petit local au fond du jardin, et qu'on entendait à des centaines de mètres à la ronde... Les différents enregistrements faits au studio d'Hérouville aussi, où nous habitions, sur place, dans cet endroit génial, malheureusement à l'abandon aujourd'hui. Les mauvais souvenirs je préfère prétendre qu'il n'y en a pas.

DD : Avez-vous, à un moment ou à un autre, été tentée de "jeter l'éponge", car il est évident que le quotidien de la vie au sein de Magma n'a pas toujours été facile ? Stella : Jeter l'éponge, non. Mais des moments de révolte ou de déprime, j'en ai eu souvent ! Pourquoi, encore aujourd'hui, est-ce toujours si difficile et pourquoi, systématiquement, se mettent des bâtons dans les roues. Nous finissons plus ou moins toujours à obtenir un résultat mais il faut en vouloir !!! Cela pourrait être simple parfois, mais pour nous, jamais. Comme si quelque chose s'acharnait à nous rendre la vie dure... Peut-être un jour, si nous ne craquons pas, nous aurons une récompense ; je préférerais que cela se passe dans cette vie...

DD : C'est peut-être au sein d'Offering que vous occupez la place la plus prééminente. Plus que vocaliste, vous y êtes chanteuse. Il s'agit par ailleurs d'une expérience musicale très forte qui, si elle n'a jamais attiré autant de monde que Magma, est pourtant très novatrice et très intense. Comment l'avez-vous vécue ? Stella : C'était passionnant. J'avais, pour la première fois, beaucoup de place pour m'exprimer. Mais c'est quelque chose que je n'aurais pas pu faire 10 ans plus tôt, même si j'en avais eu l'opportunité ; je n'étais pas prête. Je comprends que cela n'aie pas attiré autant de monde que Magma à l'époque. Le public était un peu déconcerté de ne plus voir Christian à la batterie (ça c'est quelque chose que je ne comprends pas car il est un pianiste et un chanteur tout aussi impressionnant !!!) Aujourd'hui, il me semble que le public entrerait dans le climat d'Offering beaucoup plus facilement. Christian a amené beaucoup de gens à découvrir le jazz et Coltrane en particulier ; maintenant ceux-ci sont prêts à écouter Offering.

DD : Peut-on imaginer une nouvelle période Offering après la "renaissance" de Magma depuis 1996 ? Stella : On peut tout imaginer... Nous aimerions beaucoup rejouer Offering. Mais c'est un gros travail et il faut des concerts nombreux et réguliers pour faire avancer la musique dans ce contexte. Si notre agent nous monte une tournée de 20 concerts, pas de problème, nous serons ravis !

DD : Dans une interview, Christian Vander disait que vous étiez à l'origine du projet des "Voix de Magma". Quelles étaient vos motivations ? Stella : Christian compose toute sa musique en chantant au piano, le chant est l'essence de la musique de Magma. J'avais envie d'une formule qui mette cet aspect en valeur, qui montre que cette musique sonne merveilleusement, juste avec un piano et des voix.

DD : C'est avec les "Voix de Magma" que le nom de Magma lui-même est revenu sur scène, après une longue période d'absence, consacrée à Offering et au Trio. Le projet a atteint son apogée en octobre 95 à Epinay-sur-Seine, avec deux concerts célébrant les 25 ans du groupe. Pensez-vous, dans ces conditions, avoir été, directement ou non, à l'origine du retour de Magma en tournée à partir de décembre 1996 ? Stella : Non, c'était l'idée de Bernard Ivain, agent artistique et ami de Christian. Par contre l'intervention de 100 enfants pour fêter les 25 ans de Magma était mon idée. Je n'avais aucune envie d'un anniversaire style "anciens combattants", même si une bonne partie du public, pour ne pas dire tout le monde, aurait été ravi. Pour moi, il est très important que Magma reste tourné vers l'avenir. Jouer des morceaux des années 70 reste l'avenir, car cette musique a toujours plusieurs longueurs d'avance.

DD : Le "nouveau" Magma joue les grands classiques du groupe. Et même si deux nouvelles (et courtes) compositions vont être intégrées au répertoire sur scène et publiées sur un mini CD, on attend tout de même une oeuvre plus consistante, qui soit à notre époque ce que furent "M.D.K." ou "Köhntarkösz" aux années 70. Y a-t-il d'après vous un "grand chantier" dans l'air ? Stella : Le CD 2 titres a été fait également à la demande de Bernard Ivain, agent artistique. Il en avait besoin pour les professionnels du "métier". Ces derniers ont toujours besoin de quelque chose de nouveau à se mettre sous la dent pour daigner parler de vous ou bien vous programmer dans un concert. Je me demande comment font les professionnels qui programment des orchestres interprétant des oeuvres de Bach ou Mozart ; c'est curieux je n'ai pas vu de nouveau CD de ces compositeurs depuis un bon moment... Le grand chantier en cours est "Les cygnes et les corbeaux". Que cela s'appelle Magma ou non n'a aucune importance. C'est la musique de Christian, la suite de son oeuvre et il faut d'abord réaliser ce projet avant de faire quoi que ce soit d'autre. C'est un morceaux d'une durée d'environ 60 à 65 minutes que nous réalisons pratiquement seuls, Christian et moi (à part quelques parties de choeurs réalisées avec Isabelle Feuillebois, Julie Vander et Bénédicte Ragu),avec bien sur l'aide de Francis à la "mise en son". C'est un travail titanesque, je n'ai pas peur de le dire. Christian est un perfectionniste, cela prends beaucoup de temps. Nous avons entièrement réalisé environ 40 minutes de musique à ce jour (31/10/1999). Nous avons la base de 10 minutes supplémentaires qu'il nous faut orchestrer... et encore 10 à 15 minutes à réaliser entièrement. Cela prendra encore quelques mois car nous avons aussi des périodes de concerts... et de repos!

DD : Même si la réponse à cette question ne vous appartient pas en réalité, comment imaginez-vous le futur pour la musique de Magma et plus généralement de Christian Vander ? Stella : Je suis certaine que de plus en plus de gens seront touchés par la musique de Magma. Ce serait simplement mieux que cela se passe du vivant de Christian. Que son talent soit reconnu à sa juste valeur, pas seulement par quelques milliers de gens, mais par le grand public.

DD : Avec Seventh Records, vous êtes en quelque sorte "chef d'entreprise" ; quelles raisons vous ont poussée à vous engager dans cette aventure ? Stella : De multiples problèmes avec les différentes maisons de disques avec lesquelles nous avons été, à un moment ou un autre, sous contrat. Liberté de création d'une part mais aussi des raisons plus terre à terre comme des royalties jamais reçues, plutôt 2 fois qu'une ! La goutte d'eau a été le label qui avait sorti l'album "MERCI" (que nous avions produit avec l'aide d'Yves Chamberland, alors patron du studio Davout) et qui a déposé son bilan sans nous payer un centime de royalties ! Nous n'avons également jamais touché de royalties à l'époque sur les M.D.K, Köhntarkösz, Live, Udu Wudu et . Nous ne recevions que des relevés ou nous devions, nous, encore de l'argent à la maison de disques. Car toutes les dépenses, y compris celles engagées pour des réceptions où le gratin du métier et de la presse était convié étaient à notre charge. Idem pour les albums Kobaia et 1001° C dont des extraits figurent sur des compilations et pour lesquels nous recevons des relevés débiteurs presque 30 ans après... D'autre part Francis Linon dirigeait, à l'époque, une société dans l'audio professionnel, CYBORG. Nous avons donc eu la chance d'avoir une partie des locaux, ainsi que les installations - téléphone, fax, ordinateurs - le secrétariat et la comptabilité de cette société, à notre disposition gratuitement pendant le temps qu'il a fallu pour démarrer. Nous n'avons créé une structure totalement autonome qu'en décembre 1990. Nous n'aurions peut-être pas pu créer Seventh sans cela. Tout du moins pas aussi facilement.

DD : Etre indépendant est certainement le gage d'une liberté de création ; cependant, les très fortes contraintes économiques qui pèsent sur les "petits" labels ne limitent-elles pas votre production à un seuil inférieur à celui que vous pourriez souhaiter en tant qu'artiste ? Stella : Bien évidemment. Et nous ne pourrons pas continuer à produire des artistes dont nous savons que les ventes vont culminer à 500 CD. Nous l'avons fait, car c'était l'idée de Seventh d'aider des artistes d'une même famille musicale, mais cela est difficilement viable économiquement. Nous ne pouvons pas vraiment nous permettre de perdre de l'argent trop souvent.

DD : Comment se prend la décision de produire tel ou tel disque sur Seventh Records ? Et qui prend cette décision ? Stella : D'un commun accord entre les associés qui sont Francis Linon, Alain Raemackers, Christian et moi. Jusqu'à présent, nous avons toujours été tous d'accord immédiatement sur chaque projet. Christian et Francis se partagent le travail considérable que représente l'écoute des maquettes que nous recevons.

DD : Quel est le seuil de rentabilité d'un disque (car je suppose que vous êtes amenée à vous poser ce genre de questions, même si elles vous éloignent des préoccupations purement artistiques) et quelles sont les meilleures ventes du label ? Stella : Les meilleures ventes du label sont bien évidemment MAGMA. Nous avons la chance d'avoir notre studio qui est donc partie prenante de chaque production (en fait une co- production entre Seventh et le studio). Le budget d'un album ne s'équilibre pas en dessous de 1000 exemplaires. Et il ne faut pas délirer sur la pochette... et bien sûr cela ne permet aucun budget publicitaire.

DD : Vous faites partie de cet ensemble de labels regroupés sous le vocable des "Allumés du jazz" : quels sont les objectifs de cette association ? Et avez-vous obtenu des résultats ? Stella : Cette association reçoit une subvention annuelle du ministère de la Culture. Jusqu'à présent, celle-ci servait à une opération de promotion sur tous les labels des Allumés. On parle maintenant d' une démarche commerciale, je ne trouve pas que cela soit une bonne idée car le ministère ne continuera peut-être pas à subventionner une société commerciale ; cela devient plutôt un GIE. Ce n'était pas l'idée de départ.

DD : Christian Vander est très "pointilleux" sur la nécessité de rééditer les anciens disques de Magma de la façon la plus proche possible de la première sortie ; récemment, j'ai osé lui dire que la parution du CD "Simples" aurait peut-être pu être évitée par l'ajout de "bonus tracks" sur d'autres disques. Il m'a téléphoné lui-même, assez fâché au départ, pour me lister toutes les raisons "artistiques" qui l'avaient amené à agir ainsi. Est-ce qu'une démarche aussi stricte ne risque pas de rendre les choses encore plus compliquées du point de vue économique ? Stella : Non. Economiquement il aurait été beaucoup plus coûteux de modifier toutes les pochettes et de refaire des masterglass pour rajouter un titre par ci, un titre par là sur des CD existants. Et même pour le public je trouve plus honnête de proposer un CD à 70 F, d'une durée de 20 minutes, regroupant 5 titres introuvables, que d'obliger, quelque part, un fan à racheter 120 ou 130 F un album qu'il a déjà, sous prétexte qu'il comporte un bonus track.

DD : Face à un nouveau projet de Christian, vous est-il arrivé de vous dire (et de lui dire) : "c'est génial, mais on court à la catastrophe" ? Stella : Non, car si le projet n'est pas dans nos moyens, nous nous contentons de passer une bonne soirée à délirer dessus et le lendemain, on passe à autre chose.

DD : La collection AKT qui regroupe toutes sortes d'enregistrements live (de qualité sonore variable) vise un double objectif, semble-t-il. Proposer au public la retranscription de moments forts, mais aussi contrer la présence sur le marché de bon nombre d'enregistrements pirates. Ne risque-t-elle pas parfois de "brouiller les cartes" et de nuire à l'image de marque du label (cf par exemple le disques "Sons", qui reste une énigme pour beaucoup d'entre nous) ? Stella : "Sons" représente un moment très fort vécu par Christian avec Jannick. Il avait envie de faire partager ce moment. Il est certain que sorti du contexte où cela s'est passé, au Manor studio, avec la vue sur le cimetière et l'ambiance surréaliste de cette nuit là, il est peut-être difficile de comprendre pourquoi Christian a un souvenir très fort de ce moment. Mais cela reste un moment d'exception. Nous nous sommes permis une petite"folie". C'est la seule à ce jour et je ne pense pas que ce soit suffisant pour nuire à l'image du label.

DD : A propos des enregistrements pirates : leur existence, si gênante soit elle, n'est-elle pas flatteuse ? Et ne traduit-elle pas un "besoin de musique" que l'actuelle production de Christian (plutôt limitée depuis plusieurs années) ne parvient pas à satisfaire ? Stella : C'est vrai mais ces albums pirates n'apportent pas de nouveauté. Ce ne sont que des enregistrements de concerts qui la plupart du temps étaient ce qu'un concert doit être : un moment vivant. Seul l'artiste doit décider de publier ou non ce genre de document. Il doit y avoir à chaque fois quelque chose, même si ce n'est qu'un chorus de l'un des musiciens, qui justifie que ce concert soit publié. Je trouve inconvenant de passer outre la volonté d'un artiste. Dans un pirate, le public entend souvent plus que ce qu'il y a vraiment ; c'est l'aspect "interdit" qui charme toujours. C'est ridicule. Bien sûr, je ne dis pas qu'entendre le dernier concert donné par John Coltrane avant sa mort, même avec un son archi pourri ne m'a pas touché ; mais il s'agissait de son dernier concert... Et c'est une cassette qui circule simplement ; cela ne fait pas encore l'objet d'un commerce.

DD : Aura-t-on un jour la chance d'écouter des compositions qui n'ont pas vu le jour dans leur intégralité (je pense notamment au mythique "Ementêht Rê" qui, à l'origine, devait être publié sous la forme d'un triple LP) ? Stella : Je ne pense pas. Il faut faire les choses au moment où elles doivent être faites. Et si il y a une impossibilité (en l'occurrence dans ce cas c'était un refus de la maison de disques de l'époque) parfois le temps passe et c'est trop tard. Christian est passé à autre chose.

DD : Au départ consacré à la musique de Christian Vander, Seventh s'est ensuite ouvert au jazz, à la chanson (cf le disque de Pierre-Michel Sivadier) : malgré les probables incertitudes liées à l'économie de la musique, pensez-vous d'ores et déjà à d'autres évolutions ? Stella : Nous aurions aimé faire une "école de musique différente" ; cela me paraît impossible pour l'instant mais sait-on jamais... Il y a tant de musiciens autour de Seventh qui pourraient donner une autre approche de la musique...

DD : Avez-vous l'intention de signer d'autres artistes sur ce label ? Stella : Pourquoi pas ? Il suffit de vraiment craquer sur un projet et l'on oublie, pour un temps, les contingences matérielles.

DD : "D'épreuves d'amour", votre disque solo, est sorti en 1991. Depuis, en dehors de Magma et d'Offering, on vous a retrouvé sur les disques de Patrick Gauthier ainsi qu'aux côtés de Lydia Domancich et Pierre Marcault. Pouvez-vous nous parler de cette expérience qui, si elle semble dans la lignée assez directe d'Offering, s'ouvre à d'autres influences musicales ? Stella : Il est toujours enrichissant de collaborer avec des musiciens dont on apprécie le travail. C'est souvent une manière différente de travailler. C'est toujours un échange qui, pour moi, est indispensable à la musique. Mais on ne peut pas dire qu'en travaillant avec Patrick, Lydia ou Pierre, je m'éloigne totalement de mon univers de prédilection !

DD : Quels sont les autres musiciens avec lesquels vous aimeriez travailler ? Stella : Je ne me pose pas la question ; je n'aurais, de toutes façons, pas le temps.

DD : Magma suscite une véritable fascination auprès du public, tant du point de vue musical que du point de vue humain. Le personnage de Christian fait l'objet d'un nombre incroyable de rumeurs plus ou moins ésotérique (la dernière en date étant celle d'une sorte d'élevage de jeunes batteurs...). Comment expliquez-vous cette passion et tous ses débordements (souvent hors-sujet) ? Stella : Ceci n'est pas propre à Magma ou à Christian ; tous les personnages publics ont droit à ce traitement et plus particulièrement les gens qui font de la scène, musiciens ou comédiens. Nous sommes heureusement préservés, du fait d'être peu médiatisés, des débordements que l'on trouve dans les journaux type "Voici"ou "Gala" !

DD : Magma a toujours souffert d'un "déficit d'image" : parfois suspecté de véhiculer une idéologie extrémiste, traité de "facho" ici et là et ce d'autant que Christian Vander n'a jamais vraiment cherché à dissiper les malentendus. Comment expliquez-vous cette suspicion et comment vous situez-vous dans cet environnement ? Stella : Au moment où Magma est arrivé sur la scène musicale française, il a suffit d'être habillé en noir, au milieu des groupes de l'époque qui, eux, faisaient surtout dans la débauche de couleurs, pour être assimilé à une secte et de préférence, d'extrême droite. Effectivement, Christian n'a jamais rien fait pour contredire ces affirmations, il en a même rajouté de temps en temps. Mais 30 ans après, il est toujours musicien et compositeur, il n'est pas à la tête (ni membre d'ailleurs) d'un parti politique. C'est ce qui est important. Je serais très déçue s'il abandonnait la musique au profit de la politique, mais cela n'arrivera jamais. C'est du folklore... Je me contrefiche de tout cela. Il m'arrive de m'intéresser à la politique, comme chaque citoyen, souvent pour pester contre les gens qui nous gouvernent et me dire que, décidément, ce n'est pas demain la veille que je vais voter à nouveau... J'ai aussi, comme tout le monde, des idées sur la manière dont on pourrait améliorer les choses dans ce pays. Mais cela s'arrête là. Chacun son métier. Celui que j'ai choisi me satisfait pleinement, je n'ai pas de manque.

DD : De nombreux "fans" de Magma sont aux antipodes des idées que l'on prête, à tort ou à raison, à Christian Vander. Selon vous, peut-on ressentir et aimer la musique de Magma même si l'on ne partage pas ces idées ? Stella : J'adore la musique de Wagner. J'ai pourtant été horrifiée à la lecture de ses écrits! Cela ne m'empêche pas d'être toujours terriblement émue chaque fois que j'écoute, entre autre, l'ouverture de Lohengrin. L'orchestre symphonique d'Israël a remis Wagner à son répertoire depuis plusieurs années, c'est un bon exemple. Ce qui reste, c'est sa musique. Je ne confirme, ni n'infirme aucune rumeur sur Christian. Laissons les gens se prendre la tête, si cela les occupe mais je me demande bien à quoi cela les avance? On aime ou on aime pas, on vibre ou on ne vibre pas à l'écoute d'une musique ou à la vue d'un tableau. C'est le premier frisson qui compte.

DD : Y a-t-il au sein de Magma un espace pour échanger des idées entre musiciens ou bien, au contraire, l'acceptation, même tacite, d'une "vérité" est-elle un pré-requis pour intégrer l'univers du groupe ? Stella : La seule chose que l'on demande à un musicien pour intégrer le groupe c'est de "faire l'affaire" comme on dit. Si en plus il est gentil, sensible, intelligent, équilibré et extrêmement professionnel, on ne s'en plaindra pas ! Il y a eu toutes sortes de tendance politique parmi tous les musiciens qui ont fait partie de Magma, y compris des communistes et des anarchistes. Chacun est libre. Il y a, bien entendu, des échanges d'idées, mais nous avons toujours trouvé mieux à faire que de s'engueuler au sujet des idées des uns ou des autres. En fait, nous parlons surtout de... devinez... de musique !

DD : Dans une récente interview (1997), Christian évoquait un "complot", parlant même de "falsification de l'histoire". Il dit également être parvenu, depuis 1987 et une certaine "révélation" à "dénouer les fils". De tels propos sont historiquement très mal connotés, car ils ont déjà été tenus par des personnages peu recommandables et ont souvent abouti à des bains de sang ou à des génocides. Je crois savoir que vous ne partagez pas son point de vue : est-il possible d'en parler avec lui et, si oui, avez-vous déjà réussi à infléchir ses positions ? Stella : Je pense être une des rares personnes à qui Christian fait confiance et qui puisse trouver les arguments qui l'amènent à se poser certaines questions. Je n'ai plus envie de parler de tout cela, je ne veux plus, et Christian non plus, aborder de sujet qui puisse mener à un affrontement. Il y a trop d'amour et d'affection entre nous. De toutes façons chacun reste sur ses positions. Alors... Comme je le disais un peu plus avant, ce que je peux constater, c'est qu'il continue chaque jour à composer, à jouer... Si un jour il se met à haranguer les foules, je m'évanouirai dans l'espace... Mais cela n'arrivera pas. Il y a une bonne dose de provocation dans tout cela.

DD : Kip Hanrahan, un musicien américain, écrivait récemment : "Il faut simplement être habité par une intensité qui fasse que l'on ne peut jamais se reposer tant que cette musique intérieure n'est pas sortie." Est-ce une façon correcte de dire la manière dont vous vivez la musique ? Stella : J'appliquerais aussi cette manière de fonctionner à la plupart des actes de ma vie quotidienne ; j'ai du mal à me reposer tant que tout n'est pas "en place". J'essaie d'apprendre à faire autrement car je me rends compte que cela à une influence néfaste sur ma santé...

DD : A contrario, cette intensité peut-elle nous autoriser à tout dire et à tout faire, sous le prétexte de la sincérité la plus absolue ? Stella : On le croit un certain temps... il faut bien apprendre. Et puis après avoir pris un certain nombre de "claques", on mûrit, et on tempère. Plus on est passionné, sincère et entier, plus c'est difficile.

DD : A quand un deuxième CD sous votre nom ? Ou bien en collaboration avec d'autres musiciens ? Stella : Un projet me tient à coeur depuis plusieurs années, basé sur des mélodies françaises du début du XXe siècle. Avec également des compositions originales. Cela se fera en temps et en heure. Il faut d'abord terminer l'énorme travail que représente l'enregistrement de : "Les cygnes et les corbeaux".

DD : Quelles seront les principales nouveautés sur Seventh Records en 2000 (et même après si vous le savez !) ? Stella : En avril 2000, un AKT nouveau: une sélection de chorus de batterie de Christian, choisis parmi les meilleurs enregistrés dans les années 70. Puis à l'automne, j'espère, il le faut, "Les cygnes et les corbeaux".

Interview : Denis DESASSIS - du 31 décembre 1998 au 29 février 2000

Christian Vander - Le Temps Culturel - 06.05.00

"Nous avons fait Magma avec tout l'amour du monde"

Le mythique groupe français fête ses trente ans d'existence en trois concerts parisiens, du 12 au 14 mai. Rencontre avec son fondateur, Christian Vander.

C'était en 1970. Un homme aux yeux révulsés frappait les fûts plombés d'une batterie de combat. D'une voix rauque, il scandait un discours furieux, dans une langue aux consonances germaniques qu'il avait inventée: le kobaïen. Autour de lui, des êtres irréels, vêtus de noir, arboraient tous un sigle en forme de flamme inversée. Ils s'étaient baptisés Magma, parlaient d'un monde neuf et de batailles à mener, de stratégies guerrières et d'exil vers d'autres planètes, sur une musique inspirée autant par le saxophoniste John Coltrane que par les chants terriens de Stravinsky. Coup de tonnerre sur la scène musicale française.

Il y a trente ans, les musiciens rock à la chevelure hirsute chantaient le pouvoir des fleurs, la paix associée à l'amour. Ils faisaient brûler de l'encens sur le sitar de Ravi Shankar, en rêvant de Katmandou et de Bénarès. Et cet homme, le batteur-pianiste- chanteur Christian Vander, imposait à ses troupes sonores des horaires de répétition militaires (entraînement sportif inclus), insultait les journalistes qui osaient s'attaquer à Magma, se lançait dans des diatribes virulentes contre l'apathie du milieu artistique. Le fondateur du groupe français avait en fait un idéal. Utopique, par définition. Celui d'ébranler les consciences, d'éveiller son public et, fatalement, de transformer le monde par une musique de violence et d'amour. Une musique violemment amoureuse. Trente ans après, Christian Vander n'a pas renoncé. Le sigle de Magma reste à jamais suspendu autour de son cou. S'il se consacre désormais presque entièrement à ses trio et quartette de jazz, hommages perpétuels à la musique de Coltrane, il ne considère pas sa tâche comme achevée. Pour commémorer le trentième anniversaire de son orchestre mythique, il organise trois concerts dans la salle du Trianon à et s'apprête à interpréter la trilogie , morceau de bravoure du répertoire magmaïen. On dit de Christian Vander qu'il est misanthrope, qu'il vit en ermite perclus dans un château. Il suffit d'un regard réciproque pour que cette réputation soit démentie. L'homme aime parler. Après trois heures d'entretien d'une densité inouïe, il en, propose trois autres pour éclaircir certains pointa obscurs. Christian Vander supporte difficilement les malentendus. Rencontre avec un visionnaire. Plutôt qu'un illuminé.

Ce qui frappe d'emblée, c'est votre détermination. Comme si la musique était toujours pour vous une question de vie ou de mort… Christian Vander : J'ai très vite eu l'intuition de ce groupe. Magma devait naître un jour, quoi qu'il arrive. Je me considère seulement comme le récepteur de cette énergie. Je n'ai jamais voulu prendre le premier plan dans ce groupe, cela s'est fait presque à mon insu. J'avais devant moi l'exemple de John Coltrane, pour qui chaque note était un événement. Il a toujours été un modèle pour mon travail. Au départ, la plupart des gens rejetaient notre musique. Mais nous n'avons pas arrêté une seconde de jouer afin que notre message puisse être délivré. D'une manière générale, les musiciens ne prennent pas suffisamment de risques. Leur son est joli, il parait juste. Mais ce qui est beaucoup plus beau, c'est d'être sur la corde raide. La démarche est douloureuse, mais vivante.

Magma a rapidement été isolé dans la scène musicale française. Comment avez-vous vécu cette situation ? Christian Vander : J'ai vécu des choses plutôt dures. J'ai eu beaucoup de moments de solitude et ce n'est pas fini. Ce n'est pas un problème d'entourage, j'ai toujours côtoyé des gens. Mais nous avons fait Magma avec tout l'amour et l'espoir du monde. Le public se suivait pas suffisamment. Cela a usé Magma. Avec la meilleure volonté, chaque musicien est en droit d'attendre une récompense après un tel travail. Pour mon cas personnel, c'était différent. Tomber mort sur la scène, c'est la plus belle chose qui pouvait m'arriver. Je n'ai jamais compté ni ma sueur ni mes efforts.

Il y a une mythologie autour de Magma, celle de la planète Kobaïa. Comment est née notamment la langue, le "kobaïen" ? Christian Vander : Le " kobaïen " fait partie intégrante de la musique. C'est un langage organique qui m'est venu sans l'avoir prémédité. Je vous l'ai dit, je suis un récepteur. Je ne pense pas avoir été capable de créer une chose pareille. Pour inventer une langue, il faut avoir du vécu et moi, en 1970, je n'en avais pas. J'étais trop jeune. Il y a des choses dont je parle que j'essaie de transmettre mais qui ne sont pas des créations conscientes.

A quoi servait cette imagerie (le sigle, les costumes, etc.) dans Magma? Christian Vander : J'en avais besoin. L'idée Magma, ce que l'on proposait, n'allait pas sans un certain impact visuel. Alors, certaines personnes ont cherché des choses qui ne se trouvaient pas dans notre philosophie. On nous a traités de nazis, mais nous ne professions que l'amour. On disait que nous étions durs. Mais pas du tout. Nous ne voulions simplement pas jouer une musique planante. Dans ce siècle, planer ne me semble pas la posture adéquate.

Vous êtes considéré comme un initiateur par de nombreux musiciens gui vous ont accompagné. Quelqu'un a-t-il rempli ce rôle pour vous ? Christian Vander : Non, j'ai dû tout découvrir par moi-même. Si j'avais eu un maître, tout aurait sans doute été différent. Je trouve qu'il est dommage que cette tradition n'existe plus. Quelqu'un qui puisse nous dire : " Là, tu fais erreur. " Par exemple, on dit souvent au batteur : " Il faut tenir le rythme. " Mais le rythme, on ne le tient pas. Au contraire, il faut le laisser respirer. Pour ma part, les disques de Coltrane et avant tout l'écoute prolongée de son batteur, Elvin Jones, m'ont ouvert des portes. Mais on commet bien des fautes si l'on n'est pas guidé.

Source : Le Temps Culturel - Samedi 6 mai 2000

Magma et Golem - Entretien avec Philippe Bonnier - 21 juillet 2000

MAGMA & Golem

Entretien avec Philippe Bonnier, réalisé par Patrick Boeuf, le 21 juillet 2000

Patrick : C'étaient les trente ans de Magma, cela a donc commencé dans les années 70 ?

Philippe : Quand je les ai côtoyés, cela fait un peu plus de 25 ans maintenant, c'était plutôt au début, pas à leur tout début en 69, 70, je ne les ai pas connus immédiatement, je les ai d'abord découverts par les disques dans les années 72, 73, par l'intermédiaire d'un ami, Jean-Claude Vandeville. Nous montions des spectacles de théâtre, très influencé par la scène théâtrale de l'époque, comme le Living Theater… On utilisait des musiques de "Magma", du premier LP notamment, dans nos spectacles. J'avais 16 ans, on utilisait la structure associative municipale de la MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) de la Celle-Saint-Cloud. La jeunesse de l'époque était plutôt de gauche, le maire, bien qu'étant de droite, a toujours soutenu, paradoxalement, les activités de cette MJC. Cela a son importance, au début nous faisions du théâtre amateur, et au fur et a mesure des années nous clôturions l'année scolaire avec un spectacle plus important, puis nous avons commencé à faire jouer des groupes musicaux amateurs de cette banlieue et d'année en année, cet événement s'est transformé en festival sur la durée d'un week-end, vers la fin juin. La MJC était dans une villa avec un grand parc où se déroulait la manifestation. En 1974 nous avons fait jouer "Ange" (groupe de rock français) le premier soir et le suivant, "Hatfield and the North", groupe mythique avec entre autres Pip Pyle et Dave Stewart. A cette époque, on a sympathisé avec cet individu qui s'appelle Assad, et qui était le représentant français de Richard Branson, le boss de Virgin naissant. "Tubular Bells" venait de sortir, et Branson n'était qu'en route vers la fortune. Virgin France, tenue par Assad, s'était établi dans une ex-boulangerie et c'est par son intermédiaire que nous avons pris contact avec le rock business de l'époque. Nous aimions "Magma", allions à leurs concerts et nous avions très envie de les faire jouer. En 74, donc, on avait utilisé leur musique, et en 75 après le concert de "Gong" le premier soir, il y eu donc notre premier concert de Magma. Et c'est à partir de là que nous avons commencé à collaborer avec eux et cela a duré environ jusqu'à 1977. Cette soirée de juin 75, il faisait très beau, ils avaient joué assez tard et nous avions d'ailleurs eu des problèmes avec la police, un très beau concert, Vander avait créé pour la maladie de sa fille, actuellement choriste au sein du groupe, ce morceau, qui je crois, s'appelle "Vivant" et dont je ne me rappelle plus le nom en kobaïen (note : Hhaï), une sorte de ballade très douce avec un long solo de batterie, chanté par Vander lui-même.

Patrick : Il a joué ce morceau en rappel, pour le concert anniversaire au Trianon à Paris ?

Philippe : Tout à fait. On l'avait entendu là pour la première fois. Magma était entouré de gens atypiques, comme par exemple leur roadie Loulou Sarkissian, dont on croise le nom sur les premières pochettes de leurs vinyles, un personnage haut en couleurs, le type même du mauvais garçon, un fanatique absolu de Magma et de leur musique, à la fois dangereux et le cœur sur la main dès qu'il vous accordait son estime. Un mélange étrange, d'un côté Blasquiz, assez cool et de l'autre Vander, finalement, plutôt difficile d'accès, plutôt dans son monde, pas vraiment le prototype du baba cool contrairement aux membres de "Gong" qui passaient leurs journées défoncés à tirer sur des joints. Il y avait déjà ce bruit qui courait, concernant le groupe, certains trouvaient l'ambiance fascisante, il y avait, d'ailleurs parmi le public, de drôles de types habillés tout en noir qui avaient créé cette aura sectaire qui planait autour de Magma, bien sûr, perdus au milieu de cette jeunesse chevelue. En parlant, à l'époque, avec Blasquiz, nous l'avions trouvé, à la fois, amusé et ennuyé par cette réputation qui ne correspondait pas du tout à ses idées, cela soulevait des polémiques extra musicales. Il y avait dans le groupe, outre Vander et Blasquiz, Stella au chant, le plus souvent à la basse et parfois Paganotti. Au clavier, cela tournait beaucoup. Il y avait, la plupart du temps, Michel Grailler et puis sont arrivés des gens comme Benoît Widemann… En même temps, c'était comme la fin d'une première époque, il y avait encore des cuivres, entre autres Richard Raux, peut-être pas à ce concert là d'ailleurs. Il devait même y avoir Faton Cahen qui était entrain de monter "Zao". Il y avait deux personnes par lesquelles nous passions pour les problèmes d'organisation, l'un s'appelle Georges Leton, un petit bonhomme un peu fuyant, pas vraiment antipathique, un drôle de mec ; au dessus, il y avait Gorgio Gomelsky, à la fois producteur et découvreur de talents, une figure emblématique du Rock'n'Roll. Lui on l'a peu croisé, je me souviens d'un rendez-vous dans un immense appartement avec baie vitrée donnant sur la Seine dans la banlieue ouest, la rencontre avec un nabab en quelque sorte, j'avais 17 ans. Jean-Claude, lui, en avait 25 et face à nous Gomelsky devait approcher les 50 ans, un bel homme qui en imposait, il avait tout de même produit les Rolling Stones. En même temps, tu avais le sentiment d'avoir affaire à un parrain, un drôle de personnage, l'époque n'était pas au marketing des majors, ces gens là avaient une passion, probablement une oreille, ils aimaient la musique, il fallait, finalement, un certain courage pour découvrir et travailler avec Magma, un obscur groupe de rock français. A l'époque, nous le considérions comme un suppôt du grand capital, mais avec le recul je pense qu'il y avait une part de passion à faire son métier de producteur. Les rapports avec eux ont d'ailleurs été très corrects et tant du côté production que du côté des musiciens qui exigeaient le respect de leur musique et de leurs conditions de travail, mais qui en retour étaient très professionnels. Gomelski fut remplacé par un type, dont je ne me souviens plus du nom, qui habitait rue Beautreillis dans le Marais, un appartement avec un ascenseur arrivant directement chez lui (il était dans un fauteuil roulant), c'était plutôt un homme de loi qu'un producteur. Lors d'un rendez-vous, nous avons rencontré pour la première fois la nouvelle génération de musiciens de Magma dont qui, à l'époque, sortait à peine de l'adolescence, c'était tellement étrange de se retrouver là avec Vander, Blasquiz… tous habillés de noir avec la griffe comme boucle de ceinturon.

Patrick : J'ai souvenir d'un concert de cette époque ou Lockwood, très doué par ailleurs, jetait des regards à Vander comme s'il avait affaire à Dieu le père !

Philippe : Ce garçon, qui aujourd'hui fréquente les sommités du jazz mainstream et tourne dans monde entier, n'était à l'époque personne, et Vander a eu le talent de le trouver. Apres ce festival 75, qui a très bien marché, a germé l'idée, à partir du noyau actif issu de la MJC de la Celle-Saint-Cloud et de personnes extérieures rencontrées sur le parcours, de créer une structure "Golem" pour organiser des spectacles, mais aussi pour permettre le développement de toutes activités artistiques de ses membres, et c'est là que tu nous a rejoins. Outre le théâtre, nous faisions aussi du cinéma dans cette MJC, nous avions commencé en super 8, puis la mairie a acquis pour nous une caméra 16mm. En reprenant mes vieux agendas pour cette entrevue, je réalise que nous avons tourné énormément de films, dont beaucoup que j'avais oubliés, c'est ça qui nous a motivés, Olivier Rechou et moi, à tenter le concours d'entrée de l'Ecole Nationale Louis Lumière de Cinématographie, où nous nous sommes rencontrés. Golem a donc été créé en octobre 1975, nous voulions commencer notre activité avec un événement autour de Magma. Le 16 janvier 1976, nous avons organisé deux concerts de Magma au Palais de Chaillot, l'un en matinée et l'autre en soirée dans la salle de concert qui contenait de 7 à 800 personnes et pour annoncer cette manifestation, nous avons réussi à les faire jouer, en formation réduite, le 12 décembre 75, au "Pop Club" de José Arthur, une émission radiophonique de France Inter enregistrée à la Maison de la Radio à Paris. Il y avait Yves Montand, probablement venu présenter un des ses films. Quelques jours avant le concert, le 7 janvier 76, ils sont aussi passés pour un mini concert de promotion à la FNAC Montparnasse. Le concert de Chaillot a très bien marché, la salle était pleine aux deux séances et les deux prestations magnifiques. Juste avant, il avait enregistré le double live, enregistré à la Taverne de l'Olympia, où j'étais présent, et c'est la première fois que l'on a pu voir la formation avec Lockwood, Widemann, je pense que c'était Paganotti, peut-être Top (note : c'était Paga), les rapports Top, Vander étaient très compliqués, un peu tendus, Blasquiz servait en fait de porte-parole, Vander n'étant généralement pas très causant, c'est un musicien avec un univers particulier, mais pas vraiment un communiquant. Klaus, lui avait une façon de parler. Il était très important. Lors du concert anniversaire, je regardais le jeune homme qui tient sa partie au sein de la formation actuelle (note : Antoine Paganotti), il a repris toute la gestuelle de Blasquiz, Klaus avait un mouvement d'épaule qui marquait le tempo et ce garçon reprenait le même mouvement. On ne peut savoir si c'est à l'initiative de Vander, ou s'il a vu Blasquiz le faire, mais c'était très frappant, bien que physiquement et au niveau de la tessiture de la voix, il ne donne pas dans le même registre, Blasquiz a un champ plus étendu. Pour revenir à Top, face à Vander maître d'œuvre, Top était un peu l'alter ego. Il y avait certes des affrontements, mais Vander le laissait créer des morceaux, il prenait des chorus monstrueux (je me souviens de ses chorus au Théâtre de la Renaissance), non seulement c'est un grand instrumentiste, mais un individu avec un univers musical original, il faut aller voir du côté des grands bassistes pour trouver un équivalence, ce qui rend d'autant plus désolante la suite de sa carrière dans la variété française. A l'époque, on ne pouvait jamais être vraiment sûr que ce soit Top à la basse, c'est donc Paganotti qui le remplace, évidemment dans le cadre d'un style de basse propre à Magma, au tout début il avait Francis Moze, d'ailleurs, qui a très vite disparu, ce qui est dommage car c'est un bassiste très intéressant.

Patrick : Pour revenir à Blasquiz, il me semble que pour ce qui est de l'idéologie, de la cosmogonie, si l'on peut dire, il en était un des créateurs ?

Philippe : Tout à fait, au niveau visuel, on peut dire qu'il a tout conçu, pas la griffe, bien sûr, mais à partir de là, étant dessinateur d'origine, il a une approche esthétique qui s'étend du look sur scène au design des pochettes. Il a mis au point une gestuelle, accentuant le côté machine. Encore maintenant quand je mets un disque de Magma sur ma platine, je revois ces images, cette gestuelle, cette scénographie qui lui est due, il avait aussi un grande influence sur les textes. Il y avait donc une sorte de triumvirat, en sachant que si l'on veut faire une comparaison à la trilogie catholique, puisque tu évoques l'idée de cosmogonie, Dieu restait Vander. Trois jours après les concerts de Chaillot, le 19 janvier 76, Magma et Golem se sont réunis autour de l'idée d'un film sur le groupe, une série de réunions ont suivi, le 3 février, Vander, Blasquiz, Alain Thuillier et moi nous nous sommes retrouvés pour parler plus spécifiquement de technique et d'esthétique cinématographiques. Il n'y avait eu jusqu'alors que peu de films musicaux, Woodstock, bien sûr, ou Pink Floyd's The Wall. Scorsese n'avait pas encore tourné The Band. Nous avions eu l'idée, plutôt banale maintenant, de montrer le groupe au travail, de l'élaboration des morceaux à la scène, en les suivant en tournée, par exemple. Sans tomber dans la fiction, l'idée était de retrouver au niveau de la structure et de l'esthétique du film, la couleur et l'état d'esprit de Magma. Nous n'avions pas perdu d'argent sur les concerts de Chaillot, mais nous n'en avons pas gagné beaucoup non plus. Chaillot était plus une opération de prestige, la salle étant très chère. Nous n'avions donc pas de liquidités, pour amorcer la production de ce film. Aujourd'hui, avec les cameras DV, dont la qualité est quasi professionnelle et le coût relativement économique, filmer un concert parait relativement simple, mais à l'époque cela exigeait la location de matériel professionnel 16mm et cela pose des problèmes pour synchroniser les cameras, pour gérer l'alternance des cameras efficaces (un magasin de films en 16 mm ne dure qu'onze minutes) afin de ne rien perdre des morceaux. Face au problème posé par le financement, est venue l'idée, assez dans l'air du temps, de lancer une souscription auprès du public de fans (une idée déjà utilisée par Jean Renoir pour son film "la Marseillaise", en 1936) afin qu'ils achètent leurs places de cinéma par avance, ce qui nous aurait permis de dégager une amorce de finance pour la production. Il n'y avait en France que trois chaînes de télévision d'Etat auxquelles il était absolument impossible de vendre un film sur Magma, pas d'appui de ce côté là, nous ne pouvions envisager que l'exploitation en salle, les grands circuits de distribution n'étant, par avance, pas intéressés, il ne reste que les circuits de distribution plus marginaux, qui bien que favorables à la diffusion d'un tel film, n'étaient pas prêts à mettre le moindre centime au départ. Une fois l'idée de souscription lancée, il a fallu le faire savoir, ce que nous avons fait lors des concerts. Par ailleurs, Rock'n'Folk, le journal de rock le plus en vue a l'époque, à l'aide d'articles et d'annonces, a lancé la souscription. Herve Muller, l'un de leur principaux critiques, nous a beaucoup aidés. On a eu des réponses, les fans ont très vite envoyé de l'argent, chacun au niveau de ses moyens, un billet pré- acheté s'élèverait, aujourd'hui, au prix de cent francs, mais la source s'est rapidement tarie et l'argent accumulé n'a jamais permis d'engager le projet (pour la petite histoire, chaque souscripteur a été scrupuleusement remboursé) et Magma était reparti sur d'autres routes, pour d'autres concerts. Le projet a fait long feu et c'est dommage, le film aurait au minimum eu une valeur de témoignage, mais cela demandait une infrastructure technique et humaine beaucoup trop lourde, en comparaison des moyens nécessaires actuellement, le tournage autour du concert anniversaire le prouve. Parallèlement, Golem continuait d'organiser des concerts, Klaus Schulze, en avril 76, à la salle Pleyel, le 8 juillet 1976, nous sommes fiers d'avoir fait venir Sun Ra and his Arkestra pour un concert à la Mutualité. Olivier, qui avait vécu enfant aux Etats Unis et était donc bilingue, fut envoyé à New York, pour les ramener. Pour l'anecdote, le bassiste de l'Arkestra, une armoire à glace, n'a jamais voulu laisser partir sa contrebasse en soute et ne l'a pas quittée du voyage. A peine sortis de l'avion nous avons traîné ces pauvres garçons probablement épuisés, au même "Pop Club", cite précédemment.

A la rentrée scolaire 1976, nous avons eu l'opportunité d'avoir pour trois semaines, le Théâtre de la Renaissance, un vieux théâtre du XIXème siècle à l'italienne de 800 places, avec orchestre, balcons et fauteuils rouges à l'ancienne. Golem s'est engagé, malgré le délai très court entre la décision et la disponibilité, a constituer une programmation pour cette période d'une vingtaine de jours. Ce fut un échec financier en raison même de la brièveté du temps imparti à la promotion. Mais cela nous a permis de faire jouer Magma dans ce théâtre pendant dix jours a partir du samedi 23 octobre 76, précédé la veille d'un après-midi de répétition. Ce furent dix jours assez fabuleux, même si nous les avions vus très souvent auparavant en concerts et festivals, la rencontre de cette musique et de son public avec cette salle bonbonnière était assez anachronique. Ils ont joué Mekanïk Destruktïw Kommandöh et Köhntarkösz, ces grosses machines musicales, il y avait cet immense solo de basse électrique de Top en fin de première partie, si mes souvenirs sont bons, basses qu'il accordait comme un violoncelle, solo qui sortait soudainement de l'univers magmaïen pour rentrer dans un monde bruitiste. Il y a eu cette mémorable matinée du dimanche 24 octobre, où nous n'avons eu que 70 personnes dans la salle, chiffre que nous avons réussi à pousser jusqu'à 780 pour les meilleurs soirées, pour une moyenne de 400 personnes par soir, ce qui jusque là n'était pas si mal. Mais il nous restait dix jours de programmation à assurer, et c'est là que les problèmes ont commencé. Avec l'aide de Georges Letton et d'Hervé Muller, dans les petits bureaux du théâtre, nous sommes partis désespérément à la recherche d'artistes, ce qui a entraîné une programmation totalement baroque. Dans l'urgence et sans politique de programmation cohérente, nous sommes passés de la chanson à texte à la chanson folklorique, Tri Yann, groupe breton qui existe toujours, par exemple. On a eu Art Zoyd et pour les deux derniers soirs, cerise sur le gâteau, Henry Cow, pour lesquels nous n'avons eu que 280 personnes par soir, ce qui rétrospectivement parait peu, vu la dimension mythique qu'a pris ce groupe.

Patrick : Je me souviens très bien qu'à l'époque chaque musicien avait, sur scène, son fauteuil club et son lampadaire. Et ils ont refait la même installation, un peu plus tard au Théâtre des Champs Elysées, en compagnie de Robert Wyatt. Cela donnait un cadre, une atmosphère intimiste à la musique de ce groupe qui partait dans toutes les directions !

Philippe : tout cela nous laisse, bien sûr, de bons souvenirs, Magma, Art Zoyd et Henry Cow, ce n'est pas rien, mais financièrement, ce fut catastrophique, certains soirs nous n'avons trouvé personne à produire et les frais de structure, eux continuaient à courir, et ce fut notre chant du cygne. Golem s'est alors retiré sur ses bases, à la Celle Saint Cloud. Il y a eu un concert du groupe Zao, un de la chanteuse Nico en mai 77 que l'on attend toujours, la dame ne s'est jamais présentée au concert et nous avons dû rembourser 300 personnes, ce qui fut catastrophique pour nous et provoqua la fin de Golem. Parallèlement se profilaient les débuts du mouvement Punk, des désillusions politiques et l'entrée de ces groupes et de ses labels précédemment novateurs, comme Genesis ou Virgin, pour ne prendre qu'un exemple dans chaque domaine, dans le monde de l'argent, une année charnière en quelque sorte ! De cette époque, j'ai retrouvé une note sur un concert de Magma à Saint Quentin en Yvelines, le 19 février 1977, en grande banlieue : "Magma à Saint Quentin ? Nouvelle formation ? Bizarre, bizarre ? Décevant".

Patrick : Il me semble que le Magma de cette époque avait, à nos oreilles, une couleur plus jazz rock.

Philippe : Oui, c'est peut-être ça, après on a plus suivi Vander dans ses incursions jazz avec Offering. En 1983, j'avais alors monté une maison de production cinématographique avec des collègues, nous avions produit le premier court métrage de fiction, "Fric" d'Alain Thuillier, nous avons demandé à Vander de nous faire la musique, il a joué avec Albi Cullaz à la basse, Michel Grailler au piano et un saxophoniste dont je ne me souviens plus du nom, une variation sur le thème "Equinox" de John Coltrane, une musique assez belle. Alain doit encore avoir les bandes ou du moins une copie optique de la musique. On avait enregistré dans un petit studio de la banlieue parisienne, je me souviens de Vander arrivant dans sa Ferrari rouge, comme il se doit, râlant sur les risques qu'encourait sa voiture dans ces banlieues mal famées, cette Ferrari que l'on voit sur la pochette du disque "Fusion". On ne peut pas dire qu'il frimait, c'est un ferrariste pur et dur, prêt à manger des pommes de terre à longueur de mois pour pouvoir se l'offrir. Pour revenir à la musique, je me souviens de conversations passionnées sur la musique de Coltrane, sur certes l'aspect mystique, mais aussi sur le sincère investissement du musicien, ne pas l'avoir vu jouer en concert reste un des grands regrets de sa vie, Coltrane et Bartok restent deux influences majeurs que l'on sent dans sa musique. Pour rester dans le cinéma, avec mes amis Jean-Claude et Olivier, nous avions écrit, scénarisé et découpé un long métrage, il y avait un rôle pour Christian, un rôle de valet de ferme, le rôle principal aurait du être joué par Patrick Dewaere (acteur français très prometteur, ami de Depardieu et de sa stature, rapidement décédé d'une overdose). Christian était non seulement d'accord pour jouer, mais aussi pour faire la musique. Il avait déjà fait la musique du film Tristan et Iseult, le deuxième mouvement de Theusz Hamtaahk, une très belle musique pour un film assez consternant, une sorte de pré-clip. J'aurai aimé entendre ce qu'il aurait pu faire pour un film plus social, moins esthétisant et voir cet affrontement de personnalités, de gueules qu'aurait pu être le face à face Dewaere / Vander. Et une fois de plus, nous avons pêché par la finance.

Christian Vander - Vibrations - Octobre 2000

Insoumis

Après trente ans de Magma, Christian Vander revient sur l'influence et les nombreux malentendus qu'a engendrés cette formation mythique du free rock français.

Depuis le mois de mai, Magma fête au cours de concerts torrides trois décennies de présence. De son côté, son batteur et chanteur Christian Vander publie une compilation de solos dont la forme n'est autre que le souffle (" Korusz "). On y entend, selon l'intéressé, " la terre, représentée par les fûts, le feu par les cymbales et l'air par l'ensemble de tous ces éléments mêlés d'où surgit le chant". Quand Vander accorde un entretien, c'est avec la même passion que s'il s'agissait d'un solo. Sa parole est dense et roule comme un chorus de batterie foudroyant. Pour lui, " l'idée, c'est d'être disponible. Si j'étais simplement musicien, je serais déprimé. Je suis quelqu'un de vivant à l'intérieur de ce monde, certainement pas un privilégié. Je fais mon chemin et à partir du moment où on y croit et qu'on le fait, il existe. " Trois heures d'entretien pour faire le point et balayer pas mal de malentendus sur un groupe tour à tour adoré et décrié.

Vous préférez ne pas parler de retour de Magma puisque, selon vous, il n'y a pas eu de disparition. Mais il y a quand même eu une éclipse de douze ans, sans tournée et sans autre nouveau disque que l'édition d'anciennes bandes live. Pourquoi avoir à un moment donné resurgi ? Christian Vander : Magma n'a pas souhaité resurgir. Le groupe n'a jamais cessé d'exister, mais on ne nous a pas forcément proposé du travail non plus. D'abord parce que les médias nous occultent, ensuite parce que les organisateurs, qui sont souvent aux ordres, suivent. Les médias, c'est sûr, préfèrent parler des morts plutôt que des gens trop vivants.

Vous avez joué dernièrement à Chicago, berceau du post-rock, puis à New York dans le cadre d'un festival organisé par la Knitting Factory. Un public nombreux se presse à chaque concert et force est de reconnaître qu'il n'y a pas parmi celui-ci que des nostalgiques des années 70. Beaucoup de jeunes semblent fascinés par votre légende. Christian Vander : C'est difficile de savoir pourquoi. J'ai dit un jour que Magma devait naître par moi ou par quelqu'un d'autre, ça explique peut-être en partie la fascination. Probablement beaucoup de gens se sont-ils réfugiés à l'intérieur de cette musique comme ils auraient pu le faire dans une autre. L'originalité de Magma a dû interpeller les gens. Magma échafaude des ambiances musicales particulières, amène des choses nouvelles qui n'ont rien à voir avec le fait de faire rêver grâce à deux accords planants. Il faut d'ailleurs admettre que je ne suis pas partisan de faire rêver. Je suis ferme là-dessus. A l'époque, je n'en étais pas conscient comme je le suis aujourd'hui. Je savais qu'il fallait hurler quelque chose. Je dirais que ça n'a pas, tellement changé.

A l'époque où Magma se fait connaître, on est loin du libéralisme anarchique de Woodstock. Magma impose à ses auditeurs une certaine discipline où le noir est là pour installer silence et concentration. Les détracteurs du groupe continuent de lui reprocher un certain hermétisme cérébral. Musique torturée et prétentieuse sont des qualificatifs qui ont souvent été utilisés... Christian Vander : Les gens ont tout de suite cherché à savoir ce que Magma voulait dire avant de ressentir quoi que ce soit. Pour ma part, lorsque j'écoute certaines choses, je suis simplement sensible au fait qu'il y ait une âme, une profondeur, je ne me pose pas d'autres questions. Je pensais que les gens et les journalistes étaient assez frais pour écouter en se disant " tiens, ce concert était beau, j'ai ressenti de la violence, de la douceur ". Au lieu de ça, c'était ce qui se passait derrière qui intéressait, avec des images bien nettes, préparées, préméditées souvent. Une fois, on était monté sur scène habillés en blanc et un journaliste avait écrit : " ils sont venus tout de noir vêtus " !

Beaucoup ont fustigé une imagerie à laquelle ils étaient réfractaires. Il y a eu de nombreux procès d'intention. Vivre son idéal jusqu'au bout n'est pas toujours très bien perçu. Justement, comment le vivez-vous au quotidien ? Exige-t-il une discipline particulière, physique ou spirituelle de votre part ? De la part des membres du groupe ? Christian Vander : Je n'exige rien de la part des membres du groupe. Quelles que soient les époques, les musiciens qui s'y joignirent voulaient le faire. Chacun est libre de trouver dans Magma ce qui lui convient momentanément ou, pourquoi pas, définitivement. Pour ma part, tout ce qui m'importe, c'est le monde dans lequel j'évolue. Pour ça, j'ai besoin de le connaître de mieux en mieux. C'est lié directement à ce que je fais. Je ne suis pas le genre d'artiste à dire: " la musique, c'est des sons qui viennent comme ça ". Oui, il y a des choses qui nous viennent comme ça, mais si elles n'appartiennent pas au vécu, ça restera toujours abstrait et n'amènera rien à l'histoire du monde.

La mythologie kobaïenne critique le système. Vous avez dit : "Kobaïa, c'est peut-être la terre sans la connerie. "A plus de 50 ans, la foi vous habite toujours et la critique contre " le complot qui dirige le monde" peut paraître plus que jamais d'actualité. Vous ne baissez pas les bras ? Christian Vander : II y a eu des moments difficiles. De toutes manières, c'est toujours un combat. Mais un combat étrange : on n'a pas les adversaires en face de soi.

Bien que vous vous considériez toujours comme un guerrier, avez-vous gagné en sérénité ? Christian Vander : A l'intérieur, les choses ont beaucoup changé. J'ai d'ailleurs dit que si c'était à refaire, malgré mon amour de la musique, je crois que je me serais trouvé ailleurs. Attention, je ne suis pas écolo. Je veux dire, je le suis naturellement... Tout est question d'éducation. Les endroits où j'ai pu me trouver et que je revois aujourd'hui ont été dégradés dans le temps parce que personne ne s'en est occupé. Si j'avais su ça, je n'aurais peut-être pas fait de la musique parce que c'est grave que des endroits disparaissent. Je me demande ce qui était le plus important à faire. J'ai le sentiment que j'aurais pu également mettre beaucoup d'énergie là-dedans.

La position de leader au sein de Magma vous gêne-t-elle ? Christian Vander : Dès le départ, personne ne s'est estimé chef du groupe. Moi, je n'acceptais pas ça. J'étais la personne qui avait fondé Magma mais c'est tout. C'est le temps qui a fait que je suis resté seul depuis le début. Au travers de nos noms kobaïens, on masquait nos identités afin de signifier qu'elles n'avaient aucune importance. Ce qui importait, c'était que la musique passe. Je me suis dit : si la musique doit passer, elle passera. J'ai trop de respect pour les musiciens que j'ai aimés. Sachant l'amour de la musique qu'ils avaient, moi je ne pouvais pas même prétendre avoir un nom.

Vous dites ne pas vous considérer comme un compositeur mais comme un récepteur. Est-ce à dire que des forces qui vous dépassent vous habitent ? Christian Vander : On peut dire que le sang que j'ai en moi date d'avant, ce n'est pas moi qui l'ai inventé. Il doit véhiculer des choses qui me dépassent. Ça existe, la mémoire du sang. Je constate, c'est tout ! II y a des sensations que j'éprouve qui dépassent de loin l'objet de mon vécu. Quelques fois je joue un morceau que je n'ai pas forcément assimilé. J'essaie aussi d'être assez rigoureux pour garder une certaine souplesse. Plus on connaît de choses rythmiquement, plus on peut assouplir les notes, moins on est rigide. En même temps, je dois passer par des choses excessivement strictes pour que la division interne d'une mesure à l'autre soit de plus en plus fine. Je ne refais jamais les choses deux fois. Chaque chose est insituable et j'essaie de la restituer de manière... insituable. Plus c'est insituable, moins il y a de lassitude. Peut-être qu'un jour on découvrira le point d'appui de toutes ces notes que l'on entend toujours tourner de manière différente...

On dit que vous avez travaillé votre instrument dans des circonstances particulières, très physiques. Christian Vander : C'est ce qu'on a dit. Encore des légendes... Une ou deux fois j'ai travaillé avec mes baguettes sous l'eau, dans un autre contenant. J'ai aussi testé des baguettes très lourdes, mais il vaut mieux éviter. Quand après je reprenais mes petites baguettes en bois, j'avais l'impression qu'elles s'envolaient. La manière traditionnelle reste la meilleure et j'ai toujours préféré travailler la souplesse, rarement les exercices.

De nombreux groupes semblent avoir été influencés par votre démarche comme le duo japonais hardcore Ruins. Qu'en pensez-vous ? Christian Vander : J'ai écouté Ruins il y a trois ou quatre ans. C'était en banlieue parisienne, la musique défilait et j'ai pensé que c'était quand même assez apocalyptique même si ça évoquait des choses que je voyais autour de moi. Ça ne m'inspirerait pas d'écouter ça ! Je connais aussi des gens qui à une certaine époque - je ne veux pas citer de noms - revendiquaient Magma comme une influence majeure. Ces gens-là étaient habillés en noir sur scène et avaient des attitudes totalement rigides, robotiques. Magma ne s'est jamais comporté de cette façon. Magma a toujours essayé de respecter la musique tout en gardant une certaine dignité sur scène. On essayait certes d'être sérieux à l'intérieur de la musique, mais on ne cherchait pas à faire disparaître l'émotion, à l'estomper. Les gens qui ont vu ça de cette manière se sont trompés. Magma est une musique vivante jouée par des gens vivants. Il me semble en tout cas...

Justement, le répertoire de Magma peut-il être repris ? Christian Vander : Des thèmes de Magma ont déjà été repris. On devrait effectivement publier des partitions, ne serait-ce que pour pouvoir jouer un morceau comme "Köhntarkösz" plus facilement. Mais bon, ce qui m'importe, c'est de développer de belles mélodies, c'est tout. C'est la mélodie avant tout qui prime. Ce que j'aime chez Coltrane, c'est son chant, sa mélodie. Laisser une chose interprétable dans le temps, ça me fascine et me tracasse.

Magma, comme Offering, est perméable à certaines influences. Christian Vander : Coltrane est toujours une source d'inspiration. C'est la personne que j'ai connue- je veux dire dans mon existence - qui m'a le plus amené musicalement. En ce qui concerne la musique classique, c'est pas pareil, en raison de l'interprétation. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas sur les partitions, qui vont au delà et que l'on entendra jamais. Il suffit d'écouter quelques instrumentistes du début du siècle jouant des oeuvres de compositeurs vivants pour comprendre : on croirait presque du jazz. J'imagine que Bach qui écrivait une messe tous les dimanches, ça devait être frais, alors qu'aujourd'hui, ça sonne hyper-peaufiné, travaillé à l'excès. Il devait aussi y avoir de la fragilité là-dedans. Toutes ces choses qui font que chaque note est unique. Un do idiot reste un do idiot. Toute l'âme de ces compositeurs a été diluée dans le temps. Mais j'aime beaucoup Wagner, Bach, moins Bartok et Stravinsky dont j'appréciais gamin les enchevêtrements de rythmes et dont je me suis lassé. Les chants de Wagner me touchent directement et je trouve qu'ils entretiennent des correspondances avec ceux de Coltrane, surtout à partir du milieu des années 60. " Crescent " peut pas laisser indifférent. Coltrane avait mis le pied dedans, là. Après " A Love Supreme ", il a dit : " ça y est, j'ai compris " et tout le monde se demandait de quoi il parlait. Dans " Crescent ", il avait déjà compris, mais c'était trop frais. Ce disque m'avait étonné à l'époque. Ce calme avant le grand calme puis la tempête. Sur " Crescent ", il avait la dimension d'un lac avant de devenir l'océan.

N'avez-vous jamais songé à jouer du saxophone comme Coltrane ? Christian Vander : J'étais vraiment attiré par la batterie, le son, le rythme, la couleur des cymbales. Le chant des cymbales m'hypnotisait littéralement. J'ai d'ailleurs appris depuis que pour les batteurs dignes de ce nom, la cymbale est essentielle. Un batteur, le soir, va pouvoir laisser tout son matériel en place. Sa cymbale, par contre, il l'emmène.

Votre première batterie vous a été offerte par Chet Baker. Christian Vander : Offerte, oui... (rires) Chet habitait à la maison. Un soir, je devais avoir onze ou douze ans, il jouait dans un club et me dit " tu prends un taxi, je te le paye " - il n'en avait pas les moyens ! - " j'ai une batterie pour toi ". Je me rappelle y être allé, qu'il a chargé cette batterie en vitesse dans le coffre et qu'il m'a juste dit " allez, débrouille-toi avec ça ". Chet partait en tournée en Italie le lendemain. J'étais content, j'avais ma batterie.

Vous citez Coltrane comme principale influence mais on sait moins que vous êtes un admirateur du pianiste Lonnie Liston Smith. Christian Vander : Un ami m'avait un jour donné un disque de lui. Je suis toujours attentif à ce genre de choses. Ce disque était resté posé pendant un an et demi peut-être. Puis un jour, alors que j'étais seul, je l'ai écouté à faible volume. J'ai entendu une sorte de respect, quelque chose d'anormal et j'ai vu que le producteur était Bob Thiele, comme chez Coltrane. Après, je m'en suis procuré d'autres dont un avec une version de " Naima ". Lonnie Liston Smith joue l'essentiel avec une grande sobriété. Trois notes suffisent pour sonner. C'est magnifique.

Est-ce qu'il y a aujourd'hui des musiciens de jazz chez qui vous entendriez la même charge émotionnelle ? Christian Vander : Individuellement, j'entends des musiciens qui jouent pas trop mal. J'écoute trois mesures et puis ça ne passe plus. Je me lasse très vite, car j'ai l'impression d'une redite. Un thème isolé retient parfois mon attention. Dernièrement, alors que j'étais au Sunset, j'entends une composition qui m'accroche. Je me dis que c'est pas mal, je vais demander qui c'est et j'apprend que c'est le fils de Coltrane, Ravi. C'était pas un standard mais ça sonnait comme si c'en était un, neuf et chargé d'histoire à la fois. Ce qu'il fait n'est déjà pas si mal. Car quand on parle de jazz, j'ai plutôt tendance à ressortir ma collection de disques des années 50 et 60 : Cannonball Adderley, Horace Silver, Art Blakey, Duke Ellington.

Indéniablement, la musique de Magma est une musique de transe. Que pensez-vous des musiques électroniques actuelles et de la techno en particulier ? N'y a-t-il pas là quelque chose qui vous interpelle ? Christian Vander : Ça pourrait être intéressant si les notes jouées ou programmées par les musiciens étaient vécues en temps réel. Si je programme des quintuples croches, c'est que je les ai vécues.

Le recyclage de sons que l'on n'a pas soi-même créés ne vous intéresse pas ? Christian Vander : Je trouve ça étrange cette manière de pillage. Je pense qu'il y a une autre école possible - tout simplement faire une chose vivante qui est en soi-même. On n'invente rien de nouveau, mais retrouver des choses qui ont dû exister à l'intérieur de soi, c'est déjà pas mal. Beaucoup ne cherchent qu'à faire de l'argent et si leurs revendications étaient réellement révolutionnaires, elles ne passeraient pas sur toutes les ondes. Le rap n'est pas révolutionnaire. Par contre Magma ne passe pas sur les ondes.

Vous avez l'impression que la musique régresse ? Christian Vander : Au mieux, elle piétine. Il y a trop d'esthétisme. Rares sont ceux qui transpirent. II suffit de revoir de vieux enregistrements de concerts pour sentir l'intensité que beaucoup de musiciens mettaient dans chaque chabada, dans chaque note. Aujourd'hui, on voit surtout des récitants qui ne prennent aucun risque et peaufinent la note bien propre avant qu'elle sorte. Il y a quelques musiciens d'une certaine génération qui ont de nouveau envie d'aller un peu se " salir " dans les clubs, d'aller au charbon comme on dit. Les formes importent peu puisque les notes sont toujours les mêmes. Mais quand il y a quelque chose de nouveau, ça s'entend tout de suite. Alors que là, pour l'instant, on a l'impression que c'est par l'obstination dans le bourrage de crâne qu'ils veulent convaincre. C'est pas tout à fait ça la musique.

Rencontre : Philippe ROBERT Source : Vibrations n° 28 - Octobre 2000

Magma : l'épopée de la Trilogie continue - La Provence - 20.11.00

Magma : l'épopée de la Trilogie Continue

Le groupe culte de Vander faisait étape, samedi soir, à Marseille, à l'occasion d'un des ultimes concerts hexagonaux dédiés au triptyque "Theusz Hamtaahk".

Trente ans après avoir composé la très culte trilogie magmaïenne, Vander porte à la scène le fameux "mouvement manquant". Puissamment hors les normes, hier comme aujourd'hui.

Magma a fêté cette année ses 30 ans et lorsqu'on interroge Christian Vander sur la remarquable longévité d'un combo qui dès ses premières scènes aura suscité autant de passions inconditionnelles que de furibondes controverses, l'intéressé hausse les épaules et répond, laconique : "Dès lors qu'il y a engagement véritable, il est normal de durer. Au jour de la création du groupe, je me suis engagé. Définitivement". Et d'ajouter : "En fait, en créant Magma, nous étions tous partis pour la vie et la première fois qu'un musicien a décidé de quitter le groupe, cela a été un choc pour moi. J'ai dû m'y faire : à ce jour, la "tribu" a été entièrement renouvelée et rétrospectivement, je pense que les départs et les arrivées de musiciens, les rencontres, le brassage au sein de Magma auront été bénéfiques au groupe. Aujourd'hui, la formation actuelle est une formation solide, capable d'aller très loin". Loin, jusque sur les scènes de l'Empire du Soleil Levant et jusque sur les planches d'Oncle Sam où Magma s'en ira dès le printemps prochain jouer l'originelle trilogie Theusz Hamtaahk, pièce culte s'il en est, composée à l'orée de l'épopée Magma mais qui jusqu'à présent n'avait jamais été présentée à la scène dans son intégralité : "Beaucoup de gens pensent que nous avons décidé de jouer enfin "live" les trois mouvements de la trilogie pour l'anniversaire de Magma. En fait, ce n'est pas un "calcul anniversaire", les choses se sont juste présentées comme ça. Ceci dit, me replonger dans Theusz Hamtaahk est une expérience fantastique… en même temps qu'un travail titanesque", explique Christian Vander. "J'ai entrepris de transcrire dans un livret de quelque 80 pages - Ndlr :livret qui accompagnera manifestement l'album live de cette tournée française à sortir dans les bacs en février prochain - l'ensemble des textes et ça n'a pas été une mince affaire".

Des textes écrits en langue Kobaïa, cela va de soi : "Le Kobaïen est un langage particulier, organique qui s'organise en même temps que la musique, qui naît en simultané avec les sons. Pour moi, c'est un soulagement d'avoir enfin porté par écrit la trilogie". Soulagement indissociable de cette valeur qu'accorde Vander à la notion d'héritage : "Si je fais ce que je fais aujourd'hui, c'est qu'il s'est trouvé des gens pour me léguer des choses. Savoir transmettre et savoir recevoir sont deux choses extrêmement importantes". Et l'homme de se souvenir "J'ai eu la chance de gagner un temps fou grâce à ma mère qui m'a fait rencontrer des personnes essentielles. Prenez Coltrane : son oeuvre a été d'une importance capitale dans mon itinéraire. Un de mes vieux rêves était de jouer avec lui. Ça ne s'est pas fait et dans un sens je crois que Magma est un peu né de ce manque ou de manques similaires. En fait, je compose mes manques". Des manques qui auront pris diverses formes "magmaïennes", depuis le Trio Vander jusqu'à Welcome en passant par Offering sans pourtant dévier de la philosophie Magma : " Tout est dans tout, tout est lié. Mon travail est un travail sur la conscience, sur la présence et toutes les formations que j'ai créées s'inscrivent dans cette cohérence, se ressourçant les unes aux autres".

Christel Trinquier La Provence - 20 novembre 2000

Magma : interview Christian Vander - Presto n° 34 - Décembre 2000

MAGMA

RENCONTRE AVEC LE MAÎTRE DES LIEUX… CHRISTIAN VANDER FAIT LE POINT SUR MAGMA ET SES AUTRES PROJETS.

La trilogie Theusz Hamtaahk, Wurdah Itah, Mekanïk Destruktïw est proposée depuis quelques mois. Deux nouveaux thèmes apparaissent, ont-ils été composés à l'époque ? Christian VANDER : ils ont été composés à l'époque mais on a fait un ajout dans Wurdah Itah qui a été composé dans les années 80. II y a un thème chanté : "Do Watsïn Do" qui était prévu à l'époque, j'aimais tellement ce thème que je n'ai pas voulu l'enregistrer. J'ai préféré l'imaginer, chacun pourra se le chanter d'ailleurs. Dans le temps il manquait un peu donc on l'a intégré, ce thème peut durer 25 minutes, avec Stundëhr on improvisait dessus… Comptes-tu sortir sur AKT les premières versions de Wurdah Itah ? Celle sur le film d'Yves Lagrange Tristan et Iseult ? Je ne sais pas ! On a travaillé cela à l'énergie. De plus personne ne connaissait réellement les paroles ; comme on n'avait pas de concert à ce moment-là, Gorgio Gomelski a loué un studio, le gars qui a pris les bandes les a utilisées. C'était des prémaquettes. La version sans batterie est très bien, je n'ai malheureusement qu'une partie. Je ne peux pas la sortir.

Comptes-tu éditer la trilogie en un seul tenant, une seule formation, un seul son ? On a l'intention de le faire, on n'a pas écouté les bandes des concerts au Trianon à Paris pour les 30 ans de MAGMA. Si cela se passe bien, on espère sortir un album de ces concerts pour la fin de l'année.

Que penses-tu de cette formation ? As-tu de nouvelles compositions à proposer ? On a dans l'idée de monter un nouveau répertoire, on pourrait reprendre aussi des thèmes comme Zëss… On pourrait monter un concert complètement nouveau, tout transformer… C'est difficile, dans l'idée oui ! J'ai envie de faire cela. C'est toujours ce qu'on a fait… Toutefois, je travaille tellement sur les Cygnes Et Les Corbeaux depuis tant d'années que j'ai du mal à m'en défaire. Tant que je ne l'aurai pas terminé, je ne verrai pas véritablement le jour. C'est un énorme travail.

Justement, où en es-tu avec Cygnes Et Les Corbeaux? Il reste environ un tiers à enregistrer, comme on projette de sortir la trilogie et qu'il faut tout contrôler, réécouter les bandes, j'ai été aussi retardé par le disque Korusz. J'ai dû sélectionner les bandes, écrire les textes pour la version long box limitée qui est une idée d'Harmonia Mundi !

Quelles seront les couleurs sonores des Cygnes Et Les Corbeaux ? J'avais envie d'enregistrer une version avec une instrumentation classique : cor, hautbois, clarinette, cordes… J'ai dû, faute de ne pas avoir d'orchestre à demeure, utiliser des samples en essayant de tenir un son le plus près possible du naturel, pas d'idée d'effets, de choses comme cela.

II n'y aura pas de batterie je crois !... Non… Possible qu'il y ait un passage avec la batterie ou bien elle peut s'intégrer et rester jusque la fin. Dans l'idée, ça peut être bien parce qu'il y a un changement de couleur. Je ne peux pas dire, de toute façon la composition n'est pas axée autour de la batterie.

Peux-tu nous parler d'Ektah et Floë Essi ? (CD 2 titres) On nous a demandé un disque du nouveau groupe, on n'avait rien enregistré, le son du groupe était en train de se faire (1996/1997 avec Bertrand Cardiet au chant). Ces 2 titres ont été faits pour tenir les gens en haleine en attendant de faire un album avec ce groupe. Le bassiste Philippe Bussonnet avait un titre "Floë Essi" qu'il avait composé, joué et pratiqué, il nous l'a proposé. Ca rentrait dans le climat de Magma. "Ektah", je l'ai composé exprès pour cette occasion. Le Héros, c'était le titre qui était prévu au départ ; puis Jean Marais est parti le jour où on a terminé le disque. C'est pour cela que je l'ai dédié à Jean Marais. Ce qui est fou, c'est qu'on pouvait lire dans la presse des articles qui disaient : "Jean Marais, le héros". J'ai cru qu'ils allaient imaginer que j'avais pompé l'idée. En réalité… Non ! Jean Marais… Ça fait partie des gens pour qui j'ai beaucoup de respect et d'admiration. Et ton projet Magma Aeterna ? C'est l'idée d'un combat avec les machines ? Forcément… Mais en fait c'est pas l'idée de base, c'est même pas l'idée de ce qu'on peut faire avec les machines. Très souvent les gens qui utilisent des machines c'est pour des raisons de facilité à tous les niveaux. Ils utilisent des divisions rythmiques qu'ils n'ont pas forcément digérées. J'irai jusqu'où on peut aller dans la division… Je veux créer une musique vibratoire avec les machines. Ça implique de vivre chacune des notes et des impulsions. L'idée que j'avais c'est de recréer de la matière avec cette matière-là qui n'en est pas réellement, jusqu'à donner l'impression que la baguette s'écrase sur la caisse claire, qu'on la matérialise en la visualisant, qu'on sente la baguette sur la caisse. C'est comme si je construisais une baguette sur la caisse. Je ne sais pas si on peut vraiment s'imaginer ? ! Ça va de l'infiniment petit vers l'infiniment grand. La musique que je fais a tendance à descendre. II est plus facile pour nous de concevoir l'infiniment petit et de tendre vers l'infiniment grand que l'on ne peut visualiser ni concevoir. Je parle de ce que l'on peut palper. Je ne tiens pas trop à l'expliquer, je préfère avoir des surprises, je vais découvrir en l'enregistrant. Une fois sur le terrain, je trouverai des solutions.

Ta voix a mûri, Ton registre, Ta tessiture vocale ont changé, tu ne chantes plus ces cris (notes) aigus ? Ce que je chantais à ce moment-là, je n'ai pas envie de le chanter aujourd'hui ; je travaille sur de nouvelles choses. Pour Les Cygnes Et Les Corbeaux, j'utilise des fréquences harmoniques d'une certaine manière, je les veux comme ça ! En réalité, je chante ce que j'ai envie d'envoyer. Je n'ai pas envie de revenir sur des choses que j'ai déjà faites. Dans la mesure où il y a quelqu'un qui peut chanter cela, il n'y a pas plus à dire, c'est pas utile !

Korusz, c'est un disque qui réunit ta conception du fameux chorus suprême sur l'idée des 4 éléments ? Jusqu'en 1987, j'avais dans l'idée de réaliser ce fameux chorus suprême. Finalement, je suis passé à autre chose. Je ne peux pas refaire ce genre de choses… Ces chorus se développaient toujours de la même trame qui évoluait au fil des années. La terre, l'air, le feu, l'eau puis l'ensemble des éléments mêlés, d'où surgissait le chant. J'enregistrerai peut-être le fameux chorus Ptah qui est un chorus de batterie totalement habillé : la colonne vertébrale, les os, la chair, les nerfs, le sang. Je l'habillerai note par note, impulsion par impulsion c'est encore un autre projet…

Propos recueillis par Thierry MOREAU PRESTO n° 34 - Décembre 2000